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LES
AVENTURES
vue me rappela un peu à la réalité, et, sans que je comprisse encore le danger auquel j e venais d'échapper, ni l'endroit où je me trouvais, l'idée me revint de chercher m o n bazar. Mais la nuit était descendue pleine, et je me surpris disant à voix haute : « Il le faut! retournons à m o n île; j'ai faim ! » Je ne savais plus du tout ni ce que je faisais, ni m ê m e ce que je pensais. La folie doit probablement commencer ainsi. Le son grêle et comme fêlé de m a voix m e causa une sensation douloureuse; puis je pensai que j'étais p e u t - ê t r e aveugle, puisque je commençais à n'y pas voir clair. Mais la lune sortait alors des flots, large et splendide de clarté. Sa vue m e remit u n peu , et je dis encore tout h a u t : « Je ne suis q u ' à moitié a v e u g l e , car je vois la lune au lieu du soleil. » Alors, sous le coup de la tristesse que m'inspirait m a demi-cécité, je me pris à pleurer a m è r e m e n t . Je pleurerais peut-être m ê m e encore à l'heure qu'il est, si mon singe que mes larmes intempestives agaçaient, non sans motif, ne m'avait pas tiré de cette variété de folie nerveuse en me sautant sur les épaules et en me tirant la barbe avec ses dents. Je le pris à deux mains et le regardai longtemps sans c o m p r e n d r e , en pleurant encore par intervalles; puis une lueur sou-