Sang d'encre

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douleur parce qu'il a faim : elle crie! Son supposé amoureux rentre un peu trop tard : elle crie! Je dois mentionner qu'il rentre souvent très tard et très tard veut dire pendant la nuit. Si j'additionne l'hystérie de ma mère à l'heure tardive à laquelle mon beau-père décide de rentrer, cela ne me laisse pas beaucoup d'heures de sommeil. Ma mère, je ne l'aime pas. Je sais que fondamentalement et selon les théories de plein de gens importants, on aimera toujours nos parents, quoi qu'il se passe. Pourtant, je n'ai jamais aimé ma mère et je ne l'aimerai jamais. Je ne me culpabilise pas, puisqu'elle ressent exactement la même chose pour moi. Elle se fiche éperdument de moi et moi d'elle. C'est réciproque! Mais son idiot de copain, Louis, m'aime un peu trop. Il se croit ami avec tout le monde : il a étudié en psychologie, mais n'a pas d'emploi parce qu'il est trop paresseux pour bien s'habiller lors d'une entrevue. Pathétique! Il est plutôt laid et a un gros ballon en guise de ventre, ce qui est très repoussant. Sa moustache me dégoûte et son nez est beaucoup trop petit. Je ne sais pas si c'est son nez qui est trop petit ou si c'est sa moustache qui prend trop de place dans sa figure, mais je sais que s'il était le seul homme sur terre et que j'étais vraiment en manque de sexe, je ne lui toucherais même pas. Ses ongles rongés jusqu'au sang me donnent l'impression de vivre avec un pot de ketchup périmé! Ses lobes d'oreilles, qui s'étirent comme l'élastique des culottes trop vieilles, me rappellent une phrase qu'il dit toujours : «Ha! Les erreurs de jeunesse!» Il me répète à temps plein cette réplique parce qu'il n'a rien trouvé de plus constructif, quand il était jeune, que de faire agrandir ses trous d'oreilles à un point tel qu'on peut y faire passer un bulldozer au milieu. Vous savez, c’est cette mode d'avoir les plus grosses boucles d'oreilles possibles. C'est dégoûtant! Je le hais, je le hais, je le hais! Il croit me connaître parce qu'il m'a déjà prise en train de forniquer avec un de mes copains, un après-midi où j'aurais dû être à l'école. Il croit que ce petit incident dicte toute ma personnalité et que nous sommes plutôt semblables. Je préfère manger une boite de céréales grano au complet plutôt que d'être comparée à cet homme-là. C'est une belle famille que j'ai, n'est-ce pas? Mario, Lise, Louis et... Moi! Je m'appelle Fanny et je déteste ma vie. Non, ne croyez pas que je suis une fille qui s'habille en noir et qui parle de se trancher les veines, je suis juste malheureuse! Nous sommes rendus au moment où je devrais vous faire une description de mon physique et de ma psychologie, mais je n'en ai pas envie. En ce moment, j'ai le goût d'être partout sauf devant mon ordinateur à écrire sur moi. Quand on commence à parler de nous, ça ne finit plus et nous sommes obligés d'analyser tous nos faits et gestes. Déprimant! Vous pensez sûrement que j'essaie de fuir quelque chose et ça doit être vrai. J'ai le droit, je suis une adolescente et il y a des statistiques qui démontrent que presque tous les adolescents feront une dépression pendant cette période. Alors, je m'accorde le droit d'être marabout et de critiquer ma vie. Ce n'est peut-être pas la meilleure chose à faire que de bouder ma vie… Puisque je vous ai mis la puce à l'oreille en parlant des gens qui m'entourent, alors je vais vous faire des comparaisons, c'est ma force. On peut comparer mon existence avec celle des arbres: depuis que je suis petite, l'été je vis, l'automne je pleure, l'hiver je meurs et le printemps j'ai de l'espoir. C'est une bonne moyenne, deux saisons sur quatre sont belles! Elles sont belles parce que je les compare aux deux autres parce qu'au fond, je ne suis pas sûre que le printemps et l'été soient si joyeux que ça. L'été, quand j'étais plus jeune, 95


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