Essai sur l'art de cultiver la canne et d'en extraire le sucre (2)

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DE CULTIVER LA CANNE. 237 DIXIÈME

REGLE.

Qui servira de nouvelle observation sur le premier principe.

Vous couperez régulièrement tous les ans, toutes les Cannes grandes ou petites, bonnes ou mauvaises ; savoir , les rejetons (I) depuis le premier ou 15 Janvier, jusqu'en mai ;les Cannes plantées ( appellées aussi grandes Cannes ) depuis Mai jusqu'à la fin de Juin,où jusqu'au 15 de Juillet. Dans les années sèches, vous trouveriez fort peu de bénéfice à donner un mois de plus à des Cannes raccornies par la sécheresse; il semble au contraire, que plutôt vous debarrassez la souche des avortons qui l'ont presque épuisée , plutôt vous lui procurez le moyen d'en produire de nouveaux & de meilleurs : d'ailleurs, si au lieu de couper cette année-ci en Janvier, vous différez jusqu'en Février, il faudra donc l'année prochaine couper aussi en Février ; & dans ce

(1) Le premier produit d'une souche de Cannes s'appelle grandes Cannes ou Cannes plantées ; le produit des années suivantes lorsqu'on ne replante point la pièce , s'appelle rejetons , ainsi les premiers rejetons font les Cannes d'une pièce qui n'a été coupée qu'une fois depuis qu elle a été plantée ou replantée. Les seconds rejetons font ceux d'une pièce qui n'a été coupée que deux fois & ainsi des autres, & l'on dit également d'une pièce , qu'elle est à sa seconde , troisième & quatrième coups, ou qu'elle est à ses premiers, seconds & troisièmes rejetons.


238 ESSAI SUR L'ART cas, la première année seche qui viendra , demandera , selon vous, un autre mois de retardement; où cela finira-t-il ? Si pour éviter cet inconvénient, vous anticipez l'année prochaine vos coupes d'un mois, vous n'aurez donc tout au plus gagné l'année d'auparavant , que ce qu'il faudra perdre l'année suivante, qui dédommagera au contraire , de la mauvaise qui aura précédé, si le temps libre que la modicité de la récolte aura laisse de plus qu'a l'ordinaire, est employé a labourer & amander plus particulièrement la terre a l'entour des souches , sur-tout de celles qui donnent le moins d'espérance , & qui ont encore plusieurs coupes à donner ; car a l'égard de celles que vous devez replanter l'année d'après , contentez-vous de les sarcler & de recevoir ce qu'elles vous donneront. N. B. Ayez le plus grand soin de faire toujours couper vos Cannes dans la terre , & qu'on en rappelle un peu sur la souche avec la serpe ; cela prend un peu plus de temps, mais par ce moyen les rejetons poussent de la souche , & se soutiennent ; ceux qui fortent des noeuds des morceaux de Cannes qui ont été coupées au - dessus de la terre , périssent au moindre sec. ONZIÈME

REGLE.

Lorsqu'on n'a qu'une perspective d'environ 8000 formes de Sucre a faire , c'est une grande manie que de rouler à deux équipages ( 8 chaudières au lieu de 4 ) } à. moins qu'on n'y soit forcé par le feu qui aura brûlé


DE CULTIVER LA CANNE. 239 une pièce de Cannes , & dont il faut se hâter de sauver le plus qu'il est possible ; ou par des calmes extraordinaires dont il faudrait se dédommager, si l'on a un moulin à vent ; ou par quelqu'autre dérangement imprévu : pour en être pleinement convaincu, faites attention que du premier ou 15 Janvier, jusqu'au premier ou 15 Juillet, vous avez 26 semaines, qui à 400 formes chacune, en donneraient dans les six mois 10,400 ; si vous avez quelques semainesfoibles, vous en aurez de 500 formes dans les mois de Mars & d'Avril. Vous ne roulerez donc pas à deux équipages, hors les cas de nécessité ; mais ne perdez pas un moment de Mars & d'Avril ; longez que ces deux mois, les plus favorables de toute l'année , doivent fournir ce que Janvier & Février, Mai & Juin donneront de moins que leur contingent. Comptez donc souvent avec vous - meme , pour savoir où vous en êtes de votre récolte. DOUZIÈME

REGLE.

Vous couperez en même-temps les pièces les plus éloignées & les plus proches ; vous remédierez par ce moyen à l'inégalité des distances, & les mulets auront toujours à peu - près le même travail. Alors l' Attelier des coupeurs fera partagé , cela vaut beaucoup mieux que de couper le matin dans une pièce, & le soir dans une autre.


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ESSAI SUR L'ART TREIZIÈME

REGLE.

Vous aurez soin de couper en Février, & même plutôt, si cela est nécessaire , toutes les Cannes qui paraîtront touchées du soleil ; je dois ajouter que lorsque ces portions de terre qui brûlent le plus aujourd'hui, feront plantées à la distance modérée que je demande , amandées avec une quantité plus considérable de terre que de fumier, préparée par de bons labours à recevoir & retenir les pluies qui ne font que couler sur un terrein en pente lorsque la terre n'est pas meuble, elles vous donneront des Cannes bien meilleures & bien moins sensibles au sec ; le bon sens le dicte. Cette règle de couper en Février , les Cannes exposées au sec, ne regarde pas les Cannes plantées , à moins que la souche ne parût en danger, & dans ce cas , coupez la partie menacée, & ne coupez pas au-delà. QUATORZIÈME

REGLE.

Je ne fixerai aucun temps pour le sarclage des rejetons , pour en arracher les liannes , & découvrir les souches que trop de pailles étouffent souvent ; le plutôt ne fera que le mieux ; d'ailleurs quelques jours de ce travail, après plusieurs autres de fossoyage, délafferont les Nègres ; veillez donc a ces différens besoins des rejetons, & suspendez pour y satisfaire, tout autre travail de l'Attelier de réserve.


DE CULTIVER LA CANNE. 241 serve. Quant aux vivres, vers le 15 d'Avril, il faut vous en occuper. N B. Comme il est aussi possible qu'en Avril y ait de grandes pluies qu'il est probable qu'il n'y en aura pas ; observez , pour règle générale , que les labours & les sarclages, en terre découverte, ne doivent jamais se faire pendant de fortes pluies : quelqu'attention qu'on ait, labourer alors n'est autre chose que couper la terre par gros morceaux , & larder , rien autre que déplacer les herbes ; les labours dans le grand sec, font encore plus pernicieux, ils coupent les racines auxquelles l'humidité manque pour se renouveller. QUINZIÈME

REGLE.

Dans les derniers jours d'Avril , brûlez votre terre fossoyée. ( Voyez Observations sur la manière de planter ). SEIZIÈME

REGLE.

Si le premier de Mai toute la terre que vous devez planter n'est pas encore fossoyée , pour expédier plus promptement un ouvrage nécessaire qui intéresse non-seulement la récolte prochaine , mais même beaucoup de récoltes suivantes, arrêtez le moulin , suspendez tous les autres travaux, faites marcher tous les Nègres fans distinction, ouvriers & autres , a la réserve de ceux de la Rummeric ; cette marche générale doit aussi avoir lieu lorsqu'il s'agira de planter des pièces dont la plus granQ


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ESSAI

SUR

L'ART

de partie demandera un peu de fumier avant d'y mettre le plant. DIX-SEPTIÈME

REGLE.

Aussi-tôt qu'il aura plu allez pour bien imbiber la terre, en quelque temps du mois de Mai que ce puisse être, n'hésitez point à planter la terre qui se trouvera prête ; il vaut mieux s'exposer a quelques recourages , qu'à perdre le bénéfice de la moindre pluie.Mettez au moins trois plans dans chaque folle. DIX-HUITIÈME

REGLE.

Quand on plantera dans les fonds, il faudra presque égaler la terre lorsqu'on y mettra le plant, afin que dans les pluies un peu fortes , l'eau ne puisse pas y séjourner , & le pourrir; je dirois qu'il faudrait égaler toutà-fait la terre, s'il n'étoit pas très-rare que les grandes pluies se déclarent avant que les Cannes plantées en Mai soient hors des sarclages ; on lent ici combien feroit préjudiciable la maxime des folles profondes dans les terreins unis. DIX-NEUVIÈME

REGLE.

Dans la partie des fonds où l'écoulement des eaux ne se fera pas avec la plus grande facilité, & particulièrement dans celle où il y a de la terre grasse, il faut non-seulement égaler la terre, mais encore y entretenir des saignées avec le plus grand soin.


DE CULTIVER LA CANNE. 243 VINGTIÈME

REGLE.

Il ne faudra jamais planter dans les fonds où il y a de la terre grade fans mêler du fumier avec la terre qu'on mettra dans les fosses ; il y est aussi nécessaire pour la diviser, qu'il l'est dans les mornes pour les engraisser & y retenir plus long-temps les eaux de la pluie : il y a cette différence que le fable de mer ( choisissez celui qui est le plus rempli de coquilles brisées) & la cendre de bagaces, font excellentes dans les fonds, & que celle-ci doit être mêlée avec du fumier & de la terre, pour convenir aux moines : mais employez par-tout, sans distinction , les amandemens préparés, comme vous verrez à l'article des fumiers. VINGT-UNIÈME

REGLE.

Lorsque vous aurez commencé à planter, si le plant s'accumule pendant quelques jours de sec qui vous auront fait suspendre la plantation , & qu'il survienne ensuite une pluie allez forte pour remettre la terre en état de recevoir le plant, arrêtez le moulin pendant tout le temps qui fera nécessaire pour vous remettre au courant. VINGT-DEUXIÈME

REGLE.

Comme vous aurez encore quelques semaines de Sucre a faire , après que vous aurez achevé de planter, il faudra conserver le plant Q 2


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ESSAI

SUR

L'ART

de la derniere semaine que vous couperez ; faites-en de petits tas, & couvrez-les de pailles; il le conservera quinze jours au moins, & vous servira pour recourir ( I ) les dernières Cannes plantées, si elles en ont besoin : au cas d'un second recourage, prenez les Cannes des ravines, ou les petites Cannes avortées que vous trouverez dans les pièces de rejetons où vous pourrez entrer facilement. VINGT-TROISIÈME

REGLE.

Soyez aussi exact a ne pas recourir les rejetons , qu'à recourir les Cannes plantées. Ce recourage des rejetons en général est le travail le plus faux qu'il soit possible de faire ; je ne fuis jamais parti de chez moi sans avoir ordonné expressement de n'y pas songer ; je n'y suis jamais revenu que je ne l'aie essayé de nouveau, & que je ne m'en sois repenti : observez d'ailleurs, qu'en plantant a 3 pieds, lorsqu'il manquera un quart de vos souches il vous en restera encore le double de ce que vous auriez si vous eussiez planté à 5 pieds & qu'il ne vous en eût pas manqué une seule. VINGT-QUATRIÈME

REGLE.

Et précis du systême de la petite Culture. Ne plante% annuellement que la quantité de terre que celle de votre fumier & de votre travail peut (1) C'est mettre de nouveau plan dans les fosses ou le premier n'a pas levé.


DE CULTIVER LA CANNE. 245 égaler à la meilleure ; ne plantez pas en Octobre Novembre ou Décembre , parce que dans ce cas il y aurait dès la première coupe } une grande quantité de vos souches étouffées sous le poids d'un luxe inutile , que vous convertirez au contraire en vraies richesses pour les années suivantes , si vous avez soin de planter en Mai & Juin , pour couper l'année d'après à 12 , 11 & même 10 mois , si le sec vous y oblige pour sauver la souche ; auquel cas vous ne perdrez jamais sur les coupes anticipées sans le regagner sur celles que vous retarderez : d'ailleurs vos rejetons seront d autant plus durables , plus touffus t plus vigoureux , que vos Cannes plantées auront été coupées plus jeunes & que votre terre dans le principe aura ete mieux labourée mieux amandée & ameublie si parfaitement lorsque vous y aurez incorpore le fumier qu'il n'y ait pas une branche des racines de vos plantes qui ne puisse s'y étendre avec la même facilité qu'elle pourrait le faire dans une terre neuve -, à laquelle elle devient incontestablement égale par ce moyen.

RÉCAPITULATION PREMIERS MOIS. DE L EMPLOI DES SIX

On y verra la nécessité de l'ordre par ses suites.

Les deux Atteliers, l'un de 80 Nègres, l'autre de 50 , dont j'ai parlé, supposent un total de zoo Nègres, savoir : Enfans au-dessous d'aucun travail, surâgés, malades, convalescens, domestiques ( qui doivent être limites invariablement ), gardeurs de bestiaux, de Q 3


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ESSAI

SUR

L'ART

vivres, de magasins, d'hôpital, Ton. neliers, &c

70.

Commandeurs .. .. .. . 5 Au moulin & aux fourneaux ... 14 A la Sucrerie & à la Purgerie . . 10 4 A la Rummerie 80 Coupeurs de Cannes, quelquefois 20, quelquefois 30, plus souvent . . 25 Muletiers , quelquefois 10 , quelquefois 15, plus communément . . 12 Amareurs de Cannes (1) . . . 10. N.B. Différens ouvriers font partie du nombre des Commandeurs occupés à veiller aux différons travaux, à moins qu'un besoin d'occurrence ne les appelle a l'exercice de leur prosession. Attelier de réserve 50 200 coupeurs suffisent pour couper, Or, les 25 un jour dans l'autre , assez de Cannes pour donner 18 chaudières de vesou , qui à 4 formes chacune (Janvier & Juin compensés par Avril ), font 72 formes par jour; donc l'Attelier de 80 Nègres , dont les 25 coupeurs font la partie proportionnelle , auraient pu donner , comme je l'ai dit, 10,400 formes dans les 6 mois ou 26 semaines que je prescris pour la récolte ; donc tout ce qu'il donnera Ci) Ce font les Nègres qui les mettent en paquets.


DE CULTIVEE LA CANNE. 247 au-dessous de 10,400 formes , soit par le défaut de la saison , soit par la mauvaise administration antérieure, est autant de temps du travail de cet Attelier, dont vous devez vous rendre compte, & qui doit produire l'amélioration de vos terres , & l'augmentation des récoltes suivantes. Car enfin , obliges comme nous le sommes en Amérique , d'avoir toujours assez de Nègres pour subvenir par nous-mêmes aux plus fortes récoltes, il faut bien profiter du temps libre que nous donnent les mauvaises , pour améliorer notre terre , ou louer nos Nègres à d'autres qui en tireront le parti que nous ne lavons pas en tirer. Partons maintenant à l'Attelier de réserve. L'Attelier de réserve , composé de 50 Nègres , suffiroit pour fossoyer 15 quarrés en dix semaines, car il n'y a que 13,456 fosses par quarré ( les distances à 3 pieds en tout sens ) , & chaque Nègre doit en faire au moins 70 par jour, de la profondeur que je les demande ; or il ne feroit à propos de replanter 1 y quarrés, que dans le cas où vous en auriez 90 destinés aux cannes, & que toute votre terre fût de la première ou seconde qualité (voyez p. 169 & suiv. ) , ce qui n'est pas le cas de quatre habitations sur 30 ; vous auriez même dans cette supposition , à vous rendre également compte du travail de 26 semaines de cet Attelier ; donc il vous resteroit encore a trouver l'emploi de 16 semaines. Or, deux semaines auraient suffi pour planter ces 15 quarrés fossoyés; neuf semaines auraient suffi tant pour l'entretien de 20 quarrés

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ESSAI SUR L'ART

de vivres, que pour le sarclage de 30 quarrés de rejetons à mesure qu'ils l'auroient demandé , & pour celui de 6 à 8 quarrés des premières Cannes plantées ; donc vous auriez dû employer les 5 autres semaines du travail de cet Attelier , soit aux évènemens imprévus , soit à porter les amandemens près des pièces à replanter ou à améliorer, soit à en distribuer une partie dans les endroits maigres , & dans les fosses qu'on auroit faites fur la trace dont j'ai parlé. Voyez Observations sur la maniéré de planter ; voy. aussi règle cinquième. Passons aux six derniers mois. SECTION

SECONDE.

Emploi des six derniers mois. Après la récolte , tous les Nègres feront réunis, ouvriers & autres : vous en ferez cinq bandes suivant les différens degrés de force; chaque bande aura son Commandeur particulier sous les ordres du premier Commandeur , dont l'unique emploi fera de veiller sur toutes ; elles travailleront toujours ensemble, à moins qu'il ne s'agisse d'une opération dont je parlerai ci-après, ou de quelque travail accidentel que l'Econome doit toujours diriger lui-même pour peu qu'il soit important. Quand je dis que les cinq bandes travailleront toutes ensemble, je n'entends autre chose , sinon qu'elles travailleront dans la même pièce , chacune suivant fa force , & assez près les unes des autres pour que le


DE CULTIVER LA CANNE.

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premier Commandeur puisse aisément veiller sur toutes. Vous demanderez quelle est la nécessité d'avoir six Commandeurs , en comptant le premier, lorsqu'on n'a qu'un Attelier de 120 a 130 Nègres ; Plusieurs raisons m'y ont déterminé. La première est, que des travaux qu'on va faire, & de la maniéré dont ils feront faits, dépendent en entier la récolte prochaine , & en grande partie plusieurs récoltes suivantes. La seconde, que je crois qu il est difficile qu'un homme veille exactemement sur plus de 25 Nègres, qui occupent un espace de 70 à 75 pieds, dont chaque partie demande un travail égal. La troisième, que pendant le sarclage des rejetons un peu grands, il y a toujours quelques Nègres qui cherchent a s'éclipser, & que plus le troupeau est petit , plutôt ou s'apperçoit des brebis égarées. La quatrième enfin, que je ne voudrais pas laisser a rien faire, ou obliger de prendre une houe, un premier Rafineur,ou un premier Ouvrier quelconque, s'il est capable de conduire un ouvrage , & qui fait toujours sans répugnance celui de Commandeur subalterne , parce que le moindre air de commandement le maintient toujours dans sa petite distinction. Mais une des choses que je recommande le plus strictement, c'est de ne pas appliquer les bandes à des travaux differens hors de la même pièce, excepté dans les cas de nécessité ; c'est l'unique moyen que j'aie trouvé


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ESSAI

SUR L'ART

pour voir beaucoup d'ouvrage fait ; avant d'avoir établi cette règle , les Commandeurs Subalternes faisoient fort peu & très-mal, sous prétexte que leurs Atteliers étoient foiblés, mais en effet, pour que les Nègres sous leur commandement fissent la comparaison de leur douceur avec la sévérité du premier, qu'on ne fauroit trop favoriser & encourager, pourvu qu'on le veille, (sans trop le faire paraître ), d'aussi près qu'il est chargé de veiller les autres. JUILLET. La première opération après la récolte, fera le sarclage & la réparation des vivres généraux destinés aux Nègres , il y a près de trois mois qu'il n'a pas été possible d'y songer (I).

(I) On donne à chaque Nègre en état de travailler, une certaine quantité de terre fur laquelle , pendant les Dimanches & Fêtes, il plante & cultive les vivres qu'il jugea propos ; ceci ne doit être considéré que comme une douceur ; & les habitans qui bornent leur munificence à ce petit jardin , peuvent être allures que beaucoup de leurs Nègres manquent de vivres pendant une bonne partie de l'année , & qu'alors ces malheureux n'ont que le choix de mourir de faim , ou d'aller voler ailleurs au risque d'être tués ou estropiés ; j'appelle vivres généraux , une autre quantité de terre fur laquelle le Maître doit cultiver avec le plus grand foin & pendant le temps de son propre travail, les différentes espèces de vivres les moins sujettes à manquer, pour les distribuer chaque semaine aux Nègres , indépendamment de ceux qu'ils retirent de leur propres jardins , donc je me garde bien cependant d'abandonner la culture à l' activité ou à l'indolence des intéressés, quoique le produit de chaque petite pro-


DE CULTIVER LA CANNE. 251 Les vivres sarclés Se répares , vous donnerez le premier SarclagE aux dernières Cannes plantées, & le second sarclage aux pre-

priété soit totalement à la disposition de son Maître ; voici la règle que j'ai établie à cet égard : le Dimanche matin aussi tôt que l'état de ces petits jardins le requiert, tous les Atteliers réunis sous l'inspection des Commandeurs , travaillent ensemble sans distinction dans tous les jardins ; quatre ou cinq heures , pendant autant de Dimanches consécutifs , suffisent pour mettre tous les jardins en état, & les Nègres ont ensuite ordinairement trois semaines libres : lorsqu'on travaille à ces petits jardins , chacun observe de diriger comme il le juge à propos , l'exploitation de celui qui lui appartient , & travaille ensuite en sous-ordre dans celui des autres ; tous font également plantés , garnis, cultivés ; le foible y gagne , dit-on , le fort y perd , cela est injuste ; j'avoue que je suis le seul qui suive cette méthode , mais qu'arrive t il à ceux qui croient mieux faire ? Leurs Nègres foibles ne travaillent point leur petit domaine , ou le travaillent mal, & vont ensuite voler dans celui des Nègres actifs & industrieux , qui en font instruits ou s'en doutent, les assomment, & les battus n'osent se plaindre ; on prend des mesures , dit-on, pour que tous les Negres se rendent & tra-

vaillent chacun dans son petit territoire , on y envoie l'Econome y cela est vrai, mais l' Econome qui sent l'impossibilité

d'aller reconnoire 150, on 200 Nègres semés dans autant de jardins qui forment un espace de 8 à 12 quairés, prend le parti d'y envoyer le Commandeur qui ne manque pas d'y envoyer quelque autre , qui pour faire voir son exactitude , dénonce à coup sûr, quoique sans l'avoir vu , quelqu'un des misérables les plus sujets à caution, & qu'on a grand soit de punir; 20 autres n'y ont pas été plus que la victime dénoncée, & la plus grande partie de leurs terres est presque dénuée de vivres. Occupez-vous moins du foin de punir, que des moyens de prévenir les fautes ; car il me semble que la plus grande partie de celles qui se commettent sous le globe, annoncent plus l'incapacité ou le défaut de prévoyance des régulateurs, que la prétendue dépravation des délinquans,


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mières ; après quoi vous détacherez la plus foible des bandes sous les ordres du Commandeur subalterne le plus vigilant, pour parcourir les endroits des rejetons que vous aurez vus embarrassés de liannes, & les arracher : cette coude finie , la bande détachée rejoindra les quatre autres, pour continuer avec elles le sarclage & rechauffage des rejetons qu'elles auront déjà commencés ; année commune , ces rejetons feront trop avancés pour qu'on puisse les labourer, mais labourez les rejetons d'Avril ; ce labour a bras n'est pas aussi effrayant qu'on pourroit le soupçonner, il ne prend guères que le double du temps d'un bon sarclage ordinaire, & la terre soulevée par ce moyen arrête les pluies modérées qui la font encore gonfler davantage, & qui ne feroient, au contraire , que couler sur une terre sèche & affaissée : n'oubliez pas cependant que je vous ai recommandé de ne pas labourer pendant les pluies, la terre resteroit sous les pailles qui la couvrent , coupée par gros morceaux , qui privés de l'action du soleil ne sauroient se pulvériser. Cette opération ne fera interrompue que pour donner le second sarclage aux dernières Cannes plantées, & faire de nouvelles courses pour arracher les liannes ; cela demande des promenades fréquentes dans toutes les pièces, mais les liannes nuisent encore plus que les herbes ; celles-ci n'affectent pour ainsi dire que les petites Cannes ; les liannes peuvent couvrir & étouffer les grandes, & comme il est essentiel d'exami-


DE CULTIVER LA CANNE. 253 ner toutes les haies chaque semaine, il n'en coûte rien de regarder à une choie en veillant à l'autre. N. B. Le réchauffage que je recommande de donner toujours, & de ne donner qu'aux rejetons que les circonstances ne permettent pas de labourer, élèvera peu la souche, fi vous avez eu soin de faire couper les Cannes dans la terre ; tenez-y donc bien sévèrement la main, & que les Commandeurs soient punis, s'ils ne veillent pas à ce que les Nègres ne se relâchent point sur cet article ; remarquez d'ailleurs que ce réchauffage ne regarde que des pièces qui n'ont plus qu'une ou deux coupes à supporter, puisqu'elles feront replantées l'année suivante ou celle d'après : ainsi donc , s'il élève un peu la souche, le dommage ne fera pas grand., si même il n'est pas nul. Lorsqu'on aura fini la récolte de bonneheure, c'est à-dire, lorsqu'elle aura été mauvaise , les travaux ci dessus feront achevés vers le 15 de Juillet, & l'on pourra commencer le labour & le fumage complet des Cannes plantées, que vous allez voir détaillés dans le mois suivant. AOUST. La fin du mois précédent & celui-ci tout entier feront confieras au fumage complet au labour de vos Cannes plantées ; je dois prévenir cependant qu'il faut qu'il ait allez plu pour que tous les premiers jets soient sortis ; le temps jusques-là fera employé à


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ESSAI

SUR L'ART

continuer le labour des rejetons , dont il fera question dans les premiers jours de Septembre ; l'ordre ne leva point altéré ; ce ne fera qu'une transposition de travail. Le mois d'Août est celui de l'année où il faut porter au plus haut degré la mesquinerie furies détournemens de Nègres, & le scrupule dans l'examen des allégations de maladie ; du travail de ce mois dépendent réellement six récoltes que vous devez préparer & affiner. Sans doute que pendant le sarclage de vos Cannes plantées , vous avez observé avec beaucoup d'attention , les endroits foibles ou maigres ; sans doute que vous y avez fait porter & mêler avec la terre , la charge de fumier que vous n'avez pas manqué de faire prendre par vos Nègres le matin & le soir des jours qu'ils auront sarclé dans ces pièces, quand même cela les auroit un peu éloignés de l'endroit où ils sarcloient Vous pouvez donc maintenant voir l'effet de ce c'est ce qui second partage de fumier, doit vous servir de règle pour celui qu'il faut y ajouter, vous verrez par la suite que tout celui que vous avez pu faire, est déjà par tas auprès des pièces plantées, faites-le maintenant répandre en raison des besoins de la terre, qui font alors bienvisibles par l'état de ses productions ; ce fera l'occupation des Nègres jeunes & alertes , pendant que la partie pesante de l'Attelier labourera profondément & incorporera le mieux possible , les amendemens avec la terre qu'elle égalera par-tout. Si cette opération est finie vers le 20 , corn-


DE CULTIVER LA CANNE.

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me elle le fera certainement pour peu que vous l'ayez commencée le mois précédent, donnez un second labour en travers , traitez plus particulièrement les endroits foibles , s'il en relie ; aidez même encore d'un peu de fumier ceux dont vous ne ferez pas pleinement satisfait. Je ne crains point de le répéter , il n'en est pas du fumier que vous employere% alors , comme de celui que vous employerie% trois mois plus tard ; vos Cannes sont déjà un peu grandes , & cinq mois de bonnes pluies qui leur restent encore, délayeront ces sels qui dans une autre saison, auroient pu nuire à des plantes encore délicates ; songez enfin , & soyez bien persuadé qu'il cil; possible de faire a vos Cannes plantées, une avance de culture allez bien entendue pour que leur premier produit égale celui de l'autre systême, &. que le produit de leurs premiers rejetons égale celui de la première coupe ; je l'ai vu plus d'une fois : si la saison répond à vos soins, vous pouvez le voir aussi, & dans ce cas, quoique je n'aie annoncé qu'un bénéfice d'une année sur six , vous le trouverez bien plus considérable. Mais , direz - vous , fait es le même traitement aux Cannes plantées en Octobre & Novembre. La proximité du sec m'en empêche, autant que la portion de récolte que je veux faire en Janvier , pour ne rien forcer les mois suivans ; & si je le faisois, si je réussissois aux dépens de la récolte de Janvier, & au moyen de pluies subséquentes contre le cours ordinaire des saisons , si j'y réussissois, dis - je , je trouverois certainement quinze mois après dans mes pièces ainsi traitées, beaucoup plus de


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ESSAI SUR L'ART

Cannes pourries , beaucoup plus de Cannes créoles, que de Cannes propres a porter au moulin; je n'en veux d'autre preuve, que le renversement de la plus riche partie de ces Cannes plantées en Octobre & en Novembre, quoique plantées avec de plus mauvais plant, cultivées avec moins de recherche, point labourées, & point ou mal fumées. Il me relie une observation très-importante a faire sur le travail de ce mois. On a vu que le plan ces racines de la Canne le plus vigoureux , celui qui porte à cette plante la plus grande quantité ce nourriture, qui demande conséquemment le plus d'attention, est aussi le dernier formé, & toujours à la superficie de la terre ; c'est donc sur-tout vers le temps où il se forme, que la terre a le plus besoin d'être ameublie : or, ce temps est aussi celui où les secondes productions , que j'ai appelées les productions propres de la souche, commencent ou vont commencer à paraître , donc le travail plus recherché tant en labours qu'en fumier, que je donne au mois d Août à la terre plantée en Mai & Juin , répond aux deux fins dont je viens de parler, & convient beaucoup mieux alors, qu'il n'auroit fait avant que la Canne eût été plantée. Il importe beaucoup de considérer aussi que toute pluie forte, qui frappe avec violence fur une terre découverte , l'affaisse au lieu de la gonfler, & que ce travail plus recherché du mois d'Août, se fait dans un temps où la terre est à la veille d'être tout-à-fait couverte par les feuilles déjà grandes , ce qui est trèsà-


DE CULTIVER LA CANNE. 257 à-propos pour empêcher que les pluies qui vont bien-tôt être abondantes & violentes ( Voyez le Tableau détaillé ci-après dans la quatrième Partie ), ne puissent affaisser la terre en la frappant directement, elles ne feront au contraire qu'y filtrer, pour ainsi dire , au travers des feuilles qui en auront amorti la violence. Ce choix du temps des labours , proportionné aux besoin des plantes, est encore conforme au sentiment de M. Duhamel, qui dit, Elémens d'agriculture pag. 442. „ Quelque bien » cultivée que se trouve une terre en automne lors„ qu'on sème les fromens , elle s'affaisse pendant » l hiver.... de sorte qu'après l'hiver la terre est à» peu -près dans le même état où elle feroit fi elle » n'avoit pas été labourée ; c'est cependant dans cette » saison que les plantes doivent taller ( donner de

" nouveaux jets ou secondés produirions ) » « « „

& croître avec plus de vigueur Il est donc sensible qu'en suivant l'usage ordinaire , les labours qui ont précédé les semailles , mettent la terre en état de fournir beaucoup de subsistance au

" froment dans le temps ou il n en consomme presque pas puisqu'il ne produit pendant tout l'hiver que quelques feuilles ; ( ainsi que nos Cannes font depuis Mai jusqu'en Août) maison abandonne » h froment à lui-même dans une terre devenue com» pacte , lorsqu'il devrait être secouru par des labours " convenables , puisque c'est la saison ou il doit faire » de grandes productions a. Si M. Duhamel eût

parlé de nos Cannes, auroit-il parlé différemment ? * R


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ESSAI

SUR L'ART

Septembre.

Sarclez vos vivres. Donnez un labour aux rejetons dont vous attendez encore quatre coupes, & suivez, par rapport aux liannes, la même règle dont j'ai déjà parlé, elle est essentielle. Ce n'est point l'ordre des coupes qu'il faut consulter à cet égard , c'est le Besoin. Ces différens travaux prendront tout au plus dix journées, il vous en restera dix-sept. Vous en êtes au labour & à la réparation des premiers rejetons de ces Cannes que vous avez plantées l'année dernière avec tant de loin , cultivées avec tant de recherche , & coupées cette année-ci pour la première fois ; il ne faut pas les négliger malgré leur vigueur : vous y avez d'ailleurs, peut-être, observé quelques endroits foibles, consacrez- leur tout le reste du mois, & même trois ou quatre jours du mois suivant ; les Cannes font allez grandes pour vous laisser voir leurs défauts, elles ne le font point assez pour vous empêcher d'y porter remède ; vous verrez aussi plus bas que les amendemens nécessaires font à portée , ne les négligez pas, je le répète, elles ont encore cinq coupes à vous donner. Pourriez-vous, fi les Cannes plantées avoient été coupées en Février ou Mars, comme elles le font quand on les plante en Novembre, pourriez-vous, dis-je, les amander en Septembre ? Non , vous ne le pourriez pas : les rejetons feroient trop grands, vous en briseriez


DE CULTIVER LA CANNE. 259 une grande quantité, il faudrait les laisser tels quels. Dans mon systême, j'ai donc réellement deux années de six pour amander une pièce de terre ; vous n'en avez qu'une de quatre dans le vôtre ; je le répéterai ; pour amander la terre,vous n'avez qu'une année sur quatre, j'en ai deux sur fix (I) ; car Ci le travail que je donne à ma terre , la secondé année, n'équivaut pas à celui, que vous avez donne à la vôtre lorsque vous l'avez plantée, le travail que j'avois donné à la mienne après la plantation , est bien supérieur au vôtre. Or , il n'y a rien de perdu dans la nature : or, une année de votre travail vous donne quatre années de coupes, donc deux années d'un travail égal doivent m'en donner huit, donc ma huitième coupe devrait être égale à votre quatrième, & ma septième meilleure ; donc ma sixième , à laquelle je me borne, laisse encore des sels à la terre, lorsque votre quatrième doit avoir épuisé tous ceux dont vous l'aviez enrichie : donc cette partie de sels conservés , ajoutés aux nouveaux que je lui procurerai par mes fumiers & mes labours en la replantant , la rendront encore plus fertile que la vôtre ne le fera, quoique replantée après quatre récoltes seulement, & avec la même quantité de fumier que j'aurai employée la première fois: donc si votre systême peut user (I) Cette répétition paroît inutile. J'en doute : elle m'a réveillé à deux lectures consécutives que j'ai faites de mon manuscrit après l'avoir oublié pendant trois ans.

R 2


ESSAI SUR L'ART 260 la terre , le mien doit la conserver ; donc si Je vôtre peut la conserver, le mien doit l'enrichir. Mais l'action du fumier , dira-t-on ne doit pas être sensible pendant six années.

Pourquoi donc, ( m'obstinerai-je toujours a demander) pourquoi les espaces sur lesquels on a placé les monceaux de fumier, pourquoi les emplacemens des parcs à bestiaux lorsqu'ils font plantés en Cannes, en donnentils constamment de superbes pendant dix, douze , quinze années ? Revenez aux essais dont j'ai parlé dans l'examen de mon premier principe ; ameublissez votre terre au point où votre plante l'exige ; voyez quelle espèce d'amendement peut la soutenir le plus longtemps au point de gonflement délire : le fumier ne fussit-il pas? Y faudrait-il le mélange d'une autre terre, ou plus légère, ou plus compacte, charroyez comme les habitans de la province de Norfolk, dont je parlerai bientôt ; étudiez enfin la qualité de votre fol ; à moins de vouloir s'abuser, on ne peut s'y méprendre à l'aspect des productions ; classez courageusement chacune de vos pièces de Cannes (V.p. 168), car toutes ne se ressemblent pas; retranchez sans pitié les parties ingrates, couvrez-les des plantes qui vous donneront la plus grande quantité de nourriture propre aux bestiaux , doublez, s'il le faut, la quantité de ceux-ci , dont le nombre fertilisera vos terres, & meublera enfin vos tristes boucheries, qui même jusqu'à ce moment n'ont subsisté que par des moyens précaires, par


DE CULTIVER LA CANNE. 261 une importation subordonnée à mille évènemens, & dont vous vous approprierez tous les profits. Octobre.

Continuez la réparation dont je viens de parler, si elle n'est pas achevée ; supposons quatre jours. Donnez un sarclage général, j'entends où il pourra se donner, & je m'explique : partout où l'œil du Commandeur ne distinguera pas facilement la tête de vos Nègres, il y en aura d'assis à dix pas, cassant & mangeant des Cannes, soyez en sûr. Ce sarclage ne prendra pas une semaine Sarclez encore les vivres ; trois jours suffiront. Videz a présent vos parcs à bestiaux, mettez-en le fumier en tas dans les endroits les plus favorables aux charrois. ( Voyez l'article des fumiers ). Continuez jusqu'à ce que vous soyez appelle à quelques sarclages de lisières, les seuls possibles dans ce mois , lorsque les Cannes sont plantées & entretenues de la manière & dans le temps que je prescris. Novembre..

Continuez a préparer, & commencez a charroyer vos fumiers. Voyez l'article. Faites les réparations nécessaires a vos bâtimens, à vos chaudières & autres ustensiles à R 3


262. ESSAI SUR L'ART sucre & à rum : à l'égard de vos chaudières à sucre , ne les faites jamais remonter en entier, c'est au moins une duperie , & c'est toujours un risque de le faire lorsqu'elles bouillent très-bien ; il faut avoir deux équipages montés, l'un pour suppléer a l'autre en cas d'accident : lorsqu'il casse une chaudière , en la réparant, réparez parfaitement son fourneau , examinez les pieds droits , des deux chaudières voisines , & Leurs couvertures ( ce sont les pierres qui forment le canal de l'une à l'autre ) ; changez les pierres brûlées ou trop

endommagées ; veillez sur-tout a ce qu'on remplace la chaudière cassée, par une autre de même diamètre & de même profondeur, qu'elle soit placée bien exactement clans le centre de son fourneau, & à la même, élévation que la précédente, vous en aurez pour la vie. Si les réparations nécessaires aux bâtimens, moulins , &c. de quelque espèce qu'elles puissent être, ont été de nature a demander d'autres ouvriers que ceux qui font fur l'habitation , vous avez dû vous arranger pour les avoir immédiatement après la récolte : l'unique moyen d'avoir tout prêt au besoin , c'est de se préparer long-temps avant le besoin. Tout le monde voulût-il adopter votre méthode , payez plus exactement que les autres , & vous ferez le premier servi ; fi tout le monde paie exactement, nous abonderons en ouvriers du premier ordre, & au lieu de trouver notre avantage dans la gêne du plus grand nombre, nous le trouverons dans l'aisance générale,


DE CULTIVER LA CANNE. 263 Décembre.

Continuez la préparation & le charroi des fumiers. Préparez la Sucrerie, la Rummerie, mettez vos moulins en état. Vers le 20 du mois, sarclez bien vos vivres, vous n'y retournerez qu'en Avril. Le 27 ou 28 au soir , coupez des Cannes pour mettre au moulin deux heures avant le jour ; il y a toujours quelque chose à quoi l'on n'a pas songé , ou qu'on a mal examiné ; vous le saurez plutôt, & le temps que vous passerez à y porter remède, ne sera pas pris sur celui de la récolte. RÉCAPITULATION De l'emploi des six derniers mois.

Ma récolte finie le dernier de Juin, la seule chose que j'aie à faire pendant les six derniers mois, c'est de soigner mes Cannes plantées & mes rejetons. Partie de Juillet, tout le mois d'Août, & celui de Septembre, font employés a sarcler, fumer, labourer, labourer encore, & refumer mes Cannes plantées & mes premiers rejetons ; à moins d'une séchereffe extraordinaire, il ne fera pas possible d'y entrer au mois d'Octobre pour y faire aucune espèce de travail. Il est également certain que mes autres rejeR 4


ESSAI SUR L'ART 264 tons pour lesquels j'ai eu une attention proportionnée a la quantité de coupes que j'en attends encore , feront presque tous allez grands, assez impénétrables pour me forcer dans le même temps a les oublier jusqu'au moment où il faudra les couper. Il me reste donc , comme je l'ai dit plus d'une fois, environ deux mois & demi, pendant lesquels je suis nécessité a ne m occuper que du soin de me procurer la plus grande quantité du meilleur fumier , a chercher les amendemens de toute espèce les plus propres à mes terres, & les tenir prêts aux besoins de l'année suivante. Il faut maintenant expliquer comment il est possible de faire au moyen de mon systême, dans le. même temps & avec la même quantité de Nègres & des autres ressources, beaucoup plus de travail dont on peut rendre compte , que dans le systême de la grande culture ; & c'est par-la que je terminerai ma seconde partie. CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE. PARALLELE DES

DEUX

SYSTÈMES.

On y verra de nouvelles, raisons, pour établir un ordre aussi invariable dans les détails particuliers } que dans la généralité du plan,

J'atteste l'expérience particulière de tous les habitans, sur la certitude du premier fait dont je vais parler, quoiqu'il me soit personnel ,


1

DE CULTIVER LA CANNE. 265 Pendant que j'ai suivi le systême de la grande culture , je finnois assez imparfaitement, quoique de mon mieux , quelques - uns des plus mauvais endroits de ma terre ; je pouvois a peine suffire aux autres travaux ; il y en avoit toujours quelques - uns d'arriérés , & très-peu de faits dans leur vrai temps ; depuis que j'ai adopté le systême de la petite culture, lorsque mes Cannes font plantées & fardées, il me reste annuellement Pour le labour & le fumage complet de ces mêmes Cannes plantées, au moins 30 journées de tout mon Attelier. ( Voy. travail d'Août, & celui de la fin de Juillet ) . .

Pour le fumage & la réparation de la seconde année, donnés aux rejetons des Cannes plantées l'année précédente, au moins 20 journées. ( Voy. travail de Septembre. ) Il me reste, pour la préparation & le charroi des fumiers & amendemens, nonseulement de l'année qui va suivre, mais encore pour fonder ceux de l'année d'après, au moins 60 journées. ( Voy. la fin du travail d'Octobre , tout le travail de Novembre , & la plus grande partie de celui de Décembre

30

20

60

110 Cent dix journées. Tout cela est visible ; mais comment cela se fait - il ? Le voici. Dans le systême de la grande culture, pendant que vous faites du Sucre , eussiez - vous quarante Nègres de plus qu'il ne vous faut


ESSAI SUR L'ART 266 pour cette opération , si vous n'avez, outre la fabrique du Sucre, un objet fixe à remplir, vous faites du Sucre , & rien de plus : cependant vous ne laissez pas vos Nègres à dormir; mais que font-ils ? ils font très-mollement, fous la direction de votre plus mauvais Commandeur, des travaux équivalens a ces riens dont je viens de vous accuser ; des travaux dont il vous feroit impossible de vous rendre compte la semaine d'après, quoiqu'ils aient paru essentiels quand vous les avez ordonnés ; de s travaux enfin qui font tout au plus propres a figurer dans le journal d'un sous-ordre. Dans vos prétendues semaines de triomphe , je veux dire de roulement à deux équipages , que vous êtes obligé d'interrompre souvent pour donner un peu de relâche à vos bestiaux , & pour sarcler vos Cannes plantées en Octobre , Novembre ou Décembre , il y a presque Toujours eu un de ces équipages qui attendoit le vesou, & à peine avez-vous fait un quart, ou même un cinquième de plus que vous n'auriez fait, si vous aviez roulé a un seul équipage bien servi ; & pourquoi ? pour finir trois semaines plutôt. Dans le systême de la petite culture , la partie de la récolte est une affaire si décidée, & qui va si bien d'elle-même, que vous ne vous en appercevez que lorsqu'il y a quelue chose contre l'ordre , comme manque e cannes au moulin , ou de vesou a la Sucrerie ; vous êtes donc tout entier , quel que soit votre Attelier, a vos 8,10, 12, 14 quarrés qu'il faut absolument avoir non - seulement

q


DE CULTIVER LA CANNE. 267 fossoyes en Mai, mais pourvus de la petite quantité de fumier que vous jugez nécessaire pourles premiers besoins du plant, & comme vous savez que cela ne peut être fait que par l'Attelier de réserve , vous avez l'esprit continuellement tendu à ce qu'il soit toujours le plus considérable qu'il est possible : d'un autre côté, votre premier Commandeur , qui fait cela tout aussi bien que vous, & qui est à la tête de cet ouvrage, y tient la main bien plus strictement encore que vous - même, parce que c'est son ouvrage spécial. Qu'on dise au mien , par exemple, de mettre , comme on fait ordinairement, cinq à six mauvais Nègres à remuer les bagaces qu'on fait étendre au soleil, il répondra qu'un seul suffira bien il la couche n'est pas épaisse, & que les cinq autres, tout mauvais qu'ils font, feront toujours quelque chose avec lui ; & soyez sûr qu'il donnera ensuite la plus vieille Négresse de l'Attelier, aussi propre effectivement pour cette opération que le plus robuste de tous vos Nègres : dites - lui de mettre trois ou quatre Negres des plus foibles, a hacher les têtes de Cannes que vous ferez donner aux bestiaux, afin qu'ils les mangent plus facilement , & qu'ils en mangent davantage ; il vous dira que pendant quinze ans que je ne l'ai pas fait, mes bestiaux, grâces aux grosses écumes de la grande ( la meilleure espèce d'avoine que je connoisse pour engraisser & fortifier), ont toujours été très-gras & trèsvigoureux : il vous dira même que lorsque j'ai essayé de faire comme les autres ( parce


ESSAI SUR L'ART 268 que tous ces détails supposent des avantages dont l'espoir séduit toujours ) , mes bestiaux ont eu le dévoiement pendant les premiers jouis ; dites-lui qu'ils se font ensuite accoutumes à ces têtes de Cannes hachées, il vous répondra , comme il m'a déjà répondu, que ce n'est point une raison pour les rendre malades, que d'être assuré que la santé leur reviendra bientôt après } j'ajouterai , de mon propre fond , que les feuilles presque sèches que les bestiaux font obligés de manger, quand on ne prend pas la peine de les détacher des noeuds qui composent la tête , en corrige présomptivement la crudité qui les dévoyeroit : il arrive donc , au moyen de beaucoup de petites mesquineries pareilles , que le grand travail du plantage se trouve achevé avant que votre récolte soit faite : & votre récolte ne finit cependant que trois semaines ou un mois plus tardDans le systême de la grande culture, je fossoyois une plus grande quantité de terre, mes fosses étoient beaucoup plus larges & plus profondes ; ainsi donc ma récolte finie, il falloit employer a très-bien fossoyer, & a fumer, tant bien que mal, 70 journées, dont 70 à peine 10 à fumer au employer Il falloit moins 20 journées a deux sarclages de plus, qu'exigent les rejetons des Cannes plantées à de 20 grandes distances a ensuite Il falloit employer a planter , sarcler & recourir les Cannes plantées, au


DE CULTIVER LA CANNE. 269 moins 20 journées 110 Ce font véritablement 110 journées que je gagne , a. la réserve des dix employées au fumage proprement dit, & remarquez que j'y passe à présent tout le mois d'Août , & partie de Septembre, indépendamment de 58 à 60 jours d'Octobre , de Novembre & de Décembre , pendant lesquels il faut nécessairement, dans mon systéme, prêter ses Nègres à ses voisins, ou les laisser alternativement dormir & voler, ou les employer à préparer & porter les amendemens de l'année suivante. Ce tableau fortifie sans doute beaucoup , le résultat de l'examen du premier principe , & décide, ce me semble, en faveur d'un systême qui joint a cet avantage presque inappréciable, celui de préparer & de faire ses récoltes avec tant d'ordre, d'où naît tant de facilité pour le Régisseur, pour les Nègres & pour les bestiaux. Quant à la distribution des travaux, telle que je viens de la proposer, ce feroit, comme je l'ai a-peu-près dit, le plus grand des hasards si dans le nombre des possibles, j'avois trouvé la plus parfaite ; je suis bien éloigné d'une pareille idée ; ce que j'ai le plus a cœur, c'est de persuader a mes compatriotes, qu'il faut un plan tel qu'il puisse être ; le plus mauvais de tous, exactement & constamment suivi, donnera du moins un revenu fixe, égal, sur lequel on pourra compter ; cela n'a pas be-


270 ESSAI SUR L'ART soin de preuve; mais il l'expérience universelle ne permet pas de douter, qu'en fait de Régisseurs de toute espèce, le premier foin de celui qui entre en exercice est de prouver que ion prédécesseur n'avoit pas le sens commun , ne donnez pas le nom de plan a des dispositions d'Economes, que le propriétaire est exposé à voir changer journellement, soit pour des inconsidérations réciproques toujours exagérées , soit pour des sujets réels de mécontentemens donnés ou reçus. Le propriétaire seul doit former son plan , l'écrire , bon , mauvais ou médiocre, le donner, & tenir la main à ce qu'il soit invariablement suivi, & de telle manière., que changer d'Econome, ne oit jamais autre chose pour le Maître, que remettre entre les mains d'un homme , le foin d'exécuter ce qu'un autre étoit chargé d'exécuter avant lui. Mais , direz-vous, combien de circonstances im-

prévues qui peuvent rendre un plan impratiquable dans toutes ses parties , & c'estl'ensemble du vôtre que vous prescrivez sistrictement. Je n'ai jamais pu ni voulu

renfermer dans cette prescription,les accidens forcés qui commandent a tout; mais dans ce cas, prenez le plan , & puisqu'il est question du mien , voyez quelle est la partie, ou plutôt quelles font les portions de parties , dont le sacrifice peut le moins nuire au tout ; ce ne doit jamais être celle du plantage dans le temps prescrit, ce ne doit jamais être celle du fumage complet, mais ce peut être celle du labour des rejetons , auquel il faudroit, dans un cas forcé, substituer un simple sarclage ;


DE CULTIVER LA CANNE. 271 j'en dirai de même du second labour des Cannes plantées ; ces deux articles prendraient trois semaines ; & quels évènèmens peuvent arriérer de trois semaines les travaux d'une habitation bien réglée ? A moins que ce ne soit un incendie général des bâtimens , événement possible, mais dont la supposition ne doit influer que sur les précautions à prendre pour s'en garantir, & pour arrêter le progrès du mal aussi-tôt qu'il s'annonce : chaque habitant doit donc être pourvu d'une pompe à feu , qu'il fera jouer inutilement tous les quinze jours, tant pout y exercer ses Nègres, que pour s'assurer de l'état de sa pompe; pratique indispensable dans un pays où tout infiniment oublié, est bien-tôt incapable de service , l'air filin y corrode tout ce qui n'est pas d'un usage journalier. L'ordre dans les détails est d'une conséquence aussi grande que l'ordre général dont je viens de parler. Lorsqu'un Nègre fait qu'il fera demain ce qu'il a fut aujourd'hui, qui n'est autre chose que ce qu'il faisoit hier, il travaille sans songer qu'il travaille , & c'est le plus grand point; alors tout va de foi-même, il n'y a qu'à contrôler ; mais les innovations les plus légères chagrinent un Attelier, suffisent même quelquefois pour le déranger; il ne doit également en être fait que par le propriétaire, & encore avec sobriété , à moins que par des actes non interrompus de sermeté , de bonté , de justice envers le plus grand, comme envers le plus petit de ses Nègres , il n'ait totalement subjugué leur


272

ESSAI

SUR

L'ART, &c.

confiance : quand je longe que cela est fi facile .... que cela feroit si avantageux & que cela est si rare ! les Despotes AmÊricains font aussi aveugles que les autres. Fin de la troisieme Partie„

ESSAI


ESSAI SUR.

L'ART DE CULTIVER LA CANNE ET

D'EN EXTRAIRE LE SUCRE.

QUATRIÈME Détails , &

PARTIE.

Vues d'amélioration.

ARTICLE

PREMIER,

De là Police intérieure de l'habitation

De tous les détails économiques , le plus essentiel est celui qui regarde la police intérieure de l'habitation, c'est-à-dire, le gouvernement des Nègres, dont nous allons parler, & celui des sous-ordres blancs chargés des différens districts, dont nous parlerons ensuite. Du Gouvernement des Nègres.

On a beaucoup déclamé contre l'esclavage


274

ESSAI

SUR

L'ART

des Nègres, on a même voulu persuader qu'il feroit facile , Chrétien, avantageux, de l'abolir en Amérique, mais rien de moins démontré que ces trois points ; rien de plus douteux, au contraire, que le prétendu bien qui eut résulté de cette abolition ; & rien de plus évident que la ruine des propriétaires , qui en eût été la suite, l'anéantissement des Colonies qu'ils font fleurir, la perte du commerce immense dont celles-ci font l'aliment , & la misère de quelques millions d'Européens dont ce commerce allure la subsistance. Qu'il me soit permis de présenter quelques réflexions a ces mêmes Philosophes, dont le zèle a cet égard me paroît plus édifiant que raisonné. La différence des conditions est une suite nécessaire de la différence des facultés corporelles & mentales. Qu'on établisse aujourd'hui cette égalité si vantée, si admirable dans la théorie , demain elle ne subsistera plus ; & l'anarchie de quelques heures aura produit plus d'horreurs , que les injustices commises pendant dix siècles dans la société la plus mal policée. Cette différence des conditions est donc dans l'ordre naturel & physiquement nécessaire des choses, comme elle est dans l'ordre civil politique ; heureusement , pour la consolation de la philosophie , quant à l'objet qui intéresse le bonheur réel ou plutôt cette dote très-modique de bien être, départie à l'humanité, toutes les conditions font égales ; & si l'on me proposoit l'option de me réveiller demain le premier des Monarques ou le der-


DE CULTIVER LA CANNE. 275 hier des hommes , pourvu qu'on ne manquât pas d'ajouter dans un cas comme dans l'autre , l'oubli total de mon premier état, la persuasion intime que j'aurois toujours été dans la position où je me trouverais, & les id ces qui en font la suite , je prierais le premier venu de choisir pour moi, bien convaincu que l'avantage qui résulterait du choix le plus réfléchi , ne payerait pas les frais de la délibération (I). C'est cette espèce d'inquiétude, presque aussi attachée au travail de l' esprit qu'à l'oisiveté , qui nous rend tous mécontens de notre état & qui nous persuade que nous le sommes de celui des autres. Le travail du corps, le plus grand bien de l'homme , j'oserois presque dire le seul, quand il n'excède pas les forces, & qu'il est payé par une nourriture abondante, garantit les conditions inférieures de ce poison qui dévore, qui consume toutes les autres. Cependant quiconque est destiné a vivre de son travail , est dans le fait esclave de celui qui l' emploie , sous quelque dénomination & dans quelque climat que ce puisse être; & si l'esclave le plus malheureux étoit celui que le plus grand intérêt de son Maître l'oblige de nourrir & de soigner dans l'état de "maladie comme dans celui de la meilleure santé, ce ne pourrait être que par une erreur de jugement dans le Maître (1) Je n'ai vu personne qui n'ait commencé par lire de mon idee, & qui n'ait fini par l'adoptet sans modification.

S 2


276

ESSAI

SUR L'ART

qu'on peut éclairer, & par une négligence bien plus condamnable dans le Prince qui doit veiller au maintien de la balance entre toutes les classes qui concourent à la prospérité de l'état. Aux yeux du vrai Philosophe, l'esclavage ne peut donc être qu'une condition particulière , qui ainsi que toutes les autres, à les désavantages & les dédommagemens ; aux yeux du Législateur, c'est une condition utile ; il ne doit pas longera la détruire , mais a convaincre les autres de son utilité; à lui procurer, a lui assurer tous biens dont elle est susceptible ; à la garantir de tous les maux qui ne lui font pas inséparablement attachés ; à intéresser a l'amélioration de son état, ceux qui par des idées fausses, des préjugés aussi absurdes que funestes, auroient le malheur de se croire intéressés à son avilissement, peut-être même a l'aggravation de sa misère. La plus grande richesse possible du Maître, d'où naît le plus grand revenu pour l'Etat, & la plus grande quantité de jouissances pour l'universalité du globe, ne peut être que le produit de la plus grande force possible de l'esclave, soit qu'il en porte le nom, comme dans nos Colonies,, soit qu'on l'appelle libre, comme les paysans d'Europe : une loi qui prononcerait en Amérique sur des intérêts aussi peu contradictoires , ou pour mieux dire , aussi identiques , pourroit-elle être exposée a des contradictions , lorsqu'elle ne feroit que l'énoncé du rapport nécessaire & visible entre la fin & les moyens. Que l'esclavage en Amérique soit donc


DE CULTIVER LA CANNE. 277 considéré comme une enfance prolongée ; que les esclaves ne soient , aux yeux du Législateur , que des enfans dans un état continuel de minorité sous la tutelle immédiate de leurs maîtres, qui en repondent à L'Etat comme s'ils en étoient les pères.

Du droit de paternité , naît le devoir de nourrir-, du devoir de nourrir, naît le droit de contraindre au travail ; de l'abus possible des moyens coercitifs, & des suites possibles de ces abus, s'ils étoient multipliés, naît le Mais j'oubliois que je devoir de statuer ne fuis qu'un Laboureur. Il faut des bras pour travailler la terre , & sans parler comme Législateur, comme Chrétien , comme Philosophe , mais Amplement en Agriculteur , c'est une mauvaise économie de dépenser beaucoup d'argent pour en acheter de nouveaux, lorsqu'avcc un peu d'argent & quelque indulgence , on peut conserver les anciens , qui valent beaucoup mieux. Mes Nègres font une portion de mon bien , sans laquelle l'autre me deviendrait inutile ; je me borne a cette confédération économique -, j'ajouterai feulement que je crois de très-bonne foi que si je les nourris, si j'en ai soin , ni mieux ni plus mal qu'il est de mon intérêt de le faire , ils feront tout aussi libres & plus heureux chez moi, qu'ils ne le feraient en Ecosse , en Irlande , en Limousin , à regarder de l'avoine , des patates , des châtaignes, qu'ils ne pourraient manger fans les gagner par un travail trèsdur , ou sans les voler au risque d'être peu S 3


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ESSAI

SUR

L'ART

dus. Je le répète donc sans faste , comme sans remords, mes Nègres font une portion de mon bien , que je considère comme un paysan considère ses enfans, comme des gens qu'il a droit de faire travailler , parce qu'il est obligé de les nourrir. Comme lui, je ne puis songer au droit de faire travailler mes, Nègres, sans supposer préalablement l'obligation de les nourrir & entretenir, mauvais comme bons, malades comme sains, infir mes comme robustes : cette obligation établit mon droit, & ce droit n'est pas trop payé, par une obligation que mon intérêt bien calculé se gardera bien de longer à restreindre. Indépendamment donc de tout autre motif, nourrissez & entretenez vieillards & infirmes,afin que la jeunesse robuste n'épargne pas des forces dont la perte doit lui assurer le repos sans la priver de la subsistance. Ayez grand soin des malades, afin qu'ils le soient le moins de temps possible ; faites grand cas des bons, parce qu'ils font d'une grande utilité ; ne négligez pas les mauvais, parce qu'ils peuvent devenir bons, ce que j'ai vu trèssouvent. Mais , dit - on , les Nègres sont si médians ! soit, pourvu qu'on dise aussi les écoliers font si méchans ! les matelots font i méchans ! les femmes font si méchantes ! car j'avoue que je ne vois aucune différence entre ces trois espèces d'êtres, & cela vient de la même cause ; quiconque est obligé de soumettre le plus souvent sa volonté a celle d'autrui, se dédommage de la contrainte autant de fois qu'il en trouve l'occasion. Partout où la force est trop active, la nature


DE CULTIVER LA CANNE. 279 présente un contre - poids. Examinez l'intérieur de toutes les familles , dans ces pays fortunés où l'esclavage de nom est inconnu, vous y trouverez une ligue naturelle & tacite entre tous les domestiques pour tromper le père , la mère & les enfans, entre les enfans & les domestiques pour tromper le père & la mère, entre la femme, les domestiques & le s enfans pour tromper le mari. Etendez votre horison, vous trouverez la même ligue entre les particuliers pour tromper tous les corps, entre tous les corps pour tromper le Prince ; ce qui est fans exception , doit être sans doute. Bornez-vous donc à prévenir les abus : pensez a l'égard des esclaves, comme a l'égard de tous les hommes ; balancez le peu de vénération que mérite l'espèce , par l'indulgence que les circonstances exigent pour chaque individu ; & que la méchanceté prétendue des Nègres ne vous fasse pas oublier : Que vous avez besoin de leur travail ; donc il faut les nourrir ; je ne me lasse point de le répéter : Que vous aurez toujours besoin de leur travail, donc il faut veiller a ce que les vivres soient plutôt dans le cas de pourrir que de manquer: Que vous avez besoin que ce travail se fasse avec intelligence ; donc vous leur laisserez toute la liberté dont vous n'avez pas besoin ; vous éviterez des témoignages de mépris qui ne peuvent tendre qu'à les abrutir ; & vous raisonnerez le plus que vous pourrez avec S 4


280

ESSAI

SUR L'ART

eux, afin qu'ils fassent usage de leur raison a votre profit : Que vous avez besoin que ce travail se fasse avec gaieté , parce qu'alors ils ne s'en apperçoivent pas, & que le travail ne lasse point lorsqu'on travaille sans s'en appercevoir ; donc bien loin de prendre avec eux une morgue qu'ils sauroient bien contrefaire sous vos yeux sans que vous vous en appercussiez, vous ferez, au contraire, le premier a rire des agaceries quelquefois très-singulières qu'ils se font,même en présence du Maître, quand il n'a pas la manie de jouer le Sultan , & auxquelles il ne dédaigne pas quelquefois de prendre part , s'il lait bien son métier de Maître : Que vous avez besoin que ce travail soit fou tenu ; donc vous leur laisserez très-scrupuleusement les heures & les jours destinés a leur repos ou à leurs plaisirs, ou a la cul-, ture de leurs propres jardins , qui devient pour eux une espèce de délassement après un travail de nécessité , qui pris fans relâche , anéantirait une énergie qu'il est si fort de votre intérêt de conserver : Que vous avez besoin que ce travail soit pouffé avec force , dans un temps où il est aisé de l'apprécier, dans un temps où tous réunis sous vos yeux, pas, un ne peut se soustraire à son devoir, ou le faire avec négligence, sans que son absence ou sa mollesse ne vous frappe : donc après la récolte , vous n'ordonnerez jamais de veillées, hors les cas d'absolue nécessité; & même alors, sous aucun prétexte,


DE CULTIVER LA CANNE. 281 elles ne parleront pas une heure ou une heure & demie : quant aux veillées de la récolte , elles ne chagrinent jamais les Nègres ; ils ne murmurent jamais contre la nécessité (I). Habituez vos Nègres à se croire punis avec des châtimens modérés ; le but du châtiment est de faire rentrer les uns dans l'ordre, & d'y maintenir les autres ; j'ai toujours vu que d'extrêmes sévérités , auxquelles mêmes les Nègres s'accoutument, produisoient le contraire de ces deux effets ; d'ailleurs les châtimens rigoureux entraînent la nécessité de fermer souvent les yeux sur des fautes qu'on ne pourrait sans inhumanité punir de cette façon, & qui cependant peuvent tirer â de grandes conséquences : en châtiant, au contraire, avec modération, vous êtes dispensé de pardonner , pour peu qu'il y eût d'inconvénient à le faire, & vous pouvez , au lieu de prendre de misérables petites précautions pour vous assurer du coupable , l'envoyer luimême demander son châtiment au Commandeur ; le seul nique que vous couriez dans ce cas, c'est qu'il se trompe dans le nombre des coups que vous aurez ordonné ; qu'importe ? l'objet est rempli ; si la punition n'a pas été très-grave , il l'a vue pendant quelque temps suspendue sur fa tête, il a eu l'humiliation d'aller la demander lui - même , les autres

(I) Pendant la recolte on travaille nuit & jour à la sucrerie ; la moitié des Nègres travaille depuis sept heures du soir jusqu'à minuit, l'autre moitié depuis minuit jusqu'au

jour.


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l'ont vu aussi, tout cela refferre les liens de la subordination : au contraire , ils font au moins relâchés ces liens , s'ils ne font pas anéantis , lorsque la crainte d'un châtiment atroce engage le coupable à s'évader pour s'y soustraire ; à l'avenir il croira toujours, & les autres croiront aussi s'assurer l'impunité par ce moyen , qui vous privera de leur travail non-seulement pendant leur maronnage ( leur absence ) , mais même souvent après leur retour , car il faudra bien double rigueur pour les deux fautes. Que le châtiment paroisse toujours une fuite inévitable de la faute , & jamais un effet de la passion ; c'est un moyen assuré pour que la modération du châtiment paroisse un effet de bonté , non de foiblesse ; ne montrez donc jamais de colère, à moins que vous n'ayez le dessein de la substituer au châtiment ; dans ce cas, tonnez autant de fois que le bruit suffira ; mais imposez-vous la loi de n'ordonner jamais aucune punition, pour une faute qui vous aura arraché le moindre trait d'emportement : quant aux traits ironiques dont j'ai vu quelquefois accompagner les châtimens, je ne puis rn'empêcher de les regarder comme la preuve la moins équivoque de la petitesse de l'esprit , de la bassesse de l'ame & de la dureté du cœur , vous comprenez aussi que cet usage de faire coucher ou d'attacher un Nègre pour le punir, ne peut s'accorder avec les principes que je viens d'établir, que dans les cas les plus graves, qui demandent non-seulement une punition plus rigoureuse , mais une espèce


DE CULTIVER LA CANNE. 283 d'appareil qui en impose , &: que je crois d'autant plus utile alors, qu'il entretient parmi les Nègres une espèce de point d'honneur qui n'est point du tout incompatible avec leur état. Dans une violente dispute entre deux de mes Nègres , j'entendis un jour l'un dire à l'autre, jamais on ne m'a fait coucher par terre pour me donner des coups de. fouet. J'ai reçu une autre fois des plaintes d'un Nègre contre mon Commandeur qui l'avoit lait coucher aussi pour lui donner cinq coups de fouet, & les plaintes étoient fondées sur ce principe , que les coups de fouet reçus debout suffisoient pour les fautes ordinaires , & qu'il falloit réserver l'autre châtiment pour les coquineries : j''ap-

prouvai la distinction , c'étoit une chose Amplement d'usage , que j'avois établi sans finesse , & que mes Nègres avoient cependant très-bien remarquée ; j'en fis une loi d'Etat, & je réservai a moi seul, le droit de décider des cas où l'on feroit couché pour recevoir le fouet ; en cinq ans, je n'ai pas exercé deux fois ma prérogative, & cependant mon ouvrage s'est fait. Vous ne sauriez avoir l'air trop grave & trop sérieux quand vous faites châtier, qu'aucun de vos Nègres n'ignore que vous châtiez à regret; & que pas un d'eux ne doute que vous le châtierez cependant, s'il le mérite.Ces deux points une fois reconnus chez vous , joints au principe inviolable de ne pas exiger, hors les temps d'obligation, le moindre fer vice fans le payer, & à la maxime tout aussi politique de récompenser les uns, & d'encourager les autres, vous rendront en peu de


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temps aussi absolu que votre intérêt l'exige, sur ces pauvres créatures à qui vous pourrez en tout tems commander tout ce que vous jugerez a propos, sans craindre autre choie que de les payer trois fois, si vous avez le malheur d'oublier les deux premières. Un tiers , une moitié peut - être de vos Nègres a besoin de la protection la plus vigilante & la plus soutenue, c'est la partie foible de votre Attelier ; n'espérez pas subvenir à ses besoins par les mêmes secours qui suffisent aux autres ; ces besoins naissent souvent des vols qu'on leur fait , & dont ils n'osent se plaindre, quoique vous ne manquiez pas de les y encourager , & que vous leur rendiez une justice exacte ou de votre poche, ou de celle des voleurs. Quelquefois aussi ces besoins viennent de la nature ; il y a certainement des hommes auxquels une double nourturc est nécessaire pour les entretenir même allez mesquinement, & d'autres en qui la, voracité est une maladie qu'il ne faut point chercher a guérir par une diminution d'alimens, a moins qu'on ne voulût s'astreindre à avoir perpétuellement le malade sous les veux ; car au défaut des choses faines que vous ne lui donnerez pas , il mangera des Cannes, & bientôt de la terre: vous feriez donc magnifique peut-être, mais sûrement injuste, fi dans la distribution de vos largesses, vous considériez , non les individus , mais le total de l'Attelier ; & vous ne feriez que vous épargner beaucoup d'embarras ; mais vous feriez très imprudent , si après le jour fixé par semaine pour la distribution générale,


DE CULTIVER LA CANNE. 285 personne ne pouvoir prétendre à de nouveaux bienfaits car vous n'avez pas oublié la raison de l'importunité de mes malheureux ; si vous leur donnez tout en un jour, & qu'on le leur vole, vous contenterez - vous, lorsqu'ils viendront se plaindre, de leur recommander d'être plus soigneux une autre lois, ou de vous nommer le coupable qu'ils ne connoissent pas ? car il est bien plus facile de cacher un vol qu'on a fait, que d'empêcher qu'on ne le fasse ; si vous leur donnez, d'autres viendront sous le même prétexte , & ce. fera comme si vous n'aviez rien donné au jour fixé; si vous refusez , ceux qui auront été réellement volés , iront se jetter dans une pièce de Cannes, c'est leur ressource ; la partie vorace n'aura certainement pas été volée , parce quelle aura mangé en un jour la ration de la semaine, mais le lendemain elle fera a l'hôpital, & il faudra bien aussi pourvoir à sa nourriture pendant qu'elle y fera. Vous ne m'objecterez pas sans doute que je suis convenu que ces mandiants éternels, pour qui je témoigne un intérêt si vif , font la partie la plus foible de votre Attelier car vous lavez qu' y a peu de travaux d'habitation où le plus fort Nègre vaille trois de ces gens foibles ; or le tiers du plus fort Nègre vaut la peine d'être conserve ; vous n'ignorez pas qu'aux travaux ordinaires le plus fort n'en vaut pas deux, ce qui est encore d'une plus grande considération ; qu'enfin il y a beaucoup de travaux ou le plus foible vaut autant que le plus fort. Exigez

donc de votre Econome une complaisance à laquelle il n'est pas possible de suppléer


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en aucune manière , & qu'il n'hésite point à prendre sur les occupations, quelque importantes qu'elles puissent être , tout le temps que ce détail si essentiel peut demander; l'occupation la plus essentielle est celle de conserver la vie de ceux qui nous font vivre ; toutes nos jouissances font le fruit de la sueur de nos Nègres ; que votre Econome n'ait donc, fous quelque prétexte que ce puisse être, aucun jour fixé pour donner aux gens foibles ; qu'il donne tous les jours à tous ceux qui demanderont ; qu'il sermone cependant un peu de temps en temps crainte d'abus, mais qu'il ne refuse jamais (1). Autant je suis strict sur ce point, autant je suis aisé sur celui de la présence de l'Econome au jardin ; je fais que cette assiduité de l'Econome au travail du jardin, est une manie du plus grand nombre des propriétaires ; mais j'ose dire que par-tout où on l'exige inutilement, elle fera bientôt nécessaire, & que par-tout où elle est nécessaire , elle dénote un vice fondamental dans l'administration. Le premier foin du Maître ou de l'Econome, si le Maître n'a pas voulu s'en donner la peine, doit être de former un premier Commandeur , & l'Econome

(1) Ces largesses multipliées, continuelles, fi considérables en apparence , ne montent pas ( calcul fait très-scrupuleusement ) au sixieme de la valeur des Nègres qu'elles conservent annuellement : étes-vous humain ? vous êtes heureux ; vous ferez par goût, & vous foncerez avec attendrissement , que vous avez fait ce que la cupidité seule eût arraché de votre dureté.


DE CULTIVER LA CANNE. 287 n'est qu'un piqueur de Nègres, si dans l'espace de trois mois, il n'a pas su élever l'ame du Commandeur jusqu'à lui persuader que c'est lui qui est l'Econome. Que celui qui l'est réellement se contente donc de vérifier tous le matins entre dix & onze heures le travail fait jusqu'alors , & a cinq heures du soir le travail de l'après-midi; mais qu'il le vérifie dans le plus grand détail ; le Commandeur fera bien-aile de se voir journellement approuvé , & il continuera à mériter de l' are ; tous les hommes se ressemblent ; les meilleurs ne font qu'à moitié bons, lorsqu'ils croient que personne ne s'en appercevra. Voyez cependant de quel avantage, il fera pour vous d'avoir , ou de former promptement si vous ne l'avez pas, un Commandeur sur qui vous puissiez vous reposer du soin des travaux du jardin; tous les détails intérieurs feront suivis avec la plus grande exactitude ; le plus intéressant de tous", celui des malades, aura tout le temps qu'il demande (1); il y en aura de reste pour de petites

(1) Après une absence de 18 mois, pendant laquelle j'avois perdu beaucoup de Nègres , je me promenais le jour de mon arrivée avec mon Econome dans ma galerie , au moment où les Nègres désiloient pour se rendre au travail ; j'apperçus un assez bon nombre de squelettes ambulans que je fis sortir de la ligne , & ranger en haie devant ma maison ; je demandai a l'Econome où il les envoyoit, il me répondit qu'il les envoyoit au jardin , vous vous trompe lui dis-je, c'est à la cuisine qu'il faut les envoyer, ils y allèrent: j'en sauvai le plus grand nombre , l'un d'eux à la vérité, me


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incursions a faire dans les vivres, dans les rejetons, pour les récapitulations si nécessaires des opérations de la Sucrerie, de la Purgerie, de la Rummerie sur-tout. Ces soins remplis, l'heure de la vérification arrive , & le Commandeur vous apperçoit d'aussi loin que peut voir un homme qui desire de votre part un examen minutieux , après lequel il est sûr de recevoir des témoignages d'une approbation qu'il a méritée , ou de nouvelles lumières pour en mériter une plus complexe par la fuite. Au reste, comment entreprendroit-il de vous abuser sur la quantité du travail ? Vous les avez tous assez suivis pendant trois mois pour savoir que tant de Nègres , a telle opération , doivent être tant de jours , dans telle ou telle pièce de terre, parce qu'elle contient tant de quarrés ; comment espéreroit-il de vous en imposer sur la manière dont le travail aura été fait ? dans moins d'un quart-d'heure vous aurez croisé & recroisé l'espace qui aura été travaillé; réfléchissez, il n'a rien de mieux , rien de plus aisé à faire, que de répondre à une prétendue confiance qu'il est obligé de justifier deux fois par jour. Puisque j'ai dit qu'il étoit si essentiel de persuader au premier Commandeur qu'il étoit lui-même l'Econome , sans doute que j'ai prétendu qu'il falloit lui faire un traite-

couta 18 mois de soins , & cinquante écus de dépense on de douceurs extraordinaires ; mais il existe , gros, gras, fort, vigoureux , & vaut au moins deux mille livres.

ment


DE CULTIVER LA CANNE. 289 ment qui aidât un peu à l'illusion ; mais observez à cet égard une règle qui me paroît bien importante: à la réserve des vivres & des vêtemens nécessaires, ne donnez lien à des temps fixes: que rien ne puisse être envisagé comme une affaire de coutume ; que toute largesse soit faveur ou récompense, & tombe sans être attendue , mais non pas sans être espérée; l'espérance entretient l'activité , ce n'est que la certitude qui engendre l'indolence. Avec ces maximes ne craignez point de relâchement de la part de votre Commandeur ; veillez au contraire, à ce que la trèshaute idée qu'il a, & qu'il doit avoir de sa prééminence , n'influe un peu trop sur sa façon de traiter les Nègres : que les Nègres sachent bien que votre intention est qu'il soit en quelque façon plus respecté que vous; mais qu'ils sâchent aussi que vous voulez qu'ils se plaignent, & qu'ils obtiendront justice , si le Commandeur a fait quelque innovation dans la manière de châtier, ou s'il a excédé le châtiment qu'il lui est permis d'infliger. C' est un usage qu'il feroit d'autant plus nécessaire d'établir s'il ne l'étoit pas , qu'il n'y a pas de Commandeur qui n'entreprenne de vous persuader , que le bien de votre service exige qu'il soit abrogé ou non établi, car les premiers Ministres de tous les Despotes ont les plaintes en horreur , & ne manquent jamais de raisons pour démontrer la nécessité de les interdire ; soyez toujours prêt à les écouter ; on en fait rarement qui soient tout-à-fait injustes ; & *T


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qu'importe à l'accusé, s'il n'a aucun reproche à se faire ? Des sous-ordres blancs.

Il y a peu d'habitations où l'on ne soit obligé d'avoir , outre l'Econome principal, quelques blancs subalternes pour veiller plus particulièrement aux détails soit de la Sucrerie , soit de la Rummerie, &c. rien de plus ordinaire que de voir ces malheureux sousordres , tenus dans une abjection très-préjudiciable aux intérêts des propriétaires, car plus ils font rapprochés de l'état des Nègres, moins ils se font de scrupule d'en adopter les maximes ; ce qu'il y a de plus révoltant pour eux ( en supposant qu'ils aient assez de sentiment pour être révoltés ) , c'est que les plus grands témoignages de mépris, leur viennent souvent de la part de l'Econome, qui malgré sa modestie ne se croit inférieur a qui que ce puisse être dans l'univers : il y a peu d'inconvéniens a se croire égal a qui que ce soit, lorsque cette persuasion est jointe à celle qu'on n'est supérieur à personne ; je ne trouverai donc pas mauvais ni déraisonnable qu'un Econome se regarde comme l'égal d'un Monarque absolu de 50 à 400 Nègres, pourvu qu'il soit bien persuadé qu'il n'y a d'autre différence entre lui & les sous-ordres qu'on lui donne pour faciliter ses opérations , sinon que chacun d'eux à son district particulier, & qu'il est chargé du contrôle général. Qu'est-ce qu'un sous-ordre ? Rousseau eût


DE CULTIVER LA CANNE. 291 dit peut-être , c'est une main qu'on ajoute a Chacun de ses bras, ce font des yeux dont on munit le derrière de fa tête; or, je ne conçois pas qu'il puisse être avantageux d'avoir huit a dix mains, autant d'yeux, à moins qu'une seule ame ne fasse mouvoir le tout, & comment cela se peut-il, lorsque l'importance ridicule , pour ne pas dire l'insolence punisfable d'un premier préposé , rappelle sans cesse les malheureux sous-ordres a l'idée affligeante de la prétendue bassesse de leur état, qui n'est bien souvent réalisée ., que par la manière dont l'avilissement où il les tient, les engage à en remplir les devoirs. Economes , voulez-vous être égaux aux plus raisonnables de ceux qui vous emploient ; voulez-vous même être supérieurs aux autres ? Laissez la morgue aux sots & l'insolence aux valets; l'honnêteté, l'humanité , la décence , peuvent seules produire & produiront toujours tous les sentimens qu'un homme qui sent la dignité de ce titre , puisse être flatté d'inspirer a d'autres hommes ; regardez-vous, pour tout dire dans le moins de mots possible, comme les vrais pères de longez que la famille qui vous a adopté, cette famille est composée des Maîtres dont la fortune est a votre discrétion, de leurs Nègres , sans lesquels votre ministère leur feroit inutile, & des sous-ordres qu'il ne payent que pour vous épargner des détails indispensables dont on ne s'acquite point avec zèle quand ils exposent au mépris.

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SECOND.

Des Fumiers & autres amendemens.

Ne craignons pas de répéter que nous avons établi pour baie de l'Agriculture, d'après les expériences de M. Tillet, & d'après les expériences universelles, aussi peu équivoques , mais beaucoup moins scrutées, qu'il n'y avoit de différence essentielle entre une

terre & une autre , eu égard à la végétation f que dans le degré de porosité, & dans la facilité à acquérir & à conserver celui qui feroit reconnu le plus propre a faciliter aux racines les moyens d'extraire la quantité des sucs nécessaires à la plante pour parvenir à l'espèce de perfection qui nous intéresse„

C'est donc aux moyens reconnus les plus efficaces pour donner à la terre cette facilité d'acquérir & de conserver la porosité requise , que l'Agriculteur doit donner fa principale attention ; l'expérience aussi ne laisse aucun doute sur le rang que le fumier occupe parmi ces moyens ; mais il reste encore à chaque propriétaire une portion de travail dont il ne ne peut le débarrasser sur qui que ce soit ; savoir , quelle est la quantité de fumier

nécessaire, non-seulement à sa terre en général , mais à chaque partie de sa terre en particulier. S'agit-il

d'ailleurs de la planter pour un an? Dans ce cas le labour seul peut suffire dans quelques pièces, mais il ne suffira pas dans quelques


DE CULTIVER LA CANNE.

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autres : s'agit-il de la planter pour deux ans, pour quatre, pour six ? Il feroit absurbe de supposer que la même quantité de fumier fût convenable dans des cas aussi différens. Qu'on ne s'imagine donc pas qu'en promettant de bons rejetons à la sixième coupe, je n'aie exigé que les moyens usités pour en obtenir deux ou trois ; heureusement en établissant une distribution de travaux plus méthodique , plus simple, invariable sur-tout , j'ai ménagé tout le temps nécessaire , non-seulement pour perfectionner les anciennes ressources , mais encore pour en chercher de nouvelles ; j'en ai aussi spécifié l'usage le plus avantageux , en fixant les époques où. l'on devoit les employer ; il me reste à détailler plus particulièrement ces ressources, à leur donner , s'il est possible , plus d'activité , & à m'occuper enfin des moyens qui peuvent les augmenter, ou y suppléer. §.

I.

Des ressources ordinaires , & de la préparation des fumiers.

(1) Lorsque j'ai commencé ma récolte avec deux calés pleines de bagaces -, que je n'ai brûlé d'autres pailles que celles que mes Nègres ont porté en revenant du travail a midi

(1) Même raison que ci-devant, & même justification pour oser encore me citer.

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& au soir ( voyez quatrième règle ) ; & qu'il me reste à la fin de ma récolte cinq cafes de 60 pieds sur 18 , pleines de bagaces, je crois être en droit de conclure que je puis chaque année compter sur les bagaces de trois cafés pour faire d'amples litières pour mon parc à bestiaux, ou les mettre a pourrir dans la fosse aux vidanges de la Rummerie & que pour cela , je n'ai besoin que d'avoir toujours des équipages très-bien montés. ( Voy. travail de Novemb.). Lorsque j'ai vu tirer journellement des fourneaux de ma Sucrerie , 100 panniers tant de cendres de bagaces, que de bagaces à demi brûlées, je crois pouvoir compter journellement sur un monceau considérable d'amendemens presqu aussi bons que le fumier, peutêtre même meilleurs si je les emploie dans les terres argilleuses, & meilleurs certainement pour toutes les autres terres si j'ai foin de jetter ces cendres & ces débris de bagaces dans la fosse aux vidanges, & de les mêler ensuite avec des terres ramassées dans différentes ravines » ou dans des fosses pratiquées exprès, comme je le dirai bien-tôt, pour retenir une partie de ce que les averses entraîneroient a la mer. Lorsqu'avec le fumier tiré de mon parc & de mon écurie , j'ai formé deux monceaux de 60 pieds de long sur 30 de large, & quatre de hauteur , je crois être en droit de compter annuellement sur les mêmes ressources, tout aussi long-temps que j'aurai la même quantité de bestiaux, je ne ferai donc point inquiet si chaque habitant pourra se procurer le même fond d'amendemens , sauf la différence du plus ou moins qui se trouve entre leur ré-


DE CULTIVER LA CANNE. 295 colte & la mienne , & consequemment entre Je nombre de bestiaux que j'ai & qu'ils doivent avoir ; je recommanderai seulement les mêmes attentions qui m'ont procuré cette quantité d'amendemens , parce que les mêmes causes produiront toujours les mêmes effets. Cette quantité de fumier & d'autres amendemens, ne suffit pas, à la vérité, pour fumer les terres inférieures comme je le prescris; je ne doute point que chaque propriétaire qui voudra juger aussi sévèrement que je l'ai recommandé, la qualité de fa terre par la quantité de ses produits, ne reconnoisse bien-tôt que le plus grand nombre de ses parties est encore loin de la perfection où il peut la porter. Nous examinerons ci-après ce qu'on peut faire pour doubler, s'il est nécessaire, cette quanti té de fumier si necessaire pour produire les six récoltes que j'ai promis; longeons maintenant à perfectionner & a charroyer ce qui est a notre disposition. Je suppose qu'à la fin d'Octobre ( voy. travail de ce mots ) vous avez vidé vos parcs a bestiaux, & fait, pour la plus grande commodité, plusieurs monceaux de toutes ces matières dans les endroits les plus convenables non-seulement au travail actuel, mais à celui des charrois que vous allez commencer. Vous avez, fans doute , fait ces monceaux par couches alternatives des produits du parc , de la fosse de tout ce que vous avez aux vidanges , l'entour des bâtimens ; ces coua ramasser pu aussi été égales auront que la différence ches l'auront matières permis ; ce fumier de ces

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n'est pas encore, sans doute, dans fa perfection , mais il lui reste près d'une année avant d'être employé, & ce feroit une chose bien étonnante , Il ce mélange de tant de matières hétérogènes, & les nouveaux bouleversemens qui feront la fuite des différens déplacemens qu'il a encore à subir, n'y occasionnoient pas, dans un aussi long espace de temps, toute la fermentation requise pour opérer une putréfaction parfaite. Mais avant d'appliquer vos Nègres au charroi du fumier destiné aux plantations de l'année suivante, longez a fonder celui dont vous aurez besoin l'année d'après ; c'est prévoir de loin , direz-vous, mais il ne s'agit que de commencer; l'habitude prise, rien ne coûte , la machine va d'ellemême ; dans tel temps , telle opération. Aussi-tôt donc que le parc a bestiaux fera vide , faites-y porter une couche d'un pied de terre , de deux même, si cela se peut, dans laquelle, en attendant la récolte, vous ferez tous les jours enterrer le fumier de l'écurie , & celui du parc a moutons à mesure qu'il v en aura , vos bestiaux feront alors dans un autre parc qu'il faudra faire , & jusques-là dans votre savane , qui doit être close, afin qu'ils y mangent la nuit comme le jour. Pour ne pas revenir fur cet article, j'ajouterai que le jour que la récolte commencera, il faudra faire étendre une couche de têtes de Cannes sur toute la superficie du parc que vous avez couvert de terre ; entretenez - y , pendant toute la récolte , non pas autant, mais plus de ces têtes de Cannes que vos bestiaux n'en pourront manger ; car la seule


DE CULTIVER LA CANNE. 297 preuve que vous puissiez avoir qu'ils en ont eu assez la nuit, c'est lorsque vous en trouverez encore le matin ; la seule preuve qu'on leur en a porté le matin allez de nouvelles, c'est lorsqu'il en reste à midi ; ainsi le soir. Etendez ensuite pendant trois ou quatre jours les têtes de Cannes qui doivent servir de nourriture, sur une moitié du parc, l'autre recevra le fumier de l'écurie & du parc a moutons ; trois ou quatre jours après , mettez les têtes de Cannes sur celle-ci, & le fumier sur l'autre. Ne faites sortir vos bestiaux du parc pendant toute la récolte , que pour les faire boire , baigner, travailler, & promener dans la savane une heure le matin, & autant le soir de cette façon, presque toute leur fiente se trouvera ramassée dans le parc sans que cela cause le moindre embarras, & la partie de leur urine qui échappera aux vieilles têtes de Cannes „ ira imprégner de ses sels cette couche de terre que je ne saurois trop vous recommander. Cette manière de se procurer une quantité surprenante d'excellent fumier est simple , facile & peu coûteuse. Mais on vous dira qu'en tout temps vos bestiaux feroient bien mieux dans une bonne écurie que dans un parc découvert ; cela paroît hors de doute : mais je n'ai perdu que 12 mulets en huit ans que je les ai tenus nuit & jour dans un parc découvert , ou dans une savane; ensuite j'adoptai l'écurie, branche très-recommandée du systeme de la grande culture -, la gourme se mit parmi mes mulets , on sépara très - vite les malades & ceux qu'on soupçonnoit, la contagion n'en gagna pas moins, & comme on


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doit le supposer a l'égard d'un pays chaud, parmi des bestiaux renfermés dans un espace très-borné , quelque étendu qu'il pareille. Je perdis 45 mulets & 12 chevaux; plusieurs années subséquentes s'en ressentirent , parce qu'on étoit souvent obligé de faire travailler les nouvelles bêtes huit jours après qu'elles étoient achetées. J'ai abandonné l'écurie, j'ai sur-tout laissé mes mulets libres dans les savanes, quinze jours dans l'une , quinze jours dans l'autre, la nuit comme le jour , je ne perds maintenant que la quantité que je dois perdre : or, fi mes mulets ne paroissent pas souffrir , à être exposés aux injures de l'air pendant la saison pluvieuse , temps d'une vicissitude continuelle de soleil très-ardent Se de pluies très-fortes, pourquoi souffriroientils dans la saison la plus égale ? D'ailleurs, je ne fais quel traitement on fait aux mulets eu Barbarie, d'où nous en tirons une grande quantité ; mais je fais bien que ceux de la côte d'Espagne , qui font bien meilleurs, ne font pas mieux traités la que chez moi : quant aux autres, je lais aussi que bêtes & gens s'accoutument à tout, excepté à ne point manger ; & qu'il seroit singulier que pendant qu'en Europe on éprouve l'avantage de faire parquer les brebis , & dans quelques pays au milieu de l'hiver ; pendant qu'on s'occupe même des moyens d'y faire parquer le gros bétail, il ferait singulier, dis-je , qu'en Amérique, parles 12, 14, 16, 18 degrés, il fallût tout renfermer dans des écuries. On me demandera, sans doute , fi j'étends ma méthode jusqu'aux chevaux de trait ; je


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répondrai que j'en exige un travail continuel & très-dur, qui demande par jour trois rations d'avoine, & que c'est pour cela que j'ai besoin qu'ils soient fous ma main. Partons au charroi des fumiers. Depuis le premier Novembre jusqu'au premier de Mars , vous n'avez pour ainsi dire, aucun usage à faire ni des charrettes ou chariots destinés au transport de vos Sucres & de votre Rum, ni de leurs attelages soit bœufs, soit chevaux ; ils feraient même oisifs dans le temps libre que vous laisse le charroi d' allée de vos denrées , & celui de retour de vos provisions pendant tout le reste de l'année : quand j'évalue le tout à 160 jours , j'en laisse au moins 40 pour les charrois imprévus, ou pour les temps où ils seroient trop pénibles. A 10 charrois par jour, voilà 1600 charretées de fumier par attelage, portéesaussi loin qu'il est possible aux chariots Se charrettes, d'aller avec aisance dans le plus grand nombre des habitations ; je ne parle pas de celles qui ne forment qu'une plaine; leurs avantages font bien plus considérables encore a cet égard , comme à beaucoup d'autres ; voila donc certainement plus de charrois possibles que de fumier à charroyer ; en attendant que vous ayez doublé la quantité de celui que vous avez réellement , les Nègres & les mulets partageront le travail des charriots, & achèveront de le porter où j'avois annoncé que vous le trouveriez dans le temps nécessaire, & dans la quantité proportionnée aux besoins du fol : mais dirigez la proportion des charrois , fixez vous - même les lieux, Se tracez


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les espaces où il doit être déposé près des pièces à replanter & a réparer. J'entrerai dans un plus grand détail par rapport a ce charroi des fumiers par les Nègres & les mulets. Simplifiez vos opérations autant qu'il est possible ; c'est pour cela que j'ai renoncé aux charrettes pour le transport des Cannes : un mulet a -t - il fa charge, il l'aura portée au moulin, dans le temps qu'il faudrait pour la lui ôter, la reprendre , & la remettre fur la voiture, qui outre la lenteur plus grande de la marche , aurait encore plus de chemin à faire , car il faudrait certainement l'alonger beaucoup pour le rendre par-tout facile aux voitures: la même raison m'a fait adopter le même principe par rapport au charroi des fumiers par mulets, appliquez-en six a cet objet depuis le premier Novembre, jusqu'à la récolte; mais que ces six mulets, au lieu de prendre le fumier à l'endroit où le chariot le déposera , le prennent aux grands monceaux,^ le portent directement auprès des pièces à fumer, & que les Nègres, au contraire , qui dans mon systême, n'ont & ne peuvent avoir rien autre chose à faire, je le répète encore ( voyez travail de la fin d'Octobre & Novembre), le prennent au dépôt des charrettes, & le portent où il faut qu'ils le trouvent lors du plantage & du fumage complet. Mais comme il est impossible que les charrettes puissent suffire a leur fournir constamment leur charge, le temps où ils ne la trouveront pas doit être employé a la chercher dans les ravines a portée -, les terres amoncelées qu'on


DE CULTIVER LA CANNE. 301 y trouve,mêlées avec le fumier, valent encore mieux que le fumier seul pour le haut de vos costières. Vous appliquerez de nouveau , d'abord après la récolte , six mulets au charroi des fumiers, tant pour le besoin des Cannes plantées que pour la réparation prescrite pour les premiers rejetons. ( Voyez travail de Septembre ).

Examinons, s'il est possible d'ajouter à des ressources déjà fi considérables. §.

II.

Des moyens d'augmenter la quantité des fumiers , & d'y suppléer.

Le moyen le plus simple , pour augmenter & améliorer les fumiers , est certainement dans tous les pays d'augmenter le nombre des bestiaux qui en donnent le plus, & de la meilleure qualité -, mais comme il emporte la nécessité d'augmenter la quantité des terres consacrées aux pâturages, & conséquemment de diminuer celle qui étoit destinée aux Cannes , cette dernière conséquence du moyen le plus naturel, fera trouvée fort dure, & ôtera la moitié de leur valeur, aux rai sons que j'ai données pour démontrer la nécessité & la récompense du sacrifice. Je proposerai donc un autre moyen que je ne puis encore apprécier au juste, quoique j'aie ordonné fans inquiétude , qu'on en fît l'essai chez moi. La nourriture d'une double & triple quantité de bestiaux est reconnue facile pendant le temps de la récolte ( je ne perds pas cette


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occasion de peser fur l'avantage de la prolonger pendant six mois ) , il ne s'agit que de doubler , de tripler les charrois des têtes de Cannes , l'augmentation du nombre des bestiaux fournira de relie à ce nouveau travail : fort bien , dira - t - on, mais après la récolte ?

Voici une ressource usitée en partie dans quelques Mes, & dédaignée dans la plupart des autres , où l'on n'hésite point a la déclarer péremptoirement insuffisante ; il n'y a pas cependant un habitant qui n'ait fait donner quelque correction à ses gardeurs de bestiaux, pour des parties de couvertures de cafés a bagaces & de cafés à Nègres, mangées par les boeufs & les mulets qui en paroissent allez friands , même dans le temps où l'herbe verte est la plus commune dans nos pâturages ; ces couvertures de cafés à bagaces n'étant autre chose que des têtes de Cannes sèches , pourquoi n'en feroit-on pas des amas considérables, qui ne demandent d'autre foin que d'être faits en pyramides, & de manière que la pluie n'en frappe que la superficie , a laquelle elle nuit peu, fans doute , puisque les boeufs & les mulets ne manquait jamais de s'y attacher quand ils le peuvent. Un peu de pratique apprendrait bientôt a proportionner les amas au nombre de bêtes à nourrir. Remarquons, d'ailleurs, que dans les terreins un peu secs, & qui ont le plus de besoin d'aide, il faut au moins mille Cannes pour faire une forme de Sucre de 30 a 33 livres ; car il faut au moins 24 charges de mulets pour fournir le jus capable de remplir deux chaudières,


DE CULTIVER LA CANNE. 303 qui ne donnent que huit formes, & chaque charge est composée de 24 paquets a 15 Cannes au moins par paquet; or chacun de vos bœufs ou mulets, l'un dans l'autre, ne mangera pasau-delà de 100 têtes de Cannes par jour ; 150 têtes de bestiaux ne peuvent donc en manger au-delà de 15,000, représentatives de beaucoup moins de 1 5 formes ; donc fi vous faites 45 formes par jour pendant six mois, vous aurez pour les six mois où vous ne ferez pas de Sucre , beaucoup plus qu'il ne faudra pour subvenir a la nourriture de 150 têtes de bétail qui forment une quantité plus que double de celle qui est nécessaire pour faire 4y formes de Sucre par jour pendant six mois : fi vous ne faites que 25 formes par jour, toutes choses égales d'ailleurs, même conséquence relativement a la possibilité de nourrir le double des bestiaux qui vous font nécessaires pour faire 25 formes. Mais , cette nourriture est-elle suffisante pour Us mulets ?

Depuis dix ans mes mulets, pendant la récolte , ne sortent de mon parc, où ils n'ont pas d'autre nourriture , que pour aller à l'abreuvoir , & manger les grosses écumes, & ils font en aussi bon état que par-tout ailleurs où on leur donne de l'avoine ; mais, je le répète, l'avoine est peut-être nécessaire poulies chevaux de trait dont on veut exiger un travail dur & journalier : je ne fais cependant fi l'on ne pourroit pas essayer de les en priverpeu à peu dans le temps de la récolte, en y suppléant par des écumes qu'on mettroit auprès d'eux à discrétion.


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Ces têtes de Cannes suffiront-elles quand elles seront sèches ?

On ne pourrait satisfaire pleinement à cette question que par l'expérience ; mais l'essai mérite d'autant plus d'être tenté, que plusieurs Isles, dit-on, nous en ont donné l'exemple , qu'elles s'en trouvent bien , & qu'il ne s'agit que de perfectionner leur méthode , & d'y joindre ce me semble l'attende paver deux ou trois parcs tion d'avoir pour faire tous les mois paslieu d'un, au l'un à l'autre , & éviter de les ser bestiaux inconvéniens des boucs occasionles ainsi nées par les grandes pluies ; inconvéniens d'ailleurs beaucoup moins à craindre que ceux des écuries dont j'ai parlé ; quelques la dans ces parcs formearbres plantés ça roient tout l'abri dont les bestiaux ont besoin dans ces climats fi fortunés (aux ouragans près) ; ou bien l'on y suppléeroit par un appenti fur quelqu'un des côtés, ou par un toit dans le milieu , établi fur des poteaux enchâssés dans la pierre pour les empêcher de pourrir. Mais, enlever toutes les têtes de Canne , n'estce pas ôter à la terre cet abri naturel, que j'ai dit être fi avantageux pour y conserver une plus grande humidité.

1°. J'ai diminué l'inconvénient qu'on pouvoir craindre de la spoliation totale, en diminuant la distance entre mes plantes, & doublant ainsi la quantité de mes souches. 2°. Quelle que soit votre addition de bestiaux, les têtes de Cannes que vous prendrez de plus pour leur nourriture, ne dépouilleront pas la terre en entier , reliiez mon calcul


DE CULTIVER LA CANNE. 305 calcul de la quantité de Cannes qu'il faut pour donner une forme de Sucre , & de la quantité de têtes de Cannes qu'un bœuf ou un mulet peuvent manger; ayez la complaisance de compter encore vous - même avant d'assurer que je me trompe, & vous verrez qu'il ne s'agit plus que de veiller à ce qu'on ne dépouille pas une partie de votre terre plus que l'autre. 3°. Quand il ne resteroit fur la terre que les pailles qui ne vous feront pas nécessaires pour vos fourneaux, il par ce nouveau moyen vous doublez la quantité de votre fumier, pourra-t-on comparer les effets momentanés, qu'auraient produit quelques têtes de Cannes bientôt desséchées , effets qui se termineroient a peu de chose près à l'instant où. la terre fera couverte par les nouvelles feuilles de vos rejetons, pourra-t-on les comparer , dis-je, avec les effets permanens d'un ressort qui donne à la végétation , la plus grande activité , l'activité la plus durable, en soutenant constamment votre terre dans le degré de porofité , de soulevement nécessaire pour que la moindre pluie la pénètre avec facilité. Je dois parler moins succinctement que je n'ai fait, de deux espèces d'amendemens trop négligés ; la première consiste dans les terres & le limon qu'on peut arrêter fur les bords des rivières, dans les ravines, & dans les fonds qui font a la fuite des gorges, au moyen de quelques petites digues a placer par-tout où l'eau devient donnante, quelques toises après l'endroit où la pente a été rapide ; de

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quelques folles à quatre ou cinq toises de la chute des torrens ; de quelques tranchées dans les endroits les plus bas & les moins en pente ; ces digues , ces folies , ces tranchées formeront autant de magasins que chaque débordement remplira, & qu'il ne faut pas manquer de vider aussi-tôt pour donner place à de nouveaux amas. La fécondé espèce consiste dans un mélange de différentes terres dont l'une a de trop ce qui manque à l'autre: c'est à cette méthode que le Comté de Norfolk , en Angleterre , doit la richesse de les récoltes , qu'elle voit maintenant succéder a la stérilité décourageante fous laquelle elle gémit soit il y a peu d'années : c'est un objet fur lequel je ne puis donner que des idées , & quelques faits trop peu considérables pour hasarder tout d'un coup des expériences en grand , mais à coup sûr le succès suivra quelqu'une des tentatives, & dédommagera de la lenteur & des équivoques inséparables des premiers essais. J'ai mis du sable de mer en très-grande quantité dans une partie de terre grade où les Cannes étoient presque desséchées , & ne parvenoient jamais au tiers de la longueur qu'elles avoient dans le relie de la pièce ; au moyen d'un bon labour, je mêlai parfaitement ce sable avec la terre à l'entour de mes plantes ; cinq a six jours après elles reverdirent & devinrent en peu de temps méconnoissables par leur beauté : mais en conséquence de cet essai , je ramassai dans un ruisseau voisin une terre qui paroissoit


DE CULTIVER LA CANNE. 307 sablonneuse , je la répandis fur une partie considérable de la pièce, l'essai réussit mal ; il est probable que cette terre prétendue sablonneuse étoit beaucoup plus chargée de limon que de fable, qu'elle avoit exactement les mêmes défauts que celle que je voulois corriger. C'est cependant à la terre glaise que le Comté de Norfolk est redevable d'une fertilité plus confiante qu'on ne devoit l'espérer d'une terre stérile , quelque foin qu'on eut pris pour l'améliorer ; mais, quoique la terre en général y soit molle & profonde , dans la partie occidentale elle est si légère , que c'est du pur fable, & qui n'étoit disoit-on fusceptible d'aucune amélioration. L'Auteur dont je copie les expressions n'en a vu aucune où on l'ait tentée en vain , & il en connoît beaucoup qui ont très-bien répondu aux dépendesquoiqu'on les eût toujours regardées comme absolument stériles : on répand sur nos terres s dit-il ailleurs, 80 charretées de g laise par acre, en fallût-il beaucoup moins, ce seroit

plus qu'il ne faut pour effrayer un Créole, mais ces terres ci-devant arides améliorées par ce

seul moyen , sont après 50 & 60 ans , aussi fertiles que celles qu'on a défrichées depuis peu ; & M. Marley de Borsham , retire 800 liv. sterling d'un bien qui n'étoit loué que 180 , une autre Ferme à Scultorque a monté -, dit-on , de 18 liv. sterling à 240.

Cela est bien stimulant pour nous autres gens avides ; eHayons donc de mélanger les terres glaises dont nos Ides abondentavec les terres légères & brûlantes de nos côtières ; melons aussi les fables, bien décidés tels , ceux de mer fur-tout , avec nos terres argilleuses ; V 2


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n'oublions pas de faire a celles-ci des saignées, par-tout où les plantes font jaunâtres & languissantes , & méditons profondément une lettre trop peu détaillée, quoique trèslongue, citée dans l'Encyclopédie (Voyez l'article Culture ) ; c'est le systême de l'égalité des terres par rapport à la végétation lorsque les unes font ramenées par l'art, au degré de porofité que les autres avoient reçu de la nature ; c'est ce systême , dis-je, bien démontré par le fait, quoique le mot ni la conséquence ne s'y trouvent nulle part. Cependant quel détail effrayant de nouveaux frais j'oie enfin présenter , après en avoir annoncé, promis la diminution ! il faut se justifier. J'ai promis une diminution de frais, fi l'on se bornoit a la légère augmentation d'un sixième du revenu que j'ai prouvé être l'effet nécessaire de la feule coupe annuelle fur toute la terre destinée aux Cannes suivant mon systême , & cette diminution de frais est démontrée par les 110 journées libres de tout l'Attelier que mon systême allure : mais si en conséquence de l'emploi que vous ferez sur votre terre, de ces no journées que vous pouviez louer ou donner a vos voisins, vous avez au contraire augmenté d'un quart, puis voulu tiercer, enfuite doubler votre revenu , je ne dois être responsable que de la partie des frais à laquelle cette fécondé troisième augmensubvenir ; revenu , ne pourroit de tation & je crois qu'il (croit difficile de m'attaquer avec avantage fur ce point : je me bornerai


DE CULTIVER LA CANNE. 309 donc à dire un mot fur les chevaux de trait dont j'ai parlé ; il faut convenir qu'ils font d'une dépense journalière très-considérable en avoine , harnois , &c. indépendamment des capitaux nécessaires pour le premier achat & les remplacemens ; je n'en recommande l'usage que fur les habitations où l'éloignement du port & la difficulté des chemins rendent celui des boeufs très-précaire ; partout où l'on pourra remplacer le travail de huit chevaux par celui de 24 bœufs, qu'on se serve de bœufs, par la raison du fumier qu'un pareil nombre doit donner ; mais longez que de la célérité , de la certitude de vos charrois à point fixe, dépendent l'exécution & le succès de vos mesures ce n'est pas la dépense énorme & nécessaire qu'on fait, qui dérange ; ce font les gros revenus qu'on ne fait pas & qu'on devroit faire , car chacun compte fur ces gros revenus , & peu de gens font ce qu'il faudrait pour devoir y compter. C'est amender aussi , c'est suppléer au fumier , que d' obvier aux désavantages du climat & de l'exposition. Les grands"vents, & l'air de la mer nous désolent ; & cependant nous avons plusieurs espèces d'arbres , le Mapou par exemple, qu'on peut couper de la grosseur de la cuisse, de la hauteur de 7 à 8 pieds , planter au renouveau dans un misérable trou de dix à 12 pouces de large fur 18 à 20 pouces de profondeur, oublier ensuite, & être certain qu'il aura trois ans après une tête a (fez forte, allez chenue pour briser les vents, & garantir nos plantes de

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l'air dévorant de la mer , plus pernicieux encore que les vents, qui font passagers , au lieu que l'action du hâle est continuelle y pourquoi ne pas embellir (c'est le vrai mot) toutes nos pièces, par des rangées de ces arbres fi faciles a élever ? la direction du vent & l'exposition du fol, dirigeraient fur l'établissement des rangées ; une distance de 15 à 18 pieds feulement entre les arbres, nous en feroit jouir encore plutôt, & ce seroit le besoin de la pièce qui déciderait de la distance finale à donner; il faut de-la fraîcheur à nos Cannes , ne négligeons aucun des moyens qui peuvent conserver celle de la terre où nous les cultivons; l'expérience ne m'a point éclairé fur la valeur de celui que je viens d'indiquer ; j'ai vu pendant quinze ans fans réfléchir ; j'ai réfléchi enfuite , mais occupé du principal, à peine ai-je songé à quelques accessoires dont je soupçonne aujourd'hui l'importance , & si j'ose les conseiller ailleurs , je les ordonne chez moi, je veux qu'on y plante des Mapoux en quinquonce, à 30 ou 36'pieds de distance l'un de l'autre, suivant que la terre fera plus ou moins exposée au vent où à la sécheresse ( cette expérience faite fur un seul quarré de terre ne fera pas coûtcuse ) ; sauf a cerner les arbres par un petit folle qu'on aura foin d'entretenir pour obliger les racines a pénétrer plus profondément dans la terre & y chercher leur nourriture au défions de la partie qui la fournit aux Cannes ; sauf pareillement à élaguer les arbres fi l'ombrage est trop considérable ( les émondes


DE CULTIVER LA CANNE. 311 île feront point fans utilité) ; faut a arracher même une partie des arbres Ci l'on s'est trompe fur la distance la plus favorable à la plante qu'ils ne doivent que protéger. §.

III.

Du Chauffage & des ressources qu'il fournit pour les amendemens.

J'ai dit au commencement du premier paragraphe qu'il étoit possible de sauver du feu , les bagaces de trois cales , & de les réserver pour jetter dans les parcs à bestiaux, & augmenter ainsi la quantité du fumier; cependant toutes les bagaces qu'on peut avoir, ne suffisent pas fur beaucoup d'habitations , au chauffage dont on a besoin pour les chaudières à Sucre : il faut expliquer comment j'en tire un meilleur parti ; c'est encore le hasard & la nécessité qui m'ont donné cette industrie, au moyen de laquelle depuis vingt ans, j' ai presque toujours dans nies cafés à bagaces après ma récolte, assez de chauffage pour faire 2000 formes de Sucre ; je dois cet avantage à deux évènemens, contre l'un desquels, avec plus d'expérience j'aurois pu me précautionner, mais il étoit ■difficile de prévenir l'autre. J'avois commencé ma première récolte avec une provision de quinze jours a trois semaines de chauffage , estimée ordinairement suffisante pour attendre que les bagaces exposées au soleil, en fournissent a me-

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sure du besoin ; il plut contre l'ordinaire pendant tout Janvier & la plus grande partie de Février ; je sentis la nécessité d'être pourvu pour un plus long-temps. Je commençai la récolte suivante le premier Décembre , avec quatre cafés pleines, tant de bagaces que de roseaux ; quatre jours après, le feu prit je ne fais comment, a l'une des cafés & les brûla toutes. Je refis mes cafés, je ne fis point de chauffage, il plut heureusement très-peu ; je mis cependant mes bagaces dans mes cafés, pour n'être plus exposé à l'inconvénient de la pluie, je chauffai uniquement avec des pailles de Cannes ; la petite quantité que mes Nègres en portoient au retour du travail à midi & le soir (chacun son paquet), me fit imaginer ces espèces de brancards de roseaux dont j'ai parlé , fur lesquels deux Nègres en portent aisément la charge de quatre ; je fus cependant obligé d'en ordonner quelques voyages extraordinaires , jusqu'à ce que les bagaces des cafés fussent sèches, ensuite je mêlai les pailles avec les bagaces ; au moyen du mélange , je remplis mes cafés à mesure que je les vidois , & je vis que la paille feule étoit une ressource assurée dans le cas d'accidens ou dans le temps de disette , & un très-bon moyen pour remédier a l'un & a l'autre : je m'en fuis servi confia mment , quoique je n'aie songé que longtemps après a l'avantage que je pouvois en tirer pour augmenter la quantité du fumier, dont je ne m'occupois point alors, & je ne me fuis point apperçu que mes terres en fussent


DE CULTIVER LA CANNE. 313 appauvries ou desséchées, il suffit de ne les pas découvrir entièrement, & de n'enlever jamais les pailles des endroits secs & exposés. Quant aux cafés à bagaces, faites les petites en dépit de l'usage, fi le terrein vous le permet ; mais faites-en beaucoup pour compenser leur petitesse , qui est très-propre à accélérer le dessèchement des bagaces. Lorsque vous commencerez la récolte, faites exposer dehors une couche de bagaces vertes fur le terrein destiné pour cela ; si vous ne veillez pas à ce que la couche soit légère , les Nègres la feront d'un & deux pieds, & les bagaces feront très-long-temps à sécher ; il faut qu'elle ait tout au plus quatre pouces, & après un jour ou deux de soleil, vos bagaces feront bonnes à brûler. Après que le terrein fera couvert, comme vos cafés feront encore pleines des bagaces de l'année précédente , faites mettre" les nouvelles en un monceau dehors; prenez pour vos fourneaux les bagaces de la première case , jusqu'à ce que la couche exposée soit sèche ; aussi-tôt qu'elle le fera , faites-la brûler, & ayez foin de faire à fur & à mesure couvrir de nouvelles bagaces, le terrein que vous découvrirez ; la couche sèche épuisée , prenez encore dans la première case jusqu'a ce que la nouvelle couche soit sèche aussi ; & continuez, ne prennant jamais les bagaces de votre première case pendant que vous en aurez de sèches au soleil, revenant toujours a votre case pendant que vos couches sécheront,


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mettant aussi toujours dehors les bagaces vertes au grand monceau, lorsque le terrein en fera couvert, & recouvrant de nouveau le terrein à mesure qu'il se découvrira; la première case épuisée , au lieu de continuer à mettre dehors au monceau les bagaces qui vous relieront après avoir couvert votre terrein , mettez - les dans cette première case, ainsi de la fécondé, ainsi de la troisième , &c. Mars ou Avril tout au plus tard arrivés, fi vos chaudières étoient bien montées, fi vous avez tenu strictement la main à la féconde règle, par laquelle je vous recommande si particulièrement de faire porter soir & matin de bonnes charges de pailles par tous vos Nègres, fi vous en avez aussi fait quelques voyages d'extraordinaires, lorsqu'on aura coupé les Cannes les plus proches des bâtimens, par-tout où la qualité du terrein vous aura permis ces dépouillemens, soyez assuré que vous pourrez pendant tout le reste de la récolte, faire jetter dans le parc à beftiaux & dans la fosse aux vidanges, la moitié des bagaces vertes qui viendront,& qui vous donneront une quantité considérable du plus .excellent fumier : l'autre moitié de vos bagaces suffira toujours avec vos pailles pour remplir vos cafés a mesure qu'elle se videront. La récolte finie , saisissez le moment où votre monceau fera sec, pour remplir le vide de vos cafés ; après quoi fi le monceau n'est pas épuisé, faites porter le reste au fumier. Je ne serois pas entré dans des détails aussi


DE CULTIVER LA CANNE. 315 minutieux fur cet article, s'il n'étoit pas de la plus grande conséquence, &, ce me semble , a fiez -généralement négligé ou mal exécuté : cependant on ne peut faire beaucoup de beau Sucre fans chaudières qui bouillent très-bien , fans une grande quantité de chauffage qui les fasse bien bouillir, fans beaucoup de cales qui fervent de magasin pour les temps de pluie ; & ce n'est qu'avec beaucoup de fumier , qu'il est possible de se procurer de bons rejetons à la sixième coupe.

ARTICLE

TROISIÈME.

Des Fourmis. LES fourmis font incontestablement le fléau le plus redoutable pour les Cannes, & le seul jusqu'ici dont la pluie ou le vent n'aient pas apporté le remède (x) : on n'en connoît point

(I) On trouveroit peut-être cette assertion trop générale, •je dois donc la modifier , mais ce fera de fi peu qu'il me paroît inutile de changer ce qui est écrit. Les pucerons font terribles pour les Cannes comme pour toutes les autres plantes, mais ils tiennent rarement contre les vents impétueux de Novembre & de Décembre. On doit en partie la pauvreté & les autres mauvaises qualités du vesou de la plus grande partie des Cannes plantées en Octobre & Novembre, a des vers qui ne proviennent probablement que de l'altération qu'éprouvent les sucs de ces plantes , lorsqu'après la chute de la flèche, cette portion surabondante de la sève qui lui servoit d'aliment, s'échauffe,


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contre les fourmis ; il faut avoir vu leur ravage pour s'en faire une idée. Ce n'est pas la douceur qui les attire , elles poursuivent le citronnier avec la même fureur ; elles ne s'attachent pas au tronc de la plante , elles creusent fous la souche, comme pour s'y loger ; elles dépouillent les principales racines , de la terre qui les environne, & la plante comme suspendue en l'air , se dessèche , & cède a des efforts peu considérables, fi l'on veut l'arracher ; il y a dans différentes Isles , tant Angloises que Françoises, plus de deux millions de récompense , argent de France , promis à celui qui indiquera les moyens de se vicie, & occasionne d'abord-dans la partie la plus tendre, & ensuite dans la planté entière , cette espèce de gangrène dont j'ai parlé, p. 43. Le remède consisteroit, ce me semble, dans le choix d'un temps plus propice à la plantation ; l'on préfume que j'entends celui que j'ai proposé. On se plaint aussi des vers qui attaquent au mois d'Août, les jeunes Cannes plantées: en Mai & Juin, lorsque le moi», d' Août est accompagné de sec ou de petits grains plus capables d' occasionner dans la terre, le degré d'humidité & de chaleur propre à féconder 'es œufs de différens insectes , que celui qui seroit nécessaire au développement des plantes ; mais ce ravage se borne aux années où règne une pareille saison; & fi ces années devenoient fréquentes , il est probable qu'on y remédierait en saupoudrant d'un peu de chaux vive , ou le plant ou la terre dont on l'auto" couvert , foie au premier (bit au fécond sarclage. Cette espèce de rouille qu'on remarque fur toutes les feuilles des Cannes plantées dans les terres grasses & humides, & sur-rout dans les années pluvieuses, trouveroit ce me semble aussi son remède dans une meilleure préparation de la terre, dans un mélange de fumier Se de fable qui la rendroit moins compacte, Se mieux encore dans des canaux proportionnes au besoin de l'écoulement des eaux.


DE CULTIVER LA CANNE. 317 détruire ces formidables insectes : dans quelques-unes de ces Isles,on a même déjà levé une partie de la récompense, sauf à en compter après que le remède fera trouvé ; en attendant, je crois qu'il est essentiel de faire connaître l'impossibilité , si j'ose le dire, de réussir par le poison, afin que les recherches se tournent vers des moyens dent le succès fera plus probable; quelle éspèce, ou plutôt quelle quantité de poison pourroit avoir un effet sensible fur des animaux qui ne se détruisent point les tins les autres , & qui multiplient a tel degré , que fur une habitation où elles avoient été, diton , portées dans des ballots de marchandées, venus en contrebande, il n'eût pas été possible de trouver, quatre ans après, une superfide d'un pied quarré, fur laquelle on ne les eût comptées par centaines, indépendamment du nombre occupé à travailler fous terre. Plus je réfléchis fur cette prodigieuse multiplication , plus je me persuade qu'il n'y a de succès à espérer que dans la découverte d'une plante qu'elles fussent naturellement portées a fuir, ou bien auprès de laquelle elles ne pussent le tenir fans courir le danger d'une mort immédiate: il faudrait aussi qu'il fût aisé de multiplier cette plante, au point d'en faire d'abord des espèces de retranchemens allez épais pour empêcher les fourmis de s'étendre au - delà des lieux qu'elles infestent déjà, & l'on pourvoit ensuite la planter fur tous les lieux infestés. Je connois une plante dont les propriétés ont beaucoup d'analogie avec celles que je viens de présenter comme nécessaires à la


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destruction des fourmis ; peut-être, cependant fa vertu n'est - elle pas aussi active qu'on le suppose ordinairement : quoiqu'il en soit, l'idée de l'appliquer à ce grand œuvre , n'est pas de moi -, elle est d'un homme de génie à qui j'en restituerai la gloire , fi elle réussit , comme j'incline beaucoup à le croire. La récompense promise est immense, mais elle seroit due au conservateur de la branche la plus riche d'un commerce devenu nécessaire a l'Europe comme à l'Amérique-, & l'Auteur du projet en partagerait avec plaisir le bénéfice avec celui qui dans le,nombre des manières dont il peut être exécuté , trouverait celle qui peut en assurer le succès le plus prompt & le plus entier ; fi la manière que je vais proposer, réunit ces deux avantages, ce fera avec tous mes Compatriotes , que l'Auteur du projet partagera la récompense qu'ils ont promise , & je ferai plus que payé. Le Mansenillier est une espèce de pommier, qui dans la saison de son fruit (poison d'ailleurs très-vif), en a presque autant que de feuilles, ce qui annonce la facilité de le multiplier à volonté : il est reconnu qu'après la pluie , l'eau qui dégoutte de les feuilles y a pris une qualité fi caustique , qu'elle brûle les parties de la peau où elle tombe : seroit-il possible que cette eau ne produisît pas fur les fourmis l'effet qu'elle produit fur les hommes ? L'essai n'est pas difficile ; s'il réussit, on pourrait planter ces précieuses pommes à la distance de 3 à 4 pieds en tout sens fur une largeur de 12 à & faire cette espèce de retranchement fur toute la longueur du ter-


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rein menacé ; la seconde année au plus tard les pommiers seroient allez grands pour couvrir toute la terre de leur ombre , & l'on pourroit alors étendre la plantation fur tout l'espace infesté : je n'ai garde de prétendre que la façon que je propose, d'employer le Mansenillier a cet usage , soit la plus avantageuse , & j'apprendrai le contraire, fans surprise & avec grand plaisir. Quel que puisse être le succès de cette tentative , je supplie Messieurs les Cultivateurs affligés de ces misérables infectes, d'observer que leurs plantations d'Octobre, Novembre «Se Décembre, donnent toujours les plus grandes espérances jusqu'au mois de Février; cela doit être ; les pluies fréquentes qu'il a fait jusqu'alors, en pénétrant la terre, l'ont toujours rapprochée des racines à mesure que la fourmi les en a dépouillées ; la plante aidée de la saison , a donc pu croître allez pour donner des espérances ; mais le sec arrivet-il ? la Canne est a peine nouée , plus de ressources a espérer de trois mois, rien ne détruit, rien ne retarde le travail de la fourmi , la terre ne s'éboule plus à mesure qu'elle est fouillée, la mine avance, la racine s'isole, se dessèche , la plante épuisée est bientôt hors d'état de recevoir le moindre bénéfice de la saison la plus avantageuse qui puisse succéder. Lorsque mes plantes fi)urmillées de Mai & de Juin, feront aussi combattues par le sec, elles auront déjà plus des trois quarts du Sucre que j'en espère ; elles auront un bien plus grand nombre de racines pour pomper l'hu-


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midité qui est dans la terre, cette humidité s'y conservera bien plus long - temps, parce que j'ai planté ferré ( bien plus ferré encore dans le cas des fourmis ), & que la terre entièrement couverte n'est point exposée à l'ardeur immédiate du soleil ; le travail des fourmis , dont le nombre n'augmente pas avec celui des racines que j'ai multipliées en multipliant les plantes, & que j'ai fortifiées en les plantant cinq mois plutôt , fera bien moins sensible contre vingt racines de neuf mois qu'il ne l'auroit été contre cinq de trois à quatre mois : je ferai donc, ce me semble, avec mon systême une récolte honnête sur une terre fourmillée , qu'on seroit obligé d'abandonner dans le systême de la grande culture ; l'exemple de l'abandon ne seroit pas nouveau. Mais les rejetons de ces Cannes auront-ils quelque valeur l'année d'après ? Pourquoi non ?

ces rejetons , qui feront coupés à 10 & 11 mois, auront joui comme les Cannes plantées , qui les ont produits, de tout le bénéfice du renouveau Se de la succession de pluie qui continue jusqu'en Février ; même raisonnement par conséquent, & même espérance a leur égard : quant aux féconds rejetons qui forment la troisième coupe , pourquoi ne les sauveroit-on pas en mettant le feu à la pièce , d'abord après le premier grain de pluie qui suivra la fécondé coupe, & rasant aussi-tôt tous les jets déjà sortis ; le feu détruira certainement un nombre prodigieux de fource qui reliera ne fera point capable mis, d'empêcher l'effet de bons labours en tout feus,


DE CULTIVER LA CANNE. 321 sens, & sur-tout d'une saison avantageuse , fi essentielle dans tous les cas possibles, que je ne fais fi je ne préférerois pas les fourmis en assez grand nombre , avec beaucoup de pluie , à une continuité de saisons très-sèches fans fourmis. Il est bon de se familiariser avec l'idée de l'infortune ; voyons dans le cas supposé quels changemens deviendroient nécessaires dans la distribut ion des travaux, en conservant toujours le fond du systême. PLAN

D'OPÉRATIONS

A suivre dans une habitation fourmillée.

Pour ne plus revenir fur cet article, je supposerai toute ma terre en proie aux fourmis, & la nécessité de replanter annuellement le tiers de mes Cannes,au lieu du sixième, c'està-dire 20 quarrés , au lieu de 10 ; je suppose également , qu'en suivant le systême de la grande culture, on cil: obligé , dans le cas des fourmis, de replanter annuellement la moitié de la terre , mais vous verrez plus en détail les niions que j'ai d'espérer qu'il suffira dans mon systême d'en replanter le tiers. En anticipant fur ce que l'expérience feule peut décider, je crois, d'après ce que j'ai dit ci-dessus, être fondé a supposer le succès de ma première plantation , faite d'ans une terre brûlée immédiatement avant, & plantée, suivant mes principes , au moment d'une succession de pluies qui doivent détruire à mesure, le travail des fourmis échappées à l'incendie. Rien à changer dans le temps des premiers

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ESSAI

SUR L'ART

sarclages qui concernent ces 20 quarrés plantés; mais il faudra commencer à les labourer le 15 y d' Août, au lieu du premier ( on en verra la raison ci-après), & continuer jusqu'à la fin de Septembre. Je couperai ces 20 quarrés que j'appellerai ma première division, l'année suivante, que nous dirons 1782, depuis le 15 de Mai, jusqu'au dernier de Juin ( les parties les plus exposées au sec , les premières, plutôt même que le 15 de Mai, s'il est nécessaire, comme j'ai dit cidevant ) ; je ne manquerai pas de les brûler à mesure qu'ils feront coupés, & que la pluie me donnera le moyen de le faire fans perdre les louches; je suspendrai aussi tout autre travail pour raser aussi-tôt après, les jets déjà sortis; il faudra deux jours tout au plus, à différentes reprises , peut - être moins , pour faire très - bien cette opération fur les 20 quarrés ; elle ne m'empêchera donc pas de planter cette même année 1782,, ma fécondé division de 20 autres quarrés, que je couperai en 1783, depuis le 17 de Mai jusqu'au dernier de Juin,a 12 mois que je prendrai pour onze ; j'aurai déjà coupé cette année-là, depuis le premier Avril jusqu'au 15 Mai, ma première division qui avoit été coupée l'année précédente depuis le 15 Mai jufqu'au dernier de Juin, & labourée en tout sens depuis le 15 Août jusqu'à la fin de Septembre ; cette première division aura eu lors de la coupe un peu plus de 10 mois, & vous avez vu ( troisième expérience) qu'il ne tient jamais qu'à la culture & à la saison , que le produit des rejetons de dix mois soit très - considérable : enfin


DE CULTIVER LA CANNE. 323

du 15 Mai à la fin de Juin de l'année 1783 , je planterai nia troisième division des 20 derniers quarrés de Cannes, que je couperai en 1784. En 1784, j'aurai donc à couper.' Du 8 ou 1 y Février au premier d'Avril, ma première division qui fera pour lors a fa troisième coupe , a 9 mois , puisqu'elle aura été brûlée & rasée l'année précédente aux premières pluies, dont il tombe ordinairement quelques grains suffisans pour cette opération , depuis le premier de Mai jusqu'au 20. ( Voyez le tableau des pluies ). Du premier Avril au 13 de Mai, ma fécondé division , à dix mois au moins, puisqu'elle aura tic, ainsi que la première, brûlée & rasée a mesure qu'elle aura été coupée l'année précédente,du 20 de Mai au dernier de Juin. Du 15 Mai au dernier de Juin, ma troisième division , Cannes plantées , à douze mois pris pour onze, parce que nous avons vu que les rejetons d'un mois étoient aussi avancés que les Cannes plantées l'étoient à deux, on a vu aussi la rai ion de ce fait dans l'histoire des racines. N. B. On sent que par rapport à la destruction des fourmis, il doit y avoir un avantage a brûler la terre, mais on en trouve un autre considérable par rapport à la végétation ; il n'y a point d'habitans à qui il ne soit arrivé de brûler une pièce de Cannes dans le dessein de la replanter , d'en être ensuite détourné par quelque accident imprévu,& d'être bientôt après surpris de la beauté des rejetons qui paroissoient dans la terre brûlée, lorsque la X2


324

ESSAI

SUR

L'ART

pluie avoit précédé & suivi le feu qu'on avoit rais à la pièce : ce qu'il faut donc observer » c'est de ne jamais brûler qu'après un grain de pluie, & de raser aussi-tôt après les jets déjà sortis ; ces jets à moitié brûles, ne réussiroient point,mais quatre jours après qu'ils sont rasés, il en paroît un fi grand nombre de nouveaux que ce ne seroit peut-être pas un temps perdu que de songer à en diminuer le nombre, ce /croit du moins un essai a faire fur une petite portion de terre. Mais point de recourages, s'il vous plaît, dans ces rejetons de pièces brûlées; ils y seroient encore plus inutiles, c'est-à-dire plutôt étouffés, que dans les rejetons ordinaires, parce que la végétation y est beaucoup plus prompte & plus active. L'augmentation de travaux demandera certainement une addition de bras; mais avant de nous occuper de cet objet, examinons la différence que le nouveau plan doit mettre , quant au revenu, entre la terre fourmi lice & celle qui ne l'est pas : ( je ne parle que des années communes , les années sèches seront terribles , & d'autant plus terribles , qu'elles seront plus sèches).

Dans ma terre non fourmillée, supposons que j'aie annuellement à couper dans le systême de la petite culture , 10 quarrés de Cannes, plantées à 12 mois de végétation chacun , donné pour onze parla raison dont j'ai parlé ci-dessus , font un total de 110 Cinquante quarrés de rejetons, à 11 mois de végétation chacun , par une


DE CULTIVER LA CANNE. 325 fuite nécessaire des opérations de ce systême , font également un total de . 556 660

Dans la terre fourmillée, j'aurai aussi 60 quarrés à couper , savoir : Ma première division de 20 quarrés de rejetons brûlés l'année précédente du premier au vingt de Mai, a couper celle-ci du 8 ou 1 5 Février au premier Avril, a 9 mois de végétation chacun , font un total de Ma féconde division de 20 quarrés, brûlés aussi l'année précédente du iode Mai au dernier de Juin, à couper celleci du premier Avril au 15 de Mai, à 10 mois au moins de végétation chacun ; total Ma troisième division de 20 quarrés de Cannes , plantées en Mai & Juin l'année précédente , a couper du 15 Mai au dernier de Juin , à 12 mois de végétation chacun, donné pour 11, eu égard aux raisons déjà déduites ; total .

180

200

220 600

Différence

60

600 La différence ne seroit donc que d'un onzième fur les mois de végétation ; mais la différence intéressante est celle qui regarde la quantité des nœuds ; nous allons l'examiner. Terres non fourmillées.

Soixante quarrés de Cannes, tant plantées

X 3


326

ESSAI

SUR L'ART

que rejetons, noués à quatre mois, coupés an, donnent par conséquent, à raison de 7 mois de nœuds chacun, un total de . 420 Terres fourmillées.

Première division, 20 quarrés, noués a 4 mois , coupés a neuf, font par conséquent , à raison de $ mois de nœuds chacun , un total de ..... . Seconde division , 20 quarrés, noués à 4 mois, coupés a 10, font, a raison de six mois de nœuds chacun , un total de . Troisième division, 20 quarrés, noués a 4 mois , coupés à 12, donnés pour 11 par les raisons déduites, font, à raison de 7 mois de nœuds chacun, un total de . . , .

100

120

140 360

Différence

60

420 La différence seroit donc d'un septième par rapport a la quantité de nœuds -, l'expérience feule peut apprendre ce qu'elle peut être parrapport an revenu réel : j'entends à la quantité de Sucre ; mais les confédérations suivantes peuvent déterminer à un essai fur un quarré de terre; cela n'empêchera pas de cultiver du coton fur le reste de la terre affligée, & suffira pour en comparer les produits nets. 1°. Les fourmis n'empêchent pas les Cannes de croître pendant la saison des pluies ; c'est un fait ; nous en citerons bientôt un exemple


DE CULTIVER LA CANNE. 327 aussi connu que décisif, mais dont on a oublie aussi de tirer la conséquence : je crois avoir donné la raison du fait dans les premières pages de cet article : or, je laisse mes Cannes fur la terre, pendant tout le temps qu'elles peuvent croître sensiblement; & je ne commence ma récolte, qu'au moment où elles ne croi fient pour ainsi dire plus , du moins dans des terres qui ne font pas extrêmement humides, & dans celles-ci, l'avantage de l'humidité balancerait peut - être le travail de la fourmi : à l'égard des terres ordinaires, & sur-tout de celles qui font un peu exposées au sec, voy. fig. 1, depuis I jusques à K, l'effet de deux mois de sec sur la plante ; c'est toujours du plus au moins : l'accroissement essentiel de la Canne se fait, année réel commune, depuis le premier de Juin, jusqu'au 15 de Février. 2°. Opposons encore le systême de la grande culture à celui de la petite. Dans le systême de la grande culture, fi votre terre brûlée & plantée en Octobre ou Novembre, coupée ensuite 15 mois après eu Février , n'est brûlée pour la fécondé fois qu'en Octobre ou Novembre suivant, elle sera deux années entières fans être brûlée ; & dans ce cas, les fourmis qui multiplient en raison de la tranquillité dont elles jouissent, le répandront de la partie coupée en Février, a la partie brûlée & plantée depuis quatre mois, partie qui doit faire la récolte suivante; or, comment des plantes de quatre mois , da ns une terre découverte , pourront - elles résister, pendant le sec aux attaques réunies de

X4


328

ESSAI SUR L'ART

leurs anciennes & de leurs nouvelles ennemies ? Si pour diminuer le mal , pour empêcher l'émigration , vous brûlez aussi - tôt que les Cannes feront coupées, les fourmis qui échapperont à l'incendie multiplieront pendant les 8 & 9 mois qui s'écouleront depuis le mois de Février ou Mars que vous aurez mis le feu, jusqu'en Octobre & Novembre , temps où il faudra planter , & votre terre fera presqu'aussi couverte de fourmis , lorsque vous la planterez, que lorsque vous l'aurez brûlée. Dans le systême de la petite culture , au contraire , je brûle tous les ans la terre que je plante, au moment même de la plantation: Se je brûle tous les ans celle de mes rejetons , au premier grain de pluie qui me promet de revivifier les louches. Par cette méthode , dont on ne peut révoquer en doute l'efficacité, les fourmis ne peuvent point palier en quantité, d'une pièce a une autre ; j'en détruis le plus grand nombre ; le travail du reste doit être peu sensible fur des Cannes qui ont acquis, pendant les mois pluvieux , presque tout l'accroissement que je pouvois espérer. Mais est- il bien vrai que les fourmis ne nuisent point aux Cannes qui ont pris à-peu-près tout leur accroissement ? car tout mon plan porte sur ce

principe, & fur le fait que j'ai annoncé: Il est de notoriété publique à la Grenade , que la plûpart des Cannes qui ont fait la superbe récolte du petit havre en 1770, si je ne me trompe , avoient 18 mois & deux ans ; que les fourmis n'y étoient en nombre assez considérable que depuis trois ans. ; que dans


DE CULTIVER LA CANNE. 329 l'année dont je parle, la terre étoit, je dirai plutôt noire que couverte de ces insectes , & qu'ils ne firent aucun tort ni a la quantité, ni à la qualité du Sucre de cette première récolte, qui suffit pour prouver ce que j'avois avancé, lavoir que les fourmis ne font aucun tort sensible aux Cannes qui ont pris à-peuprès tout leur accroissement, & pour donner la plus grande probabilité aux conséquences que j'en ai tirées. 3°. Motif d'espérance ; je plante beaucoup plus serré ; qu'il me soit permis d'ajouter, que s'il n'y avoit qu'un seul cas où il fût avantageux de le faire , & beaucoup plus ferré encore que je ne l'ai fixé pour les plantations ordinaires, ce seroit celui des fourmis, pour deux raisons aussi fortes l'une que l'autre; la première pour multiplier les racines qui n'ont à souffrir que d'un nombre déterminé de travailleuses attachées à leur destruction, & Je travail de cent fourmis, je suppose , seroit certainement plus sensible,comme je l'ai déjà dit , contre cent racines foibles, qu'il ne le fera contre quatre cens racines déjà fortes, La féconde raison , mais étrangère à la question préfente , est que la terre ameublie , comme il faut qu'elle le soit par de fréquens labours, fera bien moins facilement entraînée par les averses qui tomberont fur des terres plus promptement couvertes , & couvertes d'une plus grande quantité de plantes. D'après toutes ces considérations, & surtout celle des deux faits certains dont j'ai parlé, savoir, que les fourmis n'empêchent pas les jeunes plantes de croître pendant la


330

ESSAI

SUR L'ART

saison des pluies, & que les fourmis ne fout aucun tort sensible aux Cannes qui ont déjà pris à-peu-près tout leur accroissement, je crois être fondé à prétendre que la différence du septième, qui résulte de mon nouveau plan , quant au nombre des nœuds, ne fera, année commune, que d'un septième par rapport au revenu ; mais je dois convenir u'une addition de 20 a 25 Nègres devienroit inévitable , puisque j'aurois à planter 20 quarrés au lieu de 10 ; je conviens aussi que le bénéfice du fumier plus partagé, seroit fans doute moins sensible, & que les années sèches seroient d'autant plus terribles, qu'elles seroient plus plus sèches : qu'y faire ? il n'est plus question ici d'une augmentation de profits, il ne' s'agit que d'une diminution de perte, d'un pis aller. Enfin , j'offre mon idée, puisse-t-il s'en présenter une meilleure ! Mais, fi l'on ne pouvoit se procurer cette augmentation de 20 à Nègres, que faudroit-il faire ? abandonner courageusement les 15 ou 20 quarrés de terre les plus mauvais, ou les moins bons, & planter chaque année suivant le nouveau plan , 14 ou 15 quarrés au lieu de 20.

q

DISTRIBUTION

DES TRAVAUX.

Dans le plan proposé pour une habitation fout millée , supposant l'addition de 20 à 25 Nègres.

Le 8 Février, je commence à couper ma première division de 20 quarrés de Cannes qui font à leur troisième coupe ; cependant


DE CULTIVER LA CANNE. 331 fi le sec se décide de bonne heure, ou fi je vois toute l'apparence d'une grande récolte, je commence le premier au lieu du 8. Je suspends ma récolte le 1 5, & je fossoye avec tous mes Nègres, ouvriers & autres, la plus grande partie de la terre que je viens de dépouiller. Du 22 au 29, je recommence a couper, pendant que mon Attelier de réserve porté a 60 ou 65 Nègres , continue a fossoyer. Le premier Avril, je commence a couper ma fécondé division de vingt quarrés qui font à leur fécondé coupe ; l'Attelier de réserve occupé comme ci-dessus. Le 15 Mai, je commence a couper la troisième division, c'est-a-dire les Cannes plantées. Je profite du premier grain de pluie un peu considérable, pour brûler toutes les pièces tant de ma première que de ma fécondé division, & je rase immédiatement tous les jets sortis de la fécondé. Je commence a planter la première division aussi - tôt que la terre est allez imbibée ; je n'épargne pas le plan, il faut sur-tout beaucoup de jets de première production dans les terres fourmillées. Pendant le mois de Juin, je continue de couper ma troisième division. L'Attelier de réserve la brûle, & la rase a meAire, il continue dans les intervalles à planter la première division. Le premier Juillet, je songe a mes vivres. Du 8 au 22 , je donne un premier labour a la fécondé division. Du 11 Juillet au 15 Août, je donne un


332. ESSAI SUR L'ART premier labour a ma troisième division , & j'interromps s'il le faut cet ouvrage, pour arracher les liannes & les petites herbes de la fécondé & de la première division. Du 1 5 Août a la fin de Septembre, je donne deux labours consécutifs ( croisés ou le terrein le permettra ) à ma première division , Cannes plantées , a mesure que j'y répartis le fumier; j'interromps encore cependant, s'il est nécessaire, pour arracher les liannes & les petites herbes de la fécondé & troisième division. Du premier au 15 d'Octobre , je donne un fécond labour ou sarclage à la fécondé division. Du if a la fin du mois, je donne, s'il est possible , un fécond labour à ma troisième division. Novembre, Décembre & Janvier font consacrés en entier à préparer & transporter le fumier, à la réserve du temps nécessaire aux vivres, & aux détails dont j'ai parlé à l'article du travail des deux derniers mois de l'année. Observons aussi que la semaine qui précédera la récolte, soit consacrée aux vivres, parce qu'il ne fera plus possible d'y songer de cinq mois, dont a la vérité deux à trois de sec * font bien capables de diminuer l'importance des sarclages.


DE CULTIVER LA CANNE. 333

ARTICE

QUATRE.

Connoissances essentielles pour apprécier quelque, nouvelle espèce de moulin à Sucre qu'on puisse proposer.

En 1778, l'Académie des Sciences de Paris nomma des Commissaires, pour examiner quelques projets de moulins à Sucre qu'on lui avoir présentés ; M. Tillet, Président de cette Académie , me proposa d'aller voir les modèles chez M. de Vaucanson , l'un des Commissaires nommes ; je dis à M. Tillet que je pouvois donner, en moins de quatre pages , a M. de Vaucanson , le moyen d'apprécier tous les moulins a Sucre possibles , & que c'étoit le hasard , qui fur cet article, comme fur tous les autres , m'avoit appris l'usage qu'on pouvoit faire de quelques détails qui n'étoient ignorés de personne en Amérique , & fur lesquels nos projeteurs de moulins n'avoient pas longé a réfléchir. Voici à-peu-près ce que j'écrivis avant d'avoir vu les modèles proposés, & M. de Vaucanson , après l'avoir lu, n'hésita point à les désapprouver (I). Si l'on exigeoit d'un homme qui a une (I) J'envoyai dans le temps ce petit écrit à M. Bank, Président de la Société Royale de Londres ; il eut la bonté d'en faire part à la Société, au ordonna qu'il fut imprimé dans ses Transctions de 1780


334 ESSAI SUR L'ART masse considérable a déplacer , qu'il en connut exactement le poids avant d'y appliquer le levier , on exigeroit souvent une chose impossible; mais la ma fie une fois soulevée avec le dixième levier, fi les neuf premiers n'avoient pas suffi, il est facile de connoître la somme de résistance qu'on avoit à vaincre , & conséquemment celle de puissance qu'il faudra déformais y appliquer. Les premiers moulins à Sucre ont été faits fans autre principe que de vaincre à force d'eau ou de bestiaux , la résistance telle quelle, des Cannes dont il falloit exprimer le suc ces moulins font à-peu-prés aujourd'hui ce qu'ils étoient autrefois : on propose , a la vérité , tous les jours quelques changemens que leurs inventeurs regardent comme essentiels , mais qui dans la pratique se réduisent à peu de chose ; je dirai même que le peu de Méchaniciens que j'ai vu diriger leurs vues vers cet objet, n'ont pu nie répondre lorsque je leur ai demandé à combien ils évaluoient la résistance des Cannes ; & j'ajouterai, pour rendre l'hommage entier à la vérité, que j'ai fait moi-même plusieurs expériences trèscoûteuses , fans avoir longé à ma propre question , dont je ne sentois l'importance , ( & encore machinalement ) que dans le moment où il s'agissoit d'apprécier les opérations d'autrui. On construisit a Londres, il y a treize ans , une machine à feu, destinée aussi à exprimer le jus des Cannes ; l'Inventeur m'en parla , je lui fis ma question ordinaire , il me répondit affirmativement qu'il évaluoit la résistance a


DE CULTIVER LA CANNE. 335 six milliers : cette réponse, qui présentoit un calcul précis , m'autorisa à le plier de me communiquer les fondemens de cette évaluation ; il se contenta de me répondre qu'il étoit impossible que la résistance fût plus considérable qu'il ne l'avoit supposée : je le priai de me permettre de réfléchir fur une idée qui me venoit pour la première fois, & qui me paroissoit mériter d'être approfondie: la voici. Nos moulins a bestiaux ont ordinairement 45 à 50 pieds de diamètre ; on applique deux mulets a chacune des extrémités d'un bras qui traverse le rôle auquel est attaché le cylindre du milieu ; ce cylindre a 17 ou 18 pouces de diamètre : la résistance des Cannes le trouve donc à 9 pouces environ du centre de l'action. I1 faut, pour la vaincre, un effort continu de quatre mulets appliqués a un lévier d'environ 24 pieds, cet effort équivaut à 600 livres, à raison de 150 livres par mulet: dans 24 pieds, il y a 32 fois neuf pouces ; donc la résistance des Cannes est d'environ 19,000 livres dans un moulin à bestiaux ; car il faut remarquer qu'après une demi-heure de travail, les quatre mulets font couverts de lueur, & qu'on ne les change cependant que de deux heures en deux heures ; l'inventeur de la machine à feu me dit alors qu'il pouvoit facilement tripler , quadrupler fa puissance fi cela étoit nécesfaire , il ne me demanda point d'autres détails qui m'auroient fans doute suggéré les idées qui ne me font venues qu'à l'inspection d'une autre machine ; je perdis l'An-


336

ESSAI

SUR

L'ART

gloise de vue ; deux ans après on me dit qu'on l'avoit transportée à la Jamaïque, j'en ignore le succès, la renommée l'eût fans doute fait connoître , s'il eût répondu aux desirs de l'inventeur. Voici quelques autres observations qu'il faudrait joindre a la connoissance préliminaire dont je viens de parler: S'il ne s'agissoit que de vaincre , n'importe en combien de temps, la résistance de 19 milliers, on conçoit qu'en appliquant l'effort continu de deux hommes ( évalué à 50 livres) au bout d'un lévier de 288 pieds, on aurait un produit égal à celui de quatre mulets appliques dans le moulin ordinaire à un lévier de 24 ; niais on n'obtiendrait qu'en douze heures , ce qu' on obtient dans une feule avec les quatre mulets. Il faut savoir aussi que ce moulin a bestiaux , auquel on est obligé de consacrer au moins 36 mulets , ne donne cependant qu'environ 80 a 100 gallons de liqueur par heure , & qu'un bon moulin à l'eau , tel qu'il le faudrait pour expédier 300 bariques de Sucre en six mois, doit donner par heure 160 à 200 gallons de liqueur, suivant que les Cannes font plus ou moins sèches. Il faut savoir aussi que pour donner 160 h 200 gallons de liqueur par heure, les cylindres qui pressent les Cannes doivent tourner deux fois & demie par minute, lorsque ces cylindres n'ont que dix-huit pouces de diamètre. Donc la résistance qu'il y aurait à vaincre dans un moulin qu'on aurait dessein de rendre


DE CULTIVER LA CANNE. 337 die équivalent à un excellent moulin à l'eau, devrait être supposée d'environ 38 milliers, ou bien la puissance destinée à vaincre celle de 19 milliers , devrait faire subir aux cylindres dans une heure, la même quantité de révolutions que les mulets du moulin ordinaire leur font subir en deux.

ARTICLE

CINQUIÈME.

,

Du parcage des Moutons probablement aussi facile & aussi avantageux en Amérique qu'en Europe.

T

« 'ESPÈRE qu'on n'a pas oublié la bonnefoi avec laquelle j'ai avoué qu'il n'y avoit pas plus de 7 à 8 ans que j''avois renoncé aux routines , & essayé un systême dont la partie principale m'avoit uniquement occupé pendant les trois dernières «innées de mon séjour en Amérique ; je fuis venu en Europe dans le temps où je n''aurais eu qu'à étendre & perfectionner mes idées -, il me semble cependant que je ne dois pas craindre d'en hasarder de nouvelles , pour peu qu'elles soient plausibles , puisqu'il est question comme je l'ai dit , de chercher la meilleure en tout, qu'elle est quelquefois à coté de la plus bisarre , dont elle a souvent besoin d'être précédée , & que plus le contingent de chaque intéressé , contribuable né dans cette partie , fera prompt & considérable, plutôt on doit se flatter de la trouver. *Y


338 ESSAI SUR L'ART On fait parquer les moutons en Europe; c'est fur les terres déjà préparées par des labours à recevoir la semence, qu'on établit les parcs portatifs , qu'on change trois fois par jour, & ces terres uniquement & fans frais , engraisseés de cette manière par la fiente & l'urine des moutons, le font beaucoup plus solidement que celles qui à grands frais, à grandes peines, font fertilisées par quelque autre espèce de fumier que ce puisse être. La dépense nécessaire pour établir ces parcs consiste en 20, 30 ou 40 claies fui van t la grandeur du troupeau , & conséquemment du parc à faire , ces claies ont neuf pieds de long fur cinq de haut ; on les fait aisément , en fixant dans la terre cinq pieux ou montans, a deux pieds environ de distance l'un de l'autre ; enfui te on a de petites gaulettes de neuf pieds de long , qu'on entrelasse dans les pieux depuis le bas jusqu'au haut, à la réserve d'un espace de six pouces qu'on lai Ile vide après le quatrième pied , pour assujettir les contreforts dont je parlerai bientôt. Ces claies line fois transportécs fur la pièce qu'on veut fumer , on trace le premier parc , on élève ensuite les claies & on les attache par les deux bouts supérieurs , à des pieux un peu plus forts que les montans des claies, & qu'on a déjà enfoncés dans la terre d'environ six pouces après avoir tracé le parc : vu le naturel pacifique des bêtes a contenir , & dans unpays où il n'y a point de loups, il me semble que chaque


DE CULTIVER LA CANNE. 339 claie ainsi attachée avec des liannes par Les deux extrémités , à des pieux bien fixés dans la terre , seroit assez solidement établie pour qu'on se dispensât des piquets qu'on met ordinairement en dehors du parc pour lui servir de contreforts. De quoi s agiroit-il pour notre Amérique? Avec 20 claies de neuf pieds de long chacune ( dont deux Nègres pourvus des montans & des gaulettes nécessaires , pourraient faire six ou huit dans une journée), on pourrait établir un parc de 45 pieds quarrés fur la première portion de terre qui seroit fossoyée vers le 10 ou 12. de Janvier. On changerait ce parc tous les jours, Se au moyen de ce changement, depuis le 10 Janvier jusqu'au 15 ou 20 de Juin, temps auquel la plantation doit finir année commune, on enrichirait fans frais & fans embarras, au moins deux quarrés & demi de terre déjà fossoyée , de tout le fumier & de toute l'urine que 100 moutons peuvent donner la nuit comme le jour dans leurs différons campemens, ou les têtes de Cannes qu'on y jetterait , suffiroient d'ailleurs pour les nourrir. Observons que pour faciliter les déco mpemens , il faudrait dès le premier jour séparer le parc en deux parties égales , ce qui se feroit au moyen de cinq claies de plus , qu'on élèverait dans le milieu ; le troupeau ferait dans l'une depuis cinq heures du matin jusqu'à cinq heures du soir, & dans l'autre depuis cinq heures du soir jusqu'à cinq du matin. Y 2


340 ESSAI SUR L'ART La première opération du Nègre commis à la garde du troupeau , aussi-tôt qu'il l'aurait fait palier de l'une des parties du parc dans l'autre ( ce qu'il feroit en détachant line des claies de la réparation ), seroit de détacher les claies de la partie abandonnée, qu'il porterait à la fuite de l'autre, pour en fomer une nouvelle, de les coucher chacune a leur place , pour n'avoir qu'a les élever quand il aurait planté furie nouvel espace, les pieux qu'il aurait arrachés de l'ancien ; ensuite il secoueroit les pailles & les têtes de Cannes, pour faire tomber la fiente dans les folles, fur lesquelles il rangerait ensuite têtes & pailles , afin de laisser exposés an soleil , les intervalles où l'on aura mis la terre qu'on a tirée des fosses quand on les a faites. Il lie faudrait pas beaucoup de temps pour faire ces deux opérations fur une espace de 45 pieds de long fur xi & demi de large , & pour peu que le Nègre l'eût trouvée forte le premier jour , parce que c'est un ouvrage nouveau , fur quoi ils cherchent toujours a en imposer., il Suffirait d'être présent les deux premières fois, mais cela n'empêcheroit pas de reviser les suivantes. Je ne vois contre la proposition du parcage , qu'une feule objection un peu raisonnable ; c'est que le Nègre commis a la garde du troupeau , ne fera pas exact & qu'on volera quelques moutons ; a quoi je réponds qu'il faut que le gardeur fâche qu'on viendra deux a trois fois par jour, tantôt dans


DE CULTIVER LA CANNE. 341 un temps & tantôt dans un autre , pour s'affûter de son exactitude , & qu'il faudra sur-tout le nourrir fur le lieu, afin qu'il n'ait pas une raison très-légitime pour s'absenter ; a nuit il faudra deux Gardes armés, depuis e soleil couchant jusqu'à minuit , & deux autres depuis minuit jusqu'au matin : le gardeur ordinaire du jour, fera l'un de ceux qui feront la fécondé veille. On objectera peut-être aussi qu'un séjour de douze heures de cent moutons dans un parc de 45 pieds de long fur 22 & demi de large , ne produira pas tout l'effet qu'on desireroit ; je répondrai qu'en effet la chose est possible ; mais qu'il y auroit au moins de l'indiscrétion a prononcer définitivement avant l'expérience , qui donnera toujours infiniment au-dessus des frais : d'ailleurs il pour faire l'essai fans imprudence , il suffit d'avoir un motif raisonnable d'espérance de succès, nous lavons qu'en Europe un parc de 400 moutons qu'on change 3 fois par 24 heures, engraisse parfaitement quarante arpens de terre en quatre mois & demi ; donc un parc de 100 moutons engraisseroit de la même façon dix arpens dans le même-temps ; or , l'arpent dont je parle est environ le tiers de notre quarré ; donc il engraisseroit au-delà de trois quarrés depuis le 10 de Janvier jusqu'au 20 de Juin. Ce fumier ne sera-t-il point trop chaud ? Il le seroit, fans doute, pour les sommets,

ordinairement très-secs ; il ne le fera pas pour les terreins bas, pour les terres humides & argilleuses qui ont besoin d'être divisées. N'ou Y 3


342 ESSAI SUR L'ART blions pas d'ailleurs que tel terrein qui souffriroit de la chaleur d'un espèce de fumier, dans la supposition des plantations d'Octobre & de Novembre , qui vont être arrêtées par le sec , n'en tireroit que de l'avantage dans le systême des plantations de Mai & Juin , temps où commence la succession des pluies. Mais la nourriture des têtes de Cannes suffirat-elle aux moutons ?

Elle suffit aux bœufs , aux chevaux , aux mulets qui travaillent, elle suffira donc aux moutons qui ne font rien ; d'ailleurs , quel risque à l'essayer ? Les moutons sont accoutumés à courir dans les savanes ; renfermés , ils maigriront.

Ils s'accoutumeront à une vie sédentaire , parce qu' on s'accoutume aisément à beaucoup manger & a ne rien faire. Vous pouvez cependant en laisser courir une douzaine pour votre table, & remplacer celui ou ceux que vous prendrez chaque semaine , par les plus maigres de ceux qui relieront emparques. Quel embarras pour les conduire du parc à l'abreuvoir ?

Les moutons boivent très-peu; ils ne sortiront point du parc. Une chaudière de 20 à 25 galons qu'on remplira d'eau , sera plus que suffisante pour abreuver 100 & 120 moutons pendant deux jours ; ce fera la valeur de 4 pots de rafinerie , a porter journellement, c'est - a - dire la charge des 4 Nègres qui doivent se relever pour la garde du parc pendant les deux quarts de la nuit : s'il en falloit quatre de plus, avec quatre coups de rum à midi, vous trouverez dix Nègres prêts à se battre


DE CULTIVER LA CANNE. 343 pour le service des moutons , fans rien détourner pour cette opération. Mais beaucoup d'habitans n'ont que 20 brebis portantes , & l'on en trouve rarement à acheter dans ce pays-là.

On en trouvera bien moins encore, lorsqu'on reconnoîtra leur nouveau prix ; mais fi l'on se réduit, pendant un an, a manger un mouton par mois , 20 brebis qui dans notre Amérique portent deux & trois fois l'année , & font presque toujours deux, & quelquefois trois petits à chaque portée, auront bientôt complété le nombre de 100 & de 150, fi l'on veut. Apres la récolté , il n'y aura plus de têtes de Cannes vertes pour les nourrir.

On les nourrira avec des têtes de Cannes sèches , comme on nourrit les mulets & les bœufs dans d'autres colonies ; j'ai déjà parlé p. 302, de cette ressource inusitée dans notre Isle ; il faudrait cependant après la récolte , promener les moutons une heure ou deux matin & soir, pour les égayer avec l'herbe de la savanne ; mais tenez-les le relie du temps dans les deux parcs réduits a un seul, que vous placerez alors allez près de la maison pour veiller a ce qui s'y passe -, la partie de têtes de Cannes sèches que les moutons ne mangeront pas, continuellement foulée, imprégnée de leurs urines, & mêlée avec leur fiente , fera encore une addition considérable de fumier , &c. &c. Voyez les Essais dans l'examen du fécond principe. Je ne parlerai pas des laines des pays chauds, voyez cependant celles d'Espagne ; ni des laiY 4


344 ESSAI SUR L'ART nes des pays chauds, perfectionnées par un parcage continuel , lorsqu'un parcage de six mois suffit pour améliorer celles des pays froids ; voyez celles d'Angleterre, & les expériences ordonnées par M."de Brou, dont parle M. Tillet.

ARTICLE

SIXIÈME.

Des labours à la charrue , & de la meilleure manière de les, adapter à la culture des Cannes & à mon. systême.

A

VANT de donner mes idées fur l'espèce de labour dont il est question dans cet article , je rendrai compte de quelques faits dont j'ai été témoin. Un homme poffesseur d'une terre vraiment médiocre pour les Cannes, & ruinée , disoiton , voulut y essayer la charrue; il se pourvut d'un laboureur d'Europe, & comme ce travail est expéditif, avec une feule charrue, il laboura la plus grande partie de fa terre depuis Mai jusqu'en Novembre. Ses Nègres fort peu occupés à la récolte actuelle, qui étoit au-dessous du médiocre, plantoient à mesure , & la plantation fut achevée en Décembre. L'année suivante fut assez pluvieuse ; cette habitation, qui donnoit ordinairement de 130 a 150 bariques de Sucre, en donna 300. L'on cria miracle, tout le monde s'arrangeoit pour avoir des laboureurs : mais l'année d'après , cette habitation ne donna que 80 bari-


DE CULTIVER LA CANNE. 345 ci lies, & l'on dit, la charrue épuise la terre, & la ruine pour jamais. C'étoit fur les deux cas, raisonner de la même force. Voici l'explication des deux prodiges de fertilité & d'épuisement. L'année de la plantation fut très-modique , celle qui la suivit le fut encore davantage par le vide que produisit dans la récolte, une quantité de pièces plantées, qui ne furent bonnes que l'année d'après ; cette diminution de la récolte ordinaire permit de donner le plus grand foin aux jeunes plantes; il falloit bien que la terre plantée en triple quantité, cultivée, fardée avec la plus grande recherche, & plutôt avant qu'au moment du besoin, produisit en raison de la culture & de la quantité des nouvelles plantations ; il n'y a pas là de miracle : or , comme il n'y avoit qu'environ 100 Nègres travaillons fur cette habitation , ils ne purent faire autre choie que récolter pendant dix mois ; pas une pièce ne fut lardée, toutes furent empoisonnées d'herbes , la moitié des ouches fut étouffée , le reste vint mal, point de récolte par conséquent l'année fui vante ; cela devoit être fans miracle aussi ; c'est toujours la fuite des récoltes prodigieuses, préparées aux dépens de plusieurs autres. Cependant la charrue lut si généralement & si péremptoirement condamnée , baffouée , ridiculisée , que malgré le goût de la célérité d'exécution , dont je n'ai jamais pu me défendre, je n'osai pas , contre le torrent de l'opinion générale, risquer un essai chez moi. Etabli lions un principe. Labourer , c'est diviser la terre , pas un mot de plus ; & qui-


346 ESSAI SUR L'ART conque a vu l'état dans lequel une taupe avec quatre petites griffes, réduit la terre avec laquelle elle forme ces monticules , qu'on rencontre assez souvent dans les prairies d'Europe, peut se faire l'idée la plus juste, ce me semble , de la préparation la plus parfaite qu'il soit possible de donner a des terres destinées a la nutrition des plantes les plus exigeantes. La fourmi nous donne également des modèles dans le même genre ; les instrumens dont l'une & l'autre se fervent pour exécuter ces chef - d'oeuvres d'industrie rurale , prouvent certainement que la qualité de l'outil cil indifférente, & que nous ne courons aucun risque a nous laisser déterminer pour le choix , par la perspective de la plus prompte expédition : or, que la charrue nous offre cet avantage, il ne peut y avoir aucun doute ; quelles seroient donc les raisons qui nous empêcheroient de nous en servir ? La hachure des terres & l'élévation des mornes, dira-t-on ; cette excellente raison se réduit à établir qu'il ne faudra pas se servir de la charrue par-tout où il fera impossible de le faire, & qu'il faudra le faire par-tout où cela fera possible. Essayons donc d'abord les parties visiblement aisées, & nos succès peut-être, étendront la sphère des possibilités -, je fais que l'usage de la charrue n'est pas tout-à-fait inconnu à la Martinique, a Saint-Domingue, à la Guadeloupe ; quelques personnes s'en fervent ; mais il y a loin du petit nombre a la généralité ; d'ailleurs, depuis l'essai dont j'ai parlé, personne n'y a songé dans notre Isle, & ce que je vais proposer ne s'exécute nulle part, quoi-


DE CULTIVER LA CANNE.

347

que j'en aie conçu l'idée fur quelques expériences dont le succès , équivoque peut-être en Europe à l'égard du bled, n'admet aucun doute relativement a la Canne : je donnerai les raisons de la différence. Il faut cependant convenir qu'il seroit possible qu'en fouillant indiscrètement avec la charrue, on ne rendu mauvaise , comme dit M. Duhamel, la terre excellente du dessus en la mêlant avec la terre stérile du fond. Il faudra donc plus d'attention a la charrue qu'à la houe, parce que le Nègre qu'on ne veille pas, est plus intéressé à fouiller peu que beaucoup avec fa houe , &. ce ne seroit que la peine des chevaux qu'il croiroit épargner en labourant moins profondément avec la charrue; il fera donc essentiel d'examiner le tond des différentes pièces de terre , pour décider ce qui conviendra a chacune, & poser pour règle indubitable, que par-tout où il y auroit le moindre danger a pénétrer jusqu'à six pouces de profondeur , quatre pouces parfaitement travaillés, suffisent pour donner d'excellentes Cannes. J'ai dit que labourer étoit diviser la terre, & pas un mot de plia : il me semble que ce point bien reconnu , bien établi tant en Europe , qu'en Amérique, & par-tout ailleurs, épargnerait bien des fautes, & remédierait a bien des abus : s'il restoit encore quelque incertitude à cet égard, après les faits & les raisons déjà rapportées dans cet Ouvrage, il suffira, pour la lever, de mettre en opposition deux autres faits biens constatés, l'un en Afrique , l'autre en Europe , & ce grand bénéfice, ce bénéfice préparatoire & supposé nécessaire ,


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ESSAI

SUR L'ART

des influences de L'air dont on parle tant dans les deux hémisphères, fera réduit a la même valeur que celui de fa circulation dont j'ai parlé , pag. 187. On coupe une forêt en Europe , on e(Tarte les terres , on les laboure ensuite au moins deux fois, & fi elles font très-bonnes, on se garde bien d'y semer du bled avant de les avoir domptées par des plantes moins délicates , & dont les racines plus rigides ne puissent, en quelque façon,puiser au milieu de l'abondance, que la'quantité de suc nécessaire pour les perfectionner ; c'est de l'avoine que je prétends parler-, & ce qui m'induit a supposer aux racines de cette plante une tempérance de constitution aussi singulière, c'est qu'ordinairement elles trouvent à-peu-prèstoute la nourriture dont elles ont besoin, dans des terres où le bled rendroit a peine la semence : or, puisque l'avoine réussit assez bien dans des terres de cette espèce , & qu'on la sème impunément dans les terres les plus riches, on peut croire, ce me semble, qu'elle ne prend que le nécessaire, même au milieu du superflu. On coupe une forêt dans 1'Isle de Bourbon , fous le 15e. degré de latitude sud ; aussi-tôt qu'on l'a debarrassée des bois coupés, soit par le feu , soit autrement , on fait ranger les Nègres en haie fur un des bords de la pièce, chacun donne un coup de houe qui perce la terre d'un pouce ou deux de profondeur, n'importe, l'on n'y regarde pas -, il y met trois grains de bled qu'il recouvre avec le pied ; il avance un pas,fait un trou semblable au premier , qu'il garnit & recouvre de la même


DE CULTIVER LA CANNE. 349 manière , ainsi des autres ; il ne s'agit ensuire que de sarcler à mesure qu'il paroît des herbes -, & l'on est sûr d'avoir quatre mois & demi après une récolte superbe, fi les oiseaux, qui sont presque innombrables dans ce pays-là ne l'ont pas extraordinairement diminuée : or , observons que sarcler dans nos Colonies, entre les deux Tropiques, n'est communément autre choie qu'arracher les herbes avec la main, ou les couper avec la houe, à une demi ligne , Il l'on peut, de la superficie de la terre. Je demande maintenant quel rôle jouent dans une culture aussi fsperficielle , ces influences de l'air qu'on prétend fi nécessaires à la préparation des terres. Je demande si celle de l'Isles de Bourbon , dont je viens de parler, préfente d'autre cause de fertilité , qu'une porosité actuel le , qui n'exige pas même le moindre travail de la houe, encore moins de la charrue , pour que les racines du bled s'y étendent avec le degré exact de facilité dont elles ont besoin. Je demande fi le moindre travail de plus, en rendant la terre plus poreuse, n'eût pas procuré trop de nourriture à la plante, & ne l'eut pas accablée de ce luxe dont j'ai parlé relativement a nos Cannes. Je demande fi cette distance d'un pied & demi (I), laissée entre les touffes de bled, & reconnue nécessaire dans l'Isle de Bourbon, fans savoir pourquoi, peut avoir d'autre effet (I) On m'a même dit que la distance étoit Couvent plus considérable.


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ESSAI SUR

L'ART

avantageux, que de faciliter au soleil le moyen de pomper l'excédent de nourriture dont la plante eût été surchargée, fi la terre plutôt couverte eût conservé plus d'humidité. Je continuerai a expliquer , suivant mes principes, les effets de deux méthodes aussi opposées que celles dont je viens de parler. Les excellentes terres, depuis long - temps couvertes de bois en Europe, font exactement comme les excellentes terres couvertes de bois soit en Afrique , soit en Amérique : l'intérieur des unes & des autres est déplus, annuellement engraissé, enrichi, par les racines pourries des arbres morts de vétusté fur le lieu ; annuellement aussi leur superficie le couvre de la dépouille des arbres qui subsistent encore ; la pluie qui tombe fur ces dépouilles, les décompose peu a peu , en d'autres mots les pourrit, & entraîne avec elle dans la terre, leurs parties les plus déliées, les plus actives ; c'est cet espèce de levain qui tient pendant long-temps les nouveaux défrichés au point de porosité, de gonflement qui occasionne la fertilité prodigieuse dont on se plaint quelquefois pendant les premières récoltes ; jusques - là , tout est égal dans les deux hémispheres. Comparons maintenant leurs différens procédés, En Europe , on dompte la terre neuve , avant de lui confier une plante aussi délicate que le bled , c'est-à-dire , fi je ne me trompe, qu'après l'avoir beaucoup trop soulevée par l'essartement des terres , & par de bons labours qui l'ont rendue encore plus poreuse qu'elle n'étoit, on lui donne le temps de


DE CULTIVER LA CANNE.351 s'affaisser & d'avoir besoin de nouveaux labours pour donner au bled toute la quantité de nourriture qu'il demande; & avant d'y semer du bled, on attend le moment où il est nécessaire de donner ces labours, parce qu'il y a bien des siècles qu'il faut labourer en Europe, pour y avoir du bled ; jusques-là on y seme de l'avoine. Dans l'Isle de Bourbon , au contraire , en n'a jamais donne qu'un petit coup de houe à la terre neuve ; & ce coup de houe , qui perce la terre d'un ou deux pouces, a toujours fait l'unique préparation dont elle avoit besoin pour nourrir trois grains de bled : j'ai déjà dit que les trous qui doivent recevoir ces trois grains se faisoient à un pied & demi de distance les uns des autres, & je dois maintenant ajouter qu'on a foin d'arracher une des trois jeunes plantes, fi les trois grains ont levé. La terre cesse-t-elle de produire abondamment , malgré le petit coup de houe donné à l'ordinaire ? on la déclare usée ; mais heureusement on n'ignore pas dans ce pays-là,, qu'on dit en Europe, que le changement de culturc , répare, renouvelle les terres ; ainsi donc dans l'Isle de Bourbon, l'on plante du manioc dans cette prétendue terre usée, & après une récolte ou deux de manioc , on revient au coup de houe, on seme les trois grains de bled, & la terre en produit presque autant que dans le principe. Il est probable cependant qu'on met un peu moins de distance entre les trous. La terre est donc meilleure , insistera-t-on, dans l'Isle de Bourbon, qu'en Europe ; c'est ce


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ESSAI

SUR L'ART

qu'il faut encore plus approfondir , fi ce que j'ai dit n'a pas suffi: je remarquerai cependant que je ne parle de l'Isle de Bourbon , que parce que cette Isle & celle de France l'ont les feules qui nous fournissent, dans un climat bien différent de celui d'Europe , le même objet de comparaison dans la plante la plus connue, comme la plus précieuse : je ne perdrai pas cependant de vue notre Amérique, à qui je dois le tribut & les résultats des observarions qu'elle m'a fournies, observations fans lesquelles les autres m'eussent été inutiles. Cet espèce de levain dont j'ai parlé , qui tient a fiez long - temps la terre neuve soulevée dans iule de Bourbon , n'étant plus renouvellé par la chute de feuilles & la décomposition de racines d'arbres qui ne subsistent plus, s'epuise enfin, parce qu'a, la longue tout levain de la terre, toute espèce de fumier devient terreau , qu'après un certain temps le terreau s'affaisse , & qu'une fois affaisse , il ne vaut pas mieux que toute autre terre qui a le même degré d'affairement : ainsi donc les terres , a Bourbon , après quatre , six , dix ans , suivant leur qualité intrinsèque, rendues a leur porosité naturelle , ne fournirent plus que les ressources attachées à leur qualité, ou pour mieux dire, opposent a la végétation, les obstacles qui naissent de la différence qui se trouve entre leur densité propre, c'est-à-dire la petitesse naturelle de leurs pores , & les besoins de la plante qu'on leur confie; le bled dégénère, on recueille a peine la semence, & la terre passe


DE CULTIVER LA CANNE. 353 passe pour ufée ; c'est le mot par-tout, parce que par-tout, la terre quoique ci-devant neuve ou parfaitement renouvellée par des engrais répandus avec abondance, préfente enfin après quelques années de travail, les mêmes phénomènes d'épuisement : les terres généralement font donc égales fous les deux Zones. Il ne m'appartient pas de tirer de ce que je viens de dire, les conséquences qui peuvent intéresser l'agriculture d'Europe ; cependant, fi ce que je soupçonne étoit juste, fi mon idée étoit allez plausible pour qu'on osât y risquer un essai de la culture de l'Isle de Bourbon , fur quelque partie d'excellent défriché qu'on n'auroit pas encore dompté , & que cet essai donnât, fans labour, quelques belles récoltes de bled, où l'on n'auroit eu , pendant quelques années, que des avoines aux frais ordinaires ; je ne serois point insensible au plaisir d'avoir donné moi-même la preuve de l'utilité de ce tableau de comparaison dont j'ai parlé , p. 65 ; mais comme il y auroit trop de présomption à m'en flatter, je me bornerai à observer qu'on fait probablement très-bien à Bourbon, de ne pas traiter les terres déjà affaissés comme II elles étoient neuves , quoiqu'il fsit d'usage en Europe de traiter les terres neuves comme fi elles étoient déjà affaissées & je rendrai raison du petit prodige de fertilité qui fuit l'attention qu'on a de faire succéder la culture du manioc a celle du bled, & ensuite la culture du bled à celle du manioc. Le manioc vient de bouture, on met allez *Z


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ESSAI SUR L'ART

communément 12 à 15 pouces de distance entre les plants, & chacun d'eux fournit, après 10, 12 ou 15 mois (suivant l'espèce du manioc) deux, trois ou quatre racines, de la longueur Se de la grosseur d'une belle betterave. On fait que ces racines préparées forment line nourriture excellente ; mais ce qu'il faut savoir relativement à notre objet, c'est qu'on arrache ces racines avec assez de facilité , & que fans autre but que de faire la récolte du manioc, on prépare fans s'en douter, celle du bled qui doit la suivre , on la prépare, dis-je, par une espèce d'essartement qui répond, comme on vient de voir , à celui du défrichement en Europe ; il n'est donc pas étonnant que la terre rendue par cette opération à la porosité qu'elle avoit lors de Ion premier défrichement, le.coup de houe suffise encore pour le bled, jusqu'à ce qu'elle soit revenue au point d'affaissement qui l'avoit fait déclarer usée. Mais qu'importe qu'elle le soit, puisqu'on fait que la culture du manioc la rendra neuve, aussi souvent qu'elle s'usera. Je passe maintenant en Amérique , & c'est dans notre Isle que je m'arrêterai plus particulièrement , parce que les faits fur lesquels je vais raisonner, s'étant passés fous mes yeux, je puis en rendre un compte qui ne fera pas contredit. Le coup de houe, a la Grenade , comme dans l'Isle de Bourbon, nous a toujours suffi dans nos terres neuves & bonnes, pour avoir des Cannes superbes , & tout ce que nous avons voulu ; mais ces terres, après nous avoir


DE CULTIVER LA CANNE. 355 donné pendant 10, 12, 15 ans, sans être replantées, de fort bons rejetons,en ont donné de médiocres, enfui te de mauvais ; on a replanté la terre avec le coup de houe , les plantations n'ont pas été brillantes, elles ont dégénéré d'année en année , & l'on a dit, la terre est usée -, on devoit dire , la terre est affaissée & rendue à fa densité naturelle ; mais qu'eût - il servi de le dire alors ? on n'avoit pas en général allez de Nègres pour la bien travailler. Les Anglois vinrent a cette époque ; accoutumés dans leurs Colonies, comme je l'ai déjà dit , à des terres fur lesquelles ils avoient adopté à la rigueur-, le systême de culture Européenne, qu'il eût fallu d'abord raisonner, ils triplèrent les moyens en tout genre , labourèrent parfaitement à la houe beaucoup de ces terres prétendues usées, & elles donnèrent autant que jamais ; mais , comme je l'ai dit en d'autres mots , la porosité donnée par de Amples labours, ne se soutient que jusqu'àla destruction totale de ce ferment étranger que la terre avoit reçu de la dépouille des arbres dont elle avoit été couverte avant son défrichement ; & fi l'on ne veut pas se borner aujourd'hui à n'avoir dans les saisons ordinaires , de bonnes récoltes que dans l'année de la plantation, & peutêtre les deux ou trois suivantes dans les meilleures terres, il faut ou se décider à donner à la terre , dans l'année de la plantation , un ferment égal à celui dont elle étoit pourvue lors de son défrichement ( j'entends par ce ferment, une quantité de fumier allez consiZ2»


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ESSAI

SUR

L'ART

dérable , pour que son action puisse tenir la terre soulevée au point nécessaire,pendant les cinq & six années dont nous avons besoin pour travailler avec la plus grande aisance ), ou bien il faut suppléer à ce qui peut manquer de la quantité de ce ferment par une culture qui produise le même effet. Avant de proposer la féconde ressource qui remplira cet objet, je crois cependant devoir ajouter quelques raisons nouvelles à celles que j'ai deja données pour prouver la possibilité de la première , & c'est ici vraiment leur place. 1°. Il est évident, par l'exposé & la comparaison des faits constatés en Amérique , en Afrique, en Europe , qu'il n'y a d'autre différence entre la terre neuve & la terre usée , que l'extrême porosité de l'une, & l'extrême affaissement de l'autre. 2°. En supposant trois espèces de terres défrichées depuis 30 ans,dont l'histoire n'est pas est trop générale pour être assez ancienne, savons que la première depuis douteuse ; nous douze ans, a besoin pour produire beaucoup, d'être replantée feulement tous les quatre ans ; la fécondé, tous les trois ans, & que la dernière, qui donne passablement à la féconde coupe, ne paierait pas la dépense de la troisième or, nous savons également que cette dernière espèce de terre, a donné dans le principe , d'excellens rejetons pendant 8 a 10 ans ; donc nous pouvons établir fans hésiter, nonfeulement que la dernière espèce de terre n'a reçu de la nature que le tiers de la porosité


DE CULTIVER LA CANNE.357 qu'il lui faudrait pour n'être replantée avec avantage, qu'à la sixième coupe ; mais encore que fa qualité naturelle la rend susceptible d'une amélioration même plus durable que celle que nous cherchons ; or, le premier ferment de pourriture qu'elle avoit reçu de la dépouille des arbres, n'ayant été détruit en entier qu'après la huitième ou dixième année, donc il ne s'agit que de se pourvoir de la quantité de fumier ou de ferment nécessaire, suivant les essais mentionnés dans l'examen du fécond principe , pour la tenir pendant les six ans dont nous avons besoin, au degré de porosité nécessaire à nos six récoltes. Mais tout ceci ne fait que démontrer ce que nous avions déjà, ce me semble, prouvé; il faut faire un pas de plus, & voir s'il cil; possible de suppléer par la culture , à la partie du fumier qui nous coûterait des sacrifices trop pénibles, ce qui forme la fécondé ressource dont j'ai parlé. L'expérience du succès , au moins de la première récolte de bled dans l'Isle de Bourbon , & de Cannes dans nos Isles, après chaque plantation de manioc , même fans addition de fumier, dans les terres les plus inférieures, les plus ufées , prouve de la façon la plus évidente que l'affaissement trop prompt est le seul vice essent ici de la terre , qui l'empêche de produire beaucoup & long-temps (on ne doute point que la nécessiré d'une saison convenable ne soit cependant hors de question); donc tout ce qui préviendra cet affaissement conservera toujours à la terre toute fa fertilité ; or, des labours allez multipliés à des Z 3


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époques convenables, produiroient infailliblement cet effet ; mais nous sommes retenus par deux confédérations de la plus grande importance ; la première , c'est le temps qu'il faudrait , avec les moyens ordinaires, pour une opération aussi longue, que des labours fur toute l'étendue de la terre en Cannes ; d'ailleurs l'espèce de labours dont j'ai parlé au travail de Septembre , pour mes premiers & féconds rejetons, quoique bien supérieure aux sarclages ordinaires, est encore bien éloignée de donner à la terre toute la division dont elle est susceptible, & qui lui seroit nécessaire ; la fécondé considération, c'est qu'il est impossible de donner même ces labours imparfaits aux troisièmes, quatrièmes & cinquièmes rejetons, parce qu'au mois d'Octobre, le seul temps où cela pourroit se faire dans mon systême, ils couvrent tous la terre, quelques - uns mêmes depuis un mois, & qu'ils n'admettent plus d'autres secours que celui de la pluie. C'est ici que nous allons essayer la charrue, & chercher la meilleure façon de l'adapter à mon systême , mais il faut commencer par réformer la plantation même, de manière à lui conserver ses premiers avantages, lorsque nous travaillerons à lui en procurer de nouveaux. Rien de changé pour le temps de la récolte, ni pour l'ordre des coupes ; la nature du climat & de la plante a décidé l'un & l'autre ; les premières pièces coupées font toujours celles qu'il faut replanter,


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Aussi-tôt qu'il y en a une de coupée, ou pour mieux dire, aussi-tôt qu' il y a assez d'espace découvert, pour exécuter avec aisance les préparatifs de la plantation. , au lieu de faire , avec l'Attelier de réserve, des folles de trois pieds , comme il cil dit Observations sur la manière de planterj'applique cet Attelier à boteler les pailles, fur l'étendue de terre seulement, que le nombre de charrues que je veux employer,pourra parcourir en un jour, afin , comme je l' ai dit plus haut, qu'il n'y ait jamais que le moins possible de terre découverte, & d'y conserver plus long-temps l'humidité, d'où résultera la plus grande facilité du labour : ces pailles feront immédiatement enlevées pour les fourneaux , & les têtes de Cannes mises à part pour ces amas de subsistances nécessaires aux bestiaux , dont j'ai parlé pag. 302. Comme je n'ai point oublié qu'il est inutile de donner, dès le moment de la plantation , des labours dont la plante n'aura besoin que trois mois après qu'elle aura paru hors de terre, & qu'il suffit qu'elle trouve dans le principe, allez de terre ameublie pour nourrir ses premières racines, j'ouvre de trois pieds & demi en trois pieds & demi, deux simples filions allez près l'un de l'autre pour n'en former qu'un seul, qu'on peut appeller double sillon, & dans lequel je deposerai mon plant lorsque le temps de la plantation fera arrivé ; il y aura donc 100 doubles filions de 3 50 pieds de long chacun, fur la fur face entière d'un quarré ; ainsi chaque charrue pourra faire Z 4


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par jour, ce premier labour fur un quarré. Si vous avez 15 quarrés de terre a planter, ce qui , dans mon sVilenie, en suppose 72 en Cannes, trois journées de quatre charrues suffiront pour le tout , vous pourrez donc choisir le temps le plus favorable pour cet ouvrage : vous verrez bientôt pourquoi je suppose quatre charrues , lorsqu'il semble qu'une feule seroit beaucoup plus que suffisante ; car observez que il vous commencez à labourer le 10 Janvier , comme je vous le recommande , vous n'avez encore aucun charroi de denrées qui puisse vous occuper , qu'ils ne commenceront qu'a la fin de Février , & qu'alors votre premier labour pour la plantation de 12 quarrés, seroit fini depuis longtemps, même avec une feule charrue: remarquez aussi que l'Attelier de réserve, a qui vous venez d'enlever la partie la plus dure de son travail, n'a plus qu'à perfectionner l'ouvrage de la charrue , a le suppléer dans la partie de terre qui relie entre les filions en y arrachant les louches , en répandant dans le fond des filions ( dans les endroits arides feulement), une petite couche de fumier, qu'il suffira de couvrir d'un peu de la terre meuble, afin d'empêcher le soleil de le dessécher ; mais ne voyez pour ce moment-ci dans ces avantages, que l'exactitude que vous pouvez mettre jusques dans les minuties, jusques dans les plus grandes recherches sur tous les points. Aussi-tôt que vous aurez labouré un espace de terre suffisant pour recevoir le parc


DE CULTIVER LA CANNE. 361 à moutons dont j' ai parlé dans l'article précédent, ne différez pas d'une feule journée à l'établir ; car j'insisterai toujours non-seulement fur la porosité qu'il faut donner à la terre, mais fur l'avantage de joindre au travail soit de la houe, soit de la charrue, toutes le espèces de secours qui peuvent tenir le plus long-temps la terre soulevée : qu'on ne s'imagine donc pas que je prétende supprimer le fumier, lorsque je n'ai dessein que de faciliter , d'augmenter son action, ou de suppléer à ce qui nous manque de la quantité dont nous aurions besoin , & que nous ne pourrions nous procurer qu'à trop grands frais. Quant aux labours a la charrue que je propose, une figure fera mieux comprendre de quelle manière je les conçois, toujours bien loin de prétendre que mon idée soit la meilleure,


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Cette figure prĂŠsente 5 doubles filions A, distans d'un centre Ă l'autre de trois pieds &


DE CULTIVER LA CANNE. 363 demi ; on y a mis , comme je viens de le dire, quelques jours après qu'ils ont été ouverts, une petite portion de fumier qu'on a couvert de la terre meuble , nécessaire pour le garantir du soleil. La terre des sillons 1, 2, 3, 4 & 5 , se trouve, par l'opposition de l'allée du retour de la charrue , placée dans les intervalles Y ; j'ai dit qu'il falloit arracher les souches du milieu de ces intervalles. Le temps de la plantation arrivé , l'on fera tomber avec la houe un peu plus de terre dans le sillon ; on la mêlera avec celle qui couvre le peu de fumier qu'on y a répandu, & l'on mettra, fous le tout bien mélangé, une double rangée de plants, comme on les voit en A du sillon I, un pouce feulement entre les rangées. Lorsque les premières productions de vos Cannes , font sorties, faites tomber avec la houe , dans les filions, de nouvelle terre des intervalles Y , c'est le premier sarclage ; faites-en tomber de nouvelle au fécond sarclage , & attendez la sortie des fécondes productions pour procéder au grand travail d'Août, qui dans le nouveau plan s'exécutera comme je vais dire. Mettez le reste de votre fumier avec ce qui reste de la terre des filions, fur les intervalles Y, & répandez ce mélange fur toute l'étendue des filions, jusqu'a cinq à six pouces de distance des plantes de chaque coté ; cette opération faite, la charrue ouvrira des deux côtés en B , un nouveau sillon dont la terre se portera en C. Quatre ou cinq jours après (ce temps suffit dans la saison dont je parle


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ESSAI

SUR L'ART

pour ameublir la terre en Amérique ; d'ailleurs on verra bientôt comment je supplée à ce qui peut y manquer), quatre ou cinq jours après, dis - je , faites ouvrir en C un sillon qui reportera la terre des deux côtés en B. Votre charrue peut être disposée pour cela. Ou formez-y un double sillon comme le premier , mais plus profond si la pièce est fans écoulement. Avant d'aller plus loin , il faut parler des rejetons, & voir le moment d'y appliquer la charrue : je les suppose tous plantés à la distance de 3 pieds Se demi dans le principe ; les plus âgés, coupés en Février, ont quatre mois en Juillet, ce font les cinquièmes rejetons ; les quatrièmes ont trois mois , les troisièmes en ont deux , les féconds n'en ont qu'un , les premiers ne font que sortir de terre. Tous peuvent être labourés, parce que les mois de Février , Mars & Avril ( voyez le Tableau), étant peu favorables a la végétation, les plus âgés font encore loin de couvrir la terre au point de vous empêcher de travailler dans les intervalles, & c'est ici que vous allez sentir la nécessité des quatre charrues. Chacune , en faisant trois ou quatre filions dans chaque intervalle, ne peut guères, dans nos Isles ou l'on travaille assez mollement, labourer qu'un demi-quarré de terre par jour ; or,j'ai supposé 60 quarrés tant de cinquièmes que de quatrièmes , troisièmes, féconds & premiers rejetons , & vous avez de plus 12, quarrés de Cannes plantées, en tout 72 quarrés , auxquels il faudroit donner deux labours, fi cela est possible, & vous n'avez que trois


DE CULTIVER LA CANNE. 365 mois, savoir Juillet, Août & Septembre, où la hauteur des Cannes puisse vous permettre de faire cette double opération, qui équivaut a un labour unique sur 144 quarrés. Voilà bien exactement l'emploi de vos quatre charrues pendant ces trois mois. Commencez donc, dès le premier Juillet, a labourer les cinquièmes rejetons, quoiqu'ils n'aient plus qu'une coupe à vous donner, elle en fera certainement meilleure ; c'est le travail de la première semaine de Juillet ; le labour des quatrièmes rejetons fera le travail de la fécondé semaine ; la suivante fera pour ies troisièmes rejetons, & la quatrième pour les féconds, la première semaine d'Août fera pour les premiers, la seconde pour les Cannes plantées, la troisième commencera le fécond labour des cinquièmes rejetons ; s'ils couvrent déjà la terre, soyez tranquille ; oubliez-les , & passez aux quatrièmes, ensuite aux autres, jusqu'a vos premiers , & enfin aux Cannes plantées, qui , ainsi que vos premiers rejetons, doivent le plus fixer votre attention & vos foins, parce que les uns ont encore cinq coupes, les autres en ont six a vous donner. Voyez au travail d'Août & de Septembre , ce que vous pouvez en adapter à la nouvelle méthode dont il est ici question. Répondons maintenant a quelques objections & questions qui se presentent : je remplirai en même - temps l'objet que j'ai 1aissé en arrière. Le temps des labours , & celui du charroi des denrées , feroit le même ,puisqu'il vous., restee encore en Juillet , Août & Septembre , un cinquième de la


366

ESSAI

SUR

L'ART

récolte tant de sucre que de rum, à remettre au port , & que ces trois mois sont consacrés à deux labours sur 72 quarrés , l'un de ces deux travaux nuiroit à l'autre.

Réponse. Comme jusqu'ici je n'ai demandé aucune augmentation de forces , pour faire beaucoup plus de travail utile, je veux continuer ; je ne dirai donc point qu'il ne s'agit que de se pourvoir de huit chevaux de plus, & je conviendrai que l'objection préfente un inconvénient réel ; mais où n'y en a-t-il pas? Quant a celui dont il est ici question, je me contente de le comparer, avec la privation des avantages qui doivent nécessairement résulter de deux labours qu'il n'est possible de faire que dans le temps prescrit, ensuite je n'hésite point à différer de trois mois , le charroi d'une récolte déjà faite, assurée, plutôt que de manquer l'occasion d'assurer la bouté de plusieurs autres, & je n'achette point huit chevaux de plus. Quatre charrues , dira t-on aussi , pour commencer!

Réponse. Commencez par en essayer une, & contentez-vous, pour l'essai, du travail qu'une feule charrue peut faire : mais j'en ai du supposer quatre, parce que j'ai supposé la rotation établie fur une plantation annuelle de 12 quarrés , qui dans mon systême en supposé 72, en Cannes. Or , comme il seroit maintenant trop tard pour s'opposer à la conséquence de l'égalité du produit qu'on doit

attendre d'une terre à laquelle l' art a donné le degré de porosité qui lui manquoit , & de celle qui a naturellement le degré de bonté c' est -à-dire de porosité nécessaire à la plante qu' on veut y cultiver ; je

supposerai ,

sans

craindre

déformais

de


DE CULTIVER LA CANNE. 367 contradicteurs , que le charroi d' une récolte faite fur 72 quarrés , cultivés comme je le prescris , occupera huit bons chevaux de trait , fi 1' on est éloigné du port seulement de 3000 pas. Ces mêmes huit chevaux suffiront (grâce au délai du charroi dont j'ai parlé ) pour faire le travail des quatre charrues, en choisissant le temps où la terre est la plus facile à labourer, c'est celui que j'indique ; en Janvier, la terre couverte de pailles que je ne fais enlever, comme on l'a vu, qu'à mesure du travail de la charrue, n'est point encore sèche, dure ; en Juillet, Août & Septembre, elle ne l'est plus. Un espace de trois pieds & demi, d'un centre, de sillon à l'autre suffira-t-il pour labourer ?

Réponse. Chaque sillon garni de plants dans toute fa longueur, formera une espèce de souche unique; entre cette souche & fa parallèle, il restera au moins 28 pouces francs, le jeu de la charrue prélevé , & cette espace suffit pour les trois ou quatre traits de charrue que j'ai demandés ; plus ils feront près les uns des autres, mieux la terre fera remuée : l'espace voisin des louches qui ne pourra pas être labouré par la charrue , le fera par les Nègres aussi - tôt après que la charrue aura ouvert les deux premiers traits en B. Et ce labour des Nègres consistera a faire tomber un peu de la superficie de la terre , dans le fond des filions B, près des racines que la charrue aura découvertes', le trait ou les deux traits de charrue qu'on ouvrira quatre à cinq jours après en C , achèveront de remplir les deux filions B d'une terré qui'fora portée -


368

ESSAI

SUR

L'ART

au plus haut point de division par le travail subséquent des Nègres, qui briseront, derrière la charme, les mottes qui ne seroient pas allez émiétées ; qu'est-ce que ce travail pour votre Attelier , débarrassé maintenant de tout celui qu'a fait la charrue ? Et d'ailleurs , remarquez qu'en Juillet , Août & Septembre , vous avez rarement quatre à cinq jours fans quelque petit grain de pluie suffisant pour emiéter les mottes. Mais pour tranquilliser pleinement fur cette question , quoique du premier aspect elle semble intéresser davantage la possibilité de la choie , que la manière de l'exécuter, observons que Il l'expérience ou le calcul que je ferai bientôt , décident pour une distance de 4 pieds au lieu de 3 & demi, d'un centre de sillon planté a l'autre, les différais travaux dont j'ai parlé, faits avec exactitude, donneront aux plantes une vigueur qui ne laissera pas long-temps les intervalles, fans cet ombrage précieux qui doit y conserver l'humidité. La charrue coupera beaucoup de racines ; autant de moyens de subsistance enlevés.

Réponse. Chaque racine coupée en produit plu fleurs autres ; c'est donc réellement les multiplier que de les couper; c'est donc aussi multiplier les canaux qui portent les alimens à la plante. Au moins une nouvelle depense de charrues d'Europe d'ustensiles d'Europe , de laboureurs d'Europe ; car avant de confier l'éxecution de ce travail aux Nègres , il faut qu'ils l' apprennent de gens parfaitement instruits , qui les dirigent ensuite , & veillent aux détails dont nous avons parlé,

Réponse.


DE CULTIVE

R

LA CANNE. 369

Réponse. L'Amérique , ainsi que tous les autres pays du monde, est condamnée par la nature à n'être pourvue de ce qui lui manque , tant en hommes qu'en choses , que par les pays qui en ont un superflu ; il faut nécessairement ou jetter nos revenus à la mer après les avoir faits, ou les dépenser, c'est-à-dire, faire vivre ici ou la , un ordre de gens ou un autre ; choisissons entre ceux qui peuvent augmenter le produit de nos terres, & ceux qui les laisseroient dans leur état actuel de médiocre culture. Cette vérité, incontestable assurément, n'a besoin que d'être présentée pour être sentie ; mais il y a loin delà aux règlemens qu'elle exigeroit, ou plutôt à l'abolition des obstacles qui s'opposent aux conséquences immenses qui en feraient la fuite. L'idée de travailler a la charrue les intervalles laissés entre les plantes, pour favori fer leur accroissement , est proprement de M. Tull, quoique plusieurs Agriculteurs enflent déjà remarqué l'effet avantageux de ce travail, fur les arbres même que le hasard avoit mis à. portée d'en profiter ; mais une idée quelconque appartient véritablement à celui qui lui donne assez de corps pour la rendre généralement utile. Dans tout ce que je viens d'exposer, je n'ai donc d'autre mérite que celui d'approprier l'idée de M. T ull a la culture des Cannes, fur lesquelles die me paroît fi parfaitement calculée, que j'y trouve tous ses avantages fans aucun de ses inconvéniens : je n'ai point les connoissances nécessaires pour discuter les uns & les autres dans son appli* Aa


370

ESSAI

SUR L'ART

cation à la culture des récoltes d'Europe ; mais il est essentiel à mon but de mettre sous les yeux la différence qui m'a fait présenter son succès , comme équivoque , peut - être , à l'égard du bled ; j'entends ici par succès une adoption générale : il est difficile que le commun des hommes se flatte d'obtenir un produit plus considérable du tiers de fa terre , cultivé suivant la méthode de M. Tull, que du tout, cultivé à l'ordinaire, quelque avantageuse que soit l'idée qu'il puisse se faire des effets que doive produire fur le tiers planté, le travail continuel de la charrue fur les deux tiers qui ne le font pas ; car, suivant le systême de M. Tull, les rangées de bled ne forment qu'une espace dedeux pieds, & l'espace entre les rangées, destiné aux labours continuels, est de quatre pieds : le cas est bien différent par rapport aux Cannes, même en supposant qu'au lieu de planter a trois pieds , comme je crois avoir prouvé que cela suffisoit lorsqu'on ne se servoit point de charrue , l'on fût obligé pour s'en servir, de mettre une distance de quatre pieds, d'un centre de sillon planté a l'autre; car je n'ai que 13,456 fosses dans un quarré de terre planté a trois pieds en tout sens ; donc en mettant trois plants dans chaque fosse , je n'ai pas au - delà de 40, 368 plants par quarré, l'on a vu les raisons que j'ai de croire cette quantité de plants nécessaire pour profiter de toute la nourriture avantageuse, & suffisante pour que les Cannes ne se dérobent mutuellement rien d'essentiel à leur vraie perfection ; or , en faisant mes filions a quatre pieds de distance pour faci-


DE CULTIVER LA CANNE.371 liter le travail de la charrue dans les intervalles , j'ai, dans un quarré, 87 filions de 3 50 pieds de long , garnis chacun d'une double rangée de plants ( voyez A , sillon I ) , qui montent à 464 par sillon, & donnent également 40,368 pour le quarré entier ; je conserve donc l'égalité fur le nombre des plants, je gagne incontestablement la meilleure préparation de la terre , c'est - à - dire fa plus grande division, fa plus grande facilité à s'imprégner des eaux de la pluie & des moindres rosées, donnée par un travail double, fait en beaucoup moins de temps, & la terre, ameublie annuellement par ces deux labours entre les rangées, se trouvera nécessairement pour la fécondé rotation du plantage, à un point de gonflement, de division, de porosité, inconnu depuis ces prodiges de fertilité qu'on n'observe que dans les terres neuves.

A a 2


372

ESSAI

SUR L'ART

ARTICLE TABLEAU

SEPTIEME. DÉTAILLÉ

De la quantité de pluie tombée dans la partie de l'Est de la Grenade sur l'habitation du Paraclet , depuis le premier Juin jusqu'au dernier Mai 1773, & développement de mes idées sur les suites avantageuses d'un établissement public, qui constateroit annuellement l'authenticité de pareils Tableaux, faits dans les différens quartiers des If es, ce n'est pas à moi qu'il appartient d'ajouter, & dans les diverses Provinces en Europe. s

o

Jours Pouces Dixièmes Total de de du du pouce. mois. pluie. mois.

Pouces Dixièmes Total S Jours o. du de de du pouce. mois. pluie. mois. I

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3 7


DE CULTIVER LA CANNE.

Mois

Jours Pouce dixièmes Total du de du de mois. pouce. mois. pluie.

fours; Pouces Dixièmes M o du de de is mois. pluie. pouce.

373 Total du mois.

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28 29

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374 Mois

ESSAI SUR

Jours Pouces Dixièmes Total du de du de mois. pouce. mois. pluie.

3 4 5 6 7 8 9

1

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6 7

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9 10 11 12 13 14 15 16 17

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13 24 M 26

19 20 21 22 23 24 25 26

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28 29

29 30

30

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12 13 14

Jours Pouces Dixièmes Total du de de du Mois mois. mois. pouce. pluie'.

1 2 3

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2

Août

L'ART

1 9/10

2

9 19


DE CULTIVER LA CANNE. Mois

Jours Pouces Dixièmes Total du du de de mois. mois. pluie. pouce.

10

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19 20

Pouces Sixièmes Total rie de du pluie. pouce. mois.

Novrembre 4 5

11 12 13 14 15 16 17

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Jours du mois. I

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2 Octobre 3 4 5 6 7 8 9

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9 1/10 A. a 4


376

ESSAI

SUR

Jours Pouces Dixièmes Total du de du de Mois mois. mois. pluie. pouce.

Jours Pouces Dixièmes Total du de de du mois. pouce. Mois mois. pluie-

I

I

2

2

3 Décembre 4 5

Janvier 3

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L'ART

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DE CULTIVER LA CANNE. Jours Pouces Dixièmes Total du de de pouce. mois. pluie.

du Mois mois.

13 14 15 16

I

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Jours Pouces Dixièmes Total de du du de pluie. pouce. mois.

Mois mois. 1 2 S PM s 3 4 5 6

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3 Février 4 5 6 7 8 9 10 II 12

377

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378 2.

Avril

L'ART

ESSAI SUR

Jours Pouces Dixièmes Total du de de du mois. pluie. pouce. mois.

1 2 3

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Jours Pouces Dixièmes Total du de de du mois. pluie. pouce. mois. I

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30 10

8

7 2 10


DE CULTIVER LA CANNE. 379 Montant de chaque mois. 9 Juin juillet 13 11 Août Septembre 19 12 Octobre Novembre 9 18 Décembre Janvier 9 6 Février 2 Mars Avril Mai 2 Total

3 10

10

9

7 I0 I I0 8 10 5_ 10 4 I0

6

10 8 I0 9 10

116

Développement de mes idées sur l'usage de pareils Tableaux.

C'est a M. Franck Hume de la Grenade que je dois le tableau détaillé que je viens d'exposer ; le public regrettera avec moi la perte qu'il a faite de plusieurs autres, & sentira mieux l'avantage de l'établissement colonial que j'ai proposé, p. 225 , lorsqu'il aura vu par l'usage que je vais faire du peu de matériaux dont M. Hume m'a favorisé , qu'une fuite de tableaux pareils , dont l'exactitude seroit bien constatée , non - feulement démontreroit la vérité ou la fausseté de mon systême , mais encore , dans le dernier cas, présenteroit avec la même évidence celui qu'il faudroit lui substituer. Je dirai plus ;


380

ESSAI SUR L'ART

lorsqu'il fera bien prouvé qu'entre les deux tropiques , une histoire exacte & minutieuse d'une plante quelconque , jointe a une histoire annuelle aussi exacte de la pluie , préfente également l'histoire très-fidèle des récoltes de tous ceux qui ne la cultivent pas à contre sens , qui fait , jose le répéter , quel parti l'on pourra tirer par-tout ailleurs , d'observations jusqu'ici plus curieuses qu'utiles , quelles conséquences résulteront de leur application précise a la culture de toutes les plantes, quels maux enfin & quels abus elles donneront lieu de prévenir, même lorsque elles présenteront des combinaisons peu favorables ? Il n'est pas douteux que les observations devront être plus compliquées en Europe, la pluie ne peut tout faire , que dans les pays où la chaleur est toujours à-peuprès égale; mais il n'est pas impossible qu'il résulte d'un examen de plusieurs années dans tous les climats situés entre les 30 & les 60 degrés de latitude , qu'il n'y a rien de généralement essentiel par rapport a la quantité & à la qualité du produit des terres, que la quantité & les époques de la pluie combinées avec le degré & les époques de la chaleur ; & cette vérité une fois reconnue ne seroit pas une des moins précieuses, ni des moins fécondes. L'idée de fou mettre nos récoltes au calcul, aussi rigousement que je le suppose dans le projet d'établissement dont j'ai parlé , ne peut paraître singulière qu'a ceux qui ne réfléchirent pas qu'il n'y a rien dans la nature qui n'y soit fournis ; que c'est la force


DE CULTIVER LA CANNE. 381 irrésistible de la nécessité qui gouverne tout dans le physique ; que fans elle l'univers retourneroit clans le cahos ; que même l'espèce de liberté dont nous jouissons dans le moral, a bien souvent des loix d'après lesquelles on pourroit avec allez d'exactitude prédire l'usage que nous ne manquerons pas d'en faire dans telles circonstances données. Je vais faire quelques refléxions fur le tableau détaillé de M. Hume , ensuite je présenterai quelques autres combinaisons de sec & de pluie , dont il n'y a personne ( ou du moins j'ose le croire) qui après avoir lu mes refléxions fur le tableau, ne donnât les mêmes résultats que moi. RÉCOLTE

NÉCESSAIRE

DE

1773,

D'après le Tableau détaillé de M. Hume.

J'adapterai mes calculs à mon systême, il est aisé de voir ce qu'il faudrait changer pour les adapter à tout autre ; je supposerai aussi que j'ai donné tous les moyens d'exécution fans lesquels il seroit inutile de calculer , Se que le mois de Mai 1772 qui manque au tableau, a été comme celui de Mai termine. 1773 qui le Le 3 Mai, je vois 3 dixièmes de pluie au tableau, le 8 Mai, j'en vois un pouce 4 dixièmes. Je n'ai besoin de personne pour conclure qu'à moins d'une sécheresse extraordinaire antérieure, la terre travaillée est pénétrée jusqu'à 6 pouces de profondeur ; qu'aussi près du 15 , on a dû espérer que le renouveau n'étoit pas loin , qu'en conséquence on a


382

ESSAI SUR L'ART

dû couper du plant, appliquer l'Attelier de réserve à planter , & couvrir le plant à mesure qu'on l'aura mis en terre, avec ce relie de pailles qui n'aura pas été porté au fourneau & qu'on aura laissé fur la pièce dans ce dessein. Je ne l'ai jamais pratiqué chez moi, mais j'en ai vu de trop bons effets pendant l'été, dans les jardins en Europe, pour ne pas sentir de quel avantage une pareille méthode, qui ne coûte rien, doit être en Amérique. Le 16 de Mai, je ne vois que y dixièmes de pluie, je lais que cette quantité suffit pour entretenir l'humidité nécessaire dans la terre travaillée, qui s'en imbibe avant que le soleil puisse en absorber la moindre partie, je conclus qu'on a dû continuer à planter. Mais point de pluie du 16 au 29. Je sai que mes gens ont du être inquiets, qu'ils ont été plusieurs fois déterrer quelques plants pour lavoir à quoi s'en tenir, qu'ils en ont trouvé quelques-uns morts ( c'étoit des premiers coupés), mais comme le plus grand nombre peut résister à un sec de trois le mai nés (Voy.p. 20), & que le 30, je vois 7 dixièmes de pouces, je ne doute point qu'ils n'aient continué de planter, parce que les probabilités du renouveau augmentent a chaque minute. Le 5 de Juin, je vois effectivement 2 pouces trois dixièmes. Le 6 , j'en vois encore 7 dixièmes, mes plantations continuent, mais on s'attend à des recourages assez considérables. Le 10, encore 1 pouce 2. dixièmes; le 13, je vois 4 dixièmes ; le 15, 7 dixièmes ; le 19,


DE CULTIVER LA CANNE. 383 encore un pouce ; à fort peu de choses près tout mon plant cil en terre, il ne reste qu'à recourir les premières plantations. le 22, encore deux pouces , & un pouce le 28 à moins d'un sec subséquent, très-rare à l'époque où nous sommes parvenus, la plantation de l'année est en sûreté. Le 4 de Juilet, je vois un pouce de pluie, nouvelle raison d'espérer. Le 5, un pouce. Le 9 , 3 pouces. Le 11, 1 pouce. Le 16 , 4 pouces. Le 17, 7 dixièmes. Le 20 , 1 pouce. Le 23,4 dixièmes. Le 31 , 9 dixèmes. Je ne pouvois rien desirer de plus favorable que le mois de Juillet. Le 2 Août, je vois 6 dixièmes de pouces. Le 3 , 4 pouces. Le 4, 1 pouce. Le 6, 4 dixièmes. Le 12, 2 pouces. Le 18 , 1 pouce. Le 23, 1 pouce 9 dixièmes. Le 27, 1 pouce. Rien de plus favorable encore que le mois d'Août: l'on verra plus bas, pourquoi je préfente en général cette année comme une année commune. Le premier Septembre, je vois un pouce G dixièmes. Le 4, 3 pouces 3 dixièmes. Le 5, 7 dixièmes.


384

ESSAI SUR L'ART

Le 6 , 3 pouces 4 dixièmes. Le 7 , 2. pouces 8 dixièmes. Le 10, 1 pouce. Les fécondés productions paroissent. Elles enflent paru quinze jours plutôt , fi le mois de Mai eût été un peu plus arrosé. Le 13, 7 dixièmes. Le 19, 1 pouce 3 dixièmes. Le 21, 4 dixièmes. Le 24, 1 pouce. Le 30 , 2 pouces 9 dixièmes. Tout se soutient & prospère. Je parcours Octobre, & je ne vois pas huit jours de fuite fans une pluie suffisante pour entretenir tout dans le meilleur état. Novembre est moins favorable , jai déjà dit uc dans mon stile , le mot favorable ne signioit autre chose que pluvieux : mais je vois par la distance entre les grains ou ondées, que fi je ne dois espérer qu'un médiocre avantage des troisièmes productions, les premières & les fécondés n'ont pas dû souffrir. Dix-huit pouces 8 dixièmes en Décembre, achèvent de m'assurer une bonne récolte, & la distance que je vois entre les grains dans le mois de Janvier , en est une nouvelle preuve. Février , Mars & Avril font a-peu-près ce qu'ils font toujours, & ne méritent aucune refléxion particulière ; la fortune de l'année est décidée dès le 30 Janvier. Il est temps de faire une remarque essentielle fur le tableau qui a servi de base à ma récolte supposée de 1773. Ce tableau très-exact en lui-même, ne l'est cependant

S


DE CULTIVER LA CANNE. 385 cependant que relativement à la partie de l'Isle fur laquelle il a été fait ; & cette partie est allez près des montagnes pour avoir été plus favorisée de la pluie, que d'autres plus voisines de la mer. J'ai dit cependant que le tableau de cette année étoit celui d'une année commune ; j'ai dit vrai par rapport à l'année en elle-même relativement à toute l'Isle , mais j'aurais induit en erreur, fi l'on avoit conclu qu'il faut pour constater une année commune fur chaque habitation , qu'il y tombe 116 pouces d'eau dans une révolution de douze mois ; on verra bientôt combien cette idée seroit fausse , on verra même qu'il pourrait en tomber un quart de moins & que l'année fût pourtant très-favorable, on verra qu'il pourrait en tomber un quart de plus, & que l'année fût médiocre : l'année commune pour chaque quartier , fera décidée par la quantité de pluie qui pendant six ans y tombera le plus communément dans un tel temps & dans tel autre. Observons aussi que d'un quartier a un autre , il y a quelquefois des variations assez considérables. Quoique le vent soit régulièrement dans la partie de l'est, il peut tenir quelquefois allez long-temps ou du nord ou du sud, & la pluie qui l'accompagne peut être plus souvent attirée ou contrariée par la position des mornes qu'elle rencontre dans fa direction; c'est ce qui m'a paru exiger qu'il y eût non-seulement dans chaque Isle , mais même dans chaque quartier un établissement tel que je l'ai proposé : j'ose même le recommander pour chaque habi* B b


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ESSAI SUR L'ART

tation : il préviendrait ou résoudroit toutes les objections. Je vais maintenant supposer quelques changemens dans le tableau détaillé qu'on vient de voir , afin de donner plus de justesse & d'évidence à mes idées. 1°. Si pendant un nombre de cinq ou six années consécutives , il étoit constaté par des tableaux authentiques, que la pluie portée en Mai, au tableau de M. Hume, ne commence plus communément qu'en Juin, & qu'elle continue en fui te de manière que Juillet reçoit la pluie qui dans le tableau est portée en Juin ; Août, celle qui est portée en Juillet, ainsi du reste ; soit que cette observation fût telle pour la Grenade , pour Saint-Christophe , pour Sainte-Croix ou pour SaintDomingue , il est évident que ce seroit un mois plus tard, qu'il faudroit dans le lieu de L'observation, commencer à planter ; mais le temps de la plantation décidé, nul autre changement dans le reste , que le délai d'un mois pour toutes les opérations, rien déplus clair. 2°. Si pendant un pareil nombre d'années il est constaté que fous le dix-neuvième ou vingtième degré de latitude sud , la pluie qui fous le même degré nord commence peut-être en Juin , comme je viens de le dire, commence au contraire en Décembre, comme cela est probable, & qu'elle continue de manière que chacun des mois suivans, Janvier, Février, &c. fournit le contingent de notre Juillet, Août, &c tel qu'il est au tableau de M. Hume , il est tout aussi évident


DE CULTIVER LA CANNE. 387 que ce seroit en Décembre qu'il faudrait commencer à planter fous le dix-neuvième & vingtième degré de latitude sud ; nul changement encore dans ce qui forme l'essence de mon systême , qui fuit la Canne depuis son premier période ( n'importe dans quel temps il commence), jusqu'à son dernier développement qui est toujours la fuite d'une succession confiante de sec & de pluie. 3°. Supposons maintenant un pays, où la chaleur fut toujours telle qu'elle est entre le deux tropiques, mais où la direction & la hauteur des montagnes, la singularité des vents ou quelque autre cause inconnue, occasionnât un partage égal de la quantité de pluie ou de rosée une fois reconnue nécessaire, entre tous les mois de l'année ; ou que condamné a une éternelle sécheresse, il fût favorisé de rivières qui permîssent de couvrir d'eau les parties desséchées quand on le jugerait à propos , il est encore évident qu'un tel pays seroit le plus fortuné de tous, parce que le talent, les convenances, le goût & les facultés de chacun y décideraient toujours & fans inconvénient essentiel, du moment de commencer, de suspendre ou de continuer les opérations. Mais revenons à ce qui nous intéresse de plus près. 4°. Laissons subsister Mai, Juin & Juillet, tels qu'ils font portés au tableau détaillé , & supposons une sécheresse depuis le 1 Août jusqu'au if Septembre , supposons aussi que du 15 Septembre au dernier Octobre, il n'y ait qu'assez de pluie pour entretenir une végétation ordinaire , qu'ensuite du dernier Bb 2


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Octobre au premier Janvier, il tombe par intervalles réguliers , non-seulement toute la quantité de pluie portée au même mois dans le tableau de M. Hume, mais encore toute celle qu'on y trouve portée dans les six semaines que je viens de supposer privées totalement de pluie ; alors quoique l'année soit égale par rapport à la quantité d'eau tombée , il n'y a personne qui n'affirme fans crainte d'être contredit, que la récolte qui doit suivre ne donnera pour ainsi dire que les premières productions, parce que les fécondés & les troisièmes , privées de l'humidité qui les eût fait sortir a la fin d'Août, ne paraîtront que vers le 15 de Novembre, & qu'elles ne donneront presque rien d'un peu considérable, à moins que Février & Mars ne soient allez arrosés , contre l'ordinaire a la vérité , mais comme il arrive quelquefois après un sec tout aussi extraordinaire dans l'arrière saison ; on pourrait affirmer avec la même certitude , que les premières productions tant des Cannes plantées que des rejetons, auront perdu près d'un mois de végétation ,qui relativement aux mois de nœuds dont j'ai parlé ( les seuls décisifs pour la récolte) , fera plus d'un huitième de diminution, indépendamment de la perte presque totale des fécondés & troisièmes productions; donc tout propriétaire qui recevra en Avril, un tableau pareil au dernier que je viens de supposer , fuira d'avance fans avoir besoin de justification ou d'explication ultérieure de son Econome , que fa récolte fera infailliblement , & pourquoi fa récolte fera infail-


DE CULTIVER LA CANNE. 389 liblement, d'un quart moindre qu'il ne l'eut obtenue d'une année commune. Ainsi raisonnera-t-il de toute autre sécheresse combinée avec les époques auxquelles le tableau authentique lui apprendra que son quartier en a été affligé. 5°. Lai lions encore subsister Mai & Juin tels qu'ils font au tableau , & pour rendre mon idée plus sensible, quoique suivant le tableau, Juillet n'ait que 13 pouces de pluie, je vais lui en supposer 16 ; Août en a 11 pouces & neuf dixièmes, je lui en donne 16 pouces ; Septembre en a 19 , je la porte à 23 ; Octobre en a 12 pouces & 7 dixièmes, je lui en donne 15 pouces ; Novembre en a 9 pouces & un dixième, j'en suppose 12 pouces ; Décembre en a 18 , je la porterai à 22 ; voyons maintenant ce qui doit ré fui ter de cette augmentation d'un quart de pluie. On n'a point oublié qu'avec la quantité spécifiée au tableau , j'ai présenté une année favorable pour l'habitation du Paraclet : avec le quart en-sus que je viens de supposer, je vais , suivant les époques où je la ferai tomber, constituer & la plus mauvaise & la plus miraculeuse de toutes les années : elle sera la plus miraculeuse, fi je divise le total de manière qu'il en tombe une partie parfaitement égale tous les trois jours , pendant les six mois dont je viens de parler; elles fera la plus mauvaise , fi je fais tomber en quatre jours , toute la pluie qui tombe en deux mois, & que pendant les six mois, je laisse d'une averse à une autre un intervalle de sept semaines & demie fans une goutte B b 3


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d'eau, car on sent que la plus grande partie de la pluie continuelle des quatre jours, fera tombée en pure perte, parce que la terre une fois rassasiée de la quantité d'eau dont elle peut s'imbiber, la pluie qui tombe au-delà n'est propre qu'à entraîner tout ce que le choc de fa chute peut délayer, & se rend ensuite à la mer pour fournir fans l'épuiser aux inondations futures. 6°. Avec un quart moins de pluie , l'année se ra encore excellente ou très-mauvaise , suivant que je suppposerai l'un ou l'autre des deux partages de pluie & de sécheresse dont je viens de parler ; la dernière partie de ma proposition n'a pas besoin de preuve après ce que je viens de dire, je vais m'occuper de la fécondé. Le quart de 103 pouces de pluie , qui suivant le tableau de M. Hume font tombés dans les huit mois qui décident de la bonté de la récolte , est à-peu-près 26 ; ces 26 retranchés, il en resteroit donc 77, qui donneroient un pouce tous les trois jours, or personne ne contestera deux choses ; la première , qu'un pouce d'eau, qui tombe tous les trois jours fur une terre bien travaillée & une fois humectée , cil beaucoup plus que suffisant pour réparer la consommation l'évaporation des plantes les plus avides & occasionnée par la chaleur , sur-tout lorsque la terre est ombragée; la fécondé, que relativement à l'effet du soleil fur la terre découverte , fi le soleil absorbe plus alors , la plante consomme infiniment moins ; les expériences de M. Hales ne laissent ce me sem-


DE CULTIVER LA CANNE. 391 ble aucun doute fur ce qu'il y a d'essentiel à ces deux égards ; mais ce qui me paroît aussi positif & d'une sensation plus générale, c'est que dans les contrées les plus favorisées en Europe, il y a peu d'année qui dans toute fa révolution, préfente 40 pouces de pluie, &. que le plus grand nombre des années, n'en préfente pas au-delà de 20 à Paris. Etablirions donc comme un principe certain , qu'au moins en Amérique , c'est beaucoup plus la distance entre les grains de pluie, qui décide les bonnes & les mauvaises années, que la pluie totale qui tombe en douze mois ; & que fi la force des grains & leur distance font connues, il est facile à chacun de calculer fa récolte : il faut cependant ajouter qu'avec la combinaison la plus favorable des époques & de la quantité de pluie , fi je plante a contre - feus , ma récolte fera nécessairement d'autant moindre, qu'il y aura plus de parties de ma terre dénuée de plantes , dans le temps où commence la plus longue succession de pluie dont elles n'auroient rien perdu ; il me semble que cette réflexion après les nouveaux détails dans lesquels je viens d'entrer, prononce définitivement en faveur de mon systême, contre celui des plantations de Novembre dans nos Isles ; on voit maintenant qu'il n'a pas été possible de l'apprécier exactement avant de l'avoir lu pour ainsi dire jusqu'à la dernière page ; j'espère que ceux qui auront eu cette patience, le jugeront avec plus d'indulgence que je n'ai lieu d'en attendre de ceux qui en parcourant légèrement B b 4


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SUR L'ART

un article, n'auront pas manqué d'y former des objections auxquelles je crois avoir répondu dans quelque autre , & souvent dans plusieurs autres. Mais comment répondre à l'objection fi juste & fi capitale contre cette quantité effrayante de nouveautés proposées.

J'ai proposé beaucoup de choses ; tout ce que j'ai proposé , n'est pas pratiquable partout ; mais il n'y a rien de ce que j'ai proposé, qui ne soit pratiquable en quelques endroits, & j'ai voulu écrire pour tout le monde ; il faut choisir, approprier, rectifier fans doute; le métier d'Agriculteur n'exigeroit pour ainsi dire que l'instinct qui dirige la brute, fi ce qui peut convenir dans certaines circonstances de temps, de lieux , & de choses, pouvoit convenir par-tout, & toujours. Fin de la quatrième Partie.


ESSAI SUR

L'ART DE CULTIVER LA CANNE E T

D'EN EXTRAIRE LE SUCRE.

CINQUIÈME

PARTIE.

DE LA FABRIQUE DU SUCRE.

LE plan de culture une fois déterminé, rien de plus aisé que de veiller à Ton exécution. Aidé de bons fous-ordres, qu'on auroit foin de ne pas humilier, un homme seul régiroit dix habitations limitrophes -, l'occupation journalière d'aller de l'une à l'autre vérifier exactement les travaux suivant ma méthode, ne passeroit pour pénible que dans l'esprit de ceux qui ignorent le prix de l'exercice pour la santé. Il n'en cil pas ainsi de la fa-


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brique du Sucre ; clic demande l'attention la plus minutieuse, la plus suivie, & nous avons de plus à redouter l'ignorance , aussi commune que l'inexactitude : il faut croire cependant qu'il y a d'excellens Rafineurs ; cela paroît prouvé par la beauté du Sucre que donnent plusieurs habitations ; mais je dois avouer au ni que je n'ai pas vu un seul homme de cette profession, qui m'ait donne une réponse satisfaisante fur aucune des questions que je lui ai faites; d'où, j'ai conclu que les élémens de cette science étoient bien obscurs, ou que dans le fait il n'y avoit encore aucun principe fixe bien connu ; la quantité de mauvais Sucre qu'on fait presque par-tout où il ne se fait pas, pour ainsi dire, de luimême , prouve du moins qu'en général il y a plus de routine que de science dans cette manipulation. Quoi qu'il en soit, tout ce qui porte le nom de Rafineur , distingue quatre choses dans le jus de la Canne ou vesou , lavoir, l'eau, le sucre , le gros syrop ou melasse , & ce qu'ils appellent la graille. Cette graille cil probablement non-seulement une surabondance de cette huile que la Chymie extrait en assez grande quantité du Sucre même le plus rafiné, mais encore l'acide ordinaire que donnent tous les végétaux , joint dans les mauvaises Cannes à plus ou moins de parties crues & indigestes , qui dans une meilleure terre ou une meilleure exposition, se feraient converties en sucre ou en melasse. Les derniers nœuds de toutes les Cannes dont les feuilles, quoique desséchées


DE CULTIVER LA CANNE. 395 en apparence , ne font pas encore tombées naturellement, fournissent probablement aussi quelques crudités ; car, comme je l'ai dit, il n'y a que la chute de la feuille qui puisse démontrer qu'elle n'étoit plus utile à l'élaboration des sucs contenus dans le noeud auquel elle étoit attachée. L'opération du Rafineur consiste à faire évaporer l'eau, enlever la graille, & détacher la Melasse du Sucre : l'eau s'évapore à mesure que la chaudière bout ; & lorsque la matière est cuite & refroidie , la Melasse se détache aisément du Sucre fi l'on a eu foin d'enlever toute la graille , qui fans cela feroit corps avec le Sucre & la Melasse ; & ce tout formeroit, suivant la qualité des Cannes, & la façon dont elles auraient été traitées , ou une masse solide allez semblable à la cire, ou un liquide fort approchant du goudron. Pour aider la graille a sortir, on emploie la chaux vive feule ou mêlée avec de la cendre , c'est ce qu'on appelle l'enivrage , il n'en faut , dit - on , que plus ou moins : on le met dans la première chaudière, la grande ; la graille & les mal-propretés viennent peu de temps après à la superficie, on les enlève avec l'écumoire, bientôt le vesou est clarifié, & n'attend plus que le degré de cuite nécessaire, pour donner de très-beau Sucre brut , qui lai (fera couler son premier ou gros syrop , Melasse proprement dite, avec la plus grande facilité ; le fécond syrop ou syrop fin fera tout aussi aisément entraîné par l'eau qui s'échappera d'une bouillie de terre grasse , dont on couvrira les formes après en avoir préparé &


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applati les fonds : la terre ôtée, 14 a 1 y jours d'egoût, & autant d'étuve suffiront au Sucre pour qu'il soit bon à piler & a mettre en bariques. Pourquoi une chose fi aisée à décrire, est-elle ordinairement , fi mal exécutée ; C'est premièrement parce que les propriétaires ne se donnent pas la peine de se mettre au fait d'un article fur lequel ignorer ou savoir peut cependant faire une différence de 20 a 30 pour cent fur leur revenu. 2°. Parce que les Economes font encore bien mieux fondés a dédaigner cette partie qui est très méchanique, qui exige une attention soutenue la nuit comme le jour, attention a laquelle ils suppléent par quelques coups de fouet donnés aux Nègres , lorsqu'ils ont failli trop grossièrement. 3°. Parce que ceux qui se louent impudemment pour Rafineurs, en attendant qu'ils puissent se placer comme Economes , ont quelquefois à peine une récolte d'apprentissage , fous un Maître peu instruit, moins curieux encore de découvrir le peu qu'il fait, & fous lequel ils ont cru avoir bien observé qu'il n'y avoit que le plus ou le moins d'enivrage qui décidât de la bonté du Sucre, & qu'ainsi ce seroit un grand hasard s'ils ne rencontroient pas quelquefois le point. Que faudroit-il pour remédier aux deux dernières causes ? détruire la première : il faudroit que le propriétaire fût instruit lui même. Voici le peu que je fais. Le secret que je vais donner comme base de l'art du rafinage , peut être réclamé par beaucoup de gens ; car je conviens que la pro-


DE CULTIVER LA CANNE. 397 portion du Sucre a la melasse , telle que je vais la supposer dans le vesou , est déjà connue implicitement, ou pour mieux dire, dans le plus grand détail , puisque personne n'ignore qu'une forme de Sucre brut pesant 80 livres avant d'avoir rendu aucune melasse, est réduite à y y ou 60 livres lorsqu'elle a donné deux galons ou deux galons & demi de première melasse ou gros syrop , qui pèsent 20 ou 25 livres ; que cette forme après avoir été terrée, donne encore deux galons, ou deux galons & demi de fécondé melasse ou syrops fins, & qu'enfuite étuvée, elle ne pèle plus , a la vérité, que 30 ou 3 5 liv. mais qu'en faisant cuire la première melasse ou gros syrops, la fécondé melasse ou syrops fins, la troisième melasse ou syrops bâtards, qui proviennent des précédens, on accroche encore une douzaine ou une quinzaine de livres de Sucre qui sembleroient même annoncer une quantité plus considérable de sucre que de melasse , si l'on n'observoit pas que ces différensSucres,tant les premiers que les féconds & troisièmes, ont besoin d'être refondus & rafinés, pour être parfaitement blancs : personne , dis - je, n'ignore ces procédés,répétés journellement avec assez d'exactitude, quoique fans autre dessein que de retirer le plus de Sucre possible, quand il n'y a point de débouché pour les syrops. Il ne s'agissoit donc que de réfléchir fur ces procédés, & l'on auroit vu qu'à une différence près d'environ 4 ou 5 pour cent, différence due probablement à la perte lubie par la matière dans toutes ces opérations, le ré-


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L'ARTt

sultat établissoit dans le vesou des Cannes ordinaires une proportion égale de Sucre & de melasse , proportion dont je n'ai jamais entendu parler a qui ce soit. Un Effayeur d'or prononcerait , a la vérité, moins hardiment ; mais notre manipulation n'exige pas tant de fine lie dans la balance ; les conséquences que nous pourrions tirer d'une livre ou deux de plus ou de moins fur quarante , font totalement indifférentes dans la pratique. Ce premier point fondamental de l'égalité des parties de sucre & de melasse, reconnu par une première réflexion fur ces différens détails qui ne font ignorés de personne, eût produit une seconde réflexion très-importante: Ne seroit-ce point la disproportion entre le Sucre & la melasse qui feroit la principale différence entre les bonnes Cannes & les mauvaises par rapport au Sucre ?

Ensuite une troisième réflexion : Si cette disproportion est la cause du mauvais Sucre, quel est le moyen le plus simple d'y remédier ?

Et ce moyen le plus simple , étant le seul, & nullement dispendieux, n'eût-on pas enfin conclu qu'avec les autres connoissances nécessaires, & qui ne dépendent que de l'attention & de l'habitude , on ne doit jamais faire de mauvais Sucre ?

Au lieu de cette marche simple & naturelle , je vais exposer la feule usitée.

,

Procédés triomphes, & embarras ordinaires des Rafineurs. Nous avons dit qu'au mois de Mars & d'Avril, toutes les Cannes, grandes ou pe-


DE CULTIVER LA CANNE. 399 tites , jeunes ou vieilles j'entends toujours les noeuds des Cannes dont les feuilles font tombées naturellement ), ont acquis toute la perfection dont elles font susceptibles, que Janvier & Février leur laissent, que Mai & Juin leur rendent plus ou moins d' eau , suivant le plus ou le moins de sec ou de pluie. Prenons, dans le cours de ces six mois, une grande de Cannes, c'est-a-dire la quantité de Cannes nécessaires pour remplir la grande chaudière de vesou ; mais prenons cette grande , non pas sur un terrein aqueux, elles n'y font jamais bien bonnes, ni fur un terrein sec & pierreux , elles y font toujours altérées après quinze jours d'un soleil très-vif , mais prenons-la sur un terrein bon ou médiocre, n'importe , pourvu qu'il soit bien égoutté : cette grande, que je supposerai de zoo galons, contiendra, suivant que le temps s'approche ou s'éloigne des mois de Mars & d'Avril depuis 160 jusqu'a 180 galons d'eau , & conséquemment depuis 20 jusqu'à 40 galons tant de Sucre que de melasse : si. les travaux tant de la Sucrerie que de la Purgerie étoient bien faits, & qu'il fut possible de tout séparer sans rien perdre, comme je l'ai dit plus haut,vous auriez , à fort peu de chose près, une proportion égale de Sucre & de melasse, savoir 10 galons de melasse, & 10 gallons de Sucre (un quintal), ou 20 gallons de melasse , & 20 gallons c'est-à-dire deux quintaux de Sucre. Lorsque dans le vesou , l'eau, le Sucre & la melasse font dans cette proportion, le Su-


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cre se fait de lui-même, & le Rafineur s'applaudit. Lorsque par l'effet d'une pluie abondante, la proportion d'eau augmente, & que celles du Sucre & de la melasse restent égales entr'elles, le Rafineur s'applaudit encore, parce que la fabrique ne requiert que le même degré de capacité,elle demande cependant, dit-on , un enivrage un peu plus forcé, & quelque différence dans la cuisson. Mais le temps où le Rafineur commence à ronger ses ongles , c'est lorque la proportion de la melasse , sur l'effet nécessaire de Laquelle on ri a jamais réfléchi, est un peu plus forte que celle du Sucre, & qu'après avoir augmenté l'enivrage (ce qu'il falloit en effet essayer pour être sûr de ce qu'on ne peut encore que soupçonner ), la matière déjà un peu mollasse ( moins cassante ) , l'est devenue encore davantage : que fait alors le Rafineur ? l'alun dessèche les ulcères, il doit donc dessécher le Sucre ; le Rafineur en met dans la batterie (1), il en met dans la lessive qu'il emploie pour faire sortir les mal - propretés, le Sucre paraît plus sec, mais il n'est que plus mauvais ; l'alun ne m'a paru avoir d'autre propriété que celle de réunir plus étroitement le Sucre avec la melasse , de rendre conséquemment leur séparation plus difficile ; on peut d'ailleurs, ce me semble, supposer raisonnablement que le Sucre est altéré par tout ce qu'on met dans le vesou,& qui, au moyen (1) Dernière chaudière où le Sucre reçoit sa cuillon.

de


DE CULTIVER LA CANNE. 401 de l'ébullition, n'en fort pas chargé de quelques unes des parties dont il faut le débatrasser ; l'alun reste dans le Sucre , puisqu' il n'occasionne pas d'écumes ; mais on met fi peu d'alun ! un peu est trop , quand il n'en faut point du tout. Il est encore un temps plus fâcheux pour le Rafineur , un temps où il est près de renoncer au métier ; c'est lorsque la proportion de melasse, qui dans de bonnes Cannes, est comme je viens de le dire , égale à celle du Sucre , monte au double , au triple, & que le plus habile Rafineur ne pourroit extraire de ses 15 galons, je suppose, de matière cuite , au-delà de 4 à 5 galons de Sucre (encore même par stratageme ), & par conséquent trouveroit 10 à 11 jalons de melasse, Que fait le mauvais Rafineur ? il augmente l'enyvrage d'un quart, il le diminue de moitié , il en met le double, le triple , il n'en met point du tout, 11 augmente encore, & enfin après avoir, a force de chaux ou de cendre ( car c'est toujours par-là qu'il finit), brûlé la moitié des parties réelles de son Sucre, en avoir atténué encore davantage quelques autres qui déjà n'avoient pas même assez de corps pour se réunir* au milieu d'un liquide trop abondant Se trop visqueux , il finit par remplir vos banques Ou vos formes , avec ce qu'on appelle du Goudron, & qui ne mérite pas effectivement un nom plus respectable. Suivons , dans nos opérations de Sucrerie, la marche que nous avons suivie dans nos opérations de culture. C

c


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De l'objet du Rafineur. Avant de rai former fur le systême de culture qui pouvoir convenir à la Canne, nous avons examiné quel étoit le but de l'Agriculteur, & nous avons trouvé qu'il devoit être de tirer de toute sa terre tout le revenu réel qu'il étoit possible d'obtenir de les facultés naturelles , & de celles que le travail pouvoit y ajouter ; nous avons conclu que le systême de culture le plus propre à la Canne , étoit celui qui dans le moins de temps, donnoit fur le total de la terre, la plus grande quantité de productions utiles , que nous avons trouvée être fort différente de la plus grande quantité des plus brillantes productions fur une partie de la terre. En supposant le plus grand succès du travail extérieur dont nous nous fouîmes occupés à cet égard, l'objet n'est pas rempli lorsque la Canne est coupée ; il est aisé , comme on vient de le voir, de diminuer considérablement le fruit de tant de peines, par une mauvaise manipulation du vesou ; il faut donc le même degré d'évidence dans le but des opérations de la Sucrerie & la même simplicité de procédés, comme la même analogie entre les moyens & la fin qu'on doit se proposer. On s'expliqueroit d'une façon trop vague, & d'ailleurs incomplette , si l'on disoit que l'objet du Rafineur est de tirer de son vesou la plus grande quantité de sucre possible ; tout le Sucre, possible alors,se borne à celui qui


DE CULTIVER LA CANNE. 403 existe réellement dans la matière qu'il va traiter , & dont l'état est déjà fixé : son objet doit être d'obtenir dans leur perfection toute la quantité de parties utiles contenues dans le vesou qu'il va travailler. Je noterai, dans le détail

des moyens que je vais indiquer pour y parvenir , les propositions qui me paraîtront avoir le degré de certitude & d'évidence requis pour justifier l'espérance du succès. Première proposition. Les parties du vesou. qu'on veut obtenir font le Sucre & la melasse. Seconde proposition. Le Sucre & la melasse font deux choses aussi distinctes que le salpêtre & l'eau-mère qu'on en separe ; le Sucre est la partie du vesou qui se crystalise la melasse est celle qui ne se crystalise point mais dont chaque galon peut

donner un galon d'excellente eau-de-vie. Troisieme proportion. Le Sucre & la melasse étant deux choses différentes , il est donc impossible d'augmenter le sucre aux dépens de la melasse ; mais

il est possible d'atténuer par de mauvaises opérations , quelques parties de Sucre , au point que ne pouvant plus se réunir, elles restent embarrassées dans la melasse, dont elles augmentent le volume ; heureusement les parties de Sucre échappées dans la melasse , font susceptibles de décomposition , fermentent comme elle , & fournissent le même volume en rum ; observons cependant qu'un galon de Sucre pesant 10 livres, & le galon de rum ne valant ordinairement que 45 sols, il y aurait une perte visible de plus de moitié sur chaque partie de Sucre qui resteroit dans la melasse ; Donc. C c 2


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Quatrième proposition. Les opérations du Rafineur se réduisent à séparer exactement le Sucre de la melasse , sans affecter la qualité de l'une ni de l'autre. Cinquième proportion. Indépendamment du Sucre & de la melasse , le vesou est encore chargé de parties grasses qui enveloppent celles de la melasse & du Sucre , qui empêcheroient leur séparation , & dont la chaux & la cendre font reconnues les agens les plus propres à débarrasser la matière ; c'est ce qu'on appelle l'enivrage ; mais en quelle quantité

doit - il être employé ? Pour le connoître , je vais dépeindre plutôt qu'expliquer ses effets. Supposez 4 de graille à enlever, mettez 4 d'enyvrage ; des deux côtés , même nombre de combattans ; chacun saisit son antagoniste ; écumez , il ne reste ni graille ni enyvrage, tout le lucre restera dans la barique ou dans la forme , & toute la me la sse tombera dans la citerne ou dans le pot : je parle de guerre , où un Chymiste parlerait d'affinité , mais il me semble que l'image que je préfente répond mieux à l'effet apparent dont il s'agit ici. Supposez a présent 4 de graisse, mettez 2. d'enivrage ; il restera donc 2 de graille dans le vesou ; alors si la cuite cit. la même , vous ne retirerez que la moitié de la melasse que vous devriez avoir , & votre Sucre fera ce qu'on appelle gras. Ne mettez point du tout d'enyvragc ; si vos Cannes font bonnes , elles vous donneront une malle parfaitement liée, qui ne laissera point échapper de melasse ; c'est la cire dont j'ai parlé: il vos Cannes font mau-


DE CULTIVER LA CANNE. 405 Vaises, elles vous donneront le goudron que je vous ai annoncé ; goudron qu'il faudrait réduire en charbon pour lui donner une consistance solide : & fi la matière n'a que la cuite ordinaire , vous ne trouverez peut-être aucun grain de Sucre dans la forme ; ceux qui auroient pu s'y trouver au moyen d'un enivrage convenable qui auroit enlevé la graille , se trouvant dans ce dernier cas embarrasses avec la graille & la melasse. Supposez maintenant 4 de graisse , & 8 d'enivrage ; 4 auroient suffi pour enlever la graisse , les 4 champions d'enyvrage , qui ne trouvent point d'ennemis naturels , attaquent le Sucre, en brûlent quelques parties , & atténuent les autres au point qu'elles ne peuvent plus se réunir ; vous ne trouverez encore que du goudron dans la forme, mais il fera plus noir, plus épais, & d'une odeur de brûlé. Sixième proposition. Il est important d'observer

qu'en supposant , dans les bonnes & les mauvaises Cannes, le double de ce qu'il falloit d'enyvrage , le mal fera bien moins sensible dans les bonnes ; car ce qu'on appelle le double d enivrage dans les bonnes Cannes , étant , je suppose 4 au lieu de 2 , les deux de trop agissent sur livres de Sucre; & ce qu'on appelle le double d'enyvrage dans les mauvaises Cannes , est quelquefois 40 au lieu de 20 qu'il faudroit ; or , ces 20 de trop n'ont quelquefoisque 20 livres de Sucre à exterminer.

C'est encore une raison du triomphe des Rafineurs dans les bonnes Cannes, & surtout dans la bonne saison ; car alors il faut C c 3.


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se tromper de 3 à 1 pour ne pas faire du Sucre passable. Septième proposition. Le vesou est enyvré à son point , lorsque la quantité de chaux & de cendre qu'on y a mis 3 est exactement correspondante à celle de sa graisse & de ses mal-proprétés. Tout le monde

le lait, dira-t-on ; a quoi je réponds toujours que personne n'ignore ce que je lais, & que je ne fais que raisonner fur ce que personne n'ignore, & sur quoi l'on n'avoit pas raisonné. Huitième proposition. La graisse & la malpropreté enlevées par le moyen de l'enyvrage , & la matière cuite à son point 3 rien ne s'oppose à la. Réparation des parties qu'on a tant d'intérêt à trouver : ce feroit donc a la connoissance du

vesou que le Rafineur devroit d'abord s'attacher ; cette marche paroît la plus naturelle , mais je connois par ma propre expérience , l'utilité de celle que je vais proposer. Je dirai donc. Neuvième proportion. Le vesou n'a point de caractères visibles qui puissent indiquer exactement la fomme ni l'espèce de ses besoins. J'ai vu cependant

un Rafineur fort habile, qui avoit eu le talent de me persuader qu'il connoissoit parfaitement le vesou à l'oeil & au tact ; deux raisons me déterminèrent bientôt a croire qu'il m'en imposoit ; la première, c'est qu'il refusa trente mille livres que je lui offris pour m'apprendre son secret , cependant il n'avoit pas de souliers &: il étoit fort libertin; la seconde, c'est que je l'ai vu souvent corriger dans une chaudière , l'enivrage fur lequel il s'étoit trompe dans la chaudière précédente.


DE CULTIVER LA CANNE. 407 Dixième proposition. Ce n'est jamais qu'au ha sard , qu'on enivre une première grande. On peut même,avec certains vesous, se tromper aussi bien d'un à dix, que d'une moitié. Onzième proportion. Ce n'est que par l'effet de l'enivrage qu'on a mis j qu'il estpossible de déterminer celui qu'on dévoie mettre. Et de tous les effets

de l'enyvrage, voici celui qui m'a paru le plus décisif & le moins observé , quoique suffisant pour approuver ou condamner sans crainte de méprise, telle opération qu'on ne feroit pas même en état de réformer. Toutes les fois que vous irez a la Sucrerie, remarquez bien comment votre odorat est affecte : Si le vesou est à son point, c'est-a-dire s'il est parfaitement enivré, l'odeur de toutes les chaudières, de la batterie sur-tout, est agréable , douce , balsamique ; c'est dans la poitrine que vous la sentez plus particulièrement ; vos poumons se dilatent, vous inspirez avec une volupté réfléchie, cette vapeur aussi délicieuse que salutaire, dont tant de consomptifs ont éprouvé l'efficacité. Si le vesou n'est point allez enivré, l'odeur est fade , quelquefois même elle est aigre ; ce dernier cas arrive lorsque les bacs a vesou ne font pas régulièrement grattés, lavés, au moins deux fois par jour, trois même dans les grandes chaleurs, quand les Cannes font un peu altérées par le soleil. Si l'enivrage pèche par le trop de chaux, vous sentez une odeur forte, approchante du brûlé : C c 4


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ESSAI

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S'il pèche par le trop de cendre, vous sentez un odeur de lessive. S'il pèche par un excès égal de cendre & de chaux. vous sentez seulement une odeur très-forte, dans laquelle vous ne distinguez précisément ni chaux ni cendre , mais que l'habitude vous apprend a décomposer : & si vous avez l'avantage très-rare de posséder un Rafineur en titre , assez honnête pour convenir de la vérité , lorsque vous lui direz en entrant dans la Sucrerie , & sans avoir regardé les chaudières, Monsieur, il y a quelque chose qui ne va pas bien ici ; la petite satisfaction qu'il est difficile de ne pas relientir quand on a prononcé juste , quoique sommairement , vous inspirera bientôt le desir d'ajouter à cette notion confuse que l'odorat seul vous aura donnée, les connoissances nécessaires pour motiver & détailler votre jugement ; vous ne manquerez pas alors d'examiner dans chaque chaudière , les accidens qui accompagnent ces différentes odeurs sur lesquels je vais tâcher de lever toute équivoque. Lorsque dans la très-bonne saison, après une succession non-interrompue de plusieurs emplies d'excellent Sucre , qui auront répandu sur toute la physionomie de votre Rafineur, ce radieux qui accompagne toujours la persuasion du triomphe , vous verrez une grande qui vous paraîtra promettre ce que les précédentes auront donné , & qu'ainsi vous la jugerez à fort point, tant en chaux qu'en cendre , faites-la palier dans la


DE CULTIVER LA CANNE. 409 propre ( la seconde chaudière), ensuite faites arrêter le feu, & mettez encore dans le vesou autant de chaux que le Rafineur y en avoit mis ; vous êtes certain qu'il aura le double de la chaux qu'il lui falloit ; dites qu'on chauffe, sortez pour quatre ou cinq minutes, & remarquez en rentrant quelle odeur la Sucrerie vous donnera ; ce fera certainement une odeur de chaux ; réitérez la même chose le. lendemain pour être plus assuré de votre remarque ; le jour d'après & le suivant, faites pour la cendre ce que vous avez fait pour la chaux ; le cinquième & le sixième jour faites pour l'enivrage entier , ce que vous avez fait les quatre jours précédens pour chacune de ses parties. Il s'agit maintenant de raccommoder les six grandes que vous croyez sacrifiées ; cela n'est pas aussi difficile que vous pourriez le penser : il suffit de faire jetter dans la propre, lorsqu'elle fera dans sa plus forte effervescence, environ quatre galons de vesou froid; ôtez promptement les écumes qui viendront aussi-tôt après en grande abondance : fi le vesou vous paroît encore trop enivré, ajoutez encore deux galons de vesou froid , il faudroit qu'il le fût au-delà du double , pour que ces deux bains froids ne suffissent pas pour le remettre à son point ; le reste suivant l'usage, & soyez sur que vous trouverez peu de différence entre le Sucre provenant des deux sacrifices prétendus, & celui qui les aura précédés & suivis. Il y a cependant quelque chose ici qui paroît choquer le principe que j'ai établi de


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ESSAI SUR L'ART

l'égalité de proportion qui doit être entre l'enivrage & la graille qu'il doit combattre; car, si 200 gallons , je suppose, de la grande en question , n'ont demandé que deux d'enivrage, comment 6 ou 8 gallons du même vesou froid, peuvent-ils contenir allez de parties hétérogènes pour correspondre aux deux d'enivrage que vous avez ajouté , & qui auroient suffi à la saturation de 200 gallons de vesou de la même qualité , enivré à l'époque ordinaire ? L'objection est juste , & le fait n'en est pas moins vrai ; mais observez que je ne vous recommande de faire cette expérience, que dans La très bonne saison , après une succession non-interrompue de plusieurs emplies d'excellent Sucre. Or , dans cette saison & avec de très-

bonnes Cannes , comme font toujours celles qui donnent une succession non-ïnterrompue de plusieurs emplies d'excellent Sucre l'enivrage est tout au plus d'une quantité que j'ai nommée 2, comparée a celle de 15 & peut-être de 20 qu'il faudrait a de mauvaiss Cannes dans une mauvaise saison. Or, en ne perdant point de vue la raison qui m'a fait établir aussi, qu'il faudrait se tromer de 3 a 1 dans la bonne saison , & dans de onnes Cannes, pour ne pas faire du Sucre passable ; je dis donc premièrement que le pis aller de votre expérience , fera de faire du Sucre passable au lieu d'en faire de trèsbeau, & la perte ferait bien compensée pat* l'utilité de la connoissance que vous auriez acquise de l'enivrage par son odeur, j'ajouterai ensuite qu'il en est peut-être de la ré-

p


DE CULTIVER LA CANNE. 411 volution subite qu'éprouve le vesou bouillant de la chaudière , lorsqu'il est surpris par ce vesou froid, comme de celle qui est produite par les bains froids trop peu usités , fur des constitutions foibles ; les solides acquièrent subitement plus de force, les fluides plus de vélocité , & l'action réciproque des uns sur les autres en devient plus efficace & plus aisée ; vous remarquez également qu'aussi-tôt que vous avez jette le vesou froid dans votre chaudière, le bouillon tombe à la vérité , mais immédiatement après il se fait une fermentation extraordinaire, pendant laquelle peut-être, toutes les parties hétérogènes répandues dans la malle du liquide, acquièrent plus de force pour se repousser, se séparer, & les homogènes pour se réunir ; ce qui n'est pas douteux du moins, c'est qu'alors les écumes plus abondantes , plus légères, plus brillantes, se succèdent avec la plus grande rapidité -, cesse-t-il d'en sortir? le vesou paroit on ne peut plus beau & plus lympide. Or, toutes les fois qu'en entrant à la Sucrerie , vous sentirez quelqu'une de ces odeurs désagrables que vous aurez observées dans les expériences dont je viens de parler, si le Rafineur vous dit qu'il est impossible de tirer un meilleur parti du vesou , soyez bien persuadé que cela ne signifie pas autre chose , sinon que cela lui est impossible , à lui, mais non pas a un homme qui sauroit son métier : j'ai dit toutes les fois qu'en entrant a la Sucrerie &c. parce qu'un quart-d'heure après, il n'y auroit que le changement pour ainsi


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dire du blanc au noir, qui pût vous affecter ; l'habitude d'une odeur quelconque bonne ou mauvaise , comme de tout le mal que je connoisse , y rend insensible : ce feroit donc une très-bonne pratique, même pour un homme qui feroit chargé uniquement de ce district, de sortir de temps en temps pour un quart-d'heure, afin de pouvoir au retour consulter son odorat, que je regarde comme le sens le plus infaillible sur cet article, & le seul qui puisse conduire a la perfection. Il y a cependant d'autres symptômes fur lesquels on peut juger l'enivrage ; les uns, comme les écumes , & le grain du vesou s'examinent dans la grande ou première chaudière qui reçoit le vesou sortant du bac ; les autres s'examinent dans la propre , ( seconde chaudière où l'on fait passer le vesou après que les grosses écumes en ont été totalement enlevées) ; delà on le transvide dans la troisième chaudière, appellée flambeau , parce qu'elle éclaire encore plus que les deux précédentes sur ce qu'on peut espérer ou craindre , & s'il faut continuer, forcer , diminuer ou changer l'enivrage dont jusques-la vous pouviez être satisfait ; bientôt après on partage le vesou entre le flambeau , & la dernière, appellée batterie parce qu'elle est immédiatement sur le feu , c'est dans cette chaudière qu'on assemble enfin toute la matière lorsqu'elle est en syrop ,pour lui donner la cuisson parfaite , alors le fil de la matière vous détrompe où vous tranquillise jusqu'a l'essai du rafraîchissoir & des formes.


DE CULTIVER LA CANNE. 413 Les symptômes d'un bon enivrage dans ces différens endroits font, La sécheresse & la légéreté des écumes, qui ne se trouvent point lorsque le vesou n'est point assez enivré; le brillant qu'elles ne peuvent avoir quand elles le font trop; la rondeur & la grosseur moyenne du grain dans la grande & la propre; la lympidité du vesou dans celle-ci ; sa netteté soutenue , jointe a la couleur de ses écumes dans le flambeau ; le cliquetis du bouillon dans la batterie ; le transparent du fil quand on prend la cuite; la sécherelie du rafraichissoir & du couteau ; l'étoile qui se fait en pesant légèrement avec le doigt sur la glace de la forme une demiheure ou trois quarts-d'heure après qu'on l'a remplie ; tout cela réuni est décisif fans doute, mais ne se trouve jamais réuni fans cette odeur balsamiquc dont j'ai parlé ; & d'un autre côte cette odeur balsamique ne se trouve point avec une partie quoique considérable de ces accidens, qu'il étoit plus aisé de nombrer que de définir, mais que je vais tâcher de décrire. Quand on a enlevé les grosses écumes, qui ne font que les parties les plus grossieres que la moindre chaleur pouffe & élève à la superficie , les écumes suivantes doivent être sèches , c'est-a-dire , se détacher facilement de l'écumoire pour peu qu'on l'incline, Le partager brusquement , se casser en quelque façon lorsqu'on les touche ; quand elles se détachent difficilement, on les appellebaveuses, glaireuses, elles font pesantes alors, & le Sucre n'est pas assez enivré ; on dit donc que


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les écumes doivent être légères , elle le font toujours quand elles font boursoufflées, mais elles peuvent être beaucoup trop boursoufflées. Elles doivent être brillantes y c'est-à-dire, parfemées de bulles qui présentent les couleurs brillantes, vives & agréables de l'arc-en-ciel ; quand les différentes couleurs de ces bulles font trop foncées, les écumes font ce qu'on appelle chargées le Sucre est trop enivré. La légèreté acccompagne toujours la sécheresse, mais les écumes peuvent être légères sans être brillantes, & c'est alors une preuve qu'elles font trop boursoufflées ; alors aussi elles font chargées & l'on vient de voir que dans ce cas le Sucre est trop enivré. Supposons qu'il le soit parfaitement ; lorsque la grande bout, & qu'elle a été bien écumée, elle donne un bouillon perlé, c'est ce qu'on appelle le grain , il doit être de la grosseur d'un pois ordinaire ; plus gros, c'est un grain lâche, le vesou n'est pas allez enivré ; plus petit, c'est un grain ferré, le vesou a trop d'enivrage ; dans le premier cas, les écumes font plus ou moins baveuses & pesantes, suivant que le grain est plus ou moins lâche; dans le second cas, les écumes font d'autant plus char, gées & boursoufflées que le grain est plus serré ; une dose d'enivrage de plus briseroit le grain , le feroit totalement disparoître, alors les écumes joindraient a la noirceur, l'incohérence & le pétillant de la mousse qu'on remarque sur la bière ; & quelque attention que vous eussiez à les enlever , la matière approchant de la cuisson, en donneroit toujours de nou-


DE CULTIVER LA CANNE. 415 velles , mais plus noires & plus atténuées, parce que tout dans ce cas est neutralisé, il n'y a plus de combat. Si les écumes ont été bonnes, c'est-à-dire sèches , légères & brillantes dans la grande & la propre , ce ne fera qu'avec le secours d'une lessive(I), qu'on pourra encore en obtenir , lorsque la matière fera partagée entre le flambeau & la batterie ; & les écumes qu'on obtiendra alors, auront constamment la même légèreté & le même brillant, à moins qu'on ne mît trop de lessive. Le vesou parvenu à la consistance de syrop, est assemblé dans la batterie ; quelque-temps après, lorsqu'il paroît descendre de lui-même dans la chaudière, au-dessus de laquelle la force de l'ébullition l'avoit jusqu'alors tenu élevé de 8 à 10 pouces, on y jette un morceau de suif gros comme une aveline : fi jusques-la tout est bien , le syrop tombe aussitôt &: le bruit de ion bouillon forme alors une espèce de cliquetis a ssez semblable à celui d'une quantité de noix qu'on agiteroit dans (I) Cette lessive est une eau qu'on a fait bouilir, & ensuite filtrer peu-à-peu au travers de cinq sixièmes de cendre & un sixième de chaux; 5 gallons de cendre & un gallon de chaux donnent dix premiers gallons d'excellente lessive, on les mêle pour les rendre d'une force égale ; les 10 gallons suivans doivent être repassés fur de nouvelle cendre & de nouvelle chaux. La lessive foible rend le Sucre mollasse, parce qu'on est obligé d'en mettre beaucoup pour obtenir un effet visible ; la dose de 4 à 5 petits verres à liqueur de lessive forte, employée à 4 ou 5 reprises, suffit ordinairement pour clarifier chaque chaudière ; une plus grande quantité n'est jamais nécessaire à moins que dans le principe le Sucre n'eût pas été allez enivré.


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un panier , c'est le bouillon sec ; celui d'un Sucre gras ou brûlé d'enivrage , feroit plus gros,, lourd & pelant, mais le syrop du premier est jaune, celui du second est noir. Lorsqu'il s'agit de prendre la cuite d'un bon Sucre, c'est-à-dire de voir s'il est a son point de cuisson, le peu de syrop qu'on prend fur le dos d'une cuillere , qu'on avoir plongée dans la batterie, donne entre les deux doigts avec lesquels on le touche , un fil net, transparent, & sec 3 c'est-à-dire qui casse brusquement au lieu de s'alonger & de former un fil continu, comme feroit le goudron si vous en aviez pris entre deux doigts, & que vous les séparassiez l'un de l'autre : alors vous êtes assuré que le Sucre retiré du rafaîchissoir où vous le mettrez , lorsqu'il fera tout-à-fait cuit, laissera quand vous le transviderez dans les formes, le rafraîchissoir aussi sec que si vous l'eussiez essuyé avec le plus grand foin , & le couteau (I) dix minutes après être sorti de la forme , couvert encore de Sucre, fera sec au point qu'on pourra le palier fortement sur un linge sans qu'il y laisse aucune trace de syrop -, bientôt après la superficie des formes présente une glace qui se brise au moindre effort du doigt qui la comprime, & laisse voir à l'endroit brisé, une espèce d'étoile formée des différens rayons de la fracture. (I) C'est un instrument de bois qu'on passe dans les formes pour mêler le grain du bas qui est ordinairement trèsgros, avec celui du haut qui est toujours plus petit, étant le dernier formé, & formé des parties qui ont eu le plus de peine à se crystalliser.

Revenons


DE CULTIVER LA CANNE. 417 Revenons au symptome des odeurs que j'ai donné pour le plus certain, & n'obmettons pas de prévenir que tour enivrage mis ou ajouté après que la grande a bouilli, donne l'odeur forte dont j'ai parlé , quand bien même il ne feroit pas suffisant, mais dans ces deux cas l'odeur est bientôt diffipée. Avant de prononcer & sur - tout d'agir

assurez-vous donc si la grande a été enivrée dans le temps ordinaire 3 où si l'on a mis un supplément d'enivrage , & fâchez dans quel temps on l'a mis.

Mais est-il bien vrai que la chaux n'est pas le seul cuivrage qui convienne à toute espèce de vesou ? Je le crois ainsi, contre l'opinion de beaucoup de gens, quoique je fâche aussi-bien que personne, que le contraire feroit plus avantageux , car dans ce cas, avec les yeux les plus ordinaires, il ne faudrait pas six mois pour être excellent Rafineur. N'est-il pas vrai du moins que la cendre donne une nuance grise au Sucre & le rend mollasse ? Je ne crois pas que cela puisse être fi vous n'en mettez pas trop , car alors, comme je l'ai dit plus haut, le nombre desantagonistes est égal , & il ne restera fur le champ de bataille que ceux que vous n'aurez pas voulu enlever ; mais voici à cet égard une remarque essentielle : Lorsque le vesou ne demande qu'une médiocre quantité de cendre , par exemple , lorsque la quantité demandée ne passe pas une demi - bouteille , je ne me fuis jamais apperçu , qu'elle donnât une teinte sensible de gris au Sucre , mais il y a des Cannes qui demandent j usqu'à deux & trois galons de * D d


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ESSAI SUR L'ART

cendre , davantage même , & il est certain qu'alors, quelque attention qu'on eût a écumer le vesou , les parties terreuses les plus fines de la cendre resteroient dans le Sucre & le rendroient fort gris & fort sale ; lorsque les Cannes demandent au-delà d'une demibouteille de cendre , je me fers d'un sel qui en est extrait , la perlache est celui que j'emploie (I) ; dans les Cannes ordinaires un gros ou deux suffisent ; il en faut à d'autres une demi - livre , & observez que dans ce cas, le grain du Sucre, même en sortant de l'étuve, est toujours petit & foible , quoique trèsblanc ; tel est toujours celui qu'on retire d'un vesou di sproportionné dans ses parties ; un second rafinage peut seul lui donner la force qu'on ne peut espérer d'aucune espèce d'enivrage ; cependant observez la proposition suivante. Dixième proportion. Il ne faut employer la cendre ou la perlache , que dans le cas où la chaux est contraire ou insuffisante. Mais sans connoître

la cause de l'ebullition violente que j'apperçois quand je verse de l'eau sur la chaux vive , il me suffit que dans le même cas la cendre ne me préfente pas le même phénomène , pour que je conçoive que la cendre peut convenir où la chaux pourrait nuire. D'ailleurs le même régime ne convient pas à des constitutions robustes, & à des constitutions foibles ou ruinées , je ne suis pas

(I) La Perlache nous vient de l'Amérique Septentrionale , c'est un sel extrait des cendres & purifié.


DE CULTIVER LA CANNE. 419 Un grand médecin de Cannes , mais outre la maladie de la graisse que je leur reconnois avec tous les Rafineurs, j'en reconnois une autre qui demande encore plus de ménagement & d'habileté ; c'est ce défaut d'équilibre entre le Sucre & la melasse dont j'ai parlé ; je soupçonne que si les Rafineurs en ont une idée, elle est aussi confuse , & aussi infructueuse que celle qu'on a sur la maturité des Cannes ; du moins ne leur en ai-je jamais entendu parler , encore moins tirer aucune conséquence ; d'ailleurs cette maladie de la graille provient ou de sa quantité ou de l'a qualité ; provient-elle de la quantité feulement? c'est le cas de la constitution robuste , le plus approchant de la santé parfaite ; & c'est alors que triomphent la chaux & les Rafineurs , il ne s'agit que d'avoir la plus foible expérience , d'observer & d'augmenter ou de diminuer la dose. Mais la maladie provient-' elle de la qualité de la graille ? Est-ce une graisse épaissie, recuite pour ainsi dire avec le Sucre & la melasse , par un soleil violent de plusieurs mois sans pluie , ou par une exposition & un terrein qui dans un moindre temps produisent le même effet ? C'est bien le cas d'une constitution robuste aussi, mais dangereusement menacée , & voici les observations que j'ai faites a ces divers égards. J'ai dit qu'en Mars & Avril , il y avoit dans une grande de vesou de 200 galons , 160 galons d'eau & 40 galons tant de Sucre que de melasse ; il m'a paru que c'étoit àD d 2


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peu-près le plus haut point de perfection où les Cannes pussent atteindre, les miennes du moins. Lorsqu'après un sec très-violent, la proportion d'eau est au-dessous de 160 sur 200, j'ai toujours observé que les Cannes étoient plus ou moins, ce qu'on appelle échaudées } altérées par la chaleur ; alors toutes les fois que j'ai essayé la chaux pure , en quelque quantité que je l'aie mise , j'ai toujours en du Sucre moufle, souvent brûlé & jamais sec. Lorsque j'ai voulu rendre au vesou la proportion d'eau que je soupçonnois qui lui manquoit, alors le grain qui avec l'enivrage de la chaux feule, étoit rougeâtre, serréjpetit, m'a paru plus clair, plus ouvert (développé), plus gros, mais un peu plat, le sucre a moins moufle , quelquefois point du tout, mais il a toujours été plus ou moins mollasse, & j'ai conclu qu'en le guérissant de la maladie des constitutions robustes, l'eau le faisoit tomber dans celle des constitutions foibles, c'est-àdire qu'en le guérissant de la graisse recuite , qu'elle divisoit &: détachoit, elle dérangeoit aussi l'équilibre entre le Sucre & la melasse (dont il rendoit effectivement alors beaucoup au dessus de la proportion ordinaire ), soit parce que la chaux ne peut agir sur la graisse quand elle est ainsi recuite , sans atténuer toutes les parties de Sucre , sans en brûler même quelques-unes qui donnent aux autres cette couleur rouge, & cette odeur forte ; cela suffiroit effectivement pour augmenter le volume de la melasse , d'autant qu'il y


DE CULTIVER LA CANNE. 421 auroit de particules de Sucre ou brûlées , ou trop atténuées pour le réunir : soit parce que l'eau qui dissout plus facilement la melasse que le Sucre , lorsque celui-ci est crystalisé , se charge , au contraire , plus aisément du Sucre que de la melasse, lorsque tous les deux font en dissolution ; cela diminueroit encore la masse du Sucre, & produirait le même effet qu'une augmentation réelle de melasse. Lorsqu'au lieu d'eau , j'ai mis en cendre ce que je diminuois en chaux, suivant que les Cannes étoient plus ou moins échaudées, j'ai eu de très-bon Sucre , très - sec, & qui ne m'a donné que fa proportion de melasse. Donc. Onzième proposition. La cendre est d'autant plus nécessaire , que les Cannes sont plus echaudées.

N. B. Je ne voudrois pas néanmoins proscrire entièrement l'usage de l'eau dans des Cannes très-échaudées , mais je fais que chez moi, je ne m'en permettrais jamais au-dela de deux galons, & cela dans la grande , les écumes certainement se dégagent alors avec plus de facilité ; mais je n'en ai point mis au-delà, que je ne m'en fois repenti: elle ne m'a réussi dans aucune quantité quand je l'ai mile dans la batterie. Quelque fois aussi, lorsque des Cannes trèséchaudées ne m'ont donné que peu ou point de grain dans la grande, quoiqu'en apparence bien enivrée, & quoiqu'elle eût été enivrée avec une proportion de cendre que je croyois suffisante, deux ou trois galons de vesou froid jettes dans la propre, lorsqu'on y avoit fait D d 3


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palier le vesou, & qu'elle étoit dans son plus tort bouillon , y produisoient immédiatement un fort beau grain , & de très - bon Sucre ensuite. Ce vesou froid, en plus ou moins grande quantité, m'a toujours paru produire le meilleur effet dans tous les cas où le grain étoit petit & ferré, soit que la petitesse du grain eût été causée par un excès d'enivrage , en chaux ou en cendre , soit qu'elle provînt de cette graille recuite dont j'ai parlé. Quelquefois aussi le vesou paroît parfaitement enivré , tant dans la grande que dans la propre , & ce n'est qu'au moment où il est rassemblé dans la batterie, que la graille se developpe dans une quantité surprenante ; alors vous l'aidez a sortir , par une demicuillerée d'eau de cendre & autant d'eau de chaux mêlées ensemble , mettez cependant celle-* ci dans une moindre proportion si le Sucre paroît disposé à brûler, & observez de ne mettre ce lavement ( c'est le terme ) qu'en petite quantité a-la-fois, tant afin de pouvoir suffire à écumer la graisse qu'il fera élever, qu'afin d'être assuré que vous n'en avez pas mis au-delà du besoin. Cette quantité de graille qui se développe si tard, fait ordinairement tomber le Rafineur dans une faute grossière & très-préjudiciable, la première idée qui lui vient, c'est que le Sucre n'a pas été allez enivré dans la grande; en consequence il force l'enivrage, Se brûle son Sucre. Voici ce que je pense à cet égard ; si vous ne suivez pas pied à pied l'effet de l'enivrage


DE CULTIVER LA CANNE. 423 dans chaque chaudière, vous ne ferez jamais sûr de rien, & vous ne ferez jamais que du mauvais ou du très-mediocre ; mais il vous êtes certain de l'avoir suivi, si vous êtes bien sûr qu'après tout l'examen nécessaire vous avez été satisfait des écumes de la grande , de celles de la propre , & du grain dans ces deux chaudières, soyez tout aussi a duré que vous aviez mis dans la grande , ou ajouté dans la propre , tout l'enivrage qu'il falloir pour la quantité de graille déjà assez développée pour être susceptible de l'action de l'enivrage , & qu'une plus grande quantité soit de chaux , soit de cendre , n'auroit pu alors, déterrer pour ainsi. dire , une plus grande quantité de graille , sans agir en mêmetemps sur le Sucre auquel elle étoit encore trop intimement unie ; n'augmentez donc pas le mal en voulant précipiter la cure ; attendez la crise, elle est suffisamment préparée par les parties d'enivrage qui relient encore dans le vesou après qu'il est partagé entre le flambeau & la batterie ; c'en est assez pour que le reste de la graille commence a se développer a mesure que la chaleur augmentera ; vous comprenez que cette augmentation de chaleur se trouve effectivement dans les deux chaudières les plus voisines du fourneau (I) ; aidez la crise au moment où elle se décide , & non pas plutôt ; l'eau de cendre & l'eau de chaux conviennent mieux alors que la cendre & la chaux en nature, parce que la matière (I) Les quatre chaudières bouillent par le moyen d'un seul feu dont le fourneau est fous la batterie.

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plus épaissie , demande non - seulement un agent , mais encore un véhicule qui répande plus généralement son action. Voila tout ce que fais sur la maladie de la graille. La cendre m'a paru tout aussi nécessaire dans le cas de la disproportion entre le Sucre & la melasse , sur quoi je remarquerai que cette disproportion est quelquefois réelle , & quelquefois apparente. Cette apparence est occasionnée , non pas par un excès d'enivrage, qui auroit certainement joint la réalité à l'apparence , mais par une qualité d'enivrage différente de celle que les Cannes auroient demandé. Je m'explique : La disproportion cil toujours réelle dans toutes les Cannes plantées, lorsqu'elles l'ont été ailleurs que dans des terres qu'on appelle usées , c'est-a-dire point ou mal amandées ; mais je soupçonne beaucoup qu'a l'exception des terres noyées ou trop humides, dont les rejetons font à peu-près égaux aux Cannes plantées, la disproportion entre le Sucre & la melasse n'est jamais qu'apparente dans tous les rejetons ; & cela arrive lorsqu'après des pluies abondantes la proportion d'eau se trouve au-dessus de 180 sur 200 galons de vesou , alors si les particules de Sucre, déjà trop divisées dans un vesou très - aqueux , font atténuées par la chaux , qui est certainement plus active que la cendre, les plus petites ne pourront se réunir , se crystaliser , & resteront éparses dans la melasse dont elles augmenteront le volume : or , observez que dans toutes les espèces de vesou disproportionne


DE CULTIVER LA CANNE. 425 dans ses parties, soit réellement, soit en apparence, il une quantité quelconque de chaux donne un grain foible & plat, &. qu'un peu plus le rende petit & ferré, un peu plus encore le brûlera certainement; au lieu cies deux dernières additions de chaux, une portion de cendre, qu'il faut chercher, vous donne un assez beau grain & du Sucre très-sec, si la disproportion n'étoit qu'apparente ; mais si elle étoit réelle , le sucre, quoique allez bon , fera toujours un peu mollasse quelque chose que vous puissiez faire. C'est donc a cela qu'il faut se borner , & consolez-vous (lorsque tous les symptômes de santé se trouvent d'ailleurs), si après avoir mis dans vos formes une mille dans laquelle il y a plus de liquide que de solide, vous la trouvez moins sèche & moins cassante , que ne le feroit une masse plus avantageusement proportionnée. Donc. Douzième proposition. La chaux seule ne convient qu'aux Cannes parfaites , c'est-a - dire prises sur un terrein qui n'est ni trop humide , ni trop sec , ni trop gras , ni trop aride , & dans un temps assez favorable pour mettre le sceau à la perfection de la Canne. A quoi reconnoître ces Cannes parfaites, ce terrein, ce temps ? Vous reconnaîtrez le tout réuni, lorsque des Cannes greffes d'un pouce, un pouce & demi tout au plus de diamètre, d'un jaune qui ne tirera point sur le rouge, aussi nettes que si elles étoient lavées , vous donneront, en sortant des tambours , un vesou très-visqueux , aussi limpide que la viscosité puisse le permettre , & d'une odeur non pas fade, encore moins ai-


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gre , mais douce & balsamique -, j'ajouterais, & que ce vesou , enivré à la chaux seule dans sa juste proportion , vous donnera le plus beau Sucre possible ;

mais vous prendriez ces derniers mots pour ce qu'on appelle un cercle vicieux ; & je conviens qu'ils ne lignifient autre chose , linon , que quelque flatteuses que puissent être les espérances que vous concevrez a l'aspect du vesou sortant du moulin , & même après qu'il aura bouilli dans les chaudières, ce ne fera qu'après avoir touché votre Sucre quand il approche de la cuite, & l'avoir ensuite vu dans le rafraîchissoir, ou plutôt froid dans les formes , que vous saurez parfaitement a quoi vous en tenir; jusques-la,défiez-vous de vos filais, ménagez vos proportions tant de chaux que de cendre, & songez que celle-ci n'est que pour suppléer à cette portion de l'autre que le vesou ne peut supporter : c'est ne rien dire, mais c'est dire quelque chose que d'ajouter. Treizième proposition. Il y a trop de chaux , n'y en eût - il qu'un dixième , lorsque la batterie 3 le flambeau , & même la propre ( quand la grande a parfaitement bouilli ) vous donnent une odeur forte , empyreumatique. Mais observez que la grande

doit toujours avoir une petite odeur d'enivrage , a cause de la fermentation violente qui s'y fait lorsqu'elle bout très-bien , mais cette odeur passe aussi - tôt qu'elle est écumée. Quatorzième proposition. Il n'y a pas trop

de chaux , y fût- elle seule ; & en quelque quantité que ce puisse être , fi le flambeau & la, batterie ne vous donnent que cette odeur douce , agréable & balsami-


DE CULTIVER LA CANNE. 427 q ue mais plus développée, que je vous ai annoncée dans le vesou des Cannes parfaites , au moment ou il vient d'être exprimé par les tambours. Quinzième proposition. Il y a trop de cendre ou de perlache , n'y en eût-il que la sixième partie d'un gros, si vos chaudières vous donnent une odeur de lessive. Seizième proposition. Il n'y a pas trop deperlâche , en eussiez-vous mis une demi-livre, si la vapeur de vos chaudières affecte agréablement votre odorat & votre poitrine. Gardez-vous cependant de né-

gliger les cinq considérations suivantes ; car l'odorat que je vous représente comme celui des sens dont le rapport est le plus délicat & le plus infaillible , n'est capable de diriger dans les opérations, que lorsqu'il est perfectionné par un grand usage ; jusques-là, hors les cas les plus ordinaires, il a besoin d'être aidé par la vue. Première considération. Lorsque le syrop approche de la cuisson, & qu'il est d'un rouge décidé , c'est une preuve qu'on avoit mis trop de chaux ; & si la matière n'est pas assez enivrée malgré sa couleur forcée, c'est la cendre qu'il faut augmenter, tant pour le montant du déficit, que pour celui de la portion de chaux qu'il faut ôter ; mais avant de former aucun jugement sur cet article , & sur-tout d'opérer en conséquence, soyez bien sûr de la qualité de votre chaux, soyez-en bien sûr, je le répète, car la chaux peut bien n'être pas assez vive pour enivrer le Sucre, mais elle l'est toujours assez pour le bruler si l'on en met trop.

Deuxième considération. Lorsque le syrop en bouillon est d'un jaune clair, c'est la chaux


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qu'il faut augmenter , jusqu'a ce qu'on trouve dans les batteries suivantes, une couleur entre le jaune & le rouge, que la pratique seule peut vous apprendre a discerner. Mais observez , Dix-septième proposition , qu'il ne faut jamais corriger le vesou réduit à consistance de syrop , autrement que par l'eau de chaux ou l'eau de cendre , tout enivrage en nature mis à cette époquegrise, ou rougit , & quelquefois même brûle le Sucre.

Troisième considération. Ne cherchez pas à donner à votre syrop dans la batterie une couleur totalement différente de la couleur des Cannes & du vesou ; vous ne le pourriez quelquefois sans brûler votre Sucre , & d'autres fois sans lui laisser une partie de fa graille. Quatrième considération. Vos Cannes fontelles frappées du soleil, un peu rouges par conséquent, soit en dedans , soit au dehors seulement ? Quelque bien enivré que soit votre vesou , le syrop dans la batterie aura toujours un coup-d'œil rougeâtre. Les Cannes font-elles vertes? le syrop dans la batterie fera toujours moins coloré que vous ne feriez tenté de le desirer. Cinquième considération. Avez-vous mis dans la propre les grattures du rafraichissoir , ou des têtes de Sucre, ou des fontaines ? le syrop fera toujours un peu rouge; mais il la matière repassee est bonne, le Sucre n'en fera pas moins blanc -, dans ce cas, ce font les écumes & le grain qu'il faut le plus consulter. J'ai cru devoir suivre l'ordre inverse par lequel je suis parvenu seul au peu de connoissances que j'ai ; car les Rafineurs en titre font fort résérves, ils ont même quelquefois


DE CULTIVER LA CANNE. 429 de l'humeur quand on les questionne. Je vais maintenant remonter de la couleur du syrop à celle du jus de la Canne, & aux autres accidens qui peuvent le mieux faire soupçonner les qualités intrinsèques : car quoique suivant la huitième proposition , le vesou n'ait point de caractères visibles qui indiquent exactement l'espèce & la somme de ses besoins ; cependant , Dix-huitieme proposition, la couleur naturelle du vesou & son odeur} avant qu'il ait reçu aucune altération par le feu ou par l'enivrage donnent sur sur sa qualité des notions suffisantes pour hasarder une espèce d'enivrage plutôt qu'un autre.

OBSERVATIONS Sur différentes espèces, odeurs & couleurs de vesou, & sur les différentes manières de les traiter.

La couleur du vesou peut être plus ou moins brune, pâle, rouge, verdâtre ou blanche. Son odeur peut être plus ou moins ballamique, fade ou aigre. Première espèce.

Lorsque le vesou , dans le bac où il est reçu, n'est que plus ou moins brun, & qu'il a une odeur ballamique, sans mélange d'aigre ni de fade,s'il est bien traité avec la chaux pure ( la quantité seulement à trouver), les écumes feront d'un brun plus ou moins vineux ; le vesou bien écumé dans la propre , présentera quand vous l'éleverez avec l'écumoire , & mieux encore quand vous le passerez avec la cuillère dans le flambeau , une belle couleur


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de bière forte, il fera très-lympide, & le syrop fera un peu brun lorsqu'il approchera de la cuisson. Avec cette espèce de vesou, le sucre se fait de lui-même ; & il faut se tromper de 3 à 1 pour être mécontent de foi. Seconde espèce,

Lorsque , le vesou est d'un brun qui peutêtre ne paroît plus clair que le précédent, que parce qu'on y apperçoit quelques nuances de rouge; s'il n'est traité qu'avec la proportion de chaux qu'il peut supporter , & la proportion de cendre , qui peut équivaloir a celle de chaux qu'on est obligé de retrancher, ses écumes feront d'un vineux plus clair que les précédentes, son grain fera un peu plus fin , le vesou dans la propre fera de quelques nuances moins chargé , très-lympide , & le syrop moins foncé & plus vif. Ce vesou donnera du Sucre très-blanc & le plus massif de tous, peut-être par la raison suivante. La nuance légère de rouge dans les bonnes Cannes de l'année , annonce le moment où la partie aqueuse est un peu au-dessous de la proportion requise. Les parties du Sucre font donc naturellement plus rapprochées : à mesure que la nuance augmente, la proportion de cendre doit augmenter aussi. Dans les Cannes de 15 ou 18 mois, la couleur rouge que leur vesou a quelquefois , est une suite de l'action du soleil de l'année précédente, que les pluies subséquentes n'ont pu détruire ,


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qui suppose le même régime , si non à suivre décidément, du moins a essayer. Troisième espèce.

Lorsque le vesou a une teinte de verdâtre , son odeur est ordinairement douce, mais un peu fade, il exige plus de cendre que de chaux -, si vous trouvez le point de l'une & de l'autre, ses écumes feront d'un beau gris de perle ; le vesou dans la propre , fera d'une couleur de bière d'aîle (légère), dans laquelle vous démêlerez quelque chose de la couleur primitive du vesou ; & le syrop fera d'un jaune vif qu'il ne faut point confondre avec la couleur du syrop de l'article précédent qui tire un peu sur le rouge. C'est avec cette espèce de vesou qu'on fait souvent de très-mauvais Sucre , & c'est l'espèce qui doit donner le Sucre le plus fin ; mais il est plus léger que celui des deux premiers articles , c'est-à aire que cette qualité de vesou est plus près de la disproportion redoutable. Quatrième espèce.

Lorsque le vesou est presque blanc, son odeur est ordinairement très-fade ; il demande toujours plus d'attention & d'art qu'aucun de ceux dont j'ai parle ; adoptez pour première maxime , que si vous le forcez d'enivrage, vous le brûlerez infailliblement ; ses écumes font quelquefois d'une couleur verdâtre lorsqu'elles font rassembléts sur la grande avant qu'elle ait bouilli ; & lorsqu'elle


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bout, elles n'ont pas plus de tenue que de la boue ; je le répète, cette espèce de vesou demande d'autant plus de circonspection, qu'il est quelquefois beaucoup trop enivré, & que le trop ne se manifeste que lorsqu'il approche de la cuisson ; alors le syrop devient très-rouge, & brûle avant d'être en Sucre ; alors au lieu de dire, il est trop enivré ; l'on dit, il ne l'est pas assez : ménagez cependant, quoiqu'on en dise , votre enivrage , tant en chaux qu'en cendre : ne mettez qu'autant de cendre qu'il en faut pour lui donner un grain d'une grosseur médiocre ; ne mettez qu'autant de chaux qu'il en faut pour rapprocher la couleur de les écumes & de son vesou dans la propreté celle dont j'ai parlé dans l'article précédent ; j'en dirai bientôt la raison ; il suffit maintenant de savoir , que ce vesou qu'on charge ordinairement , doit être au contraire , "le plus clair de tous ; ne forcez rien dans aucune chaudière ; ne mettez d'enivrage dans la grande qu'autant qu'il en faut pour exciter la petite effervescence dont j'ai parlé ; mettez le reste de l'enivrage dans la propre lorsqu'on y passera le vesou : s'il n'est pas encore parfaite nient lympide, mettez-en encore une troisième dose, après avoir fait baisser le bouillon avec l'écumoire ; & soyez sûr que fi la proportion de melasse n'excède pas beaucoup celle du Sucre, ce vesou ménagé comme je viens de le dire , vous donnera du Sucre très- ' blanc, au lieu de l'abominable goudron qu'on en tire pour l'ordinaire , quand on veut l'enivrer entièrement dans la grande & lui donner de la couleur dans cette chaudière ; surtout ,


DE CULTIVER LA CANNE. 433 tout, lorsqu'on y emploie pour cela plus de chaux que de cendre. Si la proportion de melasse est beaucoup plus considérable que celle du Sucre , la matière tombera très - bien dans la batterie, & aura les meilleures apparences, si elle a été bien traitée jusques-la ; mais quand elle approchera de la cuite, vous verrez de gros bouillons; cela ne peut pas être autrement; lorsqu'on fait cuire les gros syrops & les syrops fins ( première & seconde melasse ), pour en faire , dit - on , du Sucre au lieu de rum, le bouillon de la cuite est toujours plus pelant que celui du bon lucre ; parce que quelques bons que soient ces syrops, c'est-à-dire quelque quantité de lucre qu'une cuite trop légère ou une terre trop claire leur ait donnée, ils contiennent toujours plus de parties de melasse que de sucre : le bouillon du vesou dont je parle ( le supposant toujours bien traité ) , vous avertit qu'il est dans le même cas , & qu'il faut le traiter de la même façon : mettez , pour la première batterie , du grain dans le rafraîchi ssoir ; & gouvernez-vous pour les grandes suivantes, comme pour le vesou dont je vais parler. Cinquième espèce.

Il est une espèce de vesou, qui possède au plus haut point, toutes les mauvaises qualités du précédent ; c'est celui que donnent les Cannes plantées dans des terres neuves, ou rendues aussi riches ( c'est-à-dire aussi po* E e


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reuses), par un excès de fumier (I). Les vers & les pucerons produisent aussi quelquefois les même effets sur les rejetons. Si vous détachez la partie faine de la pulpe , & que vous en exprimiez le jus, il n'y a rien qui paroisse le distinguer des autres , mais les Cannes passées au moulin, donnent un jus d'un verd noirâtre , & d'une odeur fade qui devient plus désagréable à mesure qu'elle se développe par l'action du feu , sur-tout lorsqu'elles font enivrées avec la chaux : fi vous forcez l'enivrage, ou il vous le mettez d'abord en entier , vous ne pouvez suffire à enlever les écumes ; si vous le ménagez , le vesou se clarifie allez bien, mais il conserve toujours une forte teinture de verd foncé , dans laquelle vous démêlez cependant quelquefois une couleur rouge, qu'il tient des parties déjà exaltées dont les Cannes piquées de vers font ordinairement remplies. Si vous n'aviez que des acides a combattre, plus d'enivrage , ou plus encore les réduirait; mais l'ennemi dont on ne se défie point, cet ennemi vraiment terrible pour nous, qui nous a fait faire tant de goudron avec nos superbes Cannes plantées, c'est la proportion trop considérable de melasse ; ennemi contre lequel je ne connois d'autre moyen de défense (mais il est infaillible), que de fortifier la partie foible, de rétablir

(I) N. B. Je n'ai jamais vu les Cannes plantées en Mai & Juin, & coupées à onze ou a 12 mois, donner du vesou de cette espèce.


DE CULTIVER LA CANNE. 435 .l'équilibre, c'est-à-dire de mettre du grain „ soit têtes de formes très - sèches , soit excellentes fontaines (I) bien égouttées. Ce grain doit le mettre, non pas dans le rafraîchi ssoir, mais dans la propre , après avoir vu l'effet de votre cuivrage ; & si la grande monte extraordinairement, comme cela arrive presque toujours avec cette espèce de vesou , & avec toutes les Cannes échaudées, n'enivrez que par degrés, partie dans la grande, partie dans la propre, lorsque le vesou est aux trois quarts coulé, & partie lorsqu'après avoir bien écume ce second enivrage , vous aurez ajouté vos 15, 20 ou 30 livres de Sucre, fontaines ou têtes , n'importe, pourvu qu'elles foient très-bonnes & très-sèches.Ne celiez point de diminuer la chaux , & de la remplacer par la cendre, ou plutôt par la perlache, pendant que vous (1) Les fontaines font la partie la plus légère & la plus gradé de la melasse , qui en s élevant d'abord au haut de la forme , avant que le Sucre y foie condensé , s'attache a quelques parties du Sucre avec lesquelles elle fait corps. Il faut la fouiller , c'est a-dire l'enlever avant de terrer le Sucre ; parce qu'elle empêcheroit l'eau contenue dans la terre, de fil. trer plus avant ; on fouille donc ces fontaines , on les fait égoutter dans des formes ; la melasse tombe dans les pots qu'on a mis sous ces formes, & les parties de Sucre qui y restent après un mois d'égoût, font allez sèches pour l'opération dont il s'agit, ou pour la cuite de la première melasse ou gros syrop, fi l'on en fait du Sucre. Les têtes de Sucre font la pointe de la forme ; elles font toujours trop humides, même quand elles font purgées de leurs syrops fins, pour être mises à l'étuve en même-temps que le gros de la forme. On les coupe alors & on les fait égoutter comme les fontaines ; moins long-temps cependant , une ou deux semaines suffisent quaud le Sucre est bienfait.


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verrez votre syrop rougir de plus en plus en approchant de la cuite , & disposé à brûler dans la batterie ; ménagez la cuite, & le tirez comme celui de l'article précédent. Sacrifier , dira-t-on pour un succes douteux 20, &' même 30 livres de bon Sucre déjà fait ?

Examinons s'il y a sacrifice, & si le succès est douteux. La graisse enlevée, & la cuite tirée a propos, il est impossible que vous ne trouviez dans vos formes la même quantité de Sucre que vous avez ajoutée dans la propre ; car enfin où passeroit le déficit ? il ne le dissipe point avec les vapeurs qui s'élèvent des chaudières ; il n'en passe avec les écumes, que la partie qui s'attache aux mal - propretés , & cette partie vous donne d'excellent rum, au lieu de salir votre Sucre : il n'y a donc point de sacrifice , puisqu'il n'y a d'autre perte que celle dont vous trouvez le dédommagement dans l'augmentation du rum, & dans la plus grande netteté de votre matière ; conséquemment le succès,à cet égard, n'est pas douteux. Mais , l'opération est-elle nécessaire & suffisante ? L'expérience dont je vais rendre compte , décidera peut - être cette question , qui me paroît une des plus importantes qu on puisse examiner dans la fabrique du sucre. EXPÉRIENCE. Après avoir donné au vesou dont je viens de parler, l'espèce & la quantité d'en ivraie qu'il paroissoit demander pour qu'il présentât successivement dans toutes les chaudières,les


DE CULTIVER LA CANNE. 437 indications d'un bon Sucre ( ce qu'il fait toujours jusqu'au moment de la cuite, lorsqu'il a été jusques-la bien traité ), j'arrêtai la cuite dans la batterie, a ce terrible moment où le bouillon devenu gros & pesant, commençoit. a rougir, j'avois entièrement perdu le Sucre des batteries précédentes à qui j'avois voulu donner la cuite ordinaire : je fis tirer celui dont je rends compte, presque au premier fil: mis dans les formes, il ne se fit aucune croûte à la superficie ; les formes ne furent levées & miles sur leurs pots, que lorsque la matière fut froide, alors on diminua au moyen d'un peu de paille, l'ouverture du fond de la forme, afin que le syrop pût s'échapper seul & presque goutte à goutte , sans entraîner le peu de Sucre qu'il pouvoit y avoir : après huit jours d'égout, il resta dans chaque forme de huit galons, 24 à livres de Sucre brut, & j'avois tiré de chaque pot, a différentes reprises, environ 55 livres de melasse ; N. B. les crystaux du Sucre étoient plus gros , plus brillans , Se aussi nets que ceux du meilleur Sucre cuit à l'ordinaire. Je donnai en fui te la même cuite a du syrop provenant d'un excellent vesou; il se fit,'a la vérité , une croûte légère a la superficie des formes ; mais lorsqu'on les mit fur les pots, on n'en fut pas moins obligé de prendre les mêmes précautions dont j'ai parlé ; & après Je même-temps d'égout, chaque forme de huit galons me donna 45 livres de melasse & 3 y livres de sucre brut à gros crystaux aussi, c'est-à-dire environ 10 livres de Sucre de plus, & 10 livres de mêlasse de moins que le syrop E e 3


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du mauvais vesou : or, pour opérer dans ce syrop d'excellent vesou , la concentration nécessaire pour former une masse de 55 livres de Sucre brut, qu'il eût donnée s'il eût eu la cuite ordinaire , il ne manquoit a cette cuite, qu'un septième , je suppose : or dans ce cas, il n'eût donné que 25 livres de première melasse : il est donc certain que si j'avois pu donner au syrop du mauvais vesou, la cuite nécessaire pour opérer le rapprochement de toutes les parties de Sucre qu'il contenoit, j'en aurois tiré environ 45 livres de Sucre brut, au lieu de 25 qu'il m'avoit donné ; mais alors je n'aurois eu que 35 livres de melasse , au lieu de 55 : la feule différence vraiment essentielle qu'il y eût entre le syrop provenant du mauvais vesou, & le syrop provenant de l'excellent , étoit donc que celui du premier ne contenoit que 45 livres de Sucre brut & 35 livres de première melasse, & que le second ne contenoit que 25 liv. de première melasse & 55 livres de Sucre brut : or, ces 55 livres de Sucre brut, après avoir été bien terré, eussent donne environ 30 a 32 liv. de Sucre blanc, & en cuisant & recuisant ensuite ses melasses, on en eût encore retiré 8 à 10 livres de Sucre ; il est donc probable que si l'on eût terré les 45 liv. de Sucre du mauvais vesou , on en eût tiré 25 a 26 livres de Sucre blanc ; & qu'ensuite en cuisant ses différentes melasses, on en eût encore extrait sept a huit: mais il eut fallu, pour ces procédés, des précautions qui n'eussent pas été payées par le bénéfice. La seule différence vraiment essentielle entre l'excellent vesou & le plus mau-


DE CULTIVER LA CANNE. 439 vais, est donc dans la proportion du Sucre à la melasse, qui dans le premier est de 40 à 40, & qui dans le mauvais sur lequel j'ai fait l'essai, se trouvoit environ de 32 à 48 : donc en suppléant la différence dans la propre, le mauvais vesou devient égal au meilleur; & ne demande également que la somme & la qualité du menstrue ou enivrage nécessaire pour le débarrasser de sa graille & de ses mal-propretés. Mais , pourquoi le syrop du mauvais vesou ne peut-il pas souffrir la meme cuite que celui du bon vesou ? & comment le Sucre ajouté peut-il suppléer à la cuite ?

Il suffit ce me semble de dire, sans qu'il soit nécessaire; de le prouver, qu'il y a un degré précis de cuite , pour le rapprochement le plus complet possible de toutes les parties du Sucre contenues dans le vesou des bonnes Cannes, qui probablement ont été celles sur lesquelles le grand œuvre de la manipulation de Sucre a été concerté dans les décrets de la Nature : que d'ailleurs ces bonnes Cannes étant beaucoup plus communes que les mauvaises , il étoit plus digne de la munificence de l'Ordonnateur suprême de combiner le degré de cuite nécessaire à la plus grande perfection de la melasse , sur celui qui dans les bonnes Cannes étoit nécessaire pour opérer le rapprochement le plus complet possible des parties les plus precieuses, qui font le Sucre ; que l'instant qui donne la cuite nécessaire au rapprochement le plus complet possible du Sucre , a la plus grande perfection de la melasse , se trouve fixé , dans les bonnes Cannes, à celui où le liquide de E e 4


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la melasse, comparé au solide du Sucre , est dans la proportion de 40 a 40 : qu'il ferait inutile de critiquer cet article de l'économie générale, qui statue que dans le syrop du vesou plus ou moins mauvais, la melasse soit a son degré de perfection , lorsque réduite par la cuisson , elle se trouvera avec le Sucre en raison de 32 à 48 plus ou moins, mais qu'il fera fort avantageux d'observer , que pour réduire la somme de 48 à 32, , quantité de liquide nécessaire pour opérer le rapprochement des 32 de Sucre dans le mauvais vesou, il faudrait consommer par le feu 20 livres de melasse , ce qui occasionncroit une première perte de deux galons de rum , & ne pourrait même se faire sans ruiner presque entièrement les 32 liv. de Sucre les 32 liv. de melasse qui resteraient ; il suffira de conclure qu'en ajourant 16 livres de Sucre aux 32 oui y étoient dans le principe, l'équilibre fera rétabli , & que le rapprochement des parties de Sucre, tant primitives qu'ajoutées, ne manquera pas de se faire a l'époque où il se fait dans le bon vesou , qui fera de même celle où la melasse aura acquis sa plus grande perfection. Donc le degré de cuite nécessaire au syrop du mauvais vesou, n'est pas différent de celui qui convient à celui du meilleur ; donc le Sucre ajouté n'est point pour suppléer à la cuite , mais pour suppléer à la disproportion ; donc promettre le succès de cette addition , n'est autre chose qu'assurer qu'il n'y a pas plus de différence entre 48 32., plus 16, qu'il n'y en a entre 40 & 40.


DE CULTIVER LA CANNE. 441 Mais , le secret tout récemment trouvé, & si magnifiquememt récompense , de la transmutation visible de la melasse en Sucre &c ? Il n'y a de visible dans toute l'opération, que l'encouragement donné aux arts: la transmutation est impossible ; & pour inspirer à mes compatriotes une incrédulité à cet égard, qui les éloigne a jamais de tout essai qui se terminerait toujours visiblement a ruiner une partie du réel pour courir après le chimérique ; je les prie seulement de ne pas oublier, 1°. que leur première & secondé melasse ( appelles gros syrops & syrops fins ) font agréables & très - sucrées : 2°. qu'après qu'ils les ont fait cuire, pour en extraire le Sucre qui s'étoit échappé avec elles, la troisième melasse, que les deux premières opérations avoient donnée, est devenue désagréable & moins sucrée: 3°. qu'après qu'ils ont fait cuire cette troisième, pour en extraire le Sucre qui l'avoit suivie, la quatrième melasse, qui en est provenue, s'est trouvée d'une amertume si décidée, que je n'ai pas oui dire que personne se fût avisé de travailler la cinquième : or, qu'ont produit toutes ces façons & refaçons ? la réparation de presque tout le Sucre d'avec la melasse : & ce presque tout, est environ comme je l'ai dit , la moitié du poids brut du syrop sortant des chaudières & mis dans les formes : c'est le secret d'opérer cette séparation exacte du Sucre & de la melasse, aux moindres frais possibles, par le moindre nombre d'opérations possible, sans altération de l'une ni de l'autre, qu'il s'agit de trouver. Que toutes les Chambres Coloniales assu


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rent à l'inventeur, le vingtième du Sucre qui se fera dans l'année de l'expérience générale qui en fera faite avec succès : une pareille récompense fera digne des Rénumérateurs, & du service rendu. Chaque participant y gagnera dès la première année le double de ce qu'il aura donné. A juger par la simplicité des principes, ou plutôt des laits que j'ai établis, il semble qu'on peut croire que ce secret est plus facile à trouver que celui de la longitude, & cependant il feroit bien autrement récompense. J'ouvre peut-être la voie, en indiquant quelques expériences peu coûteuses auxquelles j'exhorte les propriétaires instruits à ne pas se refuser. On ne fait encore rien sur le Sucre : par les moyens que je propose, il est impossible de ne pas acquérir quelques connoissances : on ne fait rien sur le Sucre, je le répète, & j'en demande pardon aux plus habiles Rafineurs qui ne font pas propriétaires ; quelque persuadés qu'ils soient de leur mérite, c'est a l'époque ou nous femmes, l'unique secret de leur art, secret même ignoré du plus grand nombre d'entr'eux, secret que je fais parfaitement, & j'ai promis de dire tout ce que je savois : qu'ils prouvent que je me trompe ; qu'ils nous fassent part de leurs principes , s'ils en ont ; s'ils n'en ont pas, qu'ils en conviennent : le premier pas necessaire pour parvenir au savoir, est de reconnoitre qu'on ne lait rien , & d'inviter, d'encourager les autres a s'instruire avec nous. N. il. Dix-neuvième proposition. Il est ai sé de donner au vesou dans la propre 3 à- peu - près la couleur qu'on s'imagine la plus convenable : plus


DE CULTIVER LA CANNE. 443 de cendre le rendra plus brun, plus de chaux le rendra plus rougeâtre. Cependant, en réfléchissant sur notre septième proposition, il faut convenir que file vesou est exactement enivré à son point lorsque la quantité de chaux & de cendre qu'on y a mis est exactement égale à celles des parties hétérogènes dont nous avons voulu le débarrasser il

s'ensuit que l'unique effet de l'enivrage , devant être d'enlever la graille & les mal-propretés, la graille & les mal-propretés enlevées, le vesou n'a donc rien acquis, & ne devoir rien acquérir par l'enivrage ; le vesou dans la propre, le syrop dans la batterie , ne doivent donc avoir exactement que leur couleur réelle & naturelle, débarrassée du louche que beaucoup de parties hétérogènes lui donnoient en sortant du moulin. Donc. Vingtième proposition. La lympidité est une qualité essentielle du vesou après qu'il est parfaitement écumé dans la propre. Cependant elle ne suffit

pas, car elle peut subsister avec plusieurs nuances différentes. Vingt & unième proposition. Si au moyen d'une combinaison d'enivrage vous donnez à un vesou la couleur, la nuance même, qui appartient à un autre, vous ferez du Sucre ou gras y ou gris } ou rouge } ou brûlé. Quelqu'insuffisantes que soient mes ins-

tructions pour ne pas s'écarter de la ligne, les précautions minutieuses, & l'attention perpétuelle qu'elles exigent, prouvent du moins avec combien de raison les Economes ordinaires s'en démettent sur les Nègres; & combien il feroit important au Maître , de savoir apprécier le travail des uns & des autres ; ce travail cependant n'est pas encore fini.


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Observations sur la cuite du Sucre. Ce que j'ai a dire sur la cuite du Sucre, ne paraîtra pas, sans doute , plus instructif, & mérite néanmoins quelque attention. J'ai été long-temps partisan des cuites fortes ; c'est une duperie : serrez forcez la cuite tant qu'il vous plaira ; vous ne convertirez pas la melasse en Sucre : mais qu'arrivera -t - il ? Je feu de la chaudière où vous faites séjourner la matière plus long-temps, en consommera une plus grande quantité ; ainsi donc au lieu d'avoir , je suppose 32 galons à enformer , vous n'en aurez ( suivant que le degré de la cuite fera outré ) que 28, 30 ou 3 1 ; & le feu de l'étuve absorbera au moins 4 livres , des 5 ou 6 que chaque forme en y entrant , aura pesé de plus qu'elle n'auroit fait, si une cuite un peu moins forte lui eut permis de se débarrasser de sa melasse ; car certainement la melasse retenue dans la forme par une cuite ferrée, forcée, contient fort peu de parties que l'extrême chaleur de l'étuve ne puisse faire évaporer ; les parties qui ne s'évaporent pas, tachent le Sucre ; voilà donc une perte réelle de melasse , sans autre effet que d'altérer la matière principale. Une cuite foible , au contraire, laisse échapper avec la melasse une quantité considérable de parties de Sucre,qu'un degré de cuisson de plus, au roi t plus rapprochées & fait crystalliser : il est vrai cependant qu'alors la quantité d'eau, qu'une cuite plus forte eût fait évaporer, se trouve jointe au Sucre qu'elle tient en disso-


DE CULTIVER LA CANNE. 445. lution, & quelle augmente d'autant le volume de la melasse, ce qui diminue un peu la perte. Une cuite modérée vous laisse toute votre melasse pour la Rummerie, & tout votre Sucre pour l'étuve ; car le bon sens dicte que la diminution du poids que la forme y subit lorsqu'elle est parfaitement purgée, provient de l'eau que le terrage y avoit laissée, & des partics aqueuses que le feu des chaudières n'avoit point fait évaporer : or, ce qu'on appelle Sucre terré, n'est bon que lorsqu'il est parfaitement sec. Mais qu'est-ce qu'une cuite modérée? 1°. C'est ce qu'on ne peut apprendre qu'a la Sucrerie, 2°. C'est celle qui retient dans la forme le plus de Sucre & le moins de melasse possible ; me voici encore dans le cercle vicieux, mais non pas aussi vicieux qu'il le paroît ; puisqu il vous met sous les yeux une seconde fois, le but de l'opération pour vous servir de règle : tout ce que je puis dire à ce sujet est ceci : veillez toujours a tirer, autant que la qualité du Sucre le permet, votre première batterie allez forte, même au risque de la voir un peu mousser , pour n'être pas obligé de forcer la fécondé au point que les dernières cuillerées dénotent par une couleur un peu forcée , & même par leur odeur , qu'elles car soyez sûr font sur le point de brûler qu'il y a des parties brûlées avant que le tout ne le paroisse, & qu'outre les parties brûlées, celles qui ne le feront pas, feront un peu rougies, & conséquemment altérées.


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Suivons les effets des différentes cuites dans le rafraîchissoir. Lorsque la première batterie est cuite, on la tire ( on en met le Sucre dans un rafraîchissoir ) (1) ; on avoit déjà parsemé le fond du rafraîchissoir d'une poussière de Sucre terré, & étuvé ; il en faut environ 3 ou 4 livres,plus ou moins, suivant que la matière qu'on fait rafraîchir, s'éloigne ou s'approche de la perfection : on mêle le tout avec la cuillère, & l'on attend la seconde batterie : il semble que les grains de cette poussière font autant de centres , au tour desquels viennent se réunir, les parties de Sucre contenues dans la matière qu'on vient de tirer de dessus le feu ; ce qu'il y a de vrai, c'est que si vous ne mettez pas de grain dans le rafraîchissoir pour aider celui de votre première batterie, vous n'en trouvez presque point de formé quand vous tirez la seconde. Ces deux premières batteries enformées, il reste toujours assez de grain dans le rafraîchissoir pour n'avoir pas besoin de recourir à celui de l'étuve y mais revenons à notre sujet. Quand on parle de tirer une batterie forte ou faible, c'est de la cuite que cela doit s'entendre j il faut encore décrire tant bien que mal.

(1) C'est une chaudière ou un autre vaisseau; les plus larges & les moins épais font les meilleurs ; la chaleur s'y conserve moins long-temps ; & il ne faut qu'un degré de chaleur modéré, pour que le Sucre se crystallise promptement & avec facilité.


DE CULTIVER LA CANNE. 447 Si la cuite de votre première batterie est un peu forte, cinq a six minutes après qu'elle fera dans le rafraîchi ssoir , le syrop se couvrira d'une petite mousse un peu roussâtre mais sèche , c'est-à - dire qui ne s'attachera point au doigt : vous la distinguerez d'une autre mousse que donne le trop d'enivrage, en ce que celle-ci cil plus foncée , verdâtre ; vous la distinguerez aussi de celle qui provient du trop peu d'enivrage , en ce que celle-ci est blanche & gluante ; on peut ajouter que l'épaisseur de la mousse déligne du le degré du trop dans le premier cas, trop peu dans le fécond. Nous supposons votre première batterie tirée un peu forte, & conséquemment un peu moussée , cette cuite n'est forte que relativement, comme cuite d'une première batterie ; celle de la féconde doit l'être beaucoup plus ; donc eu tirant la première un peu forte , vous ne risquez que de tirer la seconde ou à - peu - près égale à la première, ou du moins au-dessous de ce que vous l'auriez tirée si la première eût été a son vrai point ; le mélange des deux vous donnera donc celui que vous cherchez. Si vous tirez au contraire la première un peu foible, vous ne pouvez la corriger qu'en brûlant un peu la seconde. Mais pourquoi ne pas enformer à chaque batterie ?

Quand il n'y auroit d'autre raison pour enformer a deux batteries, que celle de pouvoir au besoin corriger la première cuite par la seconde, elle suffiroit ce me semble;


448 ESSAI SUR L'ART mais en voici une autre. J'ai dit que lorsque la première cuite ou cuite de la première batterie étoit un peu forte, elle moussoit un peu ; j'ai dit aussi qu'elle n'étoit forte que relativement à la fécondé qui l'étoit beaucoup plus ; or, pour donnera la première batterie, ce qu'elle acquiert fans risque & fans inconvénient par ion mélange avec la fécondé, il faudroit la forcer jusqu'au point où elle donnerait après être enfermée , une moufle d'un ou 2 doigts qui exigeroit un plus grand nombre de formes , & vous laisseroit pendant plusieurs jours, fi le temps étoit humide, dans l'incertitude fur la qualité de votre Sucre ; au lieu qu'en enfermant a deux batteries, la mou lie que donne la fécondé tirée même un peu forte , tombe aussi-tôt & disparoît après qu'elle est mêlée avec la première , qui est déjà considérablement refroidie. Il y a bien d'autres raisons qui empêchent d'enfermer à chaque batterie ; mais elles ne font pas aussi palpables que celles que je viens de donner. Moyen sûr de vérifier les cuites & la qualité du Sucre.

Vous avez ensuite un moyen infaillible pour vérifier vos cuites, aussi-bien que la qualité de votre Sucre ; c'est à la vérité lorsque le mal est fait, mais il s'agit aussi de prévenir celui qui pourroit se faire par la fuite ; il ne faut donc pas le négliger dans le cas du moindre doute. Je suppose vos formes jaugées, & même marquées


DE CULTIVER LA CANNE. 449 marquées fi elles font de grandeurs trèsinégales ; supposons une forme de huit galons , deux jours après qu'elle a été mise fur Je pot dans la Sucrerie , elle doit avoir rendu depuis deux galons jusqu'a deux & demi de première melasse ou gros syrop , a-t-cl le rendu plus ? la cuite est trop foible, ou le Sucre trop enivré. A-t-elle rendu moins ? la cuite est trop forte, ou le Sucre mal dégraissé. Faites lâcher la forme (1) ; fi le mal vient de trop de cuite , vous trouverez le Sucre dégagée de son compact , la partie purgée mais rougeâtre & nette , assez syrop) fera fous doigt ; la partie le cependant criante d'un brun d'autant plus sera non purgée forte. Si fera plus le Sufoncé que la cuite cre a été mal dégraissé, s'il a eu trop peu d'enivrage , vous trouverez la partie purgée, claire, allez nette peut-être, mais le grain moins fort, moins gros, moins sec, la partie non purgée , fera d'un jaune d'autant plus décidé que le Sucre manquera plus d'enivrage. Si la cuite est trop foible, le doigt s'imprimera facilement dans le corps de la forme, qui fera purgée d'un bout a l'autre, & l'extrémité fera d'un brun très-clair. Si le Sucre est trop enivré , la partie purgée fera d'un brun rougeâtre, & peu ferme ; la partie non (1) On appelle locher une forme de Sucre , la renverser, mettre le gros bout en-bas : on enleve en fuite doucement la forme, c'est-à-dire le vase qui contient le pain de Sucre, lorsqu'on a senti que le Sucre en est détaché ; Se l'on remet la forme après qu'on a fait ses remarques. On dit aussi plus communément une forme de Sucre qu'un pain de Sucre.

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purgée fera d'autant plus noire que le Sucre fera plus brûlé d'enivrage ; elle paraîtra même encore chargée de melasse , car dans ce cas, quoiqu'elle en ait rendu au-delà de fa pro portion, il lui en reste cependant d'autant plus à rendre, qu'il y a eu plus de parties altérées par l'enivrage. Si le Sucre est en même temps trop cuit & trop enivré , ou s'il est en même-temps foible de cuite & d'enivrage, vous trouverez réunis, tous les effets des deux fautes qu'on aura faites ; corrigez-vous pour les grandes suivantes. Je dois dire un mot fur des détails qu'il est essentiel de ne pas laisser accumuler. Nécessité d'un ordre invariable dans les travaux de La Sucrerie & de la Purgaie.

Après que le Sucre a égoutté trois jours dans la Sucrerie, faites le porter à la Purgerie. C'est encore par rapport a cette Sucrerie, cette Purgerie & l'Etuve, que le moindre dérangement dans l'ordre établi, vous mettrait dans la nécessité d'arrêter quelquefois une semaine entière pour vous remettre au courant: mais si chaque jour a son travail fixé, tout se fera fins embarras, car enfin : Ce n'est rien de lever par jour 60 à 70 formes ( plus ou moins), à mesure que les emplies se succédent, de les mettre égoutter fur des pots dans l'un des quatre ou cinq lits qui doivent leur être destinés dans la Sucrerie , & qu'on a dû faire indépendant les uns des autres , afin d'enlever journellement le Sucre le plus ancien, fans déranger le nouveau :


DE CULTIVER LA CANNE. 451 Ce n'est rien de porter régulièrement chaque jour; un de ces lits à la Purgerie, en commençant le troisième ou quatrième jour de la première semaine , & de détacher pour cette opération pendant une demi-heure, un Nègre de la Sucrerie & deux de la Rummerie, avec les deux ou trois attachés constamment à la Purgerie : ; Ce n'eft'tien de fouiller avec les trois Nègres de la Purgerie , les fontaines de ce Sucre , à mesure qu'il y est porté ; afin que toutes les fontaines de la semaine se trouvent fouillées le mardi suivant à l'heure dit déjeuné , pour en faire le lendemain lès pre1

miers fonds :

Ce n'est rien de faire ce même jour, 3 a400 fonds blancs , pour donner le soir, laseconde

terre aux 3 a 400 formes terrées la' semaine précédente (1) :

(1) Je transpose l'ordre naturel des travaux, en parlant des fonds blancs , avant dé parler des premiers fonds'---, on eu verra bientôt la raison : lorsque les fontaines font fouillées , onégale & affermit avec une espècé de truelle, la superficie dé la forme , afin qu'elle ait assez de consistance pour soutenir cette espèce de bouillie de terre dont j'ai parlé , & dont la qualité du Sucre doit décider la liquidité Se l'épaisseur ; on appelle celle-ci première terre , l'eau qu'elle contient filtre peu-à-peu au travers du Sucre, & le blanchit en- entraînant, comme j'ai dit, une partie de la melasse qui y restoit ; cette opération d'égaler , & de préparer la superficie d'une forme à recevoir la première terre, s'appelle faire les premiers fonds ; l'ordre que j'établis ici demande qu'ils se fassent le mercredi ; le jour suivant on donne un rafraîchi, c'est-à-dire qu'on couvre la première terre déjà un peu desséchée , d'une bouillie un peu plus claire ; le mardi de la semaine

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Ce n' est rien de faire le mercredi , avec l'addition d'un quatrième Nègre de la Sucrerie , que vous remplacez par un du jardin , les premiers fonds des 3 a 400 formes auxquelles vous donnez le loir même la première terre :

Ce n'est rien de les rafraîchir le jeudi matin, & de commencer de nouveau , immédiatement après, à fouiller les fontaines des formes nouvellement arrivées de la Sucrerie -, afin que toutes celles de la semaine actuelle soient aussi toutes fouillées le mardi au soir de la semaine d'après, & ainsi de fuite comme je l'ai dit : Ce n'est rien de piler a la veillée du samedi, avec les Nègres qui ne font pas de quart ( de service actuel ), le Sucre blanc des 3 à 400 formes qui ont déjà 13 jours d'étuve (1) : suivante, on lève cette première terre qui ne fait alors qu'une malle avec le rafraîchi , & l'on fait aussi-tôt les fonds blancs , qu'on appelle ainsi, parce cette partie de la forme fur laquelle on les fait , est déjà blanchie par la première terre , mais la superficie de la forme avoit besoin d'être un peu redressée & consolidée ; on mer fur ces fonds blancs une nouvelle bouillie qu'on appelle fécondé terre , qui achèvede blanchir entièrement le Sucre , si le Sucre est tres-bienfait. On voit pourquoi dans l'énumération que j' ai commencée , des travaux delà Purgerie, j'ai parlé des fonds blancs qui font les féconds , avant de parler des premiers ; rendant compte de l'emploi de la semaine, j'ai suivi 1'ordre des jours. (1) Le gros de la forme est ce qu' il y a de plus blanc ; fa pointe qu'on appelle la tête, a toujours une teinte de melasse , fur tout quand on ne donne pas de rafraîchi à la fécondé terre; le Sucre qu'on appelle blanc , est celui du gros de la forme ; & celui qu'on appelle commun est le Sucre de la tête ; à moins qu'on n'en fasse trois qualités ,


DE CULTIVER LA CANNE. 453 Ce n'est rien de piler de la même façon, à la veillée du dimanche au lundi, le'Sucre commun qui reste de la veille : Ce n'est rien de couper aussi-tôt après, avec les Nègres de la Purgerie, un de la Sucrerie, & deux autres pris dans le nombre des Tonneliers ; ce n'est rien, dis-je , de couper & trier les 3 a 400 formes qu'on a miles à l'étuve le lundi précédent (1) : Ce n'est rien de mettre,le lundi après midi, 3 à 400 nouvelles formes à l'étuve : Ce n'est rien de charroyer par jour à l'em-

premier blanc , fécond ou petit blanc , & Suce de tête. Mais pourquoi ne pas donner un rafraîchi à la fécondé terre ? A parité de connoissances dans la fabrique du Rum & des Sucres de syrops fins, il n'y aura ni gain ni perte considérable , à faire avec ces derniers, ou du Rum ou du Sucre , lorsque les prix de ces deux objets feront l'un à l'autre ce qu'il ont été pendant les dix dernières années de la paix. Mais fi le prix du Rum seul baissoit, ou que celui du Sucre augmentât seul , il est évident qu'il fan droit faire du Sucre avec les syrops fins; & dans ce cas , il ne faudroit pas hésiter à donner a util un rafraîchi à la fécondé terre ; vous auriez plus de Sucre blanc : votre forme peseroit moins à la vérité ; mais ce moins auroit été entraîné par l'eau du rafraîchi dans vos syrops fins, dont il augmenteroit le volume & amélioreroit la qualité ; avantages que vous trouveriez en entier dans les Sucres qu'ils vous donneroient , lorsque vous les feriez cuire. (1) je fais ici la même transposition dans l'ordre des travaux , afin de suivre celui des journées , car il est certain qu'avant de trier le Sucre, c'est à dire de le couper & de séparer le blanc du commun, il faut qu'il ait quelques jours d'étuve, pour acquérir plus de confidence. Quand il seroit d'ailleurs parfaitement blanc, il faudroit le couper, parce qu'il sèche plus vîte coupé , qu'en formes.

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( au port ), quatre à six bariques tant de Sucre que de ru m : Tout cela, dis-je, n'est rien fi chaque chose est faite dans ion temps ; mais dérangez l'ordre ; laissez accumuler les travaux pendant trois ou quatre jours, ou confondez-les, vous ne savez par où commencer : tout se fait mal, parce que tout se fait a la hâte : enfin il faut se décider à arrêter le moulin, parce que la place manque, & que l'ordre seul en fait trouver pour tout. Je le répète donc, ce n'est qu'au moyen d'un ordre constant, invariable, que vous réussirez à faire fans peine & bien, avec des forces moyennes, ce que fans ordre, vous ferez difficilement & mal, avec un tiers de forces de plus. Qu'on ne ne s'étonne donc point fi j'insiste, peutêtre jusqu'au dégoût, fur un point aussi essentiel ; cependant l'ordre que je propose peut ne pas convenir par - tout ; que chacun établi sse fur fou habitation celui qui est le plus analogue aux circonstances qui peuvent le commander ; mais une fois établi, qu'il le suive invariablement. barcadère

Précautions ultérieures à l'égard des points recommandés (1). Je rapprocherai les différens points de pratique dont j'ai parlé, afin d'y joindre quelques détails que j'ai cru devoir différer pour con(1) J'espère toujours qu'on me pardonnera fi je préféré le reproche de répéter souvent fans nécessité, au risque de supprimer une répétition qui pourroit être utile, j'écris pour tout le monde.


DE CULTIVER LA CANNE. 455 server plus de liaison dans l'exposé de mes idées. I. Songez à vous pourvoir de la meilleure chaux & de la meilleure cendre possible ; & fi vous avez des Cannes rebelles , pourvoyez - vous de perlache : défiez-vous de toute chaux qui ne fera pas en pierre, & ne soyez sûr de celle qui fera en pierre, qu'après en avoir mis un morceau dans l'eau ; rejettez - là , fi l'effervescence n'est pas violente ; plus elle le fera, plus vous devez en attendre de succès dans le Sucre : goûtez la cendre, elle doit avoir un goût fort de lessive , les Nègres qui en vendent,après s'en êtreservis,ont la petite ruse d'y mettre du sel, car les Nègres trompent tant qu'ils peuvent, comme les blancs; mais le goût du sel marin , & celui du sel de la cendre, font aisés à distinguer. A moins de ces précautions par rapport à l'enivrage, la tête tourne souvent au Rafineur , parce qu'en travaillant même très-bien , il fait du Sucre gras, rouge , brûlé même, quoique trop peu enivré. II. Mêlez vos Cannes plantées avec vos rejetons , fi cela est possible fans trop d'inconvénient , votre Sucre fera plus égal, & se fera plus aisément. II. Coupez du moins les hauteurs d'une pièce de terre avec ses fonds ; ils se corrigent mutuellement. F f 4


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IV. Suivez la même règle quand vous ne couperez que des rejetons , soit que vous ne coupiez qu'une feule pièce , soit que vous en coupiez deux à-la-fois -, ce qu'il faut faire, autant qu'il est possible, tant pour l'égalité du Sucre, que pour celle des charrois. Ces di fférens points tiendront lieu de la moitié de la science dont vous avez besoin , parce qu'elles vous donneront le vesou le plus égal ; & qu'ainsi elles vous empêcheront souvent de faire de très-mauvais Sucre pendant la nuit, après en avoir fait de fort bon pendant le jour; car la nuit le brun paroît gris, le gris paroît blanc ou brun, suivant la quantité de fumée qu'il y a dans la Sucrerie : il n'y a point alors de nuances a saisir ; l'odorat seul remet fur la voie , & je vous ai dit qu'il falloit du temps pour qu'il pût juger seul. Autre avantage , c'est le meilleur moyen qu'on ait pour éviter les occasions de blâmer le Rafineur injustement, même quand le Sucre de la nuit seroit beaucoup moins bon que celui du jour; car ce n'est qu'au moyen d'un mélange toujours égal de Cannes de différentes espèces , que vous pouvez être certain qu'une différence /en sible dans la qualité du Sucre, provient d'une négligence dans la partie de 1' écumoire , & ne provient pas au contraire, d'une différence notable dans le jus, différence qu'il étoit au-dessus de lés facultés comme des vôtres, de saisir parfaitement a la lueur des lampes, rendue plus équivoque encore par une fumée quelquefois très-épaisse.


DE CULTIVER LA CANNE. 457 V. Faites attention a la robe de vos Cannes ; cassez-en de temps en temps , pour savoir fi l'intérieur y répond : quelquefois elles font jaunes en - dehors, & vertes ou rouges endedans. VI. Veillez a chaque grande, votre vesou dans le canal, à mesure qu'il coule, pour observer s'il cil plus ou moins pâle , verd, rouge, chargé, qu'il ne l'étoit à la grande précédente : vous recueillerez de cette attention, des probabilités fur la nécessité de continuer, d'augmenter ou de diminuer l'enivrage, & au moyen de cette précaution , de légers symptômes qui ne vous auroient pas frappes fi vous n'aviez vu que les écumes & le grain de votre grande, vous décideront immédiatement fur ce que vous devez faire : ce fera un hasard fi vous vous trompez ; autrement, c'en seroit un fi vous ne vous trompiez pas. VII. Que votre grande soit assez enivrée pour y voir une effervescence, , qui avec moins d'expérience , vous feroit soupçonner qu'elle l'est un peu trop; il n'y a que l'usage qui puisse apprendre la différence entre le degré prescrit & le degré prohibé , que l'inexpérience prend souvent pour une preuve que la grande bout au plus haut point de perfection ; ce phénomène n'a effectivement lieu que lorsque la


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grande bout très-bien : dans le cas contraire, c'est la propre qui doit vous éclairer, parce que c'est - là du moins que l'effervescence doit se faire ; fans quoi, fi vous faites du Sucre feulement passable, rendez gloire aux Cannes. VIII. Lorsque vous ferez de bon Sucre, & que vous aurez passé dans la propre , des têtes de formes ou des fontaines (1), les écumes & le vesou feront à - peu - près de la couleur des écumes & du vesou de la féconde espèce, mais les nuances feront d'autant plus foncées & rougeâtres, que vous aurez ajouté une plus grande quantité de ces Sucres, & qu'ils feront plus ou moins colorés ; mais n'ayez aucune inquiétude lorsque la matière ajoutée est parfaitement égouttée & sèche ; fi vos chaudières font parfaitement écumées, votre Sucre n'en fera pas d'une nuance moins blanc. IX. Le vesou de toutes fortes de Cannes peut n'être enivré qu'à son point ; il peut même ne l'être pas allez, & donner des écumes trèsnoires , & en très - grand quantité : cela se voit dans les deux cas les plus contraires ; le premier , lorsque le Cannes font échaudées

(1) Il ne faut jamais passer de Sucre que dans la propre , afin de voir le vesou tel qu'il est seul dans la grande ; il faut aussi ne rien passer , que lorsqu'on est sûr de son Sucre.


DE CULTIVER LA CANNE. 459 ou fur le point de l'être, & que le vesou ne donne fa graisse, comme je l'ai dit plus haut, qu'après qu'il est passé dans le flambeau & dans la batterie ; le fécond , lorsque le vesou est chargé de terre , comme il arrive dans le temps du grand renouveau, c'est-à-dire dans le temps de cette végétation extraordinaire, produite par une pluie très - abondante à la fuite d'un sec long & violent ; cela arrive aussi, mais d'une façon moins sensible, dans les autres saisons, toutes les fois qu'un sec âpre de 8 a 10 jours est suivi d'une pluie assez considérable , ce font des espèces de petits renouveaux , qu'on peut appeller accidentels ; dans ces cas, les écumes font chargées de parties terreuses, & le vesou ne s'éclaircit que lorsqu'il approche de la cuisson ; il est impossible que la couleur du Sucre n'en soit un peu altérée ; veillez donc alors, moins à la couleur qu'aux autres qualités de vos écumes ; cependant , fi vous examinez bien votre vesou lorsqu'il coulera dans le canal, vous distinguerez fa couleur réelle au travers du nuage de terre , de vous agirez en conséquence. X. Quand vous ferez de mauvais Sucre, avec quelque espèce de Cannes que ce puisse être, ne dites jamais, ces Cannes ne peuvent donner rien de mieux ; ce seroit contribuer , autant qu'il est en votre pouvoir, a perpétuer l'enfance où nous sommes relativement à la fabrique du Sucre : mais dites , je n'ai point encore trouvé ce qu'il faut, pour que ces Cannes donnent de très-bon


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Sucre : car vous avez vu qu'on ne doit jamais-

désespérer d'y réussir , pendant que le syrop encore un peu éloigné de la cuite, est jaune dans la batterie ; puisqu'alors il ne falloit dans la grande, qu'un peu plus de chaux ou de cendre , ou de chacune, & ensuite dans la batterie peut-être un peu d'eau de chaux ou d'eau de cendre, ou de l'une & de l'autre en proportion égale ou différente: vous avez vu aussi qu'on ne doit point désespérer de réussir pendant que le syrop un peu éloigné de la cuite, est rouge ou noir dans la batterie;puisqu'alors il ne falloit que mettre dans la grande , moins de chaux ou de cendre, ou de chacune: vous avez vu pareillement que fi vous avez été satisfait, avec connoissance de cause , de votre vesou dans les différentes chaudières,, de votre syrop rassemblé dans la batterie ; & qu'ensui te ce même syrop , en approchant de la cuite qu'il paroît nécessaire de lui donner,/*; décuise, comme on le dit très-improprement, c'est -à - dire donne des bouillons gros & pesans, comme ceux des différentes melasses ou syrops qu'on fait cuire pour en extraire le Sucre ; vous avez vu, dis-je, que tout cela n'annonce qu'une disproportion entre la melasse & le Sucre ; disproportion dont le remède infaillible est de fortifier la partie foible, c'est-à-dire de mettre dans la propre, après qu'elle a été bien écumée , la quantité d'excellent grain bien sec, qui manque à votre matière, & qu'on est sûr de retrouver toujours en nature ; or, en supposant vos chaudières très-bien écumées ( ce qui est toujours essentiel ) , il faut absolument, fi vous faites de mauvais Sucre ,


DE CULTIVER LA CANNE. 461 que votre syrop avant d'être parvenu au degré de cuite nécessaire, ait été jaune ou ronge , ou noir, ou qu'il ait donné de gros bouillons ; quand est-ce donc qu'il faut renoncer à l'espérance ? jamais , fi l'on n'est pas un Nègre ; & quand est - ce qu'on doit être humilié , piqué de trouver en Ton chemin, quelqu'un qui prétende avoir de grandes raisons pour être persuadé qu'on ne doit point désespérer ? jamais, fi l'on n'est pas plus petit qu'un Nègre. Avec de mauvaises Cannes, ne cherchez le premier jour qu'à faire du Sucre , le fécond vous chercherez à en faire de bon, & songez qu'il n'y a que la science qui manque pour en faire de beau le troisième. Puisque le sel essentiel des mauvaises Cannes est aussi blanc que celui des meilleures, il ne s'agit que de l'obtenir fans le gâter : il faut cependant , comme je viens de le dire,faire la restriction de l'effet des pluies, qui entraînant beaucoup de terre dans la Canne , ne permettent jamais de faire du Sucre aussi net dans les temps pluvieux , que dans le temps sec. XI. La chaux & la cendre font au vesou, ce que le sang & le blanc d'œuf font au Sucre brut qu'on veut rafiner ; on ne soupçonnera pas, il me semble du moins qu'on ne devroit pas soupçonner , que ces deux menstrues s'incorporent au Sucre; car on voit qu'ils ne font que se charger des parties hétérogènes dont on vouloit le debarra sser : ne perdez donc pas de vue le but que vous devez vous proposer lorsque vous enivrez votre vesou ; ce n'est


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pas d'ajouter une troisième matière aux deux qui font le but de votre travail, mais d'obtenir au moyen de la fermentation que produira cette troisième matière, les deux dont vous avez besoin, bien séparées l'une de l'autre, & chacune dans fa perfection , c'est-àdire séparée aussi par la même opération,des parties acides, de l'huile surabondante, des mal-propretés dont la troisième les aura débarrassées. Si donc votre vesou paroît lympide, & qu'il ne soit pas desséché , vos chaudières ont été parfaitement écumées, & vous n'avez cependant atteint qu'une partie du but ; il falloir encore pour atteindre l'autre, ou un peu d'enivrage, ou peut-être du grain, fi vous travaillez fur des Cannes plantées ou fur cette espèce de rejetons qui leur ressemblent. Si votre vesou est bien desséché , & qu'il ne soit pas lympide, vous n'avez encore atteint qu'une partie du but, l'autre est manquée ; parce que , ou vous avez mis trop d'enivrage qui a brûlé quelques parties de Sucre , qui décomposées, flottent au milieu de la liqueur qu'elles rendent opaque ; ou vos chaudières ont été mal écumées , ce qui produit le même effet (1).

(1) Il ne fera pas inutile de dire un mot fur la différence des opérations des Rafineurs d'Europe, & de ceux d'Amérique , puisque je viens de comparer les moyens des uns Se des autres ; il semble à la première idée qu'un bon Rafineur d'Europe devroit réussir en Amérique ; le contraire est prouvé par l'expérience ; il faut qu'il apprenne l'a,b, c, d'un art qu'il croyoit posséder. Cela ne doit pas surprendre, le Rafineur d'Europe travaille fer une matière déjà faite qu'il a


DE CULTIVER LA CANNE. 463 XII.

Je n'ai aucune raison pour croire que l'eau de cendre ait par rapport au Sucre, d'autre vue Se touchée ; celui d'Amérique est obligé de déterrer en quelque façon la sienne ; c'est un trésor dont il ignore totalement le degré de richesse ou de pauvreté ; les deux parties essentielles qui le composent, & qu'il cherche, savoir, le Sucre & la melasse , précieuses chacune dans son genre ; varient souvent dans leurs proportions entr'elles , comme avec les autres matières qui leur font plus ou moins intimement unies , & demandent dans tous les cas, pour qu'il puisse les obtenir l'une & l'autre dans la perfection qui leur est propre, un traitement & des procédés tout-à fait différens. En Europe, dira-t-on, l'on remet votre Sucre dans fort premier état de liquidité , le jus de la Canne ou vesou -est-il autre chose que votre Sucre brut dissout dans l'eau ? Oui fans doute : ne perdons pas de vue cette eau mère , cette melasse dont la disproportion avec le Sucre dans les mauvaises Cannes, est l'écueil & le désespoir des Rafineurs d'Amérique les plus expérimentés : j'ai dit que le jus des meilleures Cannes, en contenoit autant que de parties réelles de Sucre ; & le Sucre brut le plus ordinaire , rendu en Europe, est non feulement débarrassé de la graisse du vesou , de ses parties acides, & de la partie la plus visqueuse & la plus intraitable de fa melasse , restée en Amérique ou coulée dans le vaisseau ; mais il ne contient qu'une partie de melasse contre trois de Sucre , c'est à dire qu'il ne contient qu'un tiers de la quantité de melasse, que donne le vesou le plus facile que nous ayons à traiter : on n'a donc presqu'autre chose à faire en Europe , que de clarifier la matière , & faire évaporer l'eau qui tient le Sucre en dissolution ; or qu'on se rappelle ce que j'ai dit, que s'il ne falloir à toute espèce de vesou que plus ou moins de chaux pour l'enivrer, il ne faudroit pas avec les yeux les plus ordinaires , plus de six mois pour être excellent Rafineur ; c'est le cas de ceux d'Europe : c'est toujours de l'eau de chaux qu'il leur faut, plus ou moins forte à la vérité, mais c'est toujours


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propriété que la cendre en nature ; Se si elle réussit mieux , disons même , fi elle est nél'état visible de la matière qu'ils ont dans la main & fous les yeux qui les dirige ; ensuite, il leur faut du sang qui nettoie fans brûler, puis des œufs qui clarifient encore davantage fans pouvoir nuire , & leur matière enfin parfaitement Se nécessairement clarifiée , leur donne tout aussi nécessairement de très-beau Sucre rafiné , ou royal, ou impérial, suivant la qualité de la matière fur laquelle ils ont travaillé. Mais fi vous n'enivrez pas félon l'exigence peut-être en cendre, peut-être en chaux , peut erre au tiers , au quart, au huitième, au dixième feulement de l'un ou de l'autre, ce qu'il faut trouver , sur-tout quand il s'agit de ce vesou disproportionné de trois de melasse . je suppose , fur deux de Sucre ; fi vous ne rectifiez pas en grande partie fa disproportion ; clarifiez-le autant qu'il vous plaira avec votre lessive qui n'est autre chose qu'une eau de tendre & de chaux très-forte , voici ce qui arrivera: Si vous donnez a la matière , la cuite qui seroit nécessaire pour opérer la crystallisation du Sucre, vous brûlez une partie de la melasse , qui devient par la plus épaisse , plus visqueuse , & embarrasse d'autant plus les parties de Sucre qui lui étoient unies ; la matière enformée ne prendra donc pas, c'est-à dire qu'elle refera point une malle solide dans vos formes, & qu'elle fera aussi désagréable à la vue qu'à l'odorat. Si vous ne cuisez qu'autant qu'il le faut pour laisser à la melasse le degré de liquidité qu'elle doit avoir pour être dans fa perfection ( car elle doit avoir la sienne aussi pour •vous donner la quantité & la qualité de Rum que vous pouvez en attendre) , alors le peu de Sucre qu'elle contient, nageant pont ainsi dire dans un fluide trop abondant, ne peur se réunir, & votre matière ne prendra pas davantage ; vous trouverez feulement quelques gros crystaux de Sucre dans le formes : il est vrai que la malle liquide aura trèsbonne mine pour de la melasse , au elle aura une très-bonne odeur, Se qu'elle donnera au-delà de fa proportion ordinaire de Rum , eu égard probablement à celle de Sucre qu'elle contiendra de plus que 1' autre. Que fau droit il pour mettre nos Rafineurs au niveau de ceux d'Europs ?

cessaire


DE CULTIVER LA CANNE. 465 ce (faire dans quelques circonstances où la cendre seroit tout-à-fait contraire , c'est par les raisons que j'ai indiquées , raisons prises des circonstances mêmes. Mais je dirai plus de l'eau de chaux, que je n'ai dit de la chaux en nature : je crois que 1' eau de chaux a deux propriétés, la première lui est commune avec, la chaux , c'est celle de dessécher ; or, dessécher, suivant mes idées, n'est autrechose que se charger des grailles & des acides ; donc les acides saturés, & la matière bien écumée, l'eau de chaux qu'on jetterait dans le syrop, agiroi t fur le Sucre comme fait la chaux même, en brû'croit quelques parties qui rougiraient les autres ; donc on ne doit pas 1' employer , suivant l'usage , par routine, après que le

Trouver une matière qui enivrât Le vesou & le clarifiât en même-tems ; c'est la propriété de la cendre & Je la chaux , direz vous , j'en conviens, mais cela ne suffit pas ; il faudroit que cette matière défichât le Sucre sans risquer de brûler foi grain comme fait la chaux , ou de l'affaiblir comme fait la cendre, lorsqu'on met un peu trop de l'une ou de l'autre. le ne doute point que le sang & les œufs, aidés comme en Europe d'une eau de chaux dont ils adouciraient la causticité, n'eut fur toute espèce de vesou, le même succès que fur toute espèce de Sucre déjà fait & qu'on veut rafiner ; mais la quantité des animaux qu'on tue dans notre Amérique , & des poules qu'on y élève , ne donneraient pas la centième partie du sang & des oeufs nécessaires. Le sang seroit-il susceptible d'une préparation qui lui conservât les propriétés qu'on lui connoît par rapport au rafinage du Sucre ? Oh le grand bien pour l'Amérique, fans aucune perte pour l'Europe ! car ce que nous appelions notre Sucre le plus blanc, demande toujours à être refondu & rafiné.

* G g


466

ESSAI SUR

L'ART

syrop est rassemblé dans la batterie, & lorfs que la matière est déja fi parfaitement desséchée , qu'elle a même une teinte de rouge. Cependant l'eau de chaux (une demi-cuillerée a Sucre feulement ) me paroit avoir une fécondé propriété , celle d'aider le grain du Sucre à le former , lorsqu'on la met dans la batterie après qu'on y a jette le suif, & que le syrop est tout-à-fait tombé ; les petits grumeaux qui se forment alors dans le syrop , le font du moins soupçonner : donc il ne faudra jamais charger votre grande datiez de chaux pour être obligé de vous priver de l'avantage que l'eau de chaux peut vous procurer par rapport au grain du Sucre, dans le moment & dans la quantité que je viens d'indiquer

n'hésitez donc jamais à diminuer la chaux quand votre syrop fera rouge, ni à vous servir d'eau de chaux quand il ne le fera pas, mais feulement quand il ne le fera pas. XIII. Comme vous ne dirigerez pas toujours l'enivrage ; lorsque vous trouverez quelque emplie de Sucre mol la fie , avant d'ordonner quelque changement dans la quantité de chaux ou de cendre , longez que le défaut qui se préfente à corriger, peut provenir de plusieurs raisons qui demandent des procédés contraires : voici les principales. 1°. Le Sucre peut être mollasse pour n'avoir pas été assez enivré. 2°. Pour avoir été mal enivré , c'est-à-dire, si on lui a donné en cendre, tout ou partie


DE CULTIVER LA CANNE. 467 de ce qu'il devoir avoir en chaux ; car la portion requise de chaux ne peut pas être rempal cée par la cendre , non plus que celle de cendre ne peut l'être par la chaux. 3°. Si l'enivrage qui s'est trouvé manquer à la grande, n'a pas été ajouté en quantité suffisante dans la propre , & qu'on ait été forcé de travailler encore à dessécher la matière dans le flambeau & la batterie , avec beaucoup d'eau de chaux & de cendre. 4°. Pour avoir été mal écumé. 5° . A cause d'une disportion entre le Sucre & la melasse ; mais cette disproportion peut être inhérente à la Canne , ou feulement accidentelle : elle est inhérente dans presque toutes les superbes Cannes plantées,& dans les rejetons pris dans les terreins marécageux ou trop riches ; il faut se consoler de cette disproportion , comme on se console de n'avoir pas des yeux derrière la tête , quoiqu'ils y fussent quelquefois d'une très-grande utilité ; en fui te se servir du moyen 11 simple , que j'ai indiqué pour corriger cette disproportion ; & être attitré que ce vesou , comme tout autre provenant des plus mauvaises Cannes, bien enivré, bien écumé, bien cuit, bien traité enfin, ne peut donner que plus, ou moins de Sucre, mais qu'il doit donner du Sucre également blanc, parce que le Sucre n'est, comme je l'ai dit, que le tel essentiel de la Canne, & que ce sel n'est gris, noir ou rouge , que lorsque, par la négligence ou l'ignorance du Rafineur , il est chargé de terre , ou mastiqué avec fa melasse , ou brûlé par l'enivrage. La disproportion est acciden-

G g 2


ESSAI SUR L'ART 468 telle, lorsqu'elle n'est due qu'à l'ignorance ou à l'inattention du Rafineur : cela peut arriver de deux manières ; la première, fi le Sucre pèche par un excès d'enivrage , alors il y a une certaine quantité de les parties décomposées, brûlées , qui viennent a la superficie avec les écumes ; la melasse relie , à la vérité, la même strictement parlant ; mais celle du Sucre étant diminuée , la disproportion n'est pas moins réelle : la fécondé , si la première batterie a été tirée trop foible de cuite , on est , dans ce cas , obligé de forcer la féconde ; les dernières cuillerées font brûlées, & produisent, quand elles sont mêlées avec le reste, le même effet kir l'emplie, que l'excès d'enivrage dont je viens de parler ; parce qu'il est égal que le Sucre soit brûlé par la cuite ou par l'enivrage. Lorsqu'il s'agira donc de juger , & sur-tout de corriger ( ce qui est plus dangereux ) , vous ferez certainement pis , fi vous prenez une cause pour l'autre , & cela est plus aile que beaucoup de gens ne pourroient le croire : ne soyez donc pas aussi pressé de décider, qu'on l'est ordinairement quand on ne fait lien ; mais ce que vous aurez de mieux à faire, fera d'abord de ne pas croire un mot des raisons que les Nègres ne manqueront pas de vous donner , ensuite de porter attention à l'état actuel de chaque chaudière ; il décèle allez ordinairement le travail de la nuit, qui ne peut pas encore être masqué, lorsqu'on se rend de grand m atin à la Sucrerie , niais alors , & toujours, soyez en garde contre cette fureur presque générale de ramener toutes les es-


DE CULTIVER LA CANNE. 469 pèces de vesou à une même couleur , voyez Observations sur les différentes couleurs du vesou ; je fuis persuadé que cette fureur est la cause d' une grande moitié du mauvais Sucre qu'on fait. Je pourrais ajouter beaucoup de choses , mais elle feraient toutes ou la conséquence, ou l'application des principes que j'ai établis, fi l'on peut donner un nom aussi pompeux que celui de principes , a des observations qu'il faut combiner avec tant d'autres , a des règles soumises à tant d'exceptions , de restrictions & de modifications : car dans le fait, je n'ai donné que beaucoup de raisons pour douter, quelques indices pour soupçonner , fort peu ou point de moyens pour former des jugemens positifs : jose croire cependant qu'avec du goût pour cette manipulation, que j'ose a durer très-séduisante quand on y comprend quelque chose, & très-amusante par la variété & la multiplicité de ses détails, il n'y a point de propriétaire à qui le peu que j'ai dit ne suffise pour acquérir, en peu de temps, de véritables connoissances, qu'il ne s'agira que de publier pour donner lieu à de nouvelles. DU

RUM.

L'article du Rum , tout important qu'il est, fera plus succint que celui du Sucre , parce qu'il me semble que les procédés ordinaires font par-tout les mêmes,& fi simples, que je ne vois presque pas d'autre différence entre un bon Rummier & un médiocre, siG g 3


470

ESSAI

SUR L'ART

non, que l'un est naturellement allez sobre pour ne pas s'enivrer, ou allez honnête homme pour s'en abstenir de crainte des fuites, & que l'autre est communément assez ivre pour ne lavoir ce qu'il fait, pour 1aisser voler le Rum, gâter ou enlever la melasse,en faire mettre dans une pièce dix galons de plus qu'il ne faudrait, & dans une autre dix de moins ; & que fait-il ensuite , quand il s'agit de rendre compte? il a pris deux mille, je suppose, de melasse, il en accule 1500 ; il en a distillé 12, il en accuse 8 , & ce n'est qu'à la fin de la récolte que le propriétaire qui fait la quantité de Sucre qu'il a fait, voit qu'on ne lui a donne que la moitié du Rum qu'il devoit se promettre. Mais que faire pour empêcher un ivrogne de s'enivrer ? Rien. Mais il ne faut pas le prendre s'il est reconnu pour tel, il faut chasser impitoyablement celui qui s'enivre pour la féconde fois, & lorsqu'on a enfin trouve un homme qui ne s'enivre pas, avoir pour lui des égards qui l'engagent à en mériter la continuation : voyez aux détails , l'article des sous - ordres. Soyez sûr qu'il s'estimera luimême d'autant plus , que vous le chargerez d'un plus grand nombre de petits détails à portée de son laboratoire. Il finit y aller souvent , quatre fois par jour plutôt qu'une, raisonner avec lui fur les observations que vous le prierez de faire,lui recommander fréquemment de veiller fi les formes de Sucre rendent la melasse qu'elles doivent rendre, vérifier au moins une fois par semaine, le compte de la Rummerie par celui de la Su-


DE CULTIVER LA CANNE. 471 crerie, lui faire faire les mêmes vérifications, afin de relever vos erreurs par les comptes , ou les siennes par vos livres, afin aussi de trouver plutôt la raison du mal s'il y en a , & d'y porter plus promptement le remède. Ces comptes du jour , de la semaine, du mois , tiennent tout le monde en haleine , car les Nègres qui entendent fans celle parler & de comptes & de récapitulations, y comprennent très-bien la seule chose qu'il est de votre intérêt qu'ils comprennent ; savoir, que s'ils volent ou lai lient voler aujourd'hui, vous le verrez demain ou la semaine suivante , & qu'ils feront châtiés. C'est donc beaucoup plus les comptes & les récapitulations que je vous recommande , qu'aucune façon particulière de faire le Rum ; je n'en lais qu'une que tour le monde fait, mais tout le monde ne se donne pas la peine de mettre l'ordre que j'indique. Tout ce que je pourrois dire de plus, ne sauroit dispenser de suivre pendant un mois les travaux de la Rummerie, qui forment fans contredit la partie la plus facile de l'économie Rustico-Américaine; quant aux finesses de l'art, je ne les sais point, & je me borne à répéter , vérifiez toutes les semaines au moins, beaucoup plus souvent fi cela vous amuse , les comptes de la Rumerie , par ceux de la Sucrerie , de la Purgerie , de l'Etuve , c'est le grand moyen, c'est le seul moyen d'être moins volé , c'est-à-dire de faire beaucoup de Rum ; j'ai passé pour un homme sublime dans cette dernière partie ; je viens cependant de G g 4


472 ESSAI SUR L'ART, &c. découvrir tout mon secret, que je vais répéter en peu de mots. Si j'ai fait 6000 formes de Sucre , je suppose , je sai que je dois avoir tant ou tant de Rum, suivant la preuve, c'est-à-dire suivant le degré de force que j'ai fixé ; mais il j'attends la fin de l'année pour récapituler.» & qu'on ne me rende compte que d'une moitié, je verrai bien alors que j'ai perdu l'autre , mais il n'y aura plus de remède ; fi je compte au contraire dès la première semaine, que je récapitulé la suivante & celle que je m'apperçoive d'un déficit ; d'après l'on voit dès ce moment que je fais mon compte , & chacun songe à celui qu'il doit me rendre. Fin de la Cinquième & dernière Partie,


RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR

L'ART DE CULTIVER LA CANNE E T

D'EN EXTRAIRE LE SUCRE.

PREMIÈRE

PARTIE.

Histoire Naturelle de la Canne.

J supposé que la culture d'une plante devoit avoir pour baie, le temps, les bornes, & les conditions de ses développemens utiles. La Canne est une plante vivace par fa racine. La plus vieille des racines d'une souche de Cannes , plantée depuis vingt ans n'a pas au - delà de deux années , fi la pièce a été coupée annuellement. Tout l'accroissement utile de chaque Canne, en particulier , est renfermé dans un espace de 12 à 13 mois. Je crois avoir prouvé ces trois points, par l'histoire détaillée de tous les développemens

« 'AI


474 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART

de cette plante dans la terre, hors de terre

dans les différens systêmes , dans les différentes espèces de terreins , & dans les différentes espèces d'années favorables , sèches & pluvieuses.

J'ai conclu que le systême de culture qui convient à la Canne, le systême le plus avantageux au Cultivateur , fera celui qui aura ces trois points pour base , & qui les combinera le mieux, avec les effets que doivent opérer fur elle , les différentes saisons qui régnent dans les climats où on la cultive. Le moment où commence la plus longue succession de pluies, fera donc le plus propre à opérer & hâter tous ses développemens utiles. Octobre , Novembre & Décembre , font les mois fixés par les anciennes méthodes pour les plantations ; cependant, suivant le tableau , pag. 18 , Octobre , Novembre & Décembre terminent la succession des mois pluvieux ; ce font Mai & Juin qui la commencent : Mai & Juin font donc les deux mois les plus propres aux plantations ; c'est le point fondamental de mon systême. SECONDE

PARTIE.

Des anciennes méthodes , & de quelques préjugés sur les effets prétendus de l'épuisement des terres.

Indépendamment de l'opposition frappante qui se trouve entre les deux anciennes méthodes, & le point de vue simple fous lequel


DE CULTIVER LA CANNE. 475 la Canne vient d'être considérée, je prouve l'imperfection de la première méthode, par la feule incohérence de ses parties ; je m'attache plus particulièrement à découvrir les défauts de la fécondé , que je désigne par le nom de grande culture ; ses principes assez fixes, peuvent être (ai fis & attaqués. La difficulté de se procurer du plant, d'où résulte la nécessité d'être peu délicat fur le choix: La nécessité & la difficulté des recourages qui en font la fuite : Le mauvais Sucre que donnent les Cannes plantées, par le mélange inévitable des bonnes & des viciées : Enfin, le ravage des vents & des rats, m'ont paru des inconvéniens inséparables des plantations d'Octobre , Novembre j & Décembre, qui forment le premier principe du systême de la grande culture. La multiplicité des sarclages dans les rejetons , comme dans les grandes Cannes , & le luxe non-seulement inutile , mais ruineux des premières productions, font des inconvéniens attachés aux grandes distances entre les plantes, fécond principe de ce systême. Ses récoltes qu'il précipite par les raisons les plus plausibles, ne peuvent cependant se faire en aussi peu de temps, fans tripler ses moyens de toute espèce, Nègres, bâtimens, bestiaux, &c. ; tel est néanmoins son troisième principe. Les défauts des deux premiers principes font prouvés ; l'inconvénient du troisième est visible, ses avantages font douteux. Mais


476 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART la discussion que je dois faire d'un principe opposé , intéressant directement mon systême, je me fuis cru autorisé à la différer. L'objet qui me paroît le plus immédiatement nécessaire , est l'examen des prétendus effets de l'épuifement des terres. Un préjugé fâcheux & presque général, fur cet article, a donné lieu , peut-être , a l'usage des replantations fréquentes , qu'on peut regarder comme un quatrième principe du systême de la grande culture ; je crois cependant qu'il est facile, mais dans mon systême feulement, d'éloigner la nécessité des replantations ; d'ailleurs la manière dont on peut considérer le fond de la question , intéresse l'agriculture d'Europe, autant que celle de l'Amérique ; il seront temps, fans doute, qu'elles s'éclairassent mutuellement ; leurs différences locales doivent occasionner des phénomènes, dont la contradiction apparente mérite d'être approfondie, & peut donner lieu a l'établissement de nouveaux principes, ou servir à fixer les limites des anciens; dans cette vue, je cherche la vraie cause de ces effets trop réels, mais attribués mal - a - propos à l'épuisement de la terre : pour donner une idée précise de la fertilité , je compare les produits de la même plante dans différens terreins en Europe & en Amérique ; il résulte des faits généraux, & des expériences particulières dans les deux hémisphères, que la terre la plus usée ( c'est le terme dans nos Isles ), n'exige pour donner les plus belles productions , que d'être soutenue , pendant le temps nécessaire a la végétation de la plante qu'on lui confie, au point


DE CULTIVER LA CANNE. 477 de division dont celle-ci a besoin pour se perfectionner : il est donc bien probable qu'il n'y a, strictement parlant, de différence entre une terre & une autre , eu égard a la végétation , que dans le degre de porosité , & dans la

facilité à l'acquérir & à le conserver.

Or, il est impossible qu'une terre quelconque perde la faculté d'acquérir par le labour , le degré de porosité qu'elle avoit dans le principe, donc la terre ne peut s'user ; mais il est également impossible que la terre perde la faculté de conserver pendant quelque temps à l'aide du fumier, le degré de porosité acquis par le labour ; donc il fera beaucoup plus avantageux aux propriétaires de terres prétendues ruinées, usées , d'examiner fi leur peu de produit actuel, fi la nécessité de les replanter tous les deux ou trois ans, n'est pas la fuite d'un mauvais systême d'agriculture , & de chercher ensuite jusqu'à quel terme il est possible de prolonger l'action du fumier , ou comment on peut y suppléer, que de s'opiniâtrer a soutenir que la racine d'une plante vivace par cette partie, doit ce (1er irrévocablement de rejetonner dans leurs terres, non-seulement parce que dans le fait, leurs terres font trop épuisées pour ne pas contrarier, anéantir la nature à cet égard , mais parce qu'il est impossible qu'elles ne le soient pas fans retour. La différence entre mon sentiment & celui de M. Duhamel , n'est qu'apparente ; je le prouve par ses raisons plus décisives que quelques expressions qui semblent indiquer le contraire ; & je me crois enfin autorité a


478 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART présenter avec confiance , un systême qui suppose à la terre des ressources démontrées d'ailleurs par les expériences de M.Tillet. TROISIÈME

PARTIE.

Systême de la petite culture , proposé pour les Cannes à Sucre.

Avant d'exposer & d'examiner les principes du systême que je propose, je fais voir parquels degrés j'ai senti la nécessité d'étudier la Canne avant de prononcer fur ses besoins ; la perspective du ridicule attaché à toute mention de foi même , ne doit pas retenir, quand le détail des fautes que nous avons faites, préfente mieux la chaîne de nos idées, & donne des moyens plus faciles pour les apprécier. L'expérience des deux anciennes méthodes pouvoit feule m'éclairer fur les inconvéniens de l'une & de l'autre ; mais cinq années d'expérience de la grande culture , m'ouvrirent aussi les yeux fur les facultés de la terre que je ne soupçonnois pas, fur leur dépendance des saisons, dont je n'avois qu'une idée vague & insructueuse, fur les rapports du tout avec la plante que je cultivois, dont je ne m'étois point occupé, & enfin fur l'objet essentiel de toute espèce de culture, fans la connoissance duquel, toutes les autres ne pouvoient servir qu'àsubstituer une mesure équivoque, a celle qu'on avoit adoptée fans réflexion. C'est de l'objet final de l'Agriculteur que


DE CULTIVER LA CANNE. 479 doivent naître les caractères d'un bon & d'un mauvais systême d'agriculture. L'extraction de tout le produit possible de la terre , es cet objet ; cette extraction suppose l'emploi de tous les moyens possibles dans les temps les plus avantageux ; c'est donc fur cet objet ainsi considéré , qu'il faut juger les principes fui vans. Premier principe. Dans un pays où l'usage des jachères est inconnu , les probabilités doivent être en faveur des récoltes annuelles fur toute la terre , contre celles qu'on ne peut faire annuellement que fur quelques unes de ses parties. Second principe. L'expérience démontre la nécessité de quelques replantations annuelles ; c'est la quantité de ces replantions qu'il faut trouver. Troisième principe. L'expérience prouve aussi que la beauté de la Canne ( espèce d'hygromètre dont chaque nœud dépose Je degré d'humidité de la terre dans la semaine ou il a paru) est bien plutôt l'effet de la saison de la culture , que d'une distance entre les souches , plus considérable que trois pieds en tout sens d'un centre à l'autre terreins.

dans les meilleurs

Quatrième principe. La plus longue succession de pluies commence en Mai & Juin ; elle promet fans interruption dans les années communes , les plus grands développemens utiles des Cannes plantées dans ces deux mois ; Mai & Juin sont donc les deux mois les plus propres aux plantations.

Cinquième principe. La possibilité du re-


480 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART tarderaient des pluies, indique la nécessité de prolonger la récolte jusqu'aux temps où il peut être encore nécessaire de planter ou de recourir ; la récolte ne doit donc pas finir , année commune , avant le 30 de Juin.

Sixième principe. Le temps nécessaire à la préparation de la terre oblige de commencer la récolte par la pièce qu'on doit replanter.

Septième principe. Les deux dernières rai» sons combinées avec la confédération de reflet des saisons fur la qualité au Sucre , doivent déterminer à renfermer la récolte dans les six premiers mois de l'année.

Telles font les rai sons générales que préfente l'exposition des principes. L'examen de chaque principe en exige de particulières; niais le degré d'intérêt qu'on doit prendre a cet examen, doit avoir les mêmes bornes que la praticabilité du systême : je dois donc examiner préalablement. I°. Si lAttelier qui suffit aux opérations du systême de la grande culture peut suffire aux opérations de la petite.

L'affirmative est prouvée par la comparaison des unes & des autres. 2°.

Si le systême de la petite culture convient à

l'Attelier le plus foible.

L'affirmative est prouvée par le résultat de l'application des forces, dans des temps propres Se dans des temps contraires. 3°. S'il convient relativement à la détérioration supposée possible de la terre.

L'affirmative est prouvée par le temps libre qu'il donne pour la préparation des moyens qui peuvent l'améliorer. 4°. S'il


DE CULTIVER LA CANNE. 481 4°. S'il convient à plusieurs espèces de terre.

L'affirmative est prouvée par l'examen des rapports qui existent non-seulement entre les besoins d'une plante, & les moyens de subsistance que renferme la terre, mais encore entre la flexibilité des canaux qui recèlent cette subsistance , & la rigidité des organes dont la plante est douée pour se 1'approprier. 5°. S'il convient également aux terres sèches & humides , aux plus arides & aux plus fertiles.

La discussion la plus scrupuleuse de cette question porte a croire que le degré de sécheresse & d' aridité qui obligerait d'abandonner le systême de la petite culture , obligerait bientôt après a abandonner celui de la grande, & à chercher quelqu'autre plante plus convenable au fol. 6°. S'il convient sous toutes les latitudes où la Canne peut être un objet de culture lucrative : ques-

tion importante où il s'agit de fixer les bornes où doit s'arrêter un systême de culture proposé pour une plante qui intéresse tant de peuples & de pays. L'affirmative est prouvée par l'histoire de la Canne dans toutes les saisons, & par 1' histoire des saisons qui précèdent & qui suivent le moment où le soleil passe au zénith des différens pays qui font entre les deux tropiques, les seuls probablement où la Canne puisse être cultivée avec avantage.

Examen du premier principe.

Le premier principe, rapproché du sixiè*H h


482 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART me, préfente une perte d'un cinquième fur le produit des Cannes plantées , une perte d'un douzième fur le produit des rejetons, & une perte indéfinie fur la maturité. Avant de discuter les deux premières pertes, j'entre dans quelques détails fur la maturité ; ce mot dans la bouche du plus grand nombre , n'a point de feus, ou n'en a qu'un manifestement faux. Le dessèchement, & fur - tout la chute de la feuille, constatent ce que j'appelle la maturité absolue de la Canne ; la maturité relative au Sucre, n'est point l'effet de l'âge , mais de .la saison ; la moindre réflexion fur un point de fait, qu'on ne pourra contester , quoique personne, peut-être, n'y ait fait attention , suffira pour démontrer la fausseté de l'opinion générale a cet égard ; le huitième au moins de tout le Sucre qui se fait en Amérique , est le produit de nœuds qui n'existoient qu'en herbe trois mois aupa-" ravant & l'on fait du Sucre dans plusieurs endroits pendant huit mois de l'année , dans quelques habitations on en fait continuellement.

La perte prouvée nulle relativement à la maturité , il est facile d'évaluer celle qui résulte de l'anticipation des coupes , tant à l'égard des rejetons , qu'à celui des Cannes plantées: deux tableaux des mois de végétation, & des mois de noeuds dans les deux systêmes (voy. p. 140 &s. ), prouvent que l'anticipation des coupes est balancée par un nombre plus considérable de plantes à couper ; le premier tableau offre , dans mon systême , un avantage d'une année fur sept, le fécond , celui d'une année fur huit ; j'ai différé quel-


DE CULTIVER LA CANNE. 483 ques détails qui portent plus haut cet avantage.

Examen du second principe, La nécessité de replanter annuellement une partie de fa terre,est un point fi généralement admis, qu'il paroît inutile de le discuter ; c'est néanmoins celui dont l'application demandé le plus de réflexion & d'expérience ; car enfin, quelle quantité doit être replantée ? est-ce un sixième ? est - ce une moitié ? Les frais de là replantation feule font triples dans le dernier cas. D'ailleurs , la difficulté de la décision paroît augmenter par l'exposition d'un problême qui semble demander autant de loi lirions différentes qu'il y a de pièces de terre fur chaque habitation;mais la solution générale une fois trouvée , les solutions particulières ne peuvent en être que l'application Se la conséquence. Il s'agit de trouver l'espèce & le temps du travail qui peut donner , l'espèce & la quantité' de fumier qui peut conserver, à une pièce de terre inférieure ou mouvaise , le degré de fertilité reconnu dans la terre excellente.

Il semble résulter de six faits que j'allègue , que les recherches a ces différens égards, ne peuvent être long-temps infructueuses. Il résulte aussi de quelques essais détaillés, qui ne font autre chose que la doctrine même des six faits présentés fous un autre point de vue, qu'on peut proposer avec confiance comme base de la discussion dont il s'agit, & même comme principe universel d'agriculture ,

Hh 2


484 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART le résultat mentionné plus haut, feulement, comme probable, de mes observations fur les effets du prétendu épuisement des terres, lavoir , qu'il n'y a de différence entre une terre & une autre , eu égard à la végétation , que dans le degré de porosité qui se trouve naturellement entre leurs parties , & dans la facilité d'acquérir & de conserver le degré de porosité nécessaire.

Or, il cil aisé d'évaluer le degré de porosité de la terre la plus excellente comme de la plus mauvaise, en prenant pour démonstrateur la quantité de leur produit ; il n'est pas plus difficile de calculer, après l'addition d'une certaine espèce, & d'une certaine quantité de fumier, la différence entre l'ancien & le nouveau produit de la mauvaise terre, & d'ajouter ce qui lui manque pour former la balance entre le nouveau produit & celui de la plus excellente ; mais pour déterminer plus précisément l'usage de ces matériaux , je fuis obligé d'établir une nouvelle division des terres plus analogue à l'intérêt le plus essentiel de chaque Cultivateur, qui ne peut être que de connoître le rapport précis de sa terre , avec les besoins de la plante dont il peut attendre le plus de produit réalisé.

Le foible point auquel je luis borné dans le vaste horison, que ce peu de mots découvre aux yeux du Cultivateur en général, cil Yexamen des espéces de terre où la culture de la Canne peut être avantageuse , & du régime qui convient à chacune de ces espèces.

Le fumier, comme je viens de le dire , est un moyen simple, je dirai même qu'il cil la feule pierre de touche qui puisse désigner positivement les différentes qualités des ter-


DE CULTIVER LA CANNE. 485 l'es; la première qualité est incontestablement celle dont la moindre quantité de fumier altéreroit les productions en paroissant ajouter à leur beauté : le rapport précis du produit fans fumier d'une terre quelconque , au produit de cette première qualité, décidera de la qualité de celle qui fera l'objet de l'examen & du régime qui lui convient, en fixant l'étendue du sacrifice qu'elle exigerait en bestiaux & en prairies pour être portée au produit de la première ; & l'étendue de ce sacrifice paroît fixer a la quatrième qualité, le point auquel il faudrait substituer a la culture de la Canne, celle d'une plante moins exigeante. Or , toute espèce de terre élevée par le fumier jusqu'au produit de la plus excellente, doit participer a ses autres avantages, parmi lesquels on est obligé de reconnoître celui de n'avoir besoin d'être replantée que tous les six ans, ce qui borne à la sixième partie de la terre consacrée aux Cannes, celle qu' on doit replanter annuellement ; on trouvera parla suite de nou-

velles preuves de ce principe, & de nouveaux moyens d'en assurer le succès. Mais la perspective des sacrifices nécessaires pour procurer à la plus grande partie des terres ; l'avantage dont nous venons de parler, pourroi t décourager beaucoup de cultivateurs, j'oppoe à cette perspective , celle de l'augmentation des produits que ces sacrifices doivent opérer ; elle fera d'un tiers fur les terres de la troisième qualité, & d'une moitié fur celles de la quatrième, indépendamment du bénéfice particulier que la partie fondamentale de ma méthode procure à toutes les esH h 3


486

RÉSUMÉ

DE

L'ESSAI SUR L'ART

pèces de terre , comme on peut veut le voir dans le détail des différens essais. L'augmentation des produits semble devoir inquiéter sur le prix qui doit en être la suite : quoique ce

nouveau point ne puisse être discuté a fond, fans traiter de la même manière, les questions les plus profondes de l'administration éconoinique & politique , dont l'issue probable de la guerre préfente altérera peut - être les anciens principes; j'ose prévoir l'heureuse nécessité de chercher & d'adopter alors, ceux qui peuvent favori fer les plus grandes consommations en tout genre,d'où naîtra le plus haut, c'est-à-dire le plus juste prix de toutes les productions soit de l'art, soit de la nature : l'impulsion est donnée; quel que puisse être ou avoir été l'objet & l'intérêt supposé des moteurs , le poids spécifique décidera bientôt seul de la distance des différens tourbillons au centre ; l'opération la plus utile seroit peutêtre de prévoir fa place, & de s'y préparer.

Examen du troisième principe. L'examen de ce principe porte fur deux points : quelle est la distance entre les souches , la plus avantageuse aux plantes ? & quelle est la profondeur qu'il suffit de donner aux folles, pour obtenir l'effet de la distance trouvée la plus avantageuse ? L'objet n'est pas de trouver quelle distance entre les louches , peut procurer a chacune des plantes qui la composent , les dimensions les plus prodigieuses en longueur & en grosseur, mais quelle distance peut pro-


DE CULTIVER LA CANNE.

487

curer dans le total, la plus grande quantité du jus le plus chargé de Sucre. Le préjugé que doit inspirer contre mon troisième principe , l'opinion de MM. Tull & Duhamel, fur les distances les plus avantage uses entre les grains de bled , me détermine à exposer leurs raisons, & je prouve combien leur systême appliqué a la Canne , contrarieroit les indications des besoins de cette plante , & la nature du climat où on la cultive. J'examine quelle est l'espèce de nourriture nécessaire & suffisante à la Canne. Il paroît évident que ce n'est autre chose qu'une partie de terre fur six cent parties d'eau ; or, toute l'humidité qu'absorbe le soleil lorsqu'il frappe long - temps fur de grands intervalles découverts , est autant d'enlevé fur cette portion de nourriture , que de moindres intervalles plutôt ombragés enflent conservé ; d'après un calcul du nombre , & un examen de la. qualité des Cannes qui se trouvent dans une fosse de cinq pieds, garnie de trois, plans-,& les mêmes précautions fur le nombre des Cannes qui se trouvent dans quatre folles de deux pieds & demi chacune, garnies éga lement, il n'est pas possible de clouter qu'une plus grande quantité d'humidité conservée dans des espaces plutôt couverts, donne dans le détail une plus grande quantité de produits ; car en supposant dans la terre 60 d'humidité, dont 30 feraient absorbés par le soleil , les 30 d'humidité reliante , partagés entre 17 plantes, produit ordinaire des folles de cinq pieds, l'une dans l'autre , préfente Hh4


488 RESUME DE L'ESSAI SUR L'ART à la vérité , dans chacune des 15 plantes, la portion imposante de 30 d'humidité , ce qui fait 2 pour chacune; les productions feront donc très-belles dans de grands espaces ; mais il n'en est pas moins vrai que ces mêmes 30 d'humidité reliante, joints aux 30 d'humidité qu'on peut conserver en ombrageant plutôt la terre, répartis entre 48 plantes qui le trouvent dans mes quatre fortes placées dans l'espace d'une feule , feront pour chacune de mes 48 Cannes, un & un quart ; & que le produit total de 60 fera finalement plus considérable que celui de fa moitié. Ce point de vue décidera donc pour une quantité plus considérable de produit réel en suivant mon principe. Quant a la qualité du jus , l'expérience générale décide aussi en faveur des productions ordinaires. Cette même expérience prouve la nullité des effets de la plus grande circulation de l'air dans de grands intervalles, jusqu'ici estimée fi nécessaire aux plantes pour les perfectionner. Je parte ensuite aux raisons qui me déterminent pour une profondeur de six pouces & quelquefois moindre : C'est, 1°. le danger d'altérer souvent la terre du dessus, par le mélange de celle du dessous, très-souvent inférieure, quelquefois très- mauvaise. 2°. Un espèce de tableau généalogique des rejetons de quatre années, par lequel il est visible que les nœuds qui les produisent font toujours près de la superficie de la terre.


DE CULTIVER LA CANNE. 489 3°. L'inspection des différens ordres de racines, & leur destination très-probable. 4°. Les effets de 'a multiplication des plans de racines du troisième ordre, suite de la grande profondeur des fosses , chacun de ces plans est visiblement un nœud sacrifié fans utilité. Enfin , ce qui paroît décider en faveur de mon opinion tant fur la profondeur que fur la largeur des fosses, c'est l'expérience de toutes les dimensions, des plus petites comme des plus énormes ; les dimensions nécessaires & suffisantes, font celles qui ne laissent entre suffisant les plantes que l'espace nécessaire pour les cultiver; deux pieds & demi , ou trois pieds, suivant le terrein , suffisent pour la façon ordinaire de travailler à la houe ; j'annonce quelques idées, dans la partie des détails , fur le travail de la charrue, qui exigera une distance un peu plus considérable.

Examen du quatrième principe. Tout l'accroissement de la Canne étant renfermé , comme on l'a vu dans Ion histoire, dans un espace de 12. à 13 mois, il ne peut y avoir d'autre objection raisonnable contre le temps des plantations, fixé pour le 11e. degré de latitude, en Mai & Juin , où commence ordinairement la plus longue succession de pluies, que la possibilité du retardement des premières ondées suffisantes , & l'incertitude de leur continuation; je retorque l'objection contre les sectateurs des


490 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART plantations d'Octobre & de Novembre, Se d'après les raisons qu'ils ne manquent jamais d'alléguer dans tous les cas où ces deux mois font également fans pluie, pour se démontrer qu'il vaudra mieux, cette année-là, planter en Juin , que de retarder jusqu'a la fin de l'année, je me confirme dans mon principe, sauf la ressource qui ne m'est pas interdite , comme pis aller, de planter en Octobre & Novembre , dans les cas extraordinaires de sécheresse prolongée jusqu'en Ao ût. Le temps des plantations décidé , un nouveau problême se préfente , il ne suffit pas de savoir , comme nous l'avons appris par l'examen du premier & du sixième principe,

quel est le degré d'accroissement qu'il faut laisser prendre aux Cannes plantées pour trouver dans les rejetons une vigueur qui dédommage avec usure de la perte qu'on fait sur une coupe anticipée : il est

essentiel de savoir aussi , Quelle est l'espéce de culture qu'il faut donner , & qu'il suffit de donner à la Canne pour y réussir. Je cherche , dans mes observations sur la manière de fossoyer , de planter & de traiter les Cannes plantées a proportionner les différentes pré-

parations de la terre, a l'état de la plante dans les différens degrés de son accroissement, de manière que les facultés, de l'une répondent toujours aux besoins de l'autre, & qu'on ne fasse jamais au-delà du travail néceflaire pour produire ces facultés dans les temps requis, tel est le but de chacune des opérations que je propose, on doit les juger fur ces deux points.


DE CULTIVER LA CANNE. 491 Examen du cinquième. & du septième principe. Il ne suffisoit pas d'établir fur des raisons d'économie & de prudence , l'avantage de consacrer six mois entiers à la récolte ; de la partager a-peu-près également entre les six mois, de réserver même la plus forte pour les six dernières semaines destinées aux plantations ; il falloit aussi répondre aux objections qui déterminent communément a renfermer a grands frais , dans quatre mois, l'opération que j'étends jusqu'à six : je prouve qu'en reculant les bornes de la récolte , je n'affecte ni la quantité du Sucre , ni fa qualité : je n'affecte point la quantité, puisque la feule différence que j'aie pu observer dans le jus de la Canne , considéré dans chacun des six mois que je prescris, c'est que la même quantité de jus est toujours contenue dans la même espèce & quantité de Cannes , mais qu'elle y est divisée , suivant le plus ou moins de pluie, dans une plus grande ou moindre quantité d'eau : quant a l'effet de cet lin peu plus ou moins de pluie, fur la qualité de la matière, le Sucre n'est autre chose que le sel essentiel de la Canne; le peu de matieres hétérogènes dont il se trouve plus chargé pendant les pluies modérées de Janvier & de Juin, n'exigent alors du Rafineur, qu'un peu plus de connoissance & d'attention.


492 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART Expériences relatives aux principes. Mes idées fur les différens objets traités jusqu'ici , font confirmées par trois expériences qui me paroissent décisives : la première prouve que ce n'est pas l'âge des Cannes , mais le dessèchement de la feuille qui constitue la maturité de chaque noeud , & qu'ainsi le sacrifice du huitième nœud se réduit au sacrifice du huitième du Sucre. La fécondé expérience préfente un dédommagement usuraire de ce sacrifice , dans la vigueur confiante que l'anticipation annuelle des coupes a donné pendant six ans à une pièce de rejetons. La troisième expérience confirme le résultat de la première , & prouve de plus que vingt quartes d'une terre inférieure, cultivés comme ils devraient l'être, donneraient peu au-dessous de 20 quarrés de la plus excellente terre, & autant que 30 de la terre inférieure, cultivés suivant la méthode ordinaire : c'étoit l'objet des Essais proposés , dont le résultat acquiert bientôt de nouvelles probabilités. Systême de la petite culture réduit en pratique.

Avant d'établir mes règles de détail, j'indique aux propriétaires absens l'unique moyen peut-être d'en assurer l'exécution , par la facilité qu'il procure de vérifier les opérations par leurs fuites: je donne l'idée d'un établissement colonial, intéressant pour les sciences, pour les progrès de l'agriculture, les opéra-


DE CULTIVER LA CANNE. 493 tions du commerce , la tranquillité des propriétaires absens, & la justification des Economes. Le tableau détaillé des pluies , dont je spécifie ensuite plus particulièrement l'usage, préfente le modèle du registre dont on peut attendre ces divers objets ; j'ose même supposer l'utilité d'un pareil établissement en Europe, mais son effet est infaillible en Amérique, j'en donne les rai sons. Indépendamment de cet établissement public , j'assujettis l'Econome à tenir un journal exact de la pluie & des travaux, il doit l'envoyer tous les mois. Je maintiens constamment la même quantité de moyens reconnus un peu supérieurs à l'exécution du plan prescrit. Ces deux règles doivent être invariables. Les autres règles font moins précises ; mais après l'examen des circonctances qui peuvent exiger quelques altérations ou modifications, on doit se rapprocher , autant qu'il est possible, de cette immutabilité , de laquelle feule on peut prédire les effets. La division du total des Nègres en deux Atteliers, dont le plus fort est chargé de la récolte , l'autre plus foible , mais fous les ordres du premier Commandeur, doit nonfeulement préparer la terre pour les plantations , mais subvenir aux accidens imprévus & aux farci âges ; les maximes relatives a la qualité & à la" position du terrein : les attentions nécessaires pour faciliter les différentes opérations ; & les temps enfin qui paroissent les plus convenables à chacune, forment les objets des 21 dernières règles, qui


494 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART

font suivies du précis de mon systême ; m planter annuellement que la quantité de terre , que celle de votre fumier & de vos Nègres peut égaler à la bonne , & la planter dans le temps qui doit procurer à la Canne la plus prompte & la plus égale succession de ses développemens utiles. La récapitulation des six premiers mois préfente un tableau du travail que peuvent faire aisément les deux Atteliers, tableau fur lequel l'Econome a dû examiner journellement celui qu'ils ont fait en réalité ! Le travail de chaque mois en particulier, détaillé de la même façon , & suivi avec la même exactitude , laisse peu de chose au ha fard ; le travail d'Août & de Septembre, ajoute de nouvelles probabilités a la solution préparée du problème proposé ; ces probabilités augmentent par la considération des moyens que l'emploi des trois derniers mois fournit annuellement pour y réussir. Dans le Parallèle des deux systêmes le double tableau de l'application de leurs forces respectives, aux mêmes objets dans des temps différens, explique le mystère de no journées libres qu'on ne peut espérer que de l'ensemble de mon systême, c'est-à-dire de l'immutabilité du plan & de l'ordre aussi invariable qu'il est possible dans les détails & les époques des travaux. Je présente même, relativement aux Nègres, les dangers qui résulteroient de toute espèce d'innovation , à moins que par des actes non interrompus de bonté , de fermeté & de justice , le maître n'eût eu l'habileté de subjuguer totalement leur con-


De cultiver la canne. 495 fiance ; dans ce cas, il peut tout oser ( 1 ). QUATRIEME DÉTAILS

ET

PARTIE. VUES

De la police intérieure de l'habitation.

Que serviroit-il d'avoir tracé le meilleur plan possible , fi un vice de police intérieure attaquoit lourdement & journellement les moyens d'exécution ? Vos Nègres, votre Econme, les sous-ordres blancs que vous donnez a celuici pour faciliter les opérations que vous avez prescrites, tels font les objets dont je m'occupe dans le premier article. Ici l'intérêt le plus sévèrement calculé, de la cupidité la plus sordide , & l'attrait le plus satisfaisant de l'humanité la plus compatissante, se réu ni lient pour dicter , indépendamment des loix souvent insuffisantes , des règlemens domestiques d'où dépendent la plus grande opulence du maître, & le plus grand avantage de tous ceux qui doivent y concourir ; puisse le motif de l'intérêt général vraiment inséparable de l'intérêt particulier, déterminer l'autorité législative à s'occuper des moyens

(1) S'il est permis de comparer l'infiniment grand à l'infiniment petit , il est un Prince en Europe , qui, s'il continue à gouverner sur les principes qui paroissent l'avoir guide jusqu'à ce jour , pourra bientôt à son gré tout changer , tout bouleverser dans son Empire , fans y causer d'autre inquiétude réelle, que celle qui doit naître de l'incertitude de la vie la plus précieuse ; comme de la vie la plus inutile.


496 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART d'établir , a l'égard des points essentiels de ces règlemens , l'uniformité qui peut feule en compléter le succès.

Des fumiers. J'ai déterminé, par le raisonnement & l'expérience , quels étoient les rapports vraiment décisifs entre la plante & le théâtre où s'opèrent ses développemens , & j'ai reconnu la nécessité du fumier pour maintenir ces rapports , c'est-à dire pour soutenir la terre, le plus longtemps possible,au degré de porosité requis pour donner à la Canne cette espèce de perfection relative au plus grand intérêt du cultivateur ; je fais voir maintenant combien le plan que j' ai proposé pour la distribution des travaux, donne de temps & de facilité pour la préparation & le charroi des fumiers; mais je crois d'autant plus né ce (Ta ire de prouver le danger des écuries en Amérique, qu'elles présentent une perspective très - séduisante pour le point dont il s'agit ; je raconte à quel prix j'ai acheté le droit de proposer à cet égard. Je m'occupe ensuite des moyens d'augmenter les fumiers ; celui d'augmenter le nombre des bestiaux , est le premier qui se présente , je calcule la quantité qu'il est possible d'en nourrir pendant la récolte ; mais la difficulté de pourvoir à leur subsistance, après que la récolte est faite, fuis un sacrifice auquel il ne faut pas le réfoudre fans nécessité , me détermine à recommander un usage pratiqué dans quelques Mes ; on y fait pendant


DE CULTIVER LA CANNE. 497 dant la récolte , des amas de têtes de Cannes pour l'arrière-saison ; nous avons déjà la preuve que les bestiaux les recherchent dans notre Isle, même quand elles paroissent dépouillées de toute espèce de substance nutritive ; c'est du moins un essai à faire. Un fécond essai consiste dans le mélange des terres grasses & des terres légères, il peut suppléer en partie au fumier, le succès prodigieux & confiant de cette expérience dans la comté de Norfolk, me paroît plus que capable de balancer la dépense qu'il exige ; je crois cependant devoir prémunir contre l'appas d'une première expérience fur une trop grande quantité de terre : la qualité de chaque partie destinée à composer le mélange, doit être parfaitement connue. J'ose aussi proposer l'essai de quelques arbres répandus dans les pièces de Cannes , à des distances que l'expérience feule doit fixer ; ils romproient , ce me semble , l'effort des vents, garantiroient en partie des effets du hâle , & conserveroient fur les parties ombragées, l'humidité fans laquelle toute espèce d'engrais seroit plus nuisible qu'avantageue. Je" termine enfin cet article par quelques détails fur le chauffage qui présentent une autre source d'amendemens, dont je ne dois l'idée qu'a des circonstances totalement étrangères à cet objet.

Des fourmis. Les fourmis font le seul fléau de la Canne , contre lequel la nature ou l'industrie n'aient *I i


498 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART offert jusqu'ici quelque remède ; si celui que je propose contre ces insectes, est efficace, la récompense que plusieurs Isles ont promise au succès, ne m'appartient point, elle cil due à celui qui m'en a donné l'idée , je nommerai le restaurateur de quantité de familles presque ruinées. S'il ne réussit pas, je propose encore mon systême, comme le seul qui paroisse convenir, après les observations des temps où les ravages de ces formidables insectes font les plus sensibles ; je trace le plan d'opérations le plus analogue aux circonstances du climat, des développemens de des obstacles qu'ils trouvent la plante , dans un fléau qui peut devenir général, & ruiner la branche la plus précieuse du commerce des Indes occidentales. Des Moulins à Sucre.

Dans quelques hommes le desir insurmontable de perfectionner dans la plupart d'entr'eux l'espoir aveugle d'y réussir même fans principes qui puissent justifier ce desir , expolent les Sociétés littéraires en Europe, a perdre beaucoup de temps à examiner , & les intéressés en Amérique a dépenser des sommes considérables à exécuter, des machines dont on se promet les plus grands succès ; je donne un moyen sûr pour apprécier d'un coup d'oeil toutes les espèces de moulins a Sucre qu'on pourra proposer à l'avenir ; je fais connoître la résistance des Cannes , le temps dans lequel elle doit être vaincue pour obtenir une quantité donnée de jus, & la


DE CULTIVER LA CANNE. 499 Quantité de jus nécessaire au grands & aux médiocres établissemens. Du Parcage des Moutons.

La nécessité des fumiers prouvée , il n'y aura d'incertitude fur l'adoption de tous les moyens qui pourront en procurer, qu'aussi long-temps que durera l'examen des difficultés & des inconvéniens attachés a l'emploi de ces moyens ; le parcage des moutons pratiqué avec tant de succès, de facilité , & Il peu d'inconvéniens en Europe , auroit-il quelque désavantage a ces différens égards en Amérique ? je crois prouver le contraire. J'examine toutes les objections qui le présentent a mon esprit , je n'en trouve aucune qui balance l'avantage de fumer parfaitement trois quarrés , fans frais , & pour ainsi dire fans s'en appercevoir. L'essai d'ailleurs qui ne préfente aucun risque , offre cependant a l'Europe dans nos laines , la perspective d'une nouvelle branche de commerce; à les Manufactures des matières probablement supérieures à celles de l'ancien monde ; & a nos Isles, plus de ressources pour la vie dans la feule augmentation des troupeaux. Des Labours à la charrue.

Labourer c'est diviser la terre, pas un mot de plus. Ce principe une fois reconnu, épargnerait bien des fautes : on en conclurait nécessairement en Amérique que l'instruI i 2


500 RESUME DE L'ESSAI SUR L'ART ment de la division est indifférent, qu'ainsi la charrue est préférable à la houe , puisqu'elle est plus expéditive ; mais on en conclurait aussi en Europe que par-tout où cette division seroit naturellement proportionnée aux besoins de la plante qu'on auroit dessein de cultiver, toute espèce de travail ultérieur seroit non-seulement inutile mais pernicieuse ; l'expérience des récoltes considérables en bled dans l'Isle de Bourbon, où l'on ne donne qu'un coup de houe pour les obtenir dans les nouveaux défrichés, ne prouvet-elle pas le tort qu'on a en Europe , de donner aux terres engraissées depuis un sièelé par les débris des bois dont elles ont été couvertes , des labours multipliés dont l'unique effet est d'éloigner le moment où ces terres feront réduites au degré de porosité nécessaire pour produire la plus grande quantité de bled ? c'est une idée que je propose avec toute la défiance qui convient à un homme peu instruit , mais qui ne peut se refuser à aucune des idées qui lui paroissoit mériter d'être approfondies, soit en Europe , soit dans quelque autre partie du monde. Quels peuvent être réellement les effets des influences de l'air fur une terre ouverte par la charrue ou par la houe ? ceux qu'opéreroient à plus grands frais, une plus grande quantité de labours ; gardez donc & des labours & des influences de l'air , les terres déjà trop ou assez divisées. La division de la terre à un certain degré , établie comme l'unique état de la terre, qu'il


DE CULTIVER LA CANNE. 501 soit nécessaire d'entretenir pour opérer la végétation la plus utile , & les sacrifices qu'exigerait pour les terres inférieures l'augmentation du fumier qu'il faudrait pour obtenir cet effet pendant un nombre d'années considérables, m'a fait imaginer d'adapter à la Canne , le systême de M. Tull, contre lequel je ne vois a cet égard , aucune des objections qui peuvent arrêter dans son application à la culture du bled -, je donne un plan de travaux, relatif a l'état où se trouve la plante aux époques que j'assigne pour ces travaux ; l'expérience bien mieux que le raisonnnement indiquera les modifications où les changemens nécessaires dans un- plan que je n'ose cependant proposer qu'après l'avoir autant que je l'ai pu, médité & examiné dans toutes ses fuites , le public est maintenant instruit de mes idées, il y joindra les siennes , & conséquemment jugera mieux que moi. De l'usage qu'on peut faire du Tableau détaillé des pluies

(1).

L'idée de fou mettre au calcul, des récoltes qui semblent n'être que l'effet de saisons toujours incertaines , ne peut paraître singulière , qu'à ceux qui ne réfléchiront pas qu'il n'y a d'autre différence entre une culture raisonnée telle que je la propose, & la

(1) Cet Article est plutôt un supplément qu'un réfumé.

I i 3


502 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART culture machinale qui est en usage , fin oit que l'une présente les résultats détaillés de calculs actuels qu'il est aile de vérifier, & l'autre offre des conséquences aussi précités de calculs supposés , que personne ne s'est encore donné la peine de faire ; car enfin l'on ne plante en Octobre & Novembre que parce qu'on suppose qu'il a été observé depuis long-temps que ce n'est qu'alors , qu'il pleut assez pour hasarder la plantation. On suppose donc un point fixe , une quantité de pluie déterminée & reconnue nécessaire : quelle est cette quantité ? C'est ce qu'on ignore , & ce dont je crois avoir prouvé que la découverte ne pouvoir être qu'avantageuse & facile. Même raisonnement pour la quantité des plantations a renouveller annuellement, & pour le temps propre a la récolte : chacun après avoir pris son parti, suppose que tout est calculé , & procède. Je propose une méthode contraire , & je donne un moyen infaillible non - feulement pour ruiner mon systême s'il n'est pas juste , mais pour trouver le systême véritable: je fuis donc certain que du moins fous ce point de vue , mon ouvrage doit être utile. La dépense publique pour l'établissement colonial fi nécessaire à cet objet , montera tout au plus à la somme de 24 livres pour chaque quartier , & la dépense particulière, a la même somme pour chaque habitation; c'est le prix de la machine nécessaire pour recevoir la pluie; il ne s'agira plus que de la placer dans un endroit où rien ne la do-


DE CULTIVER LA CANNE. 503 mine. Le modèle que j'ai donné du registre ou journal à tenir, & qui n'exige pas trois minutes par 24 heures , ne lai fie aucun doute fur la facilité & la justesse de l'opération. Quant à l'application que j'en ai hasardée, je n'ai fait en cela comme dans tout le reste, que développer des suppositions implicites , que le moins raisonneur des Agriculteurs ne manque jamais défaire; car le sommaire de ces suppositions implicites consiste dans ces deux propositions: fi nous avons une bonne saison, nous ferons beaucoup de Sucre, nous ferons peu de Sucre fi nous avons une mauvaise saison ; j'examine ce qui constituera infailliblement la bonne & la mauvaise ; je crois voir qu'elles consistent l'une & l'autre beaucoup moins dans la quantité de pluie , toujours supérieure en total aux besoins des plantes, que dans les époques où la terre est arrosée : les moindres intervalles entre des grains modérés , forment évidemment la combinaison la plus avantageuse ; mais quels intervalles font nécessaires & suffisans , quelle quantité d'eau est suffisante & nécessaire , c'est ce qu'on ignore entièrement, & ce qu'il fera aisé de déterminer après une fuite de peu d'années d'observations exactes, qu'on ne peut se flatter d'obtenir que de rétablissement proposé , j'ai cependant hasardé des conjectures dont voici la base. Du 11 Février au 7 Mai inclusivement, je ne vois au tableau ( tableau d'une année telle que je n'en desire point de plus favorable) que 4 pouces 4 dixièmes de pluie; H 4


504 RÉSUME DE L'ESSAI SUR L'ART donc l'ardeur la plus vive du soleil, sus le onzième degré de latitude , laisse à la terre pendant 76 jours qui n'ont donne que4 pouces 4 dixièmes de pluie , l'humidité dont les Cannes & les rejetons qui couvrent la terre , ont besoin pour recevoir un accroisssement peu considérable à la vérité, mais suffisant, puisque rien n'a souffert cette année-là. Quant aux plantes qui ne couvrent pas la terre , nous avons toujours observé que les Cannes plantées en Octobre & Novembre , parvenues à cette époque du 21 Février, ont cessé de croître sensiblement, & n'ont pas donné un seul jet ultérieur jusqu'au 8 Mai ; je les ai suivies allez régulièrement de semaine en semaine ; je n'y ai vu généralement pendant deux mois & demi que cinq a six jets par fosse , grande comme petite ; c'étoit les premières productions du plant ; donc 76 jours d'un soleil vif & brûlant fur une terre découverte , Se qui durant tout ce temps n'est arrosée que de 4 pouces & 4 dixièmes de pluie, à la distance des jours spécifiés dans le tableau , n'y laisse que le degré d'humidité nécessaire pour entretenir a ssez, strictement la Canne, au point où elle se trouve lors de la sécheresse décidée , & rien de ce qu'il faudroit pour lui procurer des développemens ultérieurs , j'entends utiles, car une cessation absolue de développemens, supposeroit une stagnation de fuss, qui precéderoit de très-peu leur dépravation , qui ferait bientôt suivie de la mort de la plante : donc toute quantité ultérieure de pluie doit occasionner fur les terres même découvertes,


DE CULTIVER LA CANNE. 505 des développemens d'autant plus senfibles que cette quantité fera plus considérable. Or , quelle quantité d'eau seroit nécessaire dans le total, pour procurer les plus grands développemens utiles? Voici encore quelques conjectures, en attendant le prononcé de l'expérienee qu'on doit acquérir par les observations de l'établissement colonial. L'accroissement le plus considérable des plantes cultivées dans les prairies artificielles en Europe, se trouve a-peu-près renfermé dans les trois mois d'Avril , de Mai & de Juin ; or , il ne tombe pas ordinairement dans ces trois mois, au-delà de huit pouces d'eau ; cependant un arpent de ces prairies artificielles , qui n'est que le tiers de notre quarré , bien entretenu, donne souvent audelà de quarante milliers pesant d'herbes vertes , quelquefois au - delà de cinquante fi un peu de fumier a favorisé l'action de la pluie -, or, 150 milliers pesant de Cannes vertes, par quarré , formeraient le poids d'une récolte annuelle qui satisferoit l'habitant le plus avide ; donc 24 pouces d'eau , partagés à des époques convenables pendant les neuf mois ou s'opèrent les grands développemens de nos Cannes, suffiroient probablement , à fort peu de chose près, pour cette végétation Amériquaine : donc les 107 pouces que le tableau de 1772 à 1773 , nous préfente , ne font quelquefois insuffisans, que par les époques désavantageuses où les terres font arrosées , c'est-à dire , qu'il y a trop d'averses, trop peu de grains modérés, & trop de distance entre les unes & les au-


506 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART très : donc les 77 pouces d'eau, que j'ai supposés suffisans pour constituer l'année la plus favorable, font beaucoup plus que suffisans en effet. Mais l'on ne doit pas négliger les moyens sûrs & faciles que je donne pour vérifier par l'expérience d'un petit nombre d'années , quelle cil exactement la quantité de pluie nécessaire , & à quelles époques elle doit tomber ; & les tableaux dont je donne le modèle , revêtus du sceau de l'établissement proposé , feront très-capables de justifier les économes, de fixer l'incertitude des propriétaires,d'éclairer la physique , d'influer sur les opérations du commerce, & de présenter de nouvelles vues aux différais Gouvernemens. Je me fuis peut-être un peu trop étendu fur cette partie de mon réfumé, mais j'ai cru devoir le faire, parce que je ne doute point que ce ne soit celle de toutes mes idées qui paroîtra la plus bizarre à quelquesuns de mes lecteurs, peut - être aussi la plus juste a quelques autres. CINQUIEME

PARTIE.

De la Fabrique du Sucre.

Je fuis dans la Fabrique du Sucre, la route que j'ai suivie dans mon systême de culture; la connoissance des paries qui composent le vesou , & des proportions dans lesquelles ces parties font entr'elles dans les bonnes Cannes, m'a servi de règle pour distinguer les mauvaises, & traiter les unes & les autres


DE CULTIVER LA CANNE. 507 suivant leurs besoins : il falloir aussi connoître l'objet du Rafineur , il ne doit être que d'extraire & d'obtenir séparément, les parties utiles du vesou , chacune dans sa perfection. Ces parties font le Sucre & la melasse ; réunies dans toute espèce de vesou, à plus ou moins de parties acides , connues fous le nom de graisse , elles demandent un agent qui opère leur division. La chaux & la cendre font reconnus les agens les plus propres à produire cet effet. La quantité de parties acides décideroit feule de la quantité de chaux & de cendre a employer, & borneroit la science du Rafineur a quelques observations fur les indices du plus ou du moins , qu'une expérience de peu de mois pourroit donner, mais la chaux & la cendre avec des propriétés semblables ont aussi des qualités fi non opposées, du moins différentes , on ne peut les méconnoître dans les phénomènes différens que l'une & l'autre présentent dans des circonstances égales ; d'ailleurs l'union plus ou moins intime de la graille avec le Sucre & la melasse, & sur-tout la différence de proportion entre la melasse & le Sucre , dont il me semble qu'on ne s'est fait jusqu'ici aucune idée, font des accidens qui se rencontrent souvent d'une chaudière à l'autre, & la rapidité avec laquelle les chaudières se succédent ( 20 ordinairement, quelquefois davantage par 24 heures ), jointe a l'impossibilité de juger la matière, avant d'avoir vu l'effet que produira fur elle , l'enivrage, c'est-à-dire la somme & la qualité du menstrue qu'on n'au-


508 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART ra pu que soupçonner lui convenir, rendroient l'opération du rafinage la plus incertaine de toutes les opérations, fi la nature n'eût établi des combinaisons plus fréquentes , qui peuvent servir de base, & garantir des méprises trop préjudiciables : c'est donc a la connoissance des combinaisons les plus communes, que je ramène mes lecteurs. La proportion la plus ordinaire entre le Sucre & la melasse dans les rejetons, du moins dans le temps que je fixe pour la récolte , m'a paru être à-peu-près l'égalité du poids de l'une & de l'autre ; & l'union de la graille avec ces parties utiles, dans les terreins ordinaires, m'a paru telle qu'on ne risque rien à essayer au commencement de l'année , la chaux pure a la dose de 4 a 6 onces , fur zoo galons de matière sauf à augmenter ou diminuer après l'inspection des effets de cette quantité fur le vesou. Je décris ces différens effets, & je propose les altérations & précautions que chacun paroît exiger. Je n'ai point suivi dans l'ouvrage, l'ordre le plus favorable à l'exposition de mes idées, au petit intérêt d'Auteur ; j'ai préféré celui que ma propre expérience m'a persuadé devoir être le plus utile à ceux qui comme moi n'ayant aucune connoissance du Sucre , & comme moi intéressés à l'acquérir , seraient exposés , pour les explications dont ils auraient besoin si j'avois suivi un autre plan, a ne recevoir de leurs Rafineurs en titres, que des notions fausses données de bonnefoi pour certaines, ou plus souvent un galima-


DE CULTIVER LA CANNE. 509 thias que le Rafineur croiroit peut-être comprendre , mais qu'il s'imagineroit être intéressé a rendre encore plus obscur, pour accréditer son importance. L'impossibilité de savoir l'enivrage nécessaire , avant d'avoir vu l'effet de celui qu'on aura harsarde , m'a fait chercher quel étoit la marque la plus sensible & la moins équivoque du meilleur & du plus mauvais enivrage ; il m'a paru que l'odorat étoit un juge infaillible. L'odeur suave & balsamique des chaudières , annonce à quiconque en est frappé au moment où il entre à la Sucrerie , que le vesou est exactement enivré a son point. Une odeur de chaux ou de cendre prouve le trop de l'une ou de l'autre. Une odeur empyreumatique & plus forte annonce l'excès des deux ; je donne les moyens d'éviter les méprises a cet égard, & de réduire à peu de choses, la perte considérable en apparence qui doit résulter du sacrifice que je propose pour parvenir à des connoissances aussi essentielles. A ces premières notions, j'ajoute le détail des symptômes qui non-seulement dans les chaudières, mais même dans le rafraîchissoir & dans les formes, carastérisent allez constamment les différens degrés & les qualités de l'enivrage ; je décris au lieu de définir., parce qu'il me paroît inutile de définir,quand il est impossible d'attacher des idées fixes a des expressions que chacun veut entendre a la manière. Sans prétendre établir des axiomes indubitables , j'ai noté dès le commencement de l'ouvrage, & je continue jusqu'à la fin,


510 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART à établir des proportions dont les termes ne peuvent être équivoques, & qui dans l'expérience m'ont paru avoir le degré de probabilité , qui peut avec le moins de danger, servir de règle jusqu' a la découverte de principes plus certains. Apres avoir finvi jusqu'ici l'ordre inverse par lequel je fuis parvenu seul , au peu de connoissances que j'ai acquises, je reviens à l'ordre le plus naturel. Quoique le vesou n'ait point de caractères visibles qui indiquent exactement l'espèce & la somme de lès besoins, cependant la couleur naturelle & son odeur avant qu'il ait reçu aucune altération par le feu & par l'enivrage , donnent fur fa qualité des notions suffisantes pour hasarder plutôt une espèce d'enivrage qu'une autre. Je fais quelques observations fur différentes espèces & couleurs de vesou , fur les différentes manières de les traiter, & fur la qualité du Sucre qu'on en doit attendre. La quatrième & cinquième espèces de vesou, écueil ordinaire des Rafincurs, fixent principalement mon attention, je trouve dans mon principe de l'équilibre entre le Sucre & la melasse dans le bon vesou, le moyen le plus simple & le plus sûr pour traiter, au plus grand avantage , le mauvais dont il s'agit , & pour obtenir de très-bonne matière, d'un jus proscrit dont on ne retire le plus souvent qu'une espèce de goudron. La cause ôtée , l'effet doit cesser ; l'addition de la quantité de Sucre qui manque pour égaler la melasse, suffira donc pour produire


DE CULTIVER LA CANNE.511 l'effet desiré ; l'expérience que je rapporte a ce sujet me paroir ne laisser aucun doute fur mon assertion. Parvenus au moment de donner à la matière, la consistance nécessaire pour opérer la crystallisation du Sucre , j'examine les effets d'une cuite forte & d'une cuite foible : l'une conserve plus ou moins de melasse dans le Sucre & l'altère , l'autre laisse échapper plus ou moins de parties de Sucre avec la melasse , & le prix de celle-ci est bien différent: la difficulté, ou pour mieux dire l'impossibilité d'apprendre autrement que par la pratique , quel est le degré de cuite nécessaire & suffisant , m'engage à remettre fous les yeux le but de l'opération, & à proposer des moyens sûrs non-seulement pour le reconnoître , mais même pour apprécier toutes les opérations antérieures dans le cas ou l'on seroit dans une incertitude qu'il parût essentiel de fixer ; qu'on loche mie forme après 24 heures d'égout, la quantité & la couleur du syrop , comme la couleur & la fermeté du grain , ne biffent aucun équivoque fur ce qu'on a lait, & far ce qu'il convient de faire ; il n'est plus possible à la vérité de remédier a l'un, mais il est possible & nécessaire de se décider fur l'autre. La multiplicité des détails de la Sucrerie , de la Pugerie, de l'Etuve, & de la Rummerie , qui se succèdent & se renouvellent fans celle pendant les six mois de la récolte , nécessitent dans ces différens travaux , un ordre fixe dont la moindre interruption dans une feule de ses parties, forcerait définitivement


512 RÉSUMÉ DE L'ESSAI SUR L'ART, &c. à tout suspendre ; je propose celui que j'ai établi chez moi , chacun y fera les change mens que les diverses circonstances de fa position , de ses bâtimens, &c. peuvent exiger ; mais, l'ordre établi , quel qu'il puisse être, qu'on le suive invariablement ; c'est l'inconstance qui nous ruine. FIN.

EXTRAIT des Registres de l'Académie des Sciences , du 11 Mars 180.

MM. Tillet & Guettard, Commissaires pour examiner un Ouvrage intitulé : Essai sur l'Art de cultiver les Cannes à Sucre , par M. de X, en ayant fait leur Rapport, l'AcaC démie a jugé cet Ouvrage digne de son Approbation & d'être imprimé fous son Privilège. En foi de quoi, j'ai signé le présent Certificat ; à Paris, ce premier Mars 1781 , le Marquis DE CONDORSET , Secrétaire perpétuel. On trouve aussi chez CLOUSIER Imprimeur & Libraire , rue Saint-Jacques , la Comédie de /^Enfant Indocile, par le même Auteur; le même systême de culture adapté à une plante encore plus précieuse que la Canne.


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