Sang d'encre

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Fred : Qui ? Frédéric : Frédéric Fred Labelle est décédé. Fred : C’est impossible… Frédéric : Toi et moi n’existions pas. Fred : Mais parle-moi sérieusement pour une fois! Frédéric : C’est la vérité. Il faut que tu saisisses que nous n’existions pas. Tout ce que nous sommes n’est qu’une illusion. Tout ce qui nous entoure l’est aussi. La seule chose réelle, c’était cet homme que nous deux prétendons être. Cet homme malade de 55 ans entre la vie et la mort sur son lit d’hôpital, il est d’ailleurs toute la cause de cette illusion. Fred : Mais pourquoi est-il mort ? Frédéric : C’est lui, et non pas moi, que tu accablais par tes propos, jeune homme. Fred : Insinuerais-tu que je l’ai tué ? Frédéric : Oui, c’est exact. Fred : Mais comment ? Frédéric (l’interrompant, imitant Fred) : Mais comment ai-je fait? Je ne crois pas que tu veuilles le savoir mais laisse-moi tout de même te l’expliquer à titre de vengeance. Frédéric Labelle étant dans le coma, il doutait réellement de vouloir continuer à vivre, de vouloir se réveiller dans un monde qui lui serait hostile. Alors, il décida de consulter la seule chose avec laquelle il lui était possible de communiquer, son âme. Il alla donc chercher dans son imagination les prédictions qu’il s’était faites de son avenir pour les rassembler en un personnage qui représentait le vieil homme qu’il serait dans 30 ans. Celui-ci se fit rassurant (en se pointant du doigt) en se montrant conciliant et optimiste. Frédéric décida alors de consulter ses souvenirs, c'est-à-dire toi, l’homme qu’il se rappelait avoir été il y a 30 ans. Tu connais la suite. Comment quelqu’un peut-il concevoir de continuer à vivre en se convainquant que sa vie est un échec total et continuera à l’être, que la seule issue valable est la mort, que son existence s’est assombrie au point que sa disparition prochaine sera une suite évidente des évènements. Fred : Mais comment voulais-tu que je sache ? Frédéric : Je n’ai jamais dit que tu aurais dû le savoir. Ce que Frédéric Labelle ne savait pas encore, même à son âge, c’est que la sagesse l’emporterait évidemment face à ses souvenirs d’une jeunesse aux idéaux utopiques, à la mentalité illusoire qui n’écoutait qu’elle-même sans pour autant négliger de dénoncer les autres. Moi, je savais. C’est ce que j’ai tenté de te faire comprendre, C’est cela que l’homme malade aurait dû entendre si tes cris de rage n’avaient pas enterré ma voix. Fred est au bord des larmes. Il s’avance vers le public. Il regarde au loin, dans le vide. Puis, il se retourne pour s’approcher de Frédéric. Frédéric : Va t’en maintenant, je partirai plus tard, de mon côté. Fred : Et ces mémoires que tu écrivais… Frédéric : Va t’en j’ai dit. Je les finirai seul. Fred est déconcerté. Il se dirige lentement vers le côté jardin, se retourne, reprend sa veste qu’il avait laissée par terre et sort. Frédéric s’approche de son ordinateur, s’assoit et se met à écrire. Frédéric : Chapitre 1 (on l’entend sauter quelques lignes) Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. Je suis parti trop tôt. Je ne saurai jamais. En mémoire de Frédéric Labelle, écrivain 1937-1992. FIN

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