IROmagazine N°22

Page 16

FRANCOPHONIE et mondialisation Le XIIIe Sommet des chefs d’Etats francophones nous fournit l’occasion de procéder à une estimation de la situation des langues à l’heure où la mondialisation poursuit des ravages que rien ne semble devoir arrêter. Situation du français mais également de l’anglais, remplacé de plus en plus par le sabir américanisé qu’utilisent près de deux milliards d’êtres humains et dont la conséquence est de faire de la langue de P. D. James et de la reine Elizabeth (celle de Shakespeare n’est que rarement employée de nos jours) l’une des plus massacrées au monde.

Diversité linguistique menacée ? Selon les chiffres, 70 Etats, membres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), représentent plus de 870 millions de personnes parlant le français, soit comme langue maternelle, soit comme première langue étrangère, soit encore comme langue de travail et/ou de culture. A l’ONU, les nations francophones constituent le tiers environ des Etats membres. L’OIF est active depuis 40 ans, avec un réseau sur les cinq continents. C’est dire si l’existence du français semble loin d’être menacée.

C RI T I QU E

Ce n’est là, cependant, qu’une vitrine pour donner aux peuples francophones l’illusion que leur langue est défendue et que leur patrimoine est régulièrement mis en valeur. La réalité quotidienne est légèrement moins flatteuse. L’abdication, devant les exigences de la mondialisation, de ce qui fait l’âme des peuples (pas uniquement francophones) est flagrante jusque dans les plus petits détails. Il suffit de voir à quelle cadence la langue française et l’enseignement du français dans les universités étran1

gères sont progressivement remplacés par l’anglais pour s’en rendre compte. Il est vrai que lorsque l’on connaît de l’intérieur l’efficacité du British Council, la motivation et la compétence de son personnel et qu’on les compare à l’abdication des autorités françaises, on comprend beaucoup de choses. Quelle raison invoquer pour ce fiasco francophone ? L’absence de volonté politique, bien sûr, répercutée à tous les niveaux. Ainsi, l’acceptation d’une législation européenne qui, en phase de concertation, est envoyée aux parlements nationaux à 80 % en anglais, ce qui laisse toute latitude à des interprétations divergentes. Et puis, il y a l’éducation. Pour les élèves de notre génération, correction et élégance syntaxiques et lexicales, exactitude orthographique résultaient presque automatiquement d’un apprentissage cohérent, qui impliquait un abord syllabique de la lecture et de l’écriture, au lieu de la méthode globale introduite dans les années soixantedix, source d’illettrisme. Dans le domaine de la littérature, avoir lu les classiques et en connaître des passages par cœur allait de soi. Même ceux que cela laissait

de marbre1 ont encore dans l’oreille des répliques, des vers, des sentences qui tissent la trame de leur identité. Aujourd’hui, les programmes scolaires incluent non seulement une majorité d’auteurs contemporains2 dont la légitimité ne repose que sur leur succès commercial ou leurs appuis people, au détriment des maîtres d’autrefois, mais également des traductions de romanciers étrangers – américains la plupart du temps – en contradiction avec le fait avéré que la langue spécifique aux traductions est essentiellement artificielle et finit par altérer la langue maternelle dans ce qu’elle a de plus profond, esthétique et spontané. Mais les aberrations pédagogiques ne font que traduire la volonté des promoteurs de la mondialisation, avec la complicité des élus politiques au plus haut niveau, d’effacer l’identité des peuples européens en s’attaquant aux langues nationales par l’imposition du «sabir unique transatlantique» (SUT), c’est-àdire anglo-américain. La Suisse n’est, de ce point de vue, pas mieux lotie que les autres pays européens. Les administrations de service public telles que les PTT ou les CFF (subrepticement privatisées, contre la volonté des citoyens) en sont les champions. Ouvrons un bottin de téléphone en ligne. Il ne s’appelle plus bottin, d’ailleurs, mais directory. Pour

La plupart de mes condisciples de la section économique, au Collège, en bons matérialistes obsédés de commerce et de profit, étaient d’avis qu’il fallait supprimer des programmes tout ce qui n’était pas matériellement utile : littérature, histoire, philosophie. Ce sont eux et ceux de leur trempe qui, ayant eu par la suite le pouvoir d’infléchir la direction prise par la société, l’ont engagée dans l’impasse où nous sommes. 2 98% de ce qui est publié en «littérature» est médiocre, avec des non entités littéraires comme Marie Darrieussecq, Amélie Nothomb, Marc Levy, de vieilles barbes n’ayant plus rien à dire depuis belle lurette comme Philippe Sollers ou des illusionnistes bobos comme BHL, soutenus par le microcosme politique et médiatique parisien.

16


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.