Sang d'encre

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vingt-quatre. Je ne sais pas comment ils font. Moi, j’ai peur de ne pas pouvoir garder le même homme toute ma vie, parce que je suis trop angoissée. J’ai peur de ne pas pouvoir m’occuper d’une relation parce que j’ai parfois de la difficulté à m’occuper de moi-même. Je suis trop souvent dépassée par les évènements. Je serai peut-être une mauvaise mère de famille, parce que je ne saurai pas quoi faire dans les moments plus durs et que j’aurai trop besoin de me contrôler. Je n’aurai pas les habiletés qu’il faut pour assumer le rôle d’une maman, d’une vraie mère de famille. Mais j’imagine que je vois trop loin… Ma mère et moi avons parlé durant une heure et demi au restaurant, de tout et de rien. Ce qui m’énerve, c’est que je ne peux jamais rien lui reprocher. Elle est parfaite, ma mère, et elle a toujours raison. Ça m’énerve des fois. Tout ce que je peux lui reprocher, c’est d’avoir eu un seul enfant. De m’avoir emprisonnée dans un trio duquel j’ai tant de misère à me détacher. Ma mère, mon père et moi. On est tellement proche. On s’aime tellement. Je suis une petite fille à maman. C’est ma sécurité. J’ai passé la journée à dormir, à regarder la télé, à écouter de la musique, à appeler mes amis pour leur dire que j’avais hâte de les voir ce soir-là, au resto. Je me suis préparé longtemps avant l’heure à laquelle je devais partir. Il faisait noir dehors et j’avais l’impression qu’il était encore plus tard. En me maquillant très minutieusement devant mon miroir (il était beaucoup trop tôt), j’essayais de me rappeler les moments les plus marquants de mon secondaire. Mon premier party, chez Sarah. J’étais la seule qui ne buvait pas, avec mon ami Laurent, et on ramassait tout. Ça s’est mal terminé; la police est débarquée chez elle, et ses parents étaient atterrés de voir que des jeunes de secondaire trois, ça boit beaucoup plus que ce qu’ils pensaient. Mon premier joint, avec mon amie Annie. C’était ma fête de seize ans, parce qu’avant j’étais au-dessus de ça, et la drogue, je n’aimais pas ça. Ça m’énervait que le monde prenne ça parce que c’était tellement drôle. De tout façon, moi, ça ne m’avait rien fait, parce que j’étais forte et que j’étais beaucoup trop audessus de tout ça. Mon deuxième joint, avec mon équipe d’impro. Là, c’était drôle. Les autres joints, les bières. Les tournois d’impro, les fous rires. Les feux de camp qui enivrent, les histoires d’amour, les soirées de filles. Le bal, l’après-bal. Tellement de souvenirs qui sont trop vite oubliés… Je suis entrée au Pizzédélic de St-Lambert et j’ai aperçu une table pour quinze personnes, réservée, mais encore vide. Égale à moi-même, j’étais encore la première. Je me suis donc prise une place de choix : celle du centre et sur la banquette. J’ai donc vu arriver, un par un, mes vrais amis : ceux qui me font toujours rire, ceux qui m’encouragent dans mes projets, qui sont toujours là pour moi. Les traditionnels : Laurence, Sophie, Valérie, Antoine et Nicolas. Et aussi les autres : Samuel, Simon, Catherine, Béatrice, Fred, Maxime, Émilie B., Geneviève, Émilie V. et Pascal. Ils étaient tous beaux et épanouis, ce soir-là plus que jamais. On se parlait de nos activités respectives, de nos nouveaux quotidiens. Je me sentais terriblement bien. Je retrouvais une partie de moi que j’avais laissée un peu en retrait les derniers mois pour m’adapter à ma nouvelle vie. Je me sentais calme, soulagée de voir que tout le monde allait bien, qu’ils existaient encore, qu’ils étaient tous quelque part, encore là pour moi. Je suis une éternelle angoissée, j’ai besoin constamment de revenir aux sources. Et c’est pour ça que je les aime tant, c’est parce qu’ils me font sentir tellement moi, tellement vraie.

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