Sang d'encre

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sensible pour me comprendre. Bref, je l’avais quittée quelques années avant cela en me disant qu’on ne choisit pas sa famille, mais ses amis. C’est la lettre du notaire qui m’apprit ma nouvelle indépendance financière qui me fit penser à elle. Pour la première fois depuis des années, je reçus des nouvelles de mes parents et c’était pour m’annoncer leur mort. Ils me léguaient tout, n’ayant pas d’autre héritier mâle. Je me demandais ce que je devais en faire, je me demandais surtout si je le méritais. C’est pourquoi je passais beaucoup de temps à inventer dans mes histoires des scénarios possibles sur la vie que j’aurais si j’étais resté avec eux ou à l’avenir que j’aurais avec tout cet argent qui m’appartenait désormais. Est-ce que je devais en laisser à mes sœurs qui étaient déjà très vieilles, toutes déjà mariées et bien en moyen ? Je ne savais pas quoi penser de cet héritage et me soulageais dans mon écriture. C’est lorsque je me décidai enfin à garder cet argent afin d’augmenter mon niveau de vie que Laure B. de Chialeras pénétra vraiment dans ma vie. Avant, elle n’était qu’une cliente parmi tant d’autres dans ce petit bistro. Il était vrai que je l’avais remarquée un peu, car une femme seule dans un café à une heure si tardive avait de quoi attirer l’attention. Un jour, elle arriva au bistro et ne put s’asseoir à sa place habituelle, car un autre client avait pris sa place. Elle vint donc s’asseoir à mes cotés, continuant son voyeurisme. Je l’ignorai superbement et continuai à confier au papier ma vie. Le lendemain soir, le client qui avait pris sa place était parti et je m’attendis donc à ce qu’elle reprenne sa place, mais à mon grand étonnement, elle s’assit encore à coté de moi. Je continuai à l’ignorer, mais sa présence dérangeait ma concentration et me poussa à l’observer du coin de l’oeil. C’est là que je la vis vraiment pour la première fois et que je fus conquis par sa beauté et par son charme. Ce fut la première fois que je compris d’où venait son charme : elle n’était pas une beauté que l’on voit au premier abord, sa beauté venait de sa grâce et de son maintien qui n’avaient pas leur pareil, à ma connaissance. Mais personne ne semblait voir que ce maintien surnaturel ne convenait à aucune femme pouvant se promener seule dans les rues de Paris à une heure si tardive. Je me dis que c’était une grande aristocrate aux habitudes loufoques qui avait quelque serviteur attendant à l’extérieur qu’elle sorte pour la raccompagner. Cette justification me semblant logique me poussa à l’ignorer À une autre époque, j’aurais cherché à la séduire pour en faire ma mécène, mais ma nouvelle indépendance financière me permettait de laisser passer l’occasion de me lier à quelque dame de la noblesse qui me protégerait. Retournant à mes écrits, je commençai une histoire qui essayait de créer une vie à cette dame loufoque qui épiait les gens sans jamais toucher à son café. Le premier soir, elle était une sordide jeune veuve qui s’était débarrassée de son vieux mari et cherchait dans les bistros un jeune homme de belle prestance avec qui se marier. Le lendemain, elle était une poétesse qui, comme moi, avait quitté sa riche famille et s’était trouvée, à la différence de moi, un riche mécène qui l’entretenait. Elle venait donc dans ce bistro, chercher l’inspiration et comme moi, au départ, faisait du repérage, inventant des histoires aux autres clients. Ainsi se poursuivirent mes nuits. Chaque soir une nouvelle histoire naissait de mon imagination, créant toutes sortes d’histoires loufoques. Mais malgré moi, je réécrivais la même histoire assez régulièrement. Je ne m’en rendis pas compte tout de suite, car je ne relisais presque jamais mes écrits. Mais, un jour, Lestat, mon ancien mentor, vint me voir. Il lut mes écrits et remarqua 99


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