De la pétition des ouvriers pour l'abolition immédiate de l'esclavage

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A n n e x e A (voir page 8 3 ) .

L E T T R E DE M. LAVOCAT P È R E , ANCIEN AVOUÉ E T CONSEIL DU MINISTÈRE DES FINANCES, A M. V. SCHOELCHER.

« Paris, 21 août 1 8 4 8 . » Monsieur, J e rentre à l'instant chez moi, et on m'apprend que vous avez pris la peine d'y passer, dans la m a t i n é e , pour me demander quelques détails sur certaine affaire d'intérêt que j'ai eue avec le sieur Bissette, de S a i n t - P i e r r e (Martinique), et à raison de laquelle MM. les m e m b r e s du conseil de famille de la légion d'artillerie de la garde nationale parisienne ont désiré m'entendre au mois d'avril dernier. » Quelque triste et répugnant que soit pour moi le souvenir de c e fâcheux démélé, je n'hésite pas, monsieur, à vous donner dans cette lettre les documens dont vous paraissez avoir besoin pour v o t r e édification personnelle et celle de vos amis politiques, touchant la moralité de mon ancien obligé. » Avant tout, je crois devoir vous dire l'origine de mes rapports avec cet individu, et comment il est parvenu à me rendre l'une de ses dupes. » E n 1 8 2 8 ou 1 8 2 9 , étant venu à Paris pour un procès, j'allai c o n sulter mon ancien ami M. Isambert. L a veille de mon départ, il m'envoya une invitation à dîner ; ce même jour, il avait engagé les déportés de la Martinique, dont il avait été le défenseur et l'appui. J e me suis ainsi trouvé le commensal de MM. Fabien, W o l n y s et Bissette. J e ne les avais jamais vus, mais leurs malheurs n'étaient ignorés de personne ; les journaux en avaient si souvent parlé ? » A la fin du repas, la conversaiion étant tombée sur les circonstan-


— 132 — ces qui avaient motivé la condamnation de ces messieurs, je n'ai pas balancé pour mon compte à jeter le blâme sur les magistrats de la c o lonie; j'exprimai hautement mes regrets aux citoyens qu'une rigueur aveugle avait frappés, et je serrai affectueusement la main a u x cliens que le courage et la persévérance d'Isambert avaient arrachés à leur position, » L e sieur Bissette, qui, durant le dîner, m'avait semblé le plus e x pansif de mes trois convives d'outre-mer, avait particulièrement fixé mon attention ; il s'énonçait a v e c quelque facilité, sa parole était vive et animée ; c'était un jeune père de famille que l'on avait enlevé violemment à ses foyers, à sa femme et à ses enfans en bas âge ; il se posait en homme de c œ u r et d'énergie ; enfin, c'était une victime du despotisme. Dès cet instant, le sieur Bissette eut mes sympathies et mon estime. » Au mois de mai 1 8 3 2 , je vins m e fixer à P a r i s ; mais, dans l'intervalle qui s'était écoulé depuis le jour de notre première entrevue jusqu'à celui de mon installation dans la capitale, j'avais eu différentes fois l'occasion de retrouver le sieur Bissette, soit c h e z M. Isambert soit ailleurs ; mes bonnes dispositions et ma confiance lui étaient a c quises, et il ne l'ignorait pas. » L e 5 juin 1 8 3 2 , jour des funérailles de l'illustre et brave général Lamarque, le sieur Bissette et moi nous nous sommes fortuitement rencontrés à l'entrée du pont d'Austerlitz, sur le boulevard Mazas, au moment où le char funèbre venait de se séparer des autorités et de la population qui avaient formé son nombreux c o r t é g e . » Le sieur Bissette, qui portait l'uniforme d'officier de la garde n a tionale, me dit, en m'abordant d'un air satisfait : A h 1 mon cher L a vocat, je suis c h a r m é de vous trouver ; c'est le ciel qui vous envoie ; figurez-vous qu'un adroit filou vient de m'enlever 10 fr. que j'avais dans ma poche et je suis littéralement sans le sou ! A peine il avait achevé son anecdote qu'une bousculade effrayante et subite, jointe à une fusillade partie des greniers d'abondance, nous séparèrent immédiatement; nous fûmes entraînés chacun de son c ô t é , et nous nous sommes perdus de vue dans la foule. » Deux ou trois jours après cet événement, le sieur Bissette s'est présenté chez moi, rue R o y a l e - S t - A n t o i n e , 1 8 ; il avait l'extérieur affligé ; bientôt il me confia son élat de gêne qu'il dit accidentel ; il se plaignit surtout de la dureté d'un créancier dont il ne partageait pas tes opinions, et qui, pour 2 0 0 fr., l'avait fait saisir dans ses meubles et menaçait de l'emprisonner. L e sieur Bissette m'affirmait qu'il a t t e n dait d'un jour à l'autre des nouvelles de son pays, et il attribuait au mauvais temps le relard qu'éprouvait dans son arrivée au Havre un


— 133 — navire qui était chargé de quelques fonds pour lui; il me pria, en c o n séquence, de venir à son secours en lui faisant l'avance de cette s o m m e de 2 0 0 fr. pour une huitaine seulement. Ce jour-là précisément je n'avais pas d'argent à ma disposition, mais j'étais possesseur d'un billet à ordre de 1,000 fr. à courte échéance, et souscrit par une excellente maison de c o m m e r c e ; je dis donc au sieur Bissette : Tenez, prenez cet effet endossé par moi, je vous le r e m e t s de confiance ; allez le n é g o cier chez un banquier; vous prendrez les 200 fr. dont vous avez besoin pour vous sortir d'embarras, et vous me remettrez le reste demain ou après. » L e sieur Bissette accepta a v e c empressement ma proposition ; il prit mon effet, le négocia je ne sais où, e t . . . il a gardé le montant. » Ne voyant pas reparaître mon h o m m e dans les délais convenus, je conçus des soupçons, j'eus des inquiétudes; j'écrivis plusieurs lettres, mais, hélas ! ce fut temps perdu. L e sieur Bissette avait disposé de m o n argent ; il fuyait ma présence ; on ne pouvait réussir à le joindre chez lui. » Indigné d'une pareille conduite, je me disposais à traduire le sieur Bissette en police correctionnelle ; j'en avais même parlé à M. Desclozeaux, alors substitut du procureur du roi, qui depuis a été secrétaire général du ministère de la justice ; mais l'une des connaissances du sieur Bissette, M. W a l k e r , agréé au tribunal de c o m m e r c e , intercéda pour lui, et je consentis à accepter un règlement en trois petites traites, échelonnées et souscrites par Bissette. « Ce fut le cas de dire : Quels bons billets ! . . . . Aucune de c e s trois traites ne fut acquittée ; elles sont encore vierges dans mes mains. » Cependant, après l'échéance de la dernière de ces lettres de c h a n g e , M. W a l k e r m'a remis un à-compte de 2 5 0 fr.; mais le sieur Bissette ne devait pas qu'à moi. Or, pour s'affranchir de l'action de ses créanciers, il a imaginé de se faire mettre en faillite ; c'est ce qui résulte d'un j u g e ment du tribunal de c o m m e r c e de la Seine, en date du 21 mars 1 8 3 7 . » Telle a été à mon égard la mesure de la gratitude et de la probité du sieur Bissette. » Quand nous nous sommes trouvés face à face devant le conseil de famille de la légion d'artillerie au mois d'avril dernier, le sieur Bissette n'a pas nié les faits que je viens de r a c o n t e r ; il a même enduré avec une résignation stoïque les reproches amers que je lui ai adressés au point de vue de la délicatesse ; seulement il s'est excusé sur les difficultés du temps ; mais les membres du conseil lui ont fait sentir que, en cette occurrence, il avait ma'nqué à ses devoirs et à l'honneur. L e sieur Bissette, qui se présentait pour un grade dans l'artillerie de la


134 — garde nationale, a été unanimement éconduit. » Il est vrai qu'il n'a pas nié sa dette, et que devant messieurs du conseil il a promis de me payer un jour principal et intérêts. Mais quelle confiance peut-on avoir dans les paroles et les actions d'un homme qui, se trouvant sciemment placé, depuis plus de onze ans dans un état continuel d'interdiction et d'incapacité absolue par suite de sa mise volontaire en faillite, a osé se montrer dans les assemblées électorales, y émettre son vote et briguer les suffrages de ses c o n c i toyens? » E n définitive, monsieur, à l'heure qu'il est, je figure encore dans le passif du bilan déposé par le sieur Bissette au tribunal de c o m m e r c e le 31 mars 1837 ; j'ai pu m'en assurer tout r é c e m m e n t par m e s propres yeux. » Du reste, je puis vous certifier que le sieur Bissette doit, selon son bilan, environ 2 0 , 0 0 0 fr., qu'il n'a pas eu de concordat, qu'il n'a pas été relevé de sa faillite, et qu'il se trouve, a u x termes des lois anciennes et nouvelles, entièrement déchu de l'exercice de ses droits civils et politiques. » Au besoin, je consens à vous communiquer: 1° le jugement de d é claration de faillite ; 2° le bilan, e t c . ; 3° un autre jugement du 2 5 fé( 8 3 9 , qui a prononcé la clôture de cette faillite. » A g r é e z , je vous prie, monsieur, l'expression de mes très-humbles civilités. » LAVOCAT. »

B (voir page 9 4 ) . Paris, le 14 septembre 1848. MINISTÈRE

D E

LA

M A R I N E

E T

D E S

COLONIES.

Citoyen commissaire g é n é r a l , Votre lettre du 9 août m'expose les motifs qui vous font désirer de recevoir des frais de t o u r n é e s , afin d'être en mesure de faire face à toutes les dépenses que vous impose l'exercice de vos fonctions, qui vous appellent à des fréquens déplacemens, en vue de l'organisation du travail, dans les divers quartiers de la colonie. J e reconnais que vous avez eu et que vous continuerez d'avoir à supporter, pour l'accomplissement de votre mission , des frais qui n'incombaient pas à vos p r é d é c e s s e u r s , alors qu'ils étaient en possession d'un traitement très-supérieur au v ô t r e , et j e rends toute jus-


— 135 — tice au zèle soutenu et à l'honorable désintéressement a v e c

lesquels

vous avez jusqu'à présent accompli votre t â c h e . Mais vous n'ignorez pas que je ne suis pas libre de r é g l e r , d'après des considérations de cette n a t u r e , l'emploi des allocations inscrites au budget, et que j e ne puis m'écarter des prévisions rigoureuses d'après lesquelles elles sont calculées. Pour 1 8 4 8 , ces allocations suffiront à peine à tous les besoins tels qu'ils ont été strictement établis ; il me serait donc impossible d'y trouver pour le présent e x e r c i c e le moyen de faire ce que vous m e d e m a n d e z , e t c . Salut et fraternité.

Le ministre de la marine et des Signé P.-S.

colonies,

VERNINAC.

de la main du ministre :

E n présence d'une réduction de 3 0 millions en 1 8 4 9 , M. P e r r i n o n comprendra facilement qu'il n'est pas possible d'ordonner la moindre augmentation. T o u s les amis de la République doivent se sacrifier à son établissement l a b o r i e u x , M. Perrinon sera le premier à le c o m prendre.

C (voir page 9 4 ) . Paris, le 28 septembre 1848. MINISTÈRE DE LA MARINE ET DES COLONIES. Citoyen commissaire g é n é r a l , L e gouvernement apprécie l'honorable et complet dévoûment avec lequel vous n'avez pas cessé de vous c o n s a c r e r à l'accomplissement de votre mission. Mais votre élection à la Guadeloupe c o m m e représentant et la pensée des services qu'en cette qualité vous êtes appelé à rendre ici à la cause coloniale l'ont déterminé à vous donner un successeur. M. le président du conseil, chef du pouvoir exécutif, a, sur ma p r o position,

nommé gouverneur de la Martinique M. le contre-amiral

Bruat, à qui vous aurez à r e m e t t r e vos fonctions , en lui laissant un mémoire sur la position des diverses parties du service de la colonie et sur la situation des affaires au moment où il vous succédera. Vous lui fournirez en m ê m e temps des notes confidentielles §onnel.

sur leper-»


— 136 — M . Bruat doit prendre aussi le commandement de la station. J'écris à c e sujet à M. le cotre-amiral Kerdrain . . . . . Dans le cas où aucun bâtiment de l'Etat ne serait prêt à p a r tir pour F r a n c e au moment où vous quitterez le gouvernement de la Martinique, vous pouvez effectuer votre retour par la voie des packets anglais , si vous la préferez à celle des navires de c o m m e r c e . Salut et fraternité. Le ministre

de la marine

et des colonies

Signé

,

VERNINAC.

D (voir page 9 8 ) . MARINE ROYALE. — PORT DU H A V R E . er

M. P e r r i n o n , capitaine en 1 , à la compagnie d'artillerie de marine, a été payé en ce port comme il suit. Savoir : Pour Pour Pour Pour

e r

solde du 1 mars au 9 compris, la s o m m e brute de 70 fr. 50 c . deux mois d'avances, à c o m p t e , id 4 6 6 67 indemnité de séjour du 7 au 8 mars 1842 6 » indemnité de lit de bord, la somme brute de 50 » Total

5 9 2 fr. 67 c .

H a v r e , le 9 mars 1 8 4 2 . Pour le commissaire a u x revues. Le commis de marine Signé A .

,

HAMELIN.

Payé le 14 m a r s 1 8 4 2 , pour indemnité de séjour du 9 au 1 4 mars suivant, la somme nette de 18 fr. ( L X I I I . ) Marine, n° 5 0 5 ( 1 8 4 0 ) . Pour le commissaire aux revues. Le commis

de

Signé A.

marine, HAMELIN.

Vu au débarquement à S a i n t - P i e r r e (Martinique), le 19 avril 1 8 4 2 , du navire la Revanche,

arrivé du Havre. Le chef du service Signé

maritime,

DESFONTAINE.


— 137 —

E (voir

page

116).

DÉCISION R O Y A L E QUI ACCORDE UNE INDEMNITÉ SUR L A CAISSE D E L A MARTINIQUE A D E U X VICTIMES D E L A JUSTICE COLONIALE.

Paris, 9 octobre 1830. RAPPORT AU ROI.

S i r e , Votre Majesté n'ignore pas les malheurs des sieurs Bissette et F a b i e n , h o m m e s de couleur libres de la Martinique. Condamnés aux galères perpétuelles en janvier 1 8 2 4 , ils ont été flétris dans la c o lonie, et transportés en F r a n c e pour y subir leur peine. L à ils ont été détenus pendant longtemps, et obligés de soutenir des actions judiciaires, ils ont été mis dans la nécessité de vendre leurs propriétés, enfin, ils se trouvent dans la situation la plus obérée, et à la fois la plus digne d'intérêt. L a conduite de MM. Bissette et Fabien est extrêmement r e c o m m a n dable. Ils ont senti que leur retour à la Martinique pourrait y devenir le prétexte de quelques troubles. Ils font à la paix publique le sacrifice de leurs intérêts, de leurs affections, de leur amour-propre. Ces deux hommes de couleur sollicitent un secours proportionné à leurs malheurs et à leurs besoins. J e crois qu'il convient de le leur a c c o r d e r , et de le fixer à douze mille francs ( 12,000 fr.) pour chacun d'eux. Les secours dont il s'agit seraient prélevés sur les fonds de réserve de la colonie de la Martinique, qui s'élèvent à une somme considérable. J e suis persuadé que l'administration de la colonie et que les colons sages applaudiront à une mesure qui est propre à donner à leurs r a p ports avec les gens de couleur un caractère plus prononcé de bienveillance et de paix. J e suis, etc. Signé H . SERASTIANI.

Approuvé. Signé

LOUIS-PHILIPPE.



ABRÉGÉ DES

CALOMNIES DB

COURRIER DE LA HARTUM

CONTRE M. V. SCHOELCHER PAR

CH.

GAUMONT

ANCIEN MEMBRE DE LA COMMISSION D'ABOLITION IMMÉDIATE DE L'ESCLAVAGE EX-SECRÉTAIRE ARCHIVISTE DE LA GUADELOUPE.

PARIS IE

I M P R I M E R I E D'E. D E S O Y E E T C , RUE DE SEINE, 3 6 .

1850

NUMERO

D'ENTRÉE:

5657



ABRÉGÉ

DES CALOMNIES DU

COURRIER DE LA MARTINIQUE

CONTRE

M. V. S C H O E L C H E R .

S'il fallait signaler les unes après les autres À l'indignation publique les manœuvres employées a u x Antilles par les adversaires de l'émancipation pour égarer les populations affranchies, plusieurs volumes ne suffiraient pas. Tous les moyens ont été mis en œuvre; a u x inventions les plus r i dicules ont succédé les calomnies les plus atroces. Cependant, À la Martinique même, où les intrigues des agents de l'oligarchie coloniale ont eu le plus de succès, un grand nombre de nouveaux citoyens abandonnent publiquement la haineuse politique dont le Courrier

est l'organe. Ces con-

versions j e t t e n t l'alarme parmi les partisans de la résistance. Aussi leur journal s'est-il efforcé dernièrement encore de semer la division dans les classes autrefois déchues, en essayant de prouver a u x noirs qui solidarisent leur cause avec celle des mulâtres, que c e u x - c i ne veulent et n'ont jamais voulu que se substituer À leurs anciens maîtres pour les resserir À leur tour. Assurément ces assertions ne sont pas nouvelles, mais 1


2

le Courrier,

qui n'est pas novice, s'est avisé de leur donner

plus de créance en citant à sa manière différents passages du livre que M. Schœlcher a publié il y a quelques années sur Haïti. C'est sous p r é t e x t e de m o n t r e r que l'abolitioniste dont le nom personnifie à la Guadeloupe et à la Martinique le parti des hommes de progrès, n'est pas l'ami des

Colonies,

que les r é d a c t e u r s de c e t t e honnête feuille veulent c o m p r o m e t t r e les mulâtres vis-à-vis des

noirs. Servir ainsi

du môme coup ses rancunes et ses i n t é r ê t s , c'est, on en conviendra, faire preuve d'une r a r e habileté. Quoi qu'il en soit, les disciples de Basile auront t o r t cette fois : il ne r e s tera

de leurs calomnies que la honte qui s'attache t o u -

jours à de pareils procédés. Inquisiteurs de la pensée, ils ont bien pu t o r t u r e r un t e x t e , comme jadis les b o u r r e a u x du Saint-Office t o r t u r a i e n t leurs victimes, mais tant qu'un exemplaire de l'ouvrage sera i n t a c t , ils n'auront réussi à rien : chaque page p r o t e s t e r a contre leurs mutilations. Aussi, ne nous fussions-nous pas occupé de relever les i m pudents mensonges des écrivains de la réaction coloniale, si l'œuvre de M. Schœlcher eût été seule a t t a q u é e , car ses actes sont là pour leur servir de c o m m e n t a i r e s , et sa vie entière, consacrée à l'abolition de l'esclavage, répond v i c torieusement à c e u x qui interprêtent perfidement ses intentions. Mais il s'agit ici de dévoiler les secrets desseins de l'oligarchie coloniale qui compte sur la division pour r e c o n quérir sa toute-puissance, et il importe de prémunir les émancipés de 1 8 4 8 contre les défiances qu'on prétend leur inspirer au sujet de leurs aînés dans la liberté. Pour obtenir ce r é s u l t a t , pour t r o m p e r les masses, on t r o n q u e des passages du livre de M. Schœlcher, on en falsifie les t e x t e s , on en fausse le sens ; en rétablissant les uns et les a u t r e s , nous ferons donc plus que faire justice de misérables attaques personnelles, nous éclairerons les noirs et les mulâtres sur les menées de leurs ennemis politiques. Aussi, m a l g r é notre dégoût pour cette polémique passionnée qui ne r e c u l e devant aucun scrupule,


3 n ' h é s i t o n s - n o u s p a s à p r e n d r e la p l u m e

p o u r d é f e n d r e la

vérité. Ét d ' a b o r d , r e m a r q u o n s - l e bien, l o r s m ê m e q u e les p r é t e n d u s e x t r a i t s q u e l'on c i t e s e r a i e n t a u s s i e x a c t s qu'ils sont faux, qu'est-ce que cela prouverait actuellement pour les A n t i l l e s ? Y a - t - i l r i e n d e c o m m u n e n t r e c e qui s'est p a s s é à Saint-Domingue

il y a c i n q u a n t e a n s , e t la s i t u a t i o n p r é -

s e n t e d e la M a r t i n i q u e ou d e la G u a d e l o u p e ? L a r é v o l u t i o n d'où e s t s o r t i e l ' i n d é p e n d a n c e d'Haïti a é c l a t é a u m i l i e u d e populations

a y a n t t o u s les

m o m e n t o ù la t r a i t e ,

préjugés de l'esclavage, et a u

se faisant sur une

immense

échelle,

e n t r e t e n a i t l ' a n t a g o n i s m e j u s q u e d a n s le s e i n d e la c l a s s e de couleur elle-même. Les noirs étaient p r e s q u e tous a f r i c a i n s , t a n d i s q u e les m u l â t r e s é t a i e n t p o u r l a p l u p a r t n é s d a n s la c o l o n i e . A u x Antilles, a u c o n t r a i r e , o u t r e le p r o g r è s des idées q u i d e p u i s v i n g t a n s s u r t o u t a p é n é t r é p a r t o u t , les n è g r e s e t les m u l â t r e s s o n t c r é o l e s , s a u f q u e l q u e s r a r e s e x c e p t i o n s , e t s e t r o u v e n t n a t u r e l l e m e n t r a p p r o c h é s p a r les l i e n s d ' u n e c o m m u n e p a t r i e . 11 n'y a d o n c a u c u n e a n a l o g i e e n t r e le p a s s é e t le p r é s e n t . C e c i d i t , a b o r d o n s les p a s s a g e s d u l i v r e d e M . S c h œ l c h e r , que

le Courrier

a l ' i m p u d e u r [de d o n n e r c o m m e l i t t é r a l e -

m e n t copiés : Commençons d'abord par|Celui-ci : « Les m u l â t r e s levèrent aussi des c o n t i n g e n t s s u r leurs a t e l i e r s e t ils a v a i e n t u n c o r p s d e t r o i s c e n t s e s c l a v e s . Ces a u x i l i a i r e s s ' é t a i e n t v a i l l a m m e n t c o m p o r t é s . A p r è s la s i g n a t u r e d u t r a i t é d e p a i x , les b l a n c s

firent

observer que

ces

n è g r e s n e p o u v a i e n t r e s t e r s a n s d a n g e r d a n s les a t e l i e r s . Les m u l â t r e s convinrent g e r la c o l o n i e .

à leur, h o n t e

Ces fratricides

r e r leurs défenseurs.

Ils f u r e n t

seulement trois mois de vivres.

qu'il fallait e n p u r -

n e s o n g è r e n t m ê m e p a s à. l i b é conduits à Honduras

avec

» (Page 102.)

A v o i r le s o i n q u e l'on a p r i s d e s o u l i g n e r

avec seulement


4

trois mois de vivres,

on n'a pas besoin de se demander pour-

quoi l'honnête reproducteur n'a pas ajouté ce qu'il y a dans le t e x t e : et avec des instruments

aratoires.

Le fait par lui-même ne lui paraissait sans doute pas assez odieux pour en accuser les mulâtres ; il préfère donner à entendre qu'ils voulaient aussi laisser m o u r i r de faim les trois cents victimes. De telles insinuations peignent l'écrivain ! Cependant le Courrier,

pour avoir l'air de défendre les

mulâtres, poursuit hypocritement en ces t e r m e s : « Cette assertion est sujette à caution. Elle le fut

même

y e u x de l'auteur qui, pour l'accréditer et pour en

aux assu-

r e r contre les mulâtres l'effet e x c i t a n t sur les noirs, c a u tionne lui-même son dire ; il ajoute immédiatement : « Il n'est

que trop

vrai

que les mulâtres sacrifièrent les

« hommes qui venaient de les bien servir et dont le sang « coulait dans leurs veines. » Le commentaire est digne de l'esprit qui a présidé a u x citations.

Ainsi,

non

content

d'avoir mis moralement

M. Schœlcher à la question, voilà l'inquisiteur du

Courrier

qui le confesse en interrogeant ses paragraphes morcelés ; le voilà qui rapproche ses phrases hachées pour le convaincre d'avoir excité les citoyens les uns c o n t r e les autres ! E t cela quand M. Schœlcher, loin de vouloir, suivant la b a r bare expression du journaliste modéré, assurer contre les mulâtres l'effet excitant sur les noirs de ce que l'histoire le forçait d'écrire, en a, au contraire, diminué la portée en disant que les chefs mulâtres s'étaient opposés à l'iniquité qu'on projetait. Voici, en effet, est juste contre

de dire

ce qu'on lit dans le t e x t e (p. 1 0 2 ) : « Il

que Beauvais,

cette révoltante

dicision;

Rigaud

et Pétion

protestèrent

mais il n'est que trop vrai

que les mulâtres, e t c . » Dès sa première citation soi-disant littérale, du Courrier

le rédacteur

se rend donc coupable d'une inexcusable falsi-


5 fication,

e t t o u t en p a r a i s s a n t p r e n d r e p a r t i p o u r les m u -

l â t r e s , qu'il p r é v i e n t s o u r n o i s e m e n t c o n t r e l ' a u t e u r d o n t il d é n a t u r e la p e n s é e , il les d é s i g n e à la h a i n e d e s n o i r s . N o u s n'imiterons pas concorde;

les p r o c é d é s d e l ' é c r i v a i n

du p a r t i de la

mais puisqu'il t r o u v a i t à p r o p o s de r a p p e l e r c e t

é p i s o d e , p o u r q u o i n e l'a-t-il p a s r a p p o r t é t o u t e n t i e r ? E s t - c e q u e c e l a d é r a n g e a i t son p l a n ? Qu'on en j u g e : « L e c a p i t a i n e c h a r g é des t r o i s c e n t s n è g r e s , a u lieu d ' a l l e r à H o n d u r a s , l e s d é p o s a à la J a m a ï q u e p o u r ê t r e v e n d u s . « Le g o u v e r n e u r anglais, s a c h a n t q u e ces nègres a v a i e n t été en révolte a r m é e , ne se soucia point de pareils h ô t e s e t les r e n v o y a à S a i n t - D o m i n g u e . Ils t o u c h è r e n t a u Saint-Nicolas, eux

d'une

o ù des sicaires

exécution

blancs

môle

furent chargés contre

à la C a r r i e r .

Dans u n e n u i t ils s e

t r a n s p o r t e n t à b o r d , c o u p e n t la t ê t e à s o i x a n t e d e c e s m a l h e u r e u x e t les j e t t e n t d a n s la r a d e , o ù le l e n d e m a i n o n v i t t o u t le j o u r f l o t t e r l e u r s c a d a v r e s . A p r è s c e t t e e x é c u t i o n , on fut a u m ô l e plus de d e u x mois sans m a n g e r de poisson, c r a i n t e de se n o u r r i r de c h a i r h u m a i n e . L e r e s t e fut s a c r i fié en d é t a i l ;

les b l a n c s e u r e n t soin s e u l e m e n t d'en l a i s s e r

é c h a p p e r q u e l q u e s - u n s p o u r a l l e r d i r e c o m m e n t les m u l â t r e s traitaient ceux c a u s e . Ils n e

de

leurs frères qui

sent leurs forfaits à e u x - m ê m e s , tant

s'attachaient à

s ' i n q u i é t a i e n t p a s q u e les v i c t i m e s

elles e x c i t a s s e n t

le

qu'ils d é t e s t a i e n t l e p l u s ,

mépris

pourvu

leur

publias-

q u ' e n les r a c o n -

g é n é r a l c o n t r e la

race

p a r c e q u ' e l l e é t a i t le p l u s p r è s

d'eux. « L e t r a i t é d ' a l l i a n c e q u e les libres a v a i e n t

cruellement

s c e l l é , à t i t r e d e m a î t r e s , du s a n g d e l e u r s a u x i l i a i r e s e s c l a v e s , n e p o u v a i t d u r e r . Les c o l o n s , s o u m i s u n i n s t a n t , n e cessaient

d e m é p r i s e r les m u l â t r e s , e t q u a n d

l'assemblée

p r o v i n c i a l e du C a p , q u i s ' é t a i t é r i g é e e n a s s e m b l é e

géné-

r a l e , a p p r i t le c o n c o r d a t d e la C r o i x - d e s - B o u q u e t s , e l l e l e c a s s a en d é c l a r a n t qu'il é t a i t s u b v e r s i f du s y s t è m e c o l o n i a l , e t qu'il n ' a v a i t p u ê t r e a r r a c h é a u x p l a n t e u r s q u e p a r la


6

force et la perfidie. L'assemblée qui osait faire une telle chose n'était cependant pas sans crainte de l'avenir.

Elle

écrivit en conséquence, le 2 4 octobre, au gouverneur de la Jamaïque, lui proposant de lui livrer l'île. Elle aimait mieux t r a h i r la patrie que d'être contrainte à faire alliance avec les sang-mêlés ! » (P. 1 0 3 . ) Ce passage méritait bien d'être cité ; mais on conçoit que le Courrier

n'était pas pressé de montrer a u x nègres, qu'il

veut aujourd'hui r a t t a c h e r a u x planteurs, comment les c o lons ont agi avec eux dans une circonstance où c e u x - c i ont été encore plus barbares que les mulâtres. Maintenant faut-il c h e r c h e r à excuser M. Schœlcher d'avoir écrit les lignes que lui reproche le C o u r r i e r ? Est-il vrai qu'on doive y voir une accusation systématiquement dirigée c o n t r e les m u l â t r e s ? Non assurément. M. Schœlcher, faisant un précis historique, était obligé de dire la vérité telle qu'il la trouvait, de citer ce que lui révélaient les d o cuments. On a vu, depuis, M. Madiou, dans son d'Haïti,

r a p p o r t e r également le fait des trois cents

Histoire noirs

sacrifiés, et cependant M. Madiou est m u l â t r e ; il a composé et fait imprimer son livre à Port-au-Prince. Le mot fratricide employé par M. Schœlcher est souligné dans le Courrier.

On peut imaginer à quelle

intention.

L'historien ne saurait être coupable de s'être servi de c e t t e expression ; il entendait simplement caractériser un fait. Mais que penser du journaliste qui, en la m e t t a n t en évidence, lui donne une portée qu'elle n'a pas dans le livre? D'ailleurs, qu'objecte-t-on contre M. Schœlcher? N'a-t-il pas flétri ce qu'il y avait d'odieux dans les terribles événements qu'il retraçait, sans distinction de couleur ni de r a c e ? N'a-t-il pas réprouvé avec une égale impartialité un a c t e atrocement barbare de Christophe vis-à-vis des mulâtres, au moment où ce roi nègre, faisant le siége de P o r t - a u P r i n c e , est trahi par deux de ses généraux m u l â t r e s . « Dans un homme de ce caractère, lisons-nous p. 1 5 2 ,


7

et qui avait véritablement de maladives fureurs de sang, comme on en a vu chez beaucoup d'hommes de la r a c e blanche, on peut imaginer la rage que dut e x c i t e r une t r a hison qui lui faisait perdre une conquête presque c e r t a i n e . Les t r a î t r e s étaient deux hommes de couleur

Le Cali-

gula noir, pour se venger, ordonna une horrible boucherie de tous les mulâtres, hommes, femmes et enfants, qui se trouvaient dans la ville de Saint-Marc, où il s'arrêta avant de rentrer au Cap. » C'est encore le même sentiment de justice qui l'a fait insérer dans son ouvrage ce passage du colonel Malenfant : « J e ne voudrais pas être forcé d'écrire la guerre de 1803,

dit en 1 8 1 4 un autre blanc, celui-là propriétaire

d'esclaves à Saint-Domingue; ma plume ne pourrait t r a c e r des crimes si épouvantables. J e laisse a u x auteurs de cette g u e r r e le soin de ce tableau. Si on éprouve des obstacles pour entrer dans la colonie, on les devra a u x horreurs, a u x perfidies,

a u x noyades, a u x crimes atroces dont quelques

hommes se sont rendus coupables envers des noirs, des mulâtres et des blancs mêmes, dont ils n'avaient aucun sujet de plaintes avant leur arrivée. » (P. 4 3 7 . ) Continuons les prétendues citations textuelles du Cour-

rier : « Voilà donc les mulâtres arrivés à leurs fins ; ils gouvernent ! Les nègres ne tardèrent

pas à avoir Heu de s'en

repentir.

Quelques mois s'étaient à peine écoulés que Richard (nègre) fut fusillé. Le général noir, Paul Romain, ex-prince de Limbé, fut aussi a r r a c h é du Nord et baïonnette.

» (P. 1 5 6 . )

Il résulte de cet extrait que la phrase « les nègres ne t a r dèrent pas à avoir lieu de s'en repentir » est le complément de celle-ci : « Voilà donc les mulâtres qui gouvernent. » Eh bien, tout cela est faux! Le t e x t e véritable est celui-ci : « Voilà donc les mulâtres arrivés à leurs fins ; ils gouvernent, puisque c'est l'un d'eux qui a le souverain pouvoir. . Les nègres, qui par la révolte mal conduite contre le tyran


8 du nord les avaient amenés là e u x - m ê m e s , ne t a r d è r e n t pas à avoir lieu de s'en repentir. Quelques mois s'étaient à peine écoulés depuis la réunion, que Richard, demeuré commandant du Cap, fut accusé d'être chef d'une conspiration, a r r ê t é , conduit à Port-au-Prince et fusillé le 2 8 février 1 8 1 8 . Il existait si peu de preuves contre lui, que le conseil d e g u e r r e même auquel on l'avait livré ne prononça sa c o n damnation qu'à la majorité absolue des suffrages. Au mois d'avril suivant, le général noir Paul Romain, ex-prince de Limbé, fut aussi a r r a c h é du nord sous p r é t e x t e de c o n j u r a tion, et quand on l'eut isolé à Leogane, où il resta jusqu'au 1 9 août 1 8 2 2 , une compagnie de soldats le vint tuer chez lui. Il fut dit que, soupçonné de nouveau, on avait envoyé ces hommes pour le m e t t r e aux arrêts, et qu'ils

l'avaient

baïonnetté parce qu'il avait voulu faire résistance. On voit que la manière dont Pétion se défît du général Gerin ne fut pas un exemple perdu pour M. Boyer. Deux autres généraux nègres, Dassou et J é r ô m e , qui remuèrent, le premier à Saint-Marc, le second a u x Gonaïves,

furent également e x é -

cutés. » (P.. 1 5 6 . ) Ainsi rétabli, ce paragraphe accuse le président Boyer, et non les mulâtres en masse ; de même que c'est des raux

noirs

géné-

qui avaient conspiré contre le t y r a n du nord

(Christophe), et non pas des nègres

en masse qu'il est ques-

tion ici. « Ecoutez, écoutez encore, s'écrie le véridique c o m m e n tateur. « Les hommes « rent,

de couleur,

au contraire,

leurs

loin d'être ennemis

les amis des noirs,

les plus

acharnés...

fu-

Si les

« colons aveuglés n'avaient pas eu la folie de leur refuser les « droits politiques, p e u t - ê t r e les esclaves « forcés d'exterminer les jaunes

eussent-ils é t é

comme les blancs pour fonder

« la nouvelle Haïti. » (P. 2 2 5 . ) « Tout à l'heure, ajoute l'homme du Courrier,

le citoyen

Schœlcher va dire à ces mêmes esclaves, devenus libres,


9

que les jaunes

ne leur accordent pas plus que les blancs

n'en accordaient à c e u x - c i , et que, par conséquent, il faut les exterminer pour fonder la nouvelle, la véritable Haïti.» Une seule observation suffira pour détruire cette d e r nière assertion : c'est que, malgré sa facilité d'interprétation, le falsificateur de textes n'a pu en trouver un qui se puisse prêter à son escamotage, et qu'il a tout ment

calomnié. Quant au premier passage,

simple-

il est e n -

core tronqué de manière à en dénaturer le sens. Il s'agit, qu'on le sache bien, d'un fait historique. Le voyageur a b o litioniste parlait d'une pièce de t h é â t r e de M. Faubert, aide de camp du président Boyer, où Ogé était représenté comme s'étant dévoué à la cause des esclaves; il combat cette opinion ; il expose les faits, les discute et est amené à dire qu'à cette époque

de la révolution les mulâtres furent malheu-

reusement ennemis des nègres. Est-ce donc là une insulte dirigée contre les premiers? Personne ne le pensera. Voici pourquoi : Au commencement de la période révolutionnaire, les hommes de couleur libres n'avaient point, ne pouvaient avoir les idées que nous avons aujourd'hui; ils représentaient la classe intermédiaire et avaient fatalement ses qualités et ses vices. C'est ainsi qu'en Europe, où la question politique n'était cependant pas compliquée p a r le régime de l'esclavage, la bourgeoisie fit longtemps cause commune avec la noblesse

contre

Si, d'ailleurs, le Courrier

le

peuple.

avait mis la moindre bonne foi

dans ses citations, se serait-il a r r r ê t é après ces mots : pour fonder la nouvelle

Haïti?

N'aurait-il pas reproduit les lignes

suivantes, qui montrent bien que tout ce qui précède n'a rapport qu'à une discussion historique, qu'à un fait d é t e r miné et passé? « Il est inutile d'entrer, à ce sujet, dans aucun détail historique qui pourrait devenir irritant ; i l nous suffit de r e dresser des faits dont nous n'aurions même pas parlé si nous ne les avions trouvés sciemment défigurés. On ne nous


10

démentira pas, car les hommes jaunes d'Haïti, qui ne sont pas du tout responsables

des crimes

de leurs

pères,

en savent

là-dessus a u t a n t que nous. » Mais c'est toujours le même but poursuivi avec une persistance machiavélique. Le Courrier

voulait exciter les noirs

contre les mulâtres. Sans quoi eût-il frauduleusement omis c e correctif : « Les hommes jaunes d'Haïti ne sont pas du t o u t responsables des crimes de leurs pères. » Eût-il de même passé sous silence, qu'au moment où M. Schœlcher niait à Ogé la gloire d'avoir combattu pour les esclaves, il rappelait, à la page 2 2 2 de son livre, « que Chavannes son ami, celui-là généreux, dévoué, animé par de nobles instincts, lui proposa de soulever les ateliers et qu'il ne voulut jamais y consentir. » Puisque le Courrier

citait il devait tenir compte de cela,

car les appréciations d'un historien n'ont leur portée véritable que prises dans leur ensemble. L'honnête commentateur le sait bien, et ce n'est que dans l'intérêt de sa perfide a r g u mentation qu'il supprimeràdessein certains membres de p h r a ses en même temps qu'il i n t e r p r è t e judaïquement c e u x qu'il laisse subsister. Il ne parle pas de l'hommage r e n d u au généreux Chavannes par la m ê m e raison qu'il a dissimulé la protestation des chefs mulâtres c o n t r e le sacrifice des trois cents esclaves. Poursuivons ; « Toussaint-Louverture (nègre) est représenté à Saint« Domingue (par les mulâtres) comme agent des colons... » « Absolument la même calomnie, la même tactique employée ici c o n t r e M. Bissette. « On noie à dessein les services de Christophe (encore un « noir) dans le sang qu'il a versé. Dessalincs (toujours un « noir) est rapetissé à la proportion d'un homme à qui le « pouvoir fit tourner la t ê t e . De là il résulte (selon les gens « de couleur) que les hommes noirs sont parfaitement in« capables de tenir les rênes du gouvernement et qu'ils doi-


11

« vent se laisser régir par

les hommes

jaunes

(p. 227). »

« Peut-on exciter plus perfidement l'amour-propre des uns contre l'orgueil des autres ? « Hérard Dumesle, bien qu'il ne soit pas dégagé d'une hai« neuse partialité

de mulâtre

contre

le chef nègre,

a su lui r e n -

« dre justice (p. 2 2 8 ) . « Quels sont les attentats de Dessalines (noir) que Pétion « (mulâtre) n'ait égalés ou surpassés? Le mulâtre

trompa

ha-

« bilement le goût des hommes pour la liberté, voilà tout son « avantage sur le nègre

(p. 2 3 0 ) . »

Après la lecture de ce prétendu e x t r a i t , il est impossible de se faire illusion sur les conséquences d'une pareille m a chination. Cette façon de p r o c é d e r est le comble de la duplic i t é ; car c'est bien moins pour attaquer M. Schœlcher que pour écrire sous son nom une fausse histoire, p r o pre à diviser la classe de couleur par des défiances m u tuelles,

que

le r é d a c t e u r du Courrier

inqualifiable polémique.

s'est livré à cette

On a donc le droit de lui r e n -

voyer ses paroles, et de dire : « Peut-on e x c i t e r plus p e r fidement

l'amour-propre des uns contre l'orgueil des au-

tres? » M. Schœlcher n'a rien fait pour mériter ce reproche. Voici la vérité : En visitant Haïti, M. Schœlcher se trouva en présence d'un déplorable spectacle : celui d'un gouvernement e m ployant toutes ses forces à c o r r o m p r e la nation, car la faction qui était au pouvoir, celle du président Boyer, que M. Schœlcher appelle la faction

jaune,

démoralisait le

peuple. Toutefois, jamais l'auteur du précis historique n'a eu la pensée de généraliser son accusation et de la faire peser sur, la classe entière des sang-mêlés. Il a toujours dit que les mulâtres éclairés étaient les premiers à c o m b a t t r e les apologistes de la coterie dominante. C'est à ce propos qu'après avoir parlé de Toussaint-Louverture, il a écrit ces lignes que le véridique Courrier

néglige à dessein :

« M. F a u b e r t , en faisant sa pièce, a voulu aider une histoire


12 falsifiée du pays que l'on répand ici dans un intérêt de caste, et contre laquelle protestent en vain quelques jeunes gens de c o u l e u r , loyalement inspirés par leur républicanisme. » (Page 2 2 5 . ) Plus loin, M. Schœlcher rapporte l'opinion de M. B e a u brun Ardouin, ministre du président Boyer, « écrivain de la faction r é g n a n t e , 0 qui avait osé parler dans une brochure « du cri universel d'horreur et de réprobation que l'on e n tend proférer partout en Haïti contre la mémoire de Toussaint, de cet instrument des colons, etc. » C'est alors qu'il ajoute : « Oui, Toussaint-Louverture est représenté

ici

comme agent des colons. » Mais par qui Toussaint est-il ainsi r e p r é s e n t é ? Evidemment c'est par les hommes c o m m e M . Ardouin, inféodés au président Boyer, et non, c o m m e l'indique le Courrier

dans une parenthèse qui s'ouvre là

comme un piége, « p a r les m u l â t r e s . » Il est vrai que c e piége est bien grossier, puisque l'écrivain de la faction d o minante à la Martinique a placé à côté c e t t e réclame en faveur de son patron : a Absolument la même calomnie, la même tactique employée ici contre M. Bissette. » On voit donc bien que nous avons eu raison de dire t o u t à l'heure que lorsque le Courrier

s'écrie : « Peut-on e x c i t e r

plus perfidement l'amour-propre des uns contre l'orgueil des autres? » cette exclamation s'applique plutôt à ses propres intentions qu'à l'œuvre de M. Schœlcher. Cela est tellement évident que nous lisons dans le passage si perfidement int e r p r ê t é : « Hâtons-nous de le dire, cependant, l'idée ridicule que M. Ardouin a de Toussaint-Louverture n'est pas celle des Haïtiens éclairés, même de sa classe. M. Hérard Dumesle, etc. » Comme on peut le r e m a r q u e r , le Courrier

a

supprimé ce commencement de phrase dans sa citation, ainsi que cette note plus explicite encore : « Un nouveau journal publié au P o r t - a u - P r i n c e , le Manifeste,

que son ardent radicalisme

élève au-dessus

des

égoïstes intérêts de c a s t e , n'a pas craint d'imprimer, dans


13

un numéro du mois de mai 1 8 4 2 , que Toussaint était le père de l'indépendance

d'Haïti.

» (Page 2 2 8 . )

Enfin il a supprimé c e t t e conclusion : « On voit, et c'est pour,cela que nous avons noté ces deux morceaux fermement touchés, on voit que les hommes de couleur qui n'ont dans l'âme que de nobles projets, savent s'élever au-dessus de l'esprit de c a s t e . Ceux-là, il est vrai, sont les plus rudes ennemis du gouvernement qui avilit le peuple émancipé. » (Page 2 2 8 . ) Pourquoi le Courrier

a-t-il volontairement gardé le si-

lence sur ces diverses réflexions de l'auteur dont il incrimine les d o c t r i n e s ? P a r c e qu'il a voulu faire croire a u x nègres de la Martinique, pour les animer contre leurs frères les mulâtres, que tous les mulâtres

en Haïti reniaient la

gloire du nègre Toussaint-Louverture, tandis que M. Schœlc h e r a bien établi qu'elle n'était reniée que par la faction jaune régnante, la faction du président Boyer, o ce gouvernement qui avilissait le peuple émancipé. » Néanmoins, le Courrier

continue ainsi :

« On a mis les passions en présence. Il fallait donner le courage au nombre, à l'amour-propre excité contre l'orgueil et l'impuissance dénoncés. Le citoyen Schœlcher y procède : « Maintenant donnons la clef de tant de mensonges (des « mulâtres contre les noirs). La population de ce pays (Haïti « ou Saint-Domingue) est malheureusement composée de « deux

classes

bien distinctes

: les gens de couleur, qui sont

« 60 ou 100,000; les nègres, qui sont 5 ou 600,000. Or, c e « sont les gens de couleur qui gouvernent. De là leur glori« fication au détriment des autres (p. 235). » « Quel infernal soin de diviser les classes pour rendre le c h o c inévitable! » En prêtant cette idée monstrueuse à M. Schœlcher, le Courrier ment

dévoile son odieux

système. Car c'est précisé-

après que l'auteur abolitioniste

a montré la c o -


14 terie

qu'il

désigne

lutte

avec

les

sous

le

nom

m u l â t r e s les

plus

p a r l é d e P é t i o n e t d e sa p o l i t i q u e ,

de

faction

jaune

éclairés, après

en

avoir

qu'il e x p l i q u e l a c o n -

d u i t e d e c e l u i - c i , e t c e l l e du p r é s i d e n t B o y e r , p a r l a d i f férence

existant

« m a l h e u r e u s e m e n t » e n t r e le chiffre des

d e u x c l a s s e s d e la p o p u l a t i o n . O r , en c o n s t a t a n t c e t t e d i f f é r e n c e , M. S c h œ l c h e r n e faisait a u t r e c h o s e q u e c o n s i g n e r u n fait p a r f a i t e m e n t c o n n u d e t o u s les H a ï t i e n s ; p o u r t r o u v e r là u n a p p e l à la g u e r r e c i v i l e , il f a u t , e n v é r i t é , a v o i r u n e imagination

Courrier

d i g n e d'un L a u b a r d e m o n t . Mais le

ne

p e u t r e n o n c e r à s o n d é s i r d e d i v i s e r les c l a s s e s , e t il t r o m p e impudemment.

P o u r y p a r v e n i r , t o u s les m o y e n s lui s o n t

b o n s . A c h a q u e l i g n e , il t e n d à la b o n n e foi d e ses l e c t e u r s l e g u e t - a p e n s d e s e s p a r e n t h è s e s . C'est a i n s i q u e c e t t e c i tation, imprimée de c e t t e m a n i è r e : « Maintenant, donnons la c l e f d e t a n t d e m e n s o n g e s ( d e s m u l â t r e s c o n t r e l e s n o i r s ) » n'est qu'une invention de sa h a i n e . Le t e x t e p o r t e : « Maint e n a n t , d o n n o n s la c l e f d e t a n t d e m e n s o n g e s

de l'embarras des hommes sincères. reusement composée,

Courrier

etc. »

historiques et

La population est m a l h e u -

C'est b i e n d i f f é r e n t ; m a i s

le

est h a b i t u é depuis l o n g t e m p s , s a n s d o u t e , à n e p a s

tenir compte de

« L'aristocratie

l'embarras des hommes sincères !

de la peau jaune,

le Courrier, de la peau blanche. O u i ,

cite encore

« s'est é l e v é e s u r l e s d é b r i s d e c e l l e

« il n ' e s t q u e t r o p v r a i , les m u l â t r e s , g r â c e a u x a v a n t a g e s « qu'ils a v a i e n t s o u s l ' a n c i e n r é g i m e

d'une p e t i t e é d u c a -

« cation première, ont prétendu à une certaine supério-

« rite i n t e l l e c t u e l l e

s u r les n o i r s , e t

ceux-ci leur rendent

« mépris pour mépris. » « Voilà le mépris r é c i p r o q u e h a i n e il n ' y a q u ' u n

inventé ! du mépris

à la

p a s , d e l a h a i n e à l a l u t t e il y a m o i n s

encore. «En

vain

s e r a p p r o c h e n t les d e u x c l a s s e s d a n s l a

vie

« officielle, e l l e s r e s t e n t s é p a r é e s d e f a i t . E x t é r i e u r e m e n t , « les r e l a t i o n s e n t r e

noirs

et

jaunes

sont sur un pied

d'é-


15

« g a l i t é p a r f a i t e ; h o r s du forum

(la p l a c e p u b l i q u e ) , ils

vi-

« v e n t à p a r t . J ' a i a s s i s t é à d e s bals, à des d î n e r s , e t n u l l e « p a r t , j e (le c i t o y e n S c h œ l c h e r ) n'ai v u d e m é l a n g e ( p . 2 3 6 ) . « J ' a i ( t o u j o u r s le c i t o y e n S c h œ l c h e r ) é t é r e ç u d a n s q u e l « q u e s f a m i l l e s e t d a n s a u c u n e j e n'ai v u d e m a r i a g e s d e f u « sion.

Des j e u n e s g e n s d e c o u l e u r n o u s o n t a v o u é

« conscience « périeurs

ils se c r o y a i e n t foncièrement aux nègres,

et organiquement

qu'en su-

quoique, p a r une inconséquence que

« l ' o r g u e i l e x p l i q u e t r è s - b i e n , ils n e s e c r o i e n t p a s i n f é r i e u r s « a u x b l a n c s . — D'autres nous o n t dit qu'ils n'épousaient p a s « des

négresses, p a r c e qu'elles é t a i e n t t r o p p e u éclairées,

« m a i s n o u s n e les a v o n s p a s c r u s ( f l a t t e u r ! ) , c a r l ' é d u c a t i o n « des f e m m e s é t a n t n u l l e i c i , il n'y a p a s u n e s e u l e d e m o i « s e l l e d e c o u l e u r qui a i t u n e s p r i t p l u s c u l t i v é q u ' u n e d e « m o i s e l l e n é g r e s s e . Jaunes

ou noir es, les H a ï t i e n n e s q u i s a -

« v e n t l i r e c o u r a m m e n t s o n t des e x c e p t i o n s ( p . 2 3 9 ) . » A s s u r é m e n t , si M. S c h œ l c h e r e û t t e n u le l a n g a g e q u ' o n l u i p r ê t e , o n p o u r r a i t lui s u p p o s e r à l ' é g a r d d e s m u l â t r e s les

sentiments

qui a n i m e n t l'oligarchie

coloniale c o n t r e

c e t t e r a c e d ' h o m m e s . T o u t e f o i s en d é p l a ç a n t t o u t , e n e s c a m o t a n t i c i u n p r é l i m i n a i r e , là u n e e x p l i c a t i o n , p l u s loin u n e d é d u c t i o n , le T o r q u e m a d a d u Courrier

a c h a n g é en p a -

r o l e s d e h a i n e d e s c o n s i d é r a t i o n s d'un o r d r e p u r e m e n t h i s torique,

et

il

f a u t que la passion

l'aveugle

bien

pour

qu'il n e c r a i g n e p a s d ' ê t r e c o n f o n d u , p o u r qu'il o u b l i e q u e les t e x t e s s o n t l à . Que lui i m p o r t e , a p r è s t o u t ! n ' e s t - c e p a s s c i e m m e n t qu'il a g i t ? S a n s d o u t e l a r é f u t a t i o n n e s e f e r a p a s a t t e n d r e ; m a i s j u s q u e - l à les n è g r e s d e l a M a r t i n i q u e p e n s e r o n t q u e les m u l â t r e s d'Haïti o n t p o u r l e u r s f r è r e s n o i r s u n m é p r i s i n v i n c i b l e , i n s t i n c t i f ; les m u l â t r e s , e u x , p o u r r o n t s ' i m p r e s s i o n n e r des o p i n i o n s q u e l'on a t t r i b u e à M. S c h œ l c h e r , et qu'un soupçon naisse, feste,

qu'une méfiance se m a n i -

les q u e l q u e s m e n e u r s d o n t le Courrier

est l'organe

s ' e s t i m e r o n t h e u r e u x , c a r l e u r influence n e p e u t se p e r p é tuer que par l'antagonisme

des c a s t e s .


16 Quant à nous, qui n o u s efforçons, a u c o n t r a i r e , de d é j o u e r ces froids calculs de l'égoïsme

o u d e la p e u r , n o u s

a l l o n s c o n t i n u e r n o t r e t â c h e e t s u i v r e p a s à p a s l ' a u t e u r d e la p r é t e n d u e e x p o s i t i o n des p r i n c i p e s d e l ' a b o l i t i o n i s t e q u e l'on v e u t f a i r e p a s s e r p o u r l ' e n n e m i d e s c o l o n i e s p a r c e qu'il a é t é l ' e n n e m i d e l ' e s c l a v a g e . Ce n'est p a s d ' a u j o u r d ' h u i , a u r e s t e , q u ' o n a v o u l u c o n f o n d r e la c o n s e r v a t i o n d e s c o l o n i e s a v e c l e m a i n t i e n d u r é g i m e s e r v i l e . N'a-t-on p a s v u j a d i s c e r t a i n s c o l o n s t e l l e m e n t p e r s u a d é s d e la n é c e s s i t é d e l ' e s c l a v a g e q u e , d è s q u e la p r e m i è r e R é p u b l i q u e e u t d é c r é t é l ' é m a n c i p a t i o n , ils l i v r è r e n t n o s d é p a r t e m e n t s d ' o u t r e - m e r a u x A n g l a i s ? R é t a b l i s s o n s d o n c la

vérité. Après avoir expliqué

que

la population est « m a l h e u r e u s e m e n t » c o m p o s é e de d e u x c l a s s e s , M. S c h œ l c h e r r e p r e n d i m m é d i a t e m e n t ( p . 2 3 6 ) : « C'est ici le l i e u d e d é v o i l e r l a p l a i e c a c h é e q u i r o n g e c e m a l h e u r e u x p a y s , la s o u r c e p r i n c i p a l e d e t o u s ses m a u x . « N o u s a v o n s f a i t n o s p r e u v e s ; o n s a i t n o t r e vieille e t p r o f o n d e s y m p a t h i e p o u r la r a c e a f r i c a i n e , p a r c e q u ' e l l e e s t o p p r i m é e ; on

s a i t n o s a r d e n t s d é s i r s d e l a v o i r offrir

m o n d e u n e x e m p l e de société r é g u l i è r e . Nous ne

au

saurions

d o n c ê t r e a c c u s é de vouloir a l l u m e r de m a u v a i s e s passions, •réveiller de vieilles haines, et nous pouvons p a r l e r sans c r a i n t e d'être m a l j u g é . L e vice fondamental, celui qui e m p ê c h e la j e u n e R é p u b l i q u e d e p r e n d r e son e s s o r , c ' e s t q u ' o n y

connaît

encore

deux

lons, en e x p i r a n t , ont

classes

d'hommes

légué à cette

terre

Les infortunée

p r é j u g é de c o u l e u r . Les i n s u r g é s de S a i n t - D o m i n g u e ,

cole si

fiers a u c o m b a t , o n t r o u g i a p r è s la v i c t o i r e d e l a h o n t e q u e l e s a n c i e n s m a î t r e s a t t a c h a i e n t à l e u r s n o m s . Au l i e u

de

f o r c e r le m o n d e à r e s p e c t e r c e s n o m s , c o m m e les g u e u x

fi-

r e n t h o n o r e r le l e u r , ils o n t v o u l u les c a c h e r ; e t a u j o u r d ' h u i c ' e s t offenser c e p e u p l e d e n è g r e s e t d e m u l â t r e s q u e d e les a p p e l e r nègres

e t mulâtres

! Ils s e n o m m e n t n o i r s e t

j a u n e s , p a r c e qu'ils o n t g a r d é p o u r les v i e u x t i t r e s d e l'esc l a v a g e le m é p r i s q u ' a v a i e n t les b l a n c s . »

»


17 Ce n ' e s t q u ' à la s u i t e d e c e t e x o r d e , q u i i n d i q u e

assez,

q u e l s s o n t les v r a i s s e n t i m e n t s d e l ' a u t e u r d u p r é c i s , q u e s e t r o u v e le p a s s a g e e x p l o i t é

p a r le Courrier

: « L'aristo-

c r a t i e d e la p e a u j a u n e , e t c . » P u i s M. S c h œ l c h e r r e p r e n d aussitôt : « On a b e a u s'en d é f e n d r e , il f a u t le d i r e t o u t h a u t , afin q u e c h a c u n c o n n a i s s e b i e n la p e n t e d u p r é c i p i c e , il y a ici deux

c a s t e s : et l e g o u v e r n e m e n t ,

tel

qu'il e s t , loin

les f o n d r e l ' u n e d a n s l ' a u t r e a v e c h a b i l e t é , hostilité.

de

les a mises

en

A la m o i n d r e o p p o s i t i o n d e la c l a s s e j a u n e , le p o u -

v o i r , p o u r s e d é f e n d r e , lui fait e n t e n d r e c e s c o u p a b l e s p a roles

: « P r e n e z g a r d e , restons unis,

ou

les

nègres vont

nous dévorer. » A i n s i , o n le v o i t ,

c e n'est

qu'à r e g r e t que

l'historien

c o n s t a t e les f a i t s . 11 s i g n a l e le m a l , n o n p o u r le m a u d i r e , m a i s p a r c e qu'il e n c r o i t la r é v é l a t i o n u t i l e à t o u s . « Il f a u t le d i r e b i e n h a u t , é c r i t - i l , afin q u e c h a c u n c o n n a i s s e la p e n t e d u p r é c i p i c e ! » P u i s , c o m m e t o u j o u r s , il a c c u s e

exclusive-

m e n t le g o u v e r n e m e n t , « q u i , a u lieu d e f o n d r e les

deux

c a s t e s l ' u n e d a n s l ' a u t r e a v e c h a b i l e t é , les a m i s e s e n h o s t i l i t é » e t p a r a l y s e les b o n s m o u v e m e n t s des m u l â t r e s en l e u r i n s p i r a n t la c r a i n t e des n è g r e s . On c o n ç o i t q u e le

Courrier

ait c o m p l é t e m e n t s u p p r i m é ce p a r a g r a p h e p o u r a r r i v e r

à

c e l u i - c i , qu'il c i t e e n le t r o n q u a n t , c o m m e d ' h a b i t u d e , m a i s que nous rétablissons : « E n v a i n s e r a p p r o c h e n t les d e u x c l a s s e s d a n s la vie offic i e l l e , e l l e s r e s t e n t s é p a r é e s de f a i t . Je ne dis pas que leur

éloi-

gnement

Ex-

l'une de l ' a u t r e est chose avouée, je dis qu'il existe.

t é r i e u r e m e n t , les r e l a t i o n s e n t r e n o i r s et j a u n e s s o n t s u r u n pied d ' é g a l i t é p a r f a i t e ; h o r s du forum,

ils v i v e n t à p a r t . J ' a i

a s s i s t é à d e s b a l s , à d e s d î n e r s , e t n u l l e p a r t j e n'ai v u

de

mélange. J'ai été r e ç u dans quelques familles,

et dans a u -

c u n e j e n'ai v u d e m a r i a g e s d e fusion, du moins

sont-ils

à fait

tout

exceptionnels.»

« L'ignorance

générale,

on le conçoit

sans peine,

contribue

2


18

beaucoup à entretenir ce funeste préjugé. bons et sincères, n o u s o n t a v o u é

couleur,

Des j e u n e s g e n s d e q u ' e n c o n s c i e n c e ils

se croyaient foncièrement et o r g a n i q u e m e n t supérieurs a u x nègres,

quoique,

par

une

inconséquence

que

l'orgueil

e x p l i q u e t r è s - b i e n , il n e s e c r o i e n t p a s i n f é r i e u r s a u x b l a n c s .

Et chez ces jeunes gens, nous le pouvons attester, il y avait bien moins de sotte vanité qu'une absence complète de principes philosophiques, par suite d'un défaut total d'instruction. En effet, ceux qui ont été élevés en Europe ne partagent point de telles erreurs. D ' a u t r e s n o u s o n t d i t qu'ils n ' é p o u s a i e n t p a s d e n é gresses p a r c e qu'elles é t a i e n t t r o p peu éclairées ; mais nous n e les a v o n s p a s c r u s , c a r l ' é d u c a t i o n d e s f e m m e s é t a n t ici a b s o l u m e n t n u l l e , il n'y a p a s u n e s e u l e d e m o i s e l l e d e c o u leur qui ait u n esprit plus cultivé

qu'une demoiselle

né-

g r e s s e . J a u n e s o u n o i r e s , les H a ï t i e n n e s qui s a v e n t lire c o u r a m m e n t sont des e x c e p t i o n s . » ( P a g e 2 3 9 . ) Q u e l'on c o m p a r e c e t e x t e a v e c c e l u i p r o d u i t p a r

rier

le Cour-

e t q u e l'on j u g e ! N o u s a v o n s s o u l i g n é t o u t c e q u i a é t é

honnêtement supprimé,

e t l'on p e u t s e c o n v a i n c r e q u e c e s

s u p p r e s s i o n s n e s o n t p o i n t le f a i t d u h a s a r d , c a r elles p o r t e n t p r é c i s é m e n t s u r les p h r a s e s q u i e n l è v e n t tout

caractère

a u x choses

a c r i m o n i e u x ; sur celle, p a r e x e m p l e ,

qui

i n d i q u e q u e , si les j e u n e s g e n s d e c o u l e u r s e c r o i e n t s u p é r i e u r s a u x n è g r e s , c e l a e s t dû à l e u r i g n o r a n c e , q u e c ' e s t u n p r é j u g é qui a s u r v é c u f a t a l e m e n t

à la r é g é n é r a t i o n d ' u n e

p o p u l a t i o n a u t r e f o i s c o r r o m p u e p a r l'influence d é l é t è r e d u r é g i m e s e r v i l e ; s u r c e t t e p h r a s e enfin q u i d i t

formellement

q u e « les j e u n e s g e n s é l e v é s en E u r o p e n e p a r t a g e n t p a s d e telles e r r e u r s . » Il e s t d o n c c o n s t a n t q u e u n e perfidie

sans

égale

le Courrier

des

a transformé avec

observations

philosophiques

f a i t e s s u r un c e r t a i n n o m b r e d ' i n d i v i d u s s a n s i n s t r u c t i o n , e n u n e a c c u s a t i o n g é n é r a l e . P o u r q u o i l'organe des v i e u x p r é jugés

a-t-il

commis

cette indigne

a c t i o n ? C'est

évidem-

m e n t afin d e d é c o n s i d é r e r l ' a n c i e n p r é s i d e n t d e la c o m m i s -


19 sion d'affranchissement et de semer des défiances parmi les émancipés. Les extraits suivants et les commentaires qui les a c c o m pagnent révèlent le même esprit et la même loyauté. « P o u r q u o i ai-je (le

citoyen Schœlcher) été

présenté

« comme un agent de discorde par les amis du gouverne« ment de Saint-Domingue? comme un agent qui vient se« m e r la division entre deux castes? » « Il le demande audacieusement! il s'en plaint effrontément, l'écrivain qui fait venir cent fois par pages sous sa plume les dénominations distinctives gres

et de mulâtres!

et séparatives de nè-

11 s'en étonne, avec un aplomb h y p o -

crite, l'inventeur de la faction jaune,

ce mot qui sert de t i t r e ,

c e t t e invention qui est la matière du chapitre V de son livre, de tout un chapitre de ce livre ! Il continue : « Vous reconnaissez donc deux castes ? A vous le crime!

»

« Il impute à autrui son fait; il les en marque pour leur perte ! Voyez plutôt : à l'en croire, ce n'est pas dans son livre... « C'est dans le fait

du gouvernement

de couleur

qu'il faut

« chercher l'origine de ces divisions. Avilir et dégrader un « peuple (le peuple noir) pour le dominer, c'est ce que l'on « voit à Saint-Domingue. (Page 2 3 8 . ) « Si l'on en croit ce que disent encore aujourd'hui les « jaunes,

Toussaint (général nègre) a tué 2 2 , 0 0 0 m u l â t r e s ;

« Christophe (autre général nègre), en a tué 1 5 , 0 0 0 , et Des« salines (toujours un noir), 1 5 , 0 0 0 ; total : 5 2 , 0 0 0 mulâtres « tués par les généraux nègres. » « Si le citoyen Schœlcher, on va le voir, met ces a c c u s a tions dans la bouche des hommes de couleur, des

jaunes,

c o m m e il les appelle, c'est pour insinuer qu'ils avaient besoin d'un p r é t e x t e pour colorer, comme représailles, les cruautés qu'il va leur r e p r o c h e r . Il poursuit : « Rigaud (de couleur) souleva une guerre de caste : il y « eut beaucoup de sang répandu, et les mulâtres,

quirièpar-


20

« gnèrent pas les nègres,

quand ils le purent,

accusent aujour-

« d'hui les chefs noirs d'avoir voulu les e x t e r m i n e r . « Une preuve sûre que les nègres ne le voulaient pas, c'est « qu'ils ne l'ont pas fait, car ils étaient dix contre un ; et si « les mulâtres comptaient chez eux les intrépides par c e n t a i « nes, les nègres trouvaient au milieu d'eux les téméraires « par milliers. Il est constant que Boyer (mulâtre) « intellectuellement

assassine

la race noire. » (Page 2 3 9 . )

« Peut-on faire à ces hommes leur procès avec plus d'a« charnement ? » A ces citations tellement de pures inventions,

mutilées qu'elles

deviennent

dont il est ensuite facile de tirer les

conclusions les plus contraires à la pensée de l'auteur, opposons le t e x t e primitif. (Page 2 3 7 et suivantes.) « Qui faut-il accuser de c e t t e scission ? Ne sont-ce pas les sang-mêlés qui en sont les vrais coupables? N'était-ce pas à eux à dissiper les ténèbres, puisqu'ils étaient les plus éclairés, puisqu'ils avaient le pouvoir en m a i n ? Pourquoi existe-t-il d e u x couleurs aujourd'hui qu'ils commandent, quand, a u x jours des batailles, la nation ne faisait qu'une grande a r m é e de frères? Lorsque la Constitution de 1 8 0 4 , celle qui a c c o m pagna l'acte d'indépendance, déclare « que tout Haïtien sera connu sous la dénomination générique de noirs, » lorsque sous Dessalines tous les mulâtres se vantaient d'être nègres, pourquoi ont-ils fait qu'un ennemi puisse encore trouver des éléments de trouble dans ces tristes et fatales distinctions? Pourquoi, parce que je me suis, moi, abolitionniste avoué cependant, prononcé contre ment,

le machiavélisme

du

gouverne-

ai-je été présenté, ai-je pu être présenté par ses amis

c o m m e un agent de discorde qui venait semer la division entre les deux castes? Vous reconnaissez donc deux c a s t e s ? A vous le crime ; il ne devrait y avoir ici qu'un peuple. de couleur

qu'il

faut chercher l'origine de ces divisions. Il a d û ,

« C'est dans

le

fait du gouvernement

pour

se soutenir, devenir une faction, créer à son profit des


21

intérêts différents de ceux du peuple,

et c'est là aussi

l'origine et l'explication de son affreuse politique. Redout a n t les masses noires, il éloigne d'elles avec soin l'éducation, qui leur donnerait le sentiment de leur dignité; il les abandonne à un clergé corrompu, auquel elles ont foi et qui les démoralise ; il les maintient dans la paresse, qui affaiblit le c o r p s ; dans l'ignorance, qui appauvrit la t ê t e , afin de les dominer toujours sans qu'elles aient la pensée ni la faculté de songer à reprendre la puissance. La nation, caressée dans les goûts d'indolence communs à tous les peuples sans lumière, aime un pouvoir qui flatte ses vices; et plus elle dégénère, plus son abrutissement sert à la r e n d r e maniable. La pauvreté, la paresse et l'ignorance sont devenues moyens de gouvernement dans les mains de cette nistration sauver

sacrilége.

le pays

Les esprits

plus

nobles

qui tentent

des admide

ne trouvent nul ressort dans les âmes, ou

sont bien vite écrasés par une a r m é e nombreuse, dont la stupidité assure l'aveugle obéissance. « Avilir et dégrader un peuple pour le dominer, c'est la conception la plus hideuse qui se puisse imaginer. Eh bien ! c'est ce qu'on voit en Haïti. Christophe assassinait comme un barbare, Boyer

infiltre

lentement

le poison

comme u n

bourreau raffiné. « Si l'on en croit ce que disent encore aujourd'hui les jaunes, Toussaint a tué 2 2 , 0 0 0 mulâtres, Christophe 1 5 , 0 0 0 , et Dessalines 1 5 , 0 0 0 ; à e u x trois 5 2 , 0 0 0 ; personne n'ignore cependant que la population entière des gens de couleur de Saint-Domingue,

y compris les femmes et les enfants, ne

s'élevait pas à plus de 4 0 , 0 0 0 ames en 1 7 8 9 , et qu'il en périt un grand nombre dans leurs démêlés avec les blancs! « Rigaud souleva malheureusement une guerre de caste entre les émancipés. Il y eut beaucoup de sang répandu de p a r t et d'autre, et les mulâtres, qui n'épargnèrent pas les nègres, quand ils purent, accusent aujourd'hui les chefs noirs d'avoir voulu les e x t e r m i n e r . Une preuve sûre que


22 les n è g r e s n e le v o u l a i e n t p a s , c ' e s t qu'ils n e l ' o n t p a s f a i t , c a r ils é t a i e n t d i x c o n t r e u n , e t si les m u l â t r e s c o m p t a i e n t c h e z e u x les i n t r é p i d e s p a r c e n t a i n e s , les n è g r e s t r o u v a i e n t au m i l i e u d ' e u x d e s t é m é r a i r e s p a r m i l l i e r s . R i e n n ' e s t d o n c m o i n s d é m o n t r é q u e la p r é t e n d u e v o l o n t é q u ' a u r a i e n t e u Toussaint, jaune;

Christophe

m a i s il e s t

et

Dessalines,

d'anéantir

la r a c e

constant que B o y e r , à l'imitation

de

P é t i o n , a s s a s s i n e i n t e l l e c t u e l l e m e n t la r a c e n o i r e . « Le g o u v e r n e m e n t de B o y e r est quelque chose de bien plus infâme pression.

qu'un g o u v e r n e m e n t de violence et de c o m -

II n ' e s t p a s a r r i v é a u d e s p o t i s m e

e n b r i s a n t les

m e m b r e s d u c o r p s p o p u l a i r e , m a i s e n l'affaiblissant ; H n e t u e p a s , il é n e r v e . » Il e s t é v i d e n t ,

pour quiconque est

de

bonne

foi,

que

c e t t e a p p r é c i a t i o n d e la s i t u a t i o n p o l i t i q u e d'Haïti n ' e s t en a u c u n e m a n i è r e le p r o c è s d e la c l a s s e d e c o u l e u r . Ce n ' e s t p a s à elle q u e s ' a d r e s s e n t les r e p r o c h e s d e M . S c h œ l c h e r ; le président B o y e r , « son a d m i n i s t r a t i o n s a c r i l é g e » et la f a c t i o n q u i l ' e n t o u r e s o n t seuls en c a u s e . T a n t il e s t v r a i q u e l ' a u t e u r fait r e m a r q u e r q u e ce g o u v e r n e m e n t é c r a s e t o u s les h o m m e s d e c o u l e u r q u i ,

plus nobles

que lui,

et

g é n é r e u s e m e n t inspirés, v e u l e n t s a u v e r le p a y s p a r l'égal i t é e t la f u s i o n v é r i t a b l e s . S'il fallait e n c o r e u n t é m o i g n a g e d u s e n t i m e n t q u i a n i m a i t l'écrivain abolitioniste,

n o u s le t r o u v e r i o n s d a n s c e s

lignes (p. 1 9 7 ) : « L'état de l'instruction publique ne laisse a u c u n d o u t e s u r les jours

desseins

faire

du

remonter

président

Boyer,

le blâme,

puisque sa v o l o n t é est sou-

auquel

on doit

tou-

v e r a i n e . Il n'y a q u e d i x é c o l e s g r a t u i t e s s u r la s u r f a c e e n t i è r e d e l'île, e t c o m m e c h a c u n e d e c e s é c o l e s n'a q u ' u n seul

maître,

elles

ne

peuvent

certainement

contenir,

l ' u n e d a n s l ' a u t r e , a u d e l à d e c e n t d i s c i p l e s . Voilà d o n c t o u t au p l u s m i l l e e n f a n t s a u x q u e l s on a p p r e n d à l i r e e t à é c r i r e s u r u n e p o p u l a t i o n de s e p t c e n t mille â m e s qui, p r é c i s é -


23 ment parce qu'elle sortait d'esclavage, avait plus

besoin

qu'aucune autre d'être éclairée avec soin! C'est ainsi que M. Boyer, gardien dépositaire de la Constitution, entend les obligations que lui impose l'art. 3 6 : « Il sera créé et o r g a « nisé une institution publique commune à tous les citoyens, « gratuite à l'égard des parties d'enseignement

indispensa-

« bles pour tous les hommes, dont les établissements seront « distribués graduellement dans un rapport combiné avec la « division de la République. » « Il est bon de faire remarquer de plus que les écoles g r a tuites existantes, si peu nombreuses qu'elles soient, sont à vrai dire encore des lieux de privilége. On n'y est admis qu'après en avoir obtenu licence des conseils tion,

d'instruc-

et nous pouvons attester qu'ils laissent passer plus

d'enfants jaunes que d'enfants noirs. » A ce paragraphe est jointe la note suivante : « La sollicitude que la loi réclame pour l'éducation publi« que exige que les commissions

d'instruction publique

« prescrivent les meilleurs modes d'enseignement, et « à ce que cet enseignement « nable

dans

la République,

« une émulation

soit réparti

d'une

et à ce que partout

utile aux bonnes

études.

« Voilà ce que disait le Patriote

veillent

manière il

conves'établisse

» au commencement de

c e t t e année; o r , si l'on prend la peine de remarquer qu'il est rédigé par des mulâtres, et qu'ils ne veulent pas publiquement avouer dans la République que la population est divisée en deux classes, on comprendra très-bien que par cette répartition lation utile,

convenable

de l'enseignement et par

l'ému-

ils entendent que l'on admette les enfants noirs

à partager le privilège des jaunes. » (P. 1 9 8 . ) Cette note ne dit-elle pas expressément que ce sont des mulâtres

qui demandent, qui veulent que les enfants noirs

soient admis à partager l'éducation dont un pouvoir m a chiavélique voulait faire le privilège des jaunes? M. Schcelc h e r ne prouve-t-il pas aussi qu'il ne s'en prend qu'à la


24

faction dont M. Boyer était le chef, lorsqu'il termine ainsi son chapitre V, dont le titre, la faction le conciliant Courrier

jaune,

fait frémir

:

« Les jeunes gens de la classe privilégiée valent mieux que les vieillards. Ils ont une intelligence besoins de la quand les

p a t r i e ; ils

affaires tomberont

mains. Nous

reuses.

plus large des

p e u t - ê t r e la sauver

naturellement dans

en avons connu plus

un devoir de réparer lent mettre

pourront

le mal de leur gouvernement,

des talents

leurs

d'un qui regardent

réels au service

des idées

comme

et qui les plus

veugéné-

Puissent-ils réussir bientôt ! Il suffit d'un jour, d'une

h e u r e , d'une volonté heureuse pour acheminer d'un seul coup vers la civilisation ce peuple, le meilleur et le plus docile de la terre (p. 245). » Qui croirait cependant

que c'est un chapitre qui finit

par le passage qu'on vient de lire que le Courrier

signale

comme écrit en haine des m u l â t r e s , pour amener la g u e r r e civile entre e u x et les nègres ? On reconnaît bien là les disciples de Basile, comme on les r e t r o u v e encore dans cette a u t r e citation arrangée

par e u x :

« Mais continuons, dit le Courrier,

les charges a c c u m u -

lées contre les mulâtres. Nous arriverons bientôt avec le c i toyen Schœlcher à la condamnation et à l'exécuteur : « Les noirs éclairés gardent un morne silence; ils n'ex« priment pas une plainte, mais ils observent et rien ne leur « échappe. On prend, disent c e u x qui livrent leur pensée, on « prend, il est vrai, de temps en temps, quelques-uns d'entre « nous pour les placer afin de nous point trop blesser; ceux « de nos vieux généraux que l'on n'a pas fusillés n'ont pas perdu « leurs grades; mais pourquoi la classe de couleur remplit« elle les principales fonctions, les ministères, les siéges des « tribunaux, toutes les avenues du pouvoir? Pourquoi elle « seule tient-elle les clefs du p a y s ? Pourquoi dans le sénat, « composé de vingt-quatre membres, compte-t-on seulement « quatre ou cinq nègres? Nous sommes

en majorité immense


25

« dans la nation, en t r è s - p e t i t e minorité dans les charges « p u b l i q u e s ; la proportion ne se rétablit que dans les geôles « et les bas grades de l'armée. On nous éloigne de la lu« mière (p. 2 4 4 ) . » Dans le t e x t e il n'y a pas simplement : « On nous éloigne de la lumière; » il y a : « E n vérité, la balance n'est pas égale, et elle restera longtemps inégale, c a r loin de préparer un meilleur avenir pour nos enfants par un bon système d'éducation générale, on éloigne de nous la lumière. » Au reste, pour motiver la reproduction de ce passage, le rédacteur du Courrier accuse M. Schœlcher de nous ne savons quelle absurde complicité, de quelle infernale machination, mais ce n'est que pour masquer son misérable dessein qui est d'exciter les noirs et les mulâtres les uns contre les autres. En effet, de cette citation tronquée et commentée avec une

insigne

mauvaise foi, on ne peut tirer que cette conclusion à l'adresse des noirs de la Martinique ; c'est que les émancipés de 1 8 4 8 ne doivent pas se fier a u x émancipés de 1 8 3 0 . T a n dis qu'au c o n t r a i r e , nous ne cesserons de le répéter, les réflexions de M. Schœlcher cyniquement exploitées par la malveillance ne peuvent s'appliquer,

comme tout le

reste, qu'au gouvernement de Boyer et non à la classe jaune, puisque M. Schœlcher dit expressément (page 198) que ce sont les jaunes qui demandent l'éducation

POUR

T O U S ; l'éducation qui doit faire disparaître l'inégalité de la balance.

Le Courrier,

il est vrai, a jugé à propos de

r e t r a n c h e r ces phrases de son extrait textuel

et de sou-

ligner ces mots : « Ceux de nos généraux que l'on pas

fusillés.

n'a

» Par cette manœuvre l'habile découpeur de

phrases a trouvé moyen, non-seulement d'empêcher l'auteur d'exprimer sa pensée, mais encore de lui faire énoncer tout autre chose, car c'est dire a u x nègres : Méfiez-vous des mulâtres qui feraient fusiller vos chefs. Et cela lorsqu'il résulte de l'ensemble du passage que ces mots font allusion à l'assassinat des généraux Richard et Paul Romain commis


26 p a r B o y e r , e t s o n t u n e n o u v e l l e p r e u v e q u e les p l a i n t e s r e cueillies p a r l'abolitioniste

v o y a g e u r s'adressent

exclusive-

ment au président Boyer. E n c o n t i n u a n t son œ u v r e t a t i o n s d e t e x t e , le Courrier

de diffamation

par interpré-

cite encore ce passage :

« T o u t c e q u e les v o y a g e u r s o n t d i t d u d é l a b r e m e n t

de

« l ' a r m é e , je suis h o n t e u x , m a i s obligé de l'avouer, est i n « contestablement vrai. A des revues passées par le président « e n p e r s o n n e , il m ' a é t é d o n n é d e v o i r , d e m e s y e u x , des « soldats sans s h a k o et n u - t ê t e ; d'autres pieds nus ; d ' a u t r e s « en s a v a t e s r e c o u s u e s a v e c d u fil b l a n c ; tous, y compris « les officiers,

même

en pantalons de diverses c o u l e u r s , a v e c des h a -

« bits p l u s o u m o i n s d é c h i r é s , e t q u e l q u e f o i s e n g u e n i l l e s . J e « m e r a p p e l l e u n g r e n a d i e r d o n t la c u l o t t e n ' a v a i t

qu'une

« j a m b e . C e s c h o s e s s e r a i e n t si f a c i l e s à c o r r i g e r q u ' i l s e m « b l e i m p o s s i b l e d e n e p a s y r e c o n n a î t r e d e la p a r t du c h e f « q u i les t o l è r e u n e i n t e n t i o n p r é m é d i t é e qui s e lie à u n s y s « t è m e général de démoralisation (p. 248). » « L e c i t o y e n S c h œ l c h e r n e n é g l i g e , c o m m e o n !e v o i t , a u c u n e p r é c a u t i o n , a u c u n m o y e n . V o u s ê t e s s i x c e n t m i l l e , les m u l â t r e s n e s o n t q u e s o i x a n t e m i l l e . S'ils o n t d e s i n t r é p i d e s p a r centaines, vous avez des

téméraires par milliers.

Que

c r a i g n e z - v o u s ? L ' a r m é e ? Elle est sans shakos, en guenilles et démoralisée! » Le Courrier

n'a r i e n o u b l i é d a n s son o d i e u x

réquisitoire.

P l u s il a r r i v e p r è s d e la c o n c l u s i o n , p l u s s o n i n t e n t i o n

de-

v i e n t é v i d e n t e . Quoi qu'il e n s o i t , si l'on p r e n d le l i v r e d e M. S c h œ l c h e r ,

si l'on m e t la c i t a t i o n à sa p l a c e , o n f a i t

b i e n t ô t j u s t i c e d e t o u s c e s p r o c é d é s d ' E s c o b a r . Ce d e r n i e r paragraphe appartient à un

c h a p i t r e intitulé :

l'Armée.

M. S c h œ l c h e r r a p p o r t e q u ' e l l e a b s o r b e la p l u s g r a n d e p a r t i e d u b u d g e t d'Haïti e t

q u e cependant elle est dans un é t a t

d é p l o r a b l e . D e v a i t - i l n i e r o u c a c h e r l ' é v i d e n c e ? Qui o s e r a i t l e s o u t e n i r ? Si l ' h i s t o r i e n e s t c o u p a b l e d e c o n s i g n e r l e s f a i t s p a r c e qu'ils p e u v e n t ê t r e f a u s s e m e n t

i n t e r p r é t é s , de

quel


27

n o m n e s t i g m a t i s e r a - t - o n pas l'écrivain

qui d é n a t u r e

ces

m ê m e s f a i t s p o u r s a t i s f a i r e s e s r a n c u n e s en i n j u r i a n t t o u r à t o u r c e l u i q u i les r a c o n t e e t c e u x q u i en o n t é t é les a c t e u r s ? N o u s laissons à la c o n s c i e n c e p u b l i q u e le soin d e r é p o n d r e ! Au s u r p l u s , o n n e p e u t s'y t r o m p e r , c'est t o u j o u r s d e M. B o y e r qu'il e s t q u e s t i o n i c i , c ' e s t lui seul q u i est en c a u s e , c a r M. S c h œ l c h e r , a p r è s a v o i r c o n s t a t é la s i t u a t i o n , a j o u t e (p. 2 5 0 ) : « C'est sabilité

encore

au chef qu'il faut faire

remonter

la

respon-

d e c e s t r o u p e s en s a v a t e s , c ' e s t b i e n r é e l l e m e n t à

M. B o y e r q u ' o n e s t e n d r o i t d'en d e m a n d e r c o m p t e . A m o i n s qu'on ne veuille a d m e t t r e l'impossibilité de discipliner

des

n è g r e s e t des m u l â t r e s , il e s t h o r s d e d o u t e qu'ils le s e r a i e n t s'il le v o u l a i t , p u i s q u ' i l

n'aurait qu'à c o m m a n d e r . Les en-

n e m i s d e s n è g r e s d i r o n t p e u t - ê t r e qu'il f a u t s'en p r e n d r e a u c a r a c t è r e d e la r a c e n o i r e , d o n t le c h e f d e la R é p u b l i q u e n'aurait pu

v a i n c r e l'insouciance

m e n t se fait-il q u ' a u t r e p a r t ,

native;

mais

alors com-

e t n o t a m m e n t d a n s les î l e s

a n g l a i s e s o u d a n s n o t r e c o l o n i e d u S é n é g a l , les n è g r e s f a s sent de très-bons soldats, non-seulement

de bataille, m a i s

a u s s i de r e v u e ? E n c o r e u n e fois, t o u t d é p e n d d e s c h e f s , c e l a e s t si v r a i q u e l ' a r m é e m e x i c a i n e , c o m p o s é e

et

d'hommes

p a r f a i t e m e n t blancs, ne p r é s e n t e pas (ou du moins ne p r é s e n t a i t p a s , il y t r e i z e a n s , q u a n d n o u s la v î m e s ) u n a s p e c t b e a u c o u p m i e u x ordonné q u e celui de l'armée haïtienne. » L ' h o n n ê t e c o m m e n t a t e u r , fidèle à ses h a b i t u d e s , critique et o m e t

la j u s t i f i c a t i o n .

q u e la c l a s s e

qu'il d é t e s t e

auteur

contribué à t u e r l'esclavage.

qui

a

loin de vouloir

ridiculiser

sous

Par ce moyen

il p a s

soin d e p r o u v e r q u e

bons soldats, donne,

atta-

p r é t e x t e de réfuter

l'armée

c h e f q u e M. S c h œ l c h e r i m p u t e

c i t e la il

un

Cependant,

haïtienne,

c'est

sa d é m o r a l i s a t i o n .

au

N'a-t-

les H a ï t i e n s p e u v e n t f a i r e d e

q u e les s o l d a t s b l a n c s , q u a n d

on

les a b a n -

offrent bien v i t e le m ê m e s p e c t a c l e q u e l ' a r m é e d u

président B o y e r ? Malgré cela, après avoir calomnieusement


28 prétendu, nous ne savons dans quel intérêt, que l'auteur du Précis

sur Haïti

tres, le Courrier,

poussait les noirs à se ruer sur les mulâ-

pour donner plus de poids à ses assertions,

lui prête ce langage : « Espérez-vous un c h a n g e m e n t ? J a m a i s ; il y a parti pris « de vous démoraliser ; adoption d'un système

général

de

« démoralisation! Voyez plutôt : « La politique

de laisser faire, de laisser passer, devra

« rester celle de tous c e u x de la caste de couleur qui se suc« céderont dans le gouvernement. C'est le châtiment de « la classe de couleur de ne pouvoir régner que par la m i « sère sur l'ignorance, au milieu des ruines... » (Page 2 4 1 . ) « Déjà, suivant le Courrier,

M. Schœlcher s'est écrié à la

« page 2 1 3 : « Qui donc délivrera la République de ces impuissants? » « Il met ces impuissants en d e m e u r e ; il les pose c o m m e des u s u r p a t e u r s ; il lance sur eux sa machine révolutionnaire à toute v a p e u r , et il leur crie : Gare! « A y e z donc, vous, hommes jaunes,

le courage d'abandon-

« ner les rênes, puisqu'il vous est impossible de conduire le « c h a r ; songez que vous ne pourrez jamais rien faire de « bien! » (P. 2 4 1 . ) « Il sait bien, le citoyen Schœlcher, que les hommes

jau-

nes ne peuvent abandonner le c h a r qui p o r t e leur famille et les destinées du pays ; ne sachant à qui en r e m e t t r e les r ê nes, et alors

Mais au bout de la catastrophe si perfide-

m e n t préparée, laisse-t-il hommes

jaunes,

au moins a u x impuissants,

aux

le refuge de leurs bonnes intentions? Non,

pas même cette ressource ! « Si ce peuple (le peuple noir) ne produit rien, c'est qu'il « étouffe sous le manteau de plomb étendu sur lui ; c'est « qu'onle « nier!

veut pauvre,

ignorant,

presque

affamé, afin de le ma-

» (P. 3 2 6 . )

« E h bien! citoyen Schœlcher, qu'avez-vous peuple, de sa liberté, de son a v e n i r ? »

fait de ce


29

Pour faire pendre un homme, un célèbre coquin n'avait besoin que de deux lignes de son é c r i t u r e . Le Laubardemont du Courrier

est plus e x p e r t . II se passerait volontiers

des deux lignes demandées, t a n t sa perversité est g r a n d e ! Quand les prétextes lui manquent, il les invente; quand les textes lui font défaut, il les fabrique. Il prend un mot au commencement d'un chapitre, un autre à la fin, souligne une expression ou la supprime à son g r é ; puis, lorsque cet abominable travail est accompli, il le commente encore, l'analyse, et comme ces habiles chimistes qui trouvent du poison partout, le rédacteur du Courrier

finit

p a r conclure

que l'ouvrage est empoisonné; il incrimine l'auteur, le juge, le condamne et l'exécute séance tenante ! La citation précédente est un exemple, entre mille, de cette manière d'opérer; car pour dresser son a c t e d'accusation, le Courrier

a été obligé d'aller prendre çà et là des

lambeaux de phrases, pages 2 4 1 , 3 1 3 , 2 4 1 , 3 2 6 . Remises à leur place, toutes ces phrases sont expliquées,

complétées

par ce qui les entoure, et elles ont une signification que les arrangements de la mauvaise foi leur font perdre. C'est ainsi que la tirade entière du journaliste de l'esclavage est fausse, honteusement fausse

M. Schœlcher, par exemple,

n'a pas dit : « Qui donc délivrera la République de ces i m puissants? » Le t e x t e original porte, page 2 1 3 : « Qui donc délivrera la République de l'hypocrisie

de ces impuissants? »

N'y a-t-il pas dans c e t t e seule variante un changement t o t a l ? D'ailleurs,

lorsque

M. Schœlcher s'exprimait de la

sorte, ce n'était pas, comme l'insinue jésuitiquement Courrier,

le

a u x mulâtres qu'il s'adressait, c'était au vieux

général Inginac, l'un des complices de Boyer, qui, dans un opuscule, avait déclaré tout haut « que ce n'est pas l'auto« rite supérieure qui peut porter l'éducation nationale à « t o u t son développement, et que c'est a u x citoyens à e n t r e r « dans les dédales des milliers de ramifications qui doivent « faire avancer l'éducation des enfants d'Haïti. »


30

Eh

bien,

parce

qu'en

face

l o i r , q u i n ' a b o u t i s s a i t q u ' a u statu

de

ce prétendu

bon

vou-

quo, M. S c h œ l c h e r a p r o -

t e s t é , p a r c e qu'il a é m i s le v œ u d e v o i r à la t è t e d u g o u v e r n e m e n t d'Haïti d e s h o m m e s d i g n e s d e l e u r h a u t e le Courrier

mission,

l'accuse d'avoir f o m e n t é la g u e r r e civile ! Les i n -

v e n t e u r s de la c o m p l i c i t é m o r a l e s o n t dépassés ! V o y o n s m a i n t e n a n t l e r e s t e . M. S c h œ l c h e r , a n a l y s a n t l a politique

du président B o y e r e t de son p r é d é c e s s e u r , a dit

(p. 2 4 0 ) : « S'il e s t q u e l q u e

c h o s e de plus haïssable qu'un civilisa-

t e u r t y r a n et s a n g u i n a i r e , n'est-ce pas un c h e f de peuple q u i d é s h o n o r e la l i b e r t é e t avilit l ' e s p è c e h u m a i n e e n d o n n a n t c a r r i è r e a u x vices de la l i c e n c e ? « E t , il f a u t l e d i r e , c e t t e p o l i t i q u e d e l a i s s e r f a i r e e t l a i s s e r p a s s e r , q u i fut

celle de P é t i o n , qui est celle de B o y e r ,

d e v r a r e s t e r c e l l e d e t o u s c e u x d e l e u r c a s t e q u i les r e m p l a c e r a i e n t . C'est le c h â t i m e n t infligé à l ' a m b i t i o n de l a c l a s s e d e c o u l e u r , d e n e p o u v o i r r é g n e r q u e p a r la m i s è r e s u r l'ig n o r a n c e , a u m i l i e u des r u i n e s . Il n e f a u t p a s s'y t r o m p e r , e n effet ; si la r é p u b l i q u e e s t t o m b é e a u d e g r é o ù o n l a v o i t s o u s l ' a d m i n i s t r a t i o n d e s h o m m e s j a u n e s , c e n ' e s t ni à l e u r incapacité

n i à l e u r méchanceté

e n n e m i s d u s a n g a f r i c a i n , qu'il

natives,

comme

disent

les

f a u t s'en p r e n d r e , m a i s à

l e u r p o s i t i o n . T a n t qu'ils c o n s e r v e r o n t le p o u v o i r , ils s e r o n t invinciblement

c o n d a m n é s p a r l a p e u r à p e r p é t u e r la

c e n c e . Ce q u e n o u s

li-

d i s o n s e s t si v r a i q u e b i e n des g e n s d e

c e t t e c l a s s e , q u i s e n t e n t le m a l e t d é p l o r e n t la h o n t e d e leur état, n'osent r e m u e r et s'arrêtent dans t o u t projet de réforme,

parce

que,

d i s e n t - i l s , « si n o u s r e n v e r s i o n s l a

« p u i s s a n c e q u i é t o u f f e la r é p u b l i q u e e t n o u s p e r d d a n s l ' o « pinion du m o n d e civilisé,

la r é v o l t e t o u r n e r a i t a u p r o f i t

« des n o i r s . » « A y e z d o n c , v o u s , h o m m e s j a u n e s , le c o u r a g e d ' a b a n d o n n e r les r ê n e s , p u i s q u ' i l v o u s e s t i m p o s s i b l e

de c o n d u i r e le

c h a r . Songez que vous ne pourrez j a m a i s rien faire de bien,


31

e t q u e toute action énergique que vous voudriez exercer, pour relever le noir avili, serait considérée par lui comme un acte d'oppression de l'aristocratie mulâtre, et le mènerait à la révolte.

T a n t q u e le g o u v e r n e m e n t

n o r m a l d'Haïti,

un

gou-

v e r n e m e n t de majorité, c'est-à-dire un g o u v e r n e m e n t noir, ne

s e r a p a s é t a b l i , l a r é p u b l i q u e v i v r a d'une v i e p r é c a i r e ,

fausse, misérable et s o u r d e m e n t inquiète. Laissez venir

un

n è g r e , e t t o u t c h a n g e d e f a c e . Il p e u t a t t a q u e r l e s v i c e s d e front sans rien c r a i n d r e ;

les masses ne sauraient éveillées qu'il vous faut faut ménager. »

il p e u t

agir avec vigueur, c a r

avoir contre lui les défiances toujours redouter, les susceptibilités qu'il vous

Après avoir lu c e qui p r é c è d e , t o u t esprit i m p a r t i a l tera convaincu

res-

qu'il n'y a v a i t r i e n d ' h o s t i l e d a n s l a p e n s é e

d e l ' a u t e u r . C'est l ' a p p r é c i a t i o n d ' u n e s i t u a t i o n m a l h e u r e u s e m e n t f a t a l e , e t l é g u é e p a r les p r é j u g é s d u p a s s é . Ce j u g e m e n t e s t a u r e s t e si v r a i , si j u s t e , q u e les m u l â t r e s q u i r e n versèrent Boyer ont toujours contribué depuis à n o m m e r d e s n è g r e s p o u r P r é s i d e n t s . L o r s q u e M. S c h œ l c h e r p a r l e d e l'ambition de la classe d e c o u l e u r , cela n e p e u t se r a p p o r t e r qu'à l'ambition d e c e u x des m u l â t r e s qui veulent g o u v e r n e r p a r l ' i g n o r a n c e e t la d é m o r a l i s a t i o n , c ' e s t - à - d i r e à l a f a c t i o n j a u n e d e B o y e r . E t e n effet, d a n s v i n g t e n d r o i t s d e s o n l i v r e , il m o n t r e q u e c e s o n t d e s m u l â t r e s q u i p o u s s e n t à l a r é v o l u t i o n r é g é n é r a t r i c e . C'est a i n s i q u ' a p r è s a v o i r c i t é u n s u p e r b e p a s s a g e d e M. Modé, m u l â t r e , il a j o u t e ( p . 2 1 5 ) : « L e l e c t e u r , l o r s q u ' i l m e v o i t c h e r c h e r les o c c a s i o n s d e m e t t r e sous ses y e u x les discours de b e a u c o u p

d'Haïtiens,

n e s e t r o m p e a s s u r é m e n t p a s s u r m o n b u t . J e v e u x lui m o n t r e r l'île d'Haïti t e l l e q u ' e l l e e s t : m i s é r a b l e , s o u f f r a n t e , a v i lie,

mais n ' i g n o r a n t rien de son m a l , a s p i r a n t à des t e m p s

m e i l l e u r s , e t n e s ' a b a n d o n n a n t p a s d a n s sa d é t r e s s e , c o m m e l ' o n t d i t les p a r t i s a n s d e l ' e s c l a v a g e , à l ' i n s o u c i a n c e d ' u n s a u v a g e h é b é t é . Plusieurs d e ses enfants é c o u t e n t , les é c h o s d e la c i v i l i s a t i o n

épient

e u r o p é e n n e en g é m i s s a n t de la


32 dégradation actuelle

de leur p a t r i e . S u r c e point, on

n'a

r i e n à l e u r a p p r e n d r e , e t ils m a r c h e r o n t a v e c r a p i d i t é v e r s u n b u t d e p e r f e c t i o n n e m e n t c o n n u e t b i e n fixé p a r e u x , le j o u r o ù l ' a c t i v i t é n a t i o n a l e ne sera plus volontairement par un gouvernement

parricide.

étouffée

»

Q u a n t à la p h r a s e : « Si c e p e u p l e n e p r o d u i t r i e n , e t c . , » à l a q u e l l e le Courrier

a a j o u t é e n t r e p a r e n t h è s e s (le p e u p l e

n o i r ) , e l l e n'a a u c u n r a p p o r t ni d e p r è s ni de l o i n a v e c l ' i d é e q u e l e r é d a c t e u r a t t r i b u e à M. S c h œ l c h e r : c e l l e d e n e p a s l a i s s e r aux hommes jaunes

le refuge

de leurs bonnes

intentions.

L a p a r e n t h è s e e l l e - m ê m e e s t u n m e n s o n g e , elle n ' e x i s t e p a s d a n s le t e x t e , e t r i e n n ' a u t o r i s a i t le j o u r n a l des à c r o i r e qu'il tres,

incorrigibles

était plutôt question de nègres que de m u l â -

puisqu'il

s'agissait,

a u c o n t r a i r e , du p e u p l e h a ï t i e n

t o u t entier, c'est-à-dire des noirs e t des jaunes A s s u r é m e n t c e t t e m a n i è r e d e citer, naire,

serait

ensemble.

d a n s la p o l é m i q u e

f l é t r i e p a r les h o n n ê t e s

gens;

que

ordi-

sera-ce

d o n c a l o r s d a n s c e c a s p a r t i c u l i e r , o ù t a n t d e m a u v a i s e foi n'est m i s e en œ u v r e q u e p o u r f o m e n t e r la h a i n e e n t r e d e u x classes de citoyens ? Après t o u t , qu'on ne p e r d e pas ceci d e v u e : l o r s q u e M. S c h œ l c h e r p a r l e d e la s t é r i l i t é d o n t

est

f r a p p é e la n a t i o n h a ï t i e n n e , il e n e s t a r r i v é à s o n c h a p i t r e de c o n c l u s i o n , qui c o m m e n c e ainsi : « Me p r o m e n a n t u n j o u r d a n s l e c i m e t i è r e d ' u n e p e t i t e ville d e F r a n c e , j ' y lus l ' é p i t a p h e

suivante : « Ci-git

a n c i e n p r o p r i é t a i r e à S a i n t - D o m i n g u e . » Ce titre, t o m b e , m'avait p a r u assez

N.,

mis sur u n e

b i z a r r e ; mais lorsque je m e le

r a p p e l a i e n f r a n c h i s s a n t le s u p e r b e c h e m i n d e c a r r o s s e q u i s e r p e n t e à l'entour

du m o r n e

Saint-Joseph, à

quelques

l i e u e s d e s C a y e s , s u r la r o u t e d e c e t t e v i l l e a u P o r t - a u P r i n c e , il m e p a r u t n ' ê t r e , à u n c e r t a i n p o i n t d e v u e , q u ' u n e légitime vanité.

L e s t r a c e s q u ' o n t l a i s s é e s les

Saint-Domingue

sont empreintes d'une véritable

c e n c e . Les ruines de leurs habitations

colons

de

magnifi-

s o n t des r u i n e s d e

palais ; leurs r o u t e s sont de savants o u v r a g e s de p o n t s - e t -


33

chaussées qui ont un caractère de force romaine. Il faut l'avouer, ces arrogants et cruels possesseurs d'esclaves employaient une partie des richesses que produisaient

les

nègres à de belles œuvres. Ils bâtissaient des cités, dont les restes semblent appartenir a u x points de l'Europe les plus célèbres ; ils coupaient en pleines montagnes, taillaient en plein roc et se faisaient, avec une prodigalité qui est le triomphe de la civilisation, des chemins de voiture sur le haut des mornes pour aller de l'une à l'autre de leurs seigneuriales plantations. — Tout a été détruit au milieu d'une longue guerre servile, et on ne le regrette pas, puisque c'était le produit du travail forcé. Il est bon que ces grands exemples viennent, en terrifiant le monde, lui dire le sort que l'iniquité a toujours à craindre, et la punition qui la vient atteindre parfois au faîte même de la prospérité la plus épouvantable. Dans ces ruines on voit, sans éprouver de pitié, le juste châtiment dû à la violence, mais en même temps on ne peut refuser son admiration à leurs g r a n deurs. » (Page 3 0 1 . ) Après cet exorde, il résume l'état dans lequel est tombé Haïti, et il reprend (page 325) : « Que l'on ne s'y t r o m p e pas, en effet; que les ennemis de la race glorieusement émancipée ne se fassent point un argument, contre ses progrès possibles, du tableau que nous avons core

été obligé

de t r a c e r de sa dégradation actuelle. En-

une fois, le mal vient d'en haut.

Sans faire r e m a r q u e r

qu'il y a au moins une grande présomption de puissance dans la race qui, malgré toutes les forces de la civilisation, s'empare du pays où elle a été amenée esclave, en chasse ses maîtres, et s'y constitue en peuple; sans dire que les nègres, conquérant leur liberté sur l'armée la plus vaillante et la plus intelligente du monde, ont invinciblement prouvé qu'ils pouvaient, bien conduits, rivaliser avec les blancs ; sans parler de T o u s s a i n t - L o u v e r t u r e , ne disons qu'un mot de Christophe. 3


34 « Il a v a i t r é s o l u b r i l l a m m e n t le p r o b l è m e d e la c a p a c i t é s o c i a l e d e s n o i r s , e t d e l e u r a p t i t u d e à t o u t e s les Choses d e la civilisation.

Une fonderie de canons, bombes et boulets,

u n e v e r r e r i e , u n e f a b r i q u e d e v o i t u r e s é t a b l i e s p a r ses o r d r e s , o n t donné des p r o d u i t s . Les r e s t e s de ses é c u r i e s a u Cap s o n t d i g n e s d e l u t t e r a v e c les r u i n e s q u e l ' a n c i e n r é g i m e a laissées dans

c e t t e v i l l e . Ses d é f e n s e s d e F e r r i è r e s

sont aussi belles q n ' u n e f o r t e r e s s e e s p a g n o l e . « L e g é n é r a l R i c h a r d fit c o n s t r u i r e a u C a p , en trois nes, u n e s a l l e

semai-

d e s p e c t a c l e , p o u r lui d o n n e r u n e f ê t e . 11 y a

de cela v i n g t - d e u x ans, elle d u r e e n c o r e et s e r t de loge a u x f r a n c s - m a ç o n s . Bien des salles de provinces en F r a n c e n e lui sont pas préférables,

et celle de S a i n t - P i e r r e (Martinique)

lui e s t i n f é r i e u r e . « Le général Geffrard, g o u v e r n e u r du sud à l'époque, de l ' e m p i r e d e D e s s a l i n e s , a p o s é s u r le m o r n e des P l a t o n s , n o n loin des Cayes, un fort r e s t é inachevé qui laisse penser, à le voir, qu'une g r a n d e nation a passé par là. « Q u e l'on e n s o i t b i e n c o n v a i n c u , si c e p e u p l e n e p r o d u i t r i e n , c ' e s t qu'il étouffe s o u s le m a n t e a u d e p l o m b t e n d u s u r lui ; c ' e s t q u ' o n

le v e u t p a u v r e , i g n o r a n t , p r e s q u e a f f a m é ,

afin d e l e manier

p l u s a i s é m e n t . Il e s t f a c i l e , m ê m e e n c o r e

a u j o u r d ' h u i , d e j u g e r q u e si la m o i n d r e i m p u l s i o n b i e n f a i s a n t e v e n a i t le r e l e v e r d e s o n a b a i s s e m e n t , il p o u r r a i t é g a ler toute autre nation du m o n d e . division dn

Le commandant de

n o r d , le g é n é r a l B o t t e x , a n c i e n g é n é r a l

la de

C h r i s t o p h e , e t e n c o r e i m b u d e ses t r a d i t i o n s d ' o r d r e , v i e n t d e f a i r e a u Cap d e s t r a v a u x r e m a r q u a b l e s . U n bel h ô p i t a l e t u n e église o n t été r e s t a u r é s p a r des o u v r i e r s du p a y s , e t sont devenus

des b â t i m e n t s capables de faire h o n n e u r a u x

m e i l l e u r e s villes d e F r a n c e . — H a ï t i n'a p a s d ' o u v r i e r s p a r c e q u ' e l l e n'a p a s d e c o n s o m m a t e u r s , m a i s c e q u ' e l l e s ' a p p l i q n e à f a i r e elle l e f a i t b i e n . On t r o u v e ici des c o r r o y e u r s , des é b é n i s t e s , d e s s e l l i e r s , des t a i l l e u r s , des c o r d o n n i e r s , des j o a i l liers, qui p o u r r a i e n t p r e s q u e rivaliser a v e c c e u x d ' E u r o p e .


35 Des h o m m e s i s o l é s , s a n s o u t i l s , s a n s c o n n a i s s a n c e s p r e m i è r e s , f o n t ç a e t là d a n s q u e l q u e s c o m m u n e s (à la M a r m e l a d e , n o r d , a u x C a y e s , s u d ) , des p o t e r i e s t o u t à f a i t a r t i s t i q u e s . Quiconque l'ancienne nots,

v e r r a , c o m m e o n p e u t le v o i r d a n s les p o r t s de Saint-Domingue,

des n è g r e s c o n s t r u i r e d e s c a -

des b a r q u e s , des goëlettes,

restera

c e r t a i n q u e les

Haïtiens p e u v e n t a t t e i n d r e à t o u t . » Il n'y a é v i d e m m e n t , d a n s t o u t c e p a s s a g e , q u ' u n e a p p r é ciation g é n é r a l e , un r é s u m é des impressions de l ' a u t e u r , e t l ' o d i e u s e p e r f i d i e d u Courrier M. S c h œ l c h e r n'y leurs

laisse

bonnes intentions.

peut

pas aux

seule y découvrir

hommes

le refuge

que de

P o u r expliquer de pareilles analyses

le p i e u x j o u r n a l i s t e n ' a u r a j a m a i s q u e mauvaises

jaunes

le

r e f u g e de

ses

intentions.

M a i s , d i t le Courrier, « Le citoyen

c o n t i n u o n s nos citations :

S c h œ l c h e r e s t l e c h e f d e l'école q u i f o u i l l e

les h a i n e s d u p a s s é . Il s a i t q u e les m a u v a i s e s p a s s i o n s , c e s hyènes du c œ u r h u m a i n , vivent de c e g e n r e de c a d a v r e s « L e s n è g r e s , a n i m é s p a r des s e n t i m e n t s d e c a s t e , n e p i l «laient

point

comme

les b l a n c s

ou s a n g - m ê l é s ;

« r u a i e n t s u r les m u l â t r e s a v e c f u r e u r « n a n t ! Quand « tendre

on sème

à recueillir

la dégradation,

ils

se

Quoi d e s u r p r e ne doit-on

pas

s'at-

la c r u a u t é ? » ( P a g e 339.)

« C e t t e fois, c e n'est p a s a p r è s l e c r i m e , c o m m e p o u r l'assassinat

du g é n é r a l B r é a ,

c'est

d ' a v a n c e q u e le

citoyen

S c h œ l c h e r fait l ' a p o l o g i e d u m e u r t r e e t d e l ' e x t e r m i n a t i o n . Qu'on

s e r u e a i n s i q u e p a r le p a s s é s u r les m u l â t r e s a v e c

f u r e u r . . . ils d o i v e n t s'y a t t e n d r e ; c e à q u o i l'on s ' a t t e n d , o n l'a m é r i t é . N ' o n t - i l s p a s qu'ils r e c u e i l l e n t

eux-mêmes

d o n c la c r u a u t é

s e m é la d é g r a d a t i o n ? Quelle leçon ! quelle

p r é d i c a t i o n ! q u e l l e a b s o l u t i o n ! r i e n n'y m a n q u e r a . L e . W i l b e r f o c e f r a n ç a i s , d e s a m a i n d ' a t h é e , a l l u m e la t o r c h e r é v o lutionnaire a u x cierges du fanatisme r e l i g i e u x . L a Bible est profanée. « Peuple

infortuné, qui

n'aide pas c e u x qui veulent le


36

« sauver.

J'ai

entendu

les

gémissements

des

enfants

« d'Israël q u e les E g y p t i e n s t i e n n e n t en s e r v i t u d e , e t j e m e « s u i s r a p p e l é m o n a l l i a n c e ! Moïse p a r l a a i n s i . Il finit p a r « a r r a c h e r le p e u p l e « Moïse

noir

« trie

a b r u t i d e la t e r r e d ' E g y p t e .

apparaîtra tôt ou tard

Quelque

et d é l i v r e r a sa

pa-

» ( P a g e 3 2 5 . ) (1)

« E t l e Moïse a p p e l é p o u r la s e c o n d e fois e s t a p p a r u , il s'est rué avec fureur

sur les mulâtres,

et presque t o u t e cette caste

i n f o r t u n é e a é t é n o y é e d a n s s o n s a n g , d i s p e r s é e d a n s l'exil o u r e t e n u e , à s o n t o u r , sur la terre

d'Egypte,

dans

l'escla-

v a g e d u soupçon e t de la t e r r e u r ! » E n r e p r e n a n t la s u i t e d e s i m p u d e n t e s f a l s i f i c a t i o n s a p p e l l e d e s c i t a t i o n s , le Courrier

qu'il

se p e r m e t de ces gentil-

lesses d e s t y l e qui lui s o n t f a m i l i é r e s .

On l e r e c o n n a î t r a i t

r i e n qu'à ces m é t a p h o r e s d ' a m p h i t h é â t r e , à c e t t e l i t t é r a t u r e d e c r o q u e - m o r t . Au r e s t e , si « l e s m a u v a i s e s p a s s i o n s des h y è n e s

sont

du c œ u r h u m a i n qui vivent de c a d a v r e s , » nous

n ' a v o n s p l u s à n o u s é t o n n e r d e v o i r le r é d a c t e u r du

Courrier

r é p é t e r e n c o r e a u j o u r d ' h u i q u e M. S c h œ l c h e r s ' e s t c o n s t i t u é l ' a p o l o g i s t e d e l ' a s s a s s i n a t du g é n é r a l B r é a . L ' a u t e u r d e la Vérité

a p o u r t a n t fait justice de c e t t e infâme calomnie dans des

t e r m e s d o n t il n e d e v r a i t p a s ê t r e p e r m i s d e p e r d r e s o u v e n i r : « M o i , t e r r o r i s t e ! s'est é c r i é M. S c h œ l c h e r e n s ' a d r e s s a n t a u x cultivateurs de la M a r t i n i q u e ; non, m e s chers a m i s ,

ne

l e c r o y e z p a s , le m o t s e u l m e r é v o l t e ; o n n e t r o u v e r a p a s u n e syllabe de v o t r e ami t r a c é e avec du sang. T o u t e m a vie,

a u c o n t r a i r e , j ' a i p a r l é , j ' a i é c r i t c o n t r e la p e i n e

de

m o r t e t les c h â t i m e n t s c o r p o r e l s . N a g u è r e e n c o r e , d o m i n é p a r ce sentiment, je m'inscrivais publiquement m ê m e c o n t r e l ' e x é c u t i o n d e s i n f â m e s a s s a s s i n s du g é n é r a l B r é a . « Ah ! . . . le m a r t y r e du g é n é r a l B r é a , nos e n n e m i s en o n t fait aussi un i n s t r u m e n t d'ignominie c o n t r e m o i ! (1) On voit encore ici le procédé ordinaire du Courrier : il fabrique un ensemble d'accusation de deux phrases détachées , pages 325 et 339, qui n'ont d'ailleurs dans le texte aucune relation l'une avec l'autre.


37 « L e 20 m a r s 1 8 4 9 , à la C o n s t i t u a n t e , j ' a i dit c e c i : « N o u s « n e d é f e n d o n s p a s u n c r i m e , e x é c r a b l e et e x é c r é , m a i s n o u s « d i s o n s q u e c'est u n c r i m e p o l i t i q u e , e t q u e v o u s a v e z r e « levé l'échafaud politique ! » « P a s u n m o t d e p l u s ni d e m o i n s . Dans u n d i s c o u r s q u e j ' a v a i s p r o n o n c é le 2 2 f é v r i e r p r é c é d e n t , en f a v e u r d e l ' a m n i s t i e p o u r les d é p o r t é s d e juin 1 8 4 8 , j ' a v a i s fait c e t t e r é s e r v e : « P o u r s u i v e z les a s s a s s i n s q u i se s o n t g l i s s é s a u m i « l i e u des i n s u r g é s , m a i s q u e l ' a m n i s t i e

soit a c c o r d é e a u x

« c o m b a t t a n t s ! » E h b i e n ! les j o u r n a u x b l a n c s d e s d e u x î l e s « d i s e n t q u e j ' a i voté, o u i voté l e u r m i s e en l i b e r t é . » rier,

(Cour-

1 9 m a i . ) N ' e s t - c e p a s , m e s a m i s , qu'ils s o n t b i e n à p l a i n -

d r e , c e u x qui, dans un misérable i n t é r ê t électoral, t r a n s forment peine

d e la s o r t e u n e

nouvelle

p r o t e s t a t i o n c o n t r e la

d e m o r t e n un p a n é g y r i q u e d ' a s s a s s i n a t ?

N'est-ce

p a s qu'il f a u t t e r r i b l e m e n t r e g r e t t e r l ' e s c l a v a g e p o u r t a n t h a ï r u n a b o l i t i o n i s t e . » ( P a g e 1 6 de la V É R I T É . ) A v o i r lu c e s l i g n e s ,

e t p e r s i s t e r à d i r e q u e M.

c h e r s'est fait l ' a p o l o g i s t e

Schœl-

de l'assassinat du général B r é a ,

c ' e s t t o u t à la fois m a n q u e r à la v é r i t é e t à l ' h o n n e u r . Ma,is les i n s i n u a t i o n s du Courrier

ne sont pas moins odieu-

ses q u e ses c a l o m n i e s . On a p u r e m a r q u e r , e n effet, le p a r t i q u e le j o u r n a l i s t e c h e r c h e à t i r e r d e c e t t e p h r a s e : « P e u p l e i n f o r t u n é q u i n ' a i d e p a s c e u x q u i v e u l e n t le s a u v e r . » E h b i e n , elle s e r a p p o r t e d i r e c t e m e n t à mulâtres,

deux

journalistes

MM. C o u r t o i s e t E m i l e N a u , qui n e s e t r o u v a i e n t

p a s s o u t e n u s p a r la p o p u l a t i o n n o i r e à l a q u e l l e ils s e

dé-

vouaient! Voici le paragraphe en entier (p. 325) : «

Haïti

encore

n'a

que

semaine!

L e p r e m i e r , le

n o t r e Moniteur, second, M.

deux

journaux

n e p a r a i s s e n t - i l s l'un

ses

Télégraphe,

possède

propriétaire

800,000

qu'une qui

appartient tout entier

le Commerce,

C o u r t o i s , le

pour

et l'autre

au

âmes

fois

tient

lieu d e

pouvoir ;

cent trente abonnés! du

Commerce,

server cet o r g a n e à l'opposition, l u t t e avec u n e

;

par

pour

le —

con-

honorable


38 p e r s é v é r a n c e , e t c o n t r e l ' a p a t h i e g é n é r a l e e t c o n t r e le g o u v e r n e m e n t , c a r , b i e n q u e f o r t t i m i d e , il a d é j à s u b i h u i t p r o c è s d e p u i s d i x a n s , e t p a y é d e d u r e s p r i s o n s ses c o u r a g e u x m o m e n t s d ' a u d a c e . L e s H a ï t i e n s d i s e n t qu'ils n e s ' a b o n n e n t p a s p a r c e q u e le j o u r n a l e s t s a n s i n t é r ê t e t d é t e s t a b l e m e n t é c r i t ; m a i s ils n e v e u l e n t p a s v o i r q u e c ' e s t p a r c e m a n q u e d ' a b o n n é s qu'il m a n q u e d e r é d a c t i o n . 11 a p e n d a n t p r è s d'un a n u n j o u r n a l i n t i t u l é l'Union,

qu'il existé rédigé

d'une m a n i è r e t r è s - r e m a r q u a b l e . Le pouvoir a destitué son r é d a c t e u r p r i n c i p a l , M. E m i l e N a u , d'une p e t i t e p l a c e qu'il occupait, et celui-ci ne t r o u v a n t , d'autre c ô t é , a u c u n

sou-

tien dans u n e p o p u l a t i o n insensible à son p r o p r e a b a i s s e m e n t , a f e r m é la fontaine de

l u m i è r e d o n t il a v a i t la clef.

P e u p l e i n f o r t u n é , q u i n ' a i d e p a s c e u x q u i le v e u l e n t s a u v e r e t c h e z l e q u e l les h o m m e s d e b o n n e v o l o n t é , f r a p p é s e u x m ê m e s d e la m a l a d i e g é n é r a l e , s e d é g o û t e n t p r e s q u ' a u s s i t ô t d u d é v o u e m e n t p a r c e qu'ils n ' o b t i e n n e n t p a s u n p r o m p t succès ! « J ' a i e n t e n d u les g é m i s s e m e n t s des e n f a n t s d ' I s r a ë l

que

« les É g y p t i e n s t i e n n e n t en s e r v i t u d e , e t j e m e suis r a p p e l é , « mon alliance! « C'est p o u r q u o i j e dis a u x e n f a n t s d ' I s r a ë l : J e s u i s l ' É t e r « n e l , j e v o u s f e r a i s o r t i r d e d e s s o u s le j o u g d e l ' É g y p t i e n . « M o ï s e p a r l a ainsi a u x e n f a n t s d ' I s r a ë l ; m a i s ils n ' é c o u « t è r e n t p a s Moïse, p a r g ê n e d e r e s p i r a t i o n e t p a r l a d u r e t é « d u t r a v a i l , e t lui d i r e n t : De g r â c e , l a i s s e - n o u s ; s e r v o n s « l'Égypte. » « N ' a b a n d o n n o n s p a s t o u t e s p o i r ; Moïse a fini p a r a r r a cher

le p e u p l e

a b r u t i d e la t e r r e d ' E g y p t e et p a r le c o n -

d u i r e à la t e r r e d e C h a n a a n . Q u e l q u e Moïse n o i r a p p a r a î t r a t ô t ou t a r d et d é l i v r e r a sa p a t r i e de c e t t e a b o m i n a b l e polit i q u e q u i t e n d à en f a i r e u n d é s e r t p e u p l é d e f a i n é a n t s . « Q u e l'on n e s'y t r o m p e p a s , e n e f f e t ; q u e les

ennemis

d e la r a c e g l o r i e u s e m e n t é m a n c i p é e n e s e f a s s e n t p o i n t u n a r g u m e n t , c o n t r e s e s p r o g r è s p o s s i b l e s , du t a b l e a u q u e n o u s


39

avons été obligé de tracer de sa dégradation actuelle. E n core une fois le mal vient d'en haut, e t c . » La reproduction de ce passage est donc encore une nouvelle preuve de la mauvaise foi du Zoïle martiniquais. En accusant M. Schœlcher «d'allumer la torche révolutionnaire a u x cierges du fanatisme religieux, » le rédacteur du

Courrier

fait appel a u x plus honteuses passions. Selon son habitude, il représente les noirs comme prêts à massacrer les m u l â t r e s , et c'en en excitant les haines de castes, en profanant la vérité et l'histoire, qu'il ose dire que « la Bible est p r o fanée. » L'hypocrisie complète le mensonge ! Les ciseaux du Courrier

sont des ciseaux bénis ! Pour répondre à t a n t

d'indignités citons maintenant l'autre t e x t e si perfidement censuré et commenté (pages 3 3 9 à 341) : « Mais le coup d'Etat du mois d'avril n'est pas le seul malheur que la République ait eu à déplorer cette année. Le 7 mai, un tremblement de t e r r e secoua c e t t e île infortunée avec une telle violence, que dans plusieurs villes des populations presque entières furent ensevelies sous leurs m a i sons renversées et brisées. Le Cap, plus maltraité qu'aucune a u t r e , perdit les deux tiers de ses huit mille habitants; et comme si la nature n'avait point assez fait de mal, un h i deux pillage vint remuer les décombres qui couvraient des morts et des mourants. — Lors de l'incendie de de semblables

excès

Hambourg,

furent heureusement arrêtés dès leur

principe par une force publique assez imposante pour épouvanter les infâmes, en exécutant sur place les premiers voleurs. Au Cap, il n'en fut pas de même. La populace de toutes les couleurs et les noirs accourus des environs ravagèrent t o u t , en voyant quelques autorités elles-mêmes et des blancs, oui des blancs, des Européens, leur donner l'exemple et faire leur profit d'un désastre public ! « Nos prévisions sur les résultats infaillibles de la politique suivie jusqu'à ce jour ne se sont que trop tôt et trop fatalement réalisées. Les nègres, animés par des ressenti-


40

m e n t s d e c a s t e s , n e p i l l a i e n t p o i n t l à , c o m m e les brigands

autres

b l a n c s ou s a n g - m ê l é s , s e u l e m e n t p o u r p i l l e r ; ils s e

r u a i e n t s u r les m u l â t r e s a v e c f u r e u r . C'est la v i e i l l e h i s t o i r e d u m o n d e ; les p r o l é t a i r e s c h e r c h a i e n t l e u r v e n g e a n c e c o n t r e les n o b l e s , e t m i l l e c r i m e s s o r t i r e n t d e c e s h a i n e s d é c h a î n é e s . Quoi d e s u r p r e n a n t ! Q u a n d o n s è m e

la d é g r a d a t i o n ,

ne d o i t - o n p a s s ' a t t e n d r e à r e c u e i l l i r la c r u a u t é ? Ces m a l heureux,

qu'un

c l e r g é i n d i g n e du n o m

de

chrétien

cor-

rompt chaque jour, prenaient cette catastrophe pour

un

a r r ê t du c i e l , et d i s a i e n t d a n s l e u r n a ï v e b a r b a r i e : « C'est

« bon Dié qui ba nous çà, hié té jour à ous, joud'hui «à nous.»

c'est

jour

— C'est le b o n D i e u q u i n o u s d o n n e c e l a . H i e r ,

c ' é t a i t v o t r e j o u r , a u j o u r d ' h u i c ' e s t le n ô t r e . « Tels s o n t les f r u i t s d e l ' i g n o r a n c e p r o f o n d e o ù l'on s ' a t t a c h e à m a i n t e n i r les c l a s s e s i n f é r i e u r e s ; l'idée d u j u s t e e s t t e l l e m e n t p e r v e r t i e p a r les

superstitions qu'on leur incul-

q u e , q u ' e l l e s s e s o n t c r é é le droit

de mal faire.

« L e s e n n e m i s d e s n è g r e s ( h e u r e u s e m e n t ils s o n t en b i e n p e t i t n o m b r e , c a r ils s e b o r n e n t a u c e r c l e é t r o i t des a m i s de

l ' e s c l a v a g e ) ne vont pas manquer tant

de crimes.

Les h o m m e s

de se faire

un argument

de

c a l m e s e t j u s t e s les a p p r é c i e -

r o n t m i e u x . Ils s a v e n t c o m m e n o u s q u e l ' i g n o r a n c e e n f a n t e bien des forfaits, et t r o u v e d a n s leur fatale justification.

son aveuglement

même

L'Europe attristée ne prononcera

p a s un a r r ê t r i g o u r e u x et se fera de l'indulgence u n a u s t è r e d e v o i r . Elle se r a p p e l l e r a q u ' a u milieu de la n a t i o n la plus i n s t r u i t e d u g l o b e , a u sein d e la v i l l e , f o y e r d e la p l u s h a u t e civilisation q u e l ' h u m a n i t é ait e n c o r e a t t e i n t e , on a vu le p e u p l e , l o r s q u e le c h o l é r a v i n t r a v a g e r la F r a n c e , r e f u s e r de c r o i r e a u f l é a u , se p e r s u a d e r q u ' o n l ' e m p o i s o n n a i t ,

et s a -

c r i f i e r plus d ' u n e v i c t i m e q u e P a r i s é t o n n é n e p u t a r r a c h e r à s a s t u p i d e i n c r é d u l i t é . Q u e l'on n e m a u d i s s e d o n c p o i n t l a r a c e d e s p i l l a r d s du C a p , l e u r é g a r e m e n t n e d o i t i n s p i r e r qu'une

entretient

d o u l o u r e u s e p i t i é ; le v r a i c o u p a b l e est celui qui

dans

la barbarie,

les

en é l o i g n a n t t o u t e l u m i è r e d e


41 l e u r â m e . O u i , o u i , g a r d o n s - n o u s d ' a c c u s e r la r a c e : e n m ê m e t e m p s q u e l e p e u p l e v o l a i t , p a r m i les f o n c t i o n n a i r e s , les d e u x seuls q u e t o u t le m o n d e s ' a c c o r d e à r e g a r d e r c o m m e a b s o l u m e n t i r r é p r o c h a b l e s , s o n t d e u x n è g r e s , le v é n é r a b l e M. H i p p o l y t e e t le g é n é r a l O b a s . « L e s h o m m e s pleins d e c œ u r q u i o n t e n t r e p r i s la r é g é n é r a t i o n d'Haïti (et ce sont

presque

exclusivement

des

mulâ-

tres (1) ) , o n t é t é les p r e m i e r s , n o n p a s à j u s t i f i e r , m a i s à e x p l i q u e r a v e c u n e n o b l e c h a r i t é les c r i m e s d o n t la p o p u l a t i o n h a ï t i e n n e v i e n t d e s e s o u i l l e r , comme ont fait si les populaces «journal,

blanches

en pareilles

dit le Patriote

du

1

circonstances. er

juin

souvent

« S i dans

ce

dernier, nous avons

« t a n t i n s i s t é s u r la n é c e s s i t é d ' é c l a i r e r les m a s s e s , c e n ' é « t a i t pas s e u l e m e n t p o u r q u e ces masses fussent à m ê m e de « j o u i r d e t e l o u t e l d r o i t p o l i t i q u e o u d e le d e m a n d e r , m a i s « b i e n , n o u s le r é p é t o n s , p a r c e q u e n o u s c o n s i d é r o n s les l u « mières

c o m m e le m o y e n

le p l u s s û r e t le p l u s

actif de

« f a i r e p é n é t r e r les i d é e s d ' o r d r e , d e d e v o i r e t d e m o r a l i t é , « d a n s le c œ u r du c o r p s s o c i a l . A d j u r o n s d o n c c e u x qui s o n t « à la t ê t e d e s

affaires

d e d o n n e r le p l u s t ô t p o s s i b l e a u

« moins un c o m m e n c e m e n t d'exécution à c e t t e g r a n d e œ u «vre,

la p l u s g l o r i e u s e d e t o u t e s , c e l l e d e l ' i n i t i a t i o n d u

« p e u p l e a u x lois s a c r é e s d e la m o r a l e , e n le r e t i r a n t d e la « b a r b a r i e d a n s l a q u e l l e il e s t p l o n g é . S e m e z d a n s t o u t e s v o s « c o m m u n e s des écoles p r i m a i r e s , où des études é l é m e n t a i « r e s v i e n d r o n t éveiller c h e z c e u x q u i les a u r o n t f a i t e s t o u t « c e q u e l ' h o n n e u r a d e n o b l e e t d'élevé ; q u e n o t r e c l e r g é « se souvienne

1

d'où lui v i e n t sa m i s s i o n ,

e t a l o r s , si l ' É -

« Nous répétons à satiété que ce sont des mulâtres qui travaillent à relever Haïti, et qui demandent des institutions libérales pour tous; car bien que le lecteur n'ait pu s'y tromper, il importe de se bien convaincre que les critiques adressées dans cet ouvrage aux sang-mêlés s'adressent à une faction de couleur. Nous n'entendons pas y impliquer la classe tout entière. » (Note do la page 341). — Et c'est l'auteur de cette note que le Courrier accuse d'avoir excité les nègres contre les mulâtres, d'avoir refusé aux mulâtres le refuge de leurs bonnes intentions !


42 « ternel veut que nous ayons à déplorer de n o u v e a u x d é « s a s t r e s , s a m a i n s e u l e s e s e r a a p p e s a n t i e s u r n o u s , e t le « c œ u r n ' a u r a p a s à g é m i r en v o y a n t des ê t r e s p o r t a n t le « n o m d ' h o m m e s e x e r c e r les p l u s l â c h e s d e t o u s les a t t e n « t a t s s u r les c o r p s m u t i l é s d e l e u r s c o n c i t o y e n s e t d e l e u r s « frères. » Ainsi, c ' e s t a u m o m e n t m ê m e o ù M. S c h œ l c h e r d é c l a r e q u e les r é g é n é r a t e u r s d'Haïti s o n t des m u l â t r e s , a u m o m e n t m ê m e o ù il r a p p o r t e q u e c e s o n t d e s m u l â t r e s q u i o n t e x pliqué avec u n e noble

c h a r i t é les c r i m e s d e q u e l q u e s

mi-

s é r a b l e s , q u ' o n l ' a c c u s e d ' a v o i r a p p e l é « u n Moïse n o i r p o u r s e r u e r s u r les m u l â t r e s ! » V r a i m e n t c e s e r a i t à n e p a s y c r o i r e si d e p u i s l o n g t e m p s le Courrier

de la Martinique

n e s'é-

t a i t fait u n j e u des p l u s m é p r i s a b l e s a t t a q u e s , si sa h a i n e n e s'était pas déjà manifestée p a r de

semblables

injures

c o n t r e l ' h o m m e à q u i il n e p e u t p a r d o n n e r d ' a v o i r b r i s é les f e r s des e s c l a v e s ! Q u e l q u e s o i t n o t r e d é g o û t , allons j u s q u ' à la fin. P u i s q u e le Courrier

ne se lasse pas de m e n t i r et de c a l o m n i e r ,

ne

n o u s lassons p a s d e d é m a s q u e r e t d e f l é t r i r sa c o n d u i t e . L a conclusion, d'ailleurs, est digne de l'œuvre. Le r é d a c t e u r , qui a t o u j o u r s le n o m d e D i e u à la b o u c h e , t e r m i n e a i n s i : « V o i l à le l i v r e ! c e l i v r e f u t l a v e i l l e e t le f r a t r i c i d e f u t le l e n d e m a i n d e l a d e r n i è r e r é v o l u t i o n d e S a i n t - D o m i n g u e . « Voilà l ' h o m m e ! c e t h o m m e f u t - i l , e s t - i l ,

peut-il

être

l ' a m i des h o m m e s d e c o u l e u r ? L e c o n t e m p t e u r , le c a l o m n i a t e u r , le d é n o n c i a t e u r g r a t u i t , l ' i n v e n t e u r d e la jaune

faction

de S a i n t - D o m i n g u e , s e r a - t - i l l ' a m i s i n c è r e , le p a t r o n

d é v o u é , le s o u t i e n p o u r l o n g t e m p s d e l a M a r t i n i q u e e t d e l a G u a d e l o u p e ? E n c o r e u n e fois, n o u s e n a p p e l o n s a u b o n s e n s e t à la b o n n e foi d e n o s N o u s en

appelons

c o m p a t r i o t e s des d e u x colonies.

a u s s i aux

victimes

échappées

à la

à C e u x q u i n'ont p a s v e n d u l e u r s a i n t e i n d i g n a t i o n

tuerie, de

pa-

t r i o t e , l e u r p i e u x c h a g r i n d e p è r e e t d e fils, d e f r è r e s e t d'époux, leur dignité de m a r t y r , a u budget du g o u v e r n e -


43 ment provisoire?

Ambitieux, réfléchissez! dupes, recon-

naissez-vous; tóus, répondez-nous! » Que d e p a s s i o n , d e r a n c u n e e t d e h a i n e ! Ici M . S c h œ l c h e r n'est

p l u s seul

a t t a q u é : les

ennemis

de

l'émancipation

é t o u f f a i e n t s o u s le m a s q u e d u l i b é r a l i s m e , e t c e m a s q u e e s t t o m b é ! Il n e s'agit p l u s , en effet, d'Haïti ; l ' é q u i v o q u e

cesse;

c ' e s t d e la p o l i t i q u e c o l o n i a l e a c t u e l l e , d e la l u t t e e n t r e les anciens partisans de l'esclavage

e t les a m i s de la l i b e r t é

qu'il e s t q u e s t i o n . S a i n t - D o m i n g u e n ' é t a i t q u ' u n p r é t e x t e , le l i v r e d e M. S c h œ l c h e r u n t h è m e , e t les p e r s o n n a g e s h i s t o r i q u e s des n o m s d e g u e r r e . V o y e z p l u t ô t : t o u s c e u x q u i à la M a r t i n i q u e o n t foi e n M. S c h œ l c h e r , t o u s c e u x qui l'ont n o m m é r e p r é s e n t a n t d u p e u p l e à la G u a d e l o u p e , à la m a j o r i t é de 1 4 , 0 0 0 voix sur 1 8 , 0 0 0 v o t a n t s , t o u s c e u x - l à « o n t « v e n d u l e u r s a i n t e i n d i g n a t i o n a u b u d g e t du g o u v e r n e « m e n t p r o v i s o i r e ! » Telle e s t la c o n c l u s i o n d u Courrier, il n e n o u s r e s t e p l u s q u ' à a d m i r e r la discrétion

les r é d a c t e u r s d e c e t t e feuille o n t a b o r d é cette solution, crétion,

et

avec laquelle

d o n t , s u i v a n t e u x , tout le monde comprendra

te

dismotif.

A u t r e m e n t nous pourrions p e u t - ê t r e nous étonner de ce qu'ils s e s o i e n t a b s t e n u s à l ' é p o q u e d e la r é v o l u t i o n de F é v r i e r , — a l o r s qu'il y a v a i t q u e l q u e i n d é p e n d a n c e à le f a i r e , — d e m o n t r e r ce q u e M. S c h œ l c h e r n'est p a s l'ami des c o l o n i e s . » A p r è s l e u r a v o i r v u p u b l i e r d i x fois le c o n t r a i r e , n e s e r i o n s - n o u s p a s f o n d é à d i r e à n o t r e t o u r : ce AMBITIEUX OU DUPES, RÉPONDEZ-NOUS ! » M a l g r é t o u t , p u i s q u e le Courrier

d e m a n d e si M. S c h œ l -

c h e r ce p e u t ê t r e l'ami d e s h o m m e s d e c o u l e u r , » p u i s q u ' i l v e u t les t r o m p e r s u r le c o m p t e d'un é c r i v a i n d a n s lequel il ne p o u r s u i t que l'ardent abolitionniste, citons e n c o r e quelq u e s p a g e s d u livre q u ' o n d é n o n c e c o m m e p r o v o q u a n t u n e g u e r r e de c a s t e s . C'est d a n s c e l i v r e m ô m e q u ' a p r è s a v o i r r a c o n t é u n a c t e d e v i o l e n c e c o m m i s s u r l ' o p p o s i t i o n p a r le p r é s i d e n t B o y e r , l ' a u t e u r fait c e t t e o b s e r v a t i o n :


44 « L'honneur du pays fut encore une fois sacrifié à l'égoïsme d'une domination arbitraire, et le surlendemain, cinq députés, mouvement, Preux,

désignés

comme les chefs principaux du

les citoyens Hérard Dumesle,

David

Saint-

Couret, Lartigne et Beaugé, furent exclus de la

chambre. « Rendons cette justice aux mulâtres, appartiennent

à la classe jaune.

de dire que tous cinq

» (Page 3 1 1 . )

C'est encore dans ce livre que le prétendu ennemi

des

mulâtres, après avoir flétri un autre coup d'Etat du P r é s i dent, s'exprime en ces t e r m e s : « Les rédacteurs du Manifeste

et du Patriote,

c e u x qui ont

fondé des écoles, c e u x qui ont été chassés de la c h a m b r e , sont tous des mulâtres reusement perdre

contre

qui, pour sauver

un chef mulâtre,

ses priviléges

actuels

le pays,

au risque

s'élèvent

géné-

de voir leur

dans une révolution,

caste

Boyer, c e t t e

fois, pour se soutenir, a été forcé d'en appeler a u x p a s sions les plus dangereuses avec l'imprudence d'un homme réduit a u x dernières ressources. Ce n'est qu'en dénonçant a u x nègres les factieux

comme un parti de mulâtres

médi-

tant de rendre l'île a u x Français pour y rétablir l'esclavage, qu'il a pu ameuter les uns c o n t r e les a u t r e s . » (P. 3 3 9 . ) « Quand nous demandons, dit le Manifeste,

de préciser,

« de formuler les accusations dont on nous abreuve, on ne « nous répond que par des qualifications

abstraites,

par de

« vagues invectives ; on nous impute une injuste et condam« nable défiance, on nous appelle à ouvrir les y e u x sur les « scènes

horribles

qui ont ensanglanté

le pays.

» (

Manifeste

du 2 4 avril 1 8 4 2 . ) (Page 3 3 9 . ) Voyez encore s'il a systématiquement a t t a q u é la classe de couleur, s'il a voulu exciter contre elle la classe noire, celui qui a écrit les lignes suivantes : « Plusieurs jeunes gens des Cayes, appartenant jaune,

à la classe

avaient bien voulu se joindre à notre hôte, M. Saint-

Remy fils, dans cette tournée, et gémissaient avec nous de


45 t o u t e s les h o n t e s d e l e u r p a t r i e . Si l'on p o u v a i t d o u t e r d e c e que nous avons dit, à savoir que l'aristocratie h a ï t i e n n e est réellement

c o m p r o m i s e p a r sa position,

considérer que

ces j e u n e s

gens nous

il suffirait de

o n t m o n t r é la plus

g r a n d e b i e n v e i l l a n c e , à nous qui leur reprochions, vérité

d'un ami véritable,

qu'ils

savaient

ennemi

avec la sé-

d e l a i s s e r f a i r e t a n t d e m a l , à nous décidé du gouvernement

de leur classe.

»

(Page 3 1 4 . ) V o y e z enfin s'il e s t l ' e n n e m i des m u l â t r e s , l ' a u t e u r d e c e p o r t r a i t de l'héroïque Beauvais : « C'est à J a c m e l q u e d i s p a r u t du m o n d e u n m u l â t r e d'un a d m i r a b l e c a r a c t è r e . Beauvais, moins illustre que Rigaud, lui é t a i t c e p e n d a n t b i e n s u p é r i e u r . Dès la p r e m i è r e fois q u e les s a n g - m ê l é s s ' a g i t e n t ,

a u x p r e m i è r e s l u e u r s d e la r é v o -

l u t i o n , on le v o i t à la t ê t e d e l e u r s c h e f s les p l u s v a i l l a n t s e t les p l u s e x p é r i m e n t é s . Il t r a v e r s e c e s t r o u b l e s

effroya-

b l e s t o u j o u r s v o u é à la j u s t i c e e t à l ' h u m a n i t é . C'est u n e figure

g r a v e e t p u r e , q u i s e d é t a c h e p a r sa f e r m e s é r é n i t é

s u r le fond s a n g l a n t des p a s s i o n s qui b o u i l l o n n e n t à l ' e n t o u r d'elle. A u m o m e n t o ù é c l a t a la g u e r r e e n t r e T o u s s a i n t e t R i g a u d , B e a u v a i s d é s i r a , d a n s son g o u v e r n e m e n t

de

Jacmel,

g a r d e r la n e u t r a l i t é ; m a i s T o u s s a i n t l'obligea d'en s o r t i r e n v e n a n t l ' a t t a q u e r . A l o r s il d é p l o y a u n e a c t i v i t é s u r p r e n a n t e , m i t f o r t e m e n t la ville en d é f e n s e , et q u a n d c e l a f u t f a i t . . . il s'embarqua presque furtivement une nuit p o u r é c h a p p e r au d é s e s p o i r d e ses s o l d a t s , qui a u r a i e n t e s s a y é d e le r e t e n i r . — Il n e v o u l a i t p o i n t d e p a r t d a n s c e t t e g u e r r e f r a t r i c i d e . L e v a i s s e a u s u r lequel il é t a i t m o n t é fit u n e v o i e d'eau i n v i n c i b l e ; o n t i r a a u s o r t le n o m des p a s s a g e r s q u i r e m p l i r a i e n t les e m b a r c a t i o n s , t r o p p e t i t e s p o u r les c o n t e n i r t o u s . II f u t d e c e u x q u e le s o r t f a v o r i s a . Mais sa f e m m e e t ses d e u x p e t i t s e n f a n t s d e v a i e n t r e s t e r ; il o b t i n t q u ' o n les p r î t à sa p l a c e , e t f o r ç a d o u c e m e n t s a f e m m e à o b é i r . Les e m b a r c a t i o n s s o n t e n c o r e en v u e q u e le n a v i r e e s t d é j à plein; B e a u v a i s a g i l e u n e d e r n i è r e fois son m o u c h o i r du c ô t é des p e t i t s

enfants,


S6 et cette âme généreuse et mélancolique exhale son dernier soupir dans les flots, qui engloutissent t o u t . » (Page 3 0 3 . ) Par tout ce qui précède, nous venons d'établir d'une m a nière péremptoire que les accusations formulées par le rier,

Cour-

à propos du livre de M. Schœlcher sur Haïti, n'ont pas

le moindre fondement, qu'elles sont de véritables calomnies. Maintenant, si par impossible quelques doutes subsistaient encore relativement à l'influence que l'œuvre de cet abolitionniste a pu exercer sur les événements qui se sont passés depuis en Haïti, événements dont la haineuse mauvaise foi du Courrier

prétend lui faire subir la responsabilité, parce

qu'il les a prévus, l'extrait suivant, de l'ouvrage publié en 1 8 4 2 par M. Layrle, démontrera q u ' e n l 8 4 1 la situation d'Haïti était si grave que la g u e r r e civile devait fatalement y éclater: « Voyez Saint-Domingne : là, la r a c e noire et la classe de couleur sont toujours en présence ; elles sont m ê m e , on peut le dire, toujours en rivalité. CETTE RIVALITÉ met souvent ril la tranquillité crise, peut-être

du pays,

et elle

à une catastrophe,

conduira

en pé-

tôt ou tard à une

qu'il est plus facile de p r é -

voir que d'éviter. Sous le gouvernement des m u l â t r e s , les noirs ne parviennent pas a u x emplois, et si demain le p o u voir passait dans les mains des noirs, les mulâtres, à leur tour, subiraient l'exclusion dont ils ont frappé les a u t r e s . Cependant à Saint-Domingue, quoique le gouvernement a p partienne a u x hommes de couleur, on trouve encore des g é n é r a u x et des colonels noirs ; mais ce sont de vieux s e r viteurs de la g u e r r e de l'indépendance, qu'il serait d a n g e r e u x de déplacer ; l'armée, qui est noire elle-même, n'existe que par eux, n'a de fidélité qu'à cause d'eux. Tant que ces g é n é r a u x et ces colonels resteront dévoués au g o u v e r n e ment des mulâtres, qui se résume sident

Boyer,

où il y aura séparation, ce sera entraînera

dans

la personne

du

pré-

ce gouvernement se maintiendra; mais le jour

le pays

dans

les plus

le signal grands

d'une rupture

malheurs.

qui

Saint-Do-

mingue doit sa tranquillité à la sagesse et à la fermeté de


47 l'homme éclairé qui gouverne c e t t e république ; mais la main du temps s'appesantit chaque jour sur le président B o y e r ; si l'heure fatale venait à sonner pour lui, que deviendrait ce malheureux pays? Les mulâtres et les noirs se disputeraient le pouvoir. Déjà la lutte existe : mais ce ne serait plus une guerre sourde de partis ; ce serait les conséquences

les plus

horribles.

une guerre

civile,

avec

Saint-Domingue n'est pas

assez loin des massacres qui l'ont ensanglantée pour que ses enfants n'en aient pas conservé la tradition. La t e r r e de Saint-Domingue fume encore du sang des blancs ; un jour, p e u t - ê t r e , nous la verrons arrosée du sang des mulâtres, qui tôt ou tard doivent succomber dans leur lutte inégale contre les noirs. E t cependant ces mulâtres sont les ennemis les plus acharnés du gouvernement de Boyer ; ils ne c e s sent de lui créer des embarras sérieux. » (Abolition vage dans les colonies

anglaises,

de

l'escla-

page 1 5 5 . )

Au sujet de cette dernière opinion du commandant Layrle, M. Schœlcher, dans son ouvrage : La Vérité,

a déclaré ne

pas partager de telles idées sur la prétendue antipathie qui existerait entre la classe de couleur et la race noire; il a de plus ajouté (p. 357) : « Les mulâtres, acharnés

que M. Layrle dit ê t r e les ennemis

les

plus

de Boyer, sont les jeunes gens éclairés, généreux,

qui voulaient l'égalité pour

tous.

Si ces hommes, pleins de

patriotisme et de bons sentiments, étaient arrivés au pouvoir après la révolution de 1 8 4 3 , qui chassa le successeur de Pétion, ils auraient sauvé leur pays. Mais il est arrivé dans la malheureuse république noire ce qu'on a vu dans des républiques blanches. Les plus mauvais conseillers de Boyer se sont faits les serviteurs de la révolution ; on a eu le malheur de les écouter : ils l'ont faussée, tuée, perdue. Leur détestable politique a amené les horribles désastres que tout le monde déplore, et l'empire ensanglanté de Soulouque. Le despotisme est le châtiment inévitable de tous les peuples qui s'abandonnent. »


48 Quelles q u e s o i e n t c e p e n d a n t les différentes a p p r é c i a t i o n s des d e u x

écrivains,

il

résulte

néanmoins

du

texte em-

p r u n t é à M. L a y r l e q u e la l u t t e e x i s t a i t m a l h e u r e u s e m e n t de longue

d a t e , e t q u e M. S c h œ l c h e r , p o u r a v o i r c o n s t a t é

le f a i t , n e p e u t p a s p l u s en ê t r e a c c u s é q u e M. L a y r l e p o u r a v o i r p r é d i t : une guerre

civile

avec

les conséquences

les

plus

horribles. Quoi! vous le soi-disant o r g a n e des h o n n ê t e s g e n s , vous les modérés,

vous entassez injures sur diffamations c o n t r e u n

é c r i v a i n p o l i t i q u e , v o u s v o u s f a i t e s les contempteurs, nonciateurs

les

dé-

d'un c i t o y e n h o n o r a b l e , e t l'on p e u t p r o u v e r

q u e c h a c u n e d e vos p a r o l e s e s t u n e n o i r e c a l o m n i e ! Quelle cause prétendez-vous défendre par de semblables moyens, si r é v o l t a n t s , si o d i e u x , q u e l e d r o i t e t l a v é r i t é , a i n s i s o u tenus ,

succomberaient infailliblement?

Vous

savez

bien

p o u r t a n t q u e v o u s t r o m p e z t o u t le m o n d e en a g i s s a n t a i n s i ; c a r d e s m u l â t r e s d'Haïti e u x - m ê m e s o n t r é d u i t , p a r a v a n c e , à n é a n t les d é l o y a l e s a s s e r t i o n s q u e v o u s n e p r o d u i s e z p a s a u j o u r d ' h u i p o u r la p r e m i è r e fois. V o u s a v e z lu d a n s la

Vé-

rité les d e u x l e t t r e s s u i v a n t e s , a d r e s s é e s à l ' h o m m e q u e v o u s r e p r é s e n t e z e n c o r e c o m m e u n e n n e m i d e la c l a s s e j a u n e :

A M.

V.

Schœlcher. Paris, 3 juillet 1849.

« Mon c h e r a m i ,

« «

Ne vous étonnez pas de c e t t e a t t a q u e

« n o u v e l l e d e vos e n n e m i s ; n ' a v e z - v o u s p a s d é j à é t é a c c u s é , « e t c e s a c c u s a t i o n s n ' o n t - e l l e s p a s t r o u v é a u delà d e l'At« l a n t i q u e des é c h o s b é n é v o l e s ? N ' a v e z - v o u s p a s d é j à é t é a c « c u s é p a r des h o m m e s qui a u r a i e n t é t é b i e n a i s e s d e t r o u ce v e r la c a u s e d e l e u r s i n f o r t u n e s

ailleurs que

dans

leurs

« f a u t e s e t l e u r s m é f a i t s , d ' a v o i r , p a r vos d i s c o u r s e t v o s « é c r i t s , p r o v o q u é les r é v o l u t i o n s qui o n t p e n d a n t

quelque

« t e m p s e n s a n g l a n t é le sol d ' H a ï t i ? C'est le s o r t d e t o u s c e u x


49

« qui s'occupent du bonheur de l'humanité de voir leurs int e n t i o n s dénaturées par la haine, l'ignorance et l'envie; « mais en Haïti comme ailleurs, les y e u x se dessillent, le. « jour de la justice arrive pour vous. « Signé

: LINSTANT. »

La seconde lettre dont nous parlons est de M. SaintRemy (des Cayes), et elle a d'autant plus de poids que M. Saint-Remy est une des victimes de ces funestes dissensions civiles que l'on reproche, à M. Schœlcher d'avoir fomentées. L'honorable proscrit haïtien ment Courrier

à la Réforme

l'écrivit spontané-

lorsque les premières

calomnies

du

parvinrent à sa connaissance. Cette l e t t r e , la

voici : 25 janvier 1849.

« Citoyen rédacteur, « Jusqu'ici les cœurs honnêtes avaient assisté avec un profond sentiment de pitié à toutes les agressions, à toutes les diatribes dont le nom de M. Schœlcher a été l'objet, à l'occasion des livres qu'il publia, il y a quelques années, sur les colonies et sur Haïti; il était raisonnable de penser que le temps ferait justice de pareilles accusations. « Mais le Courrier

de la Martinique

du 10 octobre dernier,

racontant les douloureux événements dont l'ancienne SaintDomingue a été le t h é â t r e l'an dernier, reproduit encore les mêmes calomnies. C'est un devoir pour un homme de la race noire, pour un enfant d'Haïti, de rétablir la vérité. « La relation qu'a publiée le Courrier

de la

Martinique,

après avoir fait le tableau de la situation des esprits en Haïti, avant la révolution de 1 8 4 3 , qui renversa le président Boyer, dit « q u e le livre fatal

de M. Schœlcher est

venu

« convertir en théorie le levain de discorde qui existait e n « t r e les noirs et les jaunes. » « Ici constatons d'abord, avec l'assentiment du de la Martinique,

Courrier

le levain de discorde qui existait en Ihvti

4


50 e n t r e les n o i r s e t les j a u n e s . Ce l e v a i n d e d i s c o r d e

devait

d é b o r d e r a v e c d ' a u t a n t p l u s d e v i o l e n c e q u ' a u c u n des g o u v e r n e m e n t s qui o n t régi n o t r e p a y s ne s'était appliqué à l ' é t e i n d r e , e n r é p a n d a n t p a r m i les m a s s e s les l u m i è r e s d e l ' i n s t r u c t i o n , les s a i n e s n o t i o n s d u j u s t e e t d e l ' i n j u s t e ,

en

c r é a n t , en u n m o t , e n t r e les d e u x c a s t e s , l ' é m u l a t i o n d u bien p u b l i c . L o i n d e p r e n d r e c e t t e m a r c h e , les c h e f s taient appliqués,

avec une

s'é-

couardise impardonnable, à se

dissimuler le m a l s o u r d qui r o n g e a i t c e t t e s o c i é t é j u s q u e d a n s les o s ,

c o m m e l ' a u t r u c h e qui c r o i t é v i t e r le

plomb

m e u r t r i e r d u c h a s s e u r en s e c a c h a n t la t ê t e s o u s ses a i l e s . « Qu'a fait l e l i v r e d e M. S c h œ l c h e r ? Il e s t v e n u d é v o i l e r l'immensité du m a l , l'imminence du d a n g e r . « Sans d o u t e d e fausses d o n n é e s o n t é g a r é s o u v e n t le j u g e m e n t de l'écrivain abolitionniste

dans l'appréciation de

plusieurs phénomènes historiques; sans

d o u t e M. S c h œ l -

c h e r e s t s o u v e n t p a s s i o n n é , m ê m e inflexible à l ' é g a r d d e c e r t a i n s n o m s qui a p p a r t i e n n e n t à l'histoire; m a i s cela t i e n t à l'infidélité des d o n n é e s qu'il a v a i t r e c u e i l l i e s . E n t o u t c a s , e s t - c e à la v i g i e qui a s i g n a l é l ' é c u e i l v e r s l e q u e l

c o u r a i t la

n a t i o n a l i t é h a ï t i e n n e qu'il f a u t f a i r e r e m o n t e r l a r e s p o n s a bilité du p é r i l ? « E n d ' a u t r e s t e r m e s , n ' e s t - i l p a s d e la plus insigne vaise

mau-

foi d ' a t t r i b u e r à la p a r o l e d e M. S c h œ l c h e r la m o i n d r e

influence

s u r les o d i e u x é v é n e m e n t s

qui ont

ensanglanté

l ' a n c i e n n e c o l o n i e f r a n ç a i s e ? Celui q u i d e v o i l e

l'intensité

d u m a l , e t q u i i n d i q u e le r e m è d e à y a p p l i q u e r , n'a r i e n à s e reprocher. « P o u r n o u s , c i t o y e n e t p r o s c r i t d'Haïti, p o u r n o u s

qui

a v o n s suivi a t t e n t i v e m e n t t o u t e s les p h a s e s r é v o l u t i o n n a i r e s d e n o t r e p a t r i e , le t e m p s n ' e s t p a s é l o i g n é o ù n o u s d é v o i l e r o n s les v é r i t a b l e s c a u s e s d e l ' é t a t d e m a r a s m e e t d e c r i s e a u m i l i e u d u q u e l s e d é b a t la r é p u b l i q u e n o i r e . « Mais, a u x a c c u s a t i o n s d o n t M. S c h œ l c h e r e s t les m o i n s c l a i r v o y a n t s n e s e m é p r e n d r o n t p a s . L e s

l'objet, colons


51 q u i , d a n s les a n c i e n n e s p o s s e s s i o n s à e s c l a v e s , i n s u l t e n t

le

n o m d e M. S c h œ l c h e r , o n t u n a u t r e b u t q u e c e l u i d e p l a i n d r e l e s o r t d e s H a ï t i e n s . Quel e s t c e l u i d ' e n t r e les h o m m e s n o i r s o u j a u n e s q u i n'y v e r r a l e b o u t d e l ' o r e i l l e d e la f a b l e ? S o u s - s e c r é t a i r e d ' E t a t a u d é p a r t e m e n t d e la m a r i n e e t d e s colonies,

M.

Schœlcher,

avec

un

entraînant

enthou-

s i a s m e , a c o n t r i b u é a u d é c r e t q u i b r i s e les f e r s d e s n o i r s ; il a f a i t c o m b l e r l a d i s t a n c e q u i s é p a r a i t les j a u n e s d e s b l a n c s .

On ne lui pardonne

pas la pacifique révolution

coloniale;

on c o n n a î t la p o p u l a r i t é qui p o r t a son n o m à la r e p r é s e n t a t i o n n a t i o n a l e . On v o u d r a i t a t t a q u e r c e t t e p o p u l a r i t é afin d'empêcher c e n o m de sortir de nouveau de l'urne

élec-

torale. « Oh ! n o s f r è r e s d e s A n t i l l e s n e s e r o n t p a s d u p e s d e c e s s t r a t a g è m e s u s é s ; ils r e s p e c t e r o n t t o u j o u r s l ' h o m m e q u i n ' a p a s m o i n s q u e les a u t r e s a b o l i t i o n n i s t e s

glorieusement a c -

c o m p l i s a t â c h e ; ils s a v e n t q u e s a n s l ' é n e r g i e d e v o l o n t é d e M. S c h œ l c h e r , p e u t - ê t r e , à l'heure o ù n o u s é c r i v o n s c e s lig n e s , l e b r u i t d u f o u e t a f f l i g e r a i t e n c o r e la t e r r e d e s c o l o n i e s françaises. « S A I N T - R E M Y (des C a y e s ) . »

A c e s d é c l a r a t i o n s si n e t t e s , si c a t é g o r i q u e s , n o u s j o i n d r o n s l ' e x t r a i t s u i v a n t d e la l e t t r e a d r e s s é e , a u m o m e n t d e la r é v o l u t i o n q u i r e n v e r s a B o y e r , à l ' h o n o r a b l e M. I s a m b e r t p a r M . C h a r l e s H é r a r d a î n é , chef des volontés du peuple

souverain et de ses résolutions : Port-au-Prince, le 27 mars 1843. «

V o u s et M. S c h œ l c h e r , v o t r e infatigable c o l l a b o r a -

t e u r d a n s l a p o u r s u i t e d e l'abolition d e l ' e s c l a v a g e ,

q u e les

H a ï t i e n s p h i l a n t h r o p e s , q u e les H a ï t i e n s p u r s o n t s a l u é a v e c d e s a c c e n t s d e j o i e e t d e r e c o n n a i s s a n c e , v o u s e t lui v o u s n ' a v e z p u ê t r e a t t e i n t s d e t r a i t s l a n c é s d e si b a s . « V e u i l l e z p r é s e n t e r m e s t é m o i g n a g e s d ' e s t i m e à M. S c h œ l -


52 c h e r e t lui f a i r e a g r é e r les f é l i c i t a t i o n s q u e j e lui a d r e s s e a u n o m des H a ï t i e n s , p o u r le n o u v e a u l i v r e qu'il v i e n t

de

p u b l i e r en faveur de nos f r è r e s esclaves.

« Signé : C h a r l e s Cette

l e t t r e d'un

mulâtre

HÉRARD a î n é . »

p l a c é à la t ê t e d u

gouverne-

m e n t h a ï t i e n , r é p o n d a n t à u n é c r i t d e M. B a u b r u n A r d o u i n , d a n s l e q u e l c e l u i - c i r e c o n n a î t q u e M. S c h œ l c h e r ,

en Haïti

m ô m e , n'a p a s c r a i n t « d e f a i r e p u b l i q u e m e n t l a c r i t i q u e d e « la c o n d u i t e de Pétion et de r e p r é s e n t e r , a u c o n t r a i r e , l'ad« m i n i s t r a t i o n d e T o u s s a i n t - L o u v e r t u r e c o m m e le t y p e d e l a « g r a n d e u r , d e la m o d é r a t i o n , d e l ' h u m a n i t é , » n ' e s t - e l l e p a s un

a r g u m e n t s a n s r é p l i q u e c o n t r e c e u x qui p r ê t e n t à c e t

abolitionniste des pensées

hostiles

aux

sang-mêlés? Pou-

v a i t - i l s e t r o m p e r s u r les d o c t r i n e s d e M. S c h œ l c h e r , c e l u i q u i , p a r l a n t a u n o m des H a ï t i e n s , d é c l a r a i t q u e le p u b l i c i s t e e n c o r e a u j o u r d ' h u i a t t a q u é p a r le Courrier atteint

de traits lancés

les lignes qu'on vient

ne pouvait être

d e si bas ? Si M. H é r a r d a é c r i t

d e l i r e , c ' e s t qu'il s a v a i t

bien

que

M. S c h œ l c h e r é t a i t l ' a d v e r s a i r e d ' u n e f a c t i o n , m a i s n o n l ' e n n e m i d e la c l a s s e d e c o u l e u r . M. I s a m b e r t l u i - m ê m e ,

Oublie-t-on,

d'ailleurs,

que

m a l g r é la m o d é r a t i o n d e ses o p i -

n i o n s , a é t é en b u t t e à d e p a r e i l l e s a t t a q u e s p o u r a v o i r s o u t e n u les i n t é r ê t s des n o i r s ? M. B e a u b r u n A r d o u i n n e p a s m e n a c é de ne voir en lui qu'un ennemi intérieure

et de la prospérité

d'Haïti

de la

l'a-t-il

tranquillité

?

H e u r e u s e m e n t , n o u s l e c o n s t a t o n s a v e c b o n h e u r , la c l a s s é q u e l'on e s s a i e d ' é g a r e r n e s'en l a i s s e p a s i m p o s e r ; les lâtres de

la

mu-

M a r t i n i q u e e t d e la G u a d e l o u p e d é j o u e n t les

m a u v a i s desseins

de

c e t t e i m p u i s s a n t e m i n o r i t é qui

s'ef-

f o r c e d e d i v i s e r p o u r r é g n e r . On en. p e u t j u g e r p a r l ' a r t i c l e s u i v a n t d e la Liberté d a n s l e q u e l M. P r o c o p e v i e n t e n c o r e , a v e c la g é n é r e u s e i n d i g n a t i o n d e MM. S a i n t - R e m y e t L i n s t a n t , d é m o n t r e r q u e le d é t r a c t e u r d e M. S c h œ l c h e r e s t « d e la p l u s i n s i g n e m a u v a i s e foi. »


53 « A p r è s a v o i r u s é d e t o u s les m o y e n s d ' a t t a q u e s a n s s u c c è s , on essaie de faire un appel à l ' a m o u r - p r o p r e , p a r c e q u ' o n c r o i t la n ô t r e f r o i s s é e p a r les a t t a q u e s d e M. S c h œ l c h e r . Inutile t e n t a t i v e ! . . .

V o y o n s c o m m e n t il a v o u l u d i -

v i s e r les n è g r e s des m u l â t r e s e t la c o n s é q u e n c e r é s u l t a n t pour Haïti. « P o u r nous, qui avons h a b i t é c e t t e République p e n d a n t une

période

de

deux

années,

nous

en savons

quelque

chose. « H a ï t i , s o u s la p r é s i d e n c e d u g é n é r a l B o y e r , é t a i t p o u s s é e à s o n a p o g é e d ' a f f a i s s e m e n t , n o n p a s p a r c e q u e les n è g r e s e t les m u l â t r e s v i v a i e n t d é s u n i s , m a i s p a r c e q u e le p r é s i d e n t B o y e r , a v e u g l é p a r la t o u t e - p u i s s a n c e , a v a i t laissé t o m b e r les c h o s e s d a n s u n t e l l a i s s e r - a l l e r , d a n s u n t e l a b a n d o n , qu'il n ' a v a i t à c r a i n d r e a u c u n e r é s i s t a n c e ; son p o u v o i r é t a i t a b s o l u ; il p r i m a i t s u r t o u s les a u t r e s ; d e s r é g i m e n t s é t a i e n t en pleine activité,

c o m m e a u t e m p s des g u e r r e s civiles ;

c ' é t a i t s u r q u o i il c o m p t a i t , e t s u r la m a j o r i t é d a n s l e s é n a t e t à la c h a m b r e d e s d é p u t é s , d o n t l e c h o i x é t a i t f a i t p a r m i ses c r é a t u r e s . Le président B o y e r était souverain m a î t r e , a p r è s D i e u , d e la R é p u b l i q u e . « J ' a i vu la c h a m b r e d e s d é p u t é s , p o u r a v o i r o s é d e m a n der une révision

d a n s la c o n s t i t u t i o n

d e son p r é d é c e s s e u r

P é t i o n , c o n s t i t u t i o n , b â c l é e a u m i l i e u des h o r r e u r s d e l a r é v o l u t i o n ; j'ai vu la c h a m b r e , p o u r a v o i r o s é d e m a n d e r q u e l'on r e n d î t a c c e s s i b l e a u p a y s l ' i n d u s t r i e e u r o p é e n n e e t le droit de citoyen cassée,

aux

Européens;

j'ai vu, dis-je, c e t t e c h a m b r e

brisée d e p a r la volonté

s u p r ê m e d e M. B o y e r , la

l i b e r t é des m e m b r e s d e l ' o p p o s i t i o n m e n a c é e , e t c e t t e m ê m e c h a m b r e se r e c o n s t i t u e r a v e c de n o u v e a u x éléments nombre

incompétent

le

lendemain ; j'ai vu

des

et en choses

inouïes !... « M. S c h œ l c h e r n e p o u v a i t ê t r e n é g r o p h i l e e t m u l â t r o p h i l e ; il a v o u l u

c o r r i g e r l'égoïsme de c e r t a i n s m u l â t r e s

q u i , é l e v é s e n d i g n i t é , a v a i e n t t r o p f a c i l e m e n t o u b l i é qu'ils


54 ne devaient leur position qu'à la faveur ou à la f o r t u n e . « Quand on veut corriger des populations de leurs vices, on ne flatte pas les passions, on a t t a q u e le mal par la base. « Nous avouerons qu'il y a de blessantes et déplorables vérités dans le livre de M. Schœlcher. Mais e s t - c e sa f a u t e ? Si comme historien il a eu le courage de les publier, honn e u r à lui ! « C'est une manie de l'homme de vouloir t o u t e x p l i quer, tout savoir, t o u t critiquer. Il n'a pas la conscience de son être, et il porte ses prétentions jusqu'au ciel. Qu'ont donc fait les détracteurs de M. Schœlcher d'incritiquable? Ah! qu'ils me p e r m e t t e n t d'emprunter cette parole sublime du Christ : « Que celui d'entre e u x qui se sente sans péché lui jette la première p i e r r e . » « F . PROCOPE j e u n e . »

Voilà donc le Courrier,

non-seulement

convaincu d'im-

posture par nous, mais encore démenti par des Haïtiens et désavoué par les mulâtres mêmes des Antilles qu'il avait c r u pouvoir rallier à sa cause en spéculant sur l'égoïsme et les ressentiments de castes. Nous l'avons dit en commençant, il faudrait des volumes si l'on voulait relever et confondre toutes les calomnies que le Courrier

édite périodiquement contre M. Schœlcher. Il y

met une persévérance, un acharnement que la haine la plus a r d e n t e peut à peine expliquer. Citons-en un dernier e x e m ple. M. Schœlcher, dans l'introduction de son livre la V É RITÉ aux cultivateurs

et aux ouvriers

de la Martinique,

a dit :

« Citoyens, frères et amis, « J'ai sollicité une seconde fois vos suffrages pour avoir l'honneur de vous représenter à l'Assemblée

législative.

L'année dernière, vous m'aviez nommé à l'unanimité; a u jourd'hui, je n'ai eu que 3 , 6 4 2 voix sur 1 6 , 1 0 1 votants.


55 A i - j e d o n c c h a n g é ? Non ; m a i s o n v o u s a t r o m p é s , i n d i g n e m e n t t r o m p é s . Le Courrier

de la Martinique,

le j o u r n a l d e s

c o l o n s r é t r o g r a d e s , e t l'un des r e p r é s e n t a n t s q u e v o u s a v e z élus,

ont

employé,

p o u r m e n u i r e a u p r è s de vous,

m o y e n s q u e r é p r o u v e n t les

des

g e n s h o n n ê t e s d e t o u s les p a r -

t i s . L e u r s a t t a q u e s o n t é t é si v i o l e n t e s ,

si p l e i n e s d e f a u s -

s e t é , q u ' à les l i r e o n p l a i n t l ' e s p è c e h u m a i n e

de

ce

que

l a h a i n e p u i s s e r e n d r e les h o m m e s si m é c h a n t s e t si a v e u gles. « Nos f r è r e s d e la G u a d e l o u p e m ' o n t r e n d u j u s t i c e e n m e n o m m a n t . L a s y m p a t h i e qu'ils m ' o n t t é m o i g n é e s e r a p o u r m o i l'objet d'une éternelle r e c o n n a i s s a n c e ; mais elle ne m'a p a s suffisamment vengé. « Déjà l e s n è g r e s e t les m u l â t r e s les p l u s i n s t r u i t s e t les plus

honnêtes,

vos aînés

d a n s la l i b e r t é ,

tous ceux

qui

a v a i e n t a p p r i s à m e c o n n a î t r e , t o u s c e u x qui a v a i e n t c o u rageusement,

et a u r i s q u e des plus g r a n d e s p e r s é c u t i o n s ,

t r a v a i l l é a v e c les a b o l i t i o n n i s t e s d e F r a n c e à v o t r e h e u r e u s e émancipation, m'ont défendu et vous ont dit, sans pouvoir v o u s p e r s u a d e r , q u e l'on v o u s i n d u i s a i t en e r r e u r . « Ces b r a v e s a m i s n e s a v a i e n t p a s t o u t ; ils n e é c l a i r e r les d i v e r s p o i n t s q u e l'on

a perfidement

pouvaient touchés.

J e l e u r d o i s , j e v o u s d o i s , j e m e dois à m o i - m ê m e d e v o u s d o n n e r des e x p l i c a t i o n s p e r s o n n e l l e s . » P o u r q u i c o n q u e c o m p r e n d le f r a n ç a i s il n'y a d a n s c e s p a r o l e s r i e n q u e d e p a r f a i t e m e n t n a t u r e l . M. S c h œ l c h e r a é t é c a l o m n i é à l a M a r t i n i q u e p a r le Courrier

e t ses a d h é r e n t s ,

a u p r è s des é l e c t e u r s d e c e t t e c o l o n i e ; c e u x d e la G u a d e l o u p e lui o n t r e n d u j u s t i c e , m a i s l e u r s s y m p a t h i e s n e l'ont pas suffisamment vengé, c'est-à-dire n'ont pas suffisamment v e n g é son h o n n e u r personnelles

o u t r a g é , e t il v a donner

des

explications

a u x n o i r s de la M a r t i n i q u e q u i lui o n t r e t i r é

leur confiance. V e u t - o n savoir c e p e n d a n t de quelle façon le Courrier

i n t e r p r è t e u n e c h o s e aussi simple, aussi légitime ?

Il i m p r i m e en l e t t r e s g r o s s e s c o m m e s o n t i t r e : « Mais elle


56

ne m'a pas suffisamment vengé, » avec quatre points d'exclamation, et il commente ainsi cette phrase : « Comment trouvez-vous la prétention? Le citoyen S c h œ l c h e r veut se venger

plus amplement qu'on ne l'a fait.

« E t de quoi, s'il vous plaît? « De ce qu'on ne l'a pas élu à la Martinique. « E t de qui, s'il vous plaît e n c o r e ? « Evidemment, de la Martinique qui ne l'a pas élu ! » « Il nous semble, à nous, que l'homme qui veut ger

d'un pays

se

ven-

n'est pas l'ami de ce pays ; il nous semble

que c e t homme n'est p a s , non p l u s , l'ami de c e u x dont il fait ainsi les instruments de sa vengeance. » (Courrier

du

1 5 juin 1 8 5 0 . ) Les écrivains de l'équivoque ne renoncent pas a u x jésuitiques interprétations. Ainsi, p a r c e que M. Schœlcher déclare que la confiance de la majorité des habitants de la Guadeloupe ne l'a pas vengé des diffamations répandues sur lui à la Martinique, « il veut se venger de ce dernier pays, il veut le punir de ne l'avoir pas nommé, » et le disciple de Loyola ne craindra pas de s'écrier : « Etonnez-vous donc que la malheureuse Guadeloupe brûle encore sous la main des partisans de cet homme dont le livre s'annonce une vengeance

contre

la Martinique!

» (Courrier

comme

du 18 juin.)

En vérité, il suffit de signaler à la conscience publique de pareilles manœuvres pour qu'elle en juge les auteurs ! Nous imposerons donc silence à notre indignation. Les nègres et les mulâtres auront d'ailleurs une idée des sentiments fraternels du Courrier

à leur égard, en le voyant a t t r i b u e r les

incendies de la Pointe-à-Pître a u x partisans de M. Schœlc h e r , c'est-à-dire a u x noirs et a u x jaunes qui l'ont élu : détestable mensonge qui sera flétri par tous les cœurs honnêtes, mais qui ne dévoile que trop l'antipathie du Courrier

pour

la classe qu'il affecte de défendre, en grimaçant les mots de concorde et de conciliation. Au reste, comme s'il était destiné à fournir l'exemple de


57

toutes les contradictions, de toutes les palinodies, le rier,

Cour-

disons-le pour en finir, en est arrivé à écrire ceci :

« Les noirs de la Martinique savent parfaitement, c e u x de la Guadeloupe finiront par comprendre t o u t aussi bien, qu'à l'époque où les propriétaires des colonies e x e r ç a i e n t une certaine influence dans les affaires publiques, l'émancipation des esclaves préoccupait infiniment

moins

que

certains ménagements à donner a u x propriétaires, l'esprit, l'ambition et la plume du citoyen Schœlcher..., ce signataire de hasard du décret de 1 8 4 8 pour l'abolition. Le citoyen Schœlcher, surpris comme tout l e

monde par la

révolution de Février, a eu plus que personne la main for cée, la main qui a mis son nom au bas du décret d'émancipation immédiate. » (Courrier

du 1 5 juin 1 8 3 0 . )

Qui le croirait ? La main qui a écrit cela le 1 5 juin 1 8 5 0 , écrivait le 2 4 juin 1 8 4 8 , au moment où les décrets d'émancipation furent promulgués à la Martinique : « Enfin, c'en est fait : l'esclavage est aboli ! « Rendons justice à l'homme énergique et

persévérant

qui a entrepris cette t â c h e , dont nous avons hâté l'éclosion de tous nos vœux, et reconnaissons gouvernement

provisoire,

avec un caractère

celui-là

d'ensemble.

que, de tous les actes

est le seul qui se soit

du

produit

»

E t , un mois avant, la même main avait écrit : « L'abolition de l'esclavage inspire partout un délire d'enthousiasme et de joie, nous le comprenons, nous nous y associons ; mais pas d'oubli, pas d'ingratitude.

Au milieu

des cris, des vivats de toute sorte qui saluaient hier le drapeau de la liberté promené dans les rues, nous avons peu ou point entendu le cri de vive Schœlcher ! « I l revient cependant à cet apôtre de l'abolition

une

grande part dans la reconnaissance des nouveaux citoyens. « Quant indépendance

à nous, qui avons quelquefois dont nous nous honorerons

ges de ses écrits,

combattu, et avec une toujours,

nous avons songé à M. Schœlcher

certains et nous

passanous


58

sommes dit : Pour

lui aussi c'est un beau jour ! » (Courrier

du

2 4 mai 1 8 4 8 . ) Ah ! si M. Schœlcher, plutôt que de continuer à défendre les émancipés, comme il a défendu les esclaves, ligué avec les hommes du Courrier

s'était

pour le rétablissement

des priviléges, au lieu de l'appeler « signataire de hasard des décrets d'émancipation ; » a u lieu de dire qu'il eut « la main forcée en les signant, » on répéterait qu'il fut «l'homme énergique et persévérant qui accomplit c e t t e grande t â c h e ; » on le nommerait encore « l'apôtre de l'abolition » et p e u t être aussi le Christ

colonial.

Mais qu'importe, après tout !

l'histoire fera justice des injures et des calomnies qu'on lui prodigue aujourd'hui, et les fers brisés de deux cent cinquante mille esclaves peuvent bien le consoler de si misérables attaques !

Il ne nous reste maintenant que peu de choses à ajouter, car, en entreprenant cet abrégé des calomnies du

Courrier,

notre intention a été moins de défendre M. Schœlcher que de dévoiler la tactique des ennemis de l'égalité a u x Antilles. E n effet, les questions qui s'agitent autour du nom de cet abolitionniste ne sauraient être restreintes a u x étroites limites d'un débat personnel. Nous laissons donc au

Courrier

la logomachie et les équivoques. Aussi bien le but que p o u r suit ce journal est-il le même que celui des autres organes de l'oligarchie coloniale : le Commercial

et l'Avenir.

E t , on

ne peut se le dissimuler, dans cet accord à diffamer M. S c h œ l cher au sujet de son ouvrage sur Haïti, il y a plus que de la rancune contre le promoteur de l'émancipation des nègres, il y a le dessein bien a r r ê t é de faire appel a u x plus mauvaises passions : c'est l'injure élefrée par la haine à la h a u t e u r d'un système politique!

Les désastres de Saint-Domingue

sont exploités tour à t o u r au profit des préjugés et des intérêts de quelques brouillons qui ne seraient rien s'ils n'entretenaient la discorde. A nos concitoyens de la métropole


59 ils r e m e t t e n t sans cesse sous les y e u x la terrible c a t a s t r o phe de n o t r e principal établissement dans les Antilles; ils jettent l'inquiétude parmi les colons à l'aide des affreux projets qu'ils imputent a u x noirs et a u x mulâtres, tandis qu'ils cherchent encore à diviser ceux-ci pour s'imposer à tous les partis, à toutes les classes. C'est contre les conséquences de pareilles intrigues qu'il nous a paru utile de r é a g i r en démontrant d'une manière matérielle, pour ainsi dire, la déloyauté des moyens employés. Quelques mots feront encore m i e u x ressortir c e t t e nécessité. Actuellement les hommes de couleur, par leur éducation, leur position s o c i a l e , sont les plus grands obstacles a u x prétentions oligarchiques de certains meneurs. Ce sont les libéraux des Antilles ; c'est leur influence qui doit hâter la régénération des populations coloniales, car ils r e p r é s e n t e n t , comme la bourgeoisie en France, la petite propriété, le commerce et l'industrie. Les efforts des adversaires du régime nouveau devaient tendre naturellement à exciter contre e u x les défiances des noirs. Ils n'y ont pas manqué, et l'histoire d'Haïti, commentée à leur façon, a été pour eux une mine inépuisable. Nous venons de faire voir comment le Courrier

s'est servi du livre de M. Schœlcher afin de divi-

ser les noirs et les jaunes. Pour montrer que la même pensée anime tous les écrivains de la suprématie, nous donnerons ce passage du Commercial,

de la Guadeloupe, qui n'y m e t -

tait pas autant d'habileté, mais dont l'intention n'était que plus évidente quand il disait, le 2 5 juin 1 8 4 9 : « Quels sont donc ces démocrates, si ce ne sont les imitateurs de ces hommes

q u i , à Haïti, ont commencé la r é -

volution par le massacre lant se

substituer

des blancs,

l'ont perdue en vou-

dans l'oppression

qu'ils venaient

de

détruire, et qui, par la plus terrible des catastrophes, ont expié naguère leur orgueil, leur aveuglement et leur a m bition. » Nous pourrions fournir d'autres et nombreux exemples


60

de cette tactique, c a r les colonnes du Commercial de l'Avenir tution

et celles

sont pleines d'attaques semblables, et la

est le thême constant de ces étranges

substi-

fusionnistes.

Toutefois, nous laissons la parole a u x autorités coloniales, qui ne peuvent être suspectes de partialité en faveur des noirs et des mulâtres. A la date du 8 août 1 8 4 9 , le gouverneur de la Guadeloupe signalait officiellement le

Commercial

« comme persistant dans ses attaques contre la classe de couleur. » Dans une autre dépêche du 2 5 mai 1851), lue également à la tribune, et dont nous trouvons le t e x t e au Moniteur

du 8 août, nous lisons ce qui suit, écrit cette fois par

M. Fiéron, dont les tendances ne sont que t r o p connues : « L'Avenir

et le Commercial

tenir les anciennes

divisions

avaient toujours de castes

cherché

à

main-

par leurs articles acri-

monieux, avaient tenté d'avilir l'autorité, dont le principal crime, à leur point de vue, était la formation des municipalités par le suffrage universel ; c'est à l'instigation de ces deux j o u r n a u x , partisans de l'abstention, hommes honorables, élus, sans s'être

que plusieurs

mis sur les rangs.

conseillers municipaux, ont donné leur démission. » A une époque où ne se publiaient, à la Martinique, que le Courrier

et les Antilles,

feuilles appartenant a u x anciens

privilégiés, M. Bruat écrivait, le 2 5 septembre 1 8 4 9 , au m i nistre de la marine : « La presse périodique est a u x colonies des Antilles un des plus puissants aliments de l'agitation des esprits. Son langage incisif et passionné, soit

d'une

espérance

reflet soit des regrets

antigouvernementale,

du

passé,

se livre à d'inces-

santes attaques contre les actes du gouvernement m é t r o p o litain, contre c e u x de l'administration l o c a l e , envers les autorités qui concourent à l'exercice de l'un et de l'autre, envers les fonctionnaires quels qu'ils soient, dès qu'ils ne suivent pas la ligne qu'elle entend imprimer. » Parlant spécialement du Courrier,

le gouverneur géné-

ral poursuit en ces termes : « Le Courrier,

qui se

prétend


61 l'organe

du parti

de l'ordre,

e n t r e t i e n t e t c r é e ici d e s d é s o r -

d r e s p r é j u d i c i a b l e s a u x i n t é r ê t s des p r o p r i é t a i r e s s é r i e u x . Les

calomnies

vent tromper nes

qu'il ceux

avance

sont tellement

qui ne connaissent

inouïes

qu'elles

pas les faits et les

peuperson-

Q u a n t a u x c o n v i c t i o n s e t à la p r o b i t é d e son r é d a c -

t e u r , j e n'en c i t e r a i ici q u ' u n e x e m p l e r é c e n t . Un h a b i t a n t n o t a b l e lui r é c l a m a i t l ' i n s e r t i o n d ' u n e l e t t r e f a v o r a b l e à l ' a d m i n i s t r a t i o n . « J a m a i s ! r é p o n d i t - i l . Si c e t t e a d m i n i s t r a « t i o n f a i t q u e l q u e c h o s e d e b i e n , j e le t a i r a i ; m a i s j e l ' a t t a « q u e r a i dès q u ' e l l e f e r a m a l . P o u r q u o i , d ' a i l l e u r s , le d i r e c « t e u r de l'intérieur m'a-t-il fait c o n d a m n e r à 5 0 0 francs « d'amende? » C e r t e s n o u s s a v o n s c e q u e v a l e n t les r a p p o r t s , officiels o u n o n , e t n o u s n ' i g n o r o n s p a s les p r é v e n t i o n s des a u t o r i t é s c o n t r e la p r e s s e ; m a i s q u a n d o n v o i t d e s a d m i n i s t r a t e u r s c o m m e c e u x qui gouvernent aujourd'hui nos colonies obligés de c o n s t a t e r e u x - m ê m e s l'hostilité des journalistes d u p r i v i l é g e c o n t r e la c l a s s e d e c o u l e u r , c e l a p r o u v e , t o u t moins,

que

au

les m u l â t r e s e t les n o i r s d o i v e n t r e s t e r u n i s

p o u r l u t t e r c o n t r e des h o m m e s

d ' u n e m a u v a i s e foi a u s s i

évidente, aussi g é n é r a l e m e n t r e c o n n u e . Nous c r o y o n s avoir r é f u t é assez de c a l o m n i e s du

Cour-

rier p o u r o u v r i r les y e u x a u x p l u s i n c r é d u l e s . N o u s e s p é r o n s d o n c f e r m e m e n t q u e c e t a p p e l à la c o n s c i e n c e p u b l i q u e s e r a e n t e n d u . N'en f û t - i l

pas ainsi que nous

serions toujours

s a n s c r a i n t e ; c a r , n o u s e n a v o n s la c o n v i c t i o n , la v é r i t é t r i o m p h e t ô t o u t a r d d u m e n s o n g e : la c a u s e du d r o i t e t d e la j u s t i c e e s t é t e r n e l l e !


Pour compléter cet

Abrégé des Calomnies du

COURRIER DE

LA. MARTINIQUE, n o u s r e p r o d u i s o n s ici les d i f f é r e n t s c h a p i t r e s

de la Vérité aux Ouvriers et Cultivateurs de la

Martinique,

q u e M . S c h œ l c h e r a déjà publiés p o u r e n faire j u s t i c e . De c e t t e m a n i è r e , le l e c t e u r d e b o n n e foi s e r a p l e i n e m e n t édifié sur

la v a l e u r d e s a t t a q u e s d e l ' h o n n ê t e

journal.

CHAPITRE III. CALOMNIES POLITIQUES : ARTICLE DE 1 8 3 0 .

J'ai été l'adversaire le plus fougueux des esclaves ! — Citation sur les mœurs des esclaves perfidement tronquée. — Déloyauté de mes calomniateurs. — Le mot brutes appliqué aux esclaves de Cuba, en 1830. — Le Papa traitait alors les esclaves d'idiots et parlait de leur abrutissement. — Différence de position entre le Papa et moi. — L'émancipation par la mort. — J e proposais de fixer le terme de l'émancipation générale à vingt ans, et d'affranchir immédiatement les enfants nés et à naître.

J'ai f a i t j u s t i c e d e s c a l o m n i e s q u e j ' a p p e l l e r a i m o r a l e s ; v o y o n s c e l l e s q u e l'on p o u r r a i t a p p e l e r p o l i t i q u e s . J ' a i é t é p r é s e n t é , p a r la c o t e r i e d e s r é t r o g r a d e s , c o m m e u n h o m m e qui avait été jusqu'en 1 8 3 8

esclaves! C e c i la Martinique

l'adversaire le plus fougueux des Courrier de

e s t é c r i t en t o u t e s l e t t r e s d a n s le

d u 2 6 m a i 1 8 4 9 , a u m o m e n t où se p o s a i e n t

l e s c a n d i d a t u r e s . E t l'on a p o u s s é la f é l o n i e j u s q u ' à p r é t e n d r e e n t r o u v e r les p r e u v e s d a n s m e s p r o p r e s é c r i t s ! C'est a i n s i q u e M. B i s s e t t e e t M. M a y n a r d d o n n e n t la p h r a s e suivante pour appartenir

à un article de moi, publié

en

1 8 3 0 , d a n s la Revue de Paris : « L a d i s s o l u t i o n d e s m œ u r s , » c h e z les

nègres,

est telle,

que,

p o u r cinquante sous, un


63 « m a r i cède sa f e m m e à un a u t r e pendant huit j o u r s . » Il n'y a d a n s c e s d e u x l i g n e s i s o l é e s q u ' u n s e u l m o t d e c h a n g é ; m a i s c e c h a n g e m e n t e s t si c a p i t a l q u e la c i t a t i o n n ' e s t plus q u ' u n i n s i g n e m e n s o n g e . Je n'ai p a s d i t c h e z les NÈGRES : j ' a i dit c h e z les ESCLAVES. L a d i f f é r e n c e e s t i m m e n s e ; c a r en d i s a n t chez les nègres, tière, tandis quel point

q u e chez

c ' e s t a t t a q u e r la r a c e t o u t e n -

les

esclaves

c'est

indiquer

jusqu'à

la s e r v i t u d e p e u t c o r r o m p r e les h o m m e s . L e s

d e u x f a u s s a i r e s n e s'y s o n t p a s t r o m p é s ; c ' e s t b i e n p o u r q u o i ils o n t o p é r é la f a l s i f i c a t i o n . E l l e s e r a i t a u t r e m e n t s a n s r a i s o n d ' ê t r e ; ils n ' a u r a i e n t p a s p u a u t r e m e n t p a r t i r d e là p o u r m ' a c c u s e r , c o m m e ils l'ont f a i t , d ' a v o i r i n s u l t é la race africaine. Cette p h r a s e , en t o u s c a s , qui ne s'applique

d'ailleurs

q u ' a u x e s c l a v e s d e C u b a (je n'en a v a i s p a s v u d ' a u t r e s a l o r s ) , c e t t e p h r a s e , e x p r e s s i o n d'un f a i t d o n t j ' a v a i s é t é t é m o i n , e s t le d é v e l o p p e m e n t d e l'idée q u e j ' e x p o s a i s t o u t à l ' h e u r e ; t e l l e m ê m e qu'ils la r é d i g e n t , ils n e l'ont i s o l é e d e s o n e n s e m b l e q u e p o u r en p e r v e r t i r d a v a n t a g e le v é r i t a b l e c a r a c t è r e . L i s e z le p a r a g r a p h e t o u t e n t i e r , m e s c h e r s a m i s ,

et

vous en serez convaincus. « ...... L e s e s c l a v e s « c o m m e les mâles;

femelles

sont

occupées

aux

champs

o n fait à p e i n e la d i f f é r e n c e des s e x e s ;

« p o u r le p r o p r i é t a i r e , c e n e s o n t q u e des i n s t r u m e n t s « t r a v a i l . Ils f o r m e n t

bien quelques

mariages

de

légitimes,

« m a i s , a b a n d o n n é s à l ' é t a t d e n a t u r e le p l u s c o m p l e t , a v i « lis, m é p r i s é s , p r e s q u e s a n s c o n n a i s s a n c e

du bien et

« m a l , DEVONS-NOUS ÊTRE SURPRIS que la dissolution « mœurs

soit

telle,

que pour

« femme à un autre pendant

cinquante

huit jours!

de

sous un mari

« vrais

a f f r e u x , s u r l e q u e l les p l a n t e u r s , qui coupables,

ferment

cède

sa

Ce m é l a n g e d e s s e x e s

« p r o d u i t , c o m m e o n le v o i t , u u e i m m o r a l i t é e t un « binage

du leurs

honteusement

concu-

en sont

les y e u x ,

les

parce

« qu'il les e n r i c h i t . L e s e n f a n t s d e l e u r s e s c l a v e s l e u r a p « partiennent. »


64 Ainsi j'ai f a i t c o n n a î t r e , p a r u n e x e m p l e t e r r i b l e , q u e l a v i l i s s e m e n t des m a î t r e s i m p i t o y a b l e s e n t r e t e n a i e n t p a r m i l e u r s e s c l a v e s ; e t en m u t i l a n t la p h r a s e , a p r è s l'avoir s é p a r é e de son milieu,

ils en f o n t u n o u t r a g e q u e j ' a d r e s s e -

rais a u x h o m m e s dont je peins l'infortune!

Dites, m e s a m i s ,

n e se d é g r a d e n t - i l s pas de leurs p r o p r e s m a i n s , c e u x - l à q u i c h e r c h e n t à n o i r c i r un a d v e r s a i r e p a r de telles d é l o y a u t é s ! Oui, ils s o n t e n v é r i t é b i e n d é l o y a u x ; c a r ils v o u s

trom-

p a i e n t s u r m o n c o m p t e , p a r c e qu'ils s a v a i e n t q u e je

n'é-

t a i s p a s là p o u r les d é m e n t i r , e t q u e m e s a m i s des A n t i l l e s , n e c o n n a i s s a n t p a s le vieil a r t i c l e e n f o u i d e p u i s 1 8 3 0 d a n s un recueil énorme, me

se t r o u v e r a i e n t dans l'impossibilité de

défendre.

Ils o n t c i t é e n c o r e c e t a u t r e p a s s a g e d u m ê m e a r t i c l e : « L o i n d e n o u s la p e n s é e d e b o u l e v e r s e r l e m o n d e ,

de

« c o m p r o m e t t r e les i n t é r ê t s e t la vie d e t a n t d e c o l o n s a t t a « chés

à l ' e s c l a v a g e . C e u x q u i veulent

l'émancipation

des

« noirs actuelle et spontanée parlent et agissent dans

un

« esprit d ' h u m a n i t é t r è s - h o n o r a b l e sans d o u t e ; m a i s , soit « ignorance,

s o i t e n t r a î n e m e n t , ils n e t i e n n e n t p a s c o m p t e

« d ' u n e c i r c o n s t a n c e qui p r é s e n t e à l ' a f f r a n c h i s s e m e n t i m « m é d i a t d e s difficultés i n s u r m o n t a b l e s ; c e t t e c i r c o n s t a n c e , « c ' e s t l ' é t a t m o r a l d e n o s protégés. « chis?

Que faire

P o u r q u i c o n q u e les a vus de près,

« impossible

de nègres

affran-

c e t t e question

est

à r é s o u d r e . L e s n è g r e s , s o r t i s des m a i n s d e l e u r s

« m a î t r e s a v e c l ' i g n o r a n c e e t t o u s les v i c e s d e l ' e s c l a v a g e , ne « seraient

bons à rien,

ni p o u r la société,

« p a r c e q u e t e l l e e s t la paresse

ni pour

eux-mêmes,

e t l ' i m p r é v o y a n c e qu'ils o n t

« c o n t r a c t é e d a n s l e u r b a g n e , o ù ils n ' o n t j a m a i s à p e n s e r à « l ' a v e n i r , qu'ils mourraient

peut-être

de faim

plutôt que de

« l o u e r la f o r c e d e l e u r s c o r p s o u l e u r i n d u s t r i e . Je ne vois « pas plus

que personne

« t u e l l e , d é j à assez

la nécessité

mauvaise,

D'INFESTER la société

d e p l u s i e u r s milliers

de

acbrutes

« d é c o r é e s d u t i t r e d e c i t o y e n s , q u i n e s e r a i e n t , e n défini« t i v e , qu'une

vaste

pépinière

de mendiants,et

de

prolétaires.


65 « Q u a n t à c e l a , laissons

faire

le grand

« les a f f r a n c h i s s e m e n t s s u c c e s s i f s

LA MORT ( 1 ) ! e t

maître,

feront disparaître peu à

« p e u les r e s t e s d e l ' e s c l a v a g e ; m a i s la s e u l e c h o s e d o n t o n «

d o i v e s ' o c c u p e r a u j o u r d ' h u i , c ' e s t d'en t a r i r la s o u r c e e n

« m e t t a n t fin à la t r a i t e . E n v i s a g e r la q u e s t i o n « c'est faire

en pure

du sentiment

perle.

Ce p a s s a g e , j e s u i s f o r c é d'en

autrement,

»

convenir, a un

caractère

d ' h o s t i l i t é q u i m ' é t o n n e ; il e s t e n c o n t r a d i c t i o n a v e c t o u t l e r e s t e d e l ' a r t i c l e q u e l'on p e u t l i r e d a n s la Vérité

o ù il e s t

t o u t e n t i e r r e p r o d u i t t e x t u e l l e m e n t . C h a c u n y j u g e r a si j e n'étais pas déjà, sans intention d é t e r m i n é e , ce que j'ai é t é d e p u i s p a r v o l o n t é r a i s o n n é e , u n a b o l i t i o n n i s t e . On y v e r r a q u e d é j à je p r o f e s s a i s a l o r s , c o m m e a u j o u r d ' h u i , « qu'il n'y « a aucune « des

différence

blancs ; q u e

e n t r e l'intelligence les

nègres sont

des noirs e t une

v a r i é t é de

celle l'es-

« p è c e a p p e l é e h o m m e s , e t q u e , p a r la s e u l e r a i s o n g é n é « r a l e qu'ils

s o n t h o m m e s , ils s o n t l i b r e s d e d r o i t . » On y

v e r r a q u e j e qualifiais d'affreux

raisonnements

les m o t i f s q u e

l e u r s e n n e m i s d o n n e n t p o u r les a s s e r v i r , « en les « comme des brutes « q u ê t e , ainsi

présentant

faites p o u r travailler p a r droit de c o n -

q u e les

bœufs

e t les c h e v a u x . » C o m m e n t ,

a p r è s c e l a , a i - j e p u l e u r a p p l i q u e r m o i - m ê m e le n o m d e brutes? je ne saurais l'expliquer que p a r m o n inexpérience ( j ' é c r i v a i s p o u r la p r e m i è r e fois, e t j ' a v a i s v i n g t - c i n q a n s ) , p a r c e t t e exagération de style c o m m u n e a u x jeunes gens qui n e savent pas encore c o n t e n i r leur p l u m e . 11 r e s t e q u e , d a n s u n t r a v a i l entièrement

consacré

à peindre

(1) J e laisse la citation avec les italiques et les majuscules qu'on y a employées, mais cela ne doit pas m'empêcher de dire qu'il y a encore ici un bouleversement do points et de virgules qui n'est pas sans perfidie. Le texte porto : « Laissons faire le temps, laissons faire le grand maître. La mort et les affranchissements successifs, etc. » Grâce à cette loyale suppression d'un mot et à cet honnête déplacement de ponctuation, le pieux journaliste me fait invoquer ta mort quand c'est le temps que j'invoque, le temps et les affrancliissements successifs ! Et ces gens-là osent parler de religion et de Dieu ! 5


66 l e m a l h e u r des e s c l a v e s , le r é c e n t a m i d e s a n c i e n s

posses-

s e u r s d'esclaves a t r o u v é u n e é p i t h è t e r e g r e t t a b l e , e t depuis c i n q o u s i x a n s , d a n s t o u t e s s e s p u b l i c a t i o n s , il n'a c e s s é d e s e f a i r e c o n t r e m o i u n e a r m e d e c e m o t brutes

p r o n o n c é il

y a dix-neuf ans 1 J e n'ai j a m a i s d a i g n é r é p o n d r e à c e s b l â m e s d e m a u v a i s e f o i . Mais a u j o u r d ' h u i , m e s c h e r s c o n c i t o y e n s , q u e v o u s a v e z n o m m é M. B i s s e t t e v o t r e r e p r é s e n t a n t , j e s u i s f o r c é d e d i r e q u e l u i , si r i g i d e , s e s e r v a i t e n 1831 d e la même

expression,

a p r è s avoir a p p l i q u é à l'état intellectuel des esclaves le n o m flétrissant

d'idiotisme.

Dans s o n Mémoire

au ministre

de la marine,

d u r e s t e , il v o u s c o n s a c r e à p e i n e six huit,

m é m o i r e où,

pages sur

quarante-

on p e u t lire : « C o m m e l'esclavage e x i s t e depuis long-

« t e m p s , e t qu'il

a r é d u i t à u n é t a t presque

« g r a n d e p a r t i e de

la p o p u l a t i o n

d'idiotisme

une

d e s A n t i l l e s , il i m p o r t e

« d ' e x a m i n e r les v i c e s q u i le r e n d e n t i n t o l é r a b l e » ( p a g e 4 0 ) ; « p l u s l o i n , p a g e 4 2 , il n e p r o n o n c e p a s l e m o t brute,

il e s t

v r a i , m a i s il n ' h é s i t e p a s à d i r e : «

pour

De là n a i s s e n t

l ' e s c l a v e le d é g o û t d e l a v i e , l ' h o r r e u r d u t r a v a i l e t l ' a b r u t i s « sement

de ses

facultés

intellectuelles.

» Il y a t r o i s a n s

à

p e i n e , il é c r i v a i t e n c o r e , lui q u i s'appelle fils d ' e s c l a v e , s u r ce t o n dégagé et essentiellement religieux : « L'esclave, qui n'a r e ç u a u c u n e i n s t r u c t i o n r e l i g i e u s e , n e « p e u t j u g e r c o m m e n o u s d e s c h o s e s d e la r e l i g i o n c a t h o «

l i q u e . L ' e s c l a v e , q u i n ' e s t p a s l i b r e d e s ' é c l a i r e r des l u -

« m i è r e s d e l a r e l i g i o n , si s o n m a î t r e n e l e v e u t p a s , n e « p e u t j u g e r q u e p a r s o n i n s t i n c t s o u v e n t g r o s s i e r . O r , il « a r r i v e f r é q u e m m e n t q u e des e s c l a v e s , e n t e n d a n t p r ê c h e r « l a m o r a l e par des prêtres « q u e n t du pasteur,

qui n'en

ont pas,

r i e n t et se m o -

n'étant pas initiés, c o m m e nous,

dans

« t o u t le s u b l i m e de la religion c a t h o l i q u e , qui nous c o m « m a n d e l e m ê m e r e s p e c t p o u r la p a r o l e d u b o n c o m m e d u « m a u v a i s p r ê t r e . L'esclave peut-il ê t r e coupable de ne pas « j u g e r les c h o s e s c o m m e n o u s ? N o n , a s s u r é m e n t , p u i s q u ' i l


67

« ne les juge et ne les apprécie

que d'après

son instinct

animal,

« tandis que nous, etc. (1). » De bonne foi, mes amis, celui qui n'accordait encore, en 1846,

a u x esclaves que le seul instinct

animal,

est-il en droit

de faire t a n t de bruit d'une expression mauvaise, appliquée, en 1 8 3 0 , par inadvertance à ces infortunés 1 E t , pour me justifier mieux encore, quelle différence n'y a-t-il pas dans la position des deux écrivains? L'un est m u lâtre, il a longtemps vécu à la Martinique au milieu des noirs, il est pour ainsi dire leur m a n d a t a i r e ; il subsiste à Paris de leurs souscriptions, des sacrifices qu'ils s'imposent pour le faire vivre ici en prenant sur leur propre n o u r r i t u r e . L'autre, au contraire, était un voyageur sans idée p r é conçue, sans aucune expérience de la matière, qui, en r a s semblant ses souvenirs, avait à lutter contre le fatal dédain qu'inspire à un jeune h o m m e de la race des dominateurs la vue de l'abaissement de la r a c e asservie. Le Courrier

de la Martinique,

après la citation que lui a

fournie son complice, ajoute ces réflexions : « Ainsi donc, « en

1 8 3 0 , tous les noirs des colonies

n ' é t a i e n t , pour

« M. Schœlcher, que des BRUTES, et il ne voyait aucune né« cessité D'INFESTER la société de ces milliers de BRUTES d é « corées du nom de citoyens; en 1 8 3 0 , ces citoyens, qui e n « voient des représentants à l'Assemblée législative, « taient pas encore les frères

n'é-

et les amis de M. Schœlcher,

« et la seule émancipation, la seule liberté qu'il voulait « pour e u x , c'était celle de la MORT; il s'écriait: « faire

le grand

maître,

Laissez

il vous aura bientôt débarrassés de

« l'esclavage en couchant dans la tombe jusqu'au dernier « des esclaves. E t , en 1 8 3 8 , M. Schœlcher passait à l'état de « Wilberforce

français

! En 1 8 3 8 , il était l'ami des noirs ,

« il traversait les m e r s , il sacrifiait sa f o r t u n e , sa sau« té,

il immolait tout et entreprenait pour son compte e

(1) Lettres politiques sur les colonies, 4 livraison, p. 148; 1846.


68

« l ' œ u v r e qu'il a v a i t p r i m i t i v e m e n t Le

Courrier

d é l é g u é e à la MORT. »

trompe méchamment, sciemment

ses

lec-

t e u r s . D a n sm o n a r t i c l e d e 1 8 3 0 , a p r è s a v o i r d e m a n d é « u n e « convention

européenne,

« sans m e n t i r , appeler

une

sainte,

alliance que

« p l e s q u i d é c l a r e r a i e n t la t r a i t e « d i s : A une époque « veut,

l'on

pourra,

u n e a l l i a n c e d e t o u s les p e u -

déterminée,

abolie

quinze

pour toujours, je

ans, vingt

ans, si

l'on

L'ESCLAVAGE SERAIT ABOLI ; n u l l e p a r t il n e p o u r r a i t

« p l u s ê t r e t o l é r é , car on aurait « de tous les enfants

d'esclaves,

déjà proclamé

l'émancipation

quitte à donner une indemnité

« a u p r o p r i é t a i r e . » Vous vous êtes d o n c r e n d u s c o u p a b l e s d'un m e n s o n g e , m e s s i e u r s d u Courrier, m é d i t é , c a l c u l é , en « seule « celle

disant que

liberté que je de

voulusse

la MORT. » C'est

d'un m e n s o n g e p r é -

« la s e u l e é m a n c i p a t i o n , l a p o u r - les

seulement

esclaves

était

après avoir é m a n -

c i p é d ' u n e m a n i è r e i m m é d i a t e t o u s les e n f a n t s d ' e s c l a v e s , q u e j e l a i s s e AU T E M P S , c ' e s t - à - d i r e AFFRANCHISSEMENTS SUCCESSIFS le d e f a i r e d i s p a r a î t r e les c e m o t , les restes projet on que,

en

à la

mort

ET AUX

soin d e d é l i v r e r les p è r e s ,

RESTES d e l ' e s c l a v a g e .

Est-ce que

de l'esclavage, n e dit pas q u e dans m o n

a d é j à d é t r u i t le c o r p s p r i n c i p a l ?

Est-ce

d'ailleurs, je n'ajoute pas q u e c e u x qui survivront;

au bout de vingt ans seront rendus libres p a r u n e é m a n cipation g é n é r a l e ? Ainsi, voilà

qui

p r é c i s . L e Courrier,

la h a i n e , d e la

journal de

est bien

clair,

bien

division,

p r é t e n d q u e « la s e u l e l i b e r t é , la s e u l e é m a n c i p a t i o n q u e j e « v o u l u s s e p o u r les e s c l a v e s e n 1 8 3 0 é t a i t c e l l e d e la mort

»,

e t c e l a il p r é t e n d l ' a v o i r lu d a n s u n o u v r a g e o ù j e dis f o r m e l l e m e n t , o n le v o i t : « L ' e s c l a v a g e s e r a a b o l i a u b o u t d e « vingt ans ! » E t c e l a j e n e le d e m a n d a i s p a s s e u l e m e n t p o u r les c o l o n i e s f r a n ç a i s e s , q u e j e n e c o n n a i s s a i s p a s ; j e le

demandais

e n c o r e p o u r les c o l o n i e s d e t o u t e s les n a t i o n s de l ' E u r o p e . Le

p r o j e t a c c u s e b e a u c o u p de j e u n e s s e

dans son

auteur,

m a i s il n'en e s t p a s m o i n s d'un a m i d e l ' a b o l i t i o n . Tant il e s t


69 v r a i q u e M. F é l i x P a t r o n , l'un des m e m b r e s les p l u s

actifs

d e la r é s i s t a n c e c o l o n i a l e à la G u a d e l o u p e , c r u t d e v o i r r é futer ce simple article inséré dans u n e R e v u e ! Le

Commer-

cial e t l ' A v e n i r d e la P o i n t e - à - P î t r e s e s o n t e m p r e s s é s , b i e n e n t e n d u , d e r é p é t e r les d é c o u v e r t e s d e l e u r l o y a l c o n f r è r e . Qu'ils le d i s e n t , M. F é l i x P a t r o n a u r a i t - i l f a i t u n e b r o c h u r e pour c o m b a t t r e un travail favorable à l'esclavage ? Le Revue

Courrier, de Paris

m a l g r é t o u t , p r e n d a c t e d e l ' a r t i c l e d e la p o u r r a p p e l e r un des o r a c l e s du C h r i s t c o -

l o n i a l , q u i d é c l a r e s u r son « honneur «Dieu

e t d e v a n t les

« l'ami ni d e s

hommes,

que

et sa conscience, M.

devant

Schœlcher

n'est

n o i r s ni des m u l â t r e s . » I! o u b l i e s e u l e m e n t

d'ajouter que ce très-notable jugement a été rendu d e u x m o i s a p r è s la r é t r a c t a t i o n o ù s o n p a u v r e c o r y p h é e a v a i t p u bliquement

r e c o n n u , d e v a n t Dieu e t d e v a n t les

bommes,

M. S c h œ l c h e r c o m m e u n d e s d é f e n s e u r s d e la c a u s e d e s n o i r s !

CHAPITRE IV.

CALOMNIES POLITIQUES

: BROCHURE DE

1833.

Odieuse falsification de texte et mensonge. — Le fouet. — Attestation frauduleuse au sujet de l'exécution dont j e fus témoin, en 1839. — Démenti donné par le citoyen Elisée. — Les faits exacts. — Le code pénal maritime purgé de tout châtiment corporel. — Terme do quarante à soixante ans assigné à l'esclavage, avec affranchissement immédiat de tous les enfants nés ou à naître. — Mesures supplémentaires. — Pourquoi, si ces brochures étaient contraires aux noirs et à l'abolition, M. Bissette fit-il mon éloge à leur sujet, comme ami des noirs et abolitionniste? — Il choisit, pour s'apercevoir qu'elles sont mauvaises, le moment où j e demande l'émancipation immédiate.

E x a m i n o n s , à c e t t e h e u r e , c e q u e M. A u g u s t e M a y n a r d , t o u j o u r s sous l'inspiration de l'insulteur de n o t r e a m i Louis


70

Maynard, dit de la seconde brochure par moi publiée en 1 8 3 3 : De l'esclavage

des noirs.

Il s'agit pour lui de prouver

que, dans cet ouvrage, je me suis m o n t r é l'ami dévoué des colons, l'adversaire le plus fougueux

des esclaves ! Laissons-le

parler : « Mais ce n'est pas tout, en faisant un pas de plus dans « la conscience de M. Schœlcher, — celle de 1 8 3 0 , — nous « allons voir qu'à c e t t e date le Wilberforce français deman« dait que le FOUET fût continué

c o m m e un

instrument

« obligé du travail, nous allons acquérir la certitude qu'il « condamnait encore les esclaves à SOIXANTE ANNÉES de leur « oppression. On lit dans ce même article de la Revue « Paris,

et dans la brochure De l'esclavage

« -législation

coloniale

« Nous consentons

de

des noirs et de la

: à ce que vous possédiez encore (les

« maîtres) des noirs pendant SOIXANTE ANS ; nous ne vous « enlevons pas le moyen de les utiliser, et par RESPECT POUR «VOTRE PROPRIÉTÉ nous vous permettons un châtiment (le « fouet)... Vous pouvez « tain

maltraiter

un esclave jusqu'à

un cer-

degré. Nous MAINTENONS L E FOUET par respect pour le

« droit du m a î t r e , parce qu'en l'enlevant « ne pourra

plus faire

travailler.

au propriétaire

il

»

« E s t - c e clair ? — Soixante années d'esclavage réclamées « en 1 8 3 0 par respect pour la propriété des maîtres ! Mais à « ce compte les noirs des colonies auraient encore, de par « le Schœlcher de c e t t e époque, QUARANTE ET UNE ANNÉES de « fers à s u b i r ; ils n'auraient conquis ce bien si précieux « et si vanté

depuis par le

Wilberforce français

« 1 8 9 0 ! E t il y a des gens qui viennent

qu'en

sérieusement

« nous affirmer que M. Schœlcher a toujours voulu la li« berté des noirs! » (Courrier

de la Martinique,

2 6 mai 1 8 4 9 . )

E t d'abord, mes amis, disons que cette citation est d é naturée, depuis le commencement jusqu'à la fin, avec une mauvaise foi déshonorante pour M. M a y n a r d ; il n'a pas laissé un mot t e x t u e l , il savait qu'il n'y aurait là personne


71 p o u r le c o n t r e d i r e . A u x falsifications e s t j o i n t u n

mensonge

a b s o l u . Il e s t f a u x , v o u s e n t e n d e z b i e n , IL EST FAUX q u e j ' a i e j a m a i s dit : « Vous pouvez m a l t r a i t e r un esclave jusqu'à u n c e r t a i n d e g r é . » N'est-ce pas u n e c h o s e t r i s t e q u e d'avoir à se défendre c o n t r e de pareils a d v e r s a i r e s ? Avant tout,

rétablissons

les

p a y s u n p r o j e t de législation

textes. coloniale.

Je soumettais

au

Dans c e p r o j e t ,

où je déclare (p. 1 0 2 ) « ne poser que des principes fonda« m e n t a u x e t r é g l e m e n t a i r e s , » s a n s e n t r e r d a n s les d é t a i l s , j e disais : « A r t . 9. Tout p r o p r i é t a i r e a y a n t m a l t r a i t é u n esclave à « un certain

degré s e r a p r i v é d e c e t e s c l a v e , f o r c é d e v e n d r e

« t o u s les a u t r e s , e t d é c l a r é i n c a p a b l e d'en p o s s é d e r à l ' a « venir. » (P. 1 0 8 . ) J'ajoutais immédiatement

comme commentaire : « Une

« t e l l e m e s u r e e s t i n d i s p e n s a b l e p o u r a d o u c i r le s o r t d e c e s « i n f o r t u n é s ; c a r a l o r s s e u l e m e n t les p l a n t e u r s a u r o n t u n « v é r i t a b l e i n t é r ê t à les m é n a g e r . C'est a u s s i la s e u l e m a « n i è r e d e d o n n e r f o r c e r é e l l e à la loi ; a u t r e m e n t l ' e s c l a v e « n ' o s e r a j a m a i s s e p l a i n d r e , p u i s q u e le m a î t r e , p o u r

se

« v e n g e r , pourrait toujours

le

t r o u v e r mille

moyens

de

« faire doublement souffrir. » Tel e s t le p a s s a g e o ù M. M a y n a r d a v o u l u l i r e : « V o u s pouvez

maltraiter

un

esclave

jusqu'à

un certain

degré!»

J'ai

d o n c d r o i t d e lui d i r e : Il e s t b i e n c o n s t a n t q u e v o t r e m e n songe est p r é m é d i t é . L e s m o t s à un certain

degré s o n t en i t a l i q u e d a n s m a b r o -

c h u r e ; c ' e s t - à - d i r e que je laisse a u législateur

à déter-

m i n e r les c a s s p é c i a u x o ù la p e i n e s e r a a p p l i q u é e . Q u a n d l a loi d i t : Celui qui a u r a t u é s o n p r o c h a i n s e r a p u n i mort,

c e l a s i g n i û e - t - i l : Vous

chain jusqu'à

la mort

pouvez

maltraiter

votre

de pro-

exclusivement?

Voyons l'autre p a r a g r a p h e : c e q u e j'ai dit est t o u t a u t r e chose que

ce qu'on

me

que j'ai écrit ; comparez :

fait d i r e . Voici t e x t u e l l e m e n t c e


72 « Les p r i n c i p e s q u e nous avons émis dans le c o u r s d e « c e t t e discussion

n e s a u r a i e n t l a i s s e r d e d o u t e s u r la m a -

« n i è r e d o n t n o u s e n v i s a g e o n s les « e s c l a v e s ; ce fouet «horreur

c h â t i m e n t s infligés

dont le colon est armé par

aux

la loi nous

fait

: mais quelques m o t s e n c o r e sont indispensables à

« l'intelligence de n o t r e pensée t o u t e n t i è r e . « Dès q u e v o u s a d o p t e z u n m o d e d ' e x i s t e n c e c o n t r a i r e à « t o u t e s les lois d e la n a t u r e , il f a u t v o u s r é s i g n e r à s o r t i r d e s « b o r n e s de l ' h u m a n i t é . — La sagesse de ce p e u de p a r o l e s , « q u e j'ai t r o u v é e s je n e sais plus dans quel v i e u x livre a n « g l a i s , nous oblige à r e c o n n a î t r e , m a l g r é ce q u e nous avons « d i t , q u e , forcé une fois de tolérer « temps, « toute

l'esclavage

pour un

il f a u t é g a l e m e n t t o l é r e r la p u n i t i o n révoltante

du

certain fouet,

qu'elle soit. — E n l e v e z c e m o y e n a u p r o -

« p r i é t a i r e , il n e p o u r r a p l u s f a i r e t r a v a i l l e r . absolue

vaut

; elle le

ruine

« Cela n'est q u e t r o p v r a i , et cette conséquence « à elle seule « par

tous nos discours

contre

l'esclavage

sa base, e t r e n d p l u s i m p é r i e u s e e n c o r e l ' u r g e n c e d e

« m e t t r e a u m o i n s c e r t a i n e s r è g l e s à l ' a r b i t r a i r e des m a î t r e s . « Nous « hommes;

consentons

à ce que vous possédiez

encore

n o u s n e v o u s e n l e v o n s p a s le m o y e n d e les

des

utili-

« ser, p a r respect p o u r votre p r o p r i é t é ; nous vous p e r m e t « t o n s u n c h â t i m e n t d o n t l'idée s e u l e

nous indigne : mais

« la loi a u r a m i s u n f r e i n à vos r i g u e u r s , en

leur p r e s c r i -

« v a n t des e x c e p t i o n s n é c e s s a i r e s , en i m p o s a n t à l e u r e x é « cution une

surveillance

et des

lenteurs

protectrices. »

(Pages 123 et 124.) Q u e r é s u l t e - t - i l d e l à , m e s c h e r s a m i s ? Q u ' e n c o r e en 1 8 3 3 , n e c r o y a n t p a s p o s s i b l e l ' a b o l i t i o n i m m é d i a t e , j e t o l é r a i s le fouet, que je supposais indispensable a u travail f o r c é ; mais l ' h o r r e u r q u e j ' e n m o n t r a i s e t les f r e i n s q u e j ' e n t e n d a i s m e t t r e à son u s a g e m o n t r e n t ce q u e je pensais. J e n e v e u x pas m ' e x c u s e r d e c e t t e c o n c e s s i o n ; il f a l l a i t e x i g e r la s u p p r e s s i o n d u f o u e t , c o m m e j e l'ai fait d e p u i s , m ê m e a u p r i x d e la p r o p r i é t é des c o l o n s ; M. M a y n a r d m e l ' e n s e i g n e a u j o u r d ' h u i , il a


73

raison. Mais si j'ai eu c e t t e faiblesse de garder un temps quelque ménagement pour la possession de l'homme par l'homme, du moins ne peut-on pas dire que je l'aie fait sans qu'il m'en coûtât. Vous en pourrez juger encore mieux à la fin du volume LA VÉRITÉ, où je reproduis textuellement le chapitre de la b r o chure de 1 8 3 3 spécialement consacré au châtiment corporel. Vous demanderez ensuite à M. Bissette, qui avait mission dir e c t e pour cela, qui recevait des subsides de vous pour vous défendre, s'il a jamais fait quelque chose d'aussi complet, de plus radical, contre le fouet. Il n'en a demande sion pour

la première

la

fois qu'en 1 8 3 2 et n'en a jamais

suppresparlé

qu'accidentellement. On sait que la question de l'indemnité a été, jusqu'au 3 mars 1 8 4 8 , le principal obstacle à l'émancipation : en 1 8 3 3 , je voulais abolir sans indemnité, ou plutôt sans grever le Trésor de charges qui auraient effrayé le législateur; jeproposais, comme en 1 8 3 0 , d'affranchir tous les enfants

nés et à naître

simultanément,

immédiatement,

(pages 8 4 et 120 de la brochure),

et pour gagner cette fatale indemnité, qui paraissait une difficulté insurmontable, je laissais les adultes finir dans la s e r vitude une vie commencée dans ses misères. C'est ainsi que j'étais amené à dire : « Nous consentons à ce que vous pos« sédiez encore des hommes, et par suite à tolérer le c h â t i « ment corporel, comme une conséquence « ment

au maintien

TEMPORAIRE

forcée

de ce

de l'esclavage.

consente-

C'est une

« nécessité de position à laquelle il faut se résigner, sans « renoncer toutefois au droit de la rendre moins cruelle et « de poursuivre « struosité.

ardemment

la réforme

d'une si révoltante

mon-

» (Page 125.) Vous m'accusez d'être partisan du

fouet, perfides ennemis de la liberté! Ah! cette

infamie

vous accuse : elle montre trop vos regrets ; vous ne m e haïriez pas tant si vous ne saviez que c'est moi qui ai s i gnalé le plus haut les atrocités que vous commettiez avec le fouet, si vous ne saviez que c'est moi qui l'ai brisé dans vos cruelles mains.


74 Du r e s t e , ce n'est pas seulement une fausseté, c'est une faute de votre part d'avoir mêlé le fouet à vos diffamations. Celle-là est mal choisie ; elle m e force à vOUS rappeler qu'à la suite des lois de 1 8 4 5 le ministère de la marine envoya à l'examen du conseil des délégués

un projet d'ordonnance

qui consistait à r a y e r la fustigation, non pas même du r é gime des habitations, mais simplement du code pénal c o lonial. Le conseil des délégués se réunit et protesta à l ' u n a nimité c o n t r e une pareille mesure ! 11 faut dire, pour ne rien cacher, que le conseil colonial de la Martinique, sitôt qu'il apprit cette nouvelle, félicita, par une lettre du 2 9 août 1 8 4 6 , MM. les délégués des heureux

efforts qu'ils avaient

faits en c e t t e circonstance. A quoi M. C. Dupin, le président des délégués, répondit que cette approbation était pour ces messieurs la récompense la plus flatteuse qu'ils pussent e s pérer ! . . . Le journal des anciens fouetteurs de nègres ne s'est pas borné à ces falsifications : il a poussé la déloyauté jusqu'à publier, dans son numéro du 2 6 mai, une lettre conçue en ces termes : « Nous, cultivateurs de la sucrerie Perrinelle, électeurs, ci-après dénommés, Alexis, Augustin, Raymond, Gilles Assée, Montdésir, Théophraste, Elizée et Luc, attestons la vér i t é du fait suivant : « Lors du séjour de M . Schœlcher dans c e t t e colonie, il a demeuré quelque temps chez M. Perrinelle. M. Joseph Giorsello, voisin de l'habitation, vint p o r t e r plainte, en présence de M. Schœlcher, contre Raymond, qui, la nuit, avait violé son domicile pour un rendez-vous. M. Perrinelle demanda à M. Schœlcher quel châtiment pourrait m é r i t e r R a y m o n d . — Ça vaut dix ans de galères,

répondit M. Schœlcher.—Pour

moi, dit M. Perrinelle, je me contenterai de deux ou trois jours de prison et de quelques coups de fouet. Deux

ou

trois jours après, Augustin, commandeur de l'habitation, fit sortir Raymond de la prison et lui infligea,

en présence


75 d e M. S c h œ l c h e r , le c h â t i m e n t o r d o n n é p a r M. P e r r i n e l l e . L o r s q u e le c o m m a n d e u r e u t

fini,

Ma

si c'était moi, je lui en

aurais

« A c e t t e é p o q u e , M. S c h œ l c h e r n e s e n t a i t p a s les

coups

foi,

donné

cela ne lui a rien fait;

M. S c h œ l c h e r s ' é c r i a :

davantage.

q u ' o n d o n n a i t a u x e s c l a v e s ; il n'est d e v e n u

sensible que

d e p u i s qu'il a e u b e s o i n d ' e u x . » Ce n ' é t a i t là, m e s a m i s , v o u s le p e n s e z b i e n , q u ' u n e d e c e s d é g o û t a n t e s m a c h i n e s é l e c t o r a l e s d o n t le Courrier Martinique

de la

s'est fait l e t r i s t e o u v r i e r . Dès le l e n d e m a i n , u n

des p r é t e n d u s s i g n a t a i r e s d e c e t t e l e t t r e a d r e s s a à là f e u i l l e d e s i n c o r r i g i b l e s la r é p o n s e s u i v a n t e , i n s é r é e d a n s le nal

des Antilles

A M.

Jour-

:

M a s s o n d e B e l l e f o n t a i n e , rédacteur

du C o u r r i e r d e la

Martinique. Saint-Pierre, le 28 mai 1849. Monsieur, J e v i e n s p r o t e s t e r c o n t r e m o n n o m m i s en t ê t e d'un r é c i t publié dans v o t r e dernier n u m é r o , dans l'intention de n u i r e à l'un des b i e n f a i t e u r s d e la r a c e a f r i c a i n e . Ne v o u s c o n n a i s s a n t p a s e t n e v o u s a y a n t j a m a i s v u , j e n'ai d o n c p u r i e n v o u s a t t e s t e r c o n t r e M. S C H O E L C H E R . P e r m e t t e z - m o i d e v o u s d i r e q u e c e t t e m a n i è r e de p r o c é der

n'est p a s l o y a l e , e t q u e c ' e s t m a l s e r v i r v o t r e c a u s e q u e

d e f a i r e s o r t i r d e p a u v r e s c u l t i v a t e u r s d e s rangs

pour c a -

lomnier dans votre journal. J'espère que vous voudrez bien,

monsieur, donner place

à m a réclamation dans votre prochain n u m é r o . J'ai l ' h o n n e u r d ' ê t r e , m o n s i e u r , Votre très-humble serviteur, ÉLIZÉE, De l'habitation de M. PERRINELLE.


76 L e Courrier,

a v e c sa m a u v a i s e foi o r d i n a i r e , r e f u s a d ' i n s é -

r e r la l e t t r e du c i t o y e n E l i z é e ; m a i s il f u t o b l i g é p a r l'évid e n c e d e c o n f e s s e r , d a n s son n u m é r o d u 30 m a i , « q u e la « d é c l a r a t i o n d e s c u l t i v a t e u r s de l ' h a b i t a t i o n P e r r i n e l l e ne « lui avait pas été remise par

eux-mêmes,

qu'il n e c o n n a i s s a i t

« a u c u n d e c e u x qui l ' a v a i e n t s i g n é e , et q u ' e l l e lui a v a i t é t é « a p p o r t é e p a r MM. I l y d e , E u s è b e et C h a r l e s H é l è n e . » U n e p a r e i l l e n o t e n e s a u v e p a s l ' h o n n e u r d e M. M a y n a r d ; elle n'est q u ' u n e d é f a i t e , elle n e r é t r a c t e r i e n e t l a i s s e s u b s i s t e r l'une des c h o s e s q u i pouvaient m e n u i r e

davantage

d a n s l'esprit des c u l t i v a t e u r s , a u m o m e n t m ê m e o ù a l l a i e n t s e f a i r e les é l e c t i o n s . Qui s a i t m ô m e si c e n'est p a s u n e n o u v e l l e f o r f a i t u r e d e M. M a y n a r d , u n d e c e s m e n s o n g e s qu'il o s e e x c u s e r en les a p p e l a n t p i e u x ! L e s s i e u r s I l y d e , E u s è b e e t Charles Hélène e x i s t e n t - i l s ? E n t o u s c a s , la l e t t r e du c o u r a g e u x c i t o y e n E l i z é e p r o u v e qu'ils a u r a i e n t , c o m m e d e s f a u s s a i r e s , p r i s son n o m e t c e l u i d e ses c a m a r a d e s p o u r m ' i m p u ter un m o t odieux. C e t t e t r i s t e affaire e s t c o n s i g n é e t o u t e n t i è r e d a n s m o n l i v r e des Colonies

françaises;

la v o i c i t e l l e q u ' e l l e s'est p a s -

s é e . M. P e r r i n e l l e , c h e z q u i , d u r e s t e , il e s t f a u x , q u o i q u ' e n puissent

a v a n c e r les

prétendus

t a t i o n , M. P e r r i n e l l e , d i s - j e ,

cultivateurs de son h a b i -

c h e z qui il est faux

que j'aie

j a m a i s d e m e u r é , e s t à la M a r t i n i q u e ; t o u t le m o n d e l e r e connaît pour un h o m m e d'honneur;

il p o u r r a d i r e si

mon

r é c i t n'est p a s s c r u p u l e u s e m e n t e x a c t , e t l'on j u g e r a l'inc r o y a b l e e f f r o n t e r i e d u Courrier,

«ritédu fait

qui lui est reproché

s o u t e n a n t q u e « la s i n c é p a r les c u l t i v a t e u r s d e l ' h a -

« b i t a t i o n P e r r i n e l l e , M. S c h œ l c h e r l'a a v o u é e , r a c o n t é e e t « e n r e g i s t r é e d a n s son l i v r e » : « Nous avons assisté à u n e de ces ignobles

exécutions;

« c ' e s t de visu q u e n o u s en p o u v o n s p a r l e r . N o u s n o u s t r o u « v i o n s c h e z M. P e r r i n e l l e l o r s q u ' o n v i n t lui p o r t e r u n e a c « cusation

d e s plus

graves c o n t r e un

« h o m m e était e n t r é la n u i t

de ses

nègres. Cet

d a n s la c a s e d ' u n e f e m m e a p -


77

« partenant à un petit « porte et «attirant

h a b i t a n t v o i s i n ; il a v a i t b r i s é la

s ' é t a i t j e t é s u r e l l e . L e s c r i s d e la n é g r e s s e , en du

monde,

l'avaient

seuls

préservée

des

vio-

« l e n c e s d e c e f u r i e u x . Il f u t c o n d a m n é a u m a x i m u m de la « peine. « On l ' a t t a c h a s u r u n e é c h e l l e c o u c h é e à t e r r e , les b r a s e t « les j a m b e s a l l o n g é s ; o n lui a s s u j e t t i t é g a l e m e n t le « en t r a v e r s d e s

reins, p r é c a u t i o n indispensable

« p r é s e r v e r des a c c i d e n t s « r e m u a n t , il d o n n a i t

corps

pour

q u i p o u r r a i e n t a r r i v e r si,

le

en se

a u f o u e t f a c i l i t é d ' a t t e i n d r e le b a s -

« v e n t r e . Ainsi a m a r r é , e t le c o r p s m i s à n u , l ' e x é c u t i o n « c o m m e n ç a . L ' i n s t r u m e n t du supplice est un fouet à m a n « che t r è s - c o u r t et à lanière très-longue, dont c h a q u e coup « f a i s a i t g r a n d b r u i t . Ces c o u p s f u r e n t - i l s p l u s m o d é r é s q u e « d ' o r d i n a i r e , le c o m m a n d e u r e n v o u l u t - i l m é n a g e r la f o r c e « d e v a n t u n é t r a n g e r ( l ) ? N o u s le p o u v o n s c r o i r e ; c a r le p a « t i e n t n e f a i s a i t q u ' u n l é g e r m o u v e m e n t , e t il n e s o r t i t p a s « le m o i n d r e cri de sa b o u c h e , s a u f c e t t e ignoble e x c l a m a « tion : « Pardon, m a î t r e . » « J e m e r e t i r a i a v e c M. P e r r i n e l l e , e t n o u s é t i o n s e n c o r e « dans une petite c o u r , non

loin du lieu de

l'exécution,

« l o r s q u e d e u x m i n u t e s a p r è s (le t e m p s à p e i n e d e d é t a c h e r « les c o r d e s q u i le t e n a i e n t

s u r l'échelle)

le n è g r e s e p r é -

« s e n t a d r o i t , f e r m e , la d é m a r c h e t r a n q u i l l e , le v i s a g e c a l « m e , e t dit,

d'une v o i x

non

altérée : Maître, on a donné

« des r e c h a n g e s a u x a u t r e s pendant que j'étais au c a c h o t : « v o u l e z - v o u s m e f a i r e d o n n e r la m i e n n e ? Ce m a l h e u r e u x ce é v i d e m m e n t , a u p h y s i q u e , n e s o u f f r a i t p a s , e t a u m o r a l (1) « C'est toujours le commandeur qui remplit les fonctions de bourreau. « On a fait remarquer que c'était là un vice particulier à l'esclavage. Le «commandeur est un nègre, un esclave; il est mêlé à la vie commune et « participe à toutes les passions qui agitent une réunion d'hommes. Que de « mal ne peut-il pas faire? Que de vengeances personnelles ou do famille « ne peut-il couvrir du nom de juste punition? Et lorsqu'il est bourreau, « combien de fois la haine de celui qui châtie n'a-t-elle pas augmenté le châ« timent? »


78 « n'avait aucune idée de la dégradation qu'il venait de su« bir. Voilà ce que l'esclavage fait des h o m m e s ! « A prendre le fait dans sa nudité, on est tenté de dire « que ce nègre fut puni bien légèrement pour un c r i m e « q u i , à la cour d'assises,

le pouvait conduire a u x ga-

« 1ères, surtout quand on se représente que, pour une « faute à peine

punissable

selon la loi, il est exposé a u

« même châtiment. Mais le degré de culpabilité de nos « actes veut être apprécié en raison du milieu où ils se « commettent. Cet esclave, vivant dans la promiscuité bes« tiale à laquelle on les abandonne,

n'était pas,

cela est

« clair, la millième partie aussi coupable que nous l ' a u « rions été en faisant ce qu'il fit. Il ne méritait pas le b a « g n e ; c'est pourtant ce qui serait arrivé si M. Perrinelle « avait livré son noir à la justice, au lieu de le juger lui« même ! — En vérité, celui qui c h e r c h e à étudier cette « société monstrueuse se perd à chaque pas en un dédale « inextricable, et le désordre moral des institutions

qu'il

« examine le j e t t e lui-même de contradiction en contradic« tion. A peine vient-il

de maudire l'arbitraire laissé au

« maître, qu'il lui faut se reprendre et s'en

réjouir. Le

« pourrait-on croire, en effet ? les esclaves qui comparaissent « devant les t r i b u n a u x , a u x colonies, y sont jugés avec le « code français ! On les tient à l'état d'animaux

domesti-

« tiques ; ils ne sont rien par eux-mêmes ; la loi les livre à « leurs possesseurs, ne leur donne pas de garantie, ne leur « sert en aucun cas de défense ; pour elle, enfin, ils sont « des choses mobilières ; puis commettent-ils

une faute,

« un crime, elle s'empare d'eux, leur intente un procès en « règle et les condamne au nom de ce code fait pour des c i « toyens qui ont la responsabilité de tous leurs actes, parce « qu'ils en ont t o u t e la liberté! « On vient de voir un propriétaire juger et condamner « souverainement son nègre pour un crime capital. Il y a « trois cents êtres humains dont M. Perrinelle peut ainsi


79

« disposer presque à son g r é ! Mais nous n'hésitons point à « confesser la vérité tout entière ; il instruisit la cause « avec un soin e x t r ê m e , et non pas en h o m m e gâté par le « pouvoir absolu. Il fit venir la négresse attaquée, celle que « l'on prétendait aller trouver, et le petit propriétaire blanc « aussi ; il les entendit contradictoirement avec l'accusé, et « sa conviction put être complète. » (Des Colonies

françaises,

pages 8 6 à 8 8 . ) Après ce qu'on vient de lire, après le chapitre de seize pages que j'ai consacré a u fouet dans mon volume des lonies

françaises

Co-

(page 8 3 et suivantes), après l'énergie que

j'ai mise à poursuivre ses atroces résultats et à demander sa suppression (voir Histoire

de l'Esclavage),

que penser de

M. Maynard et de son acolyte, qui osent imprimer : « C'est une vieille m a r o t t e chez M. Schœlcher que sa passion pour le fouet!! » (Page 2 8 de la Réfutation.) reux!

ils ne feront p a s ,

Ah! les malheu-

malgré tous leurs

mensonges,

qu'à peine entré comme sous-secrétaire d'Etat au minist è r e de la marine, M. Arago ne m'ait laissé la gloire de r é diger ce décret, rendu par le gouvernement provisoire, le 1 2 mars 1 8 4 8 : « Le gouvernement provisoire, « Considérant que le châtiment corporel dégrade l'homme; « Qu'il appartient à la République d'effacer de la législation t o u t ce qui blesse la dignité humaine ; « Que c'est un bon exemple à donner au monde; « Que la suppression des peines corporelles, en affermissant dans la marine le sentiment de l'honneur, ne peut que donner a u x matelots une idée^plus h a u t e de leurs devoirs, et leur inspirer plus de respect encore pour eux-mêmes et pour les lois de la discipline; « Décrète : « Les peines de la bouline,

de la cale et des coups de

corde sont abolies ; jusqu'à révision complète du Code pénal


80

maritime, elles seront remplacées par un emprisonnement au cachot de quatre jours à un mois. » Ce décret réhabilite le Code maritime de la France a u x y e u x de la civilisation; grâce à lui nos braves matelots échappent pour toujours à l'ignoble châtiment des coups de garcettes. Penser à cela est après t o u t un bonheur qui peut me consoler d'être signalé comme un partisan du fouet par les donneurs de quatre piquets. Venons maintenant à ce prétendu t e r m e de soixante ans que j'aurais fixé en 1 8 3 3 à l'esclavage, et que le Courrier de la Martinique

de

présente sous un jour faux, comme t o u t

ce qu'il t o u c h e . Il n'est pas vrai, mes chers amis, que j'aie simplement, tranquillement donné soixante années de dur é e à votre servitude. Vous allez lire textuellement ce que j'ai écrit : « Nous persistons à croire qu'il n'y a qu'un seul « moyen d'en finir : c'est de déclarer qu'à un temps donné, « à partir de c e t t e déclaration, quarante,

cinquante,

soixante

« ans, si l'on veut (je consens à ce que les propriétaires ne « p e r d e n t rien), TOUS LES ESCLAVES SERONT LIBRES DE DROIT ET

« DE FAIT. — Alors, les noirs que les colons possèdent a c « tuellement m o u r a n t dans les fers de leur mort naturelle, « ceux-ci ne pourront crier à la spoliation, puisqu'on « paiera

au prix

« tront, à partir

courant

tous les enfants

de la promulgation

d'esclaves

leur

qui naî-

de la loi, et dont ils a u -

« ront dû faire constater la naissance sur leur propriété. » Je ne fixais donc l'émancipation générale à soixante a n s , en affranchissant

à l'heure

même tous les enfants,

que pour épar-

gner des cruautés intolérables a u x survivants. « J e fixerais, « disais-je, plutôt soixante ans que q u a r a n t e , parce que je « pense que tous les esclaves seront morts dans cet espace de « temps ; il serait

à craindre

it lion du terme , n'accablât

que te propriétaire, démesurément

vers

l'expira-

de travail

le noir

« à la conservation duquel il ne serait plus intéressé. » (Page 8 4 . )


81

C'était une combinaison

erronée, il est v r a i ; mais qui

peut nier que l'intention ne fût b o n n e ? A mon tour, je vous le demande, mes amis, qui dit la vérité, ou de c e u x qui affirment que M. Schœlcher a toujours

voulu

la liberté des noirs,

ou de M. Maynard et de l'in-

sulteur de son frère, qui le contestent ensemble ? Et je vous le demande

encore, c e u x qui dénaturent des t e x t e s au

point de faire dire à un écrivain le contraire précisément de ce qu'il a dit, ne méritent-ils pas la flétrissure de t o u t honnête h o m m e ? Notez de plus que dans c e t t e brochure j'exigeais pour ceux qui restaient sous le joug « un protecteur d'esclaves « c h a r g é de veiller sur e u x , de les questionner sur leurs « besoins (page 8 6 ) ; de recevoir leurs plaintes et de se por« ter partie civile en leur nom (page 1 0 9 ) . Je voulais, en « outre, des écoles, des caisses d'épargnes et le rachat forcé « (page 1 1 0 ) ; l'interdiction pour les affranchis de posséder « des esclaves (page 115) ; la suppression « capitation (page 1 1 5 ) ,

de l'impôt

de

et enfin un conseil des colonies

« institué en France pour j u g e r les réclamations des victi« mes de l'autorité locale » (p. 1 2 0 ) . Avec ces institutions, et l'affranchissement

de la génération

naissante,

qu'on me r é -

ponde, l'esclavage eût-il duré jusqu'en 1 8 9 0 , comme le p r é tend le Courrier

de la

Martinique?

Au surplus, je le répète, si mes premiers essais sur l'esclavage, si ces brochures de 1 8 3 0 et 1 8 3 3 étaient hostiles aux

noirs et à l'abolition, si j'y traitais véritablement les

nègres de brutes, si j'y préconisais le fouet, si enfin je ne m'y montrais que « l'adversaire le plus fougueux des esclaves, » comment se fait-il donc que le Papa,

après les avoir

lues, ait cherché à me connaître? Comment se fait-il donc qu'il me considérât alors comme négrophile, comme abolitionniste, au point qu'il croyait devoir m'avertir des injures dirigées contre moi par les colons du Globe, au point que son ami,

Houat, avouait qu'avant mon livre de 1 8 Ï 2 « je 6


82 « m ' é t a i s p l a c é a u r a n g des m e i l l e u r s a m i s d e s n o i r s e t des « m u l â t r e s , q u e j'avais a c q u i s leur e s t i m e et leur r e c o n n a i s « s a n c e , et q u e , p o u r s a p a r t , il n e c i t a i t mon n o m q u ' a v e c « o r g u e i l (1) ? » Quoi !

M.

Bissette

écrit

encore

au

commencement

d e 1 8 4 2 « q u e j e s u i s u n a m i d e l a c a u s e des n o i r s , un a b o l i t i o n n i s t e d o n t il e s t i m e l e c a r a c t è r e e t la p e r s o n n e , » a l o r s q u ' à c e t i t r e j e n'ai a b s o l u m e n t d ' a u t r e d r o i t q u e m e s p u b l i c a t i o n s d e 1 8 3 0 e t 1 8 3 3 ; e t e n 1 8 4 3 il v i e n t d i r e « q u e c e s o n t c e s m ô m e s é c r i t s q u i o n t p a r a l y s é les efforts d e s m u l â t r e s a b o l i t i o n n i s t e s ! » ( P a g e 8 9 d e s a Réfutation.)

N'est-ce

p a s d e l ' a b e r r a t i o n ? Mes é c r i t s , é v i d e m m e n t , n ' a v a i e n t p a s c h a n g é ; il n'y a v a i t d o n c q u e s e s s e n t i m e n t s p e r s o n n e l s d e modifiés. E t quelle h e u r e c e t a m i de l'émancipation choisit-il p o u r d é c o u v r i r t o u t à c o u p e n m o i u n e n n e m i c a c h é des o p p r i m é s , un a m i déguisé des o p p r e s s e u r s , un f a u x a b o l i t i o n n i s t e enfin ? Celle o ù , p r o g r e s s a n t d a n s m e s i d é e s a p r è s avoir vu l'esclavage de nos colonies, j e publie un livre où je

demande

immédiate

h a r d i m e n t envers et c o n t r e

et spontanée

tous

l'abolition

en c e s t e r m e s :

« Ce n ' e s t p o i n t d'un zèle f a n a t i q u e q u e m a p h i l a n t h r o p i e r e ç o i t ses inspirations, c e n'est point d ' e n t h o u s i a s m e

que

j e v e u x l'abolition s p o n t a n é e , c e n ' e s t p o i n t p o u r o b é i r a u p r i n c i p e s a c r é q u e , é m u d'un d é s i r p a s s i o n n é , j e v e u x i n f l e x i b l e m e n t s o u m e t t r e à l ' h e u r e m ê m e la s o c i é t é à c e p r i n c i p e , q u e l q u e d é c h i r e m e n t q u ' e l l e e n p u i s s e é p r o u v e r . De l o n g u e s réflexions m'ont a m e n é l à ; je ne suis p a s a r r i v é du p r e m i e r c o u p à l'émancipation i m m é d i a t e et absolue. Dans la b r o c h u r e d e 1 8 3 3 , d o n t j ' a i c i t é des e x t r a i t s , j e p r o p o s a i s u n d e m i - s i è c l e d ' a p p r e n t i s s a g e . Si j e d e m a n d e a u j o u r d ' h u i la libération s p o n t a n é e ,

c'est q u e , en é t u d i a n t les c h o s e s ,

j ' a i a c q u i s la c o n v i c t i o n q u e le p r o b l è m e d e la c o n c i l i a t i o n

(1) Deux mois sur une note de M. V. Schœlcher, par C. A. Bissette, page 13.


83

du travail et de la liberté se peut résoudre avec moins de danger par cette voie que par toute autre. « L'élargissement en masse de tous les pauvres captifs noirs ne nous ravit pas seulement par son caractère d'immense charité ; il se présente à nos yeux avec tous les avantages politiques et matériels d'une entreprise pratique. » (Des Colonies francaises, page 3 7 2 . ) « Le nègre qui rompt ses chaînes, à quelque prix que ce soit, redresse une injustice et honore la morale universelle, t o u t entière offensée dans l'asservissement de sa personne. « Celui qui prétend avoir le droit de garder des hommes en servitude, parce qu'on ne trouverait pas de bras libres pour planter des cannes, et celui qui soutiendrait qu'on a le droit de voler parce qu'on n'a pas d'argent, sont à mes y e u x deux foux ou deux scélérats absolument pareils. « Autant que qui que ce soit, nous apprécions la haute importance politique et industrielle des colonies, nous t e nons compte des faits, nous n'ignorons pas la valeur a t t r i buée à ce qui se passe autour de nous, et cependant c'est n o t r e cri bien décidé : Pas de colonies si elles ne peuvent exister qu'avec l'esclavage. » (Page 3 8 4 . ) Mes amis, au moment où je parlais ainsi, mon réfutateur disait dans la Revue des Colonies, septembre 1 8 4 0 , page 9 0 , « que, moins que personne, il ne voulait brusquer la réforme. » Si farouche qu'il se prétende à l'endroit de votre délivrance, il faisait encore alors a u x nécessités de sages concessions. Quant à moi, je n'en faisais plus.

C H A P I T R E V.

LE MARTYR MALGRÉ LUI. M. Bissette prétend aujourd'hui qn'il a conspiré en 1823. — Il fait compliment à un de ses juges de l'avoir condamné.— C'est une victime négative.


84 — L'arrêt même prouve son innocence. — II n'était pas coupable ; il l'a toujours dit après comme avant sa condamnation. — Il quitte la tombe à peine fermée de sa mère pour marcher contre les esclaves révoltés au Carbet. — Il réclame les droits politiques des libres, en 1826, en récompense des services rendus par quelques-uns aux maîtres contre les nègres insurgés. — Il dit aux anciens esclaves, en 1849, qu'il risquait, en 1823, sa vie et sa liberté pour les racheter. — Il se bornait encore, en 1830, à solliciter, en passant, l'amélioration de leur sort. — Il faisait aux maîtres la concession de ne pas demander l'émancipation tout d'un coup. — En 1831, il ne proposait que la résurrection des édits de Louis XIII et de Louis XIV. — Il s'en remettait au rachat forcé pour abolir l'esclavage. — Jusqu'en 1832, il n'a parlé qu'incidemment des esclaves.

Dans le passage cité de mon article de la Revue de Paris, je parle « de ceux qui veulent l'émancipation des noirs a c tuelle et spontanée. » Je ne sais trop à qui je pouvais faire allusion, car ma mémoire me sert peut-être mal ; mais je ne me rappelle pas qu'à c e t t e époque personne eût encore émis une telle opinion. En tout cas, ce n'est pas mon t e r r i ble réfutateur. C'est ici, mes chers amis, le moment d'éclaircir un point essentiel de l'histoire coloniale. M. Bissette a subi, en 1 8 2 4 , une peine effroyable, et il se fait passer aujourd'hui, auprès de vous, comme ayant encouru c e t t e peine en défendant votre cause. Rien au monde de moins vrai. Le condamné de 1 8 2 4 , se rendant il y a quelques mois chez un de ses juges, M. Dessales, lui a tenu ce langage à haute et intelligible voix; c'est son collègue M. Pecoul qui le rapporte : « Je conspirais contre l'ordre établi dans le pays. J'avais raison de conspirer, puisque cet ordre de choses était o p presseur et humiliant pour les hommes de ma r a c e ; mais, comme magistrat, vous étiez chargé de défendre cet état social; en me condamnant, vous n'avez fait que votre devoir. J e n'en conserve aucun ressentiment. » Comédie! comédie! le compagnon de Fabien et de Volny se vante, il ne conspirait pas, il n'a jamais conspiré; il est la victime négative d'un système social qui avait besoin de


85 l a t e r r e u r p o u r se s o u t e n i r ; u n e affreuse iniquité

l'a é l e v é

à u n e p o s i t i o n qu'il n'a p a s e u l ' h o n n e u r d e r e c h e r c h e r . On p e u t l ' a p p e l e r le m a r t y r m a l g r é l u i . L e s f a i t s s o n t là : en 1 8 2 3 , les l i b r e s , m u l â t r e s e t n è g r e s , é t a i e n t e n c o r e d a n s la c o n d i t i o n la p l u s a v i l i s s a n t e

vis-à-vis

d e s b l a n c s ; p o u r t o u t d i r e , en u n m o t , o n n e l e u r d o n n a i t p a s m ê m e le t i t r e d e monsieur. la situation

des

hommes

Une b r o c h u r e intitulée :

de couleur,

p a r u t alors en

q u i dévoilait cet h o r r i b l e é t a t de choses p o u r les h o m m e s

l i b r e s les

et

De

France,

revendiquait

droits politiques.

Cette b r o -

c h u r e , M. B i s s e t t e la l u t e t , c o m m e p l u s i e u r s d e ses c o n c i t o y e n s , la fit l i r e à d ' a u t r e s . V o i l à t o u t e sa c o n s p i r a t i o n . L ' o l i g a r c h i e c o l o n i a l e f r é m i t d e c o l è r e e n v o y a n t u n t e l o u v r a g e d a n s les m a i n s des m u l â t r e s ; elle v o u l u t , p a r u n c o u p t e r r i b l e , c o m p r i m e r c e s e s poirs d'émancipation sonnes,

politique : plus de cinq

c'est M. B i s s e t t e q u i n o u s

tées, déportées sans j u g e m e n t ,

cents

per-

l'apprend, furent

arrê-

ou forcées simplement

de

q u i t t e r la M a r t i n i q u e . MM. V o l n y , F a b i e n e t B i s s e t t e , e n t r e a u t r e s , furent t r a d u i t s devant la Cour r o y a l e , et bientôt intervint

l'épouvantable

arrêt suivant,

que l'innocent

con-

d a m n é félicite a u j o u r d ' h u i u n de ses j u g e s d'avoir r e n d u :

« E n c e qui c o n c e r n e

Bissette,

« A t t e n d u qu'il r é s u l t e d e s p i è c e s du p r o c è s , n o t a m m e n t d e ses i n t e r r o g a t o i r e s , la p r e u v e qu'il libelle

aurait

colporté

un

c o n ç u d e m a n i è r e à é m o u v o i r les e s p r i t s e t à s o u l e v e r

les h o m m e s d e c o u l e u r c o n t r e les b l a n c s , n o t a m m e n t des expressions

outrageantes

n a u x d e la c o l o n i e , p r o c è s de violents à la distribution

et calomnieuses

aussi

c o n t r e les t r i b u -

et qu'il r é s u l t e é g a l e m e n t des p i è c e s d u

soupçons clandestine

que

ledit

Bissette

de ce libelle;

aurait

contribué

d'un a u t r e c ô t é , il

a u r a i t é t é t r o u v é p a r m i les p i è c e s p l u s i e u r s m é m o i r e s c o n t e n a n t des diatribes

c o n t r e la c l a s s e b l a n c h e , e t des

a t r o c e s c o n t r e les t r i b u n a u x d e l a c o l o n i e ;

calomnies


86 «En

ce qui t o u c h é Volny,

e t c . ; en c e q u i t o u c h e F a -

bien, etc.; « P o u r r é p a r a t i o n de quoi, « Ordonne q u e les a c c u s é s C i r i l l e - C h a r l e s - A u g u s t e J e a n - B a p t i s t e Volny,

L o u i s Fabien

Bissette,

fils,

« S o i e n t t i r é s des p r i s o n s e t c o n d u i t s p a r l ' e x é c u t e u r d e s h a u t e s œ u v r e s s u r la p l a c e d u m a r c h é d e c e t t e ville, a u p i e d

d e la p o t e n c e , pour y être marqués

des trois lettres G. A. L.,

e t ê t r e e n s u i t e e n v o y é s dans les bagnes d e la m é t r o p o l e ,

y servir

le roi à

pour

perpétuité.

« Ile Martinique, le 12 janvier 1824.» M. B i s s e t t e a d o n c s u b i u n j u g e m e n t m o n s t r u e u x , m a i s il n ' a v a i t r i e n f a i t p o u r le m é r i t e r ; il s'est t o u j o u r s

défendu

d ' a v o i r é t é c o u p a b l e s e l o n la loi ; a v a n t c o m m e a p r è s sa c o n d a m n a t i o n , a v a n t c o m m e a p r è s sa r é h a b i l i t a t i o n , c e s s é d e p r o t e s t e r qu'il n ' é t a i t coupable

brochure

que

d'avoir

il

n'a

lu

une

politique.

T o u s ses é c r i t s l ' a t t e s t e n t : « N o u s a v o n s é t é c o n d a m n é s sous prétexte

« tion qui n'a jamais existé ( 1 ) . « E t n o u s , pour avoir reçu quelques

d'une

exemplaires

« c h u r e , p o u r l ' a v o i r lue et communiquée

à plusieurs

conspira-

d'une b r o (C'EST LA

« TOUT NOTRE CRIME); p o u r a v o i r c o n f i é à M. l e g é n é r a l « zelot

Don-

et a u x a u t o r i t é s de la M a r t i n i q u e nos suppliques

« nos espérances « hommes

pour une

de couleur;

« d'incendiaires,

a m é l i o r a t i o n dans

le sort

et des

nous s o m m e s traités de conspirateurs,

et condamnés a u x galères à perpétuité et

« à ê t r e m a r q u é s (2). » « Notre

crime,

c o m m e n o u s l'avons d i t , n'est pas autre

que

« d'avoir lu un écrit qui peignait la situation malheureuse de «nos concitoyens sous des couleurs vraies, mais insuffi« santes (3). » (1) Pétition à la Chambre des pairs, 26 avril 1826. (2) Pétition des hommes de couleur libres de la Martinique, 22 mars 1826. (3) Réponse des condamnés de la Martinique, Bissette, etc. 1826.


87

Et que l'on ne pense pas que ce ne soit là qu'un moyen de défense; ce qu'il disait avant, le condamné l'a répété mille fois après sa réhabilitation : « Je sais ce que m'a valu « de barbares traitements la simple lecture d'une brochure « inoffensive qui n'était pas de moi (1). » En 1843, il répétait encore : « J'ai été marqué d'un fer rouge, marqué de « la main du bourreau et condamné aux galères à реrрé­ « tuité, pour avoir lu et fait lire à mes amis une brochure ро­ « litique (2). » (1) Réponse à la brochure de M. Fleuriau, par Bissette, 1831.

(2) Deux mots sur une note de M. V. Schœlçher, 1843. A tant de preuves fournies par le martyr maigré lui, je puis joindre ici un nouveau témoignage qui m'arrive de la Martinique : « Non, on ne con« spirait pas en 1823 ; cette idée émise de nos jours est un anachronisme « honteux. Cette conspiration supposée fut le rêve affreux de l'aristocratie « coloniale, dont la frayeur exaltait les actions l'es plus simples. »

« A M. V. Daney Marcillac. Réponse à l'esquisse de M. Bissette en ce qui touche MM. Volney et Fabien, par L. Fabien. « Saint-Pierre-Martinique, 1849. M. V. Daney Marcillac paraît avoir pour M. Bissette une estime qui donne de lui, M. Marcillac, la plus haute opinion. Afin de mieux convaincre l'univers qu'il a perdu tout préjugé de couleur, lui de haute lignée patricienne, il a voulu chanter, dans une esquisse biographique, l'affranchi qui a maintenant les patriciens рour clients. Cette esquisse, M. Daney me l'a dédiée par cinq ou six lignes d'une ironie dont la finesse n'est pas le principal mérite ; ses amis ne pourront lui savoir gré que de l'intention. Quoi qu'il en soit, le pauvre M. Marcillac n'a pas manqué, on fidèle historien, de se mettre à l'ordre du jour, et de dire aussi, pour mieux illustrer son héros, que celui-ci conspirait en 1823. Il n'a eu qu'un tort de plus, c'est de vouloir rapetisser Fabien et Volney, les compagnons d'infortune de M. Bissette. Cela n'était pas nécessaire pour grandir la victime de ses pères. Volney est mort : le malheureux Fabien, hélas ! n'est plus en état de se défendre; mais son frère, qui reste, s'est indigné de voir M. Bissette se faire faire, par M. Daney, « un piédestal du labeur des autres ; » il a rétabli la vérité et noblement relevé l'accusation de faiblesse qu'on osait porter contre le martyr de 1823. Ah ! M. Marcillac, pourquoi avez-rous remis en présence ces deux hommes qui souffrirent ensemble et qui se ressemblaient si peu 1 Pourquoi avez-vous remis l'honorable Fabien on face de M. Bissette ? Vous avez rappelé à tout le monde que celui-ci écrivit contre


88 Que M. Bissette pardonne à ses juges, qu'il oublie les m a lédictions qu'il a si souvent lancées c o n t r e e u x , qu'il o u blie que, marchant un jour avec son jeune fils , et rencont r a n t un de ses juges, il a dit à l'enfant : « Regarde, mon fils, voilà un des bourreaux de ton p è r e ! » Qu'il oublie tout cela, rien de m i e u x ; il n'est personne au monde qui ne l'en glorifie; mais qu'il vienne dire à M. Dessales : « En « me condamnant,

vous n'avez fait que votre devoir, » c'est ce

dont personne au monde ne l'excusera ; car il était innoc e n t , et M. Dessales est coupable d'un effroyable attentat juridique. Non, mes amis, celui que vous venez de nommer r e p r é sentant ne défendait pas votre cause en 1 8 2 3 . Hélas! loin de là, il était alors parmi vos ennemis et si ardemment, qu'il quittait la tombe encore t o u t e fraîche de sa mère pour aller combattre vos frères du Carbet, qui cherchaient h é r o ï q u e ment dans la révolte la conquête de la liberté. Ce n'est pas possible,

dites-vous, toute révolte d'esclaves est légitime,

et notre papa n'a jamais pris les armes contre des esclaves noirs et mulâtres en insurrection. Ah ! il faut vous d é t r o m per, ce que j'avance est incontestable; en voici la preuve écrite de la propre main du papa : « Brest, 9 juillet 1824.

« A M. Isambert. « Ce que vous dites de moi, monsieur, n'est que trop vrai, « et me rappelle, hélas ! de tristes souvenirs!... 1 4 o c t o « bre 1 8 2 2 , époque de douloureuse m é m o i r e ! . . . Le 14 o c t o « bre 1 8 2 2 , au même moment que parvient au Fort-Royal la « nouvelle de l'événement du Carbet, ma pauvre mère e x « pirait dans mes b r a s ; je recueillais ses derniers soupirs... « Le coup terrible qui venait de me frapper si cruellement « était un puissant motif qui dût m' exempter de cette campagne ; son compagnon d'infortune un mémoire si horrible, qu'il s'est borné à en faire distribuer des copies manuscrites à la Martinique, reculant lui-môme devant la honte de le livrer à l'impression.


89 « vu encore que la classe des créoles qui était « révolte

ne marchait

pas.

Cependant

« m ' a r r ê t è r e n t p o i n t . A peine avais-je « voirs

de

fils;

à peine,

dis-je,

la victime

de

cette

ces considérations ne rempli

les derniers

de-

avais-je pleuré cette m è r e

« qui venait de q u i t t e r c e m o n d e et se s é p a r e r p o u r « j o u r s d'un fils q u ' e l l e a f f e c t i o n n a i t « t e n d r e m e n t , que je volai aussitôt

et qu'elle

au Carbet,

tou-

chérissait

pour partager

« a v e c m e s a m i s les d a n g e r s e t les f a t i g u e s d e c e t t e c r u e l l e « c a m p a g n e . J e fus p l a c é à l ' a v a n t - p o s t e

du camp Ganat

« ( M . G a n a t f u t le p r e m i e r h a b i t a n t b l a n c d u C a r b e t q u i fut « m a s s a c r é ; c e p o s t e n ' é t a i t p a s le m o i n s e x p o s é ) , et ce ne fut « qu'à mon retour « les dernières

du Carbet

prières

que je fis achever

pour celle mère

« A y a n t r e m p l i les

les cérémonies

devoirs q u e j e devais

« c o m m e c i t o y e n , comme propriétaire

et

chérie.

et comme

à mon

pays

sujet fidèle du

« roi, j e n'ai p o i n t c r u d e v o i r m ' e n f a i r e u n m é r i t e d a n s m a « d é f e n s e , ni m ê m e r a p p e l e r c e t t e c i r c o n s t a n c e d a n s les n o « tes et m é m o i r e s que j'ai fournis

pour ma

« Cette particularité était assez c o n n u e « de mon domicile.

justification.

à F o r t - R o y a l , lieu

Si j e m e p e r m e t s d'en p a r l e r a u j o u r -

« d'hui, c'est moins p o u r e n faire p a r a d e que p o u r

autre

« c h o s e . Mon u n i q u e b u t e s t d e c e r t i f i e r la v é r i t é d e c e que, « vous

dites

de moi à

ce

sujet dans votre brillant

mé-

« moire (1). » Tel

e s t l ' h o m m e d o n t les

d i r e , d a n s le Constitutionnel

protégés

ont l'effronterie

d u 1 5 j u i l l e t 1 8 4 9 , qu'il

de fut

c o n d a m n é en 1 8 2 4 p o u r « avoir p r o t e s t é a u n o m de sa r a c e « c o n t r e l'esclavage.» D e u x a n n é e s plus t a r d , le papa d i s a i t e n c o r e d a n s la tion des hommes de couleur

libres à la Martinique,

Péti-

2 6 mai 1 8 2 6 :

« On a p a r l é d ' i n s u r r e c t i o n s d a n s la c l a s s e des e s c l a v e s à la « B a r b a d e o u à la J a m a ï q u e ; m a i s qu'a « des esclaves

dans

les colonies

étrangères

de commun avec

la

révolte

les hommes

(1) Mémoire pour les hommes de couleur, par M. Isambert, t. I , p. 33.

de


90

« couleur libres de la Martinique? « défense

N ' a v o n s - n o u s p a s p r i s !a

des c r é o l e s b l a n c s , a l o r s q u e la v i e

« é t a i t m e n a c é e ? Loin de vouloir « établi,

nous insurger

de ceux-ci

contre

l'ordre

n o u s n o u s s o m m e s a r m é s p o u r la s û r e t é d e la c o -

« lonie. » E t celui

qui écrivit cela

dit à c e t t e h e u r e : « J e

conspirais c o n t r e l'ordre établi ! » E t celui qui se v a n t e h a u t d ' a v o i r r e m p l i ses devoirs

de propriétaire

si

c o n t r e des e s -

c l a v e s i n s u r g é s , c e l u i q u i d e m a n d e son é m a n c i p a t i o n p o l i t i que au nom

« blancs

contre

de

la p a r r i c i d e a s s i s t a n c e qu'il a prêtée

les noirs

aux

(1), » o s e d i r e a u x n o u v e a u x c i -

t o y e n s d e la G u a d e l o u p e , en l e u r r a p p e l a n t c e t t e é p o q u e : « J ' a i r i s q u é u n e fois m a v i e e t m a p r o p r e l i b e r t é c o n t r e l a « loi e t le b o u r r e a u p o u r v o u s r a c h e t e r ! ! ! » H o n t e ! h o n t e ! J e vous disais, m e s a m i s , q u e p e r s o n n e , en 1 8 3 0 , ne song e a i t à l ' a b o l i t i o n i m m é d i a t e : l'élu d e la M a r t i n i q u e , q u i , à f o r c e d e s ' ê t r e i m b u d e s i d é e s d e la F r a n c e , c o m m e n ç a i t à o u b l i e r u n p e u c e qu'il a p p e l a i t ses devoirs

de

propriétaire,

é t a i t loin c e p e n d a n t d e d e m a n d e r l ' a b o l i t i o n , m ê m e à v i n g t a n s , c o m m e j e le f a i s a i s ; il s ' e n t e n a i t à s o l l i c i t e r d e s

liorations

amé-

dans le sort d e s e s c l a v e s : « E n v a i n , s e b o r n a i t - i l à

d i r e , les c o l o n s p r é t e n d e n t q u e le m o m e n t n ' e s t p a s o p p o r t u n , e t q u e l e g o u v e r n e m e n t m a n q u e r a le b u t qu'il s e p r o -

p o s e e n p r o n o n ç a n t m a i n t e n a n t l'émancipation civile et politique des hommes de couleur, et en améliorant le sort des esclaves.

Notre p l a n t e u r de la Guadeloupe insinue que

p a t i o n civile e t p o l i t i q u e d e s u n s , e t l'amélioration tres,

l'émancides

au-

s e r a le s i g n a l « d u b o u l e v e r s e m e n t des c o l o n i e s , q u i n e

« p r é s e n t e r o n t plus qu'un a m a s de r u i n e s , d e c e n d r e s et de

« c a d a v r e s . » Quoi ! p a r c e q u e le sort des noirs et des mulatres deviendra plus doux, ils d e v i e n d r o n t p l u s d a n g e r e u x ! Un p e u d e b i e n c h e z les e s c l a v e s s e r a l ' a v a n t - c o u r e u r d ' u n e p o s i t i o n p l u s d o u c e e n c o r e , e t d a n s u n a v e n i r éloigné, beaucoup,

incertain

pour

m a i s r é e l p o u r un p l u s g r a n d n o m b r e , s e d e s s i n e -

(1) C. C. A. Bissette à un colon sur l'émancipation civile et politique appliquée aux colonies. Paris, 1830, p. 22 et 23.


91 r o n t d'abord cipation.

l'affranchissement

simple

et ensuite l'entière

éman-

Alors ils c e s s e r o n t d e v o i r d a n s l e u r s m a î t r e s d e s

b o u r r e a u x inviolables et é t e m e l s ; l e u r c r a i n t e , leur r e s p e c t d e s b l a n c s s e c h a n g e r o n t en r e c o n n a i s s a n c e e t d é v o u e m e n t s i n c è r e s . Il n'est q u ' u n m o y e n d ' é v i t e r les m a u x q u e r ê v e n o t r e p l a n t e u r a n o n y m e ; c ' e s t , non pas d'émanciper coup les esclaves, âme,

je lui fais

celte sage concession,

encore,

et contre

tout

d'un

de

mon

les désirs

m a i s d e c o m m e n c e r à les h a b i t u e r

à plus d e d o u c e u r , e t à u n r é g i m e l é g a l e t p r o t e c t e u r ( 1 ) . » On voit a s s e z , j ' e s p è r e , q u e le papa

n ' é t a i t p a s , e n 1830,

u n a b o l i t i o n n i s t e q u a n d m ê m e , c o m m e il v o u d r a i t le d o n n e r à c r o i r e . E n définitive, on peut c o n c e v o i r qu'un jeune h o m m e d e v i n g t - t r o i s a n s , é l e v é en E u r o p e , n ' a y a n t v u q u e les e s c l a ves d e C u b a , n ' a y a n t p o i n t e n c o r e a p p r i s q u e la s e r v i t u d e n o u s fait p e r d r e l a m o i t i é d e n o t r e i n t e l l i g e n c e e t d e n o s v e r t u s , ait r e g a r d é c o m m e d a n g e r e u x de l a n c e r sans tion, sans p r é p a r a t i o n , des

initia-

e s c l a v e s d a n s la l i b e r t é . Mais

M. B i s s e t t e é t a i t - i l d a n s le m ê m e c a s ? Fils d ' e s c l a v e , e n c o r e t o u t s a i g n a n t d e s s t i g m a t e s d e la f u r e u r c o l o n i a l e , il a v a i t v u les n è g r e s d e n o s c o l o n i e s , il a v a i t p u j u g e r l e u r d e g r é d e c i v i l i s a t i o n s u p é r i e u r e à ce qu'on

remarquait

d a n s les c o l o -

n i e s e s p a g n o l e s o u m ê m e a n g l a i s e s , e t c e p e n d a n t il s o l l i c i t a i t s e u l e m e n t p o u r e u x u n p e u p l u s d e d o u c e u r ! Mais c e s a d o u c i s s e m e n t s d o n t il p a r l e , e n q u o i les f a i s a i t - i l c o n s i s t e r ? V o u s a u r e z p e i n e à l e c r o i r e , m e s a m i s , d a n s les

bienfaits

d e s é d i t s d e L o u i s XIII e t d e L o u i s X I V ! V o u s v o u s r é c r i e z ; c ' e s t i m p o s s i b l e , d i t e s - v o u s e n c o r e . L i s e z : « Il ne s'agit aujourd'hui

donc

que d e f a i r e r e v i v r e c e t t e p a r t i e d e s o r d o n n a n -

ces qui é t a i t favorable a u x esclaves, et de la r e n d r e o b l i g a t o i r e p o u r t o u s , a i n s i q u e les n o u v e l l e s g a r a n t i e s qu'il f a u t l e u r a s s u r e r p a r u n e loi ( 2 ) . » Ces n o u v e l l e s

g a r a n t i e s sont

(1) Lettre à un colon sur l'émancipation civile et politique appliquée aux colonies françaises, 1830. (2) Mémoire au ministre de la marine sur les améliorations législatives et organiques à apporter au régime des colonies françaises. Paris, 1831.


92

formulées dans la pétition qu'il signa le 5 décembre 1 8 3 3 avec ses collègues, MM. Fabien et Mondésir-Richard. Elles se renferment dans ces termes : « Les améliorations principales que nous signalons à la « chambre, comme les premières bases d'un meilleur r é « gime pour les esclaves, sont les suivantes : « 1° Le recours en cassation en matière criminelle; « 2° L e droit de se r é d i m e r ; « 3° La suppression du supplice du fouet et de la chaîne « de police; « 4° L'inviolabilité de la liberté dans la personne de ceux « qui sont devenus libres par assession du sol m é t r o p o « litain ; « 5° L'abolition de la t a x e des esclaves suppliciés; « 6° La faculté d'hériter du maître. » Y a-t-il rien là de définitif au point de vue de la délivrance réelle? Il est bon d'ajouter qu'à cette date toutes les brochures de l'innocent condamné de 1 8 2 4 sont exclusivement consacrées à la défense des libres dont il avait reçu le mandat ; il ne prend jamais la plume que pour réclamer leurs droits civils et politiques; quant a u x frères, a u x pères, mères, a u x sœurs en servitude, ils ne tenaient qu'une place accessoire, incidente, dans ses travaux obligés. J e le défie, vous entendez, je le défie de citer quoi que ce soit de lui exclusivement et directement consacré a u x esclaves, avant la courte pétition de 1 8 3 2 , signée en commun avec ses collègues. Il était alors si loin de vouloir votre délivrance à tout prix, de la demander impérieusement comme un droit, que le 2 2 octobre 1832, il déclarait encore publiquement « qu'il « accepterait l'émancipation des esclaves avec respect, mais « qu'il pensait que l'initiative de cette mesure devait être « laissée au gouvernement et a u x Chambres (1). » (1) Lettre de M. Bissette insérée dans le Journal des Débals du 24 octobre 1832.


93 Comprenez b i e n , m e s a m i s , je ne p r é t e n d s pas a m o i n d r i r le zèle q u e M. B i s s e t t e a p u m e t t r e d e p u i s à d é f e n d r e v o t r e c a u s e , la p a s s i o n n ' a l t è r e p o i n t m a b o n n e foi ; j e v e u x s e u l e m e n t m o n t r e r q u ' à c e t t e é p o q u e la q u e s t i o n n ' é t a i t p a s assez a v a n c é e d a n s l'opinion p u b l i q u e p o u r q u ' o n n e p u i s s e expliquer mes réserves m ê m e de 1 8 3 3 . A i n s i , en 1 8 3 2 , l e p a t r o n a c t u e l des c o l o n s n ' e x i g e a i t p a s a u t r e c h o s e , p o u r les e s c l a v e s , q u e le r e t o u r à

l'exécution

sincère du Code noir. Ce f o u d r e d'abolition p u b l i a i t qu'il accepterait leur émancipation avec respect, c e q u i v e u t d i r e e n r é a l i t é qu'il s'y r é s i g n e r a i t , m a i s qu'il n e v o u l a i t p a s p r e n d r e l ' i n i t i a t i v e d e la p r o p o s e r ; e t il m e r e p r o c h e d e n ' a v o i r p a s d e m a n d é l'abolition

i m m é d i a t e e n 1 8 3 0 ! ! L e papa

1 8 4 9 ne voulait alors l'abolition

de

ni i m m é d i a t e , n i , c o m m e

m o i , à v i n g t a n s o u s o i x a n t e a n s d e d a t e a v e c le r a c h a t d e s e n f a n t s ; il s'en r e m e t t a i t , p o u r é t e i n d r e l ' e s c l a v a g e , à

duction du rachat

forcé dans la législation

« m i s s i o n , d i s a i t - i l , doit

coloniale,

bien se persuader

que,

l'intro-

« La c o m chaque noir

« p o u v a n t se r a c h e t e r et c e s s a n t d ' ê t r e m a l t r a i t é , on a r r i -

« v e r a , imperceptiblement, sans secousse, sans froisser les in« térêts des planteurs, à l'abolition de l'esclavage. » (Mémoire au ministre

de la marine,

cité plus h a u t . )

Cet h o m m e i n t r a i t a b l e q u i m e d é n o n c e c o m m e a n t i - n é g r o p h i l e , p a r c e q u e j e m é n a g e p o u r u n t e m p s la p r o p r i é t é d e s c o l o n s , il l e u r f a i t , lui, la sage concession

d e s'en r e m e t -

t r e , p o u r la g r a n d e d é l i v r a n c e , AUX RACHATS FORCÉS, afin de

ne pas froisser

les intérêts des planteurs!

J e fixais l'abolition

à la m o r t d u d e r n i e r e s c l a v e v i v a n t ; il s e c o n t e n t a i t d e l ' a j o u r n e r , m ê m e p o u r c e u x à n a î t r e , d a n s u n avenir

miné,

éloigné,

incertain!

Jugez, mes amis,

indéter-

qui d e n o u s

a l l a i t le p l u s loin e t le, p l u s v i t e . J u g e z si, d a n s la

question

p r o p r e d e l ' é m a n c i p a t i o n des e s c l a v e s , il m ' a v a i t d e v a n c é d e l o n g u e s a n n é e s , s'il y e s t , c o m m e d i s e n t ses a m i s d e

l'Ave-

nir ( 1 1 j u i n ) , « le v é t é r a n e t m o i le s o l d a t n o v i c e . » Ce n'est p a s s a n s d é g o û t q u e j ' a i a n a l y s é aussi l o n g u e m e n t


94

le p a s s é a b o l i t i o n n i s t e

d u r e p r é s e n t a n t d e la M a r t i n i q u e .

P o u r q u o i f a u t il q u ' e n l e n o m m a n t , q u ' e n d o n n a n t à s a p a r o l e l ' a u t o r i t é d'un si g r a n d t i t r e , v o u s m ' a y e z c o n d a m n é à r é p o n d r e à ses a t t a q u e s , à l e d i s c u t e r e t à le c o n f o n d r e .

CHAPITRE VI.

JUGEMENT SUR LA CLASSE DE COULEUR.

Véritable caractère de mon jugement. — Son développement. — Tout le mal est attribué au milieu social. — Justice hautement rendue aux mulâtres. — Même chose pour les mulâtresses. — La pauvreté solidaire. — Comparaison avec les ouvrières d'Europe. — Valeur relative du mot toutes. — Les familles libres mises au niveau des meilleures familles blanches. — Devoirs de l'ami véritable. — Heureuse influence de mes critiques. — Les mulâtres éclairés m'ont rendu justice. — Une assertion fausse de M. France. — Remarques de M. Dutrône, le secrétaire général de la Société d'abolition.

C o n t i n u o n s c e t t e t r i s t e b a t a i l l e ; a u s s i b i e n la c i r c o n s t a n c e est b o n n e p o u r e x a m i n e r des r e p r o c h e s m a l f o n d é s ,

que

l'on c h e r c h e d e n o u v e a u à e x p l o i t e r .

On a d i t q u e , d a n s m o n livre des Colonies

françaises,

j'a-

vais p a r l é a v e c m é p r i s des m u l â t r e s e t des m u l â t r e s s e s , et b e a u c o u p d e p e r s o n n e s d e c e t t e c l a s s e , j e le s a i s , e n o n t c o n s e r v é u n r e s s e n t i m e n t q u e les c h o s e s m ê m e s qui v i e n n e n t d e s e p a s s e r n ' o n t p u d i s s i p e r . J e v a i s m ' e x p l i q u e r , e t , si j e p a r v i e n s à les c o n v a i n c r e , j e r e m e r c i e r a i m e s e n n e m i s

de

m'avoir donné, en r e v e n a n t là-dessus, u n e occasion de r é t a b l i r l a v é r i t é . Mes p a r o l e s o n t p u ê t r e t r o p s é v è r e s , m a v o l o n t é n'a j a m a i s c e s s é u n e m i n u t e d ' ê t r e b i e n v e i l l a n t e . E t d'abord, j e n'avais a u c u n e e s p è c e de r a i s o n a u m o n d e p o u r b l e s s e r les m u l â t r e s ; l o i n d e l à , t o u s c e u x q u e j ' a v a i s v u s , f r é q u e n t é s , p r a t i q u é s dans m o n v o y a g e , a v a i e n t fait n a î t r e en m o i des i m p r e s s i o n s de b i e n v e i l l a n c e e t d ' e s t i m e :


95

je

ne pouvais

d o n c v o u l o i r a v i l i r l e u r c l a s s e ni

la r e n d r e

o d i e u s e ; j ' a i c r u s e u l e m e n t qu'il é t a i t i n d i s p e n s a b l e d e lui d i r e la v é r i t é , t o u t e la v é r i t é . Or, q u e

m'a-t-on

le p l u s r e p r o c h é ? c ' e s t

ce

passage,

p a g e 19,1 : « De là l ' o i s i v e t é q u i d é v o r e e t a v i l i t c e t t e r a c e ,

d'une

mauvaise

organisation

sociale.

victime

S a m é d i o c r i t é , ses

moyens d'existence toujours problématiques,

son

inutilité,

ses m œ u r s r é p r é h e n s i b l e s , s o n m a n q u e d e d i g n i t é e t le p e u d ' e s t i m e q u e m é r i t e la m a j o r i t é d e c e u x q u i la

composent

e x p l i q u e r a i e n t jusqu'à un c e r t a i n p o i n t l'orgueil des blancs, s'ils a v a i e n t eu assez d ' i n t e l l i g e n c e p h i l o s o p h i q u e p o u r s é p a r e r le b o n d u m a u v a i s g r a i n , s'ils n e s e m o n t r a i e n t p a s a u s si i n d u l g e n t s e n v e r s les d é p r a v é s d e l e u r c a s t e q u ' i m p i t o y a bles p o u r les a u t r e s . » Il e s t v r a i q u e j ' a i é c r i t c e l a , e t j e r e g r e t t e v i v e m e n t

de

m ' ê t r e e x p r i m é d'une m a n i è r e aussi c a s s a n t e , aussi g é n é r a l e ; m a i s n ' a i - j e p a s r e n d u à m a p e n s é e son v é r i t a b l e c a r a c t è r e p a r l e s d é v e l o p p e m e n t s n o m b r e u x q u e j e lui ai d o n n é s ? n'ai-je p a s d i t i m m é d i a t e m e n t : « Sous l'empire de l'éternelle flétrissure qui pèse s u r e u x , et p a r le fait de l e u r é l o i g n e m e n t de t o u t e fonction

q u e , L E MAL n'est-il couleur?

publi-

pas, pour ainsi dire, imposé aux gens de

Il l e u r a r r i v e c e q u i a r r i v a i t , il n'y a p a s e n c o r e

b i e n l o n g t e m p s en E u r o p e , a u x c o m é d i e n s . V o u é s a u m é p r i s , q u o i qu'ils

fissent,

ceux-ci justifiaient l'anathème p a r leur

c o n d u i t e . On n e v o u l a i t p a s c o m p r e n d r e q u e l e u r s v i c e s v e n a i e n t d e l ' a n a t h è m e ; e t , en effet, d e p u i s q u e l ' a b s u r d e r é p r o b a t i o n q u i les d é m o r a l i s a i t c o m m e n c e à s'effacer, o n l e s voit, f e m m e s et h o m m e s , c o m m e n c e r t o u s à s'élever, à g a g n e r l e s d e g r é s d e la c o n s i d é r a t i o n q u ' o n l e u r r e n d . Allez,

la société est toujours

de moitié dans

les crimes

des

individus.

Les é l é m e n t s sont bons, elle seule p r e s q u e t o u j o u r s est c o u p a b l e q u a n d ils s e p e r v e r t i s s e n t ( p a g e 1 9 0 ) . » IS'avais-je p a s c i t é e n c o r e , p a g e s 1 7 5 , 1 7 6 , 1 7 7 , u n e l o n g u e


96 série

« des o r d o n n a n c e s v e x a t o i r e s s o u s l e s q u e l l e s ,

« j e , le d é l i r e d u d e s p o t i s m e

disais-

a v a i t c o u r b é la m a l h e u r e u s e

« classe des libres ( p a g e 1 8 8 ) . » Ne m ' e x p r i m a i s - j e p a s ainsi : « L a m i s è r e d e s

sang-mélés

« s'explique p a r d e u x causes : d'abord leur naissance, l e u r « déchéance

sociale

; e n s u i t e la p o l i t i q u e d e l ' a n c i e n s y s t è m e ,

« q u i , v o u l a n t l e u r a b j e c t i o n e t c r a i g n a n t qu'ils

n'acquis-

« s e n t t r o p d e f o r c e p a r l ' a r g e n t , l e u r f e r m a les p o r t e s d e « l ' é d u c a t i o n e t des r i c h e s s e s , en les d é c l a r a n t i n h a b i l e s à « h é r i t e r d e s b l a n c s e t à r e c e v o i r d e s d o n a t i o n s . Quel a b o « minable a m a s d'iniquités que t o u t c e l a ! » P a g e 1 8 9 , j e d é n o n c e l e s lois p a r l e s q u e l l e s la c o u r o n n e i m p é r i a l e

de

F r a n c e « fortifia c e t t e l é g i s l a t i o n b a r b a r e ; » p u i s , p a g e 1 9 0 , e n c i t a n t u n e p h r a s e d e MM. S t u r g e e t H e r v e y , qui j e t t e n t s u r les h o m m e s d e c o u l e u r d e s î l e s a n g l a i s e s le m ê m e b l â m e q u e m o i s u r c e u x des îles f r a n ç a i s e s , j ' e x p o s e e n c o r e de la m a n i è r e la p l u s e x p l i c i t e q u e « le p r é j u g é é l o i g n e l e s « l â t r e s du

mu-

t r a v a i l d e la t e r r e , p a r c e q u e c ' e s t u n t r a v a i l

« d ' e s c l a v e . » J e d i s , d e p l u s , p a g e 1 9 2 : « Encore

une

fois,

« la c l a s s e d e c o u l e u r n ' a d e m œ u r s p a r t i c u l i è r e m e n t r e « p r o c h a b l e s q u e p a r c e qu'elle est déclarée sans m œ u r s : « e s t i m e z les h o m m e s , si v o u s v o u l e z qu'ils s o i e n t

estima-

« b l e s ; r e s p e c t e z les f e m m e s , si v o u s v o u l e z q u ' e l l e s

soient

« r e s p e c t a b l e s . » E n f i n , p a g e 1 9 8 , j ' i n s i s t e « s u r le d é p l o r a « b l e soin a v e c l e q u e l les m u l â t r e s s o n t r e p o u s s é s , p a r u n « p r o c u r e u r général m ê m e ,

des

écoles

et

de t o u t e

ins-

« truction. » P e u t - o n f a i r e r e s s o r t i r d a v a n t a g e les c a u s e s d u m a l q u e l'on o b s e r v e ? p e u t - o n

s ' a t t a c h e r d a v a n t a g e à en f a i r e r e -

m o n t e r la r e s p o n s a b i l i t é

a u milieu dans

lequel

il

existe?

Après t o u t , c o m m e n t a u r a i s - j e négligé un pareil m o y e n de défense p o u r des h o m m e s dans mes opinions c r o i s t o u t e s les

issus d e la r a c e n è g r e , p u i s q u e ,

philosophiques

r a c e s égales,

et

anthropologiques, je

absolument

égales,

en b i e n

c o m m e en m a l . T o u t e n p a r l a n t a i n s i , d ' a i l l e u r s , j e n e m a n -


97

quais pas de faire ressortir « que, malgré les entraves i m « posées à la classe de couleur, malgré les dégoûts dont on « l'avait toujours abreuvée, elle pouvait montrer avec o r « gueil des sujets d'élite dans tous les rangs de la société. » Ainsi, page 1 8 5 , je note « qu'il se trouve au barreau des colonies « des sang-mêlés pleins de m é r i t e , qu'il en est d'autres « dans le c o m m e r c e également distingués et d'une probité « intacte, etc. » On rencontre la même idée, page 4 4 3 du IIe volume de mes Colonies étrangères: « Tous les postes sont « occupés par les blancs ; les mulâtres n'ont aucune part « a u x préférences du ministre trompé, bien que la classe de « couleur puisse f o u r n i r beaucoup de sujets éminents. » — Je ne conteste pas que je n'aie publié de vives critiques ; je veux seulement bien établir que je ne les ai pas publiées en ennemi, mais en ami, mettant toujours l'amendement à côté de la condamnation. 11 est si peu exact que j'aie jamais eu dans le cœur ou dans l'esprit aucune malveillance pour les mulâtres, il a toujours été si loin de moi de ne vouloir pas leur tenir compte de tout, que j'exalte (page 2 0 3 des Colonies françaises) «la conduite des sang-mêlés de Philadelphie, jurant de ne « se séparer jamais de la population esclave de leur pays ; noble « serment qui a provoqué contre eux les sauvages lois de la « Louisiane. » Autre part, page 2 0 8 , je fais r e m a r q u e r que « dans les écoles gratuites du dimanche, a u x îles anglaises. « les membres de la classe de couleur se distinguent par « leur zèle et leur désintéressement à remplir les graves « fonctions d'instituteurs auprès des pauvres. » Est-ce là le langage d'un ennemi? On m'a encore fait un crime d'avoir non pas dit, mais r é pété : « Un mulâtre hait son père et méprise sa mère. » On sait bien pourtant que cela n'était pris qu'au point de vue général, pour le mulâtre né d'un blanc qui le renie, qui le laisse môme parfois dans la servitude, ou le vend comme un autre de ses esclaves, et d'une négresse qui reste plon•,

'

7


98 g é e d a n s les a v i l i s s e m e n t s e t les m a u v a i s e s m œ u r s d e l ' e s clavage. L e s j o u r n a u x d e la f a c t i o n d e s

i n c o r r i g i b l e s , v o u s le s a -

vez, mes c h e r s amis, sont revenus avec insistance, à

l'épo-

q u e des élections, s u r c e q u e j'ai é c r i t des f e m m e s de c o u l e u r , e t il les o n t f o r t i r r i t é e s c o n t r e m o i en p r é s e n t a n t m o n texte,

selon

leur

habitude,

sous

u n e face

mensongère.

V o y o n s c e qu'ils m e f o n t d i r e : « Les femmes

de c o u l e u r , p a r e x e m p l e ,

« E N CONCUBINAGE ou

qui vivent

TOUTES

DANS LA DISSOLUTION, p a r m i l e s q u e l l e s

les

« blancs viennent c h e r c h e r leurs maîtresses c o m m e dans un « b a z a r , c o n t r i b u e n t c e r t a i n e m e n t par

« t r e t e n i r l'abaissement

« h o m m a g e s d e la c a s t e p r i v i l é g i é e « ment mieux

leur libertinage

de la race qu'elles

s e livrer

à un

blanc

pas

Les

les f l a t t e n t , e t elles a i vieux,

sans mérite et

« sans qualités, q u e d'épouser un s a n g - m ê l é . « ne manquent

à en-

déshonorent...

d e c e d é p l o r a b l e effet

Les de

exemples

la

corrup-

« tion. « L e s f e m m e s l i b r e s , a u x c o l o n i e s , n ' o n t p a s m ê m e le p e u « de r e s s o u r c e que possèdent

leurs pères pour é c h a p p e r à .

« la m i s è r e . L e u r p r i n c i p a l m o y e n

d'existence honnête,

la

« c o u t u r e , e s t f o r t l i m i t é . E l l e s n ' o n t q u e les r a c c o m m o d a g e s « e t les c o s t u m e s du p a y s , o u bien les f o n c t i o n s d e b l a n c h i s « seuses, gardiennes d'enfants, « gées de suppléer

« déshonorants.

à c e qui

» (Courrier

e t c . Elles se t r o u v e n t leur m a n q u e p a r des

de la Martinique,

oblimoyens

2 6 mai 1 8 4 7 . )

J e v a i s r é t a b l i r le t e x t e v é r i t a b l e , e t l'on v e r r a q u ' a u m o y e n de s u p p r e s s i o n s

et de c o u p u r e s faites a v e c plus

d'habileté

q u e d e p r o b i t é , o n a ôté à m e s é n o n c i a t i o n s l e u r v é r i t a b l e sens. J'ai écrit : « Les f e m m e s de c o u l e u r , p a r e x e m p l e , qui vivent p r e s q u e t o u t e s en c o n c u b i n a g e o u l e s q u e l l e s les

blancs

viennent

d a n s la d i s s o l u t i o n , chercher

leurs

parmi

maîtresses

c o m m e d a n s un b a z a r , c o n t r i b u e n t c e r t a i n e m e n t p a r libertinage à e n t r e t e n i r l'abaissement

d e la r a c e

leur

qu'elles


99

d é s h o n o r e n t . Mais il faudrait savoir si le malheur qui les saisit en naissant n'est pas une des sources de la licence.? Ne pouvant espérer aucune considération, toujours méprisées, il e s t n a t u r e l q u ' e l l e s n e f a s s e n t r i e n p o u r m é r i t e r le r e s p e c t . L e p r é j u g é e n f a n t e le m é p r i s , le m é p r i s la d é m o r a l i s a tion,

e t la d é m o r a l i s a t i o n la p r o s t i t u t i o n , p r o s t i t u t i o n q u i

l é g i t i m e le m é p r i s p a r l e q u e l s ' e n t r e t i e n t le p r é j u g é . A f f r e u x e t c r u e l e n c h a î n e m e n t o ù le m a l s ' e x p l i q u e p a r le m a l . Les

pauvres créatures, d'ailleurs, n'ont pu échapper à l'action délétère des idées au milieu desquelles elles sont élevées. L e s h o m m a g e s d e la c a s t e p r i v i l é g i é e

les

flattent,

e t elles a i m e n t

m i e u x se l i v r e r à u n b l a n c v i e u x , s a n s m é r i t e e t s a n s q u a lités, que d'épouser un s a n g - m ê l é . q u e n t pas de c e déplorable

Les e x e m p l e s

ne m a n -

effet de la c o r r u p t i o n que

cer-

taines erreurs peuvent jeter dans notre esprit. Il entre beaucoup de vanité dans l'amour des femmes, comme dans celui des hommes. » ( P . 1 9 2 ) . Sur ce dernier point, je m e t r o u v e d'accord, pour m e d é f e n d r e , a v e c un m u l â t r e q u i a d o n n é d ' i n c o n t e s t a b l e s g a g e s d e d é v o u e m e n t à sa r a c e , a v e c M. S a i n t - R é m y , d'Haïti, q u i , t r a i t a n t l e m ô m e s u j e t , s ' é n o n c e ainsi : « E l l e s r e n c o n t r e n t u n e s o r t e d'honneur dans leur déshonneur m ê m e . » « On est, d i s a i s - j e e n c o r e e n p o u r s u i v a n t , on est autorisé

se demander,

en outre,

coup dans ces désordres

si la pauvreté

n'entre

pas pour

à

beau-

; les f e m m e s l i b r e s a u x c o l o n i e s n ' o n t

pas m ê m e le p e u d e r e s s o u r c e s q u e p o s s è d e n t l e u r s f r è r e s p o u r é c h a p p e r à la m i s è r e . L e u r p r i n c i p a l m o y e n d ' e x i s t e n c e h o n n ê t e , la c o u t u r e , e s t confectionné

d'Europe.

fort limité,

car

tout

E l l e s n ' o n t p l u s p o u r elles q u e

r a c c o m m o d a g e s , les c o s t u m e s du p a y s , o u b i e n les de

blanchisseuses,

Europe, rétribuées

g a r d i e n n e s d ' e n f a n t s ; mais,

celles qui veulent

et peuvent

q u ' e l l e s s e t r o u v e n t obligées

leur m a n q u e p a r des m o y e n s libres q u i n'ont

travailler,

vient les

fonctions comme

en

sont si mal

de s u p p l é e r à c e q u i

déshonorants.

Aux

femmes

p a s u n e s c l a v e p o u r les f a i r e v i v r e d e s o n '

' '

7.


100 labeur, il ne reste véritablement, comme aux rope, n'hésitons pas à le dire, il ne reste que il est exactement vrai de dire que le fait social nise la dépravation de ces belles et misérables

ouvrières d'Eula prostitution ; lui-même orgacréatures (1). »

Maintenant vous pouvez en juger, mes amis : est-ce ainsi que parle un écrivain qui veut flétrir toute une r a c e , comme on l'a p r é t e n d u ? Ne voit-on pas à chaque mot que j'attribue le mal à la misère, au fait social et non à la race? Les ouvrières d'Europe, autrement, n'auraient-elles pas le droit de dire à tous les moralistes, à tous les économistes, aux Pierre L e r o u x , a u x Louyer-Villermey, a u x P a r e n t Duchâtelet, aux Buret et a u x autres qui ont constaté pour elles cet horrible état de choses, qu'ils ont voulu les calomnier, les déshonorer toutes à plaisir? Quant au mot toutes, que je r e g r e t t e , il est évident qu'il signifie un grand nombre, comme cela était malheureusement vrai alors ; il n'y a que la plus insigne mauvaise foi qui puisse y attacher un a u t r e sens, et il est d'autant moins permis de s'y t r o m p e r que je ne tarde pas à lui donner sa valeur relative. N'ai-je pas dit en effet (p. 2 0 7 ) , en parlant des mulâtresses reçues chez les gouverneurs des West-Indies : « E t qu'on ne croie pas que les administrateurs a n glais n'aient pu tenter ce grand coup qu'en associant de force des éléments hétérogènes. Notre voyage nous met à même de certifier le contraire. Nous avons eu l'honneur d'être admis dans plusieurs familles libres dont la distinction (1) Si j e voulais relever toutes les indignes tromperies du Courrier de la Martinique, ou plutôt de M. Bissette, car les extraits du Courrier sont textuellement copiés dans sa Réfutation, il faudrait m'arréter à chaque mot. Ainsi, lorsqu'il rapporte ce passage, il supprime le premier correctif : on est encore autorisé, etc. ; il passe après gardiennes d'enfants : mais, comme en Europe, celles qui veulent et qui peuvent travailler, sont si mal rétribuées, etc. ; ensuite il s'arrête tout court aux moyens déshonorants, laissant de côté l'assimilation avec ce qui a lieu en Europe ! Ces hommes-là ont bien raison de s'appeler eux-mêmes honnêtes gens ; personne assurément ne leur accorderait un pareil titre. Heureux ceux que de tels honnêtes gens appellent tes tnnemis du pays I


101 ne le cédait

à nulle famille

blanche.

A la D o m i n i q u e , n o u s

a v o n s a s s i s t é à u n bal de c e t t e c l a s s e , e t n o u s p o u v o n s

as-

s u r e r que dans a u c u n e société de l'autre classe nous

n'a-

v o n s r e n c o n t r é plus de jeunes filles d o n t la m o d e s t i e e t la r e tenue nous aient garanti lité d e l ' a v e n i r . causes

p o u r r a i e n t s'opposer

possèdent dération

la p u r e t é d u p r é s e n t e t la m o r a -

L e s îles f r a n ç a i s e s d e m ê m e ,

des familles imaginable.

de couleur

à ces heureuses

où t a n t

de

exceptions,

qui ont droit à toute la consi-

» E t , page 2 0 8 : « Quelque sévère qu'ait

é t é n o t r e j u g e m e n t (on le v o i t , j e s a v a i s a v o i r é t é s é v è r e , mais j'avais c r u utile,

i n d i s p e n s a b l e d e l ' ê t r e ) , il n'en

p a s m o i n s v r a i q u e les s a n g - m ê l é s , d e p u i s qu'ils s o n t n u s c i t o y e n s , s e s o n t b e a u c o u p a m é l i o r é s . Le mariage q u i l e u r é t a i t p r e s q u e i n c o n n u , se répand,

est

develégal,

e t la t e n d a n c e à

u n e vie r é g u l i è r e se m a n i f e s t e d'une m a n i è r e sensible p a r m i eux. » V o u s le v o y e z , m e s c h e r s a m i s , j ' a i fait c o n s t a m m e n t la p a r t d u b i e n e t d u m a l ; m a c r i t i q u e e s t l o i n d ' a v o i r la gén é r a l i t é a b s o l u e q u e m e s e n n e m i s e t les v ô t r e s o n t v o u l u lui p r ê t e r p o u r n o u s d i v i s e r ; t o u t e n j u g e a n t n é c e s s a i r e d e r é v é l e r l ' e x i s t e n c e d u m a l , j e l'ai e n t o u r é d e t o u t e s les e x c u s e s q u e l'on p o u v a i t ,

q u e l'on d e v a i t l é g i t i m e m e n t

lui

d o n n e r . Mais c e m a l , n ' é t a i t - i l p a s n é c e s s a i r e d e l e p u b l i e r enfin ? Q u e l q u ' u n n e d e v a i t il p a s a v o i r le c o u r a g e d e d é c o u v r i r u n e p l a i e qu'il f a l l a i t c e p e n d a n t b i e n débrider

pour y

p o r t e r la g u é r i s o n ? J e m e s u i s e x p o s é à des i n i m i t i é s , à d e s injustices

en f a i s a n t

c e l a ; j e m ' y a t t e n d a i s , m a i s j ' a i la

c o n s c i e n c e d ' a v o i r r e m p l i l e r ô l e d'un a m i v é r i t a b l e , d o n t ' le d e v o i r e s t d e m o n t r e r le v i c e d a n s s o n é t e n d u e p o u r en i n s p i r e r l ' h o r r e u r à c e u x qu'il a i m e . Après t o u t , l ' e x p é r i e n c e n'est-elle p a s v e n u e p r o u v e r q u e j'avais eu

r a i s o n ? O s e r a - t - o n nier q u e m o n livre n'ait e u

u n e h e u r e u s e influence qu'il

s u r l ' a m é l i o r a t i o n des m œ u r s ,

n'ait a m e n é b e a u c o u p de

m a r i a g e s dans

et

l'ancienne

c l a s s e des l i b r e s ? S'il m e fallait d e s t é m o i g n a g e s , j e r a p p e l -


102 l e r a i s les

l e t t r e s de

MM. B e l l e r o c h e ,

Babeau et

Marcellin

B a n c e , d o n t j'ai p a r l é p l u s h a u t . Ce n'est d o n c q u ' a u m o y e n d e t e x t e s d é l o y a l e m e n t trouvés

qu'on

a pu

me

présenter

à

la c l a s s e d e

c o m m e l'ayant o u t r a g é e de p r o p o s d é l i b é r é ; mon franchise

e s t , a u c o n t r a i r e , la m a r q u e d e m e s

con-

couleur

énergique sympathies

p o u r e l l e , et n ' e u s s é - j e p a s é t é g u i d é en c e t t e g r a v e c i r c o n s t a n c e p a r l ' a m o u r du b i e n , j ' a u r a i s é t é e n t r a î n é p a r d e s s e n t i m e n t s d e b o n n e p o l i t i q u e : j e c o n s i d é r a i s les m u l â t r e s c o m m e les a u x i l i a i r e s n a t u r e l s d e

l ' é m a n c i p a t i o n ( e t ils o n t

n o b l e m e n t p r o u v é q u e je n e m'étais pas t r o m p é ) , je ne pouv a i s v o u l o i r l e u r d o n n e r à s e p l a i n d r e d'un

abolitionniste.

J e s o u h a i t e a r d e m m e n t q u e ces explications r a m è n e n t à de plus saines appréciations c e u x qui voient e n c o r e en m o i un ennemi ; mon

espoir

le p l u s d o u x e s t q u ' e l l e s a u r o n t c e t

effet. G r â c e a u c i e l , j e n e p a r l e ici q u e p o u r u n t r è s - p e t i t n o m b r e , c a r l ' i m m e n s e m a j o r i t é des m u l â t r e s m'a déjà r e n d u j u s t i c e , e t c ' e s t p o u r m o i u n f a i t d o n t je m e g l o r i f i e r a i t o u jours que d'avoir t r o u v é p a r m i e u x , p a r m i c e u x qui a v a i e n t c o u r a g e u s e m e n t travaillé à l'abolition, m e s p r e m i e r s défens e u r s c o n t r e les c a l o m n i e s

d e vos e n n e m i s . C'est a i n s i q u e

p o u r m e m o n t r e r qu'ils n'y c r o y a i e n t p a s , ils m ' o n t

envoyé

u n e l e t t r e d e M . F r a n c e , le c h e f d ' e s c a d r o n d e g e n d a r m e r i e , o ù il o s a i t d i r e : « V o u s n ' i g n o r e z p a s q u e j e m e s u i s s é p a r é d e M. S c h œ l c h e r , d e p u i s q u ' à u n e d e s s é a n c e s d e la S o c i é t é d'abolition

il e s t v e n u s o u t e n i r q u e les h o m m e s d e c o u l e u r

ne désiraient pas l'émancipation. » On a p e i n e à c r o i r e q u e les h o m m e s q u i v e u l e n t f a i r e d u mai

y m e t t e n t a u t a n t d e g r o s s i è r e m a l a d r e s s e . M. F r a n c e

i g n o r a i t - i l d o n c q u e t o u s les m e m b r e s d e l a S o c i é t é , o ù j e m e r e p r o c h e d e l'avoir f a i t

e n t r e r , s e r a i e n t là p o u r lui d o n n e r

un é c l a t a n t d é m e n t i ? J ' a i c o m m u n i q u é s a l e t t r e à l ' h o n o r a ble M. D u t r ô n e , s e c r é t a i r e d e la S o c i é t é , q u i m ' a r é p o n d u : « Mon c h e r c o l l è g u e , j ' a i a s s i s t é à t o u t e s les s é a n c e s o ù v o u s

ê t e s v e n u , et je vais affirmer

que vous n'avez jamais

soutenu


103 pareille

thèse. V o t r e r u p t u r e a v e c M. F r a n c e m'a p a r u ê t r e

la c o n s é q u e n c e

d e c e qu'il a v a i t p r é s e n t é M. * * * p o u r d e -

venir m e m b r e de n o t r e Société. »

e

Paris. — DE SOYE et C , imprimeurs, rue de Seine, 36.



LE

PROCÈS DE

MARIE-GALANTE PAR

V.

SCHŒLCHER

REPRÉSENTANT

DU P E U P L E

(GUADELOUPE).

On prétexta un complot; on fit croire facilement aux colons que les mulâtres avaient résolu de massacrer la population blanche; que la police coloniale tenait le fil d'une trame sourdement ourdie par eux; et c e t t e malheureuse classe d'hommes eut alors son temps de terreur. (Page 7 . ) ( La vérité sur les événements dont la Martinique a été le théâtre en 1831, par Th. Lechevalier).

PARIS E.

DE SOYE RUE

e

ET C, IMPRIMEURS DE S E I N E , 3 6 .

1851

NUMERO D'ENTRÉE : 5658



LE

PROCÈS DE MARIE-GALANTE

CHAPITRE I. Faits préliminaires.

L a transformation sociale qui s'est accomplie a u x colonies, p a r l'abolition de l'esclavage, a soulevé b e a u c o u p de m é c o n t e n t e m e n t s dans l'ancienne classe des m a î t r e s . E n pouvait-il ê t r e a u t r e m e n t ? L'habitude d'une longue domination, le p r é j u g é de c o u l e u r , si puissant parmi les p r o p r i é t a i r e s d ' e s c l a ves noirs, leurs i n t é r ê t s matériels m o m e n t a n é m e n t froissés, le r e g r e t des priviléges p e r d u s , tout devait faire c r a i n d r e l'opposition q u e r e n c o n t r e r a i t c e t t e g r a n d e m e s u r e d'hum a n i t é , si légitime e t si n é c e s s a i r e qu'elle fût, si p r u d e n t e e t si sage qu'ait é t é la m a n i è r e dont elle s'opéra. A la r é sistance q u e les abolitionnistes a v a i e n t é p r o u v é e d e la p a r t des colons a v a n t l'affranchissement, on pouvait m e s u r e r l'ardeur de la lutte qui allait s'engager a p r è s la p r o c l a m a tion de la l i b e r t é . Cependant les faits ont dépassé les plus tristes prévisions. L e mauvais vouloir des a d v e r s a i r e s du r é g i m e n o u v e a u , c o m p r i m é un instant p a r la révolution d e


-

6

-

F é v r i e r , ne t a r d a pas à é c l a t e r a u x Antilles s u r t o u t , où le m o u v e m e n t des agitations d e la m è r e - p a t r i e se t r a n s m e t a v e c plus d e f o r c e que dans nos a u t r e s établissements d'out r e - m e r . — L e s t e n d a n c e s des pouvoirs s u c c e s s e u r s du Gouv e r n e m e n t provisoire c o n t r i b u è r e n t aussi à d é v e l o p p e r , au plus h a u t l'antagonisme qui divisait déjà les différentes classes d e la société coloniale.

dégré,

Cet é t a t d e choses s'est plus p a r t i c u l i è r e m e n t r é v é l é lors des élections pour l'Assemblée législative, et les troubles dont les opérations électorales d e juin 1 8 4 9 ont é t é l'occasion à la G u a d e l o u p e , s e r v e n t e n c o r e aujourd'hui à m o t i v e r les m e s u r e s r é p r e s s i v e s que l'oligarchie coloniale sollicite e t obtient c o n t r e les affranchis. L e p r o c è s qui a suivi les é v é n e m e n t s de M a r i e - G a l a n t e , une des d é p e n d a n c e s d e la G u a d e l o u p e , n'est en r é a l i t é qu'un p r o c è s i n t e n t é à la majorité des é l e c t e u r s de c e t t e colonie. Aussi, le meilleur m o y e n d e faire j u s t i c e des a c c u sations m o n s t r u e u s e s r é p a n d u e s sur le c o m p t e des n o u v e a u x c i t o y e n s , et d'éclairer l'opinion publique sur la v é ritable situation de nos d é p a r t e m e n t s d ' o u t r e - m e r , est-il d'analyser c e s i m p o r t a n t s d é b a t s . T e l est le but que nous nous p r o p o s o n s . A la p r é t e n d u e conspiration g é n é r a l e et p e r m a n e n t e qui e s t la base des i m p o s t u r e s des ennemis d e l'égalité civile et politique dans les colonies, nous opposerons les vains efforts tentés p a r le m i n i s t è r e public p o u r r a t t a c h e r les unes a u x a u t r e s les différentes affaires nées de la c r i s e é l e c t o r a l e de 1 8 4 9 . A l'accusation d e c o m p l o t o r g a n i s é , nous r é p o n drons p a r les débats e u x - m ê m e s ; en face d e la c o n d a m n a tion d'un g r a n d n o m b r e des a c c u s é s d e M a r i e - G a l a n t e , nous m e t t r o n s l'acquittement de c e u x d e la G a b a r r e , q u e les r é quisitoires du p r o c u r e u r g é n é r a U s i g n a l a i e n t c o m m e les chefs d e la c o n j u r a t i o n ; enfin, pour r é d u i r e à néant l'affreuse imputation d e m a s s a c r e , sans c e s s e r e n o u v e l é e c o n t r e les affranchis, nous p r o u v e r o n s que pas un blanc n'a é t é t u é , que plusieurs d ' e n t r e e u x , au c o n t r a i r e , ont é t é p r o t é gés p a r des noirs, tandis que cinquante noirs au moins sont t o m b é s sous les balles de l'a t r o u p e e t de la milice ! Après avoir fourni à tous les esprits i m p a r t i a u x les é l é -


7 ments indispensables pour se p r o n o n c e r a v e c connaissance de c a u s e , nous laisserons à la c o n s c i e n c e publique le soin de c o n c l u r e ; mais tout en r e s p e c t a n t les a r r ê t s d e la j u s tice coloniale, nous aurons établi c e que nous disons dès à p r é s e n t : qu'il n'y a jamais eu de conspiration de noirs ni de m u l â t r e s à la Guadeloupe; que les troubles sont dus a u x m e n é e s et a u x r a n c u n e s d e quelques éternels incorrigibles, e n c o u r a g é s par la conduite des autorités locales. A v a n t d'entrer dans le détail des faits, exposons la s i t u a tion au milieu d e laquelle ils se sont p r o d u i t s . On ne p e u t isoler les c o n s é q u e n c e s d e leur c a u s e ; d'ailleurs, quelques mots suffiront. Nous l'avons dit, c'est aux élections d e juin 1 8 4 9 que r e m o n t e n t les n o m b r e u x p r o c è s jugés d e r n i è r e m e n t à la B a s s e - T e r r e . A c e t t e é p o q u e , la direction s u p é r i e u r e d e la Guadeloupe était confiée à M. F a v r e , capitaine de vaisseau, nommé g o u v e r n e u r provisoire en r e m p l a c e m e n t d e M. F i é r o n , qui venait d'être r a p p e l é en F r a n c e pour r e n d r e c o m p t e de sa conduite. P e u d e mois a u p a r a v a n t , en effet, M. F i é ron avait e m b a r q u é d'un seul c o u p , b r u t a l e m e n t , le p r o c u r e u r g é n é r a l , le préfet apostolique, et plusieurs a u t r e s fonctionnaires. Ces violences administratives, e t le r a p p e l qui en était r é s u l t é , a u r a i e n t suffi seuls à e x a l t e r la c o t e r i e dont M . F i é r o n était l'instrument, si déjà elle n'avait t o u t disposé, depuis les élections d e 1 8 4 8 , pour t â c h e r d e r é p a r e r l'échec qu'elle y avait essuyé. Il est bon aussi de n o t e r que l'un des principaux chefs d e s e r v i c e , M. l'ordonnateur Guillet, avait obtenu en 1 8 4 8 les voix de la minorité, et q u e la majorité eut de nouveau à l u t t e r c o n t r e son a c t i v e hostilité. Les choses en étaient là lorsque, p a r un h a s a r d fatal, les élections d e la Martinique p r é c é d è r e n t de quelques j o u r s le m o m e n t fixé p o u r celles de la Guadeloupe, et c o m p l i q u è r e n t la situation p a r le t r i o m p h e des candidats avoués du parti de la r é s i s t a n c e . L'un des élus vint se p r é s e n t e r de nouveau a u x suffrages des é l e c t e u r s g u a d e l o u p é e n s , afin d'appuyer la combinaison des grands p r o p r i é t a i r e s , et s u r tout de faire é c h o u e r les candidats abolilionnistes. Nous ne parlerons pas clc c e t agent é l e c t o r a l ; nous avons


— 8 — dit ailleurs n o t r e opinion à son é g a r d ( 1 ) . Nous nous b o r n e nerons à c o n s t a t e r qu'avant son a r r i v é e , la colonie jouissait d'une tranquillité qui n'avait pas é t é i n t e r r o m p u e depuis l'émancipation, et que p a r t o u t où il p a s s a , à la G a b a r r e , à S a i n t e - R o s e , au L a m e n t i n , à P o r t - L o u i s , ses paroles s o u l e v è r e n t des collisions et p r o v o q u è r e n t de g r a v e s d é s o r d r e s . M a r i e - G a l a n t e , connue par la violence de ses antipathies d e c a s t e s , M a r i e - G a l a n t e , la Corse des Antilles, c o m m e l'appelait un des défenseurs des a c c u s é s , n'avait pas besoin de sa p r é s e n c e pour ê t r e é g a l e m e n t a g i t é e ; ses p a t r o n é s y pourvurent. P o u r a p p r é c i e r le c a r a c t è r e de c e t t e inqualifiable p r o p a g a n d e , il suffit de c i t e r les p a r o l e s de M. V e r n h e t t e , p a r lant au nom du b u r e a u c h a r g é d e la vérification des é l e c tions de la Guadeloupe. Dans la s é a n c e du 17 o c t o b r e 1 8 4 9 , t o u t en c o n c l u a n t à l'invalidation, c e r a p p o r t e u r d i s a i t : « Nous sommes d e m e u r é s convaincus que le v o y a g e d e « M. B i s s e t t e à la Guadeloupe avait é t é en l u i - m ê m e un évé« nement malheureux. » M a l g r é t o u t , M . P e r r i n o n et M . S c h œ l c h e r o b t i n r e n t 1 4 , 0 0 0 voix sur 1 8 , 0 0 0 v o t a n t s . L e s ennemis du nouveau r é g i m e colonial d u r e n t é p r o u v e r d'autant plus de c o l è r e d e leur défaite qu'ils se c r o y a i e n t m i e u x assurés de la v i c toire. Tel était l'état des choses quand se produisit la conflagration de M a r i e - G a l a n t e . E x a m i n o n s les moyens employés p a r la r é a c t i o n pour t i r e r parti des d é s o r d r e s . ( 1 ) La vérité aux ouvriers et cultivateurs de lu Martinique.


CHAPITRE II. La prétendue conspiration, des mulâtres de la Guadeloupe.

§

1

e r

.—

ACCUSATIONS,

P o u r faire c o m p r e n d r e la m a r c h e a d o p t é e p a r les r é t r o g r a d e s , il suffit de c i t e r le langage que tenaient leurs j o u r n a u x . L e s e x t r a i t s suivants donneront une idée de la v i o lence a v e c laquelle ils poursuivirent la confection de c e f a m e u x complot. « Disons-le h a u t e m e n t , publiait le Commercial du 7 juillet « 1 8 4 9 , e t que l'autorité coloniale et la F r a n c e l'entendent. « Il e x i s t e dans les colonies une v a s t e et mystérieuse o r g a « nisation antisociale, a y a n t pour but l'expulsion par l'intimi« dation, et s'il le faut par la violence, de t o u t c e qui p e n s e , t r a « vaille, possède e t vit h o n n ê t e m e n t ; la tête est à Paris, les « bras et les instruments au milieu d e nous. L e plan de c e s « c o n s p i r a t e u r s est simple c o m m e le communisme dont ils « sont les a p ô t r e s . » De son c ô t é , a p r è s avoir e x p o s é « q u e les événements « qui se sont accomplis ne sont p a s , c o m m e on essaie de le « faire c r o i r e , un accident fortuit, le produit d'une i r r i t a « tion n é e e x c l u s i v e m e n t de la crise é l e c t o r a l e , » l'Avenir du 7 juillet poursuit en c e s t e r m e s : » Ce qui se passe p a r m i nous a une a u t r e origine e t vient


-

10 —

« de beaucoup plus loin. Nous l'avons déjà dit : C'est l'explosion « d'un vaste complot, organisé depuis longtemps, sous les aus« p i c e s , à l'instigation et pour le plus grand profit de c e r « tains h o m m e s , dont nous avons de t o u t temps surveillé et « quelquefois p é n é t r é les machinations. » Tel était le langage des écrivains de la conciliation. Au r e s t e , dès le 3 0 juin, au m o m e n t où les é v é n e m e n t s de M a r i e - G a l a n t e étaient à peine connus à la P o i n t e - à - P î l.re, le Commercial avait r e p r é s e n t é les noirs c o m m e « les i n « struments d'hommes qui r ê v a i e n t l'exclusion de la race eu« ropéenne et leur substitution à c e l l e - c i , » et les a d v e r s a i r e s de l'émancipation, soit a u x c o l o n i e s , soit en F r a n c e , d e bonne ou de mauvaise foi, s'étaient, hâtés de p r o p a g e r et de c o m m e n t e r c e t t e h e u r e u s e d é c o u v e r t e ! Dans une pétition a d r e s s é e à M . le P r é s i d e n t de la R é p u b l i q u e , les négociants, a r m a t e u r s , capitaines au long c o u r s et colons résidants du H a v r e , allèrent m ê m e jusqu'à dire : « L a Guadeloupe est « en pleine a n a r c h i e , le sang a coulé à flots; l'incendie, allumé « sur un grand n o m b r e de points à la fois, éclaire des scènes de « massacre, des tueries inconnues parmi les hordes qui habitent les « contrées les plus sauvages. » (Courrier du Havre, 2 8 juillet 1 8 4 9 ) . Enfin, quand la nouvelle du 13 juin parvint aux colonies, les o r g a n e s de l'aristocratie s'en e m p a r è r e n t a v e c frénésie pour en faire un t h è m e d'accusations e x t r a v a g a n t e s c o n t r e la classe qu'ils voulaient p e r d r e . « L a c o n c o r d a n c e des é v é n e m e n t s du 13 juin à P a r i s et « de c e u x des 1 8 , 1 9 , 2 6 et 2 7 juin à la G u a d e l o u p e , dit le « Commercial du 14 juillet, est un t e r r i b l e témoin c o n t r e vous « et contre celui (M. S c h œ l c h e r ) qui vous dirige dans vos c o u p a b l e s intrigues. P a t i e n c e ! Ce m o t qu'il vous a a d r e s s é r é s u m e « t o u t le c o m p l o t ; la conspiration était fomentée à Paris, p e n « dant qu'on essayait, mais en vain, de la faire réussir ici. » L e Courrier de la Martinique est plus explicite e n c o r e . Dans l'aveuglement de sa passion, il a c c u s e M. M e s t r o , d i r e c t e u r des colonies, et M. l'amiral B r u a t , g o u v e r n e u r g é n é r a l des Antilles, d'être les complices de la conjuration qui aurait é c l a t é à M a r i e - G a l a n t e ; il n'épargne pas m ê m e M. T r a c y , qui venait c e p e n d a n t de donner «une mission de conciliation» à un h o m m e qu'il savait décidé à c o m b a t t r e les candidats


— 11 — r e g a r d é s , à tort ou à raison, p a r la majorité aux colonies, c o m m e personnifiant les intérêts de l'émancipation, « Il y « aurait d a n g e r , d i t - i l , dans son n u m é r o du 1 8 j u i l l e t 1 8 4 9 , « d a n g e r pour l'avenir, et un avenir prochain p e u t - ê t r e , à « c e que tout c e qui s'est passé soit mis sur le c o m p t e des « élections, soit attribué à ces a c c è s violents, mais é p h é « m è r e s , de la fièvre é l e c t o r a l e . N'oublions jamais que le « gouvernement, d e la Guadeloupe a d é c l a r é , dans son r a p « p o r t officiel, que la r é v o l t e était organisée de longue main, et « que les élections n'en ont été que le prétexte. « Le m o u v e m e n t colonial est venu de loin; ii a é t é p r é p a r é « de longue main. « L a substitution en est toujours le b u t ; les fonction« naires publics en ont toujours fourni une partie du p e r « sonnel ; le plan a consisté, encore cette fois, à exterminer par « le fer, à r u i n e r , d é c o u r a g e r et désespérer par le feu, à e x i « ler p a r la t e r r e u r tous les propriétaires et les honnêtes c i « toyens. L e r e s t e est d e facile e x é c u t i o n . « Pourquoi le colonel F i é r o n a-t-il été b r u s q u e m e n t e n « levé au g o u v e r n e m e n t de la G u a d e l o u p e ? Parce qu'il en a « e x p u l s é , d ' u r g e n c e , des agitateurs soutenus par la Montagne. « L e colonel F i é r o n était un homme d a n g e r e u x pour le gou« v e r n e m e n t qui se constituait en F r a n c e dans les clubs e t « les sociétés s e c r è t e s . 11 faisait son devoir, lorsque le mi« nistère de la marine l'a enlevé à la Guadeloupe. Il a d o n c « é t é e n l e v é de c e t t e colonie, parce qu'il gênait certains Mon« tagnards, en faisant son devoir. « L a c i r c u l a i r e ( c e l t e c i r c u l a i r e est de M . l'amiral B r u a t ) « qui a défendu a u x fonctionnaires publics de se m ê l e r « d ' é l e c t i o n s , c e t t e c i r c u l a i r e , qui parle d'élections tout « haut et entendait sans doute autre chose tout bas, elle est du « c r û de la direction des colonies. Qu'on dise le c o n t r a i r e ! » Ainsi, voilà qui est constant : non-seulement il y a e u , à la Guadeloupe, des tueries inconnues parmi les hordes les plus sauvages, mais les m u l â t r e s étaient les instigateurs de ces m a s s a c r e s , les complices de M. S c h œ l c h e r , dans un complot ayant pour but l'extermination des b l a n c s ! C'est a v e c de semblables inventions, d'autant plus odieuses que personne n'y c r o i t moins que leurs a u t e u r s ; c'est a v e c de


— 12 — semblables inventions, c h a q u e j o u r ressassées p e n d a n t des mois e n t i e r s , que des p e r v e r s sont p a r v e n u s à c o m p r o m e t t r e t o u t e une classe d e leurs concitoyens e t nous. P a r des assertions d e c e t t e n a t u r e , on p e u t j u g e r à priori de la moralité du p r o c è s intenté à la classe d e c o u l e u r . M a s s a c r e s , t u e r i e s , e x t e r m i n a t i o n des b l a n c s , i n c e n d i e , c o n j u r a t i o n , e t c . , e t c . , et pas un b l a n c , pas un seul n'a é t é t u é ! Cinq seulement ont é t é blessés l é g è r e m e n t , p a r des piques d e bois ou des p i e r r e s ; enfin, le c h e f d e c o m p l o t a é t é a b a n d o n n é p a r le ministère public l u i - m ê m e , c o m m e on le v e r r a tout à l ' h e u r e ! C e p e n d a n t , lorsqu'on songe q u e t a n t d'aberrations ont é t é soutenues p a r les a u t o r i t é s e l l e s - m ê m e s , p a r M M . les g o u v e r n e u r s F a v r e e t F i é r o n , p a r M . le d i r e c t e u r d e l'int é r i e u r B l a n c ; que s o i x a n t e - n e u f i n n o c e n t s , sur c e n t c i n q u a n t e p r é v e n u s , sont r e s t é s u n e a n n é e e n t i è r e sous les v e r r o u x , à a t t e n d r e q u e la v é r i t é se fît j o u r , on ne p e u t t r o p d é p l o r e r les p r é v e n t i o n s des principaux fonctionnaires de la Guadeloupe. E n agissant ainsi, n'obéissaient-ils p a s , sans en a v o i r c o n s c i e n c e , a u x réquisitoires des honnêtes é c r i vains du Courrier de la Martinique, du Commercial et d e l'Avenir, qui, s'ils eussent é t é j u g e s , a u r a i e n t c o n d a m n é infaillib l e m e n t , à titre de c o m p l i c e s , M M . T r a c y , M e s t r o , B r u a t , aussi bien que n o u s - m ê m e ?

§ 2 .

LES

ACCUSATIONS

DE

COMPLOT NE

SONT

PAS

NEUVES

AUX A N T I L L E S .

Ces mortelles divagations ne sont pas n e u v e s ; l'histoire coloniale est pleine d'intrigues homicides, qui c o m m e n c e n t p a r une dénonciation et finissent à l'échafaud. C'est à la suite d'accusations semblables q u e la main du b o u r r e a u écrivit les d a t e s d e 1 8 2 3 , 1 8 3 1 , 1 8 3 4 , dans les s o m b r e s a n L'extermination nales d e la Martinique et de la Guadeloupe. de la classe blanche! tel a toujours é t é le p r é t e x t e des plus sanglantes e x é c u t i o n s , et jamais c e p e n d a n t aucun blanc n'a p e r d u la vie dans c e s complots imaginaires. Ce n'est pas nous qui le constatons le p r e m i e r . Il y a vingt a n s , en 1 8 3 1 ,


-

13 —

un colon de la Martinique, dont ses compatriotes firent aussi un chef de conjuration méditant le massacre de ses frères, parce qu'il avait voulu avancer d'un pas, M. Th. Leehevalier, qui depuis a fait assez connaître s'il était l'ennemi des colons, s'exprimait ainsi : « En 1823, à l'occasion d'une brochure qui circula dans le « pays, les blancs virent l'orage grondant sur leurs privi« léges, et, au lieu d'avoir recours à la conciliation, dans une « lutte qui devait tourner à leur désavantage, par la posi« tion nouvelle où était la métropole, ils eurent recours « à leurs vieilles armes, la vengeance, l'injustice et la c a « lomnie... « On prétexta un complot; on fit croire facilement aux créoles, « disposés à saisir toutes les occasions de satisfaire leur « haine contre les mulâtres, que ceux-ci avaient résolu de mas« sacrer la population blanche; que la police coloniale tenait le fil « d'une trame sourdement ourdie par eux. Cette malheureuse classe » d'hommes eut alors son temps de terreur, » Plus loin, nous lisons encore, à propos de 1831 : « La classe blanche ne voyait partout que ses priviléges à «ressaisir; elle autorisa le désordre ; elle l'encouragea, pour « l'attribuer ensuite à l'incompatibilité do l'ordre dans les « colonies, avec l'égalité accordée aux gens de couleur. On « vit de l'indécision chez M. le gouverneur, et l'on crut « que l'ordonnance n'était pas tellement définitive, qu'on « ne pût la faire rapporter; tous les moyens étaient bons pour « cela, etc. ( 1 ) » A la suite de cette agitation, M. Th. Lechevalier expose que cent soixante-quinze individus furent impliqués dans un complot dont le but était, alors comme aujourd'hui, déporter le pillage, la dévastation et le massacre dans la colonie. VINGT-SIX accusés furent envoyés à l'échafaud. SEIZE de ces malheureux étaient simplement déclarés coupables de résistance à la forc'e publique, dans un conflit où pas un blanc n'avait été blessé, PAS UN ! Le procès de la Grand'-Ànse (Martinique) présente les mêmes caractères, comme on le peut voir dans les feuilles (1) La vérité sur les événements dont la Martinique a été le théâtre en 1831. (Page 7 et 2 i . )


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14

-

publiées en 1 8 3 4 , sur c e t t e affaire, p a r M. Gatine, a v o c a t à la Cour de cassation : « Cent s o i x a n t e - t r e i z e individus mis en inculpation ; « « « « «

« Q u a t r e - v i n g t - s e p t r e n v o y é s d e v a n t les assises, s u b i s sant des d é b a t s de t r e n t e j o u r s , et p e n d a n t tout c e temps t r a v e r s a n t la ville d e S a i n t - P i e r r e m e n o t t é s , a t t a c h é s a v e c une c o r d e qui passait du p r e m i e r au d e r n i e r , e n v i r o n n é s d e la f o r c e a r m é e , au milieu des cris de joie des blancs.

« Puis a u j o u r s u p r ê m e , en un seul j o u r , p a r le m ê m e « arrêt : « Quinze c o n d a m n é s à m o r t ; « Six a u x t r a v a u x forcés à p e r p é t u i t é ; « V i n g t - c i n q jouissant du bénéfice de l'art. 1 0 0 du Code « p é n a l , c o m m e l'a dit M . le p r o c u r e u r g é n é r a l N o g u e s , « c ' e s t - à - d i r e exclus à perpétuité de la colonie, a r r a c h é s p o u r « toujours à leur p a y s , à leurs f e m m e s , à leurs e n f a n t s ! « L e r e s t e , ou c o n d a m n é s à m o r t p a r c o n t u m a c e , ou « placés sous la s u r v e i l l a n c e de la h a u t e p o l i c e ; tous ruinés « p a r la c a p t i v i t é , la s é q u e s t r a t i o n d e leurs biens et les frais « é n o r m e s du p r o c è s . « U n e c o m m u n e e n t i è r e d é p e u p l é e p a r la j u s t i c e ; c e u x « qui n'ont pas é t é frappés p e r s o n n e l l e m e n t obligés d e « s ' e x p a t r i e r ; les familles fuyant a u x îles é t r a n g è r e s d e v a n t « la t e r r e u r qui désole leur p a y s ; u n e m è r e , une m a l h e u « r e u s e m è r e , r e s t é e seule a v e c ses huit enfants, v e u v e d e «son m a r i , Léandre Barthélémy, condamné à mort par « c o n t u m a c e ; v e u v e d e son fils aîné, B a r t h e l , c o n d a m n é à « m o r t ; v e u v e d e son s e c o n d fils, S a i n t - R o s e , m o r t dans « les p r i s o n s ; v e u v e d e son p è r e , Misely, c o n d a m n é à m o r t « p a r c o n t u m a c e ; v e u v e d e son n e v e u , Laville, fusillé l o r s « qu'il c h e r c h a i t à fuir! . « Voilà la statistique effrayante q u e p u t d r e s s e r M . le « p r o c u r e u r g é n é r a l N o g u e s , en t r a n s m e t t a n t les p i è c e s en « France. « F a u t - i l , pour a j o u t e r e n c o r e à c e tableau de désolation, « r a p p e l e r les e x é c u t i o n s militaires qui suivirent l ' a r r e s t a « lion de tous ces m a l h e u r e u x ? Huit d ' e n t r e e u x p e r c é s de « balles à t r a v e r s les grillages d e leur p r i s o n , sur l'habita-


— 15 — « « « « « «

tion Bonafon; la famille M a u r i c e , fusillée le 3 janvier ou é g o r g é e à la b a ï o n n e t t e dans son domicile, pour avoir r e fusé de l'ouvrir p e n d a n t la nuit à la force a r m é e ; p a r t o u t des a c t e s de violence c o n t r e les personnes et les p r o priétés des m u l â t r e s ; p a r t o u t l'anathème a u x vaincus, le vœ victis des b a r b a r e s et des s a u v a g e s .

« N'oublions p a s , continue plus loin M. G a t i n e , que le but « du complot annoncé à chaque page de l'accusation était de massa« crer toute la population blanche et d e faire de la Martinique un « nouveau S a i n t - D o m i n g u e . E h bien! le seul q u a r t i e r d e la « G r a n d ' - A n s e s'est levé, et dans le c e r c l e étroit où l'insur« r e c t i o n s'est c i r c o n s c r i t e , m a î t r e s s e du pays p e n d a n t trois « j o u r s , a r m é e pour un m a s s a c r e g é n é r a l , pas un blanc n'a « péri!

P A S UN N'A É T É T U É , NI B L E S S É ! »

On le voit, l'histoire coloniale est r i c h e en inventions de complots et en supplices. C'est p o u r t a n t a v e c des a n t é c é dents d e c e g e n r e qu'une faction, qui n'a rien appris et rien oublié, ose p o r t e r d ' e x é c r a b l e s accusations c o n t r e les é m a n cipés d e 1 8 4 8 , t r a i t e d e b a r b a r e s les noirs et les m u l â t r e s , dit que nous avons du sang aux mains et au front, et p r é t e n d r e p r é s e n t e r la civilisation !

§ 3 . — L'AUTORITÉ EST LA PREMIÈRE A PROPAGER L'IDÉE DE L'EXISTENCE D'UN COMPLOT. Quelque m o n s t r u e u x que c e l a p a r a i s s e , c e qui se c o m p r e n d r a moins e n c o r e , c'est que le g o u v e r n e m e n t de la Guadeloupe ait c o n t r i b u é à a c c r é d i t e r les hideux mensonges d e c e s c o n t e m p t e u r s de la l i b e r t é . C o m m e n t n'a-t-elle pas été é c l a i r é e p a r les enseignements du passé ? L ' e x a s p é r a t i o n politique explique p e u t - ê t r e la polémique furibonde des o r g a n e s des préjugés qui ont s u r v é c u à l'esclavage, mais la conduite des fonctionnaires c o l o n i a u x , à la suite des é v é n e m e n t s d e M a r i e - G a l a n t e , c o m m e n t l ' e x p l i q u e r ? Que l'on en j u g e sur pièces. L e r a p p o r t suivant, inséré par M . B l a n c , d i r e c t e u r d e l ' i n t é r i e u r , et M. F a v r e , g o u v e r n e u r , dans la Gazette du 5 juillet, m o n t r e quels sentiments les animaient. Ce r a p p o r t


— 16 — est la p r e m i è r e p i è c e officielle des p r o c è s de t e n d a n c e faits à la m a j o r i t é é l e c t o r a l e ; c'est la base des a c c u s a t i o n s r é p é t é e s p a r les j o u r n a u x h o n n ê t e s e t m o d é r é s de F r a n c e . Voici c o m m e n t il y est r e n d u c o m p t e des é v é n e m e n t s : « C'est à la mairie du G r a n d - B o u r g ( c a m p a g n e ) , sur l ' h a « bitation et dans la maison du m a i r e , s e r v a n t d e maison « c o m m u n e et d e lieu d e réunion pour le collége é l e c t o r a l , « que les d é s o r d r e s ont é c l a t é . L e d i m a n c h e 2 4 , j o u r de « l ' o u v e r t u r e du s c r u t i n , tout s'était passé avec calme et tranquil« lité. L e lendemain 2 5 , la p l u p a r t des é l e c t e u r s qui a v a i e n t « v o t é la veille se r e n d i r e n t de nouveau à la réunion é l e c t o « r a l e . C e u x qui n'avaient pas e n c o r e v o t é d é c l a r a i e n t qu'ils « ne d é p o s e r a i e n t leurs bulletins qu'à l ' a r r i v é e de leur chef. « Dès que l'individu qu'ils désignaient ainsi p a r u t au milieu « d ' e u x , il fut e n t o u r é p a r un g r o u p e c o n s i d é r a b l e . Sur la « dénonciation des manoeuvres auxquelles il se livrait, le « m a i r e o r d o n n a son a r r e s t a t i o n . » A p r è s avoir a v a n c é « que les c u l t i v a t e u r s n'attendaient « qu'une occasion, » le r é d a c t e u r officiel fait le r é c i t d e l e u r s t e n t a t i v e s p o u r obtenir l'élargissement du prisonnier, et t e r mine ainsi : « « « «

« L e s r é v o l t é s , v o y a n t qu'il leur é t a i t impossible d ' e n t a m e r les t r o u p e s , p r i r e n t la fuite. On vit alors s i m u l t a n é m e n t , s u r divers points de l'île, surgir u n e m u l t i t u d e de malfait e u r s a r m é s de piques s e m a n t p a r t o u t l'incendie, le pillage et la d é v a s t a t i o n .

« « « « « «

« Tout porte à croire que la révolte était organisée de longue main, et que les élections n'en ont été que le prétexte. Il faudrait c h e r c h e r la v é r i t a b l e c a u s e d e ces d é p l o r a b l e s m a l h e u r s dans les funestes d o c t r i n e s p r o p a g é e s p a r m i les noirs. C'est en faisant luire a u x y e u x de c e s m a l h e u r e u x la coupable espérance du partage des terres qu'on est parvenu à exciter en eux toutes les mauvaises passions. »

Quoi! l'autorité e l l e - m ê m e le c o n s t a t e , « t o u t s'était p a s s é , le p r e m i e r j o u r , a v e c c a l m e et tranquillité,» les é l e c t e u r s noirs ne se sont é m u s qu'en v o y a n t a r r ê t e r un d i s t r i b u t e u r de bulletins qu'ils a t t e n d a i e n t , e t elle v i e n t d i r e , a v a n t la m o i n d r e information : « T o u t p o r t e à c r o i r e que la r é v o l t e « é t a i t organisée d e longue m a i n ! » N ' e s t - c e pas d é p a s s e r


— 17 — la d o c t r i n e du véhément soupçon 1824 à la M a r t i n i q u e ?

appliquée a u x c o n d a m n é s d e

Q u a n t a u x p r o m e s s e s de p a r t a g e des t e r r e s , il est t r o p vrai que les t r è s - h o n o r a b l e s a u t e u r s du r a p p o r t en p a r l e n t , n o n - s e u l e m e n t avant toute espèce d'information, mais e n c o r e sans aucun fondement, bien m i e u x sans le moindre indice. L a p r e u v e , c'est que l'instruction, m a l g r é ses r e c h e r c h e s , n'a rien r é v é l é à c e s u j e t ; c'est q u e , pendant les d é b a t s des différents p r o c è s , le ministère public ne s'en est point o c c u p é une seule minute, et qu'enfin pas un témoin n'y a m ê m e fait allusion. Pourquoi d o n c p r o d u i r e c e t t e a c c u s a t i o n ? A v a i t on besoin de l'épouvantail du c o m m u n i s m e pour faire m i e u x c r o i r e à l'existence du c o m p l o t imaginaire et obtenir ainsi à tout p r i x c e que l'on désirait, l'annulation des élections? L e p a r q u e t dirigé p a r M M . Baffer et M i t t a i n e , à qui s u c c é d a M. B a b o u , se t r o u v e d ' a c c o r d a v e c le g o u v e r n e u r pour a s s u r e r l'existence du c o m p l o t . Il é v o q u e toutes les affaires de l'élection nées et à naître, et il e n t a m e une i m m e n s e p r o c é d u r e dans laquelle il confond des é v é n e m e n t s passés à différentes époques sur des lieux différents c o m m e c o r r é l a t i f s , p a r t a n t d'un m ê m e point et allant au m ê m e but. L e s s c è n e s qui e u r e n t lieu à la G a b a r r e sont du 16 juin, celles d e S a i n t e - R o s e du 1 7 , celles du P o r t - L o u i s du 2 0 , celles d e M a r i e - G a l a n t e du 2 5 (elles m a r q u e n t les é t a p e s d e l'agent é l e c t o r a l d e la m i n o r i t é ) , et le ministère public propose d'envelopper tous les p r é v e n u s dans une seule et m ê m e p o u r s u i t e ! — Si la C h a m b r e d'accusation n'avait pas e l l e - m ê m e disjoint les div e r s e s c a u s e s , la conspiration si bien m a c h i n é e p a r m e s sieurs du Courrier, de l'Avenir et du Commercial, était d é m o n t r é e , et le t r i a g e des assesseurs aidant, les fastes j u diciaires d e la Guadeloupe n'auraient eu rien à envier à c e u x de la M a r t i n i q u e . Dans le r a p p o r t officiel, les choses semblent disposées d e façon à dissimuler le v é r i t a b l e c a r a c t è r e des é v é n e m e n t s . On y t r o u v e é n u m é r é e s a v e c un soin e x t r ê m e les habitations d é v a s t é e s , mais on ne dit pas un mot des n è g r e s tués a u p a r a vant. Pourquoi c e fait sanglant é c h a p p e - t - i l , tant au g o u v e r n e u r qu'à l'instruction é c r i t e ? pourquoi ne s'en est-on pas m ê m e enquis a u x d é b a t s ? L'un des d é f e n s e u r s , M P o r y e

.

2


—18

P a p y , a p o r t é !e chiffre des m o r t s à c i n q u a n t e , d'autres à cent. Cinquante, c e n t m o r t s dans une é m e u t e d'hommes d é s a r m é s ! ! Nul d o u t e , c o m m e l'a dit M P a p y , que c e t t e fusillade de noirs venus, sous la g a r a n t i e de la loi, e x e r c e r leur droit é l e c t o r a l , n'eût pesé c o m m e c i r c o n s t a n c e a t t é n u a n t e dans les plateaux de la j u s t i c e punissant les d é v a s t a t e u r s ; nul d o u t e qu'elle n'eût éveillé au sein de la m é t r o p o l e les s e n timents d'humanité qui ont de si profondes r a c i n e s en France. e

§

4.

PARTIALITÉ EN FAVEUR DE TROIS BLANCS ACCUSÉS DU MEURTRE D'UN

NOIR.

L e fait que nous allons r a p p o r t e r p e r m e t t r a d'apprécier les sentiments qui animaient le p a r q u e t et l'administration. L e 2 0 juin, lorsque l'agitation de la veille fermentait e n c o r e p a r t o u t à M a r i e - G a l a n t e , trois blancs, Guillaume ( H e n r i ) , Sauvaire ( O s c a r ) , L u d o l p h e , assassinent un p a u v r e n è g r e inoffensif nommé J e a n - C h a r l e s . L e ministère public reste d'abord inactif; mis en d e m e u r e p a r un p r o c è s - v e r b a l que d r e s s e et que lui t r a n s m e t le commissaire c e n t r a l , M. B a beau ( m u l â t r e enlevé depuis à ces fonctions), il c o m m e n c e une instruction ; mais les m e u r t r i e r s avertis avaient eu le t e m p s de p r e n d r e la fuite. Six mois se passent; enfin , le 1 5 j a n v i e r 1 8 5 0 , au m o m e n t où la C h a m b r e d'accusation allait r e n d r e son a r r ê t de renvoi d e v a n t les assises, t o u c h a n t les p r é v e n u s de c o u l e u r , le second substitut du p r o c u r e u r g é n é r a l , M. P o y e n , r e q u i e r t le n o n - l i e u à l'égard des a c c u s é s blancs. Le réquisitoire se fondait, e n t r e a u t r e s raisons, sur c e l l e - c i : « A t t e n d u , s'il est vrai que J e a n - C h a r l e s est décédé « sur l'habitation des Basses dans les d e r n i e r s jours du mois « de juin, que la procédure ne révèle pas suffisamment que cette «mort ait été la suite d'un crime; que les nombreuses c o n t r a « dictions qui e x i s t e n t dans la déclaration d'un des témoins « sont de n a t u r e à faire naître des doutes sur le fait en lui-même « alors s u r t o u t qu'il est c o n s t a t é par des lettres écrites par les trois « personnes désignées c o m m e a y a n t pris p a r t à ce p r é t e n d u « m e u r t r e , que celle dénoncée c o m m e l'auteur principal de c e « c r i m e n'aurait fait aucun u s a g e d e ses a r m e s , e t c . »


— 19 — Ainsi, le substitut du p r o c u r e u r général a c c e p t e c o m m e des p r e u v e s à d é c h a r g e les témoignages contenus dans des l e t t r e s é c r i t e s par les inculpés e u x - m ê m e s , pour se disculp e r ! On v e r r a plus loin que le p r o c u r e u r général p r o c è d e a u t r e m e n t à l'égard des accusés noirs, et qu'en pleine a u dience il t a x e de mensonges leurs dénégations. Ce r a p p r o c h e m e n t n'est pas le trait le moins saillant de la manière dont la j u s t i c e s'administre aux colonies. E s t - c e donc à la couleur de la peau que se distingue un innocent d'un c o u p a b l e ? Mais devant les motifs énoncés dans l'arrêt de la c h a m b r e des mises en accusation , il ne peut plus r e s t e r de doute sur la valeur des doctrines de M. P o y e n . Voici c e t a r r ê t , p o r t a n t la date du 1 février 1 8 5 0 . Que l'on c o m p a r e e t que l'on d é c i d e ! er

« E n c e qui est du m e u r t r e du noir J e a n - C h a r l e s : « Attendu qu'il résulte e n c o r e des pièces de l'instruction « c h a r g e s suffisantes c o n t r e Guillaume Henri, d'avoir, dans « la j o u r n é e du 26 juin, et p r è s des cases à nègres de l'ha« bitation des C a s s e s , t e n t é de c o m m e t t r e un homicide « volontaire sur la personne de J e a n - C h a r l e s , en tirant sur « lui deux coups de fusil, dont celui-ci ne fut c e p e n d a n t pas « a t t e i n t , t e n t a t i v e manifestée par un c o m m e n c e m e n t « d'exécution, et qui n'a manqué son effet que p a r des « c i r c o n s t a n c e s indépendantes de la volonté de son a u t e u r , « c e qui constitue le c r i m e p r é v u , e t c . « A t t e n d u qu'il résulte aussi c o n t r e O s c a r Sauvaire et « L u d o l p h e , c h a r g e s suffisantes de s'être rendus complices « de la tentative d'homicide, etc. « Attendu qu'il r é s u l t e e n c o r e c h a r g e s suffisantes c o n t r e « O s c a r S a u v a i r e , d'avoir, le 2 6 juin, commis volontaire« m e n t un homicide sur la personne de J e a n - C h a r l e s , en « tirant sur lui un coup de pistolet, après lequel il tomba presque hu« médiatement, e t c . ; qu'il résulte c o n t r e lesdits Guillaume « Henri e t Ludolphe c h a r g e s suffisantes de s'être rendus « complices de c e t homicide commis volontairement « O r d o n n e la mise en accusation desdils, et les renvoie d e ce vant la Cour d'assises de la P o i n l e - à - P i l r e , pour y ê t r e « j u g é s , par a r r ê t s é p a r é , sur les faits à eux imputés. » Est-il besoin de faire ressortir tout ce que c e t t e p i è c e ,


— 20 — rapprochée du réquisitoire de M. Poyen, a de significatif? Pendant que les nouveaux libres étaient incarcérés sur un simple soupçon, de quels ménagements n'usait-on pas envers trois blancs accusés de meurtre? Aux uns, on imputait d'affreux projets, tandis qu'on niait presque le crime des autres, bien que la prévention reposât sur l'élément de preuves le plus irrécusable , la matérialité, le corps même du délit! Si l'on requérait à l'égard des premiers gardés en prison, c'était afin d'obtenir une condamnation; quant aux seconds, bien loin de là, c'était pour les soustraire au j u g e ment, alors même que leur fuite semblait ajouter aux charges de l'accusation. Ainsi, trois coups de feu tirés sur un nègre par trois blancs laissent des doutes sur le genre de mort de ce malheureux : le magistrat chargé de poursuivre d'office les crimes et délits n'intervient que pour conjurer la rigueur de la loi, et il faut que la Chambre d'accusation passe outre pour que la justice suive son cours! Est-ce assez éloquent, et peut-on s'étonner après cela que M. Poyen (colon d'ailleurs) ait été, en récompense de sa loyale conviction, nommé tout récemment, par M. RomainDesfossés, procureur de la République à Saint-Pierre, l'un des premiers siéges des Antilles ! Lorsque les fonctionnaires les plus élevés de l'ordre j u diciaire commettent de telles erreurs, quelle confiance peuton avoir dans leurs appréciations? Un des côtés les moins étranges de cette lutte de castes est de n'avoir vu sur le banc des accusés que des figures noires et jaunes ! Si de tels contrastes échappent aujourd'hui aux préoccupations de la F r a n c e , une place leur revient dans l'histoire impartiale des colonies, et le jugement qu'elle portera à son tour sur les actes de la justice de l'époque ne leur manquera pas!

§

5 . — LE MINISTÈRE

PUBLIC ABANDONNE LE CHEF

D'ACCUSATION DE COMPLOT.

Nous le répétons, non, il n'y a pas eu de conspiration mulâtre à la Guadeloupe; la disjonction prononcée d'abord et les débats ensuite sont venus donner à l'administration,


-

21 —

au p a r q u e t et a u x m a g i s t r a t s i n s t r u c t e u r s qui affirmèrent le c o m p l o t , un démenti solennel. Dans son réquisitoire, le p r o c u r e u r g é n é r a l t i t u l a i r e , M. R a b o u , t o u t en abandonnant a r e g r e t c e c h e f d ' a c c u s a tion, s'est vu obligé de c o n s t a t e r l'impuissance du minist è r e public à justifier c e t t e calomnie officielle : « Si nous n'allons p a s , a-t-il dit, jusqu'à soutenir qu'il y « ait eu, dans le sens légal, un complot organisé, ayant pour « but de p r o v o q u e r à la g u e r r e civile, d ' e x c i t e r à c o m m e t « t r e tous c e s a t t e n t a t s c o n t r e les p e r s o n n e s et les p r o « p r i é t é s , nous établissons du moins l'existence de m e n é e s « et d'influences coupables qui d e v a i e n t n é c e s s a i r e m e n t « e n t r a î n e r de semblables r é s u l t a t s . » Quand on n'y m e t ni bonne v o l o n t é , ni bonne g r â c e , il nous paraît difficile de se désister plus c l a i r e m e n t . S'il n'y a pas eu de complot dans le sens légal, q u e poursuivait donc M. le p r o c u r e u r général ? é t a i t - c e la complicité m o r a l e ? Dans le passage que nous venons de c i t e r , M. Rabou m a i n t i e n t , il est v r a i , l'existence de menées et d'influences, — nous v e r r o n s t o u t à l'heure qui s'en est r e n d u c o u p a b l e , — mais la c o n s é q u e n c e de ses p a r o l e s est é v i d e m m e n t qu'il r e n o n c e à c r o i r e que la révolte était organisée de longue main, et que les élections n'en ont été que le prétexte. Nous a v o n s donc le d r o i t d e le d i r e , c e t t e fois c e n'est pas seulement la Cour d'assises qui repousse les mensonges des i n v e n t e u r s d e la c o n j u r a tion p e r m a n e n t e des noirs et des m u l â t r e s : c'est l ' a c c u s a tion e l l e - m ê m e qui r e c u l e d e v a n t son oeuvre. Ainsi, l'hist o i r e , la c o n s c i e n c e des j u g e s , la force d e l ' é v i d e n c e , tout fait j u s t i c e d'une machination d é t e s t a b l e . Nous allons m a i n t e n a n t d é m o n t r e r , en i n t e r r o g e a n t les faits a v e c la m ê m e s é v é r i t é , que les é v é n e m e n t s de M a r i e Galante sont t o u t fortuits, et que les n o u v e a u x c i t o y e n s , loin d'avoir é t é les a g r e s s e u r s , ont é t é , au c o n t r a i r e , les v i c times de mille p r o v o c a t i o n s .


C H A P I T R E III. Originee des événements

de

Marie-Galante.

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g 1 . — UNE ARRESTATION ARBITRAIRE EST LA PREMIÈRE CAUSE DES DÉSORDRES.

e r

Le 1 février 1850, par arrêt de la Cour d'appel de la Guadeloupe, chambre des mises en accusation, sur cent cinquante inculpés dans les événements de Marie-Galante, soixante-neuf étaient relaxés et soixante-douze renvoyés devant la Cour d'assises de la Pointe-à-Pître. Cinq prévenus décédés en prison, les trois blancs, accusés du meurtre de Jean Charles, à qui on faisait la faveur de les juger séparément, un autre accusé, dont le jugement avait été ajourné pour supplément d'instruction, complétaient le personnel de ce procès-monstre. La plupart des inculpés, détenus depuis neuf mois, avaient insisté vainement pour être rendus à la liberté ou pour obtenir des juges; on est en droit de s'étonner d'une détention préventive infligée à soixante-neuf citoyens et prolongée, pour quelques-uns, jusqu'à neuf mois, dans une petite colonie où tous les éléments de l'instruction sont sous la main du juge. Pendant tout le temps que durèrent les enquêtes, contreenquêtes, interrogatoires, e t c . , les malheureux prévenus restèrent entassés dans les casemates trop étroites du fort Kichepanse. Cinq y périrent, cinq! faute par l'administra-


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tion de tenir compte du r a p p o r t de M. Cornuel, médecin en chef de la marine. L'homme de l'art avait c o u r a g e u s e m e n t d é c l a r é q u e , dans l'état des choses, le séjour des casemates était m o r t e l . E n f i n , le 11 m a r s 1 8 4 9 , les débats s'ouvrirent. Nous allons d'abord d é m o n t r e r , a v e c les dépositions des témoins à c h a r g e e u x - m ê m e s , que les tristes é v é n e m e n t s de M a r i e - G a l a n t e ont é t é p r o v o q u é s p a r une a r r e s t a t i o n a r b i t r a i r e . T o u t l'intérêt du procès se c o n c e n t r e sur c e point. S'il est prouvé que la m e s u r e prise à l'égard d'un citoyen qui distribuait des bulletins de vote est la c a u s e d i r e c t e des d é s o r d r e s , il est évident que l'accusation de complot organisé t o m b e d'elle-même. S'il est p r o u v é de plus que l'arrestation était illégale, le fait de p r o v o c a t i o n r e j e t t e la responsabilité des é v é n e m e n t s sur les p r o v o c a t e u r s , et il d é t r u i t de fond en comble la p r é t e n d u e c o m p l i cité. Nous ne sommes pas t e n t é s d'excuser les e x c è s , les c r i mes commis, mais on les a tant exploités c o n t r e les n è g r e s , que nous voulons dire quelques mots, non p a s , loin de nous c e t t e p e n s é e , non pas pour justifier, mais pour expliquer l'égarement des coupables. L e s é l e c t e u r s noirs, réunis au G r a n d - B o u r g , voient a r r ê t e r a r b i t r a i r e m e n t et g a r o t t e r un homme à qui ils a c c o r d e n t leur confiance ; ils ont le t o r t , dans le p r e m i e r m o m e n t d'indignation, de d e m a n d e r sa mise en liberté ; ils ont le t o r t de vociférer a u t o u r de la t r o u p e . Comment r é p r i m e - t - o n ces fautes? E n fusillant des g r o u pes désarmés qui se bornaient à c r i e r , qui n'avaient c o m mis a u c u n e voie de fait. L ' a u t o r i t é était dans son droit légal, elle tirait sur des hommes qui ne voulaient pas c e s s e r de r é c l a m e r un prisonnier; soit : mais c e droit, n'en a - t - e l l e pas trop c r u e l l e m e n t u s é ? Voilà la question que nous posons h a r d i m e n t . Quant à nous, rien au monde ne pourra nous e m p ê c h e r de soutenir qu'avec la puissance m o r a l e q u ' e x e r c e sur les anciens esclaves la p r é s e n c e de la t r o u p e sous les a r m e s , il était facile de r a m e n e r l'ordre sans effusion de sang. Ceux qui ont vil les morts sont d e venus fous de c o l è r e ; ils ont c r u , nous disons, ils ont c r u , que les blancs qu'ils savaient occupés depuis longtemps à


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p r é p a r e r leurs fusils ( 1 ) , voulaient les m a s s a c r e r ; ils ont c r u « q u e la g u e r r e était d é c l a r é e ; » c'est une e x p r e s s i o n qui s'est c e n t fois r e t r o u v é e dans les d é b a t s ; ils n'avaient pas d e fusils, ils ont pris des t o r c h e s ! . . . . Parmi ces i n c e n d i a i r e s , c e s d é v a s t a t e u r s , il y avait plus d'un m a l h e u r e u x h o r riblement aveuglé p a r le désespoir, qui pensait v e n g e r ainsi la m o r t d'un f r è r e , d'un p è r e , d'un fils tués sous leurs y e u x p a r la m o u s q u e t e r i e . E n c o r e une fois, nous ne p r é t e n d o n s pas e x c u s e r des c r i m e s , nous expliquons, on j u g e r a . Tels sont les faits en m a s s e , a r r i v o n s a u x c h a r g e s . Voici c o m m e n t le p r o c u r e u r général formule son a c c u s a t i o n c o n t r e l'honorable M . F r a n ç o i s Germain : « À son a r r i v é e , il fut aussitôt entouré p a r un g r o u p e n o m « b r e u x . Il r e c o m m e n ç a les m ê m e s m a n œ u v r e s q u e la « veille. L e g a r d e - c h a m p ê t r e B a c o t e t le g e n d a r m e Caire « s'en a p e r ç u r e n t . Il s'emparait des bulletins des électeurs et en « distribuait d'autres, il parlait a v e c c h a l e u r et se laissa emporter « jusqu'à dire que Bacot serait cassé, qu'un fonctionnaire public « n'avait pas le droit de s'occuper d'élection, faisant allusion sans. « doute a u x invitations du m a i r e , transmises p a r c e t a g e n t « a u x c u l t i v a t e u r s , qui refusaient d e v o t e r avant l ' a r r i v é e « d e l e u r chef. Conduit d e v a n t le m a i r e , l'accusé n'avait « pas eu le temps d e faire d i s p a r a î t r e les bulletins qu'il « venait d ' a r r a c h e r a u x c u l t i v a t e u r s sans les consulter. » ( A c t e d'accusation.) Il se laissa e m p o r t e r jusqu'à dire qu'un fonctionnaire public n'avait pas le d r o i t d e s'occuper d'élection ! Voilà un des c r i m e s d e M . F r a n ç o i s Germain. Dans son i m p a r tialité, M . le p r o c u r e u r g é n é r a l oublie qu'il e x i s t e une c i r c u l a i r e de M . le g o u v e r n e u r g é n é r a l des Antilles, où il est dit : « J ' u s e r a i d e tous les m o y e n s d e répression qui m e « sont a t t r i b u é s c o n t r e les fonctionnaires qui s'immisce(1) « Les travailleurs venaient souvent me dire que les blancs fai« salent des balles ; que les blancs nettoyaient leurs armes ; qu'ils vou« laient gourmer. » (Interrogatoire de M. Alonzo, Progrès, 21 mars.) « Nous sommes entrés chez M. Bauséjour; j ' a i pris deux poids en « plomb; j e les ai jetés dehors, en disant: C'est avec cela que les « blancs font des balles pour tuer nos frères » (Interrogatoire d'Hippolyte, Progrès, 28 mars.) -. >


— 25 — « raient dans les opérations é l e c t o r a l e s , e t qui y c o n c o u r « raient a u t r e m e n t que p a r l'émission de leur v o l e . » De son c ô t e , dans son r a p p o r t au p r o c u r e u r de la R é p u blique, le maire explique les faits de la manière suivante : « L e lundi 2 5 , les b u r e a u x se sont o u v e r t s à sept heures « du matin. Un g r a n d nombre d ' é l e c t e u r s , parmi lesquels « se trouvaient c e u x m ê m e s qui avaient v o t é la veille, e n « t o u r a i e n t la m a i r i e ; d e u x ou trois se sont p r é s e n t é s et ont « déposé leurs v o t e s ; puis, personne ne se p r é s e n t a n t plus, « j e suis s o r t i , et j'ai engagé les citoyens qui n'avaient pas « e n c o r e déposé leur bulletin à le faire. L e g a r d e c h a m p ê « tre Michel B a c o t et le g e n d a r m e Caire m ' a m e n è r e n t alors « le citoyen Sans-culotte de l'habitation B e a u r e n o m , qui en« gageait les cultivateurs à ne pas v o t e r avant l'arrivée de « leur chef. Ce fait a été c o n s t a t é p a r un p r o c è s - v e r b a l . (Quel « c r i m e !) V e r s dix h e u r e s est a r r i v é le citoyen J e a n - F r a n « çois Germain, qui ne faisait pas p a r t i e du b u r e a u e t qui « avait volé la v e i l l e . IL a été immédiatement entouré p a r un « groupe considérable, qu'il s'est mis à p é r o r e r dans un but « dé désordre. Il leur demandait leurs bulletins, les d é c h i « rait et leur en distribuait d'autres. (Vous leur en aviez « donc déjà distribué, monsieur le m a i r e ? ) Le garde Bacot et « le gendarme Caire, ayant entendu ses propos séditieux, l'ont « a r r ê t é et conduit devant moi. A p r è s avoir d r e s s é p r o c è s « verbal de c e fait, j'ai requis de M. Nicolas H o ü e l c h e , c a « pitaine des chasseurs à c h e v a l , d e u x hommes de sa c o m « pagnie et d e u x g e n d a r m e s pour, o p é r e r la conduite au « G r a n d - B o u r g du citoyen J e a n - F r a n ç o i s . » Voyons maintenant c e que dit M. F r a n ç o i s Germain dans son i n t e r r o g a t o i r e . « A mon a r r i v é e , j'ai t r o u v é ces messieurs réunis sur « les glacis de M . Théophile B o n n e t e r r e . Tous les citoyens « sont venus m e d i r e que B a c o t distribuait des bulletins « Bissêtte e t R i c h a r d . J e leur ai dit qu'un g a r d e c h a m p ê t r e « n'avait pas le droit de faire de la p r o p a g a n d e , et que «j'allais m e plaindre. Quelques personnes étaient réunies « près de moi et parlaient haut. C'est alors qu'on est v e n u « m ' a r r ê t e r et me frapper. M. Desondes m'a insulté et m'a dit « que c'est d ' o r d r e du c o m m a n d a n t que l'on m ' a r r ê t a i t .


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« M. Roussel et d'autres p e r s o n n e s , p e n d a n t que j'étais « a r r ê t é , m'ont c r a c h é à la figure, en m e disant que nous « étions des s c é l é r a t s qui voulaient voter p o u r d'autres « s c é l é r a t s c o m m e nous : S c h œ l c h e r et P e r r i n o n . » ( A u « dience du 1 2 m a r s , c o m p t e - r e n d u du Progrès.) L e m a i r e qui a ordonné l'arrestation de M. Germain m a i n tient ses d i r e s ; mais le g e n d a r m e C a i r e et le g a r d e c h a m p ê t r e B a c o t , qui ont e x é c u t é ses o r d r e s , font les d é p o s i tions suivantes. Nous les copions , à dessein , dans le c o m p t e - r e n d u de l'Avenir, l'un des o r g a n e s de la r é a c t i o n , qui ne saurait ê t r e suspect de partialité en faveur des accusés. « M. le président, à B a c o t : Q'avez-vous dit à M. le m a i r e , en lui conduisant G e r m a i n ? « — J'ai dit à M. le m a i r e q u e , lorsque Germain est a r r i v é il a été entouré; mais j e n'ai entendu que c e s mots : « Bacot sera cassé. » Caire doit avoir entendu a u t r e c h o s e ; il était plus près que moi. « M. le président, à Caire : Q u ' a v e z - v o u s dit à M . le m a i r e , en lui conduisant Germain ? « — J ' a v a i s entendu Germain d e m a n d e r a q u a t r e ou cinq c u l t i v a t e u r s : « Qui vous a donné c e s bulletins? — C'est B a c o t , lui répondit-on. — E h bien! B a c o t s e r a cassé ( 1 ) . « D. Vous n'avez rien entendu a u t r e c h o s e . — R . NON. « D. à Théophile B o n n e t e r r e : Vous persistez à dire que l'on vous a r a p p o r t é que Germain t e n a i t des p r o p o s sédit i e u x ? — R . Oui. « D. à C a i r e : Quelle consigne le m a i r e vous a v a i t - i l d o n n é e ? — R . Celle de faire attention à ceux qui viendraient comme la veille C H A N G E R L E S B U L L E T I N S et e m p ê c h e r de voter librement. « M. Pory-Papy (l'un des défenseurs) : Ainsi la consigne était de c o n d u i r e d e v a n t le maire c e u x qui c h a n g e a i e n t les bulletins. « M. Bonneterre : Non, mais c e u x qui e x c i t a i e n t en disant que l'on voulait r e t i r e r la liberté. (1) M. Germain, dans cette réponse, faisait sans doute allusion à la circulaire du gouverneur général, que nous avons mentionnée plus haut.


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«D. à Bacot. Quelles instructions aviez-vous reçues de M. le maire? — R . Comme la veille M. Germain avait été vu au milieu de tous les groupes, et que ce jour-là les cultivateurs refusaient de venir voter, M. le maire me dit de surveiller et d'amener devant lui ceux qui les empêcheraient de voter ou leur prendraient leurs bulletins, de surveiller surtout Germain. » (Audience du 2 6 mars. Avenir du 3 avril.) A l'audience du 2 8 mars, un témoin, M. Pasquier Philéas, propriétaire au Grand Bourg, dit qu'il a su par Caire et Bacot que M. Germain cherchait à faire croire que la liberté était menacée, « mais qu'il n'ose pas affirmer que Germain ait tenu les propos qu'il vient de rapporter : il ne les a point entendus. » (Avenir du 3 avril, 2 sup.) En réponse à M. Desondes, autre témoin à charge, qui soutient que Bacot lui a fait part des excitations de M. Germain, le garde champêtre, interrogé, renouvelle sa première déposition en ces termes : « Bacot : J e ne me rappelle pas avoir parlé à M. Desondes. Il se peut cependant que j e lui aie parlé, mais je n'ai pas dit que Germain tenait des propos séditieux. « D. à Bacot : Avez-vous entendu dire que Germain inspirait des craintes sur la liberté ? — R . Ou le disait de tout le monde; on voyait bien que Germain formait toujours des groupes. » (Avenir.) Après la lecture de ces différentes dépositions ne restet-il pas démontré que M. Germain ne tenait pas de propos séditieux et que, malgré les efforts du maire pour se j u s tifier, l'arrestation de ce citoyen a été un acte arbitraire? Rapprochez cette violence de la déclaratîon du commandant particulier de Marie-Galante, confessant à l'audience du 2 6 mars que pour empêcher Germain de retourner le lundi aux élections, il le fit, en sa qualité de chef de la milice, commander de service, et vous demeurerez convaincu que ce citoyen a été arrêté uniquement parce qu'on craignait son influence sur les cultivateurs qui l'attendaient, uniquement parce que sa présence dérangeait les calculs de ceux qui espéraient engager les noirs, à leur insu, dans leur combinaison électorale. e

Est-il difficile maintenant de comprendre l'irritation de


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la population en présence d'une, telle atteinte à la liberté individuelle? Comment! des électeurs sont réunis : aux invitations qu'on leur fait de déposer leurs votes, ils répondent unanimement « que pour voter ils attendent l'arrivée de leur chef » (Réquisitoire du procureur général), et. quand ce chef, c'est-à-dire l'homme investi de leur confiance paraît, on l'arrête ! pourquoi? Parce qu'il distribue, dans le plein exercice de son droit, des bulletins de vote et déchire, sur la présentation des cultivateurs, ceux que le maire, fort illégalement, leur avait fait distribuer! Viendra-t-on dire qu'il usait de fraude, de violence? Impossible. N'a-ton'pas avoué que les nègres l'attendaient? dès lors, n'est-ce pas sur leur demande directe qu'il change leurs bulletins? Est-il rien de plus innocent, de plus constitutionnel? Est-il dès lors rien de plus coupable que de le garotter sous les yeux mêmes de ses amis, malgré son offre de se rendre avec un seul gendarme près de l'autorité compétente? En vérité ! en fallait-il davantage pour porter le trouble parmi les cultivateurs? Non, certes, et l'accusation l'a reconnu elle-même en disant que vitablement

« l'arrestation

trouver une résistance

bien forte

de Germain

devait

iné-

de la part des noirs. »

Si un pareil fait se passait en F r a n c e , l'opinion publique le flétrirait comme un scandaleux abus de pouvoir. Aussi quand le procureur général, M. Rabou, s'efforce de j u s tifier la conduite de M. B o n n e t e r r e . il en est réduit à s'appuyer sur les dépositions de ce maire et sur celle de M. Desondes, infirmées, comme on l'a vu, par les réponses aussi nettes, aussi catégoriques qu'invariables du gendarme Caire et du garde-champêtre Bacot. Prétendra-t-on que ces deux témoins ont atténué les faits? Dans quel but? On doit, au contraire, non pas s'étonner de leur sincérité, mais l'admirer ; il leur a fallu beaucoup de conscience et dé courage pour soutenir la vérité; leur intérêt, en raison de leur position tout à fait dépendante, aurait pu les entraîner à ne pas contredire d'une manière aussi formelle les assertions d'un maire blanc et celles de l'accusation. Leur position inférieure même augmente le poids de leurs déclarations, qui restent acquises au citoyen François Germain.


29 Voilà donc un p r e m i e r point inébranlablement établi : l'arrestation du citoyen F r a n ç o i s Germain, cause de tous les malheurs qui ont désolé M a r i e - G a l a n t e , était illégale. 2. — VIOLENCES DE LA RÉPRESSION.. L e témoignage d e M. H o ü e l c h e , que nous reproduisons d'après l'Avenir, m o n t r e r a aussi que la conduite de c e c a p i taine des chasseurs à cheval ( m i l i c e composée p r e s q u ' e n t i è r e m e n t d e blancs p r o p r i é t a i r e s ) n'a pas peu contribué à a m e n e r des représailles de la p a r t de la foule. « J e dis au m a i r e , dépose c e témoin, qu'il me fallait c o n « duire Germain a v e c une p a r t i e de ma compagnie. J e « partis en effet a v e c seize hommes ; nous étions e n t o u r é s , « j ' e n g a g e a i les assaillants à se r e t i r e r . Nous ne l a r d â m e s « pas à ê t r e assaillis. On disait : Il ne faut pas les laisser « p a s s e r . . . Sainte-Rose Arsonneau p a r t i c u l i è r e m e n t e x c i t a i t « les masses. Au m ê m e m o m e n t , j e r e ç u s un coup d e p i e r r e « e n t r e les d e u x é p a u l e s ; mon lieutenant fut blessé. J e fus « obligé de commander le feu. Plus loin, Germain tombait de « cheval et il tombait volontairement. A r r i v é s devant la mai« son d e B o n h o m m e , un millier de piques ( 1 ) b a r r a i e n t la « r o u t e . J e demandai le passage : Non ! non ! c r i a - t - o n ; « vous ne passerez pas! Zami Claudic, en a v a n t , criait a u x « a r m e s . 11 s'approcha de moi a v e c une p i q u e ; j e m e r e n « versai sur mon cheval pour éviter le coup et j e lirai en « appuyant mon pistolet sur la poitrine à Zami Claudic, « qui tomba; j e c r u s l'avoir t u é ( 2 ) J e remontai chez « M. B o n n e t e r r e qui me dit qu'il ne savait plus que faire, « que les n è g r e s empêchaient m ê m e qu'on fît boire les c h e « v a u x des chasseurs que j'avais laissés chez lui. Le m a i r e « se décida alors à faire les sommations, qui furent r é p é t é e s à « plusieurs r e p r i s e s . Les groupes ne b o u g è r e n t p a s ; alors « j e m e vis contraint de c o m m a n d e r le feu, qui fut r é i t é r é « trois fois. » (Audience du 2 6 m a r s , Avenir.) (1) Le lecteur ne doit pas oublier que ces piques sont de longues gaules de bois dont l'extrémité est simplement durcie au feu. (2) Zami Claudic a eu le corps traversé par la balle de M. Hoüelche ; la conservation de sa vie est un miracle.


— 30 — Zami Claudio est un vieux nègre boiteux, infirme, qui nie en ces termes avoir même menacé M. Hoüelche : «Pendant « que j'étais à mon jardin qui est à la limite de la grande « route, j'ai entendu la cavalerie qui s'avançait au milieu d'un « grand bruit. Au même instant j'ai entendu trois coups de « fusil; étant infirme et ne pouvant pas bien marcher, j ' a i « voulu me mettre à l'abri. Ne pouvant pas courir aussi « bien qu'un autre, je ne me battais pas, et si j e n'étais pas « infirme, j e n'aurais pas été blessé, car j'aurais fui. C'est « M. Hoüelche qui m'a tiré une balle.» (Progrès du 17 mars.) « J'étais appuyé sur ma petite canne, c'est ce que « M. Hoüelche a pris peut-être pour une pique. » (Progrès, 7 avril). Mais ce n'est pas seulement sur Zami Claudic que le capitaine de milice a tiré à bout portant : quelques heures avant, il avait tué un autre noir. « J e m'adressai, «dit-il, à un individu que je connaissais, le nommé J e a n « Pierre, j e lui dis de s'éloigner; il me porta un coup de « pique qui m'atteignit à la j a m b e ; le sang en rejaillit. J e « saisis mon pistolet et le déchargeai sur lui. Cet homme « est mort à l'hôpital. » (Compte-rendu du Progrès.) Quant aux décharges faites en dernier lieu sur les groupes, le Progrès complète ainsi les détails que nous fournit l'Avenir: «Il me fallut, dit M. Hoüelche, commander le feu, « puis un second, puis un troisieme, exécutés par les quinze « hommes d'infanterie de marine. C E N'EST Q'UAPRÈS ces trois « feux que le rassemblement quitta la savane. Il alla se por« ter à six ou sept cents pas pour mettre le feu à une pièce « de cannes. Mais j e dois dire que les individus qui met« taient le feu ne tardèrent pas à l'éteindre eux-mêmes. » Progrès du 7 avril.) Cependant M. Hoüelche, qui tire à bout portant sur deux hommes, tue l'un et traverse le corps de l'autre d'une balle, qui fait fusiller par trois fois des malheureux sans armes, sous prétexte d'agression et de blessures, M. Hoiielche, le héros de cette funeste journée, récompensé, sur la proposition de M. Tracy, par l'éloile des braves, est de tous ceux qui l'accompagnaient celui qui a été al teint le plus sérieusement; encore n'a-t il été touché à la jambe que par une pique de bois, ce qui ne l'a pas empêché de faire son ser


— 31 — vice toute la journée. Ce simple rapprochement peut faire apprécier, d'une part, le danger des attaques des assaillants; d'antre part, ce que l'accusation appelle les nécessités de la défense ! En tous cas il reste constant, d'après la propre déposition de M. Hoüelche, que « c'est seulement « après les trois feux de peloton que le rassemblement alla in« cendier une pièce de cannes. » L'incendie fut donc un acte de vengeance, toujours très-coupable, mais provoqué par la fusillade. Nous nous sommes imposé la loi de respecter la vie privée des personnes dont nous discutons les actes officiels : cependant, il nous est impossible de dissimuler un trait particulier propre à faire apprécier le caractère qu'a pu avoir 1 intervention de M. Hoüelche dans ces événements. À notre sens, de même que la conduite de M. Bonneterre est la cause originelle des désordres, de même, l'emportement de caractère du capitaine des milices est la cause de la collision sanglante. Or, nous trouvons une constatation nouvelle de cet. emportement de caractère dans une condamnation pour voies de faits encourue par M. Hoüelche, le 1 8 mars 1 8 5 0 ( I ) . On prétend que M. Babou, toujours impartial et surtout jaloux de l'honneur de la magistrature, aurait dit en ap(1) M. Jean-Sébastien, le 28 décembre 18/|9, se présente chez M. Hoüelche pour réclamer le paiement d'un billet de 194 fr., souscrit à son ordre, le 25 septembre 1848, pour solde de ses gages d'économe. Le débiteur déclare qu'il ne peut donner ni total ni à-compte, M. Sébastien se plaint et insiste. Aussitôt M. Hoüelche, qui se croit toujours au bon vieux temps de l'esclavage, se précipite sur son créancier et lui applique un si rude coup de poing sur le visage que le sang jaillit par le nez et injecte l'œil droit. Les mulâtres ne respectent plus rien, ils ne reçoivent plus les coups des blancs sans les rendre; M. Sébastien commence par se défendre vigoureusement, et ensuite il porte plainte, après avoir fait constater par un médecin la gravité de sa blessure. M. Hoûelche porte également plainte comme ayant été battu par son ancien économe. Aux débats, les témoins renouvellent les dépositions qu'ils ont faites dans l'instruction, et il en résulte que c'est le capitaine qui a le premier frappé son créancier. La Cour, jugeant en police correctionnelle et composée de six magistrats, condamne M. Hoûelche à vingt jours de prison et 200 francs d'amende, et acquitte M. Sébastien.


- 3 2 prenant cette condamnation : « C'est un arrêt politique, » et il semble avoir fait partager son opinion au ministère, car au nombre des magistrats dernièrement révoqués se trouvent précisément MM. Hardouin, Turck et Leroy, trois des juges qui prirent part avec MM. Cleret (colon), Darchis et Guasco, à l'arrêt de condamnation! Avis aux autres. Il est vrai qu'après un tel jugement il devenait fort embarrassant pour M. Rabou de vanter la modération et la mansuétude de son principal témoin. Ce tempérament trop porté à tout résoudre par les moyens violents, se révèle chez M. Houëlche en maintes circonstances, et nous insistons, parce qu'en raison de son gracie il nous paraît avoir eu la plus funeste influence sur les événements de MarieGalante. Ainsi nous l'entendons encore dans l'audience du 27 mars déposer en ces termes : « M. Pory-Papy : Il y « avait alors un ordre général d'arrestation. — Le témoin : « J'avais ordre de l'amiral Bruat et du gouverneur de faire « une tournée à la campagne, d'arrêter tous ceux qui, à « ma connaissance, avaient pris part aux désordres et « même de faire feu si j e rencontrais de la résistance. » (Progrès, 7 avril.) C'est déjà, chacun en conviendra, une chose exorbitante au dernier degré de donner à un particulier, sans caractère judiciaire, mission d'arrêter qui il lui plaît ; bien qu'aux colonies les autorités se croient trop dispensées d'observer les formes de la l o i , c'est déjà beaucoup d'admettre que M. Bruat et M. Favre n'aient pas craint de les mépriser à ce point. Mais comment supposer que leur amour de l'ordre ait été jusqu'à cette monstruosité, en autorisant un citoyen à mettre la main sur tout le monde, de l'autoriser aussi à tuer tous ceux qui résisteraient à l'arbitraire le plus révoltant qui fut jamais. A moins que les deux gouverneurs n'en conviennent, nous penserons toujours que le capitaine des milices de Marie-Galante s'est encore laissé dominer là par sa déplorable facilité à user de l'ultima ratio. On sait les fatales conséquences de ce qu'on appelle Vhéroïsme de M. Hoiielche. Les noirs, fuyant les coups de fusil tirés sur eux à bout portant, se répandirent dans la campagne et mirent le feu à plusieurs habitations. Quelques


— 33 — misérables profitèrent du tumulte pour satisfaire de c r i minelles r a n c u n e s . A u t a n t que p e r s o n n e , nous r é p r o u v o n s d e semblables e x c è s , mais si nous en flétrissons les a u t e u r s , nous n'en devons pas moins p r o t e s t e r c o n t r e les d é c l a m a tions dont ces e x c è s ont é t é le p r é t e x t e . A c ô t é d'actes s a u v a g e s , n'a-t-on pas a p r è s tout à p l a c e r des e x e m p l e s d'une g é n é r o s i t é sublime? Les r é c o m p e n s e s a c c o r d é e s à des n è g r e s pour leur c o n d u i t e dans les é v é n e m e n t s de M a r i e - G a l a n t e , et e n r e g i s t r é e s au Moniteur, ne viennent-elles pas a t t e s t e r que la m a s s e n'est point solidaire des a t t e n t a t s commis p a r q u e l q u e s - u n s ? On n'est donc pas plus fondé à r e n d r e tous les affranchis responsables de c r i m e s i s o l é s , qu'à r e p r o c h e r à tous les a n c i e n s m a î t r e s le m e u r t r e d e J e a n - C h a r l e s assassiné p a r trois blancs.

§

3. —

QUELQUES COLONS SEULS COUPABLES DES CRAINTES

QUE LES NÈGRES PEUVENT AVOIR SUR LEUR LIBERTÉ.

A r g u a n t du s o u l è v e m e n t qui suivit les fusillades, l ' a c c u sation a p r é t e n d u que l'arrestation de M . F r a n ç o i s Germain n'a pas été la cause, mais bien le prétexte dont se sont emparés les agitateurs. Q u o i ! c'est le m o m e n t où toutes les a u t o r i t é s é t a i e n t sur pied, où la milice et la troupe d e ligne é t a i e n t sous les a r m e s , où le Cygne, b r i c k de g u e r r e , venait de d é b a r q u e r ses marins et ses b a t t e r i e s ; c'est c e m o m e n t que les é l e c t e u r s noirs et m u l â t r e s eussent choisi p o u r s'ins u r g e r , e u x sans a r m e s , e u x assurés de la majorité i n c o n t e s t a b l e m e n t acquise à leurs c a n d i d a t s ! On n'imaginerait j a m a i s , d'ailleurs, quelles raisons ont é t é invoquées p a r le ministère public p o u r donner c r é a n c e à c e t t e version. II incrimine le c a l m e m ê m e qui avait a c c o m p a g n é , à M a r i e - G a l a n t e , la proclamation d e la l i b e r t é ! Lisez : « L a p r o c l a m a t i o n « de la liberté e u t lieu à M a r i e - G a l a n t e au milieu d'un « calme apparent. L e s noirs de la c a m p a g n e affluaient en ville, « et r e c e v a i e n t , a v e c une joie tranquille, la nouvelle de c e « grand é v é n e m e n t : des danses, des c h a n t s , telles é t a i e n t « les seules manifestations : le j o u r suivant les r e t r o u v a i t « sur leurs habitations r e s p e c t i v e s , c o n c l u a n t des m a r c h é s 3


— 34 — « avec leurs anciens maîtres, et montrant les dispositions « les plus pacifiques. Ces débuts dépassaient toutes les « espérances et devaient faire craindre pour l'avenir. » (Acte d'accusation.) On saisit bien dans ce passage les étranges préoccupations de M. Rabou. Comment des dispositions pacifiques donnent-elles à craindre pour l'avenir? Nous lui laissons le soin de l'expliquer, nous n'avons pas à juger, nous racontons; mais n'est-il pas permis de dire qu'avec une semblable disposition d'esprit le ministère public ne pouvait apprécier bien sainement toutes choses? On l'entend constamment parler de mauvaises influences exercées auprès des cultivateurs. Les appréhensions que des affranchis de la veille ont naturellement pour leur liberté, trop longtemps désirée, trop tardivement acquise, M. Rabou ne manque jamais de les attribuer à de prétendus meneurs mulâtres. — Il n'existe de mauvais projets ni contre la liberté des nègres, ni contre la propriété des blancs : voilà la v é rité; mais pourquoi donc, lorsque M. Rabou trouve si simple que des blancs croient à des complots de nègres contre leurs propriétés, lorsqu'il y croit lui-même, trouve-t-il impossible que des nègres croient également tout seuls à des complots de blancs contre leur indépendance? Le cerveau des noirs est pareil à celui des blancs; les soupçons qui naissent dans l'un peuvent parfaitement naître dans l'autre. L'histoire d'ailleurs expliquerait encore de pareilles craintes, surtout pour les noirs de la Guadeloupe, qui, déjà libérés une fois par la grande Révolution, se sont vus barbarement rejetés dans l'esclavage. M. Rabou suppose des menées occultes de la part des mulâtres; il s'attache, pour les incriminer, à des fantômes, et il ne veut pas écouter quelques anciens maîtres dont le langage inconsidéré compromet réellement la tranquillité publique ( 1 ) . C'est encore un des organes des rétrogrades qui nous fournit la citation suivante : « Louis Nelson, dit Beaurenom, renvoyé à sa place, rede( 1 ) Nous renvoyons aux annexes, lettre A, la discussion d'un article du Journal des Débats, où l'on verra si ce sont les mulâtres qu'il est juste d'accuser.


— 35 — « mande à parler. Il revient et dit que les blancs, sur la «savane, disaient tout haut qu'on avait besoin des nègres «pour travailler, non pour voter; que c'était la dernière « fois qu'ils votaient et qu'on leur ôterait leur liberté. Il ajoute « que les blancs les ont attaqués, les ont tués à coups de « fusils. « M. le procureur général : L'accusé a dit avoir entendu dire « par des blancs qu'on ôterait leur liberté aux noirs ; peut« il nommer ceux qui ont tenu ce propos? — R. M. Ducos « père, M. Bonneterre. » (Avenir du 2 0 mars.) Un autre accusé, Antoine, s'exprime ainsi : « J ' a i été voter dimanche à la Capesterre; M. Saint« Georges Lacavé nous a dit : « Allez voter, c'est la der« nière fois; vous recevrez après cette fois vingt-neuf coups de « fouet. » L'accusé Cétout ajoute encore : « J e voyais les blancs descendus à cheval, armés; ils di« saient qu'il fallait leur payer notre liberté. J e craignais pour « elle, j ' a i été alors prendre un fusil! « Le président : Personne ne veut prendre votre liberté. « — R. Vous dites cela, vous, mais les blancs de Marie« Galante ne disent pas cela ! Ils disaient que notre liberté « c'est feuille banane. J e n'ai rien fait. J e voulais défendre ma « patrie. J e voyais un gros bâtiment mouillé à Marie-Ga« lante; les blancs courir avec leurs pistolets dans les che« m i n s ; j e voyais le vesou (jus de canne) surir dans les « bacs; c'était la première fois que j e voyais une pareille « chose. J'ai cru que c'était pour retirer notre liberté. » (Compte-rendu du Progrès.)

§ 4.

LES NÈGRES PERSUADÉS QU'ON LEUR LA

AVAIT DÉCLARÉ

GUERRE.

Quand d'anciens maîtres tiennent ce langage, où nous ne voyons, nous, qu'une légèreté imprudente, mais que d'anciens esclaves peuvent prendre à la lettre, n'est-il pas inconcevable que le ministère public vienne, comme les journaux de l'ordre, parler d'émissaires mulâtres qui s'en iraient dans


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les campagnes répandre des bruits alarmants pour agiter le pays? Et pourtant, on n'a jamais pu saisir, JAMAIS! un seul de ces prétendus malfaiteurs? Pour lui, tout mulâtre qui a la confiance des cultivateurs est un artisan de désordre; c'est ainsi que l'on a emprisonné les hommes les plus honorables de la classe jaune comme instigateurs de dévastations et d'incendies ! Les nègres ont été poussés à la révolte par les mulâtres ! Eh ! mon Dieu, avaient-ils besoin d'être excités, les malheureux qui voyaient tomber à leur côté leurs camarades, coupables de réclamer la délivrance d'un prisonnier arrêté arbitrairement? Qu'on lise attentivement le procès, et l'on s'assurera que l'exaspération de tous, comme les inquiétudes de plusieurs, prennent uniquement leur source dans les propos de quelques colons, que nous venons de rapporter; dans la cruelle violence dont ils venaient d'être victimes et dans le désespoir égaré où les avait jetés la perte de leurs frères, de leurs amis, de leurs parents, de tout ce qu'ils avaient de cher. « Arrivé aux Basses, le feu était dans une pièce de can« nes. Il y avait beaucoup de monde. J e leur fis des repro« ches. J e leur recommandai d'éteindre le feu, en leur « disant qu'ils se faisaient tort à eux-mêmes, et qu'ils me « forceraient à rougir. J'étais dans ce moment entouré « d'une foule de personnes qui me dirent qu'ils ne me con« naissaient pas; que l'on avait tué leurs frères, qu'ils de« vaient les venger.» (Interrogatoire de M. Alonzo, Progrès du 2 1 mars.) « D. Qu'avez-vous fait à Gagneron? — R . J'ai fait « comme les autres. « D. Et à Vidon ? — R . Gomme les autres. « Qui vous a engagé à faire cela? — R . C'est la mort de « mes frères. » (Interrogatoire de Michel Charleson, Progrès du 28 mars.) « Les blancs ont tué trop de nègres, il faut que les nègres «fassent aussi quelque chose. » (Déposition du témoin Alexandre , rappelée dans la plaidoierie de M P e r c i n , Progrès, 21 avril.) « D. Que vous a-t-on fait? — R . On a tué mon frère. e


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« D. Mais ce n'est pas M. Bonneterre qui a tué votre frère. « — R. S i ! c'est l u i - m ê m e qui a ordonné aux soldats « de tirer sur mon frère, qui était devant une pièce de «cannes. « Le président : Il fallait obéir aux sommations de l'au« torité. — R. E t nos camarades qui étaient tués? Si c ' é « taient vos camarades, vous auriez fait comme nous ; nous « faisions la guerre. «D. Quelle idée aviez-vous quand vous apportiez la paille ? « — R . Quelle idée avait aussi M. Théophile Bonneterre ? « C'était la guerre. » (Interrogatoire de Faustin, Jean-Baptiste, Progrès.) Cette idée de guerre se retrouve partout. Claude (habibitation Mayoubé) s'écrie : «Tout ce monde, qui vient au« jourd'hui pour déposer contre nous, a fait la guerre « aussi; maintenant ils viennent faire des mensonges ! » Les noirs ne comprenaient pas autrement l'injustifiable arrestation de M. François Germain, et l'usage que la milice et les marins avaient fait si précipitamment de leurs armes. L'accusé Antoine dit encore : « Un gendarme m'a as« sommé de coups de chaînes ; il me disait : oh ! le coquin ! « on ne donne plus de coups de fouet, mais j e f... des coups « de chaînes. Tous les béquais (tous les blancs) de la Capes« terre n'entendent pas plus raison que les soldats; pour « rien ils tirent des coups de fusil sur les nègres. » Cétout, au président, qui lui demande pourquoi il a pris un fusil, répond de même : « Les blancs étaient armés, « tuaient mes camarades ; j ' a i pris un fusil pour me défen« dre; la mairie de M. Théophile Bonneterre a toujours eu « du désordre. Depuis le dimanche matin, M. Houëlche disait « qu'il ne voulait plus la liberté; que le fouet allait arriver. Dans « un jour, on a tué douze des nôtres, et on les a jetés sans « les enterrer. On voulait prendre notre liberté ! Personne « ne m'a jamais donné de mauvais conseils; tout ce que j e dis « est vrai. Vous ne connaissez donc p a s , M. le président, « les blancs de Marie-Galante! J e connais M. Houëlche, « depuis mon enfance j e suis à son service, il ne peut pas « sentir la liberté ! Quand on a travaillé un an chez certains « maîtres, de Marie-Galante, ils vous donnent l franc; et,


— 38 — « si vous faites des réclamations, vous recevez des coups « de pieds et des coups de poings. » A l'appui de cette assertion de Cétout, outre la condamnation de M . Houëlche, vient un jugement correctionnel, du 1 9 février 1 8 5 0 , qui condamne M . Pelissier Montémont, propriétaire dans cette dépendance, à vingt jours de prison et 2 0 0 fr. d'amende, pour avoir frappé un charpentier mulâtre de son habitation, qui, chassé depuis trois jours, avait l'incroyable insolence de venir réclamer le paiement de son salaire. Par ce qu'on vient de lire, on peut juger quelles étaient les appréhensions des noirs et qui les leur avait inspirées. M Pory-Papy a tracé, de cette situation, un tableau tellement saisissant, que nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ses paroles. « La Guadeloupe et Marie-Galante, dit l'éloquent défen« seur, à l'époque des élections, se trouvaient, en quel« que sorte, en état de siége. Dès le 2 3 juin, veille des « élections, et, par une coïncidence remarquable, la Cour « d'appel avait évoqué les troubles nés et à naître dans la « colonie, tous les maires avaient pris des précautions militaires inu« sitées pour une lutte présumée. Le 2 4 juin, les électeurs blancs « du Grand-Bourg (campagne), revêtus de leurs uniformes, « traînaient le sabre devant la mairie, et leurs plumets « flottaient aux yeux des noirs, comme un signal de guerre « civile. Le surveillant de l'habitation Pirogue, José Mo« reau, à leur vue, se frappait la poitrine, et disait haute« ment qu'il braverait la mort pour la liberté. Un détachement « d'infanterie stationnait dans la cour. Cet appareil formidable, « appuyé de deux cent quarante cartouches à balles, mises à la « disposition des chasseurs à cheval, faisait présager un conflit « imminent. Le brick de guerre le Cygne avait j e t é l'ancre, « depuis trois jours, sur la rade ordinairement déserte de « Marie-Galante. Vous comprenez, messieurs, l'effet que « de pareilles dispositions guerrières durent produire sur l'i« magination défiante des noirs. Cependant la journée du « dimanche se passa partout avec calme, au dire de tous « les documents, de tous les fonctionnaires, de tous les « maires, de tous les témoins. M. Théophile Bonneterre ne e


— 39 — « sanctionna pas l'arrestation du sieur S a i n t e - L u c e , qui « distribuait des bulletins de vote aux c u l t i v a t e u r s , et se « borna à inviter Chéri et Germain à ne point s'immiscer « dans la police d u collége électoral. Plût à Dieu qu'il eût « persisté dans c e t t e voie de légalité jusqu'à la fin des é l e c « tions ; mais il devait subir toute une pression a t m o s p h é « rique, c h a r g é e , pour ainsi d i r e , de c o u r a n t s électriques « c o n t r a i r e s . » ( C o m p t e - r e n d u du Progrès, n° du 18 avril 1850.)


C H A P I T R E IV. Attitude du procureur

général aux débats.

L'accusation a-t-elle c h e r c h é à nier c e t é t a t des c h o s e s ? N o n ! E l l e a t e n t é s e u l e m e n t d'en faire r e m o n t e r la c a u s e aux excitations d e m e n e u r s , qui, nous le r é p é t o n s , sont t o u j o u r s d e m e u r é s inconnus ! Aussi, quand les a c c u s é s , r e v e n a n t sur leurs i n t e r r o g a toires devant le j u g e d'instruction, se r é t r a c t e n t à l'aud i e n c e , le p r o c u r e u r g é n é r a l , M. R a b o u , les interpelle d'une façon q u e nous r e n o n ç o n s à qualifier. Il a p o s t r o p h e , p a r e x e m p l e , en c e s t e r m e s , l'accusé Bouaille, qui rectifie sa dépositon é c r i t e : « C'est un p a r t i p r i s , aujourd'hui, de mentir e t d ' a c c u s e r « les uns pour défendre les a u t r e s ! Vous l'avez d é c l a r é au « j u g e , dans v o t r e i n t e r r o g a t o i r e . E n t r e vous e t le j u g e « d'instruction, p e r s o n n e n'hésitera! T o u t le monde p r o « n o n c e r a c o n t r e v o u s , entendez-vous. (S'animant p a r d e « g r é s . ) C r o y e z - v o u s nous t r o m p e r , en mentant aussi effron« tément? 11 faut dire la v é r i t é d e v a n t la j u s t i c e . « L'accusé : E h bien, c'est ç a m ê m e ; je dis la v é r i t é , à « présent. « Le procureur général : Vous en avez menti! On ne s e r a pas « d u p e ! » (Progrès du 2 8 m a r s . ) Cette modération de langage semble, a p r è s t o u t , o r d i naire chez M. le p r o c u r e u r g é n é r a l . Nous en trouvons un


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a u t r e e x e m p l e dans le c o m p t e - r e n d u du Progrès du 31 m a r s : « Médéric : 11 n'y a u r a jamais l ' o r d r e à Marie-Galante ; les « blancs de là d é t e s t e n t t r o p la liberté. Ils b a t t e n t les c i « toyens. Quand nous avons é t é à la g e ô l e , ces messieurs « e n t r a i e n t , e t , c o m m e les g e n d a r m e s , ils nous frappaient. « Le procureur général : On ne b a t pas dans les geôles. Je « suis autorisé à dire que vous en imposez à la justice. L e s g e n « d a r m e s ne b a t t e n t pas ; ils a r r ê t e n t , et cela a v e c b e a u c o u p « d'humanité. « Médéric : Ce que j'ai dit est vrai. Oui, on nous b a t . J ' a i « r e ç u d e u x coups d e c o r d e . Nous avons é t é en b u t t e à des « violences e x t r ê m e s . On nous a m ê m e m e n a c é s , à la g e ô l e , « de nous faire c o u p e r la t ê t e dans la s a v a n e , et nous nous « y attendions à c h a q u e instant. « Le procureur général : Vous en avez menti!!! » R a p p o r t e r o n s - n o u s , enfin, c e t incroyable incident, qui a i n t e r r o m p u dans sa défense le j e u n e et c o u r a g e u x a v o c a t m u l â t r e , M P e r c i n , au m o m e n t où, p r ê t a n t l'appui de sa brillante p a r o l e à M . Alonzo, l'un des p r i n c i p a u x a c c u s é s , il disait : « F o r t de n o t r e i n n o c e n c e , nous avons d e m a n d é « une e n q u ê t e , et l'on n'a pas osé la faire. » Sur les observations du p r o c u r e u r g é n é r a l , r e l e v a n t les mots on n'a pas osé, le président dit « que le m o t s ' e x « plique p a r l'improvisation de la défense, et qu'il laissera « le soin de le r e t i r e r ; qu'il n'y voit aucune mauvaise i n « tention. M P e r c i n r é p o n d « qu'en m a t i è r e d'improvisation, la « faute est moins à celui qui laisse é c h a p p e r un mot qu'à « celui qui le r e l è v e . » M. R a b o u n'accepte pas que le ministère public fasse de f a u t e ; puis, s'adressant au j e u n e défenseur, il laisse e n t e n d r e ces inconcevables p a r o l e s , que l'on a peine à c r o i r e sorties du banc d'un p r o c u r e u r général : « Quel est cet étranger qui vient insulter ici le ministère « public sur son siége, sans é g a r d aux bonnes relations qui « lient la m a g i s t r a t u r e au b a r r e a u ? Quels sont ses a n t é c é « d e n t s ? D'où vient-il? Quel est-il? M P e r c i n , qui semble « c o n n a î t r e l'antiquité, nous forcera d e lui r a p p e l e r c e s « mots d'un vieillard à des jeunes gens de la G r è c e : «Nous e

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« avons vécu parmi des hommes qui valaient mieux que vous. » « M P e r c i n répond qu'il est ici en v e r t u de l'indivisibi« lité du t e r r i t o i r e français, et d e m a n d e a c t e des paroles du « p r o c u r e u r g é n é r a l . — Refus du p r é s i d e n t . « L e p r o c u r e u r g é n é r a l s'écrie : Si M P e r c i n continue, « nous p r e n d r o n s des réquisitions c o n t r e lui. « On r e m a r q u e un s o u r i r e sur les l è v r e s de M P e r c i n , « qui r e p r e n d sa plaidoirie. » ( C o m p t e - r e n d u du Progrès, 2 1 avril.) Nous n'insisterons pas sur c e s luttes d é p l o r a b l e s , sur c e s t e n t a t i v e s d'intimidation, en public, à l ' a u d i e n c e ; mais que n'autorisent-elles pas à c r o i r e , r e l a t i v e m e n t à c e qui a pu se p a s s e r e n t r e les m a g i s t r a t s i n s t r u c t e u r s et les p r é v e n u s , lors des p r e m i e r s i n t e r r o g a t o i r e s , loin d e t o u t e p u b l i c i t é ? L e s r é t r a c t a t i o n s n o m b r e u s e s qui viennent d ' ê t r e m e n tionnées, le ministère public les a c o n s t a t é e s , en disant : « P e n d a n t d e u x j o u r s , nous avons eu le t r i s t e s p e c t a c l e « d'hommes a m e n é s d e v a n t la j u s t i c e et poussant l ' a v e u « g l e m e n t jusqu'à p r é t e n d r e que le conseiller i n s t r u c t e u r « avait imaginé c e s d é c l a r a t i o n s . » A p r è s c e l a , le c h e f du p a r q u e t n'a pas c r a i n t d ' a j o u t e r , s'adressant à la Cour : « Ces i n t e r r o g a t o i r e s vous a p p a r t i e n n e n t , messieurs; vous « avez le droit de r e c h e r c h e r s'ils r e n f e r m e n t la v é r i t é , ou « s i elle se t r o u v e , au c o n t r a i r e , dans les r é t r a c t a t i o n s « faites à l'audience. V o t r e choix ne saurait ê t r e d o u t e u x . » e

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L e s juges ont p r o n o n c é , nous n'avons pas le droit de critiquer leur v e r d i c t , mais un fait aussi g r a v e que la r é t r a c tation des a c c u s é s et de b e a u c o u p de témoins, au g r a n d j o u r de l'audience e t de la publicité, ne pouvait ê t r e passé sous s i l e n c e ; alors s u r t o u t que l'accusation est fondée p r e s q u e tout e n t i è r e sur les p r e m i e r s i n t e r r o g a t o i r e s subis dans le huis-clos du c a b i n e t du j u g e d'instruction, p a r des h o m m e s qui ne s a v e n t ni lire ni é c r i r e ; alors s u r t o u t que c e s h o m m e s , dès qu'ils e n t e n d e n t aux débats la l e c t u r e d e l e u r s d é c l a r a t i o n s , p r o t e s t e n t é n e r g i q u e m e n t c o n t r e leur i n e x a c t i t u d e , a c c u s a n t , selon les p r o p r e s e x p r e s s i o n s du ministère public, a c c u s a n t le conseiller i n s t r u c t e u r d'avoir imaginé les d é c l a r a t i o n s qu'il leur a t t r i b u e . Sans l ' a c c u s e r , sans p o r t e r la moindre atteinte à son honorabilité, ne p e u t -


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on pas croire au moins qu'il s'est trompé souvent, lors­ qu'on n'ignore pas que ce conseiller, M. Darchis, ne sait pas un mot de la langue créole? Le noir parle créole ; sa déposi­ tion est transcrite en français qu'il ne comprend pas toujours parfaitement, lecture lui est donnée de cette déposition en français, et quand il vient ensuite rectifier à l'audience les erreurs commises, on l'accuse de mensonge!


CHAPITRE V . Complicité

morale. — Le citoyen

Alozo.

Nous avons c h e r c h é à m e t t r e en relief les t r a i t s les plus c a r a c t é r i s t i q u e s d u p r o c è s d e M a r i e - G a l a n t e . On c o n n a î t maintenant la v é r i t a b l e c a u s e des t r i s t e s é v é n e m e n t s dont la d é p e n d a n c e d e la Guadeloupe a é t é le t h é â t r e , à la suite des élections d e juin 1 8 4 9 . N o u s avons analysé les faits m a t é r i e l s ; il nous r e s t e à e x a m i n e r c e u x qui se r a p p o r t e n t à la c o m p l i c i t é m o r a l e d e s a c c u s é s politiques. M. Alonzo, tant p a r la position que lui a faite l'accusation que p a r son m é r i t e p e r s o n n e l , r é s u m e en lui t o u t l'intérêt qui s ' a t t a c h e a u x c o n d a m n é s d e c e t t e c a t é g o r i e . Il e s t d'ailleurs la personnification d e c e s anciens affranchis é l e vés p a r l e u r intelligence e t la puissance d'une é n e r g i q u e volonté au niveau d e l e u r s a n c i e n s m a î t r e s . N è g r e a r d e m m e n t j a l o u x d e l'égalité p o u r sa r a c e , h o m m e influent, M. Alonzo é t a i t fatalement désigné a u x r a n c u n e s de c e u x qui, connaissant sa v a l e u r , ne voulaient c e p e n d a n t p a s le t r a i t e r en é g a l . M . Alonzo a é t é c o n d a m n é à dix ans d e r é clusion p o u r d e p r é t e n d u s d i s c o u r s qu'un seul témoin, d ' a p r è s la d é c l a r a t i o n du p r o c u r e u r g é n é r a l dans l'acte d ' a c c u s a tion , qu'un seul témoin, il est vrai, A L E C O U R A G E de répéter à la justice (Progrès du 14 m a r s 1 8 5 0 ) ; son c r i m e p a r a î t ê t r e bien plus clans son d é v o u e m e n t p o u r les c u l t i v a t e u r s e t leur a t t a c h e m e n t pour lui q u e dans sa c o n d u i t e à l'époque des


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événements. Si l'on en cloutait, la dénonciation suivante, adressée au gouverneur dès le 2 6 juin, le lendemain même du jour des désordres, et par conséquent alors qu'aucune enquête sérieuse n'avait pu être faite, attesterait les haines profondes qui couvaient contre lui et n'attendaient qu'une occasion pour éclater. « Marie-Galante, le 26 juin 1849.

« Monsieur le gouverneur, « C'est tout un pays qui gémit sous de nombreuses ruines, « sur des faits déplorables, qui vient dénoncer

« « « « « « « «

l'auteur

de tous

ses maux. Il est un homme à Marie-Galante qui exerce la puissance la plus grande, dispose des masses à son gré, un homme qui a une influence illimitée sur les nouveaux affranchis et qui a un état-major d'émissaires fidèles à leur consigne; cet homme que, pour mettre fin aux malheurs qui pèsent sur notre malheureux pays, nous dénonçons comme le principal moteur de notre situation anormale, c'est le citoyen Alonzo. « Nous avons l'honneur d'être, etc. « Signé : Louis Roussel Bonneterre; — Auguste Rous« s e l ; — Bothereau Roussel; — Ducos fils; « — V e r g é ; — Larray; — Houëlche; — «Roussel Bonneterre; — G. Roussel; — « Raynal ; — B . Roussel; — Ducos p è r e ; — « P. Ducos; — Boulogne, Boulognet; — Gra« nier de Cassagnac ; — Biel ; — Wachter, « Ègésype; — Jaume; — Espaignet; — Ser« vant; — Evrard; — Ballet; — W a t c h e r ; « — de Montémont ; — Boulogne Saint-Wil« lier; — Giraud Faup; — Briel ; — Saint« Omer Larigot; — Charles Rousselet; — « Philéas Boulogne. » A la suite de ces signatures on lit : « Alonzo

«a

n'est pas le seul meneur;

signé : H. Dauxion,

avocat-

avoué. « Il en est le chef;

signé : Oscar

Sauvaire;

— Ludolphe.

»


— 46 — Parmi ces trente-neuf signataires, trente-quatre ont servi de témoins et les sieurs Oscar Sauvaire et Ludolphe qui dénonçaient le citoyen Alonzo sont précisément les individus qui plus tard ont été poursuivis comme coupables de l'assassinat commis, le jour même de la signature de cette pièce, sur la personne du noir Jean-Charles!!!... Si de pareils témoins n'étaient pas rigoureusement reprochables, de quel poids cependant pouvaient-ils être dans la balance de la justice devant une Cour d'assises qui ne doit aucun compte des inspirations de sa conscience? Ne le voit on pas? ces trente-quatre signataires ne se bornent pas à signaler de prétendus griefs, ils formulent un jugement : « Pour mettre fin à nos malheurs, nous dénonçons le c i « toyen Alonzo! » On a mis fin à leurs malheurs en condamnant cet homme qui a montré, dans tout le cours des débats, un caractère d'une noblesse simple et grande, digne des plus belles figures du Plutarque. La passion politique fut rarement poussée plus loin que dans cette dénonciation. Comment a-t-on pu la signer sans fournir au moins une apparence de preuve? Où donc l'importance que s'est acquise un citoyen suffit-elle pour le rendre responsable de tous les excès qui viendront à se commettre? Les propriétaires de Marie - Galante reprochent à M. Alonzo son immense influence sur l'esprit des cultivateurs. Les ingrats! Cette influence, il l'avait mise au service de l'ordre, il l'avait employée à rétablir la tranquillité et le travail sur toutes leurs habitations. Laissons à cet. égard parler M. Gatine soutenant devant la Cour s u prême le pourvoi en cassation du noble condamné. « Alonzo ! Etranges et tristes vicissitudes des choses d'ici-bas! Ah! ce n'est pas sans émotion que j e prêle ici le secours de ma parole à cet accusé. Naguère encore, lorsque le grand jour de l'émancipation s'était levé, lorsque j ' a p portais aux populations de la Guadeloupe le décret libérateur, je vis Alonzo à Marie-Galante. De la condition d'esclave il s'était élevé à l'état d'homme libre par son travail et l'énergie de sa volonté IL s'était ensuite créé un commerce et un patrimoine ; uprès de lui ses anciens compa-


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gnons d'infortune, esclaves toujours, avaient trouvé naturellement bon accueil, assistance et secours. Il était comme le centre des mille liens de la solidarité qu'avait créée entre les noirs l'oppression commune du régime servile. IL avait, en un mot, une grande influence. Quel usage en faisait-il, et quelle reconnaissance lui a-t-on gardée de services incontestables? Voici ce que révèle le procès-verbal des débats lui-même, treizième audience, 29 mars : « Victor Bothereau Roussel, témoin, déclare qu'étant le « premier de ceux qui devaient déposer à l'audience, on « l'avait fait rester dans une chambre qui se trouve derrière «les gradins où est placé sur le banc d'en haut l'accusé « Alonzo. La porte se trouvant ouverte, et le sieur Alonzo « profitant de cette circonstance, l'a interpellé et lui a dit : « Comment, c'est vous qui avez signé LA DEMANDE DE MA D É «

P O R T A T I O N

!

sans moi vous n'auriez pas le travail sur votre habi-

« talion, tandis que j'y ai ramené l'ordre et le travail. » « M. le président s'adressant à Alonzo lui a dit qu'il ne « souffrirait pas que les témoins fussent menacés par les « accusés, et que, dans son propre intérêt, il l'engageait à « s'abstenir de toute manifestation de ce genre. » « Alonzo en imposait-il ? non. Comme Scipion, il aurait pu répondre à ses accusateurs : Par moi, par mon concours au moins, en 1 8 4 8 , l'ordre et le travail ont été maintenus à Marie-Galante, tous vos intérêts sauvegardés; allons en rendre grâce aux dieux. « Voici des faits antérieurs au procès et publiés longtemps auparavant. « A Marie-Galante, en 1818, le commissaire-général, visitant les populations de cette île, avait réuni autour de lui, à la mairie de Grand'Bourg, les principaux propriétaires, des cultivateurs, des citoyens de toutes les classes. Il tenait là, comme en beaucoup d'autres communes auparavant, les assises de l'organisation du travail libre. Le récit de cette séance est consigné ainsi dans le compte-rendu de sa mission : « L'accusation d'influence s'élevait contre M. Alonzo, dont « le nom figure déjà honorablement dans cet écrit (à l'oc« casion de sa nomination aux fonctions d'adjoint au maire


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« d e G r a n d ' B o u r g ) . — M a i s , m e s s i e u r s , répondit-il avec « une g r a n d e m o d é r a t i o n , c e t t e influence, j e ne crois pas « en avoir jamais mal u s é ; et c e l a d e v r a i t ê t r e é v i d e n t « pour v o u s , c a r b e a u c o u p d'entre vous sont venus me t r o u « v e r et m'ont d e m a n d é mon intervention pour le r é t a b l i s « s e m e n t du travail sur leurs habitations. J ' a i a c c é d é à « leurs désirs e t j'ai eu la satisfaction de r é u s s i r . — L e fait « était vrai ; il ne fut pas dénié. II s'était p r o d u i t dans « b e a u c o u p d'autres localités. Voilà c e qui s'est passé sous « les y e u x du c o m m i s s a i r e g é n é r a l , en assemblée publique. « R o i s d é t r ô n é s a c c e p t a n t difficilement la d é c h é a n c e , les « colons n'en persistaient pas moins dans leurs i n c r i m i n a « lions passionnées, sans s ' a p e r c e v o i r qu'ils se m o n t r a i e n t « souvent ingrats e n v e r s des h o m m e s a u x q u e l s sont dus en « g r a n d e p a r t i e le s u c c è s d e l'émancipation, le maintien d e « l ' o r d r e et du t r a v a i l , le salut des colonies. Voilà c e q u e « dira sans d o u t e un j o u r l'impartialité d e l'histoire (1). « L e j e u n e et habile défenseur d'Alonzo s'emparait de c e témoignage d e v a n t la Cour d'assises. « C e t t e solennelle d é c l a r a t i o n , disait-il, s o r t i e des m é d i « talions du cabinet a p r è s les émotions d e la vie publique ; « c e t t e déposition a n t é r i e u r e au p r o c è s , c e t t e voix d ' o u t r e « m e r j e t é e p a r le h a s a r d c o m m e une défense providentielle « au milieu des g r a v e s c o n j o n c t u r e s qui nous t r a v e r s o n s , « tout ce témoignage e m p r u n t e du c a r a c t è r e p a r t i c u l i e r d e « son a u t e u r u n e s o r t e d'irrésistible et mélancolique a u t o -

«

rité

(2). »

« Voilà, m e s s i e u r s , c e que je devais r a p p e l e r dans l'int é r ê t d'Alonzo, e t p o u r donner t o u t e l e u r puissance a u x m o y e n s d e cassation qu'il p r é s e n t e . « L a défense a dit que c e l t e affaire était un p r o c è s à l'influence d'Alonzo, a p r è s une t e n t a t i v e d e d é p o r t a t i o n . N e pourrait-on pas le c r o i r e , en p r é s e n c e de c e t a r r ê t qui d é c l a r e Alonzo seulement c o u p a b l e d e complicité dans la r é bellion , pour l'avoir p r o v o q u é e par machinations et artifices coupables ! (1) Abolition de l'esclavage à la Guadeloupe et quatre mois de gouvernement dans cette colonie, par Ad. Gatine. Paris, 1849, page 60. (2) Plaidoirie de M Percin, rapportée par la Liberté, n" 50. c


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« Devant vous, nous demandons c o m p t e à l ' a r r ê t de c e t t e complicité dont il n'a pas spécifié les é l é m e n t s en fait. Complice p a r machinations et artifices! Ah ! c e c i ne r a p p e l l e - t il pas ces p r o c è s des c o l o n i e s , ces c o n d a m n a t i o n s effroyables, p r o n o n c é e s sur véhément soupçon? C'est a u x colonies s u r t o u t qu'il faut p r é c i s e r et spécifier les faits dont les c i t o y e n s p e u v e n t ê t r e appelés à se justifier d e v a n t les t r i b u naux criminels... » T e l est l'homme que les colons de M a r i e - G a l a n t e d é n o n c e n t c o m m e l'auteur d e tous leurs m a u x !! Mais, d i r a - t - o n , l'accusation a dû formuler c o n t r e le c i toyen Alonzo quelque c h o s e d e moins v a g u e q u e le c r i m e de sa bienfaisante influence? Non. P a r m i les c h a r g e s a c c u m u lées c o n t r e l u i , la plus g r a v e est celle-ci : « Au m o m e n t « où la l i b e r t é fut p r o c l a m é e , l o r s q u e des manifestations de « d é s o r d r e s p r o m p t e m e n t r é p r i m é e s remplissaient l'île « d'anxiétés et d'angoisses, quel était le nom invoqué p a r « les a g i t a t e u r s qui p a r c o u r a i e n t les c a m p a g n e s ? celui d ' A « lonzo. « Alonzo vous d e m a n d e du s e c o u r s , » e t les noirs « a b a n d o n n a i e n t les a t e l i e r s , ils s ' a r m a i e n t , (ils s ' a r m a i e n t ! « d e q u o i ? ) et se p o r t a i e n t en masse sur la ville. Aux é l e c « tions de 1 8 4 8 , c'était dans la maison d'Alonzo qu'on v e « nait p r e n d r e le m o t d ' o r d r e . » (Réquisitoire du p r o c u r e u r général.) A c e l a , il n'y a qu'un m o t à r é p o n d r e . M. Alonzo a é t é maintenu dans ses fonctions d'adjoint au m a i r e sous les trois g o u v e r n e u r s : M M . Gatine, F i é r o n , F a v r e , fonctions qu'il e x e r ç a i t e n c o r e le j o u r de son a r r e s t a t i o n ! L e v é r i t a b l e c r i m e d e M. Alonzo, le voici é n o n c é dans toute la n a ï v e t é c o l o niale : « Sa maison était un b u r e a u d e consultation où les « t r a v a i l l e u r s venaient e x p o s e r leurs griefs c o n t r e les p r o « p r i é t a i r e s ; » c e sont les p r o p r e s p a r o l e s du réquisitoire de M. R a b o u . L e p r é s i d e n t M . B e a u s i r e est dans les m ê m e s s e n t i m e n t s ; à l'audience du 13 m a r s , il interpelle l'accusé en c e s t e r m e s : « V o t r e maison était toujours pleine de c u l « t i v a t e u r s qui venaient vous consulter. » (Progrès, 21 m a r s ) . Quel c r i m i n e l ! les noirs v e n a i e n t le c o n s u l t e r ! O u i , voilà c e qui r e n d a i t M . Alonzo si c o u p a b l e ! Se p l a c e r e n t r e les p r o p r i é t a i r e s et leurs anciens esclaves ! N'est-il pas évident 4


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que c ' é t a i t p r é p a r e r l ' e x t e r m i n a t i o n de la r a c e b l a n c h e ! A u t r e f o i s , la p a r o l e , la volonté du p l a n t e u r ne se d i s c u taient, p a s , elles s'imposaient; c e r t a i n s colons n'ont pu l'oublier. L a p r e u v e c'est qu'à c e t t e époque M. B a y l e - M o u i l l a r d , c e p r o c u r e u r g é n é r a l e m b a r q u é par M. F i é r o n , e x p o sait en c e s t e r m e s les p r é t e n t i o n s e x o r b i t a n t e s d e c e r t a i n s habitants s u c r i e r s : « D'anciens m a î t r e s , d e m a n d a n t une c o n t r a i n t e impossi« ble, r ê v e n t j e ne sais quel s y s t è m e d e travail f o r c é , et « s ' e m p o r t e n t c o n t r e le m a g i s t r a t qui refuse de r e m p l a c e r « le fouet du c o m m a n d e u r p a r la v e r g e d e la j u s t i c e d é s « h o n o r é e ! » E n d e telles c o n j o n c t u r e s , c o m m e n t les r e l a tions qui e x i s t a i e n t e n t r e M . Alonzo e t ses anciens f r è r e s d e s e r v i t u d e n'auraient-elles pas a p p e l é s u r lui la v e n g e a n c e d e c e u x qui voulaient remplacer te fouet du commandeur par ta verge de ta justice déshonorée? M. B a y l e - M o u i l l a r d , c h e f d e la j u s t i c e à la G u a d e l o u p e , a é t é banni p o u r avoir r é s i s t é a u x e n t r a î n e m e n t s de l'oligarchie c o l o n i a l e ; M. Alonzo ne d e v a i t il pas s u c c o m b e r ? N o u s n'analyserons pas les a u t r e s griefs qui lui sont i m p u t é s p a r le m i n i s t è r e public. Quelle f o r c e , en effet, ajoute à l'accusation sa participation à la c r é a t i o n du j o u r n a l le Progrès? « M e n e u r politique, Alonzo r e c e v a i t t o u t e s les c o m « munications. En voulez-vous une p r e u v e ? Un j o u r n a l est « fondé à la P o i n t e - à - P î t r e , le m a t é r i e l est venu d e P a r i s ; » (Oh ! o h ! voilà qui est s u s p e c t , un m a t é r i e l de j o u r n a l venu de Paris!) ; « mais il faut un c a u t i o n n e m e n t . L e c o m i t é de la « P o i n t e é c r i t à q u i ? A Alonzo, qui est n o m m é p r é s i d e n t « d ' u n e commission dont M a u r i c e Sébastien fait p a r t i e . Des « q u ê t e s s'organisent, e t le c a u t i o n n e m e n t est t r o u v é ! « A s s u r é m e n t c e l a p a r a î t r a t r è s - g r a v e à un h o m m e qui n'aime p a s la p r e s s e . Mais depuis q u a n d , sauf pour M . R a b o u , la qualité d'actionnaire d'une feuille i n d é p e n d a n t e impliquet-elle une c o m p l i c i t é q u e l c o n q u e dans des incendies e t des d é v a s t a t i o n s ? M. Alonzo avait d e l'influence! qui le n i e ? ses convictions politiques l'attachaient, au p a r t i qui p o r t a i t dans les élections M M . P e r r i n o n et S c h œ l c h e r ! il ne s'en c a c h e p a s . Mais qui o s e r a i t lui faire un c r i m e d'opinions aussi c h e v a l e r e s q u e m e n t e x p r i m é e s que c e l l e s - c i :


— 51 — « Un jour, dit-il, Ferdinand est venu me demander des « bulletins ; j e lui ai répondu qu'en ma qualité d'adjoint au « maire, je ne voulais pas en délivrer, et qu'il devait s'adres« ser à Maurice Sébastien, s'il voulait voter pour M. Schœl«cher. Alors Ferdinand me dit : « Comment trouvez-vous «Isaac, qui nous dit qu'il ne fallait pas voter pour M.Schœl« cher, parce que M. Schœlcher A ÉCRIT qu'un père pouvait « avoir des relations avec sa fille, une mère avec son fils, un frère avec «sa sœur. » Alors j ' a i répondu qu'Isaac était un imperti« nent et qu'après les élections j'allais lui casser la tète. Mon «intention était de lui proposer un duel pour avoir insulté « mon ami. Puisque j e votais pour M. Schœlcher, sensément « c'était mon ami. Car quand on insulte mon ami en ma p r é « sence, j e n'ai pas besoin d'aller lui dire cela pour qu'il se «défende, c'est pour moi une affaire personnelle. C'est «comme vous, monsieur le président, si vous disiez du « mal de mon ami, j e me ferais une affaire avec vous; c'est, « personnel, ce n'est pas général.» (Compte-rendu du Progrès, 2 1 mars.) Un caractère de cette trempe devait infailliblement attirer les haines des incorrigibles. 11 était trop fier, trop énergique pour des propriétaires habitués à ne voir dans les nègres que des instruments passifs. Le procureur général, M. Rabou lui-même, convient, au reste, « qu'il y avait dans l'existence de cet homme quel« que chose qui devait tout d'abord appeler sur lui l'inté« rêt et la confiance. Ancien esclave, Alonzo, par son tra«vail, par son économie, était parvenu à briser ses fers. « Libre depuis quinze ans, il se livrait à un petit commerce « qui pouvait satisfaire son ambition. Naturellement ardent, «passionné, il ne devait plus conserver l'exaltation de la «jeunesse, Alonzo a atteint sa cinquantième année, mais il « est des cœurs dans lesquels les mauvaises passions ne vieil« lissent jamais. » C'est pourtant à ce nègre de cinquante ans, dont les antécédents sont si purs, si honorables, que l'on impute des projets de massacres et d'incendies. Dans quel but aurait-il conçu ces affreux desseins? Nul ne l'a dit. E s t - c e , comme le prétend plus loin l'accusation, parce que « Alonzo unissait à l'astuce du vieil esclave la violence irré-


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« fléchie d'un implacable r e s s e n t i m e n t c o n t r e d'anciens o p « p r e s s e u r s ? » Mais si peu réfléchi qu'on veuille le r e p r é s e n t e r , pourquoi M. Alonzo aurait-il e n c o u r a g é une r é v o l t e a b s u r d e , sans résultats possibles? E s t - c e qu'en agissant ainsi il n'allait pas c o n t r e les i n t é r ê t s évidents de son p r o p r e parti ? C o m m e n t ! vous lui reconnaissez une c e r t a i n e intelligence, vous le dites tout-puissant p a r m i les m e n e u r s , et vous ne r e m a r q u e z pas que si v r a i m e n t « il est a s s u r é depuis l o n g « temps d'un empire I R R É S I S T I B L E sur l'esprit des noirs, s'il est « le chef, le capitaine g é n é r a l , p r e s q u e le roi de M a r i e - G a « lante, » l'élection des c a n d i d a t s de son choix est c e r t a i n e ; q u e , d è s - l o r s , c e n'est pas lui qui p e u t c h e r c h e r à faire n a î t r e des causes d'invalidation du s c r u t i n , mais le p a r t i opposé. E n vain o b j e c t e r e z - v o u s l'organisation d'un c o m p l o t ; c e l t e invention c e n t fois d é t r u i t e le s e r a i t une fois de plus, c a r tous c e u x qui ont é t é a c c u s é s d ' ê t r e les a g e n t s d'Alonzo ont, é t é a c q u i t t é s . M M . M a u r i c e Sébastien et K a i fort sont libres aujourd'hui, et M. F r a n ç o i s Germain luim ê m e n'a é t é c o n d a m n é qu'à un an de prison pour délit électoral. Le ministère public n'avait c e p e n d a n t pas m é n a g é ces c i t o y e n s . Ainsi, pour M . G e r m a i n , voici c o m m e il le dévoile dans son réquisitoire : « Ancien soldat, la position de G e r « main est des plus m o d e s t e s , il est c o r d o n n i e r ; G e r m a i n « e s t , en un m o t , un de ces hommes qui ont plus à gagner qu'à perdre « à un bouleversement social. » Il ne fait pas bon ê t r e ancien s o l d a t et cordonnier quand on t o m b e sous la main du p r o c u r e u r g é n é r a l de la Guadeloupe. M. R a b o u n'avait-il pas e n c o r e r a p p o r t é c e m o n s t r u e u x propos de M. Sébastien M a u r i c e s'adressant a u x é l e c t e u r s noirs : « Ne c r o y e z pas que c e soit « M. Bissette qui a signé v o t r e a c t e de l i b e r t é , c'est M. Schœl« c h e r . » ( A c t e d ' a c c u s a t i o n . ) V r a i m e n t , en face de s e m b l a bles motifs d'accusation n'a-t-on pas quelque droit de se d e m a n d e r si c e ne sont pas les élus que l'on poursuivait dans la p e r s o n n e de leurs é l e c t e u r s ? L e s e x t r a i t s de l'Avenir, du Commercial et du Courrier de la Martinique, que nous avons cités en c o m m e n ç a n t , r é p o n d e n t à c e t t e question. Quant à M. Kaifort, honorable c o m m e r ç a n t de la P o i n t e - à - P î t r e , sa p r é s e n c e à Marie-Galante avait suffi pour le r e n d r e c o m -


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plice de la prétendue insurrection. Suivant, le procureur général, « c'est lui et ses deux acolytes (style Rabou) qui « faisaient croire aux habitants de Marie-Galante que la mer « n'ayant pas de maîtres, la terre ne devait pas en avoir da« vantage, » Malgré cette accusation de communisme, qui manque rarement son effet aux colonies comme dans la métropole, ces prévenus, nous le répétons, ont été reconnus innocents. Nous ne discuterons pas la prétendue doctrine du partage des terres, dont on voulait les faire disciples ; il n'en a pas été question une seule fois dans le procès. Nous avons prouvé autre part que ces bruits, aussi absurdes que coupables, ont été répandus par ceux-là seuls qui s'en font aujourd'hui une arme contre nous ( 1 ) . Nous avons dit ce que nous voulions sur le véritable caractère des événements et du procès de Marie-Galante, c'est à l'opinion publique à juger en dernier ressort. Les faits appartiennent à l'histoire. Nous ferons seulement une dernière réflexion : Les soixante-neuf accusés avaient tous des antécédents irréprochables, le fait a été proclamé par M L i gnières, avocat blanc. «Quels étaient donc ces hommes ? dit« i l ; vous les connaissez , vous les avez tous sur ces bancs. « A l'exception d'Hyppolite, qui a subi en police correction« nelle une légère condamnation, et d'un autre aussi con« damné en simple police, ils n'ont rien à se reprocher dans « leur passé. Plusieurs d'entre eux ont obtenu dans cette « enceinte d'honorables attestations.» Vingt-huit des accusés ont été absous, quarante et un condamnés. Nous ne pouvons nous prononcer sur ce verdict; le respect que l'on doit à la chose jugée nous ferme la bouche. En présence de l'arrêt qui partage entre les quarante et un condamnés trente-sept années de prison, centcinq années de réclusion, soixante années de galères, outre une peine de travaux forcés à perpétuité, un seul devoir nous reste à remplir, c'est celui de dire comment furent composées les assises qui ont rendu un jugement aussi rigoureux. e

(1) Voir la Vérité aux cultivateurs et ouvriers de la Martinique, pages 18/| et suivantes.


CHAPITRE

VI.

Composition des COURS D'assises coloniales. — R e m e m a n i e m e n t s effectués dans le personnel de la Cour et des assesseurs, à l'occasiou du procès

de

Marie-Galante.

Dans tons les pays du m o n d e la liberté dont jouissent les citoyens p e u t se m e s u r e r à la p r o t e c t i o n q u e l'organisation m ê m e d e la j u s t i c e leur a s s u r e . L'inamovibilité d e la m a g i s t r a t u r e ne s'explique que p a r la pensée qu'elle doit d o n n e r a u x i n t e r p r è t e s d e la loi u n e i n d é p e n d a n c e absolue, et c h e z les nations v r a i m e n t libres c e t t e p r o t e c t i o n n e suffit p a s e n c o r e ; le j u r y , c ' e s t - à - d i r e le p e u p l e , dans les affaires criminelles ou les p r o c è s d e p r e s s e , p r o n o n c e en s o u v e r a i n . Ce principe p o s é , rappelons en p e u d e mots c o m m e n t sont formées les Cours d'assises coloniales. Si le c a r a c t è r e d e s juges e s t s a c r é , il n'en e s t pas d e m ê m e d e l'institution, e t nous avons le droit d e p r o u v e r q u e sans inamovibilité e t sans j u r y les Cours coloniales sont m o r a l e m e n t frappées d e suspicion. L ' o r d o n n a n c e organique d e 1 8 2 8 , c o n c e r n a n t l'organisation judiciaire dans les colonies, forme les c o u r s d'assises de trois conseillers e t d e q u a t r e assesseurs. Ces d e r n i e r s étaient autrefois tirés a u s o r t s u r u n e liste d r e s s é e p a r les g o u v e r n e u r s e t définitivement a r r ê t é e p a r le roi. Chaque liste c o m p r e n a i t t r e n t e habitants notables, âgés d e t r e n t e ans, e t fournissait au s e r v i c e d e s assises p e n d a n t trois a n s . C e t t e institution d e l'assessorat a é t é d e tous t e m p s j u g é e mauvaise. E n 1 8 4 5 , en r e n v e r s a n t la proportion n u m é r i que d e s assesseurs et des conseillers, on t e n t a d e r e m é d i e r


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a u x s c a n d a l e u x a c q u i t t e m e n t s qui étaient toujours p r o n o n c é s dans les affaires de s é v i c e s , mais les r é s u l t a t s furent à peu p r è s les m ê m e s . Les choses a r r i v è r e n t à c e point q u e M. Montebello, ministre de la m a r i n e en 1 8 4 7 , put dire à la C h a m b r e des P a i r s , s é a n c e du 4 août : « Il ne faut pas « oublier que depuis 1 8 4 5 le g o u v e r n e m e n t a pu suivre la « m a g i s t r a t u r e c o n s t i t u é e a v e c l'assessorat et s'assurer « quelle était loin de répondre aux besoins de la justice... Qu'est« c e que l'institution des a s s e s s e u r s ? C'est un simulacre d e « j u r y . Ce j u r y i n c o m p l e t , imparfait, d é n a t u r é , p o u r r a i t ê t r e « a t t a q u é , e t c . . » De son c ô t é , mon h o n o r a b l e ami, M. P a u l Gasparin, r a p p o r t e u r d e la loi de 1 8 4 7 , qui enlevait a u x Cours d'assises la connaissance des c r i m e s c o m m i s p a r les m a î t r e s e n v e r s leurs e s c l a v e s , disait « qu'il n'avait pas « besoin d e r a p p e l e r les faits déplorables qui a v a i e n t si « m a l h e u r e u s e m e n t d é ç u l'espoir qu'on avait eu d'obtenir « une justice impartiale. » Ce sont c e p e n d a n t des Cours d'assises ainsi c o n s t i t u é e s qui j u g e n t e n c o r e aujourd'hui a u x Antilles e t qui p r o n o n c e n t des condamnations à dix ans de réclusion c o n t r e des hommes c o m m e M. Alonzo! C'est c e j u r y imparfait, incomplet, dénaturé, qui a plus de p r é r o g a t i v e s q u e n o t r e j u r y m é t r o p o l i t a i n ; c a r les a s s e s s e u r s , au lieu de se p r o n o n c e r s e u l e m e n t c o m m e les j u r é s sur le fait i n c r i m i n é , délibèrent a v e c la Cour sur la position des questions, sur les questions posées et sur l'application de la peine. ( A r t . 77 d e l'ordonnance d e ! 8 2 8 . ) A p r è s la révolution de f é v r i e r , les d é c r e t s d'émancipation, en attendant, une organisation c o m p l è t e , ont s i m p l e m e n t d é c l a r é aptes à faire p a r t i e du collège des assesseurs tous les é l e c t e u r s , c ' e s t - à - d i r e que les conditions d'âge et de c e n s sont a c t u e l l e m e n t abolies ; mais c o m m e la formation des listes est laissée à l ' a r b i t r a i r e du g o u v e r n e m e n t l o c a l , les m a g i s t r a t s amovibles se t r o u v e n t dominés p a r une s o r t e de commission a d m i n i s t r a t i v e . R é c e m m e n t e n c o r e , M. Salmón, r a p p o r t e u r de la loi sur la p r e s s e coloniale, qui vient d ' ê t r e a d o p t é e par l'Assemblée législative, en p r o p o s a n t de faire j u g e r p a r un t r i bunal s p é c i a l , formé e x c l u s i v e m e n t de m a g i s t r a t s , les d é -


— 56 — lits de p r e s s e , s'exprimait en ces t e r m e s à l'égard des m a g i s t r a t s et des assesseurs : « Dans le j u g e m e n t des délits de p r e s s e , la m a g i s t r a t u r e coloniale nous p e r m e t d'espérer; l'ass e s s o r a t nous laisse le doute.» On en c o n v i e n d r a , il s e r a i t difficile de c o n d a m n e r d'une m a n i è r e plus d u r e la j u s t i c e a u x colonies, et j a m a i s nous n'eussions osé formuler une p a r e i l l e opinion sur l'impartialité des j u g e s d ' o u t r e - m e r en m a t i è r e politique. N é a n m o i n s , qui le c r o i r a i t ? une Cour d'assises c o m p o s é e d e semblables é l é m e n t s ne r a s s u r a i t pas e n c o r e les a r t i s a n s d e tous les troubles à la G u a d e l o u p e ; ils t r a v a i l l è r e n t au r e m a n i e m e n t du p e r s o n n e l a p p e l é à les j u g e r . L e s i n v e n t e u r s du c o m p l o t se t r o u v a i e n t p l a c é s dans l ' a l t e r n a t i v e d ' ê t r e r e c o n n u s p o u r d'infâmes c a l o m n i a t e u r s , ou d'obtenir des c o n d a m n a t i o n s . Nous l'avons d i t , le p r e m i e r a c t e d e la c h a m b r e des mises en a c c u s a t i o n , p r é s i d é e p a r M. le conseiller C l e r e t ( c o l o n ) , fut, p a r a r r ê t du 2 9 j u i n , sur le r é q u i s i t o i r e d e M M . Baffer e t M i t t a i n e , d'évoquer t o u t e s les affaires « nées et à naître relatives aux élections. » Nées et à naître ! L e s élections sont a c c o m p l i e s ; mais d ' a u t r e s c r i m e s p e u v e n t se révéler!! S u r c e s e n t r e f a i t e s , le p r é s i d e n t d e la Cour d'appel, M . H a r d o u i n , a v a i t p r o c é d é au r o u l e m e n t s e m e s t r i e l des s e r v i c e s de la C o u r . Voici c o m m e n t ils furent d i s t r i b u é s p a r c e m a g i s t r a t , animé des s e n t i m e n t s de j u s t i c e et d ' i m p a r t i a l i t é que r é c l a m a i e n t d'aussi g r a v e s c i r c o n s t a n c e s . L a p r é s i d e n c e d e la c h a m b r e d'accusation fut confiée à M . F o i g n e t , à la p l a c e d e M . C l é r e t , qui, a y a n t rempli c e t t e fonction p e n d a n t les d e u x s e m e s t r e s p r é c é d e n t s , ne p o u vait l é g a l e m e n t y ê t r e a p p e l é d e n o u v e a u . A la p r é s i d e n c e des assises du t r o i s i è m e t r i m e s t r e , P o i n t e - à - P î t r e e t B a s s e - T e r r e , le p r é s i d e n t de la C o u r , d'une i n d é p e n d a n c e et d'une loyauté depuis longtemps a p p r é c i é e s , se d é s i g n a , s'adjoignant MM. L e r o y , m é t r o p o l i tain; B e a u s i r e , c r é o l e . L a p r é s i d e n c e du q u a t r i è m e t r i m e s t r e fut a t t r i b u é e à M . L e r o y , dont la vieille e x p é r i e n c e et la h a u t e i n t é g r i t é p r é s e n t a i e n t des g a r a n t i e s à tous. MM. les conseillers R i o t


— 57 — et T u r k , é g a l e m e n t métropolitains, lui furent adjoints. C'est à ces assises q u e , suivant toutes les probabilités, devaient ê t r e p o r t é e s les affaires nées et à naître des élections. Tels étaient dès lors les j u g e s n a t u r e l s des a c c u s é s de Marie-Galante. Mais u n e substitution c o m p l è t e de p e r sonnes ne devait pas t a r d e r à les c h a n g e r . A la d a t e du 5 juillet, un a r r ê t d e la nouvelle c h a m b r e d'accusation e l l e - m ê m e r e n d à M. C l é r e t la p r é s i d e n c e de c e l t e c h a m b r e , m a l g r é l'ordonnance du p r é s i d e n t d e la Cour qui avait dû p o u r v o i r au r e m p l a c e m e n t de M M . F o i g n e t et D a r c h i s , conseillers i n s t r u c t e u r s des affaires é v o quées. L ' a c t e est insolite; il viole la loi e t la raison. Il est a n a r c h i q u e , c a r il p o r t e a t t e i n t e à l'autorité du p r é s i d e n t ; mais q u ' i m p o r t e a u x amis de l ' o r d r e ? Ils aimaient m i e u x M. C l é r e t , h o m m e du p a y s , partisan a v é r é de l'ordre. L e ministre d e la m a r i n e s'empressa de son c ô t é de leur venir en a i d e , en les débarrassant du p r é s i d e n t l u i - m ê m e . A la d a t e du 2 5 a o û t , un d é c r e t de M. le P r é s i d e n t de la R é p u b l i q u e , r e n d u sur des r a p p o r t s de l'administration de la G u a d e l o u p e , qui r e m o n t e n t à l'époque p r é c i s e où surgit la pensée politique d e l'évocation des affaires é l e c t o r a l e s , p r i v e d e ses fonctions l'honorable M. H a r d o u i n . Toutefois, c e t t e m e s u r e ne put a r r i v e r assez tôt pour e m p ê c h e r c e m a g i s t r a t d e p r é s i d e r les assises d'août, où furent p r o n o n c é s cinq a c q u i t t e m e n t s é l e c t o r a u x , p r é s a g e inquiétant p o u r la politique a v e u g l e qui dirigeait alors les destinées d e la m a l h e u r e u s e G u a d e loupe. L e m ê m e d é c r e t r e m e t à la t è t e d e la Cour M. B e a u s i r e , c r é o l e qui avait légitimement p e r d u c e t t e position à la révolution d e F é v r i e r , tout en r e s t a n t simple conseiller, g r â c e à la g é n é r o s i t é des d é m a g o g u e s , alors dépositaires du pouvoir. P a r une c o ï n c i d e n c e s u r p r e n a n t e , peu de j o u r s a p r è s les cinq j u g e m e n t s dont nous venons de p a r l e r , et a u x q u e l s M. L e r o y avait pris p a r t , le 14 s e p t e m b r e , un a r r ê t é du g o u v e r n e u r g é n é r a l , M. B r u a t , vint c o m p l é t e r c e t t e substitution de j u g e s . M. L e r o y , désigné c o m m e p r é s i d e n t d'assises, est e n v o y é à la Martinique en r e m p l a c e m e n t de M . G a r n i c r , appelé à la G u a d e l o u p e ! M. M i t t a i n e , r é v o q u é d e F é -


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v r i e r et r é i n t é g r é p a r M. le g o u v e r n e u r F a v r e au poste de p r e m i e r substitut intérimaire du p r o c u r e u r g é n é r a l , s'était rendu de sa personne à F o r t - d e - F r a n c e pour a r r a c h e r à l'ignorance et à la faiblesse de M. B r u a t cet. a r r ê t de p e r m u t a t i o n , qui p o r t a i t la plus profonde a t t e i n t e à l'indép e n d a n c e de la m a g i s t r a t u r e . E n l e v e r un j u g e à son siége dans un but d é t e r m i n é , c'est une é n o r m i t é qui n'a g u è r e d'exemple m ê m e dans les a n nales de la j u s t i c e coloniale, si féconde en c e g e n r e . Dès que M. P e r r i n o n et moi en fûmes instruits, nous r e m î m e s à M. Odilon B a r r o t , ministre de la j u s t i c e , la note suivante, qu'il i m p o r t e de r e p r o d u i r e ici p a r c e qu'elle a p p a r t i e n t r é e l l e m e n t au p r o c è s : « Monsieur le m i n i s t r e , « L a d e r n i è r e lutte é l e c t o r a l e à la G u a d e l o u p e , qui a m e n a la nomination a une i m m e n s e majorité de MM. P e r rinon et S c h œ l c h e r c o m m e r e p r é s e n t a n t s du peuple, a é t é précédée et suivie de collisions t r è s - f â c h e u s e s . Des c a u s e s , des origines diverses ont é t é assignées à c e s déplorables s c è nes. L e devoir de r e c h e r c h e r la v é r i t é sur c e point était imposé au pouvoir j u d i c i a i r e ; mais p e r s o n n e n'ignore quels redoutables écueils c r é e n t à l'administration de la j u s t i c e , dans les colonies, les passions violentes et les intérêts si div e r s des r a c e s qui c o m p o s e n t la population. La mission des m a g i s t r a t s était donc plus délicate qu'à a u c u n e a u t r e époq u e , et c o m p o r t a i t des conditions e x c e p t i o n n e l l e s d'indép e n d a n c e , d'énergie et d'impartialité. Quelles m e s u r e s ont é t é prises pour a s s u r e r à l'instrument j u d i c i a i r e la parfaite sincérité de ses opérations, la r i g o u r e u s e vérité de ses r é sultats? « L'organisation de la j u s t i c e coloniale ne c o n s a c r e pas au profit des m e m b r e s des Cours de j u s t i c e l'inamovibilité, c e t t e garantie fondamentale de la liberté de c o n s c i e n c e du j u g e , des droits du justiciable, des i n t é r ê t s de la s o c i é t é ; la p r o t e c t i o n de la loi se r é d u i t à la prescription d'un r o u l e m e n t . T o u s les six mois, les s e r v i c e s j u d i c a i r e s , la c o m p o sition des Chambres civiles et d'accusation, celle des Cours d'assises sont r é g l é s par le président de la Cour d'appel.


— 59 — « Ce roulement établi, suivant l'usage, à la fin du mois de juin dernier, pour recevoir son application à partir du 1 juillet, était en cours d'exécution, lorsque la Cour d'appel de la Guadeloupe a été saisie par voie d'évocation de l'instruction des troubles qui ont éclaté à P o r t - L o u i s , Sainte-Rose, la Gabarre, Marie-Galante. Selon les règles les plus vulgaires de justice et de loyauté, cette évocation ne pouvait modifier le personnel des magistrats qui devaient statuer sur le sort des accusés, soit comme Chambre d'accusation, soit comme Cour d'assises. « Mais les partis s'accommodent mal d'une justice sincère. Déjà la composition de la Chambre d'accusation a été a l térée, son personnel a eté mutilé sans égard pour le roulement et l'autorité présidentielle de laquelle il émanait. Vous êtes saisi, M. le ministre, du conflit qu'a fait naître cet abus de pouvoir; nous ne voulons pas nous appesantir sur sa gravité, ni rechercher quels en ont été les incitateurs, ou quelles secrètes et honteuses espérances on fonde sur lui. « La vérité n'avait plus pour garantie de sa manifestation que le débat contradictoire. Voici par quels actes on s'est efforcé de détruire cette suprême sauvegarde. « M. Leroy, magistrat dans les colonies depuis vingtdeux ans, revêtu fréquemment des fonctions de président d'assises, qui a la profonde expérience des hommes et des choses de ce pays, dont, nul parti ne peut revendiquer la sympathie, parce qu'il sait que le juge ne doit appartenir à aucun; M. Leroy, disons-nous, était désigné par le roulement de juillet pour présider les assises de la Pointe-àPître qui commencent au mois d'octobre, et pour participer comme juge ou président à la session de la Basse-Terre qui s'ouvre au mois de novembre. Or, à l'incitation de M. Baffer, procureur général par intérim à la Guadeloupe, M. l'amiral Bruat, gouverneur des Antilles, a pris, au commencement de septembre, l'arrêté suivant : er

« Nous, gouverneur, etc. Vu nos pouvoirs extraordinaires « mentionnés dans la dépêche du 13 mars 1 8 4 9 , SUR LA « DEMANDE DU GOUVERNEUR PARTICULIER « AVONS A R R Ê T É

DE LA G U A D E L O U P E ,

: M. Leroy, conseiller à Cour d'appel de la


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Guadeloupe est e n v o y é conseiller à la Cour d'appel de la « Martinique; M. G a r n i e r , conseiller à la Martinique, passe « à la Guadeloupe. » « Cet a r r ê t é a r e ç u son e x é c u t i o n i m m é d i a t e . M. Garnier a é t é , en q u a r a n t e - h u i t h e u r e s , e x p é d i é de la Martinique et installé i m m é d i a t e m e n t a p r è s son a r r i v é e à la Guadeloupe, p a r la C h a m b r e d'accusation qui siége seule p e n dant les v a c a n c e s . Ainsi, par simple arrêté du pouvoir local, plus de d e u x c e n t s p r é v e n u s se voient a r r a c h e r à leur juge naturel! « Cet a c t e , que l'on n'a pu a r r a c h e r à M M . les g o u v e r neurs qu'en t r o m p a n t leur bonne foi, est illégal et o d i e u x ; à l'un c o m m e à l'autre t i t r e , il doit ê t r e brisé sans pitié; — l'hésitation serait p r e s q u e une complicité. « L e s lois et ordonnances constitutives des droits et des attributions des g o u v e r n e u r s de nos colonies ne leur ont jamais conféré un pouvoir aussi e x o r b i t a n t sur l'ordre j u diciaire. Les o r d o n n a n c e s de 1 8 2 7 ne contiennent a u c u n e disposition qui puisse justifier une pareille usurpation. « Ce d é p l a c e m e n t constitue, à p r o p r e m e n t p a r l e r , d e u x nominations d e conseillers. T o u t e nomination de m a g i s t r a t s doit ê t r e faite p a r le président de la République, sous le c o n t r e - s e i n g du ministre de la j u s t i c e . H o r s de l à , il n'y a que i r r é g u l a r i t é , i n c o m p é t e n c e ; — nous ne craignons pas d'affirmer que toutes les décisions civiles ou criminelles auxquelles auront p a r t i c i p é MM. L e r o y et G a r n i e r , dans les nouveaux siéges qu'ils o c c u p e n t , seront e n t a c h é e s d'une nullité r a d i c a l e e t exposées à la cassation. « Nous ne pouvons a p p r é c i e r l'étendue des pouvoirs e x t r a o r d i n a i r e s conférés a u x g o u v e r n e u r s p a r d é p ê c h e du 13 mars 1 8 4 9 ; mais leur esprit doit ê t r e incompatible a v e c de pareilles m e s u r e s . D'ailleurs le droit de r é v o c a t i o n et de nomination d'un conseiller à la Cour d'appel n'est pas susceptible de délégation ; il ne peut ê t r e e x e r c é que p a r le ministre, et sous sa responsabilité d i r e c t e . «Il y a quelques mois, un g o u v e r n e u r , M. lecolonel F i é r o n , obligeait le p r o c u r e u r général à s'embarquer pour la F r a n c e . La commission établie au m i n i s t è r e de la marine pour c o n t r ô l e r les actes des fonctionnaires des colonies, qualifia


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cette conduite d'illégale et d'arbitraire. Quelles expressions emploira-t-elle pour caractériser l'arrêt que nous portons, M. le ministre de la justice, à votre connaissance? Si encore l'illégalité de la mesure pouvait se protéger d'un sentiment honnête, d'une raison plausible et avouable; mais, en v é rité, peut-on sonder sans effroi la portée morale et politique d'un pareil acte? « Nous ne voulons rien dire qui soulève prématurément des questions brûlantes; nous ne voulons pas, quant à présent, faire pénétrer la lumière à travers les sourdes intrigues dans lesquelles la justice se trouve compromise; mais enfin, pour tout esprit sérieux et dégagé de préventions, pour toute conscience honnête, nous le demandons avec une loyale modération, les conséquences immédiates ou prochaines de l'arrêté surpris à la loyauté de M . l'amiral Bruat ne sont-elles pas celles-ci : « Impuissance de M . Garnier, due aux circonstances qui accompagnent sa nomination, — si impartial, si ferme que puisse être ce magistrat; « Danger d'une condamnation aveugle et draconienne contre des innocents; « Absence complète d'autorité pour l'arrêt qui frapperait des coupables ; « Déconsidération et discrédit de la magistrature rendue stérile; « Découragement des gens de cœur, exposés à être jetés en victimes expiatoires à tel ou tel parti suivant les oscillations de la politique ; « Débordement de toutes les passions mauvaises sur nos établissements coloniaux. « Nous n'exagérons rien, M . le ministre; l'abolition de l'esclavage a changé toutes les conditions économiques des Antilles. Au milieu de ces désespoirs causés par une domination perdue , de ces enivrements, conséquence d'une existence nouvelle et inespérée, de ces haines enfantées par le souvenir des rapports qui ont existé entre les anciens esclaves et les anciens maîtres, l'ordre judiciaire était peut-être le seul assez fort pour, à l'aide d'une sincère impartialité, éviter une conflagration g é n é r a l e ; — et on a eu la


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coupable imprudence de le déshonorer en lui donnant les apparences, sinon la réalité d'une commission extraordinaire! Est-il possible qu'un fait qui, en France, exciterait une indignation universelle, soit toléré là où la justice a de plus grands devoirs à remplir et de plus grandes difficultés à vaincre ? « Ces considérations sont d'un ordre bien supérieur aux que relles de la politque, et doivent lui rester étrangères, car tous les citoyens ont un égal intérêt au respect et à la dignité de la magistrature. « Aussi, M. le ministre nous rendra la justice que cette note ne contient aucune idée, aucune expression ardente. En maintenant cette question sur son véritable terrain, c e lui de l'honnêteté publique, nous nous sommes crus c e r tains d'être entendus de la loyauté de M . Odilon Barrot. « Nous vous demandons, M . le ministre : 1° de provoquer, de concert avec votre collègue de la marine, la r é u nion de la commission permanente chargée de la surveillance de l'administration des colonies; 2 ° son avis obtenu, de rapporter purement et simplement l'arrêté arraché à M . l'amiral Bruat, et de réintégrer M M . Leroy et Garnier dans leurs siéges originaires. « Ces mesures de réparation doivent être adoptées avec la plus grande promptitude, car la session d'assises s'ouvrira, à la Basse-Terre, dans le cours de novembre, » Signé : SCHOELCHER. — PERRINON. Paris, le 9 octobre 1849.

La honteuse machination que dévoile notre lettre ne saurait être révoquée en doute, puisque le ministre de la justice, M. Odilon Barrot, après nous avoir lus, rapporta immédiatement l'arrêté de M. Bruat et replaça, aux applaudissements de tous les hommes jaloux de l'honneur de la magistrature , l'honorable M. Leroy sur son siége de président des assises. — Etrange effet de l'empire qu'exercent les meneurs de la réaction coloniale auprès de M. Romain-Desfossés, il vienl de destituer l'incorrnplibleM. Leroy et de donner de l'avancement à M. Baf-


— 63 — fer, qui dans cette expédition avait agi de concert avec son substitut M. Mittaine! Malgré cet éclat, l'intrigue ourdie par les rétrogrades finit par réussir. Que l'on juge de leur puissance; on trouva moyen d'empêcher M. Leroy de présider les assises où fut porté le procès de Marie-Galante! L'arrêt de la Chambre d'accusation du 1 février avait renvoyé le jugement de ces affaires devant les assises de la Pointe-à-Pître, de laquelle elles ressortissaient. M . F i é ron, rendu à l'amour des habitants, convoqua, sur la proposition du procureur général, M. Rabou, des assises e x traordinaires à la B a s s e - T e r r e . On feignit de croire que la Pointe à-Pître pouvait être troublée, agitée par des manifestations favorables aux accusés. En admettant même que la chose fût aussi vraie qu'elle est fausse, évidemment la compression qui pesait sur l'île entière eût facilement et bientôt réduit toute mauvaise tentative. Ce changement n'avait, au fond, d'autre but que d'arracher les prévenus à leurs juges naturels. Cependant, c'était bien une lutte de castes qui allait se dérouler aux assises. C'est pour cela que M. Hardouin avait désigné trois métropolitains; c'est, pour cela que plus Lard, et pour des motifs contraires, on avait relégué M . Leroy à la Martinique; c'est pour cela que le ministre de la justice l'avait tout de suite rétabli dans son poste. Mais les amis de l'ordre n'ont-ils pas droit de fouler tout aux pieds? M. Beausire avait été un des conseillers de M. Favre dans le fameux rapport sur les élections de j u i n ; il avait ainsi une double raison pour se récuser. Point du tout; l'un de ses premiers soins, comme président de la Cour d'appel, fut de maintenir M. Cléret à la présidence de la chambre d'accusation, et de se désigner personnellement pour les assises extraordinaires de la Basse-Terre. Mais ce n'était pas encore assez pour la politique coloniale d'avoir, en vue des besoins de la cause, brisé la composition de la chambre d'accusation ; d'avoir, contrairement à la pensée du ministère, enlevé la direction des assises à un métropolitain, et de l'avoir livrée à un colon. Les assesseurs aussi donnaient beaucoup d'inquiétude; disons pourquoi. E R


— 64 — Un a r r ê t é du 27 juin 1 8 4 8 , pris à la Guadeloupe p a r M. le commissaire général de la République pour la formation des liste des assesseurs, c o n f o r m é m e n t a u x prescriptions nouvelles du d é c r e t du 2 mai 1 8 4 8 , avait désigné des citoyens choisis dans les diverses classes de la société pour faire p a r tie du collége. C e t t e liste, c o n c e r t é e a v e c M. B a y l e - M o u i l l a r d , le p r o c u r e u r général d'alors, pour le s e r v i c e des c o u r s d'assises, offrait, depuis d i x - h u i t mois qu'elle fonctionnait, toutes les garanties d'impartialité possible a v e c l'institution b â t a r d e de l'assessorat. A c e t i t r e , elle ne pouvait convenir a u x hommes qui voulaient une condamnation à t o u t p r i x . Aussi la modifièrent-ils dans leur sens, e t , au grand étonnem e n t de la c o n s c i e n c e publique, la Gazette officielle de la Guadeloupe publia, le 5 n o v e m b r e 1 8 4 9 , un d é c r e t é v i d e m m e n t surpris à la religion du ministre et de M. le P r é s i d e n t de la République. Ce d é c r e t conservait définitivement p r e s q u e tous les assesseurs blancs, é c a r t a i t les noirs a v e c les m u l â t r e s indépendants, e t rendait a u x blancs la p r é p o n d é r a n c e n u m é que qui, sous l'esclavage, avait donné lieu à t a n t de j u s t e s r é c l a m a t i o n s . La p r e m i è r e liste a r r ê t é e pour l ' a r r o n dissement de la B a s s e - T e r r e contenait quinze noms de blancs, e t quinze noms de m u l â t r e s ou de n o i r s ; la s e c o n d e ne c o m p t e plus que douze de c e s d e r n i e r s et d i x - h u i t blancs ! E n c o r e , p a r m i les douze citoyens de couleur qui y figurent, cinq sont-ils nouveaux e t connus p o u r a p p a r t e n i r à l'opinion opposée à la majorité. A l'égard de l'arrondissement de la P o i n t e - à - P î t r e , les choses se sont passées de m ê m e ; la p r e m i è r e liste formait le collége de vingt blancs, et dix m u l â t r e s ou noirs. — N o u v e l l e p r e u v e de l'esprit de substitution qui animait les fonctionnaires de la République r o u g e . — Aujourd hui, q u a t r e de c e u x - c i seulement sont appelés à en faire p a r t i e , et c e sont, c o m m e à la B a s s e - T e r r e , des h o m mes a p p a r t e n a n t à la toute-puissante minorité ( I ) . L'histoire judiciaire n'offre pas d'exemple d'un r e m a n i e ment semblable, o p é r é en d e u x mois dans tout le p e r s o n nel appelé à j u g e r un p r o c è s criminel. Il est assez significatif; les hommes i m p a r t i a u x a p p r é c i e r o n t . ( t ) On trouvera aux annexes, lettre B , le tableau cle ces honnêtes remaniements.


CHAPITRE VII. Condamnations.

D e v o n s - n o u s d i r e m a i n t e n a n t q u e sur les 67 a c c u s e s r e n v o y é s d e v a n t les assises e x t r a o r d i n a i r e s de la B a s s e - T e r r e , 5 ont é t é c o n d a m n é s a u x t r a v a u x f o r c é s , 16 à la réclusion, 2 0 à la prison, e t q u e 2 6 s e u l e m e n t ont é t é absous ( 1 ) . . . . L'accusation s'était b o r n é e à d e m a n d e r 3 3 c o n d a m n a t i o n s capitales! V i n g t - e t - u n d e s c o n d a m n é s se p o u r v u r e n t en cassation dès le lendemain, 19 avril 1 8 5 0 . L e ministère t r o u v a bon de ne t r a n s m e t t r e l e u r pourvoi au greffe de la Cour q u e l e 31 o c t o b r e . Il a fallu au p a r q u e t de la Guadeloupe e t a u x b u r e a u x de la m a r i n e sis mois p o u r e x p é d i e r un d o s s i e r ! C'est toujours six mois de plus d e prison p o u r c e u x dont l ' a r r ê t sera c a s s é e t qui p o u r r o n t ê t r e a c q u i t t é s p a r d e nouv e a u x j u g e s . L e p a r q u e t d e la Guadeloupe et M . M e s t r o a u r o n t pensé q u e c ' é t a i t , c o m m e on dit v u l g a i r e m e n t , a u tant de pris sur l'ennemi. Enfin la Cour de c a s s a t i o n , a p r è s d e u x audiences et une longue délibération en c h a m b r e d u c o n s e i l , a r e n d u son a r r ê t le 14 d é c e m b r e . Cet a r r ê t casse celui de la B a s s e - T e r r e en c e qui c o n c e r n e les condamnés G e r m a i n , Zami Claudic, J e a n L a u r e n t , dit Gringrin, Guillaume S a i n t - C y r , L u c i e n , Louis R e m y , (1) Voir a u x a n n e x e s , l e t t r e C, les noms des c o n d a m n é s et le détail des peines p r o n o n c é e s . 5


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Arsonneau et Jean Pierre, et les renvoie devant les assises de Fort-de-France. L'arrêt est cassé pour avoir refusé de poser les questions d'excuse légale résultant de provocations par coups et violences envers les accusés, ou de leur retraite à p r e mière sommation des autorités, nonobstant les conclusions prises par leurs défenseurs pour que ces questions fussent posées. Le pourvoi est rejeté à l'égard des autres condamnés, auxquels ne pouvaient profiter les questions d'excuse l é gale. Le jugement qui frappe le principal accusé, M. Alonzo, devient ainsi définitif. En effet, acquitté sur seize chefs de complicité dans les divers faits incriminés, il avait été déclaré coupable seulement d'avoir provoqué à la rébellion par machination et artifices. C'est pour ce fait qu'il a été frappé de dix années de réclusion! M. Alonzo est un grand et noble caractère; il supportera sa peine avec stoïcisme. L'espoir, d'ailleurs, est au fond de son cœur aussi bien qu'au fond du nôtre. Les jugements humains sont faillibles, et les grandes r é parations consolent les grandes infortunes. L'histoire contemporaine est féconde en exemples de ce genre. Qu'était M. A. Marrast, président de l'Assemblée constituante? Un ancien condamné à la déportation! Combien d'hommes, qui sont aujourd'hui revêtus du plus beau titre qui soit dans une république, celui de représentant du peuple, ont été, à différentes époques, atteints par les rigueurs de la loi! Quand les passions seront, apaisées, c'est notre conviction profonde, l'opinion publique ne sera pas plus injuste, pour le condamné de 1 8 5 0 et plusieurs de ses compagnons, qu'elle ne l'a été pour tant d'autres tombés victimes des discordes civiles.


CHAPITRE VIII. Résultats

§

des autres procès relatifs élections de juin 1 8 4 9 .

er

1 .

aux

— LAMENTIN E T P O R T - L O U I S .

A p r è s le p r o c è s de Marie Galante, r e s t a i e n t à j u g e r c e u x de la G a b a r r e , du L a m e n t i n , de S a i n t e - R o s e et d e P o r t Louis. L e s n è g r e s e t les mulâtres d e la Guadeloupe p r o p r e m e n t dite, les plus m a r q u a n t s p a r leur influence, leur é d u c a t i o n , leur f o r t u n e , avaient é t é impliqués dans les poursuites g é n é r a l e s . On sait déjà que les é v é n e m e n t s p a s sés dans c e s diverses localités m a r q u e n t les étapes de l ' a g e n t électoral des r é t r o g r a d e s . Au mois d e juin 1 8 5 0 , a p r è s une année e n t i è r e de d é tention, les a c c u s é s c o m p a r u r e n t d e v a n t les assises de la B a s s e - T e r r e . L e s q u a t r e affaires ont é t é j u g é e s s é p a r é m e n t , à la confusion des i n v e n t e u r s du g r a n d complot m u l â t r e , qui avaient voulu les r e l i e r e n t r e elles et les r a t t a c h e r a u x troubles de M a r i e - G a l a n t e . Dans celle du L a m e n t i n , les d e u x seuls a c c u s é s , MM. G r é goire et P i e r r e E d w i g , ont é t é c o n d a m n é s , le p r e m i e r à six mois de prison, p o u r délit é l e c t o r a l ; le s e c o n d à un a n , p o u r rébellion. Dans celle d e P o r t - L o u i s , il y avait six a c c u s é s . Q u a t r e , MM. Casse, A t h a n a s e , D e l e r i e e t S a i n t - F a l , ont é t é a c q u i t -


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lés, a p r è s avoir m o n t r é a u x débats une r a r e f e r m e t é . — L à , au milieu de l ' é m e u t e soulevée par les discours « du grand a g i t a t e u r de la p a i x , » les g e n d a r m e s p r o v o q u é s a v a i e n t t i r é , un h o m m e était tombé blessé, et un c h a m p de c a n n e s , a p r è s la d é c h a r g e , avait é t é brûlé. Christophe B a y o et P a t i e n c e , poursuivis c o m m e a u t e u r s ou complices d e c e t i n c e n d i e , ont é t é c o n d a m n é s à dix ans de t r a v a u x f o r c é s .

§2.

SAINTE-ROSE.

P o u r S a i n t e - R o s e , il y avait huit a c c u s é s , cinq hommes : S o l t e r , dit O c t a v e , M a r t i a l , F é l i x Crosilhac, N u m a , Alcindor-, e t trois femmes : A n a s t a s i e , dite N o u n e , Silvie e t E u génie, dite Génie. L'affaire é t a i t , au fond, semblable a u x a u t r e s : a r r i v é e du c o n c i l i a t e u r , é m e u t e , collision a v e c son e s c o r t e m i l i t a i r e ; les g r o u p e s , p r o v o q u é s , j e t t e n t des p i e r r e s ; les g e n d a r m e s font feu. Mais les détails étaient b e a u c o u p plus s é r i e u x . L e s honnêtes gens p r é t e n d a i e n t qu'une t e n t a t i v e d'assassinat avait é t é dirigée c o n t r e leur p a t r o n :« Nous en avons la p r e u v e , a v a i t dit le Commercial « d u 2 3 juin 1 8 4 9 ; nous en avons la p r e u v e , un infâme « c o m p l o t e x i s t e : on veut la tête du sauveur des colonies. Déjà «plusieurs tentatives d'assassinat ont é t é p r é m é d i t é e s a v a n t « l'attentat de S a i n t e - R o s e , e t c . » L e s assises é t a i e n t présidées p a r M. R i o t , e t c o m p o s é e s d e MM. R i s t e l h u b e r et T u r k , j u g e s ; B o g e a r s , R o u s s e l , A m é d é e L e t a n g et V. Achille, a s s e s s e u r s ; les d e u x d e r niers m u l â t r e s , amis de l ' o r d r e . Les audiences ont d u r é du 11 au 18 juin. L e s a c c u s é s Croisilhac, N u m a , Alcindor, Sylv i e , Noune et E u g é n i e , d é c l a r é s c o u p a b l e s , le p r e m i e r « d'avoir p r o v o q u é à la r é s i s t a n c e à la force publique, par « ses discours dans une réunion de plus de dix p e r s o n n e s ; » les a u t r e s de r é s i s t a n c e , a v e c c i r c o n s t a n c e s a t t é n u a n t e s , o n t été c o n d a m n é s , M. Croisilhac à q u a t r e a n s , M. N u m a à trois ans, les q u a t r e d e r n i e r s à d e u x ans de prison. Quant à MM. Solter et M a r t i a l , que le ministère public p r é s e n t a i t c o m m e les a u t e u r s de la t e n t a t i v e d'assassinat, ils ont été acquittés ! Sur quinze témoins, neuf étaient f a v o r a b l e s à M. M a r t i a l , et cinq variaient dans les c i r c o n -


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stances principales; un seul affirmait le fait. Relativement à M. Solter, il a été établi que l'arme avec laquelle il a u rait, au dire de l'accusation, perpétré le crime, était hors de service depuis deux ou trois ans. Malgré le trou de balle que porte la capote de la voiture dont l'assassiné du Commercial se servait dans ce que M. Foignet, conseiller instructeur, appelle sa visite aux communes, il résulte, de la déposition du gendarme Pierrot Jean-Baptiste, qu'un seul coup de pistolet a été t i r é , mais par lui m ê m e , et sur M. Martial, d'après l'ordre que lui en avait donné l'apôtre de la paix! Voici cette déposition, faite à l'audience du 13 juin, et extraite du compte-rendu de la Liberté: « M. le président interpelle le témoin pour savoir s'il reconnaît Martial pour celui qui a mis en joue M. Bissette. « Pierrot (Jean-Baptiste), gendarme à Sainte-Rose : J e le reconnais parfaitement, mais j e ne crois pas qu'il ait tiré. J e n'ai pas entendu d'autre détonation que celle de mon coup de pistolet. » Un autre témoin à charge, le sieur Blondet, déclare à à l'endroit de ce trou de deux reprises qu'il est très-scrupuleux balle, qu'on ne s'en est aperçu qu'après que les gendarmes eurent tiré à droite et à gauche. Quoi qu'il en soit, M. Martial fut arrêté, et, suivant le témoin Philibert Destin, attaché derrière la voiture de M. Bissette. Des pierres, lancées par les cultivateurs, blessèrent trois gendarmes dont deux grièvement; la troupe tira, et quinze ou vingt malheureux qui l'entouraient furent atteints. Le lieutenant de gendarmerie Commin, qui dépose de ces faits, évalue à cent ou cent vingt le nombre des cartouches brûlées. On n'a remarqué un trou de balle dans la capote de la voiture qu'après que les gendarmes eurent tiré à droite et à gauche; l'instruction a duré un an, elle a été dirigée par un partisan du sauveur, rien n'a été négligé pour arriver à la découverte de la vérité. L'accusation d'assassinat, dont on a fait tant de bruit, se trouve donc ainsi complétement détruite et doit être rangée au nombre des mille mensonges des honnêtes gens. Après c e l a , si l'on pouvait clouter, malgré les condamnations prononcées contre les six autres


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a c c u s é s de S a i n t e - R o s e , que les d é s o r d r e s auxquels ils ont pris p a r t ont é t é réellement provoqués, il suffirait de dire que les propriétaires de Sainte-Rose sont venus p r e s que tous les r é c l a m e r , en quelque s o r t e , à l'audience. Quelle meilleure p r e u v e de la bonté de leurs a n t é c é d e n t s ? Chose r e m a r q u a b l e , Sainte-Rose, où les troubles ont é t é les plus g r a v e s , est p e u t - ê t r e de l'île entière la c o m m u n e la plus calme et la plus h e u r e u s e . Les anciens maîtres y ont m o n t r é a u t a n t de sagesse que les n o u v e a u x c i t o y e n s , la fusion politique y est si bien faite, que le m a i r e , du temps de l'esclavage, a é t é c o n s e r v é jusqu'à c e j o u r , p a r le suffrage universel. A h ! si tous les colons voulaient! §

3.

LA GABARRE.

L e r é s u l t a t du p r o c è s de la G a b a r r e est e n c o r e plus significatif que les a u t r e s . L à , se t r o u v a i e n t réunis les meneurs, les chefs de la g r a n d e c o n j u r a t i o n , trois des hommes les plus considérables et les plus estimés de la classe de c o u l e u r , MM. Adrien G u e r c y , J o u a n n e t et Penny a v e c M. J e a n Charles. On r e m u e ciel et t e r r e pour obtenir une c o n d a m n a t i o n , les j o u r n a u x de la c o t e r i e des incorrigibles lancent des articles d'une violence à e x a s p é r e r les plus pacifiques ; on dit que les amis des a c c u s é s veulent les d é l i v r e r p a r tous les moyens possibles; on r é p è t e que les incendies de la P o i n t e - à - P i t r e sont i n d i r e c t e m e n t leur œ u v r e , et n'ont d'autre but que d'intimider les j u g e s ; on a r r ê t e c o m m e incendiaire le neveu de M . Adrien G u e r c y ; on m e t l'arrondissement de la P o i n t e , foyer du complot d'intimidation, en é t a t de s i é g e ; on fait venir d e u x fois à la Guadeloupe le g o u v e r n e u r g é n é r a l a v e c du monde et du canon pour effrayer la population sur le d a n g e r que c o u r a i t le p a y s ; le p r o c u r e u r g é n é r a l , enfin, p o r t e lui-même la parole. Malgré son réquisitoire que le Courrier de la Martinique, et il s'y connaît, qualifie d'habile; malg r é tous ces moyens, les q u a t r e grands meneurs sont honorablement a c q u i t t é s , après des débats où l'on a d m i r e leur bonne t e n u e , leur dignité ; où l'on s'étonne de la futilité des motifs de l'accusation. On est h e u r e u x de t r o u v e r à y louer


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la déposition c o n s c i e n c i e u s e , c o u r a g e u s e , de M. Champy, l'ancien maire de la P o i n t e - à - P i t r e , r e n d a n t h o m m a g e à la haute moralité des p r é v e n u s , d é c l a r a n t , au risque de p a s s e r pour un colon renégat, pour un socialiste, qu'il les r e g a r d e c o m m e des hommes sans r e p r o c h e , et qu'il les avait toujours vus à ses c ô t é s c h a q u e fois que la ville avait eu besoin du c o n c o u r s de patriotes d é v o u é s ! On leur avait donné pour juges des a d v e r s a i r e s politiques en r e m a n i a n t le collége des assesseurs. S'ils ont é t é absous, combien ne faut-il pas que leur innocence ait é t é d é m o n t r é e , et c o m m e n t n'a-t-elle pas é c l a t é tout d'abord a u x y e u x du j u g e i n s t r u c t e u r ! Dans les pays civilisés, quand les c h a r g e s ne p a r a i s s e n t pas suffisantes c o n t r e un a c c u s é , une o r d o n n a n c e de n o n lieu le r e n d à la liberté. A u x colonies, c'est tout le cont r a i r e , dès qu'il s'agit de n è g r e s ou de m u l â t r e s influents; moins on t r o u v e de p r e u v e s , et plus on multiplie les e n q u ê t e s , les i n t e r r o g a t o i r e s , les r e c h e r c h e s . Un h o m m e à peau noire ou j a u n e , a c c u s é de menées politiques, peut il ne pas ê t r e c o u p a b l e , e t faut-il moins d'un an de détention p r é v e n t i v e pour le d é m o n t r e r ? Du r e s t e , c'est e n c o r e là un des moyens de punir quiconque fait o m b r a g e à la faction dominante. La victime s o r t i n n o c e n t e , r é h a b i l i t é e , mais r u i n é e ; c e l a s e r t d'exemple a u x a u t r e s . E n r é s u m é , dans les cinq p r o c è s faits a u x élections d e juin 1 8 4 9 , on a puni des c r i m e s , des délits a v é r é s a u x y e u x des j u g e s , mais tout individuels; on n'a pas t r o u v é la moindre t r a c e , l'ombre d'un c o m p l o t . De c e g r a n d p r o j e t de d e s t r u c t i o n ou d'expulsion de la classe blanche t r a m é par les mulâtres p r e n a n t les nègres pour a g e n t s ; de c e t t e triste fantasmagorie que la c o t e r i e des incorrigibles, a v e c ses j o u r n a u x des Antilles et de P a r i s , a si c r u e l l e m e n t e x ploitée depuis un an , il ne r e s t e rien , rien. Il d e m e u r e incontestable que le capitaine de vaisseau F a v r e , g o u v e r n e u r provisoire de la Guadeloupe, et le d i r e c t e u r de l'intérieur B l a n c , e u x qui d é n o n c è r e n t honnêt e m e n t l'élection de d e u x abolitionnistes « c o m m e souillée dans le sang, » ont t r o m p é la m é t r o p o l e en affirmant l'exist e n c e d'une c o n j u r a t i o n , AVANT MÊME TOUTE INFORMATION,


-

72

dans le r a p p o r t officiel qni a servi de base à l'action j u diciaire. §

4.

HAUTE MORALITÉ DES ACCUSÉS DE LA GABARRE.

Maintenant, pour faire r e s s o r t i r m i e u x e n c o r e a u x y e u x de tous la moralité d e c e t inqualifiable p r o c è s d e la G a b a r r e , il faut dire quels sont ces h o m m e s q u e le p r o c u r e u r g é n é r a l appelle des meneurs dangereux, des excitateurs coupables, quels sont ces hommes q u e l'on a c h a r g é s devant la F r a n c e des c r i m e s les plus o d i e u x ; non pas m ê m e d'assassinat et d'incendie, mais, c e qui est plus lâche e n c o r e , d'excitation à l'assassinat et à l'incendie, en se t e n a n t c a c h é s d e r r i è r e les instruments de leurs forfaits : J e a n Charles est un m o d e s t e et laborieux o u v r i e r sans aucun mauvais a n t é c é d e n t . « M . Antoine J o u a n n e t , a dit M P o r y - P a p y dans sa d é « fense tour à tour pleine d'éloquence et d'esprit, M. A n « toine J o u a n n e t , si peu fait p o u r s'asseoir sur les bancs du « c r i m e , serait-il aussi un p e r t u r b a t e u r , lui qui, a p r è s a v o i r « passé p a r tous les g r a d e s , fut nommé p a r M . J u b e l i n , « d'après sa bonne conduite, ses mœurs et sa loyauté, capitaine des « pompiers, e t r e ç u t , en 1 8 4 3 , d e son colonel, la d a t e est « p r é c i s e et digne de r e m a r q u e , nous étions en pleins « préjugés de c a s t e , une l e t t r e , témoignage non s u s p e c t « de p a r t i a l i t é , qui le r e c o n n a î t un des plus dignes enfants « du p a y s . e

« Ce n'est pas tout que d'avoir servi a v e c distinction dans « la milice pendant v i n g t - s e p t a n s , M. J o u a n n e t a eu aussi « l'honneur, p e n d a n t dix a n s , d e faire p a r t i e du collége « des assesseurs où il siége depuis 1 8 4 0 . En 1 8 4 8 , il parvint « au conseil municipal et fut n o m m é conseiller p r i v é . E s t « il possible qu'un pareil homme soit un meneur, un excita» leur, presque un conspirateur? La chose e s t au moins invrai« semblable et p o u r r a i t paraître incroyable à toute a u t r e « époque. « F a u t - i l vous p a r l e r d e c e franc m a r i n , du capitaine « Penny que la B a s s e - T e r r e avait a d o p t é ? Il n'avait pas a t « tendu la République pour f r a t e r n i s e r : la b a r r i è r e des


— 73

« préjugés d e r a c e n'existait pas p o u r lui et la p r é f é r e n c e « lui était acquise pour toutes les commissions m a r i t i m e s , « tous les t r a n s p o r t s , tous les p a s s a g e r s d e la localité. « C'est l'homme obligeant p a r e x c e l l e n c e ; c'était l'ami d e « tous, e t il a fallu le vent d e s t r u c t e u r d e la politique p o u r « tarir les s o u r c e s de t a n t d e bienveillance r é c i p r o q u e et d e « prospérités. » Quels noms donner a u x c a l o m n i a t e u r s d e tels h o m m e s , e t combien n'est pas r e g r e t t a b l e l ' e r r e u r des m a g i s t r a t s qui ont fortifié la calomnie en les d é t e n a n t p e n d a n t u n e a n n é e e n t i è r e d'instruction ! Quant à M. Adrien G u e r c y , r i c h e p r o p r i é t a i r e et c o m m e r ç a n t , p è r e d e d e u x filles é l e v é e s à grands frais en E u r o p e , voici ses t i t r e s qui, produits à l'audience p a r son habile défenseur, M P e r ç i n , n'ont pu ê t r e c o n t e s t é s . Comme incendiaire : E n 1 8 3 3 , c o n c o u r s à l'extinction d e l'incendie de la m a i son v e u v e M a r q u e t . E n 1 8 3 1 , idem, d e la boulangerie G r i n c h a u d . E n 1 8 3 5 , idem, d e la maison v e u v e P e t i t . E n 1 8 4 0 , idem, de la maison d e mademoiselle R e i n e t t e . E n 1 8 4 1 , idem, d e la p h a r m a c i e Napius. E n 1 8 4 7 , idem, d e la maison Al. R a m s e y . E n 1 8 4 9 , idem, d e la maison J o s e p h Mathias. E n 1 8 4 9 , idem, d e la maison A r r i b a u d . C o m m e ennemi des blancs : E n 1 8 4 9 , s e c o u r s à l'incendie d e la maison d e M . B a r d o u , négociant-colon , c h e z qui il e s c a l a d e u n e f e n ê t r e p o u r a r r a c h e r a u x flammes m a d a m e B a r d o u et ses enfants. C o m m e assassin : E n 1 8 3 1 , il sauve mademoiselle A d è l e , aujourd'hui m a dame C a s t e r a , dans u n e p a r t i e de r i v i è r e . E n 1 8 3 3 , il sauve mademoiselle J o s é p h i n e , enfant d e douze ans, qui se noyait. E n 1 8 4 4 , il s a u v e la fille d e M. Grenadin, t o m b é e dans un puits. Comme a n a r c h i s t e : E n 1 8 4 3 , c o n c o u r s p r ê t é à l'administration de la mairie provisoire à l'époque du t r e m b l e m e n t d e t e r r e . e


— 74

-

E n 1 8 4 8 , concours prêté à la police sur la p r i è r e d e s négociants de la ville, c o n t r e les provocations dont q u e l ques familles blanches étaient l'objet. En 1 8 4 8 , arrestation d'un homme qui venait de frapper M. Béraud d'un coup de c o u t e a u . Comme ennemi de la famille : En 1 8 3 1 , il a d o p t e trois orphelins. E n 1 8 4 7 , il a d o p t e les huit enfants d e sa s œ u r , tous e n c o r e à sa c h a r g e . Est-il un honnête homme en F r a n c e qui, en lisant une vie aussi magnifiquement belle, ne soit indigné de voir c e h é ros d'humanité poursuivi criminellement p a r M. Rabou sur la dénonciation de l'agent électoral de c e r t a i n s c o l o n s , qui t e r m i n e ainsi sa l e t t r e d'accusation, é c r i t e le 2 0 juin 1 8 4 9 , à M. le p r o c u r e u r d e la République : « C'est c o m m e simple «citoyen que j ' a d r e s s e c e t t e plainte, persuadé que le p a r « quet n'y r e s t e r a pas indifférent et que je n'aurai p a s , « comme représentant, à l'adresser plus haut. » §

5. —

CONCLUSION.

En r é s u m é , un pays parfaitement tranquille j u s q u e - l à , troublé jusque dans ses entrailles, c e n t nègres tués à Mar i e - G a l a n t e , un p r o c è s immense dont les frais ne s'élèveront pas à moins de 1 5 0 , 0 0 0 francs, plus de d e u x cents p r é v e n u s détenus pendant neuf mois et un an , leurs familles désolées, ruinées, cinq d'entre e u x m o r t s en prison, soixante c o n d a m n é s à la prison ou à des peines infamantes, l'état de siége a v e c ses violences légales, q u a t r e c o n damnations à m o r t dont une e x é c u t é e , la misère g é n é r a l e , des émigrations nombreuses et multipliées de la classe de c o u l e u r , voilà c e que c o û t e r a à la F r a n c e e t à la Guadeloupe la mission de paix et d'amour donnée par M . T r a c y à un homme dont l'influence acquise dans le passé a é t é e x ploitée p a r ses anciens e n n e m i s , d e v e n u s ses p a t r o n s . L e p r o c è s fait a u x élections d e 1 8 4 9 à la Guadeloupe a compromis la classe des mulâtres aux y e u x de l'Europe en s e r v a n t d e base et de p r é l e x t e a u x calomnies les plus i n fâmes ; mais il faudra bien que tôt ou t a r d la v é r i t é se fasse


— 75 — j o u r ; t o u t e s l e s p r é v e n t i o n s d e la m a j o r i t é d e tomberont;

elle r e c o n n a î t r a qu'elle

est

l'Assemblée

abusée,

trompée

p a r c e u x - l à m ê m e s qui ont mission d e l'éclairer. E n définitive,

l ' h i s t o i r e q u e n o u s v e n o n s d ' é c r i r e la m a i n

s u r la c o n s c i e n c e , c o n t i e n t d e s e n s e i g n e m e n t s vent ê t r e perdus. Bien

des

qui ne p e u -

m a u x sont i r r é p a r a b l e s , sans

d o u t e , la m o r t n e r e n d r a p a s c e u x q u ' e l l e

a frappés dans

l a p r i s o n , ni c e u x q u i o n t p é r i d a n s la m ê l é e ; m a i s u n e r é paration

d i g n e d ' u n e g r a n d e a s s e m b l é e r e s t i t u e r a un j o u r

à de braves, ble

à d'honnêtes,

caractère

Février, toutes

à d e bons c i t o y e n s leur v é r i t a -

si c r u e l l e m e n t

en a p p e l a n t les

les c o u l e u r s

et

diffamé.

La révolution

n o i r s à la l i b e r t é , en

toutes

les c l a s s e s

de

confondant

dans une

égalité, a rendu à c e u x qu'elle a solennellement

même

émancipés

la d i g n i t é d ' h o m m e ; l ' A s s e m b l é e n a t i o n a l e , en p r o c l a m a n t la s a g e s s e la F r a n c e pation,

e t la m o d é r a t i o n d e républicaine,

les v e n g e r a des

vera aux yeux acte races.

de

ces nouveaux citoyens

les d é c l a r e r a d i g n e s plus

odieuses

de

de

l'émanci-

c a l o m n i e s , les

élè-

d u m o n d e e n t i e r ; elle c o m p l é t e r a le g r a n d

l'abolition

de

l'esclavage et de

la

fraternité des



ANNEXES.

Lettre

Discussion

d'un

A (voir page 3 4 ) .

article

du Journal des Débats.

Qu'on lise la p o l é m i q u e suivante e n t r e le National et les Débats, on v e r r a d e quel c ô t é est la s a g e s s e a u x Antilles ; on v e r r a qui, d e s a m i s d e s b l a n c s ou de c e u x des m u l â t r e s , tient un l a n g a g e p r o p r e à e n f l a m m e r les passions et à s o u l e v e r les m é f i a n c e s de la classe émancipée. Voici d'abord c e que disait le National

du 18 juillet 1 8 5 0 :

« A p r o p o s de la discussion r e l a t i v e à la mise en é t a t de siége d e la colonie de la Guadeloupe, le Journal des Débats a i n s é r é les lignes suivantes : « « « « « «

« L'état de siége ne peut ê t r e qu'un é t a t provisoire, et puisque l'Assemblée m o n t r e aujourd'hui des velléités si a r d e n t e s de g o u v e r n e m e n t , nous attendons un ensemble de mesures qui, tout en s a u v e g a r d a n t au fond la c a u s e de la liberté, c r é e aux Antilles la situation intermédiaire dans laquelle les esclaves de la veille a p p r e n d r o n t à d e venir, p a r le travail, par l'industrie, p a r l'instruction, ce qu'ils ne sont pas encore, les citoyens du lendemain. »

«Nous n e p o u v o n s laisser p a s s e r c e s p h r a s e s i m p r u d e n t e s sans les r e l e v e r . Ce n'est p a s quand nos d é p a r t e m e n t s d ' o u t r e - m e r sont d a n s u n e position c r i t i q u e , p r é c i s é m e n t p a r c e que la défiance e n t r e les d i v e r s e s classes de la s o c i é t é coloniale est e n t r e t e n u e p a r de s e m blables e x c i t a t i o n s , qu'un o r g a n e aussi s é r i e u x que le Journal des Débats peut se faire s a n s d a n g e r le p r o p a g a t e u r de pareilles d o c t r i n e s . On é v o q u e sans c e s s e les s o u v e n i r s de S a i n t - D o m i n g u e ;


— 78 — oublie-t-on que les sanglantes c a t a s t r o p h e s de c e magnifique é t a blissement n'ont été que la c o n s é q u e n c e des m ê m e s passions que l'on p r o t é g e et du s y s t è m e politique que l'on semble vouloir a d o p ter pour nos colonies ? Ce ne saurait ê t r e en inspirant des c r a i n t e s a u x affranchis s u r leur liberté, que l'on peut e s p é r e r rétablir la t r a n quillité. Quelle est d o n c la situation intermédiaire dont on p a r l e ? C o m m e n t ! c'est au m o m e n t m ê m e où l'on p r o c l a m e , du haut de la t r i b u n e , faussement, p a r m a l h e u r , mais a u x applaudissements des feuilles m o d é r é e s , qu'il n'y a plus de classes aux Antilles, qu'on n'y t r o u v e plus que des c i t o y e n s , que le r é d a c t e u r des Débats « a t t e n d un e n s e m b l e de m e s u r e s p r o p r e s à faire des e s c l a v e s de la veille des c i t o y e n s du lendemain ! » Est-il possible de pousser l'aveuglem e n t plus loin? « C e n'est d o n c pas assez d'avoir p l a c é la Guadeloupe sous le r é g i m e de la d i c t a t u r e militaire et de l i v r e r ainsi en s u s p e c t s les h o m m e s de couleur aux r a n c u n e s des a g e n t s d e l'oligarchie c o loniale, il faut e n c o r e o r g a n i s e r la d é p e n d a n c e du c u l t i v a t e u r de la c a n n e . Où s ' a r r ê t e r a - t - o n dans c e t t e v o i e ? Qu'on y s o n g e ! sur une population de c e n t vingt mille h a b i t a n t s , la Guadeloupe c o m p tait, a v a n t l'abolition, quatre-vingt-dix mille e s c l a v e s . A v e c quelles f o r c e s c o m p r i m e r a i t - o n les r é s i s t a n c e s des n o u v e a u x c i t o y e n s , j u s t e m e n t j a l o u x de leurs d r o i t s ? L e s Anglais ont é t é obligés d'ab r é g e r le t e m p s de l'apprentissage qui devait p r é c é d e r la libération g é n é r a l e dans leurs c o l o n i e s ; p a r quels m o y e n s réussirait-on à rétablir dans les n ô t r e s une situation intermédiaire succédant à la l i b e r t é ? « A u nom de quoi, d'ailleurs, la F r a n c e républicaine i m p o s e r a i t elle le s e r v a g e a u x t r a v a i l l e u r s c o l o n i a u x , a p r è s a v o i r d é c r é t é le droit c o m m u n ? Du j o u r où une œ u v r e de c e t t e n a t u r e s e r a i t t e n t é e , les colonies seraient à j a m a i s p e r d u e s , et, nous ne c r a i g n o n s pas de le d i r e , le pouvoir qui en p r e n d r a i t l'initiative e n c o u r r a i t la lourde responsabilité du sang v e r s é . « Nous n e voulons p a s c r o i r e que les v œ u x du Journal des Débats soient e x a u c é s . Mais si de n o u v e a u x m a l h e u r s d é s o laient nos colonies, c'est aux auteurs de pareilles théories qu'il faud r a i t s ' e n p r e n d r e . L e s p r é t e n d u s c o m p l o t s des h o m m e s de c o u l e u r disparaissent aujourd'hui d e v a n t c e t t e i n c r o y a b l e manifestation des s e n t i m e n t s qui a n i m e n t les a d v e r s a i r e s de l'affranchissement. E n effet, on a c c u s e sans p r e u v e s les noirs et les m u l â t r e s de r ê v e r l'extermination des b l a n c s , et, à P a r i s m ê m e , les o r g a n e s des a n ciens m a î t r e s c o n s p i r e n t h a u t e m e n t c o n t r e la liberté des é m a n c i p é s ! Nous n'ajouterons rien de p l u s ; nous p r e n o n s simplement a c t e de la d e m a n d e des Débats. »


79 —

Que répliquent les Débats?

(№ du 19 juillet.)

« Nous n e r é p o n d r o n s p a s a u x insinuations que le National c h e r c h e aujourd'hui à t i r e r de nos paroles ; nous n'avons p a s besoin d e dire que nous n e voulons ni o r g a n i s e r la d é p e n d a n c e du c u l t i v a t e u r de la c a n n e , ni c r é e r un n o u v e a u s e r v a g e a u x Antilles ; nous n'avons pas besoin de dire que nous ne s o m m e s p a s les a d v e r s a i r e s de l'affranchissement des n o i r s , nous a v o n s un long passé qui r é p o n d t r o p bien de nos s e n t i m e n t s à c e t é g a r d . « L o n g t e m p s a v a n t que le National e x i s t â t , nous r é c l a m i o n s l'ém a n c i p a t i o n des n o i r s , p a r c e que c'était la c a u s e de la l i b e r t é , p a r c e q u e les noirs é t a i e n t a l o r s des victimes et des o p p r i m é s . Aujourd'hui la situation est bien c h a n g é e ; ce sont les blancs qui

sont menacés

à leur tour d'être

des victimes,

et c'est pour qu'ils

soient p r o t é g é s que nous ne c e s s o n s de p r e s s e r et d ' a c t i v e r la s o l licitude t r o p e x p e c t a n t e du g o u v e r n e m e n t . C'est toujours la m ê m e c a u s e que nous défendons, celle du r e s p e c t qui est dû a u x droits de t o u s ; c a r nous ne voulons d e v i c t i m e s d ' a u c u n e c o u l e u r , et nous s o m m e s p e r s u a d é s que l'honneur de n o t r e p a y s est e n g a g é à e m p ê c h e r tous les h o l o c a u s t e s . P o u r n o u s , é m a n c i p a t i o n des noirs n'a j a m a i s voulu dire substitution d'une r a c e à une a u t r e , ainsi que

l'enseigne

la presse anarchique

des colonies,

c'est-à-dire ruine d e s

b l a n c s (et elle est p r e s q u e définitivement c o n s o m m é e ) , incendie de leurs maisons, comme cela se p r a t i q u e depuis quelque t e m p s ; n é c e s s i t é de l'exil, ainsi que b e a u c o u p de familles l'ont déjà a c c e p t é ; et enfin extermination des uns p a r les a u t r e s ; c a r tel s e r a i t le r é s u l t a t inévitable de pareils fléaux si l'on n'y m e t bon o r d r e , c o m m e il est du d e v o i r d e la F r a n c e de le faire. « Quant à la situation i n t e r m é d i a i r e dont nous a v o n s p a r l é et que

la déplorable précipitation du gouvernement provisoire ( 1 ) ne lui a pas permis d'établir entre les esclaves de la veille et les citoyens du lendemain,

nous p e n s o n s

qu'il est t e m p s d'y s o n g e r . A p r è s tous les

crimes et tous les désordres

dont la colonie de la Guadeloupe en

p a r t i c u l i e r a é t é le t h é â t r e depuis d e u x a n s , il est u r g e n t de c o m bler c e t t e l a c u n e . Cela n e veut pas dire qu'il faille r e v e n i r sur l ' é m a n c i p a t i o n , on le sait b i e n ; mais cela veut dire qu'il faut im-

poser quelque garantie

à l'exercice

de tous les droits politiques

dont

on a si follement r e v ê t u les affranchis du 3 m a i 1 8 4 8 . L e suffrage universel tel que l'entendait le g o u v e r n e m e n t p r o v i s o i r e a é t é

t r o u v é une c h o s e mauvaise

et dangereuse

en France,

au milieu

(1) La déplorable précipitation! La commission instituée p a r l e gouvernement provisoire a consacré deux mois d'un travail consécutif à faire les décrets. (Note de l'auteur.)


— 80 — d'une population qui jouit depuis longues a n n é e s de la liberté c i vile, que t r e n t e ans de g o u v e r n e m e n t libre auraient dû f o r m e r à l ' e x e r c i c e des droits ; et l'on c o n s e r v e r a i t toutes les p r é r o g a t i v e s de l'électeur et du citoyen à des multitudes p a r m i lesquelles on ne t r o u v e r a i t p e u t - ê t r e p a s un individu sur mille qui s a c h e seulement lire les n o m s des c a n d i d a t s i n s c r i t s sur le bulletin que les meneurs imposent à son ignorante crédulité! c e serait insensé. E n t r e l ' h o m m e libre, jouissant d e tous ses droits civils, c o m m e il est juste que soit le noir é m a n c i p é , et le citoyen a r m é de toutes les p r é r o g a t i v e s

de la puissance politique, il y a une situation intermédiaire

où il

eût é t é s a g e d ' a r r ê t e r pendant quelque t e m p s les n o u v e a u x affranc h i s , où les m a l h e u r s et les périls qui m e n a c e n t la F r a n c e d ' o u t r e -

m e r nous enseignent qu'il faut absolument

ramener

la

population

noire, si l'on v e u t qu'elle a p p r e n n e à e x e r c e r un j o u r a v e c q u e l que d i s c e r n e m e n t les pouvoirs politiques qu'on lui a conférés dans une heure d'aveuglement, et qui n e sont aujourd'hui dans ses m a i n s qu'une a r m e d a n g e r e u s e p o u r e l l e - m ê m e aussi bien que p o u r la r a c e b l a n c h e . Telle est la t â c h e qui p è s e aujourd'hui s u r le g o u v e r n e m e n t , et à laquelle nous le supplions de ne p a s faillir, dans l'intérêt des p r i n c i p e s s o c i a u x , dans l'intérêt de la liberté sérieuse, dans l'intérêt de toutes c e s familles qui semblent a u j o u r d'hui d é v o u é e s au s o r t le plus affreux, dans l'intérêt de l'honneur national qui doit s e r a p p e l e r t o u j o u r s les hontes de Saint-Doming u e et faire tous les sacrifices p o u r en c o n j u r e r le r e t o u r . » Le National

répliqua le 2 5 juillet 1 8 5 0 :

« L e r é d a c t e u r colonial des Débats c h e r c h e à r e v e n i r sur ses p a r o l e s , et p r é t e n d qu'en d e m a n d a n t une situation intermédiaire il n'a eu en vue que la politique. S o i t ! Bien qu'un ensemble de me-

sures embrassant

le travail,

l'industrie et l'instruction

ait pour nous

un tout autre c a r a c t è r e , nous a c c e p t o n s l'explication des Débats sur c e point, 'et nous a d m e t t o n s que les droits civils s e r a i e n t r e s p e c t é s . Mais, m ê m e en r a m e n a n t la question sur le t e r r a i n p u r e m e n t politique, nous en appelons à tous les gens de b o n n e foi : est-il p r u d e n t de s c i n d e r la population coloniale en deux p a r t i e s , e t de p e r p é t u e r l'antagonisme p a r la loi é l e c t o r a l e ? O r , p o u r r a - t - i l en ê t r e a u t r e m e n t , si les n o u v e a u x c i t o y e n s sont s y s t é m a t i q u e m e n t e x c l u s ? Dans des p a y s où c e qu'on n o m m e la population « eur o p é e n n e » — p a r esprit de fusion sans doute — ne f o r m e p a s le dixième de la totalité des h a b i t a n t s , f e r m e r l'urne du scrutin a u x noirs et a u x m u l â t r e s , e s t - c e d o n c a u t r e c h o s e que l ' o p p r e s sion de la majorité p a r la m i n o r i t é , et le r é t a b l i s s e m e n t de la plus a b s u r d e s u p r é m a t i e , celle de la p e a u ? C e p e n d a n t , c'est en p r o p o -


-

81

-

s a n t de r e t i r e r a u x é m a n c i p é s le droit de se faire r e p r é s e n t e r et d e siéger à l'Assemblée n a t i o n a l e , dans les conseils g é n é r a u x et d a n s c e u x d e la c o m m u n e , que le Journal des Débats ose a c c u s e r

les noirs et les mulâtres de r ê v e r la substitution autre !

d'une race à une

E n v é r i t é , les explications des Débats ne sont p a s h e u r e u s e s ! elles n e nous s e m b l e n t p a s d e v o i r c o n t e n t e r p e r s o n n e , les colons de la Martinique moins que d ' a u t r e s . E n effet, il est difficile qu'ils c o n s e n t e n t à r e c o n n a î t r e que la multitude qui leur a d o n n é la m a -

jorité n'ait p a s su les noms des candidats inscrits sur le bulletin que, d'après les Débats, les m e n e u r s imposent à son ignorante crédulité. Nous ne p o u v o n s p e n s e r non plus q u e , dans leur opinion, la population noire ait absolument besoin « d ' a p p r e n d r e à e x e r c e r a v e c quelque d i s c e r n e m e n t les p o u v o i r s politiques qui n e sont a u j o u r d'hui e n t r e ses m a i n s qu'une a r m e d a n g e r e u s e p o u r e l l e - m ê m e et p o u r la r a c e b l a n c h e . » A p r è s a v o i r ainsi établi la n é c e s s i t é delaisser une c l a s s e e n t i è r e en suspicion, il n'est g u è r e possible de p r o c l a m e r l'extinction du p r é j u g e de c o u l e u r et les p r o g r è s de la conciliation. Aussi, a v a n t d'aller plus loin, e n g a g e r o n s - n o u s les Débats à s e m e t t r e d ' a c c o r d a v e c leurs c o r r e s p o n d a n t s , à c e sujet. Dans une telle situation, on c o m p r e n d , au r e s t e , que c e j o u r n a l , p o u r faire a c c e p t e r ses e x p l i c a t i o n s m a l e n c o n t r e u s e s , se soit vu obligé de r é é d i t e r toutes les d é c l a m a t i o n s des e n n e m i s de l'affranc h i s s e m e n t . A u t r e m e n t aurait-il r é p é t é les a b s u r d e s c a l o m n i e s d é bitées depuis d e u x a n s c o n t r e les n o u v e a u x , c i t o y e n s ? T o u t e fois, il faut en finir a v e c c e s infamies. Nous n'avons pas p r i s l'initiative de c e s r é c r i m i n a t i o n s , mais puisque le Journal des Débats, c o n t i n u a n t d'affreuses a c c u s a t i o n s , p r é t e n d que « les blancs s o n t m e n a c é s d ' ê t r e v i c t i m e s , » puisqu'il p a r l e « d'holocaustes, d ' e x t e r m i n a t i o n , » nous le m e t t o n s au défi, lui et ses a m i s , d e c i t e r le n o m d'un b l a n c assassiné p a r des n è g r e s , depuis l'abolition de l ' e s c l a v a g e ; nous c i t e r o n s , quand on v o u d r a , le n o m d'un n è g r e assassiné p a r des b l a n c s . Nous défions é g a l e m e n t les Débats et l e u r s a m i s de nier que dans les sinistres de la P o i n t e - à - P î t r e , a u x quels ils font allusion, les trois q u a r t s des p r o p r i é t é s incendiées a p p a r t i e n n e n t à la c l a s s e qu'ils a t t a q u e n t . Quant à l'émigration de quelques p l a n t e u r s , fuyant l'expropriation f o r c é e ou l'abolition d e l ' e s c l a v a g e , et allant dans les p a y s à e s c l a v e s c h e r c h e r un refuge c o n t r e Tune ou l ' a u t r e , nous opposons l'expatriation des familles d e c o u l e u r d e v a n t les p e r s é c u t i o n s de l'administration de la G u a d e l o u p e . L e s d e r n i e r s n u m é r o s de la Gazette officielle de c e t t e île c o n t i e n n e n t l ' a n n o n c e légale de leur d é p a r t .

6


— 82

-

Un m o t e n c o r e . Les Débats p a r l e n t d e s hontes d e Saint-Domingue, dont le g o u v e r n e m e n t doit c o n j u r e r le r e t o u r . Nous joignons n o t r e voix à la leur. O u i ! « dans l'intérêt d e l'honneur national, » il faut que la F r a n c e p r é v i e n n e des é v é n e m e n t s aussi é p o u v a n t a b l e s , c a r les m o y e n s qui furent e m p l o y é s dans c e t t e m a l h e u r e u s e colonie, p o u r rétablir les a n c i e n s p r o p r i é t a i r e s , sont si a t r o c e s , que c e u x qui faisaient c e t t e g u e r r e d ' e x t e r m i n a t i o n en d é p l o r a i e n t e u x - m ê m e s les e x c è s . Qu'on en j u g e p a r les lignes suivantes e x t r a i t e s du Mémoire

autographe gue ( 1 ) :

du général

Ramel

sur l'expédition

de

Saint-Domin-

« J'avais renvoyé au capitaine général sa g a r d e , ses aides-de-camp ; il n'y avait plus a u c u n risque à c o u r i r à la Tortue : quel fut mon étonnement de r e c e v o i r , le 15 g e r m i n a l , une l e t t r e du général R o c h a m beau, ainsi c o n ç u e : « J e vous envoie, mon c h e r c o m m a n d a n t , un d é t a c h e m e n t de c e n t cinquante hommes de la g a r d e nationale du Gap, c o m m a n d é p a r M. Bori. Il est suivi de vingt-huit chiens bouledogues. Ces renforts vous m e t t r o n t à m ê m e de t e r m i n e r e n t i è r e m e n t vos opérations. J e ne dois pas vous laisser ignorer qu'il ne vous sera passé en c o m p t e a u c u n e ration ni dépense pour la n o u r r i t u r e de c e s chiens : vous devez leur

donner à manger des nègres. « J e vous salue affectueusement. « Signé : Donatien ROCHAMBEAU. » Si, en t e r m i n a n t p a r le souvenir de Saint-Domingue, le Journal des Débats a voulu faire c r o i r e que les n è g r e s et les m u l â t r e s étaient seuls responsables d e v a n t l'humanité des faits qui ont e n sanglanté c e t t e époque de leur histoire, on voit que son but n'est pas atteint. Au lieu d'évoquer le p a s s é , p o u r s'en faire des a r m e s c o n t r e le p r é s e n t , que n e p r é p a r e - t - o n l'avenir ? Le peine,

Journal

des

Débats,

d'avoir soulevé

de

fort e m b a r r a s s é , on le c o n ç o i t s a n s pareilles

questions et réveillé de tels

souvenirs, a g a r d é le silence. Les m e n e u r s de la r é a c t i o n coloniale p a r l e n t s o u v e n t des d é s a s t r e s d e S a i n t - D o m i n g u e ; puisque nous a v o n s é t é a m e n é s s u r c e t e r r a i n , nous c r o y o n s d e v o i r leur r a p p e l e r c e que pense à c e sujet leur principal r e p r é s e n t a n t à l'Assemblée nationale. E n v o y a n t « l'apôtre de la p a i x , le Christ colonial » a p p r é c i e r de la s o r t e c e s douloureux é v é n e m e n t s , ils modifieront sans doute leurs opinions, (1) Ce mémoire nous a été confié par un ami de M. Ramel fils. (Note de fauteur.)


83 ou du moins voudront-ils en cacher l'expression pour ne pas le contrarier. « Des crimes affreux, sans doute, ont souillé la révolution qui a délivré le peuple d'Haïti du sceptre de la métropole et de la verge des colons; mais l'initiative de ces crimes passagers appartient tout entière aux hommes de la race blanche, à ces maîtres impitoyables, et dont la barbarie s'accroissait encore par l'affaiblissement de leur puissance. Les esclaves ne brisent leurs chaînes que pour en exterminer leurs maîtres; leurs mains violemment affranchies s'arment de la torche et du poignard, et au jour de sa délivrance la bête de somme devient tigre. « Après avoir reconquis les droits dont on l'avait dépouillé, il est naturel que l'homme cherche à s'en assurer la jouissance; et la défaite du spoliateur doit amener sa proscription. « Ce n'est pas de la rhétorique, ce ne sont pas de vaines déclamations : tout cela est conforme aux principes d'une saine logique, aux lois de la nécessité et aux vérités enseignées par l'histoire. Les rois qui tombent du faîte d'une vaste puissance ne conservent pas le rang de simples citoyens, et deviennent des parias dans le pays même où ils vécurent en souverains. Les races, les corporations sont quelquefois proscrites comme les dynasties ; les blancs exclus à Saint-Domingue, c'est Jacques II à Saint-Germain, c'est Charles X et sa famille à Prague, ce sont les Jésuites chassés des pays qu'ils voulaient enchaîner. » (Revue des Colonies de décembre 1835, p. 245.) Ce n'est pas ici la seule fois que le c o r y p h é e d e s amis de l'ordre ait p o r t é un j u g e m e n t semblable s u r la r é v o l u t i o n de S a i n t - D o m i n g u e . Dans une l e t t r e a d r e s s é e à M. I s a m b e r t , que celui-ci vient d e publier, il lui disait, en p a r l a n t d'un s é n a t e u r d'Haïti a c c u s é d ' a voir pris p a r t a u x m a s s a c r e s de S a i n t - D o m i n g u e :

« Je suis loin de le blâmer comme raison d'Etat, comme nécessité politique et comme loi de circonstance imposée par le salut public. L'histoire nous apprend que toutes les transformations sociales ne se sont jamais opérées sans que l'humanité ait eu à en souffrir. C'est en ce sens, bien entendu, que je ne blâme pas les rigueurs salutaires de SaintDomingue. L'humanité avait eu à souffrir de l'oppression qui pesait sur la race nègre ; il fallait cette oppression pour le maintien de l'esclavage, de l'esclavage avec toutes ses horreurs et de la domination des blancs à Saint-Domingue. Les incendies et les massacres furent donc, unn nécessité pour détruire, pour transformer l'ancien ordre de choses à Saint-Domingue, et M et ses amis purent être .sénateurs et président de la république. Il est plus qu'étrange que ceux qui jouissent aussi des avantages qu'ont procurés les incendies et les massacres en jettent l'odieux sur ceux qui ne les ont jamais conseillés, sur ceux.


84

qui, comme vous, sont attachés à un ordre d'idées erronées, suivant moi, mais charitables et humaines, puisqu'ils croient de bonne foi que les transformations sociales peuvent se faire sans guerre, sans martyrs, et sans que l'humanité en ait à souffrir. Ceux qui pensent comme moi ne sont pas plus partisans des guerres et des massacres que vous, mais ils sont à cheval sur l'histoire. » (Lettre de M. Isambert, contenant le rétablissement de faits importants, etc., et la réponse à des calomnies, page 44.) Ce sont pourtant les patronnés de l'homme monté sur ce cheval qui nous appellent chaque jour des buveurs de sang, tout en rugissant, parce qu'on diffère de deux mois l'exécution à mort d'un pauvre nègre !


L e t t r e B (voir page 6 4 ) .

Tableau

des remaniements

des collèges

des

assesseurs.

L a liste a r r ê t é e le 2 7 juin 1 8 4 8 désignait, p o u r l'ARRONDISSEMENT DE L A B A S S E - T E R R E ,

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

les

citoyens :

De couleur. Aimé Noël. Achille (Victor). Bloncourt-Melfort. Chéri (Narcisse). Dejean (Victor. Duflau Saint-Val. Florestal. Ste-LuceGermain (Victor). Etienne (Frédéric). Lagrenade. Monclaire (J.-B.). Miaulard. Portière père. Sénécal (Chéri). Viotty. ARRONDISSEMEMT

Blancs. Bouvier. Bogaërs. Courejolle. Cabre. Chabaud. Guercy. Henry. Isnardon. Lesueur. Lavergneau (E.). Miany. Navailles. Oraison. là Royer. 15 Saint-Pair. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13

DE LA

POINTE-A-PÎTRE.

De couleur. 1 2 3 a 5 6 7 8

Béraud père. Bloncourt(Octave) Citardy (W.). Gosset (Thomas). Guercy (Adrien). Jean Louis aîné. Jouannet (Ant). Mérentier.

Blancs. 1 2 3 4 5 6 7 8

Arnous. Bonnaffé (Camille). Brunet. Buffrenil. Chérot ( J . - J . ) . Cottin (Adolphe). Crane. Deville. 6*


— 86 De couleur. 9 Pantaléon. 10 Zoël (Agnès).

Blancs. 9 Dournaux (Duclos). 10 Favreau (Joseph). 11 Labarrière. 12 Leterrier d'Equainville. 13 Pallier. 14 Paul-Charles cadet. 15 Pommez jeune. 16 Pormat. 17 Richemont. 18 Salette (L.-A.). 19 Vernias. 20 Zennon (J.-B.).

Total pour la Basse-Terre, 15 hommes de couleur et 15 blancs. Pour la Pointe-à-Pître, 10 hommes de couleur et 20 blancs. Le décret du 2 9 septembre 1 8 4 9 a modifié le personnel des assesseurs dans la proportion suivante : ARRONDISSEMENT DE LA BASSE-TERRE. Blancs.

De couleur. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

Achille (Victor). Amé (Noël). Amédée Létang. (Nouveau.) Bloncourt-Melfort. Chéri-Narcisse. Florestal Ste-Luce. Francisque. (Nouveau.) Frédéric-Etienne. St-Géraud. (Nouveau.) Miolard père. Rougemont(F.). (Nouveau.) Tacou. (Nouveau).

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18

Block de Friberg. (Nouveau.) Bogaërs. Cabre. Clayssen aîné. (Nouveau.) Daine de la Richerie. (Nouv.) Henry. Isnardon. Lacour-Auril. (Nouveau.) Lavergneau. Lesueur. Marcellin. (Nouveau.) Miany. Michineau. Oraison. Roussel. (Nouveau.) Royer. Valeau. (Nouveau.) Vatable. Nouveau.)

ARRONDISSEMENT DE LA POINTE-A-PÎTRE. De couleur. 1 Blondet. (Nouveau.) 1 Cyr (Saint-). (Nouveau.)

Blancs. 1 Bardon (Edouard). (Nouv) 2 Berthelot. (Nouveau.)


-

87 —

De couleur. 3 Dugard-Ducharmoy. (Nouveau.) a Gabriel fils aîné. (Nouveau.)

3 a 5 6 7 8 9 10 11 12 12 la 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26

Total pour la Basse-Terre pour la Pointe-à-Pître. . . .

Blancs. Boissard. (Nouveau.) Bonnaffé (Camille). Brunet. Buffrenil. Chérot ( J . - J . ) . Corneille-Corne. (Nouveau). Cottin (Adolphe). Crane. Deville. Dournaux (Duclos). Dubois (Jean-Paucour). (Nouveau.) Favreau (Joseph). Kayser. (Nouveau.) Labarrière. Lestonat. (Nouveau.) Leterrier d'Equainville. Maugendre. (Nouveau.) Pallier, remplacé par Duteau, mulâtre. Pommez. Richemont. Salette. Vernias, remplacé par Pachot, mulâtre. Zennon. Fleury, remplacé par Achille, mulâtre. 12 hommes de couleur. 18 blancs. a hommes de couleur. 26 blancs (1).

(1) Lorsque cette liste fut publiée dans la colonie, le gouvernement local recula devant son œuvre. La preuve, c'est que, profitant des vacances laissées par MM. Fleury, Pallier, Vernias, blancs, absents de la Guadeloupe, il nomma, le 3 novembre 1849, pour les remplacer, trois mulâtres: MM. Duteau, Pachot et Achille. Par ce changement, le nombre des hommes de couleurs fut porté à 7 et celui des blancs réduit à 23.


L e t t r e C (voir page 6 5 ) .

Liste des condamnés,

avec les veines

prononcées.

ARRÊT DE LA COUR D'ASSISES DE LA BASSE-TERRE, DU 18 AVRIL 1850. Noms

des accusés.

Décisions

de la

Cour.

Bastien, 1 an de prison. Monlouis dit Loco, id. Germain (Jean-François dit Cétout), 1 an de prison et 100 fr. d'amende. (Délit électoral.) Jean-Pierre (domestique), 2 ans de prison. Noël Lafont, id. Antoine (habitation Port-Louis), id. Achille (habitation Gaigneron), id. Léon, id. id. Jean-Louis, Julie, id. Germain (habitation Lilet), id. Antoine (habitation Ballet), id. Grosper, id. Germain (habitation Taillefer), id. id. Joseph, id. Victor, 3 ans de prison. Bouaille (Pierre), id. Edouard (habitation Mouraille), id. Jean-Baptiste, id., id., 4 ans de prison. Médéric, 5 ans de prison. Messidor, 5 ans de réclusion. Germain Zami Glaudic, id. Jean-Laurent dit Gringrin, id. Faustin (Jean-Baptiste), id. Saint-Pierre (Jean-Baptiste), id. Claude, id. Nelson dit Louis Beaurenom, id. Hyppolite,


— Noms des accuses.

89

Décisions de la Cour.

Guillaume Saint-Cyr, 6 ans de réclusion. Ste-Rose-Louis-Rémy Arsonneau, id. Germain (habitation Hotessier), 8 ans de réclusion. Saint-Yves dit Cétout, 10 ans de réclusion. Michel Charleson, id. Saint-Aubin, id. Nègre, id. Alonzo, 10 ans de réclusion, condamnation solidaire aux frais, 2 ans de contrainte par corps. Jean-Baptiste (habitation Bonnet), 10 ans de travaux forcés. Monlouis, id. Bayo (Hippolyte), 20 ans de travaux forcés. Auguste dit Petit-Auguste, id. Lucien, travaux forcés à perpétuité. Guillaume Mérosier et Jean-Pierre Sainte-Luce, contumax. Jean-Louis-Rémy Arsonneau dit Sinsin, absent, et Gharlery, malade, non jugés. Saint-Pierre (habitation Bonnet), malade, non jugé. Disjonction ordonnée. Acquittés. — Kaifort — Maurice Sébastien. — Pierret. — Lazard. — Romain. — Lauzus. — Monnègre (Antoine). — Nelson. — Saint-Pierre (habitation Vidon). — Bonhomme (François). — Sans-Culotte (Hyppolite). — Florville (Virginie). — Achille (habitation Vidon). — PierreLouis. — Félicien. — Gerville. — Goulain. — François. — Jacques (habitation Bonnet). — Jacques (habitation Latreille). — Adelson.— Avril. — Jean Galette. — Jean-Pierre. — Vital. — Lubin.



TABLE ANALYTIQUE.

CHAPITRE

er

I

FAITS PRÉLIMINAIRES

5

CHAPITRE II. LA PRÉTENDUE CONSPIRATION DES MULATRES DE LA GUADELOUPE, 9 Accusations. 9. — Les accusations de complot ne sont pas neuves aux Antilles. 12. — L'autorité est la première à propager l'idée de l'existence d'un complot. 15. — Partialité en faveur de trois blancs a c cusés du meurtre d'un noir, 18. — Le ministère public abandonne le chef d'accusation de complot, 20.

CHAPITRE III. ORIGINE DES ÉVÉNEMENTS DE MARIE-GALANTE 22 Une arrestation arbitraire est la première cause des désordres. 22. — Violences de la répression. 29. — Quelques colons seuls coupables des craintes que les nègres peuvent avoir sur leur liberté. 33. — Les nègres persuadés qu'on leur avait déclaré la guerre. 35.

CHAPITRE IV. ATTITUDE DU PROCUREUR GÉNÉRAL AUX DÉBATS

40

CHAPITRE V. COMPLICITÉ MORALE. — LE CITOYEN ALONZO,

44


-

92

-

CHAPITRE VI. COMPOSITION DES COURS D'ASSISES COLONIALES. — REMANIEMENTS EFFECTUÉS DANS LE PERSONNEL DE LA COUR ET DES ASSESSEURS, A L'OCCASION DU PROCÈS DE MARIE-GALANTE 54 L'assessorat. 5 4 . — Roulement semestriel de la cour. 5 6 . — Remplacement du président de la Cour d'appel. 57. — M. le conseiller Leroy président des assises de la Pointe-à-Pître enlevé à son siége. 5 7 . — Note remise à ce sujet à M. le ministre de la justice par MM. Perrinon et Schœlcher. 5 8 . — Le ministre y fait droit. 6 2 . — Convocation d'assises extraordinaires à la Basse-Terre. 6 3 . — Modification du collége des assesseurs. — 6 4 .

CHAPITRE VII. CONDAMNATIONS

65

Détail des peines. 6 5 . — Pourvoi en cassation. 6 5 .

CHAPITRE VIII. RÉSULTATS DES AUTRES PROCÈS RELATIFS AUX ÉLECTIONS DE JUIN 1849 67 Lamentin et Port-Louis. 6 7 . — Sainte-Rose. 6 8 . — La Gabarre. 7 0 . — Haute moralité des accusés de la Gabarre. 7 2 . — Conclusion. 7 4 .

ANNEXES. A. (Voir bats. 7 7 . B. (Voir assesseurs. C. (Voir cées. 8 8 .

page 3 4 ) . Discussion d'un article du Journal

des Dé-

page 6 4 ) . Tableaux des remaniements du collége des 85. page 6 5 ) . Liste des condamnés avec les peines pronon-

FIN DE LA TABLE.

Paris, — De SOYE ET C , imprimeurs, rue de Seine, 36. E


PROTESTATIONS DES CITOYENS

FRANCAIS NEGRES

ET

MULATRES

CONTRE

DES A C C U S A T I O N S

CALOMNIEUSES

PAR V. SCHOELCHER REPRESENTANT

DU

PEUPLE

(GUADELOUPE)

PARIS DE

SOYE

E T

E

C

I M P R I M E R E S

RUE DE SEINE, 36, 1851

NUMÉRO D ' E N T R É E :

5659



Des accusations monstrueuses,s a n ScessE renouvelées par d'implacables ennemis et portées

jusqu'à la tribune de l'Assemblée

nationale ont été dirigées depuis peu avec une

nouvelle

violence contre les

citoyens

français nègres et mulâtres des Antilles. Quand ces attaques se sont produites à la tribune, je les ai hautement qualifiées d'odieuses calomnies; quand elles se sont r e produites dans un journal de Paris, MM. P e r rinon, J o u a n n e t et Gatine les ont dignement, stigmatisées; quand elles sont parvenues a u x Antilles, elles ont soulevé, au sein de la p o pulation de couleur, un cri universel d'in-


— 4 — dignation; à la Guadeloupe, comme à la Martinique, mulâtres et

nègres ont

sur-

monté leur dégoût pour flétrir énergiquement de pareilles infamies. J e mets avec une ferme

assurance ces

diverses protestations sous les yeux de l'Assemblée nationale et du public; je tiens à honneur de compléter

ainsi l'œuvre bien

commencée par mes amis en mon absence. Que les honnêtes gens de tous les partis lisent et jugent; les citoyens français, nègres et mulâtres seront vengés.

V. SCHOELCHER.


PROTESTATIONS DISS

CITOYENSFRANÇAIS,NÈGRESET MULATRES CONTRE

DES

ACCUSATIONS

CALOMNIEUSES.

L E T T R E DE MM. GATINE ET JOUANNET.

A la, le ministre de là marine et des colonies. « Paris, 26 mars 1850.

« M o n s i e u r le M i n i s t r e , « Dans

les

graves

circonstances

se

t r o u v e n t les c o l o n i e s , n o t a m m e n t l a G u a d e loupe,

nous croyons

devoir

appeler

votre

a t t e n t i o n s u r des p u b l i c a t i o n s qui se r a t t a c h e n t d'ailleurs

à des p r o c è s d o n t l'un d e

nous est c h a r g é devant la C o u r de c a s s a t i o n . « Ces publications décèlent chez leurs a u teurs

un e s p r i t d ' a n i m o s i t é

bien

malheu-

r e u x , et jamais peut-être l ' e m p o r t e m e n t des p a s s i o n s de q u e l q u e s h o m m e s n ' a v a i t é t é si loin. «La

loi

du 7 a o û t 1 8 5 0 , s u r les

de la p r e s s e a u x c o l o n i e s , c o n t i e n t d e s

délits dis-

p o s i t i o n s qui o n t p o u r objet d ' a m o r t i r les a n t i p a t h i e s d e c a s t e e t de p r é v e n i r la g u e r r e


6

civile, en

punissant

les excitations à

haine et au mépris entre les anciennes

la

classes

de la population coloniale. Ce ne sont pas du moins les mulâtres, auront

sitôt

tant

accusés, qui

justifié l'opportunité

de ces

dispositions r é p r e s s i v e s ( 1 ) . C'est contre eux que les excitations éclatent avec une déplor a b l e recrudescence. « Déjà, clans un compte-rendu de l'affaire Casterat et autres, jugée par le conseil de guerre de la Guadeloupe, les 13 et 14 juin dernier, on avait dressé pour ainsi dire l'acte d'accusation de l'ancienne classe de couleur tout entière. Les outrages et les imputations les plus odieuses avaient été prodigués aux hommes de cette ancienne classe. (Gazette des Tribunaux

du 2 4 juillet 1 8 5 0 . )

« Et de nouveau, à l'occasion d'un

autre

procès criminel qui vient de se dénouer par la condamnation aux travaux forcés à perpétuité d'un noir, nommé Hubert,

déclaré

coupable d'incendie, les mêmes attaques se sont reproduites avec plus de violence e n core. (Gazette des Tribunaux

du 2 1 septembre

1850.) «Hubert aurait été poussé au crime par (1) Sans prétendre blâmer mes amis, j ' a i besoin d e . déclarer que j e ne m'associe pas à leur éloge de la loi du 7 août 1850, ni aux passages de leur lettre qui demandent son application.


7

des

hommes

grande

un

influence

auxquels sur

les

a p p e l l e à la G u a d e l o u p e phonse

Augustin,

peine de

mort

moins

qui

ce

on s u p p o s e

une

n o i r s et q u e

l'on

des meneurs,

M.Al-

c o n d a m n é l u i - m ê m e à la

par

contumace.

résulterait

des

C'est

du

déclarations

d ' H u b e r t , d ' a p r è s le c o m p t e - r e n d u . E t surément qui,

les

déclarations

pour obtenir

nuantes,

des

rejette sur

d'un

lité d e s o n c r i m e , n e

coupable

circonstances

a u t r u i la

as-

atté-

responsabi-

sont pas une

preuve

j u d i c i a i r e bien d é c i s i v e . « Quoi qu'il en s o i t , c e t t e affaire a é t é p o u r l'auteur du

compte-rendu

a t t a q u e s générales

poussé fait

la c a l o m n i e

des

au dernier

peser

l i d a r i t é des

prétexte

que nous vous

« Aux colonies, l'antagonisme

le

des

signalons.

est a r d e n t e ,

anciennes

classes

est

degré d'exaspération

trop facilement suspicions

qui

s u r elles la peuvent

et so-

s'atta-

c h e r à d e s i n d i v i d u s . D a n s c e milieu s o c i a l , des publications

c o m m e c e l l e s d o n t il s ' a g i t

ne sont pas seulement

de t r i s t e s et

regret-

t a b l e s m e n s o n g e s ; c e s o n t de g r a n d s

périls

publics. « N o u s a v o n s lu a v e c s a t i s f a c t i o n , d a n s le c o m p t e - r e n d u du

p r o c è s H u b e r t , q u e M. le

c a p i t a i n e r a p p o r t e u r n'a p a s g é n é r a l i s é a c c u s a t i o n s c o n t r e un h o m m e d e

ses

l'ancienne

c l a s s e de c o u l e u r , a b s e n t d ' a i l l e u r s ,

et

qui,


dans

un

8 -

m o m e n t de

crise,

p r i v é de

ses

j u g e s n a t u r e l s , s ' e s t s o u s t r a i t p a r la fuite à l ' a c t i o n d e la j u s t i c e m i l i t a i r e . « C o m m e n t le c o m p t e - r e n d u n ' a - t - i l

pas

i m i t é , à son t o u r , c e t t e r é s e r v e ? « Voici q u ' o n y lit :

(CORRESPONDANCE

Incendies.

— Partage

PARTICULIÈRE.)

des terres.

des blancs par les mulâtres.

— Affaire

Expulsion Hubert.

« La G u a d e l o u p e , a p r è s a v o i r é t é l o n g t e m p s u n lieu de t r a v a i l , a u sein d'une

vie

douce e t c a l m e (1), est d e v e n u e , au souffle des mulâtres,

un repaire de socialisme, de ruine

et d ' i n c e n d i e s . Déjà les j o u r n a u x c o n s e r v a t e u r s d e la c o l o n i e a v a i e n t a p p e l é

l'atten-

tion

trames

du

gouvernement

sur

leurs

odieuses : substitution a u x blancs d a n s la p r o p r i é t é et l ' a d m i n i s t r a t i o n e n les

expul-

s a n t de l'île, p a r t a g e d e s t e r r e s c o m m e m o y e n de

fanatiser

les

noirs

et

de

les

pousser

a u c r i m e , ces feuilles a v a i e n t t o u t d é v o i l é ; mais une main inconnue paralysait toujours l e u r oeuvre de v é r i t é et d ' o r d r e ; a u j o u r d ' h u i la l u m i è r e s'est faite, et s'il y a u n e j u s t i c e (1) Je crois bon de faire remarquer que c'est de l'esclavage que le correspondant de la Gazette des Tribunaux parle ainsi.


-

9 —

s u r la t e r r e c o m m e il y en a u n e a u c i e l , les r é v é l a t i o n s d ' H u b e r t s o n t la p e r t e i n é v i t a b l e des

révolutionnaires des

Antilles

fran-

çaises. « On n e s a u r a i t t r o p le d i r e

e t t r o p le

r é p é t e r , les m u l â t r e s , à d ' h o n o r a b l e s e x c e p t i o n s p r è s , r e n d r o n t i m p o s s i b l e le t r a v a i l e t l a c o n c i l i a t i o n , t a n t qu'ils c o n s e r v e r o n t l ' e s p o i r d e s ' é r i g e r en d o m i n a t e u r s . Ils r e p o u s s e n t m ê m e l ' é g a l i t é , c e n'est p a s a s s e z p o u r eux.

L ' œ u v r e d'une

coloniale

bonne

administration

doit t e n d r e e x c l u s i v e m e n t

à

dé-

t r u i r e , par l'énergie de ses a c t e s , les illusions qu'ils se p l a i s e n t à e n t r e t e n i r ; a u t r e m e n t , elle s ' a p p u i e r a i t

s u r les

p r i n c i p e s les

a n t i s o c i a u x , la loi a g r a i r e et l ' e x p u l s i o n

plus des

b l a n c s , de c e u x qui o n t fondé d a n s c e p a y s l ' a g r i c u l t u r e et l a c i v i l i s a t i o n . Que

d'exem-

ples n ' o n t - i l s p a s d o n n é s d a n s c e s d e r n i e r s temps de leur esprit de r é v o l t e c o n t r e la s o c i é t é et d e l e u r h a i n e c o n t r e les e n f a n t s

de

la F r a n c e ! . . . P a s u n e c o m m u n e qui n'ait e u ou n ' a i t e n c o r e s o n c h e f e t son c o m i t é

di-

recteur, composé entièrement d'hommes

de

cette classe. « Aujourd'hui c'est s u r Alphonse Augustin, quoiqu'en fuite, térêt

q u e se c o n c e n t r e t o u t l ' i n -

du p r o c è s a c t u e l , t a n t son

influence

s'est é t e n d u e e t a c a u s é d e m a l . H u b e r t , s i m ple et vil i n s t r u m e n t , n ' i n s p i r e q u e d e la p i -


— 10

t i é , t a n d i s q u e le n o m d ' A l p h o n s e

Augustin

est d a n s t o u t e s les b o u c h e s . II p a r a i t que s o u s des d e h o r s c i v i l i s é s , il c a c h e u n e â m e d'une énergie

sauvage;

s o u s des

traits

doux

et

f r a n c s , l ' a s t u c e et la c u p i d i t é . C'est a i n s i q u e t o u t en

professant, à haute voix,

l'amour

des n o i r s , il les t r o m p e i n d i g n e m e n t ; e t c . » Antérieurement, dans l'article c o n c e r n a n t l'affaire C a s t e r a t ,

la Gazette

des

Tribunaux

disait : « L a m a l h e u r e u s e Guadeloupe est sur le b o r d d'un

a b î m e : t r e m b l e m e n t de t e r r e du

8 février 1 8 4 9 . . .

Révolution

v e i l l a n t c h e z les hommes tits de d o m i n a t i o n pulsion une

des blancs armée

de

de couleur

et l'idée

par

de f é v r i e r r é -

assoupie

le chômage

conspirateurs

les a p p é de

et l'incendie

glissant

l'ex;

la n u i t

d a n s les h a b i t a t i o n s p o u r y p r o p a g e r l ' e s p r i t de r é v o l t e . . . t o u t c o n s p i r e à s a r u i n e . . . la guillotine

! mort

aux blancs

ralliement de ces

hordes

Vive

! Tel e s t le c r i de barbares puisant

dans une société s e c r è t e , fortement o r g a n i sée,

le fanatique

Domingue...

espoir

de renouveler

Saint-

A u j o u r d ' h u i , la l u t t e est e n t r e

l ' é l é m e n t e u r o p é e n e t l a race métis

ou

mulâtre,

d o n t les n o i r s s e r v e n t a v e u g l é m e n t les d e s s e i n s . . . Cinq m u l â t r e s , d e u x n o i r s ( 1 ) ! L'a(1) Il y avait sept jeunes gens inculpés dans l'affaire dite Castera.


nimosité des mulâtres

11

se révèle par leur

nombre!

CE SONT E U X , EN E F F E T , QUI DIRIGENT E T ENTRETIENNENT LA GUERRE C I V I L E ; PAS UN DÉSORDRE DONT ILS NE SOIENT L E S I N S T I GATEURS ET LES MENEURS! P A S UNE R É S I S -

TANCE A L'AUTORITÉ dont ils n'aient le signal...,

donné

etc. »

« Ces violentes diatribes des conservateurs, aux colonies, ne rappellent que trop les attaques insensées et furibondes

dont

furent poursuivis les abolitionistes qui préparaient l'émancipation par les voies légales. Du reste, les autorités métropolitaines s o n t elles épargnées elles-mêmes, et chaque j o u r les plus audacieuses calomnies ne sont-elles pas publiées contre un directeur et un s e crétaire général qu'il est facile de r e c o n naître ? « Le grand mot de substitution,

imaginé par

ceux qui inspirent ces publications c r i m i nelles, est, on le sait, une amère dérision, lorsque la presque totalité des emplois est aux mains des hommes de race européenne et que les mulâtres en possèdent

à peine

quelques-uns dont on s'efforce tous les j o u r s de les priver, en dépit du principe de l ' é galité que le gouvernement et la commission coloniale veulent pourtant sans doute défendre et maintenir. « Les conspirations, les trames, les e x c i -


1 2

t a t i o n s au c h ô m a g e , à la r é v o l t e , à l ' i n c e n d i e , à l a g u e r r e civile pas démenties

enfin,

ne

sont-elles

h a u t e m e n t p a r les f a i t s , p a r

le c o n c o u r s d e s m u l â t r e s , en c e n t o c c a s i o n s , d e p u i s d e u x a n s e t d e m i p o u r le m a i n t i e n o u le

rétablissement

de l ' o r d r e e t du t r a v a i l ?

« Si t a n t d'infâmes a c c u s a t i o n s , s y s t é m a t i q u e m e n t r é p é t é e s , p o u v a i e n t a v o i r , en effet, le c a r a c t è r e de g é n é r a l i t é qui l e u r e s t d o n n é , les b o n s c i t o y e n s d e v r a i e n t s a n s d o u t e p o s e r l e u r v i g i l a n c e à l'armée

des

op-

conspirateurs,

et s e c o n d e r de t o u s l e u r s efforts l ' œ u v r e d e la j u s t i c e ;

mais

rendre

toute

une

classe

s o l i d a i r e et r e s p o n s a b l e d e v a n t l'opinion p u b l i q u e , d e v a n t l a F r a n c e ; p r e n d r e les j o u r n a u x de la m é t r o p o l e , a p r è s c e u x d e s

colo-

n i e s , p o u r é c h o d e s plus a u d a c i e u s e s et des plus m e n s o n g è r e s diffamations, c'est a p p o r t e r s o i - m ê m e le t r o u b l e le p l u s g r a v e à l a paix

publique.

« F u t - i l j a m a i s des a c c u s a t i o n s p l u s p o s i tives, plus irritantes, provoquant d a v a n t a g e à l a h a i n e e t a u m é p r i s des c l a s s e s ou

des

citoyens entre e u x ? « E n fut-il j a m a i s aussi de p l u s g é n é r a l e s , de plus c o l l e c t i v e s , d e plus d a n g e r e u s e s enfin d a n s d e s c i r c o n s t a n c e s si c r i t i q u e s ?

« L a Gazette des Tribunaux,

par ignorance

s a n s d o u t e de c e s d a n g e r s e t de l a s i t u a t i o n coloniale, prêle i m p r u d e m m e n t sa publicit/


13

à des p a s s i o n s qui n e s o n t p a s le

moindre

obstacle dans l'œuvre de paix et de r é g é n é ration progressive

dont nous

poursuivons

l ' a c c o m p l i s s e m e n t de t o u s n o s e f f o r t s . « Ses

articles sont

destinés

sans

aucun

doute à être reproduits, propagés et p o r t é s d a n s les

colonies

par ceux

col-

qui

les

ont écrits ou p r o p a g é s . « Si l a j u s t i c e n'est p a s un vain m o t , si l a loi du 7 a o û t 1 8 5 0 a é t é n é c e s s a i r e , si elle p r o t é g e i n d i s t i n c t e m e n t t o u s les c i t o y e n s a u x colonies,

vous penserez sans doute,

M.

le

Ministre,

qu'il y a des m e s u r e s à p r e n d r e

pour p r é s e r v e r la m a l h e u r e u s e Guadeloupe des d a n g e r s d o n t elle e s t m e n a c é e p a r c e s e x p l o s i o n s des vieilles h a i n e s . « Il i m p o r t e q u e l a F r a n c e c o n n a i s s e

les

a u d a c i e u x c a l o m n i a t e u r s qui j o u e n t ainsi l a paix de ses colonies

et semblent p r e n d r e à

t â c h e d e r e n d r e l a fusion i m p o s s i b l e , en allumant dans leur pays l'incendie

des

pas-

sions antisociales. « Que

ces

i n s t i g a t e u r s de

haine

trouble soient de mauvais citoyens, le t i t r e

de

c o n s e r v a t e u r s qu'ils

et

de

malgré

usurpent,

c ' e s t é v i d e n t ; m a i s c e l a n e suffit p a s ; il faut a r r ê t e r l e u r a u d a c e et l e u r i m p o s e r le frein s a l u t a i r e des

lois.

« Accusée

d'en

révolte,

appeler sans

c e s s e à la

l ' a n c i e n n e c l a s s e de m u l â t r e s n'en


14

appellera pas vainement à la loi et à la haute impartialité de M. le Ministre de la marine. « Nous sommes très-respectueusement, « M. le Ministre de la marine, e t c . , « Signés : Ad. G A T I N E , « Ancien commissaire général à la Guadeloupe. «JOUANNET, « Représentant du peuple.

LETTRE A M. le rédacteur

DE M . PERRINON. en chef

de la R é p u b l i q u e .

« Les Thernes, 30 septembre 1850.

« Monsieur le R é d a c t e u r , « On me communique, aujourd'hui seulement, un article de l a Gazette

des

Tribunaux,

du 2 1 c o u r a n t , i n t i t u l é : I N C E N D I E S , TAGE

DESTERRES,

EXPULSION DES

PAR-

BLANCS

P A R L E S M U L A T R E S , e t c . ; article où, sous prétexte de compte-rendu des audiences du conseil de guerre de la P o i n t e - à - P î t r e , les hommes de couleur de la Guadeloupe sont indignement tant

calomniés. Comme

représen-

élu dans cette colonie, comme ayant,

de plus, l'honneur d'appartenir à cette classe de citoyens, je ne dois pas laisser passer de pareilles attaques sans les relever. Permet-


15

tez-moi d o n c , M o n s i e u r le R é d a c t e u r , d'user de v o t r e publicité pour y r é p o n d r e . « J e m ' e f f o r c e r a i d ' ê t r e bref. A u s s i ,

sans

e x a m i n e r si un j o u r n a l j u d i c i a i r e a le d r o i t d'injurier, non-seulement leur

des

accusés,

position m ê m e devrait p r o t é g e r ,

que mais

e n c o r e l a p o r t i o n l a p l u s c o n s i d é r a b l e d e la population de nos d é p a r t e m e n t s d ' o u t r e - m e r , de

r e p r é s e n t e r les n o i r s c o m m e des b r u t e s

q u e les m u l â t r e s p o u s s e n t

au m a s s a c r e

des

b l a n c s e t à l ' i n c e n d i e d e s p r o p r i é t é s p a r la p r o m e s s e du p a r t a g e d e s t e r r e s ; j e dis t o u t d'abord

que

monstrueuses

le j o u r n a l

qui

accusations

édite

commet

d'aussi au

plus

h a u t d e g r é le délit r e p r o c h é a u x m u l â t r e s : c e l u i d ' e x c i t a t i o n à l a h a i n e des c i t o y e n s e n t r e e u x . L e s p a s s i o n s qui s ' e x a l t e n t

s o u s le

soleil b r û l a n t des t r o p i q u e s p e u v e n t à p e i n e f a i r e e x c u s e r les v i o l e n c e s d e l a

polémique

des o r g a n e s d e l ' o p i n i o n a u x A n t i l l e s ; à p l u s f o r t e r a i s o n , e n F r a n c e , les j o u r n a u x qui se respectent

doivent-ils

s'abstenir

mations aussi e x t r a v a g a n t e s

de

décla-

qu'odieuses.

« C e p e n d a n t c e n'est p a s l a p r e m i è r e fois

q u e l a Gazette des Tribunaux

o u v r e ses colon-

nes à d e s a t t a q u e s d e c e t t e n a t u r e . Déjà son correspondant, glanant à

la s u i t e d e s c o n -

seils d e g u e r r e , e s t v e n u m e t t r e a u b a n d e la civilisation de

les

émancipés de

1 8 4 8 . Il a d i t ,

1 8 3 0 et c e u x

en p a r l a n t d e s m u l â t r e s :


– 16 – « Ce sont eux qui dirigent « guerre civile.

la

Pas un désordre dont ils ne soient

« les instigateurs « tance à l'autorité

« gnal.

et entretiennent

et les meneurs,

pas une

résis-

dont ils n'aient donné le si-

Quant aux noirs, toujours

inquiets

« sur leur liberté, que les mulâtres leur r e « présentent comme menacée, leurs attaques « doivent inspirer plus de pitié que de h a i n e ; « mais elles n'en sont pas moins hardies et « portent avec elles un caractère « native.

» (Gazette des Tribunaux

de férocité du 24 j u i l -

« let.) « A cette époque, on le voit, l'insulte n ' é tait pas m é n a g é e ; mais aujourd'hui, chose atroce ! c'est au moment où la tête d'un condamné tombe sous la hache de l'exécuteur, que ce correspondant procède moralement à. une autre exécution, et, en attendant que le fatal billot soit de nouveau dressé pour les deux malheureux

que la justice militaire

adjuge encore au b o u r r e a u , il cloue au pilori les mulâtres et les nègres, et les désigne aux vengeances des partis ! « Il fallait qu'elles, fussent bien puissantes les préoccupations de cet insulteur a n o nyme, pour qu'il n'ait pas compris que c'était dépasser le but qu'il se proposait, que de faire un semblable appel aux ressentiments de castes en d'aussi graves conjonctures. Comment! c'est lorsque la peine de


– 17 – mort qui, depuis quinze années, n'a pas été appliquée dans les colonies , emprunte le hideux appareil des temps b a r b a r e s , et que la décapitation par la hache inaugure aux Antilles une ère de t e r r e u r , — car on s'efforce de donner à cet horrible drame une portée politique, — qu'on ose reprocher aux mulâtres « de rendre impossible la conciliation! » C'est en écrivant que la lumière s'est faite et que la perte des révolutionnaires est inévitable, que l'on accuse ceux que l'on désigne ainsi de vouloir « l'expulsion des blancs, de ceux qui ont fondé dans ce pays l'agriculture et la civilisation ! » Ah ! si la contradiction n'était pas flagrante, pour repousser ces calomnies je n'aurais qu'à rappeler quelle fut, au jour de la proclamation de la liberté, la conduite de ces hommes que l'on insulte maintenant. Je p o u r r a i s les m o n t r e r , oublieux des mépris passés, employer la légitime influence qu'ils doivent à une commune origine, et dont on leur fait u n crime à cette h e u r e , à effacer du c œ u r de leurs frères, naguère esclaves, les poignants souvenirs d'un esclavage séculaire! « Quant à ces noirs, à ces barbares africains, comme les nomment les modérés, ont-ils jamais compté les cicatrices dont les coups de fouet des prétendus fondateurs de la civilisation avaient sillonné leurs corps pour en


18

demander vengeance? N'ont-ils pas, au c o n t r a i r e , p a r d o n n é à l e u r s a n c i e n s m a î t r e s les t o r t u r e s de la s e r v i t u d e e n d e v e n a n t l e u r s é g a u x , t a n d i s q u e , p a r m i les civilisateurs,

il

en est q u i n e p e u v e n t p a r d o n n e r à l e u r s a n c i e n s e s c l a v e s l e u r l i b e r t é et la r u i n e d ' o dieux priviléges ! « Mais p o u r q u o i r e m o n t e r a i s - j e j u s q u ' à l'émancipation

pour

confondre

le

p o n d a n t p a r t i c u l i e r de la Gazette naux?

corres-

des

Tribu-

La p a s s i o n l ' a v e u g l e et n u i t a u s u c c è s

de s o n r é q u i s i t o i r e , c a r où p u i s e r a i t - i l d r o i t de s o u t e n i r q u e les mulâtres

le

repoussent

même l'égalité, lui q u i , q u e l q u e s l i g n e s p l u s b a s , divise la s o c i é t é c o l o n i a l e e n d e u x c a t é g o r i e s , e n p a r l a n t de la haine d e s h o m m e s d e c o u l e u r contre

les enfants

de la

France?

I g n o r e - t - i l d o n c , cet a g e n t d e d i s c o r d e , q u e ces e n n e m i s d e s e n f a n t s d e l a F r a n c e v e r s è r e n t l e u r s a n g p o u r d é f e n d r e la G u a d e l o u p e p e n d a n t les g u e r r e s de n o t r e p r e m i è r e R é p u b l i q u e , j u s q u ' a u m o m e n t où l e s l â c h e s , q u i n ' é t a i e n t p a s d e r a c e n è g r e , la l i v r è r e n t a u x Anglais? « D'ailleurs, à quelle occasion tant jures sont-elles dirigées majorité

des

citoyens

contre d e la

C ' e s t s u r la d é p o s i t i o n d ' u n

d'in-

l'immense

Guadeloupe? misérable qui,

a p r è s s ' ê t r e a c c u s é d ' a v o i r mis le feu

aux

c a s e s d ' u n e h a b i t a t i o n , est v e n u d e v a n t le


19 —

conseil de g u e r r e , et sous le coup d'une a c cusation capitale, dénoncer comme son c o m plice un mulâtre hostile aux prétentions des grands propriétaires. J e le répète, c'est sur le seul témoignage de cet homme, d'échapper

heureux

au sort de Sixième par les t r a -

vaux forcés, que ce mulâtre, M. Alphonse Augustin, a été condamné à m o r t ! J e n'ai pas à discuter ce j u g e m e n t : il appartient à l'histoire coloniale, comme ceux rendus à la Martinique, en 1 8 2 4 , en

1 8 3 1 , en 1 8 3 4 ;

mais le fait que j e signale, et qui résulte du compte-rendu publié par la Gazette elle-même, aurait dû, ce me semble, empêcher ce j o u r nal d'accepter la solidarité des calomnies de son rédacteur d'outre-mer. « C e l u i - c i , au r e s t e , n'est pas heureux dans ses commentaires. 11 prétend que les mulâtres espèrent « s'ériger en dominateurs que

l'oeuvre

d'une

bonne

:

administration

coloniale doit donc tendre exclusivement à détruire, par l'énergie de ses actes, les illusions qu'ils se plaisent à e n t r e t e n i r ; » et précisément le dernier packet nous apporte un exemple qui montre quels sont ceux qui veulent s'ériger en dominateurs dans ces malheureux pays. « En effet, un sieur X . . . , habitant

proprié-

taire, est en ce moment poursuivi pour avoir fait mettre aux fers, chez lui, une pauvre femme


— 20 — enceinte qu'il employait en qualité de blanchisseuse, et avec laquelle il était en discussion d'intérêt. Cette malheureuse est restée pendant six longues

heures

le pied

droit

passé dans un anneau fixé à une barre s c e l lée dans la cloison, et elle y serait peut-être demeurée plus longtemps si la gendarmerie, qu'avait envoyé chercher M. X . . . , pour l ' a r r ê t e r , n'eût

mis un terme à son supplice.

Conduite à la geôle, elle fit une fausse couche en arrivant! Cette séquestration et cette t o r ture ne rappellent-elles pas les plus mauvais j o u r s de l'esclavage? (1) « E t qu'on ne dise pas que c'est là un fait isolé, qui ne prouve rien quant aux tendances des coryphées de la réaction coloniale. J e pourrais établir le contraire en

reprenant

une

adoptées,

à une

toutes

les

mesures

soit par les autorités locales, soit par ministre de la marine jures

des

organes

le

lui-même. Les i n -

des aristocrates de la

peau ne sont que le complément de ce s y s tème de compression. La calomnie doit étouffer la pitié et la j u s t i c e : publicité mensongère en F r a n c e , état de siége à la Guadeloupe, telles sont les nécessités fatales de la politique suivie aux colonies. M. Romain-Desfossés (1) L'auteur de c e t t e séquestration é m i n e m m e n t c i vilisatrice a été c o n d a m n é . L e fait est avéré.

(Note de M. V. Schœlcher.)


21 —

n ' a - t - i l p a s d é c l a r é à l a t r i b u n e q u e les

f r a n c h i s i g n o r e n t que l'inceste,

l'adultère,

af-

l'in-

cendie, le vol sont des crimes ? « A p r è s c e t t e p r o f e s s i o n de foi du m i n i s t r e , s'étonnera-t-on

de c e q u e les

conseils

de

g u e r r e n e suffisent p a s a u x r a n c u n e s d e c e r tains colons?

Ceux-ci trouvent

justice militaire trop lente.

encore

la

Le pourvoi

en

cassation, surtout, leur paraît incompatible a v e c le s a l u t d e l a s o c i é t é c o l o n i a l e . Aussi le c o n s e i l p r i v é d e la G u a d e l o u p e , fidèle é c h o des p a s s i o n s des

meneurs,

n i è r e m e n t le v œ u ,

a-t-il émis d e r -

« d a n s le c a s o ù la C o u r

« d e c a s s a t i o n r e c o n n a î t r a i t q u e le r e c o u r s « à s a j u r i d i c t i o n e s t d e d r o i t p o u r les i n d i « vidus non m i l i t a i r e s , e t afin q u e la loi d u « 9 a o û t 1 8 4 9 produise à une aussi g r a n d e « d i s t a n c e de l a m é t r o p o l e les r é s u l t a t s i m « m é d i a t s q u e le l é g i s l a t e u r a v o u l u en f a i r e « découler, qu'un haut tribunal puisse ê t r e « substitué,

dans la colonie,

à la C o u r

de

« c a s s a t i o n , p o u r l ' e x a m e n des p o u r v o i s

de

« l'espèce... » P o u r remplir ces importantes f o n c t i o n s , le c o n s e i l p r i v é p r o p o s e , quoi

le

c o n s e i l p r i v é ! Voilà c o m m e n t les notables

de

la c o l o n i e c o m p r e n n e n t les g a r a n t i e s q u e

la

loi doit a c c o r d e r a u x j u s t i c i a b l e s ! « C e v œ u n ' e s t q u ' a b s u r d e ; m a i s M.

Ro-

main-Desf'ossés a é t é p l u s loin e n c o r e : il a s u p p r i m é le d r o i t d e r e c o u r s en g r â c e c o u -


22

s a c r é p a r la C o n s t i t u t i o n . Q u e l q u e i n c r o y a b l e q u e c e l a s o i t , en voici la p r e u v e , e x t r a i t e de c e t t e m ê m e d é l i b é r a t i o n du conseil p r i v é de la Guadeloupe,

r e l a t i v e à l'affaire d u c o n -

d a m n é I s e r y , dit S i x i è m e , d o n t l ' e x é c u t i o n a offert un si h o r r i b l e s p e c t a c l e . J e c i t e les p a r o l e s du c o m m a n d a n t m i l i t a i r e : « Le gouvernement,

a-t-il dit, à l'égard

« des j u g e m e n t s p o r t a n t c o n d a m n a t i o n a u x « p e i n e s c a p i t a l e s , afflictives ou i n f a m a n t e s , « s'était r é s e r v é le d r o i t d'un e x a m e n a p p r o « fondi de l a p r o c é d u r e ; il o r d o n n a i t de s u r « seoir à l'exécution, « lieu ou

et d é c i d a i t s'il y a v a i t

n o n de r e c o u r i r e n g r â c e .

« disposition,

rendue applicable a u x

Cette colo-

« n i e s , a é t é modifiée en c e s e n s (lettre

« nistérielle

du 1 6 février dernier,

mi-

n° 5 7 ) , q u e

« les g o u v e r n e u r s en c o n s e i l p r i v é p o u r r o n t , « a p r è s les j u g e m e n t s définitifs,

ordonner

les

« exécutions à la peine capitale. » « Ainsi,

v o i l à qui e s t positif, le d r o i t d e

g r â c e e s t confisqué p a r le m i n i s t r e d e l a m a rine!

C e t t e m a g n i f i q u e p r é r o g a t i v e , q u e le

p r é s i d e n t de l a R é p u b l i q u e e x e r c e en c o n s e i l d*Etat, est supprimée p a r simple dépêche ministérielle! J e n'insisterai

p a s ici s u r c e t t e

v i o l a t i o n f l a g r a n t e du d r o i t c o m m u n ; M. R o main-Desfossés

a u r a à en r e n d r e c o m p t e a i l -

leurs. J e me résume : Juridiction militaire, suppression

du

p o u r v o i en c a s s a t i o n ,

sup-


-

23 —

pression du recours en g r â c e , tel est le r é gime réclamé ou créé par les soi-disant défenseurs de l'ordre aux Antilles ! . . . « J ' a i fini, monsieur le R é d a c t e u r ; c a r les faits incontestables que j e viens de produire établissent de quel côté sont les trames,

les

principes

des

antisociaux

Tribunaux.

dont parle la Gazette

C'est à l'opinion publique à p r o -

noncer. « A.-F.

PERRINON,

« Représentant du peuple (Guadeloupe). » (La

République.)

PROTESTATION GUADELOUPE L A Gazette

de

LA MAJORITÉ

CONTRE

des Tribunaux

A LA

LES ATTAQUES

DE

E T D U Journal

des

Débats. A Messieurs

les membres

de l'Assemblée

législative.

« Pointe-à-Pître, 28 octobre 1850.

« Messieurs, « L'immense majorité de la population de la Guadeloupe, calomniée dans les comptesrendus publiés par la Gazette

des

Tribunaux,

des 2 4 juillet et 21 septembre 1 8 5 0 et par le Journal

des Rébats

du 2 2 septembre, affaires

Isery, dit Sixième, Castera, Hubert et A l phonse Augustin, j u g é e s par le conseil de


— 24 — g u e r r e p e r m a n e n t d e la P o i n t e - à - P i t r e , et j u s t e m e n t indignée des o u t r a g e s et des i m p u t a t i o n s o d i e u s e s q u e r e n f e r m e n t ces p u b l i c a t i o n s , é p r o u v e l ' i m p é r i e u x b e s o i n de p r o t e s t e r a v e c t o u t e l ' é n e r g i e d e la c o n s c i e n c e e t d e l ' h o n n e u r o u t r a g é s , c o n t r e ces a b o m i nables et criminelles qualifications, teurs au chômage, l'extermination

à la révolte,

d'excita-

à l'incendie,

de la race européenne,

à

e t d e les

r e p o u s s e r , m a i s a v e c l e c a l m e et l a d i g n i t é qui conviennent à une population honnête, d é v o u é e a u m a i n t i e n d e l ' o r d r e e t de l a t r a n quillité publique. « Q u e l a F r a n c e e t l ' E u r o p e civilisée l ' e n t e n d e n t u n e fois p o u r t o u t e s : n o n , l e s n è g r e s e t les m u l â t r e s n ' e n v e u l e n t ni à l ' o r d r e , ni à la p r o p r i é t é , ni à la f a m i l l e , ni à l a r a c e à l a q u e l l e les c o l o n i e s s o n t r e d e v a b l e s d e s b i e n f a i t s d e la c i v i l i s a t i o n d o n t e l l e s o n t le b o n h e u r de j o u i r a u s e i n d u p a y s r é g é n é r é p a r la l i b e r t é ; n o n , ils n e s o n t p a s des communistes, des missionnaires de d o c trines impossibles, du reste inconnues dans n o s c o n t r é e s ; n o n , ils n e v e u l e n t p a s s ' é r i g e r e n d o m i n a t e u r s et r e n d r e la c o n c i l i a t i o n i m p o s s i b l e , t é m o i n la m a n i è r e t o u t e p a c i f i q u e a v e c l a q u e l l e s'est a c c o m p l i e , a i d é e d e n o t r e c o n c o u r s , la t r a n s f o r m a t i o n

politique

et sociale d u p a y s . «A ces v i o l e n t e s et i n f â m e s

diffamations


— 25 — s y s t é m a t i q u e m e n t d i r i g é e s et r é p é t é e s c o n t r e

toute une classe

d'hommes,

elle o p p o s e v i c t o -

rieusement

son p a s s é et e n a p p e l l e a u x t é -

moignages

d'hommes

honorables

s c i e n c i e u x , des f o n c t i o n n a i r e s

et

con-

intègres

et

i m p a r t i a u x qui o n t a d m i n i s t r é la G u a d e l o u p e , en un m o t , à MM. le g o u v e r n e u r L a y r l e , l e c o m m i s s a i r e g é n é r a l G a t i n e e t le p r o c u r e u r général Bayle-Mouillard. « Il i m p o r t e , MM. les r e p r é s e n t a n t s , q u e la F r a n c e s a c h e et soit b i e n p e r s u a d é e q u e c ' e s t en h a i n e de l ' é g a l i t é q u e les e n n e m i s d e l'émancipation nous livrent cette g u e r r e sans m e r c i ni p i t i é . L ' é g a l i t é fait m a l a u c œ u r à c e u x qui l ' o n t n a g u è r e si o b s t i n é m e n t c o m b a t t u e e t q u i , j u s q u ' à c e j o u r , n'ont p a s eu e n c o r e le c o u r a g e e t le p a t r i o t i s m e d ' a c c e p ter f r a n c h e m e n t et

résolument

les

consé-

q u e n c e s d'un fait a c c o m p l i . « Ainsi, c'est dans l'unique but de r e c o n quérir leur domination et de ressaisir leurs privilèges a b a t t u s p a r la r é v o l u t i o n ,

qu'ils

c h e r c h e n t à nous déconsidérer a u x y e u x de la F r a n c e e t d e l ' o p i n i o n p u b l i q u e , e n é v o q u a n t c o n t r e n o u s le f a n t ô m e d e l ' a n a r c h i e et du socialisme. « Si la loi s u r la p r e s s e a u x c o l o n i e s a é t é votée s p é c i a l e m e n t en vue de c o n j u r e r l'imm e n s e d a n g e r d e la g u e r r e c i v i l e , c ' e s t à c o u p s û r le m o m e n t d'en

faire l'application

aux


26 —

e x c i t a t e u r s à l a h a i n e et au m é p r i s des a n ciennes classes. «Que les a r t i s a n s de h a i n e , de f e r m e n t a t i o n , de t r o u b l e s e t

de divisions d a n s

les

colonies soient r e c h e r c h é s dans quelque r a n g de l a s o c i é t é qu'ils se t r o u v e n t et qu'ils r e ç o i v e n t le j u s t e c h â t i m e n t des lois qu'ils e n f r e i g n e n t , c'est le m o y e n de f a i r e c e s s e r l ' a n t a g o n i s m e qui r e n d i m p o s s i b l e la c o n c i l i a t i o n et le d é v e l o p p e m e n t de l a p r o s p é r i t é p u b l i q u e , b u t s u p r ê m e où t e n d e n t t o u s les efforts des honnêtes citoyens. « Nous sommes, e t c . « S u i v e n t les s i g n a t u r e s , p a r m i l e s q u e l l e s n o u s r e m a r q u o n s c e l l e s des c i t o y e n s :

« L.-Joseph Lisout, ex-maire de la Pointeà-Pître; — O. Bloncourt, ex-premier adjoint; — Louisy Mathieu, ex-constituant, ex-conseiller municipal ; — Jouannet, excapitaine des pompiers de la milice; — Citardy, — Peter Claret, — Dugard Du, charmoy, — Jouannet père, — Chovo aîné, —Zoel Agnès, — A. Guercy, — L. R é a u x , — Semac, — G. Bloncourt, — Melfort Bloncourt,— A. Castera, — Ch. Fabius, — G. Servient, — A. Augeron, — Zoel fils, — A. Penny, — Ernest Zénon, — V. Fort, — E. Albon, — T. Daguin, etc. »


L E T T R E

DE

27

M.

LOUISY

MATHIEU.

EX-CONSTITUANT.

A M. le rédacteur

en chef du N a t i o n a l . « Pointe-à-Pître, le 28 octobre 1850.

« Monsieur, « Veuillez, j e vous p r i e , insérer dans votre estimable

journal

j'ai l'honneur

ces quelques lignes

que

de vous a d r e s s e r , en réponse

a u x c a l o m n i e s publiées p a r l a Gazette des bunaux

Tri-

des 2 4 j u i l l e t e t 2 1 s e p t e m b r e 1 8 5 0 ,

s u r la foi d e son c o r r e s p o n d a n t d ' o u t r e - m e r . Il e s t d e m o n d e v o i r d e r e p o u s s e r d e s e m b l a b l e s a t t a q u e s , c a r j ' a i eu l ' h o n n e u r de r e présenter la Guadeloupe. semblée

constituante,

j'ai

M e m b r e de défendu

l'Asautant

q u e j ' a i pu les i n t é r ê t s d e m o n p a y s ; a u j o u r d ' h u i , il m ' a p p a r t i e n t p l u s q u ' à t o u t a u t r e , p e u t - ê t r e , de p r o t e s t e r c o n t r e d'odieux

men-

songes. « J e proteste donc, au nom nègres honnêtes,

de t o u s

et j e d é c l a r e qu'ils

les

n'ont

j a m a i s s e r v i d ' i n s t r u m e n t s à qui q u e c e s o i t au monde; je proteste également,

avec tout

l'amour

pour

qu'un

nègre

peut

avoir

ses


2 8

f r è r e s m u l â t r e s , et j e dis m i e u x , p o u r

tous

les b l a n c s h o n n ê t e s , q u e j a m a i s p e r s o n n e n ' a p e n s é ni à la s u b s t i t u t i o n , ni à l ' e x t e r m i n a t i o n , ni a u p a r t a g e des t e r r e s , ni à l ' i n c e n d i e , et j e r e p o u s s e a v e c i n d i g n a t i o n c e s m i s é r a b l e s a c c u s a t i o n s q u e des h o m m e s h a i n e u x s'efforcent d e faire p e s e r s u r t o u t e u n e c l a s s e de citoyens. « Q u e l a j u s t i c e r é g u l i è r e p o u r s u i v e les c r i m i n e l s , s'il y e n a, à q u e l q u e c l a s s e q u ' i l s a p p a r t i e n n e n t ; m a i s q u e l'on n e v i e n n e p a s , par de basses m a n œ u v r e s ,

d é n o n c e r à la

F r a n c e la p o r t i o n la p l u s n o m b r e u s e d e la population coloniale, pour ressaisir toutes les f o n c t i o n s p u b l i q u e s e t la p r é p o n d é r a n c e q u e la r é v o l u t i o n de F é v r i e r a v a i t p a r t a g é e s . « J e t e r m i n e , M o n s i e u r le r é d a c t e u r ; c a r u n h o m m e de c œ u r flétrit l a c a l o m n i e et n e la d i s c u t e p a s . « S a l u t et f r a t e r n i t é . « LOUISY

MATHIEU,

« Ex-représentant pour la Guadeloupe. »

PROTESTATION MARTINIQUE

EN

LA

MINORITÉ

A LA

CONTRE L E S E X C I T A T I O N S A

LA HAINE E N T R E DE

DE

L E S ANCIENNES C L A S S E S

LA POPULATION

COLONIALE

PUBLIÉE

FRANCE.

La Gazette des Tribunaux,

le 2 4 j u i l l e t e t


29

le 21 septembre dernier, le j o u r n a l des Débats, notamment à la date du 2 2 septembre 1 8 5 0 , ont accepté d'une source impure des calomnies, sans nom d'auteur, contre l'ancienne population de couleur, représentée, avec une malveillance indigne de la loyauté française, comme une horde de barbares, rant des crimes aux noirs, le travail

et la

et rendant

inspi-

impossible

conciliation.

Déjà l'ancien commissaire général à la Guadeloupe, M. Gatine, défenseur en cassation des condamnés du conseil de guerre de cette île, parfaitement en condition de c o n naître la vérité, et M. Jouannet, représentant du peuple, dont la famille habite la Pointe- àP î t r e , ont signalé à monsieur le ministre de la marine et des colonies ces publications haineuses destinées à fausser l'opinion en F r a n c e , et à raviver aux îles des inimitiés implacables. Déjà une partie de la population outragée s'est émue à la P o i n t e - à - P î t r e , et a j e t é à la publicité un cri de détresse sous forme d'adresse à l'Assemblée législative; malgré l'état de siége, elle n'a pu contenir sa légitime indignation, tant il est vrai qu'il y a dans le cœur humain

des sentiments incompressi-

bles. La Martinique ne reste pas insensible à ces attaques générales et systématiques qui rap-


— pellent

les

plus

30 —

mauvais jours

A

Saint-

P i e r r e , la m i n o r i t é , qu'un r e p r é s e n t a n t c o lonial, d'infime, térêt

du

haut

de

la

tribune,

qualifiait

et j u g e a i t p r ê t e à se r a l l i e r par

in-

s o u s la b a n n i è r e de son c o l l è g u e v a i n -

queur,

après

nients d ' u n e

avoir apprécié manifestation

les

inconvé-

collective,

m'a

d o n n é s p o n t a n é m e n t et s p é c i a l e m e n t le m a n dat d e p r o t e s t e r en son n o m c o n t r e c e s a c c u s a t i o n s t o u j o u r s r e n o u v e l é e s , qui t r a h i s s e n t des a n t i p a t h i e s a u s s i p r o f o n d e s q u ' i n c u r a b l e s . Le de

sol des A n t i l l e s e s t la p a t r i e c o m m u n e

t r o i s r a c e s qui y v i v e n t sous

la

même

n a t i o n a l i t é ; si l'une d'elles est la m o i n s n o m b r e u s e , elle e s t la p l u s f o r t e , p a r c e qu'elle se

recrute

sans

cesse

clans la m è r e - p a t r i e

d o n t la p u i s s a n c e i m p o s a n t e e s t u n e g a r a n t i e rassurante sans

et

souveraine.

contredit,

est c e l l e

La que

plus la

faible,

calomnie

p o u r s u i t à o u t r a n c e , q u e l ' o p p r e s s i o n de ses p è r e s d é n a t u r é s a d é s h é r i t é e dès

son b e r -

c e a u , qui g r a v i t e l a b o r i e u s e m e n t v e r s le n i v e a u s o c i a l , e t q u e r e p o u s s e la r é a c t i o n des p r é j u g é s d o n t elle fut t o u j o u r s la v i c t i m e . L ' h i s t o i r e d i r a ses s o u f f r a n c e s et s a t e n d a n c e n a t u r e l l e à la c o n c i l i a t i o n d o n t est l ' i m a g e v i v a n t e .

elle

S a n s d o u t e elle r e v e n -

dique la d i g n i t é du c i t o y e n ; c'est là s a c o n s p i r a t i o n morale

et permanente

; s a n s d o u t e elle

a i m e la R é p u b l i q u e qui a brisé ses f e r s , c'est


31 —

un g r i e f é n o r m e p a r le t e m p s qui c o u r t . E l l e a aussi fait p r e u v e d e r e c o n n a i s s a n c e , a u p é ril m ê m e de ses i n t é r ê t s , et au r i s q u e d'être mal c o m p r i s e , m a i s les a p p é t i t s de

mais le fanatique

domination;

espoir de renouveler

Saint-Do-

mingue. ( Q u e l l e d é r i s i o n ! ) Mais l'idée

d'expul-

ser les blancs par le chômage et l'incendie sont a u tant

d'accusations fausses,

plus

méchantes

encore que stupides. J ' a c c o m p l i s d o n c , c o m m e u n r e l i g i e u x devoir, la mission que mes concitoyens

m'ont

offerte, et q u e j ' a i a c c e p t é e , de d é c l a r e r p u bliquement

et solennellement

à tous

ceux

qui l i r o n t c e s l i g n e s , q u e les m u l â t r e s et les noirs français sont aussi bons citoyens que les b l a n c s ; qu'on les c a l o m n i e

odieusement

d a n s un b u t i n s e n s é ; qu'ils o n t bien la con-

science du juste et de l'injuste, et q u e r i e n , d a n s le p a s s é

ni d a n s le p r é s e n t , n e justifie

les

craintes injurieuses répandues à leur égard d a n s les r é g i o n s du p o u v o i r . Puisqu'aucun désaveu, cune poursuite,

n'ont

aucun blâme, au-

arrêté

le c o u r s

des

e x c i t a t i o n s à l a h a i n e qui se p u b l i e n t , a u m é p r i s d'une loi r é c e m m e n t v o t é e , il faut bien q u e la p o p u l a t i o n c a l o m n i é e fasse

entendre

la vérité. L e prétendu complot de Marie-Galante et de

la Guadeloupe

l'œil

investigateur

n'a pas été t r o u v é de

la

justice

par régu-


lière,

a p r è s un

an

3 2

de

recherches infruc-

tueuses. Voilà s i x m o i s q u e l ' a u t o r i t é m i l i t a i r e qui n'y v a p a s de m a i n m o r t e , à l a P o i n t e - à P î t r e , c h e r c h e en vain c e complot

du feu (le

m o t est j o l i ) , dont l'existence n'est démontrée de la manière

la plus claire qu'au c o r r e s p o n d a n t

a n o n y m e du Journal Le journal

des Débats.

officiel de la Martinique

t r a s a n s p e i n e q u e l'association

de

reconnaîmisérables

qui, n'ayant rien à perdre, se trouvent avoir tout à gagner dans un bouleversement, n e signifie p a s , il f a u t le d i r e , les n è g r e s e t les m u l â t r e s ; et qu'aucune poursuite sérieuse ne donne une r é a l i t é à c e f a n t ô m e . E n effet, les n o t i c e s des assises

qu'il a p u b l i é e s n e r é v è l e n t r i e n de

s e m b l a b l e . Il f a u d r a i t d e s c e n d r e , d i t - o n , d a n s les greffes des j u s t i c e s de p a i x ; m a i s q u a n d c ' e s t u n e p a r e i l l e j u r i d i c t i o n q u e l'on

invo-

q u e , il n'est p a s m ê m e n é c e s s a i r e d ' e x a m i n e r s'il

y a eu

principaux

des

c o n d a m n a t i o n s c o n t r e les

meneurs arrêtés,

e t bientôt r e l â c h é s

s a n s f o r m e de p r o c è s . Ils s o n t bien c o u p a b l e s , quels qu'ils s o i e n t , c e s m i s é r a b l e s isolés q u i ,

p a r les

incendies

d e l a G u a d e l o u p e , o n t m i s en s u s p i c i o n t o u t e u n e p o p u l a t i o n a y a n t plus b e s o i n de p r o t e c t i o n q u e de l u t t e ! Ils s o n t plus c o u p a b l e s e n c o r e , p a r c e qu'ils s a v e n t c e qu'ils f o n t , c e u x qui e n t r e t i e n n e n t


33 —

p a r la c a l o m n i e l ' a n t a g o n i s m e d e s r a c e s , et a l l u m e n t la g u e r r e civile a u m i l i e u d e s

dé-

c o m b r e s d u p a y s qu'ils d e v r a i e n t a i m e r . T e l l e e s t la p r o t e s t a t i o n de l a m i n o r i t é d e la M a r t i n i q u e . E l l e s ' a s s o c i e a u x d o u l e u r s d e ses f r è r e s , en m a j o r i t é à la

Guadeloupe.

E l l e r é p u d i e les é p i t h è t e s m e n t e u s e s

qui

lui s o n t p r o d i g u é e s a v e c u n e p e r s i s t a n c e a n t i s o c i a l e , e t e s p è r e q u e le g o u v e r n e m e n t d e la R é p u b l i q u e

ne doutera pas de

ses

bons

sentiments. PORT-PAPY, Ex-constituant. Saint-Pierre-Martinique, le 3 novembre 1850.

P A R O L E S P R O N O N C É E S A L A T R I B U N E CONTRE LES

NOUVEAUX

ÉMANCIPÉS,

P A R M. L E

MINISTRE D E L A M A R I N E E T D E S COLONIES. D a n s l a l e t t r e de M. P e r r i n o n q u ' o n de l i r e p l u s h a u t et d a n s le b e a u de la m i n o r i t é de allusion

vient

manifeste

la M a r t i n i q u e , il e s t

fait

à quelques paroles p r o n o n c é e s à la

t r i b u n e ( s é a n c e du 7 a o û t 1 8 5 0 ) p a r M. le m i n i s t r e de la m a r i n e et des c o l o n i e s . ces

paroles,

textuellement

Voici

empruntées

au

Moniteur : « N o u s v i v o n s d a n s un p a y s o ù les f o n c « tionnaires

publics

peuvent

être attaqués


— 34 — « impunément « d'une

t o n s les j o u r s . L e bon

nation essentiellement

sens

intelligente

« en fait j u s t i c e . Mais d a n s les c o l o n i e s , « p r é s e n c e d'une s o c i é t é e n c o r e d a n s « f a n c e , d'une

« notions

s o c i é t é qui

exactes

du juste

en

l'en-

n'a pas encore

et de l'injuste,

de

du

« bien et du mal, j e dis q u ' a v a n t d'initier c e t t e « s o c i é t é a u x m a l h e u r e u s e s p a s s i o n s qui dé« s o i e n t la vieille E u r o p e , il f a u d r a i t a u p a -

« r a v a n t l'initier aux principes

d'éternelle

« rale et d'éternelle justice qui lui sont « reusement presque

mo-

malheu-

inconnus.

« Il f a u d r a i t ( j e sais q u e j e vais s o u l e v e r « d e s m u r m u r e s v i o l e n t s ) , il f a u d r a i t , p a r « une éducation religieuse

bien

entendue,

« poursuivie a v e c p e r s é v é r a n c e , a p p r e n d r e « à c e s m a l h e u r e u x , qui s o n t d i g n e s de n o t r e

« sollicitude, que Vinceste,

l'adultère,

l'incen-

« die, le vol sont des crimes. » M.

le m i n i s t r e s ' a t t e n d a i t à s o u l e v e r d e s

m u r m u r e s v i o l e n t s , le Moniteur c o n s t a t e qu'il n'en fut r i e n ; j e m e b o r n a i à d i r e à M. R o main-Desfossés : «C'est une calomnie,

une

o d i e u s e c a l o m n i e , » et il c o n t i n u a t r a n q u i l lement sa lecture. En trages

effet,

M. le m i n i s t r e l i s a i t ! Ces

prodigués

émancipés,

ils

à

la

classe

entière

oudes

é t a i e n t é c r i t s , ils n'ont p a s

é t é a r r a c h é s , d a n s le feu d ' u n e d i s c u s s i o n , à un m o u v e m e n t d e c o n t r a r i é t é ou de c o l è r e ,


35

M, le m i n i s t r e d e l a m a r i n e e t des les a p r o f é r é s s a n s p r o v o c a t i o n

colonies

aucune

et

de p r o p o s bien d é l i b é r é ; c ' e s t q u e M. R o main-Desfossés fonctionnaires t o u t e s les

croit aveuglément des

Antilles

passions

et tous

qui

certains partagent

les p r é j u g é s

de

quelques m e n e u r s r é t r o g r a d e s . Mon h o n o r a b l e a m i , M. P e r r i n o n , e n

ré-

p o n d a n t , n'a p a s eu de p e i n e à é t a b l i r c o m bien peu é t a i t e x c u s a b l e u n e

telle

il lui a suffi de r a p p e l e r q u e les citoyens, montré,

si

cruellement

à peine

insultés,

attaque; nouveaux avaient

l i b r e s , un s e n s m o r a l e x -

t r a o r d i n a i r e . M. R o m a i n - D e s f o s s é s

l'ignorait-

il d o n c ? Il est c o n s t a t é , officiellement

constaté,

q u e , p a r m i les a f f r a n c h i s , le n o m b r e des m a r i a g e s l é g i t i m e s ( i m p o s s i b l e s du t e m p s de l'esclavage) dépasse

t o u t e s les e s p é r a n c e s

que

les a m i s les plus a r d e n t s des n è g r e s a v a i e n t pu c o n c e v o i r . Il e s t c o n s t a t é de m ê m e q u e c e s n è g r e s , si f a m i l i e r s a v e c

le v o l , au d i r e du

m i n i s t r e , c o n s a c r e n t le fruit d e l e u r s l a b o rieuses

é c o n o m i e s à a c h e t e r de petits m o r -

c e a u x d e t e r r e . N o u s a v o n s s o u s les y e u x un t a b l e a u officiel de l e u r s r é c e n t e s a c q u i s i t i o n s , q u i , p o u r le seul a r r o n d i s s e m e n t de la B a s s e Terre-Guadeloupe,

s'élèvent à 3 3 , 8 8 1 f r . ,

partagées entre quarante-six acheteurs. Au s u r p l u s , c o m m e n t se f a i t - i l , si M. R o main-Desfossés

c r o i t ê t r e d a n s le v r a i , c o m -


— 36 — m e n t se fait-il qu'il n'ait j a m a i s e s s a y é quoi q u e c e soit, depuis un an qu'il e s t m i n i s t r e , p o u r l ' é d u c a t i o n d ' h o m m e s , qui en o n t un tel b e s o i n ? C o m m e n t se fait-il qu'il a i t , a u c o n t r a i r e , r e p o u s s é la p r o p o s i t i o n faite en c o m m u n p a r MM. J o u a n n e t , P e r r i n o n et

moi,

t e n d a n t à a p p l i q u e r a u x c o l o n i e s la loi s u r l ' i n s t r u c t i o n p u b l i q u e ? Il s a i t p o u r t a n t b i e n q u e le p e u d'écoles qui e x i s t e n t a u x A n t i l l e s r e g o r g e n t d'élèves, et q u e plus de l a m o i t i é des e n f a n t s q u e les n è g r e s y e n v o i e n t n'y p e u vent t r o u v e r place. Quoi! deux siècles d'esclav a g e , s o u s la d o m i n a t i o n a b s o l u e de m a î t r e s b l a n c s , o n t c o r r o m p u à c e point les h o m m e s n o i r s q u e « les p r i n c i p e s d ' é t e r n e l l e m o r a l e l e u r s o n t i n c o n n u s , » et M. R o m a i n - D e s f o s s é s se plaint qu'on

les ait é m a n c i p é s t r o p t ô t !

C'est à peine c r o y a b l e . E n t o u s c a s , il e s t p e r m i s de s ' é t o n n e r q u ' a u m o m e n t où M. le m i n i s tre

de la

m a r i n e p r é s e n t a i t u n e loi s u r la

p r e s s e qui p u n i t « l ' e x c i t a t i o n à l a h a i n e et a u m é p r i s d'une c l a s s e c o n t r e l ' a u t r e , » s o n l a n g a g e ait é t é p r é c i s é m e n t u n e e x c i t a t i o n à la h a i n e e t a u m é p r i s de l a r a c e n o i r e . Si les lois a v a i e n t un effet r é t r o a c t i f , le p r e m i e r délit q u ' o n a u r a i t eu à p o u r s u i v r e , en v e r t u de l a loi n o u v e l l e , c ' e û t é t é a s s u r é m e n t le d i s c o u r s qu'il a lu p o u r l ' o b t e n i r . Que f e r a i t - i l , q u e p o u r r a i t - i l f a i r e si les j o u r n a u x b l a n c s

di-

s a i e n t a u x n è g r e s : « R e c o n n a i s s e z la su p r é -


37 —

matie que nous revendiquons; vous n'êtes point nos égaux ; le ministre des colonies a proclamé été une

que votre émancipation

imprudence,

malheureux dignes exacte du

de

que

avait

vous étiez

des

p i t i é , sans notion

bien et du m a l , et auxquels il

fallait apprendre que l ' i n c e s t e , l'adultère, l'incendie et le vol sont des crimes. » Le fait est que j a m a i s les organes les plus exaltés des anciens maîtres n'ont lancé aux nouveaux libres d'insultes aussi poignantes, aussi bien faites pour exaspérer leur indignation ; j a mais ils n'ont tenu contre eux un langage à

la fois plus méprisant

et plus

impru-

dent. Certes, leur polémique est d'une v i o lence e x t r ê m e , mais il leur serait impossible de surexciter autant les passions que M. le ministre des colonies, par les injures adressées du haut de la tribune à la c l a s s e tout entière des émancipés. Par bonheur, l'admirable bon sens des noirs suffira pour en faire j u s t i c e . Nous ne mettons dans ces réflexions a u cune animosité contre M. le ministre de la marine et des colonies, nous avons seulement voulu montrer combien les autorités, dont les rapports peuvent lui donner de pareilles idées, sont hostiles aux classes qu'elles p r é sentent sous un jour aussi faux q u ' o d i e u x .


38

-

DERNIER MOT. Maintenant, nous faisons appel aux hommes sérieux de toutes les opinions en F r a n c e : qu'ils s'éclairent consciencieusement sur ce qui se passe aux colonies, qu'ils étudient la conduite des deux partis. Pour cela, qu'ils mettent la politique de côté : la politique n'a rien à voir dans ce débat. On indispose fort habilement rité de l'Assemblée

la majo-

contre nos amis

Antilles en en faisant des socialistes,

des

toutefois

il importe qu'on le s a c h e , comme l'a t r è s bien dit le Journal

des Débats lui-même, pour

les hommes du passé aux Antilles, tous les abolitionistes sont des socialistes. Cette t a c tique a r é u s s i ; la majorité a conçu des p r é ventions et le gouvernement craint de passer pour protéger des socialistes en se montrant impartial ; mais la pure vérité est qu'il n'y a n i socialistes ni conservateurs à la Martinique et à la Guadeloupe, il n'y a que des classes dont l'une veut l'égalité, sortie pour elle de la révolution, et dont l'autre a des coryphées qui revendiquent imprudemment pour elle une ancienne prépondérance. Au surplus, pour montrer ce qu'on doit croire de toutes les calomnies contre les rouges,

les anarchistes

répandues

des colonies,

nous rapporterons un épisode de cette déplo-


— 39 — rable g u e r r e . L o r s q u e marine

rappela

le

le

ministère

commissaire

de

la

général,

M. P e r r i n o n , il c é d a a u x p l a i n t e s les

plus

a r d e n t e s de q u e l q u e s c o l o n s , il n'y a l l a i t p a s moins q u e du s a l u t d e la r a c e e u r o p é e n n e m e n a c é e , d i s a i t - o n , p a r les f u r e u r s de la s u b s t i -

tution et la barbarie native des Africains. t a n t dit a u p o u v o i r Martinique,

On a v a i t

e x é c u t i f , la Feuille

de la

o r g a n e du p r é t e n d u p a r t i de l ' o r -

dre avait tant répété que

l'administrateur

m u l â t r e m e n a i t c e t t e île à l ' a n a r c h i e e t a u massacre

des

b l a n c s , qu'il

taines influences

aidant,

avait

fini,

p a r en ê t r e

s u a d é ; M. l ' a m i r a l B r u a t , n o u v e a u

cerper-

gouver-

n e u r g é n é r a l de la M a r t i n i q u e , p a r t i t é g a l e ment

a v e c c e t t e idée.

Voici c e qui

arriva.

P e u d e t e m p s a p r è s son d é b a r q u e m e n t , l ' a m i r a l r e ç u t u n e d é p u t a t i o n de c o l o n s qui v e -

n a i e n t , d i s a i e n t - i l s , «saluer

en lui toutes les

espérances d'un avenir meilleur. » Mais, i n s t r u i t p a r le s p e c t a c l e qu'il a v a i t s o u s les y e u x , c e t officier

général

répondit

: « Messieurs,

la

« F r a n c e n e p e u t faire p o u r v o t r e p a y s t o u t « c e qu'elle v o u d r a i t «abandonnés,

c'est qu'en

Si vos p o r t s

sont

E u r o p e on

vous

« c r o y a i t en p r o i e au p l u s affreux d é s o r d r e . « M o i - m ê m e , j e p e n s a i s , en v e n a n t v e r s v o u s , « qu'il m e f a u d r a i t t i r e r le s a b r e , mais

« et la tranquillité

vous sont assurés,

« p r o m e t s de les m a i n t e n i r . »

l'ordre

je v o u s


40 —

M. Bruat resta longtemps clans ces c o n victions, si bien qu'alors on l'accusait c a t é goriquement,

nominativement,

d'être

un

des chefs du complot ayant pour but l'expulsion de la race b l a n c h e ; on l'appelait

le

grand amiral des r o u g e s ! A une

époque où ne

Martinique

que deux

se publiait

feuilles

à la

appartenant

toutes deux aux anciens privilégiés, l'amiral écrivait encore à M. le ministre de la marine, le 2 5 septembre 1 8 4 9 , après une année de séjour aux Antilles : « La presse « périodique est aux colonies un des plus « puissants

éléments

de

l'agitation

des

« esprits. Son langage incisif et passionné, « reflet, soit du regret du passé, soit d'une e s p é « rance antigouvernementale, se livre, e t c . « Le Courrier, qui se prétend « de l'ordre,

entretient

l'organe des amis

et crée ici des

désordres

« préjudiciables aux intérêts des propriétai« res sérieux. Les calomnies

qu'il

avance sont

« tellement inouïes qu'elles peuvent tromper « ceux qui ne connaissent pas les faits et les « personnes. » Oui, ces accusations de propagande

de

haine, portées par une infime faction des a n ciens privilégiés contre la classe de couleur, ne peuvent égarer que ceux qui ne connaissent pas les faits et les personnes. E t , qu'on ne s'y trompe pas, elles ne sont pas nou-


41

v e l l e s , e l l e s f u r e n t t o u j o u r s le cri d e s c o n t e m p t e u r s d e l ' é g a l i t é a u x c o l o n i e s , le m o y e n qu'ils employèrent pour

perdre

ceux

qui

r e f u s e n t d'y r e c o n n a î t r e la s u p r é m a t i e d ' u n e r a c e s u r les a u t r e s . P o u r q u o i les m a r t y r s d e 1 8 2 4 e u r e n t - i l s à l a M a r t i n i q u e les é p a u l e s b r û l é e s p a r le fer r o u g e d u b o u r r e a u e t furent-ils envoyés aux galères à perpétuité? « P o u r avoir colporté u n libelle, conçu de « m a n i è r e à émouvoir « les hommes

les esprits et à soulever

de couleur

contre

les blancs. »

( A r r ê t du 12 j a n v i e r 1 8 2 4 . ) C'est e n c o r e le m ê m e l a n g a g e , p r e s q u e les mêmes mots. Les h o m m e s de h a i n e e t de division qui o n t fait

le m a l h e u r d e s c o l o n i e s

n'épar-

g n è r e n t p a s p l u s la G u a d e l o u p e q u e la M a r t i n i q u e , sitôt a p r è s l ' é m a n c i p a t i o n , ils d i r e n t comme

aujourd'hui,

q u e c e t t e île « é t a i t

l i v r é e à l ' a n a r c h i e , q u e les b l a n c s y é t a i e n t m e n a c é s d ' e x t e r m i n a t i o n . » Le conseil p r i v é de la G u a d e l o u p e r é p o n d i t à ces i m p l a c a b l e s m e n s o n g e s , le 12 a o û t 1 8 4 8 , p a r u n e d é c l a r a tion s i g n é e d e MM. G a t i n e , c o m m i s s a i r e g é néral, Bayle-Mouillard,

procureur

général,

Pascal, c o m m a n d a n t militaire, Guillet,

or-

donnateur, Lignières (colon), directeur

de

l'intérieur, Donnet (colon), Mollenthiel ( c o lon), etc. « Il n ' e s t p a s v r a i q u e la G u a d e l o u p e soit


-42

livrée à l ' a n a r c h i e ; il

-

n'est

pas vrai que nous

s o y o n s e x p o s é s à la f a m i n e ; il n'est p a s v r a i , s u r t o u t , q u e les b l a n c s s o i e n t m e n a c é s

d'ex-

t e r m i n a t i o n . » Peu de t e m p s a p r è s , M. le p r o c u r e u r g é n é r a l disait e n c o r e d a n s u n e c i r c u laire : « L a tranquillité

d e v i e n t de plus en

plus g r a n d e ; d ' e x c e l l e n t s

rapports semblent

s ' é t a b l i r e n t r e les p r o p r i é t a i r e s et les t r a v a i l leurs. » Les colonies jouirent, longtemps après l'ém a n c i p a t i o n , d'un c a l m e r é e l ; n o u s n ' a v o n s p a s le p r o j e t d ' e x p o s e r ici c o m m e n t et p a r qui elles furent j e t é e s d a n s la g u e r r e c i v i l e , c e l a n o u s f e r a i t s o r t i r du c a d r e d e c e t é c r i t : c e q u e n o u s v o u l o n s d i r e , c ' e s t qu'on vérité

bien

injuste

aujourd'hui

classe

de c o u l e u r ; on lui s u p p o s e

rement, sans l'ombre

môme

est

en

envers

la

volontai-

d'une p r e u v e ,

d ' e x é c r a b l e s d e s s e i n s , c o m m e si l'on souvenait

ne

pas qu'aux heures de c r i s e ,

m o n t r a u n e s a g e s s e , un d é v o u e m e n t

se elle

à l'or-

d r e , n o u s ne c r a i g n o n s pas de d i r e , u n e g é n é r o s i t é a u x q u e l s ses a d v e r s a i r e s e u x - m ê m e s , devenus

trop ingrats,

ment hommage.

rendirent

publique-

L e 2 2 mai 1 8 4 8 , a l o r s q u e

l ' é m a n c i p a t i o n n ' é t a i t pas e n c o r e p r o n o n c é e , u n e a r r e s t a t i o n a r b i t r a i r e s o u l è v e les e s c l a v e s de t o u t un q u a r t i e r , à la M a r t i n i q u e ; l a r é v o l t e la p l u s m e n a ç a n t e e s t m a î t r e s s e

de

la ville de S a i n t - P i e r r e , l ' a u t o r i t é a d i s p a r u .


— 43

-

Quelle Fut, d a n s c e t t e g r a v e o c c u r r e n c e , la c o n d u i t e des m u l â t r e s , qui r ê v e n t m e n t le m a s s a c r e de la r a c e

actuelle-

blanche

pour

se s u b s t i t u e r à e l l e ? L ' a d r e s s e s u i v a n t e , p r é s e n t é e à M. F r a n ç o i s P r o c o p e p a r les b l a n c s de S a i n t - P i e r r e , v a n o u s l ' a p p r e n d r e :

« Saint-Pierre-Martinique, 30 mai 1848.

« Citoyen, « Au n o m d e s h a b i t a n t s d u M o u i l l a g e ,

de

« n o s femmes, d e n o s enfants, protégés et sauvés «par

vos soins d a n s la d o u l o u r e u s e

« 22 mai, nous « but

de

vous

notre

« Si v o t r e prudence

n u i t du

p r i o n s d ' a g r é e r le t r i -

profonde

reconnaissance.

s ' e s t p l u e à t a i r e les m e -

« s u r e s s a g e s et h a r d i e s à l'aide

desquelles

« v o u s a v e z d o m i n é u n e s i t u a t i o n si c r i t i q u e , « nos

c œ u r s les

ont

devinées,

« n ' a v o n s t r o u v é q u e secours « o ù , sans e l l e s ,

« peut-être, « vous

nous

n'eussions

qu'hostilités

rendons

grâces,

« q u ' à tous ces nombreux « noblement

quand

mis en pratique,

et

nous

et protection

là,

trouvé,

dangers.

Nous

citoyen,

ainsi

citoyens qui ont si et quelquefois

au

« péril

de leur vie, la mémoire de F R A T E R N I T É

« qu'ils

tenaient de vous : s o y e z n o t r e i n t e r -

« prèle auprès d'eux.

P o u r la plupart,

ils se

« sont d é r o b é s à nos r e m e r c î m e n t s , ne v o u -


44

« l a n t q u e le t é m o i g n a g e d e l e u r c o n s c i e n c e . « Qu'ils e n j o u i s s e n t d o n c

dans

le s e c r e t

« d ' u n e n o b l e fierté, et p u i s s e Dieu r é c o m « p e n s e r t a n t de grandeur et de dévouement ! « Salut et fraternité : « Wenter-Durennel, « Coutens,

juge

— G. Borde,

de paix ; —

— J. Borde,

« C. de la Rivière, — Artaud fils, —

Le-

« grand, — Cicéron, avocat, — E. « — Giraud,

— E. Saint-Vel,

« Saint-Vel, « Glandut,

— —

« de Lauréat « Boutéreau, « tier , — R. « rouet,

Clément

mai,

commissaire

Sainte - Croix,

Cassé —

— A.

O'Shanghnessy,

Carlhan.

Alph.

de Caton ,

— J. Bonnet,

R.

Lepelle-

Bour-

»

M. F r a n ç o i s P r o c o p e 22

Th. Surlemont. de

Porry,

nommé, de police,

échappé depuis aux destitutions

après n'a

le pas

systéma-

tiques qui sont venues frapper p r e s q u e tous les n o i r s e t m u l â t r e s q u i a v a i e n t é t é a p p e l é s , p a r l ' a b o l i t i o n de l ' e s c l a v a g e , à des f o n c t i o n s publiques.

Lui a u s s i est

actuellement

un

anarchiste des plus d a n g e r e u x ! Q u o i ! ce m u l â t r e q u i , a u 2 2 m a i 1 8 4 8 , a s a u v é les femmes et les enfants d e s b l a n c s , v e u t a u j o u r d ' h u i o p p r i m e r , e x p u l s e r les m a r i s et les p è r e s ! Q u o i ! il les a p r o t é g é s avec

grandeur


- 45 — et dénouement,

p o u r e n s u i t e souffler la h a i n e

contre

E v i d e m m e n t c'est

eux!

E t c e s nombreux

impossible.

c i t o y e n s qui ont mis la

fra-

ternité en pratique au péril de leur vie, a u p r è s d e s q u e l s on n'a t r o u v é q u e secours et protection

qu'hos-

lorsqu'on S'ATTENDAIT à ne t r o u v e r

tilité et danger,

n e s o n t - c e p a s les n è g r e s e t

les s a n g - m ê l é s

que

h e u r e c o m m e « des «l'incendie

des

l'on

représente à cette

Africains éclairant par

t u e r i e s i n c o n n u e s p a r m i les

« h o r d e s qui h a b i t e n t les c o n t r é e s les

plus

« sauvages(1). » A la Guadeloupe, g r â c e au ciel, a u c u n é v é nement funeste

ne vint t r o u b l e r la p a i x p u -

b l i q u e ; m a i s les h o m m e s d e c o u l e u r s'y s o n t ils m o n t r é s h o s t i l e s a u x c o l o n s ? O n t - i l s m a l employé

l e u r g r a n d e influence

franchis? d'alors,

E c o u t o n s le

s u r les

procureur

af-

général

M. B a y l e - M o u i l l a r d , en c e m o m e n t

s e c r é t a i r e g é n é r a l du

ministère de la j u s -

tice : « J u s t i c e a é t é faite à t o u s . L e s m u l â t r e s , « p o u r qui c e t t e j u s t i c e é t a i t presque « veautè,

une

nou-

en o n t g a r d é b o n s o u v e n i r , et l e u r

« r e c o n n a i s s a n c e n'a pas été étrangère au main« tien de l'ordre,

q u a n d la r é v o l u t i o n

répu-

« blicaine est venue nous s u r p r e n d r e , p r e s s e

« sans forces, presque sans autorité, (1) Pétition des colons et Havre.

e n face de

n é g o c i a n t s résidant au


- 46 — « Saint-Domingue et à quinze cents lieues de « la F r a n c e ( 1 ) . » On oublie, on veut oublier tout cela, et c'est avec trop de raison que nous pouvons répéter ce que M. le capitaine de vaisseau Layrle, ancien gouverneur de la Guiane et de la Guadeloupe, aujourd'hui directeur du personnel au ministère de la marine, disait tristement en 1 8 4 2 : « Les torts ne sont pas du côté de la classe de « couleur.

L'exclusion sociale dont elle est

« frappée peut faire naître en elle des r e s « sentiments, des idées de vengeance contre « ceux qui la tiennent dans l'isolement. Les progrès « des mulâtres n'atténueront pas les fâcheux «dissentiments que les prétentions

injustes de

« nos colons ont fait naître ( 2 ) . » Aux

prétentions

injustes

dont

parle

M. Layrle, il faut ajouter aujourd'hui l'insigne et déplorable faiblesse que met à les écouter un ministère dont le premier devoir serait de les réprimer. Voilà cette classe si longtemps écrasée par une législation sauvage et que l'on semble vouloir écraser de nouveau sous les imputations les plus h o r r i b l e s ! Telle fut, la c o n (1) Discours d'installation de M. Bayle, comme procureur général près la Cour de Douai. (2) Abolition de l'esclavage dans les colonies anglaises, p. 273.


—47— duite

des

hommes

Guadeloupe

dont

un j o u r n a l de

la

disait n a g u è r e : « L a p r e m i è r e

« c a u s e qui s'oppose à la fusion

des r a c e s

« a u x colonies est la haine systématique

d e la

« c l a s s e d e c o u l e u r c o n t r e la c l a s s e b l a n c h e ; « la s e c o n d e est c e t t e e n v i e ,

cette jalousie

« qui o u v r i r e n t la s c è n e du m o n d e p a r un

« fratricide

de la race de couleur c o n t r e la race

« blanche.

L e s m u l â t r e s n ' o n t j a m a i s pu p a r -

« d o n n e r a u x b l a n c s la supériorité « c e u x - c i ! » (Commercial,

native de

7 novembre 1 8 4 9 )

E t les i n s e n s é s qui i n t r o d u i s e n t ainsi l e u r s i m p l a c a b l e s p a s s i o n s de c a s t e d a n s l a f a m i l l e i m m é d i a t e d ' A d a m , les i n s e n s é s qui p o u s s e n t l'aberration de leurs préjugés jusqu'à faire d e Gaïn un m u l â t r e et d'Abel un b l a n c , p a r -

lent de la h a i n e systématique

des métis

contre

les caucasiens ! N o u s d e m a n d o n s q u e l'on se r a p p e l l e l ' a d r e s s e r e m i s e à M. P r o c o p e , n o u s

deman-

d o n s q u e l'on m é d i t e les p a r o l e s du c o n s e i l p r i v é de l a

Guadeloupe,

de M. L a y r l e ,

de

M. B a y l e - M o u i l l a r d , d e M. B r u a t et l ' a c c u s a tion

de c o m p l o t c o n t r e la c l a s s e

blanche,

d o n t c e d e r n i e r fut l'objet en m ê m e t e m p s q u e M. T r a c y , a l o r s m i n i s t r e ; on j u g e r a a l o r s c e qu'il faut p e n s e r de c e u x q u e les m ê m e s a c c u s a t e u r s c o n t i n u e n t à p r é s e n t e r c o m m e des

anarchistes,

des incendiaires

cherchant

dans la misère ; on j u g e r a de ces calomnies

l'égalité inouïes


— 48 — en pesant surtout ce fait, de la dernière authenticité : c'est que les maisons des incendiaires sont les seules qui brûlent, c'est que les incendies n'ont politiquement profité qu'aux accusateurs ( 1 ) . Sans les incendies, en effet, lès prétendus amis de l'ordre, comme s'exprime M. le gouverneur général des Antilles, n'auraient pas obtenu l'état de siége, et avec l'état de siége la dissolution des conseils municipaux où nègres et sang-mêlés se trouvaient en majorité ; les cartes de sûreté, qui entravent la libre locomotion des individus des classes suspectes; enfin, l'emprisonnement ou la proscription des mulâtres influents dénoncés comme dangereux. V.

SCHOELCHER.

(1) Je constate ici un fait positif, mais j e déclare n'en pas induire que les accusateurs sont les incendiaires ; si j e te croyais, j e ne l'insinuerais pas, j e le dirais en face : j e ne le crois pas. Dans ma conviction les incendies de la Guadeloupe sont, les uns, les deux plus considérables, des accidents malheureux ; les autres, trois ou quatre tentatives, des crimes tout individuels, que des hommes sans cœur exploitent perfidement, en les généralisant, au détriment de leurs adversaires politiques.

FIN.

Paris. — D E SOYE et Cie, imprimeurs, rue de Seine, 3 6 .


LOI DE 18 SEPTEMBRE 1850, (1)

SUR LES ESCLAVES FUGITIFS AUX ÉTATS-UNIS .

§ I. — ORIGINE DE LA L O I .

Lorsqu'en 1 7 8 7 les héros de la guerre de l'indépendance, se montrant les avant-coureurs du progrès, fondèrent la République des États-Unis, ils laissèrent malheureusement leur œuvre imparfaite. Le pacte fédéral si largement assis sur les bases de la liberté et de l'égalité, permit que plus de 3 0 0 , 0 0 0 hommes faisant partie de la population de plusieurs des EtatsUnis fussent gardés en servitude dans les conditions les plus outrageantes pour l'humanité, de génération en génération, indéfiniment. Si un pareil crime était excusable, on pourrait dire que les grands citoyens qui s'en rendirent coupables crurent céder à la force irrésistible des choses ; ils espéraient évidemment, ils manifestèrent même la prévision qu'à mesure que disparaîtraient les difficultés extérieures, le développement naturel des institutions républicaines modifierait les mœurs comme les idées des planteurs, et adoucirait l'esclavage qui disparaîtrait insensiblement. Cette appréciation de la pensée des fondateurs de la liberté américaine se justifie par le texte de la Constitution même. Le mot esclave ne s'y trouve nulle part, il n'y est pas prononcé; ce terme odieux ne souille pas une seule fois ce noble contrat, il est remplacé par celui de personne engagée à servir, tenue en service ( p e r s o n held to service). Les législateurs avaient évidemment honte de ce qu'ils avaient cru devoir sacrifier aux embarras de la situation, et conservaient l'espoir que cette tache ne tarderait pas à disparaître. Déplorable et funeste erreur, les faits n'ont que trop prouvé que c'est toujours une immense faute de transiger avec les principes ! (1) Extrait de la Liberté de Penser, juillet 1 8 5 1 . 4

NUMÉRO D'ENTRÉE:

5660


2

ESCLAVES FUGITIFS AUX É T A T S - U N I S .

L'esclavage a poussé de profondes racines dans les états qui ont eu le malheur et la barbarie de le sanctionner chez eux, et l'on ne peut prévoir ce qu'il en coûtera à la grande république américaine pour l'en extirper ! La continuité de la traite a fait monter le chiffre primitif des 3 0 0 , 0 0 0 esclaves à 3 millions et plus. Mais en dépit de la Constitution qui déclare les esclaves propriété mobilière, malgré les lois de divers états qui les placent au rang des animaux domestiques, les noirs sont des hommes comme les blancs, ainsi l'a voulu la nature. Si grand que soit l'abrutissement où le dur régime qu'ils subissent plonge le plus grand nombre, il en est cependant encore beaucoup dont l'énergie morale résiste à la c o m pression. Pour eux la servitude est un affreux supplice, le rêve de la liberté devient une soif ardente que la fuite à t r a vers mille périls, et au prix même de la vie peut seule s a tisfaire. L a juxta-position des territoires confédérés a placé les nègres de l'Union dans une situation comparativement plus favorable que ne l'étaient ceux des autres colonies, circonscrits dans les limites de leurs îles. Les bornes qui marquent les frontières des divers états sont les seuls obstacles matériels qui séparent l'esclave de la liberté. Quelques âmes fortes et courageuses ont de tout temps mis cette circonstance à profit en s'échappant du sud vers les contrées plus protectrices du Nord; l'article suivant de la Constitution prouve que dès 1787, on voulut pourvoir à ces cas d'évasion : « Tout individu ayant fui de l'état où » il était tenu en service ou travail, et s'étant réfugié dans un » autre état, ne sera pas, quelles que soient les lois de celui-ci, » déchargé de ses obligations, il devra être remis sur r é c l a m a » tion aux mains de celui auquel son service ou travail est » dû. » En 1 7 9 3 , le congrès adopta des mesures propres à assurer l'exécution de cette disposition, mais de vives réclamations accueillirent un tel acte législatif; une de ses clauses surtout, celle qui enlevait au fugitif le jugement par le jury, souleva une grande opposition. Quelques états du Nord, en vertu du droit qu'a chaque état de faire ses lois propres, défendirent à leurs tribunaux de rendre aucun arrêt sans le concours du jury, et la magistrature se conforma strictement à cette prescription.


ESCLAVES FUGITIFS AUX É T A T S - U N I S .

3

D'autres allèrent jusqu'à considérer longtemps la loi de 1793 comme n'étant pas obligatoire. Ainsi New-York ne la valida qu'en 1 8 1 2 , la Pensylvanie, en 1817, le Massachussets, en 1 8 2 3 , et encore sans pour cela l'exécuter; ils se refusaient également à rendre aucun évadé réfugié sur leur territoire. Quelques-uns ne consentirent pas qu'on déposât dans leurs prisons locales les fugitifs (c'est ce que nous appelons les marrons) arrêtés chez eux. Il n'est pas sans exemple qu'en vertu de réglemens de p o lice des états dissidens, le propriétaire réclamant un esclave n'ait été lui-même emprisonné sous prévention d'avoir à tort revendiqué un homme libre, s'il ne pouvait fournir les preuves les plus convaincantes de son droit. Ces entraves, a p portées dès le principe à l'exécution de la loi, contribuèrent, par les dépenses et les embarras qu'elles suscitaient aux p r o priétaires , à en rendre l'application si difficile, qu'elle devint à peu près lettre morte. Mais le prix d'un esclave, aux États-Unis, varie de 500 à 1,000 dollars (2,500 à 5,000 fr.) ; aucun maître ne perdit jamais cette somme de sang-froid; ils se promettaient bien de saisir la première occasion favorable de chercher remède au mal, l o r s qu'en 1850 une question de tarifs et qui s'agitait entre le Nord, le Sud, suggéra l'idée au Sud de tirer partie de son influence pour fortifier la loi de 1 7 9 3 . Il chargea en conséquence ses r e présentans de demander au congrès de nouvelles garanties pour ses prétendus droits sur une propriété pensante qui s'enfuyait et se dérobait elle-même. Avant d'examiner le compromis qui eut lieu et qui donna gain de cause aux possesseurs d'esclaves, jetons un coup d'œil rétrospectif sur les années qui se sont écoulées depuis 1793 et sur les événemens qui ont pu amener les esprits à la fatale décision de 1 8 5 0 . Devant ces deux dates on ne peut passer outre sans quelques réflexions. L'ardeur des maîtres d'esclaves fugitifs à les réclamer s'était ralentie en raison de l'affaiblissement de l'esprit révolutionnaire en Europe. Les abolitio— nistes Anglais travaillaient, il est vrai, à l'affranchissement des colonies de la Grande-Bretagne, mais la résistance qu'ils rencontraient était si formidable ! Quand le vote libérateur fut enfin arraché au parlement, les planteurs américains purent encore se rassurer en mettant dans la balance opposée trente


4

ESCLAVES FUGITIFS AUX ÉTATS-UNIS.

années d'efforts incessans, des sommes énormes sacrifiées à l'indemnité, la distance qui séparait les législateurs anglais du foyer du préjugé de couleur, et encore la position subordonnée des colons de l'Inde-Occidentale envers la mère-patrie. Il y avait bien aussi quelques préoccupations chez les américains du Nord en faveur de l'affranchissement, mais elles restaient dans le vague et sans écho. Les philanthropes de P h i ladelphie, de New-York, de Boston, se bornaient à discuter quelle forme on donnerait à l'émancipation, à quel âge on fixerait les droits à la liberté, à quelle époque on pourrait définitivement mettre un terme à l'esclavage! Encore, faute de se croire obligé de réaliser soi-même ses généreuses intentions, cahcun en laissait-il volontiers la charge à ses continuateurs. Ces utopies, on le voit, n'étaient point fort alarmantes. Mais, en 1 8 3 0 , quelques heures après le réveil de l'Europe, l a cause des opprimés reçut tout à coup une impulsion i m mense. L'État de Massachussets, qui avait pris l'initiative lors du pacte fédéral de l'émancipation opérée dans plusieurs états du Nord, eut encore une fois la gloire de prononcer la formule qui fit entrer les abolitionistes dans une voie nouvelle. Un homme auquel l'histoire décernera une page aussi brillante que pure dans le livre des bienfaiteurs de l'humanité, William Lloyd Garrison, créa, le 1 janvier 1831, à Boston, un journal, le Liberator, dans le premier numéro duquel parut sa profession de foi : « Nul n'a le droit de retenir son sem» blable, même une heure de plus, en état de servitude. » Ce journal, commencé au milieu de difficultés inouies, continué vingt ans avec une persévérance, un dévoûment, une énergie admirables, a porté des fruits précieux. A la suite de ses premières publications, une société en faveur de l'émancipation immédiate fut fondée, les idées abolitionistes se propagèrent rapidement, se fortifièrent, grandirent, et l'insolente quiétude des maîtres commença à se troubler. 4848 arrive, un seul et même jour de cette année, jour à jamais glorieux pour la République française, donne la liberté à tous les esclaves de nos colonies ! Quand les possesseurs d'esclaves, déjà fort inquiets des doctrines parties de Boston, virent le noir émancipé enfin dans les possessions des deux nations les plus civilisées du monde, leurs plaintes devinrent des clameurs, leurs r é c l a m a er


ESCLAVES FUGITIFS AUX É T A T S - U N I S .

5

tions des menaces ; le mot môme de dissolution de l'Union fut prononcé. Vers la même époque, avons-nous dit, le Nord de l'Union se plaignait devant le Congrès des tarifs qui frappaient ses produits. Ce fut alors que, pour concilier tous les partis, M. Clay élabora et présenta le fatal compromis dont nous avons parlé, et dont voici les dispositions qui ont le plus directement rapport à notre sujet : les représentans du Sud accéderaient à l'admission de la Californie sur le pied d'Etat libre, c'est-à-dire sans esclaves, à l'abolition de la traite (domestic slave trade) et de l'esclavage dans le district de Colombie (1 ), et à une révision des tarifs en faveur des produits des Etats du Nord. En r e tour, les représentans du Nord voteraient une loi rédigée de façon à assurer désormais la capture des esclaves fugitifs, des malheureux coupables de se voler eux-mêmes (self stealers). L a transaction fut acceptée, mais la proposition de l'abolition de l'esclavage dans le district de Colombie ayant échoué et celle des tarifs étant remise à la prochaine session, les lois sur l'abolition de la traite dans ce district et sur la Californie furent seules votées avec celle concernant les esclaves fugitifs. § I I . — ANALYSE ET APPRÉCIATION DE LA LOI.

Nous nous contenterons de donner l'analyse de cette loi, r é digée par un M. Mason, sénateur pour la Virginie. « Acte adopté comme amendement à celui sur les fugitifs » de justice et les personnes échappées du service de leurs » maîtres, approuvé le 12 février 1 7 9 3 . » Art. 1 . Les commissaires des Etats-Unis nommés ou à » nommer par les cours de districts sont autorisés à exercer les » pouvoirs conférés par l'acte du 24 septembre 1789 à tous » juges à l'égard des criminels, pour tous crimes ou délits » contre les Etats-Unis. » Art. 2 . L a cour suprême de chaque territoire ou Etat aura » le pouvoir de nommer de tels commissaires, et de leur c o n er

(I) L a Colombie est un petit territoire formé de concessions faites par la Virginie et le Maryland pour servir de siège au gouvernement fédéral. Ce territoire, dont la ville de W a s h i n g t o n , qui en occupe le centre, est la capitale, se trouve encore régi par les lois atroees de la Virginie et du Maryland.


6

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» férer la même autorité que possèdent ceux nommés par les » cours des Etats-Unis. » Art. 3. Lesdites cours pourront augmenter le nombre de » leurs commissaires à volonté. » Art. 4. Lesdits commissaires auront la même juridiction » que les juges des cours des Etats-Unis et des cours suprêmes » des territoires. » Toutes preuves satisfaisantes étant fournies, ils autorise» ront les demandeurs à saisir et emmener les fugitifs du s e r » vice ou du travail pour réintégrer ces individus dans l'Etat » ou territoire d'où ils se seraient échappés. » Art. 5. — Tous maréchaux et vice-maréchaux sont tenus » de délivrer et faire exécuter tout mandat, toute instruction, » toute procédure pour aider à l'arrestation ou à l'emprison» nement de tous fugitifs, sous peine, en cas de refus, d'une » amende de mille dollars (5,000 fr.), au profit du réclamant, » et si le fugitif arrêté s'échappe de la prison du maréchal » avec ou sans sa participation, il est responsable, sur son » cautionnement officiel, de tous les frais et de la valeur inté» grale du fugitif. Le maréchal a aussi tout pouvoir pour » nommer des commissaires, qui pourront eux-mêmes d é » cerner tout mandat et avoir recours à la force armée en » cas de besoin. Il est, en outre, enjoint à tout bon citoyen » d'aider et assister l'exécution de la présente loi, s'il en était » requis. » » » » » » » » » » » » »

» Art. 6 . — Le propriétaire ou son fondé de pouvoirs est autorisé à saisir son fugitif, avec ou sans mandat d'arrêt, et à l'amener devant une des Cours, ou un des juges ou c o m missaires susdits, qui décidera le cas sommairement, et, sur le témoignage oral ou affirmation par serment des droits du demandeur, il sera délivré un certificat regardé valable, qui lui permettra de reprendre immédiatement le fugitif et d'employer la force s'il y a besoin. Le témoignage du fugitif n'est admis dans aucun cas et sous aucun prétexte. » Art. 7. — Toute personne qui, le connaissant, n'arrêterait pas un fugitif, tâcherait d'empêcher l'arrestation, l'aiderait directement ou indirectement à s'échapper, lui donnerait asile, le cacherait, etc., sera passible d'une amende de mille dollars et six mois de prison; de plus, il sera jugé par les Cours des Etats-Unis, poursuivi en dommages et intérêts paj^


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» le propriétaire jusqu'à concurrence d'une somme de mille » dollars pour chaque fugitif ainsi échappé. » Art. 8 . — Lesdits maréchaux, leurs remplaçans ou clercs, » recevront, à titre d'honoraires, la somme de dix dollars si » le fugitif est condamné, cinq s'il est acquitté. Toute personne » qui aura aidé à l'arrestation recevra aussi la somme de cinq » dollars en y ajoutant les autres frais jugés nécessaires. » Art. 9 . — Sur l'affirmation du réclamant, l'officier qui a » effectué l'arrestation peut être requis de reconduire lui-même » le fugitif chez son maître et d'employer la force qu'il jugera » nécessaire, s'il y a lieu. Toute dépense de milice armée et » frais de transport sont à la charge du trésor des Etats-Unis. » Ledit officier ou assistant recevra pendant la durée de son » service la même indemnité et les mêmes frais accordés pour » le transport des criminels par le gouvernement des E t a t s » Unis. » Art. 1 0 . — Si un individu tenu au service ou travail s'é» chappe, le maître est tenu d'en faire la déclaration à l'une » des Cours d'un territoire quelconque ou, en cas de vacance, » à un juge ou tout autre officier remplaçant et de donner son » signalement, et sur sa production ou celle de tout autre t é » moignage, fût-il oral, le fait est déclaré constant, et il lui » est délivré un certificat l'autorisant à arrêter et emmener » ledit fugitif partout où il le trouvera. Faute de ladite d é » claration, la réclamation sera de même accordée d'après » d'autres preuves reconnues suffisantes. » Signé HOWELL COBB, président de la Chambre » des représentans ; WILLIAM R . KING, prési» dent du sénat; MILLIARD FILLMORE, prési» dent des Etats-Unis. » Washington, 18 septembre 1 8 5 0 . » Cette loi maudite a passé à la Chambre des représentans à une majorité de 3 4 voix; 1 0 9 contre, 7 5 p o u r ; 4 8 membres étaient absens ou se sont abstenus. Sur les 2 5 2 membres composant la Chambre, 141 appartiennent aux Etats libres, dont 2 7 ont volé pour, et 91 appar tiennent aux Etats à esclaves. Ainsi, au moment où, d'un bout à l'autre de l'Europe, les peuples, émus p a r l a révolution française de 1 8 4 8 , s'agitent et


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marchent d'un pas accéléré dans les voies de la liberté à t r a vers mille maux causés par la résistance des rois, la République des Etats-Unis, qui jetait un si brillant éclat en développant les principes démocratiques, s'arrête, recule et r é trograde ! Ainsi, dira l'histoire, en plein dix-neuvième siècle, le 48 septembre 1 8 5 0 , le Congrès américain, réuni à Washington, délibérait. Etait-ce pour déclarer que la grande Confédération républicaine sympathisait avec les nations du vieux monde en travail de régénération? Non. C'était pour resserrer les chaînes de la servitude qui souille encore ses institutions, pour a c c o r der au maître la faculté d'étendre la main sur l'esclave fugitif en quelque lieu que ce soit ! L a postérité ne voudra pas croire cela. Cette loi viole le droit naturel et tout ce qu'il y a de plus sacré sur la terre. Elle sévit contre l'homme esclave qui reprend possession de soi-même; elle frappe d'une grosse amende l'homme libre qui aide ce malheureux dans sa détresse, qui lui donne asile, bien plus, qui ne se fait pas son dénonciateur. Non contente de punir le courage, l'hospitalité, la charité, elle rétribue la délation, elle commande la trahison !!! Un pareil acte législatif est une large barre sur l'honneur du peuple qui l'a édicté : jamais on n'érigea en loi tant d'immoralités, jamais on ne pratiqua d'aussi viles extorsions ; l'ancien despotisme turc n'aurait pu rivaliser avec une tyrannie aussi barbare, et c'est avec trop de raison que M. Gay, célèbre jurisconsulte des Etats-Unis, a pu dire : « J e regarde ce bill » comme une usurpation de pouvoir du Congrès, une v i o » lation palpable de la Constitution (1 ), un outrage aux senti» mens fraternels de l'humanité et une honte pour notre n a » tion. » Et c'est par les législateurs d'une République, à Washing(1) La Constitution des Etats-Unis porte (amendement, art. 8) : « Dans toute poursuite criminelle, l'accusé a droit au procès public par devant un jury impartial, il a droit à la confrontation des témoins à charge et au procès contradictoire pour les témoins admis en sa faveur, à un conseil de défense, et, dans les procès civils, dont la valeur excédera 20 dollars (100fr.),il a également droit au jury (art. 1 , section X ) . Le privilége d'habeas corpus ne sera suspendu qu'au cas de rebellion ou de trahison contre la sûreté puer

blique. »


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ton, dans la ville qui porte le nom du plus grand homme des temps modernes, parce qu'il en fut le plus juste, qu'une loi aussi odieuse a été rendue ! O honte! ô désolation ! Quand donc, où donc la sainte égalité de tous les humains sera-t-elle sacrée ? Le droit n'aura-t-il jamais sur la terre d'autels respectés? I l faut que les Américains l'entendent : le pays qui ajoute cette sanction nouvelle à l'esclavage, à un crime de lèse humanité, ignore ce qu'est la liberté; non, mille fois non, ce pays n'est pas digne du titre de républicain. Les possesseurs d'esclaves, légiférant pour recouvrer leur propriété vivante, se sont montrés d'une funeste habileté ; s'ils ne ramènent pas dans les marais de leurs rizières, dans les champs de leurs cannes, dans les plantations de leurs c o t o n niers jusqu'au dernier des fugitifs, ce ne sera pas faute d'avoir attaqué les plus mauvaises fibres du cœur humain, comme on vient de le voir, pour restaurer la fatale loi de 1793. Ils ont créé d'abord une magistrature exceptionnelle, c'est-à-dire que, sous le nom de commissaires des Etats-Unis, un nombre illimité de particuliers n'appartenant à aucune branche de la j u dicature sont directement investis par le gouvernement fédéral du droit de décider, après la plus sommaire procédure, c h a cun isolément et d'après sa seule conviction, sur le sort d'un fugitif ou prétendu fugitif quelconque en état d'arrestation. Et comme si ce n'était point assez de confier la destinée d'un homme aux appréciations d'un seul autre homme, pour g a rantir la partialité de ce juge unique et improvisé, ils ont imaginé, dans un pays où tout le monde calcule, de donner au commissaire dix dollars (50 fr.) en cas de conviction du prévenu et cinq dollars seulement s'il y a acquittement! Il gagne, à condamner, cinq dollars de plus qu'à absoudre ! Et si la victime s'échappe des mains du maréchal, avec ou sans sa participation, celui-ci se trouve responsable des frais de la procédure et est tenu de payer au maître le prix total que ce dernier met au fugitif ! § III.

— CRUELS E F F E T S DE LA L O I .

Dans les Etats du Nord, cette œuvre de la législature fédérale, qui pourtant encore ne satisfait pas tous les désirs des propriétaires du Sud, souleva un cri général d'indigna-


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tion et de douleur. Les esprits les plus calmes, les amis de la légalité condamnèrent cette loi infâme avec la plus vive énergie, à cause de la suspension de l ' h a b e a s corpus, de la forme sommaire de la procédure, et surtout parce qu'elle viole un des principes les plus essentiels, les plus précieux de la législation américaine en enlevant le prévenu à son juge naturel, le jury. Elle fut ainsi tout d'abord déclarée inconstitutionnelle, non-seulement par la foule fanatique, selon l'expression de la presse du sud, mais encore par un grand nombre de magistrats et d'avocats, avec la minorité des représentans du peuple et des sénateurs. — Les Etats du sud la reçurent d'un air mécontent, criant bien haut que ce n'était là qu'une faible compensation des sacrifices que le nord leur avait a r r a chés dans le compromis, que ce n'était qu'un leurre, que le nord saurait bien la faire avorter. Une troisième nuance d'opinions qui menace malheureusement de monter à un chiffre considérable parmi la population des Etats libres, est celle des gens qui acceptent la légitimité du fait accompli. Ils conviennent que l'acte du 18 septembre est mauvais, mais le gouvernement ayant jugé nécessaire, à tort ou à raison, de convertir un attentat aux droits de l'homme en loi du pays, ils en concluent qu'il est du devoir de tout bon citoyen de se soumettre. C'est un malheur, assurément, disent-ils, mais il ne faut pas bouleverser le pays pour quelques nègres (plus de 3 millions d'âmes ! ) qui ne veulent pas être esclaves. Triste et fatal raisonnement devant lequel il ne reste rien de sacré ! Cette loi fonctionne aujourd'hui depuis plus de neuf mois. Les routes de l'Union sont sillonnées d'agens des planteurs du sud, désignés par les uns sous le nom terrible de chasseurs d'esclaves, et par les autres sous celui plus odieux encore de voleurs d'hommes. L a population de couleur est partout en proie à de mortelles alarmes, car on ne saisit pas seulement les fugitifs échappés depuis un ou deux mois, mais aussi d e puisunan, deux ans, cinq ans, dix ans même. L'effet rétroactif de la loi est indéfini. Tout homme, femme ou enfant dont la peau est un peu brune est exposé, s'il n'a pas de papiers parfaitement en règle, à être pris, quelle que soit sa qualité. Des m a l heureux échappés à leurs chaînes depuis plus de vingt ans, mariés, pères de famille, exerçant une honnête industrie, ayant


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double droit à la liberté, et p a r les efforts accomplis pour la conquérir, et par le bon usage qu'ils en ont fait, des hommes nés libres même se voient à chaque heure en danger d'être enlevés à leurs femmes et à leurs enfans, traînés devant un commissaire des Etats-Unis, reconnus fugitifs sur le témoignage d'un seul individu, adjugés séance tenante à celui qui les réclame, reconduits sous bonne escorte dans le sud et rendus ou livrés à la plus dure servitude sans espoir d'y échapper autrement que p a r la mort. Cet état de choses n'a pas plus rencontré une soumission passive chez ceux dont il compromet l'indépendance qu'il n'a trouvé d'approbation chez les Américains dignes de ce nom. Souvent déjà les fugitifs se sont énergiquement levés contre les maréchaux des Etats-Unis. Le sang coule tous les jours par l'effet de la loi. Beaucoup de nègres ont acheté des armes et juré de se défendre eux et leurs frères à tout prix, ils sont décidés à vendre chèrement leur liberté ou leur vie ? Des actes d'insurrection flagrante ont éclaté sur différens points. Citons quelques faits : En novembre dernier, une bande de chasseurs d'esclaves venue du Kentucky pénètre au milieu de la nuit dans le village de Newport, où un assez grand nombre de fugitifs vivaient tranquilles. L'éveil est donné, tous les noirs libres ou fugitifs se rassemblent au centre du village, les abolitionistes du lieu forment l'arrière-garde. Le maréchal les suit à cheval et a r m é , l'un des individus du groupe est signalé par l'homme qui avait servi de guide aux chasseurs d'esclaves ; aussitôt un des brigands se précipite vers la personne désignée pour s'en s a i sir ; mais le fugitif, fort et courageux, recule d'un pas, lève son fusil et vise, ses compagnons l'arrêtent heureusement, voulant d'abord essayer de remontrances. Les brigands sont insensiblement environnés d'hommes exaspérés et reçoivent l'assurance que s'ils tentent d'emmener un seul esclave, pas un d'entr'eux ne sortira vivant du cercle qui les entoure. L a mort est si près qu'ils tournent bride et s'éloignent. On écrivait le 1 0 octobre de Détroit, près du Canada : « L a ville entière est dans une grande excitation, causée par la nouvelle de l'exécution de la loi. Les deux races s'arment, le conflit devient inévitable. Des esclaves fugitifs ayant été i n c a r -


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cérés le 8 octobre, la ville et les environs se remplirent de nègres armés qui manifestèrent l'intention de délivrer les prisonniers. On a convoqué la force armée, elle entoure la p r i son, fusils chargés. L'instruction se poursuit au milieu de cette irritation, ce n'est que par la force et non sans effusion de sang qu'on est parvenu à pacifier le pays. Dans la ville de Sandwich, située en face de Détroit, près de 300 nègres se sont rassemblés en passant la rivière, et feraient un mauvais parti à ceux qui voudraient les prendre. La maison d'un I r landais, qui a aidé à arrêter les prisonniers, a été attaquée la nuit à coups de fusil et de pistolet. » De Worcester, le 1 o c t o bre, « nous avons près de 200 nègres fugitifs qui expriment hautement leur détermination de mourir plutôt que de se laisser prendre. » De Springfield, 4 octobre : « La plus grande consternation règne ici. Les nègres et les mulâtres, qui sont nombreux, arment. On assure avoir vu des chasseurs dans le voisinage, la ville est remplie d'hommes exaspérés qui j u rent que malgré la loi aucun esclave ne sera arrêté au milieu d'eux, ils se battront jusqu'à la m o r t . » D'Oswego, octobre: « La ville est bouleversée par le nouveau bill. Les gens de couleur s'assemblent et déclarent qu'ils sont déterminés à mourir pour leur liberté et celle de leurs amis. Plusieurs des fugitifs qui vivaient à Ithaqua ont tout abandonné pour aller c h e r cher asile au Canada. » Tout moyen parait bon aux chasseurs d'hommes p o u r s'emparer de leur proie. Le Pensylvania Freeman du 2 j a n vier 1 8 5 1 , racontait le fait suivant : « Samedi dernier, vers deux heures du matin, une famille de couleur, domiciliée entre Coaterville et le Gum-Free, dans le comté de Chester (Pensylvanie), fut attirée à la porte de la maison qu'elle habite par la voix d'un homme réclamant du s e cours. L'homme disait que sa voiture venait de s'embourber non loin de là, et qu'il avait besoin d'aide pour sortir d'embarras. Le maître de la maison, prompt à rendre le service demandé, ouvrit; mais au lieu d'une personne, il en vit deux, l'une et l'autre de la classe blanche, qui forcèrent aussitôt l'entrée. » A leurs paroles et à leurs gestes, il fut bien vite convaincu que cette visite avait un but sinistre. Sur leur déclaration, qu'ils étaient l'un marshal, l'autre conslable, et qu'ils r e e r


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cherchaient un esclave fugitif, il tira une hache de dessous ons lit, leur signifiant qu'ils ne pénétreraient chez lui qu'à leurs risques et périls. Son frère, un fusil à la main, accourut sur le lieu de la scène, tandis que simultanément trois blancs du dehors se joignaient aux assaillans. » Dans la lutte qui suivit, le fusil fut arraché des mains du mulâtre, et plusieurs coups de pistolets furent tirés par les blancs, dont un blessa dangereusement au bras le maître de la maison ; il n'en conserva pas moins sa position devant la porte de la seconde chambre, déclarant toujours qu'il la défendrait au risque de sa vie. Cependant l'éveil avait été donné, une vingtaine d'hommes de couleur, braves et robustes, se présentèrent décidés à soutenir leur ami et sa famille jusqu'au dernier souffle. Les assaillans renoncèrent alors à leur c r i m i nelle entreprise. » Outre le chef, deux autres personnes de la famille avaient été blessées par les chasseurs d'hommes, mais heureusement les blessures n'ont aucune gravité. » Chester-County, où cet événement a eu lieu, est l'un des comtés les plus intelligens et les plus amis de l'ordre qu'il y ait dans toute la Pensylvanie ; il est habité principalemeut par des quakers. Une semaine ou deux après cet événement, et non loin du même endroit, une ferme fut envahie par une bande de brigands en armes ; c'était le soir, à un moment où l'on savait a b sens de la ferme tous les gens en état de se défendre, excepté la personne à qui l'on en voulait. Celle-ci était un homme de couleur, alors assis dans la cuisine, auprès du feu; il était en train d'ôter ses souliers, lorsqu'il fut renversé et bâillonné ; après qu'on l'eut roué de coups pour vaincre sa dernière r é sistance, on le traîna comme on traîne un animal égorgé jusqu'à une voiture qui attendait ces scélérats, et l'infortuné fut aussitôt transporté de l'autre côté de la ligne, éloignée seulement d'une vingtaine de milles. Le lendemain, on reconnut l'endroit aux traces de sang qui marquaient la route. Une femme et un vieillard, témoins de ce crime, ne purent être d'aucun secours à la victime ; la lumière ayant été éteinte, ils ne purent même distinguer les traits des assaillans. (Lettre de M. Mac-Kim de Philadelphie..) Une autre fois, le 20 mars 1 8 5 1 , dans le

même

comté de


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Chester, un nègre nommé Thomas Hall est réveillé la nuit et appelé hors de la maison pour donner des soins à l'enfant d'un de ses voisins qui, dit-on, est fort malade. A peine a - t - i l o u vert sans avoir pris même le temps de se vêtir, que trois hommes se jettent sur lui, le bâillonnent aux yeux de sa femme terrifiée, le placent dans une voiture et l'emmènent sur la route du Maryland. Tout le voisinage prévenu par la femme, et indigné d'une action aussi infâme, court après les ravisseurs, mais il était déjà trop tard, il fut impossible de les atteindre. Comment savoir même si les malheureux ainsi enlevés sont légalement sujets à arrestation. La loi permettant de r e p r e n dre le fugitif avec ou sans procédure, rien n'est plus facile que de voler des individus libres. Au commencement de mars 1 8 5 1 , deux hommes du sud à la poursuite de quelques fugitfs étant arrivés à Plymouth (Pensylvanie) apprirent que l'un de ceux qu'ils cherchaient était employé par un fermier, nommé Jameson Harvey. Ils se dirigent vers sa demeure et voient arriver sur la route même l'ancien esclave ramenant un chariot à la ferme. Ils s'élancent et tentent d'arrêter l'attelage, mais le noir qui comprend la terrible signification de cette attaque, d'un vigoureux coup de fouet fait bondir ses chevaux qui renversent les assaillans, et fuit vers la ferme. Il avait à peine refermé la porte, que les deux individus s'y présentent, et, le pistolet au poing, s o m ment M. Jameson de leur livrer le fugitif, mais l'intrépide noir s'était réfugié dans sa chambre, et déclarait, un pistolet à c h a que main, que celui qui s'approcherait était mort. M. J a m e son, en présence dé cette résolution, et du désespoir de sa f a mille épouvantée à la vue des armes à feu, signifia aux agens de l'esclavage qu'il ne se serait pas opposé à l'arrestation du nègre si elle eût put s'effectuer paisiblement, mais qu'il ne pouvait souffrir qu'un meurtre eut lieu dans sa maison, et qu'il préférait payer la valeur du fugitif. Les implacables hommes du sud refusèrent les offres conciliatrices du fermier et r e t o u r nèrent à Plymouth pour commencer des poursuites j udiciaires. Noblement fidèle à la parole donnée au pauvre et brave noir, M. Jameson Harvey est résolu à aller jusqu'au bout. Assurément, c'est une chose désolante devoir, quelque part que ce soit, la loi ouvertement violée, mais quand la loi ellemême viole la morale et l'humanité, n'est-ce pas le cas de r é -


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péter le mot de Lafayette : l'insurrection est le plus saint des d e v o i r s ? Si nous n'étions pas obligé de nous borner, il nous serait facile de rapporter un grand nombre de luttes semblables, et de plus graves encore. La législation qui les engendre témoigne sévèrement contre un peuple qui se vante d'avoir des sentimens religieux, humains et civilisés. § IV. — HOMMES LIBRES VOLÉS A TITRE D'ESCLAVES FUGITIFS.

Il arrive ainsi que dans les campagnes les fugitifs peuvent se défendre, mais dans les grandes cités toute résistance est presque impraticable. Les voleurs d'hommes, accompagnés d'un maréchal des Etat-Unis, guettent leur victime soit dans la rue, soit dans un établissement public, hôtel, café, l'accusent d'un méfait quelconque, éloignent ainsi toute hostilité du public, entraînent le malheureux au tribunal du commissaire, par la bouche duquel seulement il apprend de quoi il s'agit. Une fois devant ce commissaire, le fugitif est perdu. Il n'est presque pas d'exemple que ces infortunés aient été mis hors de cause. A Philadelphie, à New-York, les meilleurs avocats du parti abolitioniste ont en vain employé leur éloquence, leur énergie, tout leur dévouement pour les sauver. Voici une preuve de ce que nous nous croyions permis d'appeler le parti pris des juges : Dans l'une des premières causes jugées à Philadelphie, un nègre du nom d'Adam Gibson vendait, au milieu du marché la veille de Noël, des arbres verts pour la fête du lendemain. En plein jour, à midi, deux voleurs d'hommes se précipitent sur lui, et l'arrêtent sous le prétexte qu'on le reconnaît pour être le garçon qui avait volé les poules d'un tel. Ils le conduisent devant le commissaire des Etats-Unis, M. Ingrabam, avec un faux témoin qui affirme sous serment que son vrai nom est E m e r y Rice, et qu'il appartient à M. W . Knight, de Maryland. Trois témoins respectables affirment au contraire que le prétendu fugitif Rice est bien Adam Gibson, marié, père de trois enfans, établi à Williamsburg et affranchi en 1840 par testament de son maître, M. Lyon Davis. Le commissaire Ingrabam se déclara convaincu que Gibson était Rice, et ordonna qu'il serait remis aux agens de M. Knight pour lui être livré. Le lendemain, le convoi de Bal-


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timore l'emmenait en Maryland, sans qu'il eût pu même e m brasser sa femme et ses enfans ; mais à peine M. Knight l'eûtil regardé qu'il dit, en honnête homme : « Ce garçon ne m'appartient pas ; je ne l'ai jamais vu. » Voilà donc un citoyen libre arrêté dans une rue de Philadelphie sans mandat légal, traduit devant un juge de rencontre, dépouillé de sa liberté malgré toutes les évidences en sa faveur, et conduit avec une hâte incroyable vers la terre de servitude. Que l'honorable M. Knight ait eu les sentimens d'un possesseur d'esclaves, qu'il ait trouvé de bonne prise celui qu'on lui amenait, et l'infortuné Gibson était esclave à perpétuité ! E n vertu de l'acte sur les fugitifs, la république envoyait un homme libre en servitude ; il n'a été sauvé que par la probité de M. Knight ! Qui voudra croire que dans ce pays, dont les institutions font l'admiration de la démocratie européenne, l a liberté d'un citoyen tient à une chose aussi rare que la chance de tomber entre des mains comme celles de l'intègre M. W . Knight? Un tel fait n'est-il pas à lui seul la critique la plus sanglante, la condamnation sans appel de la loi et de ses instrumens? Pour se faire une idée des maux qu'elle engendre et engendrera, il faut savoir qu'en Amérique tout devient matière à entreprise commerciale plus ou moins licite, et que déjà des associations se sont formées pour exploiter la chasse aux nègres fugitifs ! Nous n'exagérons rien, nous en avons pour preuve cet extrait de la Tribune de New-York : « H . - H . Van Amringe, du Wiscousin, atteste qu'étant pro» cureur de la république du comté d'Ulster (Pensylvanie), il » a arrêté une bande de faux-monayeurs dans les papiers des» quels il a trouvé la lettre suivante : « Prenez des renseignemens circonstanciés sur tout ce qu'il » y a de nègres dans le pays autour de vous, et envoyez-les » moi promptement ; le diable sera bien habile si je ne leur » trouve pas à chacun un maître I . . . » Ceux mêmes de ces parias de la grande république qui ont été légalement émancipés ou qui sont nés libres ne sont guère, on vient de le voir, plus en sûreté que les autres. Le vaste territoire des Etats-Unis, de la contrée réputée la plus libre de la terre est aujourd'hui une arène ouverte à la chasse aux nègres. Les Etats libres sont rendus à l'esclavage, et le malheureux évadé


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qui a cru y trouver un asile apres 15 et 20 ans de séjour, doit, fugitif une fois encore, chercher au loin une nouvelle patrie. Aussi, des centaines de familles « disent adieu à leurs foyers » modestes, d'autant plus chers qu'ils étaient leur ouvrage, et, » les yeux fixés sur l'étoile polaire, elles prennent le chemin » de l'exil. » On porte jusqu'à 2 5 , 0 0 0 le nombre de ceux qui se sont réfugiés au Canada, devenu leur providence. Les districts frontières de ce pays étaient déjà, au mois de février dernier, tellement encombrés qu'on ne savait où les loger. En plusieurs endroits, les soldats anglais, saisis d'une généreuse pitié « couchent sous des tentes, abandonnant leurs casernes » à ces pauvres gens, inaccoutumés à la rigueur du climat, » et tout habitant qui possède deux pains en met un de » côté pour le fugitif. » Heureux ceux qui rencontrent cette touchante charité, plus heureux encore ceux qui la font aux pauvres noirs esclaves, et leur assurent en même temps la vie avec l'indépendance. Le cœur serré, irrité par l'impitoyable barbarie des législateurs américains, s'adoucit et se reprend à aimer en face de la bonté des soldats anglais et des habitans du Canada. La lettre suivante, qui nous est adressée par notre éloquent ami, M. M a c - K i m , servira encore à bien faire connaître le mal effroyable causé par la nouvelle loi, et la désolation qu'elle a jetée dans toutes les âmes honnêtes. Philadelphie, 8 avril 1851.

A Monsieur V. Schœlcher. Quelque e x a c t s et quelque complets que soient les rapports de nos j o u r n a u x , ils ne peuvent vous transmettre qu'une faible idée du trouble et de la confusion occasionnés par l'odieuse loi rendue contre les esclaves fugitifs. Le sud-est de la Pensylvanie, pour ne rien dire des autres Etats, dérisoirement appelés libres, est devenu une seconde Guinée, et le plus g r a n d nombre de ses habitans est aussi peu à l'abri de la violence brutale et des artifices diaboliques des chasseurs d'hommes, que ne le sont les peuplades de la côte d'Afrique. Mais quelles h o r r e u r s que celles de ce système d'esclavage, qu'on dirait venu de l'enfer! Quels m a u x n'entraîne pas sa dernière c o n séquence, la plus cruelle de toutes, la terrible loi des fugitifs ! Il faut être témoin des inquiétudes, de la terreur, des mortelles a n goisses que cause ce statut infâme, pour pouvoir les apprécier. Il 2


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f a u t é c o u t e r le r é c i t d ' u n e m è r e q u i v i e n t d ' a p p r e n d r e q u e s o n fils e s t t o m b é e n t r e l e s m a i n s d e s v o l e u r s d ' h o m m e s ; les s u p p l i c a t i o n s p a s s i o n n é e s d e l ' é p o u s e , s a c h a n t q u e s o n m a r i e s t s u i v i à la t r a c e p a r les l i m i e r s d e l ' e s c l a v a g e . c h a î n é , vous supplier,

Il f a u t e n t e n d r e u n é p o u x d é j à e n -

au n o m du C r é a t e u r , de sauver sa f e m m e !

Il f a u t v o i r u n e f e m m e c o m m e H a n n a h D e l h a m , p a r e x e m p l e , q u i c o m p a r a i s s a i t , il y a u n m o i s , a v e c s o n fils, â g é d e 1 2 a n s , u n j u g e p a r t i s a n d e l ' e s c l a v a g e ; il faut l a v o i r p l a i d a n t

devant

elle-même

s a c a u s e , a f f i r m a n t qu'elle e s t l i b r e d e d r o i t , q u e s o n fils e s t n é libre,

et

demandant par-dessus

t o u t qu'il

soit

permis

q u ' e l l e p o r t e d a n s s o n s e i n d e v o i r le j o u r s u r u n s o l e n t e n d r e la d é c i s i o n

à

l'enfant

libre.

Il f a u t

du juge, o r d o n n a n t a v e c un implacable sang-

f r o i d q u e c e t t e f e m m e , s o n fils e t s o n e n f a n t à n a î t r e s o i e n t r e m i s au

réclamant,

pour

r e s t e d e sa famille

être

emmenés

à une

distance

énorme

du

dispersée.

N o u s v o y o n s t o u s les j o u r s c e s

a t r o c i t é s légales et illégales,

e

n o u s t r o u v o n s b i e n a m è r e la c o u p e p r é p a r é e , t o u t le l o n g d e n o t r e f r o n t i è r e d u s u d , a u x v i c t i m e s d e l ' o p p r e s s i o n . Nos c œ u r s , si d o u o u r e u s e m e n t froissés,

n'ont p r e s q u e pas de repos ; u n

spectre a

p r i s p l a c e à n o t r e f o y e r d o m e s t i q u e , e t la j o i e e s t b a n n i e d e n o s f a m i l l e s . L e s o r t d e H a n n a h D e l h a m a e x c i t é a u p l u s v i f d e g r é la s y m p a t h i e d e m a f e m m e , m e s p e t i t e s filles p a r t a g e n t la t r i s t e s s e d e l e u r mère;

chaque jour,

si j e s u i s e n r e t a r d de q u e l q u e s m i n u t e s , j e

l e s v o i s v e n i r à m a r e n c o n t r e , la m è r e m e d e m a n d a n t a v e c i n q u i é t u d e si c e d é l a i n'est p o i n t c a u s é p a r q u e l q u e n o u v e l l e a r r e s t a t i o n d ' e s c l a v e s fugitifs o u d e n è g r e s l i b r e s , e t les e n f a n s

fixant

sur mon

visage un r e g a r d triste et i n t e r r o g a t e u r . N o u s e s p é r o n s q u e d a n s t o u t e s les c o n t r é e s d e l ' E u r o p e , la v o i x s d e h o m m e s b o n s e t h u m a i n s s ' é l è v e r a p o u r f l é t r i r c e t t e loi b a r b a r e e t l ' i n s t i t u t i o n q u i lui a d o n n é

naissance.

L'esclavage américain

d o i t ê t r e c l o u é a u pilori d e s n a t i o n s c i v i l i s é e s . que notre pays

« est un grand pays, »

Nous nous vantons

o u i , c e l a e s t v r a i ; il e s t

g r a n d par l'étendue de son territoire, g r a n d par l'énergie

de son

peuple, g r a n d par ses r e s s o u r c e s m a t é r i e l l e s , g r a n d par ses fleuves e t s e s m o n t a g n e s ; m a i s le p l u s g r a n d d e t o u s n o s p r o d i g e s , c ' e s t n o t r e gigantesque système d'esclavage;

c e s y s t è m e , qui é c r a s e trois mil-

lions de victimes h u m a i n e s ; qui s'étend c o m m e u n voile funèbre s u r la m o i t i é d e n o t r e v a s t e e m p i r e -, q u i

a p p a r t i e n t à 1 5 s u r les 3 1

E t a t s de l'Union, et qui, en v e r t u du c o n t r a t c o n s t i t u t i o n n e l , t i e n t l ' a p p u i e t la p r o t e c t i o n d e s

ob-

16 autres ! Notre gouvernement

national est a u j o u r d ' h u i , e t , p o u r dire v r a i , a t o u j o u r s été d o m i n é p a r l ' i n f l u e n c e d u P o u v o i r - e s c l a v e , e t les c l a u s e s d e n o t r e p a c t e f o n damental garantissent a u x leur propriété humaine.

d é t e n t e u r s d ' e s c l a v e s la p o s s e s s i o n d e


ESCLAVES

FUGITIFS

AUX ÉTATS-UNIS.

19

P u b l i e z , publiez c e s faits en F r a n c e , c o m m e u n c o m m e n t a i r e d e notre prétention à être

« l e p a y s l e p l u s l i b r e d e la t e r r e ! »

Ne c r o y e z p a s q u e j e n ' a i m e ainsi.

pas m o n pays,

parce que je

parle

L ' a m o u r d e m o n p a y s e s t , a u c o n t r a i r e , l'un des plus g r a n d s

mobiles qui m e porte à dévoiler son hypocrisie. b i e n - ê t r e de trois millions de ses enfans l i b e r t é , le t r i o m p h e d e s v é r i t a b l e s

S o n b i e n - ê t r e , le

o p p r i m é s , la c a u s e d e la

p r i n c i p e s r é p u b l i c a i n s d a n s le

m o n d e e n t i e r , d e m a n d e n t q u e les o d i e u s e s

c o n t r a d i c t i o n s d e l'A-

m é r i q u e soient mises à n u , et q u e ses iniquités soient partout p u bliées. Mais j e n e v e u x p a s p r o l o n g e r c e t t e l e t t r e . supplie e n c o r e , a u x faits qu'elle c o n t i e n t , ble, n o u s n e p o u v o n s q u e v o u s en a v o i r

salle

ou fut

édifice s a c r é , « t o u s les

adoptée

possi-

obligation.

J ' o u b l i a i s u n e r e m a r q u e e s s e n t i e l l e : l e lie claves fugitifs s o n t j u g é s est l'ancienne

D o n n e z , j e v o u s en

t o u t e la publicité

o ù les p r o c è s d e s e s -

Hall

of independance,

cette

l'immortelle Déclaration de 1 7 7 6 ! Dans c e t

nous avons

solennellement

déclaré au monde que

h o m m e s s o n t c r é é s é g a u x e t dotés p a r Dieu d e

droits

» i n a l i é n a b l e s , p a r m i l e s q u e l s s o n t : l a v i e , la l i b e r t é et la r e c h e r »

c h e du b o n h e u r . » Dans c e m ê m e édifice,

d'hui

c o m p a r a î t r e des h o m m e s

contre

nous faisons

lesquels

il

d ' a u t r e a c c u s a t i o n q u e celle d e p o r t e r u n e peau c o l o r é e , d e la n ô : r e , et c e c r i m e p r o u v é ,

n o u s les e n v o y o n s

aujour-

n'est f o r m u l é différente

en servitude à

perpétuité! MAC-KIM.

§

V.

AFFAIRE M.

SCHADRACH

FILLMORE,

A

PRÉSIDENT

BOSTON.

INTERVENTION

DE

DES ÉTATS-UNIS.

A Boston, où les abolitionistes sont nombreux et pleins du feu sacré, les efforts des voleurs d'hommes furent longtemps déjoués ; chacun était sur ses gardes, blancs, nègres et m u l â tres ; tout le monde veillait. Cependant, le 5 février dernier, un garçon de café nommé Schadrach est appelé par deux étrangers ayant l'extérieur de gentlemen pour leur servir à déjeuner. A la fin du repas ils se lèvent, s'emparent de lui à l'improviste et le conduisent à l'antre du commissaire des Etats-Unis comme esclave fugitif. Le bruit de son arrestation se répand dans le quartier; une grande émotion se manifeste, et 250 personnes se rassemblent a u x abords et à l'intérieur de ce qu'on appelle la maison de justice. Après un premier interrogatoire, le prétendu fugitif est laissé sous la garde du maréchal


20

ESCLAVES FUGITIFS AUX ÉTATS-UNIS.

et de deux constables dans la salle de la Cour, devenue sa p r i son, car une loi locale du Massachussets défend d'ouvrir les prisons de l'Etat pour détenir les esclaves fugitifs; mais, au moment où les avocats quittent la salle, la foule, tant blanche que de couleur, qu'on avait éloignée et qui demeurait aux aguets, saisie comme d'une inspiration soudaine, se précipite sur la porte entr'ouverte, repousse les constables surpris, s'empare du prisonnier étonné lui-même et l'emporte en triomphe hors des limites de la Cour. Le dérober aux premières r e c h e r ches de l'autorité et le faire passer au Canada fut ensuite accompli tout aussi vite et aussi heureusement. Le commissaire des Etats-Unis, frustré de sa victime, dénonce le fait au ministre de l'intérieur comme un acte de rébellion préméditée. Le gouvernement fédéral s'en émeut, et le Président, M. Milliard Fillmore, lance une proclamation dans laquelle il accuse les autorités municipales de Boston d'avoir laissé volontairement s'accomplir un acte criminel ; il ordonne des poursuites contre tous ceux qui ont pu y prendre part, somme tous les bons citoyens d'obeir à la loi, de lui prêter main forte, et se déclare décidé à l a faire exécuter, fallût-il avoir recours aux forces militaires des Etats-Unis. M. Fillmore en avait moins fait lorsqu'une troupe de bandits , s'armant aux yeux de l'Amérique entière, se préparaient ouvertement dans le sud à faire la honteuse invasion de Cuba. Il parle de l'obéissance à la loi. Sans prétendre bouleverser toutes les notions saines sur lesquelles reposent les sociétés civilisées, nous disons que, si respectable que soit le principe de l'obéissance à la loi, il y a ici une réserve légitime à faire. Nul n'est tenu à une loi que la conscience universelle déclare immorale. Un monstre, Louis X I V , commande aux fils de dénoncer leurs pères qui pratiquent la religion réformée. Est-il un homme qui ne louera pas la désobéissance à cette exécrable loi? Les médecins se firent gloire de désobéir à la loi d'un autre monstre royal, Charles I X , qui leur ordonnait, lors des g u e r res civiles, de dénoncer les blessés qui réclameraient leurs soins. Est-il une seule voix qui se soit jamais fait entendre pour les blâmer? Eh bienl dans le cas que soulève le déplorable bill de l'extradition des esclaves fugitifs, nous n'hésitons pas à dire q u e l s


ESCLAVES

FUGITIFS

AUX

ÉTATS-UNIS.

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question est plus haute encore. Il n'est point de philosophie social, il n'est point d'homme d'Etat, dans l'acception la plus grave de ce mot, qui ne reconnaisse des droits antérieurs et s u périeurs à toutes les constitutions que les hommes peuvent faire pour se gouverner. L a constitution de la République française a proclamé de nouveau cette vérité en 1 8 4 8 . Or, nous le demandons, la liberté, pour toute créature humaine, n'estelle pas, au premier chef, un de ces droits antérieurs et s u p é rieurs? Si donc l'esclavage est une flagrante violation du droit primordial, essentiel de l'homme à la libre jouissance de s o i même, n'est-ce pas le droit, bien plus, n'est-ce pas le devoir de l'esclave de refuser soumission à son maître? Dès lors, n'est-ce pas aussi le droit et le devoir de tout homme libre de protéger l'esclave fugitif contre la loi écrite qui forfait à la loi naturelle en voulant le rendre à la servitude? Supposons que M. Fillmore, président des Etats-Unis, soit enlevé par des pirates noirs qui le mènent à la côte d'Afrique et l'y réduisent en esclavage, ne se croira-t-il pas autorisé à fuir, malgré les codes du pays qui sanctionneraient sa servitude? Ne bénirait-il pas ceux qui, malgré ces codes barbares, le p r o tégeraient dans son évasion et le défendraient contre les soldats envoyés pour le ressaisir? Où donc trouve-t-il dans son cœur, dans son âme, dans sa raison de quoi justifier sa proclama tion? Si tout ce que nous venons de dire est vrai, et nous n ' i m a ginons pas une contradiction possible, M. Fillmore n'est pas seulement coupable d'avoir soutenu, comme Président, un acte législatif anti-républicain ; comme membre du genre humain, sa mémoire restera chargée, de même que celle de son détestable conseiller L. Daniel Webster, d'en avoir appelé à la force pour consommer un crime de lèse-humanité. L'affaire de Schadrach fit un bruit énorme, et le haut commerce de Boston, menacé de rupture par les journaux du Sud, s'est depuis entendu avec les autorités de la ville pour assurer la stricte exécution de la loi. Le 3 avril suivant, un nouveau fugitif nommé Sims ayant été saisi et amené devant le commissaire, on tendit de longues chaînes autour de la maison de justice, la police municipale fut mise sur pied aux portes et sur tous les points adjacens. Le malheureux Sims, bien qu'il affirmât avoir été racheté par


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ESCLAVES FUGITIFS AUX É T A T S - U N I S .

son père à l'âge de six ans, bien qu'il eût demandé un simple délai de cinq jours pour faire venir ses papiers restés chez un planteur de Savannah, au service duquel il avait passé p l u sieurs années, fut déclaré esclave, adjugé au demandeur et transporté par les officiers mêmes de la ville nuitamment sur un vaisseau de l'Etat de Massachussets, jusqu'en Géorgie, sans que Boston ait protesté cette fois autrement que par un morne silence ! § VI.

— CRIS DE FUREUR DES JOURNAUX DE L'ESCLAVAGE CONTRE L E S ABOLITIONISTES.

Malgré cela, les adversaires de la loi ne se découragent pas, les personnes poursuivies comme auteurs ou complices de l'évasion de Schadrach prennent plutôt le rôle d'accusateurs que d'accusés. Un nègre, M. Louis Hayden, arrêté et obligé de donner une caution de 3 , 0 0 0 dol. (15,750), a trouvé immédiatement un abolitioniste, M. Buffon Lynn, qui a répondu pour lui; homme résolu, il n'hésite pas à dire qu'il est lui-même esclave fugitif, mais qu'il brûlera la cervelle à celui qui tenterait de l'arrêter. Un autre nègre, M. Alex. B u r ton, barbier, arrêté par erreur dans la même affaire, a immédiatement intenté un procès à l'avocat du district, M. Hunt, auquel il demande 1 0 , 0 0 0 dol. de dommages et intérêts pour fausse poursuite ; Schadrach lui-même, réfugié en Canada, a commencé, par l'intermédiaire d'un procureur, des poursuites contre le maréchal, le commissaire des Etats-Unis, et les constables, qu'il accuse de l'avoir arrêté illégalement et détenu arbitrairement. E n novembre dernier, J . Knight et Hugues, chasseurs d'esclaves, citoyens de la Géorgie, qui se rendirent à Boston pour arrêter W . Crafts et sa femme, furent hués par lafoule, p o u r suivis, harcelés, maltraités, et enfin arrêtés par le député skériff de la ville, en vertu djune accusation de calomnie. Le mandat d'amener disait que Knight et Hugues, ayant prétendu que Crafts était un esclave fugitif, lui avaient par là causé un préjudice grave, qu'il estime à 1 0 , 0 0 0 dollars. Emprisonnés tous deux, il durent fournir une caution de 1 0 , 0 0 0 dollars pour obtenir leur mise en liberté, et, de guerre lasse, quittèrent la ville.


ESCLAVES FUGITIFS AUX É T A T S - U N I S .

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Les intrépides abolitionistes de Boston soutiennent ouvertement les noirs dans toutes ces actions judiciaires, malgré les menaces de mort que leur adressent les souteneurs de l'esclavage. On aurait peine à imaginer, sans avoir les textes sous les y e u x , la fureur haineuse de leurs ennemis. En voici quelques échantillons : Le Morning News de Savannah (24 avril 1851) contient le toast suivant porté par un des maréchaux de Boston, dans un banquet qui leur fut offert lors de leur séjour en cette ville, où ils avaient ramené un fugitif : « Au Nord et au Sud ! Que » la chaîne qui les unit soit plus forte que jamais. Que tous » les abolitionistes aillent aux enfers, et qu'on roule devant » la porte pour les y retenir le monument de Bunker's» Hill(1)! » « Les abolitionistes de Boston, dit le Herald de New-York, » sont déterminés à mettre le sceau à leur infamie. Ils ont » commencé plusieurs poursuites au nom de Schadrach, » l'esclave fugitif, contre ceux qui l'ont arrêté, pour e m p r i » sonnement illégal. Qu'il en soit ainsi, les rôles changeront » sous peu, et ces hommes recevront bientôt la peine de leurs » crimes, en les expiant pendant le reste de leur vie entre » les murs d'une prison, ou plutôt ils seront tués, comme ils le » méritent, par les troupes de l'Etat ou du gouvernement » fédéral. » Le 11 octobre, le même journal, organe du parti modéré disait encore : « Si la Constitution n'est pas respectée, si le bill pour la red» dition des esclaves fugitifs ne reçoit pas son entière e x é c u » tion, il y aura du sang répandu, et la guerre civile sera la » conséquence de cette infraction aux lois; s'il y a nécessité, » les fanatiques du Nord avec leurs dupes, les gens de » couleur, seront tous exterminés et périront par les armes » des troupes des Etats-Unis. On en a déjà fait l'expérience à » Détroit, où 2 , 0 0 0 soldats ont aidé à soutenir les autorités c i » viles. Chaque occasion nouvelle amènera de semblables r e -

(1) L a montagne de Bunker entre Charlestown et Boston, porte un m o nument en forme de pyramide, commémoratif d'une des plus célèbres b a tailles de la guerre d'indépendance. C'est dans cette bataille, livrée le 1 7 juin 1 T 7 5 , que le général américain W a r r e n perdit la vie.


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ESCLAVES FUGITIFS AUX É T A T S - U N I S .

» » » » » » » »

présailles ; le peuple de couleur et les fanatiques du Nord peuvent en être assurés, une guerre d'extermination, et dont il est difficile de prévoir l'issue, va être déclarée aux noirs, s'ils ne se décident à se soumettre à la loi. Le sort de l'Union tout entière ne sera pas ébranlé par la fausse philanthropie, le fanatisme et l'ambition de quelques démagogues ; elle saura répandre le sang de son peuple, si on l'y oblige, plutôt que de périr elle-même. » Les journaux du Sud ne montrent pas plus de douceur pour les abolitionistes ; celui d'Augusta (Géorgie) disait dernièrement : « Tout homme qui répand des écrits ou propage des d o c » trines abolitionistes est aux yeux de Dieu et des hommes » digne de l'échafaud. Le cachot et la mort l'attendent. L a » langue de celui qui parlera contre l'esclavage et discutera » sa moralité sera coupée et jetée aux chiens Le cri du Sud » tout entier est : la mort, la mort immédiate à tout abolitio» niste. Tout homme du Nord, ou tout émissaire de ces » hommes qui pourra être pris au Sud expiera dans les » tortures le crime qu'il aura commis en se mêlant de nos » institutions domestiques. » § VIL—

RÉSISTANCE LÉGALE DE PLUSIEURS ÉTATS.

A ces cris de rage forcenée, le Nord répond avec une énergie toujours croissante. Ce funeste bill a révolté tous les cœurs honnêtes, et il est impossible de mesurer les désastres dans lesquels il peut jeter les Etats-Unis. Dans plusieurs localités, des officiers civils et des maréchaux ont donné leur démission pour n'avoir pas à prêter leur concours à l'exécution de la loi, entre autres M. Stetson, à Cincinnati. Le 13 novembre 1850 la législature du Vermont, en séance solennelle, a passé un acte ordonnant à tout juge ou magistrat d'accorder aide et protection à tout homme accusé d'être un esclave fugitif. Les villes de Syracuse, Oswego, Springfield, New Bedford, Poughkeepsie, Blackport, Boonton, New Jersey, New Brighton, etc., ont protesté qu'elles résisteraient à une loi aussi contraire au pacte fondamental.


ESCLAVES FUGITIFS AUX É T A T S - U N I S .

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Les compagnies militaires de Providence ont refusé d'aider les autorités dans la capture de fugitifs. A Cléveland, les citoyens ont déclaré, après une réunion générale, qu'aussitôt l'arrivée d'un voleur d'hommes on s o n n e rait la cloche d'alarme pour appeler dans la rue tous les habitans armés. A Meriden, le conseil municipal a fait offrir asile à tout fugitif. A Pittsburg cinq fugitifs, qui s'étaient sauvés au Canada, sont rentrés sous la protection des autorités de la ville. Plusieurs branches de l'église chrétienne protestent h a u t e ment au nom de la religion, cent ministres méthodistes et autres ont adressé au sénat une pétition , statuant sur l'immoralité et le danger de la loi, et suppliant le sénat d'y remédier. 5 9 sur les 70 étudians du séminaire de théologie d'Andever ont signé une pétition à la Cour du Massachussets, la priant 1 ° d'aviser au moyen d'assurer davantage les garanties de la liberté individuelle pour tous les citoyens ; 2 ° de réunir tous ses efforts pour obtenir le rappel de la loi des fugitifs. Le Libéral de Boston, du 21 mars 1 8 5 1 , disait : « Un grand meeting abolitioniste a eu lieu, le 5 mars, à Syracuse (Etat de New York). Après les discours on amena sur l'estrade cinq noirs fugitifs tout récemment sortis de l'enfer de l'esclavage. L à se trouvait l'élite de la population de Syracuse, ses femmes si admirablement belles, ses hommes à l'âme austère et forte. Il y avait des larmes sous plus d'une paupière quand les fugitifs parurent, et les lèvres comprimées, les regards de feu, un long silence de mort disaient que toutes les sources de l'humanité étaient ouvertes et que le génie de la liberté était présent. Alors Samuel J . May se levant prononça ces mots d'une voix grave et calme : « Citoyens, femmes et vierges de Syracuse, » vous voyez ces victimes de la tyrannie, dont l'une est une » femme. Ils sont venus vous demander asile ; dites, dites, » les enlèvera-t-on de la ville de Syracuse? J e vous somme » de répondre ! » Un seul cri s'éleva : NON ! c'était celui de plus de mille citoyens. M, May demanda encore : « Citoyens de Syracuse, êtes-vous » prêts à défendre au péril de la vie, s'il le fallait, ces enfans » de Dieu sans appui et traqués comme des bêtes fauves ? » Et la voix de la foule retentit une seconde fois, jetant un oui si


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FUGITIFS

AUX

ÉTATS-UNIS.

sonore et si profond que, semblable à un roulement de t o n nerre, il fit trembler la voûte et les murailles. » Le 1 mars 1851, l'avis suivant était affiché en grosses lettres dans toutes les rues de Philadelphie : er

« Prenez garde aux chasseurs d'hommes ! » Un nommé Owens de Baltimore est ici pour la chasse aux nègres. Il est porteur de mandats pour en arrêter plusieurs. On dit qu'il est descendu à l'hôtel d'Owen. Il est haut d'à peu près six pieds, maigre, favoris roux, épais, cheveux blonds, yeux bleus, moustache claire ; il porte un paletot marron doublé de rouge.. » Que tous ceux que cela peut concerner soient sur leurs » gardes! » Dans le Massachussets dont les habitans, descendans des Puritains exilés, semblent avoir hérité du sens moral, juste et inflexible de leurs pères, la loi sur les esclaves fugitifs est considérée comme un attentat énorme aux droits d'un peuple libre. Le 24 mars 1843, la législature locale avait passé un acte intitulé : « Acte pour protéger la liberté individuelle » qui constitue en délit, pour tout officier du Massachussets, d'aider à la capture ou à la détention des fugitifs arrêtés. C'est la même loi qui défend, sous les peines les plus sévères, d'ouvrir les prisons de l'Etat pour recevoir ces malheureux. On laisse à ceux qui parviennent à les prendre le soin de les garder comme ils peuvent. Les habitans ne regardent pas cette cruelle loi comme obligatoire. Chacun s'efforce d'en paralyser les effets, chacun p r o tège le citoyen nègre ou de couleur comme on protégerait le fils même d'un des pilgrim fathers, des ancêtres voyageurs. Lorsque des chasseurs d'esclaves arrivent dans une ville, ils sont aussitôt reconnus par les aboli tionistes, que préviennent d'avance les amis échelonnés sur les routes. Les moindres actions de ces misérables sont surveillées, on leur suscite tous les obstacles imaginables. Pour mettre en garde la population menacée, on n'hésite pas à fixer l'attention sur leurs personnes en affichant publiquement, comme à Philadelphie, leurs noms et leurs signalemens. Voici la traduction textuelle d'une de ces affiches qui nous est envoyée de Boston : » » » » »


ESCLAVES

FUGITIFS

AUX ÉTATS-UNIS.

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PROCLAMATION. A TOUT L E

BON P E U P L E DE MASSACHUSSETS.

SACHEZ QU'IL Y A MAINTENANT

TROIS

CHASSEURS D'ESCLAVES OU

VOLEURS D'HOMMES DANS BOSTON A LA RECHERCHE DE LEUR PROIE.

L'UN D'EUX E S T APPELÉ

DE LYON. C'est un coquin d'une laideur peu commune. Taille d'environ 5 pieds 8 pouces ; épaules larges ; grande bouche et p o r tant une quantité considérable de poils malpropres sur la partie inférieure du visage ; il a le nez romain et un œil crevé ; il a l'air d'un pirate et parait être au fait du métier de voleur d'hommes. LE SUIVANT EST APPELÉ

EDWARD BARRETT. Sa taille est de 5 pieds 6 pouces à peu près ; il est maigre et fluet; il semble âgé de trente ans. Il a la bouche très-fendue, de longues oreilles minces et des yeux bruns. Ses cheveux sont bruns et il a au menton une queue de fourrure. Il porte une redingote bleue à col de velours, un pantalon d'étoffe croisée et un gilet broché. Il a le col de sa chemise rabattu, et au cou une corde n o i r e . . . pas de chanvre. L E TROISIÈME BRIGAND EST NOMMÉ

ROBERT M. BACON, alias JOHN D. BACON. Il a à peu près cinquante a n s , sa taille est de 5 pieds 6 pouces ; son visage rouge dénote l'intempérance ; il a le front


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ESCLAVES FUGITIFS AUX É T A T S - U N I S .

fuyant; les cheveux noirs mêlés de gris. Vêtement: habit noir, pantalon croisé et gilet rougeâtre. Il a l'air endormi, et cependant méchant. Les bons citoyens de cette République sont avertis de se méfier de ces trois scélérats ; car on sait qu'ils sont ici pour guetter quelques-uns de nos concitoyens. Fait à Boston, le quatrième jour d'avril l'an de N. S. 1851, et de l'indépendance des Etats-Unis le cinquante-quatrième Dieu protége la République de Massachussets. Quelques esclaves fugitifs échappent de la sorte à leurs persécuteurs et trouvent moyen de gagner la terre étrangère et libératrice. « Honneur donc ! s'écrie le Libérator, honneur aux » citoyens du Massachussets et des autres états protecteurs, » pour leur opposition courageuse et si souvent efficace à une » loi monstrueuse qu'on expliquerait peut-être à l'enfance » des nations, mais qui de nos jours est le signe d'une pro» fonde dégradation de la nature humaine, d'un affaissement » de l'intelligence, d'un endurcissement du cœur et des a p » pétits sauvages de la matière. » Gloire, dirons-nous à notre tour, gloire à tous les vrais enfans de la République des États-Unis, dont la vigilance et le noble dévoûment préservent les esclaves fugitifs de retomber dans les mains de leurs maîtres. Si l'amour du bien ne leur suffisait pas pour les soutenir dans leur généreuse entreprise, nous leur crierions : Courage, amis, courage, du fond de l'Europe dans les villes, dans les campagnes, les défenseurs de l'humanité vous regardent et vous bénissent ! § VIII.—

RÉSUMÉ.

Que résultera-t-il de cette affreuse loi des esclaves fugitifs? On commence déjà à s'apercevoir que c'est une arme à deux tranchans, si le Nord en est profondément blessé, s'il s'indigne d'un acte qui compromet gravement les États-Unis aux yeux de la civilisation, le Sud ne laisse pas que d'en souffrir, car, d'un côté, l'agitation abolitioniste s'en est accrue dans des proportions incalculables, et de l'autre, les maîtres des fugitifs n'en retirent pas à beaucoup près le fruit qu'ils attendaient. Les journaux du Sud accusent très-nettement cette dis-


ESCLAVES FUGITIFS AUX ÉTATS-UNIS.

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position des esprits ; depuis plusieurs mois, les abolitionistes, dont ils feignaient d'ignorer l'existence, sont le sujet de leurs incessantes attaques, et chacun de leurs numéros contient à l'adresse des négrophiles des traits comme ceux qu'on a lus plus haut, ou de détestables sophismes comme ceux qu'on va lire : « Il serait vain de prétendre que les tendances de » labolition ne sont pas irréligieuses. L'esprit de l'abolition » est justement d'élever des notions individuelles de justice et » d'humanité en regard de la morale de la Bible, et si on le » laisse croître et avancer, il aura bientôt détruit toutes les di» gues du passé et un torrent d'eaux saumâtres viendra e n » gloutir toutes les terres vertes et fertiles. Cette sagesse fana» tique qui s'exalte au-dessus de la révélation et met à cha» que instant le livre sacré en opposition avec lui-même, mé» prisera bientôt la justice qui a dépossédé les Cananéens afin » de faire place à la race favorisée d'Abraham dans la terre » promise, et finira par nier la doctrine qui décharge le cri» minel pour placer son crime sur la tête de l'immaculé fils » de Dieu. Qu'importe à l'imagination échauffée du disciple » de l'égalité que le passé tout entier dépose en faveur de » l'esclavage, prouvant que la race africaine atteint à sa » plus haute élévation morale et jouit de la plus grande » somme de bonheur sous le contrôle et la direction des » blancs. L'abolitioniste mettra bientôt en question la justice » qui a ainsi décrété les choses et disputera à l'Etre-Suprême » le droit de dominer à son gré le monde coupable. Si jamais » il y avait eu depuis la chute de l'homme une époque et un » pays où la servitude eût été inconnue, et où le rêve de » l'égalité eût été mis en pratique, on pourrait trouver quel» que excuse à cette folie ; mais avec le double témoignage de » l'histoire profane et de l'histoire sacrée en main, une aber» ration complète des organes intellectuels est la seule expli» cation de ces raisonnemens insensés. » ( Southern-Baptist.) Voilà pourtant où en arrivent certains hommes des plus religieux aux États-Unis. Nous ne croyons pas qu'il y ait à leur répondre. La majorité du congrès de Washington a-t-elle bien songé, en faisant cause commune avec les possesseurs d'esclaves, que


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nous étions à la seconde moitié du X I X siècle, et que cette République, au nom de laquelle elle prétendait parler, est certainement, malgré sa plaie de la servitude, le pays où le n i veau de l'éducation populaire est le plus élevé, celui où, par une inconcevable contradiction, le sentiment de la liberté est le plus-admirablement développé? Au point de vue politique, comme au point de vue moral, jamais plus grand ni plus déplorable anachronisme ne fut commis. Parmi les abolitionistes, il en est qui ont bon espoir de voir cette loi odieuse rappelée, d'autres voudraient la conserver si les heureux effets qu'ils en attendent ne devaient pas être achetés par les souffrances des fugitifs ressaisis ; grâce à l'horreur qu'elle inspire, disent-ils, l'heure qui verra tomber l'institution même de l'esclavage est rapprochée d'une génération. Nous espérons que cette heure sonnera bientôt, sans nous dissimuler toutefois les énormes difficultés du succès. L a p r o priété esclave représente un capital énorme , et le Sud est disposé à tout risquer, même la dissolution de l'Union, pour ne pas voir cette fortune ébranlée. Le Nord, de son côté, est lié au Sud p a r l'intérêt commercial, et nous nous rappelons qu'en Angleterre, c'est l'intérêt commercial surtout qui a paralysé pendant trente années les efforts de Wilberforce, de Clarkson, de Buxton, et de leurs amis. Aux Etats-Unis, la même combinaison d'égoïsme triomphera donc longtemps encore. Mais, dans cette lutte formidable, dans cet étrange et colossal défi porté au sein d'un pays démocratique par la cupidité au progrès, Garrison, Phillips, Quincy, May, Mott, Smith, Gay, M a c - K i m , Douglas, Thompson, tous ces hommes héroïques dont les phalanges grossissent chaque j o u r au service du droit, ne peuvent manquer d'être vainqueurs. L'histoire du monde entier, et c'est l'éternelle consolation des penseurs, nous dit que tôt ou tard l'esprit l'emporte toujours sur la matière, la raison sur la violence, le bien sur le m a l , la liberté sur l'esclavage. Que l'on ne s'y trompe pas, il n'y a de notre part, dans tout ce qu'on vient de lire, rien d'hostile au fond pour les É t a t s Unis. Républicain passionné depuis que nous sommes en âge de raison , nous avons une admiration profonde et une a r dente sympathie pour la grande République américaine. Mais plus nous l'aimons précisément, et plus nous éprouvons de


ESCLAVES FUGITIFS AUX É T A T S - U N I S .

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douleur à lui voir commettre un crime inouï envers le genre humain ; plus nous estimons qu'elle a rendu un immense service à la civilisation en donnant à la liberté individuelle un caractère presque s a c r é , plus nous regrettons avec amertume qu'elle offense l'humanité entière en maintenant l'esclavage ; nous ne pouvons oublier qu'il dépend d'elle de faire disparaître du monde cette lèpre sociale que la conscience moderne repousse avec une juste horreur. C'est à nos yeux un danger immense pour les idées démocratiques dans le présent et dans l'avenir que le peuple démocrate p a r excellence possède des esclaves. Sans doute, d'énormes intérêts sont engagés dans la question, mais n'est-ce pas imiter les monarchies que de s a crifier à l'intérêt les principes suprêmes de la liberté, de la justice, de la philosophie et du droit. Toute une race sordidement exploitée par une nation républicaine, c'est le spectacle le plus immoral et le plus funeste qui fut jamais. Tels sont les uniques sentimens qui nous ont dominé en écrivant cet article ; que les Américains n'y voient donc pas l'œuvre d'un ennemi, mais, au contraire, celle d'un ami j a loux de leur honneur dans l'histoire et la postérité.

V. SCHOELCHER.


TABLE.

er

§ 1 . Origine de la loi

1

§ 2 . Analyse et appréciation de la loi § 3 . Cruels effets de la loi § i.

.. •

5 9

Hommes libres volés à titre d'esclaves fugitifs

15

§ 5 . Affaire S c h a d r a c h à Boston. Intervention de M. F i l m o r e , p r é sident des États-Unis S 6. Cris de fureur des Journaux de l'esclavage litionistes

19 contre les

abo22

S 7 . Résistance légale de plusieurs états

24

§ 8 . Résumé

28

Paris. — Imprimerie de E . Brière, rue Sainte-Anne, 5 5 .


ABOLITION DE LA

PEINE DE MORT PAR V . SCHŒLGHER Représentant du Peuple (Guadeloupe).

L a peine de m o r t est illégitime parce qu'elle n'est pas nécessaire; elle est illégitime parce qu'on n'a le droit de tuer que pour défendre sa propre vie ou celle de son prochain contre une a t t a q u e

i m m é d i a t e ; elle est

illégitime

p a r c e qu'en t u a n t le coupable, on lui ferme la voie du r e p e n t i r ; elle est illégitime parce qu'avec la faillibilité h u m a i n e , on n'est j a m a i s sûr qu'elle ne sacrifie pas un innocent.

PARIS EUGÈNE

DE

SOYE

ET

RUE DE S E I N E ,

1851

e

C, 36.

IMPRIMEURS



ABOLITION DE LA

PEINE DE MORT

§

I.

PROPOSITION.

La révolution de Février a été grande et généreuse entre toutes. C'est qu'il n'en fut jamais où l'esprit populaire inspira davantage le gouvernement qui en sortit ; c'est qu'il n'en fut jamais dont les organes, les régulateurs, fussent plus près du peuple. Aussi les hommes que la magnanime Révolution installa sous les voûtes de l'Hôtel-de-Ville avaient à peine proclamé la République qu'ils prononcèrent l'abolition du dernier supplice en matière politique. Ils r e n v e r sèrent l'échafaud en même temps que la royauté, et l'acclamation unanime du peuple encore en armes, du peuple vainqueur de la dernière monarchie qui sera en France, vint leur dire qu'ils avaient bien interprété sa pensée. C'était juste et logique. La République, le gouvernement de tous, pour tous et par tous, n'avait pas besoin, comme les rois, de répandre le sang de ses ennemis pour les vaincre. Nous ne regrettons, nous, qu'une chose, c'est que le Gouvernement provisoire n'ait pas été logique jusqu'au bout, c'est qu'il n'ait pas aboli la peine de mort aussi bien en matière criminelle qu'en matière politique. Il appartient aux républicains de compléter son œuvre glorieuse et de donner


4

c e nouveau t é m o i g n a g e d e leur a m o u r et d e leur r e s p e c t p o u r l'humanité. C'est p o u r q u o i , c o m m e r e p r é s e n t a n t du p e u p l e , nous avons eu l'honneur de s o u m e t t r e , le 2 i février d e r n i e r , a u x délibérations d e l'Assemblée nationale, une proposition p o u r l'abolition p u r e et simple de la peine de m o r t , p r o p o sition que nous avons rectifiée depuis en c e s t e r m e s : La peine de mort est abolie, dans tous les cas où elle est prononcée par le Code pénal. La même peine est abolie dans tous les cas où elle est prononcée par le Code pénal militaire ou par le Code pénal maritime pour des faits accomplis hors l'état de guerre. Un projet de loi sera incessamment présenté à l'Assemblée pour déterminer la peine qui sera substituée à la peine de mort. Il sera sursis à l'exécution de toute sentence capitale qui serait prononcée jusqu'à la promulgation de la loi nouvelle, dont les dispositions seront appliquées aux individus qui auraient été condamnés à mort. On voit que nous nous bornons à d e m a n d e r l'abolition p u r e et simple d e la peine d e m o r t , laissant au g o u v e r n e m e n t le soin de p r é s e n t e r un p r o j e t de loi pour la r e m p l a c e r . On ne s'en é t o n n e r a pas en songeant à la h a u t e g r a v i t é de la question. L a r é f o r m e que nous d e m a n d o n s est inconciliable, nous ne le dissimulons pas, a v e c les é l é m e n t s a c t u e l s de n o t r e législation p é n a l e ; il i m p o r t e d'y substituer u n e répression p r o p o r t i o n n e l l e . L e s t r a v a u x f o r c é s , tels qu'ils e x i s t e n t , m ê m e à p e r p é t u i t é , n'y suffiraient p a s , puisqu'ils sont déjà appliqués pour des cas d é t e r m i n é s , puisque l'on a vu des réclusionnaires c o m m e t t r e v o l o n t a i r e m e n t des fautes afin de se faire e n v o y e r au bagne. P o u r les assassins e t les c o u p a b l e s e n d u r c i s , il y a u r a lieu de c o m b i n e r la prison cellulaire a v e c la d é p o r t a t i o n loin de la p a t r i e , loin de la famille, loin d e t o u t e e s p è c e d e b i e n - ê t r e . Nul ne saurait avoir la p r é t e n t i o n de r é s o u d r e seul des points aussi essentiels de législation c r i m i n e l l e , civile, militaire et m a r i t i m e ; il n'y faut pas moins que les lumières des m a g i s t r a t s , des moralistes les plus é m i n e n t s , et le g o u v e r n e m e n t seul a les m o y e n s de les r é u n i r . On d e v r a s ' o c c u p e r i m m é -


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d i a t e m e n t d e la n o u v e l l e législation et jusqu'à c e qu'elle soit faite, les c o n d a m n é s à m o r t r e s t e r a i e n t dans la s i t u a tion où ils se t r o u v e n t lorsqu'ils se sont p o u r v u s en c a s s a tion ou en g r â c e . N o t r e proposition est une p r o t e s t a t i o n nouvelle c o n t r e les calomnies s y s t é m a t i q u e s d'indignes a d v e r s a i r e s qui f o m e n t e n t la haine c o n t r e les d é m o c r a t e s en les r e p r é s e n t a n t c o m m e des t e r r o r i s t e s . On sait que c'est une p h r a s e s t é r é o t y p é e , dans c e r t a i n s j o u r n a u x , que t o u t e s les réunions d e socialistes se t e r m i n e n t a u c r i trois fois r é p é t é d e : « V i v e la guillotine ! » Ce ne s e r a pas une des choses les moins é t r a n g e s d e la révolution de F é v r i e r , où l'on voit tant d e choses é t r a n g e s , q u e c e soit a u x h o m m e s qui ont signé, a c c l a m é la s u p p r e s sion de la peine c a p i t a l e à l ' H ô t e l - d e - V i l l e , à la t r i b u n e e t sur la p l a c e publique q u e l'on i m p u t e des p r o j e t s sanguinaires ! Infâme calomnie que c h a c u n d e nous r e p o u s s e de t o u t e la puissance de son â m e , de t o u t e la sagesse d e sa r a i s o n , d e t o u t e la f o r c e d e son e s p r i t , d e t o u t e la b o n t é d e son cœur. On nous appelle les rouges, nous avons a c c e p t é c e n o m p a r c e qu'au milieu des l u t t e s intestines qui divisent e n c o r e m a l h e u r e u s e m e n t la F r a n c e , il s e r t à nous bien distinguer des blancs; mais nous r e p o u s s o n s a v e c h o r r e u r , a v e c d é g o û t , nous r e p o u s s o n s c o m m e une injure q u e nous ne souffrirons jamais en face t o u t e a u t r e signification qu'on v o u d r a i t lui d o n n e r . O u i , qu'on le s a c h e b i e n , les h o m m e s qu'on appelle les r o u g e s n'ont à r e c e v o i r des l e ç o n s d'humanité d e p e r s o n n e , et ils p o u r r a i e n t en d o n n e r à l e u r s c a l o m n i a t e u r s . Chacun agit dans la plénitude de sa c o n s c i e n c e , et c e r t e s , nous qui avons t a n t à nous p l a i n d r e d e telles diffamations, nous s o m m e s loin, bien loin, d e vouloir i n c r i m i n e r , en quoi q u e c e soit, la p e n s é e d e nos a d v e r s a i r e s ; mais, nous le pouvons d i r e sans blesser p e r s o n n e , s'il é t a i t possible d ' a c c u s e r un p a r t i , dans c e noble p a y s , d'avoir du g o û t p o u r l ' é c h a faud, c e ne d e v r a i t pas ê t r e , il nous s e m b l e , celui dont le p r e m i e r a c t e t r i o m p h a l a é t é de r e n v e r s e r le piédestal du b o u r r e a u ; celui qui à la Constituante a Y O t é p r e s q u e u n a n i m e m e n t c o n t r e la peine d e m o r t , celui qui vient e n c o r e


— 6 — aujourd'hui en d e m a n d e r l'abolition t o t a l e p a r la v o i x d'un de ses m e m b r e s . Si c e t t e h o r r i b l e peine souille e n c o r e les c o d e s de la République f r a n ç a i s e , la responsabilité en r e vient e x c l u s i v e m e n t au p a r t i qui s'applique le t i t r e de m o déré. R o u g e s , blancs, h o m m e s d e t o u t e s c r o y a n c e s politiques, oublions les uns et les a u t r e s c e qui fut et n'insultons pas le p r é s e n t ; glorifions-le, au c o n t r a i r e , en nous réunissant dans une m ê m e volonté pour a c c o m p l i r u n e g r a n d e œ u v r e d ' h u m a n i t é ; c e s e r a le meilleur moyen d e p r o u v e r q u e p e r sonne ne v e u t r e c o m m e n c e r le p a s s é . L e l e c t e u r , à quelque opinion qu'il a p p a r t i e n n e , nous p a r d o n n e r a s'il j u g e que nous ayons mis t r o p de v i v a c i t é dans c e q u e nous venons d e d i r e , c'est q u e nous é p r o u v o n s v é r i t a b l e m e n t une profonde indignation à nous e n t e n d r e p r ê t e r c h a q u e j o u r des sentiments o d i e u x , c'est que les diffamations c o n t r e lesquelles nous nous élevons de t o u t e s les forces de n o t r e â m e ont m a l h e u r e u s e m e n t p r o d u i t q u e l q u e effet sur des esprits c r é d u l e s ou qui nous é t a i e n t déjà hostiles. N'a-t-on pas é t é jusqu'à t r o u v e r m o y e n de flétrir n o t r e p r o p o s i t i o n ? Si les m o n t a g n a r d s , avons-nous lu quelque p a r t , d e m a n d e n t l'abolition de la peine de m o r t , c'est qu'ils c r a i g n e n t c e t t e peine pour e u x - m ê m e s ! Ainsi, les m o n t a gnards v e u l e n t - i l s b r û l e r l ' é c h a f a u d , c'est qu'ils ont p e u r qu'on les y m è n e ; q u e l q u e s - u n s c r o i e n t - i l s , c o m m e la m a j o r i t é de la Constituante et d e la L é g i s l a t i v e , nécessaire de le g a r d e r , c'est qu'ils ont dessein d'y m e n e r les a u t r e s ! E n v é r i t é , les haines politiques furent-elles j a m a i s plus a v e u g l e s ! Il y a quelques j o u r s e n c o r e on nous a fait l i r e , nous ne savons dans quel r e c u e i l légitimiste, la p h r a s e suivante : « C e u x qui d e m a n d e n t l'abolition de la peine de m o r t sont « p r é c i s é m e n t les m ê m e s qui dans mille é c r i t s , mille clubs, « p r o c l a m e n t l'impossibilité d ' a t t e i n d r e leur b u t sans exter« mination préalable. 11 leur faut, pour p r e m i e r s m a t é r i a u x d e « fondation, une quantité de têtes, froidement c a l c u l é e , discut é e , c o n v e n u e . Dignes de l ' e x é c r a t i o n du ciel et d e l à « t e r r e , ils taillent d ' a v a n c e à la c r a i e r o u g e la b e s o g n e du « c o u t e a u . » O r , le m ê m e r e c u e i l fleurdelisé ajoutait un p e u plus loin : « L e j o u r ou les a d v e r s a i r e s de la peine d e


-

7

-

« mort, cette souveraine garantie, auraient gain de cause, nous « les délions de sortir de chez eux en plein midi et avec 50 cen« times

dans

leur poche

SANS Ê T R E A S S A S S I N É S . »

Voilà pourtant ce que pensent de la société, de l'humanité entière, voilà ce qu'écrivent des hommes qui ont la prétention de se respecter et d'avoir seuls le sens moral ! Ils ne s'aperçoivent pas qu'en cherchant dans un déplorable intérêt de parti à déshonorer leurs adversaires, ils déshonorent l a F r a n c e et eux-mêmes.

§

2.

L E PRINCIPE EST

D E L'ABOLITION

DANS

L A LOI DEPUIS

D E LA PEINE

D E MORT

1794.

Quoi qu'il en soit, nous espérons q u e nos v œ u x a r d e n t s p o u r l'abolition c o m p l è t e d e la peine d e m o r t ne s e r o n t pas d é ç u s c e t t e fois. Il e s t vrai q u e l'Assemblée a déjà r e p o u s s é , il y a plus d'un a n , la p r i s e en considération d'une proposition semblable de l'honorable M. S a v a t i e r - L a r o c h e , mais les p r é c é d e n t s , en pareille m a t i è r e , n e lient h e u r e u s e m e n t p a s , m a l g r é c e qu'en a d i t M . A u d r e n K e r d r e l , r a p p o r t e u r d e l à commission d'initiative c h a r g é e d ' e x a m i n e r n o t r e proposition. Chaque j o u r d'ailleurs la s o c i é t é p r o g r e s s e , e t dans c e t t e question où la v i e humaine e s t e n j e u , c h a q u e j o u r nous a p p o r t e en q u e l q u e s o r t e un n o u v e a u t é m o i g n a g e c o n t r e la peine d e m o r t . C'est déjà u n e c h o s e t r i s t e , p o u r nous s u r t o u t qui voudrions voir la F r a n c e p r e n d r e t o u t e s les g é n é r e u s e s initiatives, d e p e n s e r qu'elle a c é d é le pas à d ' a u t r e s , lorsqu'il s'agit d e c o n s a c r e r un n o u v e a u p r o g r è s dans la civilisation. L e 4 a o û t 1 8 4 8 , le c o n g r è s d e F r a n c f o r t supprimait la peine c a p i t a l e , à la m a j o r i t é d e 2 8 8 voix c o n t r e 1 4 8 , e t la C h a m b r e d e s r e p r é s e n t a n t s à Berlin p r e n a i t le m ê m e j o u r u n e résolution s e m b l a b l e , à la majorité d e 2 9 8 voix c o n t r e 3 7 . Nous n'avons d'ailleurs, dans u n e telle c i r c o n s t a n c e , qu'à s u i v r e la tradition d e nos p è r e s . Ils ont déjà d é c r é t é l'abolition d e la peine d e m o r t . L e 9 frimaire a n I V , la C o n v e n tion, au milieu d e la t o u r m e n t e r é v o l u t i o n n a i r e , a v a i t d é -


8

c r é t é : « A d a t e r d e la paix g é n é r a l e , la peine d e m o r t s e r a « abolie dans t o u t e la République f r a n ç a i s e . » P a r m a l h e u r , le p r e m i e r consul, qui r ê v a i t déjà le d e s p o t i s m e , ne voulut point a c c e p t e r c e legs p i e u x , et la loi du 8 nivôse an X s e borna à d i r e : « L a peine de m o r t continuera d ' ê t r e appliquée « dans les c a s d é t e r m i n é s p a r les lois, jusqu'à ce qu'il en soit « autrement ordonné. » L e principe d e la g r a n d e m e s u r e d'humanité que nous r é c l a m o n s aujourd'hui est donc formellement é c r i t dans nos c o d e s ; le législateur a d é j à , p o u r ainsi d i r e , a v e r t i la nation qu'il r é v i s e r a i t la loi du sang. Jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné ! n'est-ce pas d i r e qu'il y a lieu d'en o r d o n n e r bient ô t a u t r e m e n t ? C e t t e f o r m u l e , qui c a r a c t é r i s e les m e s u r e s t r a n s i t o i r e s , ne j e t t e - t - e l l e pas le d o u t e dans la législation elle-même ? L'échafaud ne fonctionne plus que provisoirement en F r a n c e , jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné. Pour notre compte, nous sommes t r è s - d é c i d é à le s a p e r de plus en plus, si n o t r e proposition ne passait pas aujourd'hui, en la r e n o u v e l a n t c h a q u e a n n é e , en faisant de constants appels à l'opinion p u blique, jusqu'à c e que les amis de l'humanité aient enfin obtenu gain de c a u s e . Nos raisons, les voici : C'est que la société n'a pas le droit de t u e r ; C'est que la peine m o r t n'est pas n é c e s s a i r e ; C'est qu'elle punit au lieu de c o r r i g e r ; C'est qu'elle n'est pas p r é v e n t i v e ; C'est qu'elle est d a n g e r e u s e ; C'est qu'elle atteint souvent des fous e t quelquefois innocents ;

des

C'est qu'enfin elle peut s e r v i r au r é t a b l i s s e m e n t de l'échafaud politique. Examinons l'autre.

chacune

de

ces

propositions

l'une

après


— 9 —

§ 3 . — LA SOCIÉTÉ N'A PAS LE DROIT DE TUER.

Et d'abord, qu'il nous soit permis de poser cette question : La société a-t-elle le droit de tuer un individu, même coupable ? Nous répondons sans hésiter : Non ! Que disent les partisans de la peine de mort? « Qu'elle a pris place parmi les lois de tous les peuples ; qu'elle a été de tout temps appliquée par les hommes les plus éclairés, les plus consciencieux; qu'à toutes les époques la société s'est affirmé à elle même le droit de toucher à la vie de c e lui qui n'avait pas respecté celle d'autrui; qu'elle ne s'est jamais crue coupable d'assassinat en usant de la faculté de punir par la mort; enfin, que cette manifestation constante, universelle du sentiment public, établit la légitimité de la peine capitale. » Sont ce là des arguments bien sérieux? La durée d'un fait en a-t-elle jamais fondé le droit aux yeux de la morale? L'Inde, l'Egypte, la Grèce, Rome, le bouddhisme, le mosaïsme, le paganisme, les peuples les plus civilisés, les religions les plus libérales de l'antiquité, le christianisme lui-même pendant longtemps ont sanctionné l'esclavage. Est-ce à dire que l'esclavage ait jamais été légitime? Est-ce à dire que l'esclavage n'ait pas toujours été un crime abominable? La société a été plongée aux premiers âges dans la barbarie; son passé mauvais ne saurait justifier le mal présent. Ainsi, elle s'est arrogé le pouvoir de mettre les prévenus à la question, celui de torturer les condamnés; est-il cependant personne aujourd'hui qui hésite à proclamer qu'en appliquant la question, et même la torture, elle commettait une atrocité, un attentat véritable envers l'humanité? Parce que tous les siècles ont reconnu à la société le droit de tuer, vous prétendez faire de ce droit « une émanation de la conscience humaine! » Voyez où vous allez avec de tels raisonnements : les siècles n'ont pas plus protesté contre les supplices que contre la peine de mort;


— 10 — d'excellents esprits même, gâtés, faussés par la férocité ou les mauvaises habitudes de leur époque, les ont approuvés. Vous allez donc aussi en conclure que les supplices sont des émanations de la conscience humaine? Vous voulez faire à la peine de mort une légitimité de son long passé? Ah! vous oubliez que chaque année de son passé, comme de son présent, se peut compter par ses erreurs ou ses crimes. Vous oubliez que sans elle Socrate n'eût pas été empoisonné, Jésus-Christ crucifié, Savonarola brûlé; que des milliers d'hommes justes et bons n'eussent pas péri à leur tour sur l'échafaud, sacrifiés à la folie ou à la fureur des partis de leur temps! Repoussons les sophismes et allons au fond des choses. De même que l'individu, la société étant, il faut qu'elle vive; elle a dès lors tous les droits inhérents à la vie, y compris celui de tuer pour se conserver. Mais quand le droit de tuer existe-t-il? Dans un seul cas, celui de légitime défense personnelle. Donner la mort est un forfait lorsque ce n'est pas l'unique moyen de salut qui existe; il n'est licite, en un mot, de verser du sang qu'autant qu'il est impossible de l'éviter. Or, qui osera dire qu'un individu, si pervers qu'il soit, tuerait la société, si la société ne le tuait pas? Qui osera dire que la société, avec ses gendarmes, sa police, ses gardes champêtres, ses parquets, ses tribunaux, toutes ses puissances accumulées, n'est pas assez forte pour conserver sa vie sans prendre celle du coupable? D'ailleurs la société, en sacrifiant le criminel, n'est plus dans le cas de légitime défense; elle ressemble à l'individu attaqué qui frapperait au cœur son agresseur lorsque celui-ci vaincu ne met plus sa vie en danger. Elle joue le rôle d'un homme violent et sanguinaire abusant de sa force pour exterminer celui qui l'a offensé, Elle commet, ont écrit de grands penseurs, elle commet un assassinat ! Assassiner, n'est-ce pas tuer volontairement son semblable avec ou sans préméditation? Eh bien, « la société, dit l'illustre Carnot, en en« voyant un homme à l'échafaud, le tue volontairement, « d e sang-froid, avec préméditation, c'est-à-dire avec « tous les caractères de l'assassinat. » 11 n'y a que le mot de changé. Par une inconcevable et bizarre contradiction,


11

« « « « « « «

elle se rend coupable, selon l'expression de Beccaria, d'un meurtre pour punir un meurtre ; elle devient h o micide pour châtier un homicide. » — « Convient-il, s'écrie à son tour M. Cormenin , convient-il que la société massacre de sang-froid l'un de ses membres qui en a massacré un autre dans sa colère? L e q u e l , dans ces deux actes, est le plus barbare, du criminel ou de la société ( 1 ) . » Quoi! voilà un malheureux atteint de la rage, il souffre des douleurs atroces, il est dangereux, son mal est incurable, et dans un accès de délire il peut le communiquer à sa famille, à ses amis, qui le soignent et qui deviendraient comme lui incurables. La science déclare, après des milliers d'années d'études et d'expériences, qu'elle n'a aucun moyen de le guérir. Dans cette extrémité, vous défendez à la médecine, et vous avez raison, de le tuer pour le délivrer d'un mal sans remède qui le conduira infailliblement au tombeau ! Et après cela, vous donnez à la société le droit d'écraser un individu qui n'est pas incurable, qui peut moralement guérir, autrement dit se repentir et rendre alors des services à la collection des êtres ! Pour nous, nous concevrions jusqu'à un certain point la sociétés assemblant sous la forme des douze médecins les plus savants du pays, et déclarant qu'il faut tuer l'infortuné atteint de la r a g e , puisque la rage est un mal incurable et communicable; mais il nous est impossible d'admettre que douze jurés décident qu'un criminel sera mis à mort, lorsqu'il y a tant d'exemples de criminels rendus à la vertu, et surtout d'innocents condamnés injustement!

§ 4 . — LA PEINE DE MORT EST SANS EFFICACITÉ MATÉRIELLE.

Le droit et le devoir de la société ne se bornent pas à veiller à sa propre conservation ; elle doit également assurer celle de chacun de ses membres. Sans aucun doute; (1)

L'Événement,

9 - 1 0 juin 1 8 5 1 .


— 12 — mais pour cela elle n'a pas besoin de r é p a n d r e le sang du c r i m i n e l ; l'échafaud ne lui est ni utile, ni indispensable; elle p e u t tout aussi bien se d é f e n d r e , elle p e u t tout aussi bien g a r a n t i r ses m e m b r e s des a t t e i n t e s du m é c h a n t par le bannissement, la d é p o r t a t i o n e t la prison cellulaire que p a r la m o r t . Nul ne c o u r r a plus ou moins de d a n g e r p a r c e que l'on aura t u é plutôt qu'enfermé l'assassin p o u r le m e t t r e hors d'état de n u i r e . P e r s o n n e au m o n d e , nous le r é p é t o n s , ne v o u d r a i t soutenir que la s o c i é t é , a v e c ses i m menses f o r c e s , ne s a u r a i t p r é s e r v e r elle et c h a c u n des i n dividus qui la c o m p o s e n t des e n t r e p r i s e s d'un malfaiteur qu'en le r e t r a n c h a n t du n o m b r e des vivants. Du m o m e n t que la c o n s e r v a t i o n de l'existence d'un assassin n'a pu et n e p o u r r a jamais m e t t r e la s o c i é t é en d a n g e r , la peine d e m o r t est bien r é e l l e m e n t sans efficacité m a t é r i e l l e . « F a u t - i l « d é c l a r e r , disait M. Villemain à la C h a m b r e des d é p u t é s , « le 8 o c t o b r e 1 8 3 0 , faut-il d é c l a r e r solennellement q u ' a v e c « n o t r e l i b e r t é et nos l u m i è r e s , a v e c n o t r e belle et h é r o ï q u e « R é v o l u t i o n , nous ne savons rien imaginer de m i e u x que « la m o r t pour a s s u r e r la paix publique , et qu'à c e t é g a r d « n o t r e civilisation n'est pas plus habile que la b a r b a r i e ? « J e ne le crois pas. Q u ' e s t - c e que c e faible individu qui « m e t en péril des millions d'hommes dans n o t r e s o c i é t é , « où l'individu est si faible à l'égard des m a s s e s ? Quel est « l'homme dont la d e s t r u c t i o n matérielle est n é c e s s a i r e « p o u r m e t t r e en s û r e t é le c o r p s social? C e l t e puissance « n'est donnée à p e r s o n n e , e t , p a r c o n s é q u e n t , cette cruauté « n'est nécessaire c o n t r e p e r s o n n e . C'est un sacrifice i m « m e n s e que d'autoriser l'homme à t u e r l'homme, afin d e « maintenir la s o c i é t é . A l'instant où c e sacrifice n'est pas « éminemment, exclusivement n é c e s s a i r e , il est un CRIME! Il « d e v i e n t coupable quand il n'est pas le seul moyen d e « faire c e qui doit ê t r e fait pour le salut, la d u r é e de la « société. » L a peine c a p i t a l e n'est pas n é c e s s a i r e , donc elle n'est pas légitime, donc elle est un c r i m e , c o m m e dit M. Villemain. La société e l l e - m ê m e , en abolissant la peine de m o r t pour t o u t a t t e n t a t politique, a formellement a v o u é qu'elle n'avait besoin de l'échafaud dans a u c u n c a s . Combien ne lui fait pas


— 13 — courir plus de d a n g e r s celui qui l'attaque t o u t e n t i è r e , celui qui, du sein du peuple ou du p o u v o i r , p a r ses paroles ou p a r ses a c t e s , soulève les citoyens les uns c o n t r e les a u t r e s et a m è n e les fratricides batailles d e la g u e r r e civile? Quant à nous, si nous croyions à l'efficacité de la peine de m o r t c o m m e punition, nous dirions que c'est s u r t o u t en m a t i è r e politique bien plus qu'en m a t i è r e criminelle qu'il faudrait la c o n s e r v e r . L'assassin ne fait de mal qu'à un seul, tout au plus à u n e famille ; le ministre ou le p r i n c e qui veut r a v i r les lib e r t é s d e son p a y s , ou bien l'anarchiste qui d e s c e n d dans la r u e quand la Constitution n'est pas violée, fait du mal à la g r a n d e famille nationale. E n t e r m e s absolus, le criminel politique est le seul qui s'attaque r é e l l e m e n t à la paix p u blique c'est-à-dire à tous ; le criminel civil ne s'attaque qu'à un seul individu. L o r s q u e la société se p r o c l a m e assez f o r t e p o u r se d é f e n d r e c o n t r e le criminel politique sans le t u e r , elle se déc l a r e p a r le fait m ê m e assez forte p o u r se d é f e n d r e c o n t r e un vil assassin sans lui t r a n c h e r la t ê t e . Soutenir a p r è s c e l a l'utilité du d e r n i e r supplice, c e n'est plus soutenir la s o c i é t é , mais l'échafaud tout seul. L'abolition d e la peine c a p i t a l e en t o u t e m a t i è r e est la c o n s é q u e n c e n a t u r e l l e , f o r c é e de l'abolition de la m ê m e peine en m a t i è r e politique; c a r elle n'a pas plus d'efficacité dans le p r e m i e r c a s que dans le s e c o n d . Vous le d é c l a r e z : c e n'est pas p a r c e que le m e u r t r i e r a donné la m o r t que vous lui a r r a c h e z la v i e ; c e s e r a i t la peine du talion, et le m o n d e m o d e r n e l'a laissée depuis des siècles a u x t e m p s b a r b a r e s . C'est u n i q u e m e n t , dites-vous, p o u r l ' e m p ê c h e r d e t u e r e n c o r e q u e vous le t u e z . 11 vous faut en c o n v e n i r , c'est là pousser le s y s t è m e p r é v e n t i f jusqu'à la c r u a u t é ; o r , la loi ne doit jamais ê t r e c r u e l l e . P o u r t o u t e r é p o n s e , nous vous défions de t r o u v e r une base solide, raisonnable à c e t a x i ô m e , seul c a p a b l e de vous j u s tifier : Qui a assassiné, assassinera. Non, il faut r e c o n n a î t r e la v é r i t é , la s o c i é t é , en d r e s s a n t l'échafaud, ne fait pas a c t e d e c o n s e r v a t i o n : elle se venge ou elle punit; c'est bien r é e l l e m e n t un d e r n i e r vestige d e la peine du t a l i o n , p e r p é t u é e j u s q u e dans les c o d e s d e la


— 14 — sagesse moderne, malgré la flétrissure que le talion a trouvée chez tous les peuples civilisés.

§ 5. — LA SOCIÉTÉ DOIT AMENDER LE CRIMINEL, ET NON LE PUNIR.

Quant à dire que la société se venge d'un individu, nous ne voulons pas même mettre ce point en discussion ; ce s e rait l'insulter. Reste à savoir si elle prendra le droit d'exterminer un coupable dans celui de le châtier. Quand la justice tue, elle punit pour punir, et non pour corriger. Or, à notre sens, la mission de la société est d'amender le criminel, de le rendre à la bonté, à la vertu, et non pas à la terre, par mesure de répression. « C'est une sorte de lâcheté, dit Jean « Reynaud, de se défaire des criminels au lieu de les c o r « riger. » La commission d'initiative chargée d'examiner notre proposition approuve le législateur d'avoir aboli la peine de mort en matière politique, mais ne veut pas qu'on aille plus loin, « parce que, dit-elle, avec le criminel politique, si «coupable qu'il soit, la réconciliation étant possible, la « société ne doit pas s'en interdire la voie par l'application « d'une peine irrémissible. » Mais c'est là précisément un des plus puissants arguments en faveur de notre proposition. Est-il donc un homme, si infâme qu'ait été sa conduite, si atroce qu'ait été son forfait, dont on puisse dire d'une manière absolue que tout sentiment du bien est éteint en lui? Est-il donc un homme, si vicieux que l'aient rendu la misère, ou le mauvais exemple, ou de funestes penchants, dont on puisse dire qu'il est incorrigible, et auquel on doive fermer la voie de la réconciliation par l'application d'une peine irrémissible? 0 vous tous qui nous combattez! répondez. Pensez-vous qu'il n'y ait d'autre élément de moralisation sur la terre que la mort? Pensez-vous que la hache du bourreau soit le garant de la paix générale? Prenez


— 15 — garde, examinez-vous à votre propre tribunal, et vous verr e z qu'en d e m a n d a n t la c o n d a m n a t i o n à m o r t d e

l'assassin,

vous obéissez à un sentiment de répulsion instinctif,

hon-

n ê t e , mais irréfléchi ; vous v e r r e z q u e v o u s c é d e z à un m o u v e m e n t d'indignation et d e colère. E h bien, vous êtes juges, e t le j u g e d o i t b a n n i r d e son â m e l ' i n d i g n a t i o n e t la c o l è r e ; il n e d o i t é c o u t e r q u e l a j u s t i c e d a n s l a h a u t e a c c e p t i o n d e c e m o t . N'êtes-vous p a s effrayés d'étouffer v i o l e m m e n t d a n s ses c r i m e s u n e â m e qui se s e r a i t purifiée d a n s le r e p e n t i r ? U n m a l h e u r e u x r a m e n é d u v i c e à la v e r t u n'offre-t-il p a s u n e x e m p l e m i l l e fois p l u s e f f i c a c e p o u r l a m o r a l i s a t i o n g é n é rale que t o u t e s les e x é c u t i o n s imaginables ? C'est u n d e s b o n s c ô t é s plus p e r v e r t i e , de

d e la n a t u r e h u m a i n e , m ê m e la

c é d e r plus f a c i l e m e n t à l'influence

du

bien qu'à la t e r r e u r . Q u i s a i t si l ' h o m m e a u q u e l o n a r r a c h e l ' e x i s t e n c e utilité p o u r qui q u e c e sa

fin

sans

s o i t , ni q u o i q u e c e s o i t , sans q u e

t r a g i q u e ait j a m a i s effrayé les m é c h a n t s , qui

sait,

d i s o n s - n o u s , si c e c r i m i n e l g u i l l o t i n é n ' a u r a i t p a s u n j o u r s a c r i f i é l a v i e q u ' o n lui a u r a i t l a i s s é e d a n s q u e l q u e a c t e d e d é v o u e m e n t , n e f û t - c e q u e p a r r e c o n n a i s s a n c e p o u r la p i t i é qu'on a u r a i t e u e d e l u i ? Q u e l q u ' u n se c h a r g e r a - t - i l d'affirm e r q u e l'infâme L a c e n a i r e l u i - m ê m e n'aurait j a m a i s pu se r e p e n t i r ? N'a-t-on pas vu

au b a g n e , au milieu

de

ce

re-

p a i r e d e la d é p r a v a t i o n la plus effrénée, a u milieu d e c e l t e é c o l e d'assassins et d e b r i g a n d s , e n t r e t e n u e à g r a n d s frais p a r l ' i m p a r d o n n a b l e i n c u r i e d e la s o c i é t é , n ' a - t - o n p a s

vu

des galériens se j e t e r à l'eau a v e c leurs chaînes et r i s q u e r ainsi d o u b l e m e n t l e u r e x i s t e n c e p o u r s a u v e r des g e n s

en

p é r i l ? N'y v o i t - o n p a s à cette h e u r e u n h o m m e q u i e s t a s s u r é m e n t l'un d e s p l u s b e a u x m o d è l e s d e v e r t u , d ' a b n é g a tion

et de

résignation

qui ait jamais existé.

« d e B r e s t , l i s o n s - n o u s d a n s l e Moniteur « depuis quatorze a n s ,

un h o m m e

expie

« p e i n e d'un c r i m e en d o n n a n t au m o n d e

du

« Au

bagne

19 avril 1 8 5 1 ,

d a n s les l'exemple

fers la d'une

« a d m i r a b l e c h a r i t é , d ' u n e p e r s i s t a n c e u n i q u e d a n s te bien « p o u r le seul a m o u r du bien, « plus

au prix des

d u r e s q u ' i l lui s o i t p o s s i b l e

privations

les

d e s'imposer dans les

« c o n d i t i o n s d e son e x i s t e n c e . F r a p p é p a r la loi d u j u s t e


16 —

« châtiment réservé aux coupables, J . - L . Allaire accepte «avec résignation le sort du condamné, en se promettant « de racheter par une pénitence plus rigoureuse encore, « l'énormité de son passé; il aspire au pardon de Dieu par « le repentir, à la paix de l'âme par le bienfait. Cependant « chaque jour il accomplit son pieux dessein, il adoucit le « regret amer de sa vie; dans la religion, il y puise de douces « consolations, et la pensée du bien lui ouvre les jouissan« ces du cœur. Mais dans sa triste position comment peut-il « soulager l'infortune? En se privant de son petit pécule, « de quelques centimes par jour, et en vendant même une « partie de sa nourriture. C'est ainsi que, dans l'espace de « quatorze années, il a remis à M. A. Le Fourdrey, aumô« nier de la marine, plus de 600 francs pour des œuvres de « charité. « Voici un dernier trait que nous avons appris : Le 10 oc« tobre dernier, le bateau le Saint-Jean-Baptiste, faisant la « pêche au poisson frais, et appartenant au port de Dun« kerque, a été submergé; l'équipage a péri. J . - L . Allaire « apprend que les hommes qui le composent laissent des « veuves et des enfants; il résout dès lors de venir au s e « cours de la famille la plus malheureuse. Sou à sou, à la « longue et aux dépens de son nécessaire, il amasse enfin « une somme de 20 francs qu'il prie l'aumônier de trans« mettre, en un mandat, au maire de celte ville, pour être « donnée selon ses intentions. La pauvre femme qui en a « été gratifiée a perdu son mari et son fils dans ce sinistre; « elle est restée avec quatre enfants en bas âge. « Mais qu'on ne croie pas que J . - L . Allaire ait un but « intéressé, qu'il cherche à recouvrer sa liberté. Non, il a « constamment refusé, tous les jours il refuse encore l'in« tercession de personnes influentes, les offres de l'admi« nistration elle-même pour obtenir sa grâce. Nous l'avons « dit, il fait le bien pour l'amour du bien, c'est-à-dire de «Dieu; il le fait avec une rare persévérance, soutenu par «la foi et l'espérance du salut; mais il n'attend rien de la « faveur des hommes. L'âme s'est-elle jamais relevée si « haut après l'erreur, la faute et la chute? » Si l'on avait coupé le cou au généreux Allaire, serait-


— 17 — il aujourd'hui dans les chaînes un e x e m p l e v r a i m e n t a d m i r a b l e de c e que le r e p e n t i r p e u t a m e n e r de v e r t u d a n s le c œ u r d'un h o m m e qui fut criminel ?

§ 6 . — LA MÊME MORT INFLIGÉE A TOUS LES CRIMINELS EST UNE INJUSTICE.

Au point de vue de la punition, d'ailleurs la peine capitale adoucie comme elle l'est, s'il est permis de parler de la sorte, et uniformément appliquée à tous les assassins sans distinction, viole profondément les lois de l'équité. L'humanité en progressant a supprimé la torture et personne au monde n'est tenté de le regretter; mais, il faut bien l'avouer, l'ancien législateur qui voyait dans la mort du coupable le châtiment de la faute était logique en mesurant les souffrances du supplice à la grandeur du forfait et à la perversité du c r i minel. Infliger la même mort à Lacenaire, qui assassine pour voler en lisant Horace, infliger la même mort à ce misérable dont la vie est une suite non interrompue de meurtres lâches et raisonnés, et au grossier paysan de Buzançais dont les antécédents sont purs, qui croit, dans l'exaspération d'un moment de rage, se venger d'un accapareur de grains en massacrant un courageux fermier qui le brave, infliger le même supplice à ces deux hommes, c'est commettre une iniquité et une absurdité. Est-ce à dire qu'il faille rétablir la torture? Non, mille fois non ; ce qu'il faut c'est ne tuer ni l'un ni l'autre, afin de graduer la répression pour l'un et pour l'autre selon leur culpabilité si différente, afin de substituer une expiation proportionnelle à une mort égale. Est-il permis de dire que l'assassin de Buzançais, malgré son heure d'égarement homicide, ne peut pas être un honnête homme? Nous ne pouvons mieux faire pour appuyer notre opinion que de citer les paroles de M. le président Bérenger : « . . . La peine de mort étant, de sa nature, indivisible, « n'est susceptible de se prêter à aucune diversité; et lors« que plusieurs coupables sont atteints de la même peine, 2


— 18 — « il est rare, il est impossible même que son infliction ne viole « la justice à l'égard de l'un ou de plusieurs d'entre eux. « Le plus grand vice qui puisse infecter une législation, « c'est l'injustice dans l'application des peines; les puni« tions ne sont destinées à produire un effet moral sur le « peuple qu'autant qu'elles ont sa sanction. Dès l'instant « où l'intérêt public peut s'attacher à un condamné, l'effet « moral est détruit, la condamnation réagit en sens con« traire ; on ne voit plus qu'une « et on n'est pas éloigné « lui était reprochée.

« Tel est

l'effet

victime là où il y avait un

d'excuser,

peut-être

d'exalter

coupable,

l'action

qui

»

inévitable

de l'indivisibilité de la peine de

« mort ( 1 ) . »

§ 7 . — LA PEINE DE MORT EST SANS EFFICACITÉ MORALE OU PRÉVENTIVE.

Pour justifier ou plutôt expliquer la mise à mort des coupables on prétend encore que c'est un exemple propre à effrayer ceux qui seraient tentés de se livrer au mal. L'histoire du monde entier répond pour nous. Depuis des siècles on a inventé mille supplices, on les a appliqués publiquement et de nouveaux crimes se sont toujours commis. La peine de mort existe depuis la naissance des sociétés et il y a encore des assassins et des empoisonneurs. C'est qu'en effet le criminel réfléchi compte toujours échapper au châtiment, et croit toujours qu'il pourra cacher son forfait ; sans cela il n'y aurait pas de criminels. Dans la pensée d'un homme perverti au point d'acheter un avantage quelconque au prix d'un assassinat, la certitude de sa cupidité satisfaite domine toujours la crainte du supplice, qu'il espère éviter. Quant au meurtre par passion, il est certain que la peur de l'échafaud ne le préviendra jamais, puisque, dans ce cas, le meurtrier n'est plus maître de lui au moment où il frappe. Cependant, disent ceux qui croient à l'efficacité préventive de la peine de mort, si elle ne supprime pas tous les (1) Rapport fait & la Chambre des députés le 5 octobre 1830 sur l'abolition de peine de mort.


— 19 — crimes, elle en prévient beaucoup, elle en diminue le nombre par la crainte du dernier supplice. « Renverser l'écha« faud, s'est-on écrié dans la discussion du 8 décembre 1 8 4 8 , « ce serait une effroyable excitation au meurtre. » — « Qui «prétendrait, dit à cette heure M. le rapporteur de la « commission d'initiative, que les vols avec meurtre ne se « multiplieraient pas, s'ils n'étaient réprimés plus sévère« ment que certains vols sans assassinat, déjà punis des « travaux forcés à perpétuité? Qui oserait dire que les con« damnés, frappés d'une peine perpétuelle, n'assassine« raient pas plus souvent leurs gardiens si ce nouveau « crime était assuré de l'impunité par la suppression abso« lue de la peine de mort? » C'est ici l'occasion de le déclarer bien haut, nous n'avons ni de loin ni de près la ridicule, l'offensante prétention d'être plus sensible que les partisans de la peine de mort, nous ne croyons pas que personne aime la guillotine pour la guillotine, nous sommes convaincus que ceux qui la défendent se font effort comme le chirurgien qui ampute le bras ou la jambe pour sauver le corps; nous regardons leur conviction comme tout aussi respectable que la nôtre en cela qu'elle est puisée comme la nôtre dans l'amour du bien de la société. Aussi est-ce en toute sincérité et sans avoir aucune espèce de dessein de blesser nos adversaires que nous disons : s'ils croient à la peine de mort une efficacité préventive par la terreur ils devraient logiquement demander le rétablissement de la torture. N'est-il pas évident que la perspective de la torture ferait bien plus peur que celle de la simple décollation? Cela dit, nous ferons remarquer d'abord qu'autant de fois qu'on a voulu abolir quelque peine barbare il s'est trouvé pour s'y opposer, comme il arrive aujourd'hui, des hommes qui en ont fait valoir l'impérieuse nécessité. De fort bons esprits, nous ne le nions pas, ont partagé ces funestes erreurs. « Il est évident, disait le grave d'Agues« seau lui-même, que l'on ne peut obtenir la vérité d'un « prévenu que par la question. » À chaque adoucissement de peine, on a menacé la société d'un débordement de crimes effroyables. Supprimez le feu, la r o u e , l'eau bouil-


— lante, l'écartellement,

2 0 -

r é p é t a i e n t les c o n s e r v a t e u r s de c e

temps-là, et les crimes vont c e n t u p l e r . On a supprimé les supplices et les c r i m e s au lieu de c e n t u p l e r ont diminué! N o t r e conviction profonde est que la p e r s p e c t i v e de l'échafaud n'a jamais e m p ê c h é un seul poignard de se l e v e r , ni un seul poignard l e v é de frapper, p a r c e que le misérable qui en a r r i v e à p e s e r le profit assuré de l'assassinat et la c h a n c e du gibet c o m p t e toujours éviter le gibet. Mais é c o u tons à c e t é g a r d des criminalistes, des m a g i s t r a t s , dont personne ne c o n t e s t e r a ni l'autorité, ni la c o m p é t e n c e . « Cess e z , amis des lois et de la j u s t i c e , lit-on dans le Traité des lois pénales de M. P a s t o r e t , cessez de croire qu'il faut du sang pour effrayer les hommes ou diminuer les c r i m e s . L'expérience ne prouve pas que tant de rigueur soit s a l u t a i r e ; loin de la c o n s a c r e r , l'utilité publique et l'humanité s'y opposent c o m m e la n a t u r e . » « Vingt-cinq ans de m a g i s t r a t u r e , ajoute M. Girod ( d e l'Ain), ne m'ont que t r o p familiarisé a v e c toutes les conséquences utiles ou funestes de l ' a p p l i c a t i o n d e la peine de m o r t . J e le d é c l a r e à la C h a m b r e , dès qu'une e x p é r i e n c e suffisante m'a permis d'apprécier c e s c o n s é q u e n c e s , j'ai acquis la conviction intime que la peine de mort n'est nécessaire à la société, dans aucun des cas pour lesquels le Code pénal l'applique. (Chambre des députés, 8 oct. 1 8 3 0 . ) « Loin que la peine de m o r t , nous dit à son tour M. le « p r é s i d e n t B é r e n g e r , loin que la peine de m o r t soit p r é « ventive pour les cas s p é c i a u x a u x q u e l s on l'applique, les « statistiques r é c e n t e s du peuple le plus civilisé offrent la « p r e u v e que plus c e t t e peine est prodiguée pour ces c a s , « et plus ils se reproduisent. P o u r q u o i ? 11 serait difficile de « le d i r e . L e fait c e p e n d a n t n'est point c o n t e s t é . — L ' a g « gravation d'une peine a toujours produit un effet c o n t r a i r e « à celui qu'on s'en p r o m e t t a i t ; elle a multiplié les c r i m e s « du m ê m e g e n r e au lieu de les diminuer; et c'est une v é qui c o m m e n c e à ê t r e admise p a r tous les c r i m i n a « listes, que plus il y a d'échafauds plus y a de c r i m e s . Ainsi « s e t r o u v e n t d é m o n t r é s , j e ne dis pas seulement L'INUTILITÉ « de la peine de m o r t , j e dis maintenant ses DANGERS. » (Rapport sur l'abolition de la peine de mort, s é a n c e du ô o c t . 1 8 3 0 . )

«rité


— 21 — C'est un fait aujourd'hui acquis à la s c i e n c e sociale que plus les lois sont c r u e l l e s plus les m e u r t r e s sont a t r o c e s , qu'une législation i m p i t o y a b l e , loin d e les d i m i n u e r , les a u g m e n t e : il y a moins de vols a v e c assassinats depuis l'abolition de la t o r t u r e q u ' a u p a r a v a n t ; on p e n d e n c o r e les v o l e u r s d e g r a n d chemin en E s p a g n e et en Italie : il n'existe pas de p a y s où il y ait plus d e voleurs d e g r a n d c h e m i n . Aujourd'hui que les faux m o n n a y e u r s e t les c o n t r e f a c t e u r s d e billets de b a n q u e n ' e n c o u r e n t plus la peine capitale l e u r n o m b r e a c o n s i d é r a b l e m e n t d é c r u , c o m m e le faisait o b s e r v e r M. R a b u a n le 15 s e p t e m b r e 1 8 4 8 à la C o n s t i t u a n t e . L e n i v e a u de la m o r a l i t é publique s'élève en raison m ê m e du r e s p e c t que la législation m o n t r e p o u r l'inviolabilité d e la vie humaine. L e président Dupaty en c i t e e n c o r e u n e g r a n d e et incontestable p r e u v e . « Il y a dix a n s , « é c r i v a i t - i l dans ses Lettres sur L'Italie, à la fin de la r é v o l u « tion, il y a dix ans que le sang n'a c o u l é en T o s c a n e s u r « un é c h a f a u d . . . . . Cet a d o u c i s s e m e n t des lois a a d o u c i les « m œ u r s publiques ; les c r i m e s g r a v e s deviennent r a r e s d e ce puis que les peines a t r o c e s sont abolies ( 1 ) . » Il n'y a qu'une m a n i è r e s é r i e u s e m e n t efficace de p r é v e n i r la p l u p a r t des a t t e n t a t s c o n t r e les p e r s o n n e s , c'est de p r o d i g u e r l'instruction et les m o y e n s d e v i v r e a u x gens qui en m a n q u e n t . Moralisez les masses p a r u n e bonne é d u c a t i o n g r a t u i t e , assurez ensuite du t r a v a i l a u x p a u v r e s et v o u s a u r e z du p r e m i e r c o u p diminué les c r i m e s de moitié. N o u s s o m m e s quelquefois t e n t é d'affirmer qu'il n'y a g u è r e q u e d e u x c r i m e s sur la t e r r e : la m i s è r e e t l'ignorance. C'est la m i s è r e et l'ignorance qui fournissent à l'échafaud p r e s q u e toutes ses r e c r u e s . Sur les t r e n t e - s i x c o n d a m n é s e x é c u t é s en 1 8 4 8 , douze ne savaient ni lire ni é c r i r e , d i x - h u i t ne savaient lire q u ' i m p a r f a i t e m e n t , six s e u l e m e n t s a v a i e n t assez lire et é c r i r e p o u r en t i r e r p a r t i . P a s un seul, P A S UN S E U L ! n'avait r e ç u une éducation s u p é r i e u r e à celle de l'enseignement primaire ! P r o d i g u e z d o n c , r é p a n d e z à profusion p o u r tous le b i e n (1) L a peine de m o r t , supprimée en Toscane p a r l'illustre Léopold I " en 1 7 8 6 , a été rétablie d'abord pour cause politique par ses successeurs, mais elle est t o u jours fort r a r e m e n t appliquée.


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ê t r e et la lumière ; vous le v o y e z , plus il y en a u r a , moins il y a u r a de g r a n d s c o u p a b l e s .

§ 8. — LES EXÉCUTIONS PUBLIQUES EXCITENT L E GOUT DU SANG.

L e s e x é c u t i o n s à m o r t , disent quelques-uns s o n t d'utiles e x e m p l e s , elles sont un m o y e n d'intimidation, elles i m p r i m e n t la t e r r e u r dans l'âme des m é c h a n t s . Ah ! p o u r qu'un h o m m e moral puisse p e n s e r ainsi, il faut q u e le h a s a r d ou le c o u r a g e de l'étude d e toutes nos m i s è r e s ne l'ait j a m a i s r e n d u témoin d e ces affreuses r e p r é s e n t a t i o n s . Il a u r a i t v u qu'au lieu d'effrayer les masses c e s p e c t a c l e ne s e r t q u ' à l e u r a p p r e n d r e à v e r s e r le s a n g , qu'à l e u r en d o n n e r le g o û t , « si l'on c o n s i d è r e , dit M . le p r é s i d e n t B é r e n g e r ( d e la « D r ô m e ) , la peine d e m o r t dans ses r a p p o r t s e n c o r e plus d i « r e c t s a v e c la s o c i é t é , on ne p e u t s ' e m p ê c h e r d e r e c o n n a î « t r e c o m b i e n son influence s u r les m œ u r s est pernicieuse. « Lorsque LA LOI montre aussi peu de respect pour la vie de l'homme, s comment espérer que les citoyens en auront davantage? On a « b e a u c o u p p a r l é d e la p u i s s a n c e d e l ' e x e m p l e ; c'est « m ê m e une des considérations qu'invoquent le plus « v i v e m e n t les défenseurs de la peine c a p i t a l e . E h bien ! d e « t o u t e s p a r t s les faits s o n t recueillis, ils a p p r e n n e n t que le « s p e c t a c l e du d e r n i e r supplice est le plus propre à pervertir « c e u x a u x q u e l s il est offert. C ' e s t à la l u m i è r e d e s faits « q u e la question s'est é c l a i r c i e , v o t r e c o m m i s s i o n , en « réunissant Ces faits, a c r u y t r o u v e r la d é m o n s t r a t i o n « que la peine de m o r t était non s e u l e m e n t inutile, mais en« core dangereuse. » Il y a longtemps déjà q u e c e t t e question d e la p e i n e d e m o r t nous p r é o c c u p e ; il nous est a r r i v é souvent d e r e c u e i l lir des notes à c e s u j e t ; o r , nous t r o u v o n s d a n s nos a n c i e n s c a h i e r s c e t e x t r a i t d e la Gazette des Tribunaux. « L ' e x é c u t i o n d e Bellan n'a point e m p ê c h é que du sang « n'ait é t é r é p a n d u h i e r ; loin de là, elle en fut la c a u s e . « B e l l a n , c o m m e on le sait, lorsqu'on le conduisait a u s u p « plice, a c c u s a i t ses j u g e s , p r o t e s t a i t de son i n n o c e n c e et « injuriait la foule. Une femme suivait de p r è s la c h a r r e t t e ;


— 23 — « elle mangeait un morceau de pain et une saucisse. Un « couteau était dans sa main. «Tu ferais bien mieux, s'écrie« t-elle en s'adressant à Bellan, de mettre ta langue dans ta « poche. » Une autre femme arriva et dit à celle qui haran«gnait Bellan: « Laisse-le, il va mourir; il ne dira plus rien. » « Cette observation irrite cette femme; bientôt furieuse, « elle se précipite sur celle qui l'avait interpellée et lui « porte de toutes ses forces deux coups de couteau dans la « figure. Que de réflexions dans ce court épisode d'une exécution!» Voilà comment l'échafaud sert d'exemple ! Autre preuve de l'action bienfaisante des exécutions à mort : « Ch. Westerlund, bon et honnête ouvrier charpen« tier jusqu'alors, a tué d'un coup de hache un de ses amis « avec lequel il s'éloignait du lieu où tous les deux venaient « de voir exécuter un assassin. Westerlund a déclaré de« vant le magistrat avoir été entraîné par une force irrésis« tible à faire ce qu'il venait de voir faire sur l'échafaud.» (Journal la Patrie, du 22 août 1843.) Qu'on lise après cela ces détails sur la dernière exécution qui a eu lieu à Londres, celle des époux Manning : « Les scènes qui ont eu lieu hier matin et pendant toute « la nuit qui avait p r é c é d é , dans le voisinage de la prison « de Horsemonger-Lane, ont été si révoltantes qu'il n'est « personne qui ne puisse et ne doive en rougir, tant pour « son pays que pour la nature humaine. Jamais, dans un « pays civilisé, l'on ne vit rien de semblable. Espérons « qu'un pareil spectacle ne viendra plus contrister la capi« tale, ni aucune autre partie de l'Angleterre. Pendant les «heures qui ont précédé l'exécution des Manning, cin« quante mille individus, rassemblés au lieu de l'exécution, « se sont livrés aux démonstrations les plus révoltantes. « On a plus fait hier, en quelques « croire pour préparer

la jeunesse

heures,

qu'on

à la perpétration

ne pourrait

jamais

de crimes

atroces.

« Plus d'un spectateur de l'exécution des Manning est des« tiné peut-être à monter sur la plate-forme ou à partir pour « l'île de Norfolk. Nous voyons avec plaisir que les parti« sans de l'abolition de la peine de mort ont résolu de tenir


- 2 4

« une g r a n d e réunion publique à B r i d g e - H o u s e - H o t e l , lundi « soir, p o u r e x p r i m e r l'opinion publique en A n g l e t e r r e « c o n t r e c e s horribles exécutions. » (Morning Advertiser.) Voici maintenant une l e t t r e a d r e s s é e à l'éditeur du Times, par le c é l è b r e r o m a n c i e r Ch. Dickens, sur le m ê m e sujet : « Monsieur, « J ' a i assisté ce matin à l'exécution d ' H o r s e m o n g e r - L a n e . « J e m'y étais r e n d u a v e c l'intention d'observer la foule « q u i s'était réunie pour voir c e t t e e x é c u t i o n , et j'ai eu le « temps de le faire pendant t o u t e la d u r é e de la nuit et d e « la matinée jusqu'à la fin de c e s p e c t a c l e . « J e ne pense pas qu'il soit possible de voir sous le soleil « un scandale aussi inqualifiable, aussi indigne. Quand j'arrivai « sur le t h é â t r e de c e t t e s c è n e , j e fus assourdi p a r les cris « et les glapissements des g a r ç o n s et des filles qui avaient « conquis leurs places au prix de sanglantes m e u r t r i s s u r e s . « On n'entendait que des r i r e s , des chants g r o s s i e r s , ou le « nom de m a d a m e Manning était substitué à celui de S u « zanna; e t quand le soleil a é c l a i r é c e s milliers de t ê t e s , « j a m a i s figures plus h i d e u s e s , plus b r u t a l e s , ne se sont « m o n t r é e s . Quand les deux misérables c r é a t u r e s qui a v a i e n t « a t t i r é toute c e t t e foule sont a p p a r u e s aux y e u x du public, « aucun signe d'émotion ou de pitié ne s'est manifesté ; p e r « sonne n'a songé que deux âmes immortelles allaient p a « r a î t r e devant leur j u g e ; et les propos obscènes et. grossiers « ont continué de c i r c u l e r , c o m m e si le nom du Christ n ' a « vait jamais é t é p r o n o n c é sur c e t t e t e r r e , et que les « h o m m e s fussent destinés à p é r i r c o m m e des bêtes. » N ' e s t - c e pas le cas de r é p é t e r c e s paroles si magnifiquem e n t vraies de M. L a m a r t i n e : « Les lois sanglantes e n s a n « glantent les m œ u r s . Là est le vice de c e s lois d'intimida« tion p a r le m e u r t r e . A les s u p p o s e r m ê m e efficaces, q u e « fait le législateur si, pour intimider quelques s c é l é r a t s , il « d é p r a v e par l'habitude de la m o r t , par le goût du sang, l'i« magination de tout un p e u p l e , s'il lui fait r e s p i r e r le sang, « p a l p e r le c a d a v r e ? » ( I ) « C r o y e z - v o u s , a j o u t e , M . B a l (1) Dictionnaire de la Conversation.


25 —

« lanche dans le même ordre d'idées, croyez-vous que cet « horrible j e t de sang ne fera pas naître des idées de « sang. » ( 1 ) Mais si les spectateurs d'une exécution capitale présentent trop souvent un tableau révoltant, que ne se passe-t-il pas quelquefois sur la fatale plate-forme. Dans la préface du Dernier jour d'un condamné, M. Victor Hugo voulant donner la preuve de ce que ces exécutions qu'on appelle des exemples avaient parfois d'épouvantable et d'impie, citait le fait suivant : « Dans le Midi, vers la fin du mois de septembre 1 8 3 2 , « nous n'avons pas bien présent à l'esprit le lieu, le jour, « NI le nom du condamné, mais nous le retrouverons si l'on « conteste le fait, et nous croyons que c'est à Pamiers ; vers « la fin de septembre donc, on vient trouver un homme « dans sa prison où il jouait tranquillement aux cartes : on « lui signifie qu'il faut mourir dans deux heures, ce qui le « fait trembler de tous ses membres, car, depuis six mois « qu'on l'oubliait, il ne comptait plus sur la mort ; on le rase, «on le tond, on le garotte, on le confesse, puis on le « brouette entre quatre gendarmes, et à travers la foule, au «lieu de l'exécution. Jusqu'ici rien que de simple; c'est « comme cela que cela se fait. «Arrivé à l'échafaud, le bourreau le prend au prêtre, « l'emporte, le ficelle sur la bascule, l'entourne, j e me sers « ici du mot d'argot, puis il lâche le couperet. «Le lourd triangle de fer se détache avec peine, tombe « en cahotant sur ses rainures, et, voici l'horrible qui com« mence, entaille l'homme sans le tuer. « L'homme pousse un cri affreux. « Le bourreau déconcerté relève le couperet et lé laisse « retomber. Le couperet mord le cou du patient une s e « conde fois, mais ne le tranche pas. Le patient hurle, la « foule aussi. Le bourreau rehjsse encore le couperet, es« pérant mieux du troisième coup. Point. Le troisième coup « fait jaillir un troisième ruisseau de sang de la nuque du « condamné, mais ne fait pas tomber la tète. Abrégeons. Le (1) Revue Littéraire.


— 26 — « couteau remonta et retomba cinq fois; cinq fois il entama « le cou du condamné, cinq fois le condamné hurla sous le « coup et secoua sa tête en criant grâce! Le peuple, indigné, «prit des pierres et se mit dans sa justice à lapider le bourreau. « Le bourreau s'enfuit sous la guillotine et s'y tapit der« rière les chevaux des gendarmes. Mais vous n'êtes pas au « bout. Le supplicié, se voyant seul sur l'échafaud, s'était « redressé sur la planche, et là, debout, effroyable, ruisse« lant de sang, soutenant sa tête à demi-coupée qui pen« dait sur son épaule, il demandait avec des cris faibles « qu'on vînt le détacher. La foule, pleine de pitié, était sur « le point de forcer les gendarmes et de venir à l'aide du « malheureux qui avait subi cinq fois son arrêt de mort. « C'est à ce moment là qu'un valet du bourreau, jeune « homme de vingt ans, monte sur l'échafaud, dit au patient « de se tourner pour qu'il le d é l i e , et profitant de la pos« ture du mourant qui se livrait à lui sans défiance, saute « sur son dos et se met à lui couper péniblement ce qui lui « restait de cou avec j e ne sais quel couteau de boucher. « Cela s'est fait ; cela s'est vu. Oui. « Aux termes de la loi, un juge a dû assister à cette exé«cution. D'un signe il pouvait tout arrêter. Que faisait-il « donc au fond de sa voiture, cet homme, pendant qu'on « massacrait un homme? Que faisait-il, ce punisseur d'assas« sins, pendant qu'on assassinait en plein jour, sous ses yeux? « Et le juge

n'a pas été mis en jugement!

et le bourreau

n'a

« pas été mis en jugement! » Tous les journaux ont raconté dernièrement la scène horrible qui vient de se passer à Châlons-sur-Saône, en plein jour, en plein X I X siècle. Montcharmont, braconnier condamné à mort pour avoir assassiné trois personnes, a refusé de se laisser tuer. On a vu ce misérable pleurant, criant, hurlant, résister aux exécuteurs des hautes-œuvres. P e n dant une heure il a lutté contre eux au pied de l'échafaud, sous les yeux de la foule terrifiée ; il était parvenu à introduire ses jambes dans les degrés de l'échelle fatale; doué d'une force athlétique que doublait la peur de la mort, il s'est cramponné là avec tant d'énergie qu'il a été impossible e


— 27 — de l'en arracher. Le prêtre qui l'accompagnait l'exhortait en vain à se résigner ; il ne l'écoutait pas. Les deux hommes de la sentence suprême employèrent inutilement les dernières violences pour le dompter; leurs forces réunies s'épuisèrent avant les siennes. Du sein de la population qui regardait, saisie d'horreur, glacée d'épouvante, stupéfaite; du sein de la société que la loi vengeait, personne, personne ne s'est détaché pour leur prêter assistance. Cela doit frapper d'autant plus que l'assassin était moins digne de pitié ! On a dû reconduire Montcharmont à la prison et faire venir d'autres exécuteurs. Ils l'ont lié, garotté de façon qu'il ne pût faire le moindre mouvement ; ils l'ont ainsi rapporté sur l'échafaud, et la justice des hommes, comme on dit, a été satisfaite! Il a fallu à la société, avec toute sa puissance, un jour entier pour couper la tête à un criminel!... E s t - c e avec de pareils spectacles qu'on espère moraliser les masses? Oserait-on affirmer, d'un autre côté, qu'ils ne se reproduiront pas? Nous le demandons, après avoir lu ces hideux récits, peuton encore croire une minute, une seule minute, que l'exemple d'une exécution capitale puisse avoir une bonne influence! Chez nous, où les mœurs sont pourtant bien moins grossières que dans la Grande-Bretagne, les exécutions publiques, à part même les épisodes comme celui de Châlons, amènent de tels scandales que l'on n'y procède plus guère que clandestinement. Si la société donnait à ces drames sanglants un grand et terrible appareil ; si elle prenait pour ainsi dire le deuil le jour où ils s'accomplissent, si elle voilait de crêpe les monuments publics, si les théâtres et. les fêtes étaient suspendus, si toute circulation était interdite pendant l'heure suprême, si des hérauts allaient criant par les rues : Réfléchissez tous, en ce moment la justice des hommes s'accomplit, si les cloches de la cité battant le glas funèbre annonçaient à la population que la vie va être ôtée à un être humain qui s'est rendu criminel, et venaient frapper chacun de tristesse et d'épouvante jusque dans l'intérieur de sa famille; ah! o u i , peut-être alors serait-il permis de supposer que la société


— 28 — c r o i t accomplir un a c t e m o r a l . Mais non, chez nous, pour éviter les e x é c r a b l e s scènes de L o n d r e s , elle ne p r o c è d e plus g u è r e a u x exécutions publiques que c l a n d e s t i n e m e n t , elle r e c u l e elle-même d e v a n t ses rigueurs mortelles, elle dresse l'instrument fatal pendant la nuit. Elle p r é t e n d qu'elle donne un e x e m p l e et elle se c a c h e a u t a n t qu'il lui est possible, c o m m e si elle faisait une mauvaise a c t i o n ; elle t â c h e d'étouffer le bruit sourd que produit le c o u p e r e t fatal en a b a t tant une t ê t e ; si infâme que soit le m e u t r i e r , elle le frappe à huis clos, au petit j o u r , a v e c m y s t è r e , p r é c i p i t a m m e n t , à la p o r t e de la ville. Ainsi, elle a r e c o n n u que l'application de la peine de m o r t , loin d ' e x e r c e r une impression s a l u t a i r e , démoralisait les masses et elle l'applique e n c o r e ! . . . E l l e ne fait donc plus en réalité que punir. Eh bien, nous le demandons de nouveau, punir p u r e m e n t et simplement, e s t - c e là un rôle digne de la s o c i é t é ? Couper une t ê t e , au lieu de la purifier, n ' e s t - c e pas imiter l'homme brutal qui t r a n c h e un noeud au lieu de le dénouer? Mais si l'application de la peine capitale ne s e r t point d'exemple pour effrayer les malfaiteurs, combien, lorsqu'on songe à l'influence morale de la F r a n c e en E u r o p e , son abolition chez nous ne serait-elle pas utile à l'humanité t o u t e e n t i è r e ? R é p é t o n s ici c e qu'a dit le colonel J a c q u e m i n o t , le 8 o c t o b r e 1 8 3 0 à la C h a m b r e des députés : « Que la peine « de mort disparaisse à jamais de nos codes! Régularisons p a r un « a c t e législatif le merveilleux instinct de c l é m e n c e qui a fait « du peuple de Paris le p r e m i e r peuple de la t e r r e c o m m e « il en était le plus b r a v e . Que l'Europe entière apprenne avec « admiration l'abolition de la peine de mort en France, non pas en « faveur, mais à l'occasion de c e u x qui ont si bien m é r i t é «l'échafaud. Si la F r a n c e a appris a u x peuples à c o n q u é r i r « leurs droits, qu'elle leur a p p r e n n e aussi à user de la v i c « t o i r e et à r e s p e c t e r le sang des h o m m e s . »

§ 9 .

— LA PEINE DE MORT A ENFANTÉ LE BOURREAU.

E n c o n s i d é r a n t le sacrifice que l'on c o n s o m m e au nom


-

29 —

du salut commun dans la série de ses effets funestes, dans son action pernicieuse sur les natures faciles au mal, on ne peut oublier qu'il a enfanté le bourreau. Le bourreau! cet être qui fait horreur à tout le monde, ce mercenaire sans entrailles, comme on l'a appelé, qui froidement, impitoyablement, égorge son semblable pour de l'argent ! A cet égard il faut laisser parler M. le président Bérenger. « Si maintenant, disait-il éloquemment dans son rapport « sur l'abolition de la peine capitale, si maintenant il « m'est permis de diriger vos regards sur les hommes qui « concourent à l'application de cette peine, vous voyez que « la dégradation des uns rejaillit même sur ceux qui les «assistent dans l'objet de prêter force à la loi! Pour ne « parler que des premiers, leur état abject, le sentiment « d'horreur qu'ils inspirent universellement ne sont-ils pas « le signe de la réprobation que la conscience publique attache « à l'infliction de la peine elle-même. Et puis, l'existence de « ces hommes au milieu de la société n'est-elle pas une ca« lamité? Un homme par département, les aides dont il est «assisté, se vouent à cet horrible ministère et y vouent « leurs familles. Elevés dans le sang dès l'âge le plus « tendre, chez eux tout sentiment d'humanité est éteint. « Peut-on sans effroi songer à celte population qui vit en «quelque sorte en dehors de la s o c i é t é , qui ne paraît « qu'au jour des supplices, reçoit régulièrement le prix du « sang, et que presque toujours l'autorité est obligée de «faire surveiller, de peur qu'ils ne soient tentés de se livrer « à de funestes penchants. » Que l'on y songe, la suppression de la peine capitale aura encore parmi ses résultats moraux de supprimer l ' e x é c u teur des haules-œuvres, celhomme hideux dont l'existence constitue à elle seule une offense à l'humanité. Nous ne voudrions pas aller trop loin, ni surtout blesser des convictions que nous respectons dans leur sincérité. Qu'il nous soit cependant permis de le dire : il faut y prendre garde, le siècle est à l'humanité et à la logique, il pousse volontiers les choses à leurs conséquences naturelles; le moment n'est peut-être pas loin où l'on se demandera s'il existe au fond une bien grande différence entre


— 30 — celui qui prononce un arrêt de mort et celui qui l'exécute. Il n'est pas bon de donner matière à d'aussi effrayantes questions.

§ 10. — BEAUCOUP DE CEUX QUE L'ON MET A MORT COMME ASSASSINS NE SONT QUE DES FOUS.

Si la peine de mort semble déjà exorbitante quand elle atteint un coupable, combien ne l'est-elle pas plus encore quand elle frappe un fou qu'il faudrait guérir au lieu de le guillotiner ! L'article 64 du Code pénal dit : « Il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était dans un état de démence au temps de l'action. » Trop de malheureux cependant n'ont porté leur tète sur l'échafaud que parce qu'elle était dérangée. Nous ne connaissons guère d'assassins politiques qui ne fussent dans ce cas; esprits fanatisés, troublés par une idée politique ou religieuse, on n'avait pas plus le droit de les tuer que l'on n'a celui de tuer les maniaques les plus furieux. Ils étaient atteints de la maladie que la science médicale appelle la monomanie homicide. Si l'on pouvait en douter, il ne faudrait considérer pour en acquérir la conviction que l'insensibilité matérielle avec laquelle ceux qui furent torturés supportèrent les plus effroyables tourments; l'exaltation était si grande qu'elle avait détruit, comme chez les martyrs de toutes les religions la sensation de la douleur. Quoi ! vous faites de l'état d'ivresse par le vin un cas d'excuse, et vous n'en faites point un de l'état d'ivresse provoqué par le fanatisme religieux ou politique. Quoi! celui-ci croit sauver la religion, celui-là détruire la tyrannie en tuant un roi, cette autre croit assurer le triomphe de la justice en poignardant un homme sanguinaire, et vous ne les reconnaissez pas pour des gens qui ont perdu la raison , et vous leur coupez le cou comme s'ils avaient agi clans la plénitude de leur libre arbitre! C'est de la barbarie toute pure. Privés de leur liberté morale, ils n'étaient pas plus


— 31 — responsables de leurs actes qu'un malade atteint du d é lire. Direz-vous que la préméditation évidente du meurtre qu'ils ont commis exclut le caractère de monomanie? Qui ne sait que les fous combinent longuement, avec l'apparence de la raison la plus sagace les actions les plus extravagantes? Que de fois les tribunaux ont. envoyé à l'échafaud des i n fortunés pour n'avoir pas tenu compte de la lésion des facultés mentales qui les avait portés au meurtre. On s'explique que l'on enferme celui qui, dans un accès de jalousie furieuse tue la femme qu'il aime, mais on ne s'explique pas qu'on le guillotine, car il était en démence; au moment où il frappait, il n'avait plus l'usage de sa raison pour le guider. L'échafaud ne prouve rien, n'améliore rien, ne prévient aucun mal; il n'a pas gagné par exemple un pouce de t e r rain depuis des siècles sur la monomanie homicide qui est endémique en Corse. La vendetta corse, comme l'a fait observer avec une grande sagesse le docteur Tissot, n'est pas autre chose qu'une monomanie par imitation. Ne voiton pas que les femmes, les jeunes filles même de ce département français sont atteintes de cette maladie inconnue ailleurs? Eh bien, la multiplicité des exécutions à mort en Corse l'a-t-elle guérie? en a-t-elle diminué même l'intensité ? Non. 11 faudrait donc chercher un autre remède si l'on ne veut pas voir éternellement le déplorable spectacle de la vendetta de la société luttant sans succès contre la vendetta corse. La monomanie homicide, a-t-on dit froidement, est une maladie qui se soigne en place de Grève! Proposition aussi fausse que féroce. En place de Grève on tue le maniaque, mais on ne guérit pas la maladie; on l'augmente au contraire, car la mort d'un maniaque regardé comme un martyr de l'honneur familial, lui fait mille imitateurs. Ce n'est pas avec la guillotine, mais avec de grandes routes et de l'éducation que vous mettrez les enfants de la Corse à l'abri de la contagion de la vendetta. Qu'en attendant, les hommes atteints de ce mal se sachent destinés k être enfermés toute leur vie avec les fous au lieu d'aller parader sur l'échafaud, et beaucoup se guériront e u x mêmes.


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1 1 . — LA PEINE DE MORT EST UNE INIQUITÉ MONSTRUEUSE, PARCE QU'ELLE EST IRRÉPARABLE, E T QUE LE JUGE EST SUJET A L'ERREUR.

Nous c r o y o n s avoir établi c e c i : la peine de m o r t c o m m e e x e m p l e est inutile, c a r le c r i m e n'a pas disparu d e la t e r r e , m a l g r é des milliers d'exécutions capitales accomplies d e puis des siècles; c o m m e punition elle est b a r b a r e , c a r elle ne laisse pas de place au r e p e n t i r , elle tue au lieu de c o r r i g e r ; c o m m e n é c e s s i t é , elle est a b s u r d e , c a r p e r s o n n e n ' a d m e t t r a que la société tout e n t i è r e ne puisse se d é f e n d r e c o n t r e un de ses m e m b r e s r é v o l t é sans le r e t r a n c h e r de la v i e ; c o m m e efficacité matérielle elle n'est pas soutenable, c a r on ne saurait p r é t e n d r e sérieusement qu'elle fait dispar a î t r e un d a n g e r en r a y a n t un h o m m e ou une femme du n o m b r e des v i v a n t s ; c o m m e efficacité m o r a l e elle ne peut d a v a n t a g e se justifier, c a r il est impossible de dire le bien qu'elle a jamais p r o d u i t , ou même le mal qu'elle a e m p ê c h é p a r l'effet p r é v e n t i f de la c r a i n t e du châtiment. Mais il y a une raison plus forte que toutes celles-ci, déjà si puissantes, pour obliger le législateur le plus s é v è r e à briser l'échafaud, c'est que la peine de m o r t est i r r é p a r a ble, et que la faillibililé humaine é t a n t a v é r é e , il est r é e l l e m e n t m o n s t r u e u x d'appliquer une peine i r r é p a r a b l e . A c e point de v u e , le d e r n i e r supplice est une honte pour la raison et la philosophie. C o m m e n t supposer qu'il ne soit pas a b o l i , quand on s'explique à peine qu'il ait pu ê t r e établi! Vous avez inscrit la réhabilitation dans vos C o d e s , vous reconnaissez p a r c o n s é q u e n t v o u s - m ê m e que vous pouvez vous t r o m p e r . C o m m e n t osez vous donc t u e r , puisque vous ne pouvez r e s s u s c i t e r ? Nous ne disons pas que nos lois sont b a r b a r e s , elles sont, au c o n t r a i r e , à n o t r e avis, a d m i r a b l e m e n t g é n é r e u s e s , elles se r e s s e n t e n t du magnifique m o u v e m e n t d e rénovation a c -


— 33 — compli par la grande Révolution. Non assurément, nos lois ne sont pas barbares ; mais nous disons qu'elles renferment un reste de la barbarie antique : c'est la peine de mort. La j u s t i c e , pour l'appliquer, est entourée avec un soin scrupuleux des moyens les plus sûrs de ne pas s'égarer, elle donne à la conscience publique, à l'humanité, toutes les garanties imaginables, cela est incontestablement vrai. E t pourtant il n'est que trop malheureusement vrai aussi, il est arrivé à l'autorité judiciaire de frapper des innocents, auxquels elle a pris tout ensemble l'honneur avec la vie. On a dit dans la discussion du 8 décembre 1 8 4 8 , à notre honorable ami M. Savatier-Laroche, qui avait soulevé la même question, « qu'il se préoccupait plus du sort des condamnés que de celui des victimes. » A ceux qui nous feraient le même reproche, nous répondons d'avance : L'adressezvous à nos sentiments? nous le repoussons avec mépris comme odieux; ne l'appliquez-vous qu'à une erreur de notre jugement? vous vous trompez vous-mêmes. Quand nous refusons à la société le droit de sacrifier un meurtrier, non, ce n'est pas que nous ayons plus de pitié pour lui que pour sa victime, c'est que nous ne savons pas si, en mettant à mort celui que toutes les apparences vous désignent pour un meurtrier, vous ne faites pas une victime de plus! c'est que nous sommes sûrs en sauvant la vie d'un coupable de ne pas sacrifier peut-être un innocent. Nous voulons que vous gardiez vivant le condamné pour meurtre, parce qu'il est possible qu'il soit innocent, bien que les preuves de sa culpabilité aient paru complètes, évidentes à tout le monde. « Les in« convénients de la peine capitale, dit encore M. Bérenger, « acquièrent une gravité devant laquelle les hommes les « plus prévenus sont obligés de se rendre , lorsqu'on songe « à l'irréparabilité de l'erreur. Qui peut répondre que les «jugements humains seront toujours justes ; que la vie de « l'innocent ne sera jamais exposée, et qu'une déplorable « fatalité ne réunira pas contre lui un concours de circons« tances propres à tromper les juges les plus consciencieux? « Nos archives judiciaires témoignent de ces fatales erreurs! « Ce n'est pas le cas d'en rapporter ici de nombreux exem« pies. » C'est en toute sûreté de conscience, avec mille

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— 34 — témoignagnes de certitude que les juges de Lesurques l'ont condamné. S i , au lieu de lui couper la tête on l'avait enfermé, il n'aurait pas ignominieusement péri martyr d'une loi barbare, et sa famille ne serait pas encore aujourd'hui à solliciter sa réhabilitation légale. Quoi! demander que S i r ven, Calas, la servante de Palaiseau, celle de Grenoble, Lesurques, pour ne citer que les victimes les plus célèbres des erreurs judiciaires, ne subissent plus la mort et l'ignominie tout à la fois, c'est plaindre plus le meurtrier que la victime! Nous n'avons pas la prétention d'être meilleur que d'autres , néanmoins nous avons peine à imaginer qu'après tant d'exemples terribles de la faiblesse de nos jugements, on puisse prononcer un arrêt de mort! Nous ne pouvons concevoir qu'après tant d'erreurs homicides inscrites dans les annales judiciaires, on veuille faire encore jouer le couperet fatal. Qu'il se lève donc celui qui oserait dire: Mieux vaut assassiner un innocent que de laisser vivre mille coupables ! Il n'y a pas d'ailleurs seulement que les erreurs constatées de la justice dans le calme de son impartialité pour protester contre le maintien de la peine de mort, il y a encore les égarements de la société tout entière. La société, comme les individus, a des accès de délire au milieu desquels, perdant l'usage de la raison, elle frappe aveuglément, sans se rendre compte de ce quelle fait. Exaspérée par un danger réel ou imaginaire, il lui arrive parfois de commettre un crime en pensant accomplir un acte de salut; elle voit un coupable là où il n'y a qu'une victime de la terreur irréfléchie qui s'est emparée d'elle. Si la société avait été constamment entretenue dans un saint respect de la vie humaine, jamais on n'aurait procédé à ces massacres systématiques, religieux ou politiques, qui ont épouvanté le monde à différentes époques. Que de bons catholiques, par exemple, qui n'auraient pas péri si le principe de l'inviolabilité de la vie humaine eût. dominé la civilisation et le c a tholicisme! Que d'hommes de la vertu la plus pure l'inquisition n'a t elle pas consciencieusement brûlés pour assurer le triomphe de la foi qui n'était, pas en péril. Nous le disons avec une amère douleur, de pareils faits se reproduiront toujours tan t qu'on gardera la peine de mort.


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Un m a l h e u r e u x vient de p é r i r dans une d e nos colonies; l ' a r r ê t qui l'a f r a p p é , si la consciencieuse e r r e u r du m o m e n t v e n a i t à ê t r e r e c o n n u e , s e r a i t i r r é p a r a b l e . E t p o u r t a n t dans quelles c i r c o n s t a n c e s la peine d e m o r t a-t-elle é t é a p p l i q u é e ? Une ville de la Guadeloupe, r a v a g é e par quelques inc e n d i e s qu'elle supposait le p r o d u i t d e la malveillance, est saisie d e désespoir ; on la m e t en é t a t de siége, le conseil de g u e r r e j u g e a v e c bonne foi, mais au milieu d e la lueur des flammes. H é l a s ! au milieu du c h o l é r a la population de Paris se c r o y a n t empoisonnée j e t a à la Seine un h o m m e qui venait d ' a p p r o c h e r d'une fontaine, Voici le fait; pour que le l e c t e u r n'ait aucun d o u t e sur la v é r a c i t é des d é t a i l s , nous citons t e x t u e l l e m e n t le r é q u i s i t o i r e du capitaine r a p p o r t e u r , M. Robin D u p a r c , i n s é r e dans la Gazette des Tribunaux du 21 juillet 1 8 5 0 : « S i x i è m e , h o m m e fourbe, a s t u c i e u x , m é c h a n t , et qui d e l'aveu m ê m e d e ses c a m a r a d e s , est capable de tout, lorsqu'il est pris de boisson, d é b a r q u e à l'îlot C h a n t r e a u , le 10 m a i , v e r s six h e u r e s du soir, a p r è s a v o i r puisé à la P o i n t e - à - P i t r e des inspirations criminelles dans un g r o u p e d'individus qu'il p e r s i s t e à ne pas c o n n a î t r e et a u x q u e l s il d é c l a r e avoir e n tendu dire : « Qu'on aurait dû b r û l e r tous les magasins des quais. » 11 cherche d'abord querelle à sa femme sur un motif p u é r i l , la frappe b r u t a l e m e n t et la force à sortir de la c a s e qu'il o c c u p e a v e c elle et dans laquelle il tient à r e s t e r seul, en raison du crime qu'il médite. A p r è s c e t t e s c è n e , Sixième parcourt le voisinage, en insultant tous c e u x de ses c a m a r a d e s qui veulent lui faire e n t e n d r e raison. Il r e n t r e ensuite c h e z lui, réunit dans un panier tout ce qu'il possède de précieux et p o r t e le tout à la p o r t e d e la c a s e d e F é l i x qui refuse de r e c e v o i r ce dépôt... «L'heure du r e p o s a r r i v e c e p e n d a n t pour tous et le silence se rétablit dans l'ilot. Il est huit h e u r e s et d e m i e , les p ê c h e u r s se c o u c h e n t et s'endorment s u c c e s s i v e m e n t . Vers dix h e u r e s e t d e m i e , Nativité se lève, et il a p e r ç o i t à t r a v e r s les fentes d e sa cloison une g r a n d e lumière dans la c a s e d e Sixième. Il place alors son œil c o n t r e les fentes, et il distingue parfaitement deux chandelles placées au pied de la paillasse SUR L A QUELLE SIXIÈME EST ÉTENDU. Il aperçoit aussi, sur une petite ta-


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ble, un autre petit bout de chandelle qui commence à y mettre le feu. Nativité, effrayé parce que le feu de la table peut communiquer chez lui, s'empresse de réveiller le témoin Victor, un de ses plus proches voisins. Victor se lève aussitôt et accourt à la porte de Sixième où il trouve Nativité qui lui dit : « J'ai appelé Sixième, mais il ne veut pas me répondre et j e n'ose pas ouvrir sa porte. » Victor n'hésite pas un instant et enfonce la porte. Son premier soin est d'enlever les deux chandelles et les deux bouteilles auxquelles elles étaient fixées, parce que, dit-il, elles auraient inévitablement communiqué le feu à la paillasse, qui ne contenait que des feuilles de bananier. Il éteint aussi le restant de mèche qui se trouve sur la table et sur laquelle le feu a laissé des traces très-apparentes. « Ici, Messieurs, il est facile de se convaincre que Sixième était sous l'influence d'une méditation criminelle, car, au lieu de remercier Victor du service qu'il vient de lui rendre, il se dresse, au contraire, comme un furieux, s'élance sur lui et l'oblige à sortir de la chambre. Victor s'empresse alors de réveiller Sans-Nom, auquel il donne connaissance de ce qui vient de se passer. A ce récit, Sans-Nom s'anime d'un sentiment honorable, se précipite dans la chambre de Sixième et le saisissant par le bras lui dit : « Comment, Sixième, vous voulez mettre le feu à votre case? » Sixième répond par un soufflet, trouvant très-mauvais qu'il s'occupe de ce qui se pusse chez lui. A cette insulte, Sans-Nom s'empare de lui et le j e t t e hors de sa case, mais Sixième, ne respirant plus que vengeance, se dégage, rentre chez lui, s'empare d'un rasoir, en frappe Sans-Nom et lui fait une blessure au bras droit. Nativité et Victor vont avertir M. Lacoste qui joint ses forces aux leurs et l'on peut enfin s'emparer de ce furieux. « Sixième appelé plus tard devant nous, après une hésitation assez prolongée, AVOUE SON CRIME. » Que résulte-t-il de ce réquisitoire de la justice militaire, c'est que Isery, dit Sixième, habitant un îlot de la rade de la Pointe-à-Pitre où il y a quinze ou vingt cases de pêcheurs, isolées les unes des autres, a été condamné à mort et EXÉCUTÉ, pour avoir, étant ivre, tenté de se suicider par le feu en laissant deux chandelles allumées près de la paillasse, sur laquelle il s'était couché et endormi!!.'


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Ceux qui ont mis à mort cet infortuné, le ministre de la marine et des colonies, M. Romain-Desfossés qui a autorisé l'exécution pour faire, disait-il, un exemple, tous en ont sans doute un immense regret aujourd'hui, la société déplore avec eux une telle condamnation, mais le mal est i r réparable : Sixième n'est plus!... Aussi longtemps qu'on laissera la peine capitale dans nos codes, aussi longtemps que les passions humaines pourront s'en servir pour se satisfaire, ces effroyables malheurs se renouvelleront. Il n'y a qu'un moyen, un seul moyen de les prévenir, c'est de les rendre impossibles en proclamant que la vie de l'homme est sacrée et que la loi elle-même se retire la faculté d'y toucher. Jusque-là, répétons-le avec Servan : « Si par quelque fatalité l'innocent est condamné, s'il est diffamé, s'il est tué, poussons des gémissements qui retentissent dans la société entière. Ne cessons point de montrer le cadavre à tous les siècles, que cette plaie de l'humanité reste toujours sanglante, et quand la honte voudra la c a c h e r , quand l'oubli voudra la fermer, faisons-la saigner encore pour flétrir de son sang les hommes ou plutôt les lois qui permirent ces attentats. » En vérité, nous nous étonnons que la peine de mort ait encore des défenseurs après tant d'exemples semblables de ses dangers, nous nous étonnons qu'elle rencontre des hommes assez téméraires pour la prononcer après ces mots effrayants de Pastoret : « La justice peut retrouver le cou« pable fugitif, elle ne retrouve pas l'innocent égorgé » (Lois pénales); après cette sentence de M. Cormenin : « Quand la société frappe de son glaive un innocent, elle « ne punit pas, ELLE ASSASSINE. » Nous nous étonnons qu'il existe un jury capable de résister à cette apostrophe de J . - J . Rousseau : «Quel est l'homme, quel est le juge assez « hardi pour oser condamner à mort un accusé convaincu «selon toutes les formes judiciaires, après tant d'exemples « funestes d'innocents bien interrogés, bien entendus, bien « confrontés, jugés selon toutes les formes, et, sur une évi« dence prétendue, mis à mort avec la plus grande con« fiance, pour des crimes qu'ils n'avaient pas commis ( ! ) . » (1) Rousseau juge, de Jean-Jacques, 1775.


— 38 — Que c e u x qui participent d i r e c t e m e n t c o m m e juges, ou i n d i r e c t e m e n t c o m m e jurés, à une exécution des hautes œ u v r e s , le s a c h e n t bien : ils n'en ont que le droit l é g a l ; ils n'en ont pas le droit moral. Ils é g o r g e n t p e u t - ê t r e un innoc e n t ; ils ravissent p e u t - ê t r e à un honnête homme sa vie, son honneur e t celui de sa femme, d e ses enfants, de sa famille e n t i è r e . M. Halphen, clans une b r o c h u r e que tout le monde d e vrait lire (Abolition de la peine de mort), après avoir donné le r e l e v é de toutes les condamnations p r o n o n c é e s depuis 1 8 2 6 jusqu'en 1 8 4 8 , s'exprime ainsi : « Il r é s u l t e de c e tableau qu'il y a eu pendant c e t e s p a c e « de 2 3 ans 1 4 4 7 condamnations à m o r t , 8 9 3 e x é c u t i o n s , e t « que les a r r ê t s de m o r t ont é t é cassés à l'égard de 1 2 9 con« damnés. Sur ces 1 2 9 individus, par suite du second a r r ê t « r e n d u à leur é g a r d , 61 s e u l e m e n t , c ' e s t - à - d i r e moins de la « moitié, ont é t é de nouveau c o n d a m n é s à m o r t , 33 n'ont « é t é c o n d a m n é s q u ' a u x t r a v a u x forcés à p e r p é t u i t é , 3 a u x « t r a v a u x forcés à t e m p s , 4 à la détention, 3 à la réclusion, « 1 à l'emprisonnement, 1 à l'amende, DIX-NEUF, et c'est « sur c e point que nous appelons les méditations d e tous « les hommes s é r i e u x , DIX-NEUF ont é t é a c q u i t t é s ! ! On c o m « p r e n d e n c o r e que la peine ait pu ê t r e abaissée ; mais e n t r e « la mort et l'acquittement, on c o n v i e n d r a qu'il faut qu'il y « ait eu une bien l a r g e p a r t au d o u t e ! « Voici le d é c o m p t e annuel des 19 a c q u i t t e m e n t s : « E n 1 8 2 6 , sur 10 a r r ê t s d e mort, c a s s é s , 3 a c q u i t t e m e n t s . 1 3 « En 1827, 1 3 « En 1 8 2 9 , 2 6 « En 1830, 2 « En 1831, 19 1 « En 1 8 3 2 , 13 3 « En 1 8 3 3 , 5 2 «En 1838, 5 1 « En 1 8 3 9 , 9 1 « En 1810, 6 2 « En 1 8 4 8 , 7 86

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— 39 — « « « « « «

« Ainsi, en 1 8 2 6 , sur 1 0 a r r ê t s cassés, il y a eu 3 a c q u i t t e m e n t s , et la m ê m e a n n é e , il y a eu 73 e x é c u t i o n s ; en 1 8 3 3 , la proportion a été plus m o n s t r u e u s e , 3 acquittements sur 5 arrêts cassés, et la m ê m e a n n é e , il y a eu 3 0 exécutions; en 1 8 4 0 , 1 a c q u i t t e m e n t sur 6 a r r ê t s c a s s é s , et l'on a e x é c u t é 4 5 c o n d a m n é s ; en 1 8 4 8 , 2 acquittements sur 7 arrêts cassés, e t l'on a exécuté 18 condamnés. R é c a p i t u l o n s .

« Si dans les 2 3 d e r n i è r e s a n n é e s il y a eu 19 a c q u i t t e « m e n t s sur 1 2 9 a r r ê t s c a s s é s , combien y a-t-il eu d'inno« c e n t s ou m ê m e d e coupables qui, sur les 8 9 3 e x é c u t i o n s « qui e u r e n t lieu pendant c e t e s p a c e d e t e m p s , ont payé de leur «tête la régularité de la procédure! Nous livrons c e s faits sans « c o m m e n t a i r e s à c e u x qui d o u t e r a i e n t e n c o r e d e la légè« r e t é des j u g e m e n t s humains, et qui ne s'effraient pas d e « l'irréparabilité de la peine de m o r t . » Nous non plus, a p r è s un tel e x p o s é , nous ne nous s e n tons pas la force d e rien a j o u t e r . Nous ferons s e u l e m e n t r e m a r q u e r que la c o u r s u p r ê m e ne j u g e pas le fond, mais la f o r m e , e t ne c a s s e que lorsqu'il y a i r r é g u l a r i t é d e p r o c é d u r e ; que c e s d i x - n e u f a c q u i t t é s , enfin, s e r a i e n t allés à l'éc h a f a u d , sauf le cas de g r â c e , si leur j u g e m e n t eût é t é r é g u l i e r ! . . . . Nous insistons sur c e point essentiel, d'une g r a v i t é é n o r m e : ils é t a i e n t i n n o c e n t s , puisqu'ils ont é t é a c q u i t t é s ; mais s'ils a v a i e n t é t é c o n d a m n é s a v e c toutes les formes voulues, leur v i e , l e u r h o n n e u r , celui d e leurs enfants et de leur famille, tout, était p e r d u ! ! Nous n'aurions jamais c r u en v é r i t é que la société fit p é r i r tant d'innocents sans la m o i n d r e utilité, d'ailleurs, p o u r sa conservation ! Si, en face d e c e s o m b r e tableau, le législateur pouvait e n c o r e hésiter à r a y e r à jamais la peine de m o r t de nos c o d e s , qu'il médite c e p a s s a g e d'un M é m o i r e a d r e s s é à l'Ass e m b l é e constituante p a r le d o c t e u r Voisin : « Instruisez et ne t u e z pas. « L e t e m p s des mensonges officiels, j e l ' e s p è r e , est passé « sans r e t o u r . La peine de mort ne remédie à rien. Vous avez « beau d é c o l l e r des têtes et les décoller e n c o r e , il faut vous


— 40 — « résigner à les décoller toujours : c'est un ouvrage sans fin « et sans utilité. Tous les supplices imaginables, j e ne sau« rais trop attirer votre attention sur ce point, n'ont aucun « rapport avec les méthodes propres à éclairer, à ennoblir « l'humanité. « La guillotine est une colère de bas étage, une « vengeance inférieure : elle avilit, elle dégrade, elle abru« lit les populations, elle ne donne point l'intelligence et « n'élève point le caractère. « Songez-y bien, citoyens représentants, l'exécuteur des « hautes-œuvres n'est que votre instrument, et par la loi « q u e vous maintiendrez, quelque loin que vous fussiez « placés du théâtre où se consomme le sacrifice humain, « vous n'en seriez pas moins les fauteurs de l'exécution. »

§ 1 2 . — LE MAINTIEN DE LA PEINE DE MORT EN MATIÈRE CRIMINELLE PEUT SERVIR A SON RÉTABLISSEMENT EN MATIÈRE POLITIQUE.

Il y a encore une raison pour que nous veuillons abolir la peine de mort d'une manière absolue, c'est que son maintien au criminel peut amener son rétablissement en politique. Nos passions sont habiles à se satisfaire; elles savent tourner toutes les difficultés, surmonter tous les obstacles. Quand la guerre civile, dans ses aveugles et. implacables fureurs, voudra tuer un ennemi, elle trouvera toujours un moyen quelconque pour transformer l'acte politique en acte privé, et. si le moyen même lui manque, elle affirmera violemment par la raison du plus fort que l'acte politique est un acte privé, et elle frappera. « Non, dit M. Kerdrel rapporteur de la commission d'initia« tive, pareille chose ne pourrait arriver que si nous r e v e « nions à une de ces époques lamentables où l'on substitue « l'évidence du droit à l'aveugle brutalité des passions. « Alors peu importerait que vous eussiez ou non aboli la


— 41 — « peine de mort, on la rétablirait par raison d'État et pour « cause de salut public, si mieux on n'aimait procéder par des « mises hors la loi. » M. Eusèbe Salverte avait déjà exprimé la même idée dans la séance de la Chambre des Députés du 8 octobre 1 8 3 0 . « Vous décréteriez aujourd'hui l'abolition de la peine de « mort que si, ce qu'à Dieu ne plaise, la fortune ennemie «ramenait au pouvoir nos adversaires, leur premier soin «serait de remettre aux mains de la vengeance le glaive « que votre générosité aurait fait tomber des mains de la «justice. Jugez-en par le respect qu'ils ont eu pour leurs « propres institutions, dès qu'elles ont gêné leurs ressenti« ments : une disposition de la Charte défendait la recher« che des votes émis vingt ans auparavant dans un procès « fameux, cette loi fut violée par un acte prétendu législa« tif, dès que l'on crut qu'elle le pouvait être sans danger. « On se rappelle quels cris d'une allégresse de cannibales « accueillirent dans le sanctuaire de la législation cet acte « d'une injustice atroce et insensée. » L'objection de l'honorable M. Audren Kerdrel et de M. Eusèbe Salverte, bien que des plus graves, est loin d'être péremptoire. Le gouvernement républicain est fondé sur des bases impérissables; c'est le plus solide qui puisse exister, parce qu'il est le gouvernement de tous. Nous ne croyons pas que ses ennemis soient jamais en état de lui faire courir aucun danger sérieux ; mais il a des ennemis : tout le monde est malheureusement forcé d'en convenir. Supposons de leur part quelque coup imprévu, une attaque à main armée, ne peut-on pas craindre que l'indignation publique s'abandonne alors à quelque excès? Supposons - leur, par impossible, une victoire d'un j o u r , ils croiront peut-être l'assurer par des vengeances: qui ne se rappelle 1 8 1 5 ? Quoi qu'il arrive, d'ailleurs, il est certain qu'en admettant l'hypothèse extrême d'une suspension des lois, ceux, quels qu'ils fussent, qui voudraient rétablir l'échafaud politique, sous un prétexte quelconque, trouveraient incontestablement mille fois plus d'ob-


— 42 — stacles si la peine de mort n'existait plus, s'il n'y avait autre chose à faire qu'à jeter une planche sur l'échafaud des criminels pour passer sur celui des attentats politiques. Cela est d'une telle évidence que la contradiction n'est pas possible. Eh bien, nous les rouges, nous les démagogues, les terroristes, nous ne voulons laisser à personne cette exécrable r e s source ; nous voulons que ceux qui se rendraient, coupables d'une telle monstruosité violent à la fois les lois morales et les lois écrites. Aux époques les plus sanglantes de notre histoire contemporaine, personne n'a jamais songé à rétablir la torture abolie; nous voulons que l'échafaud soit renversé, parce que nul non plus ne pourra songer à le relever. Nous voulons que l'arme soit brisée tout à fait pour qu'on ne soit jamais tenté de s'en servir. Nous voulons enfin que l'exemple donné par la loi grave si profondément le respect de la vie humaine dans tous les cœurs, que les plus passionnés ne puissent songer à y toucher dans quelque circonstance que ce soit. Quand la société toute entière proclamera solennellement qu'elle même n'a pas le droit de tuer, que la tête d'un homme, fût-ce le plus infâme des criminels, est sacrée, chaque individu ne reculera-t-il pas bientôt terrifié devant l'idée d'un meurtre, comme les croyants devant le plus épouvantable des sacriléges?

§ 1 3 . — RÉSUMÉ.

La répugnance contre la peine capitale, en France surtout, augmente de plus en plus, grâce au ciel, dans toutes les classes de la société. Chaque jour, on voit la curiosité de la mort dominer moins l'horreur naturelle qu'elle inspire; l'affreux épisode de Montcharmont prouve que les criminels eux-mêmes ne s'inclinent plus résignés devant la hache qui doit abattre leur t ê t e ; enfin le peuple, auquel ses calomniateurs ne cessent de prêter des idées sanguinaires, le peuple particulièrement a fait maintes fois éclater son aversion pour l'effusion du sang, et nous, qui lui avons été


— 43 — profondément dévoué toute notre vie, nous sommes plein de bonheur d'avoir à le constater. Le ministère de la justice sait que, sur plusieurs points de la France, on n'a pas trouvé d'ouvriers, même à prix d'or, pour travailler à dresser la sanglante machine, et qu'il a fallu leur appliquer les dispositions pénales prononcées à l'égard de ceux qui refusent un service légalement dû. Deux faits récents, symptômes très-caractérisés de cet adoucissement de nos mœurs, viennent encore de montrer d'une façon très-significative jusqu'à quel point l'extermination même des plus grands coupables blesse aujourd'hui le sentiment général. Nous avons déjà parlé du premier. Personne, personne n'est venu prêter son assistance aux exécuteurs des hautes-œuvres, quand Montcharmont leur a si longtemps résisté. Le second s'est passé à Paris, il y a quelques jours. Un des soldats chargés de veiller sur l'échafaud de Lafourcade s'est évanoui en voyant tomber la tête du patient, et certes ce n'était pas par intérêt pour un misérable qui avait lâchement assassiné deux vieilles femmes sans défense. Quand on voit un de ces hommes qui affrontent si intrépidement la mitraille sur les champs de bataille, quand on voit un de ces vaillants que la guerre met chaque jour en communication avec la mort sous ses aspects les plus effrayants, tomber sans connaissance au moment où l'on tue un pareil criminel, qui voudra nier que la peine capitale n'ait pas fait son temps? Pour prévenir le r e tour d'un fait aussi accablant, à la dernière exécution, les gardes républicains condamnés à former la haie autour de l'échafaud ne faisaient plus face à l'instrument du supplice; ils lui tournaient le dos et en étaient beaucoup plus éloignés que de coutume. Lorsque la police elle-même prend avec raison de telles mesures, qui pourra soutenir que l'odieux spectacle de la place Saint-Jacques soit encore de notre temps. Nous avons entendu un mot d'une femme du peuple, nommée madame Constance, qui nous semble résumer la question avec une naïveté admirable et qui nous a profondément frappé comme un témoignage du progrès des idées de mansuétude jusque dans les classes les moins cultivées.


— 44 — E l l e nous parlait de l'horrible fratricide commis p a r B o c a r m é : « V o i l à , d i s a i t - e l l e , un g r a n d brigand; je ne de« mande pas qu'on le fasse mourir, ÇA NE FERAIT PAS REVENIR « L'AUTRE! Mais, ma foi, monsieur, on ferait bien de l'en« f e r m e r solidement p o u r t o u t e sa vie et de ne pas lui d o n « n e r du c h o c o l a t à d é j e u n e r . » Ceux-là m ê m e s qui défendent e n c o r e d e la peine m o r t p a r c e qu'ils la c r o i e n t utile, s e n t e n t leurs convictions ébranlées ; ils a d m e t t e n t qu'un j o u r viendra où le p r o g r è s p e r m e t t r a de la supprimer ; c e n'est plus pour e u x qu'une affaire d e date-, ils ne c o n t e s t e n t que l'opportunité. C'est l'opinion e x p r i m é e p a r plusieurs o r a t e u r s dans la discussion du 8 d é c e m b r e 1 8 4 8 . L e temps n'est pas e n c o r e venu ! Mais quand viendra-t i l ? D'ailleurs, s'il n'est pas v e n u , c'est donc qu'il v i e n d r a , c'est donc qu'on ne guillotine plus que t e m p o r a i r e m e n t ? Comment différer une pareille r é f o r m e du m o m e n t qu'il sera j u s t e un j o u r d e l'accomplir? N'est-il pas m o n s t r u e u x de c o u p e r des têtes provisoirement et en a t t e n d a n t une époque plus o p p o r t u n e p o u r y r e n o n c e r . . . Nous c r o y o n s , nous, q u e le t e m p s est v e n u , et nous sommes sans la m o i n d r e inquiétude sur les r é s u l t a t s . Quand M M . Cormenin, B a l l a n c h e , J a c q u e m i n o t , Villemain, G u i z o t , P a s t o r e t , B é r e n g e r (de la D r ô m e ) , Girod (de l ' A i n ) , L a m a r t i n e , Voisin, Ch. L u c a s , R a b u a n , C o q u e r e l , Laboulie, V. L e f r a n c , tous hommes que l'on ne peut appeler des novat e u r s , des utopistes, des a v e n t u r i e r s politiques e t é c o n o m i s t e s , crient à la société : Ne tuez plus ! Quand nous nous r a p pelons les applaudissements qui accueillaient dans les clubs nos discours pour l'abolition du dernier s u p p l i c e ; quandnous avons entendu, il y a quelques j o u r s à p e i n e , le peuple a c c l a m e r a v e c enthousiasme les noms de l'éloquent C r é m i e u x et de Victor Hugo au sortir d e l'audience où ils venaient d e plaider c o n t r e la peine de m o r t , nous n'hésitons pas à d i r e que la c o n s c i e n c e publique est suffisamment r a s s u r é e , e t que l'heure est a r r i v é e d'en finir a v e c l'échafaud. P o u r nous en c o n v a i n c r e tout à fait, il y a une chose plus puissante e n c o r e que celle-là, c'est l'ovation populaire faite à M. Ch. H u g o , en m ê m e temps que l'on saluait p a r des v i vats son p è r e et M. C r é m i e u x . Un journaliste de vingt-cinq


- 45

-

ans à peine objet d'une ovation p o p u l a i r e ! Y a-t-il dans l'histoire d ' a u t r e e x e m p l e d'un h o m m e aussi j e u n e o b t e n a n t un honneur aussi g r a n d ? Nous avons c h e r c h é et n'en avons p a s t r o u v é . Qu'avait d o n c fait M. Ch. H u g o ? 11 avait é c r i t q u a r a n t e belles lignes c o n t r e la peine de m o r t ; il venait d ' ê t r e c o n d a m n é p o u r e x c i t a t i o n à la haine d e la loi m e u r trière ! L e peuple r e s p e c t e les v e r d i c t s du j u r y ; il sait que le j u r y est la r e p r é s e n t a t i o n v i v a n t e de la j u s t i c e ; mais en m ê m e t e m p s qu'il se c o u r b a i t d e v a n t ses décisions s u p r ê m e s , il honorait le c o n d a m n é , c o m m e il a r r i v e parfois à l ' a r m é e , où, t o u t en punissant pour faute d e discipline le b r a v e qui s'est é l a n c é c o n t r e l'ennemi a v a n t le signal d o n n é , on le m e t à l ' o r d r e du j o u r p o u r glorifier son c o u r a g e . Quelle plus g r a n d e p r e u v e q u e le p e u p l e , toujours d'un sens si a d m i r a b l e en pareille c i r c o n s t a n c e , a c o n d a m n é à m o r t la peine c a p i t a l e ? qu'elle n'a plus d e sanction dans l'opinion des m a s s e s ? M a n d a t a i r e s du p e u p l e , r e n v e r s e z d o n c l'échafaud d'une m a n i è r e c o m p l è t e , a b s o l u e ; si r e s p e c t a b l e s que soient vos œ u v r e s législatives, vous ne p o u r r e z faire que la j u s t i c e , t a n t q u e vous lui laisserez un glaive dans les m a i n s , n e soit a u x y e u x d e la m a j o r i t é d e la nation en suspicion d'homicide. Abolissez la peine d e m o r t ; elle punit au lieu d e c o r r i g e r ; elle familiarise les h o m m e s a v e c l'effusion du sang au lieu d e les a c c o u t u m e r à c o n s i d é r e r la vie h u m a i n e c o m m e s a c r é e ; elle a u g m e n t e le n o m b r e des c r i m e s au lieu d e les p r é v e n i r ; elle frappe d'un supplice égal des c r i m i nels i n é g a l e m e n t c o u p a b l e s , a u lieu d e p r o p o r t i o n n e r la r é p r e s s i o n au forfait; enfin, elle atteint quelquefois des i n n o c e n t s . . . Abolissez d o n c les c o n d a m n a t i o n s i r r é p a r a b l e s , c'est un d e r n i e r h o m m a g e q u e le X I X siècle doit à la r a i son et à l ' h u m a n i t é ; abolissez la p e i n e d e m o r t , c e s e r a une gloire nouvelle p o u r la F r a n c e ! e

P. S. A c e u x de nos honorables collègues qui hésiteraient à biffer l'horrible peine c a p i t a l e , nous soumettons a v e c insist a n c e les réflexions suivantes que nous venons de lire à l'ins t a n t dans u n e b r o c h u r e d e M . D u b o i s a y m é , pleine d ' é l é -


vation, Justice

de f e r m e t é e t criminelle

46

-

d'irrésistibles

en Toscane

et de la peine

a r g u m e n t s . ( De la de mort.

Grenoble,

1844.) « Que l'on n'aille pas d é n a t u r e r n o t r e p e n s é e e t dire que « n o t r e pitié pour de vils assassins est t r o p g r a n d e . Nous les « avons en h o r r e u r a u t a n t que qui que c e s o i t ; mais c e que « nous voulons, c e que nous avons le droit d e d e m a n d e r , « c'est qu'en punissant le m e u r t r e , vous ne nous en fassiez « pas c o m m e t t r e un, le plus horrible de tous, le m e u r t r e de « sangfroid et a v e c p r é m é d i t a t i o n . Ce que nous voulons, c e « que tout le m o n d e doit vouloir, c'est que le c h â t i m e n t du « criminel ne soit pas d a n g e r e u x pour la s o c i é t é e n t i è r e « e n blessant les nobles instincts des h o m m e s v e r t u e u x , et « en e x c i t a n t , en réveillant, en a c c r o i s s a n t au c œ u r du v i « c i e u x les mauvais p e n c h a n t s . Ce que nous voulons s u r « t o u t , c'est que les e r r e u r s auxquelles les j u g e m e n t s des « hommes sont n é c e s s a i r e m e n t sujets S O I E N T T O U J O U R S R É P A « RABLES. »

S o n g e z , songez, l é g i s l a t e u r s , à l'innocent c o n d a m n é ! songez à sa famille, à sa m è r e , à sa fille ! E n p r i s o n , l'innoc e n t a u r a p o u r consolation sa c o n s c i e n c e . Les s i e n s , du moins, ne le p l e u r e r o n t pas guillotiné; ils g a r d e r o n t c o m m e lui l ' e s p é r a n c e de le voir un j o u r rendu à l'honneur et à leurs e m b r a s s e m e n t s . Au m o m e n t de v o t e r sur n o t r e proposition, législateurs, r a p p e l e z - v o u s c e c i : Il y a sept a n s , en 1 8 4 4 , M . H a b e r l a u d , c o n d a m n é à m o r t par la c o u r d'assises de B r u g e s , et dont la peine avait é t é c o m m u é e en vingt années de t r a v a u x f o r c é s , était au bagne depuis d e u x ans lorsque son i n n o c e n c e a été e n t i è r e m e n t r e c o n n u e ! (Voir le National du 9 d é c e m b r e 1 8 4 4 . ) Que r é p o n d r i e z - v o u s , h é l a s ! au p è r e , à la femme, à la fille d'un a u t r e H a b e r l a u d , dont vous a u r i e z fait tomber la t ê t e en maintenant la peine d e m o r t et qui v i e n d r a i e n t vous d i r e à v o t r e foyer d o m e s t i q u e , au milieu d e vos enfants : « Qu'avez-vous fait de mon fils, q u ' a v e z vous fait d e mon m a r i , q u ' a v e z - v o u s fait d e mon p è r e ? Voilà la p r e u v e qu'il était i n n o c e n t !


TABLE.

Pages.

§

er

1 . — Proposition.

3

§ 2.

— Le principe de l'abolition de la peine de mort est dans la

§ 3.

— La société n'a pas le droit de tuer

§

4.

— La peine de mort est sans efficacité matérielle.

§

5.

— La société doit amender le criminel et non le punir.

§

6.

— La même peine infligée à tous les criminels est une injus-

§

7.

— La peine de mort est sans efficacité morale ou préventive.

18

§

8.

— Les exécutions publiques excitent le goût du sang.

22

§

9.

— La peine de mort enfante le bourreau

loi depuis

1791

tice

7 9 . . .

11 .

. . . .

14 17

.

28

§ 10. — Beaucoup de ceux que l'on met à mort comme assassins ne sont que des fous 30 § 11. — La peine de mort est une iniquité monstrueuse, parce qu'elle est irréparable, et que le juge est sujet à l'erreur 32 § 12 — Le maintien de la peine de mort en matière criminelle peut servir à son rétablissement en matière politique. § 13

— Résumé

Paris. — E. DE SOYE, imprimeur, rue de Seine, 36.

.

.

40 42









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