Sang d'encre

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Jean-Baptiste Asselin-Boulanger

MÉTRO Un itinérant est couché et somnole sur trois sièges placés côte à côte. Un autre homme entre en scène, c’est un avocat. Il semble être de mauvaise humeur. Il regarde l’itinérant et paraît agacé. L’avocat : Pardon monsieur ! Est-ce trop vous demander de vous déplacer pour que je puisse m’asseoir ? L’itinérant : Je vous demande pardon, je m’étais assoupi. L’avocat : J’avais remarqué ! L’itinérant s’empresse de se redresser et de déplacer ses sacs à ordures pour permettre à l’homme de s’asseoir. L’homme se laisse tomber sur le siège. L’itinérant : Vous n’auriez pas une pièce de monnaie par hasard ? L’avocat : Non, mais, vous êtes vraiment effronté ! D’abord vous vous allongez sur les sièges comme si vous étiez dans votre salon, mais en plus, vous me demandez si je peux vous refiler de la monnaie ? Vous n’avez jamais pensé à vous trouver un boulot ! Ce n’est pas comme si vous étiez handicapé ou que vous souffriez de déficience mentale, et encore là, on se débrouille comme on peut ! L’itinérant : Ça va, ça va… Pas besoin de me faire la morale. Si je voulais vraiment travailler, je le pourrais aisément, monsieur. C’est un choix que j’ai fait de vivre dans la rue. L’avocat : Tiens donc, vous avez opté pour la facilité on dirait ! L’itinérant : Qu’est-ce que vous faites dans la vie, dites moi ? L’avocat : Qu’est-ce que ça peut bien vous faire ? L’itinérant : Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? L’avocat : Je suis avocat. L’itinérant : J’aurais pu le deviner rien qu’en vous regardant. L’avocat : Et pourquoi donc ? L’itinérant : Parce que vous sentez l’argent et j’ai déjà eu la même odeur que vous autrefois. J’étais président d’entreprise. J’avais beaucoup d’argent, trop d’argent. J’en suis presque devenu fou. Je ne me donnais plus la peine de cuisiner, j’avais un chef cuisinier qui résidait en permanence dans mon manoir. Je n’avais pas d’enfant et je n’en voulais pas à cette époque. Plus le temps passait, moins j’avais d’ambition. Tout ce que je voulais, je l’avais. L’avocat : Qu’est-ce que vous faites ici alors ? L’itinérant : Je ne savais plus quoi faire pour avoir des émotions fortes. Je n’avais même plus envie de ma femme. C’était horrible. Je me mettais facilement en colère. J’étais prétentieux… Puis, un soir où je m’affairais à polir mes trophées de golf, un de mes collègues de travail m’a appelé et m’a proposé d’aller au casino. Je n’en avais pas tellement envie mais j’étais trop blasé pour argumenter avec lui. Donc, après avoir bu un verre ou deux de gin sur glace, je me rendis en voiture au casino où mon collègue m’attendait. Il me proposa d’aller directement jouer à la roulette. Je n’en avais rien à foutre, si vous voulez savoir. Je mis un jeton et le perdis aussitôt. Puis, j’en mis un autre. Je remportai dix fois ma mise et je commençai à avoir chaud. Mon cœur battait de plus en plus rapidement et ça me plaisait. Je misai encore et encore. Je gagnais à tout coup. Le risque de perdre à tout moment me rendait ivre. Ce soir-là, je rentrai chez moi avec dix fois plus d’argent qu’à mon départ. L’avocat : Ça n’explique toujours pas pourquoi vous êtes aussi pauvre. L’itinérant : Détrompez-vous, monsieur. Je ne suis pas pauvre, loin de là. Mais laissez-moi terminer mon histoire. Le lendemain, je ne pensais plus qu’à retourner au casino. Je ne répondais 34


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