The Red Bulletin FR 11/23

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FRANCE NOVEMBRE 2023

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Évoluer

PAR AMOUR DES MOVES, AU-DELÀ DE LA PERFORMANCE, COMMENT LILOU RUEL A CRÉÉ SON PROPRE FREERUN


DAS Galaxy Z Flip5 tête : 0,601 W/kg, DAS tronc : 1,451 W/kg, DAS membres : 2,34 W/kg. Images simulées. L’interface peut changer. Samsung Electronics France - CS20003 - 6 rue Fructidor - 93484 Saint-Ouen Cedex. RCS Bobigny 334 367 497. SAS au capital de 27 000 000 €.


É D ITO R I A L

Contributions

DEMARCO WILLIAMS Le journaliste américain est un collaborateur régulier de SLAM, fameux mag de basket US, et de Forbes, ainsi que critique gastronomique à plein temps pour The Infatuation. Il ne pense pas que ballon, à l’instar de Pascal Siakam, des Raptors. « Pour parler famille, voyages ou photo, Pascal s’enflamme, et c’est très cool. » Page 64

DANIEL BROWN

LITTLE SHAO (COUVERTURE), TYKESHA BURTON 2022

Le rédacteur en chef de The Athletic, basé à San ­Francisco, a effectué sa première plongée dans l’esport, en détaillant le Championnat du monde de LoL. À propos de ses dieux, Deft et Faker, il explique : « La concentration sans faille semble être la marque de ­fabrique de tous les champions du monde. » Page 48

SUIVEZ LE MOUVEMENT Si Lilou Ruel, athlète française de 20 ans, est aujourd’hui une star du freerunning, c’est bien parce qu’elle s’est bougée, au sens propre comme au figuré. Ses moves, améliorés sans cesse, l’ont menée là où elle rêvait d’être. De même pour un autre guest de ce numéro, Pascal Siakam, un NBA All-Star pour lequel tout a commencé au Cameroun. Mais le mouvement n’est pas que physique et la bascule peut aussi se faire dans l’esprit : la détermination avant l’action. Celle qui permet à Deft, l’un des boss du jeu League of Legends, et son équipe DRX, de finalement s’imposer face à Faker, le “Dieu” coréen (voir notre sujet esport sur les Worlds). Dynamique culturelle, enfin, au Royaume-Uni, avec les loustics du BBCC (le Bad Boy Chiller Crew), sortis de leur zone pour ambiancer la jeunesse locale. Et bien plus encore… Bonne lecture ! Votre Rédaction

ALICE AUSTIN La journaliste de Tel-Aviv a beaucoup écrit sur la jonction politique-musique, et a donc été attirée par la scène bassline de Bradford (UK). « C’est comme si certaines parties de la ville avaient été oubliées. Cette scène est donc triomphe. Elle donne à sa jeunesse ­espoirs, rêves… et plaisanteries à n’en plus finir. » Page 72 THE RED BULLETIN

Paris s’éveille : le photographe Little Shao entame dès l’aube son photoshooting avec Lilou Ruel (qui prend la pose au troisième étage). Page 26

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CONTENUS

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G A L E R I E 6 D E S S U R F S E N C H A M P I S 12 L A P L A Y L I S T D E C R A Y O N 15 P O S I T I V E E D U C A T I O N 16 U N C I E L P O U R E L L E S 18 HÉROS & HÉROÏNES

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L’évolution psychique de ce DJ et producteur caribéen, et comment il n’a finalement pas abandonné.

JAYDA G

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Dancefloor de lutte et héritage paternel avec l’artiste canadienne ­révélée lors d’une Boiler Room.

RACHID OURAMDANE

ESPORT

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Le chorégraphe transporte l’outdoor sur scène, une création où slackline et escalade sont à l’honneur. PORTRAIT

LA VOIE DE LILOU

UNE FOLIE

C U LT U R E

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On vous raconte les Worlds 2022 de League of Legends, à travers le duel d’enfer entre Faker et Deft. L’édition 2023 s’annonce encore plus dingue.

PERSPECTIVES

PORTRAIT

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QUI EST SUTUS ?

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À 20 ans, son ascension est déjà hors norme. Au-delà du parkour et du freerunning, Lilou Ruel veut évoluer encore plus loin.

Derrière vos hits de rap et pop favoris se cache certainement ce producteur discret mais si talentueux, récent invité du Red Bull Studios Paris.

DÉCOUVRIR

PORTRAIT

PADEL MANIA Quelques pages pour devenir un·e expert·e du jeu de raquette qui ­cartonne. 4

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JAMAIS DE TEMPS MORT

LE SANG DE LA BASSLINE 72 À Bradford, petite ville du RoyaumeUni, la bassline des lascars du Bad Boy Chiller Crew change les vies des artistes comme celles de leurs fans.

V O YA G E : B L O C PA R T Y D A N S L E T E S S I N 83 M E N T A L : L E B O N C H O I X 88 G A M I N G : F A I L S G L O R I E U X 89 F I T N E S S : L A N C E Z - V O U S 94 M E N T I O N S L É G A L E S 96

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P O U R F I N I R E N B E A U T É 98

Venu du Cameroun pour s’imposer en NBA, Pascal Siakam, des Raptors, veut inspirer la jeunesse africaine. THE RED BULLETIN

LITTLE SHAO, COLIN YOUNG-WOLFF, CHARLIE LINDSAY/RED BULL CONTENT POOL

POTÉ


THE RED BULLETIN

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Richmond, Virginie, USA

DAVYDD CHONG

BEACH PLEASE

JONATHAN MEHRING/RED BULL CONTENT POOL

Comme la plupart des meilleurs spots, le skatepark Texas Beach (photo) est un projet fait maison. Ancien terrain de basket, l’espace a été réaménagé par des skateurs locaux et des bénévoles dans la capitale de l’État de Virginie. Dans son film Greetings From Richmond, le réalisateur Jonathan Mehring immortalise les spots de skate « bruts et ghetto » de la ville et celles et ceux qui les rident. Ici, Josh Viles envoie un Madonna, trick inventé par une icône culturelle blonde… oui, il s’agit de Tony Hawk. Découvrez la série complète Greetings From sur redbull.com

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Bihac, Bosnie-Herzégovine

EAU COURANTE Quand les pros du kayak Peter Kauzer et Darko Savic se lancent le défi de pagayer 100 km à travers la Bosnie-Herzégovine en seulement quatre jours en avril dernier, ils ont deux objectifs principaux. Le premier, montrer la richesse – et la beauté – des voies navigables du pays natal de Savic ; le second, rappeler l’importance de la protection de l’environnement. « Quand Darko m’a parlé de l’expédition, ma première pensée a été : “100 km, c’est beaucoup. Où trouvera-t-on ­autant de rivières en Bosnie-­ Herzégovine ?” », déclare Kauzer le ­Slovène (­photo). La solution : parcourir autant de sections différentes que possible – 15 au total, des rivières rapides et lacs calmes jusqu’au bord de la mer Adriatique – en adaptant leur technique.

Kayaking Wonderland sur redbull.com


DAVYDD CHONG PREDRAG VUCKOVIC/RED BULL CONTENT POOL, ROMINA AMATO/RED BULL CONTENT POOL

Takachiho, Japon

SUBLISSIME Rien de tel que du tourisme à l’étranger. Ce n’est pas différent pour un plongeur de haut vol pro – bien que la vue soit ­généralement une étendue d’eau se ­précipitant vers vous à grande vitesse. Pendant les Red Bull Cliff Diving World Series en août dernier, la boss australienne Rhiannan Iffland (photo) a porté sa série de victoires à 11 avec un saut à couper le souffle depuis une plateforme de 21 m au-dessus des gorges de Takachiho au Japon et dans la rivière Gokase en contrebas. La mythologie locale ­raconte comment la déesse du soleil Amaterasu Omikami s’est cachée dans une grotte au bord de la rivière à la suite d’une dispute avec son frère. Divin. redbullcontentpool.com

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Doha, Qatar

C’EST TENDU Qui refuserait au slacklineur Jaan Roose une petite pause relaxante à 185 m au-dessus de Doha ? Battre le record de la plus longue traversée de slackline entre deux bâtiments – 150 m entre les tours jumelles Katara, ça fatigue. « Le poids des lumières LED sur cette ligne de 2,5 cm de large a introduit une dynamique différente dans leur comportement sous mon poids, e ­ xplique l’Estonien à propos de son e ­ xploit en juin. Comme faire du skate sur un gros tronc d’arbre. » Mais la vue était belle, n’est-ce pas ? La Sparkline de Roose est sur redbull.com


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VOLODYA VORONIN/RED BULL CONTENT POOL

DAVYDD CHONG


Ce surfeur de 23 ans veut rendre son sport plus respectueux de la nature en fabriquant des planches de surf à base de mycélium. La communauté du surf est connue pour sa conscience en­ vironnementale et sa très forte connexion avec l’océan et les multiples et subtils change­ ments qui s’y opèrent. Ce que la plupart ne réalisent pas, pourtant, c’est à quel point leur sport préféré a un impact négatif sur l’environnement qu’ils ont envie de protéger. Steve Davies est à la fois un passionné de surf et un concepteur produit, originaire de Porth­cawl (Pays de Galles). Deux passions qui lui ont don­ né envie, en toute logique, de révolutionner l’industrie du surf en privilégiant un maté­ riau durable et biodégradable : le mycélium ou blanc de cham­ pignon. Petit rappel : actuellement, les planches sont faites en fibres de verre et polystyrène, deux matériaux non seulement peu dégradables mais aussi fortement liés aux énergies fossiles. Quand elles atter­ rissent dans des décharges – ou pire, dans l’océan – les planches peuvent mettre plus de 500 ans à disparaître. « Porthcawl est un petit spot de surf local, et ce sport a toujours fait partie de ma vie, explique le jeune homme. J’ai commencé à percevoir un véri­ table fossé entre l’éthique très environnementale des surfeur· euse·s et les supports sur les­ quels ils et elles pratiquaient leur sport. C’est là que j’ai com­ mencé à réfléchir à un moyen de créer une planche qui ne 12

Avant/après : on applique sur une structure filamentaire compostable (en haut à g.) un mélange de mycélium et de substrat (en haut à dr.) pour permettre au premier de se développer ; (à g.) le designeur Steve Davies et l’une de ses planches.

THE RED BULLETIN

LOU BOYD

Ce n’est pas une hallu

s­ alisse ni la planète, ni l’océan. Et c’est ainsi que j’ai découvert la solution : le mycélium. » Steve Devis, tout en bos­ sant sur son master en conception produit à la Cardiff Metropolitan University, a ­rencontré des designers utili­ sant le mycélium – la partie souterraine du champignon, qui forme une mousse ayant les mêmes propriétés que le polystyrène expansé – pour créer des objets et des embal­ lages. Il a l’idée d’essayer la même chose pour faire des planches de surf. « Les champignons se re­ produisent avec leurs spores, pas avec des graines, explique Steve Davies. « Vous pouvez couper un champignon dans votre assiette et obtenir ainsi un millier de spores qui peuvent être nourris pour ­former une mousse de mycé­ lium. Pour avoir la forme d’une planche de surf, j’ai appliqué le mycélium cultivé sur un substrat de déchets végétaux, comme de la paille, le tout dans un moule de la forme d’une planche. Il faut une semaine pour que l’ensemble solidifie : après la cuisson de la planche puis son étanchéisation, elle est prête à être utilisée. » Steve Davies travaille ac­ tuellement sur l’aspect esthé­ tique et les performances de ses planches, qu’il veut porter au même niveau que les planches en fibres de verre, dans l’espoir de lancer une ­véritable industrie plus res­ pectueuse des océans. « J’adore les propriétés de croissance du mycélium, notamment parce qu’il se nourrit de carbone pendant sa croissance. Mes planches sont donc bénéfiques pour l’envi­ ronnement. Je peux prendre un seul champignon et le faire pousser jusqu’à avoir une pièce remplie de planches de surf. C’est mon rêve : avoir ma propre marque de planches, uniquement à partir d’un champignon. Cette marque, je vais l’appeler “Shrooms”. »

STEVE DAVIES

STEVE DAVIES


TH E MO ST CAPAB LE R ARE LY GO IT ALO N E . TH E MO ST CAPAB LE R ARE LY GO IT ALO N E .

AU S T R A L I A N O U T B AC K @ B F G o o d r i c hT i r e s

11.10 . 2 2

AU S T R A L I A N O U T B AC K @ B F G o o d r i c hT i r e s

11.10 . 2 2



CRAYON

Synergie Le producteur parisien au ­croisement de la scène indie et jazz nous dresse un top 4 de ses featurings favoris, d’hier et d’aujourd’hui. Crayon, de son vrai nom Lauren, s’est imposé comme une partie ­intégrante de la scène musicale indépendante parisienne. Avec son album Hundred Fifty Roses, il a su prouver sa versalité sonore aussi bien délicate que groovy. Un jazz moderne, qui frôle le R&B en laissant parfois place à des sonorités électroniques, dont la musicalité vient cajoler sans vergogne le flow de rappeurs comme Swing et Ichon ou encore la soul du compositeur interprète français Gracy Hopkins. Avec Crayon, on célèbre l’anagogie dans le seul but de se procurer un plaisir auditif. Le producteur nous livre quatre morceaux qui reflètent son identité d’artiste.

OLGA DU SAILLANT

MARIE-MAXIME DRICOT

Retrouvez les prods de Crayon en scannant le lien ci-contre.

Tuerie (feat. Hedges)

Yussef Dayes (feat. Tom Mish)

Rhye

Numéro Vert

Rust

« Papillon Monarque, sorti sur le label de Luidji, est mon album francophone préféré en ce ­moment. Ça fait plaisir de voir que le rap français s’autorise à faire des propositions qui mêlent jazz et gospel. Clairement un morceau que j’aurais aimé produire, avec ses sublimes arrangements de cordes et cette ligne de basse. »

« Une dernière sortie de l’illustre batteur et compositeur, londonien qui continue de repousser les limites du genre qu’il a lui-même créé, ce nouveau jazz à l’anglaise, minimaliste et pure. Ici, il est accompagné une fois de plus par le musicien Tom Misch, qui sort de son format pop et disco ­habituel. C’est divin ! »

« Ce sublime morceau très folk, est sorti sur le projet Home du duo canado-danois pendant le confinement. On ­retrouve sur ce titre le ­guitariste-compositeur Joel Shearer, connu pour ces morceaux emblématiques aux États Unis dans les années 2000 (dont Alanis Morissette, ndlr). On ne peut qu’apprécier la qualité de sa composition. »

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Need A Lover

Yusef Lateef (feat. Alex North) Love Theme From Spartacus

« C’est une reprise du morceau du compositeur Alex North, écrite pour le film Spartacus, de Stanley Kubrick. Il en existe plusieurs versions, dont une du pianiste Bill Evans que je ­réécoute souvent. J’ai saisi l’importance du titre en lisant qu’il s’agirait du morceau de jazz qui ouvre les portes de la s­ piritualité orientale. » 15


À Saint-Étienne, le Positive Education Festival expose l’avant-garde de la musique électronique. Et marque les esprits à jamais. Pénétrer dans la Cité du Design de Saint-Étienne, avec ses pavés et ses entrepôts à la hauteur de plafond sidérante, c’est comme entrer dans une usine à raves. Littéralement, ou presque, puisque le lieu accueillait autrefois une manufacture d’armes, qui fabriquait des milliers de fusils et baïonnettes chaque jour. Depuis 2015, ce sont des bombes de dancefloor qui y sont lâchées grâce au Positive Education Festival (PEF), qui, chaque année au milieu de l’automne, réveille le passé industriel d’une ville branchée sur courant alternatif quand on parle musique. « C’est une ville qui a toujours fonctionné sur la découverte et sur des artistes alternatifs, explique le fondateur du festival Charles Di Falco. On aime découvrir des choses qu’on n’a pas l’habitude d’entendre et on programme le plus possible d’artistes comme ça. » 16

Une ligne de conduite qui permet grands moments et chocs sonores – et visuels, un soin particulier étant apporté à la scénographie – comme avec Manu le Malin, l’une des figures de la techno hardcore française, dont le set a fait éclater les vitres, The Bug, patron de la bass music anglaise, qui a livré

Le duo bulgare IDMT (en haut à g.) ; le public i­ mpatient devant les portes du PEF (en bas).

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SMAËL BOUAICI

Usine à merveilles

HORTENSE GIRAUD, JULIETTE VALERO

POSITIVE EDUCATION

un des concerts les plus bruyants et des plus puissants de l’histoire des festivals français, ou encore Iceboy Violet, qui passe la moitié de son show à rapper au milieu de la foule. Coup de chance : alors que le bail allait expirer, le public pourra profiter une dernière fois de la Cité du Design, avant que le PEF n’entre dans une nouvelle dimension. Fort de son succès, le festival stéphanois ajoute une nouvelle corde à son arc pour cette édition 2023 avec des concerts de journée dans un nouveau lieu. Enfin, un ancien lieu, qui fait lui aussi écho à l’histoire de la ville. La Halle Papaz, située opportunément à quelques pas de la Cité du Design, est une ancienne usine qui fabriquait des pièces détachées destinées aux machines utilisées dans les mines à charbon de la région. Le lieu accueillera donc des concerts (thématiques différentes chaque jour, ambient, rock, hip-hop…) mais aussi des ateliers de production musicale (avec la DJ lyonnaise Flore notamment) et des conférences sur des thèmes liés aux musiques électroniques l’après-midi. De quoi entretenir l’aura de cet événement devenu, en six ans, le meilleur argument marketing de l’office de tourisme de Saint-Étienne, une ville qui prend enfin un peu de lumière dans l’ombre de son voisin lyonnais et dont les hôtels connaissent désormais une nouvelle période de pointe au début du mois de novembre. Le festival a aussi été remarqué par les médias étrangers dédiés à la scène électronique, et son aspect défricheur en fait l’un des rendez-vous pros importants pour jauger les nouveautés. Cette année, entre le sorcier italien Donato Dozzy et la Polonaise VTSS, qui porte bien son nom, elles et ils découvriront des ovnis comme Danse Musique Rhône-Alpes ou DJ Bus Replacement Service, qui mixe électro, art et cinéma derrière un masque de Kim Jong-un… Du 31 octobre au 5 novembre 2023 ; positiveeducation.fr


Une nuit sans fin marquée par l’exaltation d’un public qui ne demande qu’à explorer les territoires musicaux de la scène française et internationale.

Le PEF c’est aussi des scénographes, VJ et technicien·ne·s qui subliment les lieux pour une expérience hors du commun et inoubliable. THE RED BULLETIN

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PARACHUTISME AU FÉMININ

Un ciel pour tous et toutes

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tisme, explique Melanie Curtis. C’est avant tout une question de sous-représentation : une femme se pointe dans une zone de saut et ne voit que des hommes autour d’elle, logique qu’elle se sente mal à l’aise ou bien se demande ce qu’elle fait là. On veut faire passer un message clair : notre sport est ouvert à toutes les femmes. » Et en matière de sensibilisation, rien de mieux que de réunir des femmes qui n’ont pas froid aux yeux. En novembre dernier, Melanie Curtis rassemble donc 80 femmes de 22 nationalités différentes sur un terrain d’aviation en Arizona. Elles embarquent à bord de cinq avions Cessna, puis, une fois dans les airs, réalisent un saut d’environ 6 000 mètres. Tête en bas, à une ­vitesse de 260 km/h, les voilà unies en plein vol pour établir un

Réaction en chaîne : baptisé Projet 19, ce spectaculaire saut en parachute effectué en novembre 2022 en Arizona a battu tous les records (en haut). Melanie Curtis, fondatrice de Women’s Skydiving Network (ci-dessus).

­ ouveau record du monde du n plus grand saut en parachute 100 % féminin. Pour Curtis, ce genre d’exploits entame un dialogue plus large sur les questions de sous-représentation féminine dans d’autres secteurs. « Le parachutisme, c’est flashy, c’est sexy, ça permet de capter l’attention. Ensuite, il s’agit d’en faire un tremplin pour élever le débat, voir ce que les femmes font activement pour améliorer leur condition, comment elles peuvent occuper des espaces où elles étaient jusqu’à présent trop peu nombreuses. » Prochain objectif : un saut avec 100 femmes en 2024. « On veut que d’autres filles et femmes filles nous regardent et se disent qu’elles aussi peuvent faire preuve d’audace et de courage. » womensskydivingnetwork.org THE RED BULLETIN

EWAN COWIE, IRINA LEONI

« Le parachutisme éveille l’esprit », soutient l’Américaine Melanie Curtis qui a réalisé son premier saut depuis un avion dans les bras de son père pilote alors qu’elle n’avait que trois mois. « On voit le monde autrement, on a moins peur de se lancer de nouveaux défis. C’est ultra puissant. » Pourtant, selon une enquête de 2021 par l’United States Parachute Association, seulement 14 % de ses membres s’identifient comme femmes, une disparité qui s’étend au niveau global. Fondatrice de l’organisation à but non lucratif Women’s Skydiving Network, Melanie a décidé de tordre le cou à ces statistiques en inspirant davantage de femmes à sauter, avec tous les bénéfices qui en découlent. « On ignore pourquoi si peu de femmes font du parachu-

TOM WARD

Dans la chute libre, les femmes sont sous-représentées. Après avoir battu tous les records, une athlète veut changer la donne.


C AMp


H É RO S & H É RO Ï N ES

POTÉ

Le DJ et compositeur-interprète Poté met en musique son évolution ­psychique avec son nouvel EP, To Say Goodbye, un projet aux allures de journal intime qui redonne un sens au mot « fin ».

Originaire de Saint-Lucie (Caraïbes), le DJ, producteur et chanteur anglais basé à Paris propose un univers musical romanesque harmonisé par un ensemble de basses et de percussions qui soulignent les émotions qu’il nous partage. Avec son EP, To Say Goodbye, l’enfant insulaire bercé par le rythme des vagues nous invite à prendre part à la traversée de son voyage qui s’apparente à un à bientôt de vous revoir. La traduction d’une fausse alerte, en réponse à une prise de conscience, que le chanteur a commencée à écrire en 2021. C’est sur son île natale que Poté fait ses premiers pas dans la production musicale avec son frère, à l’aide de vieux microphones et du logiciel Audacity. Il a dix ans et ses productions n’ont aucun sens, mais une première fois est toujours un moment inoubliable, d’autant plus lorsqu’elle est partagée. Ce n’est qu’à ­quatorze ans, grâce à un ami, qu’il prend conscience qu’il n’a pas besoin de véritable studio pour écrire de la musique, il suffit de télécharger FL Studio pour faire des beats. Dès lors, Poté développe une obsession pour la musique quitte à rester éveillé toutes les nuits jusqu’à cinq heures du matin pour faire de la musique et avoir à peine le temps de dormir une heure avant de se rendre à l’école. Plus tard, un de ses amis, Eunice, l’initiera à la musique électronique en lui faisant écouter des morceaux de Trance Records et Ed Banger. Il s’éprendra de Mr. Oizo dont il trouve le funk et la liberté d’expression fascinante, une échappatoire pour l’ado désormais installé à Londres sur décision parentale, dans le but d’avoir de meilleures opportunités. Mais son expérience dans la capitale britannique est compliquée : « Le fait de déménager ailleurs et de laisser tout son

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PHOTO SAMUEL FABIA

monde derrière soi pour recommencer à zéro, quand on est ado, c’est difficile. Je suis sûr que c’est la même chose pour beaucoup d’ado immigrés. » Pas simple de se proclamer Anglais. Mais ses années à Londres lui auront permis de se faire une place plus aisément à Paris où il écrit et compose désormais sa musique, dont To Say Goodbye, à la manière d’un journal intime : « C’est comme si je me disais “Cher journal...” Quand je pense aux paroles, mais si tu n’écoutes que la production, c’est peut-être une autre histoire. » Le son de Poté transpire le soulagement, même si cet EP a pris vie au moment où le Saint-Lucien était encore dans un moment obscur de sa vie. the red bulletin : Ton prochain EP, To Say Goodbye, va bientôt sortir. Ton expérience de DJ a-t-elle impacté ta manière de produire ? D’autant plus que tu étais en tournée avec Bonobo cette dernière année. poté : Il y a quelques années oui, bien sûr, le monde du djing m’a impacté, mais ça a changé. Aujourd’hui, c’est la musique live qui m’inspire dans ma manière d’écrire, probablement parce que je chante. Je me concentre plus sur l’écriture de paroles et des arrangements, que sur les rythmes clubbing. D’où vient le nom du projet ? To Say Goodbye devait être mon dernier projet. J’étais persuadé que je devais arrêter de faire de la musique après ça, c’est pour ça que je l’ai titré ainsi. En écrivant l’EP et la chanson éponyme, je pensais sincèrement qu’il s’agissait de mes adieux à la musique, parce que j’avais de nombreuses crises d’angoisse. Ce n’était pas drôle du tout, je voulais dire au revoir à mon public de la seule manière que je connaisse. Pas en postant un message sur Instagram, faire ça de la bonne manière.

Et que s’est-il passé depuis ? Tu étais récemment aux Red Bull Studios Paris pour enregistrer la suite de ce projet… J’ai suivi une thérapie qui m’a permis de comprendre les raisons de mes crises d’angoisse, que ce n’était pas ce qu’il semblait être dans mon esprit, mais que c’était une manière de me protéger. Donc, je n’ai pas besoin de dire au revoir, de me retirer de la scène, mais d’apprendre à gérer mes émotions et à y faire face. En parlant de protection, on trouve sur l’EP le titre Where Water Meets The Sky, qui a quelque chose de chimérique, comme un rêve qui nous rassure. Oui, ce morceau est comme un endroit depuis lequel, quand on regarde la mer, elle se confond avec le ciel. Il faut imaginer cet instant merveilleux que personne d’autre ne voit, car il n’existe pas réellement. Je voulais écrire une chanson qui soit positive, qui ressemble à un verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide. Quel titre de l’EP symbolise le plus tout ce processus d’évolution ? Our Love. Il correspond à une séance de thérapie où le psy m’a interrogé sur mon entourage proche pour conclure que j’étais un être aimé. Tout de suite mon cerveau a gelé : «  Quoi, les gens m’aiment ?!? » Quand je suis rentré chez moi, je me suis retrouvé dans un état de béatitude. Quand on comprend mieux ce que signifie aimer et être aimé, ça nous rend capable de le faire correctement à notre tour. STYLING: STEPHY GALVANI

TEXTE MARIE-MAXIME DRICOT

Instagram : @pote

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« J’étais persuadé que je devais arrêter de faire de la ­musique. » Le chanteur Poté au sujet de sa prise de conscience et de la nécessité de soigner ses maux.

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H É RO S & H É RO Ï N ES

JAYDA G

La DJ et productrice de musique canadienne s’est inspirée de son père décédé pour son dernier album, Guy, et affirme que la piste de danse est l’endroit idéal pour partager des histoires de lutte. TEXTE LOU BOYD

Jayda Guy, plus connue sous son pseudonyme de DJ, Jayda G, a connu sa grande percée sur la scène dance en 2017 grâce à une vidéo de son set Boiler Room très énergique lors du festival Dekmantel à Amsterdam cette année-là. En peu de temps, la joyeuse house music aux accents soul et disco, l’enthousiasme contagieux et la danse énergique de la DJ et productrice de musique canadienne derrière les platines étaient devenus viraux. Mais quiconque écoutait attentivement les sets de Guy pouvait deviner que ce DJ ne se contentait pas de s’amuser. Toxicologue environnementale de métier, elle a inséré des sons naturels, notamment les cris des orques et d’autres espèces marines, dans ses premiers travaux, dans le but de lancer des conversations sur les questions de conservation qui lui tiennent à cœur. Aujourd’hui âgée de 34 ans et basée à Londres, Guy se débarrasse de son image de fêtarde et rapproche son public grâce à un album profondément personnel inspiré par sa famille. L’album, Guy, contient des enregistrements d’archives de son père, aujourd’hui décédé, racontant son histoire de jeune Afro-Américain se frayant un chemin dans un monde difficile. « Je voulais que l’album soit un mélange de récits sur l’expérience afro-américaine, la mort, le deuil et la compréhension, explique-t-elle. » Jayda Guy confie à The Red Bulletin ce qu’elle a ressenti en écrivant un album autour de la mémoire de son père, et des raisons pour lesquelles la dance est le moyen idéal d’exprimer des émotions complexes...

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PHOTO NABIL ELDERKIN

the red bulletin : Guy est plus personnel que vos albums précédents… Était-ce une décision consciente ? jayda g : Jayda G est un personnage assez unidimensionnel : elle est heureuse, elle danse, elle joue de la musique joyeuse. Mais j’ai aussi une tout autre facette : ­Jayda Guy, qui est plutôt réfléchie, qui se donne beaucoup de mal dans la vie. Je voulais intégrer davantage de ces éléments dans ma musique. Comment en êtes-vous arrivée à utiliser des enregistrements de votre père ? Mon père est mort quand j’avais dix ans. Il savait depuis environ cinq ans qu’il était malade, et lorsqu’il n’en a plus eu pour longtemps, il a commencé à enregistrer des vidéos sur sa vie. Récemment, à peu près vingt ans après sa mort, j’ai réalisé que de nombreuses histoires racontées par mon père dans ces cassettes seraient une bonne source d’inspiration pour des chansons et des paroles. C’est ainsi que j’ai commencé à fouiller ses vidéos et à mieux comprendre qui il était et quel genre de vie il menait. Parlez-nous de lui. Mon père était un Noir de Kansas City, né dans les années 50. Il a grandi dans le ghetto. Il voulait s’en sortir. Il s’est donc engagé dans l’armée et a été stationné en Thaïlande dans le cadre de la guerre du Vietnam. Imaginez-le, cet Américain qui ne connaissait qu’un seul mode de vie, celui du Midwest, qui se retrouve d’un coup en Thaïlande, dans un univers qu’il ne connaît pas du tout… Plus tard, il s’est installé à Washington, est devenu DJ à la radio et s’est retrouvé malgré lui au cœur des émeutes raciales de 1968. Il a finalement trouvé une nouvelle vie au Canada avec ma mère… Pour moi, il est remarquable de voir combien il était aventureux et à quel point il aspirait à une vie

meilleure. Mes frères et sœurs et moi sommes le r­ ésultat de cette aspiration. Vous avez dit que Guy s’adressait à « tou·te·s celles et ceux qui veulent aller plus loin ». Qu’est-ce que cela signifie ? Cet album est dédié à toutes les personnes qui ont été opprimées et qui ont eu une vie difficile. Plus je vieillis, plus je réalise à quel point il est difficile de vouloir obtenir plus si l’on n’a pas de ­modèle dans sa propre communauté. Rares sont celles et ceux qui parviennent à imaginer une autre vie. Mon père était l’un d’entre eux·elles. Pourquoi pensez-vous que la musique est un bon véhicule pour des histoires comme celle-ci ? La dance, et plus particulièrement la house, sont nées de la lutte de la communauté noire aux États-Unis et de la communauté LGBTQ. Ce son, c’est un endroit safe, c’est le son de la liberté. Lorsqu’un genre musical possède cette essence, il a le pouvoir d’inciter les gens à l’écouter. J’essaie de trouver des moyens créatifs d’utiliser la dance pour faire passer des messages. Quels messages ? Il se passe toujours quelque chose dans la vie, en bien ou en mal, et c’est à toi de décider comment ces choses t’influencent. Si je me concentre sur la vie de mon père, j’espère que les gens verront qu’il a décidé de s’améliorer, de ­s’appliquer davantage et d’apprendre de ses erreurs. Ce sont les valeurs qu’il nous a transmises, à moi et à ma famille, que cet album reflète. Instagram : @jaydagmusic

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« La house music, c’est le son de la liberté. » Jayda G sur l’importance des messages véhiculés pour les personnes opprimées.

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H É RO S & H É RO Ï N ES

RACHID OURAMDANE

Un chorégraphe en apesanteur : dans son spectacle Corps Extrêmes, qui réunit acrobates et sportif·ve·s, il met en scène le vertige et la chute. La t­ ournée, à l’affiche jusqu’en 2024, fait un carton en France et à l’étranger. TEXTE PATRICIA OUDIT

Au fond de la scène, un imposant mur d’escalade est traversé en hauteur par une slackline, et le plateau se transforme par moments en un vaste écran sur lequel sont projetées des images vertigineuses du highliner Nathan Paulin et de la grimpeuse Nina Caprez. En off, les voix de ces deux athlètes d’exception, loin de leurs terrains de pratique habituels, ainsi que celle de la voltigeuse Airelle Caen, chacun·e livrant un témoignage puissant sur l’intimité de leur ressenti, évoquant tour à tour, plaisir, liberté, peurs. À l’origine du spectacle à l’affiche depuis 2021 et qui a indoorisé l’outdoor sans le trahir : ­Rachid ­Ouramdane, chorégraphe depuis trente ans et président-directeur de Chaillot-­ Théâtre National de la Danse depuis 2021, qui a souhaité se « focaliser sur la fascination qu’exercent les notions d’envol, d’état d’apesanteur, de suspension, de planer… » Intentions réussies. the red bulletin : Comment est née l’idée de cette création, unique en son genre ? rachid ouramdane : Plusieurs raisons se sont conjuguées. En travaillant avec le collectif XY, une horde d’acrobates ­incroyable, pour le spectacle Möbius, j’ai pu observer cette attention qu’ils et elles se portaient les un·e·s aux autres, cette qualité de toucher… À l’époque, je vivais au Sappey-en-Chartreuse (Isère, ndlr), tout près de Saint-Hilaire-duTouvet, gros spot de vol libre, et ayant grandi dans les Alpes, j’ai été bercé par ces récits de montagne. Je trouve cette philosophie qui accompagne ces pratiques bouleversantes, dans le dépassement de soi et la rencontre avec les éléments naturels.

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PHOTO BENJAMIN MENGELLE

Que vouliez-vous exprimer avec Corps Extrêmes ? Grâce à toutes ces rencontres avec les sportif·ve·s, j’ai eu envie de faire un spectacle autour de tout ce qui est une attention au vivant. À l’inverse de ce qu’on peut lire et dire sur l’inconscience des pratiquants de sports extrêmes, ­j’entendais des choses sublimes : quand Nina Caprez parle de la roche, elle est d’une intelligence et d’une sensibilité extrême à tout ce qui l’entoure. C’est ce qui fait que le corps peut réaliser des choses hors du commun avec la pleine conscience de ses limites. Pourquoi avoir choisi d’intégrer l’escalade et la highline dans le spectacle ? Je voulais des disciplines qui puissent se déployer dans un théâtre, sinon, je n’aurais pu recourir qu’au récit ou à la vidéo. Là, nous avons pu réaliser un vrai mur d’escalade indoor sur lequel nous avons projeté des images de falaises. Pour moi, c’était important que le public, même si on est loin des immensités qu’embrassent Nina et Nathan d’ordinaire, les voient évoluer dans un cadre spectaculaire. Pour ces athlètes, ce n’est pas un moment de défi sportif, plutôt un moment de challenge expressif. Ils arrivent à nous faire partager cette passion par le corps mais aussi via les témoignages : quand Nathan Paulin parle de ses hallucinations ou comment sa peur devient une complice, c’est très puissant. Comment avez-vous travaillé avec ces sportif·ve·s qui n’étaient pas, à tous points de vue, dans leur élément naturel ? Ce n’est pas la première fois que je monte des projets avec des gens hors de leur domaine. Par exemple, juste après les émeutes de 2005, j’avais créé Surface de réparation, des portraits d’ados à travers

le sport, qui est un peu un pied de biche pour aller chercher l’intime. En ce qui concerne Corps Extrêmes, je sentais chez Nina et Nathan l’envie de partager leur passion autrement, d’aller sur le terrain de ressenti. Ce qui a facilité ces portraits par le mouvement, c’est la connaissance aiguë de leur corps, qu’ils et elles ont en commun avec les acrobates. Grâce à leur savoir-faire corporel, mis au service de leur sport, ils et elles ont découvert avec le spectacle leur ­potentiel chorégraphique. Pratiquez-vous des sports extrêmes ? J’ai eu la chance de grandir à Annecy, entouré de parapentistes et de skieur·euse·s. Ma pratique n’est pas du tout extrême, mais j’ai fait beaucoup de sports de glisse, mais aussi des sports collectifs et individuels comme les arts martiaux. J’ai passé une partie de mon été à surfer. J’ai un goût affirmé pour l’effort, la fluidité et une complicité de longue date avec le sport. Cet héritage m’a aussi formé à l’art, m’a appris, entre autres à me placer et me déplacer dans l’espace, à chuter et à faire confiance à mon corps. D’ailleurs, on voit que ce côté athlétique est de plus en plus présent dans la manière de danser, notamment via les danses urbaines. En quoi ce genre ce spectacle peut-il ­inspirer chacun·e à se dépasser ? Je suis convaincu qu’on est toutes et tous plus grand·e·s qu’on ne le pense. Si on s’autorisait plus de choses, si on osait se dépasser… C’est aussi ce que raconte ce spectacle : casser les barrières, se libérer, se révéler.

Instagram : @theatrechaillot

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« On est toutes et tous plus grand·e·s qu’on ne le pense. » Rachid Ouramdane a sublimé l’escalade et la slackine dans une création sans équivalent.

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LA VOIE DE LILOU

Poussée par l’envie (de se dépasser et de se/nous faire plaisir), LILOU RUEL, 20 ans, a évolué, et s’est ­imposée au sommet du parkour et du freerunning mondiaux. Des débuts dans son jardin à sa faim d’encore plus, ou de cinéma, elle se raconte aussi facilement qu’elle bouge ou affronte les difficultés. Texte PH CAMY

Photos LITTLE SHAO


Du freerunning sur les toits de Paris. Lilou Ruel photographiée en juillet dernier par Little Shao.

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Lilou

« Le freerun est l’une des rares ­disciplines qui ne demande aucun équipement, comme le breaking. On peut pratiquer partout : dans la neige, le sable, sous la pluie, dans l’herbe, sur du béton, dedans, dehors, bien habillée ou non… C’est la liberté totale. » Curieux de savoir qui est la jeune femme à casquette Red Bull qui s’installe à sa table, le patron du restaurant italien où nous la retrouvons questionne Lilou Ruel sur sa discipline. « Le freerun ? » Lilou explique : « Du déplacement urbain, avec des acrobaties… Vous voyez le film Yamakasi ? » Vu ! Pour beaucoup, freerun et parkour sont similaires, et donc tous deux associés au fameux film de 2001 de Julien Seri et Ariel Zeitoun, impliquant l’inventeur même du parkour, le Français David Belle. Un film référence. Pour ­Lilou aussi : « Mais je l’ai vu après m’être mise au freerun, peut-être deux ans après mes débuts, je l’ai adoré. » Si ces moves sont extraordinaires, l’histoire de Lilou Ruel n’a, au départ, rien de particulier. Née le 9 mai 2003 à Mont-Saint-­Aignan en Normandie, elle a vécu deux ans en Turquie entre ses 3 et 4 ans. Son père est ingénieur en énergies renouvelables et sa mère gère un espace de coworking. Son frère de 22 ans, Tom, fait des marathons et de grosses courses à vélo, il bosse lui aussi dans les énergies renouvelables et le solaire. Lui et son père sont fans de F1, tout comme elle. La famille habite une petite ville dans la banlieue de Toulouse, Plaisance-duTouch, environ 20 000 âmes. « C’est trop bien, la maison, le jardin, le trampoline, la piscine. » Le set-up de rêve de Lilou.

Une simple vidéo

Un playground de ses débuts dans le freerun, et encore aujourd’hui de ses trainings « maison ». « J’ai commencé dans mon jardin. C’est mon voisin, N ­ icolas, 28

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C’est avec un sacré cœur que Lilou a évolué, depuis le jardin ­familial jusqu’au top de sa discipline.


Lilou retourne Paris : c’est le concept à perdre la tête des photos qui ­illustrent notre article.


Lilou

qui m’a initiée au parkour, j’avais commencé le trampoline à 7 ans, d’abord des saltos avant, sur le côté. » Et puis Nicolas lui explique le salto arrière. « C’était un jeudi après-midi, je m’en souviens précisément. J’y suis arrivée, et là, je me suis dit : “Je suis douée !” ». Un samedi, Lilou accompagne Nicolas dans une salle, un gymnase, où est enseigné le parkour. Elle teste, et c’est le coup de foudre. « J’ai 9 ans et demi, je suis la seule fille au milieu de tous ces garçons plus âgés, mais je me sens bien, je me sens chez moi. » Lilou s’entraîne désormais une fois par semaine dans cette salle, puis deux. À 11 ans, elle montre déjà un bon niveau, elle a bien évolué. Nicolas lui propose de faire une vidéo, exercice qu’il maîtrise. « Je fais des lines, des enchaînements de mouvements filmés et Nicolas met la vidéo sur YouTube, et là… c’est le buzz ! » Parmi les viewers qui commentent sa vidéo et la félicitent, Lilou voit ses propres modèles de ­free­runners, celles et ceux qui l’inspirent au quotidien. « Je vois l’Anglaise Katie M ­ cDonnell, les Américains Luci Romberg et Damien Walters qui est une i­ nspiration pour beaucoup de “traceurs”. On me dit que je suis la relève, c’est fou. » En France, Simon Nogueira est la référence pour Lilou, parce qu’il « a crée son monde, et c’est magnifique ». Il rejoindra Lilou plus tard dans ce récit.

Pas un drame

La fameuse vidéo est repostée sur un compte Instagram et Lilou est assaillie de demandes d’abonnement à son propre compte. « D’un coup, j’avais des dizaines de notifications de demandes d’abonnement, j’ai cru que l’on m’avait hackée, et j’ai passé mon compte en privé (rires) ! » C’est en fait une bonne partie de la communauté du parkour qui souhaite désormais suivre Lilou. « Je dépasse rapidement les mille abonné·e·s, je suis une star (rires). » Ce n’est pourtant pas dans l’univers du parkour ou du freerun que Lilou se voit briller alors. « J’avais de la reconnaissance dans le parkour, mais ça n’était pas ma motivation. À l’époque, mon rêve était d’être vétérinaire. Peu de gens vivaient du parkour à cette époque, surtout les filles, ça n’est même pas une éventualité pour moi, j’avais juste une passion et ça se passait très bien. » Cet engouement soudain sur ses moves décide pourtant Lilou à se dédier plus au parkour. « Je décide de m’entraîner plus, et je suis soutenu par Yassine, le coach du club de parkour. Il me prête une structure, que j’installe dans mon jardin, une espèce d’échafaudage avec des plateformes et des barres. Je m’entraîne pendant deux ans avec cette structure et mon trampoline. » Quelques minutes par semaine ou des heures d’affilé, et Lilou atteint un très bon niveau, participe à des compétitions locales, « juste pour le kiff ».

En 2017, le photographe Julien Blanc fait une vidéo de Lilou et décide de l’envoyer pour tenter de qualifier Lilou à une compétition en Suède, l’Air Wipp. Les qualifications à des compétitions de parkour ou freerunning passent souvent par la soumission d’une vidéo montrant les performances de l’athlète. « Ce serait fou que tu sois prise ! », lui dit Julien… et elle se qualifie ! C’est la deuxième plus grosse compétition de parkour au monde, Lilou a 15 ans. « Je pars avec mon père, c’est un truc de fou, j’y vois les plus grandes stars du parkour en vrai, je ne parle pas anglais… On me reconnaît, on connaît mon prénom, on vient me voir ! Mon père est très fier, il y a peu de filles engagées. Je termine troisième. » De retour dans son jardin, entourée de sa structure et de son trampoline, Lilou cogite : « Je me dis qu’il y a quelque chose à faire dans le parkour : je veux m’entraîner tous les jours, je veux voyager, apprendre l’anglais. » Cela tombe bien, la famille part pour la Californie en vacances. Lilou en profite pour visiter la Tempest Freerunning Academy, après avoir contacté des traceurs locaux. Elle y rencontre de grandes figures du parkour, « des gens bienveillants. Et puis je rentre, je vis ma vie, je poste pas mal de lignes sur Instagram ». Et cela paie. En 2018, ­Lilou est invitée en Suède à nouveau, sans avoir besoin de se qualifier cette fois. « Je m’y rends avec mon père et mon coach, Yassine. Mais en m’entraînant, je me blesse, je tente quand même de participer, mais j’abandonne. Je suis au repos

« J’ai 9 ans et demi, je suis la seule fille, mais je me sens bien, chez moi. » THE RED BULLETIN

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« J’aime ce moment où l’on entend “Action !”, c’est magique. »

Le monde à l’envers, c’est le quotidien de Lilou Ruel, jeune athlète de 20 ans.


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Manpower d’Évry LE SAUT D’UNE VIE En mai 2022, Lilou Ruel s’est lancée entre deux ­bâtiments, à Evry, en banlieue parisienne. Elle fut ainsi la première femme à tenter et réussir le Manpower, un saut mythique inauguré par David Belle au début des années 2000. « Il y a 16 mètres de haut depuis le saut de départ, et 4,5 m entre le saut et la réception. Tu tombes, tu meurs… » Nous voilà fixés sur l’importance du Manpower dans l’histoire de Lilou Ruel. Un saut déjà réalisé de nombreuses fois en saut classique, salto et salto de côté par de nombreux teams masculins de parkour. Mais jamais une femme n’avait osé le tenter. « Pour un homme, c’est un saut plutôt mental, pour une fille, c’est du mental et de la performance, explique Lilou, avant de revenir sur l’origine de sa tentative. En mais 2021, je suis en ­terrasse après un photoshooting avec Johan ­Tonnoir, un pro du parkour, et il me dit : “Tu sais ­qu’aucune fille n’a fait le Manpower ?” J’y réfléchis, et quelques jours après, je me dis : “Pourquoi pas !” Je me renseigne : saut, danger, matière du sol à la réception, distances… Et je me mets à s ­ imuler le saut à Urban Corp. Je travaille ma ­détente et en o ­ ctobre 2021, je vais voir le saut, avec l’équipe de l’émission R ­ iding Zone. » Lilou poursuit, on sent qu’elle commence à se ­resituer dans cet environnement du Manpower, visiblement mystique. « Je me mets debout sur le muret sur la zone de départ, il doit faire 10 cm de largeur. Tu sens quand tu es ­capable de faire un saut… 34

Je l’ai senti, mais je me suis dit : “Laisse-toi quelques mois.” » Lilou s’entraîne alors avec son coach mental et son coach physique, Thomas Lacarriere. Elle travaille la détente, l’impact, les genoux, les chevilles, le fitness. Janvier 2022, petit doute… « Je vais risquer ma vie pour un saut ? Mais je repars de plus belle, mental, physique, à la salle. Je saute du toit de la maison, ma mère se demande ce qu’il se passe. (rires) » Fin avril 2022, Lilou est OK, et un retour au Manpower s’organise avec Riding Zone, et le réalisateur ­Antoine Zago-­Honnorat. Hugo Perrier, un traceur étudiant est aussi dans l’équipe. « Le 3 mai, c’est bon ! Je vais marquer l’histoire de mon sport, mais ça, en fait, je m’en rends compte plus tard, se remémore ­Lilou. Le matin, j’ai visualisé le saut pendant une heure, dans mon lit, et là, j’y suis, sur ce petit muret. Je monte six fois dessus, et je redescends. Septième fois, je ­déconnecte, je me lance. L’adrénaline me fait sauter plus loin, la réception est parfaite. » Lorsqu’elle nous raconte ce move mémorable, ce saut que les non-pratiquant· e·s jugeront forcément insensé, on la sent comme transportée sur le lieu de l’action, au moment de ce saut si symbolique. L’émotion est palpable alors que Lilou raconte son plus gros exploit à date. « Un an de préparation, un an de rêve, un an de peur, tout cela mélangé. Les gens autour de moi hurlent, je n’ai jamais eu une telle sensation. C’est l’exploit dont je suis la plus fière. » Le Manpower est à ­jamais associé à la première femme qui aura osé l’affronter : ­Lilou Ruel.

pendant cinq mois, mais tout va bien, au lycée, avec mes potes. Je vais bien malgré tout, car j’ai d’autres choses dans ma vie, même si je suis dégoûtée côté parkour ! » De retour au club pour s’entraîner après sa convalescence, les relations avec Yassine se compliquent. Leurs routes se séparent. « Je me rends dans un autre spot, une salle de “Parkour Ninja”, ­l’Urban Corp, à Toulouse. Je vais voir, ça vient d’ouvrir. Je découvre une salle plutôt cool, un bac à mousse, je me jette, je m’amuse comme une folle… Mais je me fais une énorme entorse à la cheville, elle fait trois fois sa taille habituelle. Me revoilà encore cinq, six mois sans entraînement. » Là encore, Lilou peut compter sur l’école, ses copains. Ça n’est pas un drame. Elle se met à la musculation. Avril 2019, c’est la reprise, Lilou a 16 ans, et un objectif : le Red Bull Art of Motion. La compétition la plus attendue de l’année, habituellement organisée à Santorin, une île des Cyclades, mais qui se tient à Matera, sud de l’Italie, cette année-­là. « Gagner cette compétition, j’en rêve », se souvient-elle. THE RED BULLETIN


Lilou

Avouez-le… il vous a fallu quelques secondes pour comprendre cette photo.

« La notion de style m’est venue progressivement, comme le côté artistique. J’ai toujours aimé la photo, la vidéo. Dans le parkour, on peut mixer ce que l’on veut, on peut être créatif, ça n’est pas juste de la performance. » Sur le tournage pour Mini, Lilou a pris conscience qu’elle adore être devant une caméra. « J’aime ce moment où l’on entend “Action !”. C’est trop bien, c’est magique. Être au centre de l’attention, donner ce que tu peux pour le projet, j’adore ça. Tu as une mission et les gens attendent beaucoup de toi. Dans ces moments-là, je me dis que je suis là où je dois être. » Pour un long moment, confinement oblige, là où doit être Lilou, c’est chez ses parents. Là encore, elle prend les choses avec la plus grande positivité qui soit. « Il fait beau, j’ai ma structure dans le jardin, le trampoline, la piscine, mon voisin… Je fais de la musculation et de la méditation chaque matin. Je suis au paradis ! » Elle met à profit cette période de confinement pour s’ouvrir à la méditation. « C’est un gros tournant pour moi, je m’ouvre aux signes de l’univers. Je lis beaucoup de livres sur ce sujet, sur le développement personnel. J’ai vu des effets positifs dans cette période de covid/confinement. »

Attirer les choses Méditation

Le 5 octobre, c’est le départ… « Je perds ma valise en route, et durant les entraînements, mon talon me refait mal… Je termine avant-dernière. C’est un peu dur… mais ce n’est pas grave ! » Face à ses diverses déconvenues durant le début de sa carrière, Lilou montre une attitude positive : les choses sont ainsi, elle sera de retour aux affaires un peu plus tard, en attendant, la vie est belle et continue. Lilou est une athlète sincèrement passionnée et dévouée à 100 % à sa discipline, mais elle sait s’appuyer sur des bases de vie solide, amis, famille, en cas de souci.

De retour d’Italie, Lilou reprend, dans son jardin et chez Urban Corp.. « Et un peu en ville, quand mes parents peuvent m’amener. D’octobre 2019 à février 2020, je m’entraîne. J’ai plus de followers, plus de notoriété. Je suis bien. » La même année, Lilou a l’opportunité de s’exprimer dans un spot publicitaire pour Mini Cooper, tourné à Lille. « Il y a une styliste, du maquillage, je suis une vraie star », plaisante Lilou. Elle a également figuré dans un clip musical en 2018, pour l’artiste De La Romance, Tempête, réalisé par Louis Vignat. L’expérience lilloise lui donne ­l’envie de performer avec plus de style.

« Le parkour, ça n’est pas que de la performance, on peut être créatif. » THE RED BULLETIN

Dans le jardin familial, Lilou a installé son propre set-up de palettes, intégrant des barres. Nicolas dispose du même genre de structure dans son jardin. Ils s’entraînent chez l’un ou l’autre. Le fameux voisin aura été le déclencheur et l’inspiration première pour Lilou dans le parkour et freerunning. « Il est très talentueux, il a son propre style d’enchaînement de lignes. Cela m’a beaucoup inspiré : avoir son propre style, unique. C’est pour cela que je suis connue : mon style. Il est unique pour une fille. Je suis dans un mix de freerunning et de tricking (acrobaties au sol, ndlr). » En avril 2021, Lilou participe au Red Bull Al-Andalus, en Espagne, une compétition mixte (freerun et parkour) en Andalousie. « Je gagne, c’est le rêve absolu. » C’était pourtant mal barré… « En fait, j’ai subi une opération deux semaines avant, et je n’ai pas pu m’entraîner pour cette compétition. Je me suis alors concentrée sur la méditation et la visualisation. » C’est-à-dire ? « Je me visualisais faisant du parkour, de la muscu, levant le trophée et l’embrassant. Tu visualises tout ce que tu veux voir 35


Lilou

s’accomplir, et au bout d’un moment, ton cerveau ne fait pas la différence. Le visualiser, c’est le vivre. » Lilou raconte ne s’être jamais aussi bien sentie que durant cette compétition pour laquelle elle n’a pas pu s’entraîner. Et elle embrasse littéralement le trophée, comme elle l’avait ­visualisé… L’approche mentale de Lilou a débuté en février 2021 quand elle est contactée par un coach et préparateur mental, Alexandre Lacaze. « Il cherchait des athlètes à aider, pour se faire connaître. On s’est calé une visio toutes les deux ou trois semaines, et puis on est resté·e·s en contact entre chaque séance. Il t’apporte des outils selon tes avancées, des conseils de nutrition aussi. Il m’a suivi pendant un an et demi, tant sur la visualisation que la méditation. Cela te permet de te concentrer sur le positif, et de retourner le négatif. Cela t’enseigne que si tu veux des choses dans la vie, tu peux les attirer. »

Nulle à ch*er !

Peu après le Red Bull Al-Andalus, Lilou, qui est en terminale Eco/Social, obtient son Bac (15,86 !) et décide de s’octroyer une année de césure. Mais elle doit d’abord participer au Red Bull Art of Motion, organisé cette fois sur deux bateaux, à Piraeus en Grèce, le 10 juillet. « J’obtiens le meilleur trick, et je termine deuxième. Je suis très contente, fière de moi. » Lilou enchaîne ensuite sur la Coupe du monde de freerunning et ­parkour en Bulgarie, à Sofia, en

­septembre 2021. « Le niveau des femmes est très très haut, se remémore-t-elle. Je termine première en freerunning et deuxième en parkour. Je suis “la reine du monde”, c’est magique ! » Vous vous demandez encore peutêtre à ce stade quelle est la différence entre le parkour et le freerunning ? Lilou vous explique – dans le cadre de la compétition : « Le parkour doit se voir comme du speed run, on évolue le plus rapidement possible sur une structure créée pour la compétition. En freerun, on évolue sur un lieu ou une structure adaptée, artificielle, pour un run de 20-30 secondes, jusqu’à 1 minute, avec des figures évolutives. Cinq critères sont pris en compte : style, difficulté, fluidité, créativité, exécution. » Comprendre donc que parkour égal évolution la plus rapide possible dans un environnement particulier, et que freerunning égal successions de moves créatifs avec du pur flow. En plus du Bac, du Red Bull Art of Motion et de la Coupe du monde, Lilou participe également en 2021 à un nouveau clip, La Conquête, pour l’artiste Luciole, réalisé par Jim Rosemberg et Anh Wisle. Et entame donc une année de césure en septembre. Mais s’y retrouve moyennement. « Fin septembre, tou·te·s mes potes ont commencé leurs études, je suis en grosse déprime : qu’est-ce que je vais faire ?! Si j’ai le ­parkour en tête et

veut m’y lancer de plus en plus, il me faut une transition… Je m’inscris en fac, septembre, octobre… mais les sollicitations arrivent en masse. Finalement, c’est décidé, je peux vivre du parkour, fuck les études ! (rires) Je vais vivre de ma passion, on verra ! » Attractivité de la caméra, et des possibilités que pourraient lui offrir le cinéma, Lilou intègre une formation de cascadeuse au Campus Univers Cascade, au Cateau-Cambrésis, dans le 59, à côté de Cambrai. L’une des plus grosses écoles au monde. « Une école de tarés ! (rires) Ça se passe sur dix sessions de deux semaines, pendant les vacances scolaires. Il y a tous les styles d’élèves : acteur·rice·s, mannequins, étudiant·e·s, chômeur· euse·s… Je n’ai jamais été aussi bien entourée. J’ai fait cinq sessions déjà, et j’y ai fait venir mon préparateur mental, qui est venu parler aux élèves. Dans cet univers, c’est du mental à 70 %. La cascade m’apporte tellement de choses pour ma pratique du pakour. Peut-être que la cascade pourrait être un plan B… » Intégrer une telle structure n’a pourtant pas été une partie de plaisir pour Lilou, qui a dû se challenger. « Combats, fights, chutes… Je suis arrivée dans cet univers sans aucune f­ acilité, complètement nulle, au niveau -10. J’ai dû apprendre en partant de rien. Je me suis sentie nulle à chier ! Et j’en chie encore. (rires) Ça fait du bien à l’ego. C’est dommage de rester dans sa zone de confiance, il faut développer son vrai potentiel. Et ­rester humble. Si tu penses tout savoir, tu ne resteras pas o ­ uvert. »

« Combats, fights, chutes… J’arrive dans la cascade sans facilité. » 36

THE RED BULLETIN


Bluffant : pour Lilou Ruel, Paris est un terrain d’expression et de créativité sans limites.


Lilou

Tout son amour

Au calme : pause énergisante pour Lilou, les toits en zinc de Paris et son futur à l’horizon. Pour sûr, il sera riche de projets, de découvertes et de performances.

Dans l’acting, Lilou, la Championne du monde de freerunning 2021, peut être quelqu’un d’autre, et voit un nouveau centre d’intérêt et d’inspiration. « Peindre, dessiner, s’intéresser à tout, sans aucune barrière, tout peut s’entrechoquer, pour créer du jamais-vu. Pourquoi se limiter à une discipline ? C’est l’exemple de mon tournage à la chapelle Saint-Joseph de La Grave à Toulouse, un film réalisé par Antoine Zago (intitulé Le Dôme De La Grave, et disponible sur YouTube, ndlr). Ce projet est un mix de culture, de mouvement, de proposition cinématographique et de sport. » 38

« Je m’entraîne avec amour, sans me forcer. »

C’est avec un autre faiseur d’images que Lilou Ruel s’est associée pour la cover story de ce numéro, Little Shao, photographe référence dans la scène breaking, et attiré par le mouvement. « On s’apporte énormément avec Shao, venant du breaking, il sait quels mouvements peuvent marcher. » Les deux talents se sont retrouvés à Paris pour produire les photos exclusives de cet article. Paris, une évidence pour Lilou. « C’est une ville importante pour moi. Le parkour est né à Paris, avec David Belle et les Yamakasis. La pratique a énormément évolué depuis eux, mais Paris reste la ville où tout est possible, tout est beau. Dès que je viens à Paris, je sais que je vais vivre quelque chose de fou, d’incroyable. J’habiterai ici un jour, j’ai de grandes choses à y faire. » Quel meilleur guide que Simon ­Nogueira, évoqué plus haut, pour évoluer à Paris. « Il nous a aidés pour ce shooting avec Little Shao, Simon est le guide incontesté des toits de Paris. Je l’ai toujours suivi, il a toujours été une inspiration pour moi, il est chouette ! » Lilou, c’est un mix de naturel et de détermination. Avec elle, les choses semblent aller de soi. « Je m’entraîne avec amour, sans me forcer, sinon ce n’est pas productif, je ne force pas les choses… J’y mets du plaisir, et tout mon amour. » Et même si elle est consciente de l’impact des followers sur sa discipline et le succès de ses performances, Il faut selon elle, « d’abord penser à soi, même s’il faut trouver un juste milieu entre tes goûts et ce qui plaît aux gens qui te suivent ». Son rapport aux réseaux sociaux est plutôt sain. « Je lis tous les commentaires de mes followers sur Instagram, et j’y trouve très peu de haters, c’est très rare… C’est un bonheur de lire les commentaires, et je réponds dès que possible. Si je vois quelque chose de négatif, je me dis que la personne qui écrit cela est un peu comme un enfant. » La suite, pour cette jeune athlète, c’est quoi ? Avec quel nouveau projet Lilou Ruel va-t-elle ravir ses fans ces prochains mois et années ? « Peut-être moins de compétition et plus d’esthétique, nous dit-elle. Aller vers mon côté artistique, vers la mode, travailler avec des marques de luxe, des musées, faire vivre mon sport d’une autre manière. Je ne me ferme à rien. Je veux créer du jamais vu. C’est f­ abuleux et flippant à la fois. Mais il ne faut pas avoir peur de l’inconnu. » Instagram : @lilouruel THE RED BULLETIN



PADEL MANIA

Le PADEL a le vent en poupe. Un petit frère du tennis ? Pas tout à fait ! David Beckham et Jürgen Klopp comptent parmi les précurseurs de ce curieux sport en cage. Les deux plus grands joueurs au monde vont vous donner dix bonnes raisons de vous y mettre !

GIANFRANCO TRIPODO/RED BULL CONTENT POOL

TEXTE CHRISTIAN EBERLE-ABASOLO


NUMÉRO UN Juan Lebrón, 28 ans, numéro un mondial entre 2019 et 2022. Le padel a déjà fait plus de 25 millions d’adeptes dans le monde.

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LES PARTENAIRES Le padel se joue en double. Alejandro Galán (à droite) et ­Lebrón sont coéquipiers depuis 2020.

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LA RAQUETTE TECHNICAL VIPER JUAN LEBRÓN Plus petite, plus maniable, mais plus lourde qu’une raquette de tennis. Largeur : 260 mm LES TROUS Ils vont permettre de donner plus ou moins de flexibilité à la tête de raquette au moment de la frappe et de réduire la ­résistance de l’air (un peu comme l’espacement des cordes sur une raquette de tennis). Longueur max. : 455 mm

Ne rougissez pas si le mot « padel » est pour vous synonyme de kayak ou de rafting. Après tout, ce sport que l’on décrit souvent comme un mélange entre tennis et squash n’est pas encore très répandu chez nous, et il faut bien avouer qu’on aurait pu le baptiser autrement (le terme vient en fait du nom de la raquette). Cela dit, l’époque où l’on confondait padel, ou padel-tennis et paddle le sport aquatique sera bientôt révolue. Déjà sport national en Espagne et en Argentine, ce sont maintenant la plupart des pays européens qui adoptent ces raquettes atypiques avec des trous dans le tamis. Le padel est le sport de raquette qui se développe le plus au monde. Mais d’où vient cette évolution ? Qu’estce qui rend ce sport si spécial ? Juan Lebrón, 28 ans, et Alejandro Galán, 27 ans, nous ont aidés à trouver 10 bonnes raisons. ­Numéros un mondial de 2020 à 2022, les deux Espagnols, tombés dedans quand ils étaient petits, sont les mieux placés pour nous expliquer cette fascination planétaire pour le padel… et pourquoi ce sport peut vous ­aider dans vos relations.

LA TÊTE DE RAQUETTE

Épaisseur : 38 mm

Composée en surface soit en fibre de verre, soit en carbone. Dans le noyau de la raquette, on retrouve une mousse de différentes densités dont la fonction est de réguler la flexibilité des fibres pour lui donner plus ou moins de puissance ou de contrôle.

DRAGONNE DE SÉCURITÉ Empêche les raquettes de s’envoler et de blesser quelqu’un sur le court étroit.


Padel La porte Permet au joueur de rattraper une balle longue sortie à l’extérieur du terrain.

1m 3m

10 m 20 m LE TERRAIN DE PADEL Pour schématiser, c’est un petit terrain de tennis délimité par des vitres et des grilles.

SASCHA BIERL JAIME DE DIEGO/RED BULL CONTENT POOL, GETTY IMAGES

Vous vous êtes toujours demandé à quoi servaient tous ces calculs d’angles à l’école ? Le terrain de padel vous ­apporte enfin une réponse. Le terrain de jeu étant délimité par des vitres, une frappe trop puissante n’est pas forcément perdue comme au tennis mais rebondit partout sur le terrain. Le but est de la renvoyer du côté adverse (en touchant d’abord le sol et le mur). Angle, rotation et force de frappe déterminent la manière dont la balle rebondit sur le mur. Prendre la balle à la volée est une option parmi tant d’autres, car quiconque pense avoir d­échiffré le code du padel grâce à ses connaissances en géométrie et en ­billard après seulement quelques échanges va vite déchanter. La grille (située près du filet) fait rebondir la balle de manière imprévisible. De quoi faire s’arracher les cheveux même aux vrais matheux.

THE RED BULLETIN

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1 D E L’ I N T É R Ê T D ’AV O I R FAIT DE LA GÉOMÉTRIE À L’ É C O L E

SUR LES TRACES D E S A R I S T O C R AT E S

LE PIONNIER Le jet-setter Alfonso de Hohenlohe-Langenburg († 2003) fait construire les premiers terrains de padel en Espagne en 1974.

Le padel ne nous vient pas de Suisse mais du Mexique (selon la légende) : disposant d’un terrain limité derrière sa maison, Enrique Corcuera fait construire une petite aire de jeu avec un filet bas entouré de parois pour s’amuser avec ses invité·e·s. Parmi les hôtes, son associé Alfonso de Hohenlohe-­ Langenburg. Oui, le père de Hubertus de Hohenlohe, célèbre jet-setter et skieur auréolé de 26 participations aux championnats du monde et aux JO pour le Mexique. Rapidement conquis, Alfonso fait construire deux installations dans son club de Marbella, lieu incontournable dans les années 1970. Depuis la Costa del Sol, ce nouveau sport se répand comme une traînée de poudre chez les millionnaires argentins et les célébrités espagnoles pour conquérir le monde hispanophone puis le reste du monde. « Difficile d’en revendiquer la paternité, explique le champion Alejandro Galán, l’un des près de 3,5 millions de joueurs de padel espagnols. Venu d’Argentine, inventé au Mexique, ce sport conquis toujours plus de pays, je trouve ça ­vraiment génial. » 43


4 3 IL NE SUFFIT PAS D’ÊTRE G R A N D E T C O S TA U D

ON EN APPREND PAS MAL SUR LA VIE À DEUX

Aces, coups droits, smashs, services gagnants… au tennis, plus un adversaire est grand et fort, plus il est difficile à battre. Au padel, la supériorité physique est relativisée par un service en dessous de la taille, une balle plus molle et des parois en verre. Comme les coups durs rebondissent contre le mur (voir point 1), il n’y a que trois options pour « tuer » un point, comme disent les pros. ­Premièrement : frapper la balle dans un angle pour la faire passer au-dessus du mur après avoir touché le sol (un « Smash ×4 » pour les initié·e·s). Deuxièmement : smasher assez fort pour que la balle passe au-dessus du mur de la zone adverse et revienne dans son camp. Troisièmement : jouer avec finesse. « Mesurer deux mètres ne va pas te servir à grand-chose si tu joues mal, explique Alejandro Galán. Il faut faire preuve de lucidité, de technique et de précision, surtout en défense. » Voilà pourquoi les échanges au padel durent en moyenne 60 % plus longtemps qu’au tennis. Les pros sont même capables de récupérer un « Smash ×3 » (frappe puissante qui sort sur le côté gauche ou droit du terrain) en passant par la porte et de renvoyer la balle sur le terrain.

Le padel se joue majoritairement en double. Chaque joueur ou joueuse doit donc trouver un ou une partenaire, entretenir de bonnes relations avec ­celui-ci ou celle-ci et supporter des séparations parfois difficiles. « Je trouve ça bien, explique Alejandro Galán, qui a connu quatre partenaires de jeu avant Juan Lebrón et a du jouer quelques temps en solo quand ce dernier s’est blessé en mai. Dans notre sport, c’est normal de changer de partenaire. L’important, c’est de rechercher celui qui va vous faire donner le meilleur de vous-même. Et si ça ne matche pas, il faut changer quelque chose. » On finit toujours par trouver chaussure à son pied, ce que résume parfaitement Lebrón : « Ale et moi, on se complète parfaitement, ce qui nous permet d’élever notre niveau tout en étant complètement synchrones sur le plan humain. Notre partenariat, c’est à la fois un projet pour le présent et l’avenir. » Des mots dignes d’une cérémonie de mariage.

« Ale et moi, on se complète parfaitement, ce qui nous ­permet d’élever notre ­niveau tout en étant synchrones sur le plan humain. Notre partenariat, c’est à la fois un projet pour le présent et l’avenir. » JUAN LEBRÓN

ZLATAN Le nouveau hobby de l’ex-footballeur ? Construire des terrains de padel.

« L’intérêt c’est de jouer ensemble, d’échanger pendant et après une partie. Pour nous, l’aspect tactique l’emporte sur l’aspect physique. » ALEJANDRO GALÁN 44

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Padel

5 DAV ID B ECKH A M Y JOU E . ­Z L ATA N E T NE Y M A R AUS SI . E T. . .

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JÜRGEN KLOPP Toujours se réinventer ! L’entraîneur de Liverpool a commencé sa carrière de ­padel à 47 ans.

UN ESPRIT DE GROUPE PRESQUE MAGIQUE

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La liste des personnalités qui se sont ­entichées du padel est un véritable who’s who du football : Neymar, meilleur ­buteur brésilien de tous les temps, a fait construire deux terrains sur sa propriété de Rio. David Beckham s’est fait filmer par la presse en train de jouer avec d’anciennes gloires du foot en marge du mondial 2022 au Qatar. Zlatan Ibrahimović a déjà fait construire plusieurs centres de padel en Suède, imité en Allemagne par Hansi Flick, sélectionneur de l’équipe nationale. Quant à Jürgen Klopp, entraîneur de Liverpool et l’un des plus fervents défenseurs du padel depuis plusieurs années (« le meilleur sport au monde selon moi après le football »), il possède non seulement un centre de padel à Berlin, mais a également lancé sa propre ligne de raquettes. Pourquoi le padel fascine tant ces anciens footballeurs ? La réponse avec Marc Janko, ancien international autrichien avec 70 sélections devenu aujourd’hui l’un des meilleurs joueurs de padel d’Autriche : « Le padel est une manière de se mesurer physiquement aux autres sans trop malmener son corps pour autant. » Le terrain n’est pas grand et les contacts physiques presque inexistants. Les mouvements sont moins brutaux qu’au squash et les articulations « déjà bien assez malmenées au cours d’une carrière » selon Janko, sont moins sollicitées qu’au tennis.

DES SURNOMS QUI DÉCOIFFENT

IMAGO, GETTY IMAGES

Lionel Messi est surnommé « La Pulga » (la puce) en raison de sa petite taille, Max Verstappen « Mad Max » à cause de sa conduite « sportive » sur les pistes (est-ce vraiment un compliment ?) et le champion toutes catégories du padel, Juan Lebrón, est plus connu sous le sobriquet d’« El Lobo », parce qu’il tend tellement son cou quand il fait des reprises qu’il fait penser à un loup en train de hurler. Aouhhhhhh ! THE RED BULLETIN

« On s’amuse ensemble, pour moi c’est ça le padel, explique Juan Lebrón quand on lui demande ce qui le fascine tellement dans ce sport. Depuis tout gosse, j’adore cet aspect du sport qui permet de faire nouvelles rencontres. Dans le bus en route vers Madrid, lors des tournois ou même après les matches, on rencontre toujours plein de gens qui partagent les mêmes intérêts. Et ça s’est encore plus démocratisé aujourd’hui avec les applis. On organise une partie avec trois joueur·euse·s inconnu·e·s, on se rencontre sur le terrain et on devient potes avec ses coéquipier· ère·s et même ses adversaires. » « Le padel est un sport collectif, renchérit Alejandro Galán, ce qui explique que les matches en simple soient si rares. Quand tu joues seul, le sport perd de sa magie. L’intérêt c’est de jouer ensemble, d’échanger pendant et après le match. L’aspect tactique l’emporte sur l’aspect physique. » 45


8 BIENTÔT UN TERRAIN PRÈS DE CHEZ TOI Si beaucoup de clubs de foot et autres associations de tennis se plaignent d’une baisse de leurs effectifs, les terrains de padel, eux, connaissent une croissance endémique dans plusieurs pays. Les seize modestes terrains recensés en ­Autriche en 2019, sont passés à 100 en 2021 pour atteindre 220 un an plus tard. Pour prendre le pouls de cette évolution, il suffit de regarder la Scandinavie. En Finlande, le nombre de terrains a été multiplié par huit entre 2019 et 2022 (788 actuellement). En Suède, le chiffre s’est multiplié par douze en l’espace de trois ans (3 500 terrains). La probabilité de trouver un terrain près de chez soi augmente presque quotidiennement. La France, elle, est passé de 995 terrains en 2021 a près de 1 500 fin 2022. Plutôt que les institutions publiques, ce sont justement ces investisseurs qui supportent majoritairement le coût des structures. Le sport en tant que modèle commercial : 60 000 euros suffisent pour construire un terrain, fondations, surface (deux, trois tonnes de sable) et éclairage compris. (Bien plus rentable que d’investir dans des biens immobiliers, de nos jours.)

« Mesurer deux mètres ne va pas te servir à grandchose si tu joues mal. Il faut faire preuve de lucidité, de technique et de précision, surtout en défense. » ALEJANDRO GALÁN 46

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Padel

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TRAVAIL D’ÉQUIPE Juan Lebrón (à gauche) et Alejandro Galán en pleine partie. Le padel connaît un engouement international et pourrait faire son entrée aux JO de 2032.

ENFIN DU CONTENU POUR TIKTOK Si le padel est tellement à la mode en ce moment, c’est parce qu’il est facile de s’y mettre. Alors qu’au tennis, il faut des ­années d’entraînement pour soigner son revers, on progresse vite au padel. La raquette, constituée d’une zone de frappe dure en composite (donc non cordée), pardonne certaines erreurs de positionnement. Parfois, il suffit de toucher la balle, tout simplement. Cela donne lieu à des échanges spectaculaires bien vite immortalisés sur les portables et partagés sur les médias sociaux. Avalanche de likes en perspective…

Premier Padel : le tournoi de Madrid.

JAIME DE DIEGO/RED BULL CONTENT POOL, PREMIERPADEL

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PROGRESSER DEPUIS SON CANAPÉ Des frappes redoutables qui passent du mur au terrain adverse, des joueur·euse·s qui récupèrent une balle en sprintant hors du terrain, Juan Lebrón qui s’étire comme un loup hurlant… Pas encore convaincu ? Rejoignez-nous sur redbull. com/padel pour mieux comprendre ce sport à la mode, regarder des parties de padel en direct et apprendre quelques ­astuces pour vos prochaines parties.

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UNE FOLIE

Des champions engagés dans un fight épique en plusieurs dimensions. Des rivalités ancestrales entre DEUX HÉROS qui partagent un passé commun mais dont le destin diffère. Ce n’est pas un mythe. C’est le Championnat du monde de League of Legends. Texte DANIEL BROWN 48


COLIN YOUNG-WOLFF

T1 contre DRX lors de la finale des Worlds, au Chase Center de San Francisco. Sold out en 5 minutes.


Lil Nas X se produit dans un hologramme géant (ci-dessus). Cérémonie d’ouverture des Worlds 2022.


LOL

Ligue majeure : T1 monte sur scène lors de la cérémonie d’ouverture. Les joueurs, notamment Faker (au centre de la photo) sont de grandes célébrités dans leur pays d’origine, la Corée du Sud.

COLIN YOUNG-WOLFF

A

près la dernière note de Star Walkin’, chanson que le jeu League of Legends lui a inspirée, le rappeur Lil Nas X surgit dans les backstages. Arborant une perruque rose gold et un plastron ­métallique étincelant, il resplendit. Même au sein d’une arène où bon nombre des 14 548 fans sont arrivé·e·s en cosplay pour assister à la finale qui termine en beauté le Championnat du monde de League of Legends 2022, Lil Nas X ne passe pas inaperçu dans les couloirs du Chase ­Center de San Francisco. « T’as tout déchiré ! », lui crie une femme au passage. « J’adore ta robe », lance Lil Nas X sans pour autant s’arrêter. Le rappeur se hâte jusqu’aux vestiaires que les stars de la NBA considèrent comme un havre de paix pendant tout l’automne. On lui braque une caméra sur le visage pour lui demander : « Qu’est-ce que ça fait de savoir que des millions de personnes ont vu ta performance ? » « Qu’est-ce que ça fait ? Lil Nas X répète en souriant. C’est dingue. Ça représente un monde fou. » Fou… Lil Nas X a vraiment le mot juste. Le Championnat du monde de League of Legends, alias les Worlds, constitue l’apogée des compétitions de jeu vidéo. Clôturant chaque année la saison des ligues régionales, l’événement réunit 24 équipes à l’occasion d’un tournoi de cinq semaines qui

THE RED BULLETIN

désignera la meilleure équipe au monde dans le plus gros jeu d’esport : League of Legends, ou LoL pour ses fans. Pendant les matches, deux équipes de cinq joueurs s’affrontent au sein d’une arène magique, la Faille de l’invocateur. Sur une immense carte que l’on peut faire défiler, les deux équipes commencent la partie à proximité de leur base, appelée Nexus et située à l’une des extrémités du terrain de jeu. Elles ont alors le choix entre trois chemins différents (la voie du haut, la voie du milieu et la voie du bas) pour atteindre la base ennemie. Tout le reste de la carte correspond à la jungle. Le but du jeu consiste à détruire le Nexus de l’adversaire. Jusque-là, rien de bien compliqué. Mais ajoutez-y la possibilité de choisir parmi plus de 160 personnages (ou « champions ») disposant chacun de leurs propres compétences, forces et ­faiblesses, et vous obtenez une infinité de combinaisons pour tenter de jouer en équipe de façon optimale. On pourrait comparer LoL à un jeu d’échecs où toutes les pièces bougent en temps réel, se battent, acquièrent des points d’expérience (XP), collectent de l’or et respawn (ressuscitent) quand elles tombent. Sans compter les monstres, les sbires, les tourelles et bon nombre de rebondissements. On dit que l’apprentissage des échecs est facile mais que leur maîtrise nécessite toute une vie. Pour LoL, c’est l’apprentissage en lui-même qui pourrait bien nécessiter toute une vie. Les fans adorent cette stratégie à la Sun Tzu et débattent sans relâche des tactiques à employer sur des subreddits communautaires comptant des millions de membres. À elle seule, la cérémonie d’ouverture des Worlds 2022 donne – ou plutôt hurle – le ton de l’envolée surréaliste d’un jeu vidéo vieux de quatorze ans. Dévoilé en 2009 par l’éditeur de jeux vidéo américains Riot Games, LoL est passé, d’une manière ou d’une autre, des chambres d’ado à un événement où un double lauréat des Grammy Awards a chanté l’hymne officiel 51


LOL

diffusion. « Le GOAT contre l’alpaga ! », a ajouté son collègue Kobe, échauffant davantage la foule. L’histoire remonte encore plus loin. Faker et Deft étaient dans la même classe au lycée sud-coréen Mapo, mais ils ne se côtoyaient pas. Déjà à l’époque, Faker dominait son rival. « J’étais le premier dans la compétition LoL de l’école. Mon pseudo, c’était “Mapo High School’s Fiery Fist” », se souvient ­Faker. « J’étais dans les centièmes », se rappelle Deft. Lors d’une séance photo assez glaciale qu’ils devaient réaliser pour les Worlds, un photographe a tenté de rapprocher les adversaires. « Meilleurs potes », leur a-t-il dit avec enthousiasme. Deft et Faker ont tout simplement ignoré cette requête, et ils se sont ignorés l’un l’autre. Par la suite, Faker a déclaré : « Nous sommes restés en concurrence trop longtemps. Nous n’avons forgé aucun lien. »

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algré tout, leur respect mutuel empêche de ressentir un véritable malaise. « Ils ont un cœur pur, et leurs personnalités s’accordent extrêmement bien », explique Tyler Erzberger, expert du secteur et ancien journaliste d’e-sport. « Ce sont des gens que vous avez envie de soutenir. Il n’y a pas de méchant dans l’histoire. » Quelques semaines avant la finale, quand DRX était aux portes de l’élimination pendant les phases de groupes, Deft a été interrogé par un média coréen tandis que DRX était menée 2 à 0 au meilleur des cinq manches, et a fait une déclaration qui est devenue un cri de ralliement pour toute la Corée. « Le plus important, a-t-il déclaré, c’est un cœur impossible à briser. » Les places des Worlds 2022 se sont vendues en moins de cinq minutes, un record absolu pour le Chase Center. La finale des Worlds a été mentionnée en ligne dans plus de 240 pays, et le monde entier partage un intérêt similaire.

COLIN YOUNG-WOLFF

du tournoi (Lil Nas X avait été nommé « Président de League of Legends » deux mois plus tôt) dans un stade ayant coûté 1,6 milliard de dollars, au beau milieu d’une représentation holographique de Runeterra – le royaume où se déroule le jeu – et fini sa prestation au creux de la main d’une version virtuelle géante d’Azir, un personnage de LoL. Cette performance de 3 minutes et 57 secondes au Chase Center a nécessité une équipe de production de 2 000 personnes et 80 semi-remorques de matériel, alors qu’un concert standard n’en demande qu’une vingtaine. « Je suis vraiment témoin d’une histoire comme celle-là ? », a déclaré Jeon Yong-jun, alias Caster Jun, star de l’esport résidant à Séoul et célèbre pour sa voix de stentor. En effet, DRX, une équipe que l’on pourrait qualifier de « longshot », a décroché de justesse sa place pour le tournoi mondial puis, contre toute attente, elle a anéanti T1, le mastodonte de League of Legends, en finale. Lors de cette fameuse finale, le très populaire Faker, triple champion des Worlds, souvent considéré comme le plus grand joueur LoL de tous les temps et surnommé le « Michael Jordan de l’esport », s’est incliné face à Deft, joueur obstiné et surtout connu pour ses défaites cuisantes pendant le premier tour qui se tient chaque année au moment de son anniversaire. Ce dernier a tellement été rongé par l’angoisse et la déception qu’il lui est déjà arrivé d’envisager la retraite. Faker (Lee Sang-hyeok de son vrai nom) et Deft (Kim Hyukkyu de son vrai nom) étaient les grands protagonistes de la ­finale des Worlds 2022. À tel point que, lorsque DRX a obtenu une manche décisive dans ce match au meilleur des cinq, on se serait crus spectateurs d’un combat singulier à l’aube. « Ensemble, Faker et Deft ont joué plus de 2 000 parties. Nous allons en retrouver ici toute la substantifique moelle ! », a hurlé le commentateur Caedral à pleins poumons lors de la

Plus de 14 000 fans ont assisté à la finale du Championnat du monde League of Legends 2022, dont beaucoup étaient habillé·e·s en personnages et créatures du jeu. Jusqu’à en perdre la vue.

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« Mes fans d’Amérique m’appellent “Dieu”. » Faker


Les T1 (en noir) ont déjà gagné trois fois ; l’équipe DRX (en blanc et photo ci-contre) étaient leurs outsiders.


COLIN YOUNG-WOLFF, LANCE SKUNDRICH

Une fan montre son soutien à la star introspective des DRX, Deft.

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LOL

« Faker/Deft, c’est comme quand Messi jouait au Barça et Ronaldo au Real. » Le joueur DRX Hong « Pyosik » Chang-hyeon et sa bague de vainqueur. La pierre est un saphir entouré d’or blanc.

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Enfin, tous les messages ne sont pas forcément des encouragements. En août dernier, des fans de T1 ont envoyé un camion publicitaire au stade LoL Park de Séoul avant le match de l’équipe contre sa rivale locale, Nongshim RedForce. Mécontent·e·s du nouveau staff qui, selon elles·eux, ne comprenait pas l’équipe, les fans y avaient inscrit le message suivant : « On n’a pas besoin de coachs incompétents… Nommez des anciens joueurs qui ont déjà fait leurs preuves pour entraîner l’équipe. » Le fait que les meilleurs joueurs viennent souvent de Corée du Sud participe à accroître l’intérêt. Aiden Lee compare la dynamique Faker/Deft à l’époque où Lionel Messi jouait pour le FC Barcelone et Cristiano Ronaldo avait été transféré au Real Madrid. Cette « nouvelle version d’El Clasico [rivalité footballistique historique] avait attiré l’attention du monde entier. » Caster Jun a obtenu son premier contrat d’esport en 1999. À ce moment-là, ce sport populaire avait décollé avec Internet et les cybercafés coréens. « J’ai quitté mon emploi en juin 2000 pour travailler en tant que commentateur de jeu sur une chaîne de diffusion », se remémore-t-il.

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aster Jun a pris son envol en même temps que l’e-sport. Lorsqu’il avait 30 ans, il rêvait d’être encore commentateur Dix ans plus tard. À 40 ans, son ambition était identique. Désormais, à 51 ans, il n’a plus besoin d’afficher son objectif. « La chose la plus gratifiante dans l’univers de l’e-sport, c’est que l’on grandit ensemble, répète-t-il. Il y a vingt ans, les finales d’esport se jouaient avec des PC sur des tables de ping-pong. Aujourd’hui, on commente au Sangam World Cup Stadium ou au Gocheok Sky Dome. Belle progression, n’est-ce pas ? » Inutile de louer un panneau d’affichage pour répondre à cette question. Lee Sang-hyeok, le fameux Faker, mid laner de 27 ans sur League of Legends, a, en dix ans de carrière, conservé un taux ­incroyable de 66 % de réussite, et accumulé les surnoms. Il en a parlé sur The Players’ Tribune, une plateforme digitale qui ­recueille les témoignages personnels des athlètes : « Mes fans d’Amérique m’appellent “Dieu”. Mes fans de Corée m’appellent “Le roi démoniaque invincible”. Je préfère “Dieu”. Pendant le jeu, je suis juste Faker. Et je suis le meilleur joueur de League of Legends au monde. » Jusqu’à sa chute. En accomplissant son rêve de victoire aux Worlds, Deft a ­enfin trouvé la libération. Pendant une grande partie de sa carrière, il posait chaque soir sa tête sur l’oreiller et se repassait League of Legends en boucle. « Je ne pense plus à League, a affirmé le joueur star de DRX quelques semaines après son titre mondial. Je profite juste d’une bonne nuit de sommeil. » Deft avait 26 ans au moment de cette victoire, ce qui fait de lui le joueur le plus âgé à remporter les Worlds (surpassant le Coréen Kang « Ambition » Chan-yong, qui avait 25 ans quand son équipe, Samsung Galaxy, a obtenu le titre en 2017, et qui a pris sa retraite l’année suivante). Deft aurait pu maudire tous les sceptiques et les détracteur·euse·s, mais il ne l’a pas fait. Peut-être parce qu’il avait lui-même des doutes. « C’est paradoxal, mais mon objectif consiste à remporter les Worlds pour quitter le jeu, a-t-il déclaré avant la finale. Si je gagne, je pourrai enfin partir sans aucun regret. » Ce projet de retraite semblait bien lointain. Avant les Worlds 2022, DRX avait peu de chances de franchir les playoffs régionaux de la LCK, qui donnaient un ticket d’entrée pour le tournoi. À l’époque, Deft a assuré pendant une interview que DRX avait THE RED BULLETIN

LANCE SKUNDRICH COLIN YOUNG-WOLFF

La popularité grandissante du streaming n’a fait que décupler le phénomène. Les seules diffusions en langue anglaise ont enregistré un pic record à 1,6 million de viewers, soit une hausse de 41 % par rapport aux Worlds 2021. En tout, la phase finale a cumulé 121,7 millions d’heures de visionnage. Et le championnat 2023 qui aura lieu en Corée du Sud cet automne bénéficiera de l’élan de l’an dernier. La compétition se déroulera au Gocheok Sky Dome de Séoul. Avec une capacité d’accueil d’environ 17 000 personnes, c’est le plus grand stade couvert du pays. Berceau de l’esport – où les stars locales tiennent la dragée haute à Taylor Swift en termes de notoriété – la Corée du Sud pourrait être le seul pays capable d’offrir un spectacle au moins aussi extraordinaire. « La Corée se targue d’être la patrie de l’e-sport, a expliqué Aiden Lee, secrétaire général de la League of Legends Champions Korea (LCK). Non seulement elle a donné naissance à un phénomène culturel avec StarCraft, mais elle s’est imposée comme le pays le plus compétent. Elle a les meilleures équipes League of Legends au monde, qui sont soutenues par des fans passionné·e·s. » La Corée est aussi le pays qui a remporté le plus de fois la Summoner’s Cup, trophée remis au vainqueur des Worlds et qui symbolise le prestige de la compétition. Le joaillier Tiffany & Co a apporté encore plus d’éclat au trophée dès 2022 : le nouveau graal, qui affiche 25 kg et 69 cm de haut, mêle argent sterling, argent fin, acier inoxydable, laiton et bois. Il est orné de cinq poignées, une pour chaque membre de l’équipe, avec des incrustations correspondant au rôle de chacun : top laner, mid ­laner, bot laner, jungler et support. Tiffany a aussi fait graver les noms des précédents champions sur le socle. La Corée du Sud a remporté 7 victoires sur 12. Puis vient la Chine avec trois victoires. Quel était le mot exact employé par Lil Nas X déjà ? Fou. En Corée du Sud, il n’est pas rare que les fans d’esport louent d’immenses panneaux d’affichage mobiles pour adresser des messages de soutien aux entraîneur·e·s et aux joueur·euse·s.


« Le plus important, c’est un cœur impossible à briser. » Deft


Légendes en devenir : les managers de DRX se précipitent sur scène pour célébrer leurs joueurs victorieux.

Victoire ! DRX éclatent en sanglots, Deft arrache son casque et le jette au loin. moins de 30 % de chances d’atteindre les Worlds. « En ­vérité, je pensais qu’on avait moins de 10 % de chances, a-t-il reconnu par la suite. Je voulais juste laisser un peu d’espoir aux fans. » Lorsque DRX a accédé au tournoi par un trou de souris, c’était l’un des concurrents les plus faibles parmi les 24 équipes en lice. Ses chances de dépasser les phases de groupes étaient quasi nulles. Dans une incroyable conférence de presse organisée en amont de la finale, un journaliste a demandé aux membres de T1 comment ils voyaient leur match face à DRX. 58

Un par un, ils ont répondu sans hésitation. Oner : « Je pense qu’on battra facilement DRX 3 à 0. » Keria : « Je vois un score de 3 à 0. » Gumayusi : « Je parie sur 3 à 0. » Faker : « J’espère qu’on gagnera 3 à 0. » En 1964, le jeune boxeur Cassius Clay s’est moqué de son ­adversaire, le champion du monde poids lourds Sonny Liston, en conduisant jusque chez lui un bus qui affichait : « Liston va se coucher en huit rounds. » Cassius Clay a remporté le match en sept rounds. Babe Ruth, célèbre joueur de base-ball chez les Yankees, a, selon la légende, annoncé où il allait envoyer la balle avant de réaliser un home run pendant les championnats du monde de 1932. Il n’a fallu à T1 que quatorze secondes pour faire 4 démonstrations d’une telle audace. Mais à l’abri des regards, les sempiternelles désillusions de Deft à la Charlie Brown ont cédé la place à une farouche résolution. THE RED BULLETIN


LOL

La transition n’était pas simple. Il n’avait jamais dépassé les demi-finales et ses déboires annuels l’ont amené à une triste ­tradition pour son anniversaire, le 23 octobre : « Généralement, je me contente de passer la journée dans ma chambre après ma défaite aux Worlds. »

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LANCE SKUNDRICH, COLIN YOUNG-WOLFF

n 2022, il semblait prendre le même chemin que d’habitude quand, pour les quarts de finale au Madison Square Garden de New York – très précisément un 23 octobre – sa tactique a littéralement implosé face à EDG, son ancienne équipe, championne en titre des Worlds. Tandis que Deft était sur le point de détruire le Nexus ennemi, un inhibiteur a ­respawn juste devant lui. Pour tous les aficionados de LoL, c’est une sacrée malchance ; pour les novices, on peut comparer ce coup de théâtre à un running back de la NFL trébuchant sur une bosse de la ­pelouse à un mètre de la zone d’en-but. Ou, comme le commentateur l’a si bien exprimé : « Oh non ! La victoire était à portée de main, Deft ! » Les années précédentes, c’était à ce moment-là que les ­bougies s’éteignaient. Et que Deft se mettait en mode room ­service et silence de plomb. « Je ne pouvais pas y croire, a écrit Deft sur The Players’ ­Tribune. Je n’ai jamais vécu ça dans toute ma carrière. Et que cela se passe… aux Worlds… pendant les quarts de finale… contre cette équipe ? Je me suis posé la question : “C’est vraiment pas pour moi, la victoire ?” » Mais cette fois-là, Deft n’a pas sombré. Avant d’enchaîner sur la partie suivante, Deft s’est simplement motivé à mieux jouer. « Je ne me suis pas apitoyé sur mon sort, a-t-il écrit. D’une certaine manière, ça m’a libéré et donné le sentiment de pouvoir agir. » Tyler Erzberger a été l’une des rares personnes en dehors de DRX à voir les doutes de Deft se transformer en un cœur impossible à briser. « Pendant la plus grande partie du tournoi, il ne se faisait aucun cadeau. Il se disait des trucs du genre : “Je vais essayer de faire de mon mieux, mais je ne sais pas si j’y arriverai”, se remémore-t-il. Mais lorsqu’il a atteint la finale, il a pu se débarrasser de ce fardeau. Et, comme par magie, l’équipe a tout raflé. » Au moment de sa victoire, alors que le public du Chase Center se levait comme un seul homme, tous

Rêves brisés : le joueur de T1 Choi « Zeus »Woo-je réagit à la ­ éfaite choc de sa team. Maintenant, il vise la gloire en 2023. d THE RED BULLETIN

les membres de DRX – impassibles devant leur écran une fraction de seconde auparavant – ont éclaté en sanglots. Deft a arraché son casque et l’a jeté au loin. « C’est vraiment rare que je laisse exploser ma joie à ce point, raconte-t-il. Mais ce jour-là, j’ai sauté dans tout le stade. Mon corps bougeait sans même que j’y pense. Il me disait juste : “Cours très vite.” Alors j’ai couru. » « Aucune équipe classée quatrième sur la ligne de départ n’avait atteint la finale, et encore moins remporté le championnat du monde, a déclaré Kobe, incrédule. Ce groupe d’amis a réalisé un véritable miracle. » Lors de la conférence de presse qui a suivi, un journaliste a demandé à Faker s’il avait quelque chose à dire à son ancien camarade d’école. « Je veux juste le féliciter, a-t-il répondu avec beaucoup de sincérité. Il mérite totalement ce trophée. »

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n an plus tard, les Worlds 2023 pourraient connaître un remaniement complet de la distribution, à l’instar d’une émission télévisée que l’on binge et qui espère rester dans le coup. Moins de trois semaines après la finale 2022, Deft n’a pas pris sa retraite, bien au contraire. L’annonce de sa signature chez DWG KIA (désormais Dplus KIA) a fait grand bruit. En réalité, tous les joueurs de DRX sont partis, sauf BeryL. À première vue, il semble ­choquant, voire triste, qu’un ­collectif ayant décroché une telle victoire se soit disloqué si vite, comme un groupe qui se ­sépare après un album ­d’anthologie. Mais DRX n’a jamais eu pour vocation de décrocher un tel titre. À la minute où les joueurs sont devenus célèbres, on les a débauchés, et DRX n’avait ni l’argent ni les ressources nécessaires pour les garder. C’est comme si l’équipe de football américain d’une petite ville remportait le Super Bowl. Les réalités économiques soulignent seulement à quel point la victoire de DRX a été extraordinaire. Faker reste chez T1, mais compte tenu de la blessure qui l’a handicapé pendant une bonne partie de l’été, son équipe a faibli. Sans son porte-bonheur, elle a perdu cinq matches d’affilée, dégringolant à la quatrième place de la ligue, ce qui augurait un recalage quasi certain aux play­offs de la LCK. Le 2 août dernier, LoL Esports a annoncé le come-­back de Faker dans la compétition. Le jour même, T1 a vaincu Kwangdong Freecs. Le titre de l’article, Le retour du roi, s’imposait de lui-même. Une chose est sûre : il faudra avoir les épaules larges pour incarner la légende cette année. « La barre est haute, mais nous sommes impatients ­d’épater les fans avec ce que nous leur réservons pour les Worlds 2023 », a expliqué Naz Aletaha, Global Leader de LoL Esports à propos du tournoi qui démarrait à Séoul, avant de partir pour Busan puis de revenir à Séoul – ces zones métropolitaines représentent un tiers de la population coréenne. L’organisation des Worlds sur les terres de la LCK nous permet d’ouvrir un nouveau chapitre tout à fait approprié. » League of Legends revient à la maison. Les Worlds 2023 commenceront le 10 octobre et se concluront par la finale le 19 novembre ; regardez la compétition sur la chaîne Twitch de Riot Games : twitch.tv/riotgames. Le documentaire DRX The Rise, consacré à la finale de Worlds 2022, est à découvrir sur redbull.com. 59


Variations pour grand public Derrière chaque grand tube se cachent souvent un ou plusieurs compositeurs. Tel est le cas avec ­SUTUS, relève de la musique qui flirte avec le rap, un genre ­depuis peu considéré comme la pop du moment. Entre argent, hits et compo mainstream, le ­Balnéolais à la carrière prometteuse se raconte. Texte MARIE-MAXIME DRICOT

Photos ROXANE PEYRONNENC

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riginaire de Bagneux (Hauts-deSeine), Sutus, ou Clément pour ses proches, n’aime pas dire son âge, il trouve ça aussi ennuyant qu’agaçant, et à juste titre. Celui qui a collaboré avec Lord Esperanza, Bilal Hassani, Joanna, Lujipeka et Chilla, en a assez des gens qui lâchent à tout-va : « C’est un petit génie, ça va être incroyable », posant sur ses épaules une grosse pression et beaucoup d’attentes. Sutus préfère être discret. C’est autour d’un chocolat chaud de chez Comets Café & disques, que nous avons évoqué son jeune parcours, son amour pour Yelle et son ultimate goal. Pour ce compositeur élevé à la sauce Bruce Springsteen et Miles Davis, et traumatisé par le solfège, il aura fallu la bonne rencontre, de la confiance, et un conseil précieux pour se rendre compte que la musique n’est pas qu’un hobby, on peut aussi en vivre. the red bulletin : Pourquoi avoir abandonné le solfège ? sutus : Mes parents étaient mélomanes, il y avait toujours du jazz, du funk et un 60

peu de rock à la maison. Un jour, ils m’ont inscrit au conservatoire de la ville pour m’initier au solfège et j’ai appris la trompette, parce que je voulais faire comme Louis Armstrong. Je voyais les photos où il avait les joues gonflées, je voulais lui ressembler. Mais j’ai été traumatisé du solfège comme beaucoup d’entre-nous. Cela dit, ça m’a donné les bases et ça a éduqué mon oreille. Malgré tout, cela ne t’a pas empêché de continuer à faire de la musique. Oui, car vers onze ans j’ai découvert le logiciel GarageBand et c’est devenu mon jouet préféré. Je reproduisais des mélodies, je faisais des boucles, et chantais dessus, j’enregistrais les copains sans trop d’arrière-pensées. Ce n’est qu’à la fin du lycée que j’ai pris ça au sérieux, que j’ai eu le déclic que c’était ce que je voulais faire, quand on a monté un collectif de graphistes, producteurs, musiciens avec des potes. C’était lowkey, on organisait des DJ sets au Bateau Phare, mais c’était surtout la première fois que je jouais avec d’autres personnes. C’était génial. La THE RED BULLETIN


« Je n’ai pas du tout envie de tomber dans le cynisme. » Pour Sutus, s’inscrire dans une démarche de production de hits est complètement absurde.

THE RED BULLETIN

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« J’essaie de ne pas trop intellectualiser les choses quand je fais du son. » ­ remière personne avec qui j’ai collaboré, p c’était Mikano, un rappeur franco-camerounais, avec qui on bosse toujours. Qu’est-ce qui t’a réellement poussé à sauter dans le grand bain ? Il y a cinq ans, j’ai fait un placement pour le rappeur Lord Esperanza. C’est là que je me suis rendu compte que c’était possible de vivre de la musique. Dans ce milieu, quand tu es jeune, si on ne te dit pas que c’est possible, ça reste un passe-temps. Donc j’ai tenté, j’ai arrêté l’école et j’ai dit à mes parents de me laisser un peu de temps pour faire mes preuves et des sous. Et pile au moment du Covid, j’ai eu mon intermittence. Timing Parfait. Ce n’est pas toujours évident de savoir par où commencer, surtout dans cette industrie qui parfois nécessite d’avoir les bons contacts et les tips, quel a été le rôle de Lord Esperanza ? C’est Piment, son éditeur de l’époque, qui m’a initié au fonctionnement d’un label, des modalités de contrat dans l’industrie de la musique. Il a été un véritable prof. C’est aussi lui qui m’a introduit à Sally, pour qui j’ai composé le titre Shoot, sur lequel on retrouve Vicky R, Chilla et Joanna avec qui je commence à bosser. Ces trois artistes sont assez différentes dans leur musicalité. Comment définis-tu ton style de composition ? Je fais plein de choses variées, mais j’ai l’impression que j’ai un goût pour les beaux accords, qui font voyager, comme un matelas un peu moelleux auquel on ajoute des drums et des instrus. Il faut qu’il y ait un mood mélancolique et rêveur. En revanche, aujourd’hui, je ne fais plus beaucoup de prods pour le rap, même si c’est la musique qui m’a bercé, je me dirige davantage vers la pop. Es-tu plutôt power pop maintenant ? Je suis versatile dans mon esthétique relativement pop, et je ne crains pas de faire des grands écarts. Ma musique est à la fois très mélancolique et fun. Mais atten62

tion, je ne dis pas rigolo, surtout pas, il faut simplement que ça soit ludique. J’ai aussi besoin de profondeur dans mes compositions. C’est d’ailleurs pour ça que je suis heureux de travailler avec Yelle, car on réussit à allier les deux. Tu as également collaboré avec Yelle sur le dernier album de Bilal Hassani, Théorème ? Comment était-ce ? C’était trop bien et hyper enrichissant. En gros, je faisais les premières parties de Yelle avec Joanna et en loge, j’ai rencontré Grand Marnier (la moitié de Yelle, ndlr) qui m’a dit qu’il allait faire la réalisation du prochain album de Bilal. Après lui avoir envoyé quelques prods, il m’a proposé d’être de la partie. Humainement, c’était dingue car Bilal est une personne incroyable, pleine d’énergie, dotée d’une grande intelligence et d’une culture pop très vaste. Ça m’a beaucoup ouvert. La pop, c’est tellement différent du rap. De plus, il m’a emmené partout avec lui, en tournée et en promo. En prenant du recul sur ces trois ­dernières années, est-ce qu’on peut toujours dire de toi que tu es « un artiste de la voie lactée » comme tu l’affirmais en 2019 ? Je pense que je suis plus terre-à-terre qu’avant. J’ai conscience du business. Je sais ce qui a le potentiel ou non de fonctionner en musique. Par ailleurs, j’essaie de ne pas trop intellectualiser les choses quand je fais du son, d’être au plus proche de mes sentiments et de ceux de l’artiste avec qui je travaille pour retranscrire la pureté qu’on recherche.

À l’œuvre : Sutus en résidence au Red Bull Studios Paris.

C’est-à-dire ? Je n’ai pas du tout envie de tomber dans le cynisme. Dire « aujourd’hui, il faut qu’on fasse un hit », ça n’a pas de sens. On fait de la musique pour retranscrire les émotions qu’on vit à un moment donné. Donc, oui, je reste sur ma voie lactée, parce que c’est mon délire, mais je suis devenu un peu chiant et blasé, car l’industrie c’est de l’argent et c’est pesant. Mais bon, j’ai choisi d’en être.

en ce moment je me dis qu’il faudrait peut-être passer le cap pour ne pas trop rester en marge, car j’aime bien bosser avec des artistes où l’exercice consiste justement à faire des tubes, du mainstream. Ça m’intéresse beaucoup.

Un pied dans l’industrie, mais pas trop ? Je suis full indépendant. Au début, c’était un choix, parce que je ne trouvais aucun contrat intéressant, ensuite, parce que j’ai pris conscience d’avoir fait tout ce chemin sans l’aide de personne, même si j’ai bossé avec des éditeurs sur des morceaux ou pour des albums. Pourtant,

Comment ça se traduit sur une semaine de travail ? Par exemple, le lundi, quand je suis avec Theodora, l’objectif est de faire un track dans son ADN, new gen, hybride un peu electro fucked up. Le mardi, je suis avec Still Fresh, on fait une prod amapiano R&B vibe. Et si le mercredi, je suis avec THE RED BULLETIN


Sutus

chercher des éléments de réponses, car il y a toujours une part d’irrationalité. Ça reste une industrie donc on peut avoir la meilleure chanson au monde, si on n’a pas le cadre de diffusion suffisamment large pour la faire découvrir au grand public, ça ne va pas prendre. À l’inverse, il y a plein de chansons qui ne ressemblent pas à des tubes, et qui, contre toute attente, cartonnent. En as-tu une en tête ? Oui, le titre Rencontre, de Disiz feat. Damso ! Ce morceau n’aura jamais dû devenir un hit, même s’il est génial. Et pourtant, ça a pris ! Il y a trois prods différentes dessus, la structure est bizarre, c’est long, il n’y a pas de refrain… C’est censé être un morceau d’album perché, que personne ne va réécouter et en fait, c’est un tube de 2022. Ça donne foi. Qu’en est-il des morceaux ayant une structure pop « parfaite » ? C’est la structure dominante dans la musique donc lorsqu’on sort de ce schéma répétitif couplets/refrain, on perd les auditeurs. C’est certain qu’il y a des ingrédients qui font une bonne recette musicale, mais il y aura toujours quelqu’un pour mettre du paprika dedans alors qu’on fait un gâteau au yaourt. Le truc, c’est que ça fonctionnera quand même. Et, d’un autre côté, il y en aura un qui aura le meilleur macaron de la planète, mais personne ne le calculera. C’est le jeu du hasard.

Julien Doré, l’exercice sera différent, on surfera sur la variété française. Je ne suis pas là en train de me dire on va faire de l’argent, mais plutôt, on va faire un truc grand public. Selon toi, quand on s’inscrit dans la pop mainstream, y a-t-il une formule qui permette de réaliser un hit à tous les coups ? Ou cela tient-il davantage à la manière dont on éduque le public ? En tant qu’artiste, on passe beaucoup de temps à essayer de comprendre pourquoi quelque chose fonctionne, sans trouver de raison. À mon avis, ça ne sert à rien de THE RED BULLETIN

« En tant qu’artiste, on passe beaucoup de temps à essayer de comprendre pourquoi quelque chose fonctionne, sans trouver de raison. »

Toi aussi, tu as voulu faire des gâteaux, en 2018 avec Un pied sur la pétale, puis 2019 avec Parures. Oui, mais c’est parce que je n’avais personne pour se poser sur mes prods. C’était cool et bizarre, car je me suis rendu compte que je n’aimais ni ma voix, ni ma manière d’écrire. Les thématiques étaient intéressantes, sauf que je n’avais pas les bonnes formulations pour rendre le tout agréable à l’écoute. Cependant, j’ai beaucoup de chance car les artistes avec qui je collabore me laissent m’exprimer au niveau des toplines. Je peux alors proposer des idées mélodiques, probablement parce que je suis passé par cette phase artistique précédemment. J’arrive à me mettre à leur place pendant les sessions, quand il·elle·s gambergent. Ma manière de m’exprimer, c’est via la composition, je n’ai pas un besoin viscéral d’écrire. Instagram : @sutuswing 63


JAMAIS DE TEMPS MORT Les Toronto Raptors et leurs fans n’ignorent pas que PASCAL SIAKAM, ailier d’une polyvalence rare, est une superstar. Il est grand temps de faire connaître son talent et son incroyable parcours au reste du monde. Texte DEMARCO WILLIAMS

« Évoluer en NBA est une bénédiction », ­estime Siakam, opinion largement partagée par les fans des Toronto Raptors. Encore ­inconnu il y a quelques années, l’ailier fort a déjà été nommé deux fois NBA All-Star.

Photos DAVID CLERIHEW


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Pascal Siakam

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ascal Siakam symbolise parfaitement l’incroyable essor du basket africain. Après dix ans de périple du Cameroun au Texas en passant par le Nouveau-Mexique, l’ailier fort des Toronto Raptors est devenu une star de la NBA, et un bel exemple du potentiel de son continent. Une révolution est en cours dans le monde du basket et elle n’est pas discrète, comme le prouve la Coupe du monde FIBA 2023. Cinq nations du continent africain y ont participé : l’Angola, le CapVert, l’Égypte, la Côte d’Ivoire et le Soudan du Sud. Le Nigeria, habituel challenger, n’a pas réussi à se qualifier. Place aux jeunes, en quelque sorte. Et des joueurs comme Childe Dundao d’Angola ont su ­tirer leur épingle du jeu contre certains des meilleurs dribbleurs au monde. Si la sélection camerounaise de Pascal Siakam n’a pas réussi à se qualifier, un vent positif souffle pourtant sur l’équipe nationale. Des talents prometteurs comme Ulrich Chomche, 17 ans et déjà 2,11 mètres, ­annoncent un avenir radieux. Siakam est l’une des principales raisons de ce regain d’attention portée sur le continent africain. En un peu plus de dix ans, le natif de Douala est passé de l’anonymat complet au panthéon des meilleurs joueurs de la NBA.

« Beaucoup de gens réalisent que notre continent regorge de talent, explique Siakam, deux fois NBA All-Star avec les Toronto Raptors. Il y a beaucoup de gosses comme moi, et si on leur en donne l’occasion, ils pourront réaliser le même parcours. » Siakam a probablement jeté un œil sur la Coupe du Monde de la FIBA, au moins pour voir Dennis Schroeder, son coéquipier des Raptors, qui jouait pour l’Allemagne. Mais l’ailier polyvalent a d’autres choses en tête, notamment la nouvelle saison de basket qui commence à la fin du mois d’octobre. Contrats faramineux et jets privés de luxe font certes partie du côté glamour de la vie de basketteur professionnel, mais il y a un autre côté plus obscur, celui des bleus, des bosses et des échanges très ­physiques sur le parquet avec Giannis ­Antetokounmpo ou Joel Embiid. Chaque année, il faut faire preuve de force et d’intelligence pour ne pas baisser dans la hiérarchie de l’équipe. Et Siakam tient à son statut de star au sein des Raptors. C’est donc avant tout pour rester au top de sa forme qu’il s’est rendu en ­Autriche cet été, profitant du séjour pour visiter les quartiers généraux de Red Bull et le centre de performance des athlètes de la marque. « Salzbourg est une ville incroyable, raconte Siakam, féru de voyages et de photos quand il n’est pas en train de dribbler. J’ai vu des paysages magnifiques et découvert une ambiance très différente de mon quotidien. J’y suis resté environ une semaine, à m’entraîner avec quelques collègues qui m’accompagnaient. C’était génial ! »

Au cours des deux dernières saisons, aucun joueur de la NBA n’a joué plus de minutes par match que Siakam, pièce maîtresse des Toronto Raptors.

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Rien de tel que l’air pur des Alpes pour le cardio. « J’aime bien ce genre de moments où je peux sortir de ma zone de confort, renchérit l’ailier des Raptors du haut de ses 2,08 mètres pour 103 kilos. C’est une chose que j’essaie de plus en plus d’intégrer à mes sessions : découvrir de nouvelles cultures tout en continuant à m’entraîner quel que soit l’environnement. » De retour à Los Angeles quelques ­semaines plus tard, il a pu retrouver ses marques. Mais il avait encore du pain sur la planche, pour preuve ces vidéos qui inondent la toile et où l’on voit Siakam, 29 ans, disputer des échanges endiablés avec ses collègues de NBA comme Jalen Green et Harrison Barnes. Sur le papier, le calendrier professionnel peut s’étirer d’octobre à juin, mais quand on atteint un tel niveau d’excellence, les interminables THE RED BULLETIN

CHARLIE LINDSAY/RED BULL CONTENT POOL

Le rêve américain


« Je vais simplement continuer d’améliorer mon jeu », explique Siakam, ici photographié à Salzbourg (en Autriche) le 26 juillet dernier.


« Il a énormément progressé en termes de gestion du ballon et de prise de décision », estime Marvin Menzies, son coach au Nouveau-Mexique.

séances d’entraînement et les innombrables tirs au panier durent bien douze mois par an. Vous ne pensiez tout de même pas que ces instants de pure magie étaient le simple fruit du hasard ? Avec cette fluidité qui le caractérise, Siakam a enregistré une moyenne de 24,2 points, 5,8 passes décisives et presque 7,8 rebonds par match au cours de la saison NBA 2022-2023, au sein d’une équipe tiraillée entre les performances passables et les passes d’armes ­sublimes. Les Raptors ont fini la saison à .500, confirmation d’une période compliquée. « On ne peut pas vraiment se réjouir d’un bilan de 41 à 41 (matches gagnés et perdus, ndlr), constate Siakam. Il faut qu’on se penche sur ce qui n’a pas marché, qu’on essaie de faire mieux, qu’on continue d’avancer. On est une jeune équipe bourrée de potentiel, il faut continuer de progresser, point barre. » 68

Chemin de découverte

Sur les dix saisons précédentes, les ­Raptors ont atteint les playoffs à huit reprises et ont réussi à se hisser jusqu’aux demi-­finales de la Conférence de l’Est à cinq ­reprises. Autrement dit, Toronto est habituée à mieux. Autant la ville que la franchise misent tout sur Siakam, leur meilleur joueur, pour revenir au top. Une pression énorme pour quelqu’un qui ne connaissait rien au basket jusqu’à l’âge de 16 ans. Lui et ses trois frères aînés grandissent au Cameroun, pays qui ne ­jurait (et ne jure toujours) que par le foot

« Les Raptors sont bourrés de potentiel. »

et n’offrait alors aucune alternative. ­Pascal se voyait plus comme le prochain Samuel Eto’o (son compatriote qui a fait les beaux jours du FC Barcelone, de l’Inter de Milan et du Chelsea) que comme le futur Chris Bosh. C’est par hasard, en participant à un camp de basket, qu’il est repéré par Luc Mbah a Moute, joueur de NBA lui aussi originaire du Cameroun. Pascal a des dispositions naturelles : un bon jeu de jambes, une certaine aisance et cette détermination dans les yeux qui ordonne à la fatigue de se taire. Mais c’est encore un diamant brut. Après quelques camps d’entraînements supplémentaires, il commence sérieusement à s’imaginer en roi du dunk. « Le simple fait de voir tous ces joueurs de la NBA, de les toucher, de leur parler, c’était réel, se souvient Pascal. Là d’où je viens, on n’est pas habitué à accomplir ce genre d’exploits, on atteint rarement ces THE RED BULLETIN


Pascal Siakam

« Mon père a tout sacrifié pour moi, il m’a guidé pour aller à l’université. » niveaux de succès. Donc, jusqu’à ce que je m’y mette vraiment à fond, tout cela semblait vraiment irréel. Je me suis dit hey, ces mecs sont comme moi, ils viennent de pays comme le mien. » Il décroche une bourse d’études et part à Lewisville (Texas), à l’autre bout de la planète. Un sacré changement qu’il affronte en s’inspirant de certains modèles comme ses frères Boris, Christian et James, déjà inscrits dans des équipes de basket universitaire aux États-Unis, mais aussi de célébrités comme Mbah a Moute ou encore Embiid, eux aussi sortis du continent africain pour poursuivre le rêve américain et connaître de mémorables carrières NBA. Boudé par les recruteurs, Pascal décide en 2013 d’intégrer l’équipe de l’université d’État du Nouveau-Mexique. Nouvelle destination, nouveaux visages, un changement forcément chargé d’émotions

e­ ncore accentuées par le décès de son père, Tchamo, qui meurt dans un accident de la route en 2014. Pour éviter de perdre son visa en cours de procédure, Pascal devra renoncer à se rendre aux funérailles.

Point barre

Mais les larmes ne l’empêcheront pas de trouver sa voie. « Le décès de mon père a été un moment crucial. J’ai vraiment ouvert les yeux pour m’investir complètement dans le basket : voilà quelqu’un qui avait tout sacrifié pour moi, qui m’avait guidé pour que je puisse aller à l’université et jouer au basket. Mentalement, après cela, j’ai pris une nouvelle trajectoire. Mes objectifs de carrière ont changé, j’ai travaillé avec encore plus d’acharnement. » Pour sa première année avec les ­Aggies, il saute les compétitions pour mieux s’entraîner avant de connaître une saison 2014-2015 phénoménale qui aboutira sur un titre de Freshman de l’année de la Western Athletic Conference. La saison suivante, il est nommé joueur de l’année de la WAC à l’unanimité. « Il avait une mission en tête, explique Marvin Menzies, ex-coach de l’université d’état du Nouveau-Mexique. Pour la plupart, l’objectif numéro un est d’intégrer la fac. Après, il y a ceux qui veulent poursuivre leur carrière et ceux qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour y arriver. C’est ce qu’il a fait. »

Cet été, Siakam a passé une semaine en Autriche, entre tourisme et entraînements. « J’aime ces situations où je peux sortir de ma zone de confort. » THE RED BULLETIN

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Coriace : 24 points, 6 passes décisives et 8 rebonds en moyenne par match au cours de la saison, voici Pascal Siakam, aka « Spicy P ».


Pascal Siakam

CHARLIE LINDSAY/RED BULL CONTENT POOL

Un Camerounais devenu star de la NBA : un parcours incroyable, sauf pour lui. « On a du potentiel », dit-il à propos de sa jeune équipe des Raptors dont il veut devenir capitaine.

À quelque 5 000 km de là, en Ontario, plusieurs recruteurs découvrent la poly­ valence de son jeu en visionnant un match qu’il dispute à Las Cruces. Siakam est sélectionné par les Toronto Raptors à la 27e position de la draft 2016 de la NBA. Une sélection qui s’inscrit parfaitement dans la logique multiculturelle de Toronto et sa population composée de plus de 200 groupes ethniques pour plus de 140 langues parlées. L’endroit rêvé pour quelqu’un comme Pascal Siakam et sa ­vision globale du monde. Mais le début de cette aventure va être délicat. Affronter les Cal State Bakersfield Roadrunners et dribbler contre les Boston Celtics sont deux mondes différents. Comme la plupart des nouvelles recrues, Siakam met du temps à s’adapter au nouveau rythme, passant sa première année entre le banc de touche et de rares performances sur le terrain, ce qui lui vaut d’être réorienté vers l’équipe de développement de la NBA, les Raptors 905. Mais en éternel bosseur acharné, Siakam profitera de cette période pour remporter le championnat de ligue D et le titre de MVP lors des finales.

Le tangible et le concret

Puis vient le déclic. Début de la saison 2018-2019, il semble mieux maîtriser le ballon et ses attaques se font plus THE RED BULLETIN

t­ ranchantes. Et il arbore un visage plus ­serein lors de ses duels en un contre un. Le kid de Douala commence à faire des miracles. Si l’équipe de Toronto a pu remporter le trophée de champion de NBA en 2018-2019, elle le doit pour beaucoup à Siakam. Sur les 24 matches de série éliminatoire des Raptors, Siakam a marqué au moins 18 points dans 15 d’entre eux. Sa défense étouffante et son agressivité de chien fou sur les rebonds ont peut-être échappé aux stats, mais pas à la vigilance des spécialistes qui l’éliront « joueur de la ligue à la meilleure progression ». « Je pense qu’il a fait de gros progrès autant au niveau de sa gestion du ballon que de sa prise de décision, ajoute ­Menzies. Il s’est amélioré en un contre un,

Sa défense étouffante et son agressivité n’échappent pas à la vigilance des spécialistes.

drible et se débrouille mieux depuis le ­périmètre. Il comprend mieux le jeu. » Depuis leur victoire quatre ans plus tôt, les Raptors connaissent des résultats en dents de scie. Contre toute attente, leur dernière fin de saison s’est terminée trop prématurément, surtout avec des joueurs du niveau de Siakam et de jeunes recrues prometteuses comme O.G. Anunoby et Scottie Barnes. Résultat décevant qui a abouti au licenciement de Nick Nurse, coach principal de l’équipe. Et vinrent des rumeurs sur un départ de Pascal. « Je n’y accorde aucune importance », riposte Siakam avec flegme. Élu joueur de Third Team par le panel de la All-NBA en 2022, il pourrait recevoir des offres mirobolantes au terme de sa saison 2024, quand son contrat actuel aura expiré. « Je n’y pense pas. Pour moi, jouer en NBA est une bénédiction. Tout ce que je veux, c’est continuer sur ma lancée, travailler dur et rester concentré. Je vais continuer d’améliorer mon jeu et rester concentré sur les choses tangibles et concrètes. C’est tout. » Siakam se fait plus volubile quand la conversation dévie sur les jeunes athlètes africains. Basketball Without Borders, le camp d’entraînement qui l’a révélé il y a quelques années, sponsorise plusieurs événements sur le continent, ce qui fait évoluer les mentalités. Initiée au Sénégal en 2017, l’Académie NBA Africa permet de révéler les meilleurs talents de la ­région dans le cadre d’une structure ­d’entraînement officielle. Et la Basketball Africa League, qui a conclu sa troisième saison en 2023, fait déjà figure de tremplin pour jeunes talents, avec 17 de ses joueurs sélectionnés pour les équipes de la Coupe du Monde FIBA. Au cours de son entraînement à Los Angeles, Siakam croise un jeune joueur de l’académie NBA. Magique. Pour la super­star, la boucle est bouclée : quelques années plus tôt, il avait lui-même cherché conseil auprès de Mbah a Moute, et c’est désormais à lui de partager ses expériences avec les nouvelles générations ­internationales. « Je veux faire tout mon possible pour que ce développement continue, dit-il. Avoir des enfants qui me regardent moi, Joel Embiid et tous les autres joueurs africains et pensent, hey, Embiid vient d’être élu MVP de la ligue, je peux le faire aussi. Oui, j’espère vraiment qu’on va continuer sur cette lancée. » Il est sans doute le mieux placé pour guider les jeunes dans cette aventure. Instagram : @pskills43 71


Venu tout droit de Bradford : le Bad Boy Chiller Crew, photographié pour The Red Bulletin à l’O2 Academy Leeds (Angleterre) en mai dernier.


Le sang de la bassline Pranks, prison et pump tracks. Pour les figures de l’incroyable SCÈNE ­UNDERGROUND DE BRADFORD (Royaume-Uni), il ne s’agit pas seulement de musique, mais d’une échappatoire. Vers une meilleure vie, peut-être, mais jamais loin de leur communauté bien-aimée.

Texte ALICE AUSTIN Photos YUSHY 73


Bassline

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orsque le Bad Boy Chiller Crew entre en scène, on a l’impression qu’il est dans son salon. Ses membres saluent leurs fans comme s’ils étaient de vieux potes, et d’ailleurs ils le sont bien souvent. Le fameux mulet de Clive dépasse de sa parka géante, la chemise blanche de GK matche avec son sourire du chat d’Alice au pays des merveilles, et Kane arbore des ­lunettes noires et mime des coups de feu. La foule hurle tout au long de leur morceau d’ouverture, Get Out My Head, tiré de leur EP de 2021, Charva Anthems. Lorsque le refrain démarre, des feux ­d’artifice sont lancés dans les airs. On dirait que l’O2 ­Academy Leeds vient de se faire baptiser au ­papier toilette. « Oggy oggy oggy ! », scande GK. « Oi oi oi ! », répond Leeds. On n’arrête plus le collectif bassline de Bradford. En 2019, The Guardian a classé le Bad Boy Chiller Crew dans les cinquante nouveaux artistes à surveiller en 2020. Jon Caramanica, grand critique musical au New York Times, a fait figurer son deuxième ­album, Disrespectful, parmi les dix meilleurs de l’année 2022. Et en 2023, le BBCC a été nommé pour le 74

BRIT Award du groupe de l’année. Le crew a choisi Leeds pour le coup d’envoi de sa plus grande tournée à ce jour : il veut susciter un engouement de folie avant la sortie de son troisième album studio, Influential. Un parcours impressionnant pour une carrière lancée sur Facebook, Instagram et TikTok, où les sujets abordés étaient, et sont toujours, loin d’être angéliques. Si vous faites une recherche rapide sur Google, vous découvrirez que tout a commencé vers 2017, quand Gareth « GK » Kelly, Kane Welsh et Sam « Clive » Robinson ont décidé de poster des petits sketches dans le style Jackass sur les réseaux sociaux. À Bradford, les jeunes réalisaient des cascades de ce genre depuis des dizaines d’années, mais les membres du BBCC ont été les seuls à avoir le cran (ou l’inconscience) de les partager auprès du grand public. Les vidéos des trois compères ne sont pas faites pour les âmes sensibles – entonnoirs à vodka, combats de paintball et apologies de la drogue ne sont pas rares – mais l’énergie, l’humour et le grain de folie des membres du crew ont mis dans le mille. Les jeunes de Bradford les ont bingés : ils y ont trouvé pour la première fois un reflet d’eux-mêmes. Les membres du BBCC ont commencé à jouer les MC pour la blague, tout en conservant un boulot classique dans la journée (Welsh et Robinson emballaient des boîtes dans un entrepôt, tandis que Kelly conduisait un camion de glaces), mais la musique bassline de la fin des années 1990 et du début des années 2000 les a inspirés. La bassline est un genre de musique garage typique du Yorkshire. Elle allie des voix hachées, des basses qui claquent et une pop légère. On en retrouve les premières traces au

En force : Welsh et ­Robinson, membres du BBCC, crachent leurs rimes à l’O2 ­Academy (en haut) ; « C’est trop des gros bâtards » – les fans expliquent l’attrait du crew (en face) ; on sort les smartphones pour Don’t You Worry About Me (dessous) ; l’O2 Academy de Leeds sous bannière BBCC (bas de page à gauche) ; le merch du BBCC est aussi sobre que le crew lui-même (dernière photo). THE RED BULLETIN



Bassline

Niche, un club de Sheffield où les DJ mixaient des morceaux de garage avec une house mélodique. Alors que le grime et le dubstep s’emparaient du sud du Royaume-Uni, les DJ du Yorkshire ont commencé à remplacer les samples vocaux par des breaks et des basslines sur lesquels les MC posaient leur rap. C’est devenu un genre de musique spécifique de la région. Les MC et les producteurs tels que 1st Born, Big Ang, Mr Virgo, J69, DJ Veteran et DJ Q sont aujourd’hui de vraies légendes. En 1998, Boilerhouse, le premier club à proposer des afters à Bradford, a lancé une nuit de la bassline qui a eu un tel retentissement qu’elle influe encore sur les goûts musicaux de la ville. À présent, les clubbeurs sont devenus parents. S’ils ont transmis à leurs enfants un solide engouement pour ce genre, la nouvelle génération perpétue activement ce bel héritage. Preuve en est le regain d’intérêt survenu à la fin des années 2010. Avec le BBCC comme chef de file.

U

ne jeune femme aux lèvres trop gonflées tire une taffe sur sa Richmond dans la zone fumeurs alors que le remix bassline du titre Believe de Cher par le BBCC résonne derrière les portes. « Au nord du pays, tous les enfants, y compris les membres du crew à l’époque, ont été élevés dans la cuisine, explique-t-elle. Nos daronnes nous amenaient au pub parce que personne ne pouvait se payer de baby-sitter. Quand on était gosses, on jouait dans un coin, et puis on allait dans la cuisine de quelqu’un pour l’after. » Bradford est la plus jeune ville du Royaume-Uni : 29 % de sa population a moins de 20 ans et près d’un quart de ses habitants a moins de 16 ans. Or, tous ces jeunes sont un peu désœuvrés. Le district

fait partie des trente districts les plus défavorisés d’Angleterre, et les chiffres de l’an dernier indiquent que plus de 35 % des enfants de Bradford vivent sous le seuil de pauvreté. De bien des façons, la bassline est une ligne de vie. Le Bad Boy Chiller Crew est peut-être la superstar du campus de Bradford, mais une flopée de MC et de producteurs locaux sont sur ses talons. S Dog est l’un d’entre eux. Il demande à The Red Bulletin de le retrouver au BD7. Nous pensions qu’il s’agissait d’un lieu de rendez-vous précis, mais c’est en réalité un code postal. S Dog arrive à bord d’une Land Rover qui s’arrête devant Salah’s, une enseigne de poulet frit.

L

e MC parle comme il rappe, à coups de punchlines, et bien que vous n’ayez sans doute pas envie de le croiser dans la rue, il arbore un sourire franc et totalement désarmant. « Au départ, je faisais juste de la musique pour me marrer, expliquet-il lors de notre conversation sur un banc du Horton Park à Bradford. J’étais du genre à recracher un rap après l’avoir écouté deux ou trois fois. Bizarre, hein ? Je pense que c’est à cause de mon TDAH. » S Dog a purgé quatre peines de prison. La dernière fois, l’un de ses codétenus lui a demandé d’écrire des paroles sur le flow d’un autre artiste. « Je suis allé dans ma cellule, j’ai écrit quelques chansons et je les ai rappées le lendemain matin. Mon pote m’a dit : “Mec, c’est de la balle !” Même les matons me conseillaient de me lancer dans la musique à ma sortie de prison. » Et c’est ce qu’il a fait. Lorsqu’il a été libéré en 2018, S Dog a appelé un pote de pote qui avait un studio à Normanton – une ville située à 30 km au sud-est de Bradford – et il y a enregistré une chanson. Ce type

Source code : les rues de BD7 dans le sud ouest de Bradford (à gauche) ; S Dog, le MC à capuche (à droite).

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THE RED BULLETIN


« J’étais du genre à ­recracher un rap après l’avoir écouté deux ou trois fois. Bizarre, hein ? » S Dog

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Bassline

« C’est pas un air qu’on se donne. On est comme ça, gros. » GK, Bad Boy Chiller Crew lui a raconté qu’il avait été en prison avec quelqu’un qui connaissait Adam Williams, le gars qui a créé P110, une plateforme vidéo de grime, rap et freestyle. « Adam a publié cette chanson sur sa chaîne et j’ai tout de suite attiré l’attention », se souvient S Dog. Très vite, il a cumulé plus de 30 000 followers sur ­Instagram. S Dog est déterminé à percer dans la musique, pour lui mais aussi pour sa fille : « Je veux qu’elle soit fière de moi. Je suis passé d’un hobby à un vrai job en un rien de temps. » En 2020, S Dog s’est associé au Bad Boy Chiller Crew pour enregistrer 450, un son qui les a tous catapultés vers la stratosphère. « Ça a clairement changé ma vie, déclare Dog. Aujourd’hui, où que j’aille, tout le monde veut faire un selfie avec moi. »

L

es artistes de Bradford ont créé leur propre écosystème musical par nécessité. Un aller-retour à Londres peut coûter jusqu’à 100 livres sterling (environ 115 euros). Cela revient parfois moins cher de prendre l’avion pour partir en Espagne que de

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serendre dans la capitale culturelle du Royaume-Uni. Les jeunes musiciens n’ont pas leurs entrées dans le milieu londonien. Alors ils font équipe pour monter une scène hyperlocale qui est bien plus proche des jeunes que n’importe quel rappeur du sud de l’Angleterre. C’est la raison pour laquelle le BBCC continue à collaborer avec des artistes de la région, et à les transformer en stars locales par la même occasion. Becce J en est un parfait exemple. Née à Preston mais résidant aujourd’hui à Leeds, la chanteuse est surtout connue pour la voix qu’elle a posée sur le titre du BBCC intitulé Always Be My Baby Boy, dans l’album Disrespectful. Le manager du BBCC l’a contactée après son cover du titre Don’t You Worry About Me sur TikTok. Elle a rapidement retrouvé le groupe en studio et, quelques semaines plus tard, elle faisait la tournée et chantait devant des milliers de fans en transe. « Les gars m’ont filé un sacré coup de main quand ils m’ont demandé de les accompagner en tournée. Je n’avais jamais vu autant de monde qu’au festival de Leeds l’an dernier. » Le Bad Boy Chiller Crew ne rejouera pas de sitôt à ce festival. Ils sont arrivés en retard pour leur prestation en août dernier, ils ont descendu des pintes de bière et des shots d’alcool fort sur scène, ils ont dépassé le temps qui leur était alloué, puis ils se sont battus avec l’équipe de production quand on a tout coupé. Quelques heures plus tard, deux membres du BBCC auraient été remis en liberté provisoire sous caution après être passés par le poste de police local.

Vivre le moment présent : un fan du BBCC fait un FaceTime pendant l’O2 – l’engouement pour la bassline s’étend sur plusieurs générations dans le Yorkshire (ci-dessus) ; « Tout le monde sur scène se soutient », raconte la chanteuse Becce J (en face, en haut) ; Sluggy Beats, producteur dont la collaboration avec MC Marky B sur In The House a fait un million de vues sur YouTube (en bas). THE RED BULLETIN



« BBCC n’est pas Boy Scout Chiller Crew. » GK « Ouais, c’est notre dernier avertissement à tous les niveaux, avoue GK par téléphone. La musique, c’est notre job maintenant. On doit se montrer un peu plus responsables. On se tiendra à carreau pour cette tournée. » Les membres du BBCC n’ont jamais cherché à être des modèles, mais ils ont accepté le fait qu’ils l’étaient. « Les gosses nous admirent maintenant, explique GK. Mais tu sais, notre nom c’est Bad Boy Chiller Crew, pas Boy Scout Chiller Crew. » En fait, le BBCC est dans un sacré pétrin. Le crew est devenu célèbre parce qu’il reflétait la vie à Bradford, mais maintenant qu’il est pris dans les rouages de l’industrie musicale, tout ce qui a fait sa popularité le freine. Cependant, GK comprend ce que le Bad Boy Chiller Crew représente pour lui. « Sans le Crew, je serais encore à me balader dans les cités avec de la bassline à fond dans mon camion de glaces. »

B

on nombre des artistes bassline de Bradford sont des entrepreneurs dans l’âme. Prenons l’exemple de Sluggy Beats. Il nous retrouve au pôle d’échanges multimodal de Bradford pendant une après-midi pluvieuse. Sluggy Beats a étudié la production musicale au Wakefield College, à quarante minutes de Bradford en voiture, et il a commencé à écrire des musiques hip-hop pendant le confinement. Même quand nous ne sommes pas en pleine pandémie mondiale, il n’y a pas grand-chose à faire là où il habite. Il valait mieux faire de la musique que traîner dehors. Mais ses prods ne faisaient pas vraiment mouche. Puis il a commencé à écouter le BBCC. « J’ai découvert tous ces MC qui rappaient sur de la house. J’ai décidé de combiner les deux genres et de me faire un nom là-dessus. » Il a publié plusieurs de ses sons sur YouTube et a éveillé un certain intérêt, mais il s’est rendu compte qu’il devait sortir du cadre pour faire carrière : « Les gens achètent plus un nom qu’un son. Alors j’ai commencé à jouer plus les artistes que les producteurs. » Il préférerait faire un beat avec – et non pour – un artiste afin de rendre le processus plus collaboratif. Inspiré par le drill, Sluggy Beats a créé In The House, sa propre série de freestyles sur Spotify, où un MC invité rappe sur l’un de ses morceaux. Jusqu’à présent, il a travaillé avec le fleuron de la bassline (Marky B, KAV, YA, Wilko), et il est considéré comme l’un des meilleurs producteurs du Yorkshire ouest. Il exerce désormais son métier à plein temps, et il remercie le BBCC d’avoir ouvert la voie : « S’ils peuvent le faire, pourquoi pas moi ?» The Red Bulletin rencontre YA à Buttershaw, une cité située en banlieue de Bradford. Le MC nous attend sur un chemin jonché de déchets à l’arrière de quelques magasins – il nous explique qu’on lui en a interdit l’entrée. À première vue, on n’imagine pas que 80

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Bassline

fauché ici ». En 2025, Bradford sera « Ville britannique de la culture », distinction décernée tous les quatre ans dans le cadre d’un appel d’offres public. Cette récompense est synonyme de nombreux événements et investissements financiers : plus d’un millier de performances et d’événements, 365 commissions artistiques, de grands festivals dédiés aux arts, et des collaborations nationales et internationales. Mais la cité de YA en verra-t-elle la couleur ? « Les choses vont bouger dans le centre-ville, mais cela n’aura aucun effet pour les gens d’ici », regrette-t-il. Tant pis, les jeunes du coin trouvent leur inspiration ailleurs. YA est l’un d’entre eux, et sa musique en est le parfait reflet. L’un de ses plus gros bangers est Bradford Army, titre qu’il a écrit en 2021 avec Marky B et KAV. Les paroles résument la culture et les aspirations de Bradford : “I just wanna live life and party/They can’t do it like my Bradford army/Bro’s got the key for the E63/I’mma bounce in the nightclub wearing Armani.” (trad. Je veux juste vivre ma vie et faire la fête/Ils sont pas aussi forts que ma Bradford Army/Mon bro a la clé de l’E63/Je vais bouger en club dans mon outfit Armani.) Malgré les combats que doit mener la communauté – ou peut-être grâce à eux – l’énergie qui émerge se propage dans le monde entier. « On commence à nous remarquer », observe YA.

S

Crinière au vent : un poney solitaire broute tranquillement dans la cité de YA à Bradford (ci-dessus) ; YA porte un collier avec une photo de son père ­décédé (à gauche). THE RED BULLETIN

cette cité est l’une des plus pauvres du RoyaumeUni : les maisons de briques rouges semblent bien tenues et il y a de la végétation partout. Mais on éprouve également un grand vide, comme si cette cité avait été oubliée de tous. Un poney tranquillement en train de brouter ne fait qu’ajouter à ce sentiment d’isolement. YA a grandi dans le coin. Il a commencé à faire le MC à 8 ans, inspiré par les sons du Niche au début des années 2000. « Je voulais être comme eux, c’est clair. Alors j’ai commencé à faire du freestyle, à écrire, et j’avais 15 ans quand je suis arrivé sur YouTube. J’ai fait des vues… Puis j’ai tout stoppé pendant un petit moment et j’ai recommencé à publier des sons il y a seulement deux ou trois ans. » YA a arrêté la musique pour élever sa fille, et il a repris pour elle : « Je me suis dit qu’il valait mieux que je tente d’en faire quelque chose avant qu’il ne soit trop tard, en fait. » La musique a aidé YA à se tenir éloigné des problèmes pendant son enfance. « Quand j’avais 10 ans, il n’y avait rien pour nous, pas de maisons pour les jeunes, alors qu’est-ce qu’on était censés faire ? Se fighter, accumuler les conneries. Tout le monde est

i la bassline est apparue dans un contexte social difficile, ce n’est pas une première dans l’univers de la musique : les sons les plus révolutionnaires, y compris le rap, le disco et la house, sont tous nés au sein d’une jeunesse démunie. De la même manière, elle apporte quelque chose de vital : une libération et un sentiment d’appartenance. Alors que certains parents s’inquiètent parfois des sujets abordés, la bassline a globalement un impact positif dans une ville si difficile pour les jeunes. « De quoi Snoop Dogg et 50 Cent parlaient-ils à l’époque ?, demande GK. Sexe, drogue et rock’n’roll, gars. On est juste la version british. C’est pas un air qu’on se donne ni un spectacle. On est vraiment comme ça, gros. » Cela se lit sur les visages des spectateurs de l’O2 Academy Leeds pendant que le BBCC termine son show. Un océan de bobs s’agite tandis que retentit le titre préféré des fans, Don’t You Worry About Me. La foule est en délire dès les premiers mots de Welsh : “Bradford boys still winning (...) Come from crooks and villains.” (trad. Les gars de Bradford gagnent encore (...) Tous nés d’escrocs et de sales types.) Un groupe d’ados s’enflamme, chantant à pleins poumons leur refrain. « Si vous aimez le BBCC, faites du bruit ! », hurle GK dans le micro. Le résultat est sans appel : on entend un boucan de tous les diables. Quelque part dans cette foule, quelqu’un trouvera peut-être assez d’inspiration pour suivre les traces du groupe. Pour le Bad Boy Chiller Crew, quel que soit le nombre de ventes ou de stades remplis, l’important, c’est maintenant. Ils sont chez eux. YouTube : @officialbbcc ; @SluggyBeatsMedia ; @s_dog___ ; @officialya7312. TikTok : @beccejoan 81


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PERSPECTIVES Expériences et équipements pour une vie améliorée

GRENATS SUR GRANIT

STEFAN KUERZI

SIMON SCHREYER

Escalade de bloc dans le Tessin

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PERSPECTIVES Voyage

« Mes doigts s’agrippent fermement à une corniche de quelques centimètres de profondeur qui court le long de la paroi du granit. »

A

vis à toutes et tous les passionné·es de grimpe qui commencent cet article : rappliquez ici au trot ! AsconaLocarno, c’est l’art de vivre méditerranéen au beau milieu des paysages alpins. En tant que Britannique, le seul endroit comparable qui me vienne à l’esprit est le Lake District et ses majestueux paysages de lacs et de montagnes. Mais attention : le Tessin, avec ses sommets de plus de 3 000 mètres en toile de fond, est bien plus imposant. Sorte de grand-frère du Lake District, il s’étale entre le plus haut sommet des Alpes et le lac Majeur au bord duquel reposent Ascona, Locarno et toute une colonie de palmiers. Ce n’est pas pour rien que je viens ­régulièrement ici depuis plus de dix ans : le ­Tessin est l’une des régions les plus 84

­ iverses et les plus convoitées au monde d en matière de bloc et d’escalade. Imaginez des blocs de granit et de gneiss à perte de vue comme autant de défis pour grimpeurs et grimpeuses tous niveaux confondus, faciles d’accès mais au cœur d’une nature sauvage. Et juste à côté, Ascona et Locarno, deux villes mondialement célèbres pour leurs festivals. En plus, les roches sont praticables toute l’année : même en hiver, le climat reste doux et la neige n’atteint pas les vallées. À titre personnel, je considère l’automne et son lot de couleurs bigarrées comme la meilleure saison pour ­visiter le sud de la Suisse. Rien ne vous empêche de venir en ­famille, bien au contraire. Mon mari Ned, ma petite fille et moi prenons le bus (qui part plusieurs fois par jour de Locarno)

et arrivons une cinquantaine de minutes plus tard à Brione, dans le Val Verzasca, paradis suprême des grimpeurs et grimpeuses. De Brione, il ne reste plus que quelques minutes de marche pour atteindre les premiers rochers. Alors que notre bébé sommeille paisiblement à l’ombre des parois rocheuses, nous nous lançons dans une séance de bloc effrénée. Parmi mes voies préférées, je conseillerais There Is No Spoon (cotation 7b), Real Pamplemousse (8a) et Molonk (7c), de véritables classiques. Vous avez plutôt envie de vous laisser tenter par une randonnée ? Rien de plus simple, abandonnez votre attirail d’escalade à ­l’hôtel et avanti ! Les villages de cette région sont construits sur des pentes escarpées, THE RED BULLETIN

STEFAN KUERZI

Shauna Coxsey, grimpeuse professionnelle


PERSPECTIVES Voyage

Panorama de rêve : Shauna et son mari Ned s’offrent une randonnée avec vue sur le lac (à gauche) ; (ci-dessus) Shauna ­Coxsey en pleine session de bloc dans le Val Verzasca.

Stand-up paddle sur le lac Majeur : good vibes, eau cristalline et hautes montagnes. THE RED BULLETIN

r­ ibambelle d’antiques chaumières de pierres empilées sur le toit desquelles les cheminées fument éternellement. Un vrai décor de contes de fées accentué par les ponts de pierre et leurs voûtes en arc de l’époque romaine, à l’image du Ponte dei Salti non loin de Lavertezzo. Au milieu coule la rivière Verzasca. Dans son eau turquoise, limpide et rafraîchissante, nous surprenons quelques courageux plongeurs en combinaison. Le barrage de la vallée Verzasca attire lui aussi tous les regards. C’est d’ailleurs sur sa paroi de 200 mètres de haut qu’a lieu la Red Bull Dual Ascent, une compétition d’escalade en équipe à laquelle j’ai eu l’honneur de participer en 2022 en compagnie d’autres grands noms de la discipline comme Sasha DiGiulian, Jacopo ­Larcher et Babsi Zangerl. 85


PERSPECTIVES Voyage

Berne

Suisse TESSIN Ascona

Locarno

Itinéraire Se rendre au Tessin Depuis le nord, prenez l’A2 pour arriver au Tessin par le tunnel du Saint-Gothard. Si vous passez par le col en été, n’hésitez à y faire une petite escale : situés à 2 000 mètres d’altitude, les flancs de la montagne sont un vrai paradis pour toutes celles et ceux qui raffolent du bloc. Les CFF propose des lignes directes jusqu’à Locarno depuis Zurich, Bâle ou ­Lucerne. ascona-locarno.com

Petits conseils Tout le nécessaire pour faire du bloc Équipement de base : chaussures d’escalade, ­ sac de magnésie, brosse pour les prises et un ou deux crashpads. Pour vos randos en montagne, prenez de bonnes chaussures de marche, une veste, des ­vêtements imperméables et de quoi ­calmer la faim. Procurez-­vous quelques guides de Claudio Cameroni, maître incontesté des pros du bloc tessinois. Toutes les voies les plus importantes de la région y sont recensées en détails.

Ce que j’adore aussi, c’est que le coin fourmille de sportifs et sportives, surtout dans la grimpe, des quatre coins du globe. Nous avons croisé des mordu·e·s de la grimpe venu·e·s d’Allemagne, d’Italie, d’Ukraine, de Grande-­Bretagne et d’Australie. Si vous préférez l’eau, il vous suffit de louer une planche de stand-up paddle (SUP) à Ascona-Locarno et de vous élancer sur ce lac d’un bleu profond. La vue ­depuis l’eau est d’une beauté surréaliste, avec les palmiers et les façades multicolores des maisons de Locarno-Muralto alignées sur la rive et les Alpes enneigées en toile de fond. Le top du top : conclure votre promenade sur le lac par une bonne glace. Une autre excursion que je recommande : prenez l’ancien petit train à 86

­ uralto (départ toutes les onze minutes) M et descendez au départ du téléphérique à Orselina. En quelques minutes, vous atteindrez une montagne panoramique surplombant le lac. De là, vous pourrez décider si vous restez à Cardada (1 340 mètres) ou si vous continuez jusqu’à la Cimetta (1 670 mètres), départ de nombreuses randonnées et de pistes de VTT bien balisées. La plateforme d’observation vous permettra de profiter d’une vue imprenable à 360 ° sur le lac Majeur, point le plus bas du pays à 193 mètres au-dessus du niveau de la mer, et sur la pointe Dufour, dans le massif du Mont-Rose, point culminant de Suisse avec ses 4 634 mètres. Dans une telle région, la vita è bella, surtout pour une accro des montagnes ! Promenade en famille au bord du lac Majeur.

IG : @shaunacoxsey ; redbull.com THE RED BULLETIN

STEFAN KUERZI

Les pieds au ciel ! Shauna profite d’une vue imprenable depuis le mont Cimetta.



PERSPECTIVES comment… cifiques, mais il faudra les ­décomposer en étapes. Peur d’échouer à un examen ? Alors, décomposons le problème : une meilleure préparation entraînerait de meilleures connaissances et donc davantage de confiance en soi. « Avec ces images en tête, on a l’objectif global mais aussi la chronologie. On avance en se concentrant sur ce que l’on peut contrôler. »

Nos sens

Reprogrammer son cerveau, en finir avec les pensées destructrices et reprendre le contrôle.

Combien de pensées nous assaillent au quotidien ? Environ 6 200, selon une étude publiée dans la revue scientifique ­Nature Communications en 2020. Un rapport présenté en 2005 par la National Science Foundation américaine suggère que 95 % de ces pensées proviennent de la veille, et que quatre sur cinq sont négatives. Et si nos pensées étaient plus constructives ? C’est la proposition de The Choice Point (trad. Le moment du choix), ouvrage de Joanna Grover, spécialiste en thérapie cognitive et comportementale et Jonathan Rhodes, psychologue. Des choix, notre cerveau en traite des milliers par jour, mais, selon Jonathan, « peu d’entre eux définissent véritablement ce que nous sommes ». D’où le fameux « moment » de la prise de décision : « C’est un instant décisif où un comportement potentiel s’oppose à une valeur fondamentale. On estime que 88

cela arrive environ 80 fois par jour. Cette multitude de petits choix définissent ce que nous sommes. En les contrôlant, on change radicalement notre manière d’être et de penser. » La technique du duo ? Le Functional Imagery Training, ou FIT (trad. entraînement de l’imagerie fonctionnelle) qui combine visualisation mentale et entretien motivationnel est une méthode de consultation axée sur le changement comportemental. Selon Jonathan Rhodes, s’entraîner à utiliser son imagination peut nous aider à contrôler les pensées négatives. S’il compte surtout PDG et athlètes pros parmi sa patientèle, ces techniques pourraient vous être utiles…

soulignant que ses patient·e·s citent parfois la santé ou la famille parmi leurs valeurs, ajoutant aussitôt qu’ils et elles font rarement du sport ou passent trop peu de temps en famille. « Commencez par les comportements conflictuels, et remontez le fil jusqu’aux valeurs qui y sont attachées. »

Décomposer

Ces techniques fonctionnent mieux avec des objectifs spé-

Vos fondamentaux

Pour commencer, Jonathan Rhodes propose de déterminer cinq valeurs fondamentales. « Ce sont peut-être des choses qui provoquent la culpabilité », explique-t-il,

« Ces petits choix définissent ce que nous sommes. » Jonathan Rhodes, psychologue

Votre signal

Pour activer son imagination, rien de tel qu’un signal. « Le mien, c’est au moment du réveil quand mes pieds touchent le sol : là, je planifie ma journée. Pour les plongeur·euse·s de haut vol avec qui je travaille, c’est souvent un claquement de doigt avant de se lancer. » Une manière d’imaginer leur plongeon avant de le réaliser. À chacun sa méthode.

Affronter l’échec

« Pour chaque objectif, le spectre de l’échec n’est jamais loin avec son lot d’angoisse, de stress, voire de peur et d’évitement », précise ­Jonathan. Plutôt que d’éviter le sujet, il demande à ses ­patient·e·s de décrire cet échec. Selon lui, « se rendre dans cet espace négatif » est essentiel pour mettre ses peurs en perspective et surmonter les pensées irrationnelles. « On discute sur la manière de changer les choses. C’est l’idée du contraste mental : réfléchir où l’on veut aller, où l’on est actuellement, et à ce qui nous en empêchent. »

The Choice Point, en anglais aux éditions Hachette Go. THE RED BULLETIN

ISABELLE ARON

École de pensée

ALAMY, HAROLD F ESTIME

CHOISIR

FIT est plus qu’une simple ­visualisation. « On travaille ­autant sur les cinq sens que le mouvement et les émotions. Votre objectif est d’écrire un livre ? Essayez de le sentir, ­demandez-vous si ses pages ont l’odeur du neuf, pensez à des lecteurs qui vous disent que votre livre a changé leur vie. On parle là d’émotions. »


PERSPECTIVES Gaming

L

ors de sa sortie sur ­Nintendo Switch en mai dernier, The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom (en photo) a été acclamé par la critique. Une nouvelle capacité a particulièrement plu aux fans de la série Zelda (dont le premier opus date de 1986) : le pouvoir d’ascension, qui permet aux joueur· euse·s de se déplacer vers le haut même à travers des structures pour explorer plus facilement de nouveaux secteurs. Mais le plus surprenant est que cette fonctionnalité n’était pas prévue au jeu. Au cours de ses cinq années de production, les développeurs de Tears of the Kingdom ont intégré un mode de débogage permettant aux programmeurs de se déplacer plus vite dans cet open world lors de leurs tests. Ils étaient tellement emballés qu’ils ont décidé d’en faire profiter les joueurs. « C’est devenu ma fonction préférée, explique Jack Yarwood, chroniqueur pour Time Extension, site internet de jeux vidéo rétros et classiques. C’est terriblement impressionnant : ce n’est pas vraiment de la triche et ça marche du tonnerre. » Un saut évolutif propre à l’histoire même du jeu vidéo : facultés découvertes par les joueurs, anomalies involontaires dues au code et même énormes bévues. Jack revient pour nous sur quelques évolutions accidentelles devenues si essentielles aux jeux vidéo qu’on doute qu’elles n’étaient pas intentionnelles.

NINTENDO

TOM GUISE

Réaction en chaîne

Les combos, séries d’attaques fulgurantes que l’adversaire ne peut pas contrer, sont caractéristiques des jeux de combat modernes. Pourtant, on doit leur origine à un accident de conception : lors de la sortie de Street ­Fighter II en 1991, des petits malins découvrent que les images d’animation de certaines actions se chargent THE RED BULLETIN

des créateurs du jeu, ndlr) ­assure que c’est le fruit du hasard, raconte Yarwood, même s’il y avait déjà un moment dans Doom (sorti en 1993, ndlr), où il fallait tirer sur un mur pour être repoussé vers une sortie secrète. Étourderie ou réelle découverte ? Le débat fait rage. Reste qu’aujourd’hui, impossible d’imaginer Quake sans son saut au lance-­ roquettes. »

Bagnoles futées

DÉCOUVERTES

Ces erreurs qui font notre bonheur Vos jeux vidéo préférés sont peut-être le fruit de gaffes. plus vite quand elles suivent d’autres images dans un ordre donné et s’empressent d’exploiter la faille. « Les combos sont devenus typiques de Street Fighter et des jeux de combat en général ; certains jeux en ont même fait un gag en les enlevant, comme One Strike où il suffit de toucher un personnage une fois pour qu’il meurt, et sa suite, Two Strikes », raconte Jack.

speedrunners cherchant à terminer un niveau le plus vite possible, la technique est popularisée en 1996 dans Quake, contre-coup des lois physiques réalistes du jeu ­générant un recul lors d’une explosion. « Tim Willits (un

Ascenseur éclair

Si, dans la vraie vie, tirer avec un lance-roquettes vers le sol sera sans doute votre dernière action, cela vous permet de décoller dans les jeux de tir à la première personne. Outil indispensable aux pros des combats à mort et autres

« Que serait Quake sans son saut au lance-roquettes ? » Jack Yarwood, rédacteur gaming

Need for Speed est une série de jeux de voitures célèbre pour ses courses-poursuites effrénées avec les forces de l’ordre. Surprise, celles-ci sont nées d’une erreur de ­programmation. « Lors de la création de Need for Speed II en 1997, un producteur s’est retrouvé entouré d’ennemis qui attaquaient sa Lamborghini, explique Jack Yarwood. Quand le bug a été signalé, on s’est aperçu que le responsable de l’intelligence artificielle avait défini des paramètres d’agressivité incorrects pour les voitures. » L’équipe était tellement emballée qu’elle en a fait un cheat à débloquer et c’est devenu l’élément phare de Need for Speed III: Hot Pursuit l’année suivante !

Toujours plus

Ancêtre des jeux vidéo sorti en 1978, Space Invaders introduit des vagues d’aliens filant vers le bas de l’écran et qu’il faut abattre jusqu’à l’ennemi final qui fonce vers vous à toute allure. Désormais pierre angulaire de tous les jeux vidéo basés sur le highscore, cette vitesse et cette difficulté accrue viennent des limitations technologiques de l’époque. « Comme il y avait peu d’éléments sur l’écran, le processeur reproduisait les sprites des aliens beaucoup plus vite », conclut Yarwood.

The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom est ­dispo sur Nintendo Switch ; nintendo.com. 89


CAP SUR L’EXCELLENCE L’America’s Cup est le terrain d’essai le plus prestigieux de l’ingénierie nautique. Pour l’édition 2024, Alinghi Red Bull Racing s’allie à un autre fleuron helvétique : Tudor. ­ election Series, qui décideS ront du challenger apte à ­défier le tenant du titre Emirates Team New Zealand. En attendant, les équipes doivent r­ especter certains critères : le support classique – si l’on peut appeler ces bolides des mers des bateaux classiques, évidemment – sera un AC75, un monocoque de 22,8 mètres équipé d’hydrofoils qui lui permettent de voler littéralement au-­dessus de l’eau. La plupart des critères de base sont les mêmes pour toutes les équipes : la hauteur du mât, la taille des voiles ainsi que celle des foils et des pales. À part ça, tout est permis. « Nous e ­ ssayons d’optimiser le support, explique Adolfo Carrau. Comme il y a finalement peu de normes de sécurité, nous pouvons tester toutes sortes de nouvelles inventions. De fait, celles-ci sont bien plus nombreuses dans notre domaine que dans celui de l’aéronautique ou de l’automobile. C’est d’ailleurs pour cela qu’on attire les meilleur·e·s ingénieur·e·s du moment. » Parmi les nouvelles technologies testées, il y a évi-

« L’America’s Cup est une compétition qui met en lumière les innovations. »

demment les matériaux : comme en Formule 1, l’enjeu de la course est avant tout de fabriquer un support qui soit le plus solide et le plus léger possible, en privilégiant l’acier inoxydable, le titane et la fibre de carbone, ainsi que des pièces composites, souvent imprimées en 3D. « Nous concevons et fabriquons 90 % de tout ce qui va aller à bord, poursuit Carrau. Exceptés la peinture et quelques éléments de la structure de base, la plupart des pièces ne sont pas disponibles dans le commerce. Nous faisons tout nous-

L’équipage d’Alinghi Red Bull Racing, à bord de l’AC75, porte la nouvelle montre Pelagos. L’AC75 à foils ­Alinghi Red Bull Racing, avec B ­ arcelone en ­arrière-plan. CHARLIE THOMAS

America’s Cup est le grand rendez-vous de la course vélique de pointe : environ tous les quatre ans, la célèbre aiguière d’argent est remise en jeu par le tenant du titre – le defender – qui doit affronter plusieurs challengers dans des duels au coude à coude, où chaque seconde compte. Mais au-delà de l’aventure humaine, cette course mythique est avant tout un grand terrain d’expérimentation technologique. Comme le résume Adolfo Carrau, design coordinator d’Alinghi Red Bull Racing, l’America’s Cup est « une course à l’innovation : en un sens, c’est le bateau le plus rapide qui l’emporte ». Alinghi n’en est pas à sa première participation, puisqu’il a déjà remporté les éditions 2003 et 2007. Son alliance avec le géant de la F1 Red Bull Racing est en revanche une première, même si elle paraît logique – l’America’s Cup n’est-elle pas surnommée la F1 des mers ? L’union de ces deux monstres sacrés de l’innovation sera mise à l’épreuve en août 2024 lors des Challenger

TUDOR

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mêmes, en imaginant les pièces dont nous avons ­besoin. » Excellence technologique C’est dans cette même recherche de perfection qu’Alinghi Red Bull Racing a décidé de s’allier, en 2022, à un autre grand nom de l’innovation et de la précision : Tudor. L’horloger suisse, dont les montres de plongée, notamment la Pelagos FXD, ont fait la renommée, fabriquera en effet les montres officielles du Team suisse. Initialement conçue pour la marine française, la ­Pelagos


challenger suisse de s’allier à Tudor pour la création de sa propre montre : la Tudor ­Pelagos FXD Alinghi Red Bull ­Racing Edition. Ce partenariat, qui constitue pour l’horloger helvétique la première intrusion dans le monde de la régate, a donné naissance à deux modèles : une montre et un chronographe – le premier chronographe auquel Tudor a d’ailleurs ajouté ses barrettes fixes. La lunette bidirectionnelle, dotée de marqueurs allant de

60 à 0, est en titane ; le dos du boîtier est en acier inoxydable, et le boîtier lui-même est constitué d’un composite de carbone exclusif et de haute technologie – un matériau composé de fibres de carbone et d’autres éléments que l’horloger « garde secrets ». Hommage au maritime Il est à noter que ces trois mêmes matériaux sont largement utilisés dans l’AC75 luimême. « Dans ce sport, la victoire passe par la fusion d’un

LE VOILIER Un AC75 sur la mer Méditerranée au large de Barcelone. Voici la figure de proue d’Alinghi Red Bull Racing.

CHARLIE THOMAS

Carbone, titane et acier inoxydable : « Le monocoque est entièrement ­fabriqué sur mesure. »

TUDOR

FXD a été é ­ laborée avec le concours des plongeur· euse·s de la marine nationale : avec son boîtier en titane de 42 millimètres et son affichage ­luminescent, elle est étanche à 200 mètres de profondeur. Les trois lettres FXD font référence au fait que les barrettes du bracelet sont fixes, car modelées directement dans la masse en composite carbone du boîtier – un gage de solidité particulièrement utile aux plongeur·euse·s et nageur·euse·s de ­combat. Autre particularité : une lunette tournante bidirectionnelle, parfaitement adaptée à la navigation sous-­ marine. ­Devant une telle excellence technologique, il apparaissait évident pour le


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esprit humain résolument audacieux et de la technologie la plus pointue, explique Tudor. En combinant un composite de carbone de haute technologie avec du titane et de l’acier inoxydable – une première pour Tudor – les montres célèbrent un partenariat né de cette philosophie. » Afin de souligner encore mieux cet hommage à l’univers maritime, Tudor a utilisé, pour le modèle Alinghi Red Bull Racing « Team Blue », ses bracelets-­rubans de 22 millimètres – fabriqués sur des ­métiers à tisser français du XIXe siècle afin d’offrir un niveau de robustesse et de confort sans précédent. Dotés d’une boucle « D » en titane et d’un système ­d’attache auto-grippant, ces bracelets sont d’une fiabilité à toute épreuve. Les couleurs du cadran – ainsi que le petit motif placé entre les chiffres 10 et 2 – rappellent celles de l’AC75 utilisé par le Team suisse.

Carbone Le mât et la coque de l’AC 75 sont en fibre de carbone, le boîtier de la montre est en matériau composite à base de ce même élément.

Acier

Titane La lunette de la montre est fabriquée en titane, tout comme les hydrofoils du bateau.

Le dos du boîtier de la montre, les pales de l’hydroptère et les fixations sur le pont sont constitués de ce matériau.

LA MONTRE Le modèle T ­ udor Pelagos FXD A ­ linghi Red Bull Racing Edition existe en version Chrono (photo) et Time Only.

Finesse et précision Pour la marque horlogère, le partenariat avec Alinghi Red Bull Racing s’inscrit dans une même volonté d’excellence : « En plus d’être 100 % suisse, cette alliance illustre surtout la même vision des choses quand il s’agit de pousser un projet à sa perfection. La série Pelagos est, d’un point de vue technologique, la plus poussée des montres de plongée chez T ­ udor : c’est donc en toute logique que nous l’avons sélectionnée pour développer un modèle qui convienne parfaitement à la plus prestigieuse course nautique de tous les temps. » Une chose est sûre : l’année prochaine, les dernières secondes avant le coup ­d’envoi de l’America’s Cup s’égrèneront sur les montres Tudor Pelagos FXD Alinghi Red Bull Racing Edition, fixées aux poignets de quelques-uns des plus grands marins au monde. tudorwatch.com


PERSPECTIVES Fitness Le bon coaching

Quand Lucy Cork décroche un nouveau rôle qui requiert de nouvelles compétences, elle se tourne vers les spécialistes du genre. « Dans Hobbs and Shaw, il y avait beaucoup de parkour, j’ai donc pas mal planché sur certains mouvements. » Pour elle, rien ne vaut des cours particuliers, que ce soit pour débuter une discipline ou pour se perfectionner. « On apprend mieux qu’en groupe, on peut poser plein de questions. Et physiquement, on travaille beaucoup plus, parce qu’on ne peut pas se ­cacher derrière les autres ».

Gérer son rythme

Cascadeuse pour le grand écran, Lucy Cork nous donne quelques conseils pour se forger un corps à l’épreuve des balles en toutes circonstances.

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e premier job de Lucy Cork ? Atterrir à vélo dans une benne à ordure. Une bonne piqûre de rappel après deux années pour rejoindre le British Stunt Register (l’association des spécialistes de la cascade au Royaume-Uni) et trois séances d’entraînement quotidiennes dans diverses disciplines spécialisées comme la plongée sous-marine ou le trampoline. « Il faut bien commencer, pas vrai ? », ­s’exclame-t-elle en riant. Une nouvelle étape commence avec son rôle de doublure de Rebecca Ferguson sur le tournage de Mission: Impossible - Rogue Nation (2015). Un rôle qui la jette dans le grand bain puisqu’elle est tirée sous l’eau par un câble en sauvant le personnage de Tom Cruise d’une mort certaine. « C’est probablement l’une de mes pires expériences 94

sous l’eau. L’actrice que je doublais était en petite tenue. Ils m’avaient bien préparé des lentilles spéciales mais sous l’eau on ne voit pas grandchose. J’étais tirée à l’horizontale avec l’eau qui me rentrait par le nez, prisonnière du câble jusqu’à ce qu’ils finissent par crier : coupez ! » Depuis, la jeune femme de 31 ans a sauté d’une voiture en marche (pour Rachel Weisz dans Black Widow) et affronté Dwayne « The Rock » Johnson en tant que doublure de Vanessa Kirby sur Fast & Furious: Hobbs and Shaw. Plus récemment, elle a repris son rôle dans Mission: Impossible pour le nouvel opus de la franchise. Tout cela implique une grosse préparation, devant et derrière la caméra. Lucy Cork suit un entraînement structuré, équilibré et intensif. Voici ses enseignements pratiques pour la vie quotidienne.

S’échauffer

Sur le tournage du film Black Widow, Lucy Cork devait sauter d’une voiture en marche. Pour garder ses sens en éveil, elle compte sur la caféine et ne commence jamais une prise sans préparation physique préalable pour éviter toute blessure. « J’échauffe épaules, cou et hanches puis je fais la première cascade lentement avant d’augmenter l’intensité. »

« C’était vraiment affreux d’être plongée sous l’eau. » Lucy Cork, cascadeuse

Garder le cap

Tourner une série comme The Witcher fait penser à un exercice militaire interminable, « notamment ce combat qu’Henry Cavill et moi avons tellement répété parce que les mouvements étaient aussi complexes que précis. Mauvais timing, baisse d’énergie ou n’importe quoi d’autre et on reprenait depuis le début. On a fait un nombre incalculable de prises très longues et épuisantes ». Lucy Cork s’est mise aux bains de glace et au sauna pour récupérer plus vite et mieux, et implémente des exercices moins ­intenses dans sa routine. « Et enfin, afin de garder l’équilibre, je me suis mise au yoga et au Pilates. »

Instagram : @lucycork THE RED BULLETIN

CHARLIE ALLENBY

Combat, endurance, action !

JOEL HICKS, MICHAEL CARLO

TRAINING

Même quand elle ne se prépare pas à un nouveau rôle, Lucy Cork continue de s’entraîner deux fois par jour pour rester au top. Mais pas la peine d’en faire trop : « Il faut s’entraîner de manière intelligente. Si j’ai un gros combat ou une cascade difficile, je vais y aller mollo. Le but n’est pas de se torturer à chaque séance, surtout avant plusieurs mois d’efforts physiques intenses. » Elle fait également des séances de cardio quotidiennes pour avoir une meilleure endurance.



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