Une saison en Guyane n°22

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Latino

La passion des pikolèts

En Colombie, dans la vallée del Cauca Destins péruviens La Crique, un quartier aux couleurs dominicaines

Littoral

Envasement, submersion, comment évoluent les côtes guyanaises?

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n°22 - mai 2019

Science



édito

fin de saison

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Rivages guyanais -Photos P-O Jay

’aventure a commencé il y a onze ans. Onze ans au cours desquels le talent de nos multiples contributeurs, venus d’horizons divers, a rencontré la curiosité et la fidélité des lecteurs pour cheminer de saison en saison jusqu’à ce vingt-deuxième numéro. Il fallait un grain de folie pour imaginer qu’un journal papier pourrait s’installer durablement dans le paysage éditorial guyanais et hexagonal! La richesse du patrimoine naturel et culturel de la Guyane est telle que la difficulté a plutôt toujours été de choisir les sujets que nous allions privilégier à chaque édition… Ce n’est certes pas le manque d’inspiration qui nous conduit aujourd’hui à mettre fin à la saisonnalité d’Une saison en Guyane. Si Une saison en Guyane peut s’enorgueillir d’une mission quasi publique de valorisation du territoire, notre journal n’en est pas moins une entreprise ! Le revenu des insertions publicitaires est indispensable à notre bon fonctionnement, pour compléter les ventes unitaires de nos exemplaires et les abonnements. Mais dans un univers guyanais dominé par les monopoles et les institutions, force est de constater que notre modèle économique est de plus en plus précaire. Il est donc temps de “ rebondir” et d’expérimenter une nouvelle équation pour continuer d’offrir à nos lecteurs des reportages pour comprendre et s’émerveiller. C’est pourquoi, après ce vingt-deuxième numéro, Une saison en Guyane deviendra une publication à parution non régulière. C’est loin d’être la fin de la route, plutôt une nouvelle “ saison” qui s’ouvre à travers de futurs hors séries thématiques (celui sur la commune d’Awala Yalimapo paraîtra en début de saison sèche), des publications avec lesquelles nous pourrons remplir nos engagements auprès des abonnés. En même temps, dans le creuset de cette riche expérience, nous souhaitons écrire une nouvelle histoire avec vous, qui s’incarnera dans notre nouveau trimestriel Boukan, le courrier ultramarin. Pour ce numéro 22 forcément “ collector”, nous avons voulu plus que jamais être fidèles à nos traditions. C’est ainsi que nous avons choisi de développer deux thèmes, aux rythmes de la Nature & des Hommes. Le premier explore les origines des Guyanais hispanophones, venus du Pérou, de Colombie, ou de République dominicaine. Le second dossier, réalisé par un groupe de scientifiques, s’intéresse à notre littoral, à son étonnante mobilité, à sa vulnérabilité, alors que le niveau de l’océan promet de monter dans le courant du siècle. Tous ces dossiers, ces sujets et ces rubriques, réalisés par une foule d’auteurs & quantité de photographes, ont constitué l’âme, le carburant, la colonne vertébrale d’Une saison en Guyane. Il s’agit d’une formidable masse d’information, sur le papier, sur Internet, des écrits qui resteront, je l’espère, et contribueront à enrichir la connaissance de notre territoire. Merci donc encore à tous les auteurs pour leur création, et à tous les lecteurs pour leur passion ! Logo Final

Pierre-Olivier Jay - Rédacteur en chef

Avec

le

soutien de

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Sommaire 4 | Journal des Guyanes

8 | Les Bruits de la forêt

Dossier latino 12 | De Valle del Cauca à Cayenne

Histoires des Colombiens de Guyane

36 | Mamilihpan 44 | Urubu noir, un corbeau

50 | Les sentinelles des criques

chez les vautours

68 | Réchauffement climatique

78 | Vessies d’acoupa, vers une révolution de la pêche côtière

74 | Le pétrole au large de la Guyane Une saison en

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86 | La passion des Pikolèt


10 | Les chroniques de Doc Lucho

20 | Lima-Manaus-Cayenne Destins péruviens

28 | De St-Domingue à la Crique,

un quartier aux couleurs dominicaines

Dossier littoral

56 | Le littoral guyanais, un territoire à risque

92 | Spatial. BepiColombo, en route pour Mercure

108 | Livres

110 | BD

62 | Habiter les cordons sableux du littoral

66 | Entre Amazone et Orénoque, la côte la plus dynamique du monde

98 | Portfolio Arts graphiques La nouvelle vague guyanaise

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Journal

des Guyanes

Développement en Amazonie :

et si Bolsonaro ouvrait une troisième voie ? Selon Ismael Nobre, coordinateur environnemental de l’équipe de transition de Bolsonaro, le meilleur moyen de préserver la forêt est d’en faire un business rentable en utilisant les nouvelles technologies. Avec son frère, Carlos, chercheur à l’Institut national de la recherche spatiale (INPE), il travaille sur un projet ambitieux : la “ Terceira Via Amazônica ”. [BBC Brasil - Extraits] ▼ Port de Ver-o-Peso, Belém 2017. Photo de P-O Jay.

Plusieurs initiatives sont déjà en cours : la société de cosmétiques Natura, le fabricant de caoutchouc Mercur, la société de bois durable Amata ou encore Natex, qui produit des préservatifs dans l’Acre. Mais cela ne signifie pas pour autant que le gouvernement n’a pas à agir pour ralentir le rythme de la déforestation. « En Amazonie, le déboisement concerne essentiellement des terres publiques qui n’ont pas encore été attribuées. Autrement dit, des terres qui ne sont ni des territoires autochtones, ni des réserves environnementales, ni des domaines privés. Cela représente 700 000 km2 », explique Luís Fernando Guedes Pinto de l’Institut de gestion et de Certification forestière et agricole (Imaflora). La politique foncière de l’état est essentielle pour protéger la forêt.

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elon les penseurs de la « Troisième Voie amazonienne », le meilleur moyen de préserver la forêt ne consiste pas à la livrer à l’élevage et à la culture du soja ni à créer des réserves écologiques « inutiles » pour ses habitants. Les deux frères Nobre, associés à d’autres chercheurs, proposent une voie intermédiaire pour mieux tirer profit de la biodiversité forestière. Ismael, biologiste à l’Université fédérale de São Carlos, prend l’exemple de l’açaí : « L’açaí s’est développé en dehors de l’Amazonie par hasard lorsque deux surfeurs en vacances dans la région ont goûté et adoré. Qu’attendonsnous pour valoriser d’autres produits de ce type ? » Sachant que cette filière représente actuellement environ 1,6 milliard U$ par an. Des centaines d’espèces indigènes à forte valeur ajoutée ont déjà été identifiées comme le piment cumaru, l’huile d’andiroba, l’herbe aromatique priprioca, Une saison en

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des produits connus des communautés autochtones et traditionnelles, mais insuffisamment exploités. «  L’étape suivante consiste à former les populations locales et à installer les chaînes de production », poursuit Ismael. En ayant recours aux nouvelles technologies, imprimantes 3D et drones de transport, pour transformer et écouler à petite échelle les produits. «  Il s’agit d’unir biodiversité et technologie au cœur de l’Amazonie en y incluant les petites et moyennes villes. » La Troisième Voie permet de changer de paradigme [concentration de la production industrielle dans les grands centres urbains] en éliminant les intermédiaires avec un produit fini ou semi-fini, et fabriqué par les populations forestières. L’exploration du potentiel économique de la forêt sera un facteur clé de sa préservation, selon les chercheurs.

L’agrobusiness en embuscade Des expériences pilotes sont prévues sur le terrain dès 2019 avec le lancement des « Laboratoires créatifs de l’Amazonie », des camps de recherche et de formation pour les populations locales. Le financement se fera sur des fonds privés, principalement des fonds d’investissement sociaux. Mais aujourd’hui on ignore encore quelle sera la politique environnementale du nouveau gouvernement. La mise en place de la Troisième Voie est suspendue à la nomination du futur ministre de l’Environnement qui, selon Bolsonaro, doit au préalable obtenir l’approbation de la future ministre de l’Agriculture, Tereza Cristina, cheffe de file des ruralistes, front parlementaire lié à l’agrobusiness… Source : «  Governo Bolsonaro  : o que defende o coordenador ambiental do time de transição », 21/11/18, BBC Brasil.


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AMAZONIE

UNE FORÊT HABITÉE

EXPOSITION

www.museum.toulouse.fr Une saison en

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Rubrique par Marion Briswalter

Les Bruits

de la forêt

L’Amazonie colombienne a des droits Alors que la Colombie s’est engagée ces dernières années sur la scène internationale à combattre la destruction de sa forêt, les dernières statistiques évoquent une accélération du phénomène de « 44 % entre 2015 and 2016 » rapporte Dejusticia. Cette organisation non gouvernementale colombienne a obtenu, grâce à l’action en justice de 25 enfants, ados et jeunes adultes du pays, que Bogotá présente un vrai plan de sauvegarde de l’Amazonie. La Cour suprême de justice a en effet condamné le gouvernement le 5 avril 2017 au motif que la déforestation et ses dommages collatéraux comme la participation au dérèglement climatique mettent en péril le bien-être des générations actuelles et futures. La Cour est allée plus loin en reconnaissant l’Amazonie comme une “ entité ” titulaire de “ droits ”. Cette décision s’ajoute à une jurisprudence internationale en matière de climat et d’environnement qui vise à reconnaître des droits aux écosystèmes et l’obligation qu’ont les états à les respecter.

▲Cosse de Cacao de Guyane dans un laboratoire du CIRAD. Kourou. Photo P-O Jay- 97PX

La «Cosmetic valley» s’implante en Guyane La collectivité territoriale de Guyane a signé un accord en octobre avec la “ Cosmetic Valley”, technopole du Val de Loire spécialisée dans les parfums et la cosmétique. Cet accord encadre un futur «programme de recherche et de développement» destiné à «identifier» des actifs végétaux naturels présents dans les écosystèmes guyanais. Cela signifie que la Cosmetic pourra orienter ses recherches vers des familles de plantes ou groupes d’espèces rencontrés en Guyane et connus pour leurs vertus. Ou alors, les chercheurs glaneront tout un tas de plantes connues ou méconnues, pour les étudier et en connaître ou approfondir leur composition. À ce stade, les protocoles ne sont pas encore arrêtés. Au final, ces actifs pourraient entrer dans la fabrication de produits cosmétiques développés par la technopole.

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▲Dispositif d’assainissement végétalisé à la station des Nouragues. Photo Etiage

Exsitemp* Face aux pollutions des zones de baignade sur le littoral et le long des fleuves par les rejets domestiques, une technique gagne à être connue : celle de l’assainissement végétalisé en milieu équatorial. à la station du CNRS dans la réserve naturelle des Nouragues, deux dispositifs de filtres plantés et de pédoépuration, cofinancés par l’Office de l’eau, le CNRS et Etiage Guyane sont désormais totalement fonctionnels. Les eaux des sanitaires des cuisines, sont captées et déversées dans des bacs plantés de Canacae et de Zingiberaceae, prélevés sur site à quelques mètres des installations. « On reproduit ce qui se passe en forêt. La nature a une capacité d’autoépuration. Là on intensifie juste le phénomène » explique Gérald Lacombe d’Etiage. Un apport organique permet le développement d’une symbiose entre les rhizomes et les micro-organismes et favorise un complexe argilohumique favorable à l’aération du massif et à l’activité biologique responsable de l’épuration des eaux. En deux ans, selon Etiage, la pédoépuration a d’ailleurs augmenté sensiblement la perméabilité du sol exutoire, ce qui permet de ne plus générer de ruissellements d’eau de surface. L’autre technique par filtres plantés de végétaux sur massifs de graviers tend aussi à être reproduite ailleurs, pour les habitats privés, publics et touristiques non connectés à la route, comme au centre de santé de Grand-Santi. Pour l’habitat individuel desservi par la route, une évolution de la réglementation est nécessaire. Quand on sait que l’assainissement par filtres plantés de végétaux ramène la consommation d’énergie liée au traitement des eaux usées d’un lotissement de 300 personnes à l’équivalent d’une seule maison, il n’y a pas de temps à perdre ! * Expérimentations de solutions innovantes de traitement des eaux en milieu isolé et protégé.


►Le camp Wapa Lodge, comme d’autres sites touristiques, sont situés à environ 15 km de la mine. Photo 97PX

Expo Muséum de Toulouse À l’occasion de l’Année internationale des langues des peuples autochtones décrétée par l’Unesco en 2019, le muséum de Toulouse consacre sa saison culturelle à l’Amazonie, sous la dénomination : « Oka Amazonie, une forêt habitée ». Jusqu’à la fin de l’année, le muséum organise de nombreux événements notamment autour de la notion d’« être Indien d’Amazonie aujourd’hui : entre deux cultures ». Un garde-naturaliste de la réserve de Kaw-Roura interviendra en septembre. Les conférences des “ Jeudis du Muséum ” s’interrogeront sur les mémoires et les savoirs parfois immatériels, leur sauvegarde et transmission. Les musiciens et chanteurs kali’na du groupe Palana Bonon d’Awala-Yalimapo en Guyane, les Trumai du Haut-Xingu au Brésil et les siffleurs wayãpi de l’Oyapock, fleuve frontière entre le Brésil et la Guyane, seront tour à tour à l’honneur. Des portes ouvertes aux scolaires s’orienteront vers les animaux totems et la flore. En septembre, les photographes amateurs pourront concourir dans le cadre du Festival international des rencontres photographiques de Guyane, qui aura pour thème : “ la tradition”. Pour en savoir plus : www.museum. toulouse.fr

OKA

A M A Z O NIE

UNE FORÊT HABITÉE

EXPOSITION

L’orpaillage légal atteint le Kourou Le préfet Patrice Faure a autorisé le 1er octobre 2018 l’exploitant d’or alluvionnaire Trajan à orpailler à l’intérieur du périmètre de protection du captage d’eau de la commune de Kourou, qui alimente en eau potable près de 1 Guyanais sur 3. C’est la crique Nelson qui est visée, bassin versant du fleuve Kourou. Pour plusieurs associations environnementalistes et riveraines, soutenues par la mairie de Kourou et la collectivité territoriale de Guyane, la mine engendrera une «augmentation forte de la turbidité des cours d’eau touchés sur plusieurs dizaines de kilomètres, la libération de métaux lourds contenus dans les sédiments orpaillés, une déforestation et une érosion» et entrera en conflit avec les activités du quotidien et de loisirs de grande nature pratiquées aux abords. C’est pourquoi plusieurs recours en justice ont été engagés. Celui devant le tribunal administratif pour annuler en “ urgence” l’arrêté préfectoral a été débouté le 11 janvier dernier. Les associations ont perdu (elles font appel de la décision), la cour estimant que sur la forme, l’arrêté préfectoral n’entraîne pas de péril imminent. Un autre recours sera étudié fin 2019-début 2020 par le tribunal administratif de Cayenne.

Un nouveau lézard dans les mains des scientifiques www.museum.toulouse.fr

Au cours d’une mission organisée en novembre par le Parc amazonien de Guyane sur le mont Itoupé, deuxième plus haut sommet du territoire, les herpétologues ont découvert un lézard à ce jour non répertorié en Guyane, de l’espèce Ptychoglossus brevifrontalis. Long d’une quinzaine de centimètres, de la famille des Gymnophtalmidés, pourtant largement repartis à travers l’Amazonie, le lézard n’avait jamais été observé malgré plusieurs missions d’inventaires en forêt guyanaise. Il s’agira désormais de rechercher ce très rare reptile dans les sites alentour afin de déterminer plus précisément sa répartition. Cette découverte porte à 46 le nombre d’espèces de lézards connues en Guyane. ▲ Ptychoglossus brevifrontalis. Laurent Godé/PAG

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DOSSIER LATINO

De Valle del Cauca à Cayenne

histoires des Colombiens de Guyane

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Les migrants colombiens qui gagnèrent la Guyane dans les années 70 étaient principalement originaires du nord-ouest du pays, de Valle del Cauca. Une première vague de migration organisée par la France fut décidée pour la construction de la base spatiale de Kourou. Puis, dans les années 2000, certains ont rejoint Cayenne pour des raisons politiques, économiques ou familiales.

’émigration de Colombiens vers la Guyane se décline en deux étapes qui s’étirent sur une trentaine d’années et s’articulent fortement autour du regroupement familial, légal ou non. La plupart des familles qui résident aujourd’hui dans la collectivité guyanaise sont originaires « de Valle del Cauca : de Cali, Yumbo, Florida » explique Libia Maria MejiaRoch, présidente de l’association cayennaise Olá Colombiano, tierra querida créée en 2003. Cette région occidentale où alternent élevages, grandes exploitations de canne à sucre, de riz et pôles industriels se compose de la plaine du Pacifique, de la cordillère occidentale et centrale et de la vallée interandine du fleuve Cauca. «  Les premiers migrants qui sont arrivés ont fait venir les autres et ça a créé une communauté assez grande. Les premières familles sont venues dans les années 70. À l’époque ce sont eux qui ont fait les routes dans la forêt » raconte Madame MejiaRoch. «  Confrontées au manque de main-d’œuvre locale pour la construction de la base spatiale à Kourou, les autorités françaises recrutaient officiellement à partir de 1964, à travers l’Office français des migrations internationales, plusieurs centaines de Colombiens et surtout de Brésiliens. Au terme de leur contrat, ces travailleurs devaient rentrer dans leur pays » relate le géographe Stéphane Granger1. « Les autorités françaises sont venues chercher environ 1 000 hommes, eux-mêmes ont fait venir leurs femmes. Puis beaucoup sont repartis et ne sont restées qu’une trentaine de familles » complète la présidente de l’association. Animateur à Radio Péyi, Christian Domput plus connu sous le nom de “ Pedro” né à Yumbo il y a vingt-huit ans raconte : « Quand j’avais quatre ans, ma mère est venue en Guyane pour suivre une tante

1 Mobilités, ethnicités, diversité culturelle : la Guyane entre Suriname et Brésil, sous la direction de G. Collomb et S. Mam Lam Fouck. Ibis Rouge Editions.

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voyage

Un orage s’abat sur la vallée dans le nord du Cauca. Photo Damien Fellous


Lima-Manaus-Cayenne,

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DOSSIER LATINO

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Un jour j’écrirai mon livre et il s’appellera  : Bonjour Madame, taxi-brouette ! » éclate de rire Omar Cabrera Boca Negra, né il y a 49 ans à Lima, d’une mère originaire de la Cordillère blanche et d’un père de la capitale. L’homme, sans-papiers, vit depuis 2003 en Guyane, et djob* au marché central de Cayenne où il décharge et charge les caisses de fruits et légumes des agriculteurs Hmong. Personnage immanquable d’entreles-étals qui s’échine, trois jours par semaine, de l’aube au milieu d’après-midi, Omar convergeait — très vite après avoir débarqué clandestinement d’une barque de fortune de passeurs brésiliens — vers ce haut-lieu du commerce de rue cayennais, en proposant ses services muni d’une brouette, comme beaucoup de sans-papiers péruviens et bissaoguinéens. «  Ce Bonjour madame, taxi brouette ! a été la parole magique qui m’a donné beaucoup de joie durant ces quinze années, racontet-il en souvenir des heures passées à charrier manioc, aubergines et zabriko. J’avais commencé avec un autre Péruvien à vendre des mangues. On m’avait prêté une bicyclette, j’avais installé une cagette dessus et on vendait huit mangues pour 2 euros. J’ai aussi nettoyé les jardins et puis j’ai cherché du travail au marché. J’avais rencontré un petit vieux qui vivait en Guyane depuis 25 ans et il m’avait proposé de me prêter une brouette. J’ai alors commencé à transporter les caisses des agriculteurs et puis petit à petit, les Hmongs ont vu que je travaillais bien et que j’étais sérieux, alors on m’a demandé d’aller acheter une bouteille d’eau par-ci, de transporter une caisse d’aubergines par-là, et je suis devenu connu. En six mois, on a commencé à me confier plus de

boulot ce qui m’a valu des bagarres avec les autres djobeurs. Aujourd’hui je décharge quinze à vingt camions par marché et je suis payé 10 € pour un petit camion, 15 € pour un grand ».

culture

Destins péruviens ◄ Marinera Norteña sur la Place Léopold Héder. Danse originaire de la côte nord du Pérou. ▼ Cuzqueños au Fort Céperou. Danse de la Valicha originaire de la région montagneuse du Pérou. Photos de Diego Liñan Vasquez

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Dossier LATINO

De Saint-Domingue à la Crique La Crique, un quartier de Cayenne aujourd’hui très métissé, a longtemps été le point d’arrivée de la communauté dominicaine, présente en Guyane depuis un demi-siècle. Quelques familles qui revendiquent fièrement leur culture nous ont ouvert leurs portes.

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Enseigne de bar dans le quartier de Chicago. Photos Mirtho Linguet

Un quartier aux couleurs dominicaines

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ur la terrasse d’un snack du Village chinois, Inès et Melania sirotent une bière. « C’est vendredi », semblent-elles s’excuser dans un sourire, avant d’entamer leur fricassée de bœuf et leurs pois d’angole. Chaque bouchée est interrompue par un clin d’œil ou un petit mot en espagnol lancés à des connaissances qui passent sur le trottoir. « Oui, on connaît du monde ici. » Inès Moronta est présidente de l’Association franco-dominicaine de Guyane (AFDG) et Melania Matos Alcantara en est la médiatrice sociale. Autour d’elles, ça parle français, créole, anglais, portugais… Le Village chinois a perdu sa dominance dominicaine il y a longtemps, même si leurs commerces et bars sont encore présents. « Les gens quittent le quartier quand ils ont des enfants, mais ils y reviennent pour faire la fête », note Melania. Dans les bars pour y danser ou sur le trottoir pour y discuter. C’est dans les années 1970 que la première vague dominicaine a déferlé sur Cayenne. La mère d’Inès en faisait partie. « Elle a été la première dominicaine à passer son permis. Le succès attire le succès. Avant, les Dominicains

venaient à Chicago parce que la famille était installée là et que ce n’était pas cher. Aujourd’hui, pas forcément. » À l’époque, le quartier était calme et l’entraide était reine. Les rues étaient en latérite et les enfants jouaient avec des balles de chiffons. De nos jours, Chicago a la réputation d’un coupe-gorge, mais serait moins dangereux que Saint-Domingue, où l’on pourrait se faire égorger à chaque coin de rue. « La Guyane est aussi dangereuse que n’importe où, nuance Inès. L’immigration est surtout économique, en vérité. » La Crique, un quartier multiethnique C’est peut-être cette immigration économique, et souvent clandestine, qui donne son côté sulfureux à la Crique, un quartier de tous les fantasmes où ceux qui n’y vivent pas viennent volontiers s’encanailler. La Crique n’a pourtant pas toujours eu cette mauvaise réputation. Elle s’est d’abord appelée Village chinois, à cause des premiers occupants de cette zone marécageuse qui n’étaient toutefois pas chinois, mais annamites, de la région

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SOCIéTé

Le pont Malouet en direction du Village chinois, lieu dit "Chicago" ou "La Crique"


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Urubu noir, un corbeau chez les vautours

Son nom scientifique Coragyps atratus signifie "corbeau-vautour de noir vêtu". Très proche des habitations humaines pour se nourrir, il est, en Guyane, d’une grande discrétion lorsqu’il niche. Malgré une population littorale très importante, jusqu’en 2016 aucun nid n’était encore connu des ornithologues guyanais. ▲Vers Mana, un dortoir d’urubus se remplit à la nuit tombante. Les urubus à tête jaune s’installent en premiers suivis, aux dernières lueurs du crépuscule, par les urubus noirs. Photo de Tanguy Deville.

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novembre

2016,

mangrove d’AwalaYalimapo : j’affermis ma prise sur les bords de l’ouverture et, en prenant appui sur l’écorce avec mes pieds, me hisse pour regarder dans le trou. Tout au fond, sur le sol sableux, un petit poussin d’urubu noir, encore en duvet beige, tente de se dissimuler contre un bord. Il pousse des grognements et des soufflements agacés, très étranges pour un oiseau, vaguement inquiétants. Le nid est situé dans un très gros palétuvier au tronc entièrement creux, non loin du Maroni, presque à l’embouchure du fleuve. Pour observer les mouvements des adultes, je construis un affût dans un grand palétuvier, à quelques dizaines de mètres du nid, où je passe deux après-midi. Les nourrissages sont rares. J’en observe deux le premier jour, un seul le second. À chaque fois les oiseaux se posent sur des branches aux alentours du nid, et observent longuement la forêt avant de se poser devant l’entrée pour ensuite descendre dans le trou. Le nourrissage est court, malheureusement invisible. Au bout de trois à quatre minutes l’adulte ressort et s’envole presque aussitôt. Un peu plus loin, à environ cinquante mètres, un autre urubu descend dans une seconde cavité. Cette fois le tronc n’est pas creux jusqu’au sol, le nid est à cinq mètres de haut. Il contient deux poussins très proches de l’envol. Leur plumage est complet et seule une petite tache de duvet persiste sur leur nuque. Au cours des années suivantes, plusieurs nouveaux nids sont découverts, sur quelques sites du littoral, à Rémire et sur l’Ilet la Mère. Tous sont situés dans des cavités d’arbres ou sous de gros rochers et reflètent bien les goûts cavernicoles de cette espèce. Pendant longtemps, la nidification de ces vautours est donc passée inaperçue. Et pourtant cet oiseau est un des plus fidèles commensaux des humains. Répandu sur toute la bande littorale de Guyane, il peut être localement très commun. À Cayenne et à Rémire, les vols peuvent

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Dossier Littoral

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un territoire à risque Situées sur une côte très mobile, les villes du littoral sont des zones de vie particulièrement vulnérables. Si les grandes marées sont souvent désignées responsable, les aménagements de l’homme respectent-ils toujours le principe de précaution ?

«  Il n’y a pas de catastrophes naturelles », Hervé Kempf, Le Monde, Paris 21 août 1999

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ne succession d’événements météo océaniques plus ou moins catastrophiques, survenus depuis la seconde moitié du XXe siècle, le long des côtes françaises métropolitaines comme sur les littoraux ultramarins français, attestent de l’émergence de territoires à risques littoraux liée à l’attractivité grandissante des côtes pour les sociétés. La tempête Xynthia qui a touché les côtes de Vendée et de Charente-Maritime entre le 27 et le 28 février 2010 et provoqué la mort de 53 personnes témoigne de la vulnérabilité des territoires littoraux français. Plus concrètement en Guyane, les situations de crise qui jusqu’à présent ont causé uniquement des dommages sur les biens et les infrastructures montrent l’extrême vulnérabilité des zones urbaines (Kourou, Cayenne, Rémire-Montjoly), mais aussi de certains territoires agricoles (les rizières de Mana) ou de cordons dunaires habités (AwalaYalimapo). À la médiatisation de ces situations, notamment dans la presse locale, fait écho l’importance des enjeux et pertes estimés. Face à ces désordres et aux dégâts qui s’ensuivent, monte une demande sociale en Guyane, tout comme en France métropolitaine, de Lors des grandes marées de janvier 2013, une partie de la route des Plages a été emporté. Photo Jody Amiet. Une saison en

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société

Le littoral guyanais,

« La définition que je donne du risque majeur, c’est la menace sur l’homme et son environnement direct, sur ses installations, la menace dont la gravité est telle que la société se trouve absolument dépassée par l’immensité du désastre » Haroun Tazieff, 1981, Premier titulaire du commissariat à l’étude et à la prévention des risques naturels.


Dossier Littoral

Entre Amazone & Orénoque : La côte la plus dynamique au monde

C. Survol aérien de Cayenne entouré par la mangrove le 1er octobre 2009, au large de la pointe des Amandiers. Photo Jody Amiet

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lors qu’à Cayenne un nouveau banc de vase l’océan. Une partie de cette charge sédimentaire est en train de remplacer celui qui s’était (15 à 20 %) est accumulée à la côte au niveau de installé 15 ans plus tôt et que la mangrove la région des caps, au nord de l’État d’Amapa au devrait revenir sur le rivage, pour la première fois Brésil, sous la forme d’un long banc de vase. C’est à partir de l’embouchure de l’Approuague, depuis mémoire d’homme, un banc de vase s’est installé devant le littoral d’Awala-Yalimapo. Ces et plus précisément du littoral de Kaw que se deux situations illustrent la grande instabilité du met en place ce que les spécialistes nomment le littoral, mais aussi le caractère prévisible de son système banc de vase. Les causes de la formation de ces bancs de vase individuels ne sont pas encore évolution à des échelles de temps variables. Entre les deltas de l’Amazone et de l’Orénoque bien comprises, mais le mécanisme de migration s’étend le littoral vaseux le plus long au monde. des bancs est aujourd’hui bien documenté. Sur ces 1700 km de côte se succèdent bancs de L’arrière du banc de vase, généralement recouvert de mangrove n’est plus vase et mangrove, plages protégé par la vase fluide, sableuses et estuaires. Ces bancs de vase, vagues viennent Entre 15 et 20 bancs uniques à l’échelle de la planète, les de vase (6 et 9 sur le sont en grande partie construits à alors éroder le littoral. seul littoral de Guyane) partir de sédiments arrachés par La vase consolidée est migrent le long de la l’érosion, à la Cordillère des Andes liquéfiée sous l’action des vagues et transportée côte sous l’action des par les courants vers l’avant du banc. On a donc vagues et des courants côtiers à des vitesses très variables de 2 km/an en moyenne. Ces bancs de un recyclage de la vase de l’arrière vers l’avant vase, uniques à l’échelle de la planète, sont en du banc. La taille moyenne de ces bancs de vase grande partie construits à partir de sédiments est de 40 km de long, 15 km de large et de 2 à arrachés par l’érosion à la Cordillère des Andes, 4 mètres d’épaisseur, soit un volume d’environ 2 transportés sur des milliers de kilomètres, milliards de m3. À l’instar des icebergs les bancs avant d’être rejetés par l’Amazone dans l’océan de vase ont une extension sous-marine (partie Atlantique. Des travaux de recherche estiment subtidale) bien plus étendue que leur partie visible entre 750 et 800 millions de tonnes par an le à marée basse (partie intertidale). Tous les 15 ans volume de sédiments apportés par l’Amazone à environ, un banc de vase se détache et se met à


écologie migrer le long de la côte. La dynamique rythmique de la migration des bancs se décline en phases (et secteurs) “ banc” et “ interbanc”, qui se traduisent par des variations du trait de côte pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres en quelques mois. L’ampleur de cette variabilité est inégalée dans le monde. Ces changements côtiers sont fréquemment suivis respectivement d’une colonisation ou d’un démantèlement de la mangrove, et ont des répercussions considérables sur la biodiversité, la productivité des écosystèmes et les activités économiques du littoral. L’arrivée d’un banc de vase favorise la création d’une vasière, zone intertidale de plusieurs km², en quelques mois qui peut être colonisée par une mangrove pionnière très dense en deux à trois ans. Les processus de colonisation par la mangrove sont tout aussi originaux et semblent s’être adaptés à l’instabilité chronique de la côte. Les jeunes plantules sont sexuellement précoces puisqu’elles produisent des graines dès l’âge de 3 mois. Les spots de mangrove colonisent alors très rapidement les vasières consolidées. Formidables dissipateurs de la houle (les vagues sont amorties à 95 % en arrivant sur la vase), ces bancs de vase jouent donc un rôle protecteur du littoral. Si les bancs de vase protègent le littoral, leur présence

fige aussi les plages sableuses, les rendant inaccessibles à des activités de loisirs et en tant que sites de ponte pour des tortues marines. Les bancs provoquent également un envasement rapide des chenaux d’accès aux ports (Dégrad des Cannes et Pariacabo) qui nécessite des dragages réguliers et coûteux. Une fois que le trait de côte se trouve en situation “  interbanc ”, la protection littorale n’est plus assurée que par des plages et cordons sableux, extrêmement réactifs à la houle, et au budget sédimentaire fragile. Malgré leur fragilité, ces plages et cordons jouent un rôle important de défense côtière, protégeant zones urbaines, villages et rizières. Ce rôle est plus ou moins bien rempli en fonction des stocks sableux locaux qui sont très variables. Les plages sableuses sont aussi importantes pour des activités de tourisme que de loisirs balnéaires. Les plages de l’île de Cayenne sont aujourd’hui bien plus fréquentées qu’elles ne l’étaient il y à peine 20 ans et il faut s’attendre à voir la fréquentation de la plage des Hattes à Yalimapo connaître une évolution identique dans les années à venir avec l’accroissement démographique dans l’Ouest guyanais.

à Awala-Yalimapo, un banc de vase s’est installé face à la plage. Photo Morgane Jolivet

Texte Antoine Gardel Photo Jody Amiet, Morgane Jolivet

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Dossier Littoral

Réchauffement climatique

Les côtes guyanaises face à l’élévation du niveau de la mer

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La communauté scientifique internationale s’accorde sur le fait que ce constat à l’échelle mondiale est fortement lié avec les activités humaines, qui ont favorisé l’émanation de gaz à effets de serre, responsables d’un réchauffement climatique depuis la révolution industrielle. Le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publie depuis une trentaine d’années plusieurs rapports visant à synthétiser l’ensemble des connaissances scientifiques, techniques et socioéconomiques liées au changement climatique et aux impacts engendrés par celui-ci : hausse des températures, acidification des océans, augmentation des incendies, des crues, élévation du niveau marin, déplacement des populations… S’agissant de l’élévation du niveau marin, les scientifiques ont caractérisé quatre grands facteurs influençant 1Bouysse P., Kudrass H.R. et Le Lann F., 1977. - Reconnaissance sédimentologique du plateau continental de la Guyane française (mission Guyamer, 1975). Bulletin du BRGM, vol. 4, n° 2, p. 141-179. 2 Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, 2015. Le littoral dans le contexte du changement climatique. Rapport au premier ministre et au Parlement. La documentation français, 179 p., ISBN : 978-2-11-010037-5.

▲ Forêt inondée dans les terres basses du Rio Araguari. Amapa. Brésil. Photo de Daniel Beltrá Une saison en

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science

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omme d’autres territoires, la Guyane a connu des fluctuations de son niveau d’eau, à l’échelle géologique, qui suivent les différentes périodes glaciaires et interglaciaires. Ainsi depuis le dernier maximum glaciaire, vers -20 000 avant notre ère, nous connaissons une augmentation du niveau marin. Des indices du paléorivage guyanais, datés vers -12 000 ans, ont été retrouvés à des profondeurs actuelles situées entre -35 et -60 m (Bouysse et al., 19771). Le niveau d’eau a depuis continué d’augmenter, avec des périodes de ralentissement voire de stabilisation comme celle connue il y a 3000 ans. Les données de niveau d’eau, accumulées depuis le début du XXe siècle, ont montré un accroissement significatif à l’échelle mondiale, et ceci, à un rythme jusqu’à 5 fois supérieures à celui des derniers millénaires (ONERC, 20152).


▲ Sur le littoral à l’ouest de Kourou, à pointe Charlotte, les bancs de vase atténuent la houle incidente. Photo Aéroprod Amazonie

le phénomène : la dilation thermique  : (subsidence3 ou surrection), facteur qui influence l’augmentation de la température dans les basses le niveau marin, mais qui n’est pas directement couches de l’atmosphère réchauffe les océans qui imputable au réchauffement climatique. occupent alors un volume plus important, la fonte Depuis le début des années 1990, les dernières des glaces et des glaciers : l’ensemble des masses technologies issues des données satellites ont d’eau retenues sous forme de glace au niveau des permis de compléter les données historiques tirées montagnes, de l’Antarctique et du Groenland, des marégraphes et de caractériser finement les entraîne un apport d’eau douce important dans les évolutions du niveau de la mer. Le premier constat océans ; le changement du cycle hydrologique (ou est que la vitesse d’élévation n’est pas homogène à l’échelle de la Terre. Les territoires situés en Asie et dans le Pacifique ouest sont soumis à une élévation plus rapide que dans l’est du Pacifique et au sud de l’Alaska (voir figure 1). Cette différence s’explique par le fait que le réchauffement des océans n’est pas uniforme à l’échelle du monde, des paramètres comme la salinité ou les courants marins peuvent l’influencer. Le second constat est l’accélération du processus au cours de ces dernières décennies. Les évolutions entre les années 1901-2010 montrent une vitesse moyenne de +1.7 mm/an (incertitude de +/ou - 0.2 mm/an), qui pourrait être légèrement plus faible d’après des études récentes (Hay et al., 20164), tandis que celles entre 1993-2014 indiquent une vitesse moyenne de 3.2 mm/an 3 La subsidence est un mouvement tectonique d’affaissement à l’inverse d’une surrection qui est un mouvement ascendant.

 Cartographie des vitesses de variation du niveau de la mer entre 1993-2013 à l’échelle

globale.

(Source

LEGOS, d’après les mesures altimétriques de Topex/Poseidon, Jason-1 et 2, ERS 1 et 2, et Envisat.) Une saison en

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cycle de l’eau) qui est influencé par le stockage d’eau sur les continents, soumis aux activités humaines (barrages, pompage des nappes phréatiques)  ; les variations naturelles tectoniques des sols

4 Dangendorf, S., Marcos, M., Wöppelmann, G., Conrad, C. P., Frederikse, T. and Riva, R., 2017, Reassessment of 20th century global mean sea level rise', Proceedings of the National Academy of Sciences 114(23), 5946–5951 (DOI : 10.1073/ pnas.1616007114).


PHOTOS | VIDÉOS | ILLUSTRATIONS

W W W.97 PX . F R Sortie mi 2019

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Le pĂŠtrole au large de la Guyane, une menace pour les mangroves ?

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 Vue aérienne de la plateforme Deepwater Horizon, alors que des navires se rassemblent dans les eaux polluées par la fuite du puits. Photo Daniel Beltrá

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e pétrole représente une ressource énergétique, mais aussi industrielle1 majeure à l’échelle planétaire. L’existence potentielle de ressources pétrolières au large de la Guyane, à un peu plus de 100 km des côtes, suscite pour certains de nombreux espoirs (retombées économiques pour le département, création d’emplois), mais aussi de grandes inquiétudes d’un point de vue environnemental.

leur activité). L’ampleur et la durée des effets dépendent notamment de la nature2 et de la quantité de pétrole déversé, de l’importance du brassage du milieu par les courants, du stade de développement de la mangrove (pionnière, jeune, adulte ou mature) ou encore de la nature des sédiments (dans des sédiments fins peu oxygénés, le pétrole pourra persister plus longtemps). La présence de bactéries capables d’éliminer certains hydrocarbures pétroliers (on parle de biodégradation) peut aussi limiter les effets de la marée noire et contribuer à l’atténuation de la pollution. Une destruction totale de la mangrove avec persistance des effets pendant plus de 30 ans a été reportée dans les cas les plus sévères de pollution (delta du Niger, Panama, Indonésie). Pour autant, est-ce que les mangroves de Guyane seraient menacées par le développement d’une activité pétrolière au large de ses côtes ? En

L’immense marée noire générée par l’accident de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon en 2010 dans le golfe du Mexique a notamment marqué les esprits en ce qui concerne les risques liés à l’exploitation du pétrole en mer au large (offshore) par grands fonds (profondeurs supérieures à 200 m). Il s’agit en effet du plus grand déversement accidentel de pétrole en mer à ce jour. On estime qu’environ 500 millions de litres de pétrole brut ont été introduits dans le golfe. De l’ordre de 1800 km de côte américaine, entre la  Carottiers (tubes en plexiglas de 30 cm de profondeur et de 10 cm de diamètre) enfoncés Louisiane et la Floride, ont été contaminées par dans le sédiment d’une jeune mangrove dans lesquelles du sédiment contaminé avec du pétrole a été introduit en surface. Milieu : vue du dessus du mélange “huileux”déposé en cette marée noire. Le coût total (lutte contre la pollution, pénalités, surface. Droite : mise en place du dispositif expérimental. indemnisations) pour la compagnie pétrolière Photos de P. Cuny / MIO – Cedre. BP qui opérait cette plateforme pétrolière est extrêmement élevé et est estimé à plus de 144 milliards de dollars. De nombreuses espèces marines (organismes planctoniques, coraux, poissons, gorgones, oiseaux marins, mammifères marins, tortues etc.) ont été impactées par cette marée noire tant au large que dans certaines zones côtières du Golfe du Mexique. À l’interface entre le continent et l’océan, se développant dans les zones côtières non rocheuses dans la zone de balancement des marées, les mangroves sont constituées d’espèces arborescentes (palétuviers) adaptées aux conditions particulières qui y règnent. Elles constituent un type d’écosystème unique et emblématique des zones tropicales et subtropicales qui joue d’importants rôles écologiques (zones d’alevinage pour certaines espèces de poissons et de crevettes, stabilisation temporaire du trait de côte en piégeant les 2 Il existe de nombreux types de pétroles. Les pétroles sont majoritairement constitués d’hydrocarbures mais la sédiments provenant du fleuve Amazone, stockage proportion des différentes familles d’hydrocarbures ainsi de carbone). En Guyane, environ 80 % du littoral que des autres composés du pétrole (résines, asphaltènes, est couvert par des mangroves. En cas d’arrivée composés soufrés,…) varie en fonction de l’origine géographique (bassin de formation) des pétroles. Chaque d’une nappe de pétrole provenant du large, cet pétrole aura donc un comportement et un devenir différent écosystème serait en première ligne. Que se selon sa composition lorsqu’il est introduit en mer. Sa toxicité sur les organismes sera aussi variable. Cette toxicité peut être passerait-il alors ? accentuée par l’utilisation de dispersants (mélange de tensioPlusieurs études ont montré que le pétrole actifs et de solvants) comme moyen de lutte anti-pollution. pouvait fortement impacter les palétuviers, En les rendant plus accessibles (on parle de biodisponibilité), mais aussi les organismes qui vivent dans ces les hydrocarbures pétroliers dispersés pourront être plus facilement dégradés par certains micro-organismes présents écosystèmes (mortalité ou perturbation de naturellement dans le milieu mais avoir aussi un effet 1 Les composants du pétrole peuvent être utilisés pour

la synthèse de polymères entrant dans la composition des plastiques et autres matériaux synthétiques qui sont largement utilisés de par le monde (pétrochimie).

plus marqué sur les organismes du milieu. Lorsqu’ils sont introduits en mer les pétroles qui ont une densité inférieure à 1 flottent. En vieillissant et lorsqu’ils interagissent avec les particules en suspension présentes dans l’eau, ils peuvent finir par sédimenter.

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Vessies d’acoupas

vers une révolution de la pêche côtière en Guyane?

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L’acoupa est le poisson le plus pêché en Guyane. Depuis une quinzaine d’années un de ses organes, jusqu’alors rejeté en mer, a pris une incroyable valeur commerciale. Si cette évolution suscite des inquiétudes, elle offre aussi une opportunité exceptionnelle pour la pêche côtière guyanaise.

◄En Guyane, la petite pêche côtière est pratiquée avec des filets droits, de moins de 2,5 km. Estuaire de la Mana. Une saison en Guyane 22

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société

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a vessie natatoire est un organe interne des poissons dits osseux, qui leur permet de contrôler leur flottabilité dans l’eau. Il peut aussi servir à communiquer, voire même à se protéger des prédateurs par l’émission de sons “ sourds” à répétition. Ces vessies peuvent être très développées chez certains poissons, notamment chez l’acoupa rouge. Les vessies natatoires des grands acoupas du monde entier sont prisées sur le marché chinois, à la fois comme met culinaire de luxe servi principalement en soupe, mais également dans la médecine traditionnelle pour régler des problèmes de peau et de fertilité. Face à la demande croissante de ce marché, la pression sur les grands acoupas s’est accrue depuis une vingtaine d’années. Les prix se sont envolés à tel point que les vessies natatoires sont aujourd’hui surnommées «  la cocaïne aquatique  ». Une saisie de décembre 2018 par les douaniers chinois de 444 kg de vessies de totoaba, la version mexicaine de l’acoupa rouge, importées illégalement, a ainsi été estimée dans certains journaux à une valeur de revente de 26 millions de dollars, soit 58 500 dollars le kilo ! Ce marché particulièrement lucratif des vessies natatoires a engendré un phénomène de surpêche d’abord en mer de Chine, pour le bahaba (Bahaba taipingensis) et plus récemment sur la côte Pacifique du Mexique pour le totoaba ou acoupa de MacDonald (Totoaba macdonaldi). Victimes d’une pression de pêche trop importante, ces deux espèces sont désormais considérées comme en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’IUCN. Les conséquences de cette surexploitation sont également désastreuses pour les autres espèces marines. Ainsi Nolwenn Cozannet du WWF Guyane rappelle que « la pression de pêche sur le totoaba menace indirectement plusieurs espèces marines sensibles en mer de Cortez. C’est notamment le cas du vaquita, l’un des mammifères marins les plus menacés au monde, capturé accidentellement dans les filets de pêche. Depuis 1997, l’espèce a connu une diminution de plus de 92 % de sa population et on n’en dénombre plus qu’une vingtaine aujourd’hui ». Dans la mer de Cortez, la pêche à la vessie a pris une telle ampleur que les gouvernements mexicains et américains


La passion des Pikolèt

▲Jeune créole promenant sa pikolèt, aux abords de la place du marché, Sinnamary. Photo de Jean-Christophe Milhet.

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culture

Posées sur le toit d’une voiture, entre les pieds d’un conducteur de scooter, aux fenêtres des maisons, tenues à la main d’un cycliste… ces cages en bois où un oiseau est accroché à son perchoir sont un élément frappant du paysage urbain pour le non-Guyanais. Il peut surprendre de voir des groupes, majoritairement d’hommes, se retrouver autour de petits oiseaux aux couleurs sombres et aux becs ronds tels que la pikolèt ou le lorti. Dans la rue, en carbet, au bord du fleuve, on promène ces oiseaux réputés pour leur chant. Une pratique qui demande beaucoup de temps et de passion.

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es Guyanais ont depuis toujours mis des oiseaux en cage, mais il faut attendre les années 1950 et l’arrivée d’Indonésiens en provenance du Suriname pour y voir la picolette, ou pikolèt en créole et Sporophile curio de son nom courant. L’engouement se fait rapidement à travers tout le territoire. La picolette, Sporophila Angolensis de son nom latin, est un oiseau de petite taille, entre 10 et 15 centimètres. Il fait partie de l’ordre le plus abondant des oiseaux : les passériformes, ou passereaux dans le langage courant. Les passereaux sont connus pour être majoritairement des oiseauxchanteurs grâce aux muscles complexes développés pour contrôler leur syrinx, organe situé au fond de la trachée et permettant aux oiseaux d’émettre des vocalises.

Le bec court et épais des picolettes, caractéristique des sporophiles, sert à casser les graines dont ils se nourrissent. Le mâle a un plumage noir à l’exception du bas de sa poitrine et de son ventre qui sont châtains. Le dessous de leurs ailes est blanc. Tandis que les femelles et les jeunes sont bruns. Cet oiseau n’est donc pas prisé pour ses couleurs chatoyantes ▲ Une pikolèt Sporophile curio. L’oiseau élégant et nerveux se déplace par petits bonds saccadés dans comme l’ara, mais pour son chant sa cage, observateur, à l’affût. Le chant mélodieux de l’animal contraste de façon étonnante avec son particulièrement mélodieux selon hyperactivité apparente. Photos de Bernard Gissinger. les passionnés. «  Le chant est un moyen d’affirmer sa condition physique et sa présence pour le plus longtemps qui gagnera. Il y a très peu de conflits défendre son territoire ou séduire une femelle », explique physiques. « Le chant des Sporophiles curio varie d’une Olivier Claessens du Gepog, le Groupe d’étude et de région à l’autre. Chaque région a son dialecte, c’est pour protection des oiseaux en Guyane. Le sporophile curio cette raison que les éleveurs sont intéressés par des oiseaux est un oiseau territorial. Sur un même site, il peut y de différents endroits », ajoute l’ornithologue. Il existe avoir deux ou trois individus, mais chacun aura son des mélodies rares, des chants qui ont presque disparu territoire. Mis côte à côte les oiseaux sont en état de comme celui de Tonnegrande. « Les éleveurs sélectionnent stress, ils chantent alors pour marquer leur territoire. certaines mélodies chez leurs oiseaux, indique Eddy En cas de conflit ce sera celui qui chante le plus fort ou Tarcy, éleveur et passionné d’oiseaux chanteurs. On ne Une saison en Une saison en

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BepiColombo en route pour Mercure

Mercure est une planète encore bien mystérieuse. Si loin à notre échelle et pourtant si proche à l’échelle de l’Univers, elle est la planète la plus petite du système solaire. Du fait de sa proximité avec le Soleil, elle reste discrète, elle n’est visible à l’œil nu que très bas sur l’horizon, juste avant le lever du Soleil ou juste après son coucher. Elle est aussi difficile à étudier, car y envoyer des sondes s’avère complexe. Elle n’a ainsi été observée que par deux sondes. Aujourd’hui, deux autres sont en route, flottant dans l’espace à vitesse très réduite pour atteindre leur but d’ici sept ans. C’est la mission BepiColombo.

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◄▼ Rotation de l’antenne à haut gain de Mercury Planetary Orbiter. La photo a été prise le 29 novembre 2018 par l’une des caméras de surveillance du module de transfert de mercure, M-CAM 3. Crédits ESA

e 19 octobre 2018, à 22 h 45, le lanceur Ariane 5 prend son envol avec deux sondes scientifiques à destination de Mercure dans le cadre de la campagne BepiColombo. La sonde MPO (Mercury Planetary Orbiter), développée par l’agence spatiale européenne, l’ESA, et la sonde MMO (Mercury Magnetospheric Orbiter) de l’agence d’exploration aérospatiale japonaise, la JAXA. «  C’est une mission très importante car deux sondes partent ensemble et vont ainsi faire des mesures corrélées. La sonde japonaise MMO comprend plusieurs instruments pour étudier l’environnement magnétisé de Mercure tandis que la sonde européenne MPO, avec quatorze instruments à son bord, se concentre sur l’étude de la surface et de l’intérieur de la planète », décrit Dominique Delcourt, directeur du Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’Espace, impliqué dans une partie de l’instrumentation pour la sonde MMO. Avant leur lancement et contrairement aux satellites de télécommunication qui n’y restent que deux ou trois semaines, les satellites scientifiques restent plusieurs mois dans la salle blanche du Centre spatial guyanais à Kourou. C’est le cas des sondes de la mission BepiColombo. La salle blanche est une pièce

où les paramètres, température, humidité, pression, sont contrôlés. La concentration en particules y est minimisée. Un faible taux d’humidité et l’absence de poussières permettent d’éviter les risques de dégradation. Les satellites sont assemblés là-bas. « Certaines parties, très sensibles, doivent même être purgées continuellement à l’azote pour éviter le moindre risque de contamination  », ajoute Bernard Guillaume, responsable assemblage, intégration et vérification AIV à l’ESA. Lorsqu’il visite la salle blanche, sa tenue rappelle celle d’un chirurgien en bloc opératoire. Une charlotte sur les cheveux, un masque devant la bouche, une combinaison à manches longues, des chaussons. Les sondes sont arrivées depuis le 27 avril, ainsi qu’un troisième module, le Mercury transfer module MTM, qui prend en charge le transit des sondes jusqu’à l’orbite de Mercure. La campagne de lancement a donc duré près de six mois. Les sondes comportent seize instruments, tous très sensibles. Chaque module demande de nombreuses vérifications avant le lancement et un assemblage minutieux et complexe. «  Ce satellite est compliqué d’intégration, son montage est difficile. C’est un travail laborieux et nous pouvons nous féliciter de n’avoir aucun retard », dit en souriant Bernard

▼ La mission ESA-JAXA BepiColombo vers Mercure décolle de Kourou le 19 octobre 2019. Crédits CNES/ESA

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spatial

◄ La surface de Mercure révélée en fausses couleurs par la sonde américaine Messenger. Crédits Nasa


Portfolio

Arts graphiques

La nouvelle vague guyanaise

► Extrait d’Atipa, adaptation BD du roman d’Alfred Parépou. Parution 2019 par Atelier Aymara. ► Look at me, 2018 ► Moon Witch, 2018 Illustrations de Tyséka Castor

LEs inspirations japonaises de

Tyséka Castor Une saison en

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portfolio

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orsqu’on se plonge dans les illustrations de Tyséka Castor, surnommée sur les réseaux sociaux k_wuet, l’influence du manga est clairement visible. Au CDI de son collège, elle lit avec ses amies des mangas. Le goût du dessin commence alors à naître en elle. Encore aujourd’hui, elle feuillette ses auteurs préférés pour étudier leur trait de crayon. Elle cite Yana Toboso (Black Butler) et Takeshi Obata (Death Note) comme les artistes qui l’ont le plus impressionnée. « Les Japonais ont cette façon propre à eux de rendre la page dynamique. La jambe, le bras d’un personnage, une bulle… peuvent déborder des cases, explique la jeune artiste. Les histoires sont souvent loufoques. Je suis vraiment absorbée quand je lis un manga ! » Lors de sa jeunesse à Matoury, son envie d’évoluer dans le monde de l’art devient de plus en plus une certitude. Tyséka s’envole alors vers le Canada pour étudier durant trois ans les beaux arts où elle obtient un diplôme à l’Université Concordia. « J’ai toujours eu le soutien de ma mère, elle m’a poussée à suivre mon rêve et à devenir artiste. C’est grâce à elle que j’ai réussi à faire tout ça », ajoute-t-elle en souriant. À 23 ans, l’illustratrice continue de se construire en tant qu’artiste dans la ville qu’elle apprécie et conseille aux jeunes guyanais (malgré le froid !), Montréal. « Je découvre toujours de nouvelles influences, je ne cesse d’apprendre de la technique des autres artistes. Et j’espère apprendre jusqu’à la fin de ma vie ! Je suis en constante évolution. » Tyséka Castor arrive à se faire une place avec son style bien à elle dans le monde difficile de l’art. Elle travaille à son compte pour plusieurs particuliers à travers le monde. Actuellement, elle appose sa touche nippone sur l’adaptation du roman Atipa d’Alfred Parépou. Une occasion pour elle de se raccorder à ses racines guyanaises !


LE pop art de

Nell Regina, D

es figures légendaires amérindiennes : Ëkëi le serpent, Watawuimë le coumarou géant, Kulasi la poule…. Un gang capitaliste composé de trois personnages, Picsou, Mickey Mouse, Monopoly Man, venus accaparer les richesses vertes guyanaises. Des tembés. Des tissus locaux colorés. Bienvenue à Hoshiland, le monde coloré de Nell Regina, lui-même surnommé Saruhoshiworld. Un univers fort en symbolique, représentant la Guyane, terre natale de l’artiste. Nell Regina crée un mouvement artistique : le pop art guyanais appelé aussi artgoulou du créole agoulou qui signifie vorace, gourmand. « Le pop art guyanais est un instrument de lien entre chaque peuple. Ce n’est pas qu’un art créole, il appartient à tout le monde. Il doit toucher toutes les communautés », explique l’artiste de 39 ans. Il présente ses œuvres. Une toile symbolise le lien entre tradition et modernité avec un être moitié caïman moitié robot, arborant le logo d’Arianespace. Le coumarou géant amérindien portant la montagne d’or sur son dos, représentée par le symbole de Paramount, une montagne entourée d’étoiles, traduit sous une forme artistique la lutte des Amérindiens contre ce projet d’orpaillage légal. Un coq de roche prisonnier d’un tembé carnivore évoque la jeunesse prisonnière des traditions. Un travail engagé qui a évolué tout au long de la carrière de Nell Regina. Il cherche au départ à s’approprier le mouvement

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superflat (un mouvement d’art contemporain influencé par l’animé, le manga et par la pop-culture japonaise) impulsé par Takashi Murakami. Nell Regina est fasciné par cet artiste depuis ses études. « Murakami a créé un écosystème autour de son travail avec des produits dérivés. Il développe l’ensemble des possibles. J’aimerais que les gens s’imprègnent du pop art guyanais pour l’exporter eux-aussi dans des sacs, des peluches, des accessoires… et pourquoi pas exporter la Guyane de façon ludique. » L’artiste est lui même peintre de vêtement à l’origine, il habillait de nombreuses chanteuses à Paris jusqu’à son retour en 2007 en Guyane. Il retombe alors amoureux de sa région natale. Touché aussi par le Japon, il y effectue plusieurs séjours et y expose. « J’ai eu besoin d’aller au Japon pour comprendre que j’étais guyanais », dit l’artiste en souriant. C’est à Tokyo, il y a 4 ans, qu’il décide alors de s’immerger totalement dans sa propre culture. Nell Regina confie ses nombreuses sources d’inspirations : la culture des années 1980 durant lesquelles il a grandi, Disney, les mangas, Andy Warhol et, bien entendu, les cultures guyanaises. Il apprend à dessiner avec Dragon Ball Z qu’il dévore depuis le collège. Ses œuvres ont aujourd’hui des signatures artistiques telles que la perle de la rosée du matin, la virgule de caractère au niveau des sourcils de ses personnages, qu’il surnomme courou, et les yeux omniprésents. Nell Regina souhaite, grâce à son art, ouvrir les yeux des personnes qui regardent ses œuvres sur les beautés et les qualités de la Guyane.

▲ Gold Féfé, 2016. ◄ Artgoulou, 2016. Œuvres réalisées dans l’atelier de Nell Régina, Le “ French Doko Studio” à Matoury

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◄ émergence, 2017. L’Amérindien(ne) entouré(e) de la société créole guyanaise, comme brûlé(e) par celle-ci. ▼ Métisse, 2018. Cette illustration représente une mère Aluku et son enfant métisse amérindien.

Y

ann Kayamaré est un jeune artiste de 19 ans. D’origine amérindienne, il explique : « Je ne suis pas un artiste amérindien. Je suis artiste et amérindien ». Il essaye de construire son œuvre autour de son identité. « Les gens ont une idée assez standardisée et archaïque des Amérindiens. Mais nous sommes aujourd’hui en 2018, nous avons changé. Notre identité a changé avec la modernité, avec la politique et également avec le métissage. Je souhaite faire partie d’une nouvelle vague, donner une nouvelle jeunesse à l’art amérindien. La jeunesse amérindienne et même la jeunesse guyanaise dans son ensemble ont beaucoup à offrir. » Déjà deux expositions à son actif, l’une à Awala, l’autre à Paris. Il se concentre aujourd’hui sur le dessin et la peinture, essentiellement des toiles acryliques. Il tire principalement son inspiration de ses souvenirs. « Un rien peut susciter l’inspiration, un parfum, un visage, une scène de la vie quotidienne… Ma culture et les traditions amérindiennes influencent aussi de plus en plus mon art. » Il a également été inspiré par la bande dessinée et les comics dès sa jeunesse.Il a grandi à Kourou. « Les gens imaginent souvent que tous les Amérindiens vivent entre eux, mais j’ai surtout connu la mixité culturelle guyanaise à Kourou. Je ne suis pas moins amérindien parce que je n’ai pas grandi dans un village, en allant à la pêche et à la chasse. » Aujourd’hui il vit à Cayenne où il arrive à combiner ses études de droit et sa passion pour l’art. Ses œuvres lui permettent d’exprimer les problématiques amérindiennes actuelles, même s’il ne se considère pas comme militant et garde un œil objectif et neutre sur les sujets qu’il choisit de traiter. « Je suis encore jeune, à l’avenir j’aimerais présenter des œuvres plus abouties et plus travaillées et parler de sujets plus sensibles comme le suicide dans la société amérindienne. »

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l’art graphique amérindien de

Yann Kayamaré

▲ Légendes, 2017.Ceci est la représentation des différentes légendes connues en Guyane : La sorcière au pangui, le Maskilili et Manman Dilo

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Le TOY ART DE

Emi Gutierrez D

es couleurs, des formes géométriques, des pixels et des animaux abstraits… le

monde d’Emi Gutierrez a du peps. « Je m’inspire beaucoup du toy art, indique en souriant la jeune femme de 33 ans en montrant justement une sculpture aux grandes oreilles de lapin. J’aime les couleurs vives de la culture latino-américaine, les formes géométriques ! » Elle part d’Argentine à 23 ans, après avoir été diplômée de l’école des Beaux Arts de Cordoba, avec l’envie de voyager et de découvrir le monde. Elle pose ses valises à Bordeaux où elle fait un master en pratiques artistiques et action sociale. En Guyane depuis maintenant quatre ans, elle effectue régulièrement des actions en partenariat avec des associations ou des établissements scolaires. Des enfants avec des difficultés motrices importantes, des autistes, des élèves en décrochage scolaire, etc. Chaque atelier est différent selon le public qu’elle a en face d’elle. « L’important ce n’est pas la réalisation artistique mais le processus. Que les jeunes puissent s’exprimer, se connecter à la matière », explique-t-elle. Principalement des peintures et des sculptures, les créations d’Emi Gutierrez se contemplent aussi dans le paysage urbain. Elle réalise des fresques murales. Début octobre elle achevait une œuvre pour la ville de Saint-Georges, mais on peut trouver aussi de nombreuses œuvres à Cayenne comme les tigres de la route de Cabassou. « Lorsqu’on est artiste, on ne peut pas rester sur des acquis, il faut toujours chercher de nouvelles idées, décrit-elle. Mon dernier projet par exemple s’intéresse aux nouvelles technologies. J’ai mis dans mes sculptures des QR-codes. Lorsqu’on les scanne, la sculpture apparaît sur notre tablette ou notre smartphone avec un élément supplémentaire. » Un projet innovant et original !

▲ Abstraction, 2018. ◄ Fresque réalisée à St-Georges de L’Oyapock, 2018. Une saison en

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◄ Lapinou, 2018. ▼ Sculpture Zooforme n°2

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la parole à travers l’art

▲Terre fracturée, 2017. ▼ Résistance, 2018

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Taulewali, À

18 ans, Clarisse Da Silva a déjà exposé deux fois et est devenue une des figures du mouvement des jeunesses autochtones de Guyane. Une artiste engagée dans les problématiques environnementales, comme le combat contre la Montagne d’or, mais aussi sur des questions de culture, comme l’appropriation culturelle de l’art amérindien, ou sur la manière dont est vécu le « choc des sociétés » par les jeunes autochtones. « Mon art est politique. Je ne suis pas quelqu’un qui parle beaucoup, il m’a donc fallu trouver un autre moyen de faire passer les messages qui me tiennent à cœur et ce fut l’art. » Dans sa collection Woposa (“J’observe”) elle évoque l’histoire de son peuple, illustrant ainsi l’héritage culturel, la richesse et surtout ses différents combats. Dans ses œuvres, elle mélange art abstrait et art traditionnel amérindien alliant ainsi modernisme et tradition. Des toiles aux couleurs profondes. Des messages forts sont apposés à côté des peintures lors des expositions ou énoncés par l’artiste racontent l’histoire de l’œuvre exposée. « Il y a toujours un symbole amérindien dans mes toiles, visible ou non. » À travers ses peintures, elle recherche aussi son identité. Son nom d’artiste Tauléwali vient de son nom amérindien. Donné par sa grand-mère, il signifie la fille au joli sourire. Gerhard Richter, peintre allemand aux toiles abstraites, et Sterling Ruby, plasticien américain, sont les deux artistes qui l’ont le plus influencée dans son travail technique et esthétique. Elle peint depuis plusieurs années et trouve son art de prédilection dans la peinture acrylique sur toile. Originaire du village amérindien Paddock à Saint-Laurentdu-Maroni, elle s’envole pour Toulouse en septembre dernier. Elle fait une école préparatoire artistique afin de tenter les concours d’école d’art. « En Guyane, je vivais au quotidien avec ma culture, mais en métropole je n’ai plus cette proximité. Étrangement la distance me pousse à mes rapprocher encore plus de mes traditions.


Hors-série Awala Yalimapo à paraître en août 2019

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Social, enfance, Santé et prévention • 15 centres de secours pour près de 15 400 interventions annuelles.

éDucation, formation profeSSionnelle, apprentiSSage, enSeignement Supérieur

• 744 enfants relevant de l’ASE confiés, soit en famille d’accueil, soit en établissements, et 539 enfants aidés à domicile.

• 6 000 élèves sont transportés quotidiennement sur 107 lignes terrestres et 39 lignes fluviales.

• 22 039 bénéficiaires Revenu de Solidarité Active (RSA) en 2017

• 1034 élèves originaires de l’intérieur et du littoral ont bénéficié du transport scolaire pendant les vacances.

• 48 passages de baygonneuses entre 2016 et 2017

• 116 familles hébergeantes pour 274 élèves concernés.

• 675 bénéficiaires de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) à domicile et 198 bénéficiaires en établissements d’accueil

• 795 boursiers territoriaux de l’enseignement supérieur en 2017.

Développement économique, Développement Durable, recherche et innovation

• 700 apprentis en Guyane particulièrement dans les secteurs de la construction, du commerce et de l’agriculture répartis dans 6 CFA. • 39 % de la population guyanaise active en grande difficulté de lecture susceptible de bénéficier du PRogramme d’Éducation et de FOrmation de Base (PREFOB).

• 3,7M€ d’aides directes aux entreprises. • 5 appels à projets territoriaux concernant l’information, les projets environnementaux et la formation professionnelle des exploitants agricoles. • 3M€ de crédits programmés en 2017 répartis sur 46 dossiers en faveur de la pêche locale. • 15 MW de puissance électrique ajoutée par les structures de biomasse correspondant à la mise en œuvre de la PPE.

geStion DeS fonDS européenS • 181 projets programmés depuis 2016 sur le FEDER/FSE. • 10 AMI lancés relatifs aux FEDER-FSE en faveur du développement économique du territoire. • 89 dossiers programmés depuis 2016 sur le FEAMP. • 302 projets ont été programmés depuis 2016 sur le FEADER.

aménagement Du territoire, logement, tranSport, DéSenclavement • 360 km de routes territoriales sans compter les pistes composent le réseau routier de la CTG. • 5 aérodromes : Saint-Laurent, Grand-Santi, Maripasoula, Saül, Camopi. • DACS : plus de 9 millions d’euros par an de prise en charge du prix des billets d’avion sur les lignes intérieures par la CTG (53.456 passagers en 2017). • Aide au fret : 550 000 € par an de participation de la CTG (environ 500 tonnes livrées par an). • Près de 100.000 voyageurs par an sur le réseau TIG. • Plus de 4600 images SPOT ont été mises à disposition des utilisateurs par la station SEAS

• 9 projets programmés depuis 2016 sur le PCIA.

Sport, culture, patrimoine • Plus de 110 projets culturels ont bénéficié de l’accompagnement de la CTG en 2017. • Pour 1€ investi par la CTG dans une production cinématographique, les retombées économiques directes locales sont évaluées à 7,62€ en 2017. • 23 sites ont profité du dispositif TOP VAKANS en 2018. • 85.000 personnes fréquentent les 47 équipements sportifs territoriaux. • 16 réhabilitations et modernisations de halls sportifs ont été lancées entre 2016 et 2018.

• 13 sentiers inscrits au Plan Départemental des Itinéraires de Promenade et de Randonnée. • 161,3M€ de garanties d’emprunts accordées par la CTG aux bailleurs sociaux entre 2016 et 2018.

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• Plus de 3M€ d’aides à l’habitat au bénéfice de 978 logements individuels entre 2016 et 2018.

L’édu cation ation p ro fess et l’ L’ense apprentiss ionnelle a ignem ent su ge, périeu r (const

nce, l’enfa ntion e cial, Le so et la prév , santé


Cayenne St Elie

Papaïchton Maripa-Soula

Saül

Toucanet koulic - Selenidera piperivora © Tanguy Deville

Camopi

territoires concernés par le parc national

Zone de coeur (priorité protection) Zone de libre adhésion (priorité développement durable)

Créé le 27 février 2007, le Parc amazonien de Guyane est le plus vaste Parc national de France et de l’Union européenne avec une superficie de 3,4 millions d’hectares au sud de la Guyane. Ses missions sont de préserver le patrimoine naturel, valoriser les cultures locales et accompagner les projets de développement local adapté aux modes de vie des populations en concertation avec les communautés d’habitants.


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