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Un Soleil bleu

Oh, l’été !

Tu as besoin de Nature.

Tu as besoin de Silence.

Tu as besoin de Vide.

Tu es ce chien. Ce chien qui halète. Couché sur le côté. Il a gratté de ses griffes les graviers d’un jardin pour chercher un peu de terre. Et s’y allonger. S’y lover. Entre Terre et Soleil. Juste là, au croisement des énergies entre le Haut et le Bas. Entre le Visible et l’Invisible.

Oh, l’été !

Toi, tu travailles tant depuis des mois. Dans des habits qui ne laissent guère passer le vent, dans des salles de dialyse, dans des bureaux aux couloirs innombrables, dans des classes aux odeurs de gouache et de crayon, dans des cuisines de restaurants, aux caisses des grandes surfaces, dans des bus, des trains, des métros, des trams, des voitures, des fichiers Excell, des « tapez un, deux ou trois… », des « toutes nos lignes sont actuellement occupées », des SELFSCAN, des BONUS CARD, des parkings, des bétons, des bitumes, des asphaltes…

Toi, tu as besoin de Nature.

Ta nature à toi, l’été, c’est de te dévêtir. C’est d’enfiler les habits souples qui laissent venir les rayons du Soleil sur ta peau. Tu enfiles des bermudas, des chemises en lin, des espadrilles. Tu marches pieds nus. Tu ouvres grand ta chemise. Tu laisses bondir les courbes de tes seins. Sur ta peau, tu as besoin de ces énergies cosmiques. Qu’elles te viennent. Qu’elles te caressent. Qu’elles t’englobent. Qu’elles te contiennent. Qu’elles te réchauffent.

L’été, d’ailleurs, le jour, toi, c’est un secret, c’est très intime, tu te déshabilles. Parfois entièrement. Et tu marches dans ton lieu de vie. Que le vent, que la chaleur, que les rayons du Soleil inondent ta peau trop longtemps contenue en des tissus de protection, d’uniforme ou d’apparat. L’été, toi, tu aimes marcher nu. L’été, toi, tu aimes marcher nue. Comme on nage nu. Oh, comme c’est bon. Comme on nage nue. Oh, comme c’est bon. Dans la rivière d’Ardèche, la piscine familiale ou l’Océan circulaire de la voûte solaire.

L’été, tu cherches, à l’image de ce chien haletant, le point d’intersection entre le Haut et le Bas. Le Soleil et la Terre. Le Visible et l’Invisible. Tu laisses ton corps se traverser d’une énergie formidable dont tu ne peux décrire ni la genèse, ni la signification, ni le rôle. Simplement, tu sens, tu ressens, à l’instinct, l’importance d’être là, à l’intersection, là exactement, entre le Haut et le Bas.

Tu te couches au bord de la piscine du Sud, sur la terrasse d’un appartement, sur l’herbe d’un parc de la ville, dans le jardin d’un ami, sur un transat aux lignes rouges et blanches, sur un banc public, sur un chemin, sur une plage de galets. Tu te couches. Tu t’allonges. Tu t’abandonnes. Tu te laisses happer. Ton corps accueille les rayons cosmiques et les ondes telluriques. Ça vient d’en haut. Ça vient d’en bas. Ça te transperce.

Tes paupières sont closes. Sous le Soleil, tu convoques en toi les zones avec lesquelles il te semble bon de dialoguer. Tu écoutes ta respiration. Tu écoutes le battement de ton cœur. Tu écoutes tes Grandes Profondeurs.

Tu dresses la liste des gens que tu aimes. Ces femmes, ces hommes, ces enfants à qui tu aimerais écrire une lettre au stylo avec un vrai timbre. Albert Camus te manque. Tu dresses la liste des gens que tu n’aimes pas assez. Tant de vies, tant de visages. Christian Bobin te manque. L’été, rêver et méditer par amour sincère des gens.

Dans ce calme entre Terre et Ciel, ta solitude ronde, tu revisites ton métier. Tu es boulangère, conducteur de bus, pharmacienne, employé à la CAPAC… L’été, tu interroges la façon dont tu as exercé ton métier cette dernière année. La colère que tu as poussée. La colère que tu n’as pas poussée. Tes paroles perdues. Tes paroles tues. L’Octuple Sentier. Oh, l’Octuple Sentier du Bouddha. Tu l’avais oublié, l’Octuple Sentier. Il est pourtant gravé sur ta peau. La fleur de Lotus sur ton sein droit. La fleur de Lotus aux huit pétales. Celle que tu t’es fait tatouer il y a quelques années. Pour ne jamais oublier. La pensée juste, la parole juste, l’action juste, l’attention juste…

Tu es infirmière, instituteur, gardienne de la paix, garagiste… Tu entres au plus profond de tes Grandes Profondeurs. Sous le Soleil et sur la Terre. Tel le chien couché. L’été. Tu es seul. Tu es seule. Là, loin dans tes intériorités, le bruit du monde s’estompe. Il disparaît. Peu à peu. Reste un souffle. Reste un Rien. Le signe du Vide. Sous le Soleil. C’est tellement bon. Encore un peu. Encore un brin de chaleur et de lumière.

Peut-être que tout le monde possède, à l’intérieur de lui, un château intérieur. Au plus profond de tes Grandes Profondeurs, toi, ton château, c’est le château de Púbol. C’est en Espagne. A quelques encâblures de Figueras. Le lieu que Dali a offert à sa muse Gala. Dans ce château, se trouve une terrasse tout en poésie. Abritée des rayons violents du Soleil. Abritée des forces violentes de la Terre. Ouverte sur un champ de tournesols alentour. Tommettes, briques, terre cuite. Un rocking chair en rotin, immobile, offert aux vents doux de l’Empordà.

L’énergie de tes Grandes Profondeurs ressemble à l’énergie de cette terrasse.

Là, il n’y a Rien.

Là, il y a Tout.

Ta maman disait : « Nous avons toutes et tous besoin de dialoguer avec un petit coin paisible au plus profond de nous. Un petit coin discret. Le moment propice, je t’assure, mon enfant, c’est sous le Soleil d’été. Un petit coin que l’on peut découvrir en lui accordant une forme connue. Un lieu de la planète qui nous touche. Un champ de coquelicot en Toscane. Des chevaux sauvages dans les Pyrénées. Une rive de Seine ou de Meuse. Qu’importe l’endroit pourvu qu’il soit ton centre du Monde à toi. La porte d’entrée vers tes Grandes Profondeurs. Alors, rêve… »

Toi, tes Grandes Profondeurs, tu y accèdes par la terrasse du château de Púbol.

Sous le Soleil, depuis quelques minutes, tu voyages à l’intérieur de toi.

Dans un bain de Lumière.

Tu as besoin de Nature.

Tu as besoin de Silence.

Tu as besoin de Vide.

Oh, l’été.

Et, dans tes Grandes Profondeurs, rejoindre un Soleil bleu.