Zone Campus 13 octobre 2008

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zonecampus.ca

ARTS ET SPECTACLES

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Petites mythologies bimensuelles Sortie littéraire

Le Red Bull

101 mots à sauver du français d’Amérique MARTIN BERTRAND

MARTIN BERTRAND

Journaliste | Arts et spectacles arts1@zonecampus.ca

Deux fois par mois, et sur le même mode que les Mythologies qu’avait faites Roland Barthes en 1957, seront présentées des capsules sur différents produits de la culture de masse qui agissent comme symboles, voire icônes, de la société contemporaine. Petite histoire d’un produit Tout droit venu de la Thaïlande, le Red Bull, que l’on retrouve dans une minuscule canette de 25 centilitres, a été introduit en grande pompe dans les marchés occidentaux grâce aux efforts d’un représentant en pâte dentifrice autrichien, Dietrich Maeteschitz. L’anecdote est en soi savoureuse : grand voyageur, il se trouvait en Thaïlande où il découvrit le Krating Daeng, sorte de boisson hypersucrée consommée par les chauffeurs de taxis et les camionneurs afin de pouvoir endurer les nuits blanches. Revenu dans son pays, il en fera un produit plus vendable selon les standards européens en lui enlevant du sucre dans sa composition et en lui ajoutant des « bubulles », sans doute pour lui conférer un aspect « coca » dont les occidentaux sont si friands. Aujourd’hui, Maeteschitz détient 49% des droits du produit et il a laissé 51% des parts à la compagnie thaïlandaise qui a développé la boisson originale. L’emballage Comme mentionné, une canette de Red Bull fait à peine 25 centilitres ce qui augmente l’impression qu’il s’agit d’un produit hyper concentré, d’autant que l’effet qui en est désiré s’avère de procurer une décharge rapide d’énergie dans l’organisme. Côté pratique, comme la boisson fut considérée longtemps comme illégale dans plusieurs pays, et l’est encore d’ailleurs dans d’autres comme au Danemark, son passage sous le manteau s’en trouve facilité. Le fond bleu, couleur froide, de son emballage se trouve fortement contrasté, d’abord par les taureaux rouges, couleur chaude par excellence, et par le soleil jaune où s’affrontent ces taureaux qui attirent notre attention. Le choix des couleurs n’est évidemment pas aléatoire puisqu’il renforce chez le consommateur l’idée d’une étincelle d’énergie (couleurs jaune et surtout rouge) dans la morosité qui prend tout le reste de l’espace disponible sur la canette (couleurs grise et bleue). Quant aux taureaux, d’un point de vue symbolique, il s’agit d’un animal représentant le mâle impétueux

et féroce. Il incarne la force vitale, la fougue, dans la plupart des mythologies. D’ailleurs, dans l’alphabet hébraïque, la première lettre, aleph, le principe primordial, signifie taureau. L’emballage, de ce point de vue, fait valoir au consommateur que le contenu lui confèrera les vertus de l’animal : force vitale, puissance, fougue… Le format canette, plutôt que bouteille, rappelle pour les occidentaux celui des autres boissons gazeuses, « comfort food » liquide qui évoque la permission que les parents accordaient lors des occasions spéciales de boire un produit sucré. Produit de santé naturel? Le Canada a fait entrer le Red Bull dans la catégorie des produits de santé naturels, ce qui dépeint un choix éditorial insolite, d’autant que le breuvage en question contient 27 grammes de sucres, 1000 mg de taurine et 80 mg de caféine… doses massives s’il en est. Et ces additifs sont tous soupçonnés de causer des effets neuro-comportementaux indésirables. D’ailleurs, en France, la taurine a été retirée du Red Bull en juillet 2008 pour la remplacer par de l’arginine, prix à payer pour la compagnie qui le distribue afin d’entrer dans le pays. Quant à la caféine, il s’agit d’un additif qui crée la dépendance et qui, à forte dose, cause des insomnies, des palpitations, de l’anxiété, des tremblements, qui peuvent durer plusieurs heures. Son sevrage provoque des symptômes tels une fatigue anormale, la déprime, des difficultés de concentration et des maux de tête. La performance Alors pourquoi donc, dans la société contemporaine, un tel produit basé sur la stimulation fait-il un tel tabac sur le marché? Cela n’est sans doute pas étranger au fait que l’on s’insère dans une époque qui mise tout sur la vitesse et la performance. Le Red Bull en est seulement un symptôme. Et les fabricants du produit l’ont bien compris en déployant leurs placements publicitaires sur la course automobile et les événements sportifs. Le Red Bull élimine la fatigue qui devient synonyme de faiblesse. On peut donc faire fi des impératifs du corps qui nous signifie ses limites et se soustraire au repos. C’est donc la boisson du surhomme qui peut s’évader de ses limites humaines. Comme dans cette société tout le monde veut briller plus fort que les autres, le Red Bull confère en quelque sorte la possibilité de se dépasser, d’aller plus haut que soi, mais le jeu en vaut-il la chandelle?

Journaliste | Arts et spectacles arts1@zonecampus.ca

Hubert Mansion, auteur d’origine belge qui nous a déjà donné Guide de survie des Européens à Montréal et Tout le monde vous dira non, sortait cet été un nouvel ouvrage extrait de trois ans de recherche : 101 mots à sauver du français d’Amérique. L’anecdote qui ouvre le livre a de quoi faire sourire. Elle est tout droit sortie de la vie personnelle de l’auteur qui se promenait en voiture avec sa « blonde ». Arrivés face à un chemin de terre, celle-ci demande à un quidam : «Sauriez-vous me dire si ce chemin est allable?» et à notre Européen de répondre à sa «blonde» : «On dit carrossable. Ou praticable.» S’ensuit une inévitable dispute sur un ton las et monsieur Mansion, quelques jours plus tard, découvre le mot « allable » dans un vieux dictionnaire français. Notre Européen se pose alors

véritablement la question à savoir comment il se peut que les Québécois aient gardé une quantité phénoménale de mots qui, en Europe, ont disparu, souvent sans même être remplacés. C’est alors un revirement de cap puisque l’auteur s’ouvre à un français qui, selon ses propres mots «cumule la fidélité à l’ancien et l’ouverture à la modernité». Explication historique Il faut dire que le Canada a de loin précédé la France dans l’adoption du français comme langue nationale. À l’époque coloniale, la France était encore partagée entre plusieurs parlers régionaux et le français était alors le parler qui dominait Paris et les alentours. Or, une des conditions pour s’embarquer pour l’Amérique était de connaître le français, ce qui fait que ceux qui vivaient ici avaient adopté cette langue comme langue véhiculaire bien avant la France. Or, les siècles passant et l’instruction se généralisant sur le vieux continent, la langue française

U T É S I A B A R S LE

s’est faite langue véhiculaire aussi en France et les académiciens ont tôt fait d’imposer sur le territoire une langue «châtiée» qu’on se plaît à qualifier aussi d’épurée, laissant de côté une certaine richesse qui, en Amérique, est demeurée. Pendant ce temps, le français d’Amérique s’est enrichi des apports amérindiens, anglais et même, fait inusité, d’autres langues telles des dialectes sud-américains. Dictionnaire Le livre de Mansion se présente comme un dictionnaire critique qui répertorie 101 mots actuels et anciens de la langue française d’Amérique et nous présente leur histoire. Il s’avère intéressant de savoir que c’est un Européen qui se porte à la défense de notre lexique oral, alors que la plupart des lexicographes d’ici s’affairent à opérer la même épuration que les académiciens de jadis là-bas. Le livre aura le grand avantage de donner aux locuteurs québécois une fierté face à leur langue qu’on a trop souvent outragée.

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