Minou Drouet : "On a fait de moi un animal qui a mal"

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« On a fait de moi un animal qui a mal » Minou Drouet

Par Jacques Desse

2012


Illustration de couverture : Minou Drouet, dessin dans une lettre, 28 juillet 1955 *

* Les astérisques signalent les documents qui appartiennent à la collection décrite en annexe.


Il n’y a que deux choses qui durent : les souliers trop petits et la bêtise 1

En septembre 1955, René Julliard fit paraître hors commerce une élégante plaquette de lettres-poèmes d'une enfant de huit ans, qui fit crier les uns au génie, les autres à l'imposture. Marie-Noëlle "Minou" Drouet subit la cabale, se prêta brillamment aux tests des adultes, et commença une carrière de poétesse et chanteuse-interprète, qui cessa comme elle vint, par la voix, alors tarie, confia-t-elle 2. Mme Drouet s’est depuis retirée dans son village d’origine, en Bretagne. Elle n’est sortie de son silence qu’en 1993, pour publier Ma vérité, qui ne paraît pas avoir intéressé grand monde 3.

1

Lettre de Minou Drouet à René Julliard (vers 1956) - Arbre mon ami, p. 133.

2

Depuis la disparition de sa mère, écrit-elle, « je chante en moi et je suis seule à m’entendre » (Ma vérité, p. 299). 3

Ce texte assez décevant montre qu’elle est restée candide - autant qu’infiniment pudique -. Femme mûre à la vie paisible, Mme Drouet parle des « grandes personnes » comme s’il s’agissait d’un autre monde, auquel elle n’appartient pas : un univers fermé et cruel.


Minou Drouet était une enfant dite illégitime adoptée par une femme seule. Elle était presque aveugle, « dégénérée » selon des médecins de l’époque, et certains ont depuis évoqué à son propos l’autisme. Elle découvrit la musique, qui devint une passion, et d’un coup s’ouvrit au monde. Lucette Descaves, son professeur au Conservatoire, trouva un médecin pour l’opérer des yeux (avril 1955) et fit lire au professeur Pasteur Vallery-Radot les lettres que lui envoyait sa jeune élève. Très ému, celui-ci les fit connaître à René Julliard. L’éditeur, qui venait de remporter un succès phénoménal avec la publication du roman d’une jeune fille de 18 ans, Françoise Sagan, fut séduit par ces écrits. Dès l’année suivante il édita Arbre mon ami, qui connut un succès énorme : ce recueil de poésies fut vendu à 45 000 exemplaires en quelques mois et traduit dans une dizaine de langues...

« Drouet, Minou, French Child Poet », International News Photos, mars 1956 *


L’adorable petite fille devint une star, une sorte de Cosette réincarnée en Shirley Temple, un génie habillé d’organdi. Coqueluche des médias, elle fut invitée par le pape Pie XII - l’un de ses admirateurs -, monta sur scène avec Pablo Cazals, Brel, Aznavour et bien d’autres, enregistra des disques, donna des concerts, dansa, défila pour des grands couturiers, créa des vêtements, fut l’actrice principale d’un film, etc. On imagine mal aujourd’hui quelle fut la célébrité de cette enfant, dont l’apparition dans un lieu public faisait se tourner tous les regards, et dont les faits et gestes faisaient l’objet de dépêches des agences internationales. Il suffit d’évoquer son nom devant une personne née avant 1945 pour qu’en resurgisse le vif souvenir oublié, particulièrement chez ceux qui étaient jeunes à l’époque et se sont fortement identifiés à la petite princesse.

Julliard, éditeur-producteur à l’américaine, avait réussi son coup. C’est lui-même, sans doute, qui suscita en sous-main la polémique, pour accroître la publicité. Dès fin 1955 des voix s’étaient élevées pour crier à l’escroquerie. L’hebdomadaire Elle publia un article choc soutenant que l’auteur des écrits était en fait sa mère adoptive… 4 L’enquête était signée par Michèle Perrein, recommandée aux Drouet par Julliard lui-même, et le photographe Jeanloup Sieff. Perrein fut le plus cruel des témoins à charge contre Minou. Etrangement, Julliard ne lui en tint pas rigueur, bien au contraire : il publia son premier roman dès l’année suivante, puis les sept qui suivirent.

4

Sur l’histoire de Minou Drouet voir en particulier l’étude récente de Robert Gottlieb, « A Lost Child », The New Yorker, 2006 (http://www.newyorker.com/archive/2006/11/06/061106fa_fact_gottlieb), reprise dans Gottlieb, Lives and Letters, Farrar, Straus and Giroux, N.Y., 2011. Cf. aussi http://johnshaplin.blogspot.fr/2012/03/minou-drouet-by-richard-gottlieb.html


DÊbuts sur scène, 1957, au Gaumont Palace *


Comme toutes ces sordides grands scandales « littéraires », la querelle avait aussi d’autres enjeux, souterrains, en particulier des règlements de compte entre Hélène Gordon-Lazareff (Elle) et Françoise Giroud (l’Express) 5. L’affaire reçut des échos internationaux, et Time titra « Rage of Paris » 6. Les papes de la littérature s’en mêlèrent et s’emmêlèrent, alors que l’on se remettait à peine du scandale de La Chasse spirituelle, le faux Rimbaud publié en 1949 7. Pascal Pia, qui s’y connaissait en matière d’imposture, évoqua le premier le risque de supercherie. André Breton souligna la qualité de ces écrits, dans laquelle la poésie est « princièrement servie », et décréta : Il n'est pas un enfant de cet âge et bien au-delà qui puisse par ellemême et à elle seule, écrire ce qu'on prête à Minou Drouet... […] Personnellement, bien avant que vers Minou, tout mon intérêt me porte vers Mme Claude Drouet. 8

Paris-Presse, 20 décembre 1955

Cocteau répandit dans les salons une formule qui devint célèbre : « Tous les enfants de neuf ans ont du génie, sauf Minou Drouet » 9. La gloriole d’un bon mot valait bien l’exécution sommaire d’une gamine... 5

Cf. Geneviève Latour, Jean-Jacques Bricaire, Théâtre, reflet de la quatrième République, Agence culturelle de Paris, 1995, p. 445. Giroud avait quitté Elle quelques temps auparavant et participé à la création de l’Express (1953). 6

Cf. http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,861695,00.html

7

Cet antécédent, qui avait laissé des plaies ouvertes (cf. J.-J. Lefrère, La chasse spirituelle, Léo Sheer, 2012), a certainement joué un rôle dans le développement de la polémique. Rimbaud fut très souvent évoqué à propos de Minou. C’était évidemment absurde quant à la qualité et la portée des écrits, mais finalement pas tant que cela quant au processus de réception de ces productions de « surdoué », et la comparaison du destin de ces « météores » n’est pas dénuée de sens. 8

Cf. vente André Breton, n° 591 : « Bref, il s'agissait d'une supercherie [sic], et c'est sur ce point qu'insiste Breton, à qui on a demandé de considérer ces textes comme le ferait un expert judiciaire. Le poète est formel, mais il n'en avoue pas moins fasciné par la personnalité de l'auteur probable des textes, la belle-mère de l'enfant. » (http://bit.ly/2BfnyYx). Voir aussi un envoi de Minou Drouet à Breton (http://bit.ly/OfhlBN), et un de Parinaud sur son livre consacré à l’affaire (http://bit.ly/QQc6rE). 9

On connait plusieurs variantes de cette phrase, qui est citée par Sartre dans Les mots, et aujourd’hui érigée au rang de poncif. Elle apparait dans des dizaines d’ouvrages, dans de nombreuses langues.


De rares intervenants, comme Paul Géraldy qui avait rencontré la fillette, furent effrayés par les conséquences de cette pression sur une enfant hypersensible qui plus est -, dont témoignent des poèmes et lettres de l’époque, qui souvent crient sa fatigue et sa douleur, évoquent la mort et le suicide. Mon Papa, ma Sonate si aimée, veux plus voir des gens, plus qu’on me parle de mes machins. Vous allez encore dire que je commande, mais non mon Dieu ; je veux seulement être tranquille, qu’on me dise plus que je suis poète, je suis rien qu’une petite fille qui vous voudrait là. 10 Le pauvre animal si effrayant qu’on a fait de moi est devenu sourd comme les autres. Entre les autres et moi, j’entendais vibrer des notes, maintenant je n’entends plus que le chagrin, la peur et l’horreur. Je me demande s’il y a un Dieu. S’il y en a un, comme je le plains […]. Ma maman. J’ai eu trop mal. Reviens. […] Brusquement je viens de comprendre que la mort n’est pas une fin, elle est simplement une vibration qui se transpose, je glisse mes bras autour de ton cou et mon petit cœur est tout habillé de tristesse. 11

Ces appels ne furent pas entendus, et les jeux du cirque continuèrent : « the show must go on »… Roland Barthes consacrera une étude de Mythologies à cette figure de l’après-guerre 12 ; il en regrettera d’ailleurs très vite la cruauté involontaire 13. Il y remarquait : « On pourra prouver l'imposture, jamais l'authenticité » 14 . Les preuves et les faits ne peuvent rien contre le soupçon. Cinquante ans après, de nombreux écrits évoquent « l’imposture », « la supercherie » Minou Drouet. Or il est établi que cette enfant fut bien l’auteur de ces textes, et les lettres autographes que nous présentons ici le confirment sans l’ombre d’un doute. On pourra les apprécier ou pas, il reste qu’ils sont extraordinaires, et que l’on y trouve d’étonnantes fulgurances. Ils sont aussi très 10

Lettre à René Julliard [1956] (Arbre mon ami, p. 155).

11

Lettre écrite à sa mère, alors qu’elle avait été séparée d’elle pour prouver qu’elle pouvait écrire seule, ce qu’elle fit (Arbre mon ami, p. 113). 12

Mythologies, Le Seuil, 1957. Si l’article de Breton est brillant mais vain, l’essai de Barthes est d’une toute autre portée (« qu’est-ce qu’une vérité admissible par une société ? », « qu’est-ce que l’enfance ? »). Même s’il est daté, sa lecture demeure tout à fait stimulante. Il est intéressant de voir que Barthes relativise la portée littéraire de ces écrits (à ses yeux simple festival de trouvailles et métaphores), tandis que Breton en rajoute. 13

« Pour démystifier l’Enfance Poétique il m’a fallu en quelque l’enfant Minou Drouet. J’ai dû ignorer en elle, sous le mythe comme une possibilité tendre, ouverte. Il n’est jamais bon de (« Le Mythe, aujourd’hui » - septembre 1956 -, Mythologies, p. 14

sorte manquer de confiance en énorme dont on l’embarrasse, parler contre une petite fille. » 266, en note).

Cette phrase est extraite de la première version de l’étude de Barthes (in Les Lettres nouvelles, 1956). Elle ne figure pas dans Mythologies, où Barthes a développé sa pensée : « Je ne puis prouver que les vers qui me sont soumis sont bien ceux d’un enfant, si je ne sais d’abord ce qu’est l’enfance et ce qu’est la poésie : ce qui revient à fermer le procès sur luimême. C’est là un nouvel exemple de cette science policière illusoire […] : tout entière fondée sur une certaine tyrannie de la vraisemblance, elle édifie une vérité circulaire […] ; toute enquête policière de ce genre consiste à rejoindre les postulats que l’on a de soi-même posés au départ ».


touchants, parfois d’un humour radical, parfois bouleversants, par la maturité des thèmes, le panthéisme digne d’un François Augiéras, la souffrance qui s’y manifeste en toute naïveté, et la liberté de ton à la Zazie 15, voire rabelaisienne… Je tends au soleil mes petites fesses pour voir si d'un caprice il en fera 2 abricots. 16 Vous êtes pas un monsieur, un monsieur c’est une cravate, un menton qui sent le lavabo et un dégobilleur de chiffres […]. Paraît que faut vous envoyer des trucs respectueux, ben ça m’a fait rigoler. On aime, on admire, on plaint, le reste ça veut rien dire. 17

Il fallait trouver une boite pour ranger la demoiselle. Puisqu’elle écrivait, on sortit la boite littérature. C’était un contresens : elle n’était pas un écrivain et ne l’a jamais été ; elle « chantait » - comme elle n’a cessé de le répéter -. Rimbaud, le brillant élève en révolte, arrivait avec une culture classique, des ambitions littéraires, il écrivait pour écrire, pour remettre en jeu la poésie et le monde. Drouet n’avait rien à faire des Coppée et des Banville, son objectif à elle, c’était de jouer du piano. L’écriture et la poésie ne sont chez elle qu’une forme d’expression naturelle, une parole plus qu’un art, même si, en enfant sage et soucieuse de faire partager ses sensations - les « vibrations » qu’elle perçoit -, elle s’y applique. Pour moi, Minou, tout cela était beaucoup plus simple […]. Mon cœur était un immense clavier dont les mots étaient les touches […]. Le flot me traversait. 18

C’était une forme d’ « art brut » (avec tous les guillemets nécessaires), qui fut sans doute étouffée par le dressage, et par l’influence qu’exerça sur elle le public (elle finit par jouer au poète). Entre ce qui nait de la bouche, du vouloir, et ce qui nait du en dehors de votre contrôlance, il y a la même différence qu’entre les lignes nettes du port du Pouliguen et la ruée des lames sur la côte sauvage. 19

Ses poèmes jaillissaient de plus loin qu’elle-même, ce qui est le propre de toute production artistique authentique, et il est fascinant de voir dans ses lettres le processus de création apparaître : tandis qu’elle babille ses émotions, un mot s’arrête, elle saute une ligne, un autre vient, ce que nous appelons 15

Comme en témoigne cette anecdote : reçue en audience privée au Vatican, Minou aurait complimenté un évêque sur la coupe de sa « robe ». Comme tous les enfants un peu vifs et adulés, la fillette n’était pas dupe des affèteries des adultes et aimait à les taquiner. Dans sa joyeusement féroce lettre sur le curé du village, Minou Drouet écrivait : « Vous savez, un curé, c’est quelque chose qui n’a pas pu se décider à voter pour le masculin ou le féminin. C’est féminin par la robe et masculin par des pieds qui marchent en syncopes boiteuses. » 16

Lettre inédite à Ninette Ellia, août 1957 *.

17

Lettre à Yves Nat (1955 ?), Arbre mon ami, p. 96.

18

Ma vérité, 1993, p. 192.

19

Elle poursuit : « Le port m’intéresse. Mais la côte, avec son tourment compliqué, plante en moi quelque chose d’aigu dont je ne me débarrasse jamais » (lettre à Mme Julliard, vers 1956 – Arbre mon ami, p. 162).


poème alors se développe, jusqu’à ce qu’elle revienne au cours épistolaire normal 20. L’un des épisodes les plus pathétiques de l’affaire fut sa comparution devant un aéropage professoral qui lui posa des questions sur la métrique et l’alexandrin. Mais si Rimbaud voulait dynamiter l’alexandrin, Drouet ne voulait pas le connaître. Des gens ont voulu m’apprendre à fabriquer une chose roulante qu’on appelle un alexandrin. Je crois que c’est tuer quelque chose que de vouloir modifier le fond creux de nous. 21

On lui reprocha aussi d’utiliser des mots dont elle ne maitrisait pas le sens : des mots d’adultes captés par ses petites oreilles, et surtout des néologismes, comme le fameux « horrifuire ». Il paraît que c’était incompréhensible : pourtant cela voulait dire ce que cela voulait dire, il n’y a rien de plus facile à entendre 22. Tout comme la faim « crabouillante », les gens « ensardinés », et bien d’autres. Les doctes auraient voulu d’une poésie de dictionnaire, niant l’essence même de la création poétique ou artistique. Minou était d’ailleurs une petite usine à concepts : lorsqu’un mot lui manquait, qu’elle ne le connaisse pas ou qu’il n’existe pas, elle le forgeait : « l’amouration », « l’aimoir », « l’entendoir », « le possibloir », « l’efforçoir »… Ces mots d’enfant étaient parfaitement justifiés : « l’efforçoir » par exemple, ce n’est pas exactement « le vouloir » ni « la volonté », et nous n’avons pas en français de mot précis, sinon peut-être quelque concept abscons, pour désigner cette volonté de faire quelque chose malgré des difficultés ou réticences. Lorsque l’on parcourt aujourd’hui les écrits de Minou Drouet, on se demande comment des gens intelligents ont pu croire un instant qu’ils n’étaient pas l’œuvre de cette enfant mais ceux d’un adulte. A chaque page on trouve des mots ou des réflexions qui ne peuvent venir à l’esprit d’un adulte, ou inversement qui sont bien trop matures pour apparaître sous la plume d’un adulte qui jouerait à l’enfant, et une audace qui devait plutôt effrayer Mme Drouet mère, soucieuse de bonne éducation et de respectabilité 23. Certes Claude Drouet a nourri sa fille, sans doute l’a-t-elle poussée vers la créativité, sans doute a-t-elle vécu son rêve par procuration. Mais s’il y a eu soupçon, c’est pour une seule raison : parce qu’il n’existait pas de case pour ranger ce phénomène. Une telle singularité ne pouvait pas être pensée, et donc admise. Une mouette comprendrait. Un monsieur très savant peut-il comprendre ?

24

20

Voir ci-dessous « J’aime les algues / soie souple / dont sont tissés / les cheveux flottants / des enfants morts [...]. Maman et Mamie vous disent un gros merci et moi je vous embrasse. » 21

Lettre au professeur Vallery-Radot (Arbre mon ami, p. 110). Cf. Ma vérité, p. 255. Ce mot est d’ailleurs entré dans la langue, il apparaît parfois dans la littérature. On le trouve par exemple sous la plume d’un psychanalyste en 1984 : « la vision ‘horrifuire’ du sexe de la mère. » 22

23

Des lettres finissaient régulièrement à la poubelle lorsque la mère ou la grand-mère, les relisant, trouvaient qu’elles passaient les bornes. Minou devait alors en écrire une nouvelle, mais ne manquait de faire connaître à son correspondant cette censure, à laquelle elle se pliait mais qu’elle n’admettait pas. 24

Lettre au professeur Vallery-Radot, Arbre mon ami, p. 112.


Au début de cet article nous avons reproduit le mot « autisme » : cela revient à tendre la perche à une explication possible, à proposer une case, à rendre admissible l’étrangeté de cette personne, puisque chacun sait aujourd’hui que des enfants atteints par des formes d’autisme peuvent manifester des dons singuliers et extraordinaires. Il y a probablement eu quelque chose de cet ordre-là chez Minou Drouet, mais prenons garde à ne pas l’enfermer, cette fois, dans la case médicale. Personne a jamais su que si j’avalais pas quand j’étais petite c’était pour garder dans ma bouche le bruit du lait ; vous savez bien qu’à table maman vous a dit que j’étais un bébé anormal. Ben, un bébé anormal, c’est un bébé qui entend ce que les autres entendent pas. 25

On pourrait même se poser une question paradoxale : Minou Drouet a-telle vraiment été détruite parce qu’elle incarnait la mièvrerie de l’enfant singe savant, parce que l’intelligentsia était irritée par le succès médiatique fulgurant d’une petite fille portée au cabotinage ? Ne l’a-t-on pas trainée dans la boue également à cause même de son petit génie ? Elle écrivait à son amie : J'ai deux grandes fautes qu'on ne me pardonne pas : celle d'avoir 8 ans et celle aussi d'avoir un cœur qui chantait. 26

Ces écrits n’étaient-ils pas en fin de compte dérangeants, perturbants voire insupportables, puisqu’émanant de la figure même de l’innocence - ? D’autant que cette fillette libre et rebelle 27 dégoulinait de gentillesse et de sentiments à l’eau de rose. Elle inondait d’un amour pur et intense les gens qui lui plaisaient, et le manifestait sans pudeur aucune. Elle dit sa tendresse à son professeur de piano ou à son éditeur de manière sidérante, parfois gênante 28. A son chéri, un adolescent, elle écrivit par exemple à l’âge de neuf ans, cette belle lettre d’amour, qui fut publiée : Mon Philippe, mon autrefois, Philippe, mes doigts prennent ta tête, en font un oiseau prisonnier de légers barreaux qui renferment sur lui leur tendresse […]. Tu te souviens, tu avais mes mains, tu les avais embrassées, si longtemps que je m’étais mise à pleurer… 29

Sensualité infantile, au beau milieu des prudes années 1950 ?!? Minou Drouet incarnait l’enfant idéal et propret de l’après-guerre, celui incarné par la série des Martine de Delahaye et Marlier (1954), tout en manifestant une étrange altérité. En plein dans l’air du temps : le Lolita de Nabokov a été publié exactement au même moment (Paris, septembre 1955) que la première

25

Lettre à Lucette Descaves (1954 ou 55), Arbre mon ami, p. 75.

26

Lettre inédite à Ninette Ellia, fin 1955 (reproduite ci-après)*.

27

Et pour cause : « Parce que je vous aime je vous ai obéi, mais au-dessus de l’obéissoir il y a le possibloir » (lettre au professeur Vallery-Radot - Arbre mon ami, p. 110). 28

De telles lettres n’auraient jamais dû pouvoir être publiées. Mais on ne pouvait imaginer que cet amour puisse être autre chose que l’expression excessive d’un sentiment puéril, d’autant que tous ceux qui la connaissaient savaient son innocence. 29

Arbre mon ami, dernière lettre (p. 169).


plaquette de Minou 30. Au même titre que Sagan, Lolita et BB [Bébé], Minou Drouet est l’annonciatrice d’un tremblement de civilisation : l’avènement proche d’une plus libre parole, de la liberté sexuelle et de l’émancipation de la femme – qui, ne l’oublions pas, n’avait en France le droit de vote que depuis quelques années -. « Minou Drouet, à vos poupées ! », s’écria d’abord le très droitier Michel de Saint-Pierre. Mais Minou n’aimait pas les poupées, et les femmes avaient envie de sortir de la cuisine. Le scandale Lolita et la polémique Minou Drouet sont donc contemporains : les commentateurs avaient inévitablement l’outrageante éphèbe en « arrière-plan », fut-il inconscient, quand ils parlaient de Minou. On se demande par exemple ce qu’avait en tête la rédaction de FranceObservateur lorsqu’elle publia un article sur l’affaire Drouet avec pour titre « Les Croque-Minou » (24 nov. 1955)... Dans une lettre à Lucette Descaves, la petite fille raconte une visite du curé du village – qu’elle décrit comme un vieux dégoûtant - qui demanda à lire un de ses poèmes : Il m’a dit : ‘Tu es très sensuelle’, ça doit venir de sens. Alors j’ai dit : ‘Ben vous aussi, Monsieur le Curé, vous êtes sensuel’.

30

Quelques mois plus tard, au printemps 1956, fut tourné Et Dieu créa la femme, histoire d’une jeune orpheline libre et sexuelle qui propulsa instantanément Bardot au rang de star et de mythe (cf. Simone de Beauvoir, « Brigitte Bardot et le syndrome de Lolita », 1959, in Les Ecrits, 1979). Depuis, le rapprochement entre Lolita et Minou a été fait… Voir Carol Mavor, « Tragic Candy, Time », Cabinet, 40, hiver 2010-11 (http://www.cabinetmagazine.org/issues/40/mavor.php).


A gauche, 1956 - A droite : Dario Moreno, Henri Torrès et Minou Drouet, 1962

Minou Drouet et Jean Richard, 18 octobre 1956

Photo promotionnelle du film Clara et les mĂŠchants, 1958


En février 1956, Claude Mauriac nota ses impressions après avoir vu Minou Drouet, escortée par René Julliard et une nuée de photographes, invitée à la première du Monde du silence par Cousteau : Et la petite Minou (car c’était elle) se serrait un peu trop affectueusement, presque sensuellement contre René Julliard (car c’était lui) : l’éditeur un peu gêné par ces manifestations, Minou Drouet très petite fille dans sa robe bleue […]. Oui, ils formaient un couple fascinant, René Julliard et Minou Drouet pour qui j’avais un dernier regard […]. Gênant aussi, non pas tant en raison des attitudes un peu trop affectueuses de cette jolie enfant (plus grande que ses huit ou neuf ans, mais si pure et si gentiment puérile qu’il était impossible de penser à mal), que par le caractère indécent de cette exhibition. 31

La formule de Mauriac est révélatrice : « Il était impossible de penser à mal », et pourtant il venait à l’esprit, cet impensable 32.

M. Drouet et R. Julliard à la première du Monde du silence

33

31

Claude Mauriac, Le temps immobile, T. 7, 1983. Mauriac note que Minou Drouet, lors de cette exhibition, « souriait bêtement » : qu’aurait-elle pu faire d’autre, la pauvrette ? Sourire comme Marylin Monroe ? Elle était heureuse et flattée d’être objet de l’attention générale, ce qui est le fantasme de tout enfant - confondant adulation et preuve d’amour -. 32

Il suffit de jeter un coup d’œil sur Internet pour constater que la projection libidinale sur la gamine n’a pas disparu (certaines de ses photos sont vendues avec le titre « sexy »). Ce fait a déjà été relevé par Gérard de Cortanze, De Gaulle en maillot de bain, Plon, 2007, p. 117. 33

Photo du haut : « Arbre mon ami, l’imposteur », Le Figaro, juillet 2012

http://plus.lefigaro.fr/tag/rene-julliard


La polémique a permis de salir l’horripilante fillette. Elle a eu pour fonction de légitimer la critique. Parce que des milliers de gens brûlaient d’une certaine envie de cracher sur l’enfant, mais ne pouvaient le faire tant qu’elle était si manifestement pure. Dans le sacrifice tauromachique, avant de porter l’estocade, il faut que la bête soit blessée, que le sang ait taché la robe. Rares sont ceux qui comme Cocteau, homme d’ordinaire aimable et mondain, se sont déchainés avant même que le soupçon répandu n’y autorise. Cocteau vouait en fait une sorte de haine impudique à la jeune prodige, qui semble l’avoir obsédé. Il écrivait dans un courrier à Pierre Borel, dès décembre 1955 : « La Minou est une naine – une vieille conne. Reste à découvrir par Julliard le génie prénatal », et il déclarait à Femina : « Ce n'est pas une petite fille de 7 ans, mais une naine octogénaire, retouchée par la chirurgie esthétique. Elle écrit des poèmes légèrement séniles… » 34 Comment peut-on parler ainsi d’une petite fille ??? Cocteau, qui au même moment connaissait la consécration en entrant à l’Académie française (le 20 octobre 1955), aurait-il été… jaloux ? Doublement jaloux sans doute, puisque la gloire médiatique de Minou écrasait celle de Radiguet, le génial « bébé » de Cocteau.

Der Spiegel, février 1956 *

34

André Berry, dans Combat du 16 octobre 1955, se contentait de la traiter de « petite vieille ». L’argument – si l’on ose dire – est intéressant : Cocteau ne dispose pas de l’accusation de supercherie littéraire, il en utilise une autre, en jouant du paradoxe, sur un mode « humoristique » : c’est ici la personne qui est fausse, elle est « retouchée par la chirurgie esthétique », elle n’est pas l’incarnation de la pureté enfantine mais son contraire, la « vieille conne » au parfum de sénilité, la « naine octogénaire ». Bref, une sorte de monstre... Cocteau note aussi dans son journal : « Texte ridicule et prétentieux (‘poème’ disent les journaux) de l’examen piège passé par Minou Drouet à la SACEM. Tout le monde en extase. Cela prouve que nous travaillons dans le vide… » (Le passé défini, p. 50). Cocteau reviendra à de meilleurs sentiments une fois sa rage passée.


On se gaussa de la minette. Aujourd’hui encore, ceux qui prononcent son nom arborent souvent le demi-sourire entendu de celui qui n’est pas dupe. Certes ses exhibitions et sa préciosité de fillette prêtaient au ridicule. Mais il y avait tout le reste. On la cantonna au comique, au risible phénomène de cirque, à la poésie de sucre d’orge. Le nom de Minou Drouet est devenu aujourd’hui presque synonyme de mièvrerie ou de niaiserie. Comment a-t-on pu oublier à ce point ses écrits et leur force déstabilisante ? A-t-on refusé de les entendre ? Pourquoi n’ont-ils jamais été étudiés, depuis les années 1950 ? On a pourtant vu des fleuves de gloses universitaires sur des œuvres bien plus vaines et convenues, bien moins étranges que la petite sienne. Rares sont les personnalités du monde littéraire qui, comme le libre et sensible Supervielle, ont perçu ce qu’il nomma sa « lumière absolument nouvelle ». Le « crapaud », comme elle aimait à se nommer, faisait-il peur ? Comme l’a remarqué André Parinaud, dès les tous premiers articles, avant même la polémique, les mots « Diable », « monstre » 35, surgirent sous la plume des commentateurs. C’était avant que Breton n’évoque les « médiums » et Louis Pauwels ne développe la thèse de « la sorcellerie » (!) 36 Dans son malheur, Minou Drouet a eu la chance de n’être pas née plus tôt : on l’eut brûlée. Elle ne fut que moralement violée, doublement : par sa transformation en phénomène de foire et par la négation de sa personnalité. Barthes terminait son étude sur ces mots : Victime propitiatoire sacrifiée pour que le monde soit clair, pour que la poésie, le génie de l’enfance, en un mot le désordre, soient apprivoisés à bon compte […], Minou-Drouet est l’enfant-martyr de l’adulte en mal de luxe poétique, c’est la séquestrée ou la kidnappée d’un ordre conformiste qui réduit la liberté au prodige.

Mais réduire Minou Drouet au rang de pauvre victime serait aussi négateur que de la voir en simple caniche savant. La principale intéressée a tiré sa propre conclusion de l’affaire : On m’a vendue comme du savon, on m’a critiquée comme un enfant prodige. Je n’étais ni l’un ni l’autre.

35

Et Maurice Nadeau écrira en 1956 qu’il fut parmi les premiers à publier des lettres et poèmes de Minou Drouet « en raison de leur caractère presque tératologique » (http://bit.ly/S9Ypkx - p. 95). 36

Comment ne pas se souvenir de ce que Léon Valade écrivit en 1871, après la première intervention de Rimbaud en public : « Vous avez perdu de ne pas assister au dernier dîner des affreux Bonshommes… Là fut exhibé, sous les auspices de Verlaine son inventeur, et de moi, son Jean-Baptiste sur la rive gauche, un effrayant poète de moins de 18 ans, qui a nom Arthur Rimbaud. Grandes mains, grands pieds, figure absolument enfantine et qui pourrait convenir à un enfant de treize ans, yeux bleus profonds, caractère plus sauvage que timide, tel est ce môme dont l’imagination, pleine de puissances et de corruptions inouïes, a fasciné ou terrifié tous nos amis. ‘Quel beau sujet pour un prédicateur’, s’est écrié Soury. D’Hervilly a dit : ‘Jésus au milieu des docteurs’ — ‘C’est le diable !’ m’a déclaré Maître ; ce qui m’a conduit à cette formule nouvelle et meilleure : le Diable au milieu des docteurs ! »


Sans doute, mais vous étiez très singulière. Connaissez-vous, d’ailleurs, beaucoup d’enfants de huit ans qui réalisent des dessins comme celui qui figure ici en couvberture ? 37 Je n’ai rien été que deux bras, je ne sais être qu’un élan, la fuite fluide et comblante, qui me vole aux autres, à moi, et me projettera toujours, lune pitoyable et ravie, vers le ciel des bonheurs nés de mon seul vouloir, hors de l’espace et hors du temps.38

37

Les dessins de Minou Drouet n’ont pas été publiés, à notre connaissance. René de Possel signale qu’un manuscrit d’Arbre mon ami avait été illustré par elle-même (in Poèmes, 1956). Yves Nat indique qu’il avait reçu de Minou une lettre avec « un dessin inouï » (cf. Jean-Jacques Lafaye, Yohan Khatir, Yves Nat (1890-1956): notes et carnets, 2006). 38

Minou Drouet, Poèmes, 1956.


DOCUMENTS

Cet article a été inspiré par la découverte d’un ensemble de documents, aujourd’hui conservés dans une collection privée. Ils comprennent une quarantaine de lettres autographes de Minou DROUET à son amie Ninette ELLIA, de 1954 à 1970 (principalement des années 54-59), un dessin, quelques lettres tapuscrites signées, quelques lettres de sa mère, quelques coupures de journaux (Minou rencontre le Pape, Minou se marie), le faire-part de son mariage (avec Patrick Font). Trois photographies originales de 1955, 1956 et 1957. Numéro de Der Spiegel, 15 mars 1956 (couverture et 6 pages illustrées). Ninette Ellia était une répétitrice de piano, âgée d’une cinquantaine d’années quand Minou Drouet la connut, en 1954. C’est elle qui allait lui permettre de rencontrer Alfred Cortot, Yves Nat, et surtout Lucette Descaves. Un des poèmes du Pêcheur de lune sera dédié à Ninette Ellia, « ma Douce d’heures tragiques ». On trouve dans cet ensemble important de lettres, l'aisance inventive et un peu précieuse de la petite fille et jeune adolescente, aux tournures toujours légères, parfois brillantes, à l'orthographe et la syntaxe plutôt libres, qui raconte d'un trait son amour pour la musique et le piano, les difficultés quotidiennes, son affection pour la destinataire, la célébrité et son lot d'épreuves, de projets, de travaux et de succès. On sait que Minou Drouet fut surtout une épistolière. Cette correspondance inédite montre qu’elle fut bien une enfant au talent aussi précoce que singulier. On y trouvera des faits sensibles évoquées durant la polémique : les récits des rencontres qu’elle fait (en particulier avec Léo Ferré 39 ), les variations de son écriture, etc. On y retrouvera aussi le « certain timbre de la vie vécue », justement perçu par André Breton, qui s’y manifeste avec une intensité étonnante. On y perçoit ainsi les virevoltes de petite fille, la légèreté qui cohabite avec la maturité impressionnante d’un enfant ayant connu l’épreuve et la maladie (par exemple c’est elle qui organise les détails des déplacements à Paris), l’attachement profond pour ceux qu’elle aime. Et surtout le lien intense, vital, qui existe pour elle entre la vie, la nature, les gens, les lieux, la musique et les autres formes d’expression, comme si tout était uniquement une question de rythme, de pulsation. Elle n’évoque d’ailleurs jamais la création poétique, qui est pour elle totalement naturelle : sa grande affaire, c’est le solfège.

39

Qui contraste totalement avec les délires de Ferré à propos de Minou Drouet (cf. sur ce point Jacques Layani, Les chemins de Léo Ferré, 2005 ; Parinaud, L’affaire Minou Drouet, p. 156).


[1954 ou dĂŠbut 1955] *


J'ai 2 grandes fautes qu'on ne me pardonne pas : celle d'avoir 8 ans et celle aussi d'avoir 1 cœur qui chantait. On en a fait un amoncellement de chagrin et de peur. [...] on prétend que c'est maman qui m'hypnotise ! On a fait de moi un animal qui a mal. (Fin novembre 1955

40

40

)

La lettre mentionne « ma Sonate », c’est-à-dire René Julliard, qui doit aller la chercher à la gare à Paris, le terrible article de Elle, et les articles favorables de Jour de France et France dimanche.



Quelques extraits (lettres écrites à Ninette Ellia entre l’âge de 7 et 11 ans) « Ma maman claquait des dents toute la nuit, et j'ai rien eu à manger le soir ni ce matin j'ai pleuré et après je me suis invanté une petite chanson triste. » (oct. 1954) « La dernière fois on a couché dans une chambre où le radiateur allait que jusqu'au fa, il y avait que 4 tuyaux mais heureusement un rayon de lune m'a tiré la langue jusqu'au mur et d'autres rayons de lune sont venus à travers les persiennes et ils ont tracé sur le mur une belle portée couleur de mer sur quoi je m'amusais à écrire des notes à côté de maman qui dormait. » (oct. 1954) « Hier invitée chez Léo Ferré le compositeur je lui ai dit que je voudrais qu’il compose de la musique autrement […] 41. Il me plait cause il parle peu […]. Chez Julliard on m’a appelé Mademoiselle, j’ai ri comme une folle, on m’a demandé de dire des vers de moi à côté d’un petit appareil gris qui me fixait […]. Ca m’a fait l’effet d’être dans une bouteille avec une étiquette sur le nez […]. Si on m’opère on me coud les paupières. Tant pis pourvu que la musique me reste ouverte, mon besoin. [En marge :] Opération demain » (29 avril 1955) « La musique – je peux pas m'en détacher – j'y reviens comme la mer revient à sa plage. » [1954 ou début 1955] « La musique mon Dieu la musique je ne peux pas vivre sans ça je la sens à plein moi autour de moi les couleurs les formes les odeurs me la souflent à la figure et mon cœur bat comme des ailes en les écoutant. » (mars 1955) « Faut 16 ans pour préparer un bac et 72 ans pour arriver à trouver cette horreur que vivre devant un piano fermé c'est des vacances. Ce n'est + un piano, c'est un cercueil. » (27 juillet, 1956 ?) « Je suis sorti dans la pluie et ses doits pressés battaient la mesure et mes petits pieds ont senti leur rythme les habiter et j’ai dansé l’eau joyeuse qui double la rue dansé en chantant à la pluie un merci heureux d’être si belle dansé jusqu’à ce qu’une fessée rappelle à mon arriere train que la pluie ben ça mouille » (juin [1955]) « J’aime la terre, ça vit comme un animal dont la peau brunne chante » (17 mai 1955) « Je tends au soleil mes petites fesses pour voir si d'un caprice il en fera 2 abricots et de mon short je me fais un chapeau Louis XV, dans des feuilles de rhubharbe je me suis fait un loup pour qu'on ne me reconnaisse pas. Sais pas pourquoi Maman m'a grondée. Les fesses c'est si tellement anonime ! » (août 1957) « Il y a eu 3 emissions sur moi à la radio, parait que j’ai écrit des vers genre bonhomme qui s’appelle François Vielon, et un autre critique dit que j’ai écrit deux lettres à la Zola. Je suis plus un Minou, je suis un coktail où on trouve des nez et des oreilles et un cœur qui ont déjà servi à des gens connus » (juillet 1956) « J’aime retrouver sur un objet le rève que j’y ait fait la veille – et si d’autres mains s’y sont posées, çà rompt le rève ! » (juillet 1958) 41

Minou ne supportait pas que Ferré gâche sa musique avec des paroles qui ne lui allaient pas (!).


Extraits d’une lettre de fin 1955 * Ma Tatinette chérie Vrai que ma chérie Mamie de Paris a plus mal ? Je lui fais tricotte un petit maillot en baisers de soie pour son nez pour que le froid lui fasse pas mal. Dépêche m’annonce le journaliste de « Elle » pour lundi je peux rien dire car c’est une amie de M. Julliard, et il est si trésor avec moi, m’écrit tous les 2 jours, va me montrer à un grand médecin samedi, m’emmène entendre mon Amour [Lucette Descaves] le lendemain. Photos du « Figaro » ? une horreur ! j’ai maigri, et il me donne l’air enflé ! Paraît que l’émission de dim à la télévision avec Mad. Renaud a été émouvante. Il y a eu 8 émissions sur moi depuis une semaine et j’ai jamais pu en entendre une seule. Mon petit chien ? On me l’a arraché pour une faute que je n’avais pas commise, ce geste là a pour un jour creusé un vide entre la porte du monde et moi, depuis la voix des autres me parvient de si loin, entre eux et moi il y a la longueur d’une corde qui arrachait de moi la moitié de mon cœur. Pour réparer sa gaffe mon Amour a voulu m’en acheter un autre, j’ai refusé. Jamais je n’aurai d’autre animal. Je ne lui en ai voulu de rien, aimer c’est accepter 42.

Minou

42

Minou Drouet a consacré un poème poignant à cette mésaventure traumatisante : « Je n’avais qu’un ami », publié dans Poèmes et dans Arbre mon ami.


Lettre du 16 juin 1955

43

*

J’aime les algues soie souple dont sont tissés les cheveux flottants des enfants morts…

(Etat antérieur, inédit, du poème « Algue » publié dans Arbre, mon ami, pp.48-49).

43

Ce poème vient en conclusion d’une lettre dans laquelle Minou Drouet s’enthousiasme pour la science et la nature : « vous savez ma passion […] c’est de savoir de comprendre la vie le corps le dedans des bêtes et des plantes… »


Dame, mes petites gambettes ont huit ans‌


« Première belle robe. Avec elle et mon nez en l’air et toute ma joie de sentir sous mon arrière train un tabouret du Conservatoire, avec tout mon cœur je vous embrasse. Minou 1er Juillet 1955 » *



LIVRES : 17 ouvrages de Minou Drouet, la plupart enrichis d’envois autographes.

Minou DROUET. Poèmes et extraits de lettres. Julliard, 1955. EO peu courante, tirée à 500 exemplaires hors commerce, du livre qui révéla l’existence de Minou Drouet. Joint : une photographie originale de Minou Drouet jouant du piano (18,2 x 13, tampon humide Goldner au dos), légendée, datée du 1er juillet 1955 avec EAS de Minou Drouet. Minou DROUET. Arbre, mon ami. Poèmes et extraits de lettres. Julliard, 1956. EO, bandeau. EAS à Tatinette. * Le même, mention de mille, bandeau, EAS « avec un gros baiser de Minou ». * Le même, mention de mille, EAS à « Mamie de Paris, ce petit livre où j'ai mis tout mon cœur ». Minou DROUET. Poèmes. Genève, Editions René Kister, 1956. Premier tirage de cet album de 26 beaux portraits de Minou Drouet en héliogravure par Roger Hauert. Une mention finale indique que toutes les tenues portées par la fillette sont prêtées par la marque « Enfantillage ». Envoi de Minou Drouet, daté de 1970. André PARINAUD. L'affaire Minou Drouet. Petite contribution à une histoire de la presse. Julliard, 1956. In-12, broché, non coupé, 246 pp. Edition originale, un des 30 exemplaires sur Corvol l'Orgueilleux (seul grand papier). EXEMPLAIRE DE L’EDITEUR, avec envoi de l'auteur : « A René Julliard, éditeur sans peur et sans reproche, très amicalement ». Minou DROUET. Mes chansons mises en musique... Ray Ventura, 1956. Partition musicale. Annotations manuscrites autographes (dont des modifications à la ligne mélodique). Joint : cinq morceaux du recueil en partitions séparées pour piano et chant. Minou DROUET. La valse de Milan. San Gusto, 1958. Partition musicale. Paul VIALAR. Clara et les méchants. Paris, Flammarion, 1958. In-12, broché, couverture illustrée, 251 pp. Edition originale de ce roman porté à l'écran avec Minou Drouet dans le rôle-titre. UN DES 18 EXEMPLAIRES DE TETE numérotés sur chiffon de Lana. Ex-libris contrecollé sur le premier feuillet. Minou DROUET. Le pêcheur de lune. Horay, 1959. 4 exemplaires enrichis d'envois autographes signés, pour Ninette, pour « mon Biquet bleu et Tante Franboise », etc., de « son insupportable crapaud ». Minou DROUET. La flamme rousse. Illustrations de Daniel Billon. Hachette, 1968. E.O. de ces contes pour enfants. EAS.


Minou DROUET. Ouf de la forêt. Presses de la Cité, GP, 1968. EAS à Ninette. « Un fort bon livre, qui campe un attachant personnage de ‘simple’ accordé au rythme de la nature » (Marc Soriano, Guide de littérature pour la jeunesse, p. 415). Minou DROUET. Du brouillard dans les yeux. Plon, 1969. EO du seul roman et dernier livre de la jeune Minou Drouet. Un roman « à l’eau de rose », mais qui traite de sujets durs, inspirés par les expériences de Minou enfant puis adolescente : l’abandon, la cécité, l’hôpital et la fin de vie, l’enfantement… Bandeau, EAS à Ninette : « tout comme du givre sur les vitres pour refuser de voir la misère du mur d'en-face ».

Partition de chansons de Minou Drouet (publiée en 1956), avec annotations et corrections autographes de la fillette *.


Photo Roger Hauert (in Poèmes *), détail _____________________________


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