Q-zine N° 14 - Numéro Anniversaire

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Numéro 14

Février 2022

10

ème

Anniversaire

imaginer

demain Numéro 14 • 1



Merci à touTEs de la part de



Numéro 14

Février 2022

Image de couverture par Dah Photography

À PROPOS DE Q-ZINE Un projet de Queer African Youth Network (QAYN) ÉQUIPE ÉDITORIALE Coordinatrice Éditoriale Claire Ba Éditrice en Chef Rufaro Gwarada TRADUCTRICE Claire Ba GRAPHISTE GTECH Designs ÉDITRICES Emma Onekekou Rosie Olang Ruth Lu CONTACT Site: q-zine.org Magazine: issuu.com/q-zine Facebook: Q-zine Instagram: qzine_mag Twitter: @q_zine Email: editor@q-zine.org


Dans Ce Numéro

Photo par Rosie Olang

10 Ans de Q-zine! Numéro 14 • Imaginer Demain


Poésie Fiction En Conversation 17 Yos Clark ou Les Multiples Facettes de la Passion Ruth Lu 34 Qui change le monde en un jour ? Rufaro Gwarada 55 Miss Diva: Un espace artistique, culturel et politique pour la communauté trans* du Togo Claire Ba 67 Collectif Les Sans-Nom: Contribuer à l’expression artistique et culturelle queer Burkinabè Emma Onekekou

13 Ce Monde Idéal Lynn Aurélie Attemene 41 Son Excellence MissTer Igram Kévynn HONFO: Premier Président ouvertement non-binaire de la République du Bénin Kevynn Igram Honfo 63 Moongirls: La Magie d’un Nouvel Âge et de Nouvelles Déesses Akosua Hanson 75 Dans Mon Monde Emma Onekekou

Essai 49 Dolly Ma Brigitta: Mythographie de la poupée queer au Carnaval de Trinité-et-Tobago Amanda T. McIntyre

23 Aux Promesses Fugaces Ruth Lu 29 25 Août 2025 Peace Tolo the Wordsmith 47 Aujourd’hui à Demain Malix Campbell 61 Je t’entends Emma Onekekou 73 Imagine un peu demain Ruth Lu

Revue 25 Et l'oiseau en cage chantera au delà de la mort Wanini Kimemiah

Art Visuel 31 Precious Rainbow Kabira Akintayo 39 Equi-Libre Francesca Lalanne 79 Oiseau de Nuit Wacyl Kha


AKOSUA HANSON est une écrivaine et une artiste activiste basée à Accra, au Ghana. Elle travaille comme animatrice radio à Y 107.9 FM Ghana.

AMANDA T. MCINTYRE est une autrice, artiste et militante trinidadienne. Elle est l'administratrice artistique de New Local Space (NLS) qui se trouve à Kingston. En 2020, McIntyre a fait partie de l’équipe enseignante du programme de résidence du groupe La Pràctica et a été conseillère pour le NLS, Curatorial, et Art Writing Fellowship.

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CONTRIBUTRICES/TEURS

Sa pratique artistique se traduit principalement à travers l’interprétation, la photographie et le cinéma. Elle est la créatrice des mascarades Dolly Ma et Dolly Ma Brigitta Baby Doll. En 2017, elle a reçu le titre de « Championne Ole Mas » décerné par le Festival Littéraire de Bocas et la Commission Nationale du Carnaval de Trinité-et-Tobago.

McIntyre est également spécialiste en politiques et plaidoyer. En 2018, elle fonde She Right Collective (SRC), un réseau de plaidoyer féministe caribéen qui accueille des plateformes de littérature contemporaine, d'arts visuels et de performance. Le Iere Art Show, qui présente les œuvres d'artistes queer caribéens, est une collaboration entre SRC et Pride Trinidad and Tobago.

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CLAIRE BA est la coordinatrice éditoriale de Q-zine. Queer, féministe et originaire du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, elle est une grande amoureuse de la musique qui a aussi pour passion la lecture, l’art, l’océan, les couchers de soleil et les nuits de ciel étoilé. Claire assure la liaison entre Q-zine et Queer African Youth Network (QAYN) où elle est Responsable de la Production du Savoir et de la Gestion de la Communication.


la bourse Joan Mitchell et est invitée au Khoj International Artist Workshop à Pune, en Inde. Son travail a été exposé au Museum of Contemporary Art North Miami, à Art Miami, et récemment à la Quotidian Gallery de Los Angeles.

EMMA ONEKEKOU

KABIRA AKINTAYO est une étudiante de 24 ans, grande passionnée d’art. Actuellement, elle est chargée de projet à AQYI où elle supervise le projet de Bourse Mawulisa, un projet passionnant et puissant à l’endroit des femmes activistes indépendantes LBTQ en Afrique de l’ouest francophone.

FRANCESCA LALANNE est née dans le sud de la Floride et a grandi en Haïti. Elle obtient une Licence de Design en Études Architecturales et en Beaux-Arts en 2005 à la Florida International University. En 2012, elle obtient un Master en beaux-arts à l'Institut de Technologie de Rochester où elle reçoit le Wallace Center Purchase Prize Award. Elle a réalisé plusieurs expositions personnelles et a participé à diverses expositions collectives ainsi qu'à des performances et des installations d'art public. En 2015, elle est nominée pour

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Elle a toujours aimé écrire et a toujours voulu faire du cinéma. Elle a pu réaliser ces deux rêves en publiant son premier recueil de nouvelles, À Celles Qui S’aiment, et écrit et coréalisé son premier film Inbri (Soleil) et espère que vous aurez l’occasion de le voir. Il s’agit d’un film qui aborde le parcours douloureux d’une jeune femme lesbienne quelque part en Afrique de l’ouest et qui fait le choix d’être avec une femme. Ces derniers temps, elle pense que c’est plus à cause de sa coupe de cheveux que les gens lui demandent si elle est artiste. Elle répond souvent non alors qu’elle en est bien une. C’est ce qui fait d’elle une membre du Collectif Les SansNom, un collectif d'artistes au Burkina Faso. Emma est une rêveuse et aime imaginer le monde, le façonner à sa manière.

Francesca travaille dans les domaines de la sculpture, de la peinture et de l'impression. Ses œuvres explorent souvent les connexions entre la mémoire, le traumatisme et l'espace.

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est communicatrice de formation et maman. Elle a débuté sa vie professionnelle en tant que journaliste stagiaire dans un magazine financier. Par la suite, elle a démissionné et a fondé Emma.L.InfoS, un média Numérique LBTQ+ Ouest Africain francophone qui est un espace d’expression et de partage pour les femmes LBTQ+. Elle se définit comme une femme noire, lesbienne, féministe, écrivaine et réalisatrice en herbe.

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CONTRIBUTRICES/TEURS

KEVYNN IGRAM HONFO est unE artiste chantre et interprète non binaire néE à Cotonou. AnimateurE professionnelLE de karaokés et musique live, Kévynn a fait ses preuves dans plusieurs espaces artistiques, karaokés et barrestaurants du Bénin. Iel est gagnantE des concours : Mode en Musique, 1ère Édition ( Juillet 2017) ; Mon Genre - Mon Talent, 2ème Édition (Mai 2020) ; Isolés Mais Connectés ( Juillet 2020), une campagne virtuelle mondiale, organisée par EGIDES pour sensibiliser les communautés sur l'impact de la COVID-19. Iel a aussi été finaliste aux concours de musique live télévisée Bénin Révélation Star 3ème Édition (Septembre 2015) et Moule de Star 2ème Édition (Mars 2018). Kévynn compte à ce jour quatre chansons très mélodieuses disponibles sur YouTube dont la plus écoutée est AKPE (2020). En dehors de la musique, Kévynn est passionnéE d’écriture où iel arrive à s’exprimer et donner son avis sur différents enjeux de la société. 9 • Février 2022

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MALIX CAMPBELL

LYNN AURÉLIE ATTEMENE est une jeune activiste féministe, cisgenre lesbienne ivoirienne de nationalité qui réside au Burkina Faso. Engagée dans la lutte du droit à la liberté des personnes LBTQ, responsable de podcast et de web radio du média numérique Emma.L.Infos, elle s’invite à donner vie aux histoires de femmes lesbiennes afin de laisser des traces de leur vécu aussi triste que beau. Dans un essai personnel, elle se permet d’imaginer un monde adéquat à touTEs et en particulier pour sa communauté à laquelle elle voue une grande admiration.

alias Naomi, est une poétesse Trans* afro et activiste féministe défenseuse des droits des personnes transgenres au Burkina Faso. Référente de projet psychosocial, elle promeut des projets de santé communautaire LGBTQI à Bobo Dioulasso, sa ville natale. Elle est également présidente d'une organisation identitaire basée au Burkina Faso qui se nomme Association Transgenders Burkina.

PEACE-TOLO THE WORDSMITH est une autrice, poète et éditrice zimbabwéenne. Elle écrit des poèmes depuis le lycée. Elle est co-auteure d'un roman intitulé Another Wedding (Un Autre Mariage). Peace-Tolo the Wordsmith a toujours utilisé l'écriture comme une forme d'expression et d'évasion des réalités désagréables du monde. Née et élevée à Bulawayo, elle a fréquenté l'école primaire, le lycée et l'université à Bulawayo avant de déménager à Harare pour travailler dans l'édition. Elle est passionnée de football et aimerait jouer davantage sur une base sociale. Peace est la dernière-née d'une famille de cinq. Elle espère publier son propre livre de poésie dans un avenir proche.


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RUTH LU 25 ans et résidente en France, est une femme noire, congolaise (RDC) qui s’aventure parfois où on ne l’y attend pas. Actuellement étudiante en étude du Développement, son énergie se déploie à travers ses engagements et différents projets photo, écriture, militants. Engagée, afroféministe et militante sur des thèmes liés à l’éducation, la santé, les droits des femmes et des jeunes filles, et bien d’autres sujets. D’une curiosité débordante, elle écrit parfois des textes engagés pour/sur les droits des femmes et des minorités sexuelles.

ROSIE OLANG ODHIAMBO est écrivaine, artiste et productrice artistique et culturelle et vit et travaille à Nairobi, au Kenya. Elle conçoit ses différents rôles dans l’art de la même manière que la relation au travail qu’avait feue Toni Morrison : « Je ne fais vraiment qu'une seule chose. Je lis des livres. J'enseigne des livres. J'écris des livres, je pense aux livres, c'est un seul travail. » De même, Rosie ne fait vraiment qu'une seule chose: elle admire et pense à l'art, elle lit sur l'art, elle écrit sur l’art, elle pratique l'art, principalement en communauté, c'est un seul travail. Elle est actuellement la cofondatrice de Magic Door, une

maison d'édition expérimentale à Nairobi, et est la Responsable des Programmes au Nairobi Contemporary Art Institute.

RUFARO GWARADA est engagée pour un monde animé par l’unhu (ubuntu) - la notion selon laquelle le bien-être collectif et individuel sont indissociables. Elle est écrivaine, animatrice et organisatrice et a plus de dix ans d'expérience dans la lutte pour la justice entre les sexes, les droits des migrantEs, la création de solutions africaines pour les AfricainEs, et l'utilisation de l'art et de l'expression culturelle comme vecteurs de guérison, de libération et de joie. Rufaro se sent chez elle au Zimbabwe, en Californie du Nord, avec Sangha, sur une piste de danse et parmi les créatifs-ves et celleux qui luttent pour la libération de tous les peuples.

Burkina Faso. Scénographe de théâtre, illustrateurice, vidéaste, animateurice de film d’animation, c’est par le biais de tous ces médias qu’iel utilise sa passion pour raconter des histoires sensibles et engagées, pour appuyer ses convictions de féministe intersexionelle. Son idéal est donc de concilier art et militantisme et espérer porter les voix des oublié-e-s.

WANINI KIMEMIAH est unE artiste visuelLE, unE écrivainE et unE amoureuxSE du soleil baséE à Nairobi. Lorsqu'iel n’est pas en train de regarder des compétitions d'art ou de jouer à des jeux vidéo, vous pouvez retrouver Wanini en train de se détendre avec son chat.

Merci à touTEs de la part de

WACYL KHA Artiste multi-casquette, multi-origine, multi-genre, Wacyl Kha est basæ au Numéro 14 • 10


note éditoriale 10 Ans d'Art et de Culture Queer Africaine Une Célébration!

11 • Février 2022

Septembre 2011 a vu la publication du tout premier numéro de Q-zine intitulé Le Déhanché Majestueux. Même à ce stade très précoce, plusieurs voix de l'Afrique et de la diaspora s’étaient engagées à nos côtés pour promouvoir la créativité LGBTQIA+ Africaine. Q-zine a été l'une des premières plateformes basées sur le continent africain et créées par des AfricainEs pour offrir un espace artistique et culturel aux personnes LGBTQIA+. Dix ans, 14 numéros, 252 contributions, 227 contributrices-teurs, plusieurs équipes éditoriales, des centaines d'œuvres d'art visuel, de récits, de poèmes, de revues et d'essais plus tard, ainsi qu'un nombre incalculable d'esprits, de cœurs et de vies touchés par la créativité queer


d'Afrique et de la diaspora, nous sommes fièrEs du bout de chemin que nous avons parcouru. Aujourd'hui, nous sommes raviEs de vous présenter le 14e numéro de Q-zine qui marque le 10e anniversaire de notre magazine. Vous y trouverez des écrits, des images et des conversations qui célèbrent et affirment la vie des personnes LGBTQIA+ d'Afrique et de la diaspora qui s'efforcent de trouver un équilibre délicat entre la vie, la joie et l'épanouissement, même dans l'adversité. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence les nombreuses façons dont les systèmes actuels de santé, de travail, de filets de sécurité sociale, de collaboration mondiale, de politique, etc. ont été et sont toujours terriblement inadéquats et inéquitables. Et pourtant, les communautés ont eu l'occasion de s'élever et de s'aider, d’imaginer de nouvelles façons d’exister au centre desquelles se trouvent l'interconnexion, l'interdépendance et la prospérité collective. Nous nous sommes inspiréEs de cette opportunité de construire de nouvelles réalités pour recueillir des contributions artistiques qui s’intéressent à la création de nouvelles manières d’appartenir, d'aimer, de guérir, de s’unir.

Les 18 contributrices-teurs de cette 14e édition de Q-zine ont partagé, à travers leurs mots et leurs images, leur aspiration pour ces nouvelles réalités ainsi que leur vision d'un monde dans lequel chacunE peut vivre en paix, dans la dignité, de manière aussi authentique, audacieuse et belle qu’iel le souhaite. Ce numéro anniversaire est le témoignage vivant que nous sommes là, nous créons, nous imaginons et, surtout, nous ne serons pas oubliéEs. Nos publications au cours des dix dernières années nous ont permis d’ouvrir la voie à la créativité LGBTQIA+ du continent et de la diaspora et nous avons bien l'intention de maintenir le cap pour les générations à venir. Un grand merci à touTEs celleux qui ont contribué à l'espace qu'est Q-zine aujourd'hui, que ce soit en écrivant, en soumettant des œuvres d'art visuel, en fournissant un soutien technique ou surtout, en lisant nos publications. Nous espérons que ce numéro entraînera votre imagination dans un voyage créatif bien au-delà de tout ce que vous avez pu imaginer. À de nombreuses autres années d'art, de culture et de créativité queer et avec la gratitude de l'équipe de Q-zine !

Rufaro Gwarada et Claire Ba Au nom de l'équipe éditoriale Numéro 14 • 12


fiction

Ce Monde

Idéal

PAR LYNN AURÉLIE ATTEMENE

13 • Février 2022

ILLUSTRATION PAR ROSIE OLANG


Personne ne pouvait prétendre savoir à quoi ressemblerait le monde d’après, le monde après la COVID-19… Pour moi, le ciel avait décidé de nous punir pour de nombreuses raisons. Et c’était une bonne chose. Un mal nécessaire qui, de loin, nous permettrait de marquer un arrêt et de réfléchir sur les questions de la vie, sur l’être humain, sur l’univers, la nature et surtout sur le droit naturel qui, lui, diffèrait des normes sociales créées par les hommes ; ces normes qui empêchaient un certain nombre d’êtres humains de bénéficier du droit à la vie, à la liberté. Ne pas pouvoir sortir autant que je le voulais me faisait mal au cœur. Je n’étais pas exactement casanière. Rester à la maison m’obligeait à converser avec mon moi intérieur et c’était loin d’être une partie de plaisir. Me retrouver seule face à moimême m’était insupportable et désagréable. Je devais faire face à cette rupture avec ma partenaire qui, convaincue que la pandémie était un signe de la fin du monde, avait décidé de rentrer au couvent afin de se repentir d’être lesbienne. Elle était donc devenue sœur, l’épouse du christ comme ils le disent dans l’église catholique. Je devais aussi faire face à cet être en moi qui était si vulnérable et qu’il fallait rassurer à chaque fois. Par la faute de la COVID-19, ma femme m’avait quitté pour épouser Dieu. Quelle plaie cette pandémie ! Lorsque je mettais les pieds dehors, c’était pour des raisons bien précises. On ne pouvait plus sortir comme on le souhaitait. À chaque fois que je revenais de mes courses, je me surprenais à faire les calculs de mes dépenses. Rien ne me faisait plus mal que de devoir acheter un nouveau masque à chaque fois que je devais rentrer dans un magasin car oui, j’égarais ou laissais toujours tomber le précédent, n’étant pas habituée à sa présence dans ma vie. Ce petit objet m’énervait beaucoup car il m’empêchait de bien respirer. Et puis, l’argent dépensé pour cet accessoire aurait pu me faire de petites économies. Numéro 14 • 14


fiction

Celui qui tenait la télécommande de cette nouvelle vie l’avait égaré après nous avoir mis en pause. Et maintenant, il peinait à la retrouver, ce qui nous obligeait à agir plus lentement, à faire des calculs précis et à nous interroger sur nous-mêmes. Pour moi cela restait tout de même un mal nécessaire car personne ne s’attardait à parler des choix de vie, des habitudes des autres. Chacun était concentré sur ses propres choix et ses propres habitudes. Les endroits où les gens se posaient habituellement pour partager leurs opinions positives ou négatives étaient désormais vides pour permettre à la nature de faire vivre une autre partie de ses habitants ; ceux qui n’avaient pas de temps pour juger, se moquer, régler des comptes, injurier, menacer, créer des conflits, être un frein à la vie des autres. Ceux-ci profitaient du silence de l’être humain en pause. L’air était si frais… Ma voisine qui, à chaque fois que des bruits de pas se faisaient entendre devant ma porte, pointait du nez, était devenue plus discrète. Elle sortait juste pour ses courses et m’épargnait ses critiques et ses évangiles. Elle était devenue plus attentive et posait désormais des questions bienveillantes et sensées. « Tu vas bien… ? Tu t’en sors… ? Tu manges comme il faut… ? Prends soin de toi. » J’ose dire merci à la COVID-19 pour cette paix. Vous en feriez de même si vous aviez une voisine comme la mienne. Mais la solitude commençait à m’épuiser. J’abandonnai alors ma maison pour me retrouver en famille. Si c’était vraiment la fin du monde comme le pensait mon ex-compagne, il valait mieux être entourée de mes frères et sœurs. Mon ex se plaisait d’ailleurs à m’envoyer des versets bibliques chaque matin et m’incitait à faire comme elle. Elle osait même partager avec moi des photos d’elle avec ses parents arborant un air fier de voir leur fille, bible en main et une grande croix autour du cou. Pour moi, c’était plus un film de comédie ennuyeux qu’une réalité. Je la connaissais. Il n’y avait pas plus accro à la femme qu’elle. Je me suis demandée si elle pensait vraiment avoir sauvé son âme en se mentant à elle-même comme elle le faisait. Avec la COVID-19, chacun s’occupait comme il pouvait. Alors en guise d’occupation, je m’invitai dans leur photo afin de la rendre plus “gay” (ou gaie) et plus vraie. Je m’imaginais juste au milieu, lui tenant la main, et ses parents à côté, me 15 • Février 2022

souriant avec beaucoup d’affection. Dans une autre vie, ils auraient certainement été fiers que j’épouse leur fille. Devant la photo, je fermais les yeux et j’arrivais à voir sa mère me prendre la main pour me demander de l’accompagner faire ses courses, si heureuse de m’avoir comme belle fille. Je voyais aussi son père régler nos conflits de couple en présence de mes parents. Et tous ensemble, je nous voyais partager un vin en discutant de comment nous aurions nos futurs enfants. Une atmosphère de paix, de bien être, d’égalité, de joie, d’harmonie, de tendresse et de bienveillance. Je voyais également ses frères me parler avec beaucoup d’amour et de naturel. Mon imagination me transporta allègrement dans son village Adioukrou, une langue du pays de la Côte d’Ivoire où j’avais assisté à une fête de génération en tant que sa meilleure amie. Cette fois, dans mon imaginaire, je m’invitais en tant que sa femme et je voyais sa grand-mère me traiter avec beaucoup plus d’attention et me présenter au voisinage avec fierté. Voilà ce que cette photo aurait dû révéler.

« VOUS ÊTES ARRIVÉE MADAME. » Le chauffeur avait dit « madame », ce signe de politesse avait l’air banal mais était si rare. Serions-nous en train de changer ? C’est en tout cas la question que je me posais intérieurement. Tout ceci me fit sourire et me poussa à lui laisser un pourboire de 500 FCFA sur le prix du trajet. Voilà comment le monde devrait être, poli et bienveillant. Tout compte fait, j’attendais beaucoup de ce monde, après cette pause de l’humanité. Oui, j’avais beaucoup d’attentes. Heureuse d’avoir retrouvé ma famille, je m’allongeais sur le lit de ma sœur cadette pour continuer à rêver car ce jour, je ne voulais rien faire d’autre que continuer à me balader dans un autre monde, dans mon monde. Nous reprendrions sûrement le travail bientôt. Je me demandais si les gens essayaient de se remettre en question comme je le faisais, et s’ils le faisaient, si c’était de la bonne manière. Cela me préoccupait vraiment. Je ne souhaitais pas retourner au travail et y retrouver un patron qui passerait son temps à juger et à injurier quand ce qu’il attendait n’était pas fait comme il le désirait. Je l’imaginais nous parler avec plus de respect, de retenue, plus soucieux de notre bien être mental. Plus loin, j’imaginais un débat constructif avec mes collègues durant notre pause déjeuner ; rien à voir avec ces débats où j’avais si peu la parole ; où les personnes comme moi, homosexuelles, étaient jugées sans leur consentement.


Pour mes collègues, nous étions des criminels et il fallait absolument nous ôter la vie ou nous enfermer. Dans ce genre de conversation, je ne m’exprimais pas beaucoup car ma seule voix n’aurait pas réussi à défendre toute une communauté. Je me contentais de les écouter et même quand je poussais la voix plus que d’habitude, tout de suite, on me la reprenait.

j’avais construit dans les profondeurs de mes pensées était plaisant. J’aurai pu les emmener avec moi mais ils n’étaient pas vraiment prêts. Cela aurait demandé qu’ils se remettent en cause ; qu’ils prennent en compte tous les contours de la vie, et pas seulement le bout de leur nez. Non. Ils étaient loin d’être prêts à visiter ce monde. Il y avait encore du travail à faire.

Dans mes pensées, dans mon monde, il y avait des débats constructifs. J’imaginais mes collègues m’écouter avec beaucoup d’attention et de considération. Je les voyais me respecter et je nous voyais discuter calmement, partager nos idéaux sans jugement. Car même s’ils n’étaient pas d’accord avec certaines sexualités, ils ne devraient pas pour autant la criminaliser ou la juger.

Ce soir, nous allions dîner tous ensemble et discuter. J’étais heureuse. Si j’avais su plutôt que les choses se passeraient ainsi avec l’arrivée de cette pandémie, j’aurai été en famille depuis le premier jour. Était-ce ainsi pour chaque famille ? Voilà enfin quelque chose de positif ! Alors que nous étions tous ensemble, mes pensées m’emportèrent de nouveau.

Ce monde que m’offrait mon imagination était pur, doux, aimant, altruiste. Il y faisait bon vivre. Dans ce monde, nous avions vraiment la parole. On nous laissait le choix. Nos parents nous écoutaient et comprenaient nos vies. Il y avait des débats pleins de sens. Chacun était soucieux de l’autre sans toutefois se mêler de sa vie. Trop beau, vous diriez. Et pourtant, c’est de ce monde que nous devrions tous rêver. Et qui sait, il deviendrait peut-être réel. Dans ce monde, l’être humain serait plus à l’écoute des autres et de la nature. La douceur serait au rendez-vous et tout le monde s’aimerait.

« VOTRE SŒUR A ENFIN DÉCIDÉ DE REJOINDRE LA FAMILLE POUR LE CONFINEMENT. » La voix de mon père me ramena à la réalité. Il venait de rentrer à la maison. Il y avait beaucoup de provisions dans la voiture. Je me sentais bien. Fini les dépenses dont les calculs me donnaient la migraine. Et comme ce jour-là mon imagination était irrépressible, je m’autorisais à imaginer mon père me demander après ma petite amie, le sourire au visage. J’imaginais également mes frères et mes sœurs me taquiner pour avoir des nouvelles de leur belle sœur.

« QU’EST-CE QUE TU AS À SOURIRE DE CETTE FAÇON DEPUIS TON ARRIVÉE ? » Même si je lui avais répondu, ma sœur n’aurait pas compris. Elle n’aurait pas pu comprendre que je puisse être dans un monde si merveilleux alors que j’étais physiquement à leurs côtés ; que mon imagination m’avait menée sur un merveilleux voyage dont moi seule étais la conductrice. Ce monde que

UN DÎNER EN FAMILLE… En face, je m’imaginais ma petite amie assise à côté de mon père l’aidant à ouvrir le vin. Mais au lieu de ça, c’était à mon frère que revenait cette tâche banale. J’aurai été si fière si cette bouteille de vin se trouvait entre les mains de ma femme.

« PARTAGE AVEC NOUS CE À QUOI TU PENSES MA FILLE » « JE PENSE À UN MONDE OÙ NOUS SOMMES TOUS ÉGAUX, SANS EXCEPTION PAPA » J’aurai dû poursuivre, ne pas m’arrêter là. J'aurais dû en profiter. C’était peut-être le moment propice. Je sentais mon père d’humeur à parler de tout. Son sourire était sans fin. Même si je ne pouvais pas rendre ma sexualité publique, j'aurais pu demander ce qu’il pensait des personnes homosexuelles. Est-ce qu’il pensait lui aussi que nous étions responsables des atrocités de ce monde et qu’il fallait nous juger et nous tuer comme les gens le pensaient au travers de leurs différents commentaires sur les réseaux sociaux ? L’image que me renvoyait ma famille à ce moment précis aurait fait une belle carte postale. Cela n’avait rien à voir avec la photo de famille que mon ex m’avait envoyée, convaincue de sa conversion. Je me refusais de juger son comportement, bien que je le trouvais absurde et irrespectueux envers son dieu. Oh… je ne la juge pas, ne vous inquiétez pas. Tant qu’elle se plaisait dans sa nouvelle vie, tant mieux. Un jour, je l’inviterai dans mon monde plein de rêves et de couleurs, et vous aussi certainement. Numéro 14 • 16


Photo par Studiio Peter Michael

en conversation

Les Multiples Facettes de la Passion

17 • Février 2022

UNE CONVERSATION AVEC YOS CLARK PROPOS RECUEILLIS PAR RUTH LU


Danseur, photographe, mannequin, chanteur et plus encore, Yos Clark est un artiste originaire de la Côte d’ivoire. Au cours d’une conversation pleine d'énergie et de passion, il s’est ouvert à Q-zine sur un pan de sa vie d’artiste, de danseur notamment. Au fil des lignes, découvrez son parcours dans le monde de la danse ainsi que ses aspirations d’artiste.

Est-ce que tu pourrais te présenter à nos lectrices-teurs? Je m’appelle Yos Clark. Je suis danseur, mannequin, et aussi un peu chanteur. Je vis en Angleterre. Si je devais me décrire en un seul mot, ce serait “passionné”. C’est la passion qui me guide dans tout ce que je fais. La danse par exemple, c’est par pure passion que j’ai commencé. C’est pareil pour la photo que j’ai commencé pratiquement au même moment que la danse, de même que pour la chanson. J’ai toujours été guidé par la passion. Pour la chanson, à l’époque, j’avais tendance à écouter beaucoup d'opéra. C’était au moment où j’avais commencé à danser. Je n’écoutais que de l'opéra et il m’arrivait de reproduire certaines chansons.

D'où est venue cette passion pour la danse? Quand j’étais plus jeune, je devais avoir huit ans, il y avait une émission qui passait à la télé qui s’appelait “Un, Dos, Tres”. Cette émission relatait la vie d’étudiants en art tel que la peinture, la

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musique, l’acting, la danse, etc. J’étais captivé par le volet danse. Il y avait cette beauté de la danse qui m’attirait. Malgré les peines qu’ils pouvaient vivre en tant que danseurs, ils avaient toujours cette capacité de donner d’eux mêmes, de donner à leur audience les plus beaux mouvements. Et à cet âge, j’étais tout simplement émerveillé! À huit ans, j’étais trop timide et trop jeune pour mettre les mots sur ce nouveau centre d’intérêt, alors je gardais ça pour moi. Quand je jouais avec mes amis, il m’arrivait de faire le grand écart pour essayer de me rendre souple. À l’école aussi, j'essayais de garder cette souplesse en me donnant à fond en cours de gymnastique. Puis vers l'âge de quinze ans, j'ai commencé à m'intéresser un peu plus à la danse. Je faisais beaucoup de recherches. Quand j’ai ouvert mon compte Facebook, j'envoyais des demandes d’amis à pratiquement que des danseurs. Ma première demande d'amis, après mon père, était à un danseur [rires]. Beaucoup de temps s’est écoulé entre le moment où j’ai découvert la danse à huit ans et le moment où j’ai réellement commencé à l'explorer. En tant qu’africains, en tant qu’hommes, on a tendance à avoir des préjugés sur les gens qui aiment la danse classique, et je pense que c’était ça qui m’avait un peu freiné. Je ne sais pas si à l'époque j’aurais pu être en mesure de mettre ces mots dessus mais on a tous cette image de la danse classique avec les petites filles et leur tutu rose. On n’associe généralement pas les petits garçons à ce domaine alors j’ai laissé le temps passer. Puis, il est arrivé un moment où il fallait vraiment que je m’exprime et les choses se sont faites naturellement.

19 • Février 2022

Photo par Yos Clark

en conversation

Comment est-ce que tu as débuté dans le monde de la danse ? À 15 ans, je ne dansais pas pleinement parce que j’allais encore à l'école. La danse était juste un passe-temps. Mais la majeure partie des ivoiriens savent danser. Je pense que c’est dans nos gènes [rires]. Donc je dansais quand même. J’avais Michael Jackson comme référence. À l’école, il m’arrivait d’imiter ses pas de danse. Je me mettais sur la pointe des pieds et j’imitais ses mouvements. J'ai vraiment commencé à danser vers l’âge de 17 ans quand je n’allais plus à l’école. J’avais beaucoup de temps libre alors c'était en quelque sorte un exutoire pour moi parce que quand j’étais à la maison, je n’avais pas toujours le moral. Il fallait donc que je trouve quelque chose pour m'évader. Au début, je faisais beaucoup de recherches, je regardais des vidéos, j'essayais de reproduire des pas de danse. J'étais principalement autodidacte.


On n'associe généralement pas les petits garçons à la danse classique

Et puis j’ai continué à me faire des amis dans le milieu sur Facebook, à me prendre en photos, à poster et c’est parti de là. Maintenant, je suis dans une école de danse. J’ai commencé avec la danse classique et j’ai progressivement évolué vers la danse contemporaine. C’est un univers qui me parle beaucoup plus. Je m’y sens plus libre que dans le milieu de la danse classique ou c’est plus rigide, il y a plus de règles. En danse contemporaine, c’est vraiment moi qui m’exprime. J’arrive à faire ressortir mon identité, à raconter ma propre histoire, à y mettre mon propre vécu. C’est quelque chose qui me parle beaucoup plus.

Comment décrirais-tu ton année 2020 avec tout ce qui s’est passé ? Je suis revenu en Angleterre en 2020 et le confinement a commencé quelque temps après.

Sur le coup, je l’ai vécu un peu comme une catastrophe. À peine arrivé pour mes études, je tombais dans cette situation. Je me disais que j'étais en quelque sorte maudit parce qu’après tout ce que j’avais eu à traverser pour arriver en Angleterre, je me retrouvais encore face à un autre problème. Avec les restrictions liées au visa, je me demandais comment j’allais pouvoir finir ma formation et c'était vraiment stressant parce que je ne voyais pas d'autre issue. Je me posais beaucoup de questions sur ce qu’il allait advenir de ma vie. C’est une période que j’ai vécu assez difficilement. Nos cours se passaient intégralement en ligne, chose que j’avais déjà expérimenté par le passé puisqu’après avoir été autodidacte, j’avais réussi à avoir une prof en ligne pour me donner des cours. C’était donc un modèle d’apprentissage auquel j’étais quelque peu habitué. Cependant, prendre des cours de danse en ligne, ce n'était vraiment pas idéal. Danser dans un espace limité, avec une connexion internet qui pouvait être instable, était loin de ce que je m’étais imaginé. Mais j’ai réussi à surmonter tout ça, à me remonter le moral et j’ai continué à poster davantage [de photos] sur les réseaux sociaux. J’ai même ouvert un nouveaux compte où je postais beaucoup plus sur la mode. Je voulais dissocier ma passion pour la danse de ma passion pour la mode

Numéro 14 • 20


pour être plus en harmonie avec mes différentes audiences. Puis, je me suis rendu compte que les gens aimaient mon contenu. Grâce à ce compte, j’ai été repéré par une organisation de la London Fashion Week qui s'intéressait à mon travail. Ils m’ont proposé de faire une vidéo avec eux. On a travaillé avec 10 autres designers avec qui cette organisation avait l'habitude de travailler. La vidéo a été publiée sur le site de la London Fashion Week et il y a eu un article publié dans Vogue Italia. Donc voilà, c’est vrai que 2020 a mal commencé pour moi, mais éventuellement, tout s’est bien terminé. Je suis très reconnaissant pour tout ce parcours et je me dit que ce n’est que le début. Il y a beaucoup de choses en préparation!

Après tout ce que tu as eu à traverser pour pouvoir pleinement exercer et exprimer ta passion, commentest-ce que tu envisages l’avenir ? Je me dis qu’il y a un avenir brillant qui m'attend. Dans la vie, il y aura toujours des hauts et des bas; mais c’est surtout la manière dont on aborde les défis, les personnes avec qui l’on s’entoure mais aussi les opportunités qui se présentent qui font la différence. Je me suis rendu compte qu’à chaque fois que je planifiais quelque chose, rien ne se passait comme prévu. Par exemple, quand j'ai commencé les cours de danse en ligne alors que j'étais encore à Abidjan, j'étais censé retrouver ma prof de danse en France. Mais ceci n’est jamais arrivé. Et la vie a fait qu’avec l’Afrique a Un Incroyable Talent, elle même a pu venir sur Abidjan et on a pu se rencontrer en personne. Donc maintenant, je ne me torture plus à trop planifier. Je garde en vue mes objectifs sur le long terme et je prends le présent 21 • Février 2022

Photo par Valentin Fabre

en conversation

comme il se présente parce que je sais que la vie est imprévisible. Je laisse juste faire la vie et puis on découvrira ensemble ce qui arrivera.

Lorsque tu repenses à ton parcours, depuis le petit garçon émerveillé par le monde de la danse à l’homme passionné et confiant que tu es aujourd'hui, quel message laisserais-tu aux petits garçons comme toi ? Le message le plus important que je pourrais leur laisser, c’est d’être vrai envers eux-même, d’être authentique et de s’aimer comme ils sont. Comme on l’entend souvent, si tu ne t’aimes pas toi-même, comment est-ce que tu peux aimer les autres. Donc qu’ils se donnent à eux-mêmes cet amour et qu’ils suivent leurs passions. Un conseil que mon père m’a donné quand je commençais la danse, c’est qu’on ne fait rien de mieux que ce qu’on aime. Et au fil de mon parcours, je me suis rendu compte à quel point ceci était vrai. La photographie par exemple, c’est quelque chose que je n’ai jamais appris. La danse, j’ai commencé avec les moyens de bords et ce, malgré toutes les contraintes. Et


en conversation

Quel est ton rêve le plus fou en tant qu’artiste ?

Photo par Studiio Peter Michael

En tant que danseur, mon rêve est de rejoindre une compagnie de danse. Il y a des compagnies de danse que j’aimerai pouvoir rejoindre. Ce sont des compagnies que je vise et qui sont en phase avec mes aspirations et répondent à mes attentes en termes de qualité. Éventuellement, j’aimerai mener une carrière solo. Je suis une personne assez indépendante, j’aime bien improviser dans mon art, m’exprimer au rythme de la musique. C’est quelque chose qui me permet de me renouveler à chaque fois, de me découvrir. Mener une carrière solo me permettrait donc de me libérer de toutes les restrictions que l’on peut rencontrer lorsque que l’on travaille dans un cadre limité.

Photo par Studiio Peter Michael

j’ai quand même réussi à faire mon petit bout de chemin, et j’en suis très heureux. Je n’ai vraiment pas de regrets. Alors je les encourage à vivre pour leurs passions et à se donner les moyens d’y arriver. C’est vraiment la meilleure des choses!

En plus de cela, je rêve de pouvoir devenir chorégraphe et d’ouvrir une école de danse ou d’art en Côte d’Ivoire. Peut-être pas à Abidjan où il y a déjà pas mal d’opportunités, mais à l’intérieur du pays, histoire de donner une chance à d’autres jeunes passionnés d’art comme moi. Quand j’ai commencé, je n’avais pas les moyens de poursuivre mon art autant que je le voulais, donc je connais un peu la situation dans laquelle beaucoup de danseurs ivoiriens se trouvent. Et enfin, j’aspire à pouvoir un jour fusionner mes passions - la danse, la photographie et même le mannequinat - en un seul et unique projet. Il n’y a pas de photographe spécialisé en danse en Côte d’Ivoire par exemple, alors c’est quelque chose que j’aimerai explorer et apporter à mon pays. C’est une chose sur laquelle je devrais beaucoup travailler pour pouvoir peaufiner la vision finale avant de pouvoir me lancer mais on verra comment la vie me surprendra! Numéro 14 • 22


Photo par Rosie Olang

poésie

23 • Février 2022


AUX PROMESSES fugaces PAR RUTH LU

Se renouveler sur les débris d’hier, Avancer pour ne pas périr,

Déconstruire les idées d’hier,

Poser les fondations de demain, Ecouter le fil de ses pensées,

S’exprimer à l’excès, sans retenue, Se lâcher

Se déhancher sur un malentendu, Demain sera

Certitude du cycle,

Aujourd’hui est là, alors soit, Libère ta fibre,

Ose ce sourire,

Ose ces couleurs,

Demain est si loin

De quoi écarter les doutes des instants lointains, Aux promesses fugaces.

Numéro 14 • 24


revue

Et l'oiseau en cage chantera au delà de la mort

Les tragédies comptent parmi les récits les plus complexes et les plus fascinants de la fiction. La prémisse est assez simple : l'histoire commence par une horreur et le reste du livre est un tableau des événements qui auront précédé ou suivi la tragédie. Avec le troisième roman d'Akwaeke Emezi, The Death of Vivek Oji (La Mort de Vivek Oji), la tragédie est déjà dans le nom. Cependant, la plus grande tragédie de cette histoire n'est pas la mort de Vivek, mais la réalité malheureuse et écrasante de sa vie. Ce livre est une affirmation audacieuse qui remet en question le désespoir dévorant que sont censées être nos vies et nos destins en tant que personnes queer africaines, victimes des nombreuses violences de la colonisation. Il y a la mort, oui. Il y a une terreur implacable, oui. Mais il y a également de la joie. Il y a également la vie.

25 • Février 2022

Illustration par Rosie Olang

REVUE DU ROMAN THE DEATH OF VIVEK OJI PAR WANINI KIMEMIAH


Vivek est un oiseau prêt à s'envoler ; brillant, flamboyant et merveilleux. Iel naît dans une famille en deuil et les circonstances de sa naissance ne font que compliquer ce deuil. C'est ce même chagrin et les miasmes de la mort qui suivent Vivek tout au long de sa brève vie et obscurcissent la vérité sur qui iel est vraiment pour sa famille.

Voici le tableau : une maison jetée dans les lamentations le jour où iel l'a quittée; restaurée exactement comme elle l’était le jour où iel y était arrivéE. Un corps enveloppé. Un père brisé. Une mère sombrant sous l’emprise de la folie. Un pied mort avec une étoile de mer dégonflée recouvrant sa courbe. Le début et la fin de tout. Dans The Haunting of Hill House, Shirley Jackson écrit : « Aucun organisme vivant ne peut continuer longtemps à exister sainement dans des conditions de réalité absolue ; même les alouettes et les katydids sont censées rêver ». La réalité de mort absolue dans laquelle vit la famille de Vivek fait qu'il est impossible pour chacunE d'entre elleux de s'autoriser ou d'autoriser leurs enfants à rêver. Les fausses couches de Mary l'ont transformée en une femme amère et fanatique qui n’avait même pas

été en mesure d’aimer l’unique enfant qu'elle avait réussi à avoir. Sous sa main de fer et l'éducation négligente d'Ekene, Osita dépérit pendant toute son enfance et devient un jeune homme sans joie. Une telle misère peut transformer toute bonne chose en quelque chose de pervers, et c'est ce qu'est devenue son affection filiale pour Vivek. La réalité absolue du foyer de Vivek a réduit le monde de Kavita à son seul enfant. Elle fait le vœu de ne pas avoir d'autres enfants et de se consacrer à son éducation. Et pourtant, le chagrin d'avoir perdu Ahunna l'empêche de vraiment voir son enfant. Chika, encore moins. Il est indifférent face à la différence de Vivek depuis sa naissance et, à mesure qu'il grandit, va jusqu'à l'envoyer à l'école militaire pour « l'endurcir », pour chasser de lui cette différence en le poussant dans un environnement hypermasculin violemment conformiste. Il est important de souligner cette manière dont les pères africains se soucient de leurs fils (dont certains sont secrètement des filles) qui ne peut s'exprimer que par la violence absolue. Après tout, s'ils arrivent à tuer eux-mêmes l’esprit de leurs fils, personne d'autre ne le pourra. Chika manie la virilité comme une arme et n'a pas peur de matraquer Vivek avec. Ahunna vit en Vivek, mais il préfère de loin qu'elle meure à nouveau plutôt que d'accepter son unique enfant. Vivek persiste malgré la mort et les dysfonctionnements qui l’accablent. Lorsque la possibilité de laisser sa famille derrière et de refaire sa vie en étudiant à l'étranger n'est plus envisageable, iel s'invente une existence en partant de rien. Face à la mort, Vivek prend le courage de faire ce que personne dans sa famille n'avait osé faire depuis des décennies : iel choisit la vie.

Numéro 14 • 26


revue

Vivek est un oiseau en cage, mais iel a orné son enclos et s'est paréE d'une splendeur magnifique. Au chapitre 6, Vivek dit : « Beautyful. Je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle cette orthographe a été choisie, mais je l'aime parce qu'elle garde le mot ‘beauty’ intact. Elle n'a pas été avalée ; tuée par un ‘i’ pour en faire un tout nouveau mot. Le mot était solide ; il était toujours là, tellement présent qu'il ne pouvait pas entrer dans un nouveau mot, tellement il était plein. Il donnait une meilleure idée de ce qui causait exactement cette plénitude. La beauté. » Les liens et la communauté qu'iel est parvenu à construire avec Juju, Elizabeth, Somto et Olunne étaient le baume dont iel avait besoin. Elles lui avaient permis de déployer ses ailes et de dépoussiérer ses plumes. Les filles avaient permis à Vivek de rêver, et des rêves elle en avait fait ! Osita cependant était complètement 27 • Février 2022

incapable de se débarrasser de son bagage familial. Il y avait complètement succombé et cela avait déformé ce que Vivek représentait pour lui. Osita voyait Vivek changer et se libérer des pires aspects des traumatismes qui lui avaient été transmis, et cela le terrifiait. Pourquoi ne pouvait-iel pas être satisfaitE de ses chaînes ? Pourquoi ne pouvait-iel pas accepter la réalité qu'il n'y aurait jamais de place pour l'acceptation de leur différence dans leur famille ou leur communauté comme lui l'avait fait ? Osita en voulait profondément à Vivek de s'être donné la permission d'exister, et pas seulement d'exister; de défier la catégorisation, la simplicité ou la respectabilité. Vivek avait choisi la vie et la beauté là où Osita se contentait de la mort et de la décrépitude. C'est ce ressentiment, cette rage qui conduit finalement à la mort prématurée de Vivek. CertainEs pourraient soutenir, et ont soutenu, que le choix d'Emezi de dépeindre une relation incestueuse entre les cousinEs était simplement dans le but de choquer gratuitement, mais je ne suis pas du même avis. Emezi n'est ni le/a premierE ni le/a dernierE auteurE à explorer l'idée de familles dysfonctionnelles et de traumatismes générationnels en utilisant des relations incestueuses. La relation entre les jumeaux dans God Of Small Things d'Arundhati Roy est présentée comme étant tout aussi inappropriée, et comme dans notre histoire, elle s'avère incroyablement dommageable pour les deux parties. Il n'est ni confortable ni facile d'envisager de telles possibilités lorsqu'on écrit une histoire sur des personnes queer. D'autant


revue

plus qu'en raison de la propagande chrétienne fondamentaliste qui prévaut, de nombreuses personnes au Nigeria considèrent les personnes queer, et en particulier les individus transféminins et les hommes, comme des prédateurs sexuels agressifs, au même titre que les agresseurs sexuels. Mais c'est peut-être là l'intérêt de ce récit particulier. C'est une idée très toxique qui cause à d'innombrables personnes queer des dommages physiques et psychologiques indicibles de la part de leur entourage. Comment pourrait-il être pire d'intérioriser ces idées ? Les deux protagonistes sont manifestement conscientEs de la nature inappropriée de leur relation et iels la cachent à leurs amiEs pendant longtemps. Je crois que le récit nous invite à nous interroger sur les conditions qui ont pu mener à une relation aussi dommageable et dangereuse que celle-ci. La combinaison volatile de la détresse émotionnelle de Vivek et l'idée qu'il n'existe aucune autre option ou opportunité d'amour ou d'intimité pour iel ont constitué des conditions idéales pour le début de la relation entre les deux cousinEs. Pour moi, cette relation est une critique acerbe de l'hypocrisie de la société nigériane et des attitudes envers les personnes queer. Vous ne pouvez pas empoisonner un puits et être en colère lorsque son eau vous tue. Sans aucun doute, Vivek était arrivéE à un point où iel n'avait plus besoin d'Osita de la manière désespérée dont iel avait eu besoin de lui dans le passé. Et je pense que ce n’est pas anodin qu’Osita, que ce soit par erreur ou non, l'ait tuéE pour cela.

Emezi fait une déclaration puissante en faisant en sorte que Vivek soit honorée dans la mort comme elle ne l'avait jamais été de son vivant. Pour de nombreuses personnes transgenres, la mort n'est qu'une continuation de l'effacement qu'elles ont subi de leur vivant. Les défuntEs sont enterréEs dans des vêtements qu'iels n'auraient jamais portés, sous des noms qu'iels n'utilisaient plus, et leurs familles gardaient un souvenir erroné d'elleux. Kavita avait donné à son enfant des adieux dignes de sa vie. Elle s’était assurée de l’habiller avec les vêtements qu'elle savait qu'iel aimait ; n'avait pas coupé ses cheveux, au grand dégoût du reste de la famille, et avait veillé à ce que la pierre tombale porte les noms appropriés pour Vivek. C'est dommage de mourir jeune, mais parfois, dans la mort, l’on peut enfin trouver la liberté que la vie n’avait su offrir. De toute façon, qu'est-ce que la mort sinon une moitié du cycle de l'existence ? D'outre-tombe, Vivek dit : « Je suis néE et je suis mortE. Je reviendrai. Quelque part, vous voyez, dans la rivière du temps, je suis déjà vivantE. » Vivek était un oiseau aux ailes coupées de son vivant, mais dans la mort, elle a déployé ses ailes et s'est envolée.

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poésie

25 Août 2025 PAR PEACE~TOLO THE WORDSMITH 2021©

Elle le savait. Le cordon ombilical qui nous liait faisait de nous un seul être. Elle l'avait toujours su. Je regarde ses rides ; une histoire de deuil, de guérison et de réconciliation. Les vents du changement avaient jeté nos rêves contre le mur. Il nous avait fallu sculpter de nouveaux rêves à partir des débris laissés derrière nous. Elle m'aimait. Je le sentais dans son silence ; voilé d’un besoin désespéré de me comprendre. Le besoin de me faire renaître dans son esprit en tant que la personne que j’étais vraiment. Elle m'avait toujours aimé.

Pourtant, il dormait pendant que tu pleurais, pendant que tu priais pour une échappatoire, pour des jours meilleurs. Tu t’étais coupée, ouverte, espérant trouver un exutoire à la douleur, Tu esquissais tes plus beaux sourires au monde, en priant pour que personne ne se sente obligé de faire semblant de s'inquiéter.

Elle me détestait ; le mal qui s'était insinué en sa fille. Elle te détestait parce que tu m'aimais. Le ciel avait entendu les échos de tes cris alors que tu étais déchirée entre la mère et l’aimée.

Tu t'étais liée d'amitié avec des démons, dans l'espoir qu'ils supplieraient leur maître de te libérer de ce supplice. Ta maison était devenue un enfer froid. Elle te détestait parce que tu m'aimais contre vents et marées.

29 • Février 2022


25 Août 2025 Peu importe la gravité de la situation, le lien était tel une bougie dont la mèche ne s'éteignait jamais.

Illustration par Rosie Olang

Au-delà du temps, j'étais à toi et tu étais à moi ; au-delà de la chair, des circonstances et des peurs.

Elle t'aimait. Elle avait peur de te perdre, de te perdre pour des monstres sans visage, des vices et des démons sans nom. Elle avait peur du monde qui la regarderait en la jugeant. Maman avait projeté ses peurs dans les coups qu’elle te donnait. Ses prières ne pouvaient pas faire disparaître cet amour ; ses coups ne pouvaient effacer l’arc-en-ciel de ta peau.

Je crois de tout mon être que ces mains étaient faites pour essuyer tes larmes. J'avais toujours été destinée à être à tes côtés, pour les saisons ensoleillées et les saisons pluvieuses. Je t'aime au-delà de toute raison. Je t'ai aimé avant et en ce jour ; je promets de t'aimer pour toujours. 25 Août 2025 Tu me dis que c'est ici, chez toi. Tu avais trouvé un endroit où marcher pieds nus. Tu étais en paix avec tout. Tu pouvais enfin respirer sans trembler, sourire sans faire semblant. Tu m'aimes. Elle honore l'allée d'un sourire innocent, répandant l'amour avec des pétales de fleurs. Ruvarashe, cette bénédiction qu’était notre fille. Le lien dans cette histoire ; la raison pour laquelle deux mères avaient choisi de comprendre, Comprendre cet amour qu'elles avaient grossièrement interdit. Elles l'aiment. Elles nous aiment. Numéro 14 • 30


Precious

Rainbow

Maquilleuse Artistique 31 • Février 2022

Photos par Kabira Akintayo

art visuel

PAR KABIRA AKINTAYO


La question qui revient le plus quand je partage mon art est « C'est du Photoshop ? » [rires] Mon nom est Akintayo Kabira, je suis étudiante et maquilleuse artistique. Je suis une grande fan du maquillage et aussi du dessin. Un soir, je m'amusais à dessiner des motifs sur mon visage avec du maquillage et j'ai trouvé ça beau. J'ai pris des photos que j'ai partagées sur les réseaux sociaux et j'ai eu beaucoup de commentaires positifs. C'est de là que tout est parti.

J’ai eu l’idée d'utiliser les différentes couleurs des drapeaux de la communauté LGBTQ en mai dernier, à l'occasion de la journée mondiale contre l'Homophobie, la Transphobie et la Biphobie. J'avais décidé de consacrer tout le mois à mettre en valeur presque tous les drapeaux de la communauté LGBTQ en utilisant les couleurs des drapeaux pour des maquillages artistiques.

Mes créations sont une sorte d'hommage à la communauté LGBTQ. Généralement, je travaille quand me vient l'inspiration et c'est souvent la nuit. Vu que je travaille le plus souvent sur mon visage, la première phase consiste à faire un brouillon pour avoir une idée du résultat. Ensuite vient la mise en forme proprement dite, l'ajout des couleurs et les finitions. J'utilise beaucoup de couleurs néon. Ça me permet d'avoir des couleurs vives et d'avoir un beau rendu.

À travers mon art, je voudrais que tout le monde voit ma communauté comme elle est réellement : vivante, colorée, scintillante. J’aimerais que nous soyons fiers de qui nous sommes et que l’on comprenne qu’il n’y a pas de honte à faire partie de la communauté LGBTQ. Vous pouvez me retrouver sur Instagram et sur Facebook sous le nom de Bira’licious. Numéro 14 • 32


Photo par Ziada Fana

en conversation

Qui Change Le

Monde Un Jour? En

UNE CONVERSATION AVEC ZIADA FANA PROPOS RECUEILLIS PAR RUFARO GWARADA

33 • June 2017


Ziada Fana est une photographe érythréenne-américaine, née et élevée à San Francisco et à Asmara, en Érythrée. Basée à Oakland, en Californie, son travail est centré sur les expériences humaines et l'identité. Cette conversation a eu lieu après qu’elle ait dû reconsidérer sa contribution à cette édition du 10e anniversaire de Q-zine en raison de difficultés liées à des troubles musculosquelettiques. Elle s'est ouverte à Q-zine sur la façon dont ses défis physiques l'ont poussé à inventer des façons plus créatives d'être, à la fois dans son corps et dans le monde, et sur ce qu'elle apprend et désapprend au cours de ce processus.

Au départ, nous avions parlé de ton projet comme d'un autoportrait de tes mains, mais au fur et à mesure que d'autres idées te sont venues, après avoir dû faire une pause dans ton travail pour reposer tes mains, tu as réalisé que tu aurais besoin d'utiliser tes mains pour éditer les photos que tu souhaitais prendre. Oui, et je pense qu'une partie de moi essayait de respecter mon engagement, de continuer à faire quelque chose, mais sans en subir les conséquences. En examinant les options, j'étais enthousiasmée

par la possibilité de programmer des photos sur un minuteur, en pensant que cela ne m'obligerait pas à tenir, à cliquer ou à faire quoi que ce soit avec l'appareil qui nécessiterait mes mains. Je me suis dit que ce serait une belle opportunité de voir les photos que je serais capable de produire en utilisant une méthode différente. Mais ensuite, comme la créativité vient de toutes les manières, j'ai commencé à avoir plusieurs autres idées mais j’en ai rejeté beaucoup. En fin de compte, tout ce à quoi je pensais nécessitait que j'édite des photos. Numéro 14 • 34


en conversation

J’aurais pu potentiellement le faire si je trouvais unE éditeur-trice qui puisse éditer pour moi mais ce n'était pas vraiment une option. Les images finales n’auraient pas été des autoportraits.

Revenons donc au thème de ce numéro anniversaire de Q-zine. Ce numéro porte sur la construction de nouveaux mondes, de nouvelles façons d'être face à la catastrophe qu'est la COVID et tout ce qui l'accompagne. Quelles sont tes nouvelles façons d'être dans ta créativité qui te permettent de t’épanouir et sur lesquelles tu t’appuies ou que tu pratiques ? Le plus difficile a été dans la photographie parce que c'est un art qu’il m’a été difficile d’exploiter. Entre mes troubles musculosquelettiques et la distanciation physique, c'est un des domaines dans lesquels je ne me suis pas beaucoup épanouie. Et je me suis beaucoup jugée pour ça. Je me laissais parfois emportée par des pensées comme « je ne suis pas vraiment engagée dans cet art». Ou « Ça n’allume plus cette étincelle en moi ». Ce dialogue négatif intérieur se produit même si mes troubles et la COVID ne sont pas nécessairement sous mon contrôle, n'estce pas ? Mais au fond de moi-même, je savais que

35 • Février 2022

j’étais une personne créative. J'ai donc dû trouver d'autres moyens d'exploiter ma créativité. L'un de ces moyens a été la musique. Même si j'utilise mes mains quand je travaille en tant que DJ, ce qu'on exige de mes mains et le temps que j’y consacre sont différents. Cela demande moins d'efforts physiques, moins de temps. Être au contact de la musique de cette manière m'a permis de retrouver cette joie de la créativité. Un autre aspect concerne la création de playlists. Je créais de courtes playlists pour des amiEs qui traversaient des épreuves tantôt joyeuses, tantôt douloureuses, parfois quelque part entre les deux. C'était un moyen pour moi de rester en contact avec les gens, sans jugement, et sans que ce soit un acte pour les autres en soi. C'était quelque chose que je faisais pour moi-même, un acte d'amour pour mes amiEs. Je ne me vois pas devenir DJ [à temps plein] mais mes amiEs réagissent toujours positivement à mes playlists.

Où est-ce que les lectrices-teurs pourraient-iels trouver tes playlists ? Ou est-ce que c’est quelque chose de personnel destiné à tes proches et non au grand public ? TouTEs celleux qui veulent avoir accès à mes playlists peuvent les consulter sur Spotify. Je cherche également d'autres moyens de les partager, par exemple sur YouTube ou SoundCloud, et d’y incorporer plus de créativité.


en conversation

Super ! Donc, pour en revenir à ton idée initiale d'autoportrait, qu'espérais-tu capturer à travers des images de tes mains ? Je voulais changer le discours sur les troubles musculosquelettiques. On parle beaucoup de comment le fait d'avoir une blessure invisible peut être source d'isolement, surtout si les gens ne peuvent pas la reconnaître. Ou si c'est une expérience que les gens n'ont jamais eue, il est très difficile pour elleux d'avoir de l'empathie pour quelqu'unE qui souffre de ces troubles. Entendre les gens dire que ce n'est pas si grave ou que vous exagérez votre douleur et votre mal-être est décevant et choquant. En fait, à moins que je n'aie un million d'attelles aux bras, les troubles musculosquelettiques ne sont pas considérés comme un problème, pas plus que les limitations concernant ce que je peux ou ne peux pas faire. Par exemple, selon le jour, je peux peut-être pousser un chariot sur une certaine distance, mais je ne peux pas ouvrir un bocal ou mixer du ga'at, du pap ou du sadza. Tout se résume à réussir à comprendre les niveaux d'aptitude de la personne. Je pense que c'est vraiment difficile pour certaines personnes de comprendre cela. Et puis, il y a aussi beaucoup de culpabilité et de honte qui vont avec. Par exemple, j'aimerais pouvoir venir tenir ton bébé, te soulager un peu, mais je sais que le simple fait qu'il pèse de plus en plus lourd signifie que je ne peux pas t'aider de cette façon.

J'essaye d'être plus créative dans ma façon d'exister et pour en revenir à ta question, je pense qu'une partie de ce travail a consisté à changer le récit, de sorte qu'il ne soit plus question de « je ne peux pas faire X, Y ou Z », mais plutôt de « comment est-ce que je me mets en relation avec mon environnement et les choses que j'aime faire? » Par exemple, j'ai toutes ces plantes chez moi. Et je me dis qu'il faudrait que j’arrête parce que je risque d'en accumuler beaucoup trop [rires]. Mais c'est quelque chose qui est amusant à faire. J'aime aussi observer les plantes qui, de par leur nature, sont résistantes. J'ai observé leur système racinaire et c'est fascinant. J'en ai appris davantage sur les plantes de la forêt en général... sur tout leur réseau souterrain. C'est vraiment fascinant. C'est vraiment un cadeau de se perdre dans la nature, et pas seulement dans la nature, mais aussi dans d'autres êtres vivants, et de ne pas être trop dans ma tête et dans les défis de mon corps.

Pour en revenir à la construction du monde et à d'autres façons d’exister, qu'as-tu appris sur toimême, et quel genre de monde construis-tu ? Et je pose cette question en sachant que la plupart du temps, lorsque nous parlons de construction, cela nécessite nos mains, et tu as une blessure qui peut être débilitante. Comment envisages-tu la construction d'un monde, non seulement pour toimême, alors que tu cherches à te Numéro 14 • 36


en conversation

débrouiller avec ta blessure, mais aussi pour et avec les autres ? Il y a la manière très tangible de construire, brique par brique, et puis il y a la manière dont nous construisons nos communautés. Il m’a fallu avoir une conversation interne durant laquelle je me suis demandée « qu'est-ce que j’attends de cette existence, de cette vie ? » Et une chose à laquelle j'ai pensé, c'est que si mes besoins de base sont couverts, alors à partir de là, de quoi d'autre ai-je besoin ? Qu’est-ce que je veux d’autre ? Je veux une existence simple, sans gaspillage. Je ne veux pas vivre dans l'excès mais je veux néanmoins vivre de manière à pouvoir apprendre et grandir grâce à mes expériences, et avoir la flexibilité nécessaire pour le faire. Et puis avoir l'opportunité de côtoyer des gens. Je ne veux pas faire de mal et je ne veux pas qu'on me fasse du mal. Ce sont des choses très très basiques. Et puis, je réfléchis de plus en plus sur la façon dont ce que j'ai appris en grandissant se manifeste maintenant dans ma vie et comment je pourrais changer cela. Par exemple, que signifie le succès ? Que signifie le bonheur ? Que signifie la joie ? Comment désapprendre les notions de ce que nous sommes censés faire et nous concentrer davantage sur ce que nous voulons faire ? Et l'une des choses importantes pour moi est de pouvoir contribuer, que ce soit à petite ou à grande échelle, et c'est bien, c'est suffisant. Quand j'étais plus jeune, c'était très idéaliste de penser que je voulais avoir un impact énorme. Plus je vieillis, plus je me rends compte que, parfois, ce sont les 37 • Février 2022

petites interactions ou expériences individuelles qui ont le plus d'impact. Je ne pourrai peut-être pas contribuer à la construction de quelque chose autant que je le voudrais. Mais quel est mon impact lorsque j'ai une conversation avec ma voisine ? Lorsque je rencontre unE amiE ? Lorsque j’ai des conversations qui vont au-delà des banalités ? Quel effet avons-nous lorsque nous choisissons d'être très intentionnel dans la façon dont nous nous engageons les unEs avec les autres ? Voilà quelques-unes des choses auxquelles je réfléchis.

Et comment est-ce que tu passes de la réflexion à l'action ? Je m’applique à faire certaines des choses que j’ai citées plus tôt. Les réflexions ont lieu quand je pense à ma journée à venir [le matin] et que j'envisage ce qui pourrait se passer ce jour-là et comment je vais me comporter. Il y a un exercice que ma partenaire fait toujours et qu'elle me fait toujours faire à la fin de la journée. Elle me demande de citer trois choses pour lesquelles je suis reconnaissante et une façon dont j'ai changé le monde. Ma première réaction à la deuxième portion de cet exercice a été : oh, je n'ai pas changé le monde aujourd'hui. En réalité, lorsque ma partenaire m'a posé cette question pour la première fois, je me souviens avoir dit : « C'est dingue ça ! Qui change le monde en un jour ? [rires]. J'étais juste difficile. Elle m'avait répondu que ça n'avait pas besoin d'être quelque chose d’énorme. Cela me rappelle une situation dans mon premier emploi où j'avais eu une conversation avec une élève qui ne voulait


en conversation

pas faire ses devoirs. Sans que je ne m’en rende compte, cette conversation avait changé la façon dont elle aborderait le reste de son cursus scolaire. Ce sont de petites choses comme ça, dont nous ne réalisons même pas l'impact, qui nous permettent de changer le monde chaque jour.

Au fur et à mesure que tu évolues dans le monde, que souhaites-tu emporter avec toi de la période de la COVID ? Je ne me fais pas d’illusions, je sais que rien n’est parfait. Très souvent, je pense à tout ce qui ne va pas dans le monde. Et il y a des moments qui me donnent de l'espoir, comme les fois où je vois la beauté de notre communauté ; les fois où une personne échange avec quelqu'unE à qui elle ne parlerait pas normalement. Ou lorsque la pandémie est arrivée et que nous étions touTEs confinéEs, on voyait plus de gens aller se promener, et c'est quelque chose qu’on ne voyait pas souvent aux États-Unis. C'est quelque chose que j'ai trouvé vraiment beau, la façon dont les gens marchaient et

se saluaient, même s'ils maintenaient une distance physique, la façon dont ils se parlaient. Bien sûr, il y avait le côté laid de la chose, mais le beau ressortait davantage. Et quand on parle de films et d'histoires apocalyptiques, ce n'est jamais la chose qui tue tout le monde qui effraie vraiment les gens. C'est surtout le fait d'y survivre et d'avoir à faire face à d'autres humains et à tout ce qu'ils sont prêts à faire d’atroce pour pouvoir vivre un jour de plus. C'est donc magnifique de voir ce genre de communauté se construire, surtout lorsque les gens peuvent choisir d'être bons ou mauvais. Il est très facile pour les gens de choisir le mal, et j'espère que dans tous les moments que nous avons vécus au cours de ces deux dernières années, la plupart des gens auront choisi le bien. J'espère que cela continuera. Vous pouvez trouver les playlists de Ziada Fana sur Spotify sous DjxFana et ses photos sur Instagram à @ziadafana ainsi que sur son site web.

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art visuel

Détails de l’image:

Titre de l'œuvre : Lullaby for Haiti : Equi-Libre

Médium : Cyanotype et acrylique sur papier Dimension : 24 x 24 pouces Année de création : 2019 Crédit photo : Pascal Giacomini 39 • June 2017

Equi-L PAR FRANCESCA LALANNE


Equi-Libre de Francesca Lalanne fait partie d'une série intitulée Lullaby for Haiti (Berceuses pour Haiti). Lullaby for Haiti est motivée par l'espoir de voir Haïti avoir un moment de répit après d'innombrables années de troubles sociaux et politiques que la famille de Lalanne a eu à fuir. En pleine pandémie de COVID-19, le peuple haïtien continue de faire face à des bouleversements sociaux et politiques et à des catastrophes naturelles, et nombreux-ses sont celleux qui ont quitté leur pays à la recherche d'une vie meilleure. Equi-Libre est porteur d’un espoir, de quelque chose de meilleur que cette existence en apparence sans fin. Il s’agit d’une chanson, d’une berceuse, d’un appel à la guérison. Lalanne ajoute que « l'œuvre d'art appelle également au leadership féminin représenté ici par la figure féminine qui fait le gros du travail ». Cela reflète sa conviction que les sociétés où le patriarcat est très présent ne sont pas équilibrées. L'œuvre d'art s'efforce donc également de trouver un équilibre visuel représenté par le cube et les cordes. Ces éléments symbolisent ce que le leadership féminin pourrait manifester. Selon Lalanne, « une présence féminine plus forte apportera naturellement plus d'amour et d'attention dans la vie des HaïtienNEs ».

-Libre

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fiction

Son Excellence MissTer Igram Kévynn HONFO: Premier Président Ouvertement Non-Binaire de la Répubique du Bénin

Discours d’Investiture 2051 PAR IGRAM KÉVYNN HONFO

41 • Février 2022


Photos par Dah Photography

Madame, la Secrétaire Générale de l’ONU Messieurs les Présidents de l’Union Est-Africaine et Ouest-Africaine, Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale, MissTer le Président de la Cour Constitutionnelle, Mesdames les Présidentes des Institutions Constitutionnelles, Madame la Grande Chancelière de l’Ordre National du Bénin, Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement et du Corps Diplomatique, Honorables Députés et Membres des institutions de la République, DistinguéEs invitéEs, partenaires et organisations internationales, Béninoises, Béninois, chèrEs compatriotes, En cet instant solennel où j’accède aux fonctions de Président de la République, je voudrais d’abord exprimer mes profonds sentiments de fierté parce que le scrutin présidentiel s’est tenu dans un climat apaisé, avec régularité et transparence. Je voudrais Numéro 14 • 42


fiction

également saluer tout le peuple béninois qui a cru en moi et qui m’a élu à la tête de ce pays. Vous faites ainsi de moi la première personne en Afrique - ni Monsieur, ni Madame mais MissTer - ouvertement non binaire à avoir accédé aux plus hautes responsabilités d’un pays. Je tiens aussi à vous féliciter pour votre grandeur d’âme, votre ouverture d’esprit, et pour votre désir de voir grandir notre pays le Bénin. Je suis déterminé à apporter un développement durable à ce pays pour le bien de touTEs en exerçant le pouvoir d'État avec dignité et simplicité. Certes, la tâche est immense, mais ce n’est pas œuvre impossible si les actions à entreprendre s’appuient sur une vision claire ainsi que sur les compétences et les atouts dont nous disposons. Je tiens également à saluer le travail des féministes et honorer la mémoire des femmes, toutes ces mères courageuses, braves et inspirantes, qui sacrifient leur vie pour voir leurs enfants réussir. ChèrEs compatriotes, Je m’acquitterai de mes devoirs de Président de la République avec humilité et abnégation. Je m’emploierai chaque jour à tenir les engagements destinés à faire de ce mandat un instrument de justice, de paix, d’équité et d’inclusion entre les hommes, les femmes, les personnes non binaires et trans*, en mettant en place de grandes réformes politiques institutionnelles. Pour y parvenir, j’entends rétablir l’état de droit respectueux des principes démocratiques et des libertés individuelles qui assure avec efficacité la protection des personnes et des biens. 43 • Février 2022


fiction

Photos by Dah Photography

Un nouvel espoir et de nouveaux défis Je ferai de notre démocratie un véritable instrument de coopération internationale, d’intégration et d’influence. Je m'attellerai à assurer et préserver la liberté de la presse ainsi que l’accès équitable de touTEs, sans aucune distinction, aux organes publics de presse. J’assurerai la protection de l’initiative privée et du secteur privé en tant qu’outils principaux de développement. Je travaillerai à réduire puis à éradiquer la précarité en assurant la protection des personnes marginalisées et démunies, ainsi que l’accès pour touTEs, à l’eau et à l’énergie en tant que droits inaliénables et facteurs de développement. J’accorderai une priorité à la restructuration du système de santé de façon à procurer à nos concitoyenNEs une couverture sanitaire plus Numéro 14 • 44


fiction

efficace. Chaque citoyenNE, sans distinction aucune, aura droit à la consultation et aux premiers soins en présentant sa Carte Nationale d’Identité dans tous les centres de santé du territoire national. Seront également disponibles des services de santé adaptés aux minorités sexuelles et aux personnes handicapées. Des maisons de retraite seront disponibles dans chaque ville pour assurer le bienêtre et la protection des personnes du troisième âge avec accès permanent aux visites familiales. Grâce aux différentes avancées scientifiques et médicales, le VIH/SIDA est désormais un lointain souvenir. Cependant, depuis 2047, nous perdons des proches avec l’avènement de l’épidémie mondiale d’Ibuzina, un virus qui sévit du fait du réchauffement climatique et qui fait des victimes en silence. Afin de faire face à ce fléau et réduire le taux de mortalité, chaque citoyenNE devra se présenter au Laboratoire National du Bénin de son département pour un bilan complet de santé chaque 6 mois. La question des personnes trans* me tient particulièrement à cœur, c’est pourquoi le processus de transition, allant des hormones aux chirurgies, y compris les consultations médicales, les changements administratifs de nom et de genre, sera complètement pris en charge par l’État. Je veillerai personnellement à l’aboutissement de ce projet et à sa pérennisation même après mon mandat. 45 • Février 2022

La Haute École des Sciences, des Technologies et de la Recherche Médicale du Bénin, implantée dans plusieurs pays africains, veillera à former les meilleurEs bachelierEs scientifiques nationauxles et internationaux-les. Je suis convaincu que l’Afrique regorge d’une jeunesse qui la veut grande et changée. Je m’attacherai donc à reconstruire le système éducatif national afin d’assurer son adéquation avec les ambitions de notre pays. Nos enfants ont besoin de connaître l’histoire du Bénin, les fondements, les bases, les divers mouvements sociaux et même les inspirations qui nous ont menées jusqu’ici. Je veillerai personnellement à la révision des guides et manuels scolaires, à l’instauration d’une pédagogie d’enseignement exemplaire et à des horaires de cours allant de 7h du matin à 15h. À cet effet, la restructuration du Conseil National de l’Éducation et la création d’une zone franche du savoir et de l’innovation constitueront les principaux leviers de l’action gouvernementale dans ce secteur. Le « fongbe », première langue nationale parlée au Bénin, sera enseigné depuis le primaire pour permettre aux citoyenNEs béninoisES de bien parler et écrire leur langue nationale. Le « vodoun » sera enseigné depuis le primaire et constituera un cours particulier, une matière d’évaluation des apprenantEs. Il est également important de souligner que le « vodoun » est l’un des rares espaces spirituels qui ne fait pas de différence entre les orientations sexuelles et les identités de genre. Loin d’être une pratique malsaine, il sera au service de l’unité nationale. Il nous faudra montrer les aspects positifs de notre culture et valoriser chez


fiction

nous, puis à l’international, le « vodoun » comme une culture africaine et béninoise. Je veillerai également à faire du tourisme un véritable instrument créateur de richesses et d’emplois. Le Musée National de la Mode sera installé à Abomey-Calavi. On y retrouvera les tenues vestimentaires des personnalités importantes du pays et plusieurs défilés nationaux et internationaux s’y tiendront. Les jeunes aspirant au mannequinat ou passionnés de mode pourront s’inspirer de ces tenues. Un Musée de la fierté LGBTQ+ sera également installé à Parakou. Le Bénin disposera bientôt d’une industrie textile avec des créateur-trice-s très performantEs pour nous produire des tissus « made in Benin ». Les cadres n’auront plus à s’habiller en costume-cravate. La Grande École d’Art du Bénin accueillera des artistes en tout genre et accordera des bourses d’études à toute personne désirant se perfectionner. Un comité de professionnelLEs sera responsable de la valorisation et de la promotion de la musique béninoise. La construction d’un grand stade à Bohicon pour les Jeux Olympiques et le réaménagement des routes sont également une priorité dans mon plan d’action. Je m’engage à promouvoir dans nos villes et campagnes une justice indépendante accessible et efficace pour touTEs, ainsi qu’à redynamiser et moderniser l’administration publique au profit des jeunes compétents. Les béninoisES doivent pouvoir circuler librement et de façon sécurisée.

Notre monnaie locale, l’Akwê sera produite à Djougou et sera utilisée pour toutes nos transactions. Le développement d’un pays passe également par la propreté. Nous veillerons donc à ne laisser traîner aucune ordure. Des contrôles seront effectués et le moindre écart sera sanctionné par une amende. Notre pays pourra s’élever au rang de puissance agricole régionale avec une grande capacité de production dans les secteurs de l'agriculture, l’élevage et la pêche. En matière de sécurité, les services de renseignement apporteront désormais leur appui aux forces de sécurité publique et de défense nationale pour assurer la protection des populations. Mesdames, messieurs, chèrEs compatriotes, Comme vous le voyez, le mandat qui débute augure d’heureuses perspectives que je m’engage à transformer en actions concrètes destinées à l’essor du Bénin, au bien-être et à l’épanouissement de nos populations. Je m’engage pour notre pays, pour un nouvel espoir et pour de nouveaux défis. Vive la République! Vive le Bénin! Je vous remercie.

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poésie

47 • June 2017


aujourd’hui à demain PAR MALIX CAMPBELL

Moi aujourd’hui, Je suis un enfant différent des autres, Je suis la honte et la peur de maman et papa Je dois faire attention à ce que je fais et à ce que je dis Moi aujourd’hui, Je ne dois pas me rendre dans certains endroits parce que mes amiEs y vont Je dois me résigner dans le malheur, Parce que je suis née dans un corps qui n’est pas le mien, Moi aujourd’hui, Je pleure chaque soir au coucher et chaque matin au réveil. Parce que chaque journée est une aventure pour moi. Je dois affronter nuit et jours mes camarades d’école et du quartier. Moi demain, Je suis le pilier de maman et papa Je suis la fierté de mes frères et sœurs Je suis la personne sur qui ses camarades comptent pour le travail Je suis l’enfant bénie de mon pays parce que je me suis battue.

Illustration par Rosie Olang

Moi demain, Je me suis battue à cause de leurs moqueries et de leurs humiliations J’ai pris des risques, des risques pour lesquelles j’aurai pu laisser ma peau Je suis partie, partie très loin pour ne pas voir leur visage couvert de honte Moi demain, Je suis arrivée à faire changer les choses pour moi et pour nous Je suis félicitée par toutes et par tous Je suis fière, fière de vous et fière de nous.

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essai

Dolly Ma Brigitta: Mythographie de la poupée queer au Carnaval de Trinité-et-Tobago PAR AMANDA T. MCINTYRE PHOTOS PAR KWAME BOATSWAIN, KELLY-ANN BOBB ET CYNTHIA BETANCOURT 49 • June 2017


J

e suis une femme noire, queer et caribéenne qui doit relever les défis que représente le fait de travailler dans l'arène traditionnellement hétéro-normative et dominée par les hommes qu'est le Carnaval. C'est pourquoi, je m'efforce de faire en sorte que mes performances aient une solidarité féministe queer claire à travers un travail qui subvertit l'oppression systémique continue des populations marginalisées dans les Caraïbes. Je travaille dans le Carnaval de Trinité-et-Tobago depuis un peu plus de dix ans, depuis 2011. Au fil des ans, j'ai utilisé la mascarade Baby Doll dans ma pratique artistique, créant des récits qui explorent les souvenirs communautaires et individuels, les mythes, le folklore, les histoires orales et les nouveaux récits. Baby Doll est une mascarade traditionnelle du Carnaval dans laquelle l'artiste porte une poupée et identifie des spectateurs masculins comme étant le père de l'enfant, tout en demandant scandaleusement un soutien financier. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, cette mascarade était principalement jouée par des hommes dans des spectacles parodiques destinés à ridiculiser les mères célibataires qui avaient des enfants hors mariage et qui ne connaissaient pas la paternité de leurs enfants. En 2020, j'ai créé le personnage Dolly Ma pour incarner mon travail de plaidoyer et d'activisme. En 2021, j’ai divisé la performance pour accueillir deux personnages, Dolly Ma et Dolly Ma Brigitta. Avec ces deux personnages, j'utilise le pluriel Dolly Mas ou Dolly Ma (singulier), Dolly Mas (pluriel) Dolly Mas, une mascarade contemporaine de la Baby Doll qui s'inspire de la mascarade traditionnelle.

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Dolly Mas pour décrire ce travail. Le présent essai explore le personnage de Dolly Ma Brigitta (2021). Dolly Ma Brigitta (2021) est une mascarade transtemporelle réalisée à travers la photographie, le film et le théâtre. La chronologie commence avec Brigette Delamar et Cynthia Betancourt à la fin du XIXe siècle qui expérimentent avec le

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essai

vodou dans le cimetière de Lapeyrouse à Trinité. Lors d'une de leurs tentatives, elles invoquent la déesse Maman Brigitte (une lwa qui agit comme intermédiaire entre les vivants et les morts et qui est la gardienne des cimetières). Celle-ci ouvre un portail et les guide à travers celui-ci. Elle leur permet de passer à d'autres époques, opérant principalement entre les XIXe, XXe et XXIe siècles. À plusieurs reprises au cours de ces voyages, elles sont séparées. Elles font l'expérience du déplacement spatial et temporel lorsqu'elles sont délocalisées dans d'autres lieux et d'autres époques. L'expérience du portail est parfois décrite comme le fait de naviguer dans l'océan, de tomber pardessus bord, de nager à contre-courant, de se noyer et d'échouer sur un autre rivage pour vivre une autre vie. À d'autres moments, c'est comme si l'on grimpait au sommet d'un arbre et que l'on était soulevé et emporté par un grand vent, puis que l'on tombait violemment et que l'on flottait doucement comme une plume jusqu’au sol. Une complication du passage à travers le portail est l'incertitude quant à la forme physique de la/du voyageuse-eur qui émerge de l'autre côté. Le passage change la/e

voyageuse-eur. De l'autre côté, la/e voyageuse-eur peut être d'un sexe différent. Dolly Ma peut être un oiseau Jumbie ou un coq noir. Elle peut être une femme, un homme, une jeune personne, une personne âgée, une poupée. Dans cette œuvre, le genre n'est pas lié à la physicalité mais est plutôt traité comme une performance personnifiée, en solidarité avec les politiques transidentitaires. Cette histoire raconte le voyage d'une femme à travers le temps et l'espace à la recherche de son amante perdue. Au cours de leurs voyages, elles se rencontrent parfois. À un moment, un enfant

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essai

CETTE CEUVRE encourage des discours publics et privés nuancés sur le genre, le sexe et la sexualité dans les Caraïbes. est créé de leur union. La poupée est une entité caméléonesque, un esprit familier et un élément essentiel du vodou de Dolly Ma Brigitta. Mon exploration du vodou a été inspirée par mon mentor et ami Allan Vaughan qui, pendant des années, a représenté les lwas vodou en utilisant la mascarade Moko Jumbie. Il a conçu les costumes et les représentations de Baron Samedi, Mama Brigitte, Baron Cemitere et Baron LaKwa pour son groupe Moko Somokow. Ce travail primé et acclamé par la critique m'a beaucoup influencé en 2020 lorsqu'Alan m'a invité à me produire avec Moko Somokow.

Ce concept s'appuie sur un montage littéraire et une série photographique que j’ai réalisés en 2017 intitulés For Cynthia qui ont été présentés lors de l'inauguration de la Pride Arts Festival à Trinité-etTobago. Ce montage était composé d'une table de lecture, d'un tabouret, d'une valise et d'un journal manuscrit avec des roses qui séchaient au fur et à mesure que le temps d'exposition passait. Les visiteur-ses étaient invitéEs à s'asseoir à la table et à lire le journal. Les photos For Cynthia étaient des représentations éphémères d'une relation amoureuse entre deux femmes. Cette exposition traitait de la façon dont une telle relation pouvait

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essai a commencé à se formaliser en un mouvement social dans les années 1980 et auquel je contribue aujourd'hui en tant que défenseuse et activiste, et à laquelle Dolly Ma et Dolly Ma Brigitta participent également. En 2021, Dolly Ma Brigitta a participé à la Marche des Femmes qui a eu lieu le Lundi de Carnaval dans une performance intitulée Monday Mourning : Cortege (Lundi de Deuil: Cortège). Puis, plus tard dans la journée, elle a dansé lors de l'exposition Once Upon A Fete (Il était une Fête), organisée par Bruce Cayonne. être affectée par la distance et comment l'amour changeait avec le temps. J'ai réutilisé et étendu le concept de For Cynthia pour l'œuvre Dolly Ma Brigitta. Cynthia est l'amante délaissée de Dolly Ma qui avait pris les photos. Brigette Delamar/ Dolly Ma Brigitta est à la recherche de Cynthia. C'est une histoire d'amour et un chagrin vieux de plusieurs siècles. Dolly Ma Brigitta est une intervention féministe queer de femmes noires qui réfléchit sur le passé des Caraïbes, commente ses conflits sociopolitiques actuels et imagine l'avenir des Caraïbes en se concentrant sur les possibilités du Carnaval comme plateforme d'intervention et de justice sociale. L'histoire est explicitement queer et en conversation avec le travail d'autres artistes. En 2021, j'ai invité Nyugen Smith pour une première collaboration. Nous travaillons actuellement sur une installation de film sur les Mas traditionnelles. Cette œuvre croise des thèmes féministes et diasporiques pour défendre les réfugiéEs, les migrantEs et les demandeurSEs d'asile dans une illustration artistique des significations possibles de la séparation, du foyer et de la citoyenneté. Il s'agit de la mise en œuvre de la subjectivité esthétique dans des performances qui engagent une éthique féministe caribéenne intergénérationnelle qui 53 • Février 2022

Cette performance remet en question la construction de la mascarade traditionnelle et propose des suggestions pour son évolution, en tenant compte des mouvements sociopolitiques contemporains dans les Caraïbes. Il était important pour moi de résoudre deux conflits que je trouvais dans la mascarade traditionnelle : la mendicité et la recherche d'un homme. Dolly Ma ne cherche pas un père pour son enfant mais unE partenaire qui peut être présenté comme un homme, une femme ou un esprit. Cette prestation explore la fluidité du genre, du sexe et de la sexualité. De plus, elle travaille sur les complexités de la signification possible du foyer, du déplacement, de l'incarnation et de la dislocation. Je voulais un personnage triomphant, une revanche par le biais de la mas, non seulement pour moi, mais aussi pour les femmes du monde entier et de tous les temps. La mascarade traditionnelle est une construction hétéronormative problématique qui s'appuie sur des stéréotypes de la vie familiale noire : l’abandon et le désintérêt du père à s'occuper de l'enfant au point qu'il doive être pointé du doigt publiquement. Pour résoudre ces conflits dans mon concept, j'ai suspendu l'idée du père, en décentrant l'accent masculin de la performance traditionnelle


essai de la mascarade et en construisant une relation queer qui inclut les transitions de genre et une vie de famille sécurisée. L'œuvre aborde les problèmes psychosociaux de la performance traditionnelle qui, dans une large mesure, n'ont pas été remis en question ou reflétés de manière critique. Cette œuvre remet en question les clichés statiques des femmes noires dans les représentations éphémères des Caraïbes de l'époque victorienne et édouardienne et conteste cet immobilisme à travers une histoire complexe qui n'est pas limitée par les restrictions sociales de ces périodes et qui est capturée par de multiples objectifs photographiques et cinématographiques. L’œuvre

encourage également des discours publics et privés nuancés sur le genre, le sexe et la sexualité dans les Caraïbes. En outre, les discours sur la diaspora mondiale ainsi que les phénomènes de migrations et de déplacements sont utilisés pour développer des thèmes et des discussions sur les mouvements géopolitiques. Ceci est illustré par la relation créative qui existe entre Brigette Delamar et Cynthia Betancourt qui survit à la distance et aux temps changeants, produit un enfant, soutient une famille et défie l'effacement. C'est aussi le développement d'une narration originale et le placement de codes esthétiques dans des installations photographiques et cinématographiques partagées en personne et par le biais de plateformes virtuelles.

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en conversation

Miss

Diva

Un espace artistique, culturel et politique pour la communauté trans* du Togo

UNE CONVERSATION AVEC KYKY DA’SILVEIRA PROPOS RECUEILLIS PAR CLAIRE BA PHOTOS PAR YTV PHOTOGRAPHY

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Q-zine a eu la chance de s’entretenir avec Kyky Da’Silveira, la première gagnante du prestigieux concours Miss Diva, un concours de beauté qui réunit des femmes trans* au Togo. En nous accueillant dans son monde, Kyky Da’Silveira partage non seulement son expérience de cet espace qui est aussi culturel que politique, mais elle nous invite également à imaginer un monde dans lequel l’expression culturelle et artistique des communautés LGBTQIA+ d’Afrique et de la diaspora est libre et célébrée.

Alors qui est Kyky Da’Silveira ? Je suis une activiste togolaise militante des droits humains. Je suis la fondatrice de l’association Big Mama, une association qui promeut le changement face à d’importants obstacles comme la criminalisation du comportement homosexuel et la non-conformité de genre, les arrestations arbitraires, la discrimination, etc. Nous luttons également contre la non-reconnaissance du genre des personnes transgenres, la violence, les restrictions du droit à la liberté d’expression et d’association, le rejet familial et la stigmatisation au sein des communautés.

En 2010, j’ai participé au concours Miss Diva, le premier concours de beauté trans* au Togo et je suis devenue la toute première tête couronnée de ce prestigieux concours pour la communauté. Depuis, je suis l’une des marraines de Miss Diva et à chaque édition, j’accompagne les candidates dans leur préparation. Je suis également la directrice artistique de cet événement.

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en conversation

La première fois que j’ai assisté à un défilé de mode, je devais avoir 6 ou 7 ans. Et je me souviens de l'effervescence, des lumières, des mannequins. Alors je ne peux même pas imaginer l’ambiance de la première édition de Miss Diva. Comment décrirais-tu l’ambiance, les émotions qui étaient présentes ? Magnifique! La première édition était particulière. L’ambiance dans les coulisses était plutôt studieuse mais sur scène, il y avait beaucoup d’émotions. Nous avions enfin un espace qui était le nôtre. Cette soirée était à la fois un beau spectacle pour les spectateurs-trices et une grande épreuve pour les 14 candidates qui étaient venues de part et d’autre de la sous-région; des femmes toutes aussi belles les unes que les autres. Stylistes, coiffeurSEs, poètes, danseurSEs et technicienNEs étaient touTEs présentEs pour jouer leur part. Costumes, musique, chorégraphies, danse contemporaine, tout y était! Les différentes prestations ont rendu hommage à la diversité culturelle, à l’unité et à l’inclusion de toutes les communautés. C’était vraiment une soirée des fiertés!

Un événement comme Miss Diva, ça se prépare comment ? Jusqu’à la dernière seconde, l’effervescence y était. Le casting lancé, l’organisation a passé des mois d’acrobatie pour que le concours puisse avoir lieu. Il a fallu inventer, se réadapter et surtout, ne 57 • Février 2022

jamais baisser les bras. On a retrouvé les cours de catwalk, enseignés par le brillant Gérard (paix à son âme) qui apprenait aux candidates à défiler et pratiquer la fameuse pose tranche… Tout un art ! Il y avait des filles qui n’avaient jamais défilé sur des talons. Il fallait maîtriser les chorégraphies, les


messages de sensibilisation, les quizz de culture générale etc. La préparation était énorme [rires]. Chaque candidate était notée sur sa ponctualité, sa bienséance, son esprit de camaraderie et sa manière de se tenir. Tout ceci était important parce que la jeune femme qui serait élue représenterait la communauté entière. L’ONG Espoir Vie Togo nous prêtait ses locaux pour les entraînements et ceux-ci pouvaient durer des heures. Je ne vous fais pas dire les difficultés pour les organisateurs de réunir des fonds et trouver un espace qui accepterait d’abriter un tel évènement. C’était un vrai challenge.

Qu’est-ce qui a motivé l’organisation de cet évènement ? Qui en est à l’origine ? Je dirais que l'engagement, le besoin de revendiquer pour la reconnaissance sociale d’un groupe stigmatisé par la société faisaient partie des motivations. C’était une manière d’atteindre des objectifs politiques, mais aussi de construire un espace symbolique, un espace culturel loin des préjugés et des comportements hostiles, une affirmation de nos identités, un espace de grande estime de soi. À l’origine de cet espace, l’association Men’s avec à sa tête en ce temps-là, un jeune militant ambitieux, talentueux du nom de Gérard qui malheureusement nous a quitté très tôt. J’en profite pour lui rendre hommage. Je suis sûr qu’il doit être fier du travail que nous, activistes de sa génération, avons pu accomplir.

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en conversation

Qu'est-ce qui t’a le plus marqué durant cette expérience ? La proclamation des résultats! Dans les minutes qui ont précédé mon couronnement, au moment où la présidente du jury devait prononcer le numéro de la gagnante, c’était toute l’assemblée qui criait le numéro du brassard que je portais, et la scène fut vite envahi par le public qui me hissait vers le haut [rires]. Je m'en souviendrai toujours. Pendant cette expérience, il y a eu une évolution. Et je dirais que j'ai beaucoup mûri aussi car on est amené à rencontrer tellement de gens, à côtoyer des personnes de tout âge, des personnes pour qui j’étais devenue un modèle. C'est vrai que c'est une bonne formation pour la vie. Ça nous fait mûrir et évoluer. Et puis, j'ai beaucoup plus confiance en moi. Ce titre à renforcer mon militantisme.

Quel est l’influence de Miss Diva dans la création d’espaces artistiques et culturels de ce type dans la communauté LGBTQIA+ du Togo? C’est vrai qu’il y a d’autres espaces culturels similaires au Togo, au sein de la communauté gay par exemple. Je peux citer en exemple des concours de stylisme, de cuisine, de coiffure, et bien d’autres qui se font au sein de la communauté mais ces événements sont à plus petite échelle. Je pense qu’à ce jour, Miss Diva est l’événement le plus attendu et le plus suivi dans la communauté. Je ne saurais

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Justement, puisque tu fais allusion au futur, quelles sont les perspectives pour Miss Diva ? Quels sont les rêves, les ambitions de ce projet pour Demain?

dire si les autres espaces qui ont émergé depuis ont été influencés par Miss Diva exclusivement, mais il n’en est pas moins que ces espaces existent, et heureusement d’ailleurs! La création d’espaces culturels queer de ce type est importante car elle permet de rassembler les différences, de s’ouvrir à une pluralité d’identités, mais aussi de contribuer à la reconnaissance sociale et artistique des membres de notre communauté. Pour reconnaître la diversité au sein d’une société, il faut d’abord accepter de la voir et de l’entendre, et nous sommes déterminéEs à continuer à faire entendre nos voix. En 11 ans, nous en sommes déjà à la 4ème édition de Miss Diva et on ne peut qu’espérer que ça aille en s’améliorant.

L’une de mes ambitions personnelles pour Miss Diva est que ce concours soit un jour diffusé à la télé et qu’il soit reconnu au même titre que tous les autres événements artistiques et culturels qui ont lieu au Togo. Et pourquoi pas même lui donner une dimension panafricaine?! Mon plus grand rêve serait que Miss Diva devienne un événement annuel qui rassemble des membres de la communauté de toute l’Afrique; que le concours arrive à être délocalisé d’année en année. Ce serait vraiment super! Bien entendu, le contexte social actuel ne le permet pas encore et il y a énormément de travail à faire avant de pouvoir arriver à ce niveau. Mais en attendant, je m’accroche à ce rêve.

Un dernier mot pour nos lectricesteurs ? Bien aiméEs, malgré les douleurs, restons debout. Soyons fortEs. Nous sommes de belles personnes, que nul ne vous fasse croire le contraire. Ne nous isolons pas. Embrassons nos différences malgré le regard des autres; malgré celleux qui, sans aucune légitimité, n'acceptent pas qui nous sommes. Et pour les homophobes, sachez que l'amour triomphe toujours face à l'intolérance! Numéro 14 • 60


poésie

je t’entends

Je vois ton amour

PAR EMMA ONEKEKOU

Je t’entends J’entends tes questions J’entends ton désir de liberté et d’amour J’entends ton désir d’affranchissement Je te vois Je te vois essayant de briser ces chaînes invisibles Je vois la peur te ralentir Je vois au fond de tes yeux cette crainte qu’on te démasque Je vois au fond de toi la peur qu’on te corrige, cette correction inventée pour toi Être humain, semblable à moi, Je t’entends, je te vois. Et si tu me vois et que tu m’entends aussi, alors viens. Plus jamais seulE tu ne seras. Je t’entends J’entends ton besoin d’affirmation J’entends ton besoin de visibilité J’entends ton désir d’expression

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Je suis normale

Je te vois Je vois tes actes En apparence insignifiants Et pourtant le fondement de quelque chose de puissant. Je vois tes gestes, Sous une table, dans l’obscurité d’une pièce. Je vois ton amour, Celui que tu t’interdis de vivre. Je te vois, dans un déni total À la recherche d’une solution

Être humain, semblable à moi, Je t’entends, je te vois. Et si tu me vois et que tu m’entends aussi, alors viens. Plus jamais seulE tu ne seras. Je t’entends J’entends cette petite voix en toi: “Je m’accepte” “Je suis normalE” J’entends un cœur qui bat d’amour pour son semblable. Je te vois Je vois une jupe qui tombe pour laisser place à un pantalon Je vois deux personnes du même sexe se tenir la main dans la rue Je vois des sourires.

Être humain, semblable à moi, Je t’entends, je te vois. Et si tu me vois et que tu m’entends aussi, alors viens. Plus jamais seulE tu ne seras. A travers ton sourire, je t’entends, je te vois A travers tes gestes, je t’entends, je te vois A travers ton expression, je t’entends, je te vois A travers tes mots, je t’entends, je te vois. A travers ces discours de haine et de peur, je t’entends, je te vois A travers ces silences, je t’entends, je te vois A travers ces excès de colère et de rage, je t’entends, je te vois A travers toute cette violence, je t’entends, je te vois Être humain, semblable à moi, Femme, lesbienne, bisexuelle, trans*, queer, nonbinaire, Je t’entends, je te vois. Et si tu me vois et que tu m’entends aussi, alors viens. Plus jamais seulE tu ne seras. Nous sommes une communauté belle et puissante, Notre drapeau arc-en-ciel en est la preuve vivante.

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fiction

Moongirls: La Magie d’un Nouvel Âge et de Nouvelles Déesses AUTRICE ET CRÉATRICE: AKOSUA HANSON ILLUSTRATIONS PAR ANIMAXFYB STUDIOS

Extraits de "Down the Rabbit Hole", chapitre 4, saison 1 de la série Moongirls. Cet extrait est un récit africain fantastique de l'histoire de l'arche de Noé, une réimagination et une réinvention de nouvelles histoires queer. Ce récit réimagine l'avenir en réécrivant les histoires d'hier. Moongirls est une série de romans graphiques queer africains qui explore la philosophie, la spiritualité africaine et le médium du roman graphique pour aborder les problèmes africains d'aujourd'hui, rêver de nouvelles façons d'être et documenter les moments révolutionnaires de changement. Pour en savoir plus sur Moongirls et lire la série de romans graphiques, visitez leur site web

https://moongirls.live/frontpage/

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fiction

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fiction

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Collectif Les Sans-Nom PROPOS RECUEILLIS PAR Q-ZINE PHOTOS PAR WACYL KHA

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Contribuer à l’expression artistique et culturelle queer Burkinabè


Si l'on vous demandait de citer des productions visuelles LGBTQIA+ africaines, vous seriez sûrement en mesure d’en citer quelques-unes. Mais qu’en est-il des productions d’Afrique francophone spécifiquement? Loin d’être impossible, la tâche s’avère néanmoins beaucoup plus ardue. Q-zine a eu le privilège d’échanger avec Les Sans-Nom, un jeune collectif basé au Burkina Faso qui contribue à la construction d’un lendemain où les productions visuelles et artistiques LGBTQIA+ africaines, d’Afrique francophone en particulier, ne sont plus si rares.

Pourriez-vous vous présenter à nos lectrices-teurs? Je m'appelle Emma Onekekou. J’ai deux pays: celui qui me relie à mon cordon ombilical, la Côte d’Ivoire, et mon pays de cœur, le Burkina Faso. Je réside au Burkina Faso actuellement, j’y ai suivi l’amour et j’en suis tombée amoureuse. Je m’identifie comme une femme cisgenre et lesbienne. J’avoue que ces derniers temps, j’ai beaucoup de mal à mettre le terme cisgenre devant « femme » pour parler de moi parce que pour moi,

nous sommes femmes et c’est tout. J’aime aussi préciser que je suis lesbienne parce que pour moi, ça a un caractère politique. J’utilise « elle » comme pronom. Je suis autrice, scénariste et militante LBTQI+. J’ai intégré le collectif parce que je voulais mettre mon savoir artistique au profit de la communauté et parce que pour moi, l’art est aussi un outil puissant d’expression et de valorisation d’une communauté. Je suis Francky Belany, nigéro-burkinabè d’origine tchadienne. Je vis actuellement à Ouagadougou (Burkina Faso). J’utilise « il » comme pronom mais je ne suis ni homme ni femme, et les deux à la fois. Le « il » me fait me sentir moi parce que neutre et non masculin. Je suis toujours à la recherche de mon moi qui n’est pas le moi actuel. Je voulais, à travers mon savoir, faire valoir les droits LGBTQI+. En interprétant un personnage, en dirigeant, en chantant, en dansant et en écrivant, je veux laisser Numéro 14 • 68


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des traces qui impacteront la vision que le monde a de notre communauté.

Comment vous est venue l'idée de créer le Collectif Les Sans-Nom?

Wacyl Kha, je suis franco-algerien-ne basæ au Burkina Faso. J'utilise dans l'idéal le pronom « iel » +acc neutre, mais plus souvent le masculin par simplicité. Je suis à la base scénographe de théâtre, mais aussi illustrateurice. Dans la vidéo, je touche autant à la réalisation, la caméra, le montage qu’au film d'animation. Ce collectif, c'est un peu un rêve pour moi, pouvoir concilier l'art et le militantisme, faire des créations qui peuvent réellement avoir un impact, et surtout, qu'il s'agit de la communauté! Et je fais partie de celleux qui sont là pour rappeler qu'il n'y a pas que les gays et lesbiennes. Il y a d'autres lettres dans LGBTQI+.

L'idée est venue avec Francky Belany et Wacyl Kha qui cohabitaient ensemble et avaient beaucoup de projets ensemble, notamment une résidence d'écriture sur le féminisme et une pièce de théâtre intitulée Poisson Braisé qui porte sur un couple lesbien. Ce sont des sujets qui sont souvent compliqués à aborder ici à Ouagadougou. Iels se sont donc dit qu'en créant un collectif, aussi petit soit-il, iels n'en seraient que plus forte-s. L’idée était que ce collectif puisse porter les revendications qui nous tiennent à cœur, c'est à dire les droits LGBTQI+ et des autres minorités ici en Afrique. Et puis après plusieurs échanges, nous avons partagé l’idée avec Emma qui a tout de

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in conversation

suite accepté de nous rejoindre. Il y a une quatrième membre mais elle aimerait rester anonyme.

Pourquoi avoir choisi ce nom? Il est particulier, il faut se le dire. Nous nous sommes rendu-e-s compte que très peu de personnes, même au sein de la communauté, osent prononcer les mots comme « lesbienne », « homosexuel-le ». Or, ces mots ne sont pas des insultes mais des identités. En refusant de les prononcer, de nous nommer, c'est nous que nous perdons. Nous avons donc décidé de tourner cette

Ces mots ne sont pas des insultes mais des identités

situation à notre avantage en devenant les porteparole des sans-noms, des laissé-e-s-pour-compte, de « celleux qui ne comptent pas ». Parce que nous sommes bel et bien là, et nous entendons revendiquer notre place.

Qui sont les artistes qui composent votre collectif et comment est-ce que d’autres artistes peuvent s’y joindre ? Pour le moment, le collectif est réduit. Il est composé d'une autrice scénariste et militante LBTQI+, d'un scénariste, acteur, metteur en scène, et d'un vidéaste, illustrateurice, technicien. En général, nous collaborons d’abord avec des gens pour voir si nous avons la même approche. La seule condition obligatoire pour être membre du collectif à part entière est de faire partie de la communauté.

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D'où vous est venue l'idée d'utiliser l'art comme outil de militantisme? Nous sommes d’abord des artistes. Mais nous pensons que l'art doit servir une cause. Il semblait naturel de défendre la nôtre, de donner une visibilité à nos histoires, et si possible, d’inspirer d'autres, qu'iels sachent que nous existons et pas seulement en Europe ou en Amériques. Nous sommes convaincu-e-s que l'art a deux fonctions : apaiser les cœurs et sensibiliser. Partout dans le monde et à travers les temps, l'art a été utilisé comme un outil pour communiquer des idées et sensibiliser le public. C’est donc tout naturellement que nous avons allié les deux.

Pouvez-vous nous parler de quelques-unes de vos productions ou de projets en cours ? Notre première production est Poisson Braisé, une pièce de théâtre puissante et poétique sur un couple de femmes africaines qui doivent faire face à la pression sociale. Nous avons aussi collaboré avec d’autres femmes sur une exposition intitulée Elles s'engagent debout ! Nous menons également des ateliers créatifs avec des membres de la communauté ainsi que des projections de films LGBTQI+ africains. Et puis, chacun-e d'entre nous a ses activités précédentes et/ou parallèles de court-métrages, BDs, livres, etc.

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Actuellement dans nos fourneaux, nous avons le long métrage Inbri écrit par Emma Onekekou et co-réalisé par nous trois. Et beaucoup d'autres choses à venir, mais nous n'allons pas gâcher la surprise. Restez à l’écoute!


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Et le futur du Collectif, vous le voyez comment? Pour nous, le futur c’est continuer à mettre notre savoir-faire au service de la communauté, travailler à développer les compétences artistiques des membres de la communauté. Cette communauté regorge de tellement de talents! Donc notre travail sera de créer un cadre d’expression pour tou-te-s ces artistes afin qu’iels puissent émerger. Nous allons continuer à chercher des financements pour faire le plus de productions possible et pourquoi pas, ouvrir un centre culturel LGBTQI+. Les gens ont besoin de se retrouver pour des événements culturels, de s'exprimer, même si la société veut nous faire taire. Nous espérons contribuer à créer un nouveau cadre pour que les membres de la communauté puissent être elleuxmême. Nous voyons d'ors et déjà l’influence que nous avons sur d'autres associations ici à Ouaga.

Enfin, nous espérons pouvoir insuffler une nouvelle vision du militantisme et de comment s'adresser à notre communauté.

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poésie

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imagine un peu demain

Photo par Ruth Lu

PAR RUTH LU

La promesse d’une nouvelle journée, Un prêt de plus offert par la vie, La compatibilité d’âmes contraires, La possibilité de commencer ou recommencer Le bonheur de sauter dans le vide, La joie de pouvoir réessayer, L’opportunité de dire je t’aime Le privilège de se lancer, La force de se lever, Imaginer demain, c’est se dire : Demain pour tout oser.

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fiction

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Dans Mon

Monde

Illustration par Rosie Olang

PAR EMMA ONEKEKOU

Dans mon monde, on s’interroge et dans le vôtre? Dans mon monde on rêve et dans le vôtre? Dans mon monde, le temps s’est arrêté. Et le vôtre, s’arrêtera-t-il un jour? Si non, je vous le souhaite. Cela vous laissera le temps de le façonner, de le réinventer. Vous pourrez le modeler selon votre bon vouloir. Le peindre de toutes les couleurs. L’écrire différemment, Le penser différemment. Que vos mots lui donnent le sens ou l’orientation que vous désirez. Que personne ne vous arrête.

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fiction

La nature dont nous, êtres humains, étions des éléments, avait décidé de laisser vivre une autre partie d’elle-même et nous avait mis en pause. Nous étions pour la première fois forcéEs de nous arrêter, de réfléchir, de repenser le monde, notre vie, notre place dans cette chaîne.

Posée, j’écoutais un podcast. Il faisait beau. Le soleil avait mis ses plus belles parures. Autour de moi, la nature s’invitait dans ces espaces que nous ne pouvions plus occuper. Depuis mon balcon, je voyais la nature sans l’humain. Florissante. Belle. Les animaux libres de circuler. Des oiseaux de toutes sortes faisant leur nid là où bon leur semblait. J’étais dans ce monde mis en pause, essayant de le ré-imaginer, d’imaginer l’Afrique d’après la COVID-19. Je repensais au parc de Ziniaré où vivaient ces animaux mal nourris; ces lions devenus si chétifs qu’on les confondrait avec des chats; ces arbres, habitats naturels d’autres êtres vivants, qu’on abattait sans remords; à une partie des humains qu’on rejetait, humiliait, spoliait sur la base de leur orientation sexuelle, un groupe qui nous offrait pourtant le plus beau de tous les drapeaux, l’arc en ciel. C’était douloureux de rester enfermée, de tourner en rond toute la journée, d’être privée de soleil, d’air frais, de la beauté des espaces. L’envie de voir une exposition, un spectacle, un concert, de m’acheter des livres dans une librairie, était là, mais impossible de la réaliser. 77 • Février 2022

Dans mon monde, on s’interroge et dans le vôtre? Dans mon monde on rêve et dans le vôtre? Dans mon monde, le temps s’est arrêté. Et le vôtre, s’arrêtera-t-il un jour? Si non, je vous le souhaite. Cela vous laissera le temps de le façonner, de le réinventer. Vous pourrez le modeler selon votre bon vouloir. Le peindre de toutes les couleurs. L’écrire différemment, Le penser différemment. Que vos mots lui donnent le sens ou l’orientation que vous désirez. Que personne ne vous arrête. La nature respirait, se montrait à nous sans pollution, elle prenait son bain. Le monde ne s’était pas arrêté. Dans cette chaîne, c’est l’humain qui devait s’arrêter pour repenser le traitement qu’il infligeait à la nature, à lui-même et à ses semblables. La nature nous avait prouvé que nous n’étions pas indispensables. Après tout ça, je libérerai mon chat. Je m’engagerai pour l’écologie, je serai plus respectueuse de la nature et de la vie. J’inviterai l’amour dans ma vie. Et oui, sur ce continent où rien ne semblait aller, nous, femmes lesbiennes, arrivions à nous aimer.


fiction

J’aimais une femme à qui je n’avais jamais révélé mes sentiments. Ma Soyata. Dès que tout ça prendrait fin…Avant de m’engager pour sauver les animaux, la planète, le réchauffement climatique, de sensibiliser sur le respect des différences, je viendrai d’abord t’aimer. Je fusionnerai avec toi. Je puiserai en toi ma force, l’énergie nécessaire pour réécrire ce monde. Je pris un grand bol d’air frais. Je ne me souvenais plus de ce que j’écoutais. Je savais juste que la nature avait juste besoin de faire vivre les autres êtres vivants de la chaîne. Elle nous poussait à réfléchir. Dans mon monde, on s’interroge et dans le vôtre? Dans mon monde on rêve et dans le vôtre? Dans mon monde, le temps s’est arrêté. Et le vôtre, s’arrêtera-t-il un jour? Si non, je vous le souhaite. Cela vous laissera le temps de le façonner, de le réinventer. Vous pourrez le modeler selon votre bon vouloir. Le peindre de toutes les couleurs. L’écrire différemment, Le penser différemment. Que vos mots lui donnent le sens ou l’orientation que vous désirez. Que personne ne vous arrête.

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art visuel fiction

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Oiseau de

Nuit IMAGE ET TEXTE DE WACYL KHA

Oiseau de Nuit représente une femme forte arborant avec fierté ses peintures de guerre. Elle est de celles qui dominent la nuit et transforment vos envies. Elle est l’une de ces femmes que l'on peut prétendre de mauvaise vie sous prétexte qu'elle s'assume pleinement mais son avenir brille. Oiseau de Nuit représente l’espoir que toutes puissent lever la tête et que leur masque ne soit que parures et fiertés.

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Q-ZINE.ORG

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