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bien commun

La biorégion urbaine : un dispositif conceptuel pour un retour au territoire bien commun Alberto Magnaghi définie la biorégion urbaine comme « le réfèrent conceptuel approprié pour traiter d’une manière intégrée les domaines économiques (système local territorial), politiques (autogouvernement), environnementaux (écosystème territorial) et de l’habiter (lieux fonctionnels et lieux de vie dans un ensemble de villes, bourgs et villages) d’un système socio-territorial qui cultive un équilibre de co-évolution entre établissement humain et milieu ambiant, rétablissant sous une forme nouvelle les relations de longue durée entre ville et campagne pour atteindre l’équité territoriale » (Magnaghi 2014b, pp. 6-7). La vision intégrée proposée ici découle de la prise en compte de l’inefficacité de toutes ces méthodes palliatives qui ne se limitent qu’à guérir les échecs et les dysfonctionnements produits par le modèle actuel de développement et d’implantation : cet « Anthropocène » (Crutzen 2005), ou « Capitalocène » (Moore 2017), qui déploie une « urbanisation planétaire éco-catastrophique » (Magnaghi 2014a, p. 40). En ce sens, le modèle biorégional peut être considéré comme un scénario d’évolution du projet de développement durable local déjà décrit par Magnaghi en 2000, revu en fonction de l’aggravation des grandes urgences inhérentes au changement climatique, à la réduction des sols perméables, à l’augmentation des émissions de CO2, à la faible qualité de l’habitat, à la production non durable de nourriture (et au risque pandémique, peut-on ajouter à la lumière de ce qui s’est passé avec le Covid-19). Le point de vue adopté dans l’approche biorégionaliste n’est pas écologiste tout court mais – et c’est une différence fondamentale par rapport à l’approche biorégionaliste américaine à laquelle nous ferons référence dans le paragraphe suivant – vise à « prendre soin de l’environnement de l’homme » (Magnaghi 2000, p. 58), renouant le fil de ce processus de coévolution brusquement interrompu par une modernisation mal gérée (Norgaard 1994). L’écart fondamental par rapport à l’écologisme radical est, donc, d’intégrer, dans cette perspective, le point de vue et la présence d’un homme qui « atterrit » (Latour 2017), formulant une réponse cohérente et uniforme à la déréglementation, à la croissance des inégalités, au négationnisme climatique. Comme l’ont observé Fanfani et Matarán (2020), l’étape clé est « from the possible drift of the bioregionalism as a philosophy mainly committed with ecologically minded visions where the issue of settlements stands in the background, to the more integrated concept of urban bioregion (Atkinson 1992, Magnaghi 2014) according to which the bioregional paradigm is conceived as a set of ruling references, even for the urban domain, strongly connected to the agro-ecosystemic and long-lasting geo-structures of the surrounding areas » (Fanfani, Matarán 2020, p. 10).

Face à l’omniprésence des processus en cours, purement extractifs des ressources de la planète, Magnaghi identifie dans le « retour au territoire comme bien commun » (Becattini 2009) le mouvement collectif qui peut inverser la tendance en cours2. Ce retour, qui n’implique pas la reconstitution banale de formes physiques mais la relecture, en termes de conception, de structures territoriales, urbaines et paysagères de rôle patrimonial, est indissociable d’une réappropriation de la dimension d’autogouvernement de la part des sociétés locales3 (Baratti et al. 2020). Sur le plan spatial la proposition biorégionale consiste en un scénario qui subvertit la géographie fortement polarisée sur les zones urbaines centrales (que la planification à prédominance fonctionnaliste a contribué à dessiner), responsable de dysfonctionnements, dégradation de l’environnement, déséconomies. Le scénario biorégional est clairement polycentrique et consiste en « un ensemble de systèmes territoriaux locaux fortement transformés par l’homme, caractérisés par la présence d’une pluralité de centres urbaines et ruraux organisés en systèmes réticulaires et non hiérarchisés, en équilibre dynamique avec leur milieu ambiant » (Magnaghi 2014a, p. 82). Ces systèmes visent la fermeture des cycles en ce qui concerne l’eau, les déchets, l’alimentation, l’énergie. La biorégion urbaine se configure donc comme un « système vivant de haute complexité » (Capra 1996 ; Saragosa 2005) avec une capacité d’autopoïèse, c’est-à-dire de reproduire aussi bien lui-même que sa propre organisation interne (Maturana, Varela 1994). Sur le plan spatial, les pivots de la biorégion urbaine sont le système des espaces ouverts non artificialisés et le système d’établissement polycentrique. A l’intérieur de cette structure physique, la construction et la transformation de la biorégion urbaine peuvent être entreprises selon les étapes suivantes. • La réactivation des règles de sagesse environnementale sédimentées dans les connaissances contextuelles, « fondations cognitives » de la biorégion (Magnaghi 2014, p. 91).

Toutes les procédures visant à impliquer la population dans le projet de territoire jouent un rôle crucial dans la détection de ses fondations cognitives. Dans ce domaine – qui, loin d’une rêverie qui verrait la cohorte des « habitants » dépositaire d’attitudes constamment et uniformément vertueuses dans ses intentions conceptuelles et politiques, ne peut que sembler semé d’embuches – une fonction maïeutique peut être exercée par certaines formes de représentation co-construites avec les communautés locales (telles que les cartes de communauté, les parish maps, et tous les travaux touchant de près l’instrumentation des Urban Participatory Design Experiences4) ;

2 Sur le thème de la ville, du territoire, des lieux comme biens communs, voir aussi Cacciari 2010, Mattei 2011, Maddalena 2014. 3 Sur la complexité de ce point, voir aussi le paragraphe 5 du chapitre Le projet patrimonial dans cet ouvrage. 4 Voir, a cet égard, le paragraphe 4 du chapitre Le projet patrimonial dans cet ouvrage.

• La prise en compte des objectifs d’équilibre environnemental comme « fondements matériels » de la biorégion (Magnaghi 2014a, p. 102). L’équilibre hydro-géomorphologique et écologique devraient être reconnus comme conditions préalables aux futurs projets de transformation territoriale et urbaine au lieu d’être poursuivis a posteriori par des interventions de nature exclusivement compensatoire. C’est un objectif très ambitieux, surtout dans un contexte comme celui de l’Italie où l’espace pour les nouveaux projets est particulièrement limité par rapport à celui dédié à l’intervention sur l’existant. Ces objectifs devraient donc représenter l’horizon d’une vision orientée vers la requalification et la régénération des territoires et, en son sein, trouver une cohérence (peu facile) avec l’existant. Une série d’expériences particulièrement intéressantes est celle des projets qui ont pris le fleuve et sa requalification comme épine dorsale, comme ceux développés au sein du « Participatory European network on Water Governance-Smart Rivers Network » de la European Innovation Partnership on

Water ou bien à travers l’activation de contrats de fleuve (Bastiani 2011). Dans ce type d’approches, le fleuve n’est plus considéré exclusivement comme un facteur de risque hydraulique mais comme l’épine dorsale du territoire traversé (comme d’ailleurs historiquement), sur laquelle construire des parcs fluviaux et péri-fluviaux qui valorisent la multifonctionnalité de l’agriculture, la végétation riveraine, les zones de naturalité dans les espaces récupérés pour la dérive des eaux (si possible). Le fleuve peut également devenir l’axe fonctionnel de la réorganisation du territoire, le long duquel développer des voies de mobilité lente et greffer les liaisons transversales correspondantes, ou à aménager comme source de production d’énergie durable, ou encore comme thème principal pour la construction de la communauté (Lingua et al. 2018) ; • La préservation des espaces ouverts non artificialisés et la valorisation de leur multifonctionnalité. À la base, il y a la reconnaissance d’un réseau écologique plus complexe et plus étendu que celui composé uniquement de zones protégées. Certaines recherches, comme celle menée au cours de la rédaction du Piano d’Indirizzo Territoriale de la Toscane, ont souligné le rôle stratégique que jouent dans le réseau écologique régional des zones qui, dans de nombreux cas, ne disposent pas de dispositifs spécifiques de protection normative. Parmi celles-ci, les principales sont les nœuds forestiers primaires et secondaires, les aires agricoles à haute valeur naturelle (c’est-à-dire les « High Nature Value Farmland » identifiées par la Stratégie Nationale pour la protection de la biodiversité), les couloirs fluviaux (Lombardi et al. 2016). Ces zones, part du territoire rural « ordinaire », peuvent contribuer à fournir cette gamme de services écosystémiques – relatifs aux trois catégories fonctionnelles du provisioning, regulating