Sang d'encre

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Alicia Campbell-Duruflé

L’ESCABEAU La médecin : Alors si je comprends bien, vous souffrez de graves douleurs abdominales. (Un temps, sourire compatissant) Si vous me le permettez, j’aimerais pouvoir y jeter un petit coup d’œil. Vous pouvez fermer le rideau lorsque vous enfilez votre jaquette. (Professionnelle, elle penche son regard vers ses papiers. Le patient visiblement peu habitué se débat avec le rideau pour le fermer). M. Côté (sa voix, de l’autre côté du rideau) : Excusez-moi madame, je veux pas vous contrarier, mais il a pas d’attache après votre jaquette. La médecin : Elles sont conçues ainsi…Si vous le désirez, je peux essayer de trouver autre chose pour vous accommoder. M. Côté : Ah…Ok, non non, ça va être correct. (M. Côté est alors nu, sauf pour la jaquette et ses chaussettes blanches. Il ouvre le rideau et va rapidement s’asseoir de reculons en cachant son derrière). La médecin : Voilà. (La médecin s’approche et soulève la jaquette pour vérifier la respiration du patient. M. Côté détourne la tête, gêné) Respirez profondément. (Il s’exécute). Allongez-vous à présent, s’il vous plaît, M.Côté. (Il s’allonge) Pouvez-vous écarter légèrement les jambes? (Il écarte à peine les jambes pour les refermer aussitôt) Il va falloir que vous écartiez un peu plus, s’il vous plaît M.Côté, pour que je puisse observer votre bas ventre (Il ouvre finalement ses jambes en faisant des petits rires gênés. Elle commence à lui tâter le ventre.) Oh! Je vois que vous faites un peu de psoriasis grimpant, vous reviendrez me voir pour ça. (Elle se tourne et enfile des gants de latex. Il est écarlate. Elle recommence à sonder le ventre du patient et s’arrête à un endroit précis, elle fronce les sourcils) Est-ce que cela vous fait mal ici ? M. Côté : Oui. La médecin : Et comme ça ? M. Côté (retenant visiblement un hurlement) : Un peu, oui. La médecin (avec un air de plus en plus préoccupé) : En vous mettant debout, seriez-vous capable de toucher de votre main droite votre omoplate gauche ? (M.Côté se lève en lançant des regards qui laissent sous-entendre qu’il se sent ridicule. Il se place devant la table d’observation et s’exécute sans grâce) Bien. Maintenant, tentez de tirer votre mâchoire vers votre genou droit. (Il plie son corps en deux) Restez ainsi. Je vais vérifier si vous tombez lorsque je vous donne une poussée de l’arrière. Vous êtes prêt? Hop! (M. Côté perd l’équilibre vers l’avant, se replace, en vérifiant que personne d’autre ne l’a vu ainsi, même s’il est seul avec la médecin dans la pièce.) Intéressant. (Le patient observe l’expression de la médecin. Son air anxieux alimente le petit éclat de panique présent dans ses yeux). Vous voyez ces dalles sur le plancher ? Je vous demanderais de sauter à pieds joints d’une dalle à l’autre. (Surpris, il s’exécute) À présent, continuez en battant de vos bras comme un oiseau. (Elle l’observe un instant, puis retourne s’asseoir à son bureau) Vous pouvez revenir vous asseoir. Avez-vous eu mal en permanence lors de ces différents exercices. M. Côté (essoufflé) : Oui, tout le temps. La médecin a l’air franchement préoccupé à présent. Elle soupire, elle le regarde un moment. Elle griffonne longuement ses dossiers en fronçant les sourcils. Pendant ce temps, le patient tend le cou en tentant d’apercevoir ce que l’on inscrit à ses dossiers. À chaque fois que la médecin relève les yeux pour l’observer, M. Côté lui offre un large sourire suppliant. Après un temps, il renonce. Il est excessivement anxieux et s’emploie à le dissimuler en observant les coins de mur trop blancs. Elle finit par le regarder, l’air découragé. M. Côté (ne pouvant plus retenir sa question) : C’est comment ?

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