L'agriculture à la Guadeloupe

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— 147 — forts et les plus habiles qui, jusqu'à ce j o u r , ont composé les gouvernements, la raison d'État n'a fait que consacrer cette oppression, en demandant exclusivement l'impôt soit à une classe soumise, serve ou travailleuse, soit à des populations étrangères rendues tributaires ; ainsi s'est organisé dans l'origine, par la force et avec la sanction du culte, le droit de conquête ou droit divin, qui s'est maintenu officiellement dans tous les États de l'Europe j u s qu'à la fin du dernier siècle, et qui subsiste encore, déguisé, dans la plupart de nos institutions. « Pourtant cette raison d'État, toute odieuse qu'elle soit dans son inspiration égoïste, n'est point absurde. Elle a ses motifs secrets, son b u t , sa mission propre, aussi bien que la nature à qui elle semble faire violence. Le dirai-je ? elle a sa loi, son droit, et, si légitime que soit aujourd'hui la r é probation de ce droit, la philosophie répugne à n'y voir qu'une institution de hasard ou de machiavélique arbitraire. La philosophie se demande quel pouvait être le sens de cette antique servitude, dans laquelle la conscience des modernes ne saurait plus reconnaître qu'une frappante iniquité. « Lorsque les premiers humains, éparpillés sur la surface de la t e r r e , commencèrent à se rapprocher et à former de petites agglomérations politiques, instituèrent les mariages, l'autorité paternelle, la propriété, la royauté, les sacrifices et quelques formules de lois, la puissance publique fut considérée comme une émanation du ciel et se trouva, dès lors, investie de l'action civilisatrice. Toute propriété releva, par la même raison, du gouvernement, c'est-à-dire du droit divin. La terre est à l'éternel et tout ce qui la remplit, dit le psalmiste. « Les propriétaires ou nobles compagnons du roi furent considérés comme de simples usufruitiers. Quant à la multitude, encore à l'état sauvage, qu'il s'agissait de former au travail et aux m œ u r s , son lot fut naturellement l'obéissance et la servitude. C'est par cette rude discipline du travail servile, il faut bien l'avouer, que les peuples se sont élevés peu à peu à la civilisation, à la liberté et à la connaissance de leurs droits. L'homme n'est sorti de la sauvagerie que pour devenir u n forçat pendant de longs siècles. « L'homme, par sa nature et destination, est producteur, travailleur : là est sa gloire; mais, pour l'amener au travail, il a fallu d'abord l'y contraindre : la misère en premier lieu, puis l'institution des castes : sacerdoce, noblesse, royauté, ont été les agents de cette contrainte. Dans ces conditions, l'homme condamné, pour ainsi dire, au travail forcé, doit rendre à ses maîtres, à ses dieux tout ce qu'il produit, moins ce qui lui est absolument indispensable pour ne pas succomber d'inanition. « A mesure que son éducation avance, le travailleur, ou, pour parler le langage antique, l'esclave, obtient et plus de liberté et plus de bien-être. Enfin l'heure de son émancipation approche; ce travailleur est proclamé citoyen, tous déclarés égaux devant le fisc, comme devant la loi.


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