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49 Jean Cras : un piano sur la mer

FOCUS

UN PIANO SUR LA MER

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L’ORCHESTRE NATIONAL DE BRETAGNE MET À L’HONNEUR UN PERSONNAGE FASCINANT ET POURTANT LARGEMENT OUBLIÉ AUJOURD’HUI : LE BRESTOIS JEAN CRAS, QUI FUT À LA FOIS MARIN, COMPOSITEUR ET INVENTEUR DE GÉNIE. TROIS VIES EN UNE, CE QUI CAUSA SA MORT PRÉMATURÉE.

POLYVALENCE EXTRÊME

La vie en mer n’est pas toujours palpitante. Pour tromper l’ennui, les marins se sont souvent adonnés à d’autres occupations comme la peinture, la sculpture, le bricolage ou la musique. Jean Cras (1879-1932) fait néanmoins figure d’exception car il fut l’un des rares à exceller dans les deux carrières de marin et de compositeur. Prédestiné à monter sur un bateau (son père était médecin-chef de la Marine), le Brestois finira contreamiral, avec accroché au veston deux médailles de héros de la Grande Guerre. « Mais c’était aussi un musicien prodige dont l’œuvre fut jouée de son vivant à l’opéra Garnier, ainsi qu’un scientifique de génie, inventeur d’une règle de navigation qui porte son nom (la règle Cras à double rapporteur), d’un métronome, d’un système de recyclage d’eau et même de l’ancêtre du radar moderne », précise son biographe Paul-André Bempéchat.

UN SIMPLE HAMAC

Depuis ses débuts à l’école navale et jusqu’à son dernier poste de major général du port militaire de Brest, Jean Cras parvint à mener de front toutes ses activités « au point d’en mourir précocement à l’âge de 53 ans, épuisé de mener plusieurs vies en une », signale Paul-André Bempéchat. Initié à la musique dès l’enfance par ses parents (« il écrit ses premiers airs à 6 ans et compose sa première pièce à 13 ans »), Jean Cras savait jouer du violon, de l’alto et de la harpe, mais c’est en piano qu’il excellait. « Il travaillait ses partitions en mer grâce à un piano installé dans sa cabine. D’abord un piano droit, pour lequel il sacrifia sa couchette, dormant dans un simple hamac pour lui faire de la place, puis un piano demi-queue lorsqu’il fut promu capitaine de vaisseau. » Sur le croiseur Lamotte-Piquet à partir de 1926, puis sur le cuirassé Provence (photo).

ENTRE DEBUSSY ET RAVEL

C’est à bord du cuirassé Provence que Jean Cras écrit ses compositions les plus estimées. En 1927 tout d’abord, la suite pour orchestre Journal de bord, « à l’inspiration maritime très affirmée, décrit Marc Feldman, directeur général de l’Orchestre national de Bretagne (ONB). C’est une composition qui s’écoute comme un voyage nocturne en mer, depuis la nuit tombante jusqu’au lever du soleil ». Le spectacle de l’océan ou encore le roulis du bateau nourrissent l’imaginaire du compositeur. Cras révèle son penchant pour la musique post-romantique et impressionniste. Un style qui le situe entre Claude Debussy et Maurice Ravel (deux contemporains du Brestois) et qu’il confirme en 1928 avec son quintette pour harpe, flûte, violon, alto et violoncelle. « Une pure merveille, très sophistiquée », admire Paul-André Bempéchat.

UNE RARE MISE EN LUMIÈRE

Estimé de son vivant, le répertoire de Jean Cras est assez largement tombé dans l’oubli aujourd’hui. « Tout comme Jean Cras lui-même, dont il ne reste comme trace qu’une stèle, cours Dajot à Brest », déplore Paul-André Bempéchat. Avec Journal de bord, l’ONB s’attaque à une œuvre singulière et rare. Pour une immersion un siècle en arrière, le concert sera accompagné de photographies historiques prêtées spécialement pour l’occasion par le musée Albert-Kahn de Boulogne-Billancourt. Au cours de cette même soirée, une création du compositeur japonais Daï Fujikura sur le thème de l’océan et de la nature sera également jouée.

Régis Delanoë

Journal de bord, aux Alizés : le 28 avril au Couvent des Jacobins à Rennes

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