Livret -Michel Pache

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V ict oire

Je m’appelle Victoire, je viens d’une famille de soyeux Lyonnais et j’ai passé mon enfance dans ce que l’on appelait alors une institution. J’habite aujourd’hui le quartier de la Croix-Rousse à Lyon. Les grandes baies de mon appartement font face à l’esplanade du Gros –Caillou. Je suis avocate. J’aime particulièrement l’équitation et la pratique du Judo. Je passe mon temps libre à dessiner. Je cuisine aussi de nouvelles recettes. Quand mon amie Charlotte que je connais depuis toujours, vient me voir et nous marchons ensemble vers l’esplanade et nous faisions le tour du GrosCaillou. A sa dernière visite, en repartant tard le soir, elle a fait une rencontre qui s’est terminée tragiquement. Un groupe de jeunes, passablement éméché, s’est amusé à la pousser et à la renvoyer de l’un à l’autre. Dans la bousculade, elle est tombée, sa tête a heurté brutalement le caillou. Ses agresseurs se sont enfuis en voyant le sang couler. Elle est restée toute la nuit sans soins et sans secours et on l’a retrouvée morte au petit matin. Quand je pense que j’aurais pu éviter ce drame simplement en l’accompagnant jusqu’à sa voiture. J’ai perdu ce jour-là la personne qui m’étais la plus chère et les remords me poursuivront toujours de l’avoir laissée rentrer seule. Le groscaillou. Elle est morte. Le gros-caillou, encore. Je ne verrais plus Charlotte Le Gros-caillou toujours. Tous les matins je me lève avec ce gros-caillou. Je m’endors aussi, avec. J’imagine ma seule amie la tête contre le rocher, J’imagine sa tête cassée. J’imagine sa terreur. Je ne supporte plus d’avoir ce caillou sous mes yeux en permanence. Quelles que soient les bonnes raisons qui ont fait que ce caillou se trouve ici je vais tout faire pour qu’il soit déplacé. J.L / M.D / P.P


C harlot t e

Ma très chère amie Victoire m’a invitée à partager son repas ce soir, je sais que je vais me régaler, elle est tellement bonne cuisinière. Victoire et Charlotte, les inséparables, nous nous connaissons toutes les deux depuis tellement longtemps. Nous avons passé notre enfance et une bonne partie de notre adolescence dans une institution huppée. Nous n’avions elle et moi ni frère, ni sœur. Nos parents, étaient trop occupés par leurs entreprises, les fins de semaine se passaient souvent à l’institut. Cela nous a beaucoup rapprochées. Je désespère de trouver une place sur le boulevard pour me garer ; j’ai de la chance, une voiture se dégage, je vais pouvoir me mettre là. Le Gros Caillou est entouré d’un jardin, ce qui oblige à aller loin pour stationner. Je profite du calme et des parterres de fleurs. Enfin arrivée, je suis accueillie à bras ouverts comme toujours. On prend l’apéritif sur la terrasse qu’elle a la chance d’avoir grande ; on domine une bonne partie de Lyon. Le soir tombe et l’on voit s’éclairer la ville : une photo à prendre la prochaine fois que je viendrai. Victoire me dit que je vais lui servir de cobaye. Elle s’est essayée à faire des ris de veau comme nous en avions dégusté lors d’une sortie dans une auberge d’Auvergne. Nous commençons par une fraîche salade et le cobaye se régale. Les ris de veau sont à point et la sauce… succulente ! Un met de roi. Pour le dessert, une crème glacée clôt les agapes. J’aide à enlever les couverts et nous nous installons dans ses grands fauteuils pour bavarder, surtout de mode, de couture, de nos histoires de travail, mais pas trop. Elle me dit qu’elle a presque fini la préparation de son voyage en Grèce. Elle a réussi à fermer son cabinet pour un mois entre septembre et octobre. Je l’envie car nous avions projeté de le faire ensemble, mais ce n’est pas possible pour moi. Le temps passe vite, comme toujours lorsque nous sommes ensemble. Il se fait tard, et bien que demain soit dimanche, il est sage pour moi de rentrer. Une chaleureuse embrassade et un dernier signe de la main, je vais chercher ma voiture. Le jardin n’est pas aussi calme que tout à l’heure, un groupe de jeunes garçons et filles rient, crient et s’agitent. L’un d’eux s’approche de moi : il me paraît assez aviné et je n’aime pas ça. Après avoir tenu quelques propos graveleux sur mon anatomie, il me réclame une cigarette que je lui refuse puisque je ne fume pas. Cela le met en colère, il me bouscule, puis les autres s’en mêlent et je chute lourdement sur le Gros Caillou. Aïe, ma tête ! Je ne peux plus me relever. Les lumières tournent à une vitesse folle et puis s’éteignent. Qu’est-ce qui m’arrive ? Je n’entends plus rien. Est-ce que quelqu’un va m’aider ? J’entends comme dans un rêve Victoire qui appelle au secours, et puis plus rien… Un grand tunnel noir et au bout, une lumière éblouissante. Je suis bien… P.P


Sylvie

Je m’appelle Sylvie, mes parents ont choisi ce prénom qui signifie « Forêt » en latin, en effet, ils sont très attachés à la nature. Je crois bien que j’ai hérité de cette passion. Je comprends mieux pourquoi je suis tellement heureuse quand je marche sur les chemins, au bord de la mer, dans la forêt … Je suis née dans un mas au cœur d’une manade entourée de taureaux. J’étais heureuse dans cette maison, elle ressemble à une hacienda avec ses grands murs blancs, une cour intérieure, et des bâtiments en U qui comprenaient l’habitation et les écuries. Au-dessus le grenier à foin j’adorais y jouer, petite à faire des galipettes .Le toit à 2 pentes en tuiles romaines. Avec mes frères, nous vivions toujours dehors, nous allions voir galoper les chevaux dans les marais, nous courions dans les dunes, la nature était notre terrain de jeux, c’est là que j’ai appris à l’aimer. Je n’allais pas encore à l’école que je savais presque monter sur un cheval. Je les aimais ces chevaux sauvages avec leur belle crinière blanche. J’admirais mon papa et les hommes qui travaillaient avec lui, tellement habiles pour les dresser et ensuite guider les taureaux dans nos grands enclos. je n’ai jamais eu peur des taureaux. Un jour, alors petite fille, je suis allée voir une corrida, avec ma copine d’école Hélène. Ce fut très dur pour toutes les deux, ce sang qui gicle sous les coups des picadors, puis du toréro, jusqu’à sa mise à mort. C’est insoutenable, quelle horreur ! A mon retour, j’ai tellement pleuré que mon papa m’a promis que nos taureaux ne seraient plus jamais destinés à la corrida ! Et puis, j’ai grandi et même ces grands espaces me paraissaient trop étroits, mon horizon c’était le monde, mes compagnons ou plutôt mes compagnes étaient les femmes des manadiers ou les cultivatrices dans nos grandes propriétés ! Ma vie ne pouvait se résumer à élever les enfants tenir la maison, préparer les repas… être là, pour accueillir les hommes qui auront passés leur journée à chevaucher ou à cultiver la terre. Rien ne m’empêcherait de mener une vie différente des autres femmes, il m’a fallu des années pour réaliser ce rêve ! À vingt ans, J’étais la plus grande, les hommes remarquaient mes longs cheveux blonds comme les blés, tellement différents des autres femmes, même mes yeux clairs me différenciaient. Mes amies goutaient peu les grands espaces que chevauchaient les hommes, attachées à la maison, la cuisine, les enfants. Cette vie-là, je n’en voulais pas. Un jour j’ai vu arriver des commerciaux dans leur 4x4 qui voulaient nous vendre les engrais chimiques et les hommes prêts à accepter. Dès qu’ils sont repartis j’ai dit à mon père que je n’accepterais jamais d’utiliser ces engrais nocifs pour l’environnement .J’ai décidé que le moment était venu pour moi de partir, aller apprendre ailleurs et revenir


plus instruite. Ma meilleure amie Hélène, la seule qui semblait partager mon besoin d’indépendance, me propose alors de venir avec moi. Elle a lu qu’à l’autre bout du monde, des hommes cultivent le riz et le sel alors qu’ils ne connaissent pas les engrais chimiques. Elle ne se souvient plus de quel pays il s’agit. Nous décidons de nous mettre en recherche. M.P.J

L éa

Ma chère grand-mère, C'est à toi que j'écris aujourd'hui, toi que je choisis sans hésitation comme le référent de la famille. J'ai pris une décision importante après avoir beaucoup tergiversé, pesé le pour et le contre. Je sais que la pilule sera difficile à avaler, surtout pour mes parents qui ne s'attendent pas à ce choix. Mais tu les connais aussi bien que moi. Maman n'a d'yeux que pour le garçon de la famille, dont elle vante toutes les décisions et toutes les réussites réelles ou supposées, en lui prêtant des mérites qu'il serait sans doute le premier surpris d'apprendre. Alors que moi je ne suis toujours à ses yeux qu'une petite fille de dix ans, incapable de prendre seule une décision – incapable de quoi que ce soit d'ailleurs. Elle a déjà si mal toléré que je m'éloigne à 200 kilomètres de la maison pour m'inscrire à l'université. Elle me rêve près d'elle, dévouée, pour soigner ses vieux jours. Alors que si Éric, qui a pourtant cinq ans de moins que moi, lui annonçait qu'il part en Antarctique, elle serait ravie d'avoir un fils explorateur !! A ce frère d'ailleurs je n'ai jamais vraiment parlé ni confié quoi que ce soit... J'ai bien Aline, ma sœur aînée, à qui je pourrais faire des confidences, mais elle est tellement prise par ses trois enfants qu'elle s'est totalement repliée sur son cocon familial et ne voit le monde extérieur que comme potentiellement dangereux pour sa progéniture. Je ne peux pas approcher mes neveux sans subir une série de mises en garde. Que pourrais-je confier à cette sœur « overbookée » ? Mes soucis d'avenir sont nettement moins importants à ses yeux que l'apprentissage du pot pour le petit dernier. Tout comme avec Eric, je n'ai avec Aline que peu de contacts, un coup de fil une ou deux fois par an, quand ils se trompent de numéro. Et, à côté de cette fratrie de dingues, surmâle d'un côté et poule couveuse de l'autre, j'ai papa qui, lui, se tait. C'est là sa fonction principale au sein de la famille : il se tait. Toute question que je lui pose ou toute demande de conseil se termine immanquablement par un : « Demande à ta mère » !, aujourd'hui comme quand j'avais cinq ans. Mais ce n'est pas pour faire le portrait de la famille que je t'écris.


Si je m'adresse à toi aujourd'hui, ma chère grand-mère, c'est parce que je sais qu'en toi je peux avoir toute confiance et que je peux compter sur ton appui. Comme je te l'ai déjà dit, j'ai pris une décision majeure dont mon avenir dépend, une décision que je ne peux pas apprendre de but en blanc à mes parents. Je compte donc sur toi, dès que tu verras maman, pour lui annoncer ce que je ne peux pas, moi, lui annoncer frontalement sans subir une crise de larmes programmée qui provoquera immanquablement une dispute destinée à me culpabiliser. Mais je devine que te voilà inquiète. Rassure-toi. Il n'y a là que du positif : j'ai décidé de partir à l'étranger pour y poursuivre mes études, aux U.S.A. Précisément. Tu sais qu'en juin je passe mon diplôme, un master de psychologie, que j'espère avoir avec mention, ce qui donnera plus de poids à mon dossier. Et j'ai appris que là-bas des formations particulières et très spécialisées étaient offertes aux diplômés de cette spécialité, avec débouchés en entreprises ou possibilité d'ouvrir un cabinet privé. Autant d'opportunités qui n'existent pas en France. Ma décision est donc prise. J'ai fait ma demande pour intégrer une université en Californie et j'ai été acceptée. J'ai renvoyé mon dossier d'inscription sans hésitation par retour du courrier. Ma chère grand-mère, je sais que toi tu me comprendras. Aujourd'hui, grâce aux nouvelles technologies nous ne serons pas plus éloignées l'une de l'autre que nous le sommes actuellement : il y a internet et les webcams ! J'ai appris que tu prenais des cours d'initiation à internet dans ton quartier. Une raison de plus pour persévérer ! Et puis ! Aux vacances d'été je reviendrai en France et je passerai quelques jours chez toi ! Toute l'année je vais attendre avec impatience de retrouver ta maison en pleine campagne avec ce grand jardin aux arbres centenaires où j'aimais déjà tellement jouer quand j'étais petite, en vacances chez vous. Nous nous assiérons à nouveau toutes les deux à l'ombre du grand chêne, chacune avec son livre, et nous ne rentrerons que quand le soleil sera trop bas pour distinguer les lettres sur les pages, comme nous faisions autrefois ! En attendant, je pars en septembre prochain. Souhaite-moi bonne chance, j'en aurai besoin. Je t'espère en bonne santé et je t'embrasse bien tendrement B.D.M


A ndréa

Léa se détourna furieuse de son écran d'ordinateur. Qu'est ce qui lui prenait à cet imbécile de Dave ? Andrea ne lui avait jamais menti pourtant ! Elle avait horreur du mensonge. Ce qui lui avait déjà joué de mauvais tour quelque fois. « Trop directe, trop franche », c'est ce que son directeur de thèse lui avait dit, 14 ans plus tôt, quand elle avait entrepris son doctorat. « Si vous voulez faire carrière, et je pense que vous le pouvez, il faudra non seulement les diplômes, doctorat et post-doctorat, mais il faudra aussi la volonté, la ruse et un peu de diplomatie. Sinon, vous serez toujours dans un obscur labo de recherche le jour de vos 40 ans » Ça il n'en était pas question pour Andréa. Elle avait trop vu son père souffrir toute sa vie de n'être qu'un modeste employé brimé en permanence par un petit sous-chef merdeux et lunatique ! Andréa serait beaucoup plus que cela. Elle en avait les capacités, elle avait toujours été une élève brillante et surtout, elle avait la volonté et l'ambition. Une volonté farouche qui en avait d'abord fait une élève solitaire, peu aimée de ses condisciples, puis une jeune chercheuse crainte de ses collègues pour sa détermination à réussir à tout prix. Réussir à tout prix mais pas par n'importe quel moyen. Elle n'avait jamais caché son ambition aux autres, ni chercher à évincer un collègue par des moyens douteux ou peu orthodoxes comme certains n'hésitaient pas à le faire. Andréa fonçait droit vers son objectif, avec une capacité de travail qui faisait peur même à des collègues plus jeunes qu'elle. Elle ne dormait que 5 heures par nuit ce qui lui laissait plus de temps que bon nombre de ses collègues pour se consacrer à sa recherche. Au fil des années, Andréa était devenue une véritable tête pensante dans son domaine de prédilection, une spécialiste mondiale en biotechnologie végétale qui à 39 ans était enfin à la tête de sa propre unité de recherche, qui avait déjà publié plusieurs articles dans des magazines scientifiques renommés et qui était régulièrement demandée pour des conférences internationales. Andréa se souvenait de sa première conférence à Chicago ; 2 ans après son post-doctorat qu'elle avait brillamment terminé à l'Université de San Francisco. C'était une première ! Une jeune chercheuse, Andréa avait 31 ans alors, qui avait déjà publié un article ayant fait grand bruit dans ce petit monde fermé de la recherche. Un magazine un peu accrocheur avait même titré « Une tête pensante dans une belle carrosserie » Andréa avait grincé. Elle savait bien qu’elle attirait le regard même si pour elle la chose n'avait pas beaucoup d'importance. Son père l'avait, depuis ses 15 ans, surnommée « ma belle plante » et c'est ce qu'Andréa était. Une belle femme d'un mètre 70 à la démarche assurée, au regard droit, qui mettait parfois les hommes mal à l'aise ou au contraire les attiraient. Andréa n'était pas insensible au charme de certains. Il lui était


arrivé de dire oui, pour une nuit ou même pour quelques mois mais elle n'avait jamais envisagé de se lier durablement avec aucun homme. Le mariage n'était pas pour elle. Andréa aimait trop sa liberté et son indépendance. Quand elle avait croisé Dave au bar de l'hôtel à Chicago, elle avait d'abord vu en lui son double masculin. Un jeune chercheur de 33 ans, déjà bien placé dans son domaine de recherche, ambitieux et direct comme elle. Ils s'étaient vite compris, avaient parlé recherche toute la soirée et avaient tout naturellement terminé la nuit ensemble...et les 2 suivantes aussi. Puis, chacun était rentré chez lui non sans avoir échangé adresse, mail et téléphone. Ce n'était pas qu'une aventure sentimentale, c'étaient deux brillants chercheurs sur une même longueur d'onde. Ils étaient restés en contact, avaient échangé régulièrement des infos sur leur travail respectif. Six semaines après la conférence, Andréa avait eu des nausées. Elle avait consulté et appris qu'elle attendait un enfant. Elle avait réfléchi, pensé qu'un enfant pourrait être un plus dans sa vie, décidé qu'elle pouvait faire face à tout et informé Dave de sa décision de le garder. Elle ne lui avait rien demandé et Dave l'avait bien compris. La situation lui convenait. Il était prêt lui aussi pour un enfant mais pas pour une vie familiale. Léo était né un jour de septembre. Dave avait fait le voyage et reconnu l'enfant, puis la vie s'était organisée. Dave et Andréa avaient repris leur travail et leur vie chacun de leur côté. Au fil des années, Léo avait grandi, partageant sa vie quotidienne avec sa mère, les vacances avec son père. Quand Dave venait en Europe pour son travail, il ne manquait jamais de passer voir Léo et Léo adorait ces vacances qu'il passait auprès de son père dans la grande villa aux abords de San Diego. L'enfant avait vite compris que ses parents étaient différents de la majorité des parents de ses copains. Certains matins, Léo croisait dans la maison qu'il partageait avec sa mère, un homme quelque peu déshabillé, les cheveux hirsutes et qui, en général, cherchait à faire fonctionner la machine à café dans la cuisine ou encore, se demandait devant les 3 portes du couloir, où pouvait bien se trouver la salle de bain. Léo savait depuis longtemps qu'il ne fallait poser aucune question, juste être un gentil petit garçon et que l'homme en question disparaîtrait de son quotidien quelques jours ou au plus quelques mois après son apparition dans la maison. Andréa relut à nouveau le mail qui s'affichait sur son ordinateur. Pour qui Dave la prenait-il? Cela ne se passerait pas comme ça ! Dave avait commencé à changer depuis qu'il avait rencontré Susan, il y avait un peu plus de 2 ans. Andréa avait vu son comportement se modifier.


Il était toujours un brillant chercheur mais Susan avait peu à peu tourné son ambition vers un schéma de vie beaucoup plus classique. Dave et elle s’étaient fiancés il y avait 6 mois et leur mariage était prévu pour le mois prochain. Pour Susan, Dave était le parti idéal ; la seule ombre au tableau était Léo et sa maman. Et voici qu'il lui envoyait maintenant ce mail incroyable ! Il se proposait tout simplement de ne pas lui renvoyer Léo à la fin des vacances. Lui et Susan partait s'installer près de San Francisco après leur mariage. Dave avait décroché un très beau poste à l'Université de San Francisco, Susan ne travaillerait plus et pourrait s'occuper de Léo. Le petit garçon aurait enfin une structure familiale convenant à un enfant de son âge. Andréa vit rouge ! Le mail de Dave ne le disait pas explicitement mais il lui reprochait en fait sa façon de vivre, son indépendance, sa liberté et son ambition professionnelle que Susan jugeait si peu féminine. Mais Dave avait mal mesuré la détermination et les ressources d'Andréa. Puisqu'il voulait la guerre, il l'aurait ! Il avait oublié qu'Andréa était une brillante chercheuse dont la réputation n'était plus à faire. Elle avait publié bien plus d'articles spécialisés dans de prestigieux magazines scientifiques que lui et puis, c'était à l'Université de San Francisco qu'Andréa avait réussi avec brio son post-doctorat. L’Université se souvenait encore de son passage comme en témoignaient les nombreux contacts qu'Andréa avait gardés avec l'établissement. Elle se savait appréciée par de nombreux chercheurs et enseignants de l'Université. Dave ne savait pas ce qu'il faisait. Puisqu'il s'attaquait à ce qu'elle avait de plus précieux, Andréa lui rendrait la pareille ! Il ne lui faudrait pas plus de 2 mois pour réduire à néant la réputation de Dave comme chercheur...et elle récupérerait Léo haut la main .Dave venait de signer l'arrêt de mort de sa carrière ! E.L.


J uliana

Mes amis Aujourd’hui est un grand jour pour moi. Vous êtes mes amis et j’ai décidé de partager avec vous une partie de ma vie que peu de personnes connaissent. Toutes ces années, vous m’avez appelé Juliana sans problème et pour vous il n’y avait aucun doute. Il suffit de peu (mais c’est beaucoup) pour changer un prénom. Mon enfance a été heureuse mais cette innocence a été troublée. A mesure que je grandissais, je me rendais compte que je préférais les habits des filles et que je me sentais plus à l’aise avec des jouets de filles. Grandir ne changeait rien. J’ai la certitude à l’âge adulte d’être étranger au monde des mâles, étranger au corps que je voyais dans le miroir. Dans ma tête, j’étais une femme. Le monde entier me voyait comme un homme, j’étais mal à l’aise, malheureux, je me sentais écartelé entre deux mondes, celui des femmes dans lequel je ne pouvais pas être reconnue et celui des hommes dans lequel je ne me reconnaissais pas. Cela devenait insupportable, il fallait que je choisisse un monde dans lequel vivre. Un jour, j’ai décidé. J’ai décidé de changer ma vie. Cette décision se ferait au prix d’énormes transformations physiques bien sûr, mais aussi psychologiques. Il y a d’abord eu les entretiens avec des psys, puis des prises d’hormones et encore les opérations, beaucoup d’opérations. Il aura fallu cinq ans pour arriver à Juliana; cinq ans pour ajouter à mon premier prénom cette lettre a. Ce quelque chose qui semble sur papier prendre si peu de place a été pour moi un parcours long, périlleux, douloureux aussi. Mais je ne regrette rien. A présent, je suis en accord entre mon intérieur et mon extérieur et je peux vivre dans ce monde comme je voulais qu’il me voie. Voilà mes amis, mon masque est jeté et je suis libre enfin je reste un peu stressée en attendant vos réactions. Je vous embrasse tous, votre amie Juliana A.B


Y gerne

Chère Livia, Tu seras sûrement surprise en recevant ma lettre. D'abord parce qu'on ne s'écrit jamais. Tu te diras certainement « Tiens, pourquoi Ygerne m'envoie-t-elle une lettre ? C'est un peu tard pour une carte de vœux ! » C'est vrai que d'habitude, on s'envoie plutôt des mails ou alors j'aurais pu te téléphoner. Mais là, non ! Ça fait deux semaines que je tourne le truc dans ma tête et je ne sais toujours pas bien comment en parler. Les nouvelles technologies, c’est bien mais il restera toujours des choses pour lesquelles le papier est irremplaçable. Oui, je sais ! Je vois déjà ton étonnement en lisant cela. « Voilà ma petite Ygerne devenue bien sérieuse ! » , tu dois te dire. Je te devine inquiète, toi qui me connais si bien et depuis si longtemps. Tu dois croire à un incident, un souci de santé ou encore que j'ai enfin quitté ce boulot qui ne m'intéresse plus. Mais, je te rassure tout de suite. Rien de tout cela. Je vais très bien. J'en ai toujours marre de mon boulot mais j'y suis toujours malheureusement. Voilà, il s'agit de tout autre chose. J'ai 32 ans. « Ce n'est pas la fin du monde », diras-tu ! Je sais mais je ne veux pas que tout s'arrête comme ça. Je veux qu'il y ait quelque chose après moi. Je veux un enfant et je veux que Johan soit le père ! Mais je ne sais pas du tout s'il peut avoir le même désir que moi. Il y a 5 ans que nous nous connaissons et nous n'en n'avons jamais discuté. On est bien ensemble mais on est aussi très indépendants tous les deux. Et je veux quelque chose de très difficile, vois-tu. Je veux un enfant de Johan, je veux qu'il s'en occupe comme un vrai père mais je veux aussi que nous gardions chacun notre indépendance. Je n'ai jamais été une fille très simple, tu le sais bien ! Alors, tu vois, là, je ne sais vraiment pas comment lui expliquer tout cela. Si tu m'aidais un tout petit peu ? Je t'embrasse. Ygerne E.L


Samira

Mes chers parents, Quand on vous lira cette lettre, je serai déjà loin du village. Vous allez penser que j’ai perdu l’esprit, mais ce n’est pas le cas. Je sais que vous aviez pour projet de me marier au fils du vos amis, mais moi j’ai rêvé d’autre chose et j’ai décidé de partir en France. L’infirmière qui travaillait au dispensaire et que j’allais voir souvent m’a aidée à obtenir du papier en règle et du travail. J suis attendue dans une famille pour m’occuper des enfants. Cette infirmière rentre dans son pays, son séjour chez nous étant terminé. Elle m’accompagnera pour le voyage. Ce sera un grand changement pour moi, je le sais. Vous quitter tous me fait de la peine, mais c’est ma vie. Je ne pars pas pour toujours, je vous promets de revenir. Pardonnez-moi. Votre fille qui vous aime. Raguna, le 2 décembre 1999 Lettre rédigée par l’écrivain public de xxx pour Samira P.P

Ma petite sœur,

Maria

Je ne t’ai pas donné des nouvelles depuis longtemps, pourtant tu me manques. Ce que nous avons vécu enfants me revient souvent en mémoire, les heures passées à jouer avec les poupées tellement belles confectionnées par papa, Tu préférais celle qui avait des yeux bleus ! Et puis tous ces chemins parcourus pour accompagner le bétail, et aussi quand il fallait marcher sous tous les temps pour aller à l’école. Tous ces souvenirs me reviennent en mémoire. Te souviens-tu cet après-midi à la veille des vacances où nous avons dansé dansé pour savoir qui gagnerait le jeu de la tomate ? C’est Isabel qui avait gagné ! Et puis quand nous aidions les parents à la ferme, tondre les lamas au printemps, même qu’un jour l’un d’eux s’était échappé de l’enclos… quelle course pour le rattraper ! Et gratter la terre pour ramasser les pommes de terre à en avoir les ongles rongés! Les fêtes étaient là heureusement, nous passions des heures à confectionner nos costumes, et le jour où on a rencontré Pablo, c’était le plus beau avec son poncho rouge et son super panama. Tout cela est loin aujourd’hui, le travail est tellement exigeant ! Après que tu sois partie, j’ai continué seule avec Pablo ce que nous faisions


ensemble. Tu imagines bien ce travail épuisant, d’autant plus que nous sommes sur les hauteurs. Se lever alors qu’il fait encore nuit, donner à manger aux animaux, préparer les enfants pour l’école. Leur trajet est le même que celui que nous parcourions, rien n’a vraiment changé ! Quand la neige est là, ils restent avec moi. Ensuite nous devons aller aux champs jusqu’au soir et à la veillée, il me faut tisser et tisser encore. Tout ce travail pour vivre pauvrement, sans savoir quel avenir nous offrirons à nos enfants ! Parfois je me demande combien d’années mon cœur va résister ? Tu connais bien cela, toi, tu as franchi le pas, tu as su partir rejoindre Pedro à la ville. Je suis heureuse que son travail soit prospère. C’est vrai que tout le monde a besoin de chaussures tellement il nous faut marcher. Et puis je sais que ton mari travaille bien. Pour moi, tu as un peu ouvert la voie. De mon côté, j’essaye de convaincre Pablo que notre vie est trop dure et pourrait être meilleure près de toi à Quito. Pour les enfants qui grandissent la scolarité serait plus facile également. Pablo sait tout faire de ses mains, je suis sûre qu’il saurait se faire une place comme artisan et moi je peux être à ses côtés ou l’aider, ou bien tisser et vendre le produit de mon travail. Hier, J’ai été très surprise quand il m’a dit qu’il voulait bien réfléchir à tout cela. Il veut bien également que je vienne te voir le mois prochain durant les vacances des enfants. Si tu acceptais de m’accueillir quelques jours, j’en serais tellement heureuse ! Nous pourrions échanger, tu verrais comment les petites ont grandi. Et puis, avec Pedro et toi, je pourrais réfléchir à notre avenir et peut-être inciter Pablo à tenter cette aventure. Rien n’est joué et je sais bien que mon idée n’est pas évidente à réaliser, mais ma vie aujourd’hui est vraiment trop dure pour les enfants et pour moi. J’attends de tes nouvelles et t’embrasse fort, Ta sœur qui t’aime, Maria Le 29 janvier 2014 M.P.J


Marie

Ma chère maman, Avec ton travail très prenant nous n’avons pas toujours le temps de parler de choses sérieuses. Je voulais que tu saches que j’ai décidé de faire les démarches nécessaires pour faire don de mon corps à la science. Je vais t’expliquer en quelques phrases mes motivations. Je sais que dans la famille, on a le culte du cimetière, qu’on a l’habitude d’aller se recueillir sur les tombes de nos défunts. Mais moi je ne supporte plus ces dimanches après-midi passés en promenade au cimetière, à porter des fleurs sur la tombe de papy Louis. Et donc, je ne veux pas que mes futurs enfants et petits-enfants subissent ce genre de choses quand je disparaitrais. Et il y a la maladie d’Alzheimer de mamie Coco, pour laquelle il n’existe pas vraiment de traitements, et qui nécessite encore de grandes recherches médicales, la science a besoin de travailler sur du concret. Je sais que quand on parle de recherches sur des corps humains, on pense tout de suite à d’horribles scènes de découpages sanglants ou aux plaisanteries des internes en salle de garde. Mais les temps ont changé, je me suis renseignée, la faculté des sciences impose des règles strictes pour la manipulation des corps mis à sa disposition, et ceux-ci sont utilisés dans le plus grand respect de l’être humain. Tu te souviens quand Papa a eu son grave accident de moto, tu t’es posée la question du don d’organe en cas de malheur. De nos jours le don d’organe est bien entré dans les mœurs et la majorité des gens sont pour. Moi je considère que le don de corps est une manière d’anticiper, de donner la possibilité aux chercheurs de s’exercer dans le réel. J’espère, ma chère maman, que tu ne seras pas trop choquée par ma décision. Je t’embrasse très fort, Ta petite Marie M.D


Demet er

Terre, 13 septembre 2044, 13 h 28 « Nous interrompons notre programme pour vous faire part de l’important communiqué qui nous parvient à l’instant même du consortium Santomon.» Apparaît alors sur les écrans géants un visage féminin, fatigué mais digne, aux traits incisifs, qui parle d’une voix posée : « Je me nomme Déméter. Je suis à la tête du consortium d’hydrologie Santomon, cette entreprise de renommée mondiale qui fournit de l’eau douce à toute la planète depuis que s’est produit le réchauffement climatique prédit par nos scientifiques. L’augmentation de la température globale a suffi à faire dangereusement baisser les ressources en eau douce naturelle de la planète. Des essais ont été tentés pour adoucir l’eau des océans, mais sans grand succès, et cette voie a vite été abandonnée. La situation était devenue critique, quand la découverte du processus de fabrication de l’eau artificielle a sauvé la Terre d’une catastrophe programmée. C’est cette découverte, dont Santomon détient le brevet, qui permet aujourd’hui la production à échelle mondiale de cette source de vie indispensable. » « Mais ce n’est pas à moi seule que revient le mérite de cette invention capitale. Car dans ces recherches longues et exigeantes, ma fille Perséphone a joué un rôle capital. » « Or », --- les écrans se sont brouillés. La voix vibre légèrement--- « ma fille a aujourd’hui disparu, enlevée par un homme qui se prétend son père. Cet homme se nomme Hadès. Sous prétexte d’opposition au gouvernement de son pays, il a pris le commandement d’une bande de rebelles qui se livrent à des activités terroristes. Il vit sous terre, dans des cavernes, comme un sauvage, pour se cacher après ses méfaits. Et c’est là sans doute qu’il a entraîné ma fille. » « C’est donc une mère en détresse qui aujourd’hui lance un appel aux gouvernements du monde entier, mais aussi au simple citoyen susceptible d’apporter un indice, même minime. Retrouvez ma fille, et au plus vite ! Car, sans son aide précieuse, je serais dans l’obligation d’interrompre les activités de Santomon. Conscients des conséquences prévisibles, je suis persuadée que vous mettrez tout en œuvre pour que ma fille me soit rapidement rendue. » « Je vous remercie de votre attention » B.D.M


L éa

C’est une femme encore jeune, la cinquantaine peut-être. Elle a les cheveux blonds, mi- longs, parsemés de fils d’argent .Ses yeux verts, ourlés de longs cils lui donnent un petit air nordique, alors que depuis des générations sa famille vit dans le sud .Son front est large, ses pommettes hautes, sa bouche un peu large s’ouvre sur une rangée de dents légèrement écartées. Derrière son regard qui brille on devine un sourire toujours prêt à poindre .Il se dégage d’elle une impression de bienveillance mais aussi de détermination Chaque matin avant de se rendre à son travail elle fait une longue marche sur les rives du fleuve : verra –t-elle les castors aujourd’hui ? Avec son père elle a appris à aimer la nature, à parcourir les bois en guettant la sauvagine, à admirer les champs de blé piquetés de coquelicots et de bleuets Aussi lorsque le temps est venu de choisir un métier c’est tout naturellement qu’elle s’est dirigée vers l’agronomie et les sciences de l’environnement Elle a mis à profit ses années d’études pour parcourir les régions de France, comparer les modes de production, répertorier les différences climatiques. Après toutes ces années elle a intégré un poste de chercheuse dans un institut qui travaille à l’amélioration des plantes, à la sauvegarde des variétés anciennes qui seront les bases de croisements à venir. La disparition des abeilles la préoccupe, il est urgent de réduire l’utilisation des pesticides et de développer la culture biologique Dans un coin de garrigue odorante, elle a eu un coup de cœur pour une vieille ferme laissée à l’abandon. Elle l’a achetée rapidement nullement rebutée par les travaux importants à faire .Tous ses amis se sont mobilisées pour l’aider ; et bien souvent les journées se terminaient par de longues discussions autour d’un plantureux repas ou chacun avait mis la main à la pâte Le pastis rafraichi par l’eau du puits alimentait la bonne humeur. Tous ses copains sont comme elle écologistes et sont engagés dans des associations qui luttent pour l’autosuffisance alimentaire des pays en voie de développement. Depuis quelques temps elle rencontre des agriculteurs qui se plaignent de la diminution de leurs revenus, de la difficulté à faire vivre leur famille. Leurs fruits et légumes ne se vendent plus face à la concurrence des pays voisins qui pratiquent une culture intensive et octroient des salaires inférieurs à ceux pratiqués chez eux .Que de désespoir devant ces arbres fruitiers arrachés. Puisque les cultures ne sont plus rentables les agriculteurs louent leurs terres à des sociétés productrices d’électricité qui implantent quantité de panneaux photo voltaïques. Adieu champs de légumes verdoyants, blés dorés .Chaque jour cet étendu inerte de miroirs bleutés grignote goulument quelques hectares


supplémentaires Le monde moderne toujours plus avide d’énergie dénature sa campagne .Elle se sent incapable d’enrayer ce désastre Plus le temps passe plus elle se sent inutile .Pourquoi poursuivre des recherches si elles ne sont pas appliquées. Les discussions avec les amis sont âpres et désabusées Il lui faut réagir; Elle a assisté à une conférence sur l’Afrique et elle a vu que l’on enseignait aux enfants dans les écoles la façon de cultiver des légumes. Elle pourrait mettre à profit son savoir-faire et ses connaissances dans le choix des graines les mieux adaptées au climat. Sa décision est prise elle partira .Le Burkina Faso lui plait Demain elle prendra contact avec cette association qu’elle connait bien S.P


Lyon, le 12 février 2014

Margot

Je m’appelle Margot, j’ai 17 ans et ce soir je suis complètement désœuvrée. J’erre entre le boulevard et la Place de la Croix Rousse détrempés par l’orage de cet après-midi. Je n’ai plus d’argent de poche, et cette situation risque de durer, en effet mes parents ont quelques difficultés financières en ce moment. Mon petit copain me dit par texto qu’il va boire un coup avec son ami Charlie à la Brasserie des Ecoles. Mon chéri c’est Jim, enfin c’est sa bande de copain qui l’a surnommé ainsi, parce qu’il n’aime pas son vrai prénom. C’est vrai que Jean-Marie, ça fait un peu vieux. Alors, ils ont fait une sorte de contraction JM- JIM. Je décide d’aller dans leur direction, je pourrais peut-être les voir et me distraire un peu. Quand j’arrive, ils sont installés en terrasse et ont l’air bien excités. Ils se sont embrouillés avec la bande à cause de la copine de Charlie, et ils sont en train de boire, et de boire beaucoup vu le nombre de cannettes vides sur la table. Ils doivent déjà être bien alcoolisés. Je décide de les convaincre d’aller faire un tour. Le grand air permettra peut-être de les dessaouler un peu. Nous marchons autour de la Place, ou plutôt essayons de marcher. Parce que leur état d’agitation est vraiment à son comble. Un rien les fait rire aux larmes, ils titubent et risquent de tomber à chaque pas. Sur l’esplanade du gros caillou, une femme seule, marche à petits pas pressés. Ils se mettent à l’imiter en marchant derrière elle, en la singeant et en riant de plus belle tout en chancelant. Elle s’en aperçoit et s’indigne de les voir se moquer d’elle ainsi. Elle leur demande sèchement d’arrêter. Jim et Charlie n’ont nulle envie de l’écouter, ils ont envie de s’amuser et besoin de décompresser. Ils la traitent de vieille peau, de mal baisée. Elle se rebiffe et se met de plus en plus en colère. Elle les qualifie de jeunes cons et de toutes sortes de noms d’oiseaux. Elle fait un geste pour les inciter à s’éloigner, et eux serrent les poings. Cette bonne femme commence à les énerver sérieusement. Ils la bousculent un peu pour la faire taire, lui faire comprendre qu’elle va trop loin. Eux ils veulent juste rigoler un peu, il n’y a pas de quoi s’énerver comme ça. Ils la bousculent encore un peu et soudain la voilà qui trébuche et tombe tête la première contre le Gros Caillou. Catastrophe, elle ne bouge plus et du sang coule de ses oreilles. Je hurle Mes amis affolés partent en courant et me crie de me taire. Le lendemain j’apprends que cette femme est morte et je décide de raconter ce qui s’est passé. Je ne reverrai plus jamais Jim et Charlie. B.D.M


Dans mes poches, j’ai un petit bout de ficelle que je tourne constamment entre mon pouce et mon index pour dompter mon impatience. Dans mes poches, j’ai un vieux ticket de cinéma : celui du dernier film que j’ai vu et que j’ai beaucoup aimé. Le jeu de l’acteur principal était époustouflant. Dans mes poches j’ai un mouchoir blanc très fin brodé par ma mère. S.P Dans mon sac, j’ai un portefeuille en cuir couleur miel que j’ai acheté dans les souks de Tunis après l’avoir beaucoup marchandé. Dans mon sac, il y a la photo de mon mari tout jeune ; elle ne me quitte jamais. Dans mon sac, il y a un dessin très coloré envoyé par ma petite fille. Il y a plein d’oiseaux et de fleurs. Elle sait que j’aime quand ses dessins sont bien colorés. Dans mon sac, il y a le téléphone portable que mon fils m’a offert à Noel. Il s’inquiète lorsque je pars, il veut pouvoir me joindre surtout pendant les vacances Dans mon sac, il y a mes lunettes de soleil : je les utilise peu et elles ne sont jamais au bon endroit quand j’en ai besoin. Dans mon sac il y a une vieille montre sans bracelet qui ne marche plus : l’eau de l’océan Martiniquais lui a été fatale. Dans mon sac il y a mon pilulier : mon sauveur en cas de malaise. Dans mon sac il y a un peigne en écaille. Les jours de grand vent il me redonne un aspect convenable. S.P Sur moi le bracelet offert par mon mari pour la naissance de notre premier enfant. Sur moi, le bracelet de pacotille, très coloré, que m’a rapporté ma petite fille d’un voyage en Malaisie. Sur moi, le foulard vert en soie que j’ai reçu en cadeau à Noel S.P Je me souviens dans mon enfance, les promenades sur les épaules de mon père Je me souviens des gâteaux faits avec ma mère : elle me grondait parce que je mangeais la pâte avant qu’elle ne la cuise Je me souviens des courses folles avec les copines du quartier pour échapper à celui qui venait d’être victime de nos bêtises Je me souviens de mon entrée en pension au collège Je me souviens des promenades du jeudi en rangs par deux surveillés par des « pionnes » Je me souviens de la rencontre de mon mari Je me souviens mon premier travail loin de ma famille Je me souviens de la naissance de mes enfants Je me souviens de ce voyage au Sénégal avec tous ces enfants turbulents qui venaient quémander quelques sous ou quelques friandises Je me souviens de cet accident dans les gorges de l’Ardèche Je me souviens du départ de la maison de nos enfants Je me souviens du décès de mon mari

Dans mon sac il y a mes cahiers et mes livres de classe Dans mon sac il y a ma trousse de crayons Dans mon sac il y a des mouchoirs sales Dans mon sac il y a ma bouteille de Vittel à moitié vide Dans mon sac il y a mon téléphone portable avec le chargeur et les écouteurs Dans mon sac il y a des petits bouts de papiers un peu chiffonnés avec des adresses de sites intéressants échangés en classe avec les copines

S.P


Dans mon sac il y a mon foulard à franges préféré Dans mon sac il y a une boîte de Doliprane au cas où Dans mon sac il y a la photo de mon grand-père Dans mon sac il y a ma carte de cantine Sur moi j’ai une barrette de secours pour mes cheveux complètement indisciplinés Sur moi j’ai un bracelet que m’a offert ma grand-mère pour ma première communion Dans ma poche, ma carte d’abonnement aux TCL Dans ma poche un paquet de Kleenex Je décide de laisser pousser mes cheveux, malgré l'avis contraire de ma mère Je décide de ne plus accepter d'être prise pour une imbécile Je décide de faire selon les possibilités et pas selon le délire d'autres personnes Je décide de voler de mes propres ailes physiquement et moralement Je décide une bonne fois pour toutes que je n'ai pas choisi ma famille Je décide que parvenue à un certain âge, l'important est de se faire plaisir à soi Je décide que je n'aime pas être trop souvent en société

M.D

M.D

M.D

B.D.M Sur moi je porte une amulette à mon cou au bout d'un lacet de cuir, offerte par un africain rencontré en vacances Sur moi je porte une bague offerte par mes grands-parents quand j'étais enfant, avec un faux saphir bleu pale, que je mets au petit doigt depuis qu'elle est devenue trop petite pour l'enfiler à l'annulaire B.D.M Dans mon sac il y a un mini stylo rouge et or Dans mon sac il y a un paquet de mouchoirs en papiers Dans mon sac il y a les clefs de mon appartement au bout d'un porte-clés publicitaire bleu et rouge Dans mon sac il y a un sac pliant en nylon bleu pâle dans sa pochette Dans mon sac il y a un portefeuille en cuir avachi avec mes papiers Dans mon sac il y a très peu d'argent liquide B.D.M Dans mes poches il y a le bouton de mon manteau qui vient de se détacher ce matin Dans mes poches il y a une curieuse perle de résine ramassée dans la rue et qui contient un insecte Dans mes poches il y a ma carte d'étudiant à présenter au resto U et un vieux ticket de la veille Dans mes poches il y a un ticket de métro déteint usagé et corné Dans mes poches il y a une petite cuiller empruntée au café où j'ai mangé avec Louis ce midi B.D.M J’ai décidé de changer de trajet pour aller au boulot J’ai décidé de m'acheter un MP3 (même si je n'en ai pas vraiment besoin) ; j'en ai envie depuis 2 ans J’ai décidé d'apprendre réellement la philo J’ai décidé de ne plus mettre ce pull vert qui me boudine mais qui est si confortable J’ai décidé de lui pardonner d'avoir coupé mon arbuste préféré sur mon balcon en mon absence


J’ai décidé de ne jamais prendre de somnifères même si je dors très mal J’ai décidé de vivre avec l'homme que j'aime E.L Dans mon sac il y a un trousseau de clés avec un porte-clés en forme de sandale miniature Dans mon sac il y a quelques vieux bonbons emballés qui traînent là depuis des années Dans mon sac il y a une ordonnance de médecin vieille de 3 ans Dans mon sac il y a un papier où j'ai noté le nom d'un resto mais en oubliant de noter l'adresse Dans mon sac il y a une lime émeri Dans mon sac il y a un petit peigne noir à grosses dents acheté dans le souk d'Istanbul Dans mon sac il y a un Bic argenté gravé à mon nom et que j'ai reçu lors d'une journée d'incentive à mon premier boulot Dans mon sac il y a un petit porte carte orange en plastique qu'une copine m'avait offert

Dans mes poches, il y a une boite de réglisses presque vide Dans mes poches une publicité pliée en quatre pour un produit miracle permettant de perdre 3 kg en une semaine et que j'ai déchirée en douce dans la salle d'attente de ma gynéco

E.L

E.L Sur moi, je porte nuit et jour ma bague en or blanc que mes parents m'ont offerte pour ma majorité. Dans ma voiture, un petit ourson élimé pend au rétroviseur intérieur. C'est un cadeau de mon petit ami à l'époque où j'ai réussi mon permis de conduire. E.L Dans mon sac il y a, un portemonnaie rouge que m’a offert Pablo Dans mon sac il y a, une photo de mes parents enveloppée dans un plastique rigide, ils sont tous deux devant la maison Dans mon sac il y a mes papiers d’identité Dans mon sac il y a une ordonnance toute froissée que j’ai toujours sur moi pour soigner mon cœur Dans mon sac il y a un peigne pour les jours de grand vent, et recoiffer mes cheveux récalcitrants Dans mon sac il y a une capuche en plastique contre la pluie Dans mon sac il y a une paire de gants en laine Dans mon sac il y a un petit carnet d’adresses Dans mon sac il y a un mouchoir blanc brodé Dans mon sac il y a un foulard pour les soirées fraiches Dans mon sac il y a des pastilles vertes contre les maux de gorge Dans mon sac il y a des clés attachées par un porte clé en fer M.P.J Dans mes poches j’ai un mouchoir brodé au point de croix avec mes initiales Dans mes poches j’ai un petit caillou blanc que j’ai ramassé sur le chemin Dans mes poches j’ai des gâteaux secs que je donnerais aux enfants après l’école Dans mes poches j’ai une jolie barrette bleue et verte que je me suis achetée pour attacher mes longs cheveux noirs Dans mes poches j’ai quelques pièces de monnaie de dépannage Dans mes poches j’ai des boucles d’oreille que j’ai enlevées pour ne pas les perdre car elles s’accrochent dans mon foulard Dans mes poches j’ai un stylo qui a bavé dans ma poche M.P.J


Sur moi je porte une jolie robe en coton épais, de couleur vive, rouge et noire. Elle m’arrive à mi mollets, elle est ample, sans ceinture, ce qui me permet de me mouvoir sans être gênée. Sur moi je porte un poncho rouge aussi à rayures, qui s’attache devant, il est croisé sur la poitrine et permet d’accrocher ma fille sur mon dos. Sur moi je porte des chaussures confortables et solides avec des lacets. Sur moi je porte des collants en laine grise Sur moi je porte une croix en or avec une chaine que j’ai eu à ma communion ; Sur moi je porte des boucles d’oreilles en forme de cœur. Sur moi je porte une alliance en argent avec mes initiales et celle de Pedro gravées à l’intérieur Sur moi je porte une montre que je ne quitte jamais, je ne peux pas me passer de l’heure Sur moi je porte une jolie barrette pour retenir mes longs cheveux J’ai décidé de partir travailler loin J’ai décidé d’apprendre à conduire J’ai décidé de me teindre en blonde J’ai décidé d’adopter des enfants J’ai décidé d’apprendre à chanter des airs d’opéra J’ai décidé de visiter le Taj Mahal J’ai décidé d’aller faire un safari au Kenya J’ai décidé d’apprendre le russe J’ai décidé de rester dans mon lit toute une journée J’ai décidé de me mettre à faire du ski Je me souviens de l’odeur du gâteau qui cuit dans le four Je me souviens de la tête de mon institutrice de CM 1 Je me souviens de l’apprentissage de la broderie à la maternelle Je me souviens de mon arrivée au collège Je me souviens de ma première amourette Je me souviens de ma meilleure amie à l’école primaire Je me souviens de mon premier séjour à l’hôpital Je me souviens de la moto de mon père Je me souviens de notre appartement Avenue des frères Lumière à Lyon

M.P.J

S.P

M.D Je me souviens de mon enfance, mes vacances passées au lac à apprendre à nager Je me souviens de mon adolescence où je sortais sans le dire à mes parents Je me souviens de ma souffrance à vouloir être avec des filles plutôt qu’avec des garçons Je me souviens de mes rêves d’antan où je me trouvais entre des murs qui se resserraient Je me souviens des beaux paysages de montagnes enneigées scintillantes pendant mes séjours au ski Je me souviens des belles personnes rencontrées lors de mes différentes expériences de vie Je me souviens des beaucoup moins belles personnes aussi Je me souviens de mon passé de petit garçon mal à l’aise dans son corps Je me souviens des parfums de jasmin en montant l’escalier de la maison où j’habitais à Jérusalem Je me souviens du stress que j’ai eu en passant mon premier examen à l’école Je me souviens de mes premières chaussures à talon haut. A.B


Dans mon sac il y a une petite bourse avec quelques pièces que je garde précieusement, une épingle dorée pour mes cheveux. Sur moi je porte des boucles d’oreilles en argent avec une boule blanche, un collier de perles en bois que ma sœur a fabriqué. Dans ma poche, souvent, j’ai un foulard que ma mère m’a rapporté du marché et un joli caillou bleu que j’ai trouvé en allant chercher de l’eau. Dans mon sac il y a un mouchoir en cas de rhume. Dans mon sac il y a un chéquier, parce qu’il faut toujours payer Dans mon sac il y a mes clés pour rentrer à la maison Dans mon sac il y a mon agenda où je marque tous mes rendes vous Dans mon sac il y a un stylo, ça peut toujours servir Dans mon sac il y a des photos pour ne pas oublier Dans mes poches il y a mes mains bien au chaud Dans mes poches il y a un mouchoir, quand je marche j’ai la goutte au nez Sur moi l’hiver je m’habille chaudement Sur moi l’été une robe légère Sur moi un collier assorti que je ne n’oublie jamais Je décide de quitter mon travail qui m’ennuie Je décide de changer de coiffure Je décide de partir en voyage Je décide d’acheter une île Je décide de ne plus faire de régime Je décide d’acheter un appareil photo Je décide de vivre qui je suis Je décide de changer ma couleur de peau Je décide de changer de voiture. Je décide de faire du sport et surtout d’apprendre à nager Je décide de prendre des cours d’Anglais Je décide de partir faire les chemins de Compostelle Je décide de donner mon corps à la science Je décide d’aller plus souvent voir ma grand-mère Je décide d’adopter un deuxième chat Je décide de faire réviser mon ordinateur

P. P

M.P.J

J.L

J.L

M.P.J

M.D J’ai des boucles d’oreilles que j’ai enlevées pour ne pas les perdre car elles s’accrochent dans mon foulard J’ai un stylo qui a bavé dans ma poche M.P.J Je me souviens de l’odeur du sapin de noël Je me souviens du manteau vermillon à pompons confectionné par ma mère quand j’avais 9 ans. Je me souviens que petite, pour trouver la direction du vent, je mouillais mon doigt et je le levais bien haut.


Ce recueil est une trace. Celle d’un atelier d’écriture au centre Michel Pache de Francheville. Un atelier démarré en Octobre 201 3. Notre rituel du mercredi matin : un café ou un thé, deux ou trois papotis et on se lance. On raconte, on invente, on se souvient, on imagine…On se laisse aller pendant ces trois heures de « liberté sous contraintes », on sourit, on rit et parfois il nous arrive de pleurer. C’est puissant l’écriture, c’est comme l’amour, ça vous chavire et ça vous transporte. Nous avons voulu participer au « Mois de la Femme » de Francheville parce qu’il nous semblait important de valoriser notre « production » et le thème retenu cette année « Les femmes à l’œuvre » se prêtait à notre groupe de femmes «écrivantes». Nous sommes heureuses de vous faire partager ces lettres, ces fragments. Suzanne, Paulette, Béryl, Marie-Paule, Annick, Maryse, Evelyne, Jeanne

« L'écrit ça arrive com m e le ven t, c'est n u, c'est de l'en cre, c'est l'écrit, et ça passe com m e rien d'autre n e passe dan s la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. »

Marguerite Duras (Écrire, p.53, Folio no 2754)


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