L'agriculture à la Guadeloupe

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— 62 — systématiquement les colons, et ceux qui s'apitoyaient, souvent sans conviction, sur les maux dont étaient accablés les nègres, ne voulurent ni voir les miséres bien autrement cruelles du peuple en France, ni s'attendrir sur son sort. Les pires maîtres étaient cependant ces Européens dont la sensibilité disparaissait bien vite lorsqu'ils devenaient à leur tour maîtres, car, n'étant pas habitués comme les colons, dès leur enfance, à l'esclavage, ils étaient plus inflexibles dans la répression et n'avaient pas plié leurs caractères au contact de la vie commune qui rapprochait colons et esclaves. C'est ainsi d'ailleurs que les choses se passent dans tous les pays du monde, et de pareils exemples se produisent chaque jour en F r a n c e . La discipline des habitations, souvent peuplées de 3 0 0 à 400 nègres, r e posait entièrement sur le maître, qui avait à réprimer tout ce qui n'était pas crime. Les esclaves, battus à outrance, tués m ê m e , en Afrique, par des maîtres qui avaient tout pouvoir sur eux, devaient trouver la peine du fouet bien l é gère, et les coups portés ne pouvaient dépasser le chiffre de 29 : c'était le châtiment en usage dans toutes les colonies. Le nègre qui s'y était exposé le supportait avec résignation et n'en conservait aucune rancune. D'ailleurs, ce châtiment n'était pas arbitraire; il y avait une règle, et l'esclave était averti; il savait à quoi il s'exposait. Bien de ces châtiments étaient illusoires, et lorsqu'un bon travailleur avait commis une légère faute, la punition était subie, mais le délinquant n'avait supporté aucun coup. Le commandeur, devenu trèshabile, avait fait siffler son long fouet ; chaque coup avait enveloppé le corps du patient, mais aucun ne lui avait fait le moindre mal : la discipline était ainsi sauvée. Les domestiques des maisons étaient fustigés avec un nerf de bœuf appelé rigoire. Ils étaient traités avec bonté et se trouvaient si heureux de leur sort, qu'ils se croyaient supérieurs aux nègres des jardins, avec lesquels ils n ' a vaient que des rapports hautains. Les nègres sont généralement bons, mais le climat influe sur leur caractère ; ils sont fort irritables et très-querelleurs. Sans indulgence entre eux, avant d'en venir aux coups, comme les héros d'Homère, ils épuisent les vocabulaires d'invectives. Les rues des villes retentissent de ces criailleries, où les femmes surtout se distinguent et ressemblent à des furies prêles à tout dévorer. Un cercle entoure les combattants et donne son approbation à celui qui lance les plus grossières injures, dont le bras porte les coups les plus violents, et dont la tête, leur arme principale, a distribué les coups les plus solides. Les petits nègres, élevés dans la famille du maître, sont supérieurs en civilisation à leurs pères et mères, dont ils ne comprennent pas la langue originelle. Ils comprennent le français, qu'ils ne parlent point, car dans toutes ces îles il s'est formé, pour l'usage des nègres, un patois composé de mots français, espagnols, anglais, hollandais.


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