Sang d'encre

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contraire! C’est votre propre personne qui devrait vous effrayer. Vous qui restez là, immobiles, à regarder le temps passer, à observer l’humanité entière courir à sa perte de façon absolument passive, à suivre la routine quotidienne, à consommer encore et encore. Sachez qu’un jour vous paierez pour toute cette inaction. L’ennui vous guette constamment et très bientôt il s’installera pour de bon dans vos molles et insignifiantes pensées qui vous tiennent lieu d’âme. Comme Sartre le démontrait si bien, ce sont nos actions qui déterminent ce que nous sommes. Alors installez-vous et lisez, lisez tout ce qui traverse l’esprit d’un illuminé comme moi. D’un homme qui ne fera de sa vie que lancer des cris d’alarme. Le seul espoir qui me restera après ma mort, qui ne viendra pas trop tard, je l’espère, c’est que toute ma vie j’aurai essayé de faire quelque chose, de laisser ma trace. Alors, je ne serai rien sans doute à l’exception de cet ouvrage qui renferme la seule consolation qu’il me reste : celle qu’un jour, mon œuvre influencera quelqu’un à se nourrir de ma vision pour changer le cours de son existence. Ce livre, c’est donc tout ce que je suis. Voici donc, pour vous, chers lecteurs, le journal de Fred Labelle, le journal d`une solitude, d’une âme solitaire qui ne vous demande pas moins que de se rallier à elle. Soudain, Frédéric se met à rire et le projecteur l’éclaire. Fred se retourne vers lui et lui lance un regard furieux. NOIR Pour une seconde fois, on entend la même pièce de musique classique mélangée au bruit du moniteur cardiaque, qui va cette fois-ci à une cadence plus rapide. La musique se met graduellement en sourdine pour ne laisser place qu’au bruit du moniteur. Sur scène, on voit les deux personnages, assis à leur place respective pendant que la musique joue. Lorsque la musique s’arrête, Fred se lève et marche vers le public. Une fois rendu au bord de la scène, il regarde loin devant. Fred : Ça n’a pas l’air d’aller mieux. Je préfère ça ainsi. Frédéric : Mais arrête! Je n’aurais jamais pensé que j’aie pu être pessimiste au point de vouloir en mourir. C’est ridicule! Combien d’années me suis-je traîné à endurer ça? (Il reprend le sourire). Heureusement, maintenant, je… Fred (l’interrompt) : Je sais…Bien sûr, maintenant, tu sais que ton existence ayant été gaspillée, tu peux reposer tes vieux os sur ta médiocrité, sur la banalité de ta vie. Sur la certitude que tu as échoué, que tu as passé inaperçu. Frédéric (outré) : Mais c’est faux! Tu dis vraiment n’importe quoi. De toute façon, quoi que j’aie fait dans ma vie, cela ne t’aurait pas suffit pour être satisfait. Toi, tu voulais déclencher une révolution à travers tes ouvrages remplis d’utopies et d’hypocrisie. Fred : Moi, au moins, j’ai essayé. La sagesse que tu prétends avoir, ce n’est que de la lâcheté. Avoue-le : tu as beau te faire une belle biographie qui fait l’éloge du fait qu’enfin (d’un ton moqueur) tu sais, mais au fond de toi, (il reprend son air grave) tu es déçu. Frédéric (il le pointe du doigt, fâché) : Ne commence pas à… Fred (l’interrompt) : Ah! tu réagis! Je ne te suis pas aussi indifférent que tu le prétends, hein! Non seulement tu es déçu, mais tu me déçois aussi! Frédéric : Mais j’ai simplement essayé d’être heureux! Fred : Le bonheur n’est qu’une illusion dans ton cas. Le bonheur ce n’est pas de tout abandonner pour être niais comme toi. Frédéric : Mais comment aurais-tu pu vivre heureux avec une telle mentalité ? Fred : Si toi, la vieillesse, n’étais pas venue m’envahir aussi rapidement, je serais resté fort, je n’aurais pas abandonné ma vision. J’aurais été heureux, car j`aurais été utile. Mais à la place, la

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