The Red Bulletin CF 05/23

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SUISSE, 3,80 CHF 05/2023 ABONNEZ-VOUS DÈS MAINTENANT getredbulletin.ch

HORS DU COMMUN

RIEN NE LUI RÉSISTE

Son succès, le skieur Marco Odermatt le doit à un entraînement impitoyable… et à ses fans !


Elegance Elegance is an is an attitude attitude Marco Marco Odermatt Odermatt


LONGINES LONGINES SPIRIT SPIRIT


É D ITO R I A L

EN LIGNE DE MIRE

Contributions

Elle a percé en chantant dans les émissions de télécrochet avant de faire sa place dans les hit-parades. Pour la reine suisse du R&B Naomi Lareine, il n’y a pas d’autre objectif que la scène mondiale (p. 48). Marco Odermatt, quant à lui, a conquis le monde du ski depuis longtemps. Quel est le secret du meilleur skieur actuel de la planète ? Odi nous apprend qu’un entraînement rigoureux est primordial, mais qu’il ne fait pas tout (page 38). Dans le milieu du gaming aussi, l’entraînement seul ne suffit pas. Qui est en concurrence dans ce business qui brasse des milliards ? Quels sont les enjeux d’un événement tel que les championnats du monde du League of Legends (p. 64) ? Marissa « Slayz » Duret (p. 22) et Maya Hawke (p. 20) expliquent l’intérêt d’avoir plus de diversité dans le monde du divertissement, et celui de faire son nid en route. Fini la routine, par ici l’aventure !

DAN CERMAK Les photographies primées de Dan Cermak, Tchèque d’origine mais Suisse jusqu’au bout des ongles, sont colorées, flashy, et franches. Lors de la séance photo à la Binz de Zurich, il a immortalisé la chanteuse Naomi Lareine, qui s’apprête à fouler les scènes du monde entier. Page 48

IRENE SACKMANN C’est à l’aquarelle et à l’encre de Chine que l’illustratrice travaille « aussi librement que possible, aussi précisément que nécessaire ». Sackmann compte parmi les meilleures dans son domaine en Allemagne et collabore avec l’agence Botschaft der Illustration. Pour nous, elle a illustré les exercices de Marco Odermatt. Page 46

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Lors de la séance photo dans la neige au-dessus de Zermatt, ­Marco Odermatt s’est montré très détendu. Plus d’infos sur la légèreté ­intérieure de ce poids lourd du ski en page 38.

THE RED BULLETIN

SANDRO BAEBLER (COUVERTURE)

DANIEL BROWN Il vit à San Francisco, est rédacteur en chef de The Athletic et s’est aventuré pour nous dans le monde de l’esport : en amont du championnat du monde de LoL , il a découvert un business qui pèse des milliards, deux superstars absolues et une foule de batailles passionnantes. Page 64


ÉLECTRIQUE. SÛRE. SUBARU 4×4. LE PREMIER SUV ENTIÈREMENT ÉLECTRIQUE DE SUBARU.

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CONTENUS

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48

G A L L E R Y 8 L’ A D D I T I O N S V P ! 14 O B J E T T R O U V É 16 HÉROS & HÉROÏNES

18

Never gonna give him up! La légende des années 80 est de retour : une résurrection de la pop.

MAYA HAWKE

20

Pour la star de Stranger Things, il est important de construire un nid, quel que soit l’endroit.

MARISSA « SLAYZ » DURET 22 La gameuse suisse r­ evendique plus de diversité… dans la réalité virtuelle.

EMILIA HARTFORD

AU NOM DE LA REINE

48

R&B dans la voix, pop dans le son, rock dans l’âme : acclamée en Suisse, elle veut désormais conquérir le monde.

PICTORIAL

RED BULL ILLUME

NAOMI LAREINE

24

Voici en avant-première les clichés du plus grand concours mondial de photographie de sports d’aventure et d’action.

54

Le rappeur est l’artiste le plus ­streamé de l’espace germanophone. Mais qui est Raphael Ragucci ?

M A R C O O D E R M AT T

LE ROI DES NEIGES Que fait le meilleur skieur du monde actuel en dehors des pistes ? Et qu’est-ce qui le motive ? Rencontre, dans les coulisses, d’un homme au sommet de sa gloire.

6

38

GAMING

LA LIGUE DES LÉGENDES Le jeu vidéo a donné naissance à un monde très, très particulier : League of Legends est devenu un sport pour des millions de personnes.

74

Comment la pilote de course et ­cascadeuse prend le chemin des étoiles du cinéma. Et comment elle trouve la paix à grande vitesse.

RAF CAMORA

DERRIÈRE LE MYTHE

L’AMOUR DU RISQUE

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C ’ E S T PA R TI ! V O Y A G E R 83 É C O U T E R 88 O P T I M I S E R 89 J O U E R 90 D É C O U V R I R 92 S O R T I R 95 MENTIONS LÉGALES 96 L E T R A I T D E L A F I N 98

THE RED BULLETIN

HANNES BERGER, DAN CERMAK

RICK ASTLEY


DES AIIILES POUR L‘HIVER. AU GOÛT DE POIRE-CANNELLE.

U A E V U O N

STIMULE LE CORPS ET L’ESPRIT.


Kitzbühel, Autriche

ÇA PLAAAANE ! Cette nuée de parapentistes semble ­légère comme une plume et insouciante. L’illusion parfaite ! Car ce n’est que l’échauffement de la course d’aventure la plus rude au monde, la Red Bull X-Alps : 1 223 kilomètres de marche, d’escalade, de ramping et de vol à travers cinq pays. Au final, c’est le Suisse Christian Maurer qui l’a remportée. Après exactement six jours, six heures et une minute. Et non, le temps n’a pas toujours passé comme un éclair ! redbullxalps.com


THE RED BULLETIN

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ADI GEISEGGER/RED BULL CONTENT POOL

DAVID PESENDORFER


Bedford, Indiana, USA

MISTER MYSTERY Le double champion du monde de wakeskate, Brian Grubb, a toujours rêvé de surfer une rivière souterraine. C’est ainsi qu’il s’est aventuré avec son e-foil (planche de surf à aile électrique) à 30 mètres sous terre, et s’est élancé sur la Myst’ry River. À 32 km/h, il a parcouru un dixième de la distance totale de la ­rivière (34 kilomètres). Comment s’est passée la traversée souterraine ? « C’était beaucoup plus étroit que je ne le pensais », s’exclame Brian. À retrouver sur redbull.com

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THE RED BULLETIN


ROBERT SNOW/RED BULL CONTENT POOL

DAVYDD CHONG


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THE RED BULLETIN

TIM MARCOUR/RED BULL CONTENT POOL

DAVYDD CHONG


Oberland bernois, Suisse

CLASSIC ROC

Au cœur de l’action avec l’alpiniste et freeskieuse autrichienne Nadine Wallner s’attaquant au marathon vertical de la Jungfrau, en juillet dernier. Son coéquipier, le guide de montagne et grimpeur suisse Simon Wahli, et elle ont réussi l’ascension de la vallée de Lauterbrunnen au sommet de la Jungfrau (4 158 m), en passant par deux voies (classées 7a+ et 7a) et l’arête du ­Rotbrättgrat en un temps ­record de 16 heures et 20 minutes. ­Cerise sur le g ­ âteau ? Wallner est devenue la première femme à la réaliser. À voir sur redbull.com


L’A D D IT I O N , S ’ I L VO U S PL A Î T !

STAY ALIVE !

Les Hunger Games sont de retour : le 16 novembre, le film La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur, cinquième opus de la saga, sera à l’affiche.

500 000

4 556 778

3 000

figurant·e·s ont été mobilisés devant les hauts-fourneaux du parc paysager de Duisbourg, qui sert de décor au nouveau film.

1971

64

L’année de naissance du réalisateur Francis ­Lawrence, de parents ­américains habitant à Vienne à l’époque.

ans avant le début de la s ­ érie, c’est l’époque à laquelle se déroule le préquel.

30 000

165

comédiennes ont postulé pour le rôle qui a échoué à la jeune actrice Rachel Zegler.

minutes, la durée de ce film, le plus long de la série.

105

L’augmentation, en pourcent, des inscriptions dans les assos de tir à l’arc enregistrée après la sortie du premier volet des Hunger Games en 2012, car l’arc faisait partie de l’équipement du personnage de Jennifer Lawrence.

14

2 690 000 000

de francs suisses : les recettes internationales des quatre films Hunger ­Games, depuis 2012. Rien qu’aux États-Unis, ils ont déjà rapporté 1,45 milliard de dollars.

THE RED BULLETIN

CLAUDIA MEITERT

de personnes vivent dans le pays imaginaire de Panem, qui doit son nom au latin ­panem et circenses (trad. du pain et des jeux).

HANNES KROPIK

Le nombre de fois où James Newton Howard, qui a composé la musique de tous les films de la saga, a été nommé aux Oscars. Gagné : aucun.

517

pages : La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur est le quatrième roman de ­Suzanne Collins de la série Hunger Games.

MURRAY CLOSE7STUDIOCANAL, LIONSGATE

9

dollars, c’était le cachet de Jennifer Lawrence pour le premier opus des ­Hunger Games. Dans le deuxième, il s’élevait déjà à 10 millions de dollars.


Le nouvel Amarok Prêts pour de grandes aventures? Surpuissant et attire pourtant tous les regards. Polyvalent et avec une technologie de pointe. Le nouvel Amarok maîtrise tous les terrains avec brio. Il transforme ainsi le quotidien et les loisirs en une véritable expérience.

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VW Amarok Aventura, 3.0 TDI, 240 ch, boîte automatique à 10 vitesses, 10,2 l/100 km, 266 g CO₂/km, cat. G

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Essayez-le vite


H Y PE C H EC K

CHECK-IN ? DRIVE IN !

Sur TikTok, une vague de hype chasse l’autre. Le créateur de contenus Kirafin examine une tendance devenue virale : le Modobag.

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L’OBJET

« Se ruer au check-in à ­l’aéroport ? Plus de stress : les valises comme le Modobag t’y conduisent facilement. Il suffit de s’asseoir dessus et d’activer le moteur électrique. Sa vitesse max : 13 km/h, son poids max : 118 kilos. »

LA VAGUE HYPE

«Il n’y a pas tant de vidéos TikTok dessus, car il coût plus de mille dollars. Mais chaque fois qu’une vidéo sort, elle devient virale. @djspindizzy a généré 3,1 millions de vues. L’humoriste Knossi le veut aussi, et DJ Stella Bossi l’utilise déjà pour faire le tour des aéroports. »

L’ANALYSE

« D’accord, la valise est fantaisiste. Mais le prix, c’est autre chose. Et puis l’accessoire à lui seul pèse déjà 9 kilos, le surpoids est programmé. Donc : cool pour faire du contenu vidéo, pas vraiment pour le quotidien. »

THE RED BULLETIN

MODOBAG.COM

Kirafin, de son vrai nom Jonas Willbold, 28 ans, divertit son 1,2 million de followers TikTok avec des formats comiques. En parallèle, il voue une fascination à la tech, aux produits et à la mode.


Naturellement ensemble.

CH-BIO-004

Naturellement rafraîchissant.


H É RO S & H É RO Ï N ES

RICK ASTLEY

Adolescent, il était l’un des visages de la pop des années 80. À 57 ans, il joue devant les foules et boit avec les Foo Fighters. Rick Astley retrace ici son parcours improbable, y compris la chanson qui l’a fait connaître. TEXTE MARCEL ANDERS

Alors qu’il travaillait comme homme à tout faire chez Stock Aitken Waterman (SAW), le producteur de tubes des années 80, l’adolescent Rick Astley n’avait aucune idée de la célébrité qui l’attendait. C’est alors qu’est arrivé Never Gonna Give You Up, son premier titre, en 1987, qui allait devenir numéro un dans 25 pays et propulser l’ancien enfant de chœur vers une célébrité fulgurante. Si vous aviez dit à Astley que cette chanson allait continuer de lui ouvrir des portes près de quarante ans plus tard, attirant des milliers de personnes et lui permettant de partager la scène avec l’un des plus grands groupes de rock du monde, il vous aurait ri au nez. À ce jour, Never Gonna Give You Up a été visionné 1,4 milliard de fois sur YouTube, en partie grâce au phénomène Internet du « rickrolling » qui consiste à être redirigé vers la vidéo de la chanson après avoir cliqué sur un lien d’une vidéo similaire. Sa musique a ainsi trouvé un tout nouveau public. À l’occasion de la sortie de son neuvième album et d’une tournée au Royaume-Uni prévue pour le début de l’année, Astley s’entretient avec The Red Bulletin de la chance, du rire et de l’importance de dire oui... the red bulletin : Pourquoi le nouvel album s’intitule Are We There Yet ? rick astley : J’ai fait une tournée américaine avec les New Kids On The Block, En Vogue et Salt-N-Pepa. 56 concerts et 35 000 km en bus, ce qui ­explique le titre. Cela veut aussi dire « Est-ce que j’y suis ­arrivé ? ». Quand y arrive-t-on vraiment ? Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez entendu Never Gonna Give You Up ?

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PHOTO AUSTIN HARGRAVE

J’avais signé un contrat avec SAW et un jour, Pete Waterman m’a dit : « Tu veux ­venir traîner dans les studios ? Tu feras l’homme à tout faire, mais tu apprendras beaucoup de choses. » J’ai dit « Oui ! ». Et quand Mike Stock s’est assis et a joué les accords de Never Gonna Give You Up sur un Fairlight synthé, j’étais là à faire le café. Étrangement, j’ai été impliqué dans l’alchimie de ce qui se passait, car Mike écrivait cette chanson pour moi. Auriez-vous aimé l’écrire ? Tout le monde ne peut pas être Lennon ou McCartney. J’ai écrit quelques chansons, même des chansons qui ont été des succès en Amérique. Mais je n’ai pas écrit Never Gonna Give You Up ni Together ­Forever. Je ne pense pas que j’aurais pu le faire. Il faut être extrêmement lucide et se dire : « Je n’essaie pas d’être cool ; j’écris une chanson pop qui va durer des années. » SAW a trouvé une formule et s’est dit : « On va s’en tenir à ça parce que ça marche. » C’est l’une des raisons pour ­lesquelles j’ai voulu partir, parce que ­j’entendais des disques que j’adorais et je me disais : « SAW ne voudra jamais faire un disque comme ça. » Mais ce n’était pas à moi de leur demander de changer. La chanson vous a emmené dans des endroits inattendus, comme sur scène avec les Foo Fighters… Je les ai rencontrés au Japon il y a quelques années et je suis monté sur scène après quelques bières. Ils avaient appris à jouer Smells Like Teen Spirit de Nirvana pour que je puisse chanter Never Gonna Give You Up par-dessus. Je ne les avais jamais rencontrés ; je suis monté sur scène et je l’ai chanté à la demande de Dave Grohl. Il m’a chuchoté à l’oreille : « On fait ça maintenant devant 50 000 personnes ? ». J’ai dit : « Oui ! » On a ri puis bu quelques bières.

Dave aime rencontrer des gens et leur demander : « Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce qui t’a amené ici ? Qu’est-ce qui se passe ? » C’est l’une des personnes les plus curieuses que j’aie j­amais rencontrées… Vous arrive-t-il encore d’être victime du « rick­rolling » ? Pas tant que ça. Des jeunes viennent me voir et dansent avec moi. C’est une foutue chanson pop-dance des années 80. Cette chanson a été extraordinaire pour moi. Si vous m’ouvriez, vous tomberiez sur ­Never Gonna Give You Up à l’intérieur. Elle fait partie de mon ADN. Ce n’est pas que je ne l’aime pas, mais j’ai le sens de l’humour. Et je vois la chance qu’il y a à ce que des enfants de dix ans en connaissent les paroles. Même s’ils n’aiment pas ça, c’est là, comme un chewing-gum qui reste collé et ne s’en va pas. Est-ce la musique qui vous permet de rester jeune à 57 ans ? Je pense que c’est dû à une vie sans stress. Je ne me suis jamais réveillé en me disant : « Je ne peux pas payer l’hypothèque. » J’ai eu une peur bleue de jouer…, mais c’était du bon stress, celui de jouer au festival de Glastonbury, mais c’est un beau stress. Je me considère comme incroyablement chanceux. I should be so lucky… (Titre d’une ­chanson de Kylie Milogue qui signifie « J’aimerais être à votre place »..., ndlr) Exactement. D’ailleurs, je vais voir Kylie dans une semaine.

Are We There Yet? est dispo ; rickastley.co.uk

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« Never Gonna Give You Up fait partie de mon ADN. » La vidéo virale en ligne a permis à Rick Astley de rajeunir sa ­communauté de fans.

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H É RO S & H É RO Ï N ES

MAYA HAWKE

sait comment se sentir bien dans toutes les situations : la comédienne, qui nous a été révélée grâce à Stranger Things, adore se construire, où qu’elle soit, des petits cocons bien à elle. TEXTE RÜDIGER STURM

Sur la route Cette native de New York City a pourtant appris très tôt à gérer les imprévus, à s’adapter sans cesse et à improviser : celle qui jongle depuis quelques années avec trois métiers différents (comédienne, mannequin et chanteuse) est la fille d’Uma Thurman et Ethan Hawke, l’un des plus beaux couples d’Hollywood – jusqu’à leur séparation en 2005, après sept ans de vie commune. Maya : « Ils m’ont emmenée faire le tour du monde, surtout quand j’étais toute petite. Nous étions en Chine lorsque j’ai fêté mon quatrième anniver­ saire. Certes, cette vie passée sur la route avait quelque chose d’excitant, mais cela a aussi nourri un immense besoin de sta­ bilité. J’étais tellement heureuse quand nous rentrions enfin à la maison. »

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Pour répondre à ce besoin, la pe­ tite Maya Hawke apprend alors à se construire un « petit cocon bien à elle » : « J’ai toujours été comme ça. J’ai com­ mencé très tôt à m’occuper de la déco de ma chambre – il fallait toujours que les couleurs soient assorties, que le sol soit moelleux comme de la laine. En même temps, j’ai voulu faire rentrer le vaste monde dans mon petit univers : les murs de ma chambre étaient tapissés de cartes du monde, je collectionnais les insectes et les petits animaux en verre. » Retour aux sources Confinée dans la grande ville, Maya Hawke trouve refuge dans la nature en­ vironnante, si infime soit-elle : « J’avais ­besoin de me promener, de me retrouver au vert, que ce soit à Central Park ou dans les forêts au nord de la ville, pour me découvrir. » Mais toutes ces excursions, proches ou lointaines, ont toujours la même fin, à plus ou moins long terme : le retour (tant attendu) au bercail. « Quand je voyage, ma devise c’est “partir pour mieux revenir”. » Lors du tournage d’Asteroid City, en Espagne, Maya a pourtant eu l’impression qu’elle était chez elle : « Nous devions tous habiter ensemble, à cause de la pandémie. J’ai pu passer tout ce temps au même endroit, entourée de gens merveilleux. » Avec la dynamique de groupe que cela ­induit : « Nous sommes restés ensemble pendant toute la durée du tournage, ce qui nous a vraiment soudés. Il fallait parfois jouer les figurants pendant que des collègues tournaient une scène, ou tourner 300 fois de suite la même scène – mais c’était une expérience incroyable. » À tel point que, si un autre confine­ ment se pointait à l’horizon, elle saurait désormais comment en tirer le meilleur parti. « Je prendrais tous mes amis avec

moi et nous irions nous confiner dans un endroit magnifique, tous ensemble. » Malgré (ou à cause de) cette enfance peu commune, Maya Hawke est une femme pour qui les structures, qu’elles soient géographiques ou professionnelles, sont essentielles. Elle parvient à se les créer en préparant minutieusement cha­ cun de ses rôles : « Pour Asteroid City, j’ai analysé le script dans les moindres détails, ainsi que les formes d’expression de Wes Anderson. Mon texte, je l’ai d’abord chanté à voix haute – avant de le réciter. C’est comme ça que j’arrive à m’appro­ prier les mots. Si tu bloques sur certains passages pendant le tournage, c’est ter­ miné. Il y a des collègues qui arrivent à bosser comme ça, mais pas moi. » Partir un jour ? Loin de la dégoûter des voyages, ses ­parents lui ont donné, au contraire, le goût de l’étranger, des horizons lointains – elle leur est d’ailleurs reconnaissante de cet héritage, malgré les jours passés à avoir le mal du pays. « Je veux à mon tour partir découvrir le monde, vivre de grandes aventures. Et habiter un jour dans une autre ville que New York. Ça me fait encore un peu peur, mais j’en ai vrai­ ment envie. » Affronter ses peurs et se jeter dans l’inconnu – exactement comme elle l’a fait lors de cette scène de danse improvisée. « Je pouvais enfin exprimer qui j’étais vraiment. » Instagram : @maya_hawke

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DANIA MAXWELL/LOS ANGELES TIMES/CONTOUR BY GETTY IMAGES

Lorsque Wes Anderson (réalisateur des films The Grand Budapest Hotel et The French Dispatch, entre autres) lui a de­ mandé de faire un petit numéro de danse sur le tournage du film Asteroid City, Maya Hawke a d’abord senti ses jambes flageoler. « Je ne savais tout simplement pas danser », nous explique la jeune ­Américaine, révélée au grand public grâce à son rôle de Robin dans la troi­ sième saison de Stranger Things. Elle supplie donc le réalisateur de lui donner des cours de danse, ce qu’il lui promet : « Je suis revenue à la charge tous les jours, mais les cours n’ont jamais eu lieu. ­Finalement est arrivé le jour du tournage, et j’ai compris que ma nervosité et ma ­maladresse convenaient parfaitement à cette scène de danse. »


« Je chante mes ­répliques avant de les réciter, afin de me les approprier. » Maya Hawke, 25 ans, sur l’importance de la préparation avant un tournage.

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H É RO S & H É RO Ï N ES

MARISSA « SLAYZ » DURET Gameuse passionnée, experte en esport, conceptrice de jeux vidéo et ­ productrice révolutionnaire, la native de Genève est d’avis que c’est en représentant la pluralité des minorités que l’industrie du jeu pourra franchir un cap. TEXTE PAULINE KRÄTZIG

To slay : verbe anglais signifiant tuer, abattre ou massacrer, très en vogue dans les jeux vidéo comme Horizon Zero Dawn, Control, Returnal ou encore Uncharted: The Lost Legacy où l’on dézingue à tout-va zombies, cyborgs et autres aliens. Leur point commun : les slayers sont des femmes qui, loin d’être reléguées à de pathétiques rôles secondaires, tiennent les rennes de l’histoire. En langage familier, l’adjectif slay désigne également des personnalités hors-norme comme Marissa Duret, alias « Slayz », qui lutte pour une plus grande variété de scénarios dans les mondes virtuels et des cadres plus diversifiés que le contexte hétéro-normatif occidental typique. Super­pouvoir : 18 ans d’expérience en tant que gameuse, des études en effets spéciaux, motion design, et réalité virtuelle dans la plus grande école de Suisse, et des connaissances encyclopédiques de ­l’esport. Personnalité : émancipée, ­engagée, déterminée, honnête. Atouts : ­humour subtil et langue bien pendue. Lance-toi ! La Suissesse de 27 ans a commencé très tôt. À l’âge de 9 ans, elle choisit une elfe de la nuit dotée d’une armure légère et d’attributs impressionnants, « Cassiopéa », pour jouer à World of Warcraft. (Lorsqu’elle commence à jouer à Overwatch, elle hérite du nom en ligne de son frère, « Slayz ».) La majorité des joueur·euse·s sont des hommes, et les concepteurs sont eux-mêmes bien gratinés niveau sexisme. En 2016, l’International Game Developers Association révèle que 75 % des développeur·euse·s sont de sexe masculin, 76 % sont blanc·he·s et 81 % hétéros. Amer constat qui ne justifie cependant pas de tout défoncer à coups de batte de baseball et de lance-flammes,

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PHOTO DOMINIC NAHR

dixit ­Marissa. « C’est peut-être bien pour gagner un jeu vidéo, mais pas pour lutter contre les inégalités. La colère n’est bonne conseillère que si on la rend constructive. » Comme dans les jeux, mieux vaut coopérer avec celles et ceux qui partagent les mêmes intérêts que soi que de les piétiner pour atteindre son but. « Lance-toi, connecte-toi ! » Après l’obtention de son diplôme en 2020, Marissa cofonde son propre studio de développement de jeux vidéo indépendants, Koi Games. « En tant que PDG, je peux être inclusive comme devrait l’être l’industrie du gaming. » Un secteur qui s’ouvre peu à peu à la diversification, notamment grâce à une prise de conscience croissante dans le monde réel qu’il faut faire bouger les choses. « Il n’y a pas que les femmes à être sous-représentées et stéréotypées, mais aussi les minorités sexuelles, les handicaps, nationalités, origines ethniques, physiques atypiques et j’en passe! » Le gaming est la plus grande industrie de divertissement au monde, son impact est énorme. Voilà pourquoi le type de narration est essentiel, tout comme le type de personnes qui conçoivent ces jeux. Composé de femmes et d’hommes originaires de France, du Maroc, du Chili, d’Angleterre, du Canada et de Suisse, Koi est l’exemple même de la diversité. Ouvre les yeux « Quand cinq personnes partagent le même point de vue, on va moins loin. Plus les perspectives sont variées, plus l’éventail d’idées est large. L’histoire gagne en profondeur et les personnages en complexité : on n’a pas toujours besoin du gros dur tatoué qui fait tomber les nanas, comme dans God of War. » Honneur aux personnages crédibles auxquels on peut plausiblement s’identifier. « Intégrer un rôle minoritaire de manière irréfléchie et aléatoire dans une histoire où son rôle

ne fait aucun sens est inapproprié ; c’est jouer le jeu de nos détracteurs », précise Marissa, qui considère The Last of Us, jeu d’action-aventure de type survival-­horror, comme un tournant : Ellie, l’héroïne lesbienne, est une rebelle en jeans et baskets usées avec une balafre au visage ; Dina, sa petite amie, est juive, son ennemie Abby une amazone musclée, et Lev, le jeune asiatique, transgenre. On est loin des caractéristiques irréalistes de l’héroïne de Tomb Raider. « Ce ne sont ni des super-héros, ni des s­ téréotypes, simplement des gens normaux, touchants, avec leurs histoires propres. On partage leurs émotions. » Jusqu’à présent, Koi Games a développé, entre autres, des jeux vidéo de réflexion (VRPuzzle) et d’exploration. ­L’important, c’est de se lancer. « La représentation et la visibilité sont essentielles. Il faut que les jeunes voient ces personnes de toutes les couleurs, de tous les genres, et se disent : “Ah, enfin un truc pour moi !” » Depuis 2016, Marissa s’investit à fond dans l’esport. Elle a organisé plus de trente ­événements et compétitions virtuelles et en a même présentées certaines comme le Red Bull Itemania en 2022. Elle se souvient avec malice d’un événement LAN. « Une bataille d’ego entre quatorze personnes qui cherchaient un bouc-émissaire. Je mangeais du popcorn dans mon coin en me demandant où était le problème et comment le résoudre. » Le chemin le plus court et le plus rapide n’est pas toujours le meilleur. « Il y a tellement de femmes formidables qui nous ont déjà ouvert la voie. » Comme Marissa. Et la guerrière en elle de s’écrier : « On ne lâche rien ! » slayz.artstation.com

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« Je ne me suis pas laissée abattre et j’ai canalisé ma colère pour aller de l’avant. » Marissa Duret à propos de la diversité, sujet complexe, dans l­’industrie du gaming.

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VAGUE D’OPTIMISME

catégorie: creative

Photographe : Bryan Niven Lieu : Pismo Beach, Californie, USA « C’était une journée nuageuse, le soleil pointait timidement le bout de son nez. J’ai fini par empoigner mes palmes et mon appareil photo et me suis jeté à l’eau. J’avais vraiment besoin de me changer les idées, de faire n’importe quoi pour me remonter le moral : mon médecin venait de m’appeler et de m’annoncer une bien triste nouvelle. » Deux surfeurs lâchés sur une vague d’optimisme. bryanniven.com ; IG: @bryanniven

OCÉAN DE PHOTOS

BRYAN NIVEN/RED BULL ILLUME

Le Red Bull Illume est le plus grand concours photo de sports d’aventure et sport d’action au monde. Les lauréat·e·s pour 2023 seront annoncé·e·s fin novembre. Petit avant-goût de ces funambules de l’extrême qui jonglent entre mers déchaînées et cimes éternelles. TEXTE DAVID PESENDORFER

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LES MURS DE BERLIN

catégorie : emerging with canon

Photographe : Elias Giselbrecht Lieu : Berlin, Allemagne « Première nuit à Berlin après treize heures de voyage et l’occasion pour moi de concrétiser enfin l’un de mes plus grands rêves en photographiant la Marie-Elisabeth-­LüdersHaus. » Et puis apparemment, les événements se sont enchaînés, tout comme les saltos. IG : @brichti_revo

DU DÉSERT POUR LE DESSERT catégorie: energy

Photographe : Hannes Berger Lieu : Alsisar, Inde « Je faisais des repérages avec ­Fabio Wibmer, le roi du VTT, quand soudain, notre guide a mentionné une vaste étendue désertique tout proche. En un instant, Fabio et moi savions qu’on tenait notre spot. » Prochain arrêt : le bac à sable ! hannesberger.com


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ELIAS GISELBRECHT/RED BULL ILLUME, HANNES BERGER/RED BULL ILLUME


CE RÊVE BLANC

catégorie : masterpiece by sölden Photographe : Guy Fattal Lieu : Whistler, Canada

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GUY FATTAL/RED BULL ILLUME

« Les zones hors-piste de Whistler s’étaient transformées en un vaste ­terrain de jeu recouvert de neige immaculée. J’adore ce contraste entre les zigzags acrobatiques de mon pote Tom Pfeiffer et le calme blanc en arrière-­ plan. » Image symbole d’une renaissance : la première expédition photo de Guy après sa convalescence suite à une rupture des ligaments croisés. guyfattal.com ; IG : @guyfattalphoto

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LE ROI DES DUNES

catégorie : playground by radiant photo

Photographe : Ian Collins Lieu : Big Water, Utah, USA

Photographe : JB Liautard Lieu : Nazca, Pérou

« Je suis parti dans le désert avec Brandon ­Semenuk, la star du VTT, pour une séance photo. Et on est tombé sur ce rocher. » ­Brandon a tout de suite accroché ! iancollinsphotography.com ; IG : @iancollinsphotography

« Cette dune de 500 m est l’une des plus hautes au monde. La symétrie des plis créés par le vent étaient parfaite, elle semblait presque f­ actice. » Une certitude : Kilian Bron, l’incroyable biker des sables, est 100 % authentique ! jbliautard.com ; IG : @jbliautard

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IAN COLLINS/RED BULL ILLUME, JB LIAUTARD/RED BULL ILLUME, JUAN GARCIA PRIETO/RED BULL ILLUME

ROND-POINT AU SOMMET

catégorie : playground by radiant photo


BIKER AQUATIQUE

catégorie: innovation by mpb Photographe : Juan García Prieto Lieu : Parque Araucano, Santiago, Chili « Ce cliché capture un moment magique : Jorge Arias, alias Kazique, légende du BMX, s’apprête à faire un backflip au dessus de la fontaine. La victoire de l’athlète sur la ­gravité. » Il est vraiment porté par les eaux ! IG : @juanonas


PROGRAMME ESSORAGE

catégorie : photos of instagram Photographe : Kevin Kielty Lieu : Newport Beach, Californie, USA

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KEVIN KIELTY/RED BULL ILLUME

« The Wedge est un spot de surf à Newport Beach connu pour ses grosses vagues et ses conditions extrêmes. Ce jour-là, les vagues ­atteignaient facilement 6 m de haut. C’est tellement chaotique dans ce coin que je ne vois vraiment la qualité de mes clichés qu’une fois chez moi. C’est le cas de cette pépite. » Le surfeur, anonyme, a bien toute sa tête, contrairement à ce que cette photo pourrait laisser penser. kpk66.myportfolio.com ; IG : @kksurfphotography

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AUPRÈS DE MON ARBRE

catégorie : photos of instagram Photographe : Léo Grosgurin Lieu : Briançon, France Laissons le Français Léo Grosgurin nous ­parler de sa photo avec le rider VTT Arthur Deblonde : « Une image très délicate à réaliser, avec cet arbre magnifique, les cascades dans le fond, tout tellement parfait. On s’est pointés un matin pour construire un jump, puis j’ai fixé un kilo de flashs à un drone et l’ai envoyé au-dessus de l’arbre et du kicker, mais c’était très venteux et il a chuté plusieurs fois. La fenêtre de tir était très réduite, mais je voulais tout avoir à l’image. Un test, une prise de vue, et on avait la photo impeccable. » IG : @@leogrgr


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LÉO GROSGURIN/RED BULL ILLUME


SUR LA PLANCHE

catégorie : lifestyle by cooph Photographe : Kevin Molano Lieu : Bogotá, Colombie « Dans le skate, chaque trick est un défi et les chutes sont monnaie courante. Skate or Die symbolise cet engagement total ­envers le sport et le dépassement de soi. » Comme la skateuse Nataly Lucano qui ­remonte aussitôt sur sa planche. kevinmolanoph.com ; IG : @kevinmolanoph

AMBIANCE DE CHALET

catégorie : lifestyle by cooph Photographe : Tom McNally Lieu : Langdale, Angleterre « La vallée de Langdale jouit d’une triste ­réputation : c’est le coin le plus humide du pays. Quand la roche est trop glissante, le grimpeur Will Birkett va s’entraîner dans son cabanon. » Vive les pieds au sec ! tommcnally.co.uk ; IG : @tommcnallyphotography

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KEVIN MOLANO/RED BULL ILLUME, TOM MCNALLY/RED BULL ILLUME, DENIS KLERO/RED BULL ILLUME

DU MOVE EN MAUVE catégorie : raw

Photographe : Denis Klero Lieu : Rampstroy House, Russland « Je me suis inspiré d’un cliché similaire pris par un photographe spécialisé dans le portrait : le modèle se tenait debout dans un faisceau de lumière, enveloppé dans une palette de ­couleurs luxuriantes. » Denis n’avait donc plus qu’à rajouter de la dynamique au statique. klero.ru ; IG : @denisklero

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Scannez le code pour ­télécharger l’album photo Red Bull Illume 2023. Rendez-vous le 30 nov. pour découvrir les lauréat·e·s de l’édition 2023. ­redbullillume.com

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Le soleil brille, Odermatt rayonne Que ce soit dans la salle de musculation ou sur le glacier, Marco s’entraîne pratiquement tout le temps.

LE SECRET DU ROI DES PISTES Extrême, Marco Odermatt ? Pour rester un géant des pistes, ce champion du ski toutes catégories essaie ­d’infuser le plus de normalité ­possible dans son quotidien. TEXTE CHRISTOF GERTSCH PHOTOS SANDRO BAEBLER

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L

orsque Marco s’entraîne dans la salle de fitness, c’est une éruption volcanique, un feu d’artifices, un orage qui éclate au-dessus de nos têtes. On a du mal à s’en faire une idée quand on le voit à la télé, tout emmitouflé dans son masque et sa combinaison de ski, mais c’est un sacré gaillard : 1,84 mètre pour 87 kilos. En cette radieuse matinée d’été, il n’y a vraiment aucune raison de penser à l’hiver. Sauf quand on s’appelle Marco Odermatt. Pour le plus grand skieur au monde, l’hiver approche vite (et même trop vite à son goût). Nous somme à Oberdorf, près de Stans. Marco grimpe les marches de la salle de musculation où il vient se torturer trois à cinq fois par semaine pendant la pause estivale. Il balance son sac dans un coin, branche son téléphone sur les enceintes, prend une profonde inspiration. « Pause estivale » ? Le terme est vraiment mal choisi. Voire même mensonger : ce que s’impose Marco pendant l’été est tout le contraire d’une pause. Certes, il n’y pas d’épreuves en été alors qu’elles s’enchaînent les unes après les autres en hiver ; car notre homme ne participe pas à une, ni deux, mais trois disciplines : slalom géant, super G, descente. Pour le reste, « l’été est plus dur que l’hiver », lâche Marco en reprenant son souffle. Si peu de ses adversaires font preuve d’une telle polyvalence, ce talent n’a pas que des avantages : plus Marco enchaîne les épreuves, plus grandes sont ses chances de gagner le gros globe de la Coupe du monde (trophée

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S’échauffer pour de meilleurs temps Marco lors de ­l’entraînement de Swiss-Ski sur les pistes près de Z ­ ermatt en ­septembre dernier.

qu’il a déjà remporté lors des deux dernières éditions). D’un autre côté, son temps de récupération entre chaque épreuve est toujours plus court. Entre mi-novembre, coup d’envoi officiel de la saison, et mi-mars, il ne participera pas à moins de trente compétitions, soit une tous les quatre jours en moyenne. Il passe son été à se préparer à ce qui l’attend en hiver. C’est son unique but : se sculpter un corps en béton. Si Marco Odermatt veut finir à trente reprises parmi les meilleurs cet hiver, il devra s’entraîner mieux que quiconque tout au long de l’été. D’accord, mais qu’est-ce que ça veut dire exactement, « mieux » ? « Je pourrais le formuler ainsi, commence-til. Quand je me lève le matin et que je dois aller à la salle de sport, je ne me dis jamais : “Youpi, je vais faire de la muscu aujourd’hui !” Je ne

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Focus et vision à long terme Marco pendant une courte pause. « La ­préparation est plus dure que l’hiver. »



pieds et hisse la barre le long du corps. Quand il est au max, il change la direction de la barre, bascule celle-ci sur sa poitrine et « retourne » les poignets. Ses jambes amortissent légèrement la pression, son torse se stabilise. Nous sommes fin juillet, et il réalise quatre séries de sept répétitions pour cet exercice. Plus tard, il passera à cinq, puis réduira encore à trois. Plus la date fatidique de la Coupe du monde de Sölden (en octobre) approche, moins il fait de répétitions. À la fin, Marco ne fait plus qu’une seule fois chaque exercice mais rajoute plus de poids. Encore plus, précisons-le, avec tous les disques de 20 kilos qu’il monte en ce moment sur la barre qui pèse elle-même déjà 20 kilos. Il est capable de soulever 125 kilos à l’arraché, soit une fois et demie son poids corporel. Green Day, Rage Against the Machine, AC/ DC résonnent dans les enceintes. Ses cheveux son trempés de sueur, son visage tordu par l’effort. Dents serrés, il grogne, émet des sifflements et crie de temps en temps un : « Allez, Marco ! » histoire de s’encourager. Empoigner la barre, redresser le dos, tirer la barre, basculer le poids, poser la barre sur sa poitrine.

Prendre de la hauteur Marco en direction du Matterhorn ­ Glacier Paradise, la station de ­montagne la plus élevée d’Europe, à 3 883 mètres.

Recentrage Avant de s’élancer sur la piste, Marco prend quelques minutes pour répéter les gestes décisifs.

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ferais jamais ça délibérément et c’est le premier truc que je bannirai de mon quotidien quand je mettrai un terme à ma carrière. » Évidemment, les programmes de muscu ne sont pas toujours aussi intenses : pour la plupart des gens qui vont s’entraîner pendant leur temps libre, c’est plutôt du genre écouteurs dans les oreilles, un peu d’échauffement sur le tapis roulant, quelques répétitions avec les haltères pour les bras et un peu de presse pour les jambes, sans trop s’épuiser non plus : il faut garder encore un peu d’énergie pour le boulot, les courses et la famille. En musculation, les phases d’intensité sont très courtes mais extrêmement brutales. M ­ arco essaie de les repousser le plus possible, mais après trois quarts d’heure d’échauffement, il faut bien finir par s’y mettre. Il commence alors par l’exercice dit de « l’arraché ». Petite démonstration : il saisit la barre au sol à deux mains, redresse le dos et regarde droit devant lui. Puis il détend d’un coup les jambes du bassin aux

Se voiler la face ? Totalement inutile ! Ce serait si simple de laisser tomber la dernière répétition. Personne ne le remarquerait, pas même Marco Kohler ni Yannick Chabloz, ses coéquipiers de Swiss-Ski, eux-aussi en pleine séance d’entraînement ce jour-là. Mais ce serait complètement stupide, car Marco serait le premier à en payer les frais à un certain moment de la saison, en hiver. Chaque série qu’il termine ne le rend pas seulement plus fort, mais lui apporte aussi encore plus de confiance en lui, parce qu’il sait qu’il ne s’est pas défilé. Une certitude qui lui a également permis de battre un record particulièrement remarquable la saison passée, celui des points lors de la Coupe du monde. Le précédent détenteur du record, Hermann Maier, « Herminator », avait marqué exactement 2 000 points lors de la saison 1999/2000 (une victoire en Coupe du Monde rapporte 100 points). On pensait que cette performance ne serait plus jamais égalée. Marco l’a dépassée de 42 points. Après la dernière répétition, il laisse tomber la barre dans un fracas de métal, pousse un beuglement, boit un peu d’eau en arpentant la salle tel un lion en cage, puis se tourne à nouveau vers les haltères. Concentration. En musculation, même si l’on pourrait penser le contraire, la force brute ne fait pas tout. Il faut scrupuleusement solliciter chaque muscle, maîtriser chaque fibre du corps et éviter de se blesser alors que toutes les circonstances sont réunies pour que cela arrive. Et c’est exactement ce qu’il exigera de son corps cet hiver dans la neige, il devra le pousser à ses limites sans ­jamais le détruire. Ne jamais perdre le contrôle. ­Jamais, jamais, jamais. Et

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pourtant, Marco est loin d’être obsédé par le ­besoin de tout contrôler. Mais nous y reviendrons plus tard. Quand on observe Marco se préparer à son prochain exercice (squats sur une jambe avec une barre à l’arrière de la nuque), on comprend petit à petit que pour devenir pro, il ne suffit pas seulement de bien savoir skier. Il faut aussi devenir un as de la musculation. Les mouvements sont si intransigeants et les poids si lourds que la moindre petite erreur de coordination peut anéantir le travail de tout un été. Cette matinée d’entraînement en force athlétique dure environ trois heures. Entre chaque session avec la barre, Marco intercale de petits exercices d’appoint : sauts avec les mains sur le banc, sauts accroupis en passant par-dessus le banc. L’un des exercices s’appelle Good morning, un exercice bien plus dangereux que son nom ne le laisse imaginer : il s’agit de muscler son dos avec trois disques de 20 kilos sur la nuque. Et pour finir, sessions d’entraînement avec son propre poids corporel : muscle-ups sur une barre de tractions, nordic hamstring curls sur les espaliers, abdos sur les anneaux. À la fin, Marco vide deux bouteilles d’eau d’un trait et s’étend raide mort sur un tapis. Jusqu’à présent, nous n’avons parlé que du corps de Marco. Intéressons-nous maintenant au second défi auquel notre champion doit faire face : sa tête. Pour être exact, elle ne représente pas vraiment un défi : elle est son capital, car c’est grâce à elle qu’il développe toute cette confiance et ce plaisir d’être un skieur de classe mondiale. Le défi, il est plutôt dans tout ce qui vient encombrer la tête. « Le ski, c’est comme la boxe. Sur les pistes glacées, notre corps reçoit pas mal de coups violents, mais la pression mentale qui s’exerce sur nous tout au long de la saison l’est tout autant. Elle bouffe littéralement notre énergie, entre les voyages, les hôtels, les nouvelles destinations… s’ils ne sont pas mesurables, ce sont des facteurs bien réels, pourtant. » La comparaison avec Roger Federer est un peu maladroite : la discipline de Marco ­Odermatt n’a pas la même portée mondiale que celle de l’ex-tennisman. Pourtant, Marco est considéré comme une légende en Suisse, et selon un récent sondage, comme le sportif le plus populaire du pays. Contrairement à ­Federer, on ne le retrouve pas sur les plus c­ élèbres courts de tennis du monde dix mois par an mais seulement en hiver sur les pistes de ski d ­ ’Adelboden, de Wengen ou du Val-d’Isère, nos destinations de vacances, en somme. Il n’habite pas à Dubaï VAE mais à Beckenried NW, un village comme tant d’autres où nombre d’entre nous ont grandi. Et au lieu de le vénérer, on le considère plutôt comme l’un des nôtres. Cette image du sportif proche des gens a probablement disparue dans le reste du monde, mais en Suisse, elle a encore la dent dure, notamment pour ces deux disciplines bien de chez

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nous, la lutte et le ski. De grands sportifs, oui, mais pas trop grands : c’est une sorte de fierté nationale. Cela n’a jamais été le cas de Federer. Personne n’aurait osé l’aborder pour faire un selfie avec lui, lui taper sur l’épaule ou lui crier bonne chance. Mais quand on croise Odermatt, c’est différent. Marco Odermatt, qui a fêté ses 26 ans le 8 octobre dernier, est notre « Odi » national, au même titre que Bernhard Russi dans les années 1970 ou Pirmin Zurbriggen dans les années 1980. Il fait partie de notre culture, c’est notre surdoué du ski : personne ne lui arrive à la cheville. Et de tous les athlètes, c’est lui qui a l’hiver le plus compliqué, car comme il remporte la plupart des compétitions auxquelles il participe, ses journées sont toujours plus longues, entre les attentes dans la cabine des leaders, les cérémonies de remise des prix, les conférences de presse, les contrôles antidopage. En été, il ne saute absolument aucun entraînement, pas même les jours où il a des engagements avec ses sponsors ou d’autres rendez-vous. Les ­dimanches, au lieu de se reposer, il part faire des randonnées avec sa compagne Stella Parpan, étudiante en médecine, du vélo avec ses collègues ou encore du wakeboard sur le lac des Quatre-Cantons. Et pendant tout ce temps, il n’empêche jamais les gens de l’approcher, car il considère que c’est dans la logique des choses. Deux visages « Ne vous méprenez pas ! », enchaîne aussitôt Marco, et l’on comprend que ce qui va suivre est essentiel pour lui. Il réfléchit longuement pour trouver les mots justes. « Quand tu es sportif professionnel, sans tes fans, tu n’es rien d’autre qu’un type capable de descendre des pistes de ski un peu plus vite que la moyenne. Ce sont les fans qui te font devenir celui qui

Auto-test Lors de l’entraînement d’automne, Marco teste l’équipement, mais aussi et ­surtout lui-même.

«  Le ski, c’est comme la boxe : les coups ­portés par les pistes sont violents. »

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touche les gens. » C’est beau et tellement vrai : concrètement, un·e sportif·ve professionnel·le n’accomplit pas grand-chose pour l’humanité comparé au personnel soignant ou aux agriculteur·rice·s. Un·e athlète poursuit avant tout des objectifs personnels, sans se soucier du destin du monde, mais cela change lorsque celle ou celui-ci devient source d’inspiration et qu’elle ou il partage ses moments de joie et de souffrance avec les autres. C’est grâce à ses performances que se noue ce lien si particulier, en entrant dans la vie des un·e·s et des autres. Pour Marco Odermatt, déjà élu « Sportif suisse de l’année » à deux reprises, en 2021 et en 2022, ses fans viennent confirmer tout le bien-fondé de ses actions. Voilà pourquoi il ne lui viendrait jamais à l’idée de se plaindre de faire l’objet de trop d’attention. Si l’on ne discute pas un peu avec ses ami·e·s et ses proches, on ne se rend pas vraiment compte que toute cette proximité devient parfois un peu exces-

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sive, tant sa gentillesse et sa bienveillance sont grandes. Marco n’en est pas encore à éviter les foules, il va toujours assister au Züri-Fäscht, au foot ou à la lutte. Mais il s’est quand même fixé quelques règles. Premièrement : pas de selfies en soirée. Deuxièmement : au début de la saison de la Coupe du monde à Sölden, il invite tous ses ami·e·s et connaissances déjà présent·e·s à l’apéro. Il ne supporte pas que l’on soit venu de si loin pour le voir et qu’on en soit empêché par les médias, la fédération, ou le reste du monde. Troisièmement : à l’exception des rendez-­ vous officiels de la fédération et des conférences de presse après les épreuves, il limite les interviews au strict minimum. Il reçoit dix demandes par semaine, soit plus de 500 par an. Il en a reçu trente rien que pour SRF cette année. Pour quelqu’un qui a horreur de dire non, il n’accorde plus que très rarement d’interviews aux médias, environ dix par an.

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GOOD MORNING, TORSE, BRAS, JAMBES !

À faire chez vous… avec modération : cinq exercices qui permettent à Marco Odermatt d’être en forme sur les pistes. 3. Good morning Le nom semble sympathique, mais l’exercice est difficile : se tenir debout à largeur de hanches, saisir la barre d’haltères (avec ou sans poids) derrière la tête avec les deux mains, la sortir de son support et redresser le dos. En creusant légèrement le dos, pencher le haut du corps vers l’avant de manière contrôlée jusqu’à l’horizontale. Difficulté : élevée ! Ainsi que le risque de blessure si l’exercice n’est pas réalisé correctement. Il est préférable de commencer avec peu de poids, et sous la direction d’un professionnel.

1. Ice skater jumps Ces sauts latéraux permettent de travailler la force rapide et la coordination. Commencer par une position de pas chassés sur le côté, une jambe fléchie et l’autre tendue. ­Sauter de manière explosive de l’autre côté, en tendant la jambe fléchie et en fléchissant la jambe tendue. Pour cet exercice, il est important d’avoir une technique propre. ­Marco fait des séries de six sauts. Plus la position de départ ou d’atterrissage est basse, mieux c’est !

2. Muscle-ups Les muscle-ups, ou tractions, combinent les tractions et les dips (appuis). Saisir la barre en false grip, c’est-à-dire les paumes des mains tournées vers l’avant. Effectuer d’abord une traction, puis pousser le corps vers le haut en appui jusqu’à ce que les bras soient presque tendus. Les muscle-­ ups sollicitent d’abord la musculature supérieure du dos et les biceps lors de la traction. Lors du dip, ce sont les pectoraux et les triceps qui sont mis à l’épreuve.

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5. Nordic hamstring curls Ici, les choses deviennent plus complexes. Pour ces curls, les jambes doivent être fixées au niveau des chevilles ou du bas des mollets. Pour cela, Marco se suspend à un espalier. Commencer à genoux, la partie supérieure du corps est droite avec un léger dos creux. On peut croiser les bras sur la poitrine, le regard vers l’avant. Descendre ensuite le haut du corps jusqu’à ce que le torse et les cuisses forment une ligne horizontale. Expirer en descendant, inspirer en remontant.

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IRENE SACKMANN

4. The Clean Marco effectue cet exercice, aussi appelé transfert, à partir du sol. Se tenir debout à largeur de hanches, saisir l’haltère à deux mains, redresser le dos et regarder droit devant soi. Puis tendre les jambes tout en hissant l’haltère vers le haut. Au niveau des épaules, « replier » les poignets et déplacer le poids sur le corps. Marco soulève 125 kilos à la fin de son cycle d’entraînement, soit environ une fois et demie le poids de son corps. Commencer tout doux !


La règle la plus importante, et l’on entre petit à petit au cœur de tout ce qui fait sa personnalité, c’est que Marco ne veut pas se fixer trop de règles. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas être obsédé du contrôle et devenir un grand skieur, évidemment. Ce serait absurde. Il suffit de penser à ces deux personnalités extrêmement méticuleuses, Didier Cuche et Marcel Hirscher, le skieur le plus couronné de l’histoire. Mais ce n’est pas le genre de Marco. Au contraire, il est même persuadé qu’il se ­simplifie la vie en ne contrôlant pas chaque détail, en n’analysant pas chaque performance ­d’entraînement, en n’utilisant pas la dernière once d’énergie qu’il lui reste. Peut-être serait-il encore un peu plus rapide s’il ne voyait pas sa psychologue trois fois par an, mais trois fois par mois. « Il y a tellement de choses sur lesquelles nous n’avons aucune influence en tant que skieurs. Ce n’est pas la peine d’essayer », déclare-t-il.

Confiance Marco envisage la nouvelle saison avec optimisme.

« Ma règle la plus importante : pas trop de règles ! »

Art de vivre Cette manière de prendre les choses comme elles viennent ne lui est pas venue naturellement… ou peut-être un peu, mais c’est surtout le fruit d’un travail conscient. Marco n’est pas un rat de bibliothèque, il préfère apprendre des gens qui l’entourent. Son père Walter, qui l’a entraîné à ses débuts et lui a longtemps préparé ses skis, lui a appris la maîtrise et l’analyse de ce sport. Sa mère Priska, peu passionnée par cette discipline mais proche des gens autour d’elle et soucieuse d’élever ses enfants dans l’altruisme, lui a inculqué des valeurs sociales. Sa grandmère Thérèse, avec qui il a passé des journées entières dans le jardin, les forêts et la nature, lui a enseigné l’amour de la terre et des joies simples. Avec son oncle Paul, riche homme d’affaires et président de son fan club, il a affûté son ouverture d’esprit et sa curiosité. Marco Odermatt n’est pas devenu le meilleur skieur au monde en s’acharnant sur certains concepts ou en se concentrant obstinément sur des idées fixes, mais en laissant toujours suffisamment d’espace à sa vie en dehors du sport. Finalement, c’est un peu ça, son secret : il fait un peu de tout, mais jamais trop. En général, il mange sainement, mais ça ne l’empêche pas de dévorer un burger et des frites à l’occasion. Ce n’est pas un gros fêtard, mais il lui arrive de boire quelques bières de temps en temps. Marco a compris que dans sa vie, il doit laisser de la place aux choses normales s’il veut accomplir des exploits sur la piste. Et on dirait que c’est bien parti pour durer, c’est du moins ce que suggèrent les données de puissance qu’il a fait mesurer cet été et qui étaient encore meilleures que les années précédentes, alors que, déjà à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de concurrents qui lui arrivaient vraiment à la cheville. Instagram : @marcoodermatt

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LA REINE DE L’ARÈNE Enfance difficile, père célèbre, outing touchant : la reine du R&B Naomi Lareine s’émancipe du poids médiatique de sa propre histoire. Avec dureté, avec amour, mais surtout avec la force de sa musique. TEXTE ANNA KERBER

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PHOTOS DAN CERMAK

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Nouveau drive À la place du conducteur dans sa vie : Naomi Lareine lors de la séance photo pour The Red Bulletin à Zurich.


« Les gens oublient que je n’en suis qu’à mes débuts. […] J’ai envie de devenir une artiste imprévisible. »


B Stationnement obligé Même dans le quartier zurichois de Binz, Naomi ne se laisse pas dicter sa conduite. S’il le faut, elle n’hésite pas à foncer tête baissée dans le mur, et à prendre racine dans l’interdiction de stationner.

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ackstage de L’Amalgame, Yverdon-les-Bains. Rage Against the Machine résonne dans les enceintes. “And now you do what they told you!” Naomi chante en chœur sans quitter des yeux la partie de baby-foot en cours. Perdre, c’est pas trop son truc. La confiance, beaucoup plus, que ce soit en l’univers ou en ses propres capacités. Elle a fait du chemin depuis son premier single, Sweet Latina. La presse loue unanimement sa voix de velours, son art de fredonner les riffs, son énergie sur scène et surtout son charme sincère. En 2020, elle est nominée aux Swiss Music Awards dans la catégorie « Best Talent » puis participe à l’émission télé Sing meinen Song. Si elle a su s’imposer comme la nouvelle coqueluche des médias, c’est grâce à sa manière d’aborder des sujets qui font écho. Naomi ­Lareine, 29 ans, s’appelle en réalité Bruderer. Son père, Martin, était joueur de hockey sur glace professionnel. Sa mère, moitié Sénégalaise, moitié Mauritanienne, s’est faite adopter en France et a souffert longtemps de troubles psychologiques. L’enfance de Naomi est marquée par les déménagements et les épisodes de harcèlement scolaire en raison de son corps frêle et de sa couleur de peau. Elle fera souvent parler ses poings, ne trouvant pas d’autres moyens de se défendre, puis se jettera à corps perdu dans le foot jusqu’à devenir défenseuse au sein de l’équipe nationale des moins de 19 ans. Elle fera son coming-out public à travers sa musique. Lesbienne, tatouée, elle admire

Alicia Keys et est devenue une influenceuse de mode adulée par la génération Z sur TikTok. Autant d’aspects de sa personnalité qui touchent le public, en bien comme en mal : harcèlement, regards de travers, applaudissements, récompenses… et au beau milieu de cet ouragan, une jeune femme qui sait enfin plus ou moins ce qu’elle veut : ne pas avoir une étiquette. Ni au niveau de sa personnalité, ni au niveau de sa musique. Naomi a fait son coming-out à travers ses textes, en chantant “girls, girls, girls” plutôt que “boys, boys, boys”. Une vraie libération, constate-t-elle avec du recul. Elle a dû s’armer de courage : elle-même mettra pas mal de temps à accepter sa propre sexualité, plus que ses proches, d’ailleurs, qui accueilleront la nouvelle avec sérénité. « C’était l’évidence même », dira d’ailleurs sa mère. Aujourd’hui, cela est presque anecdotique, tant les médias ont partagé cet aspect de sa vie en long, en large et en travers : Naomi partage un appartement à Opfikon avec sa petite amie (la fameuse “girl next door” dans ses chansons), et ses deux chats. Et elle en a marre qu’on lui demande quand elles vont se marier, marre d’attirer les regards. Sa petite amie Gina est tatoueuse et est elle-même couverte de tatouages. Naomi est toujours frappée du manque d’éducation des gens qui les dévisagent dans la rue comme des bêtes curieuses. « Non mais, sérieux ! » Le reste du temps, elle se met rarement en rogne. Sauf quand on la klaxonne, rajoute Naomi qui se déplace de plus en plus en voiture maintenant qu’elle possède une Lexus. « Dans ces moments-là, je me rends compte que les gens sont super aggros ! » Lareine elle-même n’est pas toujours une reine de patience, parfois trop ponctuelle pour ne pas faire perdre de temps aux autres. Mais en revanche, elle traite tout le monde avec le même respect et la même courtoisie. Le sceptre du Capricorne « Les gens oublient que je n’en suis encore qu’à mes débuts, confie-t-elle. J’ai encore tellement de projets. » Le secret de son succès tient en deux mots : boulot et confiance en soi. « Le sport m’a beaucoup apporté, constate-t-elle en repensant à sa carrière professionnelle. Se battre, ne rien lâcher, ça rend plus fort. » Et puis, c’est une Capricorne : foncer tête baissée vers l’obstacle, c’est parfois nécessaire. En début d’année, elle a monté un nouveau groupe de zéro et contrôle chaque détail de sa musique

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À la première chanson, toujours cette angoisse : « J’ai un peu le syndrome de l’imposteure. » d’une main de fer. « C’est la meilleure décision que j’aie jamais prise, affirme-t-elle. On sait exactement ce qu’on fait et où on veut aller. » Prochain objectif : une carrière internationale. Elle a la prestance nécessaire, le professionnalisme aussi. Une démarche cool et assurée, des mouvements de bras hypnotiques et une incroyable présence scénique.

Quelques grammes de luxe Naomi avec une Lexus RZ à Binz. Le succès lui a apporté un peu de luxe, et une Lexus.

Un licenciement comme booster Elle sait qu’elle est souvent sa pire ennemie. Elle est toujours trop dure envers elle-même. Impitoyablement exigeante. Souvent bien plus qu’envers les autres. La plupart des phrases qu’elle se répète en boucle dans la tête commencent par « Tu dois… » Et se terminent par « Tu peux mieux faire. » Pourtant, elle a déjà fait son chemin de croix. Elle a mis du temps à s’émanciper, à devenir une artiste indépendante. Peut-être même ne l’aurait-elle jamais fait si la boîte de cartes de crédit pour laquelle elle travaillait au service clientèle ne l’avait mise à la porte

pour cause d’absences répétées (elle consacrait trop de temps à sa musique). Libération ? Non, angoisses existentielles et même crises de panique : comment payer le loyer, qu’est-ce qui va se passer, trouverais-je encore des contrats publicitaires pour m’en sortir ? La peur des concerts, la peur de chanter devant une salle vide parce que personne n’aime sa musique ou ses spectacles, ne l’a jamais vraiment quittée ; pas même après les ovations de milliers de fans lors de ses concerts, comme suite à sa performance lors du rendez-vous incontournable de l’été, le Festival de Jazz de Montreux : « Dans les premiers rangs, tout le monde chantait avec moi. C’était incroyable ! » Toujours cette angoisse qui la saisit avec la première chanson, avant de se détendre en entonnant la prochaine. « J’ai un peu le syndrome de l’imposteure », dit-elle en riant. Une représentation très loin de la réalité, quand on voit l’ampleur de son succès. Dans l’industrie de la musique, elle sait qu’elle peut compter sur son ami et mentor, le rappeur Stress, et son producteur Mykel Costa. Et en privé, sa copine est toujours là pour la soutenir. « Elle est plus jeune que moi, mais de nous deux, c’est elle la plus mûre, j’ai sûrement plus appris d’elle que le contraire », plaisante-t-elle. La joie de vivre à un rythme effréné « Dans le futur, je me vois bien en artiste imprévisible. J’ai besoin d’être libre et de me faire plaisir quand je chante, poursuit-elle, expliquant que c’est la seule manière de rester authentique. Les gens le sentent quand on a plaisir à faire ce que l’on fait. C’est là que la musique est bonne. En ce moment, je suis très concentrée sur mes propres sensations, j’ai envie de faire de la musique positive », explique Naomi. Des airs rythmés qui donnent envie de bouger. Non pas parce que c’est son état général : elle est parfois triste et a envie de musique triste, et d’autre fois il lui faut des beats joyeux pour se remonter le moral. En ce moment, ça se traduit par un mix entre R&B, pop, électro et rythmes afro. « Mais si demain j’ai envie de faire du rock, je ferai du rock ! » Elle ne lâche pas cela comme une ado rebelle prête à se friter à la récré, mais comme une amoureuse de la musique, une passionnée du son qui veut continuer de tout donner parce qu’elle sait qu’elle en est capable. Pendant ce temps-là, les petits concerts en plein-air ont pris fin. Le public d’Yverdon s’est rapproché de la scène principale et de leur star. La furieuse partie de baby-foot en backstage s’est soldée par une victoire pour l’équipe de Naomi sous les derniers accords de Rage Against the Machine, et de cette rengaine finale que l’on connait si bien : “Fuck you, I won’t do what you tell me!” En piste ! Instagram : @naomi_lareine

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Pleinement dans le cadre Naomi Lareine ­délimite les dimensions de sa carrière : elle veut se produire sur les scènes pop internationales.


DE RAPHAEL... 54

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Le noir vous va si bien Raphael Ragucci, alias RAF Camora, icône d’un rap sombre, à son image.

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... À CAMORA Rencontre au sommet avec le rappeur le plus streamé du monde germanophone et l’un des plus grands noms de la scène rap actuelle : RAF Camora, alias Raphael Ragucci. L’artiste autrichien se livre à cœur ouvert sur ses projets, ses doutes et ses coups de cœur – dont Mozart et Donald Duck – mais aussi sur les deux piliers de sa vie : sa passion pour la musique et la vie de famille – qu’elle soit la sienne ou non. ENTRETIEN NINA KALTENBÖCK & DAVID PESENDORFER

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PHOTOS MARKUS MANSI

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Un peu plus près des étoiles Au sommet de sa carrière, RAF Camora et les tours de Dubaï en arrière-plan.

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Qui suis-je ? « Quand je me regarde dans le miroir, je vois RAF Camora ET Raphael. »

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the red bulletin : Monsieur Camora… Au fait, est-ce qu’il y a des gens qui ­t’appellent comme ça ? raf camora : Rarement. Il peut y avoir parfois quelques gamins qui m’abordent comme ça dans la rue, juste pour être polis. Mais sinon, c’est « Monsieur Ragucci » ou tout simplement RAF ou Raphael. Qu’est-ce qu’il écoute, ce Monsieur Ragucci, quand il se sent d’humeur romantique ou qu’il n’a pas le moral ? On a tous plusieurs facettes en nous. Moi par exemple, je peux m’enfiler du grunge à la Kurt Cobain pendant des heures ; mais je peux être aussi le RAF « house/techno » ou celui plutôt « gangsta-rap » qui écoute de la drill française ou anglo-saxonne (la drill est un sous-genre dérivé du trap, ndlr). Et pour un dîner aux chandelles, tu mettrais quoi ? De la deep house. J’en ai d’ailleurs toute une playlist qu’on peut écouter sur Spotify. Si tu dis avoir plusieurs facettes, est-ce qu’il y a un côté « petit-bourgeois » chez toi ? Le mec un peu plan-plan qui passe ses weekends en famille ? Non, pas du tout. En fait, c’est même ce à quoi j’ai dû renoncer pour suivre ma carrière. Le bonheur en famille, je l’ai lorsque je suis avec ma mère, ma sœur et mon petit neveu. ­Évidemment,

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ce n’est pas la même chose qu’une vraie vie de famille au sens classique, mais j’ai ma musique pour me rendre heureux : c’est là que je m’épanouis et que je me sens vraiment protégé. On peut se protéger grâce au rap ? Oui, quand tu vas mal ou que tu es en colère, il suffit de mettre un beat, d’écrire un texte dessus – et tu plonges dans un univers complètement différent. Si je devais gérer ma carrière en plus d’avoir une partenaire, ce serait vraiment galère. Parce que ça va forcément affecter l’autre personne dans sa propre vie. C’est pour ça que j’ai pris cette décision : pour l’instant, je préfère rester seul. RAF Camora n’est-il pourtant pas juste un personnage de scène, un peu comme le Ziggy Startdust de David Bowie ? Pas vraiment. Raphael Ragucci et RAF Camora sont en fait assez proches l’un de l’autre. RAF fait partie de Raphael. Quand tu te regardes le matin dans le ­miroir, qu’est-ce que tu vois ? Les deux, justement. Mais avec le temps, j’ai aussi appris une chose très importante : quand RAF se plante parfois, ça ne veut pas dire que Raphael est un gros nul. J’arrive à différencier les deux. Tu as eu trente-neuf ans cette année. Y a-t-il un risque de voir un jour un tel fossé se créer entre ton personnage et ta réalité que tu finisses par te dire : « Ce n’est plus tenable » ? C’est une grande question, et j’en parle dans mon dernier album XV, qui veut dire « ex-voyou » : parce que justement, je ne suis plus ce mec de la rue, qui tenait les murs toute la journée avec ses potes à vendre du shit. Maintenant je suis un homme mûr, et j’ai voulu que cet album se distingue, dans le style et l’image qu’il renvoie, de ce que je faisais notamment en 2016. Cette année-là, j’étais vraiment dans un autre trip.

Donc j’essaie d’évoluer artistiquement afin de combler ce fossé entre le personnage et la réalité. Jusqu’à quel point RAF peut-il vieillir ­dignement ? Ou faudra-t-il un jour qu’on le dégomme pour de bon ? Si vous prenez l’exemple de Ronaldo, qui a vraiment bossé comme un fou pour faire durer sa carrière, vous savez qu’on peut tenir assez longtemps si on y travaille. Et puisqu’il est permis de se complimenter quand on réussit un truc : je trouve personnellement que j’ai réussi à rester dans le game. Quand je vais à des festivals, j’ai en face de moi des jeunes et des moins jeunes, des gamins qui me connaissent grâce à TikTok et la vidéo All Night et des trentenaires qui sont fans depuis plus longtemps. Pour moi, c’est ça la reconnaissance ultime. L’une des grosses difficultés du métier, c’est de rester au top. Même après toutes ces années, il y a toujours le même feu, la même agressivité dans ma musique. Avec qui, en dehors du rap, ferais-tu ­volontiers un duo ? Je ne connais aucun artiste qui soit assez sombre pour moi. Pourquoi faudrait-il forcément être sombre ? Parce que c’est comme ça que je m’exprime. Si ça ne provoque pas en moi de l’agressivité, de la tristesse ou un shoot de dopamine, alors ça ne sert à rien. Il y en a une qui aurait pu convenir, mais ça remonte à des années : Lana Del Rey. Elle, je la trouvais assez incroyable. Tu es l’artiste le plus streamé du monde germanophone, avec un total de 4,5 milliards, et on t’a dernièrement vu sur les écrans géants de Times Square à New York pour la sortie de XV… Alors qu’à la base, j’ai une formation de musique classique. J’ai commencé le violon à quatre ans, puis le piano à six, avant d’étudier la musicologie

« Voir parmi mes fans ­ des gens de plusieurs ­générations, c’est ça la reconnaissance ultime. » THE RED BULLETIN

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à Vienne. L’une de mes œuvres préférées, c’est le requiem de Mozart, parce que c’est une musique sombre et très profonde, ce qui me correspond parfaitement – et que j’aimerais bien faire un jour : quelque chose qui ressemble à un opéra, une œuvre classique. Le top, ce serait de le jouer au stade de Vienne. On t’en sent tout à fait capable. En fait, ce n’est pas si facile pour moi de jouer en public : lors de mon concert en juin dernier à la Donauinselfest (grand festival organisé sur l’île du Danube à Vienne, ndlr), je jouais devant 120 000 personnes. À 17 heures, je traînais encore chez moi, perdu dans mes pensées, en me demandant « Et si ça foirait ce soir… » J’avais vraiment le trac. Toi, l’essence même du mec cool et détaché, qui donne l’air de tout maîtriser, tu flippes avant d’entrer sur scène ? Oui, depuis toujours, même si je préférerais que ce soit différent – comme par exemple Bonez MC, avec qui je collabore : le mec ne stresse jamais. J’aimerais bien me débarrasser de ma nervosité : le plus difficile pour moi, ce n’est pas de donner un concert, mais c’est de devoir gérer la journée qui le précède. C’est cette peur constante de l’échec, même après toutes ces années d’expérience, qui te rend nerveux ? Oui, et aussi une obsession perfectionniste. Il faut absolument que tout soit parfait. Le côté « on s’en fout, on verra bien », ça n’existe pas chez moi. On ne peut pas être créatif si on est trop ­blasé par la routine ? En tout cas, moi, je ne peux pas. Parce que ­j’attache beaucoup d’importance à ce que je fais. Dernièrement, lors d’un festival, je me suis rendu compte que les programmateurs étaient souvent à la traîne question actualité musicale.

Ils préfèrent mettre en tête d’affiche des artistes qui ne sont déjà plus au top. Je me suis demandé pourquoi untel était tout en haut de l’affiche alors qu’un autre groupe, à peine mentionné, est en train de cartonner à mort… Tu as écrit deux livres, Le pacte, en français, une autobiographie introspective sur le chemin parcouru, paru en allemand en 2021, et dernièrement Dark Zen, en allemand, qui se lit davantage comme un mode d’emploi du bonheur. Ces instants de ta vie où tu te sens bien, en sécurité, tu arrives à t’en souvenir pour les utiliser dans les moments de doute ? Non, ce n’est pas quelque chose que j’arrive à contrôler. Et c’est sans doute parce que j’en ai trop bavé dans ma carrière. Je me suis pris tellement de portes dans la figure que je peux encore ressentir dans ma chair ce que ça fait. Quand par exemple tu es sur scène, et tu es obligé de fermer les yeux pour ne pas voir à quel point la salle est vide, ou presque vide. Et pourtant, tu t’es donné tellement de mal, mais pas que toi : les musiciens, les ingénieurs son et lumière… Tout le monde souffre avec toi, pendant toute une heure. Pour qu’à la fin, tu récoltes quelques applaudissements polis. Non, franchement, ce genre d’expérience, ça ne s’oublie pas. Il semble au contraire que cela t’ait poussé à t’accrocher : sur cette étagère, je vois par exemple l’édition germanophone du magazine Forbes, avec ton faciès en couverture. Qu’est-ce que ça représente pour toi ? Beaucoup. Ce n’est pas donné à tout le monde. Tu cartonnes effectivement dans les affaires : ton business, tu le vois plutôt comme un jeu ou un réflexe pavlovien qu’on garde lorsqu’on a connu trop d’années de galère financière ? Les deux. Par exemple, si je vais faire mes courses au supermarché, j’ai toujours cette peur inconsciente que ma carte soit refusée. Cet ins-

« La bonne musique, c’est comme un film de Rambo : ça doit te prendre aux tripes. » 60

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Dubaï by night Le côté obscur du rap : RAF Camora est un oiseau de nuit.

tant où tu dois réfléchir à ce que tu vas laisser à la caisse pour essayer de gratter quelques euros et retenter le coup… J’ai toujours du liquide sur moi, même si je n’en ai pas besoin : l’angoisse reste, au-delà de toute rationalité. Peut-être que ça te complique la vie, mais peut-être aussi que c’est justement ça qui te permet d’avancer. Pour aller où ? Regarde-moi : j’ai deux mains, deux jambes, et s’il le faut, j’irai bosser sur les chantiers pour pouvoir continuer à faire ma musique. Si je peux le faire, c’est parce que j’ai la gnaque – et la tête suffisamment claire. D’où mon conseil le plus important : ne jamais toucher aux drogues ! Ça te nique le cerveau. Et quand il ne fonctionne plus, c’est là que tu risques de finir à la rue. Pour le moment, tu ne sembles pas près de finir à la rue, puisque tu roules en Ferrari et en Maserati. Est-ce que ta mère est fière de toi lorsque tu débarques chez elle dans un de ces bolides ? Elle m’a envoyé un message vocal dernièrement, et j’entendais un vrombissement derrière sa voix. Quand je lui ai demandé si elle était en train de conduire la Ferrari, elle m’a répondu : « Quelle belle voiture ! Et elle se conduit super bien ! » Un autre jour, je reçois une photo : ma Ferrari garée en travers du trottoir à Ottakring (un quartier populaire et cosmopolite de Vienne, ndlr). Je me dis : « Quel est le pote qui a eu le culot de prendre mes clés ? » J’appelle ma mère, et elle m’envoie une photo d’elle avec une de ses copines : elles s’étaient pomponnées et étaient sorties faire un tour dans leur quartier ! Bref, ma mère adore ce genre de voitures. Petit souvenir personnel : une bande d’amis – assez jeunes, la vingtaine – dans le parc du Prater à Vienne, en train de danser sur Ponny de Yung Hurn (un morceau aux ­paroles très explicites, ndlr). Dans ce groupe, des jeunes femmes hyper modernes, fortes et indépendantes. Comment peuvent-elles être fans de cette musique ? Et pourquoi pas ? Parce que tu penses qu’on les opprime ? Ou parce que les paroles sont parfois très crues ? Je te donne un exemple : quand des garçons écoutent du gangsta-rap où l’on parle tout le temps de « bitch » et de « pussy », c’est comme s’ils regardaient Rambo avec Stallone, tu vois ? Ils voient des mecs se faire buter, mais ça ne veut pas dire qu’ils veulent le faire ou qu’ils trouvent ça cool ! Ce qui leur plaît, c’est le frisson du moment, mais pour eux, c’est juste un film. Les gens savent que Yung Hurn et moi, on a suffisamment de recul par rapport à ce qu’on écrit, on voit notre musique comme un film. La musique dépend entièrement de l’émotion qu’elle véhicule : on veut qu’elle te touche, qu’elle t’émeuve, qu’elle te prenne aux tripes – sinon, ça ne sert à rien. Et c’est justement pour ça que des filles fortes et indépendantes peuvent aimer ça.

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Part d’ombre Les photos ont été faites à Dubaï dans le cadre de son nouvel album XV.

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Penses-tu que ça dérangerait tes fans s’ils savaient que RAF Camora est en fait un type sérieux et posé, qui aime écouter le requiem de Mozart tranquillement chez lui, un espresso à la main ? Non, ils le savent déjà. Par contre, si mon ­appart était rempli de posters « Hello Kitty » et de disques d’Helene Fischer (star de musique populaire en Allemagne, ndlr), là, je pense qu’ils tiqueraient un peu. Y a-t-il des choses que tu adores faire et qui ne correspondent absolument pas à l’image du rappeur sombre et torturé ? Pas vraiment. Bon, j’adore jouer à « Qui suis-je ? » avec mes potes, j’aime les BD, surtout ­Donald Duck… J’adore lire les aventures de Picsou : c’est peut-être mon seul plaisir coupable. À propos de BD pour enfants, parle-nous de ton petit neveu : est-ce qu’il écoute ta musique ? Oui, il aime bien par exemple « Blaues Licht », « 500 PS » ou encore « Risiko ». Le plus drôle, c’est qu’il s’agit toujours de hits, alors que lui-même n’en sait absolument rien. Ça veut dire que les enfants sentent très bien ce qui est bon ou pas. Quand je lui fais écouter quelques-uns de mes morceaux dans ma voiture, j’observe ses réactions, histoire de deviner ce qui peut avoir du potentiel ou pas. C’est important : la musique doit d’abord te procurer du plaisir. Ta musique est pourtant particulièrement sombre, parfois même violente. Bonez MC dit toujours que la musique doit nous apporter une énergie positive. Au début, moi aussi je me disais « Positif, mon c*** – Je suis de la génération Kurt Cobain ! » Mais maintenant, je sais que d’une manière ou d’une autre, c’est vrai – et les gamins le sentent très bien. Le magazine Forbes, dont tu as déjà fait la couverture, est aussi connu pour sa liste des 30 Under 30, les jeunes qui inspirent le monde. Quels sont les jeunes qui t’inspirent en ce moment ? Pour citer mon manager : « Le jour où l’on va commencer à devenir des vieux cons, à penser que les jeunes disent de la merde, ce sera terminé pour nous. » Parce que la jeunesse te montre dans quel sens va le monde. Parmi les artistes qui m’inspirent en ce moment, il y a Ski Aggu ou encore Hoodblaq. J’aime bien discuter avec ceux qui sont plus jeunes que moi : mon demi-frère du côté paternel est encore un ado, mais j’aime bien lui demander ce qu’il écoute. Il me répond des trucs comme : « La drill, c’est le genre absolu actuellement. » Tu possèdes une maison d’édition, un ­ studio de tatouage, un salon de barbier, une agence de pub et de marketing, etc. Lequel te rend particulièrement fier ?

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« La femme de mes rêves ? Il faut qu’elle ait de l’humour – un peu comme Fran Fine dans Une nounou d’enfer. » Celui qui a représenté le plus gros défi : le barber shop. Quand il a enfin ouvert à Vienne, ça a été un grand moment. Tous les grands noms du business ont aussi leurs points faibles, certains même qui les rendent sympathiques. Ce serait quoi, ton « gentil petit défaut » ? Mes points faibles. Mis à part ma grande nervosité, je suis quelqu’un de très, très, très empathique. Beaucoup plus qu’on ne l’imagine. Je ressens énormément la souffrance des autres. Une question plus spirituelle : qu’est-ce qui est, selon toi, le plus important, dans la vie ? Savoir qui on est – pour savoir ce qui nous rend heureux. Savoir doser les plaisirs : tu peux t’enfiler des Mac Do, mais il faudra à un moment donné compenser par des choses plus saines. Et la troisième chose importante pour moi, c’est le fait de laisser une trace dans ce monde. Que ce soit par la création artistique ou en fondant une famille. Ferme les yeux un instant et imagine-toi avec ta propre famille, un dimanche dans la cuisine. Qu’est-ce que tu vois ? Si je me marie un jour, j’aimerais que ce soit dans l’église du quartier où j’ai grandi à Vienne (Fünfhaus, quartier multiculturel du XVe arrondissement, ndlr), avec une grande fête de rue. Je vois aussi deux enfants, qui ressembleraient peut-être à mon adorable petit neveu. Peut-être une femme italienne ou en tous cas qui aurait le physique d’Adriana Lima, comme je le dis dans une de mes chanson. Mais je n’ai pas vraiment de type de femme particulier. La femme de tes rêves serait plutôt du genre sombre comme toi, ou plutôt délurée ? Il faut qu’elle ait de l’humour – un peu comme Fran Fine dans Une nounou d’enfer.

En concert le 15 mars 2024 au Hallenstadion de Zurich. Instagram : @raf_camora

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LA LIGUE DES LÉGENDES VIVANTES TEXTE DANIEL BROWN

RIOT GAMES/LOL ESPORTS/LANCE SKUNDRICH

Rien qu’un jeu vidéo ? Non, League of Legends, ou LoL, est : un sport qui passionne et enflamme des millions de fans, avec deux stars dont la rivalité équivaut celle que Messi et ­Ronaldo entretiennent. Et avec l’arrivée du Championnat du monde à Séoul, LoL va atteindre de nouveaux sommets.

Deft – la star montante Il a perdu tant de fois, souvent à l’approche de son anniversaire. Un vrai cauchemar qui a tourné au rêve : champion du monde !

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Faker – la superstar Sous son air si sage, presque ­timide, il est con­ sidéré comme le meilleur joueur de LoL au monde. Même si Deft l’a battu en 2022.


es dernières notes de l’hymne d’ouverture, Star Walkin, s’achèvent. L’interprète, le célèbre rappeur Lil Nas X, disparaît derrière la scène. Même lors d’un événement aussi coloré, sa perruque rouge et or et son armure flamboyante détonne au milieu de la foule amassée dans les couloirs du Chase Center de San Francisco. Beaucoup des 14 548 fans venus assister à la finale du Mondial 2022 de League of Legends ont aussi revêtu des costumes très élaborés. « Une vraie tuerie ! », le complimente une jeune admiratrice. « Et je kiffe ta robe », rétorque Nas automatiquement en continuant de fendre la foule. Un reporter vient déjà à sa rencontre : « Ça fait quel effet de savoir que des millions de personnes viennent de te regarder ? » « Quel effet ?, répète Nas en souriant. C’est juste dingue! Il y a vraiment une foule incroyable. » Sa succincte analyse est parfaite : « dingue » est le mot juste. Le Championnat du monde de League of Legends, ou tout simplement les Worlds, est la plus grande compétition de gamers et de gameuses au monde, point final. Le paroxysme d’une saison de tournois aux quatre coins du globe réduite aux ligues régionales. Vingt-quatre équipes s’affrontent lors d’une compétition de cinq semaines pour tenter de remporter le titre du plus célèbre des jeux d’esport, League of Legends, ou LoL pour les initiés. Un immense champ de bataille pour échiquier Voici le déroulement typique d’un match : deux équipes de cinq joueur·euse·s s’affrontent sur un champ de bataille magique, le Summoner’s Rift (la faille de l’invocateur). Sur une immense carte, chaque équipe démarre de sa base appelée Nexus et située à chaque extrémité du terrain. Trois voies mènent au centre : la voie du haut, la voie médiane et la voie du bas. Tout autour, il y a la jungle. L’équipe qui détruit le Nexus de l’adversaire remporte le jeu. Simple comme bonjour ? Attendez, les choses se compliquent : il faut sélectionner un champion parmi les 160 personnages disponibles, chacun avec ses propres compétences, forces et faiblesses et autant de manières de les utiliser. Un peu (juste un peu) comme un jeu d’échecs où toutes les figures se déplaceraient en temps réel, combattant, amassant de l’or et de l’expérience, et pouvant être

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Majestueux Armure flamboyante et perruque : Lil Nas X lors de l’ouverture des Worlds 2022. Le défilé Faker, la superstar (au centre), se ­dirige avec son équipe T1 vers la ­gigantesque scène.

Les émotions du direct « Ce qui s’est passé cette année lors des Worlds faisait penser à un incroyable conte de fées », raconte Jeon Yong-jun, alias Caster Jun, de Séoul. En esport, les commentateur·rice·s en direct sont appelés « casters ». Et celui-ci n’a pas son pareil pour étirer les voyelles à la manière des brésiliens et leur fameux « Gooooool ». Jun s’emporte, hurle et vocifère comme Thierry Roland lors du France-Brésil 1998. « Ce drame qui se déroulait en temps réel sous nos yeux était époustouflant. » Tentons de résumer cette incroyable épopée : DRX, une équipe que l’on n’attendait même pas comme outsider, a réussi à se qualifier in extremis pour la finale du tournoi, puis, à l’issue d’une série de hasards improbables, à battre T1, la meilleure équipe de toute l’histoire de League of Legends. Du même coup, Faker, triple champion du monde très populaire et considéré comme le plus grand joueur de LoL de tous les temps, le « Michael Jordan de l’esport », s’est fait battre par Deft, sorte d’antihéros tourmenté. Jusqu’ici, Deft (de son vrai nom Kim Hyuk-kyu) était célèbre pour ses spectaculaires éliminations au premier tour au moment même de son anniversaire qui coïncide justement avec les dates des

80 semi-remorques, 2 000 employés, des chiffres à la hauteur de ce nouvel univers.

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ressuscitées si elles se font tuer. Et par-dessus (ou plutôt au milieu de tout cela), on trouve toutes sortes de monstres, sbires, tourelles et autres twists surprenants. À San Francisco, lors de la cérémonie d’ouverture des Worlds 2022, l’immense popularité de ce jeu vieux de quatorze ans saute vraiment aux yeux (et aux oreilles). Initialement conçu par le développeur de jeux-vidéo américain Riot Games comme un charmant (sic) passetemps pour nos petits bouts de chou adorés, le jeu fait désormais appel aux services d’un double lauréat des Grammy Awards pour chanter l’hymne officiel du tournoi (Lil Nas X a d’ailleurs été nommé Président de League of Legends deux mois plus tôt), le tout dans un stade d’1,6 milliard de dollars avec diffusion d’images en 3D de Runeterra (l’univers du jeu) et des versions géantes des personnages de LoL comme K’Sante et Azir (même si ces derniers ne comptent ni la danse ni le chant parmi leurs superpouvoirs) dans la choré. Derrière cette performance de 3 minutes et 57 secondes, toute une équipe de production de 2 000 personnes et 80 semi-remorques pleins à craquer. À titre de comparaison, un concert géant classique nécessite environ vingt semi-remorques.


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Le méchant contre le gentil ? Deux joueurs exceptionnels, deux rivaux éternels.

rait bien les supporter tous les deux, il n’y pas de bons et de méchants dans cette histoire. » Et d’un point de vue économique, il n’y a pas vraiment de perdants non plus.

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Worlds. Toutes ces années, explique-t-il, son anniversaire était donc une « journée de deuil ». Une frustration telle qu’il envisageait sérieusement de mettre un terme à sa carrière. Mais en 2021, Deft devient la deuxième grande sensation du tournoi après Faker (Lee Sanghyeok). Histoire d’une rivalité qui remonte au lycée. À cette époque, Faker et Deft sont assis sur les mêmes bancs de l’école de Mapo (Corée du Sud) et sont loin de s’apprécier, car déjà, Faker surpasse constamment son rival. « Au lycée, j’étais en tête du classement LoL. On me surnommait “Mapo High School’s Fiery Fist” », raconte Faker non sans une pointe d’orgueil. « Moi, j’étais à peu près centième du classement », se souvient Deft. Faker rapportera plus tard : « Cette rivalité est tellement ancrée en nous qu’on ne pourra jamais être amis. » En foot, on appelle ça un derby. Mais de telles hostilités n’ont aucune raison d’être chez les gamers et les gameuses : le respect mutuel est bien plus important. « Ces deux-là ont le même genre de personnalité, ils sont super sympas, au fond, commente Tyler Erzberger, expert en gaming et ancien chroniqueur d’esport. En fait, on aime-

L’accès à la reconnaissance Les plus grandes stars de l’esport décrochent des contrats de plusieurs millions de dollars, les équipes sont désormais omniprésentes dans les lycées et les collèges américains et les fans suivent le mouvement : les tickets pour les Worlds 2022 se sont ainsi arrachés en quelques minutes, un record pour le Chase Center. Et sur les réseaux, les Worlds ont fait le buzz dans plus de 240 pays, un engouement réparti aux quatre coins du globe. La diffusion en langue anglo-saxonne a attiré un nombre record d’1,6 million de téléspectateur·rice·s, soit une augmentation de 41 % par rapport aux Worlds 2021 ; les finales ont quant à elles enregistré un total de 121,7 millions d’heures de streaming. Forcément, les Mondiaux de 2023 (du 10 octobre au 19 novembre), dont la finale se déroulera au Gocheok Sky Dome de Séoul, plus grand stade couvert du pays avec une capacité de 17 000 spectateurs et spectatrices, profitent de cette popularité endémique. La Corée du Sud fait en effet figure de berceau de l’esport. Et sous leurs airs discrets, les athlètes n’ont rien à envier à la renommée de Taylor Swift. À l’instar de celle de ses protagonistes, l’histoire de la genèse des Mondiaux de LoL est très atypique. La première édition a lieu en 2011 lors du Dreamhack, un forum sur les jeux vidéo organisé en Suède. Directrice internationale de League of Legends Esport, Naz Aletaha se souvient parfaitement de ce moment où Riot Games a décidé de diffuser l’événement en streaming : « Quand on revoit les images aujourd’hui, on comprend pourquoi “La cave de Phreak” est devenue une référence si populaire dans la communauté », dit-elle. Une blague entre initié·e·s sur D ­ avid « Phreak » Turley, ancien caster de LoL qui commente la première saison des Worlds ­depuis une sinistre pièce mal éclairée. « Mais malgré ces

Spectacle atypique dans les tribunes : lors de la finale des Worlds 2022 à San Francisco, des milliers de fans défilent dans des costumes surprenants comme cette licorne.

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Le calme avant la tempête Lee Sang-hyeok, 27 ans, aka Faker, avant sa performance au Mondial de San Francisco.


De vrais salaires pour les petits génies Les joueur·euse·s pouvaient enfin accéder à un statut de professionnel·le·s. Devenir adulte, accepter un « vrai » job ? Plus nécessaire. Finis les petits prodiges de LoL des premières années qui disparaissaient de la scène dès leur vingtième année : ils recevront désormais un salaire conséquent. À cet égard, la Corée du Sud est d’ailleurs très en avance sur le reste du monde puisque qu’elle attribue des licences aux joueur·euse·s pros depuis l’an 2000 et qu’à cette époque, des chaînes en streaming comme Ongament et MBCGame diffusaient déjà StarCraft, jeu de stratégie en temps réel dans l’espace. « La Corée du Sud est fière d’être le berceau de ­l’esport, confirme Aiden Lee, secrétaire général de League of Legends Champions Korea, ou LCK, la ligue pro du pays. Nous sommes également à la pointe du développement des jeunes talents, disposons du meilleur vivier de joueur·euse·s et des meilleures équipes au monde. » Oui, la plupart des meilleur·e·s joueur·euse·s viennent de Corée du Sud, ce qui ne fait que renforcer l’effervescence des fans à l’approche de ce prochain tournoi à domicile. Lee n’hésite pas à comparer la rivalité entre Faker et Deft aux duels légendaires entre Lionel Messi pour le FC Barcelone et Cristiano Ronaldo pour le Real Madrid. Lee Sang-hyeok, alias Faker, 27 ans, évolue en tant que Mid Laner : c’est généralement lui qui joue

Choi “Zeus” Woo-je, joueur de T1, réagit à la défaite de son équipe. Hong Chang-hyeon de DRX arbore le saphir du vainqueur.

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le rôle de mage sur la voie médiane. Faker, c’est d’abord une moyenne hallucinante de victoires : 66 % sur une période de dix ans. Et c’est ensuite une ribambelle de surnoms, comme il l’explique avec une ferveur assez inhabituelle à The Players’ Tribune, plateforme en ligne où les athlètes partagent leurs expériences. « Mes fans américains m’appellent Dieu, mes fans coréens Invincible roi des démons. Mais j’ai une préférence pour Dieu. » Et toujours aussi modeste : « Dans le jeu, je m’appelle simplement Faker. Je suis le meilleur joueur de League of Legends au monde. » Jusqu’au jour qui a changé sa vie et celle de Deft par la même occasion, car en réalisant son rêve ultime de remporter les Worlds, celui-ci pouvait enfin reprendre son souffle… et surtout dormir. Tout au long de sa carrière professionnelle, il ne se passait pas une nuit sans qu’au moment de fermer les yeux, il ne passe en revue son prochain match. « Je n’y pense plus, désormais, déclare Deft quelques semaines après son titre aux Worlds. Je vais dormir, tout simplement ». Au moment de son triomphe, Deft, âgé de 26 ans, devient le joueur le plus âgé à avoir remporté les Worlds. Et il aurait pu se fendre d’une répartie cinglante pour faire taire tou·te·s les pessimistes et les sceptiques (lui en tête), mais a choisi de s’abstenir. « C’est peut-être paradoxal, mais je veux juste gagner ces Worlds pour pouvoir enfin raccrocher, dira-til avant la finale. Une victoire pour finir dans la dignité. » Avant les Worlds 2022, tout le monde pensait que son équipe, DRX, ne survivrait pas aux éliminatoires régionales. Deft lui-même ne pariait pas gros sur les chances de DRX de participer aux finales. « Je ne nous donnais pas plus de 10 % de chances, révélera-t-il par la suite. Mais je ne voulais pas faire perdre espoir à nos fans. » DRX a eu du mal à entrer dans le tournoi. Normal, c’était l’une des équipes les plus faibles parmi les 24 en lice. Passer la phase de poules semblait impossible. Lors d’une conférence de presse, les joueurs de T1, interrogés sur leurs attentes pour le match contre DRX, ont répondu l’un après l’autre sans l’ombre d’une hésitation. Oner : « Je pense que nous allons battre DRX très facilement, 3-0.» Keria : « Pareil, je pense que ce sera un 3-0. » ­Gumayusi : « Je parie sur un 3-0. » Faker : « J’espère qu’on va gagner 3-0. » Du rire aux larmes, toutes les émotions réunies Mais en coulisses, cette éternelle attitude de malchanceux s’était muée en une détermination à toute épreuve.

Un match à couper le souffle L’équipe T1 affronte l’équipe DRX lors des Worlds 2022 au Chase ­Center de San Francisco. 14 548 fans ont répondu présent dans le stade.

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Un Mondial rempli de suspense : Deft va-t-il gérer son transfert ? Et Faker sa blessure ?

qualités de production assez underground, on avait déjà plus d’un million de connexions, ajoute Aletaha. On a compris qu’il se passait un truc : les fans, la communauté, tout le monde en redemandait. » Riot Games s’est alors fixé comme objectif de donner à l’esport les mêmes titres de noblesse que ceux de l’athlétisme traditionnel. « On rêvait de créer un écosystème dans lequel les joueurs de LoL pourraient gagner leur vie et où les meilleurs joueraient devant leurs fans les plus acharné·e·s. »



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Les derniers clics Deft, la star de LoL, devant son écran. Concentration intense : plus qu’un ou deux clics avant de remporter le titre !

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Le premier titre Une foule en délire : Deft et son équipe d’outsiders, DRX, sont champions du monde.

Une transition difficile pour Deft, qui n’avait jusque-là jamais passé les demi-finales et décrivait le même rituel immuable pour le 23 octobre, date de son anniversaire : « En général, je passe cette journée tout seul dans ma chambre d’hôtel après avoir perdu aux Worlds. » Le 23 octobre 2022, tout semble bien parti pour que sa soirée d’anniversaire soit de nouveau gâchée par des trouble-fêtes. Lors des quarts de finale au Madison Square Garden de New York, sa stratégie contre EDG (son ancienne équipe et championne en titre), se retourne contre lui. Deft s’apprête à détruire le Nexus adverse quand soudain, un inhibiteur surgit devant lui. Pour les passionné·e·s de LoL, c’est une nouvelle preuve de son incroyable poisse. Pour tous les autres, voici la traduction d’un caster : celui-ci explique que c’est comme si un attaquant se foulait la cheville au moment d’envoyer la balle dans les filets. Un autre caster s’écrie tout simplement : « Noooon ! C’était du tout-cuit, Deft ! » Les années précédentes, il aurait déjà fait annuler le champagne d’anniversaire et se serait préparé à une nouvelle nuit solitaire dans sa chambre d’hôtel. « Sur le moment, je n’arrivais pas à y croire, écrira Deft plus tard sur la plateforme The Players’ Tribune. Je n’avais jamais vécu un moment pareil de ma carrière. Et voilà que ça m’arrive maintenant, aux Worlds, en plein quart de finale, et contre cette équipe ?! Je me suis vraiment demandé si j’étais juste programmé pour perdre. » Et puis soudain, son cerveau s’est mis en mode automatique : « D’un seul coup, j’ai arrêté de me plaindre, et ça a été comme une libération. Après, je ne me suis jamais senti aussi fort. » Tyler Erzberger, chroniqueur spécialisé, est l’une des rares personnes extérieures à l’équipe à avoir remarqué ce changement, cette transformation subite de Deft, d’une personne dévorée par le doute à un guerrier à la volonté inébranlable. « Pendant une grande partie du tournoi, il était son pire ennemi, avec cette attitude d’avoir l’impression de donner le meilleur de soi-même tout en se disant qu’il n’était juste pas assez bon. Mais lorsqu’il a atteint la finale, c’est comme si un poids était tombé de ses épaules, et qu’il n’avait plus qu’à récolter le fruit de ses efforts ». Au moment de leur victoire, avant qu’un standing ovation ne vienne remplir le Chase Center de San Francisco, tous les joueurs de DRX sont restés plusieurs secondes immobiles, comme paralysés, en transe devant leur écran, avant d’être secoués par les larmes. Soudain complètement libéré, Deft a arraché son casque et l’a jeté au loin. « Je

Faker à ses fans : « Je suis le roi des démons, mais appelez-moi Dieu, tout simplement. » THE RED BULLETIN

n’ai pas pour habitude de me lâcher comme ça pour exprimer ma joie, mais là, je me suis mis à sauter dans le stade. Mon corps s’est mis à bouger de manière indépendante. Il a dit à mon cerveau de courir, donc j’ai couru », racontera-t-il plus tard au cours des interviews, après avoir repris une certaine contenance. « Jamais aucune équipe classée quatrième en phase de groupe n’avait réussi à atteindre la finale, encore moins à gagner les Worlds, commente un des casters, Kobe, complètement abasourdi. Cette bande de potes vient d’accomplir un miracle. » Lors de la conférence de presse post-match, un journaliste demande à Faker s’il a quelque chose à dire à son ancien camarade de classe, Deft. « Je tiens à le féliciter, répond-il brièvement. Si un joueur mérite ce trophée, c’est bien Deft. » Et voici qu’arrivent les Worlds 2023. Comme une série télé qui veut toujours ménager plus de suspense, ce nouveau Mondial propose un casting totalement renouvelé. Moins de trois semaines après la finale de 2022, Deft a annoncé son départ de DRX et choisi de signer chez un concurrent plus important, DWG KIA. Tremblement de terre sur les réseaux sociaux : à l’exception de BeryL, tous les champions du monde de DRX ont quitté l’équipe. La fin d’un boys band L’équipe d’outsiders victorieux se sépare donc comme un boys band après un seul et unique tube. Choc ? Tristesse ? Oui et non. Au fond, DRX n’avait jamais été pensée comme une équipe prête à relever les embûches de Runettera à un tel niveau. Quand les joueurs sont devenus célèbres du jour au lendemain, ils se sont fait recruter par des équipes plus grosses. Il n’y avait ni argent, ni ressources nécessaires pour les retenir. Dans le ballon rond, on appelle ça un « centre de formation ». DRX, équipe en lutte éternelle contre la relégation, remporte soudain la Ligue des champions : la victoire n’en est que plus savoureuse, même si les vainqueurs, eux, sont partis depuis bien longtemps. Faker, l’éternel champion qui s’est incliné une seule et unique fois, est quant à lui resté dans son équipe T1, même s’il a disparu une grande partie de l’été pour cause de blessure. Oui, cela arrive aussi en esport. De grosses douleurs au niveau du bras. Déchirure musculaire ? Fatigue générale ? Faker était-il au bout du rouleau ? Son dossier médical restera strictement confidentiel. Mais privée de son leader de cœur, l’équipe de Faker a vacillé, perdant cinq matchs consécutifs et atterrissant au quatrième rang le plus bas de la ligue sud-coréenne. Le 2 août, on annonçait le retour tant attendu de Faker sur League of Legends Esports. Le même jour, T1 battait les Kwangdong Freecs. Les gros titres : Le retour du roi. Ou était-ce « Dieu » ? Celui qui entrera dans la légende des Worlds 2023 devra se montrer à la hauteur. Sport, drame, spectacle, tranches de vies… les attentes seront immenses. « La barre est haute », reconnaît Naz Aletaha, directrice internationale de League of Legends Esports, interrogée sur le tournoi qui débutera à Séoul puis continuera à Busan pour revenir dans la capitale. Les deux métropoles se partagent un tiers de la population sud-­coréenne. « Finalement, c’est tout à fait logique que les Worlds aient lieu justement ici », poursuit Aletaha. LoL rentre au pays. Retrouvez DRX: The Rise, le documentaire sur la finale des Worlds 2022 sur redbull.com

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Une vie à fond la caisse ! Aussi à l’aise devant la caméra qu’au volant, ­Emelia Hartford s’est forgé un destin à sa mesure : les mains dans le cambouis, la tête dans les étoiles. 74

SON CŒUR

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FAIT VROUM THE RED BULLETIN

Speed Queen Emelia Hartford au volant de sa Ferrari bleue dans un décor californien digne de Gran ­Turismo, dont elle est à l’affiche.

TEXTE JESSICA P. OGILVIE PHOTOS HEIDI ZUMBRUN

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L

os Angeles. Une Ferrari 458 turquoise fonce à toute berzingue sur la Freeway 5. Au volant : Emelia Hartford. Un policier lui fait signe de s’arrêter. Mais au lieu d’un avertissement, il engage la conversation avec la pilote américaine, puis la laisse repartir. « Il m’a reconnue », dit-elle. Emelia Hartford n’a pas encore trente ans, mais peut déjà être fière de son parcours : pilote automobile, mécanicienne chevronnée spécialisée dans le tuning et les grosses cylindrées, actrice à Hollywood… Elle fait partie des rares influenceuses du monde automobile, cumulant un total de 3,6 millions d’abonné·e·s sur YouTube, Instagram et TikTok. Ses vidéos la montrent en train de bricoler, réparer, tuner et piloter ses nombreux bolides à des vitesses folles. « Le reste du temps, je rumine beaucoup trop, j’ai un millier de choses dans la tête. Mais devant la caméra ou au volant de mes voitures, c’est là que je commence à vraiment vivre », confesse-t-elle. La caméra dont elle parle n’est pas seulement celle qui lui sert à réaliser ses vidéos YouTube : Emelia Hartford est aussi actrice, commentatrice de courses pour la télé, et intervient régulièrement dans des magazines et des podcasts. Dernière corde à son arc, et pas des moindres : son garage automobile, situé près de Los Angeles : un havre de paix dans lequel elle peut s’adonner sans

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retenue à sa passion des moteurs. « J’ai une carrière de dingue, s’exclame-t-elle. Quand je pense à toutes les personnes incroyables dont j’ai fait la connaissance par ce biais… » Des rencontres moins heureuses, il y en a eu aussi, des gens convaincus qu’une femme n’a rien à faire au volant d’une grosse cylindrée. Mais elle a appris à remettre les sexistes à leur place, en toute nonchalance. « Je n’ai rien à prouver, mais s’il le faut, je peux leur montrer ce dont je suis capable », ajoute-t-elle posément. Sa vie n’a pas démarré comme un long fleuve tranquille : c’est après un drame à l’adolescence qu’Emelia a cherché – et trouvé – refuge dans une communauté qui lui ressemble et qui reste aujourd’hui sa deuxième famille : celle des « tuneurs », adeptes du tuning, qui consiste à customiser sa voiture pour en améliorer l’aspect ou les performances. Mais commençons par le commencement. L’amour du risque Emelia Hartford a grandi dans le sud de la Californie – l’un des berceaux de la culture du tuning. Trafiquer sa bagnole pour la rendre plus tape-à-l’œil, plus originale, plus puissante : là-bas, c’est plus qu’un hobby, c’est un art de vivre. Dès son plus jeune âge, Emelia se passionne pour les voitures : « Elle maniait sa Jeep Barbie comme personne.

Le carburant de la vie Emelia en pleine opération à cœur ouvert dans son garage de Glendale, dans le comté de Los Angeles.

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La liberté pour elle, c’est le bruit des grosses cylindrées. THE RED BULLETIN

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Même son grand-père, dans sa vraie Jeep, ne se débrouillait pas aussi bien. C’était impressionnant », se rappelle Cheryl, sa mère. Elle se souvient aussi de tous les moments de frayeur que sa fille lui a fait endurer : les cris d’un voisin venu la prévenir qu’Emelia était en train d’escalader un arbre de douze mètres. Elle se revoit foncer vers elle, les bras tendus, alors qu’Emelia venait de se détacher d’une structure d’escalade en criant « Maman, rattrape-moi ! » – « Il me faudrait un tee-shirt avec l’inscription : “J’ai survécu à un ouragan : ma fille !” », plaisante-t-elle. L’adolescence se poursuit dans une banlieue idyllique de Los Angeles, mais Emelia ne se défait pas de son côté tête brûlée : entre deux parties de gaming, elle sort avec son scooter, qu’elle s’amuse à percuter violemment contre les trottoirs pour imiter les fous furieux de l’émission Jackass . « Je n’arrivais pas à me fondre dans le moule », résume l’intéressée. Glen, le père d’Emelia, est alcoolique et accro aux médocs – ce qui l’amène à brutaliser régulièrement sa famille. Un jour,

Emelia voit débarquer chez elle des agents du FBI : son père est accusé de fraude et ils sont venus fouiller son domicile. Elle n’a que 15 ans mais sent que quelque chose ne tourne pas rond. « Notre dernière conversation, ce fut le jour où il est parti. J’ai couru vers lui en lui demandant s’il allait revenir. Il m’a répondu : “C’est ce que tu veux ?” J’ai acquiescé, et il m’a dit : “Alors je vais revenir.” C’est ce qu’il a fait, le lendemain. » Glen Hartford s’est suicidé peu après. Il avait 45 ans. La mort du père va bouleverser la vie de la famille : alors que sa mère se met en quête d’un travail, elle et son frère se retrouvent subitement « jetés en pâture aux loups, » comme elle le décrit. « Tout ce à quoi je pensais à l’époque, c’était partir de cette maison, j’avais besoin de liberté. » La liberté, pour Emelia, avait la forme d’une grosse et belle voiture au moteur assourdissant, sur une route qui se perd à l’horizon. Sans trop savoir vers qui ni quoi se tourner, elle se met à rechercher sur Internet quelle voiture pourrait lui convenir. Elle

Let’s dance! Emelia Hartford fait valser sa Ferrari 458 sur un parking de l’Angeles Crest Highway, en Californie.

Chaque chose à sa place Emelia en train de ranger l’une de ses nombreuses caisses à outils.

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« J’ai survécu à un ouragan : ma fille, Emelia. » Cheryl, sa mère

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finit par acheter sa première « vraie » voiture : une Infiniti G35 millésime 2005, moteur V6. Bien qu’elle n’ait encore jamais conduit de manuelle, elle se prend d’intérêt pour ce mode de conduite et parvient très tôt à en maîtriser toutes les ficelles pour faire vrombir et drifter sa jolie caisse. « Je voyais ça comme une forme d’art, et ça me donnait un but dans la vie », déclare-t-elle. Rencontre décisive Pendant qu’Emelia sillonne les canyons de Californie, sa mère essaie de garder la tête hors de l’eau. Pour elle, une seule solution : quitter la Californie pour l’Indiana, afin de se rapprocher de sa famille. « Ce fut très dur de quitter tous les amis que nous avions en Californie, se souvient Cheryl. Nous avons

dû tout recommencer depuis le début, et ce fut aussi un vrai choc culturel. » Mais ce que Cheryl ne pouvait pas imaginer alors, c’est à quel point ce déménagement transformerait sa fille. L’adolescente de 16 ans se fait très vite des ami·e·s. Un jour, alors qu’elle traverse la ville au volant de son Infinity, une Crown Victoria s’arrête à côté d’elle. La passagère d’Emelia interpelle le conducteur par la fenêtre : « Vous ne trouvez pas que mon amie a une belle voiture ? » En guise de réponse, l’inconnu lui tend un flyer sur lequel sont indiqués la date et le lieu d’un motorshow. Curieuse, Emelia se rend à la soirée, qui se tient à minuit sur le toit d’un grand parking – et découvre un autre monde : « C’était comme dans un film, comme dans Fast & Furious, raconte-

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Des engrenages plein la tête… Emelia est passionnée de mécanique. t-elle, enthousiaste. C’est ce soir-là que j’ai rencontré le BCrew pour la première fois. » Le BCrew, ou Bloomington Crew, est une bande de passionné·e·s de tuning qui va vite devenir la deuxième famille d’Emelia. Au fil des années et des week-ends passés ensemble à bricoler les bagnoles, Emelia apprend les bases d’une passion qui deviendra son métier. Ryan Booch Hummel, ancienne figure centrale du BCrew et mentor d’Emelia, est resté l’un de ses plus proches amis. Dès le premier contact, Ryan sent que cette fille a la mécanique dans le sang : « Je parie que dans son cerveau, il n’y a que des engrenages et des pistons, et qu’à la place du sang, c’est de l’huile de moteur qui coule dans ses veines, dit-il en plaisantant. Je voulais lui apprendre des trucs de base, comme les contrôles de routine ou la réparation des freins, mais ce qui l’intéressait, c’était le bloc moteur et les turbos. » Pour Emelia, le BCrew lui a appris bien davantage que des simples notions de mécanique : « Ces mecs sont devenus comme des grands frères, ils m’ont pris sous leur aile. Au lieu d’aller à des fêtes le week-end, nous nous retrouvions dans le garage pour s’amuser sur les moteurs et les turbos. » L’appel d’Hollywood Emelia n’arrive pourtant pas à oublier LA, et ce rêve qui la travaille depuis l’enfance : devenir actrice. Elle finit par céder aux sirènes hollywoodiennes, troque son Infinity pour une Nissan 240 SX dans laquelle elle entasse toutes ses affaires, et prend la route de la Californie. Direction : Hollywood, la machine à rêves. Le sien va-t-il se réaliser ? Sans surprise, les premières années sont dures : entre ses jobs de serveuse, elle fait la tournée des agences et des castings, prend des cours de théâtre… Pendant son temps libre, Emelia retrouve son premier amour : la mécanique. Elle bricole, répare et customise ses voitures, les collectionne, achète et revend – finalement, elle décide

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de poster quelques vidéos de son travail sur Instagram. La marque Michelin l’invite un peu plus tard à participer à un salon de l’automobile à New York : elle y rencontre d’autres influenceur·euse·s qui travaillent dans son domaine, et commence à considérer plus sérieusement cette idée que lui avait lancée sa mère, un jour : « Et si tu devenais YouTubeuse ? » Sa fille lui avait rétorqué : « Mais qu’est-ce que tu y connais, toi ? » Piquée au vif, elle décide pourtant, une fois rentrée à Los Angeles, de tenter sa chance et investit une partie de ses économies dans du matériel vidéo. YouTube, me voilà ! Pour son premier essai, Emelia Hartford présente sa 240 SX : quelques tours, un passage à la pompe – c’est tout. Le résultat ? 500 000 vues ! Elle se prend au jeu et commence à livrer trois vidéos par semaine, dans lesquelles elle présente différentes bagnoles. Au fil des vidéos, elle finit par pouvoir vivre de sa chaîne et de l’argent de ses sponsors : fini, le job de serveuse.

Tableau de famille Emelia pose fièrement dans son ­garage à Glendale, en Californie. À ses ­côtés, au niveau du sol : ses deux Corvettes.

Une Corvette dans la tête La prochaine grande étape de sa carrière survient trois ans plus tard avec l’achat de sa première voiture haut-de-gamme : une Corvette Stingray C8, le premier modèle de Chevrolet à présenter un moteur en position centrale arrière. Possédant désormais l’un des tout premiers exemplaires sortis sur le marché, Emelia Hartford a d’abord l’intention de le laisser tel quel. Mais alors qu’elle retourne chez elle au volant de sa nouvelle acquisition, qu’elle est allée chercher dans le Kentucky, elle a l’idée de faire une petite pause dans un garage automobile… et commence à bricoler sur son nouveau bébé. À peine rentrée chez elle, Emelia n’a qu’une envie : « On va la tester sur la dragstrip ! » Elle et ses potes constatent alors qu’ils viennent de bricoler ensemble l’une des Corvettes C8 les plus rapides au monde. Mais pour battre définitivement le record mondial, il reste encore quelques étapes – un projet qui tourne vite à l’obsession : « Il n’y avait plus que cette question qui me préoccupait jour et nuit : comment rendre ma Corvette encore plus rapide ? » En février 2021 – après l’ajout d’un bi-turbo et quelques autres modifications – Emelia Hartford est prête à retenter l’expérience : après quelques essais, elle parvient à atteindre la vitesse de 231,74 km/h – ça y est, le record est établi ! Dès lors, les partenariats s’enchaînent, Emelia devient même commentatrice de courses – évidemment, le nombre de ses followers explose. Son succès dans le monde des grosses bagnoles ne lui fait pourtant pas oublier son rêve de gamine : Hollywood. Mais la popularité qu’elle rencontre sur les réseaux sociaux va, cette fois-ci, l’aider à le réaliser :

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VISUEL PROMOTIONNEL

elle se sert de sa notoriété pour décrocher des rôles dans Un Noël en Californie : Les Lumières de la ville et That’s Amor, deux productions Netflix qui vont lui ouvrir en grand les portes de la gloire, avec un film sorti l’été dernier : Gran Turismo.

Vu au cinéma Gran Turismo, bientôt sur les plateformes de streaming.

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Un casting et un tournage de rêve Le film de Neill Blomkamp – réalisateur nominé aux Oscars – met en scène Orlando Bloom, David Harbour et Archie Madekwe : Gran Turismo raconte l’histoire vraie du pilote britannique Jann Mardenborough, qui a démarré sa carrière en jouant sur Playstation au jeu vidéo éponyme. Emelia y campe le personnage de Leah Vega, l’une des adversaires de Mardenborough. Le tournage, dit-elle, lui a apporté une sérénité

qu’elle avait rarement connue auparavant – quelques scènes du film ont d’ailleurs été tournées sur le circuit de Spielberg, désormais appelé Red Bull Ring, en Autriche. « J’ai l’habitude de ressentir une certaine insatisfaction dans la vie – parce que c’est justement ça qui me pousse à bosser encore plus dur. Mais la paix intérieure que j’ai éprouvée pendant le tournage de ce film, je ne l’avais jamais ressentie de ma vie. J’avais réussi à décrocher un rôle dans un grand film, et c’était un film de voitures ! Tout à coup, je n’éprouvais plus le besoin de courir à droite à gauche. » À force d’y aller à fond la caisse, Emelia Hartford a, semble-t-il, appris à prendre le temps de vivre. Instagram : @ms.emelia

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Votre guide pour une vie loin du quotidien V O YA G E R , É C O U T E R , O P T I M I S E R , J O U E R , D É C O U V R I R , S O R T I R Pour trouver notre autrice, cherchez le petit point rouge dans le kayak bleu sur la mer turquoise. À lire sans modération !

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C’EST PARTI ! THE RED BULLETIN

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AVENTURES EN NORVÈGE Bains glacés, hors-bord et poisson. Au cœur de la Norvège, laissez-vous charmer par les îles Lofoten, la vitesse en mer et le confort sur terre. PHOTOS LARS PETTER JONASSEN

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Hors-bord, foil et kayak, Nina ­Kaltenböck s’éclate et se régale dans les Lofoten.

La guide du groupe, Ragnhild Pedersen Indresand, originaire de Svolvær, est toujours partante pour l’action et l’aventure.

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lippfisk. Skrei. Wild cod. Trois noms pour désigner ce héros local devenu indissociable de la vie des habitant·e·s des îles ­Lofoten. Plus connu chez nous sous le nom de cabillaud ou de morue, ce poisson est également devenu mon pain quotidien à côté des autres spécialités dont regorgent les Lofoten, ces quatre-vingt îles norvégiennes situées au nord du cercle polaire. Moi, c’est Nina. Rédactrice pour The Red Bulletin, je vais me lancer dans un concentré d’action de six jours avec au programme kayak, excursion en bateau à moteur dans un fjord, sortie de pêche en mer du Nord et mélange très spécial de surf et de vol. Ma guide ? Ragnhild Pedersen ­Indresand, 26 ans, originaire de Svolvær, une petite bourgade de pêcheurs coincée entre mer et montagnes. Une Mac Gyver au féminin qui dispose d’un plan B, C ou D pour l’escalade, le kayak et le surf. Aujourd’hui, elle et son fiancé Laurids nous accompagnent sur un bateau pneumatique semi-rigide à une ­vitesse de 40 nœuds (environ 75 km/h). Nous progressons le long des fjords jusqu’au Trollfjord, impressionnant bras de mer de deux kilo-

mètres, situé dans le détroit de Raftsund dont la largeur n’excède pas la centaine de mètres à cet endroit-là. Notre petit groupe se compose de voyageurs et voyageuses solitaires aguerri·e·s par le froid : Cameron, du Colorado, Marit, de Norvège, un intrépide baroudeur allemand, Thomas, et moi-même. Au-dessus de nos têtes, mouettes et aigles de mer se disputent quelques

Amitiés sans frontières : l’Américain Cameron (à gauche) et l’Allemand Thomas m’accompagnent pour un tour en hors-bord de Svolvær au Trollfjord.

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Svolvær LOFOTEN

Norvège Oslo

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QUAND PARTIR ?

poissons. Les embruns de la mer du Nord nous assaillent de tous côtés, et une personne dans mon dos hurle de joie, grisée par cette chevauchée sauvage. Quand les secousses se font trop fortes, il faut quitter son siège pour s’agripper aux poignées du bateau et ménager sa colonne vertébrale. Et même si l’âpre beauté du paysage nous laisse bouchebée, mieux vaut fermer son clapet pour éviter une bonne rasade d’eau de mer. Après cette montée d’adrénaline, nous retournons dans notre hébergement de Skårungen dans le village de Kabelvag. Je commence à comprendre le sens d’hyggelig : ce mot d’origine danoise et norvégienne désigne tout ce qui est confortable, douillet, apaisant, réconfortant et traduit parfaitement nos conditions paradisiaques. Sous la chaleur d’un feu crépitant, nous dégustons une soupe de moules aux artichauts, de la morue, obligatoire, tout en planifiant notre prochaine journée. PDG de Norrøna

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Un décor de carte postale nous attend à Henningsvær, village de pêcheurs de 500 âmes.

À chaque saison son charme En hiver, entre octobre et avril, les aurores boréales illuminent le ciel. Les îles Lofoten promettent un spectacle inoubliable.

­ vitserk ­Adventure, Marit H ­Vidnes, la Norvégienne du groupe, m’accompagnera pour une ­intense séance de sauna dans un cube vitré au milieu des montagnes enneigées, avant de nous détendre dans un ­jacuzzi. Je lui demande comment sont les gens du pays. « Ils sont réservés, un peu distants de prime abord, et ne se mettent jamais en avant. C’est pour ainsi dire une loi tacite. » Je confirme : ici, on ne se vante pas de sa réussite sociale (la Norvège fait partie des cinq pays les plus riches au monde), de ses exploits sportifs ou de son intelligence. ­Marit est bientôt prête pour un polar plunge, un saut en bikini dans la mer du Nord à six degrés. Je l’imite et me sens complètement réveillée ! Après une excursion dans le village de pêcheurs de Henningsvær pour refaire le plein de morue séchée et une introduction à la pêche au Skrei dans les Lofoten (on ne voudrait pas manquer de morue !), nous rejoignons Ballstad, autre village de pêcheurs

de 832 habitant·e·s. Nous ­prenons nos quartiers dans la ­magnifique Hattvika Lodge puis je me prépare à une sortie en kayak. Passionnée des activités en plein air, Raga (pour Ragnhild) m’en enseigne les bases. « Serre bien les jambes et détends-toi au niveau des hanches. La force vient de la rotation du torse, pas des bras », m’explique-t-elle avant de disparaître sur ses skis avec une partie du groupe dans son sillage. En hôte chaleureux,

ARRIVÉE Le voyage en vaut la peine On rejoint Svolvær ou ­Ballstad sur les îles Lofoten via les aéroports d’Oslo et Bodø. De là, il suffit de louer un véhicule. On peut également parcourir les ­Lofoten entièrement par voie terrestre. Bon à savoir Norrøna Hvitserk Adventure est une agence de voyages qui propose des expéditions et des séjours en Norvège. L’année dernière, elle s’est associée à Norrøna, une marque spécialisée dans le sport de plein air. Idéal pour vous ­accompagner dans le pays le plus étendu d’Europe. Mon ­séjour ­s’intitulait ­Winter ­Adventure in Lofoten, adventure.norrona.com

Nous filons à 40 nœuds le long des fjords de la mer du Nord à bord d’un bateau pneumatique.

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V O YA G E

Aux Lofoten, la saison de pêche a lieu entre janvier et avril. La morue, ou « Skrei », est ensuite séchée sur d’immenses échafaudages en bois. À droite : Kevin ­Karlsson fait le bonheur de nos papilles au Fangst (Ballstad). En bas : Kristian Bøe, mon guide de kayak, me fait découvrir le versant maritime des Lofoten.

LOFOTEN DE LUXE

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déjà essayé aux Lofoten. ­Plongée en eaux froides, vol sur les eaux, surf à gogo, j’ai tout vécu … mais n’ai ­malheureusement pas pu ­admirer les aurores boréales. Conclusion : il faudra que je revienne très vite. Réserver : adventure.norrona.com S’équiper : norrona.com

Fangst Restaurant gastronomique attenant à la Hattvika Lodge avec vue sur le petit port de Ballstad. Les gourmets n’auront que l’embarras du choix, du Tataki de baleine au Skrei en passant par le renne. Cuisine régionale de saison. hattvikalodge.no Skårungen Cabines douillettes au bord de l’eau, chalets ou glamping : pour la cuisine et ­l’hébergement, Tilla et son équipe sont aux petits soins pour leurs client·e·s. Point d’orgue du petit-déj : le fromage brun (Brunost) accompagné d’une confiture pommes et myrtilles. skaarungen.no

Imperturbable, Roland Hummer m’initie aux joies de l’e-foil.

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NINA KALTENBÖCK

pée d’un hydrofoil à moteur. Roland me propose une petite introduction : je n’avais jamais pratiqué un sport nautique aussi marrant et excitant. Un vrai coup d’adrénaline. J’en redemande ! Mais mieux vaut le louer, un e-foil coûte en ­effet 15 000 euros. Au cours des dix-huit derniers mois, près de 300 touristes l’ont

LARS PETTER JONASSEN, ROLAND HUMMER/@MY_EFOIL

Kristian Bøe, le propriétaire de la Hattvika Lodge, m’accompagne pour une paisible traversée en kayak avec trois habitués… jusqu’à un passage plus étroit que prévu où l’avant de mon kayak heurte un rocher de plein fouet. Bam ! Cameron et sa GoPro filme la scène et les commentaires des témoins : “Now you have to buy the boat!” Ça va me coûter cher… J’essaie de calculer : si une petite bière coûte dix euros ici, combien vaut un kayak tout neuf. 50 bières, 70… ? Je suis interrompue dans mes laborieux calculs par un énergumène filant à plus de 50 km/h sur les eaux : ­Roland Hummer, originaire d’Autriche comme moi. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore l’e-foil, ou surf électrique : on dirait un homme du futur survolant les eaux sur une planche de surf équi-

Hattvika Lodge Seize cabanes de pêcheurs datant des années 1870 entièrement rénovées, ­logements sur les collines, villa spacieuse équipée de tout le confort, immenses baies vitrées pour admirer les spectaculaires aurores ­boréales. Saunas et bains à remous inclus.



ÉCOUTER

« PHIL COLLINS A ÉTÉ MA PREMIÈRE IDOLE » Purple Disco Machine, DJ et lauréat d’un Grammy, parle des chansons qui l’ont influencé, lui et son son.

D

ua Lipa, Lady Gaga, Elton John : lorsque de telles stars désirent un r­ emix de l’une de leurs chansons, elles appellent Tino Piontek, 42 ans, à Dresde (Allemagne). Piontek, alias Purple Disco Machine, a accédé à la renommée internationale avec ses propres chansons. Son album Exotica, sorti en 2021, a été streamé des centaines de millions de fois. Ce succès fut précédé par les découvertes de son père de pépites sur vinyles et cassettes ­audio au marché noir en ex-RDA. La musique de Piontek est influencée par des artistes comme Prince et les Daft Punk, par des courants comme la French touch et l’Italo disco, et surtout, elle met de bonne humeur. Piontek a remporté un Grammy pour son remix du titre de Lizzo About Damn Time. Voici les chansons qui comptent le plus pour lui.

Daft Punk

« Phil Collins a été ma toute première idole. Je l’ai découvert grâce à mes parents au milieu des années 1980, vers l’âge de six ou sept ans, et j’écoutais cette chanson en boucle. La manière dont elle est produite est très atypique pour l’époque. Elle n’a pas vraiment de refrain et ce n’est pas une chanson pop classique. Elle est différente, quoi. Et le solo de batterie est bien sûr légendaire. »

« J’avais 16 ans quand l’album Homework de Daft Punk est sorti. Nous faisions alors des fêtes au sous-sol de mon école et je vendais des boissons au bar. L’album est passé trois fois de suite en une soirée. Around the World était une chanson en avance sur son temps. C’était complètement nouveau. Et pour la première fois, j’ai su que c’était exactement la musique que je voulais faire moi-même. »

IN THE AIR TONIGHT (1981)

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AROUND THE WORLD (1997)

Fatboy Slim

Metronomy

« À l’époque, Fatboy Slim était le nec plus ultra en matière de sampling. Praise You, pour moi, est toujours sortie du lot parce qu’elle est totalement atypique. Le riff de piano, la ligne vocale, qui est si accrocheuse et constamment mise en loop, avec des breakbeats. En plus, la chanson est si ­positive, si joyeuse. Il y a cinq ans, j’ai pu produire un remix pour ce titre. C’était un grand honneur. »

« Quand la chanson est sortie, je venais de rencontrer ma femme. Nous l’avons entendue lors de notre premier ­festival, et depuis, elle nous accompagne. C’est une chanson très funky, très disco, et si légère que le sourire nous vient tout de suite. On l’a fait jouer à notre mariage, mais elle convient encore mieux quand on traverse une crise. Elle nous ramène alors aux bons moments. »

PRAISE YOU (1998)

THE BAY (2011)

THE RED BULLETIN

JOHANNES MITTERER

Phil Collins

FIONA GARDEN

Purple Disco Machine sera en concert le 11 novembre 2023 à Innsbruck en Autriche (Congress). Infos: purplediscomachine.com


OPTIMISER

Même si ça peut sembler farfelu, on peut évacuer la peur en se ­secouant.

SECOUEZVOUS ! Se débarrasser de la peur rien qu’en se secouant ? P-p-possible… comme l’explique le biohackeur Andreas Breitfeld.

PERSONNELLE

ANDREAS BREITFELD

BRATISLAV MILENKOVIĆ

U

n biohackeur n’est évidemment pas inébranlable. Il nous arrive, à nous aussi, d’avoir des frayeurs, de ne pas pouvoir évacuer le stress et l’agitation de notre système. Mais nous avons une astuce pour gérer de telles situations. Une astuce empruntée aux grands documentaires sur la nature. Nous faisons en fait comme la gazelle qui vient d’échapper au lion et nous nous secouons vigoureusement, tout le corps, les bras et les jambes, pendant une, voire deux minutes. (Contrairement à la gazelle, nous le faisons loin des regards, par égard pour notre réputation. Du reste, si on le fait correctement, cela a l’air tout simplement idiot.) Mais pourquoi les animaux ont-ils adopté ce comportement ? C’est d’abord une réaction naturelle à un événement traumatisant ou extrêmement stressant qui ­ramène au corps son équilibre, tant sur le plan hormonal que physique : les énergies

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SE SECOUER D’ABORD, SE CALMER ENSUITE

Deux minutes de secousses, et voilà ce qui se passe : le taux d’hormones de stress, cortisol et adrénaline, chute, le système ­nerveux est secoué pour passer du mode combat-fuite (qui était nécessaire pour pouvoir fuir le lion) au mode repos et digestion.

excédentaires sont évacuées du système, les hormones de stress que sont le cortisol et l’adrénaline chutent. Dans ce mode, les processus de guérison physique sont d’ailleurs également déclenchés. Particulièrement utile si le lion a malgré tout dévoré un petit bout de la gazelle en fuite. Bon. Alors, pourquoi nous, les pros du biohacking, nous secouons-nous ? En fait, pour exactement les mêmes raisons. La science a en effet découvert que cette « secousse induite par le stress » – c’est la description technique – a le même effet chez l’humain que chez l’animal. Il n’est même pas nécessaire d’avoir littéralement couru pour sauver sa vie : un mail désagréable d’un client ou une évaluation négative d’un podcast provoquent suffisamment de stress pour me faire passer rapidement en mode « secousse ».

Andreas Breitfeld est le biohackeur le plus connu d’Allemagne. Il fait de la recherche dans son laboratoire spécial à Munich. Le biohacking englobe, pour simplifier, tout ce que les gens peuvent faire de manière autonome pour améliorer leur santé, leur qualité de vie et leur longévité.

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JOUER

en 1991, des petits malins ­découvrent que les images d’animation de c­ ertaines ­actions se chargent plus vite quand elles se suivent dans un ordre donné. Ils s’empressent donc d’exploiter la faille.

Vos jeux vidéo préférés sont peut-être le fruit de gaffes.

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ors de sa sortie sur ­Nintendo Switch en mai dernier, The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom (en photo) a été acclamé par la critique. Une nouvelle capacité a particulièrement plu aux fans de la série Zelda (dont le premier opus date de 1986) : le pouvoir d’ascension, qui permet aux joueur·euse·s de se déplacer vers le haut, même à travers des structures, pour explorer plus facilement de nouveaux secteurs. Mais cette fonctionnali­ té n’était pas prévue initiale­ ment. Au cours des années de production, les développeurs de Tears of the Kingdom ont intégré un mode de débogage permettant aux program­ meurs de se déplacer plus vite dans cet open world lors de leurs tests. Ils étaient telle­ ment emballés qu’ils ont

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­ écidé d’en faire profiter le d public. Un saut évolutif propre à l’histoire même du jeu vi­ déo : facultés découvertes par les joueur·euse·s, anomalies involontaires dues au code et même énormes bévues. Jack Yarwood, chroniqueur pour Time Extension, site internet de jeux vidéo rétro et clas­ siques, revient sur quelques évolutions accidentelles deve­ nues si essentielles aux jeux vidéo qu’on peine à croire qu’elles n’étaient pas inten­ tionnelles. Réaction en chaîne Les combos, séries d’attaques fulgurantes que l’adversaire ne peut pas contrer, sont ­caractéristiques des jeux de combat modernes. Pourtant, on doit leur origine à un bug de conception : lors de la sortie de Street ­Fighter II

Maître du jeu. L’auteur anglais Jack Yarwood écrit ­régulièrement pour Time Extension, un portail spécialisé en jeux rétro.

Bagnoles futées Need for Speed est une série de jeux de voitures célèbre pour ses courses-poursuites effrénées avec les forces de l’ordre. Surprise, celles-ci sont nées d’une erreur de ­programmation. « Lors de la création de Need for Speed II en 1997, un producteur s’est retrouvé entouré d’ennemis qui attaquaient sa Lamborghi­ ni, explique Jack Yarwood. Quand le bug a été signalé, on s’est aperçu que le responsable de l’intelligence artificielle avait défini des paramètres d’agressivité incorrects pour les voitures. » L’équipe était tellement emballée qu’elle en a fait un cheat à débloquer et c’est devenu l’élément phare de Need for Speed III: Hot ­Pursuit l’année suivante ! The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, sur Nintendo Switch ; nintendo.com

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TOM GUISE

CES ERREURS QUI FONT NOTRE BONHEUR

Ascenseur éclair Outil indispensable aux pros des combats à mort et autres speedrunners cherchant à terminer un niveau le plus vite possible, la technique du lance-roquettes pour se propulser en l’air est popu­ larisée en 1996 dans Quake. « Tim Willits (un des créateurs du jeu, ndlr) ­assure que c’est le fruit du hasard, raconte Yarwood, même s’il y avait déjà un moment dans Doom (1993, ndlr), où il fallait tirer sur un mur pour être repoussé vers une sortie secrète. Étour­ derie ou réelle découverte ? »

NINTENDO

Dans le jeu The ­Legend of Zelda: Tears of the ­Kingdom, les joueur·euse·s sont capables de percer les plafonds.


Donnez des ailes à votre carrière

Fernanda Maciel, Ultra Runner

« Ma plus grande qualité: mon intuition. » Découvre tes véritables points forts et apprends à les développer à travers un coaching ciblé.

redbull.com/wingfinder


DÉCOUVRIR

LÀ OÙ LES BATEAUX APPRENNENT À VOLER

­ ujourd’hui, c’est la nouvelle A base Alinghi Red Bull R ­ acing. L’équipe suisse était déjà sur place : « Nous avons eu la chance de trouver des bâtiments à louer pour une base temporaire. Nous avons pu installer les membres de l’équipe et leurs familles à ­Barcelone avant de terminer la construction de la base ­actuelle », explique Silvio

Atelier de réflexion de la Coupe de l’America : La base Alinghi Red Bull Racing à Barcelone a ouvert ses portes avec style.

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ci, on soulève des poids, on répare des voiles, on teste l’accastillage et on étudie les conditions météorologiques. Bien entendu, cela ne se fait pas sans haute technologie, y compris celle de la F1. La nouvelle base de l’équipe Alinghi Red Bull Racing rayonne au milieu du Port Vell de Barcelone, où se déroulera la 37e America’s Cup en 2024. En septembre, le public a été invité à se faire une idée de la base. L’événement a été fêté comme il se doit avec des cascades spectaculaires de cliff-diving, de la musique et un spec-

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« Les bateaux sont très ­exigeants et doivent être ­entretenus au quotidien. » Silvio Arrivabene, co-directeur général

tacle de BMX. Les deux bâtiments abritent entre autres des ateliers, des bureaux, la ­direction, une salle d’entraînement et un espace de restauration chic sur une surface totale de 4 600 m². Silvio Arrivabene, co-directeur général, nous fait visiter les lieux. La base Entre le centre commercial Maremagnum et l’Aquarium, sur le port de Barcelone, on trouvait autrefois un cinéma qui n’attirait pas les foules. On envisageait sa destruction depuis longtemps.

Le hangar : cette partie de la base de Barcelone accueille les bateaux pour la nuit.

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MIHAI STETCU/ALINGHI RED BULL RACING, MITJA KOBAL/ALINGHI RED BULL RACING, SAMO VIDIC/ALINGHI RED BULL RACING

Les plongeuses de haut vol ­Celia Fernández (­Espagne) et Rhiannan ­Iffland (Australie) sautent de l’AC75 soulevé lors de l’inauguration de la base Alinghi Red Bull Racing à Barcelone, ­Espagne.


Silvio Arrivabene est architecte naval de formation et dirige les opérations techniques et sportives chez Alinghi Red Bull Racing autour du ­bateau. La nouvelle base d’Alinghi Red Bull Racing brille dans le port de Barcelone.

­ rrivabene. Les travaux ont A avancé rapidement : commencés en avril 2023, terminés au mois de juillet suivant. Le hangar C’est la résidence principale de l’AC75 et des deux AC40, puisque les voiliers ne passe pas la nuit sur l’eau. « Ces bateaux sont très exigeants et nécessitent un entretien quotidien, nous informe Arrivabene. Les jours de navigation, nous sortons le bateau du hangar le matin, à l’aide d’un chariot, avant de mettre le mât, puis le bateau est hissé à l’aide d’une grue dans l’eau. Après l’entraînement sur l’eau, c’est exactement la même opération en sens inverse. » À quelle fréquence ont lieu les sorties en mer ? Le plus souvent possible. Mais cela dépend aussi de la météo et du programme des tests, sans oublier le temps consacré à l’entretien du ­bateau. « Certaines semaines, on peut sortir deux jours,

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La voilerie de la base : c’est ici que les voiles sont réparées et modifiées.

­ arfois quatre. » À l’intérieur, p les containers où sont installés les différents ateliers sont disposés de telle sorte que tout converge vers le centre du hangar – ce qui permet à toutes les personnes présentes d’accéder facilement au bateau pour le réparer ou l’améliorer : électriciens, ingénieurs hydrauliques, chefs monteurs, armateurs – tout le monde s’active à préparer le bateau pour la sortie suivante.

La voilerie Juste à côté du hangar se trouve la section voile de la base : une salle immense entièrement consacrée aux voiles. Celles-ci dominent littéralement les gens qui y sont employés : les postes de travail des artisans voiliers sont en ­effet creusés dans le plancher de sorte que leurs machines à coudre dépassent à peine du sol. Et ce afin de pouvoir ­travailler plus facilement sur

les gigantesques voiles du ­bateau, d’une superficie de 28×7 m. « C’est ici qu’on ­fabrique les nouvelles voiles, qu’on répare ou qu’on modifie les anciennes », explique Arrivabene. Il n’est pas rare de ­devoir faire une réparation la nuit. « On peut aussi décider de changer ou d’adapter la forme de la voile. » Exactement comme lorsqu’on fait des retouches sur un vêtement après un premier essayage. « Auparavant, les voiles étaient constituées de panneaux tissés puis cousus ensemble. » Ce qui n’est plus le cas dans le monde de la régate : la voile est ­désormais une gigantesque membrane en fibre de carbone et autres matériaux. « Nous la taillons à la forme souhaitée, avant de travailler sur les ­détails de la confection. » La salle de gym Avoir ses propres salles de sport sur la base ? Arrivabene le concède : « C’est quand même du luxe », car on n’a

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DÉCOUVRIR

LES BASES DE LA BASE

pas toujours assez de place. Mais il ne s’agit pas de salles de fitness classiques : « Tout tourne autour du renforcement musculaire. » On y trouve des rameurs, des poids et des v­ élos (cycloergomètres), identiques à ceux du ­bateau pour lui donner de la puissance. Les membres de l’équipe y passent jusqu’à sept heures par jour, quand ils ne sont pas sur l’eau, notamment ceux du Power Group, les montagnes de muscles à bord du bateau. Juste à côté, on trouve la cantine. Le fait que la salle d’entraînement se situe juste au-dessus de la grande salle des bureaux a deux avantages : on y jouit de la superbe vue sur le port, et cela permet une communication optimale avec le reste de l’équipe. Le simulateur Un autre composant essentiel de la préparation des athlètes à la compétition, c’est le simulateur. « Il s’agit d’une des nouveautés les plus récentes de la Coupe de l’America, ­apparue durant les deux ou trois éditions précédentes », explique Arrivabene, en

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« Le simulateur est au cœur de notre préparation : nous ­utilisons notre savoir-­faire issu de la F1. »

­ joutant que cet engin est a ­notamment utilisé les jours où l’on ne peut pas naviguer. L’équipe profite alors de l’expérience et des évolutions techniques des simulateurs de Formule 1 qui ont été développés par Red Bull Racing. On peut ainsi choisir une trajectoire de course en opposant plusieurs équipes, ou bien s’entraîner individuellement dans des conditions ­météo pré-définies, ou encore tester des composants du ­bateau, comme un nouveau safran ou des nouveaux foils.

Silvio Arrivabene

La grue Elle pèse 7 tonnes, fait 40 mètres de haut, et est dotée d’un bras de 24 mètres qui met les bateaux à l’eau avant chaque entraînement et les ramène sur terre ­ensuite. L’énergie solaire La base est équipée de 96 panneaux solaires. Ceux-ci fournissent environ 30 % des besoins en ­énergie de l’ensemble de la base. Eau propre Une installation traite l’eau de mer et couvre 100 % des besoins en eau de la base.

Vue depuis l’eau de la base d’Alinghi Red Bull Racing avec une esplanade, un atelier et des bureaux sur 2 300 m².

Du 29 nov. au 2 déc., la deuxième régate préliminaire pour la 37e America’s Cup aura lieu à Djidda, en Arabie Saoudite. Toutes les pré-régates seront retransmises par Red Bull TV.

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SAMO VIDIC/ALINGHI RED BULL RACING, MITJA KOBAL/ALINGHI RED BULL RACING

Le Champion du monde de F1 Max Verstappen s’essaie au simulateur de voile.

Le site La nouvelle Alinghi Red Bull Racing Base est composée de deux bâtiments sur une surface de 2300 mètres carrés. À cela s’ajoute l’avant-cour de 1600 mètres carrés.


SORTIR

AUTOMNE RADIEUX Du son, de la vitesse et de la hauteur : les événements à ne pas manquer.

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er

AU 3 DÉCEMBRE

ARMON RUETZ/RED BULL CONTENT POOL, GETTY IMAGES, GOLD & GOOSE/RED BULL CONTENT POOL

ANNA MAYUMI KERBER

DESIGNSCHENKEN

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Enfin libres : T-Ronimo et Geo ­Cadiias après leur victoire lors du Red Bull UnEverse 2022.

Le festival de design haut en couleur dans la zone industrielle de Lucerne invite à dénicher des cadeaux de Noël extraordinaires et ingénieux. Dans la filature de la ville d’Emmenbrücke, cent exposant·e·s présentent leurs produits et projets. On peut s’attendre à y trouver des fabricant·e·s suisses de bijoux, de mode, de meubles, d’accessoires pour la maison, de jeux et de décoration. C’est l’occasion de célébrer la créativité suisse avant Noël. designschenken.ch

18 NOVEMBRE

RAP CITY

À l’occasion de sa cinquième édition, des stars internationales et des talents suisses se produiront au Hallen­ stadion de Zurich. Les têtes d’affiche seront Sido et la star américaine Sheck Wes. Les co-hôtes Haftbefehl, reezy, Badmómzjay & Yung Hurn. Xen, Luuk, Gigi, Rapide x Alawi, Lexi et xthedoc assureront la puissance suisse sur scène. rapcity.ch

DÉCEMBRE

RED BULL UNEVERSE Red Bull UnEverse, le premier événement de jeu cinématographique et narratif au monde, est de retour ! Après leur défaite de l’an dernier, les Enforcers ont juré de se venger. Six joueur·euse·s ­qualifié·e·s de Suisse pourront-ils vaincre les Enforcers dans six jeux inattendus et nous sauver ? Aussi, le public parviendra-t-il à faire basculer le cours du jeu en faveur de nos défenseur·euse·s ? En direct sur Twitch ou sur place dans le Red Bull Gaming World, au Musée suisse des transports, à Lucerne. Toutes les infos sur Red Bull UnEverse ici !

THE RED BULLETIN

Badmómzjay en live.

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NOVEMBRE AU 10 DÉCEMBRE

RED BULL KING OF THE AIR

Cette année, le Red Bull King of the Air se déroulera pour la onzième fois au Cap, en Afrique du Sud. Dix-huit des meilleur·e·s kitesurfeur· euse·s au monde se retrouvent sur la plage de Kite Beach pour réaliser des figures lors du Big Air. Les athlètes seront jugés sur la hauteur de leurs sauts, la diversité de leurs tricks et leur style. Un vent du sud-est estival et un surf de l’ouest, que demander de plus ? En direct sur redbull.com

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ET 26 NOVEMBRE

MOTOGP KATAR & VALENCIA Les deux dernières dates du calendrier MotoGP : le 19 nov., sur le circuit de Losail au Qatar, de nuit et sous les projecteurs. Le 26 nov., la finale du championnat du monde aura lieu à Valence, en Espagne. Ce sera la première course sur le circuit Ricardo Tormo, long de 4 005 km, depuis les travaux d’asphaltage effectués pendant l’été. redbull.com

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M E N T I O N S L ÉGA L ES

The Red Bulletin Autour du monde

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THE RED BULLETIN Suisse, ISSN 2308-5886

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Directeurs généraux Dietmar Otti, Christopher Reindl, Marcus Weber

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