Emancipation des esclaves aux colonies françaises : mémoire présenté au Gouvernement

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EMANCIPATION

DES ESCLAVES AUX COLONIES

FRANÇAISES.

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mFELIX LOCQUIN IMPRIMEUR, RUE N.D. DES VICTOIRES, 16.

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EMANCIPATION

DES ESCLAVES AUX COLONIES FRANÇAISES, MÉMOIRE PRÉSENTÉ AU GOUVERNEMENT PAR

M. l e marquis D E SAINTE-CROIX. AUTEUR DE LA STATISTIQUE DE LA MARTINIQUE, ET MEMBRE DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES.

L'homme est né libre, l'esclavage est l'exception

WILBERFORCE.

PARIS, LOUIS R O S I E R , É D I T E U R , RUE GUÉNÉGAUD, № 1 9 . 1835

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INTRODUCTION.

L E bill pour l'abolition de l'esclavage, rendu par le parlement d'Angleterre en 1833, et qui vient de recevoir sa pleine et entière exécution le 1 août de cette année, impose au gouvernement français le devoir de s'occuper promptement de mesures ana­ logues et de prudence, qu'il ne saurait trop tôt se hâter de prendre envers les nègres esclaves français de nos colonies, dans l'in­ térêt général et pour l'honneur de la France et des planteurs eux-mêmes. er

Déjà, aux Antilles, les partisans de l'ancien système colonial, système usé et absurde, font entendre les cris sinistres du désespoir en *


II

voyant l'arbitraire dont ils sont en possession depuis si long-temps leur échapper. En vain prétendent-ils, par des complots imagi­ naires, annuler l'effet salutaire, dans nos colonies, de l'émancipation des esclaves, e t , par des actes semblables à ceux qui vien­ nent de se passer à la Grand'Anse de la Martinique, prolonger autant que possible le système régnant, par la terreur des complots et des fusillades, et en rejeter ainsi la culpabilité mensongère sur les hommes de couleur et les esclaves, tandis q u e , provocateurs insensés, les colons ap­ pellent sur leurs têtes la vengeance de Spartacus arme la plus terrible dont puisse se servir l'esclave envers son maître. La France, sur l'exemple donné par l'Angleterre, est vivement intéressée à pré­ venir les collisions que les nouvelles idées d'émancipation pourraient faire naître, et le gouvernement serait coupable s'il restait impassible et immobile au milieu du grand mouvement qui va s'opérer aux Antilles, sous peine de voir la force prendre la place de la loi, le désordre porté au comble ame-


III

ner d'épouvantables catastrophes, qui en définitive viendraient retomber sur la mé­ tropole en privant ses places maritimes du commerce avantageux qu'elles entretien­ nent avec les colonies. Le gouvernement peut agir efficacement dans l'intérêt de nos colonies, et il le doit; il n'a pas un moment à perdre : des élémens brûlans de destruction Couvrent tout le pays; les exigences s'accroissent en raison de la résistance, et bientôt, si on n'y prend garde, succédera à cet état de calme appa­ rent, un abîme de maux où pourront s'en­ gloutir les fortunes avec les générations. Et c'est vis-à-vis de faits de cette nature que le gouvernement, chargé des intérêts de tous, reculerait pour laisser la place aux dissensions et aux haines des partis! Non, cela n'est pas possible ! Déjà plusieurs écrivains courageux avaient appelé l'attention du gouvernement et des chambres sur l'importante question des améliorations à introduire dans le régime intérieur des habitations et des esclaves aux


IV

colonies; mais, loin d'avoir été compris, ils se sont vus en butte aux persécutions et aux clameurs; on leur a reproché de pro­ voquer à l'insurrection, lorsqu'ils n'é­ taient en effet que la véritable expression du mode progressif qu'il faut suivre pour arriver graduellement à la destruction si abusive du régime colonial actuel. Dans la situation des choses, on con­ viendra qu'il est indispensable d'aller audevant des effets que doit produire le bill anglais, qui, à l'heure qu'il est, a changé totalement la position politique et civile des esclaves, rendus par lui à la liberté, en introduisant aux colonies françaises un ré­ gime analogue pour d'un commun accord arriver à l'établissement d'un nouveau con­ trat social aux colonies. Comment, en effet, pouvoir espérer sans folie que le régime ancien, qui fait loi dans nos colonies aujourd'hui, puisse échapper à cette atmosphère tout imprégnée de liberté qui les entoure, sans en ressentir les effets? Comment est-il possible de penser que lors­ que les mêmes principes libéraux forment


V

la base du droit public des deux nations, elles ne soutiendront pas ce même principe dans toute l'étendue de leurs possessions, et qu'on verra le spectacle ridicule d'hom­ mes libres d'Europe combattant en Amé­ rique pour attacher des esclaves à la chaîne de leur maître? Attendre plus long - temps pour intro­ duire les principes du bill anglais dans nos colonies paraît un système de temporisa­ tion impossible aujourd'hui; et dans une question brûlante de sa nature, peut-on se persuader que l'esclave, qui sent tout le poids de ses chaînes, attendra tranquille­ ment que toutes les épreuves soient faites pour se débarrasser des entraves qui pèsent sur lui? N'a-t-on pas vu l'esclavage faire auprès des gouvernemens qui se sont succédé en France, dans ces derniers temps, nombre de pétitions, humbles, ainsi qu'aux gouver­ neurs et aux chambres, et quelquefois hostiles sur les lieux? N'était-ce donc pas des pétitions que ces démonstrations ar­ mées qui ont porté si souvent depuis peu


VI

la terreur dans l'ame des colons de la Gua­ deloupe et de la Martinique dans ces der­ nières années? Que réclamaient ces esclaves lorsqu'ils se présentèrent devant la ville de Saint-Pierre, tremblante de tomber sous leur joug, si ce n'est un changement de sys­ tème, un avenir plus heureux? N'était-ce pas là un avertissement au pouvoir de por­ ter une sérieuse attention sur leur triste po­ sition? Faudra-t-il donc avoir recours à de pareils moyens pour arracher des droits que le siècle a sanctionnés et que l'Angle­ terre a proclamés du haut de sa tribune ? Faudra-t-il que l'insurrection de l'esclave contre le maître, toujours renaissante et sans cesse étouffée, présente l'image de l'hydre de Lerne ? Et si, dans les luttes qui auraient lieu, la victoire se déclarait pour les nouveaux principes, les colons peuvent-ils penser que l'or des budgets, la vie des soldats de la France serviraient à former des expé­ ditions coûteuses pour reconquérir des colonies dont l'exploitation profite fort médiocrement à la métropole, et dans


VII l'unique but de les réintégrer dans leurs biens, eux dont les principes politiques sont si fort opposés à ceux de la mèrepatrie ? On remarquera, à l'appui de nos ré­ flexions sur le système existant, que de tous côtés, dans le golfe du Mexique, le sys­ tème de liberté a prévalu ; que la côte ferme de l'Amérique, le Mexique et toutes les îles du Vent et sous le Vent ont plus ou moins adopté d'avance les mesures que le bill an­ glais vient de réaliser. Il y aurait donc folie, nous le répétons, de penser que les esclaves français resteront dans la même situation politique, ayant sous leurs yeux, à si peu de distance, des exemples de cette nature. Le gouvernement français, en prenant l'initiative de la réforme à introduire et des améliorations qui doivent en découler aux Antilles, ira au-devant des plus graves inconvéniens; il agira dans les intérêts de tous, en prévenant le mouvement brusque qui peut entraîner des pertes incalculables pour nos places maritimes; il se placera haut dans la reconnaissance de ceux dont il


VIII

protégera les intérêts et qui sont, au bout du compte, le plus grand nombre; et, de la sorte, son intervention libérale et conci­ liatrice tout ensemble sera pour les colonies un immense bienfait, et pour lui-même un titre de gloire.


ÉMANCIPATION

DES ESCLAVES AUX COLONIES FRANÇAISES.

CHAPITRE PREMIER. Situation des esclaves aux colonies françaises.

N o u s a v o n s fait p r e s s e n t i r la position o ù a l ­ laient se t r o u v e r les colonies françaises, a p r è s l'exécution d u bill d ' é m a n c i p a t i o n d e s esclaves anglais; nous avons traité cette h a u t e question p a r d e s r a i s o n n e m e n s s i m p l e s , à la p o r t é e d e t o u t le m o n d e ; n o u s d i r o n s m a i n t e n a n t c o m m e n t s o n t traités les esclaves français d a n s n o s c o l o ­ n i e s , sans d é g u i s e m e n t . N o u s p a s s e r o n s e n s u i t e a u x m e s u r e s à p r e n d r e p a r le g o u v e r n e m e n t d a n s les i n t é r ê t s d e s p a r t i e s , p o u r p r é v e n i r les c o l l i ­ s i o n s , t o u j o u r s si d a n g e r e u s e s et si é n e r g i q u e s sous l e soleil des

t r o p i q u e s ; e t si n o s

idées

n'étaient point a d o p t é e s , nous n'aurions certes pas à n o u s r e p r o c h e r le t r i s t e a v a n t a g e d'avoir r e m p l i u n e t â c h e q u e les c o n n a i s s a n c e s p r a t i q u e s ,

1


2

acquises s u r les lieux m ê m e s , n o u s p r e s c r i v e n t de rendre publiques. Les habitans des colonies, d e t o u t e s les c o u l e u r s , et le g o u v e r n e m e n t s u r ­ tout,

n ' a u r o n t pas à d é c l i n e r d e n ' a v o i r r e ç u

aucun véridique avertissement,

en temps utile,

s u r la s u i t e et les c o n s é q u e n c e s inévitables o ù les p r i n c i p e s d u

bill

d ' é m a n c i p a t i o n anglais d o i t

e n t r a î n e r les colonies françaises. P o u r discuter cette matière de manière à être p a r f a i t e m e n t c o m p r i s , il est n é c e s s a i r e d e

faire

c o n n a î t r e le sort d e l'esclave d a n s n o s c o l o n i e s ; sa v i e , ses e s p é r a n c e s , et les liens q u i p e u v e n t l ' a t t a c h e r à la g r a n d e famille sociale. J o u e t d e s caprices d e son

m a î t r e , l'esclave,

d a n s sa situation a c t u e l l e , n e j o u i t pas d u p r é s e n t , q u i n e lui a p p a r t i e n t p a s , ni d e l'avenir, q u i n e lui a p p a r t i e n t pas d a v a n t a g e . Passif i n s t r u m e n t , ses m o m e n s sont c o m p t é s ; et s'il avait e n v i e d e se distraire u n i n s t a n t des t r a v a u x p é n i b l e s a u x q u e l s l e sort l'a c o n d a m n é , il y serait r a m e n é p a r les c h â t i m e n s . L e s a b u s d e la législation s o n t d é p l o ­ rables à cet é g a r d , et l'esclave n'a a u c u n e g a r a n t i e p o u r les r i g u e u r s c o n t r a i r e s à la loi d o n t il p e u t être accablé. L e s travaux d e l'esclave, suivant lé g e n r e d ' e x ­ ploitation d e l'habitation où il est a t t a c h é , s o n t fixés d e o n z e à q u i n z e h e u r e s par j o u r , et q u e l -


3

quefois plus d a n s les s u c r e r i e s , selon la n é c e s s i t é , et n o u s ferons r e m a r q u e r q u e , d a n s les m a n u ­ factures d e ce g e n r e , l'industrie a c t u e l l e , q u i a fait en F r a n c e d e si g r a n d s p r o g r è s d a n s les der­ n i e r s t e m p s , n'a d i m i n u é en rien les t r a v a u x p é n i b l e s q u e l'esclave e x é c u t e , soit d e v a n t les c h a u ­ dières à s u c r e , soit d a n s le t r a n s p o r t d u chauffage d e s cases à bagasse ( 1 ) , ce q u i serait si facile, n i d a n s la m a n u t e n t i o n d u s u c r e d a n s les p u r g e ries ( 2 ) . L e

plus petit

travail se fait à

bras

d ' h o m m e s , et suit l ' o r n i è r e d e la r o u t i n e t r a c é e p a r les connaissances en ce g e n r e , si p e u a v a n c é e s , d e nos p è r e s . La n o u r r i t u r e q u e l'esclave reçoit a u j o u r d ' h u i , n'est ni suffisante ni m ê m e a s s u r é e , e t varie selon les localités et la position p é c u n i a i r e d u p r o p r i é ­ t a i r e avec son c o m m i s s i o n n a i r e . L o r s q u e l ' h a b i ­ tation est é l o i g n é e d e s villes p r i n c i p a l e m e n t , il d e v r a i t r e c e v o i r d e u x p o t s et d e m i d e farine d e m a n i o c et trois livres d e m o r u e p a r s e m a i n e , ce q u e j e t r o u v e très-insuffisant. L ' o r d o n n a n c e d e 1 6 8 5 le p r e s c r i t a i n s i ; mais (1) La сазе à bagasse est le lieu où l'on dépose la canne à sucre, pour en faire du chauffage, après qu'on en a extrait le suc que l'on nomme vesou. (2) La purgerie est un bâtiment où on place le sucre pour le faire égoutter et le purger du sirop.


4

la v o l o n t é d u m a î t r e fait l o i , et la p l u p a r t

du

t e m p s , l'esclave reçoit trois livres d e m o r u e sans farine d e m a n i o c , p o u r t o u t o r d i n a i r e , p a r s e ­ m a i n e ; et plus les h a b i t a t i o n s s o n t r a p p r o c h é e s d e s villes, m o i n s l'esclave reçoit d e n o u r r i t u r e ; e n f i n , l o r s q u e l'habitation est située assez p r è s p o u r q u e l'esclave puisse, p e n d a n t les h e u r e s d e r e p o s q u e la loi lui a c c o r d e , f o r m e r u n p a q u e t d'herbes

p o u r ê t r e v e n d u à la v i l l e , o u y

em­

p l o y e r son i n d u s t r i e d e t o u t e a u t r e m a n i è r e , o n finit, c o n t r a d i c t o i r e m e n t a u x o r d o n n a n c e s , p a r se d i s p e n s e r d e lui f o u r n i r sa n o u r r i t u r e en lui a c c o r d a n t e n é c h a n g e la j o u r n é e d u s a m e d i o u la d e m i - j o u r n é e , p o u r qu'il puisse t r o u v e r à u t i ­ liser c e t e m p s et le m e t t r e à profit

pour

se

nourrir. L e s v ê t e m e n s q u ' o n d o i t d o n n e r à l'esclave se c o m p o s e n t d e d e u x r e c h a n g e s d e grosse s e r p i l i è r e , et s o u v e n t il n e r e ç o i t r i e n . L e u r d e m e u r e consiste en u n e case ou c a b a n e en b o i s , o u v e r t e à t o u t e s les i n t e m p é r i e s d e s s a i ­ s o n s , s u r t o u t à celle d e l ' h i v e r n a g e (saison d e s p l u i e s ) . C e t t e case est

couverte

en paille

de

c a n n e . L a p l u p a r t d u t e m p s , u n e simple p l a n c h e l e u r sert d e lit : il n ' y existe a u c u n m e u b l e . L e s soins d e l'hôpital s o n t p e u n o m b r e u x et m a l a d m i n i s t r é s ; le r e p o s est le seul r e m è d e c e r -


5 tain q u e les esclaves y t r o u v e n t ; mais o n a soin qu'ils n e s ' a c c o u t u m e n t pas à c e t t e position t r a n ­ quille. L e s t r a i t e m e n s qu'ils é p r o u v e n t s u r les h a b i t a ­ t i o n s s o n t très-différens, s u i v a n t le c a r a c t è r e d e s m a î t r e s . I c i , n o u s n e r e p r o d u i r o n s pas les d é c l a ­ m a t i o n s p r o d u i t e s d a n s un g r a n d n o m b r e d ' é c r i t s ; il n o u s suffira d ' i n d i q u e r d e s faits q u i o n t d o n n é lieu à d e s p o u r s u i t e s j u d i c i a i r e s , sans g r a n d s r é ­ s u l t a t s , c o m m e l'affaire S o m m a b e r t , à la G u a d e l o u p e ( 1 ) ; l'affaire M a r l e t , à la M a r t i n i q u e ( 2 ) ; celle G a b r i e l , 16 avril 1 8 3 4 . O n v e r r a , en p a r c o u ­ r a n t les g a z e t t e s d o n t j e viens d e faire m e n t i o n , la s o m m e d e b o n h e u r d o n t j o u i s s e n t les esclaves d a n s n o s c o l o n i e s , r e l a t i v e m e n t aux t r a i t e m e n s . Q u a n t à l'avenir d e l'esclave, on n ' y a pas s o n g é , et p e r s o n n e n e s'en est o c c u p é j u s q u ' i c i . S'il arrive à la vieillesse (ce q u i est assez r a r e ) ou à l'âge des

ajoupa ( 3 ) , maubananiere o u d ' u n

infirmités, on l'établit sous u n

vaise case,

gardien d'une

c h a m p d e c a n n e ; et là, sous l ' o m b r e q u e lui p r o c u r e c e t t e c h a u m i n e , il v é g è t e j u s q u ' a u m o m e n t o ù la m o r t vient d é l i v r e r le m a î t r e d ' u n s e r v i t e u r i n u ­ tile à ses i n t é r ê t s . (1) Gazette des Tribunaux du 11 décembre 1827. (2) Idem,

11 décembre 1828.

(3) Terme usité.


fi J e n'ai parlé ici q u e d e sa vie p h y s i q u e ; q u a n t au m o r a l , n o u s l'avons omis à dessein. L ' e s c l a v e n e possède r i e n , pas m ê m e ses en fans, qui s u i v e n t le sort d e l e u r m è r e . Ses affections d o i v e n t ê t r e c o n t i n u e l l e m e n t froissées. P o u r p e u q u ' i l ait les idées simples q u e la n a t u r e a placées clans t o u s les c œ u r s , il doit g é m i r d e la position o ù le sort le r e t i e n t , d a n s la c r a i n t e d ' ê t r e privé d e sa f e m m e et d e ses e n f a n s , qui n e lui a p p a r t i e n n e n t

pas,

et d o n t les lois s u r l'esclavage lui o n t m ê m e ôté la tutelle. C e p e n d a n t , à e n t e n d r e les h a b i t a n s d e s c o l o ­ n i e s , l'esclavage serait un é t a t p r é f é r a b l e à celui d e s c u l t i v a t e u r s d e n o s c a m p a g n e s , en

France,

q u i , en j o u i s s a n t d e la plus g r a n d e l i b e r t é d ' a c ­ t i o n , s o n t s o u m i s aux i n c o n v é n i e n s

inséparables

d e la p a u v r e t é , q u i a c c a b l e s o u v e n t l e u r m a l ­ heureuse

famille, et à la variation d e s saisons

r i g o u r e u s e s , qui viennent encore aggraver leur triste position. N o u s avons

mis s a n s partialité le l e c t e u r à

m ê m e d e j u g e r ; mais il n o u s s e m b l e q u e t o u t ce q u e p e u v e n t d i r e les h a b i t a n s d e s colonies en laveur d u s y s t è m e r é g n a n t , s y s t è m e d a n g e r e u x à c o n t i n u e r , est e m p r e i n t d ' u n

cachet de par­

tialité f u n e s t e , m ê m e à l e u r s i n t é r ê t s . Ils n ' o n t j u s q u ' i c i p r é s e n t é a u c u n projet d e m o d i f i c a t i o n ;


7

ils d é s i r e n t le statu quo, plus difficile à m a i n t e n i r au milieu d e s p o p u l a t i o n s agitées p a r les idées d e liberté, qu'un nouveau système à introduire, g é ­ n é r a l e m e n t d ' a c c o r d avec les idées n o u v e l l e s . Nous nous bornerons à rappeler q u e depuis plus d e trente ans au m o i n s , aucune amélioration n'a é t é i n t r o d u i t e p a r r é g l e m e n t d a n s n o s c o l o n i e s , p o u r le r é g i m e i n t é r i e u r d e s esclaves, e t la sur­ veillance d e s h a b i t a t i o n s , proposées

e t q u e t o u t e s celles

sont restées pour mémoire,

on a été à

m ê m e d e voir d a n s le c o u r a n t d e c e t é c r i t , qu'il n'existe également aucun système

d'uniformité

d ' a d m i n i s t r a t i o n s u r les h a b i t a t i o n s à l'appui d e l'assertion q u e n o u s é m e t t o n s ici, n o u s a v o n s s o u s les y e u x la p r e u v e q u ' u n c o - p r o p r i é t a i r e indivis d'une habitation,

ayant appris q u e les nègres

n ' é t a i e n t p a s traités selon l'édit d e 1 6 8 5 , en r é ­ clama la s t r i c t e e x é c u t i o n , p r è s d e l'autorité c o m ­ p é t e n t e , p u r e m e n t e t s i m p l e m e n t ; il lui fut r é ­ p o n d u officiellement,

q u e les n è g r e s e s c l a v e s ,

d ' a p r è s u n e e n q u ê t e faite s u r les l i e u x , é t a i e n t

abondamment pourvus. O n n e pouvait, c e r t e s , pas p r é v o i r q u e le m o t abondamment e û t jamais

pourvus conformément aux lois et ordonnances, q u i

p u r e m p l a c e r la p h r a s e légale si s i m p l e ,

m e t t a i t fin à t o u t e s discussions. Y e u t - i l j a m a i s


8

u n e réponse d e l'autorité plus propre à ménager

le statu quo qui règne d a n s ce pays.

C H A P I T R E II. Précautions à prendre pour l'Emancipation des esclaves aux colonies françaises.

EN a p p e l l a n t l ' a t t e n t i o n d u l e c t e u r s u r n o s d e u x premières propositions, nous avonspensé qu'avant d e lui d o n n e r c o n n a i s s a n c e d e s p r i n c i p a l e s d i s ­ positions d u bill a n g l a i s , e t d e s modifications qu'il était n é c e s s a i r e d'y a p p o r t e r selon les lois f r a n ç a i s e s , il était i n d i s p e n s a b l e d e lui m o n t r e r l'exacte position d e s c h o s e s ; n o u s lui a v o n s d o n c fait r e m a r q u e r : l'isolement d e p r i n c i p e o ù a l ­ laient se t r o u v e r les colonies françaises,

surtout

d a n s le golfe d u M e x i q u e , d ' a p r è s l e u r situation g é o g r a p h i q u e et t o p o g r a p h i q u e ; n o u s a v o n s d é ­ p e i n t d a n s la s e c o n d e p r o p o s i t i o n , avec la v é r i t é la p l u s s c r u p u l e u s e , la position d e s esclaves v i s - à vis d e la p o p u l a t i o n d o m i n a n t e p e u n o m b r e u s e ; n o u s avons fait r e m a r q u e r q u e les p r i n c i p e s d e la m é t r o p o l e s u r l'esclavage e n g é n é r a l , é t a i e n t en opposition directe avecceux soutenus aujourd'hui a u x c o l o n i e s , et q u e si les liens q u i u n i s s e n t la


9

m è r e - p a t r i e avec les c o l o n i e s v e n a i e n t u n e fois à ê t r e r o m p u s , la F r a n c e n e p o u r r a i t faire a u c u n sacrifice p é c u n i a i r e p o u r r e p l a c e r les

esclaves

s o u s le j o u g d e l e u r s m a î t r e s : c e s o n t a u j o u r d ' h u i d ' i n c o n t e s t a b l e s vérités. Il n o u s r e s t e à faire c o n n a î t r e les p r i n c i p a l e s dispositions d e l'acte d ' é m a n c i p a t i o n d e s esclaves, passé au mois d ' a o û t 1 8 3 3 , a u p a r l e m e n t d ' A n ­ g l e t e r r e , d ' i n d i q u e r les a d d i t i o n s et modifications, q u e n o u s c r o y o n s utile d ' i n t r o d u i r e a u x colonies f r a n ç a i s e s , n o n a u p r i n c i p e , mais au d é v e l o p p e ­ m e n t n é c e s s a i r e , d ' a p r è s la législation q u i n o u s g o u v e r n e , et p o u r q u e les d r o i t s d e s sujets des d e u x n a t i o n s soient e n h a r m o n i e et m a r c h e n t a u même but

d'affranchissement.

U n e m e s u r e q u i t o u c h e aux i n t é r ê t s d e la poli­ t i q u e la plus t r a n s c e n d a n t e , doit ê t r e m a n i é e avec j u s t i c e et d i s c e r n e m e n t . O n n e saurait] t r o p r e ­ c o m m a n d e r au g o u v e r n e m e n t d e

n'employer,

p o u r l ' a c c o m p l i r , q u e des h o m m e s c o n c i l i a n s , et d'une haute moralité. I l est aussi i n d i s p e n s a b l e d e n o m m e r d e s m a ­

ad hoc c o m m e d é f e n s e u r s n é s des droits des esclaves, q u i s e r o n t c h a r g é s d e l e u r t u ­

gistrats

t e l l e , et d o n n e r o n t l e u r avis d a n s t o u t e s les af­ faires qu'ils a u r o n t à t r a i t e r , soit avec l e u r s cid e v a n t m a î t r e s , soit avec t o u t a u t r e ; les j u g e s d e


10

p a i x , d a n s c h a c u n des c a n t o n s c o l o n i a u x , sous l'inspection s u p é r i e u r e

des directeurs de l'inté-

rieur d a n s c h a q u e c o l o n i e , s e m b l e n t ê t r e a p p e l é s p a r l e u r position d a n s la m a g i s t r a t u r e , à ê t r e c h a r g é s d e c e t e m p l o i i m p o r t a n t : bien e n t e n d u qu'ils s e r o n t m é t r o p o l i t a i n s . L e p r e m i e r travail qu'il sera nécessaire

d'opé­

r e r , est celui d e passer u n e r e v u e e x a c t e d e s n è ­ gres e s c l a v e s , p o r t é s sur c h a q u e d é n o m b r e m e n t d ' h a b i t a t i o n ; d e c o n s t a t e r leur p r é s e n c e , l e u r n o m , l e u r â g e et l e u r capacité au t r a v a i l , p o u r a r r i v e r au m o d e d e

liquidation q u i

doit

être

a d o p t é p o u r l ' i n d e m n i t é ; car ainsi q u e le déclare le t i t r e III d u bill a n g l a i s , les p r o p r i é t a i r e s d ' e s ­ claves d o i v e n t ê t r e d é d o m m a g é s ; et p o u r d'une

fixer

m a n i è r e précise l ' i m p o r t a n c e d e l ' i n d e m ­

n i t é d u c à c h a q u e p r o p r i é t a i r e , il est d e

toute

nécessité q u e le d é n o m b r e m e n t soit a r r ê t é p a r l'autorité c o m p é t e n t e , ainsi q u e l'âge d e l'indi­ v i d u , qui d é n o t e la valeur p a r a p p r o x i m a t i o n d e c h a q u e esclave. L e s enfans q u i n ' a u r o n t pas a t t e i n t l'âge d e 5 a n s r é v o l u s n e d e v r o n t pas ê t r e c o m p r i s c o m m e v a l e u r d a n s l'état d e l ' i n d e m n i t é . Les vieillards et les infirmes d e v r o n t aussi n a ­ t u r e l l e m e n t e n ê t r e é c a r t é s , e t r e s t e r à la c h a r g e


H et a u x soins d e la c o l o n i e , r é u n i s d a n s d e s établissemens publics. A p r è s avoir e x p r i m é

q u ' u n e i n d e m n i t é était

d u e aux p r o p r i é t a i r e s d ' e s c l a v e s , q u e c'était le v œ u d e la loi a n g l a i s e , et q u e cela devait ê t r e aussi celui d e la loi f r a n ç a i s e , n o u s é t a b l i r o n s le mode

que

n o u s c r o y o n s le p l u s

convenable,

d ' a p r è s l e q u e l elle doit ê t r e l i q u i d é e p a r la m é ­ t r o p o l e ; car n o u s a v o n s d û p e n s e r qu'il n e fallait pas s u r c h a r g e r le b u d j e t déjà si l o u r d , et c r é e r d e n o u v e a u x i m p ô t s , désolation des c o n t r i b u a b l e s , et s u r t o u t n e pas en g r e v e r l'impôt foncier; mais qu'il était possible d e c o u v r i r c e t t e d é p e n s e par u n e

surtaxe

q u i a t t e i n d r a i t les d e n r é e s coloniales d e

tous les pays à leur e n t r é e a u x d o u a n e s , et q u ' a i n s i r é p a r t i e s u r t o u t e s les p r o v e n a n c e s c o l o n i a l e s , à la v a l e u r d u total d e l'intérêt d e l ' i n d e m n i t é d u e a u x c o l o n s , a p r è s avoir a r r ê t é t o u t e f o i s , c o m m e n o u s l'avons d i t , l ' i m p o r t a n c e d u capital d û à c h a q u e p r o p r i é t a i r e , fixé d é f i n i t i v e m e n t p a r les a u t o r i t é s , l e q u e l i n t é r ê t serait a r r ê t é et l i q u i d é p a r les c h a m ­ b r e s d e 3 à 5 p o u r 100 en r e n t e s r a c h e t a b l e s ( 1 ) . O n doit c o m p r e n d r e q u ' e n d o n n a n t la l i b e r t é (1) Nous voyons à l'ouvrage de M. de Montveran : Essai statistique piques;

raisonné

sur les Colonies européennes

des

tro-

Pièces justificatives, N° 16 , sur la population des

Colonies françaises, que le chiffre des esclaves est de 270, 13o,


42

a u x e s c l a v e s , il faut d é t r u i r e en m ê m e t e m p s e n France toute espèce de monopole de denrées co­ l o n i a l e s , et o u v r i r n o s p o r t s l i b r e m e n t à t o u t e s les s p é c u l a t i o n s , p o u r avoir la c e r t i t u d e q u e la F r a n c e en soit t o u j o u r s a p p r o v i s i o n n é , d e m a n i è r e à c e q u e le c o n s o m m a t e u r n e soit j a m a i s en souf­ france. D ' a i l l e u r s , la F r a n c e si r i c h e en

objets

d ' i n d u s t r i e , établira des é c h a n g e s q u i n e p o u r r o n t m a n q u e r d ' ê t r e en sa f a v e u r , a v a n t a g e d o n t elle est p r i v é e en p a r t i e a u j o u r d ' h u i p a r le m o n o p o l e . L a d e s t r u c t i o n d u m o n o p o l e a u r a aussi l ' a v a n ­ t a g e d e faire baisser les p r i x , et par ce m o y e n , d ' a u g m e n t e r la c o n s o m m a t i o n des dites d e n r é e s , et l ' i m p o r t a n c e des t a x e s . Il serait aussi d e t o u t e j u s t i c e q u e les c o u p o n s des i n t é r ê t s d e l ' i n d e m n i t é d e l'émancipation d e s esclaves soient r e ç u s , et p u i s s e n t e n t r e r c o m m e a r g e n t d a n s les caisses des r e c e v e u r s des d o u a n e s d a n s u n e p r o p o r t i o n d o n n é e avec la s o m m e à r e ­ cevoir c o m m e 113 o u 114. N o u s a v o n s p e n s é a v e c r a i s o n , q u ' o n n e devait pas s'adresser à t o u t e s les classes d e p r o p r i é t a i r e s français, pour solder l'indemnité d u e pour

l'af-

dont il faut retirer 75,989 individus, vieillards, enfans ou malades ; il reste donc 194,141 individus esclaves qui, au prix de 1,500 fr., donnent un total de 405,195,000 fr., dontl'intërètà 5 p. 100 est de 21,039,000 fr.


13

f r a n c h i s s e m e n t d e s e s c l a v e s , mais bien q u e ledit i m p ô t d e v a i t a t t e i n d r e p l u s p a r t i c u l i è r e m e n t celles d e s c o n s o m m a t e u r s d e d e n r é e s coloniales d e t o u t e s les e s p è c e s , a v e c d ' a u t a n t p l u s d e j u s t i c e et d e raison,

q u e les p r o d u i t s c o l o n i a u x p r i n c i p a l e ­

m e n t , é t a n t en t r è s - g r a n d e p a r t i e des o b j e t s d e l u x e , n e f r a p p e n t s p é c i a l e m e n t q u e les classes a i s é e s , et p a r c o n s é q u e n t les m o i n s s u s c e p t i b l e s d'en é p r o u v e r d e g r a n d s d o m m a g e s ( 1 ) . N o u s d é d i o n s ce plan a u x l u m i è r e s et a u x b o n ­ nes i n t e n t i o n s d e c e u x q u i d o i v e n t s'en spécialement;

occuper

t o u t e s les fois qu'ils d i s c u t e r o n t

(1) On voit par le tableau 18 du même ouvrage de M. de Montveran, que les droits des produits des colonies fran­ çaises aux douanes, en 1 8 5 1 , étaient : En sucre, de Café, Cacao, Coton, Epiceries, girofles, Rocou , Indigo, Gomme, Cire, Bois de toutes sortes

87,915,770 k., représ. par 52,749,462 f. 2,119,046 — 1,149,286 168,545 — 116,442 218,255 236,967 82,122 13,036 667,940 12,898 1,384,889

— — — •

175,148 2,569,670

164,244 130,360

947,836

25,796 346,222

L'argent perçu en droits de douanes est de 58,674,486 f. En y joignant les droits perçus sur l'introduction des den­ rées coloniales étrangères, on trouvera le total porté à plus de 70 millions.


14

a v e c franchise et qu'ils n e se laisseront p o i n t e m ­ p o r t e r p a r la p a s s i o n , n o u s l e u r r é p o n d r o n s a v e c loyauté.

C H A P I T R E III. Principales dispositions de l'acte passé au mois d'août dernier, pour l'émancipation des esclaves noirs dans les colonies anglaises.

I. T o u t e s c l a v e , à d a t e r d u 1er a o û t 1 8 3 4 , a le d r o i t d e r e q u é r i r le p r o t e c t e u r d e s e s c l a v e s , le g a r d i e n d e la p a r o i s s e , o u t o u t a u t r e officier p r é ­ posé à cet effet p a r Sa M a j e s t é , d e l'inscrire s u r ses registres c o m m e o u v r i e r a p p r e n t i . II. L e s c o n d i t i o n s d e cet a p p r e n t i s s a g e s o n t r é ­ glées ainsi qu'il suit : 1° L e d r o i t d'infliger d e s c h â t i m e n s c o r p o r e l s est r e t i r é au m a î t r e p o u r ê t r e a t t r i b u é a u m a g i s ­ trat. 2* L e m a î t r e est o b l i g é d e n o u r r i r et d e vêtir l ' e s c l a v e , et d e p o u r v o i r a u x a u t r e s b e s o i n s q u e la loi lui r e c o n n a î t . D e son c ô t é , l'esclave est t e n u d e travailler les trois q u a r t s d e son t e m p s p o u r son m a î t r e ; libre à lui d e s ' a r r a n g e r d e m a ­ n i è r e à travailler les trois q u a r t s d e la s e m a i n e o u d e la j o u r n é e . 3° L ' o u v r i e r a u r a le d r o i t d'exiger u n salaire


15

p o u r son t r a v a i l , p e n d a n t l ' a u t r e q u a r t , si le maître juge à propos de l'employer. 4° L'esclave sera l i b r e d e disposer d u q u a r t d e son t e m p s c o m m e il lui c o n v i e n d r a , et d e t r a ­ vailler p o u r q u i b o n lui s e m b l e r a . 5° L e m a î t r e d e v r a m e t t r e u n prix à l ' o u v r i e r , à l ' a c h è v e m e n t d e son a p p r e n t i s s a g e . 6° L e s g a g e s , p a y é s p a r le m a î t r e , s e r o n t p r o ­ p o r t i o n n é s au p r i x qu'il a u r a fixé ; d e telle s o r t e q u e le n o i r r e c e v r a p o u r son t e m p s d e loisir, s'il le d o n n e à son m a î t r e , le d o u z i è m e d e son

prix

p a r a n , et ainsi d e suite selon le p l u s ou m o i n s d e t e m p s qu'il lui a u r a c o n s a c r é . 7° T o u t n è g r e , en d e v e n a n t a p p r e n t i , p o u r r a exiger q u ' o n lui c o m p t e u n e c e r t a i n e s o m m e p a r s e m a i n e , au lieu d e la n o u r r i t u r e et d u v ê t e m e n t , s'il préfère ce m o y e n ; c e t t e s o m m e sera r é g l é e p a r le magistrat d u l i e u , q u i d e v r a p r e n d r e p o u r base le c o û t légal d e son e n t r e t i e n . 8° T o u t o u v r i e r a p p r e n t i est t e n u de v e r s e r , c h a q u e s e m e s t r e , u n e c e r t a i n e p o r t i o n d e son salaire e n t r e les mains d ' u n officier n o m m é p a r le roi. 9 ° L e m a î t r e est r e s p o n s a b l e , en cas d e n o n p a i e m e n t , mais alors, il p o u r r a r e q u é r i r l'ouvrier d e lui r e m b o u r s e r la s o m m e , en t r a v a i l , p e n d a n t le s e m e s t r e suivant.


16 10° T o u t n è g r e a p p r e n t i q u i a u r a a c q u i t t é le m o n t a n t d u prix fixé p a r son m a î t r e , o u le c o m ­ p l é m e n t d e la s o m m e q u i p o u r r a i t rester d u e , j o u i r a , dès ce m o m e n t , d ' u n e e n t i è r e l i b e r t é . 11° T o u t a p p r e n t i p o u r r a e m p r u n t e r la s o m m e r e q u i s e , et s ' e n g a g e r , p a r c o n t r a t passé d e v a n t u n m a g i s t r a t , à travailler d u r a n t u n c e r t a i n laps d e t e m p s , c o m m e o u v r i e r a p p r e n t i , chez celui q u i la lui a u r a a v a n c é e . III. U n e m p r u n t , m o n t a n t à 2 0 , 0 0 0 , 0 0 0

de

livres s t e r l i n g , sera a c c o r d é a u x p r o p r i é t a i r e s d e b i e n s - f o n d s et d'esclaves d a n s les Antilles a n ­ glaises, m o y e n n a n t les s û r e t é s a p p r o u v é e s

par

les c o m m i s s a i r e s désignés à cet effet p a r les l o r d s commissaires d u trésor d e Sa Majesté. I V . Cet e m p r u n t sera r é p a r t i e n t r e les c o l o ­ n i e s , au p r o r a t a d u n o m b r e d e l e u r s esclaves et du m o n t a n t d e leurs exportations. V . L e p r o d u i t des p a i e m e n s s e m i - a n n u e l s q u e f e r o n t les o u v r i e r s a p p r e n t i s , servira à é t e i n d r e la d e t t e q u e les p l a n t e u r s a u r o n t c o n t r a c t é e visà-vis d e l'état. V I . T o u s les enfans âgés d e m o i n s d e six a n s , à l ' é p o q u e d e la p r o m u l g a t i o n d e c e t t e loi, s e r o n t l i b r e s , et r e s t e r o n t à la c h a r g e d e l e u r s p a r e n s . V I I . D a n s le cas o ù ceux-ci n e p o u r r a i e n t four-


17

nir à l e u r e n t r e t i e n , ils s e r o n t r e g a r d é s c o m m e a p p r e n t i s d u m a î t r e d e s p a r e n s , sans toutefois e n r e c e v o i r d e g a g e s , les m â l e s j u s q u ' à l'âge d e vingtq u a t r e a n s et les f e m m e s j u s q u ' à v i n g t , a u x q u e l s âges ils s e r o n t e n t i è r e m e n t l i b r e s , ainsi q u e l e u r s enfans s'ils en a v a i e n t . V I I I . C e t t e loi n ' e m p ê c h e r a pas Sa Majesté d e c o n s e n t i r a u x m e s u r e s q u e les législatures c o l o ­ niales c r o i r o n t d e v o i r p r e s c r i r e p o u r l ' e n c o u r a ­ g e m e n t d e l ' i n d u s t r i e et la r é p r e s s i o n d u v a g a ­ b o n d a g e , et q u i s e r o n t applicables à t o u t e s les classes d e la s o c i é t é . I X . L e R o i , à l'invitation d e s législatures l o ­ cales, recommandera

au parlement

de

voter

telles s o m m e s à p e r c e v o i r s u r les r e v e n u s d u p a y s , q u i s e r o n t j u g é e s nécessaires p o u r p o u r v o i r c o n v e n a b l e m e n t à l ' a d m i n i s t r a t i o n d e la j u s t i c e , à l'établissement d ' u n e b o n n e p o l i c e , et à c e l u i d ' u n s y s t è m e g é n é r a l d ' é d u c a t i o n religieuse

et

morale. T e l l e s s o n t les dispositions d u bill

anglais,

q u ' o n se b o r n e à faire c o n n a î t r e c o m m e les p l u s e s s e n t i e l l e s , et a u x q u e l l e s n o u s allons faire d e s objections. O n doit s e n t i r t o u t e s les difficultés q u e d o i v e n t é p r o u v e r , à l'application les o n z e articles d u t i t r e I I , 2


18

q u i f o r m e n t la p a r t i e essentielle d u bill anglais ( 1), et qu'il serait bien difficile d ' i n t r o d u i r e a u x c o ­ lonies f r a n ç a i s e s , q u i n e s o n t p o i n t

préparées

d'avance p a r la n o m i n a t i o n d u m a g i s t r a t , c o n n u en A n g l e t e r r e sous le n o m d e

regisler,

défenseur

d e s d r o i t s d e s e s c l a v e s ; les dispositions relatives à l ' a p p r e n t i s s a g e s e r a i e n t t r è s - d a n g e r e u s e s aussi p o u r n o s colonies : il faudrait u n e force c o n s i d é ­ r a b l e p o u r en a s s u r e r l'exécution ; c e t t e

force,

s o l d é e p a r la m é t r o p o l e et h o r s d e la p o r t é e d e s r e s s o u r c e s p é c u n i a i r e s qu'offrent n o s c o l o n i e s , n ' a b o u t i r a i t , en définitive, q u ' à u n e p e r t e d ' h o m ­ m e s p l u s c o n s i d é r a b l e p a r l'influence d u c l i m a t , et à u n e d é p e n s e t e l l e m e n t

disproportionnée,

qu'elles é q u i v a u d r a i e n t à u n e n o u v e l l e c o n q u ê t e . Ces puissans motifs n o u s o n t e n g a g é à d e s m o ­ difications q u e n o u s a v o n s c o n s i d é r é e s c o m m e i n ­ d i s p e n s a b l e s ; il a fallu s u r t o u t a c c o r d e r ce s y s t è m e avec celui q u i existe a u j o u r d ' h u i , et p r e n d r e , p a r m i les a u t o r i t é s q u i p e u v e n t c o n c o u r i r à la m e s u r e ,

( 1 ) L'auteur avait à peine écrit ces lignes, que toutes les gazettes anglaises, des Antilles, au Vent comme sous le V e n t , ont fait connaître que les onze articles du titre I I , n'étaient pas compris des esclaves, et qu'il avait fallu ré­ primer des insurrections partielles dans une grande partie des colonies de l'Est; que Demerari surtout en avait beau­ coup souffert.


19

celles q u i e x e r c e n t u n e salutaire influence s u r les esclaves, avec lesquels elles o n t des r a p p o r t s j o u r ­ naliers, qui s o n t a p p e l é e s à d é f e n d r e l e u r s d r o i t s , c o m m e les j u g e s d e paix. T o u t e s les p e r s o n n e s q u i se s o n t o c c u p é e s d e s affaires i n t é r i e u r e s d u p a y s a u x c o l o n i e s , s a v e n t q u e tous les a n s u n d é n o m b r e m e n t est r e m i s a u g o u v e r n e m e n t , signé d e s p r o p r i é t a i r e s d e s h a b i ­ tations ou d e s possesseurs d'esclaves et g a r a n s ; il est aussi signé p a r le commissaire dant

du

quartier : chaque habitant

comman­ proprié­

taire doit en avoir u n d o u b l e ; il c o n t i e n t le n o m , l'âge des esclaves, la q u a n t i t é d e b l a n c s e m p l o y é s s u r l ' h a b i t a t i o n , la q u a n t i t é de t e r r e c u l t i v é e , le n o m b r e d e s b e s t i a u x , e t c . , etc. C'est ce d é n o m ­ b r e m e n t q u i doit ê t r e la base fixe d e la n o u v e l l e o p é r a t i o n d e l ' é m a n c i p a t i o n des esclaves a u x co­ lonies françaises, c'est c e t t e r e v u e a n n u e l l e q u e nous avons désignée pour point de départ. N o u s a v o n s aussi p e n s é qu'il était i n d i s p e n s a b l e d e lier le c o d e q u i n o u s régit avec c e t t e o p é ­ r a t i o n , p o u r q u e les lois q u i n o u s g o u v e r n e n t p u i s s e n t d e suite ê t r e a p p l i q u é e s aux esclaves d e ­ venus libres.


20

CHAPITRE IV.

Modifications à apporter au bill anglais, pour l'introduction de l'Emancipation aux colonies françaises.

1°. T o u t esclave français d e l'un o u d e l'autre s e x e , et inscrit s u r u n d é n o m b r e m e n t , sera t e n u d e se p r é s e n t e r en p e r s o n n e , a p r è s la p r o m u l ­ gation d e la loi s u r l ' é m a n c i p a t i o n d e s e s c l a v e s , par-devant

l'autorité

compétente

et

désignée

( l e j u g e d e paix d u c a n t o n ) , q u i lui d é l i v r e r a p o u r litre u n extrait d u d e r n i e r

dénombrement

d e l ' a n n é e , d e l'habitation s u r laquelle il est p o r t é o ù s e r o n t r e l a t é s , le n o m d e la p e r s o n n e et d e l'habitation à l a q u e l l e il a p p a r t i e n t , s o n lieu d e n a i s s a n c e , son n o m , son â g e , et l e p r i x a u q u e l il a u r a é t é e s t i m é p a r l ' a u t o r i t é q u i a u r a

été

c h a r g é e d'en faire l'estimation l é g a l e . 2°. Si l'esclave est m a r i é l é g i t i m e m e n t , il en sera fait m e n t i o n d a n s le m ê m e t i t r e , ainsi q u e d u n o m et d e l'âge d e sa f e m m e , d e son lieu d e n a i s s a n c e , d u n o m d e son c i - d e v a n t m a î t r

, du

prix a u q u e l son estimation a u r a été fixée, ainsi q u e d u n o m , d e l'âge d e ses e n f a n s , et d e l e u r prix s'ils o n t plus d e 5 a n s révolus.


21

3°. C e t i t r e sera signé p a r triplicata : par le c i d e v a n t m a i t r e d e l ' e s c l a v e , par l'esclave l i b é r é , et p a r le j u g e d e paix. Si l'esclave ne savait pas s i g n e r , il a p p o s e r a i t à ce litre une marque p a r - d e v a n t deux témoins. 4 " . Il sera fait trois copies d u d i t litre ; u n e sera r e m i s e e n t r e les m a i n s d e l'ancien

propriétaire

d e l'esclave, la s e c o n d e e n t r e les m a i n s d e l'es­ clave l i b é r é , et la t r o i s i è m e r e s t e r a e n t r e les m a i n s d u j u g e d e paix, et sera d é p o s é e p a r lui d a n s les a r c h i v e s d e la c o l o n i e . Ces trois copies s e r o n t c o l l a t i o n n é e s et signées des p a r t i e s et d u j u g e d e paix. S'il s u r v e n a i t des difficultés, le t i t r e d é p o s é d a n s les a r c h i v e s , d o n t il serait délivré u n extrait c o n ­ f o r m e et d û m e n t l é g a l i s é , serait s o u m i s au t r i ­ bunal. 5°. Si l'esclave avait des enfans d ' u n e f e m m e q u i n e fût p a s sa l é g i t i m e

é p o u s e , il n ' a u r a i t

d ' a u t o r i t é s u r e l l e , et p a r s u i t e , s u r les e n f a n s , q u ' a u t a n t qu'il r e n d r a i t son m a r i a g e l é g i t i m e ; d a n s le cas c o n t r a i r e , les enfans s u i v r a i e n t le sort de leur m è r e . 6°. L'esclave l i b é r é , p o s s e s s e u r d e son t i t r e , sera t e n u d e d é c l a r e r en p r é s e n c e d u j u g e d e p a i x , d a n s le p l u s c o u r t délai ( n o n p r é c i s é ) , l ' a r r a n g e m e n t n o u v e a u qu'il a u r a fait avec son


22

m a î t r e , ou celui qu'il aura c h o i s i , ainsi q u e r e n ­ g a g e m e n t par écrit q u e le m a î t r e a u r a pris à son é g a r d , o ù s e r o n t relatées t o u t e s les c o n d i t i o n s a u x q u e l l e s il Se s o u m e t d e t r a v a i l l e r , ainsi q u e le p r i x d e son travail p a r j o u r , les h e u r e s q u i d e ­ v r o n t ê t r e e m p l o y é e s , e t c . e t c . , ainsi q u e les p e i n e s p é c u n i a i r e s a u x q u e l l e s il se s o u m e t en cas de contravention. 7°. T o u s les e n g a g e m e n s d o n t il a é t é fait m e n ­ tion s e r o n t é g a l e m e n t écrits p a r t r i p l i c a t a , u n e c o p i e sera d é p o s é e au dossier d e l'individu, aux a r ­ c h i v e s , et t o u j o u r s s i g n é e d u j u g e d e p a i x . 8°. S'il s u r v e n a i t des difficultés e n t r e les p a r t i e s , le titre d é p o s é d a n s les a r c h i v e s , d o n t il serait d o n n é u n extrait c o n f o r m e et légalisé, serait s o u ­ mis aux t r i b u n a u x et ferait foi, 9°. L e s p è r e s et m è r e s libérés p o u r r o n t , s e l o n les d r o i t s d u

C o d e , t r a i t e r , le m a r i , p o u r

la

f e m m e et les e n f a n s , mais s e u l e m e n t j u s q u ' à l'âge d e 17 ans p o u r les g a r ç o n s , et d e 16 a n s p o u r les filles. 10°. La m è r e p o u r r a t r a i t e r d u travail d e ses enfans j u s q u ' à

cet âge s e u l e m e n t , si le

père

n'existait pas ou n'avait pas fait son acte d e r e ­ connaissance selon les lois. 11°. L e juge de paix du c a n t o n sera

obligé


25

d'être

t é m o i n d e t o u s les a r r a n g e m e n s d e s es­

claves c o m m e

leur

t u t e u r ; il spécifiera aussi,

c o m m e t u t e u r o b l i g é , p o u r tous les esclaves sans p a r e n s , et p o u r tous les esclaves sans famille, a v e c des m a î t r e s : alors il a p p e l l e r a à son aide d e u x t é m o i n s . T o u s les actes s e r o n t faits par triplicata p o u r ê t r e d é p o s é s ainsi qu'il a é t é spécifié d a n s les articles p r é c é d e n s . 12°. A u c u n a c t e c o n t e n t i e u x passé e n t r e u n h o m m e libre, de quelque

c o u l e u r qu'il

soit,

b l a n c o u a u t r e , et un esclave l i b é r é , n e sera r e ­ c o n n u en j u s t i c e q u e . . . ( n o n p r é c i s é ) mois a p r è s la p r o m u l g a t i o n d e la loi s u r l ' é m a n c i p a t i o n , à m o i n s qu'il n e soit signé par les p a r t i e s , en p r é ­ sence d u juge de paix, qui devra

contresigner

aussi ladite t r a n s a c t i o n , c o m m e t u t e u r d e s e s ­ claves. 13°. L e s esclaves libérés d e l'un ou l ' a u t r e sexe p r e n d r o n t , suivant l e u r g e n r e d e travail et d e t a l e n t , les titres s u i v a n s , mais s e u l e m e n t à l e u r m a j o r i t é , fixée à 17 a n s p o u r les h o m m e s , et 16 ans p o u r les f e m m e s . A 17 et 16 ans ( m a î t r e o u m a î t r e s s e ) , o u v r i e r , cultivateur, tonnelier,

menui­

s i e r , etc., etc. A v a n t 17 et 16 ans ( a p p r e n t i c u l t i v a t e u r , r a f fineur, etc., etc.


24 14°. L e d r o i t d'infliger des c h â t i m e n s c o r p o r e l s est r e t i r é aux m a î t r e s , p o u r ê t r e a t t r i b u é aux m a ­ gistrats c h a r g é s d e la t u t e l l e des esclaves. 15°. L e s p u n i t i o n s c o r p o r e l l e s q u i s e r o n t i n ­ fligées p a r les m a g i s t r a t s , le s e r o n t p a r j u g e ­ m e n t ; il sera d r e s s é p r o c è s - v e r b a l d e l'exécution en présence de témoins. 16°. T o u t e s les difficultés n é e s et à n a î t r e s e ­ r o n t j u g é e s à v u e d e s pièces p a r les

tribunaux;

le p r o c u r e u r d u r o i , m i n i s t è r e p u b l i c , i n t e r v i e n d r a d e d r o i t c o m m e d a n s les causes d e m i n e u r s . T e l l e s s o n t les bases

principales que

nous

c r o y o n s utile d ' i n t r o d u i r e r e l a t i v e m e n t à la m e ­ s u r e d e l ' é m a n c i p a t i o n d e s esclaves. T o u t e s les p e r s o n n e s q u i c o n n a i s s e n t les c o l o n i e s , savent qu'elles s o n t faciles à a p p l i q u e r .

CHAPITRE V. Quelques réflexions au sujet de la position actuelle des colonies françaises.

Laisser les colonies françaises sous le j o u g des lois qui les r é g i s s e n t a u j o u r d ' h u i en m a t i è r e d'es­ c l a v a g e , vouloir r e t e n i r d a n s les c h a î n e s les e s -


25

claves q u i a s p i r e n t à les b r i s e r , serait faire

des

îles françaises seules d e s oasis d e m a l h e u r et d e d e s t r u c t i o n , a u milieu d ' u n

océan d e

liberté;

vouloir q u e c e u x q u i les a d m i n i s t r e n t , a u n o m d e la m é t r o p o l e , et q u i s o u v e n t n e s o n t p a r v e n u s a u p o s t e é m i n e n t qu'ils o c c u p e n t , q u ' e n se faisant remarquer par un

grand zèle

p o u r la cause d e la

l i b e r t é , a r r i v e n t a u x colonies avec u n saint r e s ­ p e c t p o u r les c h a î n e s d o n t ils o n t m a u d i t l'exis­ t e n c e e n F r a n c e , est sans c o n t r e d i t le s y s t è m e l e plus c o m p l è t e m e n t faux et le p l u s

absurde

q u ' o n puisse i m a g i n e r p o l i t i q u e m e n t ; il d o i t , si on n ' y p r e n d g a r d e , p o r t e r les fruits les p l u s a m e r s et les p l u s s a n g l a n s , et m e n e r à u n e d e s t r u c t i o n prochaine. Il n e faut pas c r o i r e q u e la force p o u r r a r e t e n i r les colonies d a n s les liens d e l'esclavage o ù elles g é m i s s e n t a u j o u r d ' h u i ; cela serait en

recom­

mencer péniblement

p a r le

la c o n q u ê t e , soit

n o m b r e d ' h o m m e s qu'il faudrait y e m p l o y e r , et d o n t les p e r t e s s e r a i e n t c o n s i d é r a b l e s ( 1 ) , soit p a r les c a p i t a u x n é c e s s a i r e s à l e u r e n t r e t i e n . C r o i r e (1) On a toujours compté de 25 à 50 pour 1 0 0 par an, la perte d'hommes des régimens aux colonies de la Martinique et de la Guadeloupe; d'après les états statistiques fournis, elle serait plus considérable encore dans les années où règne la fièvre jaune.


26

aussi q u e p a r des d e m i - m e s u r e s , p a r d e s mezzo

termine

on p a r v i e n d r a i t à a r r ê t e r la m a r c h e a c ­

t u e l l e des c h o s e s s u r la p e n t e r a p i d e o ù elles s o n t e n t r a î n é e s ; qu'il serait possible e n c o r e d e façon­ n e r l'opinion d e s esclaves d e m a n i è r e à n e les faire e n t r e r q u e g r a d u e l l e m e n t , à pas c o m p t é s , et sans a u c u n d a n g e r à la loi d e l ' é m a n c i p a t i o n , m e paraît t o u t aussi i m p o s s i b l e . P o u r r i e z - v o u s le c r o i r e d e b o n n e f o i , v o u s t o u s q u i avez suivi le c o u r s d e n o t r e r é v o l u t i o n et q u i e n avez vu les p h a s e s , q u i connaissez le c œ u r h u m a i n et avez j o u i p e u t - ê t r e o u e n t e n d u p a r l e r d u soleil des Antilles, d e la violence des passions q u i y r è g n e n t ? N o n , v o u s n e le c r o y e z pas. V o y e z d ' a i l l e u r s c o m b i e n le bill anglais é p r o u v e d e difficultés p o u r avoir p l a c é les esclaves d a n s u n e position

mixte,

celle d ' a p p r e n t i s s a g e

pen­

d a n t q u e l q u e s a n n é e s s e u l e m e n t , q u i n'est ni la l i b e r t é d e f a i t , ni l ' e s c l a v a g e ; position qu'ils n e p e u v e n t pas c o m p r e n d r e , et q u i t e n d à a g g r a v e r celle d e s p r o p r i é t a i r e s c o l o n i a u x . Déjà p l u s i e u r s colonies anglaises o n t pressenti les c o m b a t s et les difficultés sans n o m b r e qui d e ­ v a i e n t avoir lieu e n t r e les a p p r e n t i s et les m a î t r e s ; ces p r e s s e n t i m e n s o n t d é c i d é les colonies d ' A n tigues et d e s B e r m u d e s

a u x dispositions

sui-


27

vantes : « A p r è s u n m û r e x a m e n qu'il est juste et » c o n v e n a b l e q u e les esclaves s o i e n t admis i m » m é d i a t e m e n t à tous les avantages d e la liberté ; » n o u s v o u l o n s d o n c , q u ' à d a t e r d u 1er a o û t 1 8 3 4 , » ils s o i e n t t o u s libres d a n s la colonie des B e r » m u d e s , o ù les clauses d u bill relatives à l'ap» p r e n t i s s a g e s e r o n t d e n u l effet, e t c . , e t c . » Si l'on c o m p a r e la t r a n q u i l l i t é d o n t j o u i s s e n t ces d e u x colonies avec l'effervescence q u i r è g n e d a n s les a u t r e s , et q u i d o i t y exister j u s q u ' a u m o m e n t d u c o m p l é m e n t d e la m e s u r e d e l ' e n t i è r e é m a n c i p a t i o n des e s c l a v e s , il sera facile d'asseoir a v e c c a l m e son j u g e m e n t . Il est n a t u r e l d e p e n s e r q u e les h o m m e s q u e les lois p r é p a r e n t à a r r i v e r à la l i b e r t é , c o u r r o n t d e suite au b u t ; qu'ils c h e r c h e r o n t à vaincre t o u s les obstacles et les e n t r a v e s

qu'elles

peuvent

m e t t r e au prix d e l e u r é m a n c i p a t i o n . Q u e l l e sera alors la position f â c h e u s e d u g o u v e r n e m e n t et des p r o p r i é t a i r e s , vis-à-vis des masses q u i a u r o n t é t é mises en m o u v e m e n t ? C e r t e s , il e s t b i e n p l u s s i m p l e d e l e u r faire c o n c e v o i r d e s u i t e les efforts q u e la m é t r o p o l e a faits p é c u n i a i r e m e n t p o u r les r e n d r e à la l i b e r t é , en l e u r m o n t r a n t le

travail

libre c o m m e le m o y e n le plus a s s u r é p o u r c a l ­ mer de suite leur misère.


28

N o u s avons p e n s é qu'il était i n u t i l e d e c r é e r et d'envoyer aux colonies d e nouvelles

autorités

p o u r l ' é m a n c i p a t i o n des e s c l a v e s , p a r c e qu'elles seraient e n b u t t e à u n e infinité d e tracasseries l o ­ cales, n e c o n n a i s s a n t p o i n t le pays, t a n d i s q u e les a n c i e n n e s , et s u r t o u t les j u g e s d e p a i x , sous la surveillance des directeurs de l'intérieur, c o n ­ naissent m i e u x les m o y e n s à e m p l o y e r p o u r par­ v e n i r à ce b u t , et s o n t s u r t o u t familiarisés avec le d é n o m b r e m e n t , base d e c e t t e o p é r a t i o n . N o u s ferons aussi r e m a r q u e r

les motifs qui

n o u s o n t e n g a g é à p o r t e r la m a j o r i t é d e s esclaves à d i x - s e p t a n s p o u r les h o m m e s , et à seize ans p o u r les f e m m e s . A dix-sept a n s , u n h o m m e est p l u s a v a n c é a u x c o l o n i e s , q u ' u n i n d i v i d u d e l'âge d e vingt et u n ans e n E u r o p e . O n c o n n a î t le d é v e l o p p e m e n t p r o ­ digieux q u e p r o c u r e le soleil a u x facultés p h y ­ siques h u m a i n e s . A dix-sept a n s , les i n d i v i d u s s o n t d a n s t o u t e l e u r force. Q u a n t aux f e m m e s , il n ' e s t pas r a r e d e les voir n u b i l e s d e t r è s - b o n n e h e u r e , et m è r e s d e d o u z e à q u a t o r z e a n s . C'est p o u r c e t t e raison q u e n o u s a v o n s fixé à seize ans l e u r m a j o r i t é , ou d u m o i n s le p o u v o i r d e disposer de leur personne. L a disposition q u e n o u s avons p l a c é e à l'art. 12,


29

i n d i q u e assez q u e des a b u s p o u r r a i e n t ê t r e i n t r o ­ d u i t s , dès a u j o u r d ' h u i , e n t r e d e s esclaves et d e s h o m m e s l i b r e s , a v a n t la p r o m u l g a t i o n d e la loi sur l ' é m a n c i p a t i o n a u x c o l o n i e s ; a b u s qu'il est d e t o u t e nécessité d e p r é v o i r , et q u i s e r a i e n t t o u ­ j o u r s au d é s a v a n t a g e d e l'esclave à l i b é r e r . O n d o i t voir avec r e g r e t q u e les h a b i t a n s d e s colonies n ' a i e n t fait p a r v e n i r a u

gouvernement

et au p u b l i c a u c u n plan r e l a t i v e m e n t à l ' é m a n c i ­ p a t i o n des esclaves, qu'ils a u r a i e n t dû p r é v o i r e n e x a m i n a n t le n o u v e a u r é g i m e i n t r o d u i t d a n s les colonies d o n t ils s o n t e n t o u r é s . C e t t e c o u p a b l e o b s t i n a t i o n doit les j e t e r , si la m é t r o p o l e n ' a r r i v e p r o m p t e m e n t à l e u r s e c o u r s p a r u n e sage d é c i ­ s i o n , d a n s d ' i n e x t r i c a b l e s difficultés. Ce

n'est

c e p e n d a n t q u e p a r la sagesse qu'ils m e t t r o n t à se conformer aux p r i n c i p e s ,

q u e les m é t r o p o l e s

a d o p t e r o n t sans d o u t e é g a l e m e n t , qu'elles p o u r ­ r o n t exister p a i s i b l e m e n t . Qu'ils se r a p p e l l e n t s u r t o u t ce vieil a p o l o g u e q u e n o u s a laissé l'esclave E s o p e , q u i instruisait quelquefois les rois et les p e u p l e s ; s u r l e u r s o r t f u t u r , par de hautes pensées morales. A u t e m p s o ù E s o p e n'était e n c o r e q u ' a f f r a n c h i , u n P h r y g i e n , possesseur d e b e a u c o u p d'esclaves, et i n q u i e t s u r son a v e n i r , fut c o n s u l t e r

l'ora-


30

cle d e D e l p h e s . — L e s plaintes d e tes esclaves n e sont-elles j a m a i s p a r v e n u e s à tes oreilles? lui dit l'oracle. — J e n'ai j a m a i s d e s c e n d u m o n a t t e n t i o n assez bas p o u r les é c o u t e r , r é p o n d i t le P h r y g i e n . — « Hé b i e n , reprit l'oracle, prends garde que « l e u r m é c o n t e n t e m e n t n e g r a n d i s s e p a r tes m é » p r i s . Compâtis à l e u r s m a u x , sois j u s t e et a p » p r e n d s , P h r y g i e n , q u ' e s c l a v e t o i - m ê m e d e la » v o l o n t é des d i e u x , si d a n s l e u r b o n t é ils t ' o n t » d o n n é la p u i s s a n c e et la l i b e r t é , ce n'est pas » p o u r en a b u s e r e n v e r s tes s e m b l a b l e s . » M é p r i s a n t les sages conseils d e l ' o r a c l e , p e u d e t e m p s a p r è s , les esclaves é t a i e n t l i b r e s , et le P h r y g i e n d a n s les fers.

FIN.


TA

TABLE DES CHAPITRES.

Pages INTRODUCTION. E R

CHAPITRE I .

I

Situation

des esclaves

aux

colonies

françaises. CHAP.

II.

1

Précautions à prendre pour l'émanci­ pation des esclaves aux colonies fran­ çaises.

CHAP. I I I .

8

Principales dispositions de l'acte passé au mois d'août dernier pour l'éman­ cipation des esclaves noirs dans les colonies anglaises.

CHAP. IV.

14

Modifications à apporter au bill anglais pour l'introduction de l'émancipa­ tion aux colonies françaises.

CHAP.

V.

20

Quelques réflexions au sujet de la posi­ tion actuelle des colonies françaises.

FIN

DE LA TABLE.

24





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