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dossier

Décoder à travers l’écoute

Gérer la pudeur aussi

C’est pour ce faire que quiconque désire accompagner les personnes en fin de vie doit développer, de façon exceptionnelle et très fine, une qualité d’écoute et de décodage de ce qui est exprimé durant ces moments précieux.

Soyons encore réalistes. Il y a encore une grande pudeur autour de l’expression de l’essentiel. Des générations d’humains ont eu du mal à exprimer leurs sentiments et à exprimer l’essentiel. Parmi ces générations, un grand nombre a quitté sans mettre au clair ce qui pouvait l’être et a quitté sans même prendre conscience de leur propre départ, n’étant pas informé de leur état réel de pronostic vital de santé ou étant déclaré incapable par l’entourage d’assumer en conscience cette phase d’adieu.

Il se peut que la personne en fin de vie exprime derrière une question ou une interpellation très concrète (« Tiens, qu’est devenu tel papier dans mon bureau ? »), une forme de grande inquiétude pour une situation ou pour une personne. Or, toutes les angoisses, les peurs, les attachements vont alourdir la personne et freiner son processus de passage. Un écoutant avisé saura décoder si la question est juste concrète ou si elle cache par pudeur une dimension plus complexe.

Confusion et délire, à accueillir Il en va de même pour tous les moments de confusion où même le délire peut être présent. Ces moments de délire, décodé avec conscience, permettent d’entendre des angoisses refoulées de la personne ou des évènements que la personnalité ne sait pas voir et qui reviennent par ces moments de délire.

Il y avait cette charge de pudeur qui empêchait de toucher l’essentiel, de mettre les mots, ou toutes formes de peur, d’aborder les choses importantes, dans une écoute très profonde. Et puis il y avait aussi ce climat de manque d’écoute et parfois d’acharnement thérapeutique de la médecine. A l’échelle des deux derniers millénaires, la reconnaissance légale de la pratique de l’euthanasie est minuscule. La pratique n’a été légalisée en Belgique que depuis la loi du 28 mai 2002…

témoignage La départ de ma mère Ma mère souhaitait mourir. Ce ne fut pas facile à entendre ni à accepter. Cela s’est pourtant révélé une expérience de vie précieuse. Ce voyage a commencé bien avant le jours du décès et s’est fait par étapes : la distanciation par rapport à son histoire et aussi par rapport aux personnes qui l’avaient partagée, une sorte de repli sur le quotidien le plus immédiat de sa vie en maison de repos, dans un espace de plus en plus rétréci et puis enfin, le lâcher-prise même par rapport à son corps et aux fonctions vitales les plus élémentaires. Le moment le plus intense s’est passé quand j’ai pu accepter son souhait (Il m’aura fallu 9 mois pour cela !) J’ai vu son visage s’éclairer et son corps décharné se tendre dans un élan d’espoir et de joie. Elle aspirait à partir, nous disait qu’il lui arrivait quand elle se réveillait de se demander si elle

n’était pas déjà ailleurs, comme si la frontière entre l’ici et l’ailleurs devenait de plus en plus ténue et comme si cet ailleurs était plus attrayant que l’ici. Je crois pouvoir dire qu’elle est partie en paix, dans une grande simplicité même si ses derniers mots ont été « C’est dur » Cela a néanmoins été source de beaucoup d’émotions et de stress. En effet, le deuil commence avant le décès. Par ailleurs, la fin de vie en MRS implique de prendre en compte la sensibilité de nombreux autres intervenants et les limites de la vie institutionnelle génèrent leur lot de tensions et de frustrations. Par ailleurs, l’évolution des pratiques d’accompagnement de la mort dans nos pays et le recours généralisé aux Pompes Funèbres ne prennent à priori pas en compte les recommandations d’un ouvrage comme Le Livre des Morts Tibétains et il nous a fallu composer au mieux. M. Marchal

AGENDA PLUS - NOVEMBRE 2015| 17


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