L'agriculture à la Guadeloupe

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— 245 — fondeur, qui ne sont pas navigables et qui ne peuvent pas servir peur transporter les bois. Toutes les essences sont mélangées dans ce désordre vertigineux plein de suaves barmonies. Des Courtilz, se livrant à la contemplation des forêts coloniales, laissait échapper de son âme ce cri d'admiration : « Quel état délicieux éprouve l'homme religieux au milieu de ces superbes forêts qui agitent autour de lui leurs dômes de verdure, leurs lianes élégantes et parfumées que balance l'air rafraîchi ! Seul en ce moment, oublié, ignoré peut-être, comme les fleuves qui, selon Châteaubriand, n'ont pas même de nom dans le désert, il se met, avec attendrissement, en r a p port avec l'auteur de toutes choses, et son âme adresse des louanges à l'Éternel, à ce grand être invisible et visible en tous lieux, en pensant à l'immensité de ressources qu'il a accordées à la végétation. Ici ce sont des plantes qui fournissent des couleurs aux a r t s ; là des substances alimentaires qui font l'ornement des vergers et des potagers. Celles-ci fournissent des gommes, des résines utiles à la médecine, aux arts et à la navigation ; celleslà flattent le luxe par leurs parfums exquis. Les unes offrent dans leur liber de très-bons cordages ; d'autres livrent les fils les plus souples pour la toile ; celles-ci les aigrettes de leur semence pour les ouvrages en coton ; celles-là, par la compression de leurs graines, des huiles, ou, par distillation, un arome subtil qui parfume. Les racines renferment un amidon, un suc agréable, des fruits délicieux et des substances qui remplacent les céréales. » Ce qui frappe le plus l'homme de goût qui arrive d'Europe dans la Guadeloupe, et qui n'a jamais vu ces paysages d'une nature primitive, c'est l'air étranger de la plupart des plantes dont se composent ces massifs si riches : les longues feuilles lustrées du balisier de montagne, dont le vert est éclatant comme l'émeraude ; des touffes de fleurs inconnues, blanches, rouges, jaunes ou violettes. De temps en temps, une fougère géante laisse sortir de ce labyrinthe son grand tronc noir qui ressemble à une colonne d'ébène a r tistement ciselée. Du sommet de ce tronc se projettent, dans tous les sens, douze à quinze branches flexibles, ornées d'un feuillage découpé avec une extrême délicatesse ; elles se répandent autour de l'arbre, en partant d'un cercle commun, et lui donnent la figure d'un grand parasol dont rien ne peut égaler la forme gracieuse et le port élégant. Dans les lieux mêmes où les cultures sont établies, la nature conserve encore sa physionomie à la fois riante et sauvage : des cannes à sucre sur les collines peu élevées ; des cafiers arrondis, avec leurs fleurs blanches et leurs belles cerises, dans les montagnes ; des arbres splendides, surtout l'oranger, qui fournit en même temps des fleurs, des fruits à peine noués et d'autres parfaitement m û r s . C'est ainsi que les délicieuses fictions des poètes, qui ont écrit dans les climats tempérés, se réalisent dans ces îles favorisées du ciel ; mais ces charmes sont malheureusement nuls pour la plupart des


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