The Red Bulletin CF 03/23

Page 1

ENVOL AU SOMMET

La championne du monde d’escalade

PETRA KLINGLER sur son ascension intérieure

HORS DU COMMUN
SUISSE, 3,80 CHF 03/2023
ABONNEZ-VOUS DÈS MAINTENANT getredbulletin.ch

PLUS HAUT

Ce qui unit les invité·e·s de ce numéro ? Toutes et tous ont dépassé leurs limites, faisant leurs preuves non seulement dans leur sport mais aussi au-delà. Petra Klingler, en couverture, a dû se coltiner un bon nombre de rabat-joie au cours de sa vie, qui la jugeaient trop massive, pas assez athlétique pour atteindre l’élite des grimpeuses. Sa plus belle revanche ? À 31 ans, elle est la grimpeuse la plus performante et la plus polyvalente de Suisse. Elle nous raconte, page 38, comment elle est parvenue au sommet de son art.

Le joueur de tennis Stéfano Tsitsipás ne se laisse pas non plus limiter par les lignes du court, au contraire, il pense bien au-delà. Découvrez ses projets, après sa carrière, et sa passion pour la photographie à partir de la page 66. Le pilote écossais de BMX Kriss Kyle a, lui aussi, fait des prouesses, déjouant la gravité et utilisant la technologie de la Formule 1 pour réaliser un parkour à 600 mètres d’altitude. Ses photos époustoufantes sont à découvrir page 48.

Fini la routine, par ici l’aventure ! La Rédaction

Contributions

ANTOINE TRUCHET

Le photographe français dit de sa séance photo avec Stéfanos Tsitsipás : « Elle s’est déroulée dans un cadre magnifique à Marbella, en Espagne. Comme Stéfanos s’intéresse à la photographie et à la réalisation de films, il a été très facile de travailler avec lui. Il a participé à la réflexion et a apporté des idées, ce que j’ai beaucoup apprécié. » Page 66

LAKIN STARLING

« La Nouvelle-Orléans me contamine toujours avec son esprit particulier. Lors de cette visite, Big Freedia a fait de même, déclare l’autrice de notre portrait de l’artiste hip-hop, qui vit à Brooklyn, New York. J’avais déjà vu Freedia dans un show de télé-réalité et je savais qu’elle était unique, mais son authentique gentillesse m’a vraiment bluffée. »

Page 58

PHILIP MÜLLER

La spécialité du photographe, ce sont les portraits. On voit qu’il s’est beaucoup amusé lors du shooting avec l’ancien mannequin et designeur Yannik Zamboni, qui se définit comme « l’épicentre de l’antimode ». D’autant plus que Zurich, le cadre du shooting, est le nouveau lieu de résidence du photographe, lui qui vient de passer 25 ans à Paris.

Page 79

ÉDITORIAL
4 THE RED BULLETIN SANDRO BAEBLER (COUVERTURE)
© Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York.

L’actrice et réalisatrice hollywoodienne parle de sa révolution douce.

RAFAEL « VENI » EISLER 20

Le gameur pro révèle nous raconte son ascension dans Minecraft.

JOANA MÄDER & ANOUK VERGÉ-DÉPRÉ 22

Le duo suisse de beach-volley revient plus fort après une blessure. Mais où et quand ?

PHOTOS CHOC AGENCE TOUS RISQUES 24

Red Bull Caisses à Savon est de retour en Suisse. Voici les images les plus drôles des rencontres passées.

Petra Klingler est la meilleure grimpeuse de Suisse. Elle y est parvenue grâce à sa force mentale. BMX

Le prodige écossais Kriss Kyle est allé tutoyer les anges à 600 mètres d’altitude pour cette cascade… céleste !

Tsitsipás est le joueur de tennis pro le plus polyvalent au monde. Même en dehors des courts, où il se libère totalement.

Comment Big Freedia a conquis le monde de la musique avec sa bounce, et infuencé des stars comme Beyoncé et Drake.

CONTENUS 03/2023 GALLERY 8 L’ADDITION SVP ! 14 OBJET TROUVÉ 16 HÉROS & HÉROÏNES GRETA GERWIG 18
ESCALADE SUPERWOMAN 38
COUREUR
48
DE NUAGES
MUSIQUE MISS AMERICA 58
58 TENNIS JEU, SET ET MATCH 66
À VOTRE TOUR ! VOYAGER 79 ÉCOUTER 84 COGITER 85 S’ENTRAÎNER 86 OPTIMISER 88 SE DÉTENDRE 90 BOULEVARD DES HÉROS : CHARLIE CHAPLIN 94 MENTIONS LÉGALES 96 LE TRAIT DE LA FIN 98 66 6 THE RED BULLETIN ANTOINE TRUCHET, JUSTEN WILLIAMS
Stéfanos

LE PLUS GRAND CHOIX DE VÉLOS. Pour

bikeworld.ch
ta liberté
GALLERY FOCUS SPORTS/RED BULL CONTENT POOL

Mumbai, Inde

CURRY- HURRY

Jason Paul est pressé. Il est midi et tout le monde a faim. Le freerunneur prend donc le raccourci par-dessus les toits de la ville. Livreur de repas, c’est son travail ce jour-là, comme l’indique le titre du clip vidéo, The Lunchbox. Mission : livrer une boîte de curry frais (la photo a été prise en chemin) à travers la métropole. Le repas est encore chaud à la livraison – et Jason aussi se rassasierait bien d’une portion maintenant. redbull.com

THE RED BULLETIN 9

Brˇezina, République Tchèque

AS DES ÂGES

Vues d’ici, elles ressemblent à des Hot Wheels, mais vous avez en fait sous vos yeux deux joyaux d’ingénierie automobile. La RB7 de Sebastian Vettel (en haut), qui a remporté le championnat des pilotes F1 en 2011, et la Tatra T607 – voiture de F1 tchèque de 1951 qui n’a jamais vu le jour –ont été réunies par le photographe Jirˇí Šimecˇek. Pour son projet Time Lap, il les a photographiées face à face, en utilisant pour chacune un boîtier spécifique à l’époque, afin de mettre en lumière les progrès de l’image et des sports mécaniques. jirisimecek.com

GALLERY
JIRI SIMECEK/RED BULL CONTENT POOL, DAN KRAUSS/RED BULL ILLUME DAVYDD CHONG

Salt Lake City, Utah, USA

COUP DOUBLE

Ceci est un « kick-flip au Grand Lac Salé », comme l’appelle le photographe Dan Krauss. Il a failli ne jamais voir le jour. Le natif de Salt Lake City préparait des soumissions pour Red Bull Illume quand, dit-il, « j’ai réalisé que j’avais mis au placard une idée que j’avais repérée l’année précédente : un concept d’environnement dystopique surréaliste ». Avec le snowboardeur et skateur Jack Hessler à bord, Krauss a relancé le projet et s’est qualifié pour la demi-finale.

dankraussphoto.com ; redbullillume.com

THE RED BULLETIN 11

VESTIGES

« J’avais entendu parler d’un spot où l’on avait laissé des éoliennes à l’abandon, raconte le photographe espagnol Ismael Ibañez Ruiz. Alors mon pote Sergio Layos (le rider BMX en photo, ndlr) et moi avons décidé d’aller voir. Incroyable… Des courbes, des lignes, des hips et des transferts à gogo. » Cette photo a valu à Ruiz une place en demi-finale de la catégorie Masterpiece by SanDisk Professional du Red Bull Illume. Depuis, ce pays des merveilles du BMX a été assaini. ismaelibanez.blogspot.com ; redbullillume.com

GALLERY
Avilés, Espagne
12 THE RED BULLETIN
ISMAEL IBANEZ/RED BULL ILLUME DAVYDD CHONG

La Coupe du monde féminine de football se tiendra du 20 juillet au 20 août en Australie et Nouvelle-Zélande. L’événement en 11 chiffres clés.

5

minutes : le temps nécessaire à Fabienne Humm en 2015 pour marquer trois buts lors du 10-1 de la Suisse contre l’Équateur. Le hat-trick le plus rapide de l’histoire.

6

victoires consécutives sans encaisser de but : l’exploit réalisé par l’équipe allemande et sa gardienne Nadine Angerer lors de son sacre de 2007.

46,5

cm de haut, 4,6 kg : les dimensions du trophée du mondial féminin.

Conçu en 1998 par William Sawaya, il est composé de migmatite, de bronze doré et d’aluminium poli.

12

des 32 équipes qualifiées ont des coaches féminines, dont l’Allemagne (Martina Voss-Tecklenburg) et la Suisse (Inka Grings).

LES REINES DU FOOT 190

buts inscrits en équipe nationale par la Canadienne Christine Sinclair jusqu’en avril, un record hommes et femmes confondus.

8

150 000 000

de dollars (133,7 millions de CHF) : la cagnotte totale du mondial féminin. Cinq fois plus qu’en 2019 mais nettement moins que les 440 millions de dollars de l’édition masculine de 2022.

2 000 000 000

Coupes du monde ont été organisées depuis 1991, quatre ont été remportées par les États-Unis, dont le plus mauvais résultat est une troisième place en 2015 et en 2019. 64

de personnes devant leur télé : c’est le chiffre total espéré par la Fifa. 1,12 milliard ont regardé l’édition 2019, la finale a réuni 260 millions de personnes dans le monde. 17

buts ont été marqués par la Brésilienne Marta en phase finale de CM, soit un de plus que l’Allemand Miroslav Klose, le buteur masculin le plus prolifique de l’histoire.

matches auront lieu dans 10 stades de 9 villes. Le match d’ouverture (Nouvelle-Zélande –Norvège) se tiendra à Auckland, la finale à Sydney.

buts ont été inscrits lors de la Coupe du monde 2015 et 2019 en 52 matches. 64 matches auront lieu cette année (avec 32 équipes au lieu de 24).

L’ADDITION S’IL VOUS PLAÎT !
146
14 THE RED BULLETIN GETTY IMAGES, PICTUREDESK.COM HANNES KROPIK CLAUDIA MEITERT

The greatoutdoors

Votre destination outdoor sur le lac Majeur!

Nature et aventure: 1’400 km de sentiers de randonnée, en plus de trail, escalade, bloc, vélo et plein de fun dans l’eau.

...sans oublier les plus de 2’300 heures de soleil par an!

www.ascona-locarno.com

Cardada Cimetta

UNE GRANDE POINTURE

Clics, euros, récompenses… Le succès dans le hip-hop se mesure de différentes façons. Pour le rappeur Bausa, c’est avec ces baskets.

Quand on lui demande de citer les choses qui ont marqué son parcours dans la Champions League du rap allemand, Julian Otto aka Bausa se souvient d’un disque de diamant pour les 1,3 million d’exemplaires vendus de sa chanson Was du Liebe nennst (trad. Ce que tu appelles l’amour), d’un peignoir Versace en noir et or ou d’un exemplaire de son premier album Dreifarbenhaus.

Mais il existe une paire de Nike Air Max 97 Ultra ’17 Skepta qui a une signifcation particulière pour le rappeur. Elle lui a été envoyée en cadeau par la marque avec son surnom, « Baui », écrit à la main sur l’étiquette, signe évident pour lui qu’il est parvenu à se hisser au sommet. Il sera en concert à Zurich le 11 octobre dans le cadre de sa tournée Drei Jahre später (trad. Trois ans plus tard).

Bausa, 34 ans, a affronté des stars comme Apache 207 et Loredana au Red Bull Soundclash. L’intégralité du show sur redbull.com :

OBJET
16 THE RED BULLETIN
WUNSCH
MAYER
TROUVÉ
ROBERT
DAVID

GRETA GERWIG

La révolution pacifque des réalisatrices hollywoodiennes.

TEXTE RÜDIGER STURM

avec Margot Robbie et Ryan Gosling, qui fait déjà le buzz. Mais Greta Gerwig, l’anti-Barbie de service, a toujours dû batailler ferme pour s’imposer. Déjà, lorsqu’elle voulait tourner ses propres flms à l’université, ses camarades masculins se mettaient toujours en travers de son chemin : « C’était presque impossible d’emprunter une caméra, les mecs réservaient tous les appareils. En tant que flle, tu étais exclue des métiers techniques. Les garçons partaient toujours du principe que ça ne pouvait pas m’intéresser. »

L’échange est essentiel

Il faut quand même avouer que c’est un homme qui a eu une infuence décisive sur la carrière de Greta Gerwig : le réalisateur Noah Baumbach, devenu son compagnon, l’a aidée à percer comme actrice avec des rôles comme dans Greenberg – bien qu’elle ait toujours demandé cette aide de manière proactive. « J’avais certes déjà écrit auparavant, mais j’ai ensuite coécrit des scénarios avec lui. Et je lui demandais constamment conseil concernant la mise en scène. C’est comme ça que j’ai continué à me former. »

Instagram : @officialgretagerwig

Bonjour à tous ! Et bonne nuit ? Greta Gerwig se présente à l’interview dans une tenue qui ressemble à un pyjama. De chez Gucci tout de même, comme elle le précise. Pour l’actriceréalisatrice maintes fois primée, le vêtement est symbole de liberté. « Je m’habille comme ça parce que je ne veux plaire à personne d’autre qu’à moi-même. Et ces fringues me correspondent. »

Greta Gerwig, qui fêtera ses 40 ans cet été, n’a pas la moindre envie de répondre à des attentes stéréotypées concernant son apparence. Dans ses flms Greenberg ou Frances Ha, elle ne brosse pas le portrait de femmes qui se défnissent essentiellement par leur physique. Il en va de même pour son rôle dans Bruit de fond (actuellement sur Netfix), où elle joue une mère de famille recomposée qui lutte contre sa peur profonde de mourir : « J’aime pouvoir jouer un personnage pas sexy. »

Depuis longtemps, la New-Yorkaise est plus qu’une simple interprète de rôles originaux. Elle compte parmi les jeunes réalisatrices qui, après des décennies de suprématie masculine, féminisent enfn le milieu du cinéma : à peine avait-elle fait ses débuts de réalisatrice en 2017 avec le long-métrage Ladybird qu’elle était nominée aux Oscars pour la réalisation et le scénario.

Elle continue sur sa lancée, deux ans plus tard,avec Les Filles du docteur March, sélectionné pour l’Oscar du meilleur scénario adapté. Enfn, cette année sort son flm Barbie

C’est peut-être aussi le facteur le plus important de son succès : Greta Gerwig n’a pas eu besoin de jouer des coudes, elle a simplement osé parler. Lorsque Baumbach rencontrait chaque semaine des collègues réalisateurs connus comme Wes Anderson ou Brian De Palma pour dîner, elle disait : « Je viens avec vous, je veux savoir de quoi vous parlez. » Et elle a ainsi participé à des dîners très fermés : « Pour être soi-même empreint·e de créativité, il faut évoluer dans le milieu des esprits créatifs. L’échange est essentiel. » Elle a également obtenu son rôle principal dans Bruit de fond, réalisé par Noah Baumbach, en exprimant clairement ses souhaits : « En lisant le roman, Noah m’a demandé qui pourrait jouer le rôle de la mère, et j’ai répondu sans hésiter : “Moi !” »

Greta et Noah se sont retrouvés à la cérémonie des Oscars de 2020 de manière pour ainsi dire offcielle, leurs flms respectifs Les Filles du docteur March (elle) et Marriage Story (lui) étant chacun nominés pour six récompenses. Greta nie toutefois tout esprit de compétition entre eux. Elle ajoute avec douceur : « Je ne me serais pas séparée de Noah s’il ne m’avait pas choisie pour Bruit de fond »

Greta Gerwig semble douce en effet, mais sa ligne de conduite est claire et ferme, une posture qui transparaît quand elle parle de la nouvelle génération d’étudiantes en cinéma. Quand elle en voit une qui dit, sur le tournage : « Non, ça ne va pas », son cœur s’emballe. « Super, montre-leur de quoi tu es capable ! », s’exclame-t-elle alors.

Greta Gerwig est à l’affiche de Bruit de fond sur Netflix.
HÉROS & HÉROÏNES
Ciao à l’érotisme banal, elle fait du pyjama Gucci un principe de vie.
18 THE RED BULLETIN ROBBY KLEIN/CONTOUR BY GETTY IMAGES FOR THE RECORDING ACADEMY
Des personnages pas sexy ?
« C’est ce que je recherche ! »
THE RED BULLETIN 19
Greta Gerwig, 39 ans, sur ses rôles loin des clichés hollywoodiens.

RAFAEL « VENI » EISLER

L’entrée de ce gameur pro dans le monde du jeu a commencé lorsqu’il jouait sur l’ordi de son père. Aujourd’hui, à 26 ans, il revient sur son parcours hors normes.

Très vite, Veni a été assailli par les fans lors d’événements spécialisés. Ce qui n’a pas forcément éliminé sa timidité, à en croire aujourd’hui encore son prétendu spleen stylistique : le joueur porte toujours un vernis à ongles coloré. « Je me ronge les ongles, c’est complètement impulsif, dit-il en souriant. C’est pourquoi j’ai eu l’idée du vernis à ongles. Mais depuis que j’utilise de la gomme-laque, c’est ce vernis en gel dur, ça marche super bien, c’en est terminé de cette mauvaise habitude. »

Un sur un million

Pendant longtemps, ses résultats scolaires dans un lycée technique spécialisé dans les réseaux informatiques étaient corrects… jusqu’à l’examen de maturité auquel il ne s’est pas présenté.

Insta : @rafi_veni

YouTube : @VeniCraft La fiinale de Red Bull For The Win aura lieu le 15 juillet au Palais Wertheim à Vienne (Autriche). Les qualifications auront lieu du 24 juin au 8 juillet, en Autriche.

C’est à l’âge de 14 ans qu’il a réellement débuté sa carrière sur YouTube avec des jeux comme Minecraft. Il considère ce début « tardif », puisqu’il s’asseyait déjà à l’âge de trois ans devant l’ordinateur de bureau de son père pour jouer. D’autres enfants du même âge ont pu faire de même. Mais Rafael a persévéré. Il s’est ensuite propulsé sous le nom de scène de « Venitas », « Veni » en abrégé (déformation du latin vanitas, vanité), au rang de star du jeu vidéo – avec Minecraft, un jeu relativement inoffensif, offciellement autorisé aux enfants à partir de six ans : l’accent est mis sur l’exploration du monde du jeu, parsemé de grottes, ainsi que sur la construction de ses propres bâtiments et dispositifs. Le joueur peut extraire des matières premières (to mine), les transformer en d’autres objets (to craft) et combattre des monstres.

Veni a apparemment bien réussi dans ce jeu et dans sa manière de commenter ses actions puisqu’il a rapidement compté des centaines de milliers d’abonné·e·s. Tout le monde voulait le voir jouer. Ce qui, à l’adolescence, était inconfortable pour lui : « Avant de débuter sur YouTube, j’étais très timide. Et cette tonne de vues m’a mis assez mal à l’aise au début. » Ah oui, et il était aussi plutôt en surpoids. « Quand on passe des heures devant l’ordinateur à la maison en plus d’être assis des heures à l’école, on prend rapidement du poids. » Pour y remédier, il continue à faire de l’exercice physique « à la gym », comme il dit.

« À l’époque, ma classe était la première à passer le nouvel examen de maturité gymnasiale autrichienne. Et personne ne savait ou ne pouvait nous dire ce qui nous attendait. C’était le chaos total. Et de mon côté, j’étais déjà passé à autre chose. » Pendant que ses camarades passaient leur bac, Veni se trouvait en Chine pour un événement gaming. Il a écrit lui-même son mot d’excuse pour son absence scolaire. « Je n’ai pas de regrets, mais je ne recommanderais ce genre de décision à personne. À mon avis, il y avait une chance sur un million pour que je réussisse aussi bien sans certifcat et avec mon CV. » Même les études envisagées auparavant ne lui apparaissaient plus comme une option. «Sur YouTube, j’ai plus appris sur la vie qu’à l’école ou en suivant des études qui, de toute façon, ne m’intéressent qu’à moitié. » Une école de la vie sur YouTube ? « Absolument ! En jouant, j’ai vu beaucoup de créateurs américains et j’ai appris l’anglais à la perfection. Aucun professeur à l’école ne peut t’enseigner cela sous cette forme. »

Aujourd’hui, le gameur dirige en parallèle une agence de médias sociaux et soutient activement d’autres joueurs et joueuses –dont la Tyrolienne Veyla. « L’esprit d’équipe, la gestion du temps et la créativité sont très importants dans les jeux », explique-t-il. Tous deux recherchent maintenant les meilleures équipes de joueurs autrichiens pour le grand événement de jeu Red Bull For The Win, dont la fnale a lieu le 15 juillet prochain. « Ce qui compte le plus dans une équipe de cinq personnes, c’est la coopération. Et en tant que combattant·e individuel·le, ça s’apprend. Il faut savoir coopérer et surtout – faire confance ! Tu dois pouvoir compter sur l’autre sans faille. »

C’est en tout cas le cas de Veni. Sans faire de vagues, il organise toujours en parallèle des tournois caritatifs au proft d’enfants gravement malades. Comme on dit : c’est en jouant qu’on apprend à réagir vite et bien.

HÉROS & HÉROÏNES
20 THE RED BULLETIN
TEXTE ISABELLA GROSSSCHOPF PHOTO MATTHIAS HESCHL
« Avec YouTube, j’ai plus appris sur la vie qu’à l’école. »
THE RED BULLETIN 21
Rafael « Veni » Eisler, 26 ans, parle de son programme de formation très personnel.

JOANA MÄDER & ANOUK VERG É - D É PR É

sont depuis six ans le meilleur duo du beachvolley féminin en Suisse. Après une pause forcée suite à une blessure, elles entament cet été leur grand retour pour les championnats d’Europe.

sion fulgurante. Et pourtant : lors des championnats du monde à Rome en 2022, Joana se blesse à l’épaule pendant le match qu’elles disputent pour obtenir une 3e place. Une douleur aiguë lui transperce le bras – elle restera longtemps incapable de bouger la main. « Ce fut un choc pour nous, se rappelle-t-elle. Je ne savais pas si j’arriverais un jour à jouer comme avant. Évidemment, face à cette incertitude, j’aurais compris si ma partenaire avait décidé de partir. Mais elle a préféré m’attendre. »

Anouk, elle, n’a pas hésité. « Si l’on en ressort aujourd’hui plus fortes que jamais, c’est aussi parce qu’on ne s’est jamais apitoyées sur notre sort. Après quelques semaines passées à devoir s’habituer à cette situation, on s’est demandé comment faire pour en sortir. » Une partenaire de beach-volley, c’est en fait bien plus qu’une simple coéquipière : « Tous les jours, on teste nos limites, et c’est main dans la main qu’on les dépasse. Nous avons traversé tant de moments, des bons comme des mauvais. Chacune de nous sait comment fonctionne l’autre. »

Autant de fougue, plus de tactique Durant les dix mois que dure la convalescence de sa coéquipière, Anouk veille à ne pas lui mettre la pression : elle lui fait comprendre qu’elle sera prête lorsque Joana le sera – point. De son côté, Joana en profte pour améliorer sa technique : « Je n’avais jamais été ultra précise dans mes tirs, et comme j’étais plutôt du genre athlétique, je compensais par mon punch. » Après coup, les athlètes sont du même avis : cette pause forcée leur a été bénéfque.

Quand Anouk et Joana ont commencé à jouer ensemble en 2017, elles avaient de l’énergie à revendre : elles avaient, selon les mots d’Anouk, « l’impulsivité de la jeunesse mais aussi un manque total d’expérience et de discipline ». Leur entraînement consistait donc à apprendre la gestion de leurs émotions : « Il y a celles qui vous boostent, et il y a celles qu’on ne contrôle pas et qui peuvent vous faire rater des décisions tactiques importantes. » Bien que la blessure de Joana les ait fait chuter à la 41e place, elles sont aujourd’hui de retour, plus fortes et plus décidées que jamais à remonter sur les podiums. Prochain objectif : les JO de Paris 2024.

Les championnats européens de la Confédération Européenne de Volley-ball (CEV) auront lieu du 2 au 6 août 2023 à Vienne (Autriche).

Insta : @joanaheidrich

@anoukvergedepre

@beachvolleyballmajors

Une équipe de beach-volley, c’est comme un vieux couple (sans les disputes) : deux personnes censées se connaître sur le bout des ongles et capables de se comprendre sans se parler, d’un simple regard. Petit problème : quand l’une des deux fanche, l’autre trinque. C’est ce qu’ont vécu les joueuses suisses de beach-volley Joana Mäder et Anouk Vergé-Dépré, toutes deux 31 ans : ce duo fonctionnait à merveille, à tel point que l’équipe était classée au 4e rang mondial – rien ne semblait arrêter leur ascen-

Ce retour tant attendu, les flles vont le fêter dans une ville qu’elles adorent : Vienne – c’est là, sur l’île du Danube, que seront organisés les championnats d’Europe en août prochain. « L’ambiance à Vienne est incroyable, et c’est toujours un vrai plaisir de jouer là-bas », se réjouit Joana. Sa partenaire a même l’intention de faire un peu de tourisme, entre deux matches : « J’espère que j’aurai le temps de visiter le château de Schönbrunn. » Deux princesses au pays de Sissi – qui dit mieux ?

HÉROS & HÉROÏNES
22 THE RED BULLETIN LORENZ RICHARD/RED BULL CONTENT POOL
TEXTE KARIN CERNY

Naturellement

rafraîchissant.

Avec des ingrédients d’origine 100 % naturelle. Au goût unique.

CH-BIO-004
Boissons bio . Pas des Energy Drinks .

LA DÉROUTE LES AS DE

Elles sont un hymne à l’art de la bricole et de la dérision : les Red Bull Caisses à Savon reviennent cette année à Berne pour un Grand Prix qui s’annonce haut en couleur. Avant-goût en images de cette course unique en son genre.

ATTENTION, ÇA GLISSE !

Lausanne, 2017

Pas de direction assistée sur ce bolide : le Passage Express a pourtant fini la course en un seul morceau – difficile à croire, non ?

24 THE RED
TEXTE SASKIA JUNGNIKL-GOSSY
BULLETIN
ROMINA AMATO/RED BULL CONTENT POOL

AUX SÉVICES DE SA MAJESTÉ

Londres, Angleterre, 2022

So british! L’édition londonienne ne pouvait se faire sans l’intervention du plus célèbre agent secret britannique : Austin Powers a remporté le cœur des spectatrices à défaut de la victoire.

26 THE RED BULLETIN
THE RED BULLETIN 27 MARK ROE/RED BULL CONTENT POOL

À L’ABORDAGE !

Santiago, 2022

Avec sa machine à mousse embarquée, El Perla Negra a fait une entrée très remarquée sur le circuit de Parquemet, à Santiago du Chili, à quelques jours de Noël.

28 THE RED BULLETIN
GONZALO ROBERT/RED BULL CONTENT POOL

LES CAROTTES SONT CUITES !

Le Cap, Afrique du Sud, 2022

Les conditions idéales étaient réunies après une semaine de mauvais temps – mais cela n’a pas empêché de nombreuses équipes de terminer lamentablement dans les choux.

FRENCH PARKOUR

Paris, France, 2014 Une descente en ligne droite ? Trop fastoche ! Le parcours français était agrémenté de virages vicieux et d’obstacles en tous genres – histoire de pimenter un peu le jeu.

LA DIGNITÉ JUSQU’AU BOUT

Osaka, Japon, 2022 Pokémons, démons et autres samouraïs : au pays du soleil levant, les caisses à savon mettaient la culture nippone à l’honneur, sur une piste particulièrement corsée.

THE RED BULLETIN 31 WAYNE REICHE/RED BULL CONTENT POOL, ALEX LAUREL/RED BULL CONTENT POOL, SUGURU SAITO/RED BULL CONTENT POOL
32 THE RED BULLETIN

À FOND LES CANETTES

Circuit de SpaFrancorchamps, Belgique, 2022

Le pays natal de Max Verstappen est un vivier de champions en herbe : seul petit bémol, les qualités aérodynamiques du bolide. On a encore de la marge !

THE RED BULLETIN 33 STEFAAN TEMMERMAN/RED BULL CONTENT POOL

TORTUES NINJAS

Lausanne, 2017

Une victoire raflée par des gars du cru : les Lausannois de Tortue Roquette ont remporté la première place avec une descente record de 43 secondes.

THE RED BULLETIN 35 DEAN TREML/RED BULL CONTENT POOL

27 AOÛT 2023

TOUT SUR LA COURSE

Pour pouvoir admirer ces magnifques et improbables bolides, rendez-vous fin août dans la capitale pour la course Red Bull Caisses à Savon : les équipes mettront à l’épreuve, sur un parcours semé d’embûches, le fruit de leur ingéniosité. Outre des limites de taille et de poids, les engins doivent avoir des pneus, une direction (qui fonctionne) et de bons freins. Seule chose interdite : se prendre trop au sérieux ! Un jury décernera trois prix pour récompenser la performance, l’originalité et la vitesse des caisses en compétition.

Grandes gueules, petits bras : les deux T-Rex du team Jurassic Jeep ont sans doute eu du mal à pousser leur véhicule.

L’équipe chasseuse de licorne de la Unicorn Busters TM portées par les applaudissements des 42 000 spectateurs et spectatrices.
36 THE RED BULLETIN
Toutes les infos en scannant le code ci-contre.

Le jury de 2017 a récompensé la performance, la créativité puis la vitesse des équipes. Sur la photo, le présentateur radio Manu Py (à gauche), la beach-volleyeuse Anouk Vergé-Dépré et le freeskieur Jérémie Jeitz.

Red Bull Caisses à Savon, édition 2017 : soixante bolides ont dévalé l’Avenue d’Ouchy, à Lausanne.

THE RED BULLETIN 37 DEAN TREML/RED BULL CONTENT POOL, LUIS VIDALES/RED BULL CONTENT POOL, ROMINA AMATO/RED BULL CONTENT POOL

BIEN ACCROCHÉE À SES RÊ VES

TEXTE SAMUEL WALDIS PHOTOS SANDRO BÄBLER

En apesanteur Petra Klingler s’entraîne dans la salle d’escalade de bloc de Dübendorf, près de Zurich.

THE RED BULLETIN 39

Petra Klingler est la grimpeuse professionnelle la plus performante et la plus polyvalente de Suisse. Le secret de son succès : la tête doit être aussi forte que le corps.

aris, 18 septembre 2016, championnat du monde, quartier de Bercy : Petra Klingler et son entraîneur Kevin Hemund déambulent dans les couloirs de l’Accor Arena. De gauche à droite, des salles de réunion et de soins, des vestiaires, aucune lumière naturelle. Ils sortent tous deux d’un échauffement léger et en ont profté pour lâcher du lest. Kevin lui dit : « Profte bien de ce qui va venir. » Un moment resté gravé dans sa mémoire : « Dans son regard, j’ai vu toutes ces années de travail accompli ensemble pour en arriver là. Toute cette confance partagée. Et cette joie anticipée de pouvoir assister à ce moment. » Puis leurs chemins se séparent. Kevin se dirige vers les tribunes, Petra vers cet éternel duel entre l’athlète et la paroi sous les regards de 10 000 personnes présentes dans la salle baignée de lumières multicolores. Un écran géant montre chaque détail de la paroi, des sons pop résonnent dans les haut-parleurs. La compétition de sa vie commence.

À 31 ans, Petra Klingler est la meilleure grimpeuse de bloc suisse. Le bloc, c’est l’escalade sans corde de

parois rocheuses ou de murs d’escalade à hauteur de saut. Klingler fait partie des grimpeuses les plus polyvalentes au monde : en hiver, elle excelle dans l’escalade sur glace. Mais son chemin vers les sommets est (forcément) parsemé d’épreuves. Car elle se bat avec l’image de son corps. Certaines personnes sèment le doute en elle, ce qui la perturbe. Et elle ne pourrait pas marcher correctement aujourd’hui si elle était née dans un pays aux standards de soins limités. Mais nous y reviendrons.

Un boxeur à la rescousse

PAu sein de la fédération suisse, on la trouvait trop massive et trop lourde pour espérer obtenir de réels succès sportifs. La plupart des grimpeuses sont assez minces, Petra, elle, est très musclée. Elle sort tout de suite du lot. Au micro, on l’annonce toujours comme : « La montagne de muscles helvète ». Une vraie torture pour elle qui voulait être perçue autrement que par cette première impression physique. Et comme tous les jeunes, elle voulait plaire. Le réconfort parental n’y changeait rien, elle cherchait l’approbation du frère : « Il me disait tout le temps que c’était moche, ces nanas maigres comme un clou. Ça me paraissait plus objectif quand c’était lui qui le disait plutôt que mes parents. »

L’année de ses 16 ans, un collègue d’escalade sent que ça ne va pas très fort. Ils discutent de problèmes de poids, de doutes, du fait que Petra commence à se dire qu’elle n’arrivera jamais à rien. Elle en a également parlé à ses entraîneurs, mais ceux-ci ne comprennent pas le problème. Ils ne voient que Petra la grimpeuse, et lui rétorquent, lapidaires : « Va faire du jogging. » Elle déteste le jogging. Entraîneur de boxe, le fameux collègue vient du même coin qu’elle (Bonnstetten, près de Zurich) et est le premier à l’atteindre émotionnellement. Il voit Petra, la personne, et lui propose de faire un peu de boxe histoire de se changer les idées. Elle découvre alors un nouveau monde, de nouveaux points de vue, et son corps : « C’est là que j’ai réalisé que soit je me laissais démonter, soit je faisais abstraction de tout. Le premier scénario bouffe mon énergie, pas le second. »

Et elle constate que les gens sont ravis de voir des athlètes réussir malgré une morphologie comme la sienne (1,63 m pour 59 kilos). « C’est le genre de commentaires qui font du bien et me montrent que je peux inspirer plein de monde », explique-t-elle.

Petra a suivi des études en sport et en psychologie. Le corps et l’esprit, en somme. Elle sait donc parfaitement à quel point la tête est déterminante en escalade. Elle apprend par exemple qu’après avoir réussi un bloc, il faut faire une pause, se demander combien de temps il lui a fallu et quels étaient les détails de la route. Et aussi qu’il faut parfois laisser son corps faire le travail : qu’est-ce qui vient naturellement, intuitivement ?

Double championne du monde d’escalade, Petra Klingler se trouvait trop massive, trop petite, pas assez forte. Ses études en psychologie l’ont amenée à s’étudier elle-même. Elle sait désormais que c’est justement le fait d’être un peu trop petite qui la fait grimper toujours plus haut.
THE RED BULLETIN 41

Et enfn, que l’échec est le moteur du progrès. Se relever. Analyser la situation. S’adapter. « Une fois que j’ai réussi, explique-t-elle, je dois comprendre pourquoi. C’est le secret de l’apprentissage. »

Il a fallu des années pour que son esprit digère tout cela. En 2015, elle commence l’entraînement avec son nouveau coach, Kevin, celui des couloirs de l’Accor Arena. À 23 ans, elle est toujours remplie de doutes malgré plusieurs années pavées de succès. Quand ils se rencontrent pour la première fois, Kevin lui demande : « Quel est ton objectif pour les championnats du monde de Paris en 2016 ? » Petra répond : « Aller en fnale. » Kevin l’observe avant de lâcher : « Non, on va la gagner, cette fnale. »

Il croyait en elle. Elle pouvait donc y croire elle aussi : c’est ce qu’elle a ressenti à ce moment-là. Si les autres se débarrassent de leurs doutes, elle peut oublier les siens. Lors de ses préparations pour la Coupe du monde, elle a introduit une nouvelle méthode qu’elle conserve aujourd’hui. Kevin lui propose de tenir un journal et de noter trois points positifs par jour. Dans le train qui la ramenait chez elle après l’entraînement, elle se creusait la tête « pendant 30 minutes, et parfois, il n’y avait qu’un seul nouveau point dans mon carnet. J’avais énormément de mal à trouver des côtés positifs chez moi ».

Un journal comme un miroir intérieur

Aujourd’hui, elle note des trucs du genre : « Le timing sur la prise était nickel » ou encore : « On lâche rien malgré la vautre ! La peur est devenue motivation. » Son journal lui permet d’être plus consciente de ses progrès, de les mettre en évidence, d’ordonner ses pensées et la rend plus sereine. C’est comme un garde-fou. « J’ai plutôt tendance à regarder vers l’avant, à me concentrer sur les objectifs, et dans le même temps, j’oublie les progrès accomplis. » Si le doute l’envahit avant une compétition, elle ouvre son carnet : « Je me suis extrêmement entraînée. Ça va aller. »

La Coupe du monde d’escalade voit le jour en 1989, les championnats du monde en 1991 et l’escalade devient discipline olympique à Tokyo en 2020. Parois artifcielles et trois catégories : lead (escalade avec corde où il faut aller le plus haut possible) ; vitesse (avec prises simples où il faut aller le plus vite possible) ; et bloc (sans corde et à hauteur de saut). Petra remporte sa première victoire en Coupe du monde de bloc en 2015 à Haiyang. À l’époque, la Chine fait ses premiers pas en

Déterminée Klingler s’entraîne 35 heures par semaine, six jours sur sept.
« Mon coach Kevin a cru en moi. C’est ce qui m’a permis d’y croire aussi. »
42 THE RED BULLETIN

ORIENTÉE VERS L’AVENIR

Fidèle compagnon : Petra tient un journal intime dans lequel elle note ses progrès et ses expériences positives, histoire de se motiver pour la session suivante.

Lundi 17 avril

20 min. Jogging léger + étirements / agilité ; Entraînement mental / méditation (écouter Podcast sur AWARENESS) ; Bloc @Ogikubo BPump ; Comp-Wall Bloc ; B1 Slab

Pratique mouvement super ; Bien stable sur les pieds > en confiance ; Basculer avec plus de niaque > se lever et basculer plutôt que basculer direct ; D’abord tourner le pied sur la prise, ouvrir le pied ensuite ; B2 Saut jaune Me suis acharnée malgré crash ! Peur transformée en motivation ; Ralentir jambe d’appui puis détendre comme un ressort > se lancer ; Tirer jambe d’appui du bas (gauche) vers le haut (droite) pour assez de hauteur pour s’appuyer. Avec tout le corps ; B3 Croisement

D’abord confiante en moi et ma solution puis changé d’avis ; Lâcher bras gauche puis sauter de l’arrière avec bras d’appui ; Se concentrer sur mouvement bassin et épaules ;

44 THE RED BULLETIN

« Quand je monte sur un podium, je pense aux rabat-joie qui me voyaient échouer. »

B4 Power –Dynamique

Essais positifs, progrès continus ; Le corps initie le mouvement, poursuivre en mode explosif ; Caler le toehook un peu plus sur la droite > Laisser plus d’espace ; Ne pas oublier les pouces sur le volume ; Il y a encore d’autres solutions ! Laquelle me correspond le mieux ?

Coupe du monde, et les infrastructures en pâtissent. Il a fallu sécher en toute hâte les crash-pads, ces matelas qui protègent les athlètes en cas de chute, détrempés après plusieurs jours de pluie. L’un d’eux était dans un tel état que les organisateurs l’avaient marqué d’un cercle : « Ne pas atterrir ici. » De nombreuses athlètes étaient furieuses. Petra ne se laisse pas déstabiliser : « C’était un déf. Mais je savais que tout allait bien se passer. » Un état d’esprit qui a déplacé des montagnes.

Elle a gardée la photo de sa victoire en Chine sur elle pendant des années. Tout comme ce formidable sentiment d’avoir remporté la Coupe du monde. Un an plus tard, elle remporte sa première victoire en Coupe du monde d’escalade sur glace, et devient même championne du monde à Saas-Fee en 2022. Cette discipline, qui lui permettait, dans le passé, de fnancer sa saison de bloc en été avec la somme des prix récoltés, lui sert

Klingler pousse, tire, s’équilibre, bondit… et s’autorise parfois une petite pause.

désormais de préparation pour le bloc. Son excellente maîtrise des piolets en fait une exception dans le monde de l’escalade : rares sont les athlètes qui rencontrent autant de succès en été qu’en hiver. Petra a réussi malgré ces voix qui prédisaient que sa constitution physique la vouait à l’échec. « Chaque fois que je monte sur un podium, je pense à ces rabat-joie. J’ai fait de ma génétique un avantage. J’ai réussi avec ce corps. Ils peuvent bien dire ce qu’ils veulent dans mon dos. » Car les sujets de médisance n’ont jamais manqué dans sa vie.

Petra a vu le jour en 1992 avec un pied-bot et un pied en faucille, une malformation congénitale qui fait que les pieds sont tournés vers l’intérieur. Chaque semaine jusqu’à l’âge de neuf mois, les médecins lui plâtrent les pieds pour les remettre dans la bonne position. Elle doit ensuite porter des chaussures orthopédiques pendant plusieurs années, même au lit. La nuit, ses parents doivent parfois l’emmener aux toilettes. Elle est toujours exemptée de classe pour aller acheter ses chaussures dans un magasin spécialisé de Zurich, elle adore ces sorties avec sa mère. Mais ce dont elle se souvient précisément, c’est le jour où elle a reçu ses premières chaussures d’ado normales : « Des chaussures de skate DC, j’étais trop fère ! »

Dans les pays développés, ce genre de malformations est bien soigné, ce qui n’est pas le cas des pays plus pauvres, où les personnes non traitées ne pourront jamais marcher correctement. Selon la fondation MiracleFeet, un enfant sur 700 dans le monde naît avec cette malformation. En tant qu’ambassadrice de la fondation, Petra s’engage pour que davantage d’enfants proftent des mêmes soins qu’elle. Cette malformation de naissance n’est plus visible chez elle et comme elle dit : « De toute façon, mes pieds sont aujourd’hui encore plus déformés à cause des chaussures d’escalade », ces souliers en caoutchouc très serrés, noirs, pointus et durs comme un bec de rapace.

Workout sous la table du salon

Retour à Paris, le 18 septembre 2016 : Petra est seule face au bloc décisif. Elle plonge ses mains dans le sac de magnésie, puis positionne ses pieds sur les volumes bleus. Ses mains cherchent à agripper des prises vert fuo en forme de croissant (les parois d’escalade donnent parfois l’impression, vues de loin, d’une fondue multicolore entre toutes ces prises, poignées et encoches). Le bras droit tendu au max, elle cherche à atteindre la prochaine prise, décisive. Et voilà qu’elle glisse. Elle fait nettoyer la prise, astuce psychologique fréquemment utilisée par les pros, avant de tenter un nouvel essai. Plus que deux minutes et demie pour résoudre ce problème sur lequel toutes se sont cassées les dents lors de la fnale.

THE RED BULLETIN 45

Haute concentration

Rien ne vient troubler la sérénité de la grimpeuse.

Pour pouvoir vivre de tels moments, Petra s’entraîne 35 heures par semaine, six jours sur sept. Elle tire, se soulève et décolle ; pousse, se tasse, et s’équilibre ; s’agrippe, saute et se déploie. Et grimpe parfois sous la table basse du salon sans toucher le sol. Résultat de ces entraînements : en 2019, un rêve est devenu réalité. Dans la ville japonaise de Hachioji, la compétition était mal partie pour elle (on apprendra par la suite qu’elle s’est brisé une côte sur un bloc très raide où elle avait mis trop de tension corporelle). Elle poursuit malgré tout la compétition, puis vient l’interminable attente des résultats offciels.

Elle fnit par sortir de la salle de sport, fâne dans un magasin de vêtements pour faire passer le temps, quand elle reçoit un SMS de son entraîneur avec cinq zéros. « 00000 ». Les cinq anneaux. De retour dans la salle, des larmes tombent sur ses joues, oxymore de son sport où tout doit toujours aller vers le haut. Ce résultat lui a permis de participer deux ans plus tard à la première compétition d’escalade de l’histoire des JO à Tokyo et d’améliorer le record suisse d’escalade de vitesse sur 15 mètres avec 8,48 secondes.

Pensées pour l’avenir

Revenons à Paris. Les pieds de Petra retrouvent les volumes bleus. Ses mains saisissent une nouvelle fois les croissants verts. Nouvel essai. Elle tend le bras droit, la main saisit la prise nettoyée. Cette fois, les doigts adhèrent parfaitement à la surface rugueuse comme du papier de verre. Elle en reste littéralement bouche-bée et réalise que c’est le moment décisif. La commentatrice s’exclame : « Quand on réussit ce genre de mouvement au-delà de ses espérances, c’est l’extase pure. » Puis les

ASCENSION INTÉRIEURE

Petra Klingler a remporté plusieurs titres de championne du monde de bloc et d’escalade sur glace et est psychologue de formation. Voici cinq conseils de l’athlète pour travailler sa force mentale.

SAVOIR CE QU’ON VEUT

On fait trop souvent certaines choses sans objectif spécifique. Prendre conscience du pourquoi, du comment et de la manière dont on agit. Se fixer des objectifs quotidiens qui aideront à atteindre son objectif à long terme.

PRENDRE CONSCIENCE DES VICTOIRES ET DES ÉCHECS

Lorsque l’on réussit quelque chose, se demander comment s’est produit ce succès. Quel a été le chemin pour y parvenir ? Quelles ont été les méthodes décisives ? Faire la même chose en cas d’échec : analyser, se relever, réessayer. C’est comme ça que l’on apprend de ses expériences passées.

IL N’Y A PAS DE RACCOURCIS

Il faut être conscient·e du fait que l’on ne peut pas se mentir à soi-même. Si l’on poursuit un objectif, il n’y a pas de secret : il faut se lever le matin, s’entraîner et apprendre. Pas juste pour avoir de supers abdos ou un ventre plat. C’est une discipline à appliquer à tous les domaines de la vie.

PAS D’ACTION SANS MOTIVATION

L’équilibre énergétique est extrêmement important pour la motivation. On le maintient grâce à un sommeil suffisant, une alimentation équilibrée, une bonne santé psychique et physique et un environnement social stable et sain. Le plus important est le respect de soi et la confiance en soi, indépendamment du succès ou de l’échec.

ÊTRE CAPABLE DE SE REGARDER EN FACE

DANS LE MIROIR

Rester fidèle à soi-même et à ses valeurs à chaque fois que l’on prend une décision. Être conscient·e de ses valeurs. Plus tard, on pourra être fier·ère de soi et de ce que l’on a accompli et fait de sa vie.

46 THE RED BULLETIN

Pieds en l’air, tête vers le sommet Quand Petra Klingler est dans le bon état d’esprit, elle déplace des montagnes… et des parois.

orteils de Petra atteignent une demi-sphère verte grosse comme une balle de ping-pong. Elle pousse de tout son corps et parvient jusqu’à la prise fnale. Quelques secondes plus tard, elle sanglote de joie, à bout de souffe, le corps secoué de tremblements. Elle devient la première Suissesse championne du monde de bloc. Sept ans ont passé. Les championnats du monde ont lieu cette année à Berne du 1er au 12 août 2023, les premiers sur le sol suisse depuis vingt-deux ans. Petra veut aller en fnale. Elle sait que ce sera très dur, car à 31 ans, elle fait maintenant partie de la vieille garde des athlètes. Et même si l’heure de la retraite n’a pas encore sonné, elle y pense déjà. « L’avantage, c’est qu’après mon parcours de grimpeuse pro, je peux commencer une nouvelle carrière sur des parois de roche en pleine nature ! » Grimper à l’air libre, comme le faisaient ses grands-parents et comme le font encore ses parents. « L’escalade, pour moi, c’est le lien avec ma famille. » Et sa famille, ce sont toutes celles et ceux qui n’ont jamais douté d’elle. petraklingler.com

THE RED BULLETIN 47

Vue d’ensemble

Wiltshire, Angleterre. Kriss Kyle regarde en bas lors du tournage, malgré la devise de Don’t Look Down

48 THE RED BULLETIN EISA BAKOS

Faire rouler son BMX sur une plateforme à 640 m d’altitude ?

Kriss Kyle l’a fait. Rencontre avec un pro du guidon aussi à l’aise sur terre que dans les airs.

TOUJOURS PLUS HAUT

TEXTE JESSICA HOLLAND

epuis qu’il est arrivé au hangar à l’aube, Kriss Kyle est visiblement nerveux. Ses mains sont moites – malgré le froid qui règne en cette matinée ensoleillée de décembre – et il avoue avoir très peu dormi.

Cet Écossais de naissance et champion international de BMX est en train de faire les dernières vérifcations sur son engin, tout en essayant de se calmer et de se réchauffer un peu. Avec les premiers rayons du soleil, les collines du comté de Wiltshire (au sud de l’Angleterre) se couvrent soudain d’une douce lumière orangée : des couleurs féeriques et une météo de rêve pour cette journée très spéciale que Kriss Kyle attend depuis longtemps.

À vrai dire, cela fait onze mois qu’il guette les bonnes conditions météo pour se lancer. Et très exactement trois ans – alors qu’il arpentait les routes de son Écosse natale pendant les premiers confnements de la pandémie – qu’il a eu pour la première fois cette idée un peu folle : faire du BMX suspendu dans les airs.

Certes, on peut dire que cet athlète de 30 ans s’y connaît, question défs sportifs – mais celui-là firtait carrément avec les limites du possible. Aussi, quand Red Bull lui a demandé s’il était sûr de vouloir le tenter, Kyle n’a pas hésité une seconde : « J’ai sauté sur l’occasion », se remémore-t-il.

Trois ans, c’est ce qu’il aura fallu pour arriver jusque-là. Trois ans d’efforts surhumains, de calculs de toutes sortes, de négociations, de recherches, de déconvenues et de doutes… Mais en cette belle journée de décembre 2022, toute l’équipe du projet est sur le point d’être récompensée de ses efforts. Un bowl de skate – semblable à ceux des skateparks, de la taille d’une petite piscine – spécialement conçu pour

Dl’occasion, a pu voir le jour : il va bientôt être attaché à la plus grosse montgolfère du Royaume-Uni pour être hissé dans les airs, à 640 mètres d’altitude. Un exploit qui résulte de la synergie de trois expertises : celle des ingénieur·e·s de Red Bull Advanced Technology – plus habitués à travailler sur des bolides de Formule 1 – celle de l’entreprise Cameron Balloons basée à Bristol et enfn l’expertise des amis de notre héros du jour, anciens riders de BMX reconvertis dans la construction de rampes. Justement, le bowl qu’ils viennent de créer pour l’événement a été monté sur place : une arène sur-mesure où s’entrecroisent des fbres de nylon, d’osier et de carbone –en un mot, une petite merveille de solidité et de légèreté.

Dans quelques instants, ce terrain de jeu de quelques mètres carrés va quitter le plancher des vaches. Mais avant cela, il faut le sécher entièrement au lance-famme pour éviter la formation de verglas, car une fois en l’air, la température descendra à 12 °C. De son côté, Kyle essaie de faire bonne fgure, mais la tension est palpable : le dernier briefng de la veille, pendant lequel tous les risques éventuels (même les pires) ont été abordés, a été pour lui un dur rappel à la réalité. On lui a ainsi expliqué que le parachute qu’il porte sur lui – en plus d’un casque et de vêtements très

Dernières vérifications

Préparatifs de vol dans le hangar du Wiltshire (en haut). La trajectoire de la montgolfière est strictement définie.

50 THE RED BULLETIN EISA BAKOS, SAMANTHA SASKIA DUGON
« Bon sang, je suis sérieux à 100 % ! »
Kyle, déjà casqué, juste avant le départ matinal.

Air Run

Kyle se produit à 640 mètres de hauteur après être descendu en rappel de la nacelle sur sa plateforme.

UN HALF-PIPE EN ALTITUDE

Léger

1.

Construire une rampe de sky rider n’est pas une tâche banale. Ce qui compte, ce n’est pas que la bonne taille et la bonne forme pour Kyle. Le bowl doit aussi être assez léger pour être soulevé par une montgolfière, ses pièces ne doivent pas peser plus de 150 kilos ni mesurer plus de trois mètres de large pour le transport. En même temps, le kit doit être suffisamment solide pour résister aux manœuvres de Kyle sur son vélo. Il en va de même pour les rambardes sur les côtés. Enfin, et ce n’est pas le moins important, des patins doivent être installés sur la partie inférieure pour l’atterrissage.

La construction a commencé par une discussion entre Kyle et le constructeur de rampes George Eccleston. Kyle a esquissé ses exigences et Eccleston a conçu et construit un prototype en bois qui pesait six tonnes. Après des tests et des optimisations, les plans ont été envoyés à Red Bull Avanced Technology (RBAT), le département des véhicules hautes performances de Red Bull Racing.

L’équipe RBAT a décidé de construire la coque avec la même fibre de carbone qu’une voiture de F1. Après la construction du moule, l’application des couches de fibres de verre et le traitement avec de la résine, la structure a été durcie à haute température et haute pression dans un récipient hermétique. Comme l’intérieur s’est révélé trop glissant lors des premiers essais de BMX, il a encore fallu appliquer une surface antidérapante.

Une question angoissante à la montée : le parachute résistera-t-il ?

chauds – ne le protégera que partiellement : 640 mètres d’altitude, c’est trop peu pour freiner s’il chute, mais c’est assez pour se faire mal. D’autant plus qu’il n’aura aucun contrôle sur le lieu d’atterrissage. Les mots ont été clairs : « Le parachute, c’est pour sauver ta vie, pas tes jambes. »

Le calme avant la chute

Si le parachute reste obligatoire pour des raisons de sécurité, son poids va obliger Kyle à contrebalancer ses mouvements –sans oublier le fait que les poignées du harnais risquent à tout moment de se prendre dans son guidon.

Mais la véritable diffculté de cet exploit, le plus gros déf aujourd’hui pour Kriss Kyle, c’est évidemment l’instabilité extrême du bowl, qui va bouger à chaque mouvement du pilote. Lors des premiers essais réalisés à la fn de l’année 2021 à Glasgow, celui-ci était suspendu à une grue : surpris par ces mouvements de balancier créés à chaque passage de vélo, Kriss Kyle a d’ailleurs failli abandonner le projet. Il avait l’impression de rouler « complètement bourré » : sans point d’attache fxe, la fgure la plus simple devenait un vrai challenge. Or, pour cet as du BMX, il était hors de question de faire simplement quelques aller-retours sur la rampe : Kriss Kyle s’était mis en tête de réaliser neuf figures – pas une de moins. « C’est le plus grand déf de ma vie, résume-t-il. Je ne crois pas avoir jamais réalisé quelque chose de plus diffcile que ça. »

Pas droit à l’erreur Un projet détaillé montre comment la coque de la rampe est fixée à la montgolfière.

Parmi les tricks qu’il compte poser, un fakie front fip : un départ en arrière, un arrêt sur la roue arrière et une rotation de 360 ° dans les airs avant un atterrissage sur la roue avant. La plupart des pros du BMX auraient déjà du mal à le réaliser sur un bowl aussi étroit posé par terre : Kyle se compare volontiers à un gymnaste qui essaierait d’effectuer les fgures les plus

comme une carrosserie de Formule
THE RED BULLETIN 53 EISA BAKOS/RED BULL CONTENT POOL, SAM DUGON/RED BULL CONTENT POOL
Jusqu’ici, tout va bien Kyle savoure la stabilité rassurante de la nacelle du ballon.

Vue aérienne

Le Wiltshire au petit matin. Le calme en bas, l’adrénaline à son comble en haut.

54 THE RED BULLETIN

compliquées sur des barres sans cesse en mouvement. Autre trick prévu : un ice pick, une fgure qui oblige Kyle à s’arrêter sur la roue arrière tout au bord de la rampe. Un faux mouvement, et il pourra tester l’ouverture de son parachute…

On ne peut s’empêcher, en évaluant tous les risques que ce jeune homme est prêt à encourir, de se demander pourquoi il s’infige tout ça. Après tout, il vient de se marier, il adore ses chiens, sa petite maison et surtout la vie qu’il est en train de mener : une vie faite de vidéos, de voyages et d’aventures, où tout tourne autour de sa passion – le BMX. Mais Kyle est d’une ténacité à toute épreuve, pour sa dernière vidéo, il s’est cassé une côte en essayant de sauter d’un toit sur un arbre. Loin de s’arrêter là, il s’est relevé aussitôt et a retenté le même saut – à trois reprises.

Kriss Kyle a toujours été comme ça : à 14 ans, c’était déjà un mordu de BMX qui n’hésitait pas à dormir chez des potes ou à sécher l’école pour se rapprocher de l’Unit 23, un skate park de Glasgow situé à plusieurs heures de chez lui. À force de le voir débarquer aussi souvent, le propriétaire du park a fni par lui proposer de dormir sur le canapé, et Kyle a commencé à squatter littéralement son skatepark préféré. Il se souvient encore des nuits passées dans cet endroit : « Je sentais les rats qui me passaient dessus, mes fringues étaient sales et je mangeais des bonbons quand j’avais faim. Mais quand mes potes étaient là et qu’on s’éclatait sur nos vélos, c’était vraiment génial. »

Au fl des années passées à vivre sur le skatepark, Kyle a été rejoint par quelquesuns de ses potes, séduits par l’idée de vivre entièrement libres. Dave Summerson, qui a rejoint l’Unit 23 quand il avait 20 ans, se rappelle : « C’était assez dingue comme décision, mais ce fut la meilleure que j’aie jamais prise. »

Contrairement à Kyle qui était là pour le plaisir et non pour fuir un climat fami-

lial délétère, Summerson raconte avoir eu, comme d’autres amis communs, « une enfance assez diffcile ». Ce qui l’attirait dans cet endroit hors du temps où il retrouvait toujours les mêmes têtes, c’était aussi la possibilité de se faire des amis. Ces jeunes qui ont un jour, comme lui, squatté le canapé de l’Unit 23 sont des frères.

Le gamin fauché qui ridait les rampes de son Écosse natale est devenu, au fl des ans, l’un des grands noms du BMX. Après avoir délaissé la compétition, Kriss Kyle est désormais connu pour ses vidéos extrêmes, dans lesquelles il se flme sur son BMX. Fidèle en amitié, il essaie toujours d’inclure ses potes aux différents projets : Dave Summerson, Jake Walters et George Eccleston – dont l’entreprise Monolith a conçu le fameux bowl – font partie du dernier en date, mais ce sont eux également que Kriss Kyle appelle encore à la rescousse dans les moments de doute et d’abattement.

Un spectacle surréaliste

En ce jour J, alors que Kyle grimpe dans la nacelle de la montgolfère en essayant tant bien que mal de cacher sa nervosité, c’est encore Dave Summerson qui est à ses côtés. Les brûleurs sont allumés : l’enveloppe se gonfe d’air chaud et la nacelle commence à quitter lentement le sol… latéralement. Ce qui donne lieu à une petite scène de panique au moment où la nacelle se dirige vers les voitures garées sur les côtés. Et puis soudain, elle s’envole pour de bon, majestueuse, entraînant l’arène fxée à 7 mètres sous elle. Tout le monde, dans ce petit coin de la campagne du Wiltshire, a les yeux braqués sur elle, les équipes au sol comme les automobilistes, qui se sont arrêtés sur le bas-côté de la route pour flmer l’imposante masse dans le ciel.

Kriss Kyle se souvient : « Avant que j’aie eu le temps de le réaliser, le ballon a grimpé à 640 mètres et c’est à ce moment que j’ai entendu : “On y va.” » Il descend alors dans le bowl et attend l’arrivée des hélicoptères. « Dans les premières minutes, tout est tellement calme, on n’entend rien. J’ai repensé au petit garçon que j’étais à 10 ans, quand je venais de commencer le BMX, à tous ces projets incroyables que j’ai pu réaliser grâce à ce tout petit vélo. »

Les hélicoptères arrivent : le spectacle peut commencer. Et quel spectacle ! « Je crois que j’ai retenu ma respiration pendant toute la performance. D’habitude, il y a toujours un moment pour se reposer entre deux tricks, mais cette arène était tellement compacte que je n’avais pas une seconde pour souffer. » La première fois que cette arène a été dévoilée, Red Bull avait convié d’autres riders à l’essayer. Kieran Reilly et Bas Keep se souviennent

THE RED BULLETIN 55
Il a passé des années dans un skatepark pour vivre son rêve.
EISA
BAKOS/RED BULL CONTENT POOL

d’un terrain de jeu particulièrement ardu. Ce dernier avait déclaré, après avoir testé l’engin : « On a tous galéré là-dessus, parce qu’il faut sans cesse changer de direction. Mais c’est le bowl parfait pour Kriss : il a la rapidité d’une mouche ! »

Prisonnier dans cette arène qui se balance à présent dans les airs, Kriss Kyle a l’air effectivement de maîtriser chacun de ses mouvements : Andrew Laurence, qui pilote l’un des drones, a même du mal à le suivre. Kyle, de son côté, s’applique à enchaîner la chorégraphie qu’il avait prévue : au moment de réaliser l’ice pick, pour lequel Kyle va devoir atterrir en équilibre sur la rambarde de protection au-dessus du vide, Dave Summerson détourne le regard, trop anxieux. Quand il entend les cris de joie qui s’élèvent de la nacelle, il sait que son ami a réussi. Kyle racontera plus tard avoir failli basculer de l’autre côté parce qu’il allait trop vite : « Je me suis dit : “Hors de question que je le retente !” Et puis j’ai entendu la voix de Matty Lambert, le réalisateur, qui me demandait de recommencer pour une autre prise… Au départ, j’ai pensé : “Non, non, non !” Mais tout de suite après : “Et puis merde, on y va !” »

Autre occasion de se payer quelques sueurs froides : l’atterrissage – plus précisément le moment où la nacelle, au lieu de se poser tranquillement sur le sol, fnit sa course par quelques rebonds terrifants et manque de se renverser. Inutile de vous dire que Dave Summerson a embrassé la terre ferme en descendant, qualifant l’ins-

tant qu’il venait de vivre de « cauchemar ». Kriss Kyle, pendant ce temps, accueille les bravos et les applaudissements avec cette réponse qui trahit son caractère à la fois humble et perfectionniste : « Je n’ai pas réussi à placer le fakie front fip : il faut qu’on y retourne ! »

Ça paraît simple, dit comme ça, mais pour « y retourner », il faut attendre les bonnes conditions météo. Onze mois d’attente ont été nécessaires pour la première prise en décembre 2022. Cette fois-ci, l’équipe a de la chance : deux mois après le tournage, en février 2023, l’occasion se présente à nouveau. Un grand ciel bleu dégagé, un temps sec : c’est parti pour le deuxième essai ! Cette fois-ci, Summerson a préféré rester sur la terre ferme – on ne sait jamais !

Une fois descendu dans le bowl, Kriss Kyle attaque son fakie front fip d’entrée de jeu : au moment où il s’élance vers l’arrière, il ne peut s’empêcher de fermer les yeux… Et au moment de l’atterrissage, des cris de joie lui parviennent au-dessus de la tête : « Je n’arrivais pas à le croire ! J’étais tellement heureux d’avoir réussi à le faire – et du premier coup en plus ! »

Une liberté qui s’écrit à deux roues

Don’t Look Down, le nom choisi pour ce projet vidéo hors-norme résume aussi la philosophie qui est derrière, et qui correspond à celle de Kriss Kyle : ne pas se fxer de limites, ne pas se soucier des lois de la gravité ni de toutes les contraintes que nous imposent les autres – ou les habitudes limitantes qui sont les nôtres. Pour Kieran Reilly, Kyle est un type « qui pense plus loin que les autres : il pense au-delà du BMX. » Et ce n’est pas un hasard s’il a voulu baptiser « Freedom » le vélo qu’il a conçu avec la marque BSD. « Il n’y a pas de règle, dans le BMX, s’exclamet-il. C’est un formidable moyen pour s’exprimer et se sentir libre, et ça, c’est la plus belle chose au monde. Ce sport a fait de moi l’homme que je suis devenu. »

Encore aujourd’hui, alors que la première de son film approche, Kyle a du mal à réaliser ce qu’il vient de faire : « Franchement, je n’aurais jamais imaginé que ce soit possible. Le fait de réussir ce défi m’a mis en appétit : après ça, je crois que je suis capable de n’importe quoi. » Ce garçon n’a décidément pas envie de se calmer. Son prochain projet se fera en VTT : à suivre !

La vidéo Don’t Look Down et les coulisses du tournage (avec sous-titres en français) sur : redbull.co.uk/dontlookdown

« À l’atterrissage, j’ai eu le sentiment que je pouvais tout faire. »
56 THE RED BULLETIN SAM DUGON/RED BULL CONTENT POOL
L’atterissage Kyle sur le terrain de rugby où le ballon s’est brutalement posé.

Caméra embarquée

Kyle montre ses figures à 640 mètres d’altitude. « Mon pote, croasse le pilote de drone par radio, comment tu peux bouger comme ça » ?

Impossible de l’écouter sans avoir envie de twerker : Big Freedia, reine du bounce, met le feu aux fesses et aux dancefloors depuis plus de deux décennies. Cette égérie de la scène LGBTQ, qui fraye avec des stars comme Beyoncé ou Drake, n’a jamais renié son identité. Portrait d’une artiste brute à l’énergie contagieuse.

COMME UN

OURAGAN

TEXTE LAKIN STARLING PHOTOS JUSTEN WILLIAMS Diva pour toujours: Big Freedia, photographiée pour The Red Bulletin à la NouvelleOrléans.
58 THE RED BULLETIN
« J’ai toujours été celui que l’on entendait de loin à l’école. »

Les feux de la rampe

Big Freedia, théâtrale dans son costume à paillettes.

lle est l’une des fgures les plus emblématiques de la Nouvelle-Orléans et de sa scène musicale : Big Freedia nous a donné rendez-vous au Tipitina’s, un club de la ville où elle se produit régulièrement. Entourée de sa cour, la « Queen Diva » – son autre surnom – nous accueille allongée sur un canapé en cuir noir, dans une tenue assortie sur laquelle est incrustée une myriade de croix pailletées. “ Yes honey, shine bright like a diamond”, fredonne-t-elle en guise de réponse. Confante, nullement arrogante.

Cela fait vingt ans que Big Freedia promène sa voix et son sourire queer sur la scène bounce et LGBTQ, deux univers complètement antagonistes de prime abord, mais que cette artiste inclassable, tant sexuellement que musicalement, a réussi à transcender au-delà des normes. Après de multiples succès, un album, une biographie – Big Freedia: God Save the Queen Diva, parue en 2015 – et une émission de télé-réalité dont elle a produit six saisons – Big Freedia Bounces Back –, elle vient de se lancer dans le tournage d’un spin-off pour une série sur sa personne – Big Freedia Means Business – et travaille en ce moment sur son nouvel album.

Voilà pour les projets en solo. Côté collaborations, les cinq dernières années ont été particulièrement fructueuses puisqu’elle a notamment travaillé avec Drake, Lizzo et

EBeyoncé. C’est d’ailleurs cette dernière collaboration qui lui a apporté l’ultime reconnaissance tant attendue, lorsque l’album Renaissance a été nominé Album de l’Année aux Grammy Awards 2023. Déçue d’être fnalement repartie les mains vides ? Oh que non ! « Je suis tellement heureuse d’avoir bouclé la boucle en étant nominée pour cet album et enfn reconnue pour mon travail de songwriter », nous explique Freedia, qui vient de fêter ses 45 printemps cette année.

Son univers musical, c’est la bounce music, un style qui a commencé à émerger à la fn des années 80 dans les quartiers pauvres de la Nouvelle-Orléans : un hip-hop électro au rythme speed, des paroles ultra sexuelles scandées dans un rap répétitif sur des basses qui échauffent les corps et donnent envie d’agiter le postérieur, de le faire rebondir – to bounce, en anglais. Très vite, cette musique va envahir les block parties des années 90 et 2000 et Freedia va s’engouffrer avec enthousiasme dans ce style qui lui correspond si bien – jusqu’à devenir l’une des plus grandes icônes de la bounce, que notre artiste américaine aime à décrire avec ces mots : « Cette musique vous met le feu au cul. »

Avant de tomber dans l’univers ultra sexuel et jouissif de la bounce, Freedia a connu une enfance plutôt sage, non loin de l’église où elle se rendait tous les dimanches pour participer aux gospels. C’était l’époque où elle se faisait encore appeler « Freddie », de son nom civil Freddie Ross Jr. Une époque bénie qui lui a donné le goût du chant, mais aussi de la scène, puisque Freddie prendra rapidement la direction de la chorale. « C’est là que j’ai découvert qui j’étais vraiment », raconte-t-elle. Quand on lui demande qui était justement ce jeune garçon nommé Freddie : « J’étais un enfant de chœur de la NouvelleOrléans, vraiment très grand pour son âge. »

C’est dans les gospels qu’il découvre la joie de chanter face à un public. Le coup de foudre avec la bounce music, quelques années plus tard, fera le reste.

Reine des chœurs

Si l’église a été le premier pilier de sa vie, la famille fut le deuxième : ses parents – une mère coiffeuse, un père chauffeur

THE RED BULLETIN 61

routier – travaillent dur pour lui offrir une vie meilleure. Lorsqu’ils arrivent enfn à changer de quartier pour emménager dans l’uptown de la Nouvelle-Orléans, Freddie se sent à l’aise dans son nouveau lycée. « Je me faisais déjà remarquer parce que je parlais fort, j’occupais l’espace. Tout le monde connaissait Big Freddie. Dans les couloirs de mon lycée, j’aimais bien massacrer les mélodies que je chantais le dimanche à la chorale : ça plaisait à certains, et ça en énervait d’autres ! Comme quoi : j’avais déjà trouvé ma vocation. »

Très tôt, le grand Fred a su ce qui lui plaisait et surtout qui il était – sans jamais envisager de le cacher ou d’en avoir honte. Ce qui, quand on est un jeune homme black et queer vivant en Louisiane, n’est pas forcément évident à (faire) accepter. « C’était tabou, à l’époque », se rappelle Freedia : « Avoir un enfant gay, c’était quelque chose dont la plupart des familles concernées avaient honte. » À douze ans, Freddie alias Freedia fait son coming out auprès de sa mère, qui décide immédiatement de prendre les devants pour le protéger.

Le lendemain de la séance photo au Tipitina’s, Big Freedia nous a donné rendez-vous chez elle, dans sa maison de la NouvelleOrléans. Au moment où nous arrivons, une tornade est en train de se former au-dessus de la ville : tranquillement installée sous sa véranda, la Queen Diva nous accueille avec le sourire, sans prêter attention aux gros nuages noirs qui s’amoncellent dans le ciel.

Elle a troqué son look ultra glamour de la veille pour une fne robe de chambre violette

avec un bonnet en soie. À ses pieds, un gros chien à trois pattes répondant au nom de Yoncé sautille autour d’elle. Freedia fait passer le chien puis nous invite à l’intérieur : meubles blancs, nappes immaculées, murs tapissés de grands portraits d’elle peints à la main. Une déco chic sans être tape-à-l’œil. Nous nous retrouvons face à elle, assis sur un canapé couleur moutarde, devant un mur tendu de velours aux couleurs assorties, sur lequel est accroché un grand néon au message sans équivoque : « Big Diva Energy ».

Cela fait plus de deux décennies que Freedia sillonne les États-Unis et le reste du monde pour faire connaître la bounce.

À la fn des années 90, avant que Freddie Jr. Ross ne devienne Freedia, il s’inscrit à l’université de Louisiane pour entamer des études d’infrmier. Sa mère mène alors un projet social appelé Queen Diva, pour lequel il travaille de temps en temps, notamment comme décorateur lors des événements qu’elle organise. Jusqu’au jour où l’une de ses meilleures amies, la drag queen Katey Red, l’invite à danser lors d’une block party dans un quartier de la Nouvelle-Orléans. C’est une révélation pour le jeune homme, qui décide de prendre un nom de scène plus féminin, un nom qui refète son ambiguïté sexuelle en même temps que sa grande soif de liberté : Freedia.

New Queen On The Block

Très vite, le personnage séduit le public des block parties et Freedia commence à écumer les soirées hype de la Nouvelle-Orléans. Ce qui était au début, pour elle, un moyen

Deuxième maison

Fan de longue date des clubs indépendants, Freedia s’est produite à de nombreuses reprises au Tipitina’s.

En live Big Freedia avec ses danseuses sur la scène de Tipitina’s, à la Nouvelle-Orléans.

62 THE RED BULLETIN

sympa de se faire quelques dollars en plus va prendre davantage d’ampleur à partir des années 2000 : elle est remarquée par la maison de disques Money Rules Entertainment, qui lui offre ses premières soirées solo dans les gros clubs de la ville et l’aide à produire son premier single : An Hah, Oh Yeah Entre ses apparitions dans les clubs, les premiers singles et ses multiples collaborations, sa communauté de fans s’agrandit à tel point que des pointures du rap, du hiphop ou du RnB s’intéressent de plus en plus à elle. Notamment Drake, qui inclura l’un de ses samples dans son tube Nice For What. Drake utilise sa voix mais ne l’invite pas à participer au tournage du clip. Lorsque le rappeur revient un peu plus tard à la Nouvelle-Orléans pour y tourner le clip de My Feelings, sur lequel fgure aussi la voix de

« Être noir et gay dans le Sud profond n’était pas toujours accepté. »
THE RED BULLETIN 63

Freedia, elle saute sur l’occasion et demande à participer au tournage : cette fois-ci, Drake ne peut plus la snober et la fait apparaître dans son clip. « C’est important que nous soyons visibles au même titre que tous les autres, quels que soient notre passé et notre orientation sexuelle », souligne-t-elle.

Freedia est une artiste totalement ancrée dans la réalité de son époque, qui n’hésite pas à défendre sa vision des choses, ses préférences musicales – en tant que pionnière de la bounce – et son identité sexuelle. Lorsque le terrible ouragan Katrina l’oblige, en 2005, à quitter sa chère ville, elle part se réfugier à Houston, au Texas, en continuant à propager la bounce aux États-Unis. Dès que l’occasion se présente, elle retourne à la Nouvelle-Orléans et commence à travailler pour le Caesar’s, le premier club de la ville à avoir réouvert ses portes. À partir de ce moment, elle décide de se consacrer exclusivement à sa musique et enchaîne les shows et les concerts, plus seulement en Louisiane mais désormais un peu partout aux ÉtatsUnis : « Katrina a éparpillé les artistes de la Nouvelle-Orléans aux quatre coins du pays et du reste du monde. C’est là que les gens ont commencé à s’intéresser de plus en plus à notre musique. » En 2010, Freedia quitte le sud pour aller jouer à New York et à Los Angeles, et les médias sont de plus en plus nombreux à la citer. Lorsque le New York Times écrit un article sur elle en 2010, la scène bounce est encore dominée par des rappeurs noirs hétéros. Le journal raconte alors à quel point les artistes queers ont une place importante dans cette musique – des propos qui, selon les mots de Freedia, ont déplu à la scène hétéro de la bounce : ce coup de projecteur du NYT a évidemment aidé la communauté LGBTQ dont Freedia fait partie, mais il a aussi jeté un petit pavé dans la mare. « Il a fallu que j’apprenne aux gens qu’à la Nouvelle-Orléans, on ne sépare pas les artistes de la scène bounce selon leur orientation sexuelle. On a des artistes homos, hétéros, des mecs, des nanas… » Au fnal, la communauté bounce et le public ont appris à regarder au-delà des frontières de genres – et c’est tant mieux.

Petit coup de pouce de Miley Cyrus Quand Freedia nous raconte le jour où deux types blancs l’ont reconnue dans la rue, on ne peut s’empêcher de penser au fait qu’aujourd’hui, ce sont surtout des Blancs qui remplissent les salles de ses shows. La bounce est devenue un style qui rassemble un public de plus en plus large, notamment parce qu’elle a popularisé le twerk. À partir de 2013, tout le monde s’est mis à twerker, de Kim Kardashian à Miley Cyrus! Devant cet engouement aussi soudain que planétaire, Freedia n’a-t-elle pas eu l’impression

« J’essaie d’éclairer l’esprit des gens avec ma musique. »
64 THE RED BULLETIN

Le style comme déclaration Big Freedia mélange le glam et le bling dans ses tenues, les rôles sexuels lui importent peu.

« Mon album revient aux racines de la bounce et l’enrichit de nouveaux sons. »

que tout ça allait un peu trop loin ? « J’étais contente de voir cette évolution, et en même temps, je me suis dit : “Tu as construit quelque chose, tu as fait connaître ta musique et ta culture au monde entier.” »

Pour autant, elle reste vigilante : « Les gens qui donnent des cours de twerk, je m’en fche. Par contre, quand des stars utilisent mes sons sur leurs morceaux et veulent s’approprier le succès, je me dis “Hey mais… c’est à moi, bon sang !” Mais bon, c’est moi la pionnière dans tout ça : les autres, je m’en tape. Et si j’ai envie de m’exprimer sur un truc ou une situation, je le fais. Le respect, on ne le doit qu’à tous les artistes qui ont jeté les bases du mouvement, qui en ont été les pionniers. »

C’est pour atteindre cette visibilité qu’il est important pour elle de pouvoir apparaître dans un vidéo clip, d’être citée lorsqu’on utilise sa musique ou nominée pour un Grammy. « Je crois que les choses sont en train de changer, dit-elle. Les portes s’ouvrent de plus en plus, et l’on commence à voir la culture bounce imprimer sa marque dans l’industrie de la musique. »

Freedia ne cherche pas la validation des autres, même si elle la mérite : il y eut une époque où elle voulait raccrocher, nous avoue-t-elle. Être un musicien gay qui ne se vit pas trans, qui se revendique homme tout en préférant se faire appeler « elle », ça n’a pas toujours été facile à vivre. Surtout dans un milieu hétéro très marqué par les codes machos. Il a fallu qu’elle se protège, qu’elle impose son identité et sa valeur propre en tant qu’artiste.

Depuis un an, Freedia travaille sur son nouvel album, Central City, qui doit sortir en 2024. Un projet colossal – sur le point d’être bouclé – avec un double album qui reprendra une partie des premiers succès d’il y a vingt ans. « On y retrouvera l’ancienne Freedia, celle qui faisait danser les foules dans les clubs, une musique de festival : la fête continue ! »

conte Freedia, la femme d’affaires : l’idée est de montrer à un jeune public les coulisses du monde des affaires, comment se comporter en réunion, comment fonder une société ou remplir une déclaration d’impôt. Elle se flme chez elle, dans son salon, comme elle est au quotidien – en survêt’ et en pantoufes. À la ville, la vraie Freedia est un personnage plutôt terre-à-terre, de nature calme, chaleureuse – et surtout très drôle. « Vous me voyez dans mon jus. Quand je ne me produis pas sur scène ou à l’écran, je suis quelqu’un d’assez réservé. »

La notoriété n’est pour elle pas toujours évidente à gérer : elle se considère encore comme “that hood bitch” qui adore la normalité de son quotidien. Pas facile d’aller faire ses courses tranquillement quand on se fait arrêter par des fans qui vous supplient de pousser la chansonnette.

Éternelle âme sœur

Alors que dehors, les bourrasques de vent s’amplifent et que la pluie devient torrentielle, notre hôte envisage justement une petite sortie au supermarché. La violence de l’ouragan qui se prépare est impressionnante, mais Freedia, qui a survécu à celui de 2005 en perçant un trou dans son toit pour appeler les secours par radio et qui s’est fait secourir par bateau, en a vu d’autres. Alors que le taxi est en route pour venir nous chercher, elle laisse la lumière de la véranda allumée pour l’aider à trouver sa maison, et nous lance, au moment où nous la quittons : « Si vous restez bloqués à l’aéroport, appelez-moi et je viendrai vous chercher. »

Par son charisme, son humour et sa générosité, Freedia semblait faite pour devenir la porte-parole de la bounce music, cette musique de fête qui célèbre le mouvement, le corps, la sexualité et la joie. « J’adore ma musique, et j’adore ce que je fais, dit-elle. J’essaie de mettre les gens de bonne humeur et de leur faire découvrir les sons de ma ville. »

bigfreedia.com

En attendant la sortie de l’album, elle planche en parallèle sur son émission de télé-réalité, Big Freedia Means Business, qui sort cet été aux États-Unis. Cette série ra-

Finalement, notre avion a pu décoller. Nous quittons la Louisiane avec l’impression d’avoir rencontré l’âme de la NouvelleOrléans – et la plus belle expression de son incroyable énergie.

THE RED BULLETIN 65

LIGNES DE VIE

Voici l’homme derrière la star de tennis : nous avons rencontré Stéfanos Tsitsipás pour parler de ses études politiques, de lieux magiques, de son addiction. Et d’un certain Giorgos aussi, avec beaucoup d’émotions.

TEXTE PH CAMY PHOTOS ANTOINE TRUCHET & STÉFANOS TSITSIPÁS
66 THE RED BULLETIN

Un homme avec de la tenue Le tennisman grec de 24 ans Stéfanos Tsitsipás en action, lors de notre shooting à Marbella, Espagne.

« La dernière entrée dans mon carnet : donner un million ou plus pour le développement du tennis grec. »

n numéro 3 (au jour de notre entretien, début avril) si jeune, 24 ans, mais déjà riche d’expériences, d’envies, de volonté, de réalisme et de positivité. Venu d’un pays où l’on n’attendait pas grand-chose d’un joueur de tennis, et dont le monde du tennis mondial n’attendait pas grandchose non plus, Stéfanos a tracé sa route jusqu’aux hautes sphères du jeu à l’international. Il a débarqué dans le top 10 en mars 2019, et a connu, depuis, des hauts et des bas, des moments de joie immense (qu’il évoque plus bas), et d’autres beaucoup plus diffciles (une fnale de Roland Garros perdue face à Novak Djokovic en 2021 et entamée cinq minutes après qu’on lui ait annoncé le décès de sa grand-mère à laquelle il tenait énormément).

Basé à Monaco, avec sa famille, au sein de la fameuse Academy de tennis de Patrick Mouratoglou (qui l’a repéré alors qu’il n’avait que 15 ans), Stéfanos connaît les contraintes du tennis game depuis son plus jeune âge (en bref, une succession de tournois, une année à jumper de pays en pays pour affronter les plus gros killers de l’ATP) et a décidé d’en prendre le meilleur.

Comme il nous l’expliquera, Stéfanos œuvre pour le tennis au sens large, autant qu’il s’épanouit en dehors. Il veut inspirer et s’inspirer. Avec nous, il se souvient d’hier, de celles et ceux qui l’ont aidé à être qui il est aujourd’hui, et pense à demain. Il nous parle du monde qu’il veut découvrir, toujours plus. Alors qu’il se livre sur ses buts de vie, nous découvrons un esprit, un sensible, un photographe, un curieux, qui s’explore autant qu’il explore le monde – quand il le peut.

Uthe red bulletin : Stéfanos, le tennis vous fait parcourir la planète chaque année pour le tour ATP. Dans quels pays vous êtes-vous déjà rendu depuis le 1er janvier ?

stéfanos tsitsipás : L’Australie, les PaysBas, la Grèce, l’Italie, Monaco, la France, les États-Unis d’Amérique…

Quel que soit le but du voyage, que faites-vous toujours en déplacement ? Je reste fxé sur ma routine, car ça me fait me sentir plus proche de la maison, il y a des choses que j’accomplis religieusement. Aussi, je m’assure toujours d’avoir des photos signées avec moi, car je sais que je vais rencontrer beaucoup de personnes qui regardent le tennis, des fans, et je m’assure d’avoir toujours des images dédicacées à leur offrir. Ça me permet d’en donner plus aux gens, aux enfants, et de gagner du temps.

Que faites-vous de ce temps gagné ? Le temps est très important pour moi, et pour le tennis en général. Le plus on peut donner au tennis, le plus heureux sont les joueurs, meilleur est le tennis et meilleur est notre environnement de travail. Une autre chose que j’embarque toujours avec moi en déplacement, c’est un sac, avec mes essentiels, comme mon ordinateur portable et aussi un carnet, mon carnet à idées. Il y a tout ce qui me traverse l’esprit dedans, les plus grandes choses que je veux accomplir ou conquérir dans ma vie. Je m’assure toujours de l’emporter et d’y noter mes idées, quand j’en ai.

Un homme qui a du style
THE RED BULLETIN 69
Sur la photo cicontre (et sur celle de la page suivante), Stéfanos Tsitsipás porte une tenue AlphaTauri.

«Tous ces angles et toutes ces lignes : la photographie a amélioré mon tennis, mon œil est plus alerte.

Vous l’avez à portée de main ?

Oui, je peux l’attraper… (Rires. Stéfanos nous montre le fameux carnet, intitulé The Idea Book…)

Comment l’utilisez-vous ?

Ça me permet d’être créatif, il n’y a pas de limites, je peux écrire ce que je veux. Je suis plutôt ambitieux, et j’aime la découverte, sortir de ma zone de confort, donc si j’écris quelque chose dedans, je sais que je vais l’accomplir en quelques années, ou quand j’aurai pris ma retraite du tennis. Alors, j’aurai tout le temps du monde pour être libre de faire tout cela. Mais je veux rester réaliste, je n’écris pas des idées que je ne pourrai jamais réaliser.

Est-ce que vous êtes d’accord pour nous lire la dernière chose que vous avez inscrite dans ce carnet ?

(Rires.) Voyons… Oui, j’ai une idée ici… ça dit, et c’est vraiment la dernière que j’ai écrite, il y a une semaine environ : « Donner un million d’euros, ou plus, pour le développement du tennis grec. »

Quelle est l’intention derrière ces quelques mots ?

Je veux apporter quelque chose au tennis grec. Je sais que la fédération ou les associations grecques ne le pourront pas, alors je veux le faire moi-même.

À quel moment avez-vous pris conscience que ces voyages pour le tour pouvaient être bénéfques pour votre vie personnelle, qu’ils pouvaient vous apporter plus qu’une simple participation à des tournois ?

En 2017, quand je suis monté d’un cran, j’étais alors encore nouveau dans le tour, et il y a eu un déclic dans ma tête, une voix qui me disait : « Okay, tu vas faire ça pendant de longues années, tu devrais te trouver

un truc en parallèle qui te maintienne sain d’esprit, et en bonne santé mentale. » J’avais toujours été un explorateur et un aventurier, mais dans mon cœur. Je voulais visiter et voir de nouveaux endroits, mais j’étais jeune, et totalement inexpérimenté, et sous la super vision de mes parents. En grandissant et devenant plus libre, je me suis donné plus d’opportunités d’être indépendant, de prendre des décisions pour ma vie.

Vous êtes connu pour être plutôt en mouvement, actif.

Si j’ai un peu de temps entre deux tournois, je vais peut-être sauter dans un avion et me rendre quelque part pour voir des choses, plutôt que de rester à la maison, sur mon canapé, à regarder la télé… ça n’est pas mon truc. Je préfère les trips spontanés et être au contact de nouvelles cultures, de nouvelles idées, de nouvelles personnes.

Est-ce que vous parvenez à voyager à des moments où vous devriez être au repos à la maison entre deux tournois ?

Je dois être malin, ne pas faire de trucs ridicules entre deux tournois, spécialement quand le temps est réduit. Bien sûr, je vais tenter de savoir comment se sent mon corps, et ce dont il a besoin, et ainsi, je peux privilégier ma remise en forme quand c’est le cas, soutenu par une équipe qui m’aide au quotidien à réaliser mes rêves et être fexible, fort, puissant, toutes ces choses. Je dois donc la jouer intelligemment et rester à la maison parfois malgré l’envie irrépressible de me faire un trip. Je dois privilégier mon tennis, car il ne va pas durer longtemps.

Qu’entendez-vous par là ?

Mon tennis va durer seulement quelques années, mais ça va être une virée excitante, et je veux donner le max pour qu’elle soit la plus passionnante possible, et ça, ça s’organise avec sagesse.

Si j’en crois votre vlog sur YouTube, vous avez visité Oman, l’Islande, ou encore Shanghai...

Je suis en effet allé en Islande deux fois déjà, et j’ai adoré. C’est tellement bien d’être là-bas. Les gens, cette culture viking si forte. Bien sûr, il y fait froid, et les distances sont longues, mais il y a une sensation d’aventure dans ce pays que je n’ai pas perçue ailleurs. C’est une sorte d’utopie arctique.

Dans quel esprit voyagez-vous ?

Quel « esprit », très bonne question. Ça commence par une liste de pays que je veux visiter, avec une vibe dont je veux me sentir proche dans ma vie, des pays comme le Brésil ou le Pérou, dont j’adore la nourriture, la cuisine péruvienne est la meilleure au monde selon moi. Il y aussi la Namibie, pour explorer les dunes, et voir comment le désert bascule vers l’océan, ce qui donne une transition magnifque en termes de couleurs. J’ai aussi listé la Corée du Sud. Je n’ai pas l’opportunité de me rendre dans ce genre de pays sur le tour ATP, car c’est très spécifque, puisqu’à mon niveau, on va généralement dans les mêmes pays.

Que ferez-vous quand vous pourrez visiter l’une ou l’autre de ces destinations sur votre liste ?

Je veux me perdre dans ce genre de pays, avec d’autres gens, des potes, la famille. Ce serait exaltant, j’aurais l’impression de vivre ma vie au max. Une vie sans regrets, avec des interactions et des aventures permanentes. Voyager est bien mieux que n’importe quel bouquin, ou que n’importe quel flm. Tu es le flm.

Le père du prodige. Apostolos Tsitsipás, ici photographié par Stéfanos, accompagne souvent son fils en voyage.
»
70 THE RED BULLETIN STÉFANOS TSITSIPÁS

Un homme qui a des principes « Mon engagement doit aller bien au-delà des courts de tennis. »

Un homme avec de la poigne Tsitsipás au service. Plus tard, il créera une fondation de tennis pour encadrer les enfants.

Vous documentez vos déplacements avec votre appareil photo, quand avezvous commencé ?

En 2016, quand j’ai pu me permettre d’acheter mon premier appareil, et je suis accro depuis. Ça m’a apporté un certain équilibre, et j’ai commencé à maîtriser de nouvelles choses en photo en même temps que de nouvelles choses au tennis. C’était une phase de ma vie où je m’améliorais constamment au tennis, mais aussi en photo, dans cette activité parallèle de ma vie où j’apprenais non-stop, tout le temps. J’absorbais toutes ces informations en regardant des vidéos en ligne, afn de devenir meilleur. C’était une très bonne balance qui m’aidait dans mon tennis, ça m’offrait de la sérénité d’esprit, et m’ouvrait à un plan B.

Est-ce que votre œil de photographe a transformé, ou amélioré, votre œil de tennisman ?

J’y pensais, justement… Ça me donne un œil frais, différent.

Comment cela ?

La composition est au cœur de la photographie, et avec l’aspect très géométrique d’un court de tennis, ça a vraiment du sens. Et on peut dire qu’un court de tennis, avec ses lignes, ses angles, offre une super composition. C’est comme ça que je peux le décrire. Le cadrage, cette composition, ces lignes, qui se croisent, tout ça. Le court de tennis est un très bon exemple de mon approche de la photographie.

Vous pensez photo quand vous jouez durant un tournoi ?

Je me concentre sur le jeu… (Rires)

La photo est aussi synonyme de souvenirs, quel est votre souvenir le plus mémorable, en tant que tennisman, et dans votre vie perso ?

Côté tennis, c’est quand j’ai gagné les ATP Finals à Londres en 2019 (les Masters, qui voient s’affronter les huit meilleurs joueurs de la planète, ndlr). C’était un moment vraiment joyeux, car je fnissais l’année de la plus belle façon possible, en gagnant un titre, et en achevant cette année-là sur une note positive. Ce titre aux Masters à Londres, ça valait un titre en Grand Chelem.

Pour quelles raisons ?

Parce que j’ai battu des joueurs au top, tous dans le top 8, et que j’ai joué l’un de mes meilleurs tennis. J’étais extrêmement focus sur le court, rien ne pouvait m’arrêter. Et cette joie à la fn, c’était immense. Ça restera en moi toute ma vie. C’était un énorme aboutissement, spécialement pour un joueur de tennis comme moi… Le tennis

n’était pas du tout connu en Grèce, il était vu comme un sport de riches, on le comparait au golf, un truc que tu fais au country club si tu as les moyens, et du temps. Peu de personnes pensaient pouvoir y jouer. Je pense que ce titre a été un message fort.

Lequel ?

J’ai l’impression que cela a unifé les gens de Grèce, et permis une compréhension claire de ma vision du tennis. Le premier ministre grec était présent, il y a eu une belle célébration, beaucoup d’intensité, beaucoup de frissons. J’ai vraiment apprécié cette semaine à Londres, toute mon équipe était là, ma famille, mes cousins. Gagner devant eux, en étant si solide, et si féroce sur le court… J’ai fait le taf, et c’était la plus belle chose. Je suis venu, et j’ai fait ce pourquoi on m’attendait.

Et côté perso, quel est le souvenir qui perdure ?

Si je joue au tennis aujourd’hui, c’est grâce à une personne en particulier qui m’a soutenu, sponsorisé, quand j’étais plus jeune. Je ne mentionnerai pas son nom, mais quand j’ai commencé à tourner en tant que junior, mon pays a été confronté à une crise économique majeure, c’était très diffcile pour la Grèce, et de vivre dans mon pays à ce moment-là. Mon père m’a pris en charge, et nous avons bougé, pour jouer au tennis. Nous ne rentrions pas au pays très souvent, nous voyagions beaucoup pour les tournois, et quand je revenais en Grèce, c’était très déprimant, les gens souffraient, c’était un quasi-désastre, et il n’était pas simple pour

«
La Grèce a vraiment souffert de la crise.
M’aider n’a pas été facile pour ma famille. »
THE RED BULLETIN 73 STÉFANOS TSITSIPÁS
Un homme qui voit loin. Tsitsipás documente tous ses voyages avec son appareil photo.

ma famille de me soutenir fnancièrement pour mes voyages. Mais mon père voyait du potentiel en moi, du talent, et il voulait vraiment que je puisse le faire. Et puis, il y a eu ce gentleman qui est apparu, via ma mère, et qui a offert son soutien. Je pense qu’il m’a sauvé, qu’il m’a donné la chance de prouver ce que je valais, de prouver ce dont j’étais capable avec mon tennis.

C’est-à-dire ?

Il m’a donné l’opportunité de rêver, de sortir, d’y aller, et de montrer qui est Stéfanos Tsitsipás sur un court de tennis. C’est une période que j’apprécie désormais, car j’ai l’impression, grâce à lui, de construire un empire chaque jour.

« Voyager vaut mieux que n’importe quel film. Car le film, c’est toi. »

Ces souvenirs nous transportent dans votre passé, mais quel sera votre futur ? Quels sont vos rêves, vos buts ?

…en partage

« J’ai pensé à déménager en Islande, que je considère comme ma patrie spirituelle.

C’est là que j’ai photographié cette aurore boréale. »

Le bonheur…

« Cette photo résume une époque de ma vie où j’étais vraiment heureux. Je l’ai prise en Islande. »

(Stéfanos parcourt son carnet à idées.) Je veux vraiment suivre une formation universitaire et décrocher un Master.

Dans quelle spécialité ?

La communication, ou la géopolitique. J’aime connaître les relations entre les pays, la géopolitique, la géographie, ça m’intéresse vraiment. Et j’ai été de plus en plus curieux à propos de ces sujets en découvrant des vidéos en ligne.

Vous vous fxez des challenges au tennis, et aussi dans votre vie personnelle. Est-ce que le tennis reste votre priorité ?

La famille passe en premier, toujours, c’est mon principe de vie numéro un. Ça passe devant mon tennis. Le tennis sera second, mais il est ma vie, ce pourquoi je respire chaque jour. Si je ne me réinvente pas chaque semaine, au lieu de m’élever, je risque de reculer, et c’est là la chose la plus critique de mon métier. Ce sont des discussions permanentes avec mon entourage et mon équipe : comment devenir meilleur ?

Se maintenir dans le top 3 de l’ATP ne doit pas être aisé… Parfois, ça peut être très diffcile, décevant, et attristant. Mon job est comme une montagne russe d’émotions. Il y a des jours où je peux perdre ou ne pas bien jouer, et où c’est diffcile de dormir, et je me demande : « Est-ce que je peux juste avoir une vie de base, où je peux me sentir normal ? » Ne pas avoir à être super excité et super heureux, ou super triste et super déçu. Juste une balance saine.

Dans l’une de vos récentes vidéos, vous disiez vouloir que l’on se souvienne de vous pas seulement pour le tennis. Que voulez-vous accomplir en dehors des courts et des tournois ?

74 THE RED BULLETIN STÉFANOS TSITSIPÁS
1 TO 12 AUGUST 2023 GET YOUR TICKET NOW! BERN2023.ORG PETRA KLINGLER, SUI

« Je veux créer une entreprise qui rendra la planète plus saine. »

Je veux par exemple transformer de bonnes idées en une entreprise, dans le caritatif, créer une fondation que je pourrais soutenir, peut-être pour les enfants, ou pour mon pays en termes de développement et de durabilité… Je suis très intéressé par cela. Quoi que ce soit qui puisse rendre la Terre plus hospitalière, plus saine. Je pense que ma place ne se limite pas seulement au tennis. Je veux être vu ailleurs, au travers des réussites qui me donneront l’opportunité de me connecter à plus de gens. J’ai tant d’idées.

Dans quels domaines ? J’adore la technologie et je veux être plus impliqué dans ce genre de choses, même si je ne sais pas vraiment quel impact je pourrais avoir. Tout ce qui touche à l’innovation, qui implique de la durabilité et une planète plus propre et saine. J’aimerais avoir de l’impact, peut-être via une entreprise que je fonderai un jour, dans laquelle des gens avec la même idéologie que la mienne, la même approche de la vie, toujours créatifs et innovants, pourraient contribuer autant que moi.

Un homme qui a la banane Le sourire de Stéfanos s’accorde bien avec le ciel sans nuages de la Costa del Sol.

Sur Instagram, vous suivez le basketteur Tony Parker, qui va être intronisé au NBA Hall of Fame… Si vous pouviez nommer une personne chère pour rejoindre votre Hall of Fame, proche, athlète ou artiste, qu’importe, de qui s’agirait-il ?

(Stéfanos se concentre, et réféchit longuement.) Tu pourrais t’attendre à ce que je désigne mon père ou ma mère, car ce sont les premières personnes qui me viennent à l’esprit, ou mes frères et sœurs. Le tennis est ma vie. Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce au tennis ; si je vis aujourd’hui à Monaco, c’est grâce au tennis ; si je connais les gens que je connais aujourd’hui, c’est grâce au tennis. Pour moi, le tennis est tout, littéralement. Alors, je veux donner ce titre à mon tout premier entraîneur, celui qui m’a appris à jouer.

Qui est-ce ?

Son nom est Giorgos Spiliopoulos. Je me souviens très bien de lui qui se mettait à genoux, à notre niveau, quand nous étions des gamins, pour nous parler. Il s’adressait à nous comme à des adultes, alors que nous n’avions que six ans, nous étions vraiment « petits » (en français dans le texte, ndlr). Avec lui, il y avait beaucoup de discipline mais il était aussi très sympa. Et j’ai encore cette discipline en moi, être costaud, et ne laisser aucune connerie rentrer dans ma tête tout en étant poli, attentionné et respectueux.

Que vous a-t-il apporté ?

Il a spirituellement développé ma personnalité et qui je suis aujourd’hui. Je n’ai peut-être passé que trois ou quatre ans avec lui, mais ce fut assez pour que je devienne celui que je suis. Je me considère comme quelqu’un d’aimable, ce qui n’est pas forcément un avantage sur le court, mais je le suis en dehors… et je me considère aussi comme quelqu’un de généreux, de poli, et d’authentique. Je suis convaincu que c’est aussi grâce à lui. Je sais qu’il va pleurer s’il lit ça. (Sourire.) Je veux lui donner ce titre, un gros gros trophée, du plus empathique, génial, généreux et bienveillant coach au monde. Qui est le meilleur coach, je m’en fche, mais ça, ça compte.

Instagram : @stefanostsitsipas98

76 THE RED BULLETIN
QUI RÈGNE SUR LE DANCEFLOOR ? FINALE SUISSE À TOI DE CHOISIR ! REDBULL.COM/DANCEYOURSTYLE LAUSANNE PLACE DE LA NAVIGATION 20.08.2023 I

DES AIIILES POUR L’ÉTÉ.

AU GOÛT FRUITÉ DE BAIES. NOUVEAU

STIMULE LE CORPS ET L’ESPRIT.

Votre guide pour une vie loin du quotidien

VOYAGER, ÉCOUTER, COGITER, S’ENTRAÎNER, OPTIMISER ET SE DÉTENDRE

Le designeur Yannik Zamboni nous montre sa ville : sur l’eau, sur terre. Et de temps en temps en roulant.

À VOTRE TOUR !

THE RED BULLETIN 79 PHILIPP
MUELLER

ZURICH CÔTÉ CŒUR

Tout va comme sur des roulettes pour Yannik Zamboni. Le chouchou de la fashion sphère nous fait découvrir sa ville.

Zurich est ma ville de cœur depuis que j’ai 16 ans ! », nous confe

Yannik Zamboni, 36 ans cette année : ce natif de la région bâloise est devenu une véritable star après avoir remporté la dernière saison de Making the Cut, une émission de télé-réalité américaine conçue par Heidi Klum qui met en scène une douzaine de créateurs de mode souhaitant se lancer dans le secteur. À la clé : un chèque d’un million de dollars – remporté par le

designeur suisse, dont la carrière a décollé suite à cet événement. Mais s’il est désormais sollicité aux quatre coins du monde, c’est à Zurich qu’il se sent chez lui. Nous lui avons demandé de nous montrer les plus beaux endroits de la ville. C’est parti pour une visite guidée, en rollers ! Le circuit commence au cœur de la ville, devant le Kunsthaus de Zurich : il s’agit du musée d’art le plus important de Suisse depuis qu’il a été complété en 2011 par un

nouveau bâtiment créé par l’architecte britannique David Chipperfeld. La plupart des époques, allant du médiéval au contemporain (avec notamment l’une des plus grandes collections au monde d’œuvres d’Edvard Munch), y sont représentées ; pour Zamboni, la nouvelle extension du musée est tout simplement magnifque : « Regardez

VOYAGER
Tout roule pour Zamboni : ici devant le Kunsthaus de Zurich.
80 THE RED BULLETIN

Zamboni fait un passage remarqué sur le pont de Munster, vêtu de ses propres créations.

tout cet espace, ces murs immenses ! » Bonus : l’emplacement du musée, idéalement situé au cœur du vieux Zurich, avec ses petites rues pavées qui invitent à la promenade. Celle-ci se poursuit en rollers.

Comme rien n’est jamais vraiment loin, dans cette ville à taille humaine, nous atteignons rapidement le prochain spot de notre circuit : le pont de Munster, qui offre un panorama unique sur la vieille ville et le lac de Zurich. On est tenté de s’arrêter un instant pour admirer le paysage, mais les petites roues de Yannik Zamboni sont déjà reparties. « Direction le lac ! », lance-t-il. On le suit sans rechigner, tant la ville est connue pour faire honneur à son lac et à la rivière qui la traverse, la Limmat. Une chose qui plaît particulièrement à notre guide zurichois ? « L’eau est incroyablement propre ici, on peut voir le fond. Non seulement

on peut se baigner, mais on peut également jouer aux petits bateaux ou s’éclater en pédalos. »

Sitôt dit, sitôt fait : le créateur suisse enlève ses rollers et saute sur l’un de ces engins fottants pour une virée sur l’eau. Les rives du lac et de la rivière sont aménagées en badis, des spots de baignade qui ont chacun leur clientèle et leur spécialité. Qu’on vienne en famille ou entre amis, pour un farniente ou une nage sportive, il y en a pour tous les goûts.

Avec ses plages gratuites, ses musées de classe mondiale, sa vie nocturne, son offre gastronomique et sa

nature omniprésente, Zurich est une ville qui conjugue tous les avantages d’une grande ville de 500 000 habitants… sans les inconvénients : pas étonnant que Zamboni ait décidé de s’y installer défnitivement.

Lui qui a grandi dans un petit village de 700 âmes apprécie la diversité et l’ouverture d’esprit des Zurichois :

« J’y allais tout le temps, quand j’étais jeune. Là où j’ai grandi, dans la campagne bâloise, il n’y avait rien pour les gens queer comme moi : il fallait aller à Zurich pour trouver des lieux qui me correspondent. Chez moi, je me sentais souvent différent et un peu perdu ; alors qu’ici, je retrouvais cette tolérance et cette diversité qui me manquaient. » Aujourd’hui, le designeur vend ses créations dans le magasin Big Pop, situé dans l’une des artères commerçantes les plus chères de la ville : la Bahnhofstrasse, prochaine étape de notre périple. C’est ici que se concentre l’industrie du luxe à Zurich,

Les amis s’habillent chez Maison Blanche, l’enseigne créée par Yannik Zamboni, à retrouver au BIG POP. Une glace en bonne compagnie : Yannik et Anique Wild savourent la vie zurichoise. Ici au Frau Gerolds Garten.
THE RED BULLETIN 81 PHILIPP
MUELLER SASKIA JUNGNIKL-GOSSY

avec les grands noms de la haute couture et de l’horlogerie : « Je ne passe pas vraiment dans le paysage, s’en amuse le jeune homme, mais je suis heureux de voir arriver dans ma boutique des gens qui ne m’auraient jamais découvert autrement. »

Les artistes alternatif·ve·s sont davantage représenté·e·s au Viadukt, considéré par beaucoup de locaux comme le spot commerçant le plus intéressant de la ville. Cette diversité d’inspirations et de styles est ce qui rend Zurich si fascinante. Quand on lui demande quelles sont justement ses sources d’inspiration, Zamboni est catégorique : les sujets socio-politiques.

« Je m’inspire de tout ce qui me semble injuste dans notre société. » Sa mode est faite pour les gens qui se sentent différents : « Je ne crois pas en la binarité des sexes. » Ce qui

explique que les créations de sa marque Maison Blanche soient taille unique et unisexe. Notre promenade se poursuit sur les chapeaux de roues – au sens propre : on a d’ailleurs un peu mal aux pieds, mais notre guide ne semble pas près de se poser et tient à nous montrer l’autre face de Zurich. Direction Frau Gerolds

Garten, un endroit insolite niché au cœur du quartier industriel, qui est à la fois un jardin urbain et une brasserie en plein air. « J’adore venir ici parce qu’on y découvre un aspect méconnu de Zurich, un côté un peu hors du temps. » Dernier conseil avant de clore cette visite guidée : la Rote Fabrik, un centre culturel installé dans une ancienne usine.

Cette journée zurichoise s’achève. On observe notre hôte retirer enfn ses rollers, et l’on se dit qu’il a de la chance de vivre dans une cité qui lui correspond si bien : multiple, fère de sa diversité et de son art de vivre.

ZURICH EN MODE BRANCHÉ

1 BIG POP

Des boutiques pop up aux marques exclusives, comme Maison Blanche. Bahnhofstrasse 73

2 Le Viadukt

Un lieu de référence pour la mode alternative ou seconde main.

Viaduktstrasse

3 Frau Gerolds Garten Biergarten décalé au cœur du quartier industriel. Geroldstrasse 23

4 Le Kunsthaus

L’un des plus grands musées d’art du pays. Heimplatz 1/5

5 Location de bateaux Enge Pédalo ou bateau-sauna : Zurich se vit aussi sur l’eau. Mythenquai 25

S’Y RENDRE

Nichée au cœur de l’Europe, Zurich est facilement accessible en train. Une fois sur place, la ville se découvre à pied, en vélo, ou en rollers ! Plus d’infos : zuerich.com

VOYAGER
Zurich Limmat Lac de Zurich 1 2 3 4 5
Yannik Zamboni travaille sur une collection-capsule pour le département tourisme de la ville, en coopération avec le label Collectif mon Amour –à découvrir bientôt dans sa boutique au Big Pop. L’eau est omniprésente : la Limmat traverse la ville.
82 THE RED BULLETIN PHILIPP MUELLER, SWITZERLAND TOURISM/JAN GEERK, FRAUGEROLD.CH SASKIA JUNGNIKL-GOSSY
Un biergarten au cœur du quartier industriel : le Frau Gerolds Garten.
INSTITUTIONAL PARTNERS

Ben, le dernier album de Macklemore, est dans les bacs. En live au Festival Openair St.Gallen le 1er juillet. Plus d’infos : macklemore.com

LE RETOUR DU MACK

Le rappeur Macklemore partage quatre sons qui ont marqué un tournant dans son éducation musicale.

Scannez le code pour écouter la playlist de Macklemore sur Spotify.

Ben Haggerty, alias Macklemore, lauréat d’un Grammy Award, s’est fait connaître en 2012 avec Thrift Shop. Le titre, enregistré avec son partenaire musical et producteur de longue date Ryan Lewis, a été visionné 1,7 milliard de fois à ce jour sur YouTube. Sur Ben, son premier album solo en six ans, ce père de trois enfants originaire de Seattle jette un regard attendri sur celles et ceux qui ont fait de lui l’artiste qu’il est aujourd’hui. « Il est très important de lancer des fleurs aux gens, pour leur rappeler à quel point on les aime ; car certain·e·s n’ont aucune idée de l’estime qu’on leur porte. » Le rappeur de 39 ans sélectionne ici une poignée de titres qui ont durablement influencé sa carrière.

Hieroglyphics YOU NEVER KNEW (1998)

« Cette chanson est sortie quand j’avais 15 ans. Elle a lancé l’album Third Eye Vision du collectif hip-hop californien d’une manière qui a marqué ma vie à jamais. Je prenais beaucoup de substances hallucinogènes. Lorsque les champis faisaient effet, je sortais et je marchais dans Seattle jusqu’à 6 heures du matin. C’était une expérience très spirituelle. »

OutKast SPOTTIEOTTIEDOPALISCIOUS (1998)

« OutKast m’a ouvert les oreilles. Ce qu’ils et elles faisaient sur le plan sonore, les mixages, les panoramiques – la façon dont leurs voix vont et viennent dans le casque –et cette manière de hacher les mots ont eu une influence considérable sur l’artiste que je suis devenu. Ce disque, c’était la BO de mes vendredi et samedi soirs. À la fois nostalgiques et victorieux. »

Method Man feat. Mary J Blige I’LL BE THERE FOR YOU/ YOU’RE ALL I NEED TO GET BY (1995)

« D’une certaine manière, c’est grâce à ce disque que j’ai commencé à rapper. Mon meilleur ami et moi allions à l’école à pied, il faisait du beatbox et je jouais la partie de Method Man. C’est devenu un élément essentiel de mon jeu… C’est à ce moment-là que je me suis dis que je devrais essayer d’écrire et voir ce qui pourrait se passer. »

« J’ai entendu Mary Jane pour la première fois sur la BO de la comédie Friday, qui m’a fait découvrir tant de musiques que je n’aurais probablement pas connues en tant que fan de hip-hop qui a grandi sans Internet. C’est la chanson parfaite pour fumer de l’herbe. Je l’écoutais en jouant à Mario Kart et à GoldenEye. Mais le truc avec l’herbe, c’est que ça efface les souvenirs… »

ÉCOUTER
Rick James MARY JANE (1978)
84 THE RED BULLETIN JAKE MAGRAW WILL LAVIN

NIETZSCHE RELOADED

Apprendre des grands esprits.

Ce mois-ci : Friedrich Nietzsche sur comment sortir de sa zone de confort, et les véritables objectifs du cœur.

aime les personnes qui ont le courage de sortir de leur zone de confort. En fait, ce sont pour moi les seules personnes vraies – non pas parce qu’elles accomplissent des exploits comme Superman, mais parce qu’elles suivent la voix de leur cœur. Car pour moi, c’est là que réside la véritable grandeur d’un être humain : dans le fait qu’il se fxe luimême ses objectifs et les poursuit de manière conséquente.

Dans Zarathoustra, j’ai écrit un jour que l’on pouvait reconnaître les grands esprits au fait qu’ils osent être « les fèches du désir vers l’autre rive ». Oui, ils se mettent en danger parce qu’ils ne savent pas vivre autrement qu’en passant « au-delà ». Mais ce n’est pas facile, mon ami·e, tu le sais probablement.

Car le cœur de l’Homme est rempli d’obstacles et

de contradictions. Et il aspire toujours à la reconnaissance. Oh, j’en vois beaucoup qui osent partir et quitter le confort de leur quotidien… Mais dans quelle direction ? Trop nombreux·euses sont celles et ceux qui suivent les discours et les modes de leur temps. Elles et ils introduisent leur propre esprit dans les courants de l’esprit du temps. Il est de bon ton de courir sur les crêtes en trail, de gravir les cols les plus raides en VTT ou de s’aventurer dans les eaux vives de la planète en kayak.

Alors tu te joins à ces groupes et tu poursuis ce qu’ils et elles sont un grand nombre à exiger de toi.

À leurs yeux, tu veux être grand·e. Mais l’es-tu vraiment ? Est-ce que tu suis vraiment tes aspirations ? Ou ne fais-tu que suivre ce qu’on t’a vendu comme but ?

Friedrich Nietzsche (1844–1900) est considéré comme un précurseur de la modernité. Il rompit avec la religion et la philosophie morale et prôna une vie autodéterminée. Sa critique visait le nihilisme : une attitude d’indifférence qu’il considérait omniprésente dans le monde bourgeois du XIXe siècle.

Examine-toi, mon ami·e, car sinon, c’en est fni de toi. Sinon, tu iras sans doute à la limite de tes forces. Mais tu ne vas pas jusqu’à la limite de ton ego – sans parler de la dépasser et de te surpasser véritablement.

Ne te méprends pas, mon ami·e, j’ai beaucoup de respect pour l’audace et la détermination des gens à repousser leurs limites physiques. Mais seules les personnes qui osent aller au bout de leur volonté, de leurs valeurs, de leurs idéaux et qui se lancent dans l’aventure d’une nouvelle vie méritent la véritable admiration. Tant que tu n’oses pas le faire, tous les petits exploits que ton corps accomplit ne sont, après tout, que de pâles refets des attentes des autres.

Si tu oses vraiment te mettre en jeu en tant que fèche du désir, alors tu dois être prêt à marcher sur des chemins loin de toutes les conventions. Oui, tu seras peut-être seul·e, tu devras peut-être renoncer à tes fans et à ceux et celles qui te suivent sur les réseaux sociaux. Car le chemin que tu as choisi mène en terre inconnue.

Christoph Quarch, répond à des questions d’aujourd’hui au nom des penseurs d’hier. Philosophe, professeur d’université, il est le fondateur de la Nouvelle Académie Platonicienne (akademie-3.org) et auteur de nombreux ouvrages philosophiques publiés aux éditions legenda Q.

Peut-être s’agit-il simplement d’un chemin de pensée, comme le mien. Mon corps n’a malheureusement pas eu la chance de s’élever au-dessus de ses étroites limites. Mais mon esprit, lui, l’a pu. Et c’est la seule raison pour laquelle on m’écoute encore aujourd’hui – même si, de mon vivant, j’ai été le plus solitaire des solitaires. Réféchis bien à cela, mon ami·e, et dis-moi alors si la corde de ton âme est assez forte pour te lancer telle une fèche du désir vers une terre inconnue.

COGITER
J’
THE RED BULLETIN 85
ADOBE
STOCK, ULRICH MAYER CHRISTOPH QUARCH

AMERICA’S CUP : CAP SUR LA FORME

Le premier est entraîneur physique, le second physiothérapeute : Alex Hopson et Matt Tinsley s’occupent de la préparation physique et mentale d’Alinghi Red Bull Racing.

La plus ancienne régate au monde se déroulera entre les mois d’août et d’octobre 2024, à Barcelone. Pour Alinghi Red Bull Racing, un seul objectif : la victoire. Le déf est de taille puisque la course réunit l’élite de la voile du monde entier, sur un très haut niveau de compétition et de technologie. « En plus d’avoir un bateau ultra performant, il est crucial pour l’équipage d’être au top, tant sur le plan physique que mental, et c’est toute la beauté de ce sport », précise Alex Hopson, entraîneur physique d’Alinghi Red Bull Racing. Des propos que complète son collègue Matt Tinsley, physiothérapeute :

« Pendant les quinze prochains mois, on va faire en sorte de fournir à nos athlètes une préparation optimale pour aborder l’America’s Cup. » À bord, on dissocie le Driving Group, qui règle les voiles et les foils, et le Power Group, qui génère l’énergie. En fonction des besoins, les quatorze athlètes s’entraînent cinq à six jours par semaine. Lors de l’America’s Cup 2024, ils ne seront que huit à bord. Alex Hopson : « La force et l’endurance comptent autant que le mental et les réfexes, puisque les équipiers doivent être capables de prendre des décisions très rapidement, dans un contexte de stress intense. »

Matt Tinsley est le physiothérapeute de l’équipe : « L’America’s Cup est pour nous la compétition de voile la plus importante qui soit. »

À bord de l’AC75, les réflexes et le mental comptent autant que la force physique.

Alex Hopson est l’entraîneur physique de l’équipe : « Nous utilisons beaucoup l’infrastructure de l’Athlete Performance Center (APC) de Red Bull. »

S’ENTRAÎNER
Le Driving Group lors d’un entraînement cognitif, à Barcelone.
86 THE RED BULLETIN XAUME OLLEROS/ALINGHI RED BULL RACING, SAMO VIDIC/RED BULL CONTENT POOL, ADOBE STOCK PHOTO, ALINGHI RED BULL RACING

Ces quatre facteursclés sont spécifiques à l’entraînement du Power Group :

FORCE

NUTRITION

« Comme dans tous les domaines, le renforcement musculaire demande de la discipline et un programme bien précis. Un seul mot d’ordre : ne rien lâcher, même les jours difficiles. On commence toujours par établir avec les sportifs un plan d’entraînement concret pour voir où ils en sont physiquement et quels objectifs on veut atteindre à quels moments. À noter : on augmente très progressivement l’intensité de l’effort. C’est un risque qu’on a trop souvent vécu : à vouloir forcer la dose dès le début, on n’arrive plus à récupérer et très vite, on

« Il y a tant de recettes dans ce domaine. Pour moi, la clé du succès, dans le sport de haut niveau, réside dans une alimentation saine et équilibrée. Ce qui siginifie bannir les aliments transformés pour préférer les céréales, les fruits, les légumes, les bonnes graisses et les noix, qui nous apportent tous les nutriments dont nous avons besoin –vitamines, sels minéraux, protéines et féculents. Une fois à bord, les athlètes ont besoin de compléments alimentaires pour l’apport d’énergie, mais il est important de regarder comment couvrir les besoins nutritionnels par une alimentation naturelle. »

MENTAL

« Notre conseil : suis ton intuition, car tout le monde, dans ce domaine, est différent. C’est donc aux athlètes de choisir la technique mentale qui va leur correspondre.

Certains préféreront les techniques de visualisation, d’autres auront besoin d’exercices de méditation ou de respiration pour faire face au stress et pouvoir se concentrer de manière optimale le moment venu. On fait également de plus en plus appel à des psychologues du sport : bref, il est important de tout tester avant de se décider. »

« Il y a déjà tellement d’études qui ont été faites sur l’importance du repos : là encore, tout dépend de la discipline sportive et des besoins spécifiques des individus. Un exemple : pour les coureurs de marathon, dont les muscles des jambes sont particulièrement sollicités, un bon massage et une séance de spa pourront accélérer la phase de récupération. Un sport complexe comme la voile va demander, en plus d’une récupération, du repos côté mental. Ça peut passer par de la méditation ou d’autres techniques de réduction de stress. L’important étant de ne pas négliger ces phases-là, car dans le sport de haut niveau, elles s’avèrent aussi cruciales que l’entraînement lui-même. »

« Sans alimentation équilibrée, pas de performance de haut niveau. »
« Méditation, exercices de respiration ou psy : à chacun son truc. »
« Ne rien lâcher, et augmenter l’intensité, progressivement. »
« Laisser le corps et l’esprit récupérer, c’est crucial. »
REPOS
THE RED BULLETIN 87
Le Power Group d’Alinghi Red Bull Racing en plein spinning, de g. à dr. : Théry Schir, Florian Trueb et Augustin Maillefer.

PRENEZ LE SOLEIL !

Le biohackeur Andreas Breitfeld nous explique pourquoi renoncer aux lunettes de soleil par grand beau temps est un must!

Vous vous demandez comment améliorer votre humeur, comment trouver plus de motivation au quotidien et comment mieux dormir ?

Le tout gratuitement ? Alors j’ai pour vous une solution simple : sortez le matin à la lumière du soleil, et laissez vos lunettes noires à la maison. Ce sera un véritable booster pour votre bien-être.

Pendant longtemps, je ne sortais qu’avec mes lunettes noires dès que le ciel était radieux et que le soleil brillait – mais depuis que je me suis penché sur le sujet, je ne les porte plus qu’à partir du milieu de l’après-midi.

Il y a une excellente raison à cela : les lunettes de soleil sont peut-être cool et confortables, mais elles ne sont pas naturelles. Dans nos yeux se trouvent des récepteurs de lumière qui, à l’aide des rayonnements du soleil, commandent et contrôlent notre organisme. Cela est particulièrement important pendant la première moitié de la journée, car la lumière naturelle du matin et de midi nous aide à bien démarrer la journée.

OBSCURITÉ PERMISE

À 15 HEURES

Rien ne s’oppose à l’utilisation de lunettes de soleil à partir de 15 heures, car le corps se prépare déjà au soir et à l’heure du coucher. Petite mise en garde pour les gens qui portent des lunettes : dans ce contexte, il ne s’agit pas de lumière UV, mais de luminosité. On peut donc porter des lunettes optiques non teintées et des lentilles de contact toute la journée.

Elle a un effet important sur notre taux de dopamine. Cette dernière est notre hormone de motivation et d’impulsion. En d’autres termes : s’exposer aux rayons du soleil contribue à améliorer notre humeur et à augmenter notre niveau d’énergie.

La lumière vive du matin a également un impact prouvé sur la qualité de notre sommeil. En effet, la production de mélatonine, l’hormone d’endormissement, commence environ douze heures après le premier contact avec la lumière du jour. Les personnes qui portent des lunettes noires le matin ont donc plus de mal à s’endormir le soir.

De plus, la luminosité matinale améliore notre équilibre hormonal, infuence le cycle menstruel des femmes (en réduisant les symptômes liés au SPM) et peut prévenir la dépression saisonnière en hiver. Tout cela est uniquement contrôlé par les récepteurs de lumière extrêmement puissants dans nos yeux !

Bonne humeur, énergie et meilleur sommeil – plus de lumière solaire est un super coup de boost.

Andreas Breitfeld, est le biohackeur le plus connu d’Allemagne. Il fait de la recherche dans son laboratoire à Munich.

En bref, le biohacking englobe tout ce que l’on peut faire de manière autonome pour améliorer sa santé, sa qualité de vie et sa longévité.

OPTIMISER
88 THE RED BULLETIN PERSONNELLE ANDREAS BREITFELD BRATISLAV MILENKOVIC ´

zuerich.com/recreation

Escapade citadine pour personnes actives : Matteo a fait du vélo. Il a joué au ping-pong, appris à danser la salsa et tenté l légendaire épreuve de la poutre. À Zurich, des expériences urbaines particulières et des activités sportives en pleine nature permettent de s’évader.

la

Tentez

vous-même l’expérience !

Détente active, Zürich, Suisse.

DANSER LA VIE

Festivals, piscine à vagues ou fête techno : cet été sera haut en couleur !

AU 17 SEPTEMBRE DIGITAL FESTIVAL

Que vous soyez hacker, manager, scientifique, programmeur ou CEO, le Digital Festival dans la halle 550 à Zurich Oerlikon vous donnera des informations de première main de la part des participant·e·s issu·e·s de l’industrie, de la recherche, de l’économie ou de la politique. Sans oublier des ateliers, une masterclass ou des labs. Venez les voir ! digitalfestival.ch

& 3 SEPTEMBRE BACK TO THE ROOTS

AU 20 AOÛT RED BULL DANCE YOUR STYLE

Quand les meilleur·e·s danseur·euse·s du pays s’affrontent dans des battles de street dance stylés sur la place de la Navigation à Lausanne ; quand des DJs donnent le ton avec de grands classiques jusqu’aux hits d’aujourd’hui ; quand le public en délire fait office de jury au moyen de cartes de vote… cela ne peut signifier qu’une chose : le Red Bull Dance Your Style, la série de concours mondiaux de street dance all-style qui fait un stop dans plus de trente pays et dont le format de battle est unique, est de retour en Suisse ! Du hiphop à la house en passant par les mouvements de locking et de popping dance, les participant·e·s au Red Bull Dance Your Style doivent séduire le public et gagner son vote. En effet, seul le public décidera qui ira plus loin dans la battle et représentera finalement la Suisse en tant que vainqueur·euse lors de la finale mondiale du 10  décembre en Afrique du Sud. redbull.com/ch-de/events/ dance-your-style-switzerland

Après trois ans de pause, le Freestyle Roots revient à son lieu d’origine. Dans le cadre unique de Thoune, des disciplines telles que le vélo, le break, le wake & surf ainsi que le yoga et le graffiti seront mises en scène de manière créative pour célébrer la culture freestyle. La plateforme flottante pour les vélos est un highlight de l’événement. freestyleroots.ch

SE DÉTENDRE
15 2
Voldo a gagné l’an dernier le concours Dance Your Style.
18 90 THE RED BULLETIN JEAN-CHRISTOPHE DUPASQUIER/RED BULL CONTENT POOL, LUKAS IMHOF/FREESTYLE ROOTS
Tricks à ski, vélo ou snowboard lors du Freestyle Roots.

ER AU 6 AOÛT TOUR DES STATIONS

Bienvenue à la course cycliste la plus difficile au monde, au cœur des Alpes valaisannes ! Le Tour des stations se caractérise par un défi unique : il traverse tellement de lieux en montée et en descente que, selon la distance choisie, au final, on peut comptabiliser le dénivelé de l’Everest. tourdesstations.ch

AOÛT STREET PARADE ZURICH

Le cortège des Love Mobiles, long de 2,4 km, part de l’Utoquai dans le quartier du Seefeld avant de longer le lac de Zurich. Des centaines de milliers de passionné·e·s de danse du monde entier sont attendu·e·s : soyez de la partie et dansez ensemble au bord de l’eau.

streetparade.com

AU 13 AOÛT FESTIVAL HEITERE OPEN AIR

Editors, SDP, Trettmann ou Adel Tawil : au Heitere Open Air, il y en aura pour tous les goûts musicaux. Ce festival multi-genres se déroule à Zofingen, près de Bâle et de Zurich, et attend environ 15 000 fans. Et pour ceux et celles qui ont besoin d’une pause musicale, la République Heitere propose une zone d’activités avec un mini-golf ou un centre de jeux pour enfants. heitere.ch

& 24 AOÛT RED BULL POOL CLASH

Après une première édition réussie au Brésil, un nouveau format innovant, le Red Bull Pool Clash, arrive pour la première fois en Suisse. La particularité de cette compétition : dans l’Alaïa Bay, la première piscine de surf d’Europe continentale, les athlètes surfent pour remporter le championnat de la piscine à vagues. La vague est la même pour tous…

23
11
L’un des principaux artistes du Heitere Open Air : DJ Robin Schulz.
12 1
THE RED BULLETIN 91
LENNART GELKE, TYROMEDIAGROUP.COM

& 26 AOÛT DAVOS CHALLENGE

Dans les Alpes, il existe un triathlon qui se déroule plus haut que les autres, et c’est le Davos Challenge. Que vous soyez débutant·e, athlète néophyte ou pro, le Challenge Night Run Davos du vendredi soir offre une expérience formidable à tous et toutes et permet de bien commencer le week-end ! challenge-davos.ch

AOÛT WATERINGS CONTEST MONTREUX - TERRITET

Le Waterings tire ses origines des anneaux balançants, discipline de la gymnastique aux agrès. Le gymnaste effectue des balancés et des figures avant d’effectuer une sortie acrobatique sur un tapis de chute à plus de 6 mètres de haut. Le Waterings combine cette discipline avec du plongeon afin d’obtenir une fusion explosive, impressionnante et inédite. Pour la septième édition, les meilleur·e·s athlètes de la discipline peuvent être admiré·e·s le 12 août à Territet (débarcadère de la CGN) lors du Waterings Contest dans les catégories suivantes : Individual Contest et Synchrings Contest. waterings.ch

SEPTEMBRE NIGHT OF THE JUMPS

Plus haut, plus vite, plus loin . C’est le but de la série d’événements de motocross freestyle. Des pilotes pro du monde entier s’affrontent dans une compétition époustouflante et présentent un spectacle de tous les superlatifs. Pour ce faire, ils sautent à plus de 11 m de hauteur et jusqu’à 24 m de distance. nightofthejumps.com

9 SE DÉTENDRE
25
12
92 THE RED BULLETIN WATERINGS CONTEST/LOÏC PRIVET, ALPHAFOTO.COM, JESPER GRONNEMARK/RED BULL CONTENT POOL
Agrès et plongeon combinés ? C’est le Waterings Contest.

davantage en un échange de sourires admiratifs que d’idées profondes. Il y a une anecdote à ce sujet : la fameuse rencontre entre Chaplin et Einstein en janvier 1931, lors de la première projection des Lumières de la ville. Alors que l’artiste et le physicien descendent en limousine le long d’Hollywood Boulevard pour se rendre au théâtre où se tient la cérémonie, Einstein est surpris par la foule qui s’est amassée le long du Boulevard pour applaudir au passage de la voiture, et interroge le chauffeur sur la raison de ces manifestations. « Messieurs, ils sont là pour vous deux, » aurait répondu ce dernier. Chaplin, devant la mine irritée d’Einstein, se serait alors tourné vers lui en disant dans un sourire : « Ces gens m’admirent parce que chacun d’entre eux me comprend. Vous, on vous admire parce que personne ne vous comprend. »

Le romancier autrichien Michael Köhlmeier raconte les destins hors du commun de personnages inspirants – dans le respect des faits et de sa liberté d’écrivain.

LA MAGIE DU SILENCE

Ce mois-ci, comment Charlie Chaplin réussit, sans un mot, à transcrire toute la complexité du monde.

Albert Einstein aurait dit un jour, en parlant de Charlie Chaplin : « Cet homme s’y entend en physique autant que moi dans l’art de jouer la comédie. » Chaplin, quant à lui, considérait le physicien allemand comme une espèce d’animal fabuleux, une créature sortie d’un autre monde : lors d’un séjour à Berlin, il avait été invité dans son appartement privé et en entrant dans celui-ci, le comédien aurait agi comme s’il pénétrait le temple sacré d’un dieu vivant.

Ces deux hommes, qui s’admiraient mutuellement, venaient pourtant de deux univers complètement opposés. On raconte que leurs conversations consistaient

Cette phrase de Chaplin, restée célèbre, est particulièrement intéressante si on la creuse un peu. Elle donne à penser, au premier abord, que c’est l’univers d’Albert Einstein qui est mystérieux, insondable. En effet, personne ne comprend ce génie alors que ce qu’il a découvert a véritablement révolutionné le monde. Il est un peu comme un Prométhée moderne, descendu de son Olympe pour donner le feu sacré de la connaissance aux Hommes. Lorsqu’il publie en 1916 la théorie de la relativité, seuls quelques individus sur Terre sont en mesure de comprendre de quoi il s’agit. Et pourtant : les formules d’Einstein restent accessibles au commun des mortels. Certes au prix de quelques efforts intellectuels, mais tout de même : la physique, si complexe soit-elle, est faite de lois que tout le monde est en mesure d’appréhender.

Peut-on dire la même chose de l’art de Charlie Chaplin ? Lui qui a, comme personne, su montrer sans une parole, sans un mot, l’infnie complexité de l’âme humaine ? Sans jamais avoir dépassé les frontières de la superfcialité, qui plus est, puisque son époque fut celle du flm muet, et que son moyen d’expression principal fut son corps. Chaplin a su porter l’expressivité du corps humain à son paroxysme, comme Shakespeare l’avait fait en son temps avec les mots. À la différence qu’on peut, par les mots, décrire parfaitement les tréfonds de la psyché humaine. On peut jouer à l’infni avec eux, leur donner plusieurs sens, les utiliser pour exprimer clairement et précisément ce que l’on veut faire comprendre, ce qui est invisible, abstrait. Les mots permettent d’appréhender l’infni. Charlie Chaplin, lui, a renoncé à les utiliser. Pour une simple raison : il a commencé sa carrière avant l’arrivée du cinéma parlant.

Les flms de Charlie Chaplin montrent des êtres humains mystérieux, impénétrables – et c’est justement ce mystère qui nous occupe depuis la nuit des temps. Si l’on ne peut décrire de manière rationnelle la magie des œuvres de l’acteur-réalisateur américain, celles-ci nous renseignent sur cet insondable paradoxe qu’est l’espèce humaine : on comprend l’histoire qu’elles racontent sans pour autant comprendre les personnages qui y évoluent. C’est tout le contraire chez Einstein : personne ne comprend vraiment ce qu’il fait et pourtant, on sait qu’il est en train d’expliquer le monde, de le simplifer. Einstein nous donne l’espoir de voir arriver un jour la lumière de l’omniscience. Le mystère

BOULEVARD DES HÉROS
94 THE RED BULLETIN
MICHAEL KÖHLMEIER GINA MÜLLER, CLAUDIA MEITERT GETTY IMAGES

du genre humain semble, lui, s’obscurcir au fur et à mesure qu’on essaie de l’appréhender. Chaplin ne cessait de s’en étonner : il était ainsi fasciné par l’effet que les vêtements ont sur les personnes qui les portent. Loin d’être de simples objets, les vêtements et autres accessoires (comme les chapeaux, les cannes) nous transforment de l’intérieur : on se tient différemment, on aborde les autres différemment. Cette métamorphose, Chaplin nous l’a montrée de manière magistrale avec son personnage de Charlot, devenu indissociable de l’acteur britannique. Un chapeau melon, un pantalon trop ample, une veste étriquée, de grandes savates. Et une canne. La légende raconte qu’il lui aurait suff de quelques minutes pour improviser ce qui deviendrait le plus célèbre déguisement du monde du cinéma : une courte pause sur un tournage, une visite-éclair dans la garde-robe d’un studio – et voilà, Charlot était né ! L’acteur raconta plus tard que cet accoutrement avait opéré sur lui une véritable transformation : d’un seul coup, il était devenu « The Tramp » – le vagabond Charlot.

Pourtant, son plus grand succès ne le montre pas en vagabond, mais en clown nazi : Le Dictateur, chefd’œuvre légendaire sorti en 1940 dont il signa la réalisation, le scénario, la musique – et le travail d’acteur. On le voit dans deux rôles : celui d’un barbier juif, et celui du dictateur Adenoïd Hynkel – allusion évidente à Adolf Hitler, qu’il veut parodier. Il s’agit du premier flm parlant que Chaplin a réalisé. Plus tard, il avouera que s’il avait su prédire l’atrocité des crimes dont se rendrait coupable le régime nazi, jamais il n’aurait réalisé ce flm. Comme presque tous les flms de Chaplin, Le Dictateur est une comédie tragique, drôle et triste à la fois, où l’on ne sait jamais si l’on doit rire ou pleurer.

Il y a une anecdote qui illustre assez bien la façon qu’avait Chaplin de s’approprier sentimentalement chacun de ses personnages : le tournage du Dictateur a en effet débuté avec les scènes du barbier juif. On le voit revenir de la Première Guerre mondiale complètement amnésique : il ne se souvient de rien et a raté l’ascension et l’arrivée au pouvoir du tyran Adenoïd Hynkel, à qui il ressemble comme deux gouttes d’eau. Chaplin misait tout sur le visuel : pendant longtemps, il a cru que le cinéma parlant n’intéresserait pas les gens, que seul le cinéma muet permettait de donner toute sa place à la magie du silence, au langage des grimaces, des corps, des mains et des regards. Quand il fait vociférer le personnage de Hynkel, il n’utilise d’ailleurs aucun mot compréhensible. Au-delà de la parodie d’Hitler, il faut peut-être y voir une parodie du cinéma parlant.

Après avoir tourné les scènes du ghetto, Chaplin aurait, semble-t-il, sombré dans une véritable dépression, en disant à son frère Sydney – associé à la production du flm – qu’il fallait arrêter le tournage. Il lui expliqua qu’après avoir vécu de l’intérieur toutes les souffrances que les nazis infigeaient aux juifs, il lui était impossible de se mettre dans la peau de leur bourreau. Il ajouta qu’il aurait fallu y songer avant, qu’on aurait dû commencer le tournage avec les scènes du dictateur… Sydney dut le supplier de ne pas abandonner, en argumentant qu’on avait déjà investi beaucoup trop d’argent pour s’arrêter là, que la fn abrupte du projet les mettrait tous les deux sur la paille.

Pendant qu’il tournait les scènes du ghetto, Chaplin était d’une gentillesse désarmante, s’occupant de son équipe comme un papa poule. Lorsqu’un des membres de l’équipe lui annonça qu’il était devenu père, Chaplin organisa une grande fête pour célébrer l’heureux événement, sans se soucier du temps précieux que cela coûterait à la production. Bref, il était aussi chaleureux, aussi attachant que son personnage.

Quand vint le moment de tourner les scènes avec Adenoïd Hynkel, l’ambiance, sur le plateau de tournage, changea radicalement : Chaplin ft venir un tailleur pour ajuster son uniforme de tyran, puis se planta devant la glace et observa durant un long moment son visage, ses mimiques et ses gestes. Il était en train de devenir Hitler. Finalement, il se serait tourné vers son frère Sydney, aurait montré du doigt le tailleur et aurait déclaré, en imitant les vociférations agressives du dictateur allemand : « De tout ce qui va désormais sortir de moi, cet homme en est le seul responsable. » Chaplin fut, lors du tournage des scènes qui suivirent, un être résolument infect : il se comporta comme un véritable dictateur. Il incarna jusqu’au bout Adolf Hitler.

Charles Spencer Chaplin est né le 16 avril 1889 –quatre jours avant l’homme qu’il réussit comme personne à parodier, Adolf Hitler. Ses deux parents étaient des comédiens à la carrière médiocre, le père un alcoolique invétéré et la mère toujours sujette à des crises de névrose qui la conduisaient souvent à l’hôpital psychiatrique. Charlie et son demi-frère Sydney atterrirent plus d’une fois dans les foyers de l’assistance publique. Les deux garçons devinrent inséparables et resteront toute leur vie attachés l’un à l’autre. La misère, le froid, la faim, les pleurs : ce qu’ils avaient traversé ensemble les avait soudés à jamais. C’est ensemble, la main dans la main, qu’ils entreprirent de conquérir les théâtres et les music-halls de Londres.

Michael Köhlmeier est considéré comme l’un des meilleurs conteurs du monde germanophone. Dernière parution : La petite fille au dé à coudre, Éd. J. Chambon, 2017.

Charlie n’avait que quatorze ans lorsqu’on lui proposa son premier rôle – un page dans la pièce Sherlock Holmes – et bien qu’il n’eût que quelques phrases à dire, il enchanta le public à tel point qu’on dut le faire revenir sur scène bien plus souvent que prévu. Très vite, il devint une star du théâtre londonien et fut repéré par l’imprésario Fred Karno. Celui-ci l’emmena en tournée avec lui aux États-Unis, et Chaplin décida de rester à Los Angeles. Ce fut dans ces années-là que naquit son personnage fétiche, « Charlot ». Il s’associa avec Douglas Fairbanks et Mary Pickford pour fonder la société United Artists et ainsi obtenir le contrôle total de ses productions : c’est ce qui a permis la naissance de chefsd’œuvre comme La ruée vers l’or, Les lumières de la ville, Les temps modernes et fnalement Le Dictateur. Dans les années 1950, alors que McCarthy réprimait les communistes, Chaplin fut dénoncé et interrogé par le FBI. Cette mésaventure le motiva pour quitter les États-Unis et s’installer en Suisse. Il ne revint jamais dans le pays qui l’avait rendu célèbre.

Le Dictateur fut nominé une fois pour un Oscar, mais jamais récompensé. En 1972, cinq ans avant sa mort, Charlie Chaplin reçut son premier Oscar pour l’ensemble de son œuvre. Aucun de ses flms n’a eu cet honneur : un comble !

THE RED BULLETIN 95

THE RED BULLETIN AUTOUR DU MONDE

Directeur de la publication

Andreas Kornhofer

Rédacteur en chef

Andreas Rottenschlager

Rédacteur en chef DACH

David Mayer

Direction créative

Erik Turek (dir.), Kasimir Reimann

Direction artistique

Marion Bernert-Thomann, Miles English, Tara Thompson

Éditing

David Pesendorfer

Maquette

Martina de Carvalho-Hutter, Kevin Faustmann-Goll, Carita Najewitz

Rédaction photo

Eva Kerschbaum (dir.), Marion Batty (adj.), Susie Forman, Tahira Mirza, Rudi Übelhör

Gestion de la rédaction

Ulrich Corazza, Marion Lukas-Wildmann

Global Content

Tom Guise (dir.), Lou Boyd

Responsable des contenus audios

Florian Obkircher

Gestion de l’édition

Sara Car-Varming (dir.), Ivona Glibusic

Melissa Stutz (Innovator)

Directeur éditorial

Alexander Müller-Macheck

The Red Bulletin est distribué chaque mois dans six pays. Vous découvrez ici la couverture de l’édition allemande avec le surfeur Leon Glatzer. Le plein d’histoires hors du commun sur redbulletin.com

Directeur Ventes médias & partenariats

Lukas Scharmbacher

Directrice de co-édition

Susanne Degn-Pfleger

Gestion de projet co-édition, Marketing & Communication B2B

Katrin Sigl (dir.), Katrin Dollenz, Michaela Kroboth, Teresa Kronreif, Julia Leeb, Valentina Pierer, Stefan Portenkirchner, Bernhard Schmied, Jennifer Silberschneider, Sophia Wahl

Solutions créatives

Verena Schörkhuber-Zöhrer (dir.), Sara Wonka, Tanja Zimmermann, Julia Bianca Zmek, Edith Zöchling-Marchart

Gestion commerciale co-édition

Alexandra Ita

Rédaction co-édition

Raffael Fritz, Gundi Bittermann, Michael Hufnagl, Alexander Klein, Irene Olorode, Mariella Reithoffer, Wolfgang Wieser

Directeur exécutif de la création

Markus Kietreiber

Gestion de projet création senior

Elisabeth Kopanz

Direction artistique et commerciale co-édition

Peter Knehtl (dir.), Silvia Druml-Shams, Erwin Edtmayer, Simone Fischer, Andreea Gschwandtner, Lisa Jeschko, Araksya Manukjan, Carina

Schaittenberger, Julia Schinzel, Florian Solly, Sophie Weidinger

Direct to Consumer Business

Peter Schiffer (dir.), Marija Althajm, Victoria Schwärzler, Yoldas¸ Yarar

Manager Vente et projets spécifiques

Klaus Pleninger

Service de publicité

Manuela Brandstätter, Monika Spitaler

Fabrication & Production

Veronika Felder (dir.), Martin Brandhofer, Walter O. Sádaba, Sabine Wessig

Lithographie

Clemens Ragotzky (dir.), Claudia Heis, Nenad Isailovic´, Sandra Maiko Krutz, Josef Mühlbacher

Finances

Mariia Gerutska (dir.), Elisabeth Maier

MIT Martin Bartmann, Christoph Kocsisek, Michael Thaler

IT Service

Maximilian Auerbach

Opérations

Alice Gafitanu, Melanie Grasserbauer, Alexander Peham, Thomas Platzer, Raphaela Pucher

Gestion de projet

Dominik Debriacher

Assistante du Management général

Sandra Artacker

Directeurs généraux

Red Bull Media House Publishing

Andreas Kornhofer, Stefan Ebner

Adresse Am grünen Prater 3, 1020 Vienne, Autriche Téléphone +43 1 90221-0 Web redbulletin.com

Propriétaire, éditeur et rédaction

Red Bull Media House GmbH, Oberst-Lepperdinger- Straße 11–15, 5071 Wals bei Salzburg, Autriche, FN 297115i, Landesgericht Salzburg, ATU63611700 Directeurs généraux

Dietmar Otti, Christopher Reindl, Marcus Weber

THE RED BULLETIN

France, ISSN 2225-4722

Rédaction

Pierre-Henri Camy (dir), Marie-Maxime Dricot, Christine Vitel

Country Project Management

Marin Heitzler

Traductions et adaptations

Willy Bottemer, Valérie Guillouet, Claire Schieffer, Jean-Pascal Vachon, Gwendolyn de Vries

Secrétariat de rédaction

Audrey Plaza

Ventes médias & partenariats

Yoann Aubry, yoann.aubry@redbull.com

THE RED BULLETIN Royaume-Uni, ISSN 2308-5894

Rédaction

Ruth McLeod

Secrétariat de rédaction

Davydd Chong

THE RED BULLETIN Suisse, ISSN 2308-5886

Rédaction

Saskia Jungnikl-Gossy (dir.), Christine Vitel Country Project Management

Meike Koch

Ventes médias & partenariats

Christian Bürgi (dir.) christian.buergi@redbull.com

Marcel Bannwart, marcel.bannwart@redbull.com

Jessica Pünchera, jessica.puenchera@redbull.com

Michael Wipraechtiger michael.wipraechtiger@redbull.com

Goldbach Publishing

Marco Nicoli, marco.nicoli@goldbach.com

Traductions et adaptations

Willy Bottemer, Valérie Guillouet, Claire Schieffer, Jean-Pascal Vachon, Gwendolyn de Vries

Secrétariat de rédaction

Lucie Donzé

Impression Quad/Graphics Europe

Sp. z o.o., Pułtuska 120, 07-200 Wyszków, Pologne

Abonnements Service des lecteurs, 6002 Lucerne getredbulletin.com, abo@ch.redbulletin.com

Country Project Management

Ollie Stretton

Ventes médias & partenariats

Mark Bishop, mark.bishop@redbull.com

THE RED BULLETIN

Autriche, ISSN 1995-8838

Rédaction

Nina Kaltenböck (dir.), Lisa Hechenberger

Secrétariat de rédaction

Hans Fleißner (dir.), Petra Hannert, Monika Hasleder, Billy Kirnbauer-Walek

Country Project Management

Julian Vater

Ventes médias & partenariats

Thomas Hutterer (dir.), Michael Baidinger, Franz Fellner, Ines Gruber, Moritz Philipp Haaf, Wolfgang Kröll, Gabriele Matijevic-Beisteiner, Yvonne Mensik, Alfred Minassian, Nicole Okasek-Lang, Britta Pucher, Nicole Umsait, Johannes Wahrmann-Schär, Ellen Wittmann-Sochor, Ute Wolker, Christian Wörndle, Sabine Zölß

THE RED BULLETIN USA, ISSN 2308-586X

Rédaction

THE RED BULLETIN

Allemagne, ISSN 2079-4258

Rédaction

David Mayer

Secrétariat de rédaction

Hans Fleißner (dir.), Petra Hannert, Monika Hasleder, Billy Kirnbauer-Walek

Country Project Management

Natascha Djodat

Ventes médias & partenariats

Thomas Hutterer (dir.), Michael Baidinger, Franz Fellner, Ines Gruber, Moritz Philipp Haaf, Wolfgang Kröll, Gabriele Matijevic-Beisteiner, Yvonne Mensik, Alfred Minassian, Nicole Okasek-Lang, Britta Pucher, Nicole Umsait, Johannes Wahrmann-Schär, Ellen Wittmann-Sochor, Ute Wolker, Christian Wörndle, Sabine Zölß

Peter Flax (dir.), Mélissa Gordon, Nora O’Donnell

Secrétariat de rédaction

David Caplan

Country Project Management

Branden Peters

Ventes médias & partenariats

Marissa Bobkowski, marissa.bobkowski@redbull.com

Tanya Foster, tanya.foster@redbull.com

Todd Peters, todd.peters@redbull.com

Dave Szych, dave.szych@redbull.com

MENTIONS LÉGALES
96 THE RED BULLETIN

RED BULL CAISSES À SAVON BERNE.

LA COURSE DES IDÉES DÉJANTÉES.

AARGAUERSTALDEN, BERNE

27 AOÛT À PARTIR DE 11H – TOUTES LES INFOS SUR : redbull.com/caissesasavon

Le prochain The Red Bulletin disponible dès le 10 septembre 2023.

LE TRAIT DE LA FIN
98 THE RED BULLETIN NICOLAS MAHLER
HORS DU COMMUN theredbulletin.com JAANUS REE/RED BULL CONTENT POOL

Elegance is an attitude

LONGINES SPIRIT ZULU TIME
Regé-Jean Page
HORS DU COMMUN THE RED BULLETIN 03/2023
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.