L'agriculture à la Guadeloupe

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— 69 — La chanson était un appel incessant à Dieu, qu'on implorait pour qu'il brisât partout les fers de la captivité; mais les noirs ne comprirent qu'une chose: c'est que Hugues les condamnait au travail forcé et les réduisait au plus d u r esclavage, en essayant de rendre Dieu complice de son immoralité. Hugues les frappa alors avec une rigueur inouïe, car tout refus de travail était puni d'une peine qui allait jusqu'à dix ans de fers. Cet espèce de tyran démocrate ne comprenait pas que les noirs ne voulussent pas lui donner du travail, en échange de la liberté. Singulière liberté, sans salaire et souvent avec une nourriture médiocre, car la fourniture était faite par des affranchis qui exploitaient le plus possible leurs anciens camarades! Hugues ne tarda pas, d'ailleurs, à exercer le brigandage le plus effronté sous le manteau d ' u n e chose sacrée, la justice, fermant par conséquent les yeux sur les vols des fournisseurs. Un de ces fournisseurs à scrupules se plaignit un jour à Hugues de ne pouvoir vivre, et le supplia de le décharger de son emploi. Le proconsul, l'écoutant, lui répondit : «Si tu ne peux vivre sur la propriété dont tu es séquestre, c'est que es un f.... c ; f...-moi le camp. » Ce citoyen comprit et ne se plaignit plus. Les cultivateurs ne comprenaient pas ce système sans-culottide, et cependant on leur donnait des leçons détestables, car on leur apprenait que le vol et la rapine sont un devoir aussi sacré que l'émeute ; ils ne voulurent quand même pas travailler. Hugues décida que les cultivateurs ne pourraient pas sortir de leur commune, sans un congé du commissaire de quartier, sous peine d'une amende contre les personnes qui les avaient recueillis. Arrêtés, emprisonnés, ils étaient reconduits par la force publique sur la propriété à laquelle ils étaient attachés. Les noirs ne voulurent rien faire et se moquèrent du terrible Victor Hugues. Avec ces lois répressives et terribles, les cultivateurs abandonnèrent les habitations. La ration avait été supprimée et remplacée par l'abandon de deux j o u r nées de travail. Ces j o u r s , qui portaient sur le samedi et le dimanche, avaient été choisis exprès pour faire perdre aux cultivateurs le souvenir du jour de repos de l'ancienne superstition catholique. Cette mesure faisait perdre aux cultivateurs deux jours de repos par mois, et la désertion s'effectua sur une plus vaste échelle encore. Les hommes se retirèrent dans les camps des anciens nègres m a r r o n s établis dans les montagnes, et les femmes dans les villes, où elles vivaient dans la promiscuité la plus complète. Hugues, impuissant contre ces masses, adressa à tous les commissaires de quartiers une circulaire dans laquelle il déclarait que ceux qui n'iraient pas travailler à la campagne seraient conduits, sous escorte, à Pointe-à-


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