L'agriculture à la Guadeloupe

Page 105

_

103 —

samedi aux nègres, qui se chargeaient alors de leur nourriture. Les maîtres et les esclaves s'en trouvaient bien, ces derniers surtout, qui vendaient leur farine de manioc aux premiers et la préparaient pendant la nuit sur la platine de l'habitation. Les produits des jardins montaient généralement à 300 ou 4OO fr. par an, et souvent le double sur les grandes habitations, où l'on donnait jusqu'à 2 hectares de terre aux esclaves. Les enfants eux-mêmes demandaient aussi un petit jardin. Les s o i n s , pendant les maladies, la n o u r r i t u r e , étaient aussi fixés par les anciennes ordonnances; les maîtres y ajoutaient du sel et du riz. La situation des esclaves n'était donc pas aussi mauvaise qu'ont bien voulu le dire des humanitaires enthousiastes, et certes beaucoup de paysans français sont moins heureux, sans que l'on s'inquiète trop de rendre leur état meilleur. Autrefois, le sol épuisé était laissé en jachère. On a depuis reconnu que la meilleure manière de lui rendre ses qualités primititives consistait à alterner les cultures. Ces terres furent livrées aux esclaves, qui les plantèrent en manioc pour leur propre compte ou le compte à demi de leurs maîtres. Une source de bien-être, pour les esclaves des habitations voisines des villes, se trouvait dans la vente des herbes destinées aux chevaux des citadins, moyennant un abonnement mensuel de 20 fr. Pendant la récolte, les esclaves mangeaient des cannes à discrétion et buvaient du vesou tant qu'ils voulaient. Ils trouvaient le moyen d'augmenter leur bien-être par la vente du poisson des rivières et des écrevisses. P a r ces moyens, en s'industriant un peu, les esclaves arrivaient à une certaine richesse relative ; aussi en voyait-on le dimanche avec des redingotes, des habits bien faits, des gilets de satin, chemises à jabots, bottes, et l'indispensable parapluie. Ils adoptaient complètement le costume national, et, une fois habillés, ils devenaient presque méconnaissables, car ils avaient naturellement bonne t o u r n u r e . Les négresses, habillées, n'étaient pas aussi riches que les colons se plaisaient à le dire. Elles n'étaient pas chargées d'or et de dentelles ; mais les grosses boucles d'oreilles et les gros boutons de manches de chemises ne manquaient pas chez elles. Les enfants étaient aussi trèsbien tenus le dimanche, et on regardait avec plaisir les petites filles qui, avec leur longue jupe traînante et l'éclatant madras rouge qui encadrait leur visage noir accentué, doux et sérieux à la fois, présentaient un type d'un caractère exceptionnel. Malgré de tristes exceptions, le sort matériel, le sort animal des nègres n'était pas aussi affreux qu'on le supposait. Les esclaves étaient plus ou moins retenus, suivant le caractère de l'habitant ; mais ils n'éprouvaient pas de contrainte : la présence du chef ne les courbait point; la vie enfin se


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.