Sang d'encre

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Valentina Cean

ÇA Y EST! Ça y est! C’est assez! Je me rends. Je n’en peux plus, mais plus du tout. Je ne cesse de penser à ses cheveux soyeux, son doux parfum. Non, vraiment Jean-Pierre, tu n’es pas juste, ni envers les autres, ni envers toi-même. J’étais assis sur la terrasse d’un petit café, Le Grignoteur, à Montréal. Cette journée-là, je dirais bien que c’était une des plus belles journées de l’été. Bien sûr, à trente ans, on n’est plus écolier. On n’attend plus avec impatience la dernière cloche de l’année, la cloche annonciatrice de douceur, de chaleur, de fête, d’amour et d’amitié. Eh oui, à trente ans, on travaille mesdames et messieurs! On travaille même lors de belles journées ensoleillées comme celles-là. Heureusement, quand on plante notre immense postérieur sur une chaise à roulettes huit heures par jour et qu’on est sur le point de frôler la crise de nerfs car la lumière du soleil nous brûle la peau à travers les vitres, nos patrons nous permettent quelquefois, et je dis bien quelquefois, de travailler dehors dans un parc ou dans un café. Puisque j’avais été bien gentil avec eux cette semaine, même si, pour cela, ma langue souffre encore le martyre de leur avoir tant léché le derrière, mes patrons me récompensèrent à leur façon: « Bon toutou Jean-Pou, allez, va dehors! Va chercher la baballe! ». Et j’y suis allé chercher la baballe. Plus rapide que l’éclair, j’ai traversé ces grosses portes métalliques pour me retrouver, enfin, au paradis. Tout de suite, je me suis mis à la recherche d’un café, un des cafés les plus éloignés du quartier pour que je n’aie pas comme seul paysage à regarder le lieu où je pourris jour après jour : le gratte-ciel d’Hydro-Québec. Il était exactement midi. Ah! Que j’aime manger à midi! C’est l’heure parfaite pour récompenser son petit estomac affamé. À midi, on sait qu’on est ni en avance, ni en retard. Moi, par exemple, s’il y a une chose que je ne peux absolument pas supporter, c’est d’être en retard! Quelle galère! Tout va mal quand on est en retard et personne n’est content. J’aime satisfaire les gens, je veux qu’ils m’aiment et je le veux parfois un peu trop… Mais bon, là, ce n’est pas de ça dont je veux vous parler. C’est bien plus grave. À 12h07, après m’être assis confortablement sur un des petits bancs de la terrasse, panini au poulet grillé, café et portable en main, je le vis entrer. Mais vous ne pouvez pas comprendre ce que ça m’a fait. Oh non! Vous ne l’avez pas encore vu. Quel Dieu! Quel Apollon! Mon cœur s’est arrêté de battre, des frissons m’ont parcouru le corps, j’ai failli m’évanouir sur place! Je n’exagère pas, je vous le jure! Il est tout simplement indescriptible. Mais pour le bien de la cause, j’essayerai de mon mieux de vous faire le portrait de l’homme que j’aime.

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