L'agriculture à la Guadeloupe

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— 66 — hommes peu éclairés les questions sociales soulevées par une révolution ; on ne parle pas impunément de droits, de liberté, devant des hommes sans droits et sans liberté. Les hommes de couleur, que la commission avait fait hommes, voulurent êlre citoyens. Ils prouvaient ainsi que la dignité humaine n'était pas morte dans leur â m e , malgré l'abjection qui les avait jusqu'alors flétris. Ceux qui s'étaient constitués, aux colonies, les représentants directs des idées républicaines les repoussèrent avec hauteur, et le grand patriote Dugommier, venant au secours de la ville de Saint-Pierre révoltée, déclarait qu'il arrivait avec la ferme résolution de faire rentrer dans le respect et la soumission qu'elle doit aux blancs une classe d'hommes dont les prétentions absurdes et choquantes, malheureusement soutenues par l'erreur de quelques-uns, ont été la source la plus féconde des crises qui affligent la Martinique. C'est ainsi, d'ailleurs, que les choses se passent dans tous les pays : les intérêts matériels gouvernent bien plus le monde que les intérêts moraux. Les frères égarés étaient ces planteurs depuis tant calomniés, qui se d é gradaient en couchant sous la tente avec leurs intrépides soldats, et qui manifestèrent bientôt d'une façon éclatante leurs sentiments en faveur d'une classe déshéritée aux colonies, et que les patriotes voulaient toujours maintenir dans son humiliation, parce qu'ils comprenaient qu'ils n'allaient pas tarder à remplacer les colons planteurs. Ote-toi de là que je m'y mette; toujours le même principe dans tous les temps et dans tous les siècles ! A la Guadeloupe, les hommes de couleur libres réclamaient les droits de citoyens, mais ils restaient calmes ; les esclaves s'agitaient. Le mot de liberté, prononcé à tout moment, les avait sincèrement remués ; il existait donc dans les ateliers d'assez puissants ferments de révolte, puisqu'à la fin d'avril on découvrit un complot tramé par les nègres de la Capesterre, de la Goyave et du Petit-Bourg. Les municipalités furent constituées, et c'est de Pointe-à Pitre que partit d'abord la guerre contre l'autorité du représentant du roi constitutionnel. Le gouverneur fut fait prisonnier dans son hôtel, pendant dix-sept j o u r s . Il serait trop long de raconter tous les détails qui ont largement contribué à désorganiser le travail et l'ont même fait complètement cesser, lorsque l'on donna au capitaine de vaisseau Lacrosse la mission de républicaniser les îles. Il y eut de grandes luttes entreprises par les planteurs pour maintenir l'ordre, et la Guadeloupe entrait plus profondément en dissolution au fur et à mesure que la France se désorganisait. Elle a eu, comme la métropole, ses proscriptions, ses confiscations de biens, ses massacres de prisons, et en janvier 1 7 9 3 , après la chute des royalistes, Lacrosse n'arbora, pour tout drapeau, que le bonnet rouge, pourpre hideuse du nouveau souverain. Dans les six premiers mois de 1 7 9 3 , 575 navires exportèrent à la Guade-


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