Le Brésil en 1889. Partie 2

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PRESSE.

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présentant ses produits ou un magasin de nouveautés a n n o n ç a n t une vente de soldes a u rabais, on y t r o u v e u n citoyen dénonçant les injustices dont il se croit la victime de la part des pouvoirs publics, se plaignant de son voisin ou de son rival. Ces plaintes sont fréquemment agrémentées d'injures et m ê m e de calomnies, et la vie privée n'y est pas toujours épargnée. Parmi les étrangers qui visitent le Brésil et qui parviennent à comprendre le portugais, les uns sont scandalisés de cette forme spéciale de notre presse, les a u t r e s la trouvent simplement comique. Cependant, elle n'a rien d ' e x t r a v a g a n t ; elle a ses raisons d'être, ou les a eues. Elle est déjà autre qu'elle n'a été, et elle disParáîtra certainement quand disParáîtront à leur t o u r les causes qui l'ont fait naître. Une de ces causes est notre organisation politique, sociale et civile, qui ressemble assez à une vraie désorganisation. Dans aucun pays on ne saurait trouver plus de libertés qu'il n'en existe de fait au Brésil. Il y est permis de tout dire, dans la presse, d a n s la tribune, contre la police, contre la m a g i s t r a t u r e , contre le gouvernement, contre l'empereur. Il y a des lois contre l'abus de ces libertés, mais ces lois on ne les applique j a m a i s régulièrement, et, pour beaucoup de cas, il n'y a pas de lois spéciales. La loi sur la presse est absolument incomplète. Seuls les particuliers lésés ou offensés par une de ces « insertions sur demande » ont recours à la loi, encore le font-ils r a r e m e n t . La loi sur la presse n'a prévu que deux sortes de délits pour abus de la liberté de la presse : la calomnie et l'injure. Dans les p r o cès pour calomnie, l'auteur du délit est admis à faire la preuve, et il comParáit devant le j u r y . Le procès pour injures est trèssommaire ; il est soumis à un j u g e et n'admet pas la preuve. Aussi cette législation donne-t-elle lieu aux résultats les plus étranges. Un citoyen dénonce, un jour, dans un j o u r n a l , certain fonctionnaire, qu'il accuse de prévarication, il fournit la preuve de son accusation, si bien que le fonctionnaire est destitué aussitôt. Celui-ci, tant qu'il était fonctionnaire, ne pouvait actionner son accusateur que pour calomnie, en lui d e m a n d a n t de faire la preuve des faits avancés. Mais, une fois destitué, il agit comme tout autre citoyen, poursuit son a c c u s a t e u r pour injures et le fait mettre en prison. Cette législation a donné naissance à une curieuse institution, destinée à la tourner. Elle a créé le testa de ferro, l'homme de paille, le plastron. L'offensé cite l'auteur d'un article p a r u 33


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