Zoo 31

Page 1

LE PREMIER MAGAZINE CULTUREL SUR LA BD ET LES ARTS VISUELS - GRATUIT BD m CINÉ m JEUX VIDÉO m EXPOS m POP CULTURE

SALON DU LIVRE : Les Vikings dĂ©barquent Ă  Paris ET AUSSI : FRED : UN GÉNIE POÉTIQUE TOUS CONQUIS PAR W.E.S.T. ALTER EGO : UN PUZZLE DE SIX PIÈCES WALKING DEAD : INTERVIEW DE CHARLIE ADLARD LES GOUTTES DE DIEU : LA QUÊTE DU NECTAR ULTIME

LES CHRONIQUES DE LÉGION N°31 MARS-AVRIL 2011 - GRATUIT

UNE SPIN-OFF SAIGNANTE



OLIVIER THIERRY

ZOO est Ă©ditĂ© par Arcadia Media 45 rue Saint-Denis 75001 Paris Envoyez vos contributions Ă  : contact@zoolemag.com Directeur de la publication & rĂ©dacteur en chef : Olivier Thierry RĂ©dacteur en chef adjoint : Olivier Pisella, redaction@zoolemag.com Directeur commercial et marketing : Jean-Philippe Guignon, 01.64.21.96.44 jpguignon@zoolemag.com Conseillers artistiques : Kamil Plejwaltzsky, Howard LeDuc RĂ©daction de ce numĂ©ro : HĂ©lĂšne Beney, Olivier Pisella, Louisa Amara, Julien Foussereau, JĂ©rĂŽme Briot, Jean-Marc LainĂ©, Christian Marmonnier, Kamil Plejwaltzsky, Vladimir Lecointre, Thierry Lemaire, Olivier Thierry, Jean-Philippe Renoux, Didier Pasamonik, Wayne, Philippe Cordier, Camilla Patruno, Gersende Bollut, Julie Bordenave, Yves FrĂ©mion, Karine Laca, Michel Dartay, Boris Jeanne, Audrey Retou, Egon Dragon, Yannick Lejeune, John Young, Jeanne Anatole Couverture : Mathieu Lauffray PublicitĂ© : pub@zoolemag.com ‱ Jean-Philippe Guignon, 01.64.21.96.44 jpguignon@zoolemag.com ‱ Marion Girard, 06.34.16.23.58 marion@zoolemag.com ‱ GeneviĂšve Mechali-Guiot, genevieve@zoolemag.com Collaborateurs : Yannick Bonnant et Audrey Retou Remerciements : PrĂ©scilla Nouhaud

DĂ©pĂŽt lĂ©gal Ă  parution. ImprimĂ© en France par ROTO AISNE SN. Les documents reçus ne pourront ĂȘtre retournĂ©s. Tous droits de reproduction rĂ©servĂ©s.

www.zoolemag.com

07 - LES CHRONIQUES DE LÉGION m

Zoommaire m

numéro 31 - mars-avril 2011 SALON DU LIVRE 2011 Fred © DARGAUD

ne fois encore, le Salon du Livre de Paris fait une large place Ă  la bande dessinĂ©e et Zoo en est le partenaire. Comme les Lettres nordiques sont Ă  lÊhonneur, nous vous proposons une rapide prĂ©sentation de quelques albums Ăż nordiques Ćž, quÊils soient du cru ou bien quÊils aient tout simplement pour dĂ©corum les contrĂ©es du Nord. Vous trouverez Ă©galement dans ce numĂ©ro une interview de Fred, Ă  l'occasion de la publication d'une luxueuse intĂ©grale de PhilĂ©mon et dÊun livre dÊentretiens avec lÊauteur. Fred, c'est un peu le Brassens de la bande dessinĂ©e. (La similitude ne se limite pas Ă  la moustache). Un Brassens qui aurait embrassĂ© le courant surrĂ©aliste. Un auteur comme il n'y en a plus et qui nous rappelle ce que c'est que de rĂȘver. Parce quÊun ami mÊa posĂ© la question rĂ©cemment, mettons les choses au point et apportons une rĂ©ponse claire. La question Ă©tait : Ăż Zoo est financĂ© par la publicitĂ©, donc quelle est la part dÊarticles authentiques et la part dÊarticles "de complaisance" ? Ćž. La rĂ©ponse : il nÊy a aucun article de complaisance. Nous n'Ă©crivons jamais sur un sujet dont nous n'avons pas envie de parler. Et nous nĂŠĂ©crivons jamais quoi que ce soit que nous ne pensions rĂ©ellement. On nous a parfois reprochĂ© dÊĂȘtre trop sĂ©vĂšres. Parfois, et plus rĂ©cemment, lÊinverse. La diversitĂ© de nos annonceurs et leur comprĂ©hension que seule une indĂ©pendance Ă©ditoriale totale est garante de la qualitĂ© de notre contenu, et donc de notre succĂšs, nous permet de dire ce que nous voulons sur ce que nous voulons. Le fait dÊĂȘtre gratuit nous permet par ailleurs de ne pas avoir Ă  cĂ©der au Ăż commercialisme Ćž ambiant, qui oblige Ă  faire sa couverture sur tel ou tel sujet Ăż vendeur Ćž. Cela nous permet de nous faire plaisir, de faire preuve dÊaudace Ă  lÊoccasion, en vous faisant dĂ©couvrir ce que bon nous semble. Et nous espĂ©rons que ce plaisir sera partagĂ©. Une libertĂ© totale, donc, et dont je suis personnellement garant.

10 - INTRO : chatoiements et diversitĂ© de la BD nordique 12 - FLORIL˚GE NORDIQUE : petite sĂ©lection de la rĂ©daction 14 - VINLAND SAGA : une saga nordique en manga

ACTU BD 16 18 20 22 24 26 28 30 31 32

- FRED : dans lÊintimitĂ© du papa de PhilĂ©mon - W.E.S.T. : une apothĂ©ose scĂ©naristique et graphique - VOYAGE AUX ˝LES DE LA DÉSOLATION : par E. Lepage - GALANDON : des rĂ©cits Ă©mouvants et des leçons dÊHistoire - ASLAK : y a-t-il un conteur dans la salle ? - MEZEK : trois femmes et un pilote - DO ANDROIDS DREAM OF ELECTRIC SHEEP ? - SISCO dĂ©teste le monde - MAGASIN SEXUEL : le retour de Turf - ALTER EGO : un puzzle de six piĂšces

RUBRIQUES 04 34 38 42 46 48 50 52 54 55 66

- AGENDA / NEWS : festival dÊAix, expo E. P. Jacobs Ă  Buc... - REDÉCOUVERTE : Bruno Heitz, La Patrouille des Castors - MANGAS : Nura, Les Gouttes de Dieu, Soil - COMICS : Charlie Adlard, Secret Show - BD JEUNESSE : PoussÊ de Bamboo - LA RUBRIQUE EN TROP : Aristide PerrĂ© par FrĂ©mion - ART & BD : € travers le miroir - BEAU LIVRE : Heroic, un livre sur Maurice Tillieux - SEXE & BD : Gwendoline, de John Willie - VIDE-POCHE : sĂ©lection de produits culturels, high-tech... - STRIPS & PLANCHES : Les DĂ©zingueurs

CINÉMA 56 - RANGO : bienvenue au Far West ! 58 - FIGHTER : vaincre le quotidien sordide 60 - DETECTIVE DEE : la leçon de Maütre Tsui

JEUX VIDÉO 62 - TOP SPIN 4 : retour gagnant 64 - NINTENDO 3DS : une splendeur à venir ?

*

Prochain numéro de Zoo : le 9 mai 2011

Retrouvez quelques planches de certains albums citĂ©s par Zoo Ă  lÊadresse www.zoolemag.com/preview/ Le logo ci-contre indique ceux dont les planches figurent sur le site.

Zoo est partenaire de :

U

Édito m

© Nury, Lauffray, Alberti, Xiaoyu et Tirso / GLÉNAT

m


A

en bref XIII de retour dans la petite lucarne

A

Festival Bulles Zik Beaucoup en sont convaincus ; Baru, PrĂ©sident du dernier festival dÊAngoulĂȘme, le clame haut et fort : la bande dessinĂ©e est lÊautre nom du rockÊnÊroll ! Ce festival, qui se tiendra du 1er au 3 juillet prochain Ă  Paris XIe, invitera plus de 50 auteurs, organisera des soirĂ©es musicales dans la cĂ©lĂšbre salle du Gibus, et aura pour invitĂ© dÊhonneur le trĂšs fameux Frank Margerin. Lustrez vos bananes et cirez vos Âtiagues !

Exposition : E. P. Jacobs Ă  Buc S

http://www.bulleszik.com/

Cité 14 : retour en 2011

OS MĂ©tĂ©ores est lÊenquĂȘte la plus cartographique de la bande dessinĂ©e. CÊest en se promenant un plan Ă  la main que Mortimer dĂ©busque lÊaventure derriĂšre les grilles dÊune mystĂ©rieuse propriĂ©tĂ©... Quel amateur de Jacobs, connaissant la mĂ©ticulositĂ© du maĂźtre, nÊa pas rĂȘvĂ© dÊaller sur les lieux de lÊaction, dans la vallĂ©e de la BiĂšvre, pour confronter la fiction et la rĂ©alitĂ©, le passĂ© et le prĂ©sent (certains lÊont dÊailleurs dĂ©jĂ  fait : www.sosmeteores.net) ? CÊest lÊexpĂ©rience que nous propose la ville de Buc, trĂšs prĂ©sente dans lÊalbum. Son chĂąteau accueillera les fac-similĂ©s de grande qualitĂ© de lÊensemble des crayonnĂ©s de SOS MĂ©tĂ©ores, prĂȘtĂ©s par la Fondation Jacobs. Également au programme, la projection de deux documentaires inĂ©dits en France que Guy Lejeune avait tournĂ©s pour la RTBF, et des balades commentĂ©es. c du 26 mars au 4 avril 2011, renseignements sur www.mairie-buc.fr ou au 01 39 20 71 37

Jadis Ă©ditĂ©e chez lĂŠĂ©diteur Paquet en Ă©pisodes Ă  prix modique (1 €, pas plus), la saga animaliĂšre CitĂ© 14, de Pierre Gabus et Romuald Reutimann, trouve refuge aux Humanos qui rĂ©Ă©dite en recueil la Ăż saison 1 Ćž, avant de lancer en septembre prochain la deuxiĂšme, inĂ©dite. Une sĂ©rie qui vous tiendra en haleine, non pas de chacal mais dĂŠĂ©lĂ©phant (eh oui). http://www.humano.com/album/35668

Les Roms et le photographe

Books on Demand BoD se lance sur le marchĂ© de lÊeBook. PrĂ©sent au prochain Salon du Livre, le leader europĂ©en de lÊautoĂ©dition prĂ©sentera sur son stand son nouveau service dĂ©diĂ© au livre numĂ©rique. Roman, BD, recueil de nouvelles, livre de recettes, carnet de voyages... Ăż En quelques clics, on peut publier facilement son livre en version papier et Ă©lectronique. Ćž BoD au Salon du Livre 2011, stand L21

4

e w s

vec les Rencontres du 9e art, la bande dessinée investit Aix-en-Provence. Mais pas seulement. ÿ D'autres arts associés ƞ, c'est marqué dans le sous-titre, s'invitent en effet dans les 13 expositions que la ville accueille pendant tout un mois. CÎté bande dessinée pure, il y aura les 20 ans de L'Association, Caroline Sury, Lilidol et Maya Mihindou pour leur premier album chez Venusdea, Alpha de Jens Harder, Fireboxes 2 (Bastien VivÚs, Miles Hyman, Bruno Heitz et Guillaume Bianco invités à dessiner sur des boßtes d'allumettes), CuBDe (cinq artistes décorent une boßte de 9m3), les dix ans du Zarmatelier de Marseille et Hugo Bogo. CÎté transversalité, Jimmy Panthera et la Lucha Libre, Jean Lecointre, un mur de gribouillages installé par Claire FaÈ, le duo Valpares et Scarpa. On le voit, la programmation est exigeante et lorgne plutÎt vers les éditeurs indépendants. Une excellente occasion de faire des découvertes tout en visitant les lieux qui les abritent (galeries, Museum d'Histoire naturelle, Musée des tapisseries, Cité du livre, Archives départementales). Découvertes que l'on pourra coupler avec le week-end BD, trois jours au profil un peu plus classique. Rencontres, tables rondes, courts-métrages d'animation, ateliers, fresques, carnets de voyage, ça bouillonne au pays des calissons. c Du 22 mars au 23 avril (Week-end BD 8-9-10 avril), Aix-en-Provence, entrée gratuite, www.bd-aix.com THIERRY LEMAIRE

Diffusion en avril sur Canal +, tous les lundis en prime-time. JULIEN FOUSSEREAU

Des nouvelles dÊAlain, de Guibert, Keler et Lemercier, les arùnes – XXI, 96 p. couleurs, 19 € THL

N

AIX-EN-PROVENCE AUX COULEURS DE LA BD

Le cĂ©lĂšbre amnĂ©sique tatouĂ© reviendra en avril prochain sur Canal + pour 13 nouveaux Ă©pisodes. Stuart Townsend succĂšde Ă  Stephen Dorff dans le rĂŽletitre. La belle Caterina Murino sera Ă  nouveau de la partie.Virginie Ledoyen, Tom Berenger et Jean-Marc Barr seront les nouveaux visages de cette adaptation trĂšs libre de lĂŠïŹ‚uvre de Van Hamme et Vance.

VLADIMIR LECOINTRE

une exposition et un concours sur le lémurien

D

u 18 mars au 6 avril 2011, Fabrice Tarrin (Violine, Maki, etc.) a lÊhonneur dÊune exposition Ă  Ăż LA Gallery Paris Ćž, espace dÊexposition et de vente dÊoriginaux rĂ©cemment ouvert dans le IVe. En collaboration avec lÊauteur, LA Gallery organise Ă  cette occasion un concours : envoyez par e-mail (concours@lagallery.ca) votre interprĂ©tation du lĂ©murien, lÊavatar animalier que sÊest choisi Fabrice Tarrin dans ses bandes dessinĂ©es. De nombreux lots sont Ă  gagner. Les gagnants sont sĂ©lectionnĂ©s le 22 mars. c Exposition du 18 mars au 6 avril www.lagparis.com LA RÉDACTION

Un ours bien léché DR

FABRICE TARRIN : © Fabrice Tarrin

On se souvient de la superbe sĂ©rie du Photographe, bĂ©dĂ©reportage de Guibert, LefĂšvre et Lemercier sur lÊAfghanistan en guerre. Avec Des nouvelles dÊAlain, cÊest un autre photographe qui est mis Ă  lÊhonneur. Alain Keler sÊest spĂ©cialisĂ© dans les reportages sur les minoritĂ©s ethniques de lÊEurope centrale. Les histoires courtes de cet album, qui mĂȘlent photos et dessins, ont Ă©tĂ© prĂ©publiĂ©es dans lÊexcellent magazine XXI. Elles parlent des Roms, au Kosovo, Ă  Belgrade, en RĂ©publique tchĂšque, en Calabre, en Slovaquie, Ă  Montreuil. Un documentaire Ă  hauteur dÊhommes.

g e n d a

P

lĂ©biscitĂ©e dans notre numĂ©ro spĂ©cial AngoulĂȘme (Zoo n° 29), lÊintĂ©grale T.1 de LÊOurs BarnabĂ© a reçu pareille ovation au Festival, revenant aurĂ©olĂ©e du Prix des Ă©coles. Une distinction lancĂ©e il y a trois ans en partenariat avec la mairie angoumoisine, afin de sensibiliser les jeunes Ă  notre domaine de prĂ©dilection, et encourager le corps professoral Ă  sÊen servir comme support Ă©ducatif. La remise du prix a eu lieu le 27 janvier, en prĂ©sence de lÊauteur Philippe Coudray. ContactĂ©, celui-ci nous a confiĂ© son sentiment : Ăż La caractĂ©ristique de ce prix est quÊil est dĂ©cernĂ© par les lecteurs eux-mĂȘmes, et non par un jury. CÊest pourquoi il a pour moi plus de valeur quÊun autre. Il intervient pour le 30e anniversaire de LÊOurs BarnabĂ©, sĂ©rie crĂ©Ă©e en 1981. CÊest un beau cadeau dÊanniversaire pour un plantigrade, de la part des enfants ! Ćž

c LÊOurs BarnabĂ©, intĂ©grale T.1, de Philippe Coudray La BoĂźte Ă  Bulles, 190 pages couleurs, 22 € GERSENDE BOLLUT



A

g e n d a

© Ben Basso

AngoulĂȘme 2011 : DeuxiĂšme Ă©dition des ZOOPPORTUNITÉS DE LA BD

L

ILLUSTRATION DE BEN BASSO

© Prescilla Nouhaud

e 27 janvier dernier sÊest tenu Ă  AngoulĂȘme la deuxiĂšme Ă©dition des ZoopportunitĂ©s de la bande dessinĂ©e. Cette soirĂ©e organisĂ©e par Zoo, en partenariat avec le FIBD, au Pavillon Jeunes Talents Âź, a rĂ©uni plus de 120 participants, parmi lesquels des Ă©diteurs comme Dupuis, Soleil, Casterman, Fluide Glacial, Emmanuel Proust, Delcourt, La BoĂźte Ă  Bulles, manolosanctis, Sandawe, Cleopas⁄ LÊobjectif ? Faire se rencontrer des jeunes (et moins jeunes) auteurs et des professionnels pour discuter de projets concrets et Ă©ventuellement collaborer. Le tout dans un cadre convivial et selon un modĂšle Ăż structurĂ© / dĂ©structurĂ© Ćž (une partie structurĂ©e et une partie libre). Des rencontres auteurs-Ă©diteurs ont donc Ă©tĂ© organisĂ©es au cours dÊune soirĂ©e cocktail, sur le modĂšle du speed

dating. Plus de 130 Ăż rencontres organisĂ©es Ćž ont eu lieu en lÊespace de deux heures, sans compter les rencontres informelles qui se sont dĂ©roulĂ©es par ailleurs, ce qui en fait le plus grand Ă©vĂ©nement du genre. LÊallocution dÊouverture avait Ă©tĂ© donnĂ©e par Louis Delas, Directeur GĂ©nĂ©ral de Casterman, qui a prodiguĂ© quelques conseils aux participants. Ceux-ci – dessinateurs, scĂ©naristes, Ă©diteurs – sĂŠĂ©taient auparavant inscrits sur le site des ZoopportunitĂ©s1 et avaient fourni des exemples de leurs travaux. Ils avaient alors Ă©tĂ© Ă©valuĂ©s par la rĂ©daction de Zoo, qui a ensuite jouĂ© les Ăż entremetteurs Ćž en attribuant aux divers Ă©diteurs les auteurs avec lesquels la rĂ©daction pensait quÊil pourrait y avoir des atomes crochus. Quelques Ă©diteurs nous ont confiĂ© Ă  la sortie quÊils avaient rencontrĂ© des artistes quÊils allaient Ăż signer Ćž. En fin de soirĂ©e, les participants ont votĂ© pour dĂ©signer le Ăż meilleur espoir Ćž parmi les auteurs qui Ă©taient prĂ©sents, sur la base des travaux qui ont Ă©tĂ© montrĂ©s. Ben Basso a Ă©tĂ© le vainqueur dans la catĂ©gorie dessinateurs, et Edmond Touriol dans la catĂ©gorie scĂ©naristes. Souhaitons-leur bon vent. Face au succĂšs de cet Ă©vĂ©nement, rendez-vous a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© pris lÊan prochain par Zoo et le FIBD pour renouveler lÊopĂ©ration. LA RÉDACTION

www.zoopportunites.com Retrouvez quelques extraits des ZoopportunitĂ©s 2011 telles quÊelles ont Ă©tĂ© rapportĂ©es par France 3, sur le site de Zoo : www.zoolemag.com 1

LÊALLOCUTION DE LOUIS DELAS

6

N

e w s


n

C

zoom

o u v e r t u r e

© Nury, Lauffray, Alberti, Xiaoyu et Tirso / GLÉNAT

E

En chemin, elle rencontre, T.2, Les Artistes se mobilisent pour le respect des droits des femmes, collectif Cet album ne devrait pas exister. Non parce que son message humaniste nÊest pas louable, mais parce quÊon ne devrait pas, en 2011, avoir Ă  alerter de lÊaugmentation de la violence contre les femmes dans le monde. Pourtant, viols, violences conjugales, harcĂšlements, mutilations, incestes, etc., sont des thĂšmes qui se conjuguent au fĂ©minin⁄ 24 auteurs proposent des rĂ©cits forts et un tour dÊhorizon sans concession de la rĂ©alitĂ©. Un album militant, un achat utile. Des Ronds dans lÊO / Amnesty International, 96 p. couleurs,18,50 € HÉL˚NE BENEY

Et toi, quand est-ce que tu tÊy mets ?,T.1, Celle qui ne voulait pas avoir dÊenfant, de Martin et Cazot

Il Ă©tait une fois LÉGION F

abien Nury fait son entrĂ©e en bande dessinĂ©e en 2003 par la grande porte, en co-signant avec Xavier Dorison le scĂ©nario de W.E.S.T., un thriller fantastique dessinĂ© par Christian Rossi (voir aussi p.18). Peu aprĂšs, pour sa premiĂšre ïŹ‚uvre personnelle, le jeune scĂ©nariste a voulu montrer son savoir-faire et marquer les esprits avec un rĂ©cit particuliĂšrement dense, plutĂŽt complexe, mĂȘlant intrigues politiques, complots et suspense dans une Seconde Guerre mondiale oĂč Nazis et AlliĂ©s ne se doutent pas quÊils sont les pions dÊune guerre fratricide entre deux immortels⁄ Les trois tomes de Je suis lĂ©gion, aux HumanoĂŻdes AssociĂ©s, paraissent de 2004 Ă  2007. CÊest lÊAmĂ©ricain John Cassaday qui rĂ©alise le triptyque dans un style rĂ©aliste rehaussĂ© de couleurs glaciales. Quoique relativement difficile Ă  suivre, Ă  cause dÊun dĂ©coupage trĂšs hachĂ© et surtout du fait dÊune ressemblance graphique trop marquĂ©e entre certains personnages, la sĂ©rie a trouvĂ© son public. Et nÊa pas fini de le

© Nury, Lauffray, Alberti, Xiaoyu et Tirso / GLÉNAT

Quatre tomes des « Chroniques de LĂ©gion » sont annoncĂ©s aux Ă©ditions GlĂ©nat d’ici 2012, qui font suite aux trois tomes de « Je suis lĂ©gion ». MĂȘme si les deux histoires peuvent ĂȘtre lues sĂ©parĂ©ment, voici quelques rappels utiles sur la genĂšse de la sĂ©rie et le parcours de son scĂ©nariste. trouver, puisque Fabien Nury, entretemps devenu un des scĂ©naristes les plus apprĂ©ciĂ©s de sa gĂ©nĂ©ration (grĂące, en particulier, Ă  la sĂ©rie Il Ă©tait une fois en France menĂ©e de main de maĂźtre avec Sylvain VallĂ©e, qui connaĂźt un succĂšs Ă  la fois public et critique), a dĂ©cidĂ© de remettre le couvert en revenant Ă  sa premiĂšre saga.

RIVALITÉS SÉCULAIRES

Les Chroniques de LĂ©gion propose une exploration des affrontements et rivalitĂ©s sĂ©culaires entre Vlad et Radu. Pour ce faire, Nury a recrutĂ© une vĂ©ritable lĂ©gion de dessinateurs. Pas moins de quatre, de quatre nationalitĂ©s diffĂ©rentes, chacun chargĂ© dÊune Ă©poque historique distincte. € nouveau les intrigues se croisent, mais cette fois, la lisibilitĂ© est au rendez-vous : depuis Le Triangle secret, le changement de style graphique Ă  chaque changement dĂŠĂ©poque a fait ses preuves en tant que technique narrative pertinente. JÉRƂME BRIOT

Fluide G enfile ses plus beaux escarpins pour lancer une collection de Ăż chick bd Ćž. Les deux premiers titres viennent de paraĂźtre, dont celui de Mady et Cazot mettant en scĂšne les tribulations dÊune trentenaire qui nÊenvisage pas la maternitĂ©. Si la sociĂ©tĂ© est particuliĂšrement culpabilisante, la fabuleuse invention du Dr Pincus (la pilule, voyons !) est lĂ  pour lÊaider Ă  maintenir son cap. Des gags en une planche et un graphisme trĂšs sympa pour aborder une vraie question : celle du choix. Rose, mais pas layette. Fluide G, 56 p. couleurs, 10,40 €

HB

Skins Party, de ThimothĂ© le Boucher AujourdÊhui, les fĂȘtes Ă  la mode ce sont les Ăż Skins parties Ćž (venues dÊAngleterre et inspirĂ©es par la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e Skins), de grands rassemblements de jeunes gens sous psychotropes, thĂ©Ăątres dÊextravagances et dÊexcĂšs divers (rien de trĂšs nouveau en somme). Avec un dessin adroit et une palette de couleurs Ă©tonnante pour certaines scĂšnes (notamment la prĂ©sence de rose fluo), le jeune auteur ThimothĂ© le Boucher (22 ans) met en place un rĂ©cit dans lequel la mĂȘme soirĂ©e est racontĂ©e successivement par divers protagonistes. Un one-shot trĂšs plaisant Ă  lire et plutĂŽt bien ficelĂ©, mĂȘme si on peut dĂ©plorer des influences peut-ĂȘtre un peu trop marquĂ©es et une tendance Ă  la surenchĂšre. Auteur prometteur quoi quÊil en soit.

manolosanctis, 112 p. coul., 16,50 € OLIVIER PISELLA

7


E

C

n

o u v e r t u r e

LES CHRONIQUES DE LÉGION :

le mal dans les veines Avec « Chroniques de LĂ©gion », Fabien Nury dĂ©veloppe l’idĂ©e selon laquelle le mal est en incubation dans nos propres veines. GrĂące Ă  une maturitĂ© acquise Ă  travers « Il Ă©tait une fois en France », « Chroniques de LĂ©gion » s’annonce d’avantage comme une saga Ă  part entiĂšre qu’une antĂ©suite directement en lien avec « Je suis lĂ©gion », la sĂ©rie de Fabien Nury et John Cassaday. Explications.

8

LE SCÉNARISTE FABIEN NURY © Nury, Lauffray, Alberti, Xiaoyu et Tirso / GLÉNAT

Cette nouvelle saga est lÊantĂ©suite de Je suis lĂ©gion, que vous avez rĂ©alisĂ© avec John Cassaday aux HumanoĂŻdes AssociĂ©s. Pourquoi prolonger cet univers ? Comment comptez-vous relier les deux histoires ? JÊai eu le sentiment de ne pas avoir pleinement explorĂ© le concept fantastique dans Je suis lĂ©gion. Je me suis contentĂ© dÊutiliser le pouvoir du Ăż sang parasite Ćž, je ne lÊai pas vraiment dĂ©veloppĂ©. Par exemple, nous nÊavions jamais le point de vue de Vlad et Radu, les deux immortels. Je nÊai pas, je pense, assez poussĂ© leur mythologie, ni leur psychologie. Ici, je mÊattache Ă  raconter lÊhistoire de leur point de vue, en utilisant notamment des voix-off. Quel effet cela fait-il de changer de corps ? DÊĂȘtre Ăż quelquÊun dÊautre Ćž, dont on intĂšgre les souvenirs, les Ă©motions, les espoirs ? Dans Je suis lĂ©gion, le concept Ă©tait limitĂ© Ă  un instrument de pouvoir. Ici, cÊest plutĂŽt lĂŠĂ©ternitĂ© qui mÊintĂ©resse. Les Chroniques de LĂ©gion peut parfaitement se lire comme une sĂ©rie indĂ©pendante. Cela dit, les lecteurs de Je suis lĂ©gion pourront trouver certaines correspondances, certains indices qui mettent en relation les deux titres. Notamment grĂące Ă  lÊintrigue qui se dĂ©roule Ă  la pĂ©riode victorienne⁄

DR

I

l y a cinq personnes au Ăż gĂ©nĂ©rique Ćž des Chroniques de LĂ©gion : vous-mĂȘme, Mathieu Lauffray, Mario Alberti, Zhang Xiaoyu et Tirso. Comment travaillez-vous avec eux ? JÊai Ă©crit le scĂ©nario dialoguĂ© complet des quatre tomes, en sachant quÊils seraient destinĂ©s Ă  plusieurs dessinateurs. Bien sĂ»r, lÊarrivĂ©e de Mathieu Lauffray, qui a acceptĂ© de faire la couverture et le prologue qui se dĂ©roule en Transylvanie en 1476, a Ă©tĂ© un Ă©vĂ©nement dÊenvergure⁄ Concernant Mario, Tirso et Zhang, je connaissais et apprĂ©ciais leurs travaux. Nous leur avons transmis les scripts complets, chacun ayant ainsi toutes ses pages et une vision dÊensemble du projet. Depuis, nous communiquons surtout par mail. DÊailleurs, il y aura une sixiĂšme personne au gĂ©nĂ©rique : Éric Henninot, qui rĂ©alise le Ăż climax Ćž du tome 4⁄ Dans lÊensemble, cÊest un vrai bonheur de travailler avec des artistes aussi douĂ©s. AprĂšs lÊouverture Ăż opĂ©ratique Ćž de Mathieu, chaque dessinateur met en scĂšne le destin dÊune des incarnations de Vlad Tepes lÊimmortel : grĂące Ă  son Ăż sang parasite Ćž, Vlad peut passer dÊune personne Ă  lÊautre, dÊun lieu Ă  lÊautre, dÊune Ă©poque Ă  lÊautre⁄ Mario sÊattache Ă  une noble espagnole, Gabriella de la Fuente, qui dĂ©barque au Nouveau Monde en 1521. Zhang dessine lĂŠĂ©popĂ©e dÊArmand Malachie, capitaine des Hussards, en 1812. Enfin, Tirso suit les pas de Victor Douglas Thorpe, Ă  Londres, en 1887.

Dans Les chroniques de LĂ©gion, votre narration semble avoir gagnĂ© en fluiditĂ©... Y aurait-il un avant et un aprĂšs Il Ă©tait une fois en France ? Merci, cÊest gentil de me dire ça. Je crois en effet avoir beaucoup appris avec le destin de Ăż M. Joseph Ćž. € lĂŠĂ©poque oĂč jĂŠĂ©crivais Je suis lĂ©gion ou les premiers W.E.S.T., jĂŠĂ©tais victime dÊune sorte de boulimie dÊintrigues. Complots Ă  foison, trames multiples, etc. Avec Il Ă©tait une fois en France, jÊai enfin compris que les personnages et les Ă©motions Ă©taient bien plus importants. Du coup, je crois que ce changement se lit dans tous mes derniers albums, y compris ceux qui reviennent au genre fantastique de mes dĂ©buts. Cette nouvelle sĂ©rie relĂšve du fantastique mythologique, baroque, chargĂ© dÊaffect, dĂŠĂ©motions extrĂȘmes et de visions grandioses – elle est donc trĂšs diffĂ©rente de Je suis lĂ©gion. CÊest aussi une tentative de faire de la Ăż pure Ćž BD, et non du Ăż film en BD Ćž, en exploitant les possibilitĂ©s narratives hĂ©ritĂ©es, entre autres, du comics. Il nÊy a quÊen BD quÊon puisse assister Ă  la chute de Vlad Tepes, puis dĂ©barquer au Nouveau Monde, admirer la dĂ©route de NapolĂ©on en Russie et plonger dans le Londres victorien, le tout en un seul album ! On ne passe plus seulement dÊun pays Ă  lÊautre en tournant la page, mais dÊun siĂšcle Ă  lÊautre⁄ La solu-


tion de facilitĂ© aurait Ă©tĂ© de faire des one-shots, sur le principe Ăż un album, une Ă©poque ƾ⁄ Mais oĂč serait lÊintĂ©rĂȘt ? Je dois me rappeler que nous sommes du point de vue des Ă©ternels, et comment mettre en scĂšne lĂŠĂ©ternitĂ©, sinon en Ăż zappant Ćž dÊune Ă©poque Ă  lÊautre ? Comme si Vlad, aprĂšs tous ces siĂšcles, tentait de se souvenir⁄ Sa vision serait fragmentĂ©e, dĂ©coupĂ©e en visions, Ă©poques et Ă©motions. CÊest un puzzle narratif que jÊessaie de mettre en place et qui se solutionnera au tome 4. Les lecteurs nÊauront pas trop longtemps Ă  attendre, dÊailleurs, vu que les quatre albums seront publiĂ©s dÊici la fin 2012. Vous dĂ©veloppez dans votre saga une vision assez pessimiste mais peu manichĂ©enne de lÊhumanitĂ©. Vous semblez aussi avoir hĂ©ritĂ© de Philip K. Dick et de Dan Simmons pour ce qui est notamment du mensonge de lÊexistence⁄ CÊest clair que je nÊadhĂšre pas Ă  lÊidĂ©e que Ăż le mal, cÊest lÊautre Ćž. Le mal est en nous, humains. Il ne vient pas dÊailleurs. Vlad et Radu, son frĂšre, ne sont que les incarnations monstrueuses de fantasmes humains : le pouvoir, la vie Ă©ternelle⁄ JÊadmire Philip K. Dick, particuliĂšrement Substance mort, Ubik et Le MaĂźtre du Haut ChĂąteau ; il me semble, sans ĂȘtre un spĂ©cialiste, que son nihilisme venait en partie de son addiction Ă  la drogue. € la fin de Substance mort, il

n

C

© Nury, Lauffray, Alberti, Xiaoyu et Tirso / GLÉNAT

E

dĂ©die le livre Ă  tous ses amis tuĂ©s par lÊhĂ©roĂŻne⁄ Pour ma part, jÊessaie simplement de pousser Ă  son terme mon concept fantastique : si je pouvais passer dans nÊimporte quel corps sans mourir, ou ĂȘtre dans plusieurs personnes Ă  la fois, quel sens aurait mon existence1 ? Est-ce que je ne deviendrais pas fou Ă  lier, Ă  force ? Il y a des pages, dans le premier album des Chroniques de LĂ©gion, qui sont intĂ©gralement vues – et racontĂ©es – du point de vue dÊun rat⁄ JÊai lu et adorĂ© les romans de Simmons. Il a beaucoup influencĂ© Je suis LĂ©gion. Pour Les Chroniques de LĂ©gion, je me

o u v e r t u r e suis intĂ©ressĂ© Ă  dÊautres romanciers qui mÊont fait rĂȘver et qui traitaient de lĂŠĂ©ternitĂ© – ou du passage du temps – de façon originale. Je pense Ă  LÊHistoire du Juif errant de DÊOrmesson, Cent ans de solitude de Garcia Marquez ou Un thĂ© en Amazonie de Daniel Chavarria. DÊun chapitre Ă  lÊautre, on change de personnage, de lieu ou dĂŠĂ©poque, de façon a priori anarchique. Mais au fur et Ă  mesure, tout cela prend son sens⁄ Cette dimension purement romanesque me passionne. Il Ă©tait question Ă  une Ă©poque dÊune adaptation filmĂ©e de Je suis lĂ©gion... Est-ce toujours en projet ? CÊest drĂŽle que vous me posiez cette question : la semaine derniĂšre, je suis tombĂ© sur un article de Variety oĂč ils annonçaient le tournage pour la fin 2011. Je ne suis pas directement impliquĂ© : jÊai Ă©crit quelques versions du script il y a quatre ans, quand John Cassaday devait en faire son premier film de rĂ©alisateur. Ce Ăż package Ćž nÊa pas convaincu, je crois. Du coup, le producteur, Pierre Spengler, sÊest associĂ© Ă  dÊautres – qui ont eu lÊexcellente idĂ©e de ramener Nacho Cerda, un brillant rĂ©alisateur espagnol. Nouveau rĂ©alisateur, nouveau script, etc. Je ne sais pas sÊils iront au bout – ce sont les alĂ©as de lÊaudiovisuel – mais je leur souhaite bonne chance. PROPOS RECUEILLIS PAR ET

JÉRƂME BRIOT KAMIL PLEJWALTZSKY

1 Questionnement partagé par K. Dick dans We Can Remember it for you Wholesale.

LES CHRONIQUES DE LÉGION, T.1/4 de Nury, Lauffray, Alberti, Xiaoyu et Tirso GlĂ©nat, coll. Grafica 56 p. couleurs, 13,50 € 9


S

a l o n

d u

L

i v r e

Chatoiements et diversitĂ© de la BANDE DESSINÉE NORDIQUE © Riel, Bonneval et Tanquerelle / SARBACANE

Les pays nordiques sont traditionnellement cinq : les trois pays scandinaves, la SuÚde, le Danemark et la NorvÚge, la Finlande et la petite et lointaine Islande. Ils sont les invités du Salon du Livre de Paris cette année. Ces cinq pays recouvrent des traditions de bande dessinée pourtant forts différentes.

ILLUSTRATION EXTRAITE DU ROI OSCAR ET AUTRES RACONTARS, DÊAPR˚S LÊÉCRIVAIN DANOIS J±RN RIEL

UN GÉANT ET DES NAINS (LÉGENDE SCANDINAVE)

Pourtant la Scandinavie est dominĂ©e par un encombrant gĂ©ant : la fondation danoise Egmont, un groupe de mĂ©dias danois crĂ©Ă© en 1920 qui sÊappelait 10

naguĂšre Gutenberghus, avant de prendre le nom de son fondateur Egmont H. Petersens en 1992. Le groupe est composĂ© de plusieurs divisions dont Nordisk Films, la plus vieille sociĂ©tĂ© cinĂ©matographique du monde crĂ©Ă©e en 1909, une division Ăż magazines Ćž, une division Ăż livres Ćž et une division Ăż Kids ans Teens Ćž (enfants et adolescents). La division Ăż bande dessinĂ©e Ćž dÊEgmont est leader dans son secteur, principalement dans les pays nordiques et en Allemagne. Elle est regroupĂ©e avec les mĂ©dias Ă©lectroniques, ce qui influence sa stratĂ©gie. Elle dĂ©tient surtout la licence des ïŹ‚uvres de Walt Disney pour ces pays et pour lÊAllemagne, le plus fort tirage mondial pour le Journal de Mickey. Egmont est aussi lĂŠĂ©diteur dÊAstĂ©rix dans 23 pays. Face Ă  ce gĂ©ant, une multitude de petits Ă©diteurs ont jouĂ© la carte de lĂŠĂ©dition alternative et sont les meilleurs vecteurs de notre bande dessinĂ©e sur la scĂšne nordique, mais aussi les producteurs dÊune bande dessinĂ©e originale publiĂ©e en France par LÊAssociation, Atrabile, La 5e Couche, FrĂ©mok mais aussi Carabas ou Dargaud ! On notera Ă©galement la prĂ©sence du festival SPX (qui affiche dĂ©jĂ  15 ans au compteur) animĂ© par la trĂšs dynamique Kristiina Kolehmainen et qui

est lÊune des scùnes alternatives les plus vibrantes au monde.

QUELS SONT LES AUTEURS NORDIQUES LES PLUS RECONNUS CHEZ NOUS ?

Sans conteste, le dessinateur norvĂ©gien Jason, aujourdÊhui rĂ©sidant de

DIDIER PASAMONIK © Didier Pasamonik

C

e nÊest pas la premiĂšre fois que les Ăż Vikings Ćž font une incursion dans la bande dessinĂ©e française. Une premiĂšre Ă©quipĂ©e avait eu lieu Ă  AngoulĂȘme, au MusĂ©e du papier en janvier 1997, oĂč quatre auteurs de chacun des cinq pays nordiques avaient Ă©tĂ© invitĂ©s Ă  exposer. Ce systĂšme de quotas un peu curieux attribuant quatre auteurs Ă  chacun des pays aux traditions de BD trĂšs inĂ©gales choqua quelque peu les auteurs scandinaves. Ils se consolĂšrent en vidant le bar VIP de lÊespace international : Ăż Les six raids vikings sur Paris au IXe SiĂšcle nĂŠĂ©taient rien comparĂ©s au pillage systĂ©matique du champagne, du brandy et des expressos quÊa dĂ» endurer cet humble Ă©tablissement durant tout le festival Ćž, tĂ©moigna le dessinateur Peter Madsen dans un article. Leur prĂ©sence en France est cependant notable depuis plusieurs annĂ©es, marquĂ©es par un Ă©change constant entre nos pays, en particulier dans le domaine de lĂŠĂ©dition alternative.

Montpellier, qui compte une quinzaine dÊouvrages Ă  son actif, publiĂ©s chez Atrabile, Carabas et GlĂ©nat. DerriĂšre lui, Nemi, Ă©galement norvĂ©gienne (voir pages suivantes), creuse aussi son sillon chez Milady, la filiale de Bragelonne. Ensuite, un contingent de Finlandais se fait remarquer comme Ville Ranta, publiĂ© chez Dargaud (sur scĂ©nario de Trondheim) et Çà & LĂ , Matti Hagelberg publiĂ© chez LÊAssociation, et bien entendu Tove & Lars Jansson, dont la sĂ©rie Les Moomins (Ă©ditions Le LĂ©zard noir) a Ă©tĂ© distinguĂ©e par AngoulĂȘme. Le trio de SuĂ©dois Max Andersson, Lars Sjunnesson et Gunnar Lundkvist se remarquent Ă  LÊAssociation, de mĂȘme que lÊhistorien et critique Fredrik Strömberg qui publie chez PLG et Eyrolles des essais sur les Noirs dans la BD et sur la Propagande en bande dessinĂ©e. Le Danois Peter Madsen (chez Delcourt), de mĂȘme que le collectif Blaek ne sont pas passĂ©s inaperçus non plus. Ce sont les Ă©diteurs alternatifs qui se montrent les plus accueillants dans cette relation qui est basĂ©e surtout sur lĂŠĂ©change.

LA NORVÉGIENNE LISE MYHRE, AUTEUR DE NEMI



S

a l o n

d u

L

i v r e

FLORILÈGE NORDIQUE © Jason / CARABAS

Le Salon du Livre cĂ©lĂ©brant cette annĂ©e les Lettres nordiques, « Zoo » a dĂ©cidĂ© de vous proposer un bref tour d’horizon des bandes dessinĂ©es venues du Nord, ou dont l’action se dĂ©roule dans de septentrionales contrĂ©es. De quoi rĂ©chauffer vos derniĂšres soirĂ©es tisane / pyjama Damart du rigoureux hiver 2010-2011. JASON : UNE ïŹUVRE ABSURDE ET GRINÇANTE Avec un pseudonyme en forme de prĂ©nom tirĂ© de son propre patronyme (il sÊappelle John Ame Saeteroy), le NorvĂ©gien Jason a tracĂ© un chemin singulier en France, en passant par⁄ la Suisse oĂč il publie ses premiers ouvrages aux Ă©ditions Atrabile, jusquÊà Montpellier oĂč il rĂ©side aujourdÊhui. En lisant HergĂ©, il est attirĂ© par une approche minimaliste du dessin qui sait mĂ©nager un climat glaçant dĂŠĂ©trangetĂ©. Il y place des personnages animaliers anthropomorphes, ici sous lÊinfluence de Disney, mais aux yeux sans pupille, dans des situations toujours dĂ©calĂ©es. Jason nÊa dÊordinaire pas besoin de scĂ©nariste. Tous ses albums, il les a jusquÊici signĂ©s seul. Mais Fabien Vehlmann, lÊauteur cynique de Green Manor, a su le sĂ©duire dans cette fable noire initiatique dont le titre Ă©voque Maurice Leblanc, et la mort avec lui. Le lecteur sort ravi de lÊexpĂ©rience. c LÊ˝le aux cent mille morts, de Jason et Vehlmann, GlĂ©nat Lire aussi Low Moon, Des Morts et des vivants, JÊai tuĂ© Adolf Hitler, Le Dernier mousquetaire, entre autres. DIDIER PASAMONIK

KLAS KATT, DE GUNNAR LUNDKVIST, LÊASSOCIATION Klas Katt voit le jour en 1979 sous les crayons du SuĂ©dois Gunnar Lundkvist. Ce chat anthropomorphe et indolent passe le plus clair de son temps dans son appartement, Ă  lire dans son fauteuil, Ă  se perdre en introspection ou Ă  tourner en rond, dans un vertige dÊinaction alimentĂ© par son angoisse du monde extĂ©rieur. Il faut admettre que Hell City, oĂč il habite, est un lieu sinistre et morne. Il semble y faire toujours nuit – et aprĂšs tout, ce doit ĂȘtre vrai plusieurs mois dans lÊannĂ©e, car le cercle polaire nÊest pas loin. Pourquoi Klas Katt, avec une description aussi dĂ©primante, estelle une BD culte ? Parce que ce nÊest pas le diable, mais la beautĂ© qui est dans les dĂ©tails. Et ce qui paraĂźt plat vu de loin sÊavĂšre nettement plus subtil et contrastĂ©, vu de lÊintĂ©rieur. Ce livre nÊest pas glacial, il est givrĂ©. JÉRƂME BRIOT

KRISS DE VALNOR, LA RIVALE DE THORGAL

© Gunnar Lundkvist

© Rosinski / LE LOMBARD

LOW MOON, DE JASON

KIRKENES, DE CH˜TEL ET GOMONT, LES ENFANTS ROUGES En NorvĂšge comme ailleurs, il arrive aux adolescents de faire les 400 coups pour supporter la banalitĂ© du quotidien. Mais en brĂ»lant une Ă©glise abandonnĂ©e, Henrik et Inge ont quand mĂȘme fait trĂšs fort. Certes, les deux amis ont une vie aussi grise que le ciel d'Oslo en hiver, mais cette petite Ăż plaisanterie Ćž pourrait bien leur coĂ»ter cher. Il est donc grandement temps de faire le point. Alors, examen de conscience pour tout le monde ! Henrik, dont le couple qu'il forme avec Mia manque cruellement de passion ; Inge, qui n'a pas encore annoncĂ© Ă  ses parents qu'il a choisi une fac de cinĂ©ma ; et Alf, le pĂšre d'Henrik, paranoĂŻaque sous traitement. VoilĂ  le programme de ce road movie tout en sentiments qui mĂšnera les deux Ă©tudiants jusqu'Ă  la ville septentrionale de Kirkenes, et, qui sait, jusqu'Ă  l'illumination. THIERRY LEMAIRE

HÄGAR DÜNOR : UN ROUQUIN BARBU TAILLÉ POUR LÊINVASION Impossible dÊĂȘtre passĂ© Ă  cĂŽtĂ© dÊHĂ€gar the Horrible, rebaptisĂ© HĂ€gar DĂŒnor en France (pour lÊexcellent jeu de mots⁄), puisque les strips du Viking ont fleuri dans toute la presse quotidienne rĂ©gionale pendant des dĂ©cennies ! Belliqueux, flemmard, fĂȘtard, chauvin, le personnage dÊHĂ€gar avait de grandes chances de plaire aux Français⁄ comme au reste du monde puisquÊil a Ă©tĂ© diffusĂ© dans environ 2000 journaux Ă  travers le monde ! Un humour prĂ©cis et universel pour ce hĂ©ros nĂ© en 1973 sous la plume de Richard Ăż Dik Ćž Browne, et repris Ă  sa retraite en 1988 par Chris, lÊun de ses fils. Jouant sur le dĂ©calage entre la rudesse de son statut de guerrier et la routine de sa vie quotidienne, le ressort comique est renforcĂ© par une foule de seconds rĂŽles forts et attachants. Comme son stupide mais adorable bras droit Eddie le veinard, sa femme – de tĂȘte – Hildegarde, ses enfants Homlet et Ingrid, son chien Pilaf⁄ Une efficacitĂ© redoutable qui mĂšne tous les lecteurs droit au Walhalla ! c HĂ€gar DĂŒnor, de Dik Browne, divers recueils existent en anglais ou en français HÉL˚NE BENEY


a l o n

d u

L

i v r e © Myhre / MILADY

S

NEMI : UNE SÉDUISANTE Ăż MISS TERREUR Ćž La NorvĂ©gienne Lise Myhre est un phĂ©nomĂšne en NorvĂšge. AprĂšs avoir fait des Ă©tudes dÊart Ă  Santa Monica en Californie, elle publie ses premiers strips dans la presse quotidienne scandinave avant de les rĂ©unir dans des volumes qui remportent un grand succĂšs. Le groupe Egmont dĂ©cide de lancer un magazine qui lui est entiĂšrement dĂ©diĂ©. PubliĂ© toutes les six semaines et centrĂ© sur son personnage, Nemi vend 70 000 exemplaires de chaque numĂ©ro dans un pays de 4 millions dÊhabitants. Ses strips paraissent aujourdÊhui dans prĂšs de 60 quotidiens en GrandeBretagne, en Espagne, en Irlande, en Finlande, en Australie, en SuĂšde, au Danemark, en Allemagne, au Japon, aux États-Unis, en Italie et en Bulgarie. Son hĂ©roĂŻne, Nemi Montoya, une gothique aux yeux bleus qui ne sÊen laisse pas compter par les garçons, est, comme son auteur, incisive et volontaire, capable de terrasser un mĂąle dÊun bon mot. LÊamour, les relations de couple, le travail et la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral sÊen retrouvent dĂ©capĂ©s au KĂ€rcher. Ăż Miss terreur Ćž en est Ă  son 3e volume. RafraĂźchissant ! c Nemi, de Lise Myhre, Milady DIDIER PASAMONIK

METI, DÊAAPO RAPI, RACKHAM / LE SIGNE NOIR DrĂŽle de BD⁄ et drĂŽle de pays que la Finlande ! Plus connue pour le cinĂ©ma absurde de KaurismĂ€ki ou la littĂ©rature suicidaire de Paasilinna, cette terre nordique coincĂ©e entre la Scandinavie et les pays Baltes nous livre un album hasardement dessinĂ© et coloriĂ©, qui raconte autant les aventures dÊune grand-mĂšre de 80 ans que les difficultĂ©s du dessinateur Ă  qui elle raconte sa jeunesse trĂšs pauvre. Tous les deux ont eu du mal Ă  sÊinsĂ©rer dans une sociĂ©tĂ© trĂšs moraliste et rigoriste. Au final, une rĂ©ussite de tendresse rude et dÊambiance finnoise, quelque chose dÊassez indescriptible autrement que dans cette alchimie de dessins rugueux et de rĂ©cits courts, Ă  la Crumb et Pekar version aquavit – assurĂ©ment pour les amateurs dÊobjets dessinĂ©s non-identifiĂ©s.

NEMI, DE LISE MYHRE

BORIS JEANNE

LE ROI OSCAR ET AUTRES RACONTARS, DE J±RN RIEL, GWEN DE BONNEVAL & HERVÉ TANQUERELLE, SARBACANE Quatre histoires, quatre pĂ©pites. Suite directe de La Vierge froide et autres racontars, cette anthologie recĂšle son lot de mini-rĂ©cits savoureux, saupoudrĂ©s dÊun bagout indĂ©niable et dÊun humour macabre irrĂ©sistible. Ici, un chasseur de renards peste sur le dĂ©cĂšs accidentel de son compagnon dÊinfortune, lÊoccasion dÊun bon gueuleton collectif et de funĂ©railles mĂ©morables. LĂ , deux hommes se brouillent pour un sordide partage de latrines, lieu inestimable au beau milieu du Grand Nord. LĂ  encore, deux anciens camarades se vouent une haine farouche par la faute dÊun cochon ayant lÊheur dÊaccĂ©der Ă  toutes sortes de privilĂšges (twist glaçant Ă  la clef). Le point commun Ă  toutes ces histoires ? Un regard drĂŽle et tendre sur des fous paranoĂŻaques et avinĂ©s, retranchĂ©s dans des rĂ©gions arctiques que la solitude nĂŠĂ©pargne pas. Mais qui enchante des lecteurs aussi ragaillardis quÊaprĂšs une bonne rasade de tord-boyaux. LÊINÉNARRABLE HÄGAR DÜNOR, PAR DIK BROWNE

GERSENDE BOLLUT

LES AVENTURES DE MOOMIN, PAR TOVE JANSSON, LE PETIT LÉZARD MĂȘme sÊils ressemblent Ă  des hippopotames, tous les Finlandais vous le diront : les Moomins sont des trolls, les emblĂšmes du pays. Toujours confidentielle en France, cette sĂ©rie crĂ©Ă©e par la dessinatrice Tove Jansson (1914-2001) fit un succĂšs jusquÊau Japon : la mode du kawaĂŻ, cÊest-Ă -dire le culte de tout ce qui est mignon, lui doit beaucoup. Le strip quotidien des Moomins fut publiĂ© dans 40 pays et les Finlandais entretiennent avec cette saga inclassable, aux multiples niveaux de lecture, un rapport identitaire aussi marquĂ© que celui des Français avec AstĂ©rix, ou des Belges avec Tintin. En France, il a fallu attendre 2007 pour quÊune premiĂšre traduction de Moomin et les brigands soit publiĂ©e, aussitĂŽt rĂ©compensĂ©e par le Prix du patrimoine du festival dÊAngoulĂȘme. Moomin, avec ses adaptations en dessin animĂ©, son merchandising effrĂ©nĂ© et son parc Ă  thĂšme, est incontestablement LE grand classique de la BD scandinave. JÉRƂME BRIOT

INCONTOURNABLE THORGAL Avec ses longs cheveux noirs, Thorgal nÊa rien dÊun Viking ! CÊest en fait un orphelin qui fut recueilli par une famille, vers le VIIe siĂšcle. Mis Ă  lĂŠĂ©cart du clan, il devint un archer Ă  la prĂ©cision surprenante et Ă©pousa la fille du roi qui lui donna deux beaux enfants aux pouvoirs Ă©tonnants ! Cette superbe sĂ©rie de plus de 30 volumes fait parfois des incursions dans le fantastique ou la mythologie, mais le trait de Rosinski retranscrit Ă  merveille les Ă©lĂ©ments naturels, et le scĂ©nario de Van Hamme possĂšde une dimension Ă©colo-humaniste, loin du thriller financier. € lire en commençant bien par le dĂ©but de chaque cycle ! c Grande exposition sur Thorgal au Salon du livre, plus de 80 planches et couvertures exposĂ©es. JEAN-PHILIPPE RENOUX 13


S

a l o n

d u

L

i v r e

Quelque chose en nous du Paradis © Makoto Yukimura / Kodansha Co. Ltd.

de conquĂȘte de lÊAngleterre par les armĂ©es danoises et norvĂ©giennes (fin du Xe siĂšcle), des hommes se dĂ©battent contre leur condition et leur destin, dĂ©fient les dieux et les hiĂ©rarchies sociales, et refusent dÊattendre lÊau-delĂ  pour obtenir le Paradis. Ce qui donne la force Ă  ces hommes de tempĂ©rament, cÊest un rĂȘve dÊenfance qui est en eux, la vision dÊune terre idĂ©ale, une contrĂ©e de paix et dÊabondance oĂč personne ne serait esclave. Cet horizon intĂ©rieur, certains lÊappellent Ăż Vinland Ćž. CÊest le nom que Leif, fils dÊErik le Rouge, a donnĂ© Ă  une terre giboyeuse et fertile quÊil a dĂ©couverte Ă  lÊOuest, au-delĂ  du Groenland.

« Vinland Saga », Ă©ditĂ© en France par Kurokawa, a plus d’un atout dans son sac : dessin prĂ©cis, batailles spectaculaires, personnages flamboyants, narration atypique... Ne passez pas Ă  cĂŽtĂ© de la plus formidable Ă©popĂ©e nordique jamais Ă©crite par un Japonais.

CÊest la tragĂ©die dÊune enfance dĂ©vastĂ©e, dÊune croissance vĂ©cue dans la sauvagerie. La haine de lÊassassin de son pĂšre aveugle Thorfinn et lÊempĂȘche de progresser. Le dĂ©veloppement de son esprit est stoppĂ©. NÊayant pas les moyens intellectuels dÊassimiler les leçons pacifistes de son pĂšre, lÊenfant soldat ressasse son traumatisme et les annĂ©es le transforment en surdouĂ© du combat aux allures de clochard primitif. 14

LÊautomne dernier, les lecteurs de la sĂ©rie ont pu dĂ©couvrir quÊun des ultimes chapitres du tome 8 sÊintitulait avec audace Ăż Fin du prologue Ćž. Les huit premiers tomes de Vinland Saga forment en effet un cycle dÊintroduction dont le hĂ©ros nÊest pas lÊadolescent vengeur, mais bien celui qui est lÊobjet de © Makoto Yukimura / Kodansha Co. Ltd.

L

e petit Thorfinn dĂ©couvre que son pĂšre, Thors, Ă©tait auparavant un illustre combattant : un passĂ© glorieux, dans cette sociĂ©tĂ© viking qui exalte les vertus guerriĂšres, lÊesprit de conquĂȘte et la mort lĂŠĂ©pĂ©e Ă  la main. Toutes valeurs dont prĂ©cisĂ©ment Thors sĂŠĂ©tait Ă©loignĂ© pour vivre une vie paisible et familiale dans la lointaine Islande. Mais rattrapĂ© par le fracas des armes, il est assassinĂ© sous les yeux de son fils qui, dĂšs lors, ne vivra que pour la vengeance.

sa haine : Askeladd, le chef dÊune armĂ©e de pillards vikings. Il nÊest pas trĂšs frĂ©quent que dans une fiction un mĂ©chant soit aussi rĂ©ussi. Le propre dÊun mĂ©chant flamboyant et charismatique, cÊest prĂ©cisĂ©ment quÊau bout dÊun moment, quelque horreur quÊil commette, le public lÊadmire. Makoto Yukimura a bien saisi le potentiel de son personnage et sa mise en lumiĂšre progressive est la premiĂšre surprise de cette ïŹ‚uvre. En effet, Ă  la lecture du premier tome Ă  lÊallure plutĂŽt pataude, il est fort difficile dÊimaginer ce qui va suivre. Les vieux rĂ©flexes nous induisent en erreur et nous font prendre le jeune premier pour le centre, alors que cÊest le vieux renard que nous allons regarder. Si la prĂ©sentation est parfois naĂŻve, si les Ă©volutions des personnages sont souvent abruptes, la trame des relations qui est tissĂ©e derriĂšre sĂŠĂ©panouit dans un subtil jeu dĂŠĂ©chos. Dans ce nïŹ‚ud de tragĂ©dies sur fond historique

L'auteur n'hĂ©site pas Ă  dĂ©sorienter de nouveau ses lecteurs en poursuivant dans le tome 9 l'ahurissante rupture amorçée Ă  la fin de l'Ă©pisode prĂ©cĂ©dent. Nous quittons lÊAngleterre ravagĂ©e pour la pĂ©ninsule du JĂŒtland, au cïŹ‚ur du royaume danois. Un jeune homme que nous connaissons bien sÊy retrouve esclave sur un domaine agricole, les champs de blĂ© remplacent les champs de bataille... Étranger au monde et Ă  lui-mĂȘme, la rage lÊa quittĂ©. Il nÊest plus quÊune ombre. CÊest lĂ  que son histoire commence vraiment. Comment va-t-il renaĂźtre ? Comment pourra-t-il se rĂ©concilier avec lÊenfant quÊil Ă©tait ? Retrouvera-t-il le Vinland qui est en lui ? Si la connaissance des Ă©vĂ©nements historiques rĂ©els peut nous donner quelques pistes, la hĂąte est grande de voir sur quels sommets Ă©motionnels lÊauteur va nous embarquer. VLADIMIR LECOINTRE

VINLAND SAGA, T.9 de Makoto Yukimura, Kurokawa, 208 p. n&b, 7,50 €



A

c t u

B

d © Fred / DARGAUD

FRED DANS L’INTIMITÉ

DU PAPA DE PHILÉMON

Qui n’a pas lu « PhilĂ©mon » ne peut saisir l’indĂ©fectible poĂ©sie, la mĂ©lancolie pudique, la fulgurance des trouvailles qui parcourent les histoires de Fred. SĂ©ance de rattrapage pour les plus jeunes, objet collector pour les fans : Dargaud publie une intĂ©grale de la sĂ©rie, et un livre d’entretiens avec l’auteur.

I

mpossible de rĂ©sumer en de banals mots un univers dans lequel les lettres des cartes gĂ©ographiques se matĂ©rialisent en Ăźles isolĂ©es dans lÊocĂ©an, les onomatopĂ©es flottant dans le ciel embarquent les personnages Ă  leur bord, les Ă©pouvantails prennent la parole et les personnages peuvent se perdre au sens strict dans les mĂ©andres de leur imaginaire⁄ Éclos dans les pages de Pilote au milieu des annĂ©es 60, la saga PhilĂ©mon constitue un Ă©poustouflant voyage, porteur dÊune poĂ©sie avant-gardiste oĂč la collision entre rĂ©alitĂ© psychique interne et monde extĂ©rieur est sans cesse Ă  lĂŠïŹ‚uvre : matĂ©rialisation de mots dÊesprit, jeux sur la structure des cases et des planches⁄ PĂ©pite Ă  tirage limitĂ©, cette intĂ©grale permet au lecteur de se replonger dÊune longue traite dans cette Ă©popĂ©e, en commençant par atterrir des deux pieds sur le refuge hĂ©tĂ©rotopique du Ăż A Ćž de lÊOcĂ©an Atlantique, en la plus dĂ©licieuse des compagnies – lÊñne Anatole, le puisatier BarthĂ©lĂ©my et lÊOncle FĂ©licien. PubliĂ© simultanĂ©ment, un Ă©pais livre dÊentretiens met en scĂšne une tendre mise en abĂźme : le hĂ©ros Ă©ternellement adolescent, Ă  la mariniĂšre trop courte, aux pieds nus et aux cheveux en 16

bataille, interroge avec candeur son crĂ©ateur. Sous son Ă©paisse et lĂ©gendaire moustache, Fred se raconte : ses origines grecques, ses premiers dessins de presse, lÊaventure fondatrice dÊHara Kiri – aux cĂŽtĂ©s de Cavanna, GĂ©bĂ©, Cabu, Choron, Wolinski, Topor –, lĂŠĂ©poque Pilote, son amour pour la plongĂ©e sousmarine⁄ Et des dessins inĂ©dits, oĂč toujours souffle cette douce brise libertaire, Ă©maillĂ©e dÊune tendresse pour les dĂ©shĂ©ritĂ©s et vagabonds de tout ordre, forains et autres petits mĂ©tiers ; la crĂ©ation selon Fred, oĂč la plus audacieuse des fantaisies cĂŽtoie la plus Ă©lĂ©gante des mĂ©lancolies. Votre narration dans PhilĂ©mon mĂȘle sans arrĂȘt le fond et la forme, le medium de la bande dessinĂ© est toujours prĂ©texte Ă  rebondir dÊune maniĂšre inattendue ; vous laissez-vous surprendre vousmĂȘme au fil de lÊhistoire ? Absolument ! Ce nÊest jamais gratuit, il faut que ça serve Ă  lÊhistoire, que ça dĂ©route le lecteur, en mĂȘme temps que les personnages qui ne savent pas oĂč ils vont. Et moi non plus ! DÊailleurs, en dĂ©couvrant cette intĂ©grale, jÊai lÊimpression que ce nÊest pas moi qui lÊai

Vous nÊaviez jamais relu ces pages ? Jamais ; quand je signe une page, je ne reviens jamais dessus. Je vais vous raconter une anecdote au sujet dÊun dessin que jÊavais fait pour illustrer une nouvelle de Barbey dÊAurevilly – un auteur de Normandie qui Ă©crit des nouvelles fantastiques un peu dans le style de Maupassant. Elle mettait en scĂšne un jeune militaire dans une ville de garnison, et une jeune fille de bonne famille. Je les avais dessinĂ©s au cours dÊun dĂźner, autour de la table avec les parents de la jeune fille, la bonne⁄ Je voulais quÊon comprenne quÊil allait se passer quelque chose entre eux, sur un simple Ă©change de regard. Et cÊest bizarre mais, en fin de journĂ©e, jÊavais fait tout le dessin – avec des dĂ©cors trĂšs minutieux –, jĂŠĂ©tais content du rĂ©sultat ; mais au moment de poser les points des yeux, dÊun seul coup, jÊai eu le trac ! JÊai donc laissĂ© le dessin reposer toute la nuit, et le lendemain matin, jÊai retrouvĂ© mes deux personnages en attente, sans yeux. CĂŠĂ©tait rien, juste deux traits et quatre points, mais je ne pouvais pas le faire le soir mĂȘme. Peut-ĂȘtre un peu par sadisme (sourire), peut-ĂȘtre un peu par jeu, comme pour continuer lÊhistoire. De plus, je vis le dessin comme un Ăż direct Ćž : je ne fais jamais de retouches, sÊil est ratĂ©, je le dĂ©chire et le recommence ; ça crĂ©e une certaine tension. © Fred / DARGAUD

DR

faite, je suis vraiment impressionnĂ©. Revoir des dessins que vous avez faits il y a 20, 30 ou 50 ans, cÊest troublant. Je me dis que cÊest vraiment un coup de chance dÊavoir pu trouver des histoires comme ça⁄


A Est-ce lĂ  que se situe le frisson que vous appelez le Ăż danger du mĂ©tier dÊauteur Ćž ? Cette image tirĂ©e du cirque me semblait assez explicite : lÊacrobate en maillot de corps arrive sur la piste, monte sur une Ă©chelle de corde pour accĂ©der Ă  une plateforme situĂ©e tout en haut dÊun mĂąt. Le public retient son souffle, et lÊacrobate reste en Ă©quilibre sur sa plateforme minuscule Ă  20 m du sol, en attendant dÊĂȘtre prĂȘt. DÊun seul coup, il sent que lÊhistoire arrive ; quand elle est lĂ , il se lance dans le vide, et un trapĂšze apparaĂźt de lÊautre cĂŽtĂ© pour le rĂ©ceptionner⁄ Et le public applaudit. La crĂ©ation, cÊest un coup de chance : vous ĂȘtes sur un bon sentier et vous arrivez aux Ă©toiles, ou bien vous ĂȘtes sur sentier branque, et vous arrivez sur un Ă©chafaudage.

© Fred / DARGAUD

Hara Kiri ou Pilote sont devenus des rĂ©fĂ©rences pour des gĂ©nĂ©rations de lecteurs. Le pressentiez-vous, en vivant ces aventures de lÊintĂ©rieur ? On lÊespĂ©rait ! Mais si on y pense sur le coup, on est cuit ; il ne faut pas penser Ă  sĂ©duire le public quand on travaille. CÊest lĂ  le grand secret. Si un auteur veut sĂ©duire, il va faire ce qui marche ; et ça marche Ă©videmment, le public nÊest pas dĂ©routĂ©. Quand jÊai commencĂ© PhilĂ©mon chez Pilote, les lecteurs nĂŠĂ©taient pas habituĂ©s – Ăż il ne sait pas dessiner, on ne comprend rien Ă  ce quÊil raconte ƾ⁄ Et maintenant, on en fait une anthologie ! De quoi avez-vous nourri votre imaginaire fertile ? Quand jĂŠĂ©tais petit, La RuĂ©e vers lÊor de Chaplin a Ă©tĂ© une rĂ©vĂ©lation : passer du rire aux larmes, cÊest pour moi la dĂ©finition de lÊhumour. JÊai aussi lu beaucoup dÊauteurs anglo-saxons, comme Charles Dickens. Je ne lis plus vraiment de BD, jÊen suis restĂ© Ă  Hugo Pratt, Franquin ou HergĂ© ; jÊaime bien Larcenet ou Blutch, mais je ne lis pas des histoires complĂštes, je regarde par hasard une page ou deux et ça me suffit. En fait aujourdÊhui, je nÊai besoin de rien. Je prĂ©fĂšre mÊallonger, et rĂȘver une histoire toute construite ! NÊimporte quoi peut la dĂ©clencher, un truc futile que je transpose – regardez ces livres autour de nous : si ce bouquin mal placĂ© venait Ă  tomber pendant quÊon discute, ce

c t u

B

d

serait bizarre, non ? Il pourrait tomber parce quÊon ne parle pas de lui, Ăż eh la journaliste, il faut parler de moi ! Ćž, Ăż oui, mais Zoo est un journal gratuit Ćž, Ăż et alors, je ne demande pas de cachet ! Ćž Je peux partir comme ça dans une histoire de 50 pages, ça va vite⁄ CÊest toujours de cette maniĂšre que sont nĂ©es vos histoires ? Je sais que cette fantaisie dans la façon de travailler nÊest pas habituelle ; jÊai aussi procĂ©dĂ© de la sorte avec Marie-Ange Guillaume, pour la biographie. Ça lÊa beaucoup surprise au dĂ©but, car elle a lÊhabitude de faire un plan ; moi, dÊune page Ă  lÊautre, je ne sais pas ce qui se passe, ça va et vient ! Mais je place toujours mon bureau face au mur, et je ferme les fenĂȘtres pour que lÊhistoire ne sÊenvole pas⁄ Il faut parfois un peu de temps pour sÊimprĂ©gner dÊune piĂšce, et laisser les histoires se poser sur vos Ă©paules ; jÊai dĂ©mĂ©nagĂ© rĂ©cemment, et ça sÊest fait trĂšs vite. Je vais continuer Ă  travailler sur une nouvelle histoire de PhilĂ©mon, qui est en cours – je lÊai commencĂ©e il y a trois ans, 28 pages sont prĂȘtes ; peut-ĂȘtre la finirai-je sous forme de texte, et non de dessins. JĂŠĂ©cris les scĂ©narios au fur et Ă  mesure, lÊhistoire peut Ă©voluer selon ce qui mÊarrive dans la vie. Dans la biographie, vous racontez que votre petitfils voulait que vous lÊemmeniez sur le Ăż A ƾ⁄ Oui, quand il Ă©tait petit (sourire). Il lisait PhilĂ©mon mais nous nÊen parlions jamais entre nous. Et un jour il mÊavait demandĂ© Ăż si tu as le temps, cet Ă©tĂ© ou un autre jour, tu pourras mÊemmener sur le A de lÊOcĂ©an Atlantique ? Ćž CĂŠĂ©tait formidable, surtout ce prĂ©ambule, Ăż si tu as le temps Ćž. Je croyais quÊil se foutait de moi, mais en fait il Ă©tait sĂ©rieux ! Je lui ai dit que ce serait avec plaisir, quand ça se prĂ©senterait⁄ Vous pensez quÊil a finalement arrĂȘtĂ© dÊattendre ? JÊespĂšre bien que non ! Et quÊil nÊa jamais cessĂ© dÊattendre. Moi en tout cas, jÊattends toujours ce jour ; je sais quÊil se prĂ©sentera. PROPOS RECUEILLIS PAR

JULIE BORDENAVE

c Fred, lÊhistoire dÊun conteur Ă©lectrique, par Marie-Ange Guillaume, Dargaud Biographie, 224 pages, 29 € c Exposition Fred, jusquÊau 23 avril Ă  la Galerie Martel, 17 rue Martel, 75010 Paris, www.galeriemartel.com

INTÉGRALE PHILÉMON de Fred, Dargaud, 3 tomes, 250 p. couleurs, 35 € 17


A

c t u

B

d

© Nury, Dorison et Rossi / DARGAUD

Conquis par W.E.S.T.

Avec la fin du troisiĂšme cycle des aventures de la W.E.S.T., Xavier Dorison, Fabien Nury et Christian Rossi se tournent vers leurs hĂ©ros pour dĂ©terminer jusqu’oĂč ceux-ci sont prĂȘts Ă  aller. Une vĂ©ritable apothĂ©ose scĂ©naristique et graphique.

«

Go WEST ! Ćž, lancent en chïŹ‚ur Xavier Dorison, Fabien Nury et Christian Rossi depuis six albums, mais pas exactement comme on pourrait lÊentendre. Les États-Unis quÊils dĂ©crivent nÊont en effet plus grand-chose Ă  voir avec la frĂ©nĂ©sie de conquĂȘte qui agitait la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle. En 1901, date Ă  laquelle la sĂ©rie dĂ©marre, le pays formĂ© de 45 États a pour prĂ©sident William McKinley. Celui-ci va sÊattacher Ă  promouvoir lÊexpansion Ă©conomique de la nation, tout en sÊattaquant aux grands trusts qui sont dĂ©jĂ  en place – le plus connu dÊentre eux Ă©tant dirigĂ© par un certain John Rockefeller. La nouvelle frontiĂšre est dĂ©sormais industrielle. Les auteurs abordent ici une pĂ©riode peu traitĂ©e de lÊhistoire amĂ©ricaine comparĂ©e Ă  celle, prĂ©cĂ©dente, dĂ©crite dans les westerns. LÊintĂ©rĂȘt nÊen est que plus fort. Mais si la conquĂȘte de lÊOuest nÊest plus dÊactualitĂ© aux États-Unis en ce dĂ©but de XXe siĂšcle, quel est donc ce Ăż W.E.S.T. Ćž qui donne son titre Ă  la sĂ©rie ? CÊest en rĂ©alitĂ© lÊacronyme de Weird Enforcement Special Team, le nom de code dÊune Ă©quipe de choc, spĂ©cialisĂ©e dans les affaires criminelles ayant trait au para-

18

normal. CrĂ©Ă©e 25 ans plus tĂŽt sous le mandat du prĂ©sident Ulysses Grant, elle reprend du service avec un groupe lĂ©gĂšrement remaniĂ©. € sa tĂȘte, on trouve Morton Chapel, un homme dans la force de lÊñge dont la vie est marquĂ©e au fer rouge par des Ă©vĂ©nements que lui-mĂȘme qualifierait de dĂ©moniaques. € ses cĂŽtĂ©s, Angel Salvaje, un Indien catholique spĂ©cialiste des exorcismes. Puis Bart Rumble, un colosse exĂ©cuteur des basses ïŹ‚uvres. Et enfin un petit nouveau, le jeune Joey Bishop, tireur dĂŠĂ©lite et tueur sans trop de scrupules. Deux hommes convaincus par lÊexistence de phĂ©nomĂšnes inexplicables et deux autres plus cartĂ©siens. Le dĂ©tail a son importance. Au final, un savant mĂ©lange entre aventure, surnaturel et Histoire. Le premier diptyque avait frottĂ© la W.E.S.T. au Club Century, un cercle discret regroupant les personnes les plus influentes et fortunĂ©es de la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine. Un club assez puissant pour assassiner le prĂ©sident McKinley, en lutte contre les conglomĂ©rats ? CÊest en tout cas lÊhypothĂšse des auteurs. Les hommes dÊaffaires seraient donc prĂȘts Ă  vendre leur


A Ăąme au diable pour quelques (millions de) dollars en plus ? Le deuxiĂšme diptyque avait emmenĂ© les hommes de la W.E.S.T. Ă  Cuba, occupĂ©e par les troupes amĂ©ricaines depuis 1898. Des Ă©lections se prĂ©paraient, et pour prĂ©server les intĂ©rĂȘts des États-Unis, le prĂ©sident Roosevelt diligenta la W.E.S.T. pour mettre hors dĂŠĂ©tat de nuire un certain Islero, sorte de sorcier indĂ©pendantiste qui sĂ©duisait le peuple cubain et pouvait, horreur, prendre le pouvoir. La mission, sur fond de Santeria, le vaudou cubain, fut une fois de plus trĂšs musclĂ©e. Avec ce troisiĂšme diptyque, le lecteur entre Ă  la fois dans lÊintimitĂ© des personnages et finalement dans le vif du sujet. LÊintĂ©gration dans le groupe de la jeune Kathryn Lennox, psychiatre spĂ©cialiste des traitements par lÊhypnose, a changĂ© la donne Ă  lÊintĂ©rieur de la W.E.S.T. LÊapproche scientifique gagne du terrain sur lÊexorcisme et le vaudou. LÊexercice est cette fois pĂ©rilleux, car cÊest la propre fille de Morton Chapel qui est concernĂ©e. EnfermĂ©e dans la chambre dÊun hĂŽpital psychiatrique de New York, Megan reste prostrĂ©e depuis son plus jeune Ăąge. Depuis quÊelle a vu son pĂšre tuer sa mĂšre de sang froid. Celle-ci Ă©taitelle possĂ©dĂ©e ? Allait-elle planter un long couteau dans le corps de son enfant ? CÊest ce quÊa prĂ©tendu Chapel. Quinze ans plus tard, son beau-pĂšre, le richissime Johan Verhagen, dĂ©couvre que son gendre nÊest pas mort comme les services de la Maison Blanche le lui ont fait croire. LÊheure de la vengeance a sonnĂ© pour le vieil homme. Une fois de plus, Xavier Dorison et Fabien Nury mĂȘlent paranormal et haute sociĂ©tĂ© affairiste. Comme une mĂ©taphore sur la soif de pouvoir, le milliardaire Verhagen, le faiseur de

c t u

B

d

prĂ©sident, est littĂ©ralement possĂ©dĂ©. Mais quelle est la rĂ©alitĂ© ? Les scĂ©naristes brouillent les cartes en mettant Morton Chapel et Kathryn Lennox sur un pied dĂŠĂ©galitĂ©. LÊun est convaincu dÊune prĂ©sence surnaturelle, alors que lÊautre ne jure que par la psychanalyse. Megan abrite-t-elle le dĂ©mon qui torturait sa mĂšre ou estelle, de maniĂšre plus prosaĂŻque, gravement nĂ©vrosĂ©e ? Le doute subsiste, mĂȘme si les convictions de Chapel vacillent au fil des pages. DÊailleurs, celles de Kathryn aussi, en quelque sorte. Ce dernier tome du diptyque est ainsi plus introspectif. Chaque personnage se trouve face Ă  un dilemme, un choix Ă  effectuer dÊautant plus difficile que le petit groupe a appris Ă  se connaĂźtre et Ă  sÊapprĂ©cier au grĂ© des Ă©preuves. Bishop va-t-il trahir ses amis en acceptant la mission secrĂšte de la Maison Blanche ? Rumble suivra-t-il Chapel jusquÊau bout de cette folie ? Salvaje mettra-t-il Ă  exĂ©cution ses menaces envers Megan ? ArrivĂ© Ă  ce paroxysme, chaque dĂ©cision est cornĂ©lienne. Le scĂ©nario est lumineux, rĂ©pondant Ă  des questions posĂ©es dĂšs le premier album. Difficile Ă©galement de ne pas parler du dessin et des couleurs de Christian Rossi, tout Ă  fait remarquables. Une documentation hallucinante, des dĂ©coupages splendides, des plans dÊensemble phĂ©nomĂ©naux, des planches muettes de haute volĂ©e, des effets de lumiĂšre hypnotiques. SÊil fallait encore le souligner, Christian Rossi est un maĂźtre du dessin rĂ©aliste. Trio gagnant pour cet album qui sonne comme un adieu et qui dĂ©montre une fois de plus que W.E.S.T. est une sĂ©rie exceptionnelle.

© Nury, Dorison et Rossi / DARGAUD

THIERRY LEMAIRE

W.E.S.T., T.6, SETH

de Christian Rossi, Xavier Dorison et Fabien Nury Dargaud 44 p. couleurs, 13,95 €

19


c t u

B

d

© Emmanuel Lepage / FUTUROPOLIS

A

BALADE AU BOUT DU MONDE C

e que François capte dans son viseur, Emmanuel le retranscrit en cases et en dessins. On savait Emmanuel Lepage avide de grands espaces et de terres lointaines. Des dĂ©cors dĂŠĂ©vasion quÊon retrouvait dĂ©jĂ  dans ses carnets de voyage amĂ©ricains (publiĂ©s en 2003) et qui ont fait le succĂšs des sĂ©ries Muchacho, La Terre sans mal ou NĂ©vĂ©. Mais ce Breton nÊavait paradoxalement jamais pris la mer ! Il nous embarque avec lui au-delĂ  des quarantiĂšmes rugissants et nous livre avec talent un roman graphique dense, mĂ©langeant rĂ©cits en BD, paysages peints et croquis faits sur place. Partant dÊune implication personnelle, il dĂ©crit les sentiments divers inhĂ©rents au passage du fantasme dÊun voyage Ă  sa rĂ©alitĂ© : innocence, enthousiasme, dĂ©ception, ennui, curiositĂ©, angoisse, fascination⁄ Cette sorte de 20

© Emmanuel Lepage / FUTUROPOLIS

Les Ăźles Kerguelen, Crozet, Saint-Paul
 Les Ăźles de la DĂ©solation. Un froid archipel austral au milieu de nulle part. Lorsque François Lepage, photographe, y part en reportage en compagnie de L’Institut Polaire Paul-Émile Victor (chargĂ© de ravitailler les scientifiques des TAAF – Terres Australes et Antarctiques Françaises), il propose Ă  son frĂšre Emmanuel d’embarquer avec lui sur le bateau « Marion Dufresne » 

voyage initiatique est Ă©galement didactique ; Ă  travers diffĂ©rentes digressions, cÊest une mine dÊinformations prĂ©cises sur plusieurs domaines : lÊornithologie, la logistique, la marine, lÊenvironnement, lÊhistoire⁄ Mieux que nÊimporte quel reportage, on est immergĂ© dans ce Ăż tourisme Ćž particulier par le ressenti de lÊauteur, Ă  travers diffĂ©rentes formes dÊexpression : vue subjective, croquis,

passages oĂč il se met en scĂšne⁄ Évidemment, les dessins Ă  la craie, les portraits, les prises sur le vif au crayon et les aquarelles sont superbes et viennent donner de jolies respirations dans lÊhistoire. Les paysages sont magnifiques et lÊhumanitĂ© des gens authentique. Ainsi on saisit les instants, le quotidien, les discussions, Ă  travers des rituels (le langage spĂ©cifique, le courrier, les repas⁄) et on assiste Ă  lÊintĂ©gration du narrateur dans cet univers lunaire confinĂ© du bout du monde. AprĂšs ce pĂ©riple dans les froids extrĂȘmes de lÊAntarctique (mais blotti au chaud chez vous !), vous ne pourrez plus confondre un pingouin et un manchot. Avec cette BD-reportage, Emmanuel Lepage a surmontĂ© le mal de mer et a bien mĂ©ritĂ© son titre de Ăż dessinateur de lÊextrĂȘme Ćž. WAYNE

VOYAGE AUX ˝LES DE LA DÉSOLATION dÊEmmanuel Lepage, Futuropolis, 160 p. couleurs, 24 €



A

zoom

c t u

B

d

Les valeurs humanistes de LAURENT GALANDON

Accords sensibles, dÊAntonio Lapone et RĂ©gis HautiĂšre Trois hommes et trois femmes aux destins croisĂ©s offrent une variation sur le thĂšme Ă©ternel de lÊinsatisfaction amoureuse, fruit de lÊennui, de la pudeur, des rendez-vous manquĂ©s... Ce roman graphique est de ceux que lÊon termine Ă  regret, dĂ©jĂ  nostalgique de cette ambiance feutrĂ©e des annĂ©es 50, faite de rĂȘveries et de dĂ©sillusions et si Ă©lĂ©gamment crĂ©Ă©e par les auteurs. Ici, tout se savoure : de lÊintrigue (merveilleusement rythmĂ©e par un dĂ©coupage subtil) au dessin (les dĂ©cors sont de toute beautĂ©), en passant par les airs de jazz qui soutiennent le rĂ©cit. Tout, sauf lÊamour. Alors vraiment, Ăż il nÊy a pas dÊamour heureux Ćž ?

© Galandon et Nicaise / BAMBOO ÉDITION

Publiant ces jours-ci chez Bamboo le deuxiĂšme volet du « Cahiers Ă  fleurs », sur le thĂšme du gĂ©nocide des ArmĂ©niens, et le premier tome des « Innocents coupables », sur les colonies pĂ©nitentiaires agricoles destinĂ©es aux jeunes dĂ©linquants mineurs, Galandon s’est fait une spĂ©cialitĂ© des causes sociales dans des rĂ©cits Ă©mouvants qui n’oublient pas les leçons de l’Histoire.

Treize Ă©trange, 144 p. coul., 17 € KARINE LACA

Branleur(s), de Jules & Tom Fradet

manolosanctis, 64 p. couleurs, 14,50 € GERSENDE BOLLUT

Lʘge dur, de Max de RadiguĂšs LÊñge dur, ce nÊest ni lÊñge dÊor, ni (complĂštement) lÊñge con. Ces chroniques adolescentes sonnent juste, ont le goĂ»t du rĂ©el, lÊodeur de la cour de rĂ©crĂ© et du fond de la classe, et se dĂ©vorent avec un mĂ©lange de nostalgie et de soulagement (dÊavoir laissĂ© derriĂšre soi ces annĂ©es-lĂ ). Le graphisme privilĂ©gie les personnages qui, dans leurs problĂ©matiques de collĂ©giens typiques, deviennent incroyablement familiers au bout de quelques pages. LÊauteur belge Max de RadiguĂšs a su retranscrire avec finesse lÊunivers impitoyable de lÊentre-deux Ăąges.

LÊEmployĂ© du moi, 128 p. n&b, 12 € OLIVIER PISELLA

22

EXTRAIT DU CAHIER € FLEURS T.2

Ă  fleurs ! Ćž Si Hamset ne reconnaĂźt pas le patronyme, il nÊignore pas, en revanche, le Cahier Ă  fleurs, car cÊest prĂ©cisĂ©ment dans celui-ci, dissimulĂ© dans le violon offert par son grand-pĂšre quand il avait quatre ans, que le jeune virtuose avait trouvĂ© cette partition inĂ©dite. Le lendemain, Hamset est Ă  lÊhĂŽpital, au chevet du vieil homme, qui lui raconte le calvaire vĂ©cu par les ArmĂ©niens entre avril 1915 et juillet 1916, dans lequel les deux tiers de ceux qui vivaient sur lÊactuel territoire de la Turquie ont Ă©tĂ© exterminĂ©s au cours des dĂ©portations et massacres planifiĂ©s. LÊauteur du Cahier Ă  Fleurs en a Ă©tĂ© directement victime.

© Laurent MĂ©likian pour Bamboo Édition

AprĂšs sÊĂȘtre perdus de vue durant 10 ans (fameux syndrome Bruel ?), deux amis dÊenfance se retrouvent autour dÊune chope. Bien vite, la gĂȘne cĂšde le pas Ă  une complicitĂ© retrouvĂ©e : lÊun est devenu rocker fan de tuning (savoureux, il nÊa pas le permis), lÊautre, un Ă©tudiant aux parents divorcĂ©s, qui aime rester avachi des heures devant la tĂ©lĂ©. Entre cuite sĂ©vĂšre et plan foireux de vol dÊherbe pour leur consommation, le second compĂšre sÊamourachera de la belle copine du rocker⁄ Ces deux-lĂ  ne sont pas bien mĂ©chants, Ă  lÊimage dÊun album qui se lit dÊune traite, dont le style hĂ©sitant est excusable au vu de la belle authenticitĂ© du rĂ©cit.

LAURENT GALANDON

O

ctobre 1983, le jeune prodige turc du violon Hamset Erdem fait sensation Ă  Paris mais, au cours du concert oĂč il produit une piĂšce inĂ©dite dont lÊauteur est inconnu et quÊil dĂ©die Ă  son grandpĂšre, un incident survient : dans lÊassistance, un octogĂ©naire se lĂšve et sĂŠĂ©croule accablĂ© par lĂŠĂ©motion, en murmurant Ăż Maraynouche⁄ Le Cahier

UN GÉNOCIDE

MĂȘme sÊil nÊexiste que depuis la Seconde Guerre mondiale, le terme de Ăż gĂ©nocide Ćž sÊapplique ici : Ăż Le caractĂšre gĂ©nocidaire des massacres du peuple armĂ©nien en 1915-1916 a Ă©tĂ© reconnu dans un rapport, connu du nom de son auteur : Benjamin Whitaker, fait remarquer le scĂ©nariste Laurent Galandon. Il a Ă©tĂ© approuvĂ© par la Commission des droits de lÊHomme, Ă  lÊONU, le 29 aoĂ»t 1985. Ćž DÊune maniĂšre gĂ©nĂ©-

rale, le marqueur du gĂ©nocide, ce sont les enfants. Quand ceux-ci sont exterminĂ©s comme les adultes, cÊest quÊil y a vĂ©ritablement la volontĂ© dĂŠĂ©teindre une lignĂ©e. QuÊest-ce qui a fait que Laurent Galandon sÊest intĂ©ressĂ© Ă  un tel sujet ? Ăż Cette question revient rĂ©guliĂšrement pour Le Cahier Ă  fleurs mais Ă©galement pour plusieurs de mes autres titres, constate-t-il. RĂ©cemment, jÊentendais une interview de Bertrand Tarvernier confrontĂ© Ă  une question similaire : pourquoi tel ou tel sujet, toujours plutĂŽt "engagĂ©" ? Le rĂ©alisateur expliquait quÊà lÊoccasion dÊune lecture, de lĂŠĂ©coute dÊune Ă©mission radio, du visionnage dÊun film ou simplement dÊune photographie, etc., naissait chez lui un besoin – presque viscĂ©ral – dÊaborder une thĂ©matique, sans pouvoir dĂ©velopper davantage. Cette rĂ©ponse me convient bien. Plus prĂ©cisĂ©ment, lÊenvie dÊaborder le gĂ©nocide armĂ©nien est nĂ©e pendant ma recherche documentaire autour de LÊEnvolĂ©e sauvage. JÊai dĂ©couvert les propos dÊHitler qui, face aux rĂ©ticences de ses gĂ©nĂ©raux, justifiait la mise en place de la "Solution finale" dans la mesure oĂč, en 1915, aucun État nÊavait rĂ©agi pour les massacres des ArmĂ©niens. Dans une certaine mesure, le gĂ©nocide des ArmĂ©niens portait dĂ©jĂ  latent en lui la Shoah. Ćž LÊouvrage est poignant et, mĂȘme si le


B

zoom

d

EXTRAIT DES INNOCENTS COUPABLES T.1

regardĂ©es avec le seul vrai questionnement qui vaille aujourdÊhui : comment une sociĂ©tĂ© moderne doit-elle ïŹ‚uvrer pour le respect de ses minoritĂ©s ? Cette question-lĂ  est universelle et le travail de mĂ©moire opĂ©rĂ© par Galandon est lĂ  pour nous le rappeler.

DROITS DE L’HOMME

On notera que ce nÊest pas la premiĂšre fois que Galandon aborde ce type de sujet. Dans un prĂ©cĂ©dent diptyque, LÊEnvolĂ©e sauvage (toujours chez Bamboo), il mettait en scĂšne des enfants

© Galandon et Anlor / BAMBOO ÉDITION

dessin trĂšs classique de Viviane Nicaise recĂšle encore des faiblesses, il se met parfaitement au service dÊun scĂ©nario qui sait incarner des personnages broyĂ©s par lÊhistoire. Mieux : sa distanciation rend ici dĂŠĂ©minents services, faute de quoi, certaines sĂ©quences seraient proprement insupportables. Le massacre de tout un peuple, la brutalitĂ© de lÊappareil dÊÉtat qui prend le prĂ©texte de la guerre pour effectuer un Ăż nettoyage ethnique Ćž, jusquÊà lÊanecdote signifiante de lÊadoption de certains enfants par des familles musulmanes pas toujours bien intentionnĂ©es, tout cela est formidablement bien racontĂ©. Ăż Le livre a Ă©tĂ© bien accueilli, nous dit Galandon, dÊautant que jÊai parallĂšlement participĂ© Ă  lĂŠĂ©laboration dÊune exposition "Surtout nÊen oubliez aucun ! Regards dessinĂ©s sur les gĂ©nocides" au Centre du Patrimoine armĂ©nien de Valence. Une Ă©tudiante turque mÊa interpellĂ© : elle me reprochait – comme Ă  toute personne non-armĂ©nienne ou turque – dÊentraver le travail de recherche des historiens turcs et armĂ©niens sur le sujet, et par consĂ©quent, dÊenvenimer les relations entre les deux pays ! Ćž CÊest absurde Ă©videmment, car la situation provoquĂ©e par la chute de lÊempire ottoman et la laĂŻcisation radicale de lÊÉtat sous AtatĂŒrk doivent ĂȘtre

c t u

© Galandon et Anlor / BAMBOO ÉDITION

A

juifs sous lÊOccupation : Ăż JÊai Ă  cïŹ‚ur dĂŠĂ©crire des histoires qui sont le vecteur de valeurs ĂżhumanistesĆž. Il ne se passe pas un jour sans que je sois outrĂ© par une situation oĂč les droits fondamentaux auxquels devraient pouvoir aspirer toute personne ne soient bafouĂ©s. Ćž Avec Les Innocents coupables, on retrouve cette qualitĂ© dÊindignation : Ăż Personnellement, raconte Galandon, je nÊai connu que des colonies⁄ de vacances sympathiques et Ă©panouissantes ! LÊenvie des travailler sur les colonies pĂ©nitentiaires agricoles mÊest venue pendant la rĂ©daction de LÊEnfant maudit, histoire pour laquelle je faisais des recherches sur les orphelinats et lÊassistance publique. Bien souvent, les graines dÊune nouvelle histoire sont rĂ©coltĂ©es pendant lĂŠĂ©criture dÊune autre. Ćž Cela donne une histoire qui, Ă  bien des Ă©gards, Ă©voque les Hauts murs dÊAuguste Le Breton : Ăż € lÊinstar de plusieurs de mes prĂ©cĂ©dentes BD, Les Innocents coupables ambitionne – modestement – de faire dĂ©couvrir un pan passablement mĂ©connu de nos institutions Ă  travers lÊhistoire romanesque de quatre poulbots. La sĂ©rie comprendra trois tomes. Et, si elle rencontre lÊadhĂ©sion des lecteurs, jÊespĂšre alors pouvoir dĂ©velopper des rĂ©cits indĂ©pendants pour chacun de mes quatre protagonistes. Ćž Une rĂ©ussite qui doit aussi aux dessins Ă©mouvants et sensibles dÊAnlor. DIDIER PASAMONIK

c LE CAHIER € FLEURS,T.2,

DERNI˚RE MESURE

EXTRAIT DES INNOCENTS COUPABLES T.1

de Galandon et Nicaise, Bamboo, coll. Grand Angle, 48 p. couleurs, 13,50 € c LES INNOCENTS COUPABLES,T.1, LA FUITE de Galandon et Anlor, Bamboo, coll. Grand Angle, 48 p. couleurs, 13,50 €

Borderline,T.4, de Alexis Robin et Nathalie Berr Fernando Villa est un Ă©crivain parfois confrontĂ© Ă  des pannes dÊinspiration, mais celle-ci arrive parfois de façon inopinĂ©e, le contraignant Ă  remplir de lignes manuscrites tout papier blanc. En fait, Fernando est une sorte de medium qui perçoit dÊauthentiques histoires criminelles. Ayant dĂ©cidĂ© de communiquer des informations Ă  la police, il se fait interpeller dans une cabine tĂ©lĂ©phonique. Un interrogatoire musclĂ© lui permet de prouver lÊauthenticitĂ© de son talent, ce qui permet dĂŠĂ©viter un attentat organisĂ© par des fanatiques religieux. Un concept original et palpitant (digne de Stephen King !), qui tient le lecteur en haleine, mĂȘme si le dessin ne nous semble pas Ă  la hauteur des qualitĂ©s du scĂ©nario.

Bamboo, Grand Angle, 48 p. coul., 12,90 € MICHEL DARTAY

Les Larmes de l'assassin, de Thierry Murat Dans ce bout du monde chilien aride et venteux, un garçonnet grandit Ăż comme une graine plantĂ©e lĂ , condamnĂ©e Ă  ne pas jamais donner de fleurs Ćž. Mais quand un assassin tue ses parents pour occuper leur bicoque et Ă©chapper Ă  la traque policiĂšre, cÊest la vie qui surgit. Angel Allegria et le garçonnet vont (re)naĂźtre, vivre et ressentir un lien indĂ©fectible. Impossible de dĂ©crire ce livre sans trahir sa sobre poĂ©sie, la sensibilitĂ© enfouie des protagonistes, la force Ă©vocatrice de ces silhouettes en clair-obscur, la complexitĂ© des sentiments suggĂ©rĂ©s. Une BD adaptĂ©e dÊun roman primĂ© plus de 20 fois, Ă  lire absolument.

Futuropolis, 128 pages couleurs, 18 € KARINE LACA

Les Enfants du capitaine Grant,T.2, de Nesme Pour beaucoup, les romans de Jules Verne sont associĂ©s Ă  lĂŠĂ©dition Hetzel aux couvertures rouges et dorĂ©es. Pour Alexis Nesme Ă©galement. Son superbe dessin vintage aux couleurs absolument remarquables plonge le lecteur dans une ambiance XIXe siĂšcle convaincante. Seul accroc Ă  lÊorthodoxie Ăż vernienne Ćž de ce voyage extraordinaire, les personnages sont des animaux. Pas de problĂšmes, cette touche personnelle participe Ă  lÊambiance particuliĂšre de lÊalbum. Une adaptation Ă  lÊancienne, mais trĂšs moderne, post-moderne quoi.

Delcourt, 48 p. coul., 10,50 € THIERRY LEMAIRE

23


B

c t u

d Aslak, de Hub, Weytens, Michalak et Drac © Guy Delcourt Productions – 2011

A

Y A-T-IL UN CONTEUR DANS LA SALLE ? Cette histoire est nulle ! Tuez le narrateur et ramenez-moi en un nouveau. Un meilleur. Et racontez-moi tout.

D

eux frĂšres, bien brouillĂ©s comme il faut, courent aprĂšs le mĂȘme but, pour satisfaire un roi sanguinaire qui a tuĂ© leur pĂšre et menace leur mĂšre (entre autres). Une quĂȘte, des sauvages, des hĂ©ros, de lÊaction, une belle nana, des bateaux⁄ Ăż Encore de lÊheroic fantasy Ćž, me direzvous ! Certes, mais une quĂȘte plutĂŽt originale en fin de compte. Il sÊagit de retrouver un conteur mythique afin de renouveler le cheptel dÊhistoires dÊun roi viking. Petite (et maline) mise en abĂźme au passage, pour les auteurs du rĂ©cit. Pas bĂȘte.

ASLAK, T.1 LĂŠïŹIL DU MONDE

de Hub, Weytens, Michalak et Drac Delcourt 56 p. couleurs, 13,95 €

Si Hub nÊa plus rien Ă  prouver en tant quÊauteur complet (cf. Okko, chez Delcourt), il est plus surprenant de le retrouver lĂ  comme Ăż simple Ćž co-scĂ©nariste. Les deux compĂšres (avec Weytens) sÊen sortent plutĂŽt trĂšs bien. Difficile pourtant de faire son chemin dans un genre usĂ© jusque Ă  la corde, et

traumatisĂ© par des rĂ©fĂ©rences incontournables, entre La QuĂȘte de lÊoiseau du temps et les 4000 livres de Mister Arleston [pĂšre du monde de Troy, NDLR]. Mission accomplie, sur la corde raide. Aux dessins, Michalak semble se rĂ©galer. Celui qui a dĂ©jĂ  donnĂ© des coups de main Ă  Hub (sur Okko) mixe avec bonheur les traits de Loisel et Tarquin. Un style frais, vif, Ă  la mise en page aĂ©rĂ©e et efficace. Une narration fluide, bien agrĂ©able Ă  suivre. € la couleur, Drac rend un travail impeccable, qui accompagne lÊintention du

dessinateur sans en faire des caisses. Il nÊaurait pas Ă  rougir dÊune comparaison avec des poids lourds du domaine comme Isabelle Rabarot ou Claude Guth. Un premier tome qui prĂ©sente les personnages sous un jour relativement original, sans toutefois trop dĂ©vier des chemins balisĂ©s du genre choisi. Si le second Ă©pisode ne tarde pas Ă  suivre, les fans de ce type dĂŠĂ©popĂ©e devraient faire de mĂȘme. PHILIPPE CORDIER

© Nicolas Poupon / MÊME PAS MAL

CONCOURS

GAGNEZ 15 EXEMPLAIRES DE

NOIR FONCÉ DE NICOLAS POUPON ÉDITIONS MÊME PAS MAL Pour participer, rendez-vous sur www.zoolemag.com rubrique concours 24



A

c t u

B

d

Mezek : TROIS FEMMES ET UN PILOTE C’est la rencontre inattendue de deux vĂ©tĂ©rans de la BD franco-belge, pour un album inattendu (l’action se dĂ©roule en IsraĂ«l en 1948) qui paraĂźt dans la collection SignĂ© du Lombard. Au programme : combats aĂ©riens, conflits nationalistes, problĂšmes de conscience et intrigues amoureuses !

U

CÊest la premiĂšre fois Ă  notre connaissance quÊun album de BD aborde ce thĂšme qui aurait pu donner un excellent Buck Danny. Le scĂ©nariste Yann 26

avait conçu cette histoire il y a prĂšs de 20 ans, accumulant par la suite une abondante documentation sur le sujet. Il connaĂźt bien la thĂ©matique de lÊaviation, ayant dĂ©jĂ  Ă©crit la sĂ©rie Le Grand Duc chez Paquet. Mais la trame de lÊalbum permet dÊaborder dÊauthentiques Ă©vĂ©nements comme lÊattaque dÊun navire de lÊIrgoun1, ce qui permet dÊexposer les tourments psychologiques dÊun pilote mercenaire : en plus de matĂ©riel de guerre et de combattants dĂ©sirant provoquer une insurrection, le navire transporte des femmes et des enfants israĂ©liens : les

© Juillard et Yann / LE LOMBARD

Björn est un pilote suĂ©dois expĂ©rimentĂ©, il maĂźtrise lÊatterrissage de ces avions peu fiables et ses conseils sont prĂ©cieux pour les autres. Les relations ne sont pas toujours cordiales avec les pilotes israĂ©liens, mais son physique avantageux de beau blond lui permet de sÊattirer les charmes de trois femmes (une blonde, une rousse et une brune, de quoi les reconnaĂźtre au premier coup dĂŠïŹ‚il, mĂȘme si la nuit pourra prĂȘter Ă  confusion !). La vie de pilote est brĂšve, on compte beaucoup dÊaccidents et de morts de compagnons dÊarmes dans cet album. Au terrain dÊaviation, les mĂ©sententes et altercations sont violentes avec les collĂšgues. Il y a les problĂšmes techniques inhĂ©rents Ă  des avions dÊoccasion, rafistolĂ©s Ă  bas coĂ»t, mais aussi de bizarres dĂ©faillances en sĂ©rie. AprĂšs une prĂ©sentation des diffĂ©rents protagonistes de lÊhistoire, lÊalbum alterne les sĂ©quences dÊaction avec celles dĂŠĂ©motion tendance intimiste.

© Juillard et Yann / LE LOMBARD

n petit rappel historique pour commencer : lÊÉtat dÊIsraĂ«l a Ă©tĂ© proclamĂ© le 14 mai 1948, Ă  la suite du vote Ă  lÊONU dÊun plan de partage de la Palestine, jusquÊici sous mandat dÊadministration britannique. DĂšs le lendemain, commence la guerre dÊindĂ©pendance israĂ©lienne, qui sera marquĂ©e par de nombreuses attaques des pays arabes voisins. Le nouveau pays est trĂšs jeune, il souffre dÊun embargo sur lÊarmement et ne compte pas suffisamment de pilotes. Il a pu se procurer des Mezek (carcasses de Messerschmitt Ă©quipĂ©es de lourds moteurs de bombardiers Junker, qui dĂ©sĂ©quilibrent lÊavion et privent le pilote dÊune partie de son champ de vision). Pour Ă©toffer les effectifs de son armĂ©e de lÊair, il sÊest adjoint le concours de pilotes Ă©trangers venus des quatre coins de la planĂšte, par sympathie pour ce jeune pays ou pour raisons financiĂšres (la solde Ă©tait gĂ©nĂ©reuse pour les mercenaires).

militaires locaux refusant de nuire Ă  leurs compatriotes, la mission est donc confiĂ©e Ă  des goys. En complĂ©ment de la frĂ©quentation des bars de Tel-Aviv, Björn aime sÊoffrir des bains de minuit (cinq au total) sur une plage voisine peu frĂ©quentĂ©e, histoire de sÊapaiser aprĂšs des journĂ©es Ă©prouvantes sous un soleil torride. Mais il ne sÊagit pas seulement dÊagrĂ©ables moments de baignade naturiste, puisquÊil lui arrive dÊy rencontrer par hasard des femmes de son triangle amoureux : complicitĂ© amoureuse, mais aussi parfois le dĂ©pit dÊune maĂźtresse Ă©conduite, ou la hargne dÊune IsraĂ©lienne qui vient de dĂ©couvrir quÊelle vient de coucher avec un pilote mercenaire. Il nÊy a pas beaucoup dÊhumour dans ce scĂ©nario sĂ©rieux de Yann, mĂȘme si lÊon retrouve dans les dialogues la vivacitĂ© habituelle de certaines rĂ©parties, agrĂ©mentĂ©es dÊexpressions typiques en version originale, heureusement traduites en astĂ©risques. AndrĂ© Juillard publie lĂ  son premier livre aux Ă©ditions du Lombard, juste retour des choses pour cet adepte de la ligne claire. Si la pĂ©riode correspond Ă  celle des premiers Blake et Mortimer, son trait retrouve une certaine sensualitĂ©, Ă©loignĂ©e de la raideur et des contraintes graphiques nĂ©cessaires pour assumer la reprise graphique des personnages de Jacobs. De plus, ayant eu dans sa famille deux professionnels de lÊaviation, lÊhomme Ă©prouve un grand intĂ©rĂȘt pour les avions. Dans ce Mezek, ils Ă©vo-

luent en silence et sans ligne de mouvements, un peu comme des planeurs effectuant un ballet aĂ©rien ou des poissons dans un aquarium. Une magnifique vision personnelle dÊauteur ! Nous ne souhaitons pas vous gĂącher le plaisir de la lecture en vous dĂ©voilant la chute finale. Sachez juste que la tension Ă©tant arrivĂ©e Ă  son point maximal, tout finira par heureusement sÊapaiser. Le Lombard Ă©dite en complĂ©ment un Carnet de Croquis, sorte de making of de ce bel album. JEAN-PHILIPPE RENOUX 1 Irgoun : organisation clandestine armĂ©e de la droite rĂ©visionniste israĂ©lienne.

MEZEK de Juillard et Yann, Le Lombard, coll. SignĂ© 64 p. couleurs, 15,95 €


27


A

Du Plomb pour les garces, T.1, de Mangin et Malnati € lÊamĂ©ricaine, le studio ALM ICON propose des projets clefs en mains pour diffĂ©rents supports, en France. Il sort ici le premier tome dÊun diptyque violent Ă  souhait, scĂ©narisĂ© par ValĂ©rie Mangin, qui traite de la cĂ©lĂ©britĂ©, de la presse Ă  scandale et des bas fonds dÊun monde de strass sous cocaĂŻne. Un premier degrĂ© sous un Ăż jus Tarantinesque Ćž, assumant son influence sĂ©rie Z. LÊoriginalitĂ© vient surtout dÊun univers ultra fĂ©minisĂ© qui nÊa rien Ă  envier aux blockbusters machos made in USA. Un gros dĂ©fouloir dessinĂ© par LoĂŻc Malnati, assistĂ© de membres de son studio (mĂȘme Bajram a mis la main Ă  la case).

© Tony Parker / EMMANUEL PROUST

zoom

c t u

B

d

JE PLEURE, DONC JE SUIS

Soleil, Quadrants, 48 p. coul., 14,30 € PHILIPPE CORDIER

MĂ©moires dÊun guerrier, de Jean-Louis Marco CÊest sans doute une question de gĂ©nĂ©ration : aprĂšs le western, lÊheroic fantasy est dĂ©sormais bien installĂ©e dans son crĂ©puscule : un monde a disparu, le temps de lÊaventure est rĂ©volu et toute pĂ©ripĂ©tie sera dĂ©sormais jugĂ©e Ă  lÊaune dÊun Ăąge dÊor perdu. Les auteurs et leurs hĂ©ros fatiguĂ©s lorgnent vers un temps regrettĂ© tout en sachant pertinemment quÊil nĂŠĂ©tait pas exactement ce que la lĂ©gende en a retenu. Un vieil aventurier bourru sÊessaie ici Ă  une difficile entreprise de transmission Ă  un petit-fils peu rĂ©ceptif. Son troisiĂšme rĂ©cit, celui que personne nĂŠĂ©coute, donne du relief Ă  lÊensemble et hisse lĂŠïŹ‚uvre au-dessus de son programme iconoclaste.

Gallimard, Bayou, 96 p. coul., 16 € VLADIMIR LECOINTRE

Les Chroniques de la guerre de Lodoss : La Dame de Falis, de Mizuno et Yamada Ah, lÊüle de Lodoss, son univers impitoyable⁄ Pour les fans hardcore – ou ceux qui ont besoin dÊun gros pavĂ© pour caler leur lit – les Ă©ditions KazĂ© sortent en Ă©dition intĂ©grale tout le prologue de la saga de Ryo Mizuno, largement inspirĂ© de lÊunivers Tolkien et Donjons & Dragons. Sous le trait assez abrupt dÊAkihiro Yamada, vous verrez ressusciter la Reine des DĂ©mons, qui rassemble son armĂ©e pour mettre Lodoss dans le chaos : le prĂȘtre-guerrier Flaus sÊentoure alors de compagnons (guerriers, nain, prĂȘtresse) pour la dĂ©fier et ramener le calme sur lÊüle. Pour les fans hardcore, Ă©crivions-nous⁄

KazĂ©, coll. Seinen, 522 p. n&b, 19,95 € BORIS JEANNE

28

« [Avoir du chagrin] C’est donc l’expĂ©rience la plus absolue, la plus bouleversante qui puisse arriver. » Philip K. Dick, « Flow My Tears, The Policeman Said1 », Le Masque S. F. (1975).

P

hilip K. Dick est, disons-le, un Ă©crivain mĂ©diocre ; son style est souvent trĂšs pauvre, quant Ă  son Ă©criture, elle reste dÊune platitude dĂ©solante. DÊautres comme Frederic Brown, Walter Tevis, Roger Zelazny, Ray Bradbury, Dan Simmons et mĂȘme Norman Spinrad lui sont supĂ©rieur dans lÊexercice littĂ©raire. Pourtant, la modernitĂ© et la richesse des univers de K. Dick sont inĂ©galĂ©es, et mĂȘme dans ses romans les moins percutants – comme Flow My Tears, The Policeman Said –, quelque chose est Ă  retenir. En dehors du sujet en luimĂȘme, qui est toujours intelligemment trouvĂ©, lÊauteur se laisse aller rĂ©guliĂšrement Ă  des rĂ©flexions philosophiques. Dans Flow My Tears, The Policeman Said – puisquÊil sÊagit de notre exemple – Jason Taverner le hĂ©ros, disserte avec une ancienne star de lÊimportance du chagrin pendant un chapitre entier. Les Ă©changes entre les deux personnages aboutissent Ă  la conclusion que la souffrance est toujours le corollaire de lÊamour et que cÊest Ă  travers elle que lÊhumanitĂ© se rĂ©vĂšle. Parce quÊelle nous transcende, elle en vaut donc la Ăż peine Ćž. En dehors de cet aspect, K. Dick rĂ©invente le mythe de la caverne cher Ă  Platon dans toute son ïŹ‚uvre. Tous ses

hĂ©ros atteignent la vĂ©ritĂ© (ou le rĂ©el) en perdant pied avec la rĂ©alitĂ© ou en sÊexcluant de la sociĂ©tĂ© des hommes. Le roman qui en est lÊillustration la plus Ă©vidente Ă©tant The Penultimate Truth2.

la lourdeur de la traduction nuise à cette volonté. KAMIL PLEJWALTZSKY

En français : Le Prisme du nĂ©ant En français : La VĂ©ritĂ© avant-derniĂšre En français : Les AndroĂŻdes rĂȘvent-ils de moutons Ă©lectriques ? 1 2 3

Dans Do Androids Dream Of Electric Sheep ?3, Philip K. Dick considĂšre que notre rĂ©alitĂ©, en tant quÊĂȘtres humains, est dĂ©terminĂ©e par notre propension Ă  lÊempathie. La souffrance dit-il, est une preuve de notre humanitĂ©, mais cÊest surtout notre capacitĂ© Ă  endosser celle dÊautrui qui nous rend rĂ©els. Le roman nÊest donc pas quÊune ode Ă  la douleur. CÊest aussi une injonction Ă  aimer. Contrairement au Blade Runner de Ridley Scott inspirĂ© de ce roman de K. Dick, lÊadaptation de Tony Parker en bande dessinĂ©e est trĂšs fidĂšle au livre dÊorigine. Mais les intentions du dessinateur ne consistent pas Ă  intervenir sur la narration. Elles se manifestent Ă  travers une mise en scĂšne qui privilĂ©gie lÊisolement des personnages. De mĂȘme, il restitue la dĂ©nonciation des mĂ©dias tĂ©lĂ©visuels prĂ©sente dans lĂŠïŹ‚uvre dÊorigine – dimensions totalement occultĂ©es dans le film. Parker avantage la fluiditĂ© de lÊhistoire en simplifiant quelques digressions et des dialogues trop touffus. Dommage que

DO ANDROIDS DREAM OF ELECTRIC SHEEP ?

de Tony Parker, dÊaprùs Philip K. Dick, Emmanuel Proust, 144 p. couleurs, 17,90 €



A

zoom Les Z,T.1, SĂ©tif-Paris, de Richard Malka et Frederic Volante

12bis, 48 p. couleurs, 13,50 € GERSENDE BOLLUT

Orks,T.1, La Voix des armes, de Nicolas Tackian et Nicolas Guénet

À l’ÉlysĂ©e se trouve un homme insupportable. C’est en tout cas l’opinion de Benec et Thomas Legrain. Macho, cynique, impitoyable, froid comme la glace. Son nom ? Vincent SiscoCastiglioni. Sa fonction ? Agent de la DGSPPR.

U

n hĂ©ros de bande dessinĂ©e doit-il ĂȘtre sympathique ? VoilĂ  un sujet beau et original pour le prochain bac de philo. Un petit conseil pour les futurs bacheliers : nÊoubliez pas de placer le nom de Vincent Sisco-Castiglioni, alias Sisco, dans votre dissertation. Parce que dans le genre Ăż personnage tĂȘte Ă  claques Ćž, cet agent de la DGSPPR (Direction GĂ©nĂ©rale des Services de Protection du PrĂ©sident de la RĂ©publique) dĂ©tient la

Soleil, 48 p. couleurs, 13,50 € PHILIPPE CORDIER

30

© Benec, Legrain - Le Lombard ( n.v. DARGAUD - LOMBARD s.a.) - 2011

Death Squad, de Mike et Josselin Paris

Delcourt, 56 p. couleurs, 10,50 € KARINE LACA

d

SISCO DÉTESTE LE MONDE

Le chef du clan des Orks meurt. Des humains menacent la tribu, dĂ©truisant leur domaine idyllique. Le fils du chef, Gorko, veut prendre les armes. Ça va saigner. Que se passerait-il si un fan de Robert E. Howard demandait Ă  Richard Corben dÊadapter en BD le film de Cameron, Avatar, Ă  la sauce Frazetta ? Eh bien ca donnerait Orks ! Une BD 100 % testostĂ©rone dessinĂ©e par un Nicolat GuĂ©net qui a dĂ» ĂȘtre Corben dans une vie parallĂšle. Sa technique est sans faille, mais mĂȘme si ce nĂŠĂ©tait pas le cas, le fait quÊil soit taillĂ© comme lÊun de ses musculeux barbares empĂȘcherait quiconque de le lui dire en face.

Les Death Squad, cÊest une troupe de soldats gaffeurs et irresponsables, qui rĂ©ussissent le tour de force de rater Ă  peu prĂšs tout ce quÊils entreprennent. En mission sur une planĂšte hostile, cÊest Ă  qui ira droit dans les pattes du monstre quÊil fallait tuer ou se tirera dessus avec sa propre arme.VoilĂ  une sĂ©rie de gags sous forme de strips qui, avouons-le, proposent des gags un peu tĂ©lĂ©phonĂ©s et des ficelles un peu grosses. On regrettera Ă©galement la petitesse des cases, qui ne permettent pas au dessin de prendre toute son ampleur, et cÊest bien dommage de ne pas valoriser davantage le travail de ce jeune auteur brestois.

B

© Benec, Legrain - Le Lombard ( n.v. DARGAUD - LOMBARD s.a.) - 2011

InspirĂ© de faits rĂ©els (lÊarrivĂ©e sur le sol français des frĂšres Zemour, figures du grand banditisme des annĂ©es 60-70), Les Z sÊouvre sur lÊinsurrection de SĂ©tif le 8 mai 1945. Entre exactions et viols, la brutalitĂ© de la Guerre dÊAlgĂ©rie pousse quatre frĂšres sans-le-sou Ă  sÊinstaller Ă  Montmartre. Mais ceux-ci ne tardent pas Ă  infiltrer le milieu du crime organisĂ©. Bien quÊà lĂŠĂ©vidence documentĂ©, cet album souffre dÊun dessin trop acadĂ©mique et dÊun arc narratif expĂ©ditif (pas de vĂ©ritable respiration entre les diffĂ©rentes Ă©poques). Il donne envie de se pencher nĂ©anmoins plus avant sur lÊauthentique parcours de cette fratrie scĂ©lĂ©rate.

c t u

palme. Il est odieux avec ses maĂźtresses, mĂ©prisant avec ses collĂšgues, insolent avec ses supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques et pas forcĂ©ment trĂšs performant dans son mĂ©tier. Visiblement, ce type a un problĂšme pour ĂȘtre autant en colĂšre avec le monde. Certes, en grattant un peu, on parvient quand mĂȘme Ă  lui trouver quelques qualitĂ©s. Il ne se laisse pas impressionner, est consciencieux, malin, dĂ©brouillard et euh⁄ bon conducteur. Hmm, bien peu en vĂ©ritĂ© pour le rendre aimable. Mais le plus curieux dans toute cette histoire, cÊest que ça fonctionne ! On se prend Ă  suivre les aventures de ce bellĂątre avec bienveillance, espĂ©rant, comme pour tout hĂ©ros digne de ce nom, quÊil gagne Ă  la fin. Pour ce troisiĂšme tome, on retrouve Sisco Ă  lÊÉlysĂ©e dans une situation dĂ©licate, chouette. Sa derniĂšre mission (voir tomes 1 et 2) ayant Ă©chappĂ© dÊun cheveu au fiasco total, il est vertement sermonnĂ© par son supĂ©rieur. Comme punition, celui-ci nÊa rien trouvĂ© de mieux que de lÊaffecter Ă  la protection de la fille du prĂ©sident de la RĂ©publique. La surveillance de Julie, fĂȘtarde invĂ©tĂ©rĂ©e (son nom de code est Ginfizz⁄) et jolie rebelle au sale caractĂšre, est tout sauf une partie de plaisir. Une sorte dÊalter ego pour Sisco. LÊenfer pour semer les paparazzis. Qui plus est, le gouvernement a lancĂ© une offensive sur le terrain de la drogue. Il serait malvenu que les frasques de Gin-fizz fassent les gros titres des journaux. Le

beau garde du corps va devoir sortir le grand jeu. Finalement, cÊest peut-ĂȘtre pour ça quÊon se laisse prendre aux aventures de Sisco. Pour le voir patauger dans les ennuis et recevoir la monnaie de sa piĂšce. Et lorsque Julie, lÊautre Ăż personnage tĂȘte Ă  gifles Ćž de lÊhistoire, le traite de Jack Bauer ou lui casse un plan rĂ©conciliation avec lÊune de ses conquĂȘtes, on ne peut rĂ©primer un petit sourire. Un jour, cÊest sĂ»r, on saura dÊoĂč vient ce caractĂšre de cochon. DÊici lĂ , aucune indulgence pour Sisco. THIERRY LEMAIRE

SISCO, T.3 GIN-FIZZ de Legrain et Benec, Le Lombard, coll. 3e Vague 48 p. couleurs, 11,95 €


A

c t u

B

d

UN SEX-SHOP CONTRE LA BÊTISE Magasin sexuel, Turf © Guy Delcourt Productions – 2011

AprÚs sept épisodes de « La Nef des Fous » ayant occupé 17 ans de sa vie, Turf, auteur majeur des éditions Delcourt, nous revient avec un nouveau diptyque : « Magasin Sexuel ».

A

Magasin sexuel, Turf © Guy Delcourt Productions – 2011

ux Bombinettes, joli petit village hors du temps, la jeune Amandine relance Ăż La maison du caoutchouc Ćž sur la place du marchĂ©. Si lÊaffaire familiale vendait auparavant des tuyaux dÊarrosage et des bottes, cÊest plutĂŽt du cĂŽtĂ© du latex que celle-ci souhaite maintenant sÊorienter : elle a transformĂ© son commerce en sex-shop. Évidemment, cette ouverture fait scandale dans cette bour-

gade de province bien conformiste, et les concitoyens sÊen plaignent vite au maire, Ă©lu aux idĂ©es Ă©triquĂ©es. Ăż MalgrĂ© son nom, Magasin Sexuel ne sÊinscrit pas dans le courant de bande dessinĂ©e Ă©rotique actuel, cÊest tout juste si on voit un sein de lÊhĂ©roĂŻne Ćž, plaisante lÊauteur. Ăż Cela fait six ans que jÊai eu lÊidĂ©e de cette sĂ©rie, je voulais avant tout Ă©crire et dessiner une fable sur la bĂȘtise humaine, sur lÊamour, sur ses difficultĂ©s et ses plaisirs. Ćž. Pour ce qui est de la bĂȘtise, le rĂŽle va sans aucun doute au maire de la ville, personnage visuellement inspirĂ© de son homologue de Champignac et crĂ©Ă© comme un hommage par lÊauteur : Ăż Quand jĂŠĂ©tais petit, jÊimaginais quÊun maire, cĂŠĂ©tait toujours comme celui dessinĂ© par Franquin. Le mien est toutefois trĂšs diffĂ©rent : il est impoli, bĂȘte, maladroit, raciste... La seule chose qui semble le sauver aux yeux des lecteurs, cÊest quÊil se prend dÊaffection pour Amandine. Mais on verra dans le tome 2 que ça va vite ĂȘtre lourd pour elle. Ćž Si lÊon ajoute Ă  cela une affaire de vol de lettres dÊenseignes de magasin, un univers graphique original et charmant (dont une variation rigolote sur les Twingos) et une vision Ă©tonnante de la gestion dÊun sex-shop, Turf livre ici un Vaudeville singulier et souriant Ă  lire pour... le plaisir ! JOHN YOUNG

MAGASIN SEXUEL, T.1 de Turf, Delcourt, 64 p. couleurs, 14,95 € 31


A

zoom Maki,T.2, Bravo la famille, de Fabrice Tarrin

F

ouad ou Camille ? Le 1er avril vous aurez le choix de commencer la sĂ©rie Alter Ego par lÊun de ces deux albums. Ce nÊest pas une blague. Et vous pourrez mĂȘme attendre la sortie de Noah, Darius, Jonas ou Park pour dĂ©marrer la lecture. Peu importe lÊordre, ces six volumes forment lÊintrigue dÊune mĂȘme histoire. € la fin de ces 360 pages de bande dessinĂ©e, vous aurez en main tous les Ă©lĂ©ments de lÊaffaire. 720 façons diffĂ©rentes de lire une histoire, ça laisse rĂȘveur (6! = 6x5x4x3x2 =720). DÊautant plus que ce rĂ©cit dÊanticipation est particuliĂšrement bien menĂ©. € partir dÊun arriĂšre-plan Ă©conomicopolitique – la campagne de vaccination contre le Sida de lÊensemble de la population mondiale organisĂ©e par une multinationale – se noue une machination Ă  laquelle les six personnages vont ĂȘtre confrontĂ©s, plus ou moins directement. Les destins se croisent souvent, mais chaque album a droit Ă  de nouveaux lieux et de nou-

Alter Ego par Benéteau Efa Erbetta LapiÚre Renders ReynÚs © Dupuis 2011

Les Sentinelles T.3, Dorison et breccia © Guy Delcourt Productions – 2011

Les Sentinelles,T.3, Avril 1915 – Ypres, de Xavier Dorison et Enrique Breccia

32

d

Une sĂ©rie d’aventure en six tomes qu’on pourrait lire dans n’importe quel ordre ? Avec « Alter Ego », un thriller humanitaropharmaceutique, Pierre-Paul Renders et Denis LapiĂšre proposent rien de moins qu’une nouvelle expĂ©rience de lecture.

Dupuis, 48 p. couleurs, 11,95 € GERSENDE BOLLUT

Delcourt, 64 p. couleurs, 14,95 € JOHN YOUNG

B

Alter Ego : UNE INTRIGUE À SIX ENTRÉES

PropulsĂ© mascotte des lecteurs de lÊhebdo Spirou en un temps record, le lĂ©murien Maki doit tout autant son succĂšs Ă  sa franchise dĂ©complexĂ©e (les personnages nÊhĂ©sitent pas Ă  jurer) quÊà lÊidentification immĂ©diate aux malheurs quotidiens dÊun antihĂ©ros qui sÊinspire du vĂ©cu de lÊauteur. Dans ce 2e tome Ă©ditĂ© par Dupuis (aprĂšs deux albums drĂŽlissimes parus chez Shampooing), Maki a fort Ă  faire entre une sordide histoire de CD volĂ©, de honte alimentĂ©e par sa touchante aĂŻeule, et de retrouvailles dÊun amour de vacances quÊil croyait Ă  jamais Ă©vanoui. Mordant, incisif et surtout terriblement authentique. Mille bravos M. Tarrin !

Durant la PremiĂšre Guerre mondiale, lÊarmĂ©e française crĂ©e les sentinelles, des soldats amĂ©liorĂ©s par la mĂ©canique dans le double but de remporter des victoires et de remonter le moral des troupes. Dans ce nouvel opus, un jeune officier devient PĂ©gase, une sentinelle volante capable dÊatteindre des vitesses folles Ă  lÊaide de fusĂ©es et dÊailerons en acier. Le conflit sĂŠĂ©ternisant, les gĂ©nĂ©raux espĂšrent que cet avantage tactique aĂ©rien leur permettra de vaincre. Mais, de leur cĂŽtĂ©, les hommes du Kaiser travaillent sur une arme bien plus terrible. La rencontre des deux factions aura lieu en avril 1915, Ă  Ypres⁄ Avec ce troisiĂšme Ă©pisode, les auteurs font dĂ©coller leur sĂ©rie au-delĂ  de tout ce que les deux premiers albums laissaient imaginer. En mixant rĂ©cit de guerre historique, mythe du surhomme, et sciencefiction rĂ©aliste, Les Sentinelles offrent lÊun des meilleurs rĂ©cits de superhĂ©ros Ă©crit dans lÊunivers franco-belge. Au scĂ©nario, Dorison propose une Ă©criture mĂ©langeant avec maĂźtrise et discernement les codes de la bande dessinĂ©e et ceux du cinĂ©ma dÊaction. Au dessin, Enrique Breccia affine son style et fait merveille, entre Hugo Pratt et Kevin OÊNeill. Un album et une sĂ©rie Ă  ne pas rater.

c t u

velles ambiances. Les histoires sont diffĂ©rentes, se complĂštent et apportent des piĂšces au puzzle formĂ© par ce complot autour des nanotechnologies, des vaccins et des organisations humanitaires. Une sĂ©rie Ă©patante, initiĂ©e par Pierre-Paul Renders, qui rĂ©pond Ă  nos questions. Comment est nĂ© ce projet ? JÊai eu une idĂ©e de base, qui est au cïŹ‚ur de cette sĂ©rie, celle de la dĂ©couverte scientifique qui va nouer lÊintrigue. JÊai trouvĂ© que cette histoire avait le potentiel pour faire un film, comme je suis rĂ©alisateur avant dÊĂȘtre scĂ©nariste, mais que le budget serait trop important. JÊai donc tout de suite pensĂ© Ă  la bande dessinĂ©e. DÊautant plus que jÊavais coĂ©crit mon prĂ©cĂ©dent film avec Denis LapiĂšre, scĂ©nariste de prĂšs dÊune centaine de BD. JÊen ai parlĂ© Ă  Denis, puis Ă  Dupuis. LĂŠĂ©diteur a acceptĂ© bien que ce soit un gros pari, puisque les six albums sont produits Ă  lÊavance.

Donc six tomes et la possibilitĂ© de commencer par celui quÊon veut. Ce nÊest pas banal. CĂŠĂ©tait le challenge dĂšs le dĂ©but et cÊest ça qui mÊa excitĂ©, et a intĂ©ressĂ© lĂŠĂ©diteur. DĂšs la phase de synopsis, je me suis amusĂ© Ă  tester sur des lecteurs en leur donnant un ordre diffĂ©rent de lecture. Et Ă  chaque fois, les rĂ©actions ont Ă©tĂ© Ăż jÊai bien aimĂ©, mais je pense que ça aurait Ă©tĂ© moins chouette dans un autre ordre Ćž. Tout le monde Ă©tait persuadĂ© dÊavoir lu dans le bon ordre (rires). Et mĂȘme le dernier qui sortira peut ĂȘtre lu en premier. Oui, dÊailleurs idĂ©alement, on aurait aimĂ© quÊils sortent tous en mĂȘme temps. Mais bien sĂ»r, commercialement, ce nĂŠĂ©tait pas trĂšs intelligent Ă  faire. AprĂšs les deux premiers en avril, les autres tomes sortiront donc rĂ©guliĂšrement jusquÊau 28 octobre 2011. Alors cÊest vrai que les premiers lecteurs auront moins de choix que les autres. Pourquoi avoir commencĂ© par Fouad et Camille ? Avant tout parce que ces albums Ă©taient complĂštement rĂ©alisĂ©s, mais aussi parce quÊon pensait que ces personnages Ă©taient peut-ĂȘtre les plus attachants et


B

zoom

d se sont calĂ©s sur son dessin quÊon peut comparer Ă  celui de Gazzotti sur la sĂ©rie Seuls, en un peu plus rĂ©aliste. Un dessin qui convient bien au catalogue Dupuis. Finalement, quelle a Ă©tĂ© la plus grande difficultĂ© pour cette sĂ©rie-puzzle ? DÊabord, que tout sÊemboĂźte bien, trouver la chute pour chaque album. Mais cÊest plus au moment de la fabrication quÊil a fallu ĂȘtre trĂšs attentif. Comme les albums nÊarrĂȘtent pas de se recouper, il fallait que la temporalitĂ© soit vraiment juste. Pour que les personnages ne soient pas Ă  deux endroits en mĂȘme temps, portent une tenue diffĂ©rente ou aient bien le tatouage qui montre quÊils sont vaccinĂ©s. Sauf pour certains flashback oĂč le personnage ne lĂŠĂ©tait pas encore. Tout un travail de vĂ©rification de dĂ©tails. Maintenant que vous avez Ă©crit les six albums, quels sont vos projets ? Eh bien la suite. Parce quÊune fois quÊon a lu les six tomes, on nÊest pas encore au bout du suspense. On a une vue dÊensemble du complot, on connaĂźt les tenants et les aboutissants, mais on ne sait pas ce qui arrive aprĂšs. Avec Denis on est donc dĂ©jĂ  en train dĂŠĂ©crire le septiĂšme album, qui va boucler cette saison-lĂ . Et puis, pourquoi pas une deuxiĂšme saison sur le mĂȘme principe, si la sĂ©rie trouve son public ?

Alter Ego par Benéteau Efa Erbetta LapiÚre Renders ReynÚs © Dupuis 2011

THIERRY LEMAIRE

c SORTIE EN AVRIL : CAMILLE ET FOUAD c A PARA˝TRE : JONAS, PARK, DARIUS ET NOAH Alter Ego, de ReynĂšs, LapiĂšre, Renders et BenĂ©teau, Dupuis, 64 p. couleurs, 11,95 € donc permettaient dÊentrer plus facilement dans la sĂ©rie. Et vous ? Vous avez un ordre favori ? Absolument pas. Tout mon plaisir cÊest dÊimaginer pouvoir commencer par nÊimporte quel album. Si jÊavais un ordre favori, je ne serais pas content de mon travail. Au niveau du dessin, il y a toute une Ă©quipe : un directeur artistique, trois dessinateurs pour les personnages,

deux pour les dĂ©cors, une coloriste. CĂŠĂ©tait juste pour une question de rapiditĂ© dÊexĂ©cution ? CÊest sĂ»r quÊon avait envie que ça voie le jour dans un dĂ©lai raisonnable. Donc, on sÊest vite dit que lÊon nÊallait pas se contenter dÊun seul dessinateur. En revanche, on Ă©tait sensibles Ă  garder une unitĂ© graphique. Mathieu ReynĂšs est lÊñme graphique de la sĂ©rie, il a fait tous les storyboards, la bible graphique, les couvertures et il dessine les personnages pour trois albums. Les autres

CE,T.5, de JosĂ© Roosevelt Artiste complet et qui sÊauto-publie, Roosevelt a donc les mains libres pour vagabonder sur les pages comme bon lui semble. La saga de Ăż Ce Ćž, un ĂȘtre ni immortel, ni mortel, continue. CÊest un vĂ©ritable plongeon dans lÊinconscient et lÊonirisme, teintĂ© dĂŠĂ©rotisme, de mystĂšre et de considĂ©rations philosophiques, peuplĂ© de crĂ©atures Ă©tranges et de symboles, le tout servi par un dessin en noir et blanc prĂ©cis et parfois presque tri-dimensionnel. Une sorte dÊAlice au pays des merveilles pour ceux qui auraient grandi. Ça se lit et ça se contemple.

Éd. du Canard, 48 p. n&b, 15 € EGON DRAGON

Noir foncĂ©, de Nicolas Poupon Noir foncĂ©, Nicolas Poupon © MĂȘme pas mal – 2011

c t u

Alter Ego par Benéteau Efa Erbetta LapiÚre Renders ReynÚs © Dupuis 2011

A

Ceux qui connaissent Nicolas Poupon par les digressions existentialistes de ses deux poissons rouges enfermĂ©s entre les parois concaves de leur aquarium (Le Fond du bocal) seront ici bien surpris : lÊauteur dĂ©laisse la transparence aquatique pour tremper son humour dans une encre plus sombre. GoulĂ©e dÊair frais, lĂŠĂ©diteur MĂȘme pas mal a lÊintelligence de ne pas intimer le dessinateur Ă  une unitĂ© de formes : entre le poĂšme, la micronouvelle, la comptine nausĂ©euse ou la planche ravageuse, lÊauteur ne choisit pas. De la fable dĂ©liquescente sur le capitalisme Ă  un article commentĂ© dÊIgnacio Ramonet (Le Monde diplomatique), lÊunitĂ© de ton, quant Ă  elle, est bien lĂ  : une ambiance sombre, drĂŽle, versant Ă  lÊoccasion dans le fantastique, avec quelques thĂ©matiques (LÊEscalade de la chute⁄) parsemant lÊouvrage tel un fil cramoisi. CÊest malin, subversif sans outrance : plutĂŽt quÊune simple dĂ©nonciation frontale, les sujets dÊindignation sont ici le tremplin Ă  une crĂ©ativitĂ© sĂ©duisante, parfois envoĂ»tante, mĂȘme si un peu bavarde Ă  lÊoccasion. Sans doute lÊauteur compte-t-il dans ses livres de chevet les indispensables IdĂ©es noires de Franquin ; peut-ĂȘtre mĂȘme opĂšret-il Ă  lÊoccasion quelques virĂ©es dans la fantaisie dĂ©bridĂ©e et joyeusement grave de lÊimmense Roland Topor. € lÊimage de Jean-Marc qui Ăż revendique le droit Ă  une dĂ©pression joyeuse et bon enfant Ćž, usant de sa corde de pendu comme dÊune balançoire, le titre ne ment pas : de lÊhumour (trĂšs) sombre, Ă  rĂ©server aux lecteurs un brin avertis.

MĂȘme pas mal, 128 p. n&b, 22 € JULIE BORDENAVE

33


R

zoom

HUBERT, l’Hercule Poirot des champs de patates DR

La Vie de Norman, de Stan Silas ÉgarĂ© dans une Ă©trange habitation, un garçonnet parti vendre des tickets de tombola disparaĂźt sans laisser de traces. Ses camarades de classe se lancent alors Ă  sa recherche⁄ DopĂ©e au gaz hilarant, cette aventure bourrĂ©e de twists loufoques vaut autant pour sa galerie de personnages brindezingues (mention Ă  la maĂźtresse jouissivement cruelle) quÊà lÊimparable expressivitĂ© dÊun trait Ă  lÊinfluence manga manifeste, jusque dans le dĂ©coupage et lÊemprunt de codes typiques (ainsi les torrents de larmes et de sang). Si les textes ne sont pas exempts çà et lĂ  de menues coquilles, la bonne humeur contagieuse prend largement le dessus.

e d Ă© c o u v e r t e

Ăż DĂ©tective privĂ© Ă  la cambrousse, yÊa que moi pour faire ce sale boulot. Tout le monde me connaĂźt et la moindre question Ă©veille les soupçons. Mais les vaches maigres, les placards vides et les Ă©pinards sans beurre vous poussent Ă  faire de drĂŽles de choses⁄ Ćž

Makaka, 63 p. couleurs, 12,90 € GERSENDE BOLLUT

Une Vie sans Barjot, de Appollo et Oiry € 18 ans, Mathieu sÊapprĂȘte Ă  monter Ă  Paris pour ses Ă©tudes. Pour sa derniĂšre soirĂ©e, il va faire un voyage au bout de la nuit de marches nocturnes en fĂȘtes dĂ©bridĂ©es en compagnie de Barjot, son pote cinglĂ©, Ă  la recherche de NoĂ©mie quÊil aime en secret. AprĂšs Pauline et les loups-garous, le duo Appollo-Oiry revient sur le thĂšme de lÊadolescence. € travers de nombreux personnages, cÊest une revue dĂ©taillĂ©e du passage Ă  lÊñge adulte : fantasmes dĂŠĂ©vasion, questions sur lÊavenir⁄ sans affirmer si cÊest triste, lÊalbum nous interroge sur la perte des rĂȘves et du grain de folie de lÊadolescence. Une vie sans Barjot, cÊest ce quÊil y aura au-delĂ  du mur⁄ LÊambiance dense (un beau dessin en masses noires et camaĂŻeu) cristallise en une nuit ce mĂ©lange dÊangoisse et dÊespoir qui fa(isa)it nos 18 ans.

D

ans la France rurale de la fin des annĂ©es 1950, Hubert exerce la singuliĂšre profession de dĂ©tective privĂ©. Suivre le frangin, pour savoir sÊil fume en cachette malgrĂ© lÊinterdiction du toubib. DĂ©couvrir qui vient marauder les truffes du notaire. Et parfois, enquĂȘter sur de vraies affaires criminelles, parce quÊà Beaulieu-sur-Morne (800 habi-

Futuropolis, 64 p. couleurs, 16 € WAYNE

Tabou, 48 p. couleurs, 15 € EGON DRAGON

34

© Heitz / GALLIMARD BD

Mara,T.1, La Folie lucide, de Cosimo Ferri Mara, cÊest un croisement entre Colombo, Emmanuelle, et lÊInspecteur Harry. (Oui, je sais : pas facile Ă  visualiser). Libertine affirmĂ©e et affichĂ©e, elle se balade avec son mari dans les milieux mondains et libertins. Au dĂ©tour de multiples parties de jambes en lÊair, elle dĂ©couvre indices et meurtriers, auxquels elle rĂšgle ensuite prestement leur compte. Une agrĂ©able maniĂšre de mĂȘler pornographie et intrigue, qui change un peu des classiques.

BRUNO HEITZ

tants), les morts poussent comme des champignons ! CrĂ©Ă©e en 1996 aux Ă©ditions du Seuil, la sĂ©rie policiĂšre et champĂȘtre de Bruno Heitz comptait neuf Ă©pisodes, quand en 2008 elle fut frappĂ©e dÊun coup dÊarrĂȘt brutal : son Ă©diteur venait de dĂ©cider de se recentrer sur les littĂ©ratures non graphiques. AprĂšs une traversĂ©e du dĂ©sert, marquĂ©e par une absence de plus en plus flagrante dans les rayons des librairies, la sĂ©rie fait lÊobjet dÊune rĂ©Ă©dition dans la collection Bayou de Gallimard. Ouf ! Un peu de justice pour ce PrivĂ© qui le mĂ©rite bien. La reprise chez Gallimard est assez naturelle, puisque les derniers rĂ©cits de lÊauteur, une adaptation en BD du Roman de Renart et le polar historique JÊai pas tuĂ© de Gaulle, mais ça a bien failli avaient dĂ©jĂ  trouvĂ© leur place dans les collections FĂ©tiche et Bayou de cet Ă©diteur. € lÊorigine publiĂ©es en livres de petit format Ă  couverture souple, les histoires vont ĂȘtre regroupĂ©es trois par trois. LÊhistoire inaugurale Un privĂ© Ă  la cambrousse, suivie par Une magouille pas ordinaire et Le Bolet de Satan forment donc le premier tome. On y dĂ©couvre comment Hubert, par dĂ©sïŹ‚uvrement et un peu par hasard, est devenu privĂ© chez les ploucs. Pleine dÊaction et de rebondissements, la sĂ©rie est une merveille de justesse. Heitz est un raconteur dÊhistoires nĂ©, tout y est : le rythme, le sens de la fausse piste, lÊhumour omniprĂ©sent mais sobre pour ne pas dĂ©crĂ©dibiliser lÊhis-

toire, et surtout une galerie de personnages plus vrais que nature. Loin dÊĂȘtre un foudre dÊintelligence ou de dĂ©duction, Hubert, cÊest la dĂ©brouillardise, le bon sens paysan au service de la vĂ©ritĂ©. Pour le dessiner, Bruno Heitz adopte un graphisme proche de celui des premiers Tintin, ceux en noir et blanc, quand HergĂ© Ă©tait seul aux manettes et publiait ses pages dans Le Petit VingtiĂšme, avant la crĂ©ation du Studio HergĂ©. Bruno Heitz nÊa dÊailleurs pas manquĂ© de rendre un hommage appuyĂ© Ă  son inspirateur : dans le dernier Ă©pisode en date, LÊAffaire Marguerite, HergĂ© en personne est un des protagonistes dÊune des enquĂȘtes de notre dĂ©tective rural. Pour la dĂ©couvrir, il faudra attendre le troisiĂšme tome chez Bayou, Ă  paraĂźtre fin 2012 ! JÉRƂME BRIOT

UN PRIVÉ € LA CAMBROUSSE de Bruno Heitz Gallimard BD 350 p. n&b, 19 €



e d Ă© c o u v e r t e

SCOUT TOUJOURS

Teddy Ted,T.4, de Forton et LĂ©cureux Les Ă©ditions du Hibou ont la bonne initiative de continuer Ă  rĂ©Ă©diter les aventures de Teddy Ted, ce cowboy humaniste dont les aventures furent publiĂ©es dans les annĂ©es 60 et 70 dans les magazines Vaillant puis Pif Gadget. Au scĂ©nario, Roger LĂ©cureux, le pĂšre de Rahan, et au dessin, Gerald Forton, lÊun des premiers dessinateurs de Bob Morane. CÊest dire si le tout tient bien la route : des aventures teintĂ©es de mystĂšres et dĂŠĂ©nigmes, pleines de bons sentiments, et qui nÊont pas vieilli. La beautĂ© du noir et blanc de Forton est notable. Dans cette aventure, Teddy Ted sÊaventure dans un village perdu dÊoĂč Ăż nul ne ressort jamais Ćž.

Hibou, 66 p. n&b, 15 € OLIVIER THIERRY

HuitiÚme Continent, T.1, Le Dernier cauchemar, de Christian Vila et Stéphane Collignon

12bis, 48 p. couleurs, 13,50 € GERSENDE BOLLUT

Bye Bye Love,T.1, Le Paradis sur Terre, de Le Tendre et Gnoni Un trio dÊadolescents sur un lac en Ă©tĂ©. Maude, Sonam et Omer. La belle vie. 15 ans plus tard, le bilan nÊest plus le mĂȘme. Sonam est partie depuis longtemps pour la capitale. Omer vit seul sa petite vie. Maude est une mĂšre cĂ©libataire qui vient de perdre sa mĂšre. Alzheimer. Le retour de Sonam, neuroinformaticienne, pour lÊenterrement de la vieille dame, nÊest pas un effet de sa bontĂ©. Elle sait des choses sur la dĂ©gĂ©nĂ©rescence du cerveau humain. Les intĂ©rĂȘts industriels sont des rouleaux compresseurs. Il faudrait rĂ©agir. Mais que faire face Ă  la puissance de multinationales ?

12bis, 48 p. couleurs, 13,50 € THIERRY LEMAIRE

36

Les histoires de scouts peuvent-elles encore sĂ©duire en 2011 ? Avec le premier tome des recueils de « La Patrouille des Castors » de Charlier et MiTacq, les louveteaux reprennent du service. Un retour convaincant. du 16 juillet 1949 sur les publications destinĂ©es Ă  la jeunesse, lÊutilisation des scouts est une aubaine pour Dupuis. Avec de telles histoires, lĂŠĂ©diteur ne craint pas la censure. Et puis – HergĂ© en est lÊexemple le plus connu – la plupart des dessinateurs belges ont Ă©tĂ© scouts. Un gage de rĂ©alisme. Michel Tacq a mĂȘme illustrĂ© diverses revues et un manuel de techniques scoutes. Quand celui-ci propose en 1953 La Patrouille des Castors, la sĂ©rie nÊa aucun mal Ă  ĂȘtre acceptĂ©e. Avec raison, car les lecteurs de Spirou la plĂ©biscitent immĂ©diatement. La carriĂšre de MiTacq est lancĂ©e.

La patrouille des castors - L'Intégrale par Charlier (Jean-Michel) MiTacq © Dupuis 2011

Entre Richmond et Baltimore, un ivrogne paumĂ© traĂźne sa carcasse sans rĂ©pit, sÊacoquinant avec une jolie prostituĂ©e et fuyant des crĂ©atures dĂ©moniaques qui cherchent Ă  le faire passer de vie Ă  trĂ©pas. Rien que de trĂšs sordide, si ce nÊest que lÊhomme nÊest autre quÊEdgar Allan Poe et quÊil est dĂ©tenteur dÊune vĂ©ritĂ© trop gĂȘnante pour ĂȘtre exposĂ©e Ă  la face du monde. Brodant un rĂ©cit fantastique autour des derniĂšres heures du poĂšte (aux circonstances jamais Ă©lucidĂ©es), cet album plaisant au trait expressif vaut pour sa romance aussi Ă©phĂ©mĂšre quÊabsolue. € venir, les destinĂ©es tout aussi romanesques de Jules Verne et Jack London⁄

I

l fut un temps oĂč un dessinateur de bande dessinĂ©e pouvait se lancer dans la rĂ©alisation dÊune sĂ©rie sur le scoutisme, sans volontĂ© de parodie, sans ironie. Un temps oĂč le mouvement fondĂ© par Baden-Powell avait une place prĂ©pondĂ©rante dans la sociĂ©tĂ©. Ce temps, cÊest lÊimmĂ©diat aprĂšs-guerre, qui voit la Belgique compter 45 000 scouts. Pas Ă©tonnant alors que le Journal de Spirou ouvre ses pages Ă  des rĂ©cits sur le sujet. DĂšs 1948, Roy Powers – Eagle scout dessinĂ© par Franck Godwin enchante les jeunes lecteurs. Puis quatre ans plus tard, cÊest la rubrique du Coin des dĂ©gourdis, dessinĂ©e notamment par Eddy Paape, qui prend la relĂšve avec une page de jeux prĂ©sentĂ©e par des louveteaux. Depuis la loi

Certes, il serait difficile de nier que les aventures de ces cinq scouts sont aujourdÊhui un tantinet dĂ©suĂštes. La sĂ©rie ne manque cependant pas dÊintĂ©rĂȘt. Au premier chef desquels la prĂ©sence de Jean-Michel Charlier au scĂ©nario. Le scĂ©nariste (scout lui aussi) de Buck Danny, Tanguy et Laverdure, Barbe-Rouge et Blueberry livre Ă  son public adolescent des rĂ©cits dignes des meilleures histoires de la BibliothĂšque verte, ce qui est assurĂ©ment un compliment pour une sĂ©rie jeunesse. DÊailleurs, avec les annĂ©es, les Ă©pisodes se complexifient. Poulain (le chef de patrouille), Chat (le dĂ©gourdi), Faucon (lÊintello), Tapir (le rondouillard maladroit) et Mouche (le benjamin) partent Ă  lĂŠĂ©tranger, abordent des sujets plus sociaux ou politiques et vont mĂȘme jusquÊà vieillir. Ces rĂ©cits sont de plus parfaitement servis par le trait de

MiTacq. Le dessinateur sÊinspire du grand illustrateur Pierre Joubert (entre autres, dessinateur officiel des scouts de France) et va sur le terrain pour recueillir une documentation prĂ©cise. Suivront 30 albums rĂ©alisĂ©s avec le savoir-faire dÊartisans de la BD, nimbĂ©s du charme dÊune Ă©poque rĂ©volue. THIERRY LEMAIRE

Pour ceux que MiTacq intéresse, nous vous recommandons également les intégrales des aventures de Stany Derval, un journaliste écolo ÿ de l'étrange ƞ.

LA PATROUILLE DES CASTORS INTÉGRALE T.1 de MiTacq et Charlier, Dupuis, coll. Patrimoine 264 p. couleurs, 24 €

La patrouille des castors - L'Intégrale par Charlier (Jean-Michel) MiTacq © Dupuis 2011

R

zoom



M

zoom Nichons et baston, mais quand mĂȘme surtout des nichons, cÊest lĂ  tout le concept de cette nouvelle sĂ©rie stupĂ©fiante : La Paire et le sabre. Dans ce monde imaginaire situĂ© Ă  lĂŠĂ©poque Edo, Ăż une poitrine gĂ©nĂ©reuse apporte le bonheur, et lÊabsence de poitrine son lot de misĂšre. Ćž Alors admettons de suite que ce manga sÊadresse plutĂŽt aux garçons, et quÊau premier comme au second degrĂ© on peut le trouver fantastique. Rien de particuliĂšrement sexuel, simplement un gros dĂ©lire sur une sociĂ©tĂ© oĂč le volume des attributs mammaires conditionne la position sociale, et oĂč un clan Ă  la solde du pouvoir est dĂ©tenteur dÊun art martial permettant de rĂ©duire ou augmenter la taille de ces prĂ©cieuses rotonditĂ©s. Des inventions loufoques telles que Ăż fĂȘte du nichon dansant Ćž, Ăż Ă©cole du sein malĂ©fique Ćž ou Ăż lait maternel des tĂ©nĂšbres Ćž dĂ©montrent quÊici tout est prĂ©texte Ă  nibards. DrĂŽle et sidĂ©rant.

VENDETTA CHEZ LES YÔKAI Depuis le succĂšs de « Kitaro le repoussant » de Shigeru Mizuki, le petit monde des ĂȘtres fantastiques japonais est mieux connu en France, tout en nous restant assez difficile Ă  comprendre. Avec « Nura », entrons de plain-pied dans l’univers des « yĂŽkai » grĂące Ă  Rikuo, un Ă©colier comme les autres, qui a aussi un quart de sang « yĂŽkai » et qui est attendu comme le futur Seigneur de la Nuit
 NURARIHYON NO MAGO © 2008 by Hiroshi Shiibashi / SHUEISHA Inc.

La Paire et le sabre, de Hideki Yamada

a n g a s

Ankama, coll. Kuri, 194 p. n&b, 7,95 € OLIVIER PISELLA

Le Voyage de Ryu,T.1, de ShĂŽtarĂŽ Ishinomori Cette mini-sĂ©rie en cinq tomes nÊest pas seulement destinĂ©e aux amateurs de SF de lÊñge dÊor, mĂȘme sÊils y trouveront des rĂ©fĂ©rences, explicites ou non, Ă  des maĂźtres en la matiĂšre – Isaac Asimov dans le tome 1. En vĂ©ritĂ©, elle se lit avec un plaisir aussi intense que le visionnage de la suite cinĂ©matographique de La PlanĂšte des singes. AprĂšs 40 ans dans lÊespace, un vaisseau atterrit sur notre planĂšte, mais celle-ci ne ressemble plus Ă  celle que Ryu, un jeune homme jusquÊalors cryogĂ©nisĂ©, avait en tĂȘte. Son rĂ©veil est dur. DÊabord seul, il doit affronter les terribles changements qui affectent notre planĂšte Ă  la suite dÊun conflit nuclĂ©aire. PubliĂ© dĂšs 1969 au Japon, Genshi ShĂŽnen Ryuu (en v.o.) est tout simplement indispensable dans votre mangathĂšque !

GlĂ©nat, coll.Vintage, 350 p. n&b, 10,55 € CHRISTIAN MARMONNIER

Xiao Ou,T.1,Tout va mal, de Mai Zi Song Wei, alias Mai Zi (le Ăż blĂ© Ćž en chinois), est un jeune nouveau de cette scĂšne chinoise qui dĂ©boule en France depuis quelques annĂ©es maintenant. RepĂ©rĂ© par Kana, il procure un rĂ©cit aux dimensions sociales qui aurait pu sÊintituler Ăż La Rage de Xiao Ou Ćž. Car en effet, Xiao lÊado en veut au monde entier, et plus directement Ă  lÊinjustice qui divise la sociĂ©tĂ©. Le mĂ©pris des riches lÊinsupporte, la soumission des pauvres aussi. Mais la schkoumoune qui le poursuivait fait pause le jour oĂč son pĂšre meurt dÊun soi-disant suicide. Son meilleur ami devient alors son pire ennemi. Deux autres tomes suivront pour boucler cette fiction nerveuse aux coloris blafards.

Kana, 128 p. couleurs, 18 € CHRISTIAN MARMONNIER

38

Q

ui sont les yĂŽkai ? Ce sont des dĂ©mons de la nuit, des esprits Ă  la forme animaliĂšre et/ou humaine, parfois leur tĂȘte flotte largement au-dessus de leur corps, etc. Ils peuplent lÊimaginaire japonais, et apparaissent dans toutes les zones dÊombre de la sociĂ©tĂ© – mais aussi dans les productions du Studio Ghibli comme Pompoko ou Chihiro. Vous les trouverez presque tous rĂ©unis et surtout illustrĂ©s dans le Dictionnaire des yĂŽkai de Shigeru Mizuki. Ce sont surtout de gros farceurs, et la spĂ©cialitĂ© du grand commandeur suprĂȘme du YĂŽkai est de partir sans payer du restaurant – du moins dans Nura, une BD pour ados dÊHiroshi Shiibashi. Elle met en scĂšne Rikuo, petit-fils du commandeur qui nÊa quÊun quart de sang yĂŽkai et qui aimerait bien vivre une vie normale de collĂ©gien. ProblĂšme : Rikuo est toujours entourĂ© des yĂŽkai qui le protĂšgent, et son grand-pĂšre fatiguĂ© aimerait bien quÊil lui succĂšde. Comme dans beaucoup de shĂŽnen [mangas pour jeunes garçons, NDLR], Nura est une histoire de destin Ă  accepter⁄

Sauf que le monde des yĂŽkai est loin dÊĂȘtre uni, et en attendant cette succession, les tensions se ravivent entre les clans et la guerre est toute proche. Rikuo le collĂ©gien en est la cible privilĂ©giĂ©e, ce qui a pour effet de rĂ©vĂ©ler par moment sa vraie nature de yĂŽkai et de seigneur de la nuit. Dans ces moments-lĂ , ça barde sĂ©vĂšre, et ses amies sont frĂ©quemment en danger. Mais Rikuo ne garde jamais le souvenir de ses transformations, et reprend sa vie dÊhumain, au grand dĂ©sespoir de son grand-pĂšre qui voudrait enfin prendre sa retraite ! Le principal intĂ©rĂȘt de Nura est de faire entrer lÊincroyable diversitĂ© des yĂŽkai Ă  la fois dans un cadre quotidien (lĂŠĂ©cole) et dans une ambiance de guerre des gangs façon yakuza. Le dessin prend bien appui sur la tradition des estampes japonaises pour convoquer tous ces ĂȘtres franchement malfaisants ou simplement taquins, et donc tour-Ă -tour horribles et amusants : Rikuo doit sans cesse cacher sa nature de yĂŽkai, puis la laisser se dĂ©chaĂźner pour se dĂ©fendre, lui, son

clan, et ses camarades de classe. JusquÊà rĂ©gner sur le monde du YĂŽkai ? BORIS JEANNE

NURA, LE SEIGNEUR DES YƂKAI, T.1 de Hiroshi Shiibashi, Kana, 208 p. n&b, 6,75 €



UN FR˚RE ET SA SïŹUR POUR UN SEUL NOM DÊAUTEUR : TADASHI AGI

LA QUÊTE DU NECTAR SUPRÊME Plus de deux millions d’exemplaires vendus pour « Les Gouttes de Dieu », cette sĂ©rie toujours en cours de parution au Japon. DerriĂšre ce succĂšs, un frĂšre et une sƓur, cachĂ©s sous le pseudonyme de Tadashi Agi. Dans ce manga
 enivrant, Shizuku Kanzaki, fils d’un Ɠnologue mondialement reconnu, se lance dans une chasse au trĂ©sor en goĂ»tant les meilleurs crus afin de retrouver les douze grands vins dĂ©crits dans le testament de son pĂšre. Jusqu’à parvenir au treiziĂšme, LE vin idĂ©al, surnommĂ© « Les Gouttes de Dieu ».

F

rĂšre et sïŹ‚ur, vous ĂȘtes experts en vin. Était-ce une passion familiale ? Nous nÊavons pas la qualification de Ăż sommelier Ćž, mais comme pour le protagoniste de notre manga, notre vie a Ă©tĂ© changĂ©e par le vin. Au Japon, puisquÊil y a peu de collectionneurs de vin, il est trĂšs rare de grandir dans une famille oĂč il existe une vĂ©ritable passion pour cela. Au Japon, le vin nÊest pas la boisson nationale. Est-ce considĂ©rĂ© comme un produit de luxe ? En effet, le vin chez nous est cher. Le sakĂ©, mĂȘme de haute qualitĂ© et utilisant du riz poli Ă  60 %, coĂ»te rarement plus de 100 000 yen (environ 900 euros). Pour un vin français comme le ChĂąteau Lafitte 2009, un prix de 100 000 yen serait une affaire. CÊest pourquoi lÊidĂ©e de dĂ©penser autant pour une boisson peut paraĂźtre surprenante pour les Japonais. Pour le sakĂ©, dÊailleurs, le concept de vieillissement nÊexiste pas⁄ alors il est dur pour un Japonais dÊenvisager de payer 2 000 000 yen (environ 18 000 euros) pour une bouteille de RomanĂ©eConti de 1985. Il faut goĂ»ter le vin pour comprendre si cÊest le bon prix ou non – aussi extravagant celui-ci puisse-t-il

40

paraĂźtre. Mais au fond, mĂȘme si le vin est un luxe, il peut satisfaire lÊñme bien plus que lÊargent. NÊest-il pas un plaisir du cïŹ‚ur ? En tout cas, les Japonais qui se considĂšrent comme amoureux du vin – et il y en a beaucoup – le pensent. Votre manga a Ă©tĂ© primĂ© comme le Ăż meilleur au monde sur le vin Ćž par le Gourmand World Cookbook Awards du Français Édouard Cointreau, et a fait partie de la sĂ©lection officielle dÊAngoulĂȘme 2009. La reconnaissance du public et des experts français est-elle importante pour vous ? Pour nous, le vin est un hobby, mais cÊest vital. Quand nous nous sommes lancĂ©s dans lĂŠĂ©criture de notre manga, nous nous sommes dit que mĂȘme sÊil nĂŠĂ©tait pas lu, mĂȘme sÊil ne se vendait pas, lÊimportant Ă©tait de dĂ©crire cet univers quÊon aimait tant. Ces sentiments nÊont pas changĂ©. Comme on aime tout particuliĂšrement le vin français, nous sommes contents que notre travail soit apprĂ©ciĂ© par les Français. Il paraĂźt que les ventes de vin en CorĂ©e ont augmentĂ© grĂące Ă  la traduction de votre manga en corĂ©en⁄ On ne sÊy attendait absolument pas ! En CorĂ©e, le manga a eu beaucoup de

succĂšs, 2 500 000 copies vendues. Et oui, il paraĂźt que ça a influencĂ© les ventes de vin. CÊest comme si Bacchus, le dieu du vin, avait voulu rĂ©compenser notre travail. Dans le manga, vous vous efforcez de conseiller des vins abordables. On raconte que lÊune des meilleures bouteilles de votre cave personnelle est un RomanĂ©e-Conti de 1985, cotĂ© paraĂźtil un million de yens (environ 9 000 euros)⁄ Le vin qui nous a particuliĂšrement marquĂ© a Ă©tĂ© une bouteille du Domaine de la RomanĂ©e-Conti Echezeaux 1985. € cette Ă©poque, il Ă©tait vendu au Japon pour 30 000 yen (environ 250 euros). LÊayant goĂ»tĂ©, nous avions pu apprĂ©cier sa profondeur. CÊest lĂ  que nous sommes devenus de vĂ©ritables collectionneurs. Malheureusement, pour dĂŠĂ©videntes raisons Ă©conomiques, nous ne pouvons pas acheter tout le vin qui mĂ©riterait dÊĂȘtre

goĂ»tĂ©. Certains passionnĂ©s de vin nous permettent dÊen tester de nouveaux. Par exemple, on nous a fait dĂ©couvrir les cinq grands chĂąteaux de Bordeaux, du RomanĂ©e-Conti, du Petrus. Nous avons aussi aimĂ© le Laffitte 1945 et 1959, le RomanĂ©e-Conti 1971 et 73. Parmi les vins que nous avons acquis pour les faire vieillir, il y a pas mal de bouteilles dÊannĂ©es rĂ©centes, par exemple du Bordeaux 2003 et 2005, ainsi quÊun Bordeaux 2009 achetĂ© en primeur et un RomanĂ©e-Conti 2005. CÊest bien dommage que la valeur de ces vins ne se rĂ©vĂšlera que dans 10-20 ans⁄ il sĂŠĂ©coulera beaucoup de temps dÊici Ă  ce quÊon puisse enfin les goĂ»ter. Si notre vie sÊarrĂȘtait avant ce moment, du ciel on demandera Ă  nos enfants ou petits-enfants : Ăż cĂŠĂ©tait bon ? Ćž PROPOS RECUEILLIS PAR

CAMILLA PATRUNO

LES GOUTTES DE DIEU, T.17 de Tadashi Agi, GlĂ©nat, coll. Seinen, 240 p. n&b, 8,99 €


a n g a s

SOIL © 2004 ATSUSHI KANEKO / ENTERBRAIN, INC., Tokyo.

M

PEUR SUR LA VILLE Depuis 2006, Ankama cumule les succĂšs ! ParallĂšlement Ă  « Dofus » (35 millions de joueurs) ou « Wakfu » (1 million de tĂ©lĂ©spectateurs), sa collection « manga Kuri » propose une nouveautĂ© qui ne manque pas de sel
 SOIL © 2004 ATSUSHI KANEKO / ENTERBRAIN, INC., Tokyo.

lÊauteur (crĂ©ateur du Ăż tarantiniesque Ćž Bambi sorti chez IMHO), se rĂ©clamant de diverses inspirations telles que Paul Pope, Burns ou Kozik, a bouclĂ© en 11 volumes⁄ dĂ©jĂ  en cours dÊadaptation tĂ©lĂ© au Japon ! Baignant dĂ©jĂ  dans des univers proches du manga, Ankama a lancĂ© en juin dernier le label nommĂ© Kuri. Avec JeanDavid Morvan Ă  la tĂȘte de cette collection manga, et proposant les trois segments classiques du genre (shĂŽnen, seinen et shĂŽjo), elle propose dÊexcellentes sĂ©ries adultes, Ă  lÊimage des nouveautĂ©s de ce dĂ©but dÊannĂ©e (Soil, La Paire et le sabre, Hitman et Ecchi). Une bonne surprise, avec en bonus, un rythme de parution bimestriel !

COUVERTURE PROVISOIRE

R

ien ne semble pouvoir troubler le calme rassurant de Soil, une ville nouvelle japonaise aux rues et aux habitants Ăż bien rangĂ©s Ćž. JusquÊau jour oĂč les Suzushiro disparaissent mystĂ©rieusement. ÉvaporĂ©s en pleine nuit. Seul indice, un monticule de sel gemme apparu au milieu dÊune chambre. DĂ©pĂȘchĂ©s sur place pour mener lÊenquĂȘte, le capitaine Yokoi et sa jeune femme lieutenant Onoda vont vite ĂȘtre confrontĂ©s Ă  une foule dĂŠĂ©vĂ©nements de plus en plus Ă©tranges. Comme lÊapparition dans la cour de lĂŠĂ©cole dÊun autre tas de sel, gigantesque cette fois, ou les attitudes pour le moins dĂ©calĂ©es de la communautĂ© : bientĂŽt, menaces, chantages et disparitions se succĂšdent, rĂ©vĂ©lant finalement la vraie nature du site⁄ Totalement addictif, ce thriller dÊhorreur fait monter la pression crescendo, rĂ©vĂ©lant progressivement les indices dÊun mystĂšre remontant Ă  lÊantiquitĂ©. Une intrigue dense que

HÉL˚NE BENEY

SOIL, T.2 de Atsushi Kaneko, Ankama, coll. Kuri 228 p. n&b, 8,55 €

41


C

zoom Mythe et Super-hĂ©ros, dÊAlex Nikolavitch

Les Moutons Ă©lectriques, 194 p., 21 € JEAN-MARC LAINÉ

Des mort-vivants en Qui aurait dit qu’une sĂ©rie d’horreur basĂ©e sur la survie d’un petit groupe d’humains dans un monde infestĂ© de mort-vivants pourrait un jour rencontrer un grand succĂšs public ? À l’occasion de la sortie d’un excellent et trĂšs attendu tome 13 en France, et avec l’arrivĂ©e de la sĂ©rie TV sur Orange CinĂ©ma SĂ©ries, « Zoo » a rencontrĂ© Charlie Adlard, le dessinateur du comics Ă©vĂ©nement. © DELCOURT

Les Moutons Électriques, jeune maison dĂŠĂ©dition qui a dĂ©jĂ  engrangĂ© quelques succĂšs avec des Ă©tudes consacrĂ©es Ă  Sherlock Holmes, ArsĂšne Lupin, Cthulhu, Jack Kirby ou Jim Steranko, continue Ă  explorer lÊunivers des comic books avec quelques sorties du printemps. Avec Mythe et Super-hĂ©ros, Alex Nikolavitch, dĂ©jĂ  scĂ©nariste et traducteur, rajoute une corde Ă  son arc et Ă©tudie de quelle maniĂšre les univers de super-hĂ©ros sÊinscrivent dans le sillage des Ă©popĂ©es lĂ©gendaires et des rĂ©cits mythiques. RedĂ©couvrez Kirby, Ditko, Starlin, Iron-Man, Captain Marvel ou les New Gods avec le regard de Campbell ou de DumĂ©zil. € la fois Ă©rudit et trĂšs accessible.

o m i c s

Marvel Classic n°1, de Stan Lee, Jack Kirby et Steve Ditko

Panini, 144 p. couleurs, 5,60 €

J-M L

Royal Space Force, de Ellis et Weston Warren Ellis est un auteur Ă  suivre, qui multiplie les projets courts oĂč il explore ses thĂšmes favoris. Parmi lesquels, la conquĂȘte de lÊespace. Dans Royal Space Force, seconde Ă©dition française, augmentĂ©e cette fois-ci, de son Ministry of Space, il dĂ©crit une uchronie oĂč lÊAngleterre a gagnĂ© la course Ă  lÊespace aprĂšs la victoire contre les forces de lÊAxe. Chris Weston met son dessin prĂ©cis et dĂ©taillĂ© au service de cette aventure Ă©talĂ©e sur plusieurs dĂ©cennies. La conquĂȘte spatiale ne sÊest pas faite sans concessions douloureuses, on sÊen doute. Mais surtout, le rĂ©cit est sublimĂ© par une conclusion percutante. Nous dĂ©conseillons donc aux lecteurs de feuilleter le volume au moment de lÊachat. RĂ©servez-vous la surprise au moment de la lecture. Delcourt, 96 p. couleurs, 13,50 €

J-M L

42

LE DESINATEUR CHARLIE ADLARD

P

our les fans de la sĂ©rie, vous ĂȘtes connu comme Ăż le second dessinateur Ćž puisque vous avez pris la suite de Tony Moore Ă  partir de lĂŠĂ©pisode 7 (correspondant au deuxiĂšme album français). Comment ĂȘtes-vous arrivĂ© sur la sĂ©rie ? Je connaissais Robert Kirkman, le scĂ©nariste, depuis longtemps. JÊavais rĂ©alisĂ© une BD appelĂ©e CodeFlesh avec Joe Casey et quand elle a connu des difficultĂ©s, Robert mÊa aidĂ© Ă  finir de la publier. Nous sommes restĂ©s en contact et puis, un jour, il mÊa appelĂ© pour me demander Ăż Veux-tu vraiment gagner de lÊargent ? Ćž. En fait, les ventes des premiers Walking Dead Ă©taient largement suffisantes pour prĂ©sager du succĂšs de la sĂ©rie. Il pouvait donc me garantir une rentrĂ©e dÊargent, ce qui est rarement le cas pour une nouvelle sĂ©rie publiĂ©e chez Image Comics, maison dĂŠĂ©dition qui ne fait pas dÊavance sur les premiers numĂ©ros. JÊai donc pris la suite de Tony Moore qui avait quittĂ© la sĂ©rie. Robert voulait quelquÊun qui dessine avec un style plus sombre, plus rĂ©aliste. Et⁄ ça a marchĂ© !

comme un fan. En fait, je ne sais pas vraiment dÊun Ă©pisode sur lÊautre oĂč il souhaite aller. Du coup, je dĂ©couvre les pĂ©ripĂ©ties quelques semaines avant la sortie de lÊalbum. ÂŻtes-vous parfois choquĂ© par certaines situations de violence ou de dĂ©viance chez certains personnages ? € vrai dire, on frĂŽle souvent les limites du supportable. Il a pu mÊarriver de douter quand jÊai eu Ă  dessiner des choses vraiment horribles, notamment dans certaines scĂšnes de torture ou de meurtre. Mais en fait, cÊest lÊesprit qui fait le gros du boulot et qui crĂ©e des blocages. Quand on imagine DR

Dans les annĂ©es 80, Strange SpĂ©cial Origines permettait aux lecteurs de dĂ©couvrir Ă  peu de frais les origines de leurs personnages favoris et les classiques de la production Marvel. Un trĂ©sor. Depuis, certes, les classiques ont Ă©tĂ© souvent rĂ©Ă©ditĂ©s, mais Panini dĂ©cide de retenter lÊaventure en kiosque, en offrant un support peu cher (144 pages dÊoldies but goodies, qui pourrait rĂ©sister ?). Au programme, les premiers Ă©pisodes de Spider-man, des Fantastiques, des Vengeurs, des X-Men, de Thor, de Hulk⁄ LÊoccasion rĂȘvĂ©e de redĂ©couvrir le goĂ»t des comics des annĂ©es 60. € acheter, Ă  offrir, Ă  diffuser, Ă  proclamer. Le patrimoine amĂ©ricain. Pour une poignĂ©e de dollars. Enfin, dÊeuros !

Comment vous a-t-il convaincu de rĂ©aliser une histoire de zombies, alors que vous nÊĂȘtes pas trĂšs fan du genre ? € vrai dire, je dois vous avouer que la premiĂšre raison cÊest que je suis un mercenaire (rires). Mais Robert mÊa dit quÊil sÊagissait dÊune histoire dÊhorreur humaine plus que de zombie, chose que jÊavais peu abordĂ©e, Ă  part sur certains Ă©pisodes du comics X-Files. Ce qui mÊa plu, cÊest quÊau-delĂ  de la thĂ©matique Ăż mort-vivants Ćž, on navigue entre lÊhorreur, la science-fiction et le drame humain, et cÊest sur ce dernier point que la sĂ©rie fait la diffĂ©rence. DÊailleurs, les zombies y sont bien moins intĂ©ressants que les protagonistes humains. Comment collaborez-vous avec Robert Kirkman ? Quel est votre degrĂ© dÊimplication dans lĂŠĂ©criture ? Je ne suis quÊun metteur en images, mĂȘme si je ne veux pas minimiser le rĂŽle que cela joue dans la narration. Lorsque je reçois les scĂ©narios de Robert, je les aborde en lecteur final,

WALKING DEAD, LA SÉRIE TÉLÉ


C

o m i c s

Walking Dead T.13, Kirkman et Adlard © Guy Delcourt Productions – 2011

grande forme

les choses, elles sont souvent bien pires que lorsquÊon les voit rĂ©ellement. Dans mon cas, avant de me mettre Ă  dessiner une scĂšne horrible, jÊai parfois quelques apprĂ©hensions, mais dĂšs que je mÊy mets, je peux trĂšs bien dessiner un ïŹ‚il qui pend tout en sifflotant. € ce moment-lĂ , ce nÊest pas plus quÊun crayon et du papier. La sĂ©rie arrive bientĂŽt au 100e Ă©pisode aux États-Unis. Pensez-vous continuer longtemps ? Je lÊespĂšre, et pour plusieurs raisons. DÊabord Robert est loin dÊavoir fini de raconter tout ce quÊil a en tĂȘte et il mÊa dit, ce qui est un honneur : Ăż Si un jour tu arrĂȘtes, je pense que jÊarrĂȘterai la sĂ©rie Ćž. Je ne voudrais pas ĂȘtre responsable de ça ! Ensuite, je dois avouer que jÊaime travailler sur ma propre sĂ©rie, une sĂ©rie dont je possĂšde une partie des droits : je nÊavais pas autant de libertĂ© quand je travaillais sur X-Files, sur Batman ou sur Green Lantern pour des majors. Quand jÊai rĂ©alisĂ© Le Souffle du Wendigo, le tome 5 de Corpus Hermeticum, chez Soleil, je me suis rendu compte que tout cela paraissait trĂšs naturel aux auteurs de chez vous, les auteurs de BD europĂ©enne ont bien de la chance ! Et puis, pour finir, Walking Dead me prend tout mon temps, donc je nÊai pas vraiment le temps de penser Ă  la suite ou de tra-

vailler sur autre chose, mĂȘme si jÊai quelques projets Ăż europĂ©ens Ćž sous le coude. Parlons maintenant de la sĂ©rie tĂ©lĂ©. Il paraĂźt que vous avez Ă©tĂ© obligĂ© de la pirater ! Oui, au tout dĂ©but, parce quÊaucune chaĂźne anglaise ne la diffusait et que les sites de la chaĂźne amĂ©ricaine nĂŠĂ©taient ouverts quÊaux rĂ©sidents des États-Unis. Mais bon, assez rapidement, la chaĂźne mÊa envoyĂ© un pack de DVD. Que pensez-vous de lÊadaptation ? Je sais que beaucoup ne la trouvent pas trĂšs fidĂšle, mais cĂŠĂ©tait dĂšs le dĂ©part une volontĂ© de Robert. Une sĂ©rie tĂ©lĂ© ne doit pas, et souvent ne peut pas, coller au rythme dÊune BD sans que des problĂšmes de rythme inhĂ©rents aux diffĂ©rences de narration nÊapparaissent. Pour ma part, jÊai trouvĂ© ça dÊautant plus amusant que je nÊai absolument pas participĂ© Ă  la conception de la sĂ©rie, je dĂ©couvre donc les adaptations de mes designs au fur et Ă  mesure des Ă©pisodes. Le deal est simple : je reste chez moi, Ă  quelques dizaines de kilomĂštres de Birmingham, Ă  dessiner mes albums comme je lÊentends. Et eux font pareil de leur cĂŽtĂ©, sous le contrĂŽle de Robert. Je ne voudrais absolument pas quÊon me fixe des contraintes liĂ©es Ă  la sĂ©rie, donc je les laisse faire ce quÊils veulent. La seule chose que jÊai faite, cÊest dÊaller tourner dans un Ă©pisode. En cherchant bien, vous pourrez me voir en mort-vivant⁄ JOHN YOUNG

WALKING DEAD, T.13 POINT DE NON-RETOUR deRobert Kirkman et Charlie Adlard, Delcourt, coll. Contrebande 144 p. n&b, 13,50 € 43


zoom

C

AprĂšs le succĂšs du nouveau film orchestrĂ© de main de maĂźtre par J.J. Abrams, la franchise Star Trek est redevenue lucrative, et de nombreux projets BD, articulĂ©s autour des personnages principaux, fleurissent aux USA. Chez nous, Delcourt est le courageux Ă©diteur qui exploite cet univers pourtant enchanteur. Leur expĂ©rience des titres Star Wars les conduit Ă  choisir des histoires intĂ©ressantes, comme cet album, consacrĂ© au Docteur McCoy. Aux commandes de ce rĂ©cit qui voit le mĂ©decin rencontrer de nombreuses vies extraterrestres, une lĂ©gende des comics, John Byrne, connu en France pour son passage sur les X-Men ou sa reprise de Superman. LÊauteur excelle Ă  dĂ©peindre les races aliens et la technologie du futur, et il est ici dans son Ă©lĂ©ment. Une science-fiction Ă  la fois souriante et dĂ©paysante.

LA COÏNCIDENCE DES CONTRAIRES Souvent trahie par ceux qui l’ont portĂ©e Ă  l’écran, l’écriture de Clive Barker trouve une fois de plus un artiste Ă  sa mesure dans le neuviĂšme art. Un dĂ©nommĂ© Gabriel Rodriguez.

© Ryall et Rodriguez / AKILÉOS

Star Trek : Leonard McCoy, de John Byrne

o m i c s

Delcourt, 112 p. couleurs, 13,95 € JEAN-MARC LAINÉ

Authority : LÊannĂ©e perdue,T.1, de Morrison, Giffen, Ha et Robertson Il y a quelques annĂ©es, le label Wildstorm a tentĂ© une refonte totale de son catalogue. Authority, qui a portĂ© Warren Ellis ou Mark Millar au sommet de la gloire, a Ă©tĂ© confiĂ© Ă  Grant Morrison, mais le scĂ©nariste, pris par Superman et Batman, a abandonnĂ© aprĂšs deux numĂ©ros. Keith Giffen a repris ses notes et continuĂ© ce rĂ©cit de science-fiction dĂ©bridĂ© mais un peu dĂ©sordonnĂ©. Le rĂ©sultat est une sĂ©rie dĂ©cousue qui nÊarrive pas, malgrĂ© quelques bonnes sĂ©quences, Ă  retrouver lÊaspect provocateur et innovant des dĂ©buts. LÊirrĂ©gularitĂ© du dessin nÊaide pas.

S

ouvent considĂ©rĂ© Ă  tort comme une icĂŽne homosexuelle, Clive Barker exprime une profonde fascination pour lÊandrogynie. Elle reprĂ©sente Ă  ses yeux la fusion des principes fĂ©minins et masculins – un Ă©tat de totalitĂ© idĂ©al, en somme. LÊauteur lÊexprime en reprenant Ă  son compte une forme de mythe cosmogonique1 assez rĂ©pandu chez les peuples primitifs, selon lequel lÊunivers serait nĂ© de la sĂ©paration de la totalitĂ© en deux formes sexuĂ©es et antagonistes.

Panini, 160 p. couleurs, 15 €

J-M L

Secret Show commence par lÊopposition de deux ĂȘtres humains investis accidentellement par des forces mystiques. Les deux personnages Ă©tant de deux natures radicalement opposĂ©es

Dans le monde de lĂŠĂ©dition, la catĂ©gorie des Ăż sleepers Ćž dĂ©finit ces titres dont le succĂšs public et critique est une surprise pour tout le monde. Tony Chu, dĂ©tective cannibale est de cette catĂ©gorie. Chu est un policier qui obtient ses informations en mangeant. Astreint Ă  un rĂ©gime drastique, il a du nez, et un goĂ»t certain pour les crimes insolubles. Et ce deuxiĂšme album va lÊentraĂźner Ă  lÊautre bout du monde. Les rĂ©cits sont courts et drĂŽles, et tranchent avec les grandes Ă©popĂ©es sinistres que les Ă©diteurs amĂ©ricains aiment Ă  nous servir. GoĂ»tez-y, vous en redemanderez.

Delcourt, 144 p. couleurs, 14,95 € J-M L

44

© Ryall et Rodriguez / AKILÉOS

Tony Chu, détective cannibale,T.2, Un Goût de Paradis, de John Layman et Rob Guillory

mais Ă©gales en force, ils finissent par se neutraliser et se retrouvent piĂ©gĂ©s dans les entrailles de la terre. Les deux rivaux parviennent malgrĂ© tout Ă  investir le corps de plusieurs jeunes femmes vivant dans une bourgade des États-Unis. Ils manipulent chacune dÊelles afin que leur progĂ©niture achĂšve leur combat laissĂ© en suspens. Trois enfants sont mis au monde. LÊun est un garçon brun nourri par les Ă©nergies positives. Les deux autres, blonds comme les blĂ©s, sont frĂšres et sïŹ‚urs. Ils sont marquĂ©s par le mal. Mais ces deux rejetons sont eux-mĂȘmes divisĂ©s dans leurs aspirations. Pendant que le garçon cultive lÊhĂ©ritage de son gĂ©niteur, la fille se sent attirĂ©e par ce qui Ă©mane de son adversaire dĂ©signĂ©. Comme si cet autre dĂ©tenait sa part manquante. Cette part qui lui permettrait dÊaccĂ©der Ă  la plĂ©nitude. LÊhistoire de Clive Barker pourrait rebuter Ă  cause de ces considĂ©rations un peu hermĂ©tiques. DÊautant que lÊauteur aurait pu (aurait dĂ») simplifier son entrĂ©e en matiĂšre quelque peu dĂ©routante. Mais une fois que la situation de dĂ©part et que les protagonistes sont posĂ©s, lÊhistoire se rĂ©vĂšle aussi fluide quÊenthousiasmante. Et les ambitions narratives du romancier sÊavĂšrent finalement profondes et accessibles. LÊauteur de Hellraiser a une aptitude manifeste pour dĂ©ployer des ambiances baroques, vĂ©nĂ©neuses et inquiĂ©tantes. Gabriel Rodriguez, qui met son dessin au service de Secret

Show, parvient de façon Ă©tonnante Ă  installer ces diffĂ©rents climats ; et cela grĂące Ă  une audace parfaitement dosĂ©e. Le dessinateur apporte enfin une expressivitĂ© trĂšs personnelle aux personnages de Clive Barker. Cette version de Secret Show est donc la coĂŻncidence de deux talents distincts. Une ïŹ‚uvre forte par sa totalitĂ©. KAMIL PLEJWALTZSKY

Origine mystique de la crĂ©ation du monde (MircĂ©a Eliade, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, Folio Essais n°128)

1

SECRET SHOW de Chris Ryall et Gabriel Rodriguez, dÊaprĂšs Clive Barker AkilĂ©os, 300 p. coul., 29,99 €


45


B

d

J

e u n e s s e

UNE NOUVELLE POUSSE CHEZ BAMBOO À l’image de son emblĂšme vĂ©gĂ©tal, les Ă©ditions Bamboo grandissent Ă  vue d’Ɠil. Ce printemps voit naturellement naĂźtre leur nouvelle ramification, semĂ©e cette fois dans le prĂ© carrĂ© des livres jeunesse.

B

© Di Martino et Beney / BAMBOO

ien nommĂ©e Ăż PoussÊde Bamboo Ćž, cette collection peut paraĂźtre traditionnelle puisquÊelle met en scĂšne, en bande dessinĂ©e, des grands contes classiques pour tous petits. Rien de rĂ©volutionnaire, me direz-vous ? Oui mais non, car toute son originalitĂ© tient dans son concept troisen-un : une partie BD sans texte, une partie atelier pour apprendre Ă  dessiner et une partie avec le texte adaptĂ© du conte. SÊappuyant sur lÊidĂ©e simple que les enfants aiment les bandes dessinĂ©es, les manipulant souvent instinctivement en faisant abstraction des bulles avant lÊñge de lecture, cette collection offre Ă  chaque conte un dĂ©coupage Ă©purĂ©, et donc dÊabord plus facile. Ensuite, les artistes en herbe apprĂ©cieront le cĂŽtĂ© ludique puisquÊils auront tous les outils explicatifs pour reproduire, en quelques coups de crayons, et Ă  lÊaide de formes simples, les personnages de la BD. € vous tout de mĂȘme de veiller Ă  leur fournir feuille et crayon Ă  papier si vous tenez Ă  garder immaculĂ© le mur blanc de votre salon.

EXTRAIT DU PETIT POUCET

46

La troisiùme partie, elle, sÊadresse finalement autant aux parents quÊaux bambins, puisquÊelle propose la version texte de lÊadaptation dÊun conte

de la littĂ©rature populaire. RevisitĂ©e et simplifiĂ©e tout en gardant ses gimmicks (et donc ses bobinettes qui choient), lÊhistoire pourra ainsi ĂȘtre lue, le soir Ă  la veillĂ©e, par un parent Ă©mu de transmettre les grands classiques de son enfance Ă  sa propre progĂ©niture⁄ Qui Ă  son tour, pourra la relire facilement seule lorsque lÊapprentissage de la lecture et des mots approchera. Un cadrage clair, une mise en couleurs simple, une histoire dĂ©coupĂ©e en cases faciles Ă  comprendre, tout est vraiment fait pour que lÊenfant sÊapproprie son album et maĂźtrise au plus vite les automatismes de lecture. DÊautant plus que cette sĂ©rie de titres, pensĂ©e pour les jeunes lecteurs et leurs petites mains, avec couverture matelassĂ©e et petit format (16,5 x 22,5 cm), bĂ©nĂ©ficie dÊun rythme de parution soutenu de quatre Ă  six titres par an. Bref, voilĂ  une collection qui allie le classique Ă  lÊefficace. JEANNE ANATOLE

Collection PoussÊ de Bamboo, chaque titre : 48 pages couleurs, 9,95 €

c à paraütre en avril 2011 : Le Petit Poucet par Richard di Martino, Bonino et Beney Le Petit Chaperon Rouge par Domas, Bonino et Beney c à paraütre en octobre 2011 : Boucle dÊOr et les 3 ours par Bessadi et Beney Hansel & Gretel par Domecq et Beney



L

a

R

u b r i q u e

E

n

T

r o p

ARISTIDE PERRÉ

PrĂ©curseur de Charlie Schlingo Charlie Schlingo (l’auteur de « Canetor » et « Gaspation » entre autres) se revendiquait de « Popeye » de Segar. Le lien graphique entre les deux, c’est Aristide PerrĂ© (1888-1958). Sa production est sans Ă©quivalent : vers 1950, il a rĂ©alisĂ© pas moins de 81 albums en seulement 8 ans ! Travail de titan, surtout pour les Ă©ditions Rouff, aux fascicules courts sur mauvais papier, BD populaire oĂč passĂšrent les rois de la BD d’alors : Forton, Mat, Thomen...

P

errĂ© naĂźt Ă  Rennes en 1888, dÊun directeur dÊusine et dÊune couturiĂšre. Il Ă©tudie la technographie [description des arts et de leurs procĂ©dĂ©s, NDLR], le dessin dÊhumour est sa passion trĂšs tĂŽt. Il dĂ©bute dans lÊAlmanach Nodot (1913), mais la guerre arrĂȘte tout. Il reprend en 1921 en entrant chez Offenstadt (SPE), pour qui il va pondre illustrations, petites BD et cartoons jusquÊà la Seconde Guerre mondiale. Principaux supports : PĂȘle MĂȘle (1923-29), Parisiana (1925-34), La Vie de Garnison (1926-37), Almanach National (1927-36) et naturellement LÊÉpatant (1931-38), oĂč en 1934 il termine en catastrophe lĂŠĂ©pisode inachevĂ© des Pieds-NickelĂ©s Ă  la mort soudaine de Forton. PerrĂ© prend la suite de la saga, pour six Ă©pisodes-albums, jusquÊen 1938 oĂč il passe la main Ă  A.G. Badert. Les Pieds-NickelĂ©s ne sont pas vraiment son truc (on lui refuse les bulles), ni celui de Badert, seul Pellos redonnera un souffle, aprĂšs-guerre, aux trois iconoclastes. Sa premiĂšre sĂ©rie BD, Bourlekrane (1925 dans Petits bonshommes), son premier album Polidor fait des farces (Prima, 1930) prĂ©cĂšdent dans Midinette un gros succĂšs, Poucette, trottin, gamine provinciale, dĂ©lurĂ©e et gaffeuse, garçon manquĂ© qui, malgrĂ© le titre (un trottin est un coursier dans la mode), change de mĂ©tier Ă  chaque Ă©pisode. Sept premiers albums sortent chez Rouff (193339). Il rĂ©alise Clodomir dans le Journal de Toto, Pierre Dac lÊappelle pour des des-

EXTRAIT DE LÊOS € MO˙LLE

48

sins dÊhumour dans son lĂ©gendaire Os Ă  MoĂ«lle, et il rĂ©alise un livre dÊillustrations Ă  dĂ©couper, Les Aventures et exploits sportifs de Papou (SPE, 1933). Il adapte en 1940 le feuilleton vedette de la radio, La Famille Duraton, produit affiches et publicitĂ©s, y compris lumineuses, devient chef de studio chez Publicis puis free-lance. Pendant lÊOccupation, il refuse de participer aux journaux collaborateurs. AprĂšs guerre, il est une star de la BD, Rouff le publie directement en albums Ă  un rythme effrĂ©nĂ©. Il reprend Poucette (26 nouveaux albums, 1949-59), crĂ©e son second grand personnage, Ăż Zigoto Ćž (19 albums, 1950-58), titi typique du temps qui lui aussi exercera tous les mĂ©tiers. Puis il fait ses Duraton Ă  lui avec la Famille Bigorno (20 albums, 1951-57), Français moyens pas futĂ©s, que suivent Lamalice & Gourdiflo (8 albums, 1952-54), Ăż comiques troupiers au temps de la guerre dÊIndochine Ćž (dit justement le BDM), quÊil remplacera ensuite par Mimile & Minouche (11 albums, 195557), jumeaux orphelins aux farces classiques. Les fascicules Rouff Ă©taient partout et les reliures continuĂšrent Ă  se vendre des annĂ©es. Il produit des dessins dÊhumour pour lÊAlmanach Vermot et autres, peint pour son plaisir, fait du thĂ©Ăątre et chante en public, mais il nÊen reste guĂšre de traces, sinon sur des programmes. En 1958, il a 70 ans et il est Ă©puisĂ©. Il meurt Ă  Paris, dans lÊindiffĂ©rence, alors que la BD change dÊùre. Le dessin de PerrĂ© est simple, fondĂ© sur lÊefficacitĂ© et non le style, que peu de dessinateurs cherchent alors dans la BD dÊhumour. Humour qui vise, non Ă  faire rire, mais Ă  faire rigoler. Humour vieilli bien sĂ»r, tous les clichĂ©s misogynes, colonialistes ou sociaux y sont. Mais le rythme reste celui du slapstick, le cinĂ©ma muet oĂč lÊenchaĂźnement de gags entraĂźne le public dans un dilatage de rate incontrĂŽlable. Pourtant, ce stakhanoviste du dessin a crĂ©Ă© un style reconnaissable sans lignes droites, mĂȘme pour les cases, vite Ă©liminĂ©es ; ses personnages sont penchĂ©s, bras et doigts Ă©cartĂ©s, membres tordus. Il anticipe sans le savoir sur ce que feront aprĂšs guerre les dessinateurs de superhĂ©ros US (ils ne lÊont jamais lu), qui

refusent de voir une jambe droite. PerrĂ© rajoute toujours des pieds lourds, et surtout des muscles Ăż popeyens Ćž aux mollets. Du pur Schlingo. Aucun nÊest beau, personne ne drague jamais Poucette, Louise Brooks ratĂ©e et mal fagotĂ©e, BĂ©cassine du pauvre. On sÊexclame beaucoup chez PerrĂ©, les surprises sont flagrantes, les chutes violentes, les Ăż plouf Ćž appuyĂ©s, codes aujourdÊhui obsolĂštes. Mais un examen attentif montre Ă  quel point PerrĂ© est un bon observateur de son Ă©poque, dont il nous donne un rĂ©sumĂ© Ă©tonnant de

prĂ©cision, Ă©pousant lÊactualitĂ© (Front Popu, guerre, avancĂ©es sociales) avec entrain, cas sans doute unique dans la BD dĂ©sincarnĂ©e de son temps. On trouve les albums Rouff aux Puces, cette BD mĂ©prisĂ©e a aujourdÊhui ses collectionneurs acharnĂ©s, il y a de plus en plus de fans de PerrĂ©. Bienvenue au club ! YVES FRÉMION

c FrĂ©mion est lÊun des plus fidĂšles hussards de Fluide Glacial. CÊest aussi un historien de la BD, un romancier et un scĂ©nariste (parmi dÊautres activitĂ©s).



A

zoom

&

B

d

© Sempé

© Lostfish / SOLEIL

Sempé à New York

r t

Bien connu pour avoir illustrĂ© les aventures du Petit Nicolas, JeanJacques SempĂ© est aussi lÊun des rares illustrateurs français Ă  avoir les honneurs des pages du New Yorker, lÊhebdomadaire de lÊactualitĂ© culturelle de la grosse pomme. La galerie Martine Gossieaux revient justement sur ces dessins en prĂ©sentant une exposition des couvertures et des pages intĂ©rieures rĂ©alisĂ©es par SempĂ©. Une vision de New York tendre, parfois grinçante et un peu nostalgique, rehaussĂ©e de quelques touches dÊaquarelle. JusquÊau 27 mars, Galerie Martine Gossieaux, Paris VIIe THIERRY LEMAIRE

LE CÔTÉ SOMBRE DE LEWIS CARROLL

Les dessinateurs ont du cïŹ‚ur

Soleil en faveur dÊHaïti, Collectif, Soleil, 192 p. couleurs, 22,90 €

Avec « À travers le miroir », la suite d’« Alice au pays des merveilles », Lostfish propose une vision sombre et inquiĂ©tante du roman de Lewis Carroll. Un livre illustrĂ© au plus proche du texte original. accompagnent le pĂ©riple de la jeune Anglaise qui passe Ă  travers un miroir pour arriver dans un monde dĂ©lirant, oĂč les comportements des personnages sont Ă  lÊopposĂ© des nĂŽtres, comme dans un reflet. Ăż Cette version est au dĂ©part destinĂ©e aux grands enfants, ces adultes qui ont gardĂ© le pouvoir de rĂȘver, je ne lÊai donc pas illustrĂ©e en cherchant Ă  faire un livre jeunesse ; cela dit, nous savons tous que les contes de fĂ©e sont effrayants, Alice en fait partie, et Ă  moins de se voiler la face, nous savons aussi que cÊest une des raisons pour laquelle ils plaisent aux enfants. Ćž

© Lostfish / SOLEIL

Un an aprĂšs le tremblement de terre qui a dĂ©vastĂ© lÊüle, HaĂŻti est toujours sous le choc des destructions considĂ©rables. Les Ă©ditions Soleil ont eu lÊidĂ©e de demander Ă  90 auteurs maison une illustration pour rĂ©aliser un album de solidaritĂ©. Claire Wendling, Arthur de Pins, Dany, Barbara Canepa, Cromwell, Mathieu Lauffray, Didier Tarquin et bien dÊautres ont rĂ©pondu prĂ©sents. € noter que 100 % des bĂ©nĂ©fices seront reversĂ©s Ă  lÊAgence Universitaire de la Francophonie, pour aider les 12 universitĂ©s haĂŻtiennes. THL

Cases, bandes, composition Non, les cases dÊune planche de BD nÊapparaissent pas comme par magie sous le crayon du dessinateur. Leur agencement est le fruit dÊune rĂ©flexion et dÊune envie. Renaud Chavanne, dĂ©jĂ  auteur dÊune analyse de la composition chez Edgar P. Jacobs, rĂ©pĂšte lÊexercice en universalisant le propos. De la rĂ©guliĂšre (gaufrier) Ă  la fragmentĂ©e, en passant par la semi-rĂ©guliĂšre, la rhĂ©torique et la Ăż Ă  lĂŠïŹ‚uvre Ćž, Chavanne passe en revue les diffĂ©rents types de composition propres au 9e art. AprĂšs cette lecture, vous ne verrez plus jamais une planche de BD de la mĂȘme maniĂšre. Composition de la bande dessinĂ©e, Renaud Chavanne, PLG, 300 pages, 29 € THL

50

E

h oui, cette petite fille brune sur la couverture est bien Alice, lÊhĂ©roĂŻne de Lewis Carroll. Alors oubliez Walt Disney et plongez-vous dans lÊunivers de Lostfish, une jeune illustratrice française : Ăż La version de Disney est Ă  mes yeux un peu trop fantaisiste et lĂ©gĂšre par rapport aux textes de Carroll, en gĂ©nĂ©ral plus sombres et mĂ©taphoriques. Ma version dÊAlice est brune en "hommage" Ă  Alice Liddell qui a thĂ©oriquement inspirĂ© ce personnage Ă  Lewis Carroll. Ćž Les quelques 70 illustrations, dont 30 pleines pages, en vis-Ă -vis du texte,

Le dessin animĂ© de Disney avait mĂ©langĂ© lÊintrigue des deux ouvrages de Carroll. Lostfish revient Ă  plus dÊorthodoxie dans le texte, pour mieux sÊexprimer. Ăż Le choix sÊest portĂ© sur le second livre, qui est moins connu et me laissait de ce fait plus de libertĂ©, me permettant de rester plus authentique et fidĂšle Ă  mes choix artistiques. Ćž Et justement, ces choix artistiques donnent une couleur particuliĂšre au rĂ©cit. InspirĂ©e par les Ăż portraits aux courbes gracieuses et dĂ©licates Ćž dÊIngres, le surrĂ©alisme de JĂ©rĂŽme Bosch et les VanitĂ©s, Lostfish a adaptĂ© sa palette. Ăż JÊutilise en gĂ©nĂ©ral des couleurs douces et trĂšs dĂ©saturĂ©es, je fais des images quasiment monochromatiques. Sans doute mon goĂ»t pour les vieilles images usĂ©es par le temps. Mais ici, lÊhistoire se dĂ©roule sur un Ă©chiquier, entre des piĂšces rouges et blanches. JÊai donc utilisĂ© plus de rouge quÊà

mon habitude, couleur que je rĂ©serve Ă  la carnation, et en particulier aux articulations des personnages. Ćž Le rĂ©sultat, fascinant, immerge le lecteur dans un monde entre rĂȘve et cauchemar, sensation quÊil peut amplifier en Ă©coutant en musique de fond Ăż les Dresden Dolls, Sigur RĂłs, et des bandes originales de films, comme Le Labyrinthe de Pan ou Moon Ćž, la playlist de lÊauteur. THIERRY LEMAIRE

€ TRAVERS LE MIROIR de Lostfish et Lewis Carroll Soleil, coll. MĂ©tamorphose 210 p. couleurs, 29,50 €



e a u

L

i v r e © Tillieux / DANIEL MAGHEN

B

GIL JOURDAN, LIBELLULE S'ÉVADE, PLANCHE 6

52


B

e a u

L

i v r e

TILLIEUX

HEROIC ET UNIQUE Bizarrement, il n’existait pas de beau livre consacrĂ© Ă  l’Ɠuvre de Maurice Tillieux, pilier essentiel du « Journal Spirou ». « Heroic », un recueil de dessins remastĂ©risĂ©s et d’extraits d’interviews vient rĂ©parer cet oubli.

D

ans Zoo n°21, nous vous avions briĂšvement prĂ©sentĂ© la riche carriĂšre de Tillieux, Ă  lÊoccasion de la parution du premier volume de lÊIntĂ©grale Gil Jourdan. Le galeriste en planches originales Daniel Maghen profite de la fin de cette superbe intĂ©grale pour proposer une jolie compilation de dessins rares ou peu connus. DÊautres livres avaient Ă©tĂ© consacrĂ©s au mĂȘme sujet au cours des 30 derniĂšres annĂ©es, mais leur tirage limitĂ© de lÊordre de 1000 exemplaires les rendait vite indisponibles, la raretĂ© des documents prĂ©sentĂ©s permettant parfois dÊoublier la faiblesse de lÊimpression.

LÊaccent est mis sur lÊaspect graphique, superbement mis en valeur par des agrandissements de planches originales conservĂ©es par la famille de lÊauteur, mais aussi par un intĂ©ressant travail de mise en valeur de Vincent Odin. Dans certains cas figurent les calques oĂč Tillieux indiquait les couleurs ; mais quand les couleurs figuraient au verso Ă  lÊattention des coloristes de lÊimprimeur, il les a superposĂ©es au trait Ă  lÊencre de Chine, ce qui donne un rĂ©sultat final tout Ă  fait nouveau et des plus Ă©lĂ©gants. Les amateurs de planches originales (comptez de 4000 Ă  25 000 euros en salle de vente !) pourront contempler sans se ruiner les spĂ©cificitĂ©s, les

traces de scotch, les crayonnĂ©s bleus et les petites annotations. Ce livre est aussi une compilation des extraits des multiples interviews accordĂ©es par Tillieux Ă  des fanzines bien Ă©videmment Ă©puisĂ©s depuis des annĂ©es. Leur densitĂ© et le soin avec lequel ils ont Ă©tĂ© assemblĂ©s donne lÊimpression de lire une sorte de confession chronologique de Tillieux, un peu comme sÊil avait tapĂ© lui-mĂȘme les textes sur sa vieille machine Ă  Ă©crire Trixie. LÊhommage graphique sÊaccompagne ainsi dÊune sorte de tĂ©moignage posthume.

c Heroic, Ă©ditions Daniel Maghen, 372 p. couleurs, 55 € c Exposition Tillieux, du 13 au 30 avril 2011 Ă  la galerie Maghen, du 15 avril au 2 octobre 2011 Ă  la Maison de la bande dessinĂ©e de Bruxelles JEAN-PHILIPPE RENOUX © Tillieux / DANIEL MAGHEN

Par son aspect, Heroic ressemble Ă  un luxueux catalogue dÊart. Le papier cotonneux et mat Ă  Ă©tĂ© choisi pour rappeler celui des heroic-albums, publications belges de bandes dessinĂ©es oĂč Tillieux maĂźtrisa son style grĂące Ă  un travail assidu sur les aventures du

journaliste FĂ©lix, prĂ©curseur du rĂ©putĂ© Gil Jourdan. Autodidacte du dessin, passionnĂ© de suspense et dÊefficacitĂ©, Tillieux emprunta au dĂ©but Ă  dÊautres noms cĂ©lĂšbres, ce qui ne lÊempĂȘcha pas de trouver son propre style.

CI-CONTRE : GIL JOURDAN, LA VOITURE IMMERGÉE, PLANCHE 6, DÉTAIL ET INDICATIONS COULEURS EN MÉDAILLON : PORTRAIT DE GIL JOURDAN, ENCRE DE CHINE ET CRAYON

53


S

e x e

&

B

Gwendoline : UNE HÉROÏNE ATTACHANTE À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la pin-up devient le symbole de la modernitĂ©, mais aussi d’une rĂ©volution sexuelle Ă  venir. Mais l’une d’entre elles va plus loin
 et mĂȘme trop loin. Son nom : Gwendoline.

E

Gwendoline, Willie © Guy Delcourt Productions – 2011

n 1946, le dessinateur John Alexander Scott Coutts – sous le pseudonyme de John Willie – commence Ă  dĂ©velopper une sĂ©rie de comics sur le thĂšme du bondage. Parmi ses crĂ©ations figurent The Escape Artist, The Missing Princess et Sweet Gwendoline, une sĂ©rie oĂč une jeune femme prude est systĂ©matiquement victime des machinations de Sir Dystic dÊArcy. Ces bandes dessinĂ©es sont tellement avant-gardistes que ses Ă©diteurs autocensurent certaines histoires. MĂȘme le cĂ©lĂšbre photographe Irving

Klaw, qui reprit les droits de vente des premiĂšres ïŹ‚uvres de Willie, demanda Ă  Eric Stanton1 de retoucher les dessins oĂč apparaissaient les marques de coup de fouet sur le corps de Gwendoline. Car Gwendoline est une hĂ©roĂŻne qui, quelles que soient ses aventures, passe son temps Ă  se faire sĂ©questrer, entraver et flageller. Dans la sĂ©rie, les responsables des malheurs de lÊhĂ©roĂŻne finissent toujours par ĂȘtre punis de leur vice. Il nÊest donc pas question de soupçonner le dessinateur de complaisance – dÊautant que le machiavĂ©lique dÊArcy nÊest autre quÊun avatar de lÊauteur. Ce nÊest pas non plus la nuditĂ© qui est en cause, elle est en effet presque inexistante. Mais ce sont les sĂ©vices imaginĂ©s et la prĂ©cision de leur description qui dĂ©rangent. En 1957, lÊun des modĂšles de John Willie meurt assassinĂ© par un maniaque qui se fait passer pour un photographe spĂ©cialisĂ© dans le fĂ©tichisme. Les consĂ©quences sont immĂ©diates et ce sont les Ă©diteurs qui les premiers prennent des mesures pour ne pas susciter une campagne mĂ©diatique semblable Ă  celle que connurent les comics avec le rapport Wertham2. La production est donc freinĂ©e, autant pour Ă©viter des poursuites que par peur de servir de source dÊinspiration pour les pervers sexuels. Le plaisir du bondage chez Willie est purement visuel. LÊintĂ©rĂȘt quÊil porte Ă  cette pratique consiste Ă  mettre en Ă©vidence une partie ou une autre de lÊanatomie fĂ©minine. LÊauteur ne recherche donc pas la soumission de la femme, ni sa punition, mĂȘme si cette derniĂšre pratique permet de voir palpiter lÊobjet de son dĂ©sir. Willie considĂšre enfin la bande dessinĂ©e et le bondage comme des mises Ă  distance du dĂ©sir. Elles sont sources dÊexcitation mais pas de jouissance, et cÊest lÊune des diffĂ©rences fondamentales du fantasme par rapport Ă  la perversion. KAMIL PLEJWALTZSKY

GWENDOLINE LA PRINCESSE PERDUE

de John Willie, Delcourt, coll. Erotix 48 p. n&b + cahier dÊillustrations, 14,95 € Eric Stanton fut un grand maĂźtre de la bande dessinĂ©e Ă©rotique aux États-Unis au milieu des annĂ©es 1960. Le rapport Wertham (1954) sĂŠĂ©vertua Ă  dĂ©montrer lÊimplication des comics dans la recrudescence de la dĂ©linquance juvĂ©nile. 1

2

54

d


V

i d e -

P

o c h e

Rainbow Warrior

Console portable Sony NGP Objectif : ne pas laisser Nintendo occuper seul le terrain médiatique. Une semaine seulement aprÚs la démonstration de force du Japonais, qui a réuni plus de 1000 journalistes à Amsterdam pour la présentation de sa 3DS, son concurrent annonce, lui aussi, un successeur à sa console portable, la PSP. Son nom de code : la NGP, pour Next Generation Portable.

RĂ©alisĂ©e par Mist et Étienne Aillaud pour Attakus, cette figurine comporte deux personnages : Dino, la monture articulĂ©e, et Orus, le cavalier au casque amovible et aux deux lances de taille diffĂ©rente. Hauteur : 19 cm Prix indicatif : 119 €

Sortie prévue pour Noël 2011

Accu Recharge Intelligent, par Energizer L’appareil photo qui tombe en panne au moment oĂč le petit dernier souffle sa premiĂšre bougie, c'est fini ! Energizer propose un chargeur de piles « nouvelle gĂ©nĂ©ration » dotĂ© de 4 fonctions : le dĂ©compte du temps de charge, le tĂ©moin de charge, l'indicateur des piles non conformes et la minuterie.

Dell Venue Au salon CES 2011, le groupe Dell a annoncé le smartphone Dell Venue, qui perd son clavier coulissant ( ce qui lui permet de gagner en finesse ) mais embarque cette fois-vi Android 2.2 Froyo. Date de sortie encore inconnue

Prix indicatif : 49,95 €

Kit corps de rĂȘve

Blackberry Torch 9800 Alliant esthétisme et performance, ce mobile concilie deux écoles, celle du tactile pour suivre la tendance des smartphones derniÚre génération, et celle destinée aux adeptes de BlackBerry, proposant un bon clavier coulissant jugé par certains plus efficace. Pour révéler ce dernier, il faudra faire glisser l'écran tactile de 3,2 pouces avec une résolution de 360x480 pixels affichant 16 millions de couleurs. Orange propose en exclusivité sur son réseau de distribution le smartphone BlackBerry Torch 9800 en blanc. www.blackberry.com

Pour les femmes dĂ©sireuses de retrouver leur galbe d’antan (et qui n’ont pas peur de suer), les « paresseuses » proposent ce kit qui comprend un livre d’exercices rĂ©digĂ© par Anita Naik et illustrĂ© par Soledad, ainsi qu’une corde Ă  sauter. Les paresseuses, c’est pas des feignasses. Mise en vente le 27 avril Prix : 9.90 €

Galaxy S2 de Samsung Le Galaxy S2 de Samsung est la nouvelle arme du Coréen sur le marché des smartphones : à peine 8,5 mm d'épaisseur, ce qui en fait selon la firme le plus fin au monde. http://www.samsung.com/fr/

55


C

zoom ciné

i n Ă© m a

Showrunners

Les grandes sĂ©ries amĂ©ricaines produites par Hollywood sont devenues un vĂ©ritable phĂ©nomĂšne mondial. Les meilleurs artistes choisissent dĂ©sormais la tĂ©lĂ©vision plutĂŽt que le cinĂ©ma pour dĂ©velopper des sĂ©ries exceptionnelles telles que Mad Men,True Blood, Dexter, etc. Ces programmes Ă  succĂšs doivent leur pĂ©rennitĂ© Ă  leur Ăż showrunner Ćž : le crĂ©ateur original de la sĂ©rie chargĂ© de gĂ©rer tout ce barnum. Pour Orange CinĂ©ma SĂ©ries,Virginia Vosgimorukian et Anthony DubĂ© sont allĂ©s Ă  la rencontre de ces artistes pour nous expliquer comment ils travaillent. Chaque Ă©pisode se concentre sur un showrunner de façon didactique. Une mine dÊinformations fascinantes pour les fans et les nĂ©ophytes. Actuellement diffusĂ© sur Orange CinĂ©max

Bienvenue au Far West ! RĂ©unir Gore Verbinski, rĂ©alisateur de la franchise « Pirates des CaraĂŻbes », et son hĂ©ros Johnny Depp une Ă©niĂšme fois sentait le coup marketing. Mais ces professionnels ont dĂ©cidĂ© de mettre leur ego de cĂŽtĂ© pour se mettre au service d’un film d’animation. Le rĂ©sultat : une belle surprise et certainement le film d’animation le plus drĂŽle de l’annĂ©e ! Verbinski lÊexplique : Ăż Rango parle dÊun lĂ©zard en pleine quĂȘte dÊidentitĂ© et raconte comment il est entrĂ© dans la lĂ©gende, cÊest un personnage exubĂ©rant – Ă  mi-chemin entre Hunter S. Thompson et Don Knotts – et Johnny Depp, qui lÊincarne, lui a donnĂ© du panache et une Ă©nergie dĂ©bridĂ©e Ćž.

© PARAMOUNT PICTURES

© Orange Cinéma Séies / La Famiglia

RANGO :

CÊest en sÊinspirant de glorieux anciens trĂšs divers, tels que John Ford, Sam Peckinpah, Clint Eastwood, Tex Avery ou John Lasseter, que Gore Verbinski et ses producteurs eurent lÊidĂ©e du film. En se disant quÊavec un genre aussi codifiĂ© que le western, ils pouvaient malgrĂ© tout aborder de maniĂšre originale et dĂ©calĂ©e cette histoire. Les enfants adoreront le hĂ©ros et ses acolytes, tandis que les adultes sÊamuseront des nombreuses rĂ©fĂ©rences placĂ©es pendant tout le film. Un film que lÊon vous conseille en VO bien sĂ»r, pour savourer la palette des accents que lÊon peut retrouver dans cette galerie de personnages dÊune petite ville perdue dans le dĂ©sert. Le 23 mars, Rango vous emmĂšne au Far West pour une chevauchĂ©e sauvage, tous en selle !

LÊAigle de la neuviĂšme lĂ©gion, de Kevin Macdonald Fans de Gladiator, Kaamelott et Apocalypto Ă  la fois ? Vous rĂȘviez dÊun film dĂŠĂ©poque mĂȘlant action, honneur, suspense, scĂšnes tribales ? Kevin Macdonald, rĂ©alisateur Ă©cossais pur jus, rĂ©alise votre rĂȘve. LÊAigle de la neuviĂšme lĂ©gion est le symbole mythique de la puissance romaine, perdue par les vaillants lĂ©gionnaires du 9e bataillon dĂ©cimĂ©s au combat par des Bretons plus sauvages et cruels que les Mayas imaginĂ©s par Mel Gibson (pourtant expert en sadisme). Le hĂ©ros tout en muscles interprĂ©tĂ© par Channing Tatum devra risquer sa vie pour retrouver cet aigle dÊor et regagner lÊhonneur de sa famille, grĂące Ă  lÊaide de son esclave jouĂ© par Jamie Bell, qui a bien grandi depuis Billy Eliott et King Kong. Un bon divertissement rythmĂ© et Ă©mouvant. Sortie le 20 avril

Bonobos, dÊAlain Tixier Ce film midocumentaire mi-fiction suit lÊitinĂ©raire de BĂ©ni, un petit bonobo capturĂ© par les hommes dÊun village, puis sauvĂ© par Claudine AndrĂ©, qui consacre sa vie Ă  la dĂ©fense de cet animal en voie de disparition. Ne vivant que dans une parcelle de jungle du Congo, les bonobos sont les singes les plus proches de lÊhomme. Ils sont connus dans le monde entier pour leur particularitĂ© : la gestion des conflits par des caresses. Cette espĂšce nÊen reste pas moins menacĂ©e. Le rĂ©alisateur choisit la voix off pour faire entrer les enfants dans lÊunivers des bonobos, mais les adultes ne bouderont pas leur plaisir. Beaucoup dĂŠĂ©motion et dÊamour pour un documentaire aux images magnifiques. Un film tendre et utile. Sortie le 30 mars LOUISA AMARA

56

LOUISA AMARA

L

es producteurs ont donc misĂ© sur la recette classique des films dÊanimation : des animaux Ăż humanisĂ©s Ćž, mais ceux-ci sont placĂ©s dans un dĂ©cor et une histoire inĂ©dits. CÊest plus quÊapprĂ©ciable lorsque lÊon voit Ă  quel point Hollywood se rassure en produisant surtout des suites de succĂšs existants (Shrek, Lʘge de glace, etc.). On choisit donc un hĂ©ros totalement barrĂ©, un camĂ©lĂ©on qui ne sait ni quÊil est, ni dÊoĂč il vient, crĂ©ant des amis imaginaires (des jouets non-parlants) pour se sentir moins seul. Ce camĂ©lĂ©on vivant dans un vivarium est projetĂ© tout Ă  coup dans le dĂ©sert du Mojave oĂč, bien sĂ»r, de nombreuses aventures vont lui arriver. Le coup de gĂ©nie des scĂ©naristes est aussi dÊavoir su garder constamment un second degrĂ© grĂące notamment aux chouettes mariachis, qui nar-

rent en chansons cyniques lÊhistoire de notre hĂ©ros. Un hĂ©ros sans nom, un homme qui sÊappelle personne⁄ Ça ne vous rappelle rien ? CÊest sans doute ce qui plaira le plus aux spectateurs adultes du film : les nombreuses rĂ©fĂ©rences aux westerns de Sergio Leone. On pense Ă  Clint Eastwood, Trinita, Lee Van Cleef, tous ces hĂ©ros mythiques qui ont fait lÊhistoire du western spaghetti. MĂȘme la musique y est. Les amateurs de western plus classique Ă  lÊancienne seront gĂątĂ©s aussi. On y retrouve les paysages, les chevauchĂ©es sauvages. Une histoire pleine de rebondissements, de lÊaction, du rire et surtout un Johnny Depp trĂšs inspirĂ© par son personnage. Lui qui peut ĂȘtre si agaçant quand il cabotine Ă  lĂŠĂ©cran, il peut ici donner toute la mesure de son talent teintĂ© de folie Ă  un hĂ©ros aussi excentrique que lui. Gore

RANGO De Gore Verbinski Film dÊaimation DurĂ©e : 1h40 Sortie le 23 mars 2011


57


C

zoom ciné © DisneyNature

Pollen, de Louie Schwartzberg

i n Ă© m a

Vaincre le quotidien sordide Les films sur le « noble art », ce n’est pas ce qui manque dans un genre balisĂ© au possible. Et pourtant, « Fighter » recĂšle en son sein la plus belle des qualitĂ©s : rĂ©injecter une Ă©nergie synonyme de nouveautĂ© dans une histoire maintes fois racontĂ©e. © PARAMOUNT PICTURES / METROPOLITAN

AprĂšs le gracieux Les Ailes pourpres, DisneyNature prĂ©sente sa nouvelle superproduction documentaire. Comme son nom lÊindique, Pollen explore les multiples voies de la reproduction horticole, quÊelle soit naturelle, Ă©trange, industrielle mais trĂšs souvent fascinante. Évidemment, la sonnette dÊalarme Ă©cologique est Ă  nouveau tirĂ©e en conclusion et le fond nÊa rien dÊoriginal et peut mĂȘme laisser un peu sur sa faim. Mais la beautĂ© des prises de vues est rĂ©ellement stupĂ©fiante au point que lÊamateur de docu animalier pourra difficilement esquiver ce rendez-vous Ă  la gloire de lÊingĂ©niositĂ© de la Vie vĂ©gĂ©tale Ă  trouver son chemin. Sortie le 16 mars

Rabbit Hole, de John Cameron Mitchell Becca et Howie avaient tout pour ĂȘtre heureux jusquÊà ce que leur jeune enfant meure renversĂ© par une voiture. Le couple essaie de se reconstruire. Non sans heurts. John Cameron Mitchell fut rĂ©vĂ©lĂ© par Hedwig and the Angry Inch et se rĂ©vĂšle un bon observateur du deuil douloureux de par la belle sensibilitĂ© quÊil dĂ©ploie dans sa mise en scĂšne. Mais ce sont surtout Nicole Kidman, Aaron Eckhart et Dianne West qui dĂ©livrent une performance collective remarquable de justesse. GrĂące Ă  eux, Rabbit Hole ne vire jamais geignard et sÊimpose par sa force mĂ©lodramatique pudique. Sortie le 13 avril

Hell Driver, de Patrick Lussier Une secte satanique a assassinĂ© la fille dÊun dĂ©nommĂ© Milton (tiens, tiens !). Pire, ils ont pris sa petite-fille afin de la sacrifier un soir de pleine Lune pour importer lÊenfer sur Terre. LorsquÊun divertissement bourrin sÊassume, cela donne un jubilatoire Hyper Tension. Sur ce plan, Hell Driver sÊannonce prometteur avec son vivier de ploucs rednecks, malgrĂ© une rĂ©alisation Ă  la ramasse. Sa plus grande erreur, hĂ©las, est de ralentir le tempo en tentant dĂŠĂ©toffer des personnages condamnĂ©s Ă  la caricature. Nicolas Cage apparaĂźt presque effacĂ© alors que son rĂŽle Ă©tait taillĂ© pour un de ses lĂ©gendaires cabotinages. Sortie le 23 mars JULIEN FOUSSEREAU

58

D

epuis longtemps, lÊacteur Mark Wahlberg rĂȘvait de chausser les gants de boxe de Micky Ward pour raconter son authentique parcours semĂ© dÊembĂ»ches avant lÊaccession au titre de champion du monde des poids welters en 2000. TrĂšs connu aux États-Unis, le destin de Micky Ward se rapproche de quelques mĂštres-Ă©talons du genre. On pense bien Ă©videmment Ă  Rocky pour cette Ă©ternelle trame trĂšs amĂ©ricaine de lÊoutsider venu de nulle part sÊimposant par la force de son labeur et ses crochets du gauche. Avec de telles bases, on redoute par avance la success story lĂ©nifiante. Mais la beautĂ© de Fighter rĂ©side dans sa volontĂ© farouche dÊassumer ses racines de drame prolĂ©taire, dans ce quÊelles ont de plus comiques, violentes, tendres et effrayantes. RĂ©vĂ©lĂ© par Les Rois du dĂ©sert, le rĂ©alisateur David O. Russell revient en force ici, ne serait-ce que dans le soin tout particulier quÊil attache Ă  dĂ©peindre lĂŠĂ©tat de dĂ©crĂ©pitude de Lowell, Massachusetts, ancien pĂŽle industriel du secteur textile amĂ©ricain malmenĂ© par la mondialisation. Par le biais dÊune mise en scĂšne Ă©nergique et inventive, le cinĂ©aste capte avec une lumiĂšre plate et peu flatteuse les ravages physiques et

sociologiques du chĂŽmage, de la pauvretĂ© et du crack. La premiĂšre de ces victimes sociales nÊest autre que Dicky Eklund, le demi-frĂšre et sparring-partner boiteux de Micky. SurnommĂ© Ăż la fiertĂ© de Lowell Ćž, Dicky fut autrefois un boxeur et un tacticien prometteur. NÊhĂ©sitant pas Ă  maigrir considĂ©rablement, Christian Bale se rĂ©vĂšle stupĂ©fiant dans la peau de cet Ă©gocentrique exaspĂ©rant, vĂ©ritable tragĂ©die ambulante capable de passer en quelques secondes du pathĂ©tique cartoonesque au cogneur implacable. € cela sÊajoutent Alice, une furie matriarche, et sept sïŹ‚urs dÊune vulgaritĂ© sans nom nourrissant une rancïŹ‚ur profonde Ă  lĂŠĂ©gard de Micky, au point de lui interdire dÊaller de lÊavant. ÉnoncĂ© en ces termes, Fighter pourrait ĂȘtre une entreprise dominĂ©e par la condescendance. Il nÊen est rien car le film ne perd jamais de vue la part dÊhumanitĂ© de ces protagonistes façonnĂ©s par leur environnement. Parce que le vrai combat de Fighter se situe dans leurs rapports quotidiens quant Ă  lÊavenir du champion en devenir, notamment entre Alice et Charlene, la compagne de Micky. CÊest dans ce jeu dÊopposition entre la fĂ©rocitĂ© de son entourage et la passivitĂ© de Micky que Fighter gagne aux

points. En cela, saluons la performance toute en retenue de Mark Wahlberg, Ă  lÊunisson avec la logique narrative du film : encaisser un maximum de coups en serrant les dents pour Ă©puiser lÊadversaire et saisir la moindre faille. Et son dĂ©fi personnel est de taille : se sortir du marasme sans abandonner les siens, ni se renier soi-mĂȘme. JULIEN FOUSSEREAU

FIGHTER De David O. Russell Avec Mark Wahlberg, Christian Bale, Amy Adams, Melissa Leo... Durée : 1h53 Actuellement en salles



C

zoom dvd

i n Ă© m a

© Universal Pictures

© Twentieth Century Fox France

Moi, moche et méchant

Au cours dÊun Ă©tĂ© 2010 Ă©crasĂ© par les sorties attendues du champion Toy Story 3 et du dĂ©cevant Shrek 4, Gru et ses acolytes Ă©taient parvenus Ă  se faire une place en empruntant une voie mĂ©diane : celle du grand Ă©cart entre la puretĂ© des sentiments Ă  la Pixar et lÊhumour grassouillet Ă  la Dreamworks. Si Moi, moche et mĂ©chant dĂ©roulait un cahier des charges prĂ©visible, il sÊen sortait grĂące aux minions, redoutables voleurs de scĂšne. Ces mĂȘmes minions qui surnagent Ă  nouveau dans lĂŠĂ©ditorial de ce DVD grĂące Ă  trois hilarants courts-mĂ©trages, vĂ©ritables bouffĂ©es dÊair frais dans une interactivitĂ© convenue. Un DVD Universal Pictures Video JULIEN FOUSSEREAU

Taking off Premier film du TchĂšque Milos Forman aux États-Unis, Taking off fut souvent considĂ©rĂ© comme un brouillon de Hair malgrĂ© son prestigieux Grand Prix glanĂ© Ă  Cannes en 1972. Pourtant, le film sÊavĂšre ĂȘtre une vĂ©ritable radiographie de son Ă©poque. Et pas la moindre : on sent derriĂšre les visages des hippies chantant LetÊs Get a Little Sentimental que les idĂ©aux utopistes et libertaires sont en train de mourir. Taking off en devient dÊautant plus Ă©mouvant. LÊexcellente restauration du film ainsi que les passionnantes interviews de Milos Forman et du scĂ©nariste Jean-Claude CarriĂšre travaillent Ă  la redĂ©couverte de ce petit bijou. Un Blu-ray Carlotta JULIEN FOUSSEREAU

Canaan Canaan Ăż tueuses nĂ©es Ćž, comme le prĂ©cise le sous-titre français, est une sĂ©rie animĂ©e japonaise au scĂ©nario trĂšs complexe, tel que les Japonais les adorent. InspirĂ© du Ăż visual novel Ćž, un type de jeux vidĂ©o interactif trĂšs prisĂ© lĂ -bas, Canaan plaira aux amateurs de complots internationaux et de jolies femmes. Les hĂ©roĂŻnes de cette sĂ©rie sont toutes des bombes anatomiques, mais il nÊy a quÊun dĂ©chaĂźnement dÊactions parfois violentes pour trĂšs peu dÊimages suggestives pour contenter le spectateur. Cela nous rappelle les hĂ©roĂŻnes des jeux et films Resident Evil ou Lara Croft. Un Ă©rotisme potentiel mis au service dÊun scĂ©nario Ă  la Heroes, un mĂ©lange qui plaira uniquement aux fans. En DVD ou Blu-ray KazĂ© LOUISA AMARA

60

La leçon de MaĂźtre Tsui Tsui Hark est l’incarnation mĂȘme du cinĂ©aste gĂ©nial n’ayant jamais Ă©tĂ© reconnu Ă  sa juste valeur. Alors que ses annĂ©es de gloire paraissaient lointaines, Tsui Hark effectue un comeback de conquĂ©rant avec « Detective Dee ».

O

n avait un peu perdu de vue Tsui Hark. Il faut dire quÊil avait laissĂ© des plumes dans son aventure Ă  Hollywood. Comme tout bon filmmaker hongkongais dĂ©barquĂ© dans la Mecque du cinĂ©ma occidental au milieu des annĂ©es 1990, il sĂŠĂ©tait farci le bizutage de rigueur : tourner avec un Jean-Claude Van Damme au top de sa cĂ©lĂ©britĂ© et du tout Ă  lÊego. Le rĂ©sultat fut le catastrophique Double Team et PiĂšge Ă  HongKong dissimulant Ă  peine un majeur tendu aux États-Unis. Son retour Ă  Hong-Kong fut Ă©tonnamment fracassant avec Time & Tide, certainement le film dÊaction le plus dĂ©lirant des annĂ©es 2000. LĂ , Tsui Hark, envoyait tout balader : histoire, dĂ©tails, cohĂ©sion, pour nous offrir les morceaux de bravoure les plus fous et conceptuels aperçus depuis des lustres. SÊil nÊa pas arrĂȘtĂ© de tourner depuis lors, il nÊa jamais retrouvĂ© ce niveau de folie maĂźtrisĂ©e⁄ ⁄JusquÊà lÊexcellente cuvĂ©e qui nous concerne aujourdÊhui et augurant du meilleur pour la dĂ©cennie Ă  venir. Detective Dee revĂȘt les atours du film de sabre chinois, le wu xia pian, implantĂ©s dans un contexte historique rĂ©el. En lÊan de grĂące 690, le couronnement de la future impĂ©ratrice Wu Zietan est imminent lorsque survient une

sĂ©rie de morts mystĂ©rieuses de sa garde rapprochĂ©e par combustion spontanĂ©e. Elle dĂ©cide alors dÊextraire le juge Di, fin limier et opposant dĂ©clarĂ©, afin quÊil mĂšne lÊenquĂȘte⁄ Le double effet Tsui Hark si dĂ©lectable dans ses plus grandes ïŹ‚uvres fonctionne ici Ă  plein : la subjugation basculant vers la sidĂ©ration. DĂšs le dĂ©part, le cinĂ©aste nÊa pas son pareil pour caresser la rĂ©tine avec une direction artistique somptueuse, sachant jouer des contraintes budgĂ©taires avec son savant alliage de dĂ©cors en dur et dÊimages infographiques. CÊest pourtant dans le dĂ©ploiement de sa mise en scĂšne sacrifiant tout sur les autels de la vitesse et lÊinventivitĂ© lors des scĂšnes dÊaction que Tsui Hark nous achĂšve. En effet, son sens de lÊespace et sa maestria du montage fusionnent parfaitement avec ses penchants prononcĂ©s pour le dĂ©tail incongru. Et il fait mouche Ă  chaque coup. Cependant, cette forme remarquable de lÊhomme derriĂšre des chefs dĂŠïŹ‚uvre comme The Lovers et The Blade serait moins percutante sÊil nÊy avait ce fond intrinsĂšquement nationaliste du wu xia pian quÊil pervertit en sous-marin. € lÊinstar dÊun confrĂšre comme Zhang Yimou et sa CitĂ© Interdite adoptant sagement Ăż la ligne du Parti Ćž, Tsui Hark semble prĂȘter allĂ©geance au pouvoir

chinois (dĂ©peint non sans ironie). Mais les motivations du Juge Li, marginal de gĂ©nie, ont moins Ă  voir avec lÊorientation politique quÊavec la rigueur morale et lÊhonneur Ă  lĂŠĂ©chelle individuelle. Affirmation discrĂšte dÊun rĂ©alisateur encerclĂ© par PĂ©kin mais dĂ©finitivement invaincu. JULIEN FOUSSEREAU

DETECTIVE DEE LE MYST˚RE DE LA FLAMME FANTƂME

De Tsui Hark, avec Andy Lau, Carina Lau, Bingbing Li... Durée : 123 min Sortie le 20 Avril



J

zoom

e u x

V

i d Ă© o

TOP SPIN 4 :

Les Nord-CorĂ©ens attaquent le Colorado ! Il faut dĂ©fendre la patrie⁄ On pense au film LÊAube rouge de John Milius. Normal, il est lÊinspiration principale de ce FPS. DÊune exĂ©cution exemplaire, Homefront est un cousin anticommuniste de Call of Duty avec tout ce que cela implique : une libertĂ© dÊaction trĂšs limitĂ©e Ă  cause dÊun dĂ©roulement balisĂ©. Un aspect contrebalancĂ© par des passages dÊune intensitĂ© indĂ©niable impliquant une gestion restreinte des armes et munitions. On apprĂ©ciera le dĂ©corum trĂšs eco-friendly par endroits. Beau paradoxe pour un jeu qui sulfate plutĂŽt pas mal.

RETOUR GAGNANT

Taper la balle jaune avec son pad frustrait Ă  force de choisir entre l’école arcade fun et instinctive, contre celle de la progression rĂ©aliste et exigeante
 jusqu’à la synthĂšse « Top Spin 4 », rendant justice comme jamais Ă  la beautĂ© dramaturgique du tennis.

© 2K SPORTS

© THQ

Homefront THQ

Disponible sur Xbox 360, Playstation 3, PC

Emergency 2012 Deep Silver La franchise allemande de stratĂ©gie revient avec toujours le mĂȘme mot dÊordre par rapport Ă  la concurrence : secourir plutĂŽt que dĂ©truire. SacrĂ© challenge pour ce nouvel opus puisquÊil faudra, en mode solo, coordonner les interventions dÊune brigade de sauvetage dans 12 scĂ©narios catastrophiques annonciateurs de la fin du monde, de Londres Ă  Moscou en passant par Berlin. Rien de moins⁄ Emergency 2012 rĂ©serve son lot de surprises plutĂŽt plaisantes dans lÊensemble. On regrettera juste les limites de lÊintelligence artificielle, Ă  la fois chez les sauveteurs et les victimes. Reste le plaisir de sÊadonner au tourisme Ăż catastrophe ƾ⁄ Disponible sur PC

© TRION WORLDS

Rift Trion Worlds

Dans la jungle des jeux de rĂŽles massivement multijoueur (ou MMORPG), Rift pourrait bien jouer des coudes entre les rĂ©fĂ©rences que sont World of Warcraft et Warhammer. Il faut dire quÊil emprunte beaucoup aux titres prĂ©citĂ©s en combinant leurs atouts intelligemment. Dans un territoire de jeu visuellement superbe et de taille respectable, le clan des Gardiens et celui des RenĂ©gats sÊaffrontent et, de temps Ă  autre, sÊen vont refermer des failles malĂ©fiques recrachant des monstruositĂ©s lovecraftiennes. Rift est Ă©galement bien fourni cĂŽtĂ© quĂȘtes parallĂšles et sÊannonce comme un bon cru pour les rĂŽlistes en tout genre. Disponible sur PC JULIEN FOUSSEREAU

62

A

vec un segment et un gros pixel Ă  renvoyer vers un autre trait adverse, Pong sÊimposait en 1972 comme la matrice premiĂšre du jeu vidĂ©o grand public. Du minimalisme originel, le tennis vidĂ©oludique sÊest peu Ă  peu Ă©toffĂ© au grĂ© des Ă©volutions technologiques. Ce nÊest vraiment quÊau cours de la derniĂšre dĂ©cennie que le genre acquit une nouvelle dimension avec Virtua Tennis 2, Top Spin, ou Dream Match Tennis Pro, shareware plus underground sur PC. Le premier ravissait pour lÊinstantanĂ©itĂ© et la percussion de sa prise en main, tandis que les deux autres empruntaient la voie du rĂ©alisme technique. NĂ©anmoins, ces trois jeux avaient tous en commun la volontĂ© de reproduire la scĂ©nographie des compĂ©titions retransmises dans la petite lucarne en sÊefforçant dÊy intĂ©grer ses acteurs et thĂ©Ăątres les plus actuels ou mythiques. € sa maniĂšre, Top Spin 4 pourrait ĂȘtre la parfaite synthĂšse de tout cela. Pour ces raisons, Top Spin 4 fascine parce quÊil se joue autant quÊil se regarde. Ou quÊil sĂŠĂ©coute : les rĂ©actions du public vĂ©hiculent un large Ă©ventail de sentiments par leurs nuances et participent Ă  la montĂ©e dÊadrĂ©naline et dÊanxiĂ©tĂ© avant un point capital. Cette touche sonore va de pair avec un mimĂ©-

tisme tĂ©lĂ©visuel dans les ralentis et les effets ostentatoires de montage entre deux points. Le gameplay est Ă  lÊimage de cette mise en scĂšne. Bien que la maniabilitĂ© ait Ă©tĂ© simplifiĂ©e par rapport au prĂ©cĂ©dent volet, il nÊen demeure pas moins trĂšs technique. Se reposant autant sur un bon timing au rebond que sur le placement par rapport Ă  la balle, ce dernier sÊavĂšre plaisant Ă  maĂźtriser Ă  mesure que lÊon progresse dans le mode carriĂšre. Car lÊintelligence artificielle peut sÊavĂ©rer redoutable au point que le jeu stratĂ©gique et construit devient nĂ©cessaire Ă  la victoire. La Ăż banque de coachs Ćž peut fournir des solutions en dĂ©veloppant certaines caractĂ©ristiques de jeu trĂšs spĂ©cifiques (attaque au filet, volĂ©e, amorti, etc.) au dĂ©triment dÊautres (puissance, dĂ©fense de fond de court) ; un point essentiel qui Ă©vacue de facto la question du joueur surhumain. Et le joueur aura fort Ă  faire face Ă  de sacrĂ©s coriaces, contemporains comme vintages. En effet, Top Spin 4 aligne une sĂ©lection impressionnante de 25 joueurs et abandonne sa politique contreproductive dÊexclusivitĂ©s rĂ©servĂ©es Ă  certaines consoles. Federer, Nadal, Djokovic, Agassi, Sampras⁄ les meilleurs rĂ©pondent tous prĂ©sent, impressionnants quÊils sont de par leur

gestuelle et modĂ©lisation (malgrĂ© quelques petites traces dÊaliasing). Avec une telle patine, lĂŠĂ©diteur 2K Sports offre la plus belle des illusions en simulation sportive : celle dÊinfluer sur le direct tĂ©lĂ©visĂ© pour mieux refaire le match. JULIEN FOUSSEREAU

TOP SPIN 4 2K Sports Genre : simulation sportive Disponible sur Xbox 360, PS3 et Wii



J

zoom © NAMCO BANDAI

Yoostar 2 ! Namco Bandai

e u x

V

i d Ă© o

LA NINTENDO 3DS ET LE RELIEF : une splendeur Ă  venir ?

Prendre la place dÊune star dans son film favori. Un rĂȘve que Yoostar 2 et les capteurs vidĂ©o rendent dĂ©sormais possible en insĂ©rant le joueur dans un extrait cĂ©lĂšbre. Ce dernier peut choisir de suivre le texte en respectant dĂ©bit, intonation et gestuelle Ă  lÊaide dÊun systĂšme de jeu similaire Ă  Guitar Hero ou, au contraire, dÊimproviser. Yoostar 2 se joue idĂ©alement Ă  plusieurs avec ses options de diffusions sur les rĂ©seaux sociaux. Et avec 80 films, plus 100 en tĂ©lĂ©chargement le jour de la sortie, sans compter un rafraĂźchissement hebdomadaire, il y aura largement matiĂšre Ă  sÊimproviser Marlon Brando du dimanche.

Avec le renouvellement de son parc de consoles, 2011 est une annĂ©e cruciale pour Nintendo. Les hostilitĂ©s dĂ©buteront le 25 mars prochain avec la 3DS, nouvelle console portable annoncĂ©e comme rĂ©volutionnaire. Nous avons jaugĂ© la bĂȘte.

Disponible sur Xbox 360 et Playstation 3 Move

Marvel Vs Capcom 3 : Fate of Two Worlds Capcom Attendu depuis des annĂ©es par les fanatiques de baston homĂ©rique accros aux combos percutants et dĂ©vastateurs, Marvel vs Capcom revient pour un troisiĂšme Ă©pisode. Entre temps, Street Fighter IV et ses animations en volumes dans un gameplay en 2D est passĂ© par lĂ . Cela se ressent dans lÊesthĂ©tique impressionnante qui se conjugue parfaitement Ă  un style de jeu frĂ©nĂ©tique et furieux. Le casting des combattants bĂ©nĂ©ficie dÊun Ă©quilibre salutaire. Quelques ombres noircissent le tableau tout de mĂȘme, comme un mode arcade un peu court et une ergonomie mal finalisĂ©e en on line. Disponible sur Xbox 360 et PS3

Nickelodeon Fit 2K Play Marre que votre marmaille gesticule et hurle dans tous les sens ? Rangez votre ritaline et mettez-la donc devant Nickelodeon Fit ! Dora lÊexploratrice, Go Diego, Kai-Lan et les Melodilou lui intimeront lÊordre de remuer les bras avec sa Wiimote et le reste du corps sur la Wii Board Ă  travers des simulations de course Ă  pied, dÊaviron, de concours de corde Ă  sauter ou de hula hoop. On pourra reprocher Ă  Nickelodeon Fit dÊĂȘtre assez laid et parfois imprĂ©cis dans sa captation des mouvements. Mais sa contribution Ă  lĂŠĂ©puisement physique des enfants hyperactifs les plus pĂ©nibles le rendrait presque inestimable. Disponible sur Wii JULIEN FOUSSEREAU

64

CI-CONTRE : MOD˚LE ÿ BLEU LAGON ƾ

L

orsque lÊon prend en main la 3DS, on est surpris par sa lĂ©gĂšretĂ©, embarquant dans 226 grammes un concentrĂ© de technologie de pointe ; la plus spectaculaire est Ăż lÊauto-stĂ©rĂ©oscopie Ćž, offrant la possibilitĂ© de jouer en relief sans lunettes polarisĂ©es. ParamĂ©trable via un curseur, voire carrĂ©ment verrouillable par un accĂšs parental, lÊautostĂ©rĂ©oscopie est dĂ©conseillĂ©e aux moins de sept ans. Une recommandation que lÊon comprend aisĂ©ment dans la mesure oĂč la domestication de lÊeffet se fait non sans mal. GĂ©nĂ©rĂ© Ă  partir de lĂŠĂ©cran supĂ©rieur affichant 800 x 240 pixels, lÊeffet 3D attribue 400 pixels Ă  chaque ïŹ‚il une fois activĂ©... mais nĂ©cessite surtout un alignement parfait entre le joueur et la console, sous peine de maux de tĂȘte. Ăż Une question dÊhabitude... Ćž, nous dit-on. On demande Ă  voir sur le long terme. La derniĂšre Nintendo se montre nĂ©anmoins bluffante, ne serait-ce quÊavec les logiciels prĂ©installĂ©s, tels ces mini-jeux en rĂ©alitĂ© augmentĂ©e se jouant avec des cartes spĂ©ciales que lÊon pose sur une surface plane. LĂ , en visant la carte avec la 3DS, un dragon peut apparaĂźtre dans notre quotidien et il faudra le dĂ©truire par le tir de prĂ©cision au risque de faire des trous dans les

murs. CÊest avec ce genre de jeux rigolos que lÊon prend conscience de la puissance de calcul de la 3DS. On annonce Ă©galement un accĂšs Wi-Fi simplifiĂ© pour entrer de plain pied dans le jeu en rĂ©seau communautaire et une boutique en ligne enrichie. Une puissance qui se paye par une faible autonomie. CĂŽtĂ© jeux, seules une vingtaine de dĂ©mos limitĂ©es furent accessibles lors du test. Toutefois, on constatera que les progrĂšs quant au rendu graphique sont lĂ . Le toilettage Zelda : Ocarina of Time est dÊune beautĂ© confondante ; il en va de

mĂȘme avec Super Street Fighter IV, deux jeux qui bĂ©nĂ©ficient Ă  plein de lÊarrivĂ©e du Slide Pad, stick analogique sur 360 degrĂ©s remplaçant cette croix multidirectionnelle peu commode pour la maniabilitĂ© nextgen (on regrette dÊailleurs lÊabsence dÊun deuxiĂšme stick de visĂ©e pour les FPS). Steel Diver, jeu de torpillage sous-marin, propose un gameplay corporel grĂące aux propriĂ©tĂ©s gyroscopiques de la console. Pourtant, le jeu le plus prometteur se rĂ©vĂšle ĂȘtre Kid Icarus Uprising, rail shooter impressionnant dans son dĂ©lire visuel et son usage dĂ©mentiel du relief. Le pari de Nintendo est risquĂ© dans le sens oĂč la firme a laissĂ© pendant des annĂ©es Microsoft et Sony occuper le premier plan des avancĂ©es high-tech pour mieux tirer les marrons du feu en jouant la carte des jeux de soirĂ©es ou occasionnels. Rien que pour ses capacitĂ©s prometteuses, on souhaite que la 3DS trouve son public et que les versions annuelles Ă  venir corrigent les dĂ©fauts prĂ©citĂ©s. DÊautant quÊelle aura fort Ă  faire avec lĂŠĂ©mergence des constructeurs de smartphones, friands dÊapplications jeux vidĂ©o, ces derniers disposant dÊun potentiel de mises Ă  jour supĂ©rieur. JULIEN FOUSSEREAU

LA 3DS REND AUSSI LES DENTS PLUS BLANCHES

c Console fournie avec une station de recharge, un bloc dÊalimentation, une carte SD 2Go, un stylet et six cartes de rĂ©alitĂ© augmentĂ©e. Prix indicatif : 250 €


S

t r i p s

&

P

l a n c h e s

BOUTANOX : ne confondez pas le manchot et le pingouin ! Le pingouin vole et vit en Arctique. Le manchot ne vole pas et vit en Antarctique. Celui-ci est un manchot et vit en Arctique, mais c'est un exemplaire unique... heureusement. Voir aussi : http://boutanox.blogspot.com/

FABCARO ne nous permettra pas de laisser vierge cet espace de prĂ©sentation situĂ© Ă  gauche de son strip, car cela ferait un blanc trop important et nÊimporte qui pourrait gribouiller Ă  cet endroit, y coucher ses pensĂ©es les plus infĂąmes, ou mĂȘme dessiner une case supplĂ©mentaire au gag, en singeant son style pourtant inimitable.

65


zoom

S

t r i p s

&

P

CitĂ© dÊla Balle,T.2, de Relom OĂč lÊont suit les pĂ©rĂ©grinations de cinq lascars de la citĂ©, cette fois-ci condamnĂ©s Ă  aller dans un centre de rĂ©habilitation Ă  (oh mon Dieu, non !) la campagne. Leur mĂ©fait : ils ont fait sauter – par inadvertance – un commissariat de police. Le dessin caricatural rappelle au dĂ©part un peu Vuillemin ou les Freak Brothers, mais Ă©volue et sÊaffine vite. Tout ceci pourrait ĂȘtre bien naze, mais en fait, cÊest vraiment succulent et trĂšs drĂŽle. Fin, bien observĂ©, avec des dialogues trĂšs enlevĂ©s, voici un futur classique. CÊest un peu comme si on lisait la nouvelle gĂ©nĂ©ration de banlieusards façon Franck Margerin, 30 ans aprĂšs.

Le Lombard, 48 p. coul., 11,95 € OLIVIER THIERRY

Dengeki Daisy,T.1 Ă  4, de Motomi Kyousuke Teru, une jeune lycĂ©enne, vient de perdre son frĂšre. Sur son lit de mort, celui-ci lui donne seulement un tĂ©lĂ©phone portable avec lÊadresse mail de Ăż Daisy Ćž.Qui est cette personne ? Teru lÊignore. € vrai dire, la seule chose qui lÊintĂ©resse, cÊest le rĂ©confort que lui procurent les mails de Daisy. Cependant, cela risque de ne pas suffire, surtout lorsquÊapparaĂźt dans son environnement Kuroski, le jeune gardien du lycĂ©e, qui va quelque peu perturber la vie de Teru.VoilĂ  un shĂŽjo qui sort du lot grĂące Ă  des intrigues bien ficelĂ©es, mĂȘlant Ă  la perfection Ă©motion et suspense. Avec son petit cĂŽtĂ© obscur, ce manga attirera Ă  coup sĂ»r les moins fans du genre.

KazĂ©, coll. shĂŽjo, pages n&b, 6,50 € AUDREY RETOU

Petite Histoire des colonies françaises,T.4, La Françafrique, de GrĂ©gory Jarry et Otto T. Vous pensiez que lÊhistoire des colonies françaises sÊarrĂȘtait Ă  la DĂ©colonisation ? CÊest en effet ce quÊon enseigne au lycĂ©e : la France rapatrie ses ressortissants, et devient un partenaire Ă©conomique de ses anciennes colonies, devenues États souverains. Et ensuite ? Ensuite, cÊest la Ăż Françafrique Ćž : un systĂšme organisĂ©, consistant Ă  apporter un petit coup de pouce ici ou lĂ , pour favoriser tel clan ou personnalitĂ© favorable Ă  la France ou aux compagnies françaises. Et quand le coup de pouce sÊaccompagne dÊune guerre civile ou dÊun gĂ©nocide ? Militant, partisan, cet ultime tome de la Petite Histoire des colonies françaises ? Peut-ĂȘtre. Mais quelle leçon !

FLBLB, 128 p. bichromie, 13 € JÉRƂME BRIOT

66

LES DÉZINGUEURS : Dignes successeurs de la sĂ©rie TV Les TĂȘtes brulĂ©es, les DĂ©zingueurs vous mitraillent de gags, pour le plus grand bonheur des fans dÊaviation. Les DĂ©zingueurs T.2 : Coureurs de Nippons © Bamboo Édition 2011 – Barbaud et Richez

l a n c h e s





zoom

o n u s

Z

o o

© SONY ONLINE ENTERTAINMENT

© ANUMAN INTERACTIVE

Blake & Mortimer : La Malédiction des 30 deniers Anuman Interactive

B

WORLD OF DC

Dans une industrie du jeu vidĂ©o toujours plus sophistiquĂ©e, Anuman Interactive opte pour une ligne claire fĂ©dĂ©ratrice en adaptant le dernier diptyque de Blake & Mortimer. Une fois que lÊon accepte le parti pris esthĂ©tique de mise en scĂšne de personnages dessinĂ©s dans des dĂ©cors photorĂ©alistes, son charme simple agit sans mal. Il est essentiellement question de trouver des objets dans un temps imparti entre quelques mini-jeux. GrĂące au bon usage de la parallaxe et une interface intuitive, Blake & Mortimer⁄ est un petit modĂšle de jeu universel, de 7 Ă  77 ans. Disponible en tĂ©lĂ©chargement sur Iphone, Ipad

Pokemon version noire Nintendo La confrĂ©rie des mordus de RPG typiquement nippons va ĂȘtre aux anges. Avec le dernier jeu Pokemon ? Vraiment ? Oui. Mille fois oui. Certes, ce ne sera pas forcĂ©ment la tasse de thĂ© de tous les gamers. Mais force est de reconnaĂźtre que Nintendo a bousculĂ© ses habitudes en orientant le dernier-nĂ© de sa trĂšs lucrative saga de jeu de baston stratĂ©gique en un jeu de rĂŽle naĂŻf et trĂšs exhaustif. Mais ce sont surtout les possibilitĂ©s offertes en Wi-Fi par le Ăż PokĂ©mon Global Link Ćž, sorte de rĂ©seau social entiĂšrement dĂ©diĂ© aux monstres de combat, qui laissent rĂ©ellement bouche bĂ©e. Un must pour les initiĂ©s. Exclusivement sur DS

© ACTIVISION

Lego Star Wars III Activision

SituĂ© pendant la sĂ©rie animĂ©e Clone Wars, ce troisiĂšme volet reconduit son cĂ©lĂšbre humour Ă  base de borborygmes dans un jeu dÊaction / aventure ultra scriptĂ©. Mais cette fois, on est rĂ©ellement impressionnĂ© par un sens Ă©pique se dĂ©gageant de certains tableaux contenant des centaines de personnages. LÊautre nouveautĂ© est le recours au split screen en mode coopĂ©ration et en solo. En effet, dans certains niveaux les protagonistes dĂ©marrent Ă  des points opposĂ©s et le joueur devra alterner entre lÊun et lÊautre afin de remplir sa mission. Le fun est dĂ©cidĂ©ment avec cette franchise. Le 25 mars sur PC, Xbox 360, PS3, Wii, PSP, DS, 3DS JULIEN FOUSSEREAU

70

BD, cinĂ©ma, jeux vidĂ©o, les super-hĂ©ros ont le vent en poupe dans leur cape ces derniers temps. Ce n’est donc pas une surprise si au multivers des MMO vient s’ajouter celui des DC Comics. Alors hĂ©ros ou vilain, ĂȘtes vous prĂȘt Ă  rĂ©veiller le pouvoir qui sommeille en vous
 et dans votre manette ?

DC

Universe Online est le premier jeu MMO (permettant Ă  un grand nombre de personnes dÊinteragir simultanĂ©ment dans un monde virtuel persistant, cÊest-Ă -dire qui continue Ă  Ă©voluer lorsque le joueur nÊest pas connectĂ©) de super-hĂ©ros Ă  reprendre une licence existante bien connue des lecteurs de comics. En outre, DC Universe Online a pu compter sur le talent du dessinateur Jim Lee pour garantir lÊauthenticitĂ© de lÊunivers des comics originaux, et ainsi sÊappuyer sur lĂŠïŹ‚uvre publiĂ©e par les Ă©ditions DC Comics depuis 75 ans. Ainsi, on y retrouve moult super-hĂ©ros et vilains (de Superman Ă  Batman et de Lex Luthor au Joker, en passant par Green Lantern ou encore Sinistro), qui vont sÊaffronter dans des lieux mythiques comme Gotham City ou Metropolis. Le synopsis dÊintroduction est particu-

liĂšrement bien trouvĂ© : dans un futur alternatif qui a vu lÊannihilation de la Justice League of America par Lex Luthor et ses sbires, Brainiac, entitĂ© extraterrestre omnipotente, dĂ©barrassĂ© des principaux dĂ©fenseurs de la Terre, profite du chaos ambiant pour asservir la race humaine... Des Terriens vont acquĂ©rir des pouvoirs, et comme vous lÊavez sĂ»rement devinĂ©, lÊun de ces supers-hommes, cÊest vous. LÊinterface de crĂ©ation de votre personnage va vous permettre de gĂ©nĂ©rer de toutes piĂšces votre hĂ©ros ou votre vilain, aussi bien en termes de design (sexe, apparence, origine, accoutrement⁄) quÊau niveau de ses superpouvoirs (feu, glace, magie, techno⁄) ainsi que de sa façon de se dĂ©placer (acrobatique comme Spider-Man, en volant façon Superman, ou en courant Ă  grande vitesse Ă  la Flash...). Une fois votre avatar peaufinĂ©, vous vous retrouvez plongĂ© en

3

1

plein cïŹ‚ur de lÊaction oĂč il va falloir faire vos preuves Ăż façon comics Ćž dans ce monde de brutes, car nÊest pas superhĂ©ros qui veut, et encore moins supervilain. MĂȘme si les graphismes ne sont pas de toute derniĂšre gĂ©nĂ©ration, il faut bien avouer que de se battre aux cĂŽtĂ©s des nos hĂ©ros (ou vilains) prĂ©fĂ©rĂ©s en plein cïŹ‚ur de Gotham, avec le Bat Signal en fond se reflĂ©tant sur le plafond nuageux, a quelque chose de magique. Cela dit, une fois lĂŠĂ©merveillement passĂ©, on retrouve trĂšs vite les mĂ©canismes classiques et souvent rĂ©pĂ©titifs de progression de tout bon MMO basĂ© sur le levelling et les challenges sous forme de quĂȘtes Ă©chafaudĂ©es par les auteurs de DC Comics. CĂŽtĂ© gameplay, DC Universe Online propose une approche immĂ©diate, jouabilitĂ© console oblige (cÊest le premier MMO dĂ©veloppĂ© pour la PlayStation 3), avec des accĂšs aux commandes simplifiĂ©s, bien loin des habituelles barres dÊaction Ă  rallonge convenant plutĂŽt aux claviers dÊordinateur. On notera quand mĂȘme une volontĂ© de tirer profit de la physique en laissant au personnage la possibilitĂ© dÊinteragir sur les objets de lÊenvironnement : on pourra ainsi jeter des voitures, ou encore geler nos adversaires, puis envoyer les blocs de glace ainsi obtenus se fracasser sur les murs. Sans rĂ©volutionner le genre, DC Universe Online pourrait bien trouver sa place dans le monde cruel des MMO en fĂ©dĂ©rant une communautĂ© de joueurs fans des univers DC, dĂ©sireux de retrouver les sensations procurĂ©es par leurs BD favorites. Le jeu vous demande nĂ©anmoins de vous acquitter dÊun abonnement mensuel dÊune douzaine dÊeuros, lĂŠĂ©diteur ayant optĂ© pour un modĂšle Ă©conomique payant au dĂ©triment dÊun choix Free To play. LAURENT FOUCHER

DC UNIVERSE ONLINE Sony Online Entertainment Genre : MMO / Beat'em all / jeu de rĂŽle Disponible sur PlayStation 3




Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.