L'agriculture à la Guadeloupe

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— 134 — tants laissaient, comme par le p a s s é , aux cultivateurs la jouissance de la case et du jardin. L'association ne pu durer longtemps. Les noirs ne remplissaient aucune de leurs obligations, ne donnaient pas les heures de travail convenu, ne t r a vaillaient pas tous les j o u r s , et finirent par s'imaginer que la terre, pour le jardin et la case, était leur propriété personnelle, et ils n'hésitèrent pas à faire des procès pour être maintenus dans cette possession. Leur prétention ne put être accueillie par la justice. La désertion presque générale des travaux provoqua des résultats désastreux, et les exportations de sucres avaient sensiblement baissé. En 1 8 4 6 , on exportait 2 0 , 4 5 3 , 7 4 1 kilog. ; en 1849, 1 7 , 7 0 9 , 0 5 6 kilog.; en 1 8 5 0 , 1 2 , 8 3 1 , 9 1 7 kilog.; en 1 8 5 1 , 2 0 , 0 4 0 , 3 6 8 kilog.; en 1 8 5 2 , 1 7 , 2 9 1 , 7 7 4 kil., et en 1 8 5 3 , 1 6 , 8 7 9 , 2 7 3 kilog. Le pays était perdu, si des bras ne venaient pas remplacer ceux des affranchis : travail à peu près nul, désordre dans tout le pays, propriétés sans valeur, soumises le plus souvent à l'expropriation, habitants ruinés, ne sachant s'ils recevraient le prix de leurs esclaves, le droit à l'indemnité légale leur étant contesté, ce qui était une erreur réelle, car le droit de posséder tel morceau de terre n'est pas plus du droit naturel que celui de posséder un h o m m e . Ces deux droits sont ceux de la force légalisée par les nécessités sociales. Serait-on admis à prêcher contre la propriété du sol en Europe? Il faut respecter tous les droits, et si l'on ne veut pas les laisser exister, on doit payer cette fantaisie en espèces, au lieu de la payer en phrases sur la dignité humaine; d'ailleurs, le pacte social était là, qui faisait disparaître toute équivoque. Donc, indemnité juste pour les créoles, loyalement débattue de part et d'autre, parce que, si les colons avaient des esclaves, c'était la France qui l'avait voulu ; indemnité, parce que les créanciers des colons dépouillés seraient aussi dépouillés, alors qu'ils avaient prêté sur la garantie d'une p r o priété reconnue légalement; indemnité, parce que c'était le seul moyen d'amoindrir la secousse inévitable de l'affranchissement et de donner aux colons le moyen pécuniaire d'entretenir le travail libre ; indemnité enfin, parce que c'était justice. En supposant que l'on eût donné 1,000 fr. par esclave, il aurait fallu e m ployer 260 millions de francs, puisque le nombre des esclaves dans toutes les possessions françaises s'élevait à 2 6 0 , 0 0 0 . Cependant le rapporteur, M. Schœlcher, formula à ce sujet d'assez singulières conclusions : « Si la France doit une indemnité pour cet état social qu'elle a toléré et qu'elle supprime, elle la doit bien sans doute à ceux qui en ont souffert autant qu'à ceux qui en ont profité. Le dédommagement ne peut pas être donné à la propriété exclusivement : il doit être assuré à la colonie tout entière, afin de tourner en même temps au profit et du p r o priétaire et du travailleur. »


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