Récits policiers

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chat depuis le jour où je l’ai recueilli sur le palier de l’immeuble. Je feuillette le bouquin distraitement en écoutant la pluie qui martèle la vitre de ma fenêtre. Quel sale temps! Je m’arrête finalement sur une page du recueil et lis à voix haute le vers suivant : «J’étais mort sans surprise et la terrible aurore / m’enveloppait. Eh quoi n’est-ce donc que cela? / La toile était levée et j’attendais encore» . Cela peut paraître superstitieux, mais je crois que je vais passer une mauvaise fin de journée. J’écoute la pluie qui martèle la vitre de ma fenêtre. De plus en plus fort. Le Matou commence à être nerveux de ce tapage peu habituel pour ses oreilles de félin. Lentement, je me dirige vers la cuisine pour me préparer une tasse de thé bien chaud. Bien qu’il soit bien tôt l’heure d’aller rejoindre Mathilda et qu’elle va m’en servir une tasse, je ne peux me défaire à l’idée de me réconforter avec cette douce mixture. Alors que je m’apprête à verser de l’eau dans ma bouilloire, j’entends un «crac sonore» et s’ensuit une noirceur quasi absolue. Je sens Le Matou qui se frotte contre mes jambes, mais je ne le vois pas. Soudain, je perçois un cri dans le silence de la panne. Il provient du premier étage, j’en mettrais ma main au feu. J’apporte avec moi une lampe de poche qui est toujours entreposée dans un des tiroirs de a cuisine en cas de situation comme celle-ci. Je quitte mon appartement, et dans le

couloir, je distingue d’autres faisceaux de lumière provenant des lampes de poche des autres locataires. Tous sont sortis de leur appartement, curieux. Je me dirige vers les escaliers. Le souffle court, j’éclaire ceux-ci. Je m’avance. Pour mieux voir. Fichtre! Je suis saisi d’horreur lorsque je découvre ma vieille voisine livide, blanche, sur le point de s’évanouir et qui regarde, gisant à ses pieds, le corps inerte de la belle Sophie. Je descends les quelques marches qui me séparent de la victime et attrape par le bras Mathilda en état de choc. Je l’entraîne vers le deuxième étage où je la fais asseoir. Puis, je m’approche du corps, entreprends les procédures propres à ces cas-ci que j’ai appris dans le temps où je faisais partie de la police. Je somme les autres lo cataires de rester dans le corridor et de ne pas bouger. Je vois cinq têtes qui me regardent abasourdies. Pour la plupart d’entre eux, c’est la première fois qu’ils entendent le son de ma voix. Pour ma part, je ne crois pas avoir jamais adressé la parole à quiconque dans l’immeuble autre que ma vieille voisine. Et à Sophie aussi, depuis quelque temps. Je prends le pouls de cette dernière. Rien. Autour de son cou, une ceinture de robe de chambre lui a fait pousser son dernier souffle. Quel beau gâchis! Son visage sera figé à jamais dans une expression de terreur. Les boucles de ses cheveux s’entremêlent avec l’arme du crime, comme pour tenter

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