Le pacte colonial : Thèse pour le Doctorat soutenue le 10 novembre 1900, à 9 heures

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LE

PACTE

COLONIAL

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La Faculté n'entend donner a u c u n e approbation

ni

i m p r o b a t i o n a u x o p i n i o n s é m i s e s d a n s les t h è s e s ; c e s opinions leurs

doivent

être c o n s i d é r é e s auteurs.

comme

propres

à


FACULTÉ

DE

DROIT

DE

PARIS

LE PACTE COLONIAL THESE POUR LE DOCTORAT SOUTENUE LE 10 NOVEMBRE 1900, A 9 HEURES Par

M.

JEAN

NORMAND

Avocat à la Cour d'Appel

Président Suffragants...

M . L É V E I L L É , professeur. M . ESTOUBLON, professeur. M. LESEUR, professeur.

PARIS A. P E D O N E ,

ÉDITEUR

LIBRAIRE D E LA COUR D ' A P P E L ET D E L'ORDRE D E S AVOCATS

13, RUE SOUFFLOT, 13 1900



B I B L I O G R A P H I E

ADAM SMITH. — Richesse des Nations. Livre I V , ch. vii. RICARDO. — Principes de l'Économie

politique

et de

l'Impôt.

Ch. xxv. D E CHAZELLES. — Etude sur le système colonial. 1 vol. 1860. PAUL LEROY-BEAULIEU. — La colonisation

SCHÉRER.

chez

les

peuples

e

modernes.

4 édition, 1 vol., 1891. —

Iiisloire

du commerce

de toutes

les nations.

2 vol. 1856. MÉRIVALE. — Lectures on colonization and colonies. 2 vol. 1841. LÉON SAY et CHAILLEY-BERT. — Nouveau dictionnaire nomie politique,

article Système

d'Éco-

colonial.

ISAAC. — Note dans le Journal officiel. Doc. parl. Sénat, sess. ord., 1888, p. 43 et s. PIGEONNEAU. — Histoire du commerce de la France. 2 vol., 1889. La Politique coloniale de Colbert, Annales de l'École libre des sciences politiques, 1886, p. 487 à 509. LÉON DESCHAMPS. — Histoire de la Question coloniale. 1892.

1 vol.

BONASSIEUX. — Les grandes compagnies de commerce. 1 vol. 1982. PAULIAT. – La politique coloniale de l'Ancien régime. 1 vol. 1887. HIERE. — Manuel historique du sustème politique des Etats d'Europe et de leurs colonies, depuis la découverte des deux Indes, 1 vol. 1823.

ROSSI. –

Cours d'Économie politique.

e

4 édition, 4 vol., 1865,

tome II, LEctures xiv, xv et xvi. ASEELEY.

– L'expansion de l'Angleterre. série, lecture iv.

1 vol., 1885, première


— 6— T H . ROGERS. — Interprétation

économique

de l'histoire.

1 vol.,

1892, c h . x v . THOMSON. — Rapport

à la Chambre

des députés,

« Journal

officiel », d o c . parl., s e s s . ord. 1891, p. 877 à 884. TRARIEUX. — Rapport

au Sénat, « Journal officiel », d o c . parl.,

s e s s . extr., 1891, p. 582. PIERRE CLÉMENT. — Histoire

de Colbert et de son

administra-

tion. N o u v e l l e édition, 2 v o l . , 1874. GIRAULT. — Précis

de colonisation

et de législation

coloniale.

1 v o l . , 1895. G R A N D E ENCYCLOPÉDIE. — Article

DISLÈRE. -

Traité de Législation

CAILLET. — De l'Administration Richelieu,

2 v o l . , 1860.

Colonisation.

coloniale.

4 v o l . , 1885-1888.

en France sous le ministère

de


INTRODUCTION

O r i g i n e s h i s t o r i q u e s du P a c t e

colonial.

Les économistes se d e m a n d e n t parfois si les doctrines ne résultent pas naturellement des circonstances de temps et de lieu, de telle sorte que chaque époque voie surgir les théories qui lui conviennent le plus parfaitement et que la recherche de la vérité universelle et constante soit u n p r o b l è m e irréalisable. La réponse est a r d u e ; mais si l'on

envisage

l'influence du milieu contemporain sur la politique des gouvernements, est-il douteux que cette influence soit réelle et décisive ? Or, au m o m e n t m ê m e où la découverte de l'Amérique et les exploits des conquistadors imprimaient à l'expansion du vieux m o n d e u n essor inattendu, l'économie des grands États européens présentait certains caractères, u n e idée particulière de la richesse nationale s'était formée, dont l'empreinte allait m a r q u e r profondément le régime des colonies nouvelles. Le temps n'était plus de cette civilisation féodale, où la vie des sociétés d u r a n t plusieurs siècles avait reposé sur l'économie naturelle. Le Moyen-Age, en effet, cristallisé dans u n e vie locale et en quelque sorte cellulaire, ne connut de l'argent que des usa-


— 8— ges fort restreints : le troc, si exceptionnel de nos jours, se présentait alors c o m m e le m o d e n o r m a l des échanges ; les diverses b r a n c h e s de l'outillage national étaient constituées et entretenues,

dans

l'intérieur de chaque seigneurie, au m o y e n de péages et de corvées ; la terre, la grande richesse de l'époque, était l'objet de concessions payées par de m o diques redevances. e

Au début du xvi siècle, la situation é c o n o m i q u e est toute différente. Sous l'influence de causes diverses, qui agissent alors avec u n e pressante acuité, l'économie monétaire s'est substituée à l'économie naturelle ; l'argent, le métal précieux, p r e n d alors u n e i m p o r t a n c e extraordinaire, et l'opinion publique l'enveloppe d'un si haut prestige qu'elle finit par y voir le bien le plus désirable p o u r u n Etat, la grande richesse, la richesse m ê m e . P o u r c o m p r e n d r e c o m m e n t u n e pareille idée p u t naître et s'imposer à l'esprit des contemporains, il faut jeter un regard en arrière et m o n t r e r que le développement de la puissance royale et les progrès du trafic et de l'industrie y conduisirent c o m m e à u n e conséquence naturelle. E n F r a n c e , en Angleterre, en Espagne, u n e longue suite de rois s'est appliquée, avec u n e persévérance que rien ne décourage, à la démolition de l'édifice féodal ; pièce à pièce, ils l'ont réduit en ruiné ; pas à pas, ils ont étendu les limites de leur pouvoir. A


—9 — l'éparpillement de la puissance politique

succède

une centralisation chaque j o u r grandissante, la notion d'Etat apparaît, il se forme des unités nationales qui prennent conscience d'elles-mêmes. La carte de l'Europe se dessine telle qu'elle restera désormais : la F r a n c e est entrée en possession de ses frontières naturelles par l'acquisition du D a u p h i n é sous Louis XI et de la Bretagne sous Louis XII ; tout au plus les règnes postérieurs l'agrandiront-ils de deux provinces, l'Alsace et la Lorraine. E n 1469, le mariage de F e r d i n a n d d'Aragon avec Isabelle de Castille d o n n e naissance au r o y a u m e d'Espagne. Le Portugal est indépendant depuis 1139 et la royauté s'y est rapidem e n t affermie aux dépens de l'aristocratie et des Cortès. L'Angleterre, maîtresse du pays de Galles, attendra de longues années encore avant de poser la main sur ses deux voisines, l'Ecosse et l'Irlande, mais elle forme déjà, en ses limites relativement étroites, un r o y a u m e puissant et unifié. Cette évolution vers l'unité nationale, cet affermissement continu du pouvoir des rois, ne furent pas sans exiger d'importants sacrifices pécuniaires. Désormais, l'impôt ne peut plus être une ressource exceptionnelle, destinée à la défense

du sol ou à

l'entreprise d'une croisade lointaine; il devient aussi indispensable au soutien des États que la nourriture q u o t i d i e n n e à l'entretien de la vie des h o m m e s . Ce n'est plus en s'armant p o u r son seigneur, en lui


— 10 —

d o n n a n t tous les ans quelques j o u r s de corvée, en supportant de n o m b r e u x péages, que le peuple d'auj o u r d ' h u i acquitte son tribut envers la puissance souveraine ; le fidèle sujet du roi devient contribuable, il se sacrifie p o u r la cause c o m m u n e , n o n plus en payant de ses bras et de son sang, mais en entretenant le trésor royal p a r le paiement de l'impôt. Une grande quantité de n u m é r a i r e est ainsi annuellement enlevée aux mains du peuple ; il vient de naître u n e nouvelle utilité de l'argent et elle g r a n dit sans cesse. Elle s'accentue encore en considération du l'ait suivant : ces sommes si importantes jetées dans le trésor royal seront en majeure partie reversées sur le peuple, mais toutes ne le seront pas ; certaines seront immobilisées. En effet, les rois prirent l'habitude de constituer un trésor, afin de parer à toutes les surprises de la guerre, et q u a n d leur prodigalité n'empêchait pas la constitution de cette p r u d e n t e réserve, il se trouvait q u ' u n e s o m m e considérable de n u m é r a i r e était ôtée de la circulation, et le reste en prenait u n e valeur plus g r a n d e . Ce ne sont pas seulement ces causes politiques qui contribuaient à relever si fort la valeur de l'argent, u n e transformation non m o i n s radicale q u e la p r é cédente s'était opérée dans les conditions de la vie économique. Depuis le Moyen-Age, le c h a m p

du

c o m m e r c e s'était singulièrement élargi ; des rapports


— 11 —

d'échange unissent les points les plus éloignés du territoire ; une division du travail nationale s'établit ; les soieries de T o u r s , les draperies de Troyes, les toiles de N o r m a n d i e et de Bretagne peuvent alim e n t e r toute la c o n s o m m a t i o n française. Bien plus, le c o m m e r c e intérieur ne suffit plus à l'activité de certains peuples qui étendent leurs débouchés au delà des frontières; les bijoux et la verroterie de Venise se r é p a n d e n t sur tous les m a r c h é s de l'Europe, ainsi que les soieries de Florence et les fins tissus de laine des villes néerlandaises et allemandes. Enfin, les croisades avaient implanté l'influence occidentale dans les régions asiatiques, et il s'en suivit u n c o m m e r c e si actif qu'il permit à Jacques C œ u r de réaliser sa prodigieuse fortune et fit de la République de Venise u n Etat plus riche que les grands royaumes. Une pareille extension de la surface des échanges, u n tel gonflement de leur volume a r e n d u le troc désormais impossible; le n u m é r a i r e s'affirme c o m m e l'aliment indispensable des opérations commerciales. Or, au m o m e n t de la découverte de l'Amérique, le stock monétaire ne dépassait pas, en E u r o p e , u n e valeur de 800 millions, la m ê m e quantité qui existait sous le règne de Charlemagne. Et rien ne venait remédier à la difficulté de cette situation, ni la rapidité de la circulation, ni le développement du crédit. Le transport de grosses s o m m e s d'argent était alors


— 12 —

une opération pleine de dangers ; aussi, les négociants avaient-ils coutume de réaliser leurs a p p r o visionnements à certaines époques fixes de l'année, en de grandes foires dont le souvenir est resté célèbre, à Beau caire et à Lyon, à Francfort et à Leipsig, à Sinigaglia, à Nijni-Novgorod ; ils s'y rendaient en caravanes nombreuses, en état de se défendre, et sur la sécurité desquelles les rois prenaient soin de veiller. E n ce qui concerne le crédit, la lettre de change avait xiii

e

été imaginée

dans le courant

du

e

siècle, mais c'est seulement au xvii siècle que

l'on prit l'habitude d'y insérer la clause à ordre et q u ' u n grand n o m b r e de dettes p u r e n t être libérées par un seul paiement. Qu'une semblable situation dût avoir une influence considérable sur le régime des colonies nouvellement découvertes, c'est là une vérité qui apparaît e

d'elle-même. A la fin du xv siècle, l'impôt, les trésors de guerre, les besoins du c o m m e r c e , tout d e m a n d e du n u m é r a i r e , et la nation la plus riche est celle qui en possède davantage. Or, il se trouva j u s tement que les premières contrées où abordèrent les navigateurs, cachaient, enfouies d a n s leur sol, d'énormes richesses minières ; ainsi en fut-il

du

Mexique, que le voyage de Christophe Colomb acquit à l'Espagne, et de m ê m e du Brésil, où Cadral fit flotter le drapeau du roi de Portugal. « Lorsque Christophe Colomb revint en E u r o p e et qu'il fut


— 13 —

présenté en grande p o m p e à la cour de Castille, ce qui frappa le plus agréablement ses illustres hôtes, dit Blanqui, ce fut une collection de lames d'or, de bracelets d'or, de morceaux d'or mêlés à quelques balles de coton qu'il apportait avec lui des pays nouvellement

découverts. F e r n a n d Cortez et Pizarre

ne

cherchèrent pas autre chose dans leurs audacieuses expéditions au Mexique et au P é r o u , et l'on sait quelle fut leur surprise et leur joie à la vue des trésors qu'ils allaient conquérir. C'est l'amour de l'or qui a conduit ces courageux flibustiers aux extrémités du m o n d e et qui leur a fait s u r m o n t e r les plus formidables obstacles. P a r t o u t où ils mettaient le pied, ils demandaient des nouvelles de l'or, et ils se 1

r e m b a r q u a i e n t lorsqu'il n'y en avait pas à r a v i r . » Avec quelle ardente cupidité les rois d'Espagne et de Portugal allaient se jeter sur ces régions merveilleuses, productrices du précieux métal dont l'Europe était si indigente ; avec quel exclusivisme j a l o u x ils allaient se réserver la jouissance de ces trésors inestimables dont la fortune venait de les combler. Désormais, se disent-ils, nous s o m m e s les princes les plus puissants de la terre, car aucun de nos rivaux ne pourra entretenir d'aussi fortes armées, ni soutenir de guerres aussi l o n g u e s ; nul peuple ne sera aussi riche que le nôtre, car aucun ne possédera en telle a b o n d a n c e l'or et l'argent, qui achètent tous 1

Blanqui, Histoire

de l'Economie

politique,

p . 210.


14

les autres biens. Un instant, on put croire que ces orgueilleuses

espérances

se réaliseraient.

On vit

Charles-Quint r é u n i r sous sa domination le plus vaste empire que l'Europe ait connu depuis Charlemagne ; on vit le Portugal, malgré les proportions exiguës de son territoire, devenir u n e puissance p o litique de p r e m i e r o r d r e . Les autres nations, contemplatrices jalouses d'une si haute prospérité, se d e m a n d a i e n t si leur mauvaise fortune ne les condamnait pas à une infériorité i r r é médiable. De quelle m a n i è r e attirer chez soi l'or et l'argent du Portugal et de l'Espagne ? c'est le p r o blème de l'époque, et les plus habiles esprits, politiques et économistes, s'efforcent de trouver u n e rée

ponse. Il faut attendre j u s q u ' a u début du xvii siècle p o u r rencontrer sur ce point u n e systématisation bien nette des idées. En 1613, l'Italien Antonio Serra fait paraître u n ouvrage avec ce titre : Bref traité des causes qui peuvent faire abonder l'or et l'argent dans les royaumes

dépourvus

1

de mines .

Le problème

est nettement posé ; examinons c o m m e n t l'auteur le résout. Ces causes, d'après Serra, se subdivisent en deux groupes : les artificielles propres, qu'il n'est pas possible de créer, ce sont l'excédent naturel des produits de la terre sur les besoins de la

consom-

mation indigène et une position géographique favo1

Breve

trattalo

delle

regno d'oro e d'argenteo

cause

che possono

dore non sono

fare

miniere.

abbondare

li


— 15 — rable au c o m m e r c e ; d'autre part, les artificielles c o m m u n e s , que l'on peut chercher à réaliser, ce sont le n o m b r e des manufactures, la qualité de la population, le grand trafic et l'aide du gouverne1

m e n t . L'idée nouvelle a germé : la plus sûre garantie de l'enrichissement d'un État réside dans le développement de ses manufactures et de son c o m merce, développement auquel

ne doivent

rester

étrangères ni l'initiative des particuliers, ni la sollicitude des gouvernements. Ainsi naquit le système mercantile des besoins de l'économie c o n t e m p o r a i n e , et le règne en devint universel dès qu'il sortit du cerveau des penseurs. A r d e m m e n t et rigoureusement, les nations m i r e n t tous leurs efforts à faire affluer chez elles l'or et l'argent de l'étranger, elles s'armèrent de la plus étroite réglementation du c o m m e r c e international. Vendre plus qu'elles n'achètent est la règle s u p r ê m e de leur politique : on ne d e m a n d e r a à l'étranger que les matières premières indispensables sur lesquelles s'exerce l'industrie nationale, et on lui cédera le moins possible celles que le sol p r o d u i t ; mais en revanche, on cherchera par des tarifs habilement disposés à lui vendre le plus possible de produits manufacturés chez soi sans importer aucun des produits manufacturés chez lui. Aurez-vous, à la fin de l'année, plus vendu qu'acheté, vous aurez plus d'argent, la ba1

Cf. E s p i n a s , Histoire

des doctrines

économiques,

p . 143.


— 16 —

lance du c o m m e r c e sera en votre faveur ; si vous avez plus acheté que v e n d u , votre richesse sera diminuée d ' a u t a n t . Quelle ne sera pas l'utilité des colonies dans u n e telle conception de la politique commerciale? Même si la nature ne les doua pas des trésors miniers du Mexique et du P é r o u , encore peuvent-elles contrib u e r de toute autre manière à l'enrichissement de la métropole. Il y a deux conditions à la balance favorable : le bas prix de la matière p r e m i è r e et l'amplitude des débouchés. Eh bien, par suite de la différence de leur climat, les colonies fournissent justement à la métropole les plus précieuses des matières premières, celles que les terres d'Europe ne sauraient p r o d u i r e ; l'éloignement et la nouveauté de e

ces productions coloniales, au début du xvii siècle, n'ont pas permis de les faire entrer dans la consommation courante, ce sont des marchandises de haut luxe, et le pays qui aura le monopole de leur m a nufacture p o u r r a réaliser de

très gros bénéfices.

D'autre part, q u a n d elles auront grandi et fait leurs premiers pas dans la civilisation, les colonies pourront enrichir la métropole de leur or, elles deviendront les meilleures clientes de l'industrie nationale, si l'on a soin de leur interdire tout achat de fabrications étrangères, et elles contribueront p o u r leur part au développement des exportations métropolitaines.


— 17 — Aussi peut-on dire avec Storch q u e c'est le système mercantile « qui a présidé à la formation des colonies, dans le but de d o n n e r à la métropole la jouissance exclusive de leur commerce et de les c o n traindre à s'adresser u n i q u e m e n t aux m a r c h é s de la métropole

1

».

E n dehors de toute influence des idées m e r c a n tiles, i n d é p e n d a m m e n t

de toute recherche de la

suprématie politique, l'Europe trouvait une raison nouvelle à l'exploitation de ses colonies

dans le

besoin de plus en plus général qu'elle ressentait des productions exotiques. Au contact des brillantes civilisations italiennes, la vie des cours et des grands seigneurs s'étail singulièrement affinée : ce

n'est

plus seulement c o m m e métal précieux, c o m m e le bien qui achète tous les autres, que les h o m m e s de la Renaissance désirent la possession de l'or et de l'argent, c'était aussi c o m m e la riche et artistique matière où s'incrustent les imaginations de l'orfèvre; et q u a n d ils recherchent avec tant d ' a r d e u r les productions coloniales, ils y voient

non

seulement

l'instrument d'une balance favorable, mais la source de jouissances délicates et subtiles, dont ne peut plus se passer le goût aiguisé des générations n o u velles. C'est l'apparition d u 1

Cf. Dictionnaire

de l'Economie

luxe politique,

dans la société de Coquelin et

Guillaumin, article SYSTÈME MERCANTILE. Cp. Adam Smith, Richesse des Nations, NORMAND.

édition G. Garnier, t o m e II, p. 31. 2


— 18 —

m o d e r n e . « Désormais, la vie d u r e et grossière du donjon féodal était laissée aux gentilshommes campagnards, aux pauvres

bannerets.

Les rois,

les

princes, les grands seigneurs, leurs vassaux, leurs courtisans, ainsi que les familles des grands b a n quiers, des grands commerçants, des grands m a n u facturiers, les chefs des villes libres, des corporations puissantes, les dignitaires de l'Eglise, voulaient à tout prix les perles, les pierreries, les métaux p r é 1

cieux, les étoffes, les parfums de l'Orient . » P o u r une d e m a n d e aussi considérablement élargie, l'offre allait devenir bien étroite, qui dérivait u n i quement des m a r c h é s des villes italiennes et des bazars fastueux de l'Espagne m a u r e s q u e .

Encore

cette dernière source pouvait-elle à tout m o m e n t se tarir, tant la lutte de l'Evangile avec le Coran devenait de plus en plus acharnée, tant elle menaçait de rejeter bientôt les Arabes sur la terre d'Afrique, d'où ils avaient fait irruption au cours de la

période

troublée du Moyen-Age. Aussi avec quelles espérances merveilleuses les peuples de l'ancien m o n d e accueillirent la nouvelle de la découverte de l'Amérique et de l'heureuse réussite des expéditions portugaises dans l'Inde. L e u r imagination, déjà exaltée par les récits des croisés, des missionnaires et de quelques voyageurs, se laissa aller aux plus étonnantes c h i m è r e s ; elle se représenta 1

Rossi, Cours d'Economie

politique,

les contrées

tome I I , p. 327.


— 19 —

nouvelles c o m m e u n dépôt inépuisable de richesses, c o m m e u n i m m e n s e trésor qui n'attendait

qu'un

maître ; elle bâtit de toutes pièces u n E l d o r a d o fantastique, où les palais i n n o m b r a b l e s et le sol lui1

m ê m e étaient d'or, d'argent et de p i e r r e r i e s . L'on eût dit q u ' u n e ère nouvelle allait c o m m e n c e r , où la vie des h o m m e s serait aussi douce et aussi h e u r e u s e qu'avait été morose et troublée l'existence

de

la

société du Moyen-Age. Un semblable état des esprits conduisit tout n a t u rellement à l'établissement d'un m o n o p o l e rigoureux et jaloux. Chaque nation voulut posséder son E l d o r a d o , et le posséder p o u r elle seule; chaque nation prétendit assurer sa jouissance exclusive des denrées qui couvraient les terres où avaient a b o r d é ses explorateurs. Ce fut là u n e puissante raison accessoire

de l'établissement

du

pacte

colonial;

mais la raison capitale et impérieuse d e m e u r e celle que nous avons d'abord exposée, c'est-à-dire l'influence des théories mercantiles. P a r l'effet de cette double cause, les nations européennes étendirent la m a i n sur les territoires que la libre initiative de leurs sujets avaient découverts et conquis. Elles ne p u r e n t pas s'élever à la conception m o d e r n e de la colonisation, qui voit dans les colonies u n prolongement de la métropole, un vaste e

c h a m p ouvert à l'émigration; au xvi siècle, les mé1

Cf. Ad. Smith, op. cit., t o m e I I , p. 172.


— 20 —

tropoles étaient loin d'offrir une population pléthorique et elle ne virent pas autre chose dans les colo1

nies q u ' u n objet facile d'exploitation lucrative . Elles les assujettirent avec toute la rigueur que pouvait comporter

l'exercice

sans frein de l'absolutisme

m o n a r c h i q u e , chez des sociétés jeunes où n'avaient encore eu le temps de se dresser en face du pouvoir royal ni des privilèges traditionnels, ni les droits séculaires de la noblesse et du clergé. Au point de vue économique, le résultat de cet absolutisme fut le pacte colonial. 1

Cf. Seeley, L'Expansion

de l'Angleterre,

p. 78.


PREMIÈRE

PARTIE

EXPOSÉ THÉORIQUE DU

CHAPITRE PREMIER. -

SYSTÈME.

L e s cinq r è g l e s

du P a c t e c o l o n i a l . Le pacte colonial ne fut pas un pacte. E n effet, on ne trouve là ni cette égalité des parties, ni cette pleine liberté du consentement qui caractérisent les véritables contrats. La métropole se présente avec tout le prestige de la conquête et d'une civilisation vieille de plusieurs siècles; les colonies sont des populations vaincues, à moitié décimées p a r l'invasion des E u r o p é e n s et retenues encore sous l'enveloppe grossière des m œ u r s primitives. L'idée de traiter d'égal à égal avec des h o m m e s d'une autre race, d'une autre langue, et qu'on regardait c o m m e des infidèles avec lesquels on n'avait rien de c o m m u n , pas m ê m e la couleur, cette idée ne peut pas venir aux fiers contemporains de Charles-Quint et de Louis XIV. Le plus souvent, il est vrai, les habitants des colonies ne sont ni des sauvages ni des étrangers, mais des fils m ê m e s de la race métropolit a i n e ; n é a n m o i n s , la conception mercantile d e m e u r e


— 22 —

inflexible et s u b o r d o n n e tous leurs droits à l'intérêt de la métropole ; en vérité, l'on dirait que par le fait de leur expatriation, ils subissent u n e sorte de capitis demimitio,

qui les dépouille des libertés les plus n a -

turelles à leurs frères d ' E u r o p e . Aussi les colonies ne furent m ê m e pas consultées ; la métropole parla en maîtresse et se fit obéir. Mais si elle entendit d e m e u r e r seul juge du traitement applicable aux colonies, elle ne fut ni assez tyrannique, ni assez inhabile p o u r ne pas leur accorder la réciprocité de certains avantages. « G o m m e , à l'honn e u r du genre h u m a i n , dit M. Paul Leroy-Beaulieu, si égoïste que soit un peuple, il ne c o m m e t guère d'injustice sans la pallier par u n e compensation au moins apparente, en échange des privilèges que les mères-patries prenaient de vive force dans leurs rapports avec les colonies, elles ont consenti au profit de celles-ci à se charger également de chaînes et à 1

s'imposer de réels et importants sacrifices . » Ce qu'il importe de r e m a r q u e r , c'est que cette concession fut de la part des métropoles une p u r e libéralité ; aussi n'est-ce pas sans raison que

certains

écrivains préfèrent la d é n o m i n a t i o n de système c o lonial, qui a l'avantage de ne comporter

aucune

apparence contractuelle. P a r le fait de ces stipulations réciproques, la m é 1

Cf. Paul Leroy-Beaulieu, Colonisation dernes, 4 édition, p. 717. e

chez les peuples

mo-


— 23 —

tropole et ses colonies ne forment plus q u ' u n m ê m e système économique contre l'étranger. Les théories mercantiles enseignent que la prospérité d'une n a tion ne peut s'établir qu'aux dépens de la prospérité des nations rivales ; l'étranger, voilà l'ennemi ; arracher son or sans lui livrer le nôtre, tel est désormais le but suprême de la politique, telle est l'œuvre à laquelle les colonies seront obligées de participer dans u n c o m m u n effort avec la métropole. Le pacte colonial ne fut pas un pacte, mais une alliance forcée. Ce système de lutte aboutit à l'établissement des cinq règles suivantes : 1° Toutes les productions coloniales seront exportées vers la seule métropole ; 2° Les colonies ne p o u r r o n t acheter leurs articles de fabrication que dans la seule m é t r o p o l e ; 3° Les colonies ne p o u r r o n t pas avoir de manufactures ; 4° La métropole ne d e m a n d e r a de denrées coloniales qu'à ses seules possessions ; 5° Enfin, la m a r i n e métropolitaine a u r a le privilège des transports entre les colonies et la m é t r o p o l e , ainsi que de

l'intercourse

coloniale. Il est facile de voir p a r l'énumération de ces cinq règles que la quatrième p o u r le moins fut prise dans une intention favorable aux colonies, investies p a r elle d'un monopole d'ailleurs bien c h è r e m e n t acheté par un q u a d r u p l e asservissement à la m è r e patrie. L'une après l'autre, nous examinerons ces règles diverses dans leur formule essentielle et dans les mesures qui assurèrent leur application.


— 24 — E n premier lieu, c'est seulement vers la métropole que les productions coloniales p o u r r o n t être exportées. L'or, l'argent, les épices, les pelleteries, le coton, les bois d'ébénisterie, toutes ces richesses jetées à profusion par un sol encore vierge, n ' a u r o n t d'autre débouché que le m a r c h é métropolitain, où l'on attend d'elles une double utilité ; elles iront assurer la suprématie de l'industrie nationale, pourvue p a r elles de matières premières ignorées des pays voisins ou qu'ils ne possèdent pas en si h a u t e a b o n d a n c e ; elles serviront à fabriquer des m a r c h a n dises précieuses et rares, que l'on s'arrachera sur les m a r c h é s de l'étranger et dont le c o m m e r c e

fera

affluer dans la métropole le métal précieux, sup r ê m e source de la puissance des nations ; souvent m ê m e , c'est à l'état brut que les productions coloniales seront exportées dans les pays m o i n s favorisés par l'heureuse fortune des découvertes ou de la conquête ; mais cette cession n'aura lieu qu'au prix le plus élevé, et ce nouveau c o m m e r c e contribuera, ainsi que le premier, au plus haut enrichissement de la métropole. D'autre part, la diffusion dans la froide E u r o p e de ces productions des terres ensoleillées agrémentera d'un c h a r m e inconnu la vie des classes aristocratiques, elle d o n n e r a u n e satisfaction nouvelle à l'infinie

chaque j o u r multiplication

des besoins, et bientôt elle o r n e r a les simples existences bourgeoises

d'un luxe et d'un

confortable

ignorés jadis de Charlemagne et de Saint-Louis.


— 25 — Si tels sont les besoins de la m é t r o p o l e , il a p p a r a î t avec évidence q u e , p o u r elle, u n e colonie n ' a p p o r tera de véritable utilité q u ' a u t a n t qu'elle p o u r r a lui offrir une p r o d u c t i o n c o m p l é m e n t a i r e de la p r o d u c tion e u r o p é e n n e ; bien loin d'être utile, elle deviendrait u n e

redoutable

concurrente

si la

douceur

d'un climat t e m p é r é lui p e r m e t t a i t de p r o d u i r e le blé de nos plaines et les a r b r e s de nos forêts ; alors, il n'y a u r a pas

d'oppression

trop t y r a n n i q u e ,

ni

d'entrave trop puissante p o u r a r r ê t e r le d é v e l o p p e m e n t de cette colonie funeste. Arrive-t-il q u e la fertilité de son sol et l'intelligente application de la m a i n - d ' œ u v r e jette sur les quais de nos ports u n e quantité de p r o d u i t s coloniaux s u p é r i e u r e aux exigences de la c o n s o m m a t i o n m é t r o p o l i t a i n e et d u c o m m e r c e étranger, en telle occurrence les gouvernem e n t s ne c r a i n d r o n t pas d'en venir aux m e s u r e s extrêmes ; le superflu de la p r o d u c t i o n sera détruit p a r le feu, ou, tout au m o i n s , l'on arrêtera, p a r des p r o hibitions formelles, le d é v e l o p p e m e n t de la mise en culture. C'est qu'il ne faut p a s q u e l'engorgement des colonies les incite à c h e r c h e r ailleurs q u ' e n la m é t r o p o l e u n d é b o u c h é p o u r leur p r o d u c t i o n surabondante. La seconde règle du pacte colonial défend aux colonies toute i m p o r t a t i o n d'articles de fabrication étrangère. Aussi vieille q u e la p r é c é d e n t e , cette r e s triction allait d u r e r plus longtemps encore ; fait qui


— 26 — ne saurait s u r p r e n d r e , si l'on n'oublie pas que la politique commerciale de l'Europe était alors universellement dominée par les principes mercantiles. Acharnée à la poursuite d'une balance favorable, chaque nation s'était i m b u e du chimérique espoir de n'acheter à ses voisines que les matières premières utiles à son industrie, et de verser chez elles, aussi largement que possible, les produits de sa fabrication. De la sorte, les intérêts des nations diverses s'opposaient entre eux, et l'une ne pouvait s'enrichir que p a r l'appauvrissement de l'autre. Ce fut alors une véritable lutte p o u r la vie ; les p r o h i bitions engendrèrent les prohibitions ; ce ne furent plus que barrières entre états au sujet de l'importation des objets fabriqués, et c o m m e chacun se d é fendait avec la dernière énergie, les efforts de l'un parvenaient à annihiler les efforts de l'autre. Mais, dans son c o m m e r c e avec les colonies, la métropole n'avait plus affaire à des nations souveraines, libres d'agir au gré de leurs intérêts et d'opposer à sa politique prohibitive u n e politique semblable. Ici, la métropole a devant elle une esclave soumise, hors d'état de se défendre : elle o r d o n n e . Aussi ne manque-t-elle pas de profiter d'une situation si favorable p o u r s'assurer autoritairement le bénéfice

d'un commerce actif avec ses colonies.

Telles furent les dispositions qui engendrèrent la seconde règle du pacte colonial, c'est-à-dire l'obliga-


— 27 —

tion pour les colonies de s'approvisionner d'objets fabriqués exclusivement chez la métropole. Il faut lire à ce sujet les « instructions » adressées par le roi de F r a n c e , le 25 janvier 1765, aux gouvern e u r et intendant de la Martinique,

instructions

dont le principal inspirateur avait été, dit-on, u n colon de cette île. 11 s'y trouve n o t a m m e n t les p a s sages suivants, qui expriment parfaitement la règle que nous étudions. « Les colonies fondées p a r les diverses puissances de l'Europe ont toutes été établies p o u r l'utilité de leur m é t r o p o l e . . . Telle est, en effet, la véritable utilité des colonies : elles n'ont dû être instituées que p o u r opérer la c o n s o m m a t i o n et le débouché des produits de la métropole, parce que la mesure de la consommation est la m e s u r e du travail, puisque la m e s u r e du travail est celle de la population et de la richesse, et q u e la richesse d'un État n'est que le résultat du n o m b r e et de la richesse de ses habitants... Elles doivent être tenues dans le plus grand état de richesse possible et sous la loi de la plus austère prohibition, en faveur de la métropole. Sans l'opulence, elles n'atteindront point à la fin ; sans la prohibition, ce serait encore pis : elles m a n q u e r a i e n t également leur destination, et ce serait l

au profit des nations rivales . » Certes, tant q u ' u n e colonie est encore d a n s l'enfance, tant q u ' u n e large immigration de la métropole 1

Cf. Isaac, J. Off., D o c . parl., Sénat, s e s s . ord., 1888, p. 43.


— 28 — n e l'a pas couverte d'habitants, l'on ne peut guère espérer d'elle q u ' u n c o m m e r c e passif ; elle est, en effet, bien plus capable de vendre que d'acheter. Mais, peu à p e u , l'exportation de ses produits en E u r o p e augmente sa prospérité ; des troupes n o m breuses d'Européens, fuyant les persécutions ou simplement guidés p a r l'esprit d'aventure, viennent y c h e r c h e r fortune, et ainsi sont jetés en ces terres prolifiques les germes d'une population r a p i d e m e n t progressive. C'est alors que la colonie peut être initiée à la civilisation de ces vieux pays d'où sortirent ses fondateurs, c'est alors que ses besoins s'affinent et se multiplient et qu'elle est susceptible d'ouvrir u n débouché de p r e m i e r o r d r e à l'industrie métropolitaine. Et, c o m m e

disent

les « instructions »

citées à l'instant, plus la colonie sera riche et plus grande sera son utilité, plus elle exportera vers la métropole et plus elle sera capable de lui acheter. La m ê m e pensée présida à l'établissement de la troisième règle du pacte colonial. Dans son désir d'accroître les débouchés de son industrie, il ne suifit plus à la métropole de défendre ses manufactures contre la concurrence étrangère, elle voulut encore les protéger contre la concurrence m ê m e des colonies. Cette règle est sans doute l'application la plus rigoureuse qu'ait j a m a i s connue le système m e r c a n tile. La plupart des productions coloniales sont des matières premières, elles sont aisément

transfor-


— 29 — niables et peuvent d o n n e r lieu à l'établissement de manufactures sur les lieux m ê m e s où on les recueille. Il importe peu : les colonies ne sont pas autre chose que des débouchés et rien de ce qui peut atténuer ce caractère primordial ne doit être admis ; suivant le mot de lord Chatham, les colonies ne p o u r r o n t rien manufacturer,

pas m ê m e s un clou

ou u n fer à

cheval. Des règles aussi oppressives seraient bien vite d e venues tout à fait insupportables si la

métropole

n'avait eu soin d'accorder à ses colonies u n e compensation au m o i n s relative. Ce fut l'objet de la quatrième règle du pacte, d'après laquelle la m é t r o pole s'engageait à ne pas importer de denrées coloniales, soit de contrées soit de colonies étrangères. Cette règle était d'ailleurs une application nouvelle, et non moins logique que les précédentes, des tendances de la théorie mercantile : il faut éviter toute opération susceptible de favoriser l'étranger; or, si on lui achète des productions coloniales, on p a r t i cipe à l'établissement de son commerce actif, et la. métropole aime mieux se priver d'une transaction avantageuse plutôt que de contribuer à l'enrichissem e n t des nations rivales. De telle sorte que la m é t r o pole, alors m ê m e qu'elle paraissait faire u n e libéralité, travaillait encore à la satisfaction de ses propres intérêts. Et puis, la règle offrait-elle u n e compensation véritable? Pas tout à fait, car tandis que la m é -


— 30 — tropole importait ses m a r c h a n d i s e s aux colonies avec u n e entière franchise, elle se réserva p o u r elle-même le droit de taxer les productions coloniales à leur entrée dans ses ports, et il en résulta p o u r le budget des finances u n e source de revenu d'autant plus n o table que le goût des denrées coloniales pénétrait plus avant d a n s les diverses classes de la société. La dernière règle est celle qui p r o h i b e le transport des m a r c h a n d i s e s en destination ou en p r o v e n a n c e des colonies a u t r e m e n t q u e sur les vaisseaux de la m é t r o p o l e . Cette règle puise son utilité à la m ê m e source q u e les précédentes, c'est-à-dire d a n s les principes du système mercantile. E n effet, ce m o n o pole de transport sera p o u r la métropole la

source

d'importants bénéfices ; aussi bien que la vente et l'achat de m a r c h a n d i s e s , il lui p e r m e t t r a d'obtenir u n e balance favorable et d'accroître l'abondance de son stock de métal précieux. D'autre part, j a m a i s e

e

plus vivement q u ' a u xvi et au xvii siècle, les États ne sentirent c o m b i e n l'existence d'une forte m a r i n e importait

à leur g r a n d e u r : ce ne fut pas seulement

sur les c h a m p s de bataille d ' E u r o p e que se d é n o u è rent les sanglantes rivalités des rois, ce fut dans les océans lointains de l'autre

aussi

hémisphère,

d a n s les parages des Indes orientales et occidentales. Dès lors, u n pays ne pouvait songer à la s u p r é m a t i e politique, s'il n'apportait pas au service de ses p r é tentions le secours de Hottes redoutables, c'est-à-dire


— 31 — de vaisseaux solides et bien a r m é s , m o n t é s p a r des h o m m e s r o m p u s à tous les dangers de la navigation. Or, quel meilleur apprentissage de la guerre m a r i time que ces longs voyages d ' E u r o p e aux colonies, où le matelot devait c h a q u e j o u r payer de courage et b r a v e r la m o r t , d a n s sa lutte avec les flots, les pirates et les étrangers. Grande fut d o n c la sollicitude des nations e u r o p é e n n e s p o u r leur m a r i n e ; elles lui accordèrent u n m o n o p o l e , qui était d'ailleurs le c o u r o n n e m e n t logique et inévitable du pacte c o lonial : les, autres règles du système étant admises, celle-ci devait suivre n a t u r e l l e m e n t c o m m e garantie de leur exécution; car n'eût-ce pas été ouvrir les portes toutes larges à la c o n t r e b a n d e que de permettre aux bâtiments étrangers de se livrer à l'intercourse coloniale et au trafic entre les colonies et la m é t r o p o l e ? Les cinq règles du pacte colonial étaient toutes dirigées vers ce but u n i q u e : l'exclusion de l'étranger. Une police des m e r s aussi rigoureuse que p o s sible assurait cette exclusion. E n tous t e m p s , des navires fortement a r m é s croisaient dans les parages coloniaux; les navires m a r c h a n d s

eux-mêmes

se

hérissaient de canons et poursuivaient sans répit les fraudeurs, auxquels était réservé le traitement des pirates. Les ingénieurs de la fin du xv e

ceux du xvi s'efforcèrent

e

siècle et

de concilier les qualités

diverses qu'exigeait une telle destination de la m a -


— 32 — rine : la vitesse, la solidité et les m o y e n s de défense. Leurs recherches aboutirent à la création de trois types de navires, qui r e m p l a c è r e n t les nefs et les galères du Moyen-Age. Ce fut d'abord la c a r r a q u e , véritable forteresse flottante, « avec sa

structure

massive, ses flancs a r r o n d i s , sa vaste cale, ses q u a t r e ou cinq étages de ponts, ses é n o r m e s châteaux d'arrière et d'avant,

sa puissante voilure qui peut à

peine ébranler sa lourde masse ». Le galion essaya « d ' e m p r u n t e r à la galère ses formes élancées et sa rapidité, à la nef sa stabilité et ses dimensions plus imposantes ». Enfin, la caravelle, à la c o q u e légère et aux larges voilures, fut « u n navire de course, facile à m a n i e r , p o u v a n t au besoin r e m o n t e r les rivières, fait p o u r les expéditions h a r d i e s et poul1

les coups de m a i n » . C a r r a q u e s , galions

et caravelles exercèrent la

plus étroite surveillance sur les m e r s qui baignaient les colonies; et q u a n d un navire d'une puissance étrangère osait s'y a v e n t u r e r , m a l h e u r à lui s'il n'était pas a r m é p o u r se défendre, car son équipage ne devait pas attendre d'autre t r a i t e m e n t q u e la m o r t ; si le navire était capable de résistance, alors s'engageait l'une de ces batailles a c h a r n é e s , qui ont m a r q u é d ' u n e tache de sang l'histoire du pacte colonial. Les métropoles agirent avec tant de r i g u e u r 1

Cf. P i g e o n n e a u , Histoire

2, p. 107.

du commerce

de la France,

tome


— 33 —

dans le maintien de leur privilège, q u e le fait n'est pas sans exemple de navires jetés sur les rivages d ' u n e colonie p a r les h a s a r d s d'une t e m p ê t e , et dont l'équipage fut impitoyablement massacré. Telles furent les cinq règles du pacte colonial dans leur primitive rigueur. Il s'agit m a i n t e n a n t d'examiner leur influence sur la prospérité de la métropole et des colonies.

CHAPITRE II. — C o n s é q u e n c e s

économiques

du P a c t e c o l o n i a l . Les conséquences é c o n o m i q u e s du pacte colonial peuvent être examinées à u n double point de vue, en tant qu'elles influèrent sur la prospérité de la métropole et sur la prospérité des colonies. 1°. — SUR LA MÉTROPOLE.

Dès l'abord, il semble que les métropoles ne pouvaient retirer que des avantages d'un régime dont leur égoïsme avait mis tant de soin à c o m b i n e r tous les rouages. On s'imagine difficilement que l'Europe ait, p e n d a n t deux siècles, enserré ses colonies d a n s u n d u r réseau de réglementations vexatoires, p o u r l'unique plaisir d'exercer u n e vaine tyrannie ou d a n s la r e c h e r c h e d'avantages entièrement illusoires. Et certes, les denrées que l'on réservait au m a r c h é NORMAND.

3


— 34 —

métropolitain ou qui ne pouvaient être transportées chez les autres nations q u ' a p r è s avoir touché le sol de la mère patrie, devaient revenir m o i n s cher d a n s la métropole que partout ailleurs. Cette métropole était là

en possession d'un

très

réel

avantage.

1

« Cependant, r e m a r q u e A d a m S m i t h , on trouvera peut-être que cet avantage devrait plutôt passer p o u r ce que l'on peut appeler un avantage relatif que p o u r un avantage absolu, et que la supériorité qu'il d o n n e au pays qui en jouit consiste m o i n s à faire m o n t e r le produit et l'industrie de ce pays au-dessus de ce qu'ils seraient naturellement d a n s le cas où le commerce serait libre, qu'elle ne consiste à rabaisser l'industrie et le produit des autres pays au-dessous de ce qu'ils seraient sans cette restriction. » Et le g r a n d économiste nous m o n t r e que l'Angleterre, p a r le fait de son m o n o p o l e sur les tabacs du Maryland et de la Virginie, se procurait cette m a r c h a n d i s e à meilleur prix que la F r a n c e qui l'achetait de l'Angleterre; c'est ainsi qu'elle jouissait d'un avantage relatif. Mais si l'on avait r e n d u libre le c o m m e r c e du Maryland et de la Virginie, la création de nouveaux débouchés aurait développé la production du tabac d a n s des p r o p o r t i o n s

impos-

sibles à calculer, elle aurait r a m e n é les profits de la plantation « à leur niveau naturel avec ceux d'une 1

Cf. Adam Smith, Richesse

t. I I , p. 215.

des Nations.

Ed. G. Garnier,


— 35 —

terre à blé », et, p a r u n e dernière conséquence, elle n'eût pas m a n q u é de réduire le prix du tabac ; de la sorte, l'Angleterre eût payé m o i n s cher son tabac q u ' a u cas de m o n o p o l e , et c'eût été p o u r elle u n avantage absolu. Mais c o m m e la liberté

dispense

également ses faveurs à toutes les nations, la m é t r o pole aurait dû partager cet avantage absolu, elle ne pouvait l'acheter que p a r la perte de son avantage relatif. Voilà le g r a n d point, voilà la raison qui explique p o u r q u o i les nations e u r o p é e n n e s s'attachèrent au m o n o p o l e avec cette p e r s i s t a n c e ; éclairant leur politique au foyer des doctrines m e r c a n tiles, elles pensèrent ne pouvoir fonder leur prospérité q u e sur la ruine de leurs rivales, et, suivant le m o t d'Adam Smith, « dans la vue d'exécuter un projet de p u r e malice et de p u r e jalousie », elles a i m è r e n t mieux se priver d'un avantage qui établirait toutes les nations sur le m ê m e niveau. T r o p h e u r e u s e encore sera la métropole si la faveur d'un climat privilégié p e r m e t à ses colonies de p r o duire à meilleur m a r c h é q u e les colonies étrangères. Mais il peut arriver que telle île voisine d o n n e u n sucre et meilleur et m o i n s cher que celui des colonies de la métropole, il peut arriver q u e sous u n autre ciel les épices soient plus savoureuses et plus a b o n d a n t e s . C'est alors que s'évanouira

lui-même

l'avantage relatif dont nous parlions tout à l'heure. A quelles conséquences bizarres l'exclusivisme a u r a -


— 36 — t-il entraîné la m é t r o p o l e : c'est p o u r obtenir le p r i vilège dérisoire d'acheter à plus haut prix des m a r chandises inférieures qu'elle a u r a entretenu de puissantes escadres, envoyé au loin des légions de fonctionnaires, infligé aux colonies le poids d'un j o u g i n s u p p o r t a b l e ! La p r e m i è r e partie de ce siècle a vu ce p h é n o m è n e étrange, qui semble contre n a t u r e , mais qu'explique la législation coloniale du t e m p s , c'est q u e les contrées d ' E u r o p e qui n'avaient p a s de colonies, achetaient des denrées coloniales à bien meilleur m a r c h é et de bien meilleure qualité, q u e la F r a n c e et l'Angleterre qui possédaient de grandes colonies tropicales. Dans quelle m e s u r e alors le pacte colonial concourt-il à d i m i n u e r les jouissances de la m é t r o p o l e ? la chose n'est pas facile à d é t e r m i n e r ; mais il n'est pas douteux que l'abaissement du prix i m p r i m e r a i t u n très large essor à la c o n s o m m a t i o n des denrées d'un goût général et d'une utilité universelle. « Ceux qui n'ont pas vu de leurs p r o p r e s yeux, dit H u m boldt, quelle i m m e n s e quantité de sucre est c o n s o m m é e d a n s l'Amérique espagnole, m ê m e p a r m i les familles les plus pauvres, seraient étonnés de trouver que la F r a n c e ne réclame p a s p o u r sa fourniture de sucre u n e quantité supérieure à trois ou q u a t r e fois ce q u e c o n s o m m e l'île de Cuba t. » 1

t.

I,

Cité par Mérivale, Lectures p. 200.

ou colonization

and

colonies,


— 37 — Telles étaient p o u r la m è r e patrie les c o n s é q u e n ces de la règle qui lui réservait le m o n o p o l e de la production entière des colonies, tandis q u ' e l l e - m ê m e s'obligeait à ne rien d e m a n d e r aux colonies étrangères. L'on objecte, il est vrai, q u e détruire cette r è gle, c'est briser le support m ê m e du pacte colonial : les produits se paient avec les produits ; or, si vous n'accordez pas aux colonies le privilège de vous vend r e , elles ne seront plus en m e s u r e de vous acheter et la métropole y p e r d r a le bénéfice d'un c o m m e r c e important. En réalité, la perte sera largement compensée, car les m a r c h a n d i s e s achetées par la m é t r o pole dans les colonies les m o i n s chères lui ouvriront là un d é b o u c h é p o u r son industrie, et tout se réduira simplement à un c h a n g e m e n t de direction du comm e r c e . « Il ne faut pas oublier, r e m a r q u e j u s t e m e n t Mérivale, que p o u r c h a q u e client que l'Angleterre gagnait au Canada, elle en perdait un en Suède et e n Russie, p o u r c h a q u e client qu'elle gagnait à D e m e r a r a ou à la J a m a ï q u e , elle en perdait u n à Cuba, à Java et au Brésil. » Q u a n d les métropoles défendaient à leurs colonies de rien manufacturer, m ê m e un clou ou un fer à cheval, elles espéraient n o n seulement réserver aux nationaux le m o n o p o l e des profits industriels, mais aussi encourager la m a r i n e en lui assurant des frets élevés p a r le transport des produits bruts. Dans ses Principes

de la science sociale, Carey a m o n t r é avec


— 38 — beaucoup de force quel grand avantage offre la manufacture des matières premières sur le terrain m ê m e qui les a produites, et il va m ê m e j u s q u ' à poser en principe que les transports ne doivent j a m a i s s'appliq u e r qu'aux fabrications. Nous serions entraînés trop loin si nous voulions d é m o n t r e r que dans une m u l titude de cas, la manufacture sur place est impossible ou dépourvue d'avantages. Mais telle n'était pas la situation des colonies ; le plus souvent, elles a u raient pu transformer leurs productions naturelles avec u n e g r a n d e économie ; les consommateurs de la métropole y eussent gagné, et la d e m a n d e des fabrications coloniales se fût augmentée en raison de la baisse des prix, si bien qu'en définitive les a r m a teurs de la métropole y eussent trouvé leur profit aussi bien que les c o n s o m m a t e u r s ; en effet, cette augmentation de la d e m a n d e eût r e n d u les exportations des colonies plus considérables qu'auparavant ; d'un autre côté, les importations fussent aussi devenues supérieures à ce qu'elles étaient, car produisant davantage et tirant u n meilleur parti de leurs p r o duits, les colons eussent acheté davantage. Bref, sous ce régime libéral, le m o u v e m e n t des échanges entre les colonies et la métropole eût été plus large qu'auparavant, et il y a tout lieu de croire que les a r m a teurs eussent trouvé dans l'accroissement des échanges une compensation pour la différence entre le fret 1

des produits bruts et le fret des produits é l a b o r é s . 1

Cf. Paul Leroy-Beaulieu, op. cit., p. 727.


— 39 — 1

A d a m Smith considère c o m m e u n e vérité nullem e n t douteuse que l'établissement du pacte colonial en Angleterre, éloignant de l'industrie u n e

partie

des capitaux anglais p o u r les consacrer au c o m m e r c e colonial, produisit dans les autres b r a n c h e s de l'activité nationale u n e hausse générale et p e r m a n e n t e des profits. Le capital anglais, investi de m o n o p o l e , dut d é s o r m a i s suffire à tout le c o m m e r c e des colonies, à leur a p p r o v i s i o n n e m e n t , à l'achat de la totalité

de leur p r o d u c t i o n . Qu'en résulta-t-il ? L'effet

o r d i n a i r e de la loi de l'offre et de la d e m a n d e : c'està-dire q u e les m a r c h a n d i s e s e u r o p é e n n e s , d e v e n u e s rares sur le m a r c h é colonial, s'y haussèrent n a t u r e l l e m e n t à un prix élevé, tandis que les m a r c h a n dises coloniales, disputées d a n s la m é t r o p o l e p a r u n capital restreint, d u r e n t y descendre fort au-dessous de leur ancien prix. « Or, d a n s u n emploi de capital où le m a r c h a n d vendait fort cher et achetait à b o n m a r c h é , les profits ont dû être nécessairement très forts et bien au-dessus du niveau o r d i n a i r e d a n s les

autres b r a n c h e s de c o m m e r c e . » Aussi, de ces autres b r a n c h e s , le capital afflue d a n s le c o m m e r c e colonial ; celui-ci leur retire u n e partie de la substance

qui les faisait v i v r e ,

et p r o d u i t

en

elles

u n e hausse des profits corrélative de l'abaissement graduel des profits d a n s le c o m m e r c e colonial. Telle est la d é m o n s t r a t i o n d'Adam Smith ; si simple et si 1

Cf. A d a m Smith, op. cit., p . 217.


— 40 —

claire qu'elle puisse être, elle n'a pas d o n n é la solution définitive de ce p r o b l è m e qui p e u t passer p o u r l'un des plus difficiles de l'histoire é c o n o m i q u e . C'est ainsi q u e Ricardo et Mac Culloch soutiennent u n e

opinion

toute c o n t r a i r e . D'après

le m o n o p o l e d u c o m m e r c e a u c u n e influence

eux,

colonial ne put avoir

sur le taux des profits

indus-

triels, et si A d a m Smith a p u affirmer la réalité de cette influence, ce n'est là q u ' u n e c o n s é q u e n c e de sa théorie qui fait d é p e n d r e le t a u x des profits de la quantité du capital et du c h a m p ouvert à son e m ploi. Or, disent Ricardo et Mac Culloch, le taux des profits d é p e n d plutôt de la productivité d u capital et du travail q u e d u c h a m p ouvert à leurs opérations, et p u i s q u e l'exode des capitaux vers le c o m m e r c e colonial n'a pu avoir p o u r effet d ' a u g m e n t e r la productivité des capitaux et du travail appliqués à l'industrie, il n'a d o n c pas p u p r o v o q u e r la hausse l

des profits industriels . E n t r e les opinions extrêmes des célèbres é c o n o mistes, peut-être y a-t-il place p o u r u n e opinion int e r m é d i a i r e conciliant les d e u x précédentes malgré leur a p p a r e n c e contradictoire. M. P a u l Leroy-Beaulieu estime q u e l'établissement du m o n o p o l e colonial dut p r o d u i r e d a n s toutes les b r a n c h e s de l'industrie u n e hausse générale de l'intérêt des capi1

Cf. Ricardo, Œuvres,

Note à la Richesse

éd. Guillaumin, p . 316 ; Mac C u l l o c h ,

des Nations,

d'Adam

Smith,

p . 217.


— 41 —

taux, et cela p o u r cette raison b i e n simple q u ' u n e partie des capitaux se p o r t a n t vers le c o m m e r c e colonial a u q u e l ils ne s'étaient pas livrés j u s q u e - l à , les capitaux destinés à l'industrie devinrent m o i n s n o m b r e u x et leur d e m a n d e restant, au m o i n s p o u r le p r e m i e r m o m e n t , à peu près égale à ce qu'elle é t a i t a u p a r a v a n t , o n fut a m e n é à leur accorder u n e rém u n é r a t i o n plus considérable. Mais cette élévation de l'intérêt du capital ne p u t p a s se m a i n t e n i r dur a n t de longues a n n é e s , car le m o n o p o l e colonial, e n renchérissant le prix des m a r c h a n d i s e s au lieu de destination, dut d a n s u n e certaine m e s u r e en d i m i n u e r la d e m a n d e , et cette d i m i n u t i o n de la d e m a n d e dut avoir p o u r c o n s é q u e n c e u n e d i m i n u t i o n équivalente de la p r o d u c t i o n d a n s la contrée m a n u facturière. Il arriva d o n c q u e l'industrie m é t r o p o l i taine, ainsi restreinte d a n s ses d é b o u c h é s , ne fut plus capable d'enrichir les e n t r e p r e n e u r s p a r des 1

profits spécialement é l e v é s . La d e r n i è r e règle du pacte colonial, celle qui assure aux vaisseaux de la m è r e patrie le m o n o p o l e du t r a n s p o r t des m a r c h a n d i s e s en destination ou en p r o v e n a n c e des colonies, est la seule qui n'ait pas encouru

l'unanimité

du b l â m e des

économistes.

Toutefois, il n'est pas malaisé de d é m o n t r e r q u e le bénéfice des a r m a t e u r s métropolitains n'est pas d a n s u n r a p p o r t d'exacte équivalence avec le l o u r d far1

Cf. L e r o y - B e a u l i e u , op. cit., p . 728.


— 42 —

deau dont le poids blesse et fait plier les colonies. Supposons

qu'une

m a r i n e étrangère soit

moins

chère que la m a r i n e nationale ; la prohibition de se servir des vaisseaux étrangers fait s u p p o r t e r , p a r les c o m m e r ç a n t s de la m é t r o p o l e et des colonies, toute la différence entre le fret p a r vaisseaux étrangers et le fret p a r vaisseaux n a t i o n a u x ; m a i s , d'autre p a r t , le profit net réalisé p a r les a r m a t e u r s privilégiés n'est pas égal à la totalité de cette différence, car u n e partie de cette différence représente l'infériorité naturelle de la navigation nationale sur la navigation étrangère, si bien q u e les u n s p e r d e n t b e a u c o u p plus q u e ne gagnent les a u t r e s , et q u ' e n définitive il y a perte p o u r la nation d a n s son e n s e m b l e . D'ailleurs, poussons plus loin l'analyse et n o u s n ' a u r o n s pas de peine à r e c o n n a î t r e q u e si le m o n o pole du transport eut u n e large influence sur les progrès de la m a r i n e , b e a u c o u p m o i n s h e u r e u s e fut l'action réfléchie qu'il exerça sur les autres i n d u s tries. E n effet, les p r o h i b i t i o n s sur l'usage de la m a r i n e étrangère a b o u t i r e n t à cette double c o n s é q u e n c e : u n e partie des capitaux qui la nourrissaient a b a n d o n n è r e n t l'industrie p o u r se p o r t e r vers le commerce

m a r i t i m e , objet

des faveurs

légales;

d'autre part, l'élévation du fret, en faisant

hausser

le prix de revient des m a r c h a n d i s e s aux lieux de destination, en d i m i n u a nécessairement la d e m a n d e et restreignit de cette m a n i è r e la p r o d u c t i o n des


— 43 —

articles

d'exportation.

L'industrie

métropolitaine

était ainsi victime d'un notable préjudice, dont le fait suivant m o n t r e bien l'importance : il arriva q u e p o u r é c h a p p e r aux droits différentiels qui frappaient les t r a n s p o r t s sous pavillon étranger, les m a r c h a n dises se livrèrent à d ' é n o r m e s circuits d o n t l'effet i m m é d i a t fut d'élever leur prix d a n s des p r o p o r tions exagérées, et cela au d é t r i m e n t de l'industrie métropolitaine qui voyait r e n c h é r i r ses

matières

p r e m i è r e s et des c o n s o m m a t e u r s m é t r o p o l i t a i n s nécessairement obligés de r e s t r e i n d r e leurs j o u i s s a n c e s . Mérivale a bien m o n t r é le gaspillage de capital et de travail qui résultait sur ce point du m o n o p o l e de la m a r i n e nationale. « On a vu, dit-il, des vaisseaux charger des bois de construction du N o r d , les p o r t e r au Canada et de là en Angleterre c o m m e bois d u C a n a d a , la différence des droits suffisant p o u r in1

d e m n i s e r des dépenses é n o r m e s du c i r c u i t . » Telles furent les c o n s é q u e n c e s é c o n o m i q u e s d u pacte colonial p o u r la m é t r o p o l e . On le voit, elle n'en retira pas q u e des avantages : l'industrie eut à souffrir du m o n o p o l e de la m a r i n e , les c o n s o m m a teurs du m o n o p o l e de l'industrie. Si le pacte colonial nuisit bien souvent à la m é t r o p o l e ,

quelle

influence funeste devait-il avoir sur les colonies, dont les intérêts avaient toujours été sacrifiés !

1

Cf. Mérivale, op. cit., p. 217.


— 44 —

2°. — SUR LES COLONIES.

La p r e m i è r e règle du pacte colonial

défendait

aux colonies d'exporter leurs produits en toute a u t r e contrée q u e la m é t r o p o l e . Cette défense était singulièrement funeste aux colonies : elle les e m p ê c h a i t d'entretenir u n c o m m e r c e lucratif avec des contrées étrangères qui eussent offert u n plus h a u t prix de leurs m a r c h a n d i s e s , elle arrêtait le d é v e l o p p e m e n t de la p r o d u c t i o n

coloniale en m e t t a n t obstacle à

l'extension naturelle de ses d é b o u c h é s . 11 y avait là, suivant le m o t d ' A d a m Smith, « u n poids m o r t qui pesait sur le ressort du c o m m e r c e », et qui retenait les colonies d a n s u n e perpétuelle enfance. Il est p o u r t a n t certaines catégories de richesses dont le h a u t prix eût été de la d e r n i è r e utilité p o u r les habitants des c o l o n i e s ; c'est ainsi q u e , d a n s u n pays de forêts, la g r a n d e valeur des bois de construction p e r m e t t r a le défrichement

des t e r r e s ; de

même,

assurer aux grains u n prix r é m u n é r a t e u r , c'est encourager les colonies à en é t e n d r e la culture b e a u coup au delà de ce qu'exige la c o n s o m m a t i o n d ' u n pays faiblement peuplé, c'est les mettre à m ê m e de p r é p a r e r ainsi de longue m a i n u n e subsistance p o u r u n e p o p u l a t i o n toujours

croissante. La règle qui

n o u s occupe était surtout oppressive lorsque

le

c o m m e r c e colonial était le privilège d ' u n e c o m p a gnie, car celle-ci, voulant p a r la r a r e t é de ses m a r -


45

chandises les m a i n t e n i r à un prix élevé, n'achetait souvent aux colons q u ' u n e faible partie de leur récolte, et le défaut de c o n c u r r e n c e lui assurait les prix les plus bas. La seconde prohibition, celle qui défendait colonies d ' i m p o r t e r a u c u n e fabrication

aux

étrangère,

peut être e x a m i n é e d a n s les deux hypothèses suivantes : ou bien la m é t r o p o l e jouit de la s u p r é m a t i e industrielle, ses p r o d u i t s sont à meilleur

marché

que ceux des autres nations, et alors la prohibition sera inutile, p u i s q u e la clientèle s'adresse toujours au p r o d u c t e u r le plus a v a n t a g e u x ; ou bien la m é tropole p r o d u i t plus c h è r e m e n t q u e ses rivales, et d a n s cette d e u x i è m e hypothèse elle inflige à ses colonies la charge d'un l o u r d i m p ô t et y fait m o n t e r le prix de la vie. Or, il n'y a rien de plus funeste au d é v e l o p p e m e n t d'un pays neuf q u e cette élévation du prix de la vie, elle p r o d u i t u n e gêne c o n t i n u e d o n t l'effet est de paralyser l'activité p r o d u c t i v e des h a b i t a n t s , elle e n g e n d r e u n e hausse des salaires qui est u n des plus g r a n d s obstacles à la rapidité de la mise en valeur. Cette c o n s é q u e n c e du pacte colonial s'aggravait particulièrement d a n s le cas où le c o m m e r c e de la colonie était aux m a i n s d ' u n e c o m p a gnie privilégiée ; désirant avant tout obtenir des prix élevés, ne s o u p ç o n n a n t pas qu'elle pouvait réaliser de plus g r a n d s bénéfices en élargissant son m a r c h é p a r u n e baisse des prix, la c o m p a g n i e n'offrait s o u -


— 46 —

vent aux colons q u ' u n e masse tout à fait

insuffi-

sante de m a r c h a n d i s e s , et celles-ci étaient en c o n s é q u e n c e v e n d u e s fort cher ; d'autre p a r t , le p r i v i lège de la compagnie lui permettait d'offrir n é m e n t aux colons des m a r c h a n d i s e s de

impuqualité

inférieure et de ne pas a p p r o p r i e r la n a t u r e de ses i m p o r t a t i o n s aux besoins locaux. L'interdiction faite aux colonies de m a n u f a c t u r e r leurs p r o p r e s p r o d u i t s bruts ne fut pas u n e m o i n d r e entrave au d é v e l o p p e m e n t

de la prospérité colo-

niale. Pays neufs et m é d i o c r e m e n t peuplés, les colonies ne pouvaient p r é t e n d r e à u n e g r a n d e activité industrielle. Mais, m ê m e d a n s les contrées exclusiv e m e n t agricoles, le défrichement et la culture de la terre ont besoin d'être secondés p a r u n e industrie locale é l é m e n t a i r e ; il est très utile que les centres de p r o d u c t i o n des i n s t r u m e n t s aratoires soient r a p prochés du lieu où ces i n s t r u m e n t s doivent

être

employés, car ils doivent s'approprier à la n a t u r e d u terrain et au m o d e de culture. D'autre p a r t , il est certains p r o d u i t s d ' u n e p r é p a r a t i o n facile, d o n t la m a n u f a c t u r e

eût été opérée sur place avec u n

g r a n d avantage ; c'était p a r exemple le cas du sucre ; celui-ci,

raffiné aux Antilles, puis expédié en Eu-

rope après sa fabrication, serait revenu à meilleur marché

aux c o n s o m m a t e u r s de la m é t r o p o l e , et

son d é b o u c h é se serait élargi, p a r suite, d ' u n e m a nière très profitable à l'enrichissement des colonies.


— 47 —

La dernière obligation imposée aux colonies, celle d'opérer tout leur c o m m e r c e p a r la voie de la m a r i n e métropolitaine, engendrait les m ê m e s c o n s é q u e n c e s que

la prohibition

d ' i m p o r t e r les

marchandises

étrangères : ou bien la m é t r o p o l e possédait u n e m a rine supérieure à celles des autres nations, et alors la règle se fût appliquée d ' e l l e - m ê m e ; ou bien cette m a r i n e ne pouvait accorder q u e des frets plus élevés que ceux de certaines rivales, et d a n s cette d e u x i è m e hypothèse les colonies souffraient d'un grave préjudice ; elles voyaient s'élever le coût de leurs exportations et p a r suite leur masse se restreindre ; d'autre part, les m a r c h a n d i s e s importées d a n s ces colonies se renchérissaient de toute la différence entre le fret p a r vaisseaux

étrangers et le fret p a r

vaisseaux

n a t i o n a u x , et le résultat était u n e élévation d u coût de la vie. Cette règle était parfois sanctionnée p a r des droits différentiels si lourds q u e , d a n s le b u t de les éviter, les m a r c h a n d i s e s se livraient à des circuits invraisemblables. « Il n'est pas r a r e , dit Mérivale, de voir la farine des Etats-Unis en destination des Antilles, au lieu de s ' e m b a r q u e r à New-York, p r e n d r e la direction de Montréal ou de Québec p o u r être transportée de l'une de ces villes p a r pavillon anglais... Il y a des exemples de blé t r a n s p o r t é d'Arkangel à Québec, puis d é b a r q u é et r e m b a r q u é p o u r la Jamaïq u e . On élève ainsi le prix de cet article de nécessité, et p o u r mettre q u e l q u e s centaines de livres d a n s la


— 48 — p o c h e des a r m a t e u r s , on fait d é p e n s e r des milliers de livres aux colonies. » Q u a n d le m o n o p o l e de la m a r i n e et de l'industrie métropolitaines était aussi oppressif, il constituait tout s i m p l e m e n t u n e p r i m e à la c o n t r e b a n d e . Les colonies étaient trop h e u r e u s e s de desserrer les liens si étroits d a n s lesquels la m é t r o p o l e p r é t e n d a i t les retenir p o u r ne p a s favoriser

de toutes

manières

le trafic interlope, et c'est v r a i m e n t alors q u e se trouvait justifiée l'apologie célèbre et souvent b l â m é e faite p a r l'économiste S e n i o r : « Le c o n t r e b a n d i e r , dit-il, est u n réformateur radical et j u d i c i e u x ; p a r m a l h e u r , il ne peut exercer son industrie q u e sur les objets qui offrent peu de v o l u m e , mais d a n s le cercle où il est renfermé, il choisit toujours de préférence ceux d o n t la privation est le plus sensible à la société. D a n s les pays où le système prohibitif a été poussé à u n point e x t r ê m e , le c o n t r e b a n d i e r est l

indispensable a u bien-être de la n a t i o n entière . » A l'asservissement

économique

établi

par

les

règles p r é c é d e n t e s , le privilège de fournir de denrées coloniales le m a r c h é métropolitain n ' a p p o r t a i t q u ' u n e faible c o m p e n s a t i o n . Il n'est pas jusqu'à cette règle m ê m e , la seule qui ait été prise en faveur des colonies, qui ne les ait engagées d a n s u n e voie nuisible au d é v e l o p p e m e n t n o r m a l de leur prospérité. Les p r o d u c t i o n s coloniales n'avaient de valeur p o u r la 1

Cité par L e r o y - B e a u l i e u , op. cit., p. 31.


— 49 — m é t r o p o l e q u ' a u t a n t qu'elles étaient

complémen-

taires de la p r o d u c t i o n e u r o p é e n n e ; aussi, les colonies

négligèrent-elles a b s o l u m e n t les cultures vi-

vrières. Les Antilles, p a r exemple, o n t consacré toutes leurs ressources à la c a n n e à s u c r e ; « elles ont épuisé le sol p a r u n e p r o d u c t i o n hâtive et sans merci ; elles sont devenues des fabriques : tout a été artificiel d a n s leur opulence ; elles ont bientôt passé p a r des crises intenses et ont fini p a r t o m b e r d a n s le m a r a s m e ; a u j o u r d ' h u i , sous l'influence

de ré-

formes nécessaires, elles luttent p é n i b l e m e n t contre des m a u x qui n'ont j a m a i s frappé les contrées euro1

p é e n n e s avec cette intensité et celte p e r m a n e n c e ». E n u n m o t , les colonies furent en tous points victimes du m o n o p o l e , victimes du m o n o p o l e établi au profit de la m è r e p a t r i e , victimes du m o n o p o l e institué d a n s leur p r o p r e intérêt. APPRÉCIATION.

L'exposé q u e nous v e n o n s de faire portait à c h a q u e page la critique avec lui, et il ne n o u s reste plus qu'à en c o n d e n s e r les résultats d a n s u n e a p p r é c i a tion générale du système. Si l'on se place au point de vue supérieur de la justice, la critique ne saurait être clémente à u n système établissant u n e t y r a n n i e de peuple s u r p e u p l e ; la sévère appréciation d'Adam Smith revient en m é 1

Cf. L e r o y - B a u l i e u , op. cit., p . 725. NORMAND.

4


— 50 —

m o i r e et l'on ne peut s'empêcher d'y souscrire : « Défendre à u n g r a n d peuple de tirer tout ce qu'il peut de c h a c u n e de ses p r o d u c t i o n s ou d ' e m p l o y e r ses capitaux et sou industrie de la m a n i è r e

qu'il

croit leur être la plus avantageuse, c'est u n e violation

manifeste

des

droits

les

plus

sacrés

des

hommes. » Mais si l'on se renferme d a n s les considérations utilitaires, il convient de se d e m a n d e r si la t y r a n n i e des métropoles fut du m o i n s favorable à leur prospérité. Le pacte colonial avait p o u r but d ' i m p r i m e r un brillant essor à l'industrie et à la m a r i n e m é t r o politaines ; aussi, d a n s la m e s u r e où ses restrictions furent efficaces, elles profitèrent surtout à u n e classe particulière de la nation, à celle des traficants des industriels. Toute cette p o p u l a t i o n

et

mercantile

s'enrichissait n o n s e u l e m e n t aux d é p e n s des colonies, mais aux dépens de la masse des c o n s o m m a teurs n a t i o n a u x , sur lesquels

retombait

une

des

conséquences du pacte, à savoir la cherté des p r o duits exotiques sur le m a r c h é m é t r o p o l i t a i n . Bien plus, les c o n s o m m a t e u r s étaient en m ê m e t e m p s des contribuables, et ils s u p p o r t a i e n t ,

p o u r le

plus

g r a n d bien de la classe privilégiée, tout le poids de la surveillance si coûteuse exigée p a r le pacte colonial ; car ce n'était pas sans de gros sacrifices pécuniaires q u ' u n e nation

pouvait sillonner les m e r s

lointaines de ses escadres, et surtout entretenir cette


51

a r m é e compacte de fonctionnaires, dont l'emploi, selon J.-B. Say, constitua p o u r les nations europ é e n n e s le principal motif d'asservir les colonies. Aussi, j u g e sévère, A d a m Smith a-t-il pu formuler cette appréciation q u ' u n e telle politique « n e convenait qu'à u n e nation de b o u t i q u i e r s », n o n

pas

qu'elle pût « a c c o m m o d e r u n e nation toute c o m p o sée de gens de b o u t i q u e , mais elle convient parfait e m e n t à u n e nation d o n t le g o u v e r n e m e n t est sous l'influence des b o u t i q u i e r s ». Q u a n t aux colonies, leur rôle d a n s le système fut u n rôle de victimes. Les seules qui s'enrichirent se spécialisèrent d a n s la p r o d u c t i o n de certaines denrées d'exportation ; leur mise en valeur s'opéra d ' u n e m a n i è r e toute artificielle, et l'on eut parfois ce singulier spectacle de voir ravagées p a r la famine les plaines les plus fertiles du m o n d e . P o u r les a u t r e s , l'oppression du m o n o p o l e étouffa leur épanouissem e n t ; elles furent les victimes de l'étroitesse

du

d é b o u c h é offert à leur p r o d u c t i o n et de la cherté des m a r c h a n d i s e s e u r o p é e n n e s . Qu'en advint-il p o u r la m é t r o p o l e ? C'est qu'elle sentit à son t o u r les conséquences néfastes du régime d'exploitation établi p a r elle. C'est qu'elle tua la p o u l e aux œufs d'or et q u e son c o m m e r c e avec des contrées appauvries p a r u n e législation t y r a n n i q u e fut b e a u c o u p m o i n s profitable q u e celui qu'elle aurait pu entretenir avec des pays plus libres, m a i s


— 52 —

plus p r o s p è r e s . La m é t r o p o l e ne retira q u ' u n a v a n tage m é d i o c r e d'un système qui lui créa d'autre p a r t bien des difficultés. Elevant des b a r r i è r e s les u n e s contre les a u t r e s , se r e p o u s s a n t m u t u e l l e m e n t

de

leur d o m a i n e colonial, les n a t i o n s e u r o p é e n n e s entrèrent plus d ' u n e fois d a n s des luttes sanglantes, et les g u e r r e s , d o n t la suite n o m b r e u s e se succéda d e puis l ' a v è n e m e n t de Louis XIV j u s q u ' a u t r i o m p h e définitif de l'Angleterre au traité de P a r i s de 1763, ne puisèrent pas leur source u n i q u e m e n t d a n s des rivalités d y n a s t i q u e s , m a i s aussi d a n s des convoitises c o m m e r c i a l e s ; c h a q u e fois, au traité de paix, le v a i n q u e u r profita du succès de ses a r m e s p o u r faire insérer q u e l q u e brèche au pacte colonial ou q u e l q u e annexion de territoire. Enfin, d e r n i è r e c o n s é q u e n c e et la plus terrible, les m é t r o p o l e s ne se firent point a i m e r de leurs colonies ; p a r l'accumulation des entraves vexatoires,

p a r la c o m p r e s s i o n des

forces

vitales chez des p o p u l a t i o n s en plein d é v e l o p p e m e n t de j e u n e s s e , elles y r é p a n d i r e n t des germes de h a i n e et de révolte, et la d e u x i è m e partie de n o t r e travail n o u s fera voir la suite l a m e n t a b l e de ces i n s u r r e c tions, qui réalisèrent p r e s q u e tous les v œ u x de leurs a u t e u r s , c'est-à-dire l'achat au prix du sang de l'indépendance. C'est ainsi q u e , d a n s le pacte colonial, les a v a n t a ges r é c i p r o q u e s étaient en réalité des d o m m a g e s r é ciproques.


— 53 — CHAPITRE III. — L e P a c t e c o l o n i a l e t l e s Economistes. Il n'est pas sans intérêt de se d e m a n d e r quelle fut, au cours des trois derniers siècles, l'évolution de la pensée scientifique au sujet du pacte colonial

L'ac-

tion politique des rois et de leurs ministres trouvat-elle d a n s les économistes de puissants auxiliaires a u p r è s de l'opinion, ou eut-elle au c o n t r a i r e à subir l'aiguillon de leurs incessantes critiques? Il semble q u e la pensée de nos p r e m i e r s é c o n o mistes m a r c h a de pair avec l'action g o u v e r n e m e n t a l e . Alors q u e les puissances de la vieille E u r o p e

se

j e t a i e n t sur le N o u v e a u - M o n d e avec u n e activité fébrile, c'était le m o m e n t où l'économie politique, sortie de l'étroite enceinte des écoles scholastiques et d é b a r r a s s é e de la tutelle de la théologie, prenait un large essor d a n s la liberté et participait b r i l l a m m e n t à la renaissance universelle. Les économistes n e p o u vaient voir d'un œil indifférent les peuples engager leur activité d a n s u n e direction nouvelle ; tout natur e l l e m e n t , ils furent a m e n é s à dire leur m o t sur la politique coloniale. Or, sous l'influence de diverses causes q u e n o u s avons développées, les esprits d u t e m p s étaient tout à la r e c h e r c h e de l'or, et le système mercantile était regardé c o m m e u n véritable d o g m e ; le pacte colonial s'adapte a d m i r a b l e m e n t à cette situation, et p e r s o n n e ne d o u t a qu'il ne fût le p l u s profitable des a r r a n g e m e n t s .


— 54 — De la foule des publicistes é m e r g e n t les deux n o m s illustres de J e a n Bodin et d'Antoine de Montchrétien. Le p r e m i e r ne s'occupe p a s d i r e c t e m e n t de la q u e s tion coloniale et l'on c h e r c h e r a i t en vain d a n s son g r a n d ouvrage u n e p a r o l e de b l â m e ou

d'assenti-

m e n t p o u r le système q u e n o u s é t u d i o n s ; m a i s p e u t être est-il p e r m i s d'inférer d ' u n passage de La

Répu-

blique la c o n d a m n a t i o n d'un des m o d e s d'exercice du pacte, l'exercice p a r ces fameuses

compagnies

sur lesquelles, l'instant d ' a p r è s , allaient toutes les espérances

des

peuples

reposer

colonisateurs.

Bodin conseille au s o u v e r a i n , lorsqu'il autorise les c o m m u n a u t é s , de r é g l e m e n t e r é t r o i t e m e n t leurs statuts et privilèges, et de bien veiller à ce qu'elles ne s'érigent p a s en m o n o p o l e ; « aussi, est-il d a n g e r e u x , conclut-il, de p e r m e t t r e toutes assemblées et toutes confréries, car bien s o u v e n t on y couve des conju1

rations et des m o n o p o l e s ». Montchrétien, tout au c o n t r a i r e , s'affirme u n p a r t i s a n résolu des c o m p a gnies, et il e x p r i m e d a n s la formule suivante ses idées sur le trafic colonial : « Il n'y a p o i n t de m e i l l e u r e m a n i è r e p o u r s'en a c c o m m o d e r bientôt q u e de le faire en société c o m m e les Hollandais ; car u n particulier, q u e l q u ' o p u l e n t qu'il puisse être, ne le s a u r a i t longt e m p s soutenir tout seul, o u t r e q u e les choses se font plus sagement et s e u r e m e n t qui sont dressées p a r le

1

Ct. De la République,

III, 8.


— 55 — conseil de plusieurs ayant m e s m e intérêt et m e s m e 1

fin

».

Ainsi, sauf sur le point des compagnies, il n'y a pas de discussion; le pacte colonial apparaît c o m m e le seul système admissible, et nul ne songe à en proposer un a u t r e . Il en est de m ê m e en Angleterre, où les plus fervents adeptes du mercantilisme regardent le m o n o p o l e des matières p r e m i è r e s coloniales c o m m e un avantage si précieux, qu'ils n'hésitent pas à l'acheter au prix d'un c o m m e r c e passif avec les col o n i e s ; cette idée est r é p a n d u e d a n s toute l'abondante littérature é c o n o m i q u e , qui fleurit alors de l'autre côté de la Manche et dont les plus célèbres a u t e u r s furent T h o m a s Mun, Culpeper et Child. E

Mais, aux derniers j o u r s du XVII siècle, l'étoile du mercantilisme c o m m e n c e à pâlir. Boisguilbert p r o clame q u e « l'argent doit être le valet et n o n le tyran du c o m m e r c e » ; Cantillon voit d a n s le travail la source de toute richesse. D'autre part, l'on a vu les n o m b r e u s e s compagnies de Richelieu et de Colbert traîner une existence difficile de quelques a n n é e s , et s'abîmer r a p i d e m e n t d a n s l'insuccès final. Le pacte colonial souffrira dans l'estime des économistes de la pénible impression laissée p a r ces tentatives, ainsi q u e du discrédit naissant a u t o u r du mercantilisme. Le m a r é c h a l de V a u b a n regarde c o m m e u n e condi1

Cité par Léon D e s c h a m p s , Histoire niale, p. 61.

de la question

colo-


— 56 — tion essentielle de la p r o s p é r i t é des colonies « d ' e n b a n n i r ces sociétés d e m a r c h a n d s à titre d e c o m p a gnies privilégiées, q u i , p a r l'extension d e leurs privilèges, les e m p ê c h e n t d e c o m m e r c e r avec d ' a u t r e s et de se p r o c u r e r , p a r le m o y e n d e l e u r i n d u s t r i e , plus c o m m o d é m e n t le nécessaire, ce q u i les r u i n e et les dégoûte

1

». Voilà m e r v e i l l e u s e m e n t r é s u m é s , d a n s

u n e seule p h r a s e , les plus notables i n c o n v é n i e n t s d u p a c t e colonial, qu'il soit exercé p a r u n e c o m p a g n i e ou p a r la m a s s e des h a b i t a n t s d e la m é t r o p o l e . Mais l'abbé d e Choisy va plus loin ; il n e s'attaque

plus

s e u l e m e n t a u x c o m p a g n i e s privilégiées, m a i s au fond m ê m e d u système colonial, à l'exclusion des é t r a n gers ; il r e p r o c h e à Colbert d'avoir m é c o n n u les vrais principes d e l'échange et d u trafic : « Il oublia, dit-il, q u e le c r é a t e u r d e toutes choses n ' a placé les différ e n t s biens d a n s les différentes p a r t i e s d e l'univers qu'afin d e lier u n e société c o m m u n e et d'obliger les h o m m e s p a r leurs intérêts à se c o m m u n i q u e r récip r o q u e m e n t les t r é s o r s q u i se t r o u v e r a i e n t

dans

2

chaque pays . » Ce langage est n o u v e a u d a n s l'histoire d e l'écon o m i e politique ; il a n n o n c e la g r a n d e

école d u

e

xviii siècle, cette école p h y s i o c r a t i q u e , q u i fonda la p r e m i è r e d o c t r i n e d e la liberté n a t u r e l l e . Ce n e sont plus s e u l e m e n t des individualités, c'est tout u n g r o u p e 1

Cf. Oysivetés. ( É d i t i o n A u g o y a t , 1843, t. IV, p . 49).

2

Mémoires, l i v r e II, 3 é d i t i o n d'Utrecht, 1725.

e


— 57 —

d ' h o m m e s é m i n e n t s qui va diriger ses a t t a q u e s c o n t r e le système colonial, et cela en des ouvrages fort r é p a n d u s ou en des p u b l i c a t i o n s q u i , c o m m e l'Encye

clopédie, sont lues de tous ceux q u e le xvii

siècle

appelait les h o n n ê t e s gens : en u n m o t , l'on s'adresse à l ' o p i n i o n , p u i s s a n c e qui s'affirme c h a q u e j o u r d a v a n tage et va b i e n t ô t effectuer la Révolution F r a n ç a i s e . Certes, le « laissez faire, laissez passer » des é c o n o mistes s'accordait m a l avec la c o n c e p t i o n exclusive et r é g l e m e n t a i r e du pacte colonial ; a u c u n s y s t è m e n'essaya p l u s a r b i t r a i r e m e n t de d é t o u r n e r les cour a n t s n a t u r e l s du c o m m e r c e , p o u r les canaliser d a n s u n e voie u n i q u e de la colonie à la m é t r o p o l e ; n u l ne greva plus l o u r d e m e n t le p r o d u i t net au profit de la classe stérile. La c o n d a m n a t i o n d u pacte colonial est u n e suite logique des idées générales des P h y s i o c r a t e s s u r le c o m m e r c e ; et d'ailleurs, plusieurs écrivains de l'école o n t pris soin de s'en e x p l i q u e r d ' u n e façon formelle. C'est l'abbé Morellet qui écrit son « Mémoire sur la situation actuelle de la C o m p a g n i e des I n d e s », m é m o i r e i n s é r é d a n s l'Encyclopédie et c o m p l é t é p a r de longues observations de l'abbé B a u d e a u qui en affermissent e n c o r e la v a l e u r . Le T r o s n e , d a n s térêt

1

Social ,

proclame

q u e « la liberté du

L'Incom-

m e r c e est l'intérêt évident des c o l o n i e s » ; il p r e n d u n e à u n e les règles diverses d u système colonial, 1

Cf. De l'Intérêt social,

c h a p . ix.


— 58 — les dissèque avec u n soin m i n u t i e u x et m e t en relief l e u r opposition avec le c r e d o p h y s i o c r a t i q u e , c'està-dire avec le b i e n de l ' h u m a n i t é et de c h a q u e n a tion. Turgot se défend d ' a p p a r t e n i r à la secte, m a i s il d o n n e ce d e r n i e r m o t de la théorie libérale appliq u é e aux colonies, d a n s son « Mémoire au roi sur 1

la g u e r r e d ' A m é r i q u e » : « Il faut, dit-il, c o n s e n t i r de b o n n e grâce à laisser aux colonies u n e e n t i è r e lib e r t é de c o m m e r c e , en les c h a r g e a n t des frais de leur défense et de l e u r a d m i n i s t r a t i o n , à les regard e r n o n c o m m e des p r o v i n c e s asservies, mais c o m m e des Etats a m i s , protégés si l'on veut, m a i s étrangers 2

et s é p a r é s . » A la m ê m e é p o q u e , l'abbé R a y n a l , d a n s cette fameuse Histoire Philosophique,

qui fut l'un des

e

livres les plus lus d u xviii siècle, émet des o p i n i o n s si libérales s u r le t r a i t e m e n t à a p p l i q u e r a u x colonies, q u e le p o u v o i r peu t y r a n n i q u e de L o u i s XVI finit p a r s ' é m o u v o i r et d e m a n d e r des p o u r s u i t e s . Une n o t e d i s c o r d a n t e en ce concert de b l â m e fut e

j e t é e p a r l'un des plus g r a n d s esprits du xviii siècle, p a r Montesquieu. « On a établi, dit-il, q u e la m é t r o pole seule p o u r r a i t négocier d a n s la colonie et cela avec g r a n d e raison, parce q u e le b u t de l'établissem e n t a été l'extension du c o m m e r c e , n o n la fondation d ' u n e ville et d ' u n e m p i r e . Il est e n c o r e reçu q u e 1

Cf. Œuvres complètes, é d i t i o n Daire, t o m e II, p. 559. Cf. Histoire philosophique et politique des établissements du commerce des Européens dans les deux Indes, 1770. 2

et


— 59 — le c o m m e r c e établi e n t r e les m é t r o p o l e s n ' e n t r a î n e p a s u n e p e r m i s s i o n des colonies qui restent toujours en état de p r o h i b i t i o n . Le désavantage des colonies qui p e r d e n t la liberté du c o m m e r c e est visiblement c o m p e n s é p a r la protection de la m é t r o p o l e , q u i les 1

défend p a r ses a r m e s ou les m a i n t i e n t p a r ses l o i s . » Ces lignes sont u n e a p p r o b a t i o n très nette d u syst è m e colonial ; elles é m a n e n t , d'ailleurs, d'un partisan résolu des c o m p a g n i e s privilégiées, œ u v r e d'habileté et de sagesse, qui « o n t fait u n e g r a n d e puissance accessoire sans e m b a r r a s s e r l'état p r i n c i p a l » . C'est au g r a n d n o m d ' A d a m Smith q u e s'attache la gloire d'avoir r u i n é définitivement le pacte colonial d a n s l'estime p u b l i q u e . Il a c o n s a c r é tout u n c h a p i t r e de la Richesse

2

des Nations à l ' e x a m e n des

c o n s é q u e n c e s du système : précision,

profondeur,

l u m i n e u s e clarté, les qualités habituelles du g r a n d é c o n o m i s t e brillent d a n s cette é t u d e , qui d e m e u r e la base f o n d a m e n t a l e de la critique. Il n e laisse q u e des points s e c o n d a i r e s à la discussion des écrivains p o s t é r i e u r s ; R i c a r d o , et plus tard Mac Culloch, contesteront q u e le m o n o p o l e d u c o m m e r c e colonial ait pu e n g e n d r e r u n e h a u s s e des profits d a n s les a u t r e s i n d u s t r i e s ; d ' a u t r e s n i e r o n t l'influence de l'acte de navigation s u r le d é v e l o p p e m e n t m a r i t i m e de l'Angleterre. Mais, au 1

2

milieu d e ces controverses

Cf. Esprit des Lois, l i v r e XXI, c h . XXI. L i v r e IV, c h . V I I .

de


— 60 — détail, les résultats essentiels de la critique d ' A d a m S m i t h sont toujours d e b o u t , et l'on p e u t dire

que

l'opinion scientifique est d é s o r m a i s fixée; le caractère funeste du pacte colonial est u n e vérité qui passe en a x i o m e , elle r e n c o n t r e l ' u n a n i m i t é d e s suffrages des é c o n o m i s t e s , soit qu'ils p e n s e n t avec Stuart Mill q u e « la fondation des colonies est la m e i l l e u r e

affaire

d a n s laquelle on puisse engager les capitaux

d'un

vieil et riche p a y s », soit qu'ils estiment avec J. B . Say

q u e la colonisation est u n e œ u v r e

illusoire

d o n t les avantages ne c o m p e n s e n t pas les o n é r e u x sacrifices.


DEUXIÈME. PARTIE

EXPOSÉ HISTORIQUE D E S APPLICATIONS DU

SYSTÈME.

Après avoir e x a m i n é le pacte colonial au point de vue des idées générales é c o n o m i q u e s , n o u s allons en suivre l'application chez les peuples qui ont j o u é un g r a n d rôle d a n s l'expansion coloniale des siècles p a s s é s ; u n e fois de plus l'histoire a p p o r t e r a

son

c o n c o u r s à l ' é c o n o m i e politique, e n renforçant les vérités de la science p a r des e x e m p l e s tirés de la réalité des faits. Successivement, n o u s n o u s t r a n s p o r t e r o n s en P o r t u g a l , en E s p a g n e , en H o l l a n d e , en Angleterre et en F r a n c e ; n o u s v e r r o n s le pacte colonial revêtir des formes diverses selon le

caractère

particulier de c h a q u e p e u p l e , mais toujours s'affirm e r a cette m ê m e vérité q u e la p r o s p é r i t é des colonies fut toujours en raison directe de la liberté q u e leur laissa la m é t r o p o l e .

C H A P I T R E PREMIER. — L e P a c t e c o l o n i a l en P o r t u g a l . Les P o r t u g a i s e n t r è r e n t les p r e m i e r s d a n s la voie de la colonisation. Glissant tout au long de la côte


— 62 — d'Afrique, ils la s e m è r e n t de c o m p t o i r s , alors q u e les a u t r e s n a t i o n s d ' E u r o p e n ' é t e n d a i e n t pas l e u r s relations c o m m e r c i a l e s a u delà des p o r t s asiatiques d e la M é d i t e r r a n é e ; et plus t a r d , t a n d i s q u e l'Esp a g n e regorgeait déja de l'or d ' A m é r i q u e , ils d o u b l è r e n t avec Vasco de Gaina le c a p d e B o n n e - E s p é 1

r a n c e , et les fondements furent j e t é s d a n s les I n d e s orientales d ' u n magnifique e m p i r e qui allait d u r e r d e u x siècles. Les p r e m i e r s m o m e n t s de l ' o c c u p a t i o n furent p é nibles à cette poignée d ' h o m m e s , q u i v e n a i e n t établir l'influence e u r o p é e n n e d a n s des c o n t r é e s p o p u leuses dix fois p l u s g r a n d e s q u e le P o r t u g a l . La m é fiance des i n d i g è n e s et l'apparition d ' u n

puissant

e n n e m i d a n s le Z a m o r i n les obligèrent à u n e v é r i table c o n q u ê t e ; m a i s l e u r é t o n n a n t h é r o ï s m e et le génie d ' u n A l m é i d a t r i o m p h è r e n t d e tous les o b s tacles, si b i e n q u e S o u t h e y a p u dire q u e « n u l l e n a tion a u t r e q u e les P o r t u g a i s n'a j a m a i s a c c o m p l i de 2

si g r a n d e s choses en p r o p o r t i o n de ses m o y e n s ». D e s a v a n t a g e s c o m m e r c i a u x furent gagnés au p r i x du s a n g ; il i m p o r t a i t q u e le P o r t u g a l d e m e u r â t seul à en profiter. Aussi, dès le d é b u t , les efforts p e r s é v é r a n t s des vice-rois s ' a c h a r n è r e n t à éloigner

toute

c o n c u r r e n c e , et, s a n s s ' i n t e r r o m p r e , p e n d a n t

deux

siècles, ils frappèrent d e l e u r s c o u p s r é p é t é s trois 1

E n 1498.

2

Cité par Mérivale, op. cit., p . 44.


— 63 —

e n n e m i s successifs, les A r a b e s , les Espagnols et les Hollandais. L'établissement des p r e m i e r s sur la côte d'Afrique r e m o n t a i t à u n e origine très a n c i e n n e ; a u milieu de ces n a t i o n s de l'Inde, p a r v e n u e s à u n e civilisation relative, m a i s de longue date e n d o r m i e s d a n s l'inactivité, ils a v a i e n t j e t é les bases d ' u n brillant n é g o c e ; A d e n et O r m u s étaient les g r a n d e s cités c o m m e r çantes où v e n a i e n t affluer les richesses de l'Asie m é r i d i o n a l e , p o u r être ensuite dirigées vers l'Egypte et les r é p u b l i q u e s italiennes. Victorieux de la flotte égyptienne p r è s de Diu, Alméida brisa

soudaine-

m e n t cette p u i s s a n c e é c o n o m i q u e consacrée

par

les siècles ; son successeur, A l b u q u e r q u e , s ' e m p a r a de Goa, Malacca et O r m u s , il étendit sa d o m i n a tion j u s q u ' e n

l'intérieur

des terres, et là m ê m e

o ù il n e c o n q u i t q u ' u n droit de s u z e r a i n e t é , il faisait p r o m e t t r e

a u x p r i n c e s de n e v e n d r e

qu'aux

P o r t u g a i s certaines m a r c h a n d i s e s , de n e p o i n t a c cueillir chez eux d ' e n n e m i s de cette n a t i o n , et, en général, de ne point trafiquer avec les é t r a n g e r s s a n s son c o n s e n t e m e n t ; et, p o u r m i e u x a s s u r e r l'exécution de ces articles, il fut stipulé, d a n s les m ê m e s traités, q u e les I n d i e n s ne n a v i g u e r a i e n t p a s s u r m e r sans u n e p e r m i s s i o n expresse Ces d e r n i è r e s dispositions furent inspirées p a r la 1

Cf. Schérer, Histoire du Commerce de toutes les nations, p. 142.


— 64 —

crainte des E u r o p é e n s tout a u t a n t q u e p a r celle des Arabes. D a n s leur course à travers les m e r s , à la r e c h e r c h e des

territoires i n c o n n u s , il était

fatal

q u ' E s p a g n o l s et P o r t u g a i s se h e u r t a s s e n t un j o u r ; e n 1494, u n e g u e r r e i m p l a c a b l e était s u r le point de les m e t t r e a u x prises, q u a n d le p a p e A l e x a n d r e VI p r o p o s a son arbitrage ; aussitôt accepté, cet arbitrage d o n n a naissance à la fameuse bulle

Inter

Cætera,

q u i , traçant u n e ligne i m a g i n a i r e p a s s a n t à u n p o i n t d é t e r m i n é à l'est des Açores, a t t r i b u a i t à l ' E s p a g n e tout ce qui était à droite de la ligne, c'est-à-dire du côté de l ' A m é r i q u e , et au P o r t u g a l tout ce qui se trouvait à g a u c h e , a u t r e m e n t dit p a r delà le cap de B o n n e E s p é r a n c e . M a l h e u r e u s e m e n t , A l e x a n d r e VI ne s o u p çonnait p a s q u e la terre fût r o n d e ; or, il arriva q u ' à force de p é n é t r e r p l u s a v a n t d a n s leur d o m a i n e r e s pectif, E s p a g n o l s et P o r t u g a i s , de n o u v e a u , se r e t r o u v è r e n t en f a c e , m a i s cela n'eut lieu q u ' à u n e é p o q u e b i e n p o s t é r i e u r e , et la bulle eut d u

moins

l'avantage d'offrir u n e solution t e m p o r a i r e à u n p r o blème irritant. A p e i n e d é b a r r a s s é de l'Espagne, le P o r t u g a l vit se d r e s s e r u n e n n e m i p l u s r e d o u t a b l e e n c o r e , H o l l a n d e . Ce petit p e u p l e , objet d ' u n développement

économique

la

merveilleux

depuis son

indépen-

d a n c e , élargissait sans i n t e r r u p t i o n s o n

influence

m a r i t i m e ; a r r ê t é d a n s la m e r des I n d e s p a r

une

ligne de fer, il battit en b r è c h e la p u i s s a n c e p o r t u -


— 65 —

gaise et p a r les doctrines de ses écrivains, et p a r les expéditions de ses h a r d i s m a t e l o t s . C'est alors q u ' u n 1

de ses fils célèbres, Hugo G r o t i u s , o p p o s a l'idée m o d e r n e de la liberté des m e r s au fameux p r i n c i p e d u «Mare clausum»,

i n v o q u é p a r le P o r t u g a l c o m m e

u n e sorte de c o n s é q u e n c e d o g m a t i q u e de la bulle Inter Cætera. E n m ê m e t e m p s , les navires h o l l a n d a i s n e cessèrent de s ' a v e n t u r e r d a n s la m e r des I n d e s p o u r y p r a t i q u e r cette c o n t r e b a n d e qui l e u r r é u s sissait si bien d a n s les colonies espagnoles. La r é u n i o n du P o r t u g a l à l'Espagne fut le c o u p s u p r ê m e p o u r sa d o m i n a t i o n d a n s

l ' I n d e ; profitant de la

g u e r r e qu'elle livrait à son a n c i e n n e d o m i n a t r i c e , la H o l l a n d e chassa les P o r t u g a i s de leur s u p e r b e e m p i r e et s'y établit de façon définitive. C'est en 1500 q u e les h a s a r d s d ' u n e t e m p ê t e j e t è r e n t l'amiral Cabrai s u r les côtes b r é s i l i e n n e s , et si la m é t r o p o l e , toute a u x richesses de l'Inde, n ' a t t a c h a d ' a b o r d q u e peu d ' i m p o r t a n c e à sa nouvelle colonie, elle p r é t e n d i t

bien

cependant

qu'aucun

navire

é t r a n g e r n ' a p p r o c h â t de ses côtes. Ici, la F r a n c e et la H o l l a n d e e n t r è r e n t en rivalité avec elle. Chaque

a n n é e , l'esprit

de l u c r e et

d'aventure

poussait n o s m a r i n s à t e n t e r d'établir des relations c o m m e r c i a l e s avec l ' A m é r i q u e d u Sud, et c h a q u e a n n é e n o u s a p p o r t a i t la nouvelle de l e u r d é s a s t r e . François 1

er

I,

a b s o r b é p a r sa lutte c o n t r e

D a n s s o n o u v r a g e : De jure NORMAND.

belli ac

Charles-

pacis. 5


— 66 — Quint, ne voulut j a m a i s délivrer de lettres de r e p r é sailles; ce fut alors u n particulier, le célèbre a r m a t e u r dieppois J e a n Ango, qui se constitua le défens e u r de ses m a l h e u r e u x c o m p a t r i o t e s ; sa

grande

fortune et le n o m b r e de ses navires le firent respecter m ê m e des rois, et l o r s q u ' u n de ses vaisseaux eut été c a p t u r é p a r le roi de P o r t u g a l , il exigea et obtint u n e i n d e m n i t é de 60.000 d u c a t s . Q u e l q u e s a n n é e s p l u s t a r d , la d e s t r u c t i o n de nos é t a b l i s s e m e n t s b r é siliens et le m a s s a c r e de l'expédition portugaise de P e r n a m b u c , ne p u r e n t encore modifier la politique du roi de F r a n c e : l'amiral Chabot reçut

l'ordre

d'arrêter, d a n s les p o r t s n o r m a n d s , t o u s navires qui se r e n d r a i e n t aux lieux d o n t le P o r t u g a l r é c l a m a i t la s o u v e r a i n e t é . Enfin, en 1543, au l e n d e m a i n de l'arrestation de l ' a m i r a l , u n e d é p u t a t i o n des a r m a t e u r s de R o u e n obtint le retrait de l ' o r d o n n a n c e et la liberté d u trafic d a n s toutes les m e r s . Dès lors, la lutte était r e n d u e plus égale, m a i s

l'exclusivisme

portugais n o u s fit subir e n c o r e de terribles atteintes ; n o t a m m e n t , il occasionna le désastre des célèbres 1

expéditions de Villegagnon et La R a v a r d i è r e . 1

Ces p r é t e n t i o n s au m o n o p o l e i n s p i r a i e n t en F r a n c e d e v i v e s p r o t e s t a t i o n s , qui s e r e n c o n t r e n t m a i n t e s fois d a n s l e s écrits d u t e m p s . C'est a i n s i q n e P i e r r e C r i g n o n , o u l'auteur quel qu'il soit de la Relation de Ramusio, écrivait c e s l i g n e s é l o q u e n t e s : « Bien q u e l e s P o r t u g a i s s o i e n t le p l u s petit p e u p l e du g l o b e , il ne lui s e m b l e p a s a s s e z grand p o u r s a t i s faire sa c u p i d i t é ; j e p e n s e qu'ils d o i v e n t a v o i r b u d e la


— 67 — Grâce à l'insouciance de nos rois, le P o r t u g a l p u t a s s u r e r v i c t o r i e u s e m e n t son m o n o p o l e c o n t r e n o u s ; m a i s il n ' e n fut p a s de m ê m e avec la H o l l a n d e . Celleci, e n effet, profitant de sa g u e r r e avec l'Espagne, alors m a î t r e s s e d u P o r t u g a l , s ' e m p a r a du Brésil c o m m e elle avait fait de l'Inde ; m a i s elle n e sut p a s conserver son n o u v e a u d o m a i n e , elle y entassa faute sur faute et s'en fit chasser, en 1654, p a r u n e révolte des P o r t u g a i s du Brésil, q u i se r e d o n n è r e n t s p o n t a n é ment à leur ancienne métropole. Ainsi le P o r t u g a l assurait d a n s son e m p i r e cette rigoureuse exclusion de l'étranger, qui est la règle essentielle

et f o n d a m e n t a l e

du système

colonial.

Maître u n i q u e de son e m p i r e , de quelle organisation allait-il le d o t e r ? Il est nécessaire de distinguer ici e n t r e les d e u x g r a n d e s colonies du P o r t u g a l ,

les

I n d e s et le Brésil. p o u s s i è r e d u c œ u r d'Alexandre, p o u r s e m o n t r e r a n i m é s d'une pareille soif d e c o n q u ê t e s . Ils c r o i e n t tenir d a n s l e u r p o i n g f e r m é c e qu'ils n e p o u r r a i e n t e m b r a s s e r d e s d e u x m a i n s ; o n croirait v r a i m e n t qu'ils s e p e r s u a d e n t q u e D i e u a fait la terre et la m e r p o u r e u x et q u e l e s a u t r e s n a t i o n s ne s o n t pas d i g n e s d e n a v i g u e r . » Et Saint-Blancard, c a p i t a i n e général d e s g a l è r e s de la Méditerranée, d a n s u n e p r o t e s t a tion datée d e 1538, r e v e n d i q u a i t h a u t e m e n t le p r i n c i p e de la l i b e r t é d e s m e r s : « La m e r e s t c o m m u n e à t o u s , c e s î l e s qu'elle b a i g n e s o n t o u v e r t e s à t o u s c e u x qui p e u v e n t y aborder, et il doit être p e r m i s n o n s e u l e m e n t a u x F r a n ç a i s , m a i s à t o u t e s l e s n a t i o n s , de f r é q u e n t e r et de trafiquer a v e c l e u r s h a b i t a n t s . » Cf. P i g e o n n e a u , Histoire du commerce de la France, t o m e II, p . 152.


— 68 — D a n s la p r e m i è r e , le P o r t u g a l se sépara des idées r é g n a n t e s et n'usa p a s de c o m p a g n i e s privilégiées si fort en vogue chez les n a t i o n s rivales. Le r é g i m e c o m m e r c i a l fut celui de la liberté p o u r tous les n a t i o n a u x , m a i s ce fut u n e liberté pleine de restrictions, et n o u s d i r o n s plus j u s t e m e n t q u e le c o m m e r c e r e p o sait a u x m a i n s d u g o u v e r n e m e n t ; il s'en

empara

p o u r c o m p e n s e r les frais des expéditions p r é c é d e n t e s , q u e lui seul avait s u p p o r t é s , et p a r c e q u e cette navigation lointaine exigeait des m o y e n s de défense impossibles au plus riche particulier. C h a q u e a n n é e , en lévrier ou en m a r s , partait de L i s b o n n e p o u r Goa u n e flotte m a r c h a n d e de trois ou q u a t r e c a r r a q u e s , protégées p a r u n e escorte de g u e r r e ; l'aller eL le r e t o u r d u r a i e n t h a b i t u e l l e m e n t 18 m o i s ; il était p e r m i s aux négociants, en é c h a n g e d ' u n e taxe de 30 p . 100 de la valeur, de charger leurs m a r c h a n dises sur les navires du g o u v e r n e m e n t , m a i s cette faculté n e s'étendait p a s au poivre, m o n o p o l i s é p a r 1

la c o u r o n n e qui parfois m ê m e se réserva les é p i c e s . T a n d i s q u e le c o m m e r c e direct avec la m é t r o p o l e jouissait d ' u n e liberté relative, il n ' e n était plus ainsi du trafic i n t e r m é d i a i r e des c o n t r é e s d'Orient, ce q u e l'on appelait alors le c o m m e r c e d ' I n d e en I n d e ; ici, le m o n o p o l e réapparaissait d a n s toute sa r i g u e u r et c h a q u e a n n é e le g o u v e r n e m e n t dirigeait ses p r o p r e s navires, p o r t a n t ses seules m a r c h a n d i s e s , vers Ma1

Cf. S c h é r e r , op. cit., p. 140 et 142.


— 69 — lacca, M a r t a b a n , la Chine et le J a p o n , M o z a m b i q u e et O r m u s . T o u t e s les richesses de l'Inde affluaient en

un

centre u n i q u e à L i s b o n n e , qui les reversait s u r le m o n d e . Elles consistaient p r i n c i p a l e m e n t en épices, originaires des M o l u q u e s et p r é s e n t de la

nature

s i n g u l i è r e m e n t funeste à ces petites îles, sur lesquelles la rapacité des P o r t u g a i s s'abattit avec t a n t de c r u a u t é q u e les indigènes poussés au désespoir d é t r u i s i r e n t d ' e u x - m ê m e s u n e partie des a r b r e s qui causaient l e u r s souffrances. La Casa da India

opé-

rait u n e surveillance inflexible sur le trafic colonial, punissant la c o n t r e b a n d e à l'égal des c r i m e s . De la sorte, L i s b o n n e devint le trait d ' u n i o n entre les d e u x parties de l'Ancien M o n d e , elle r e n o u v e l a s u r u n e échelle b i e n plus large les é n o r m e s bénéfices des cités italiennes et se couvrit d ' u n e s p l e n d e u r d o n t le g r a n d t r e m b l e m e n t de terre de 1755 n'a m ê m e p l u s laissé de vestiges. Cette merveilleuse p r o s p é r i t é atteignait à son faîte q u a n d la r é u n i o n du P o r t u g a l à l'Espagne le mit en g u e r r e avec la H o l l a n d e ; le m o n o p o l e portugais fut s o u d a i n e m e n t brisé et Lisb o n n e dut dire adieu p o u r toujours à ce bel e m p i r e , qui avait fait d'elle u n m o m e n t la reine d u c o m merce européen. Cette c a t a s t r o p h e obligea le P o r t u g a l à t o u r n e r les y e u x vers le Brésil, son a u t r e colonie jusque-là dédaignée. Le c o m m e r c e du Brésil, dit Mérivale, fut


— 70 —

assujetti à u n système a n a l o g u e à celui des colonies espagnoles, m a i s u n peu m o i n s oppressif. « Les n a vires qui faisaient le t r a n s p o r t p r e n a i e n t la m e r u n e fois p a r a n , et le n o m b r e en était limité, m a i s il était bien plus g r a n d q u e celui e m p l o y é d a n s le c o m m e r c e de l ' A m é r i q u e espagnole et ils visitaient b e a u 1

c o u p de ports . » Le P o r t u g a l s'inspira ici de n o u v e a u x p r i n c i p e s , et, fermant le c o m m e r c e à la g é n é ralité des n a t i o n a u x , il le r e m i t a u x m a i n s d ' u n e c o m p a g n i e privilégiée. Cette « j u n t e » fut

autorisée

p a r J e a n IV dès 1648 ; d u r a n t u n siècle, elle a s s u r a le c o m m e r c e du Brésil p a r les convois

réguliers

d ' u n e flotte de 87 n a v i r e s , partis c h a q u e a n n é e de L i s b o n n e et d ' O p o r t o p o u r les g r a n d s c o m p t o i r s d ' o u t r e - m e r , Bahia, P e r n a m b u c , R i o - d e - J a n e i r o et le P a r a . E n 1725, l o r s q u ' e u t lieu la d é c o u v e r t e des m i n e s de d i a m a n t du Cerro d o F r i o , le P o r t u g a l d e m e u r a fidèle à son p r i n c i p e ; ce fut e n c o r e u n e c o m p a g n i e qui reçut le privilège de r e c h e r c h e r et v e n d r e ces d i a m a n t s . Le c o m m e r c e des d i a m a n t s fut interdit aux particuliers sous p e i n e de m o r t et le voisinage des m i n e s fut t r a n s f o r m é en u n désert où p o u v a i e n t seuls h a b i t e r les o u v r i e r s et agents d e la C o m p a g n i e . L'essai de colonisation du Brésil venait, p a r m a l h e u r , à u n m o m e n t critique de l'histoire portugaise : épuisé p a r des g u e r r e s continuelles et p a r u n d e m i 1

Cf. Mérivale, op. cit., p . 4 9 .


— 71 —

siècle d'asservissement, le P o r t u g a l était trop débile p o u r s o u t e n i r le p o i d s de son m o n o p o l e ; sa s p l e n dide m a r i n e d'autrefois était d a n s la plus triste décad e n c e , elle avait vu c a p t u r e r ses meilleurs navires d a n s les guerres c o n t r e la H o l l a n d e et l'Espagne, et m a i n t e n a n t c'étaient des flottes étrangères qui a m e n a i e n t d a n s L i s b o n n e les p r o d u c t i o n s de l ' A m é r i q u e ; d ' a u t r e p a r t , l'industrie portugaise, plus affaissée q u e j a m a i s , était i m p u i s s a n t e à réaliser l ' a p p r o v i s i o n n e m e n t des colonies, d o n t les m a n u f a c t u r e s anglaises s'emparèrent

1

c h a q u e j o u r d a v a n t a g e . D a n s cette

m a l h e u r e u s e d é c a d e n c e , les restrictions du

pacte

colonial étaient d e v e n u e s sans objet, le P o r t u g a l n'avait plus ni i n d u s t r i e ni m a r i n e , d o n t il fallut élargir les d é b o u c h é s ou g a r a n t i r les t r a n s p o r t s . C'est alors q u e le m a r q u i s de P o m b a l ,

devenu

m i n i s t r e , e n t r e p r i t de r é g é n é r e r son pays ; il v o u l u t q u e ce ne fût p l u s u n e m a r i n e anglaise qui a s s u r â t le c o m m e r c e des colonies, u n capital anglais qui entretînt leur exploitation ; et, p a r les m e s u r e s les plus énergiques, il r e s t a u r a le système colonial d a n s sa primitive r i g u e u r . Le c o m m e r c e de la Chine, où le P o r t u g a l possédait toujours Macao, fut c o n c é d é à u n riche négociant de L i s b o n n e , Velson O l d e m b o u r g ; q u a n t a u x c o m p a g n i e s de P a r a et de l ' A m a z o n e , substituées en 1755 à la p r e m i è r e c o m p a g n i e b r é s i l i e n n e , leur m o n o p o l e fut resserré p a r u n e étroite r é g l e m e n 1

A la s u i t e d u traité de M é t h u e n , s i g n é le 27 d é c e m b r e 1703.


— 72 — tation. Mais cette réaction ne fut p a s h e u r e u s e ; le système colonial se m o u r a i t d a n s l ' i m p u i s s a n c e et il contrariait le d é v e l o p p e m e n t du Brésil, sans e n r i chir la m é t r o p o l e , q u a n d son abolition définitive fut consacrée, en 1808, en m ê m e t e m p s q u e l ' i n d é p e n d a n c e b r é s i l i e n n e , lors de la fuite de la m a i s o n de Bragance d e v a n t les a r m é e s de N a p o l é o n . D ' u n e m p i r e colonial i m m e n s e , il ne restait p l u s au P o r t u g a l q u e q u e l q u e s c o m p t o i r s a u x I n d e s o r i e n tales et les n o m b r e u x é t a b l i s s e m e n t s des côtes africaines. Ceux-ci avaient été j a d i s d ' u n e g r a n d e utilité à la m é t r o p o l e , car ils constituaient u n e fertile p é p i nière d'esclaves, alors s u r t o u t q u e le P o r t u g a l avait le m o n o p o l e de la f o u r n i t u r e des colonies espagnoles ; e

m a i s , au d é b u t du xix siècle, cette utilité était bien d é c h u e ; elle fut m ê m e plus t a r d c o m p l è t e m e n t s u p p r i m é e l o r s q u e les actes i n t e r n a t i o n a u x de 1815, 1817, et 1836, restreignirent p r o g r e s s i v e m e n t , p u i s abolirent tout à fait la traite des nègres. Les établissements d'Afrique, q u i n ' a v a i e n t j a m a i s c o n n u d ' a u t r e i n d u s t r i e , t o m b è r e n t dès lors d a n s u n e décad e n c e l a m e n t a b l e ; en m ê m e t e m p s , Macao était r u i n é p a r la c o n c u r r e n c e é c r a s a n t e de Hong-Kong et descendait d u r a n g de p l a c e c o m m e r c i a l e i m p o r tante à celui de s i m p l e ville de plaisirs, d o n t

les

m a i s o n s de j e u d e v i n r e n t célèbres d a n s le m o n d e entier. L o r s q u ' e n 1856, le P o r t u g a l v o u l u t insuffler u n


— 73 —

peu de vie é c o n o m i q u e à ses possessions d é c h u e s , il se décida à en o u v r i r les p o r t e s à tous les pavillons et à p e r m e t t r e à tous les é t r a n g e r s de s'y établir librem e n t . C'était l'abolition

p u r e et simple d u pacte

colonial.

C H A P I T R E II. — L e P a c t e C o l o n i a l e n E s p a g n e . L ' E s p a g n e fut la véritable p a t r i e d u système colonial ; nulle p a r t son o r g a n i s a t i o n n'affecta des formes aussi rigoureuses, nulle p a r t ses c o n s é q u e n c e s

ne

s'accusèrent avec t a n t de relief. C'est q u ' a u m o m e n t m ê m e où Christophe C o l o m b d é c o u v r a i t l ' A m é r i q u e , au m o m e n t m ê m e où Cortez et P i z a r r e o p é r a i e n t leurs

merveilleuses

conquêtes, l'Espagne,

entrée

d é s o r m a i s en possession de son u n i t é , a d o p t a i t cette politique de d o m i n a t i o n e u r o p é e n n e , d o n t l'apogée j e t a u n si beau lustre s u r le règne de

Charles-

Quint ; elle devint la p r e m i è r e n a t i o n du m o n d e et s o u m i t la moitié de l ' E u r o p e à ses lois, m a i s ce ne fut q u ' a u prix de g u e r r e s incessantes qui exigèrent d ' é n o r m e s sacrifices d ' a r g e n t . Or, quelles richesses frappèrent les y e u x des n a v i g a t e u r s et des c o n q u i s t a d o r s à l e u r arrivée d a n s le N o u v e a u - M o n d e ? Ce fut de l'argent,

de l'or, d u

m é t a l p r é c i e u x ; les

entrailles profondes de la t e r r e c a c h a i e n t l'inépuisable t r é s o r de leurs m i n e s , et la m é t r o p o l e reçut à


74

m ê m e p e n d a n t p l u s d ' u n siècle ce nerf de la g u e r r e , qui la r e n d i t p a r t o u t victorieuse et r é u n i t sous le sceptre de C h a r l e s - Q u i n t les n o m b r e u s e s p r o v i n c e s d'un e m p i r e , s u r la surface d u q u e l le soleil n e se couchait pas. La soif d e l'or poussa l'Espagne à l'asservissement de ses colonies ; plus q u e toute a u t r e n a t i o n , elle n e c h e r c h a q u e son intérêt d a n s sa politique coloniale, m a i s ses lois n'affectèrent p a s toujours la m ê m e rig u e u r et ne furent p a s toujours c o u r o n n é e s du m ê m e succès. Bref, n o u s diviserons n o t r e é t u d e en q u a t r e p é r i o d e s : la p r e m i è r e est l'âge d'or du système colonial, la m é t r o p o l e j o u i t seule de ses colonies, qui lui a p p o r t e n t d ' i m m e n s e s richesses ; m a i s au c o u r s e

d u xvii siècle, l'Espagne recueille les fruits m a l h e u r e u x de s o n o p p r e s s i o n et n'est plus capable de défendre s o n m o n o p o l e c o n t r e des r i v a u x m i e u x a r m é s ; sous Alberoni et ses successeurs, l'Espagne tente de relever sa m a r i n e et son i n d u s t r i e , et r é p r i m e r les a b u s

de

de son organisation coloniale ;

m a i s cette r é a c t i o n bienfaisante n ' e u t q u e des effets e

passagers et le xix siècle vit u n e s e c o n d e d é c a d e n c e plus c o m p l è t e q u e la p r e m i è r e , d é c a d e n c e

radicale

et l a m e n t a b l e , qui aboutit à l'affranchissement

des

plus belles colonies a m é r i c a i n e s . L o r s q u e C o l o m b d é b a r q u a p o u r la p r e m i è r e fois a u x I n d e s occidentales, il en prit possession au n o m de son m a î t r e , F e r d i n a n d le C a t h o l i q u e . C'était le


— 75 — droit du p r e m i e r o c c u p a n t , et les rois d ' E s p a g n e , d a n s la suite, n e m a n q u è r e n t j a m a i s de l'affirmer très h a u t . E n ce temps-là, les P o r t u g a i s , a y a n t i m p l a n t é leur influence aux I n d e s Orientales, é t e n d i r e n t leur d o m i n a t i o n sur l'autre moitié d u globe et e n t r è r e n t avec l'Espagne d a n s la plus terrible rivalité ; n o u s savons c o m m e n t le p a p e A l e x a n d r e VI sut y m e t t r e u n t e r m e en édictant la fameuse bulle Inter cætera, qui établit la ligne de partage des d e u x empires. Libérée de son p r i n c i p a l e n n e m i , l'Espagne ne c o n n u t p a s la paisible j o u i s s a n c e de son A m é r i q u e ; il y eut toujours chez ses rivales, m ê m e au t e m p s de sa p l u s h a u t e p u i s s a n c e , des m a r i n s h a r d i s q u e n'effrayèrent p a s les m e n a c e s d ' u n e m o r t impitoyable ni la surveillance m i n u t i e u s e exercée p a r les agents de l'Espagne s u r les a r m e m e n t s des g r a n d s p o r t s d'Eur o p e . C o m b i e n de fois nos c o m p a t r i o t e s de F é c a m p , de D i e p p e , de Marseille, s'élancèrent vers le N o u v e a u - M o n d e p o u r y j e t e r les bases de n o t r e influence ! L'histoire d e ces expéditions n'est q u ' u n long m a r t y rologe et n o u s ne v o u l o n s en r e t e n i r q u e le plus sanglant é p i s o d e . L ' a m i r a l Coligny nourrissait la p e n sée d ' o u v r i r p a r u n i s t h m e de l ' A m é r i q u e u n e r o u t e vers les I n d e s orientales ; il envoya d a n s ce b u t d e u x expéditions, c o m m a n d é e s p a r R i b a u t et R e n é de L a u d o n n i è r e , qui p e n s è r e n t d é c o u v r i r d a n s la p r e s q u ' î l e de F l o r i d e le p o i n t de s é p a r a t i o n des d e u x o c é a n s .


— 76 — Nos e x p l o r a t e u r s élevèrent le fort Caroline, et u n e petite colonie grandissait déjà s u r cette t e r r e féconde, q u a n d le capitaine des flottes castillanes, M e n e n dez, reçut de son m a î t r e c o m m i s s i o n d'aller défend r e les prérogatives de l'Espagne ; le 19 s e p t e m b r e 1565, la g a r n i s o n de la Caroline fut s u r p r i s e et m a s sacrée ; R i b a u t fut c e r n é d a n s les bois et périt avec le plus g r a n d n o m b r e de ses c o m p a g n o n s . L a n o u velle de ce guet-apens excita en F r a n c e u n e i n d i g n a tion générale ; m a i s ce fut en vain q u e n o t r e a m b a s s a d e u r à Madrid, F o u r q u e v a u x , r é c l a m a de P h i l i p p e Il u n e r é p a r a t i o n e x e m p l a i r e ; en vain C a t h e r i n e de Médicis écrivit-elle q u e « la m e r n'est fermée à p e r s o n n e qui va et trafique de b o n n e foi » ; tout se r é duisit à u n é c h a n g e de notes d i p l o m a t i q u e s , à des 1

protestations stériles . Les n a t i o n s e u r o p é e n n e s , victimes i m p a t i e n t e s des p r é t e n t i o n s de l'Espagne, multipliaient les

démar-

ches p o u t o b t e n i r q u e l q u ' a d o u c i s s e m e n t à cette p o l i tique d r a c o n i e n n e ; m a i s le g o u v e r n e m e n t de Madrid d e m e u r a i t t o u j o u r s inflexible et c o n t i n u a i t de défend r e son m o n o p o l e avec la m ê m e sanglante énergie. Ce fut u n e faveur

toute particulière

au

Portugal

d ' o b t e n i r la f o u r n i t u r e exclusive des n o i r s africains d a n s les colonies espagnoles, et l o r s q u ' e n 1598 H e n r i IV fut

assez h e u r e u x p o u r faire i n s é r e r

l'article

secret d u traité de Verviers, il p e n s a b i e n 1

Cf. P i g e o n n e a u , op. cit.,

avoir

t o m e II, p . 163 et s., et 188.


— 77 — r e m p o r t é u n e r e m a r q u a b l e v i c t o i r e ; et p o u r t a n t , q u e disait ce fameux a r t i c l e ? Il spécifiait simplem e n t q u e passé la ligne tirée de la plus occidentale des Canaries et rejoignant les d e u x pôles, ligne q u e l'on a p p e l a la ligne des amitiés,

tout serait à la force

et n o s navires p o u r r a i e n t s ' a v e n t u r e r à leurs risques et périls, sans q u e la c o u r de Madrid élevât de p r o 1

testations . Q u a n d p o u r u n t e m p s elle eut éloigné ses rivaux des côtes a m é r i c a i n e s , l'Espagne n'avait a c c o m p l i q u e la moitié de sa t â c h e ; certaine de j o u i r seule de ses d o m a i n e s , il i m p o r t a i t aussi d'en j o u i r de la m a n i è r e la plus profitable. Le m o y e n e m p l o y é p a r elle fut l'établissement

du

pacte

colonial d a n s toute

sa

rigueur. T o u t v e n d r e et tout a c h e t e r à la m é t r o p o l e , telle fut la règle des c o l o n i e s ; l'Espagne n ' o m i t a u c u n des traits caractéristiques du pacte, p a s m ê m e en dépit de l'assertion de H u m b o l d t , la p r o h i b i t i o n rigoureuse de l'industrie locale. Il est vrai, r e m a r q u e Mérivale, « le raffinage d u sucre était p e r m i s d a n s l ' A m é r i q u e espagnole, et il existait à Quito et ailleurs d ' i m p o r tantes

m a n u f a c t u r e s des m a t i è r e s p r e m i è r e s

bien

qu'elles fussent de t e m p s à a u t r e découragées p a r les g o u v e r n e u r s e u r o p é e n s . Mais H u m b o l d t a oublié d'expliquer c o m m e n t il conciliait ce p r i n c i p e avec les édits a r b i t r a i r e s qui défendaient aux A m é r i c a i n s 1

Voir le texte d e l'article d a n s Pauliat, Politique de l'Ancien régime, a p p e n d i c e .

coloniale


— 78 —

de cultiver certaines

matières brutes

qui étaient

1

p r o d u i t e s d a n s la m è r e p a t r i e . » O n interdit a u x colons l'exercice des industries les plus i m p o r t a n t e s , telles q u e la filature, le tissage, la t e i n t u r e , la p r é p a r a t i o n d u cuir, etc. ; les m a l h e u r e u x I n d i e n s d u r e n t q u i t t e r leurs a c c o u t r e m e n t s bizarres p o u r revêtir des c o s t u m e s à l'espagnole. Une d e u x i è m e o r d o n n a n c e prohiba

t o u t e c u l t u r e de la vigne et de l'olivier,

exception faite toutefois en faveur

du Chili et d u

P é r o u , provinces considérées c o m m e t r o p l o i n t a i n e s , m a i s à qui fut e x p r e s s é m e n t défendue toute expédition de vin et d'huile à P a n a m a et G u e t a m a l a

et

d a n s les a u t r e s contrées réservées aux p r o d u i t s de la 2

m é t r o p o l e . De la sorte s'établissait e n t r e l'Espagne et ses possessions a m é r i c a i n e s u n c o u r a n t d ' é c h a n ges c o n t i n u , les u n e s d o n n a n t à profusion l'or et l'argent des m i n e s , l'autre livrant en r e t o u r les p r o duits de ses m a n u f a c t u r e s . Mais la multiplication d u n u m é r a i r e et l'élargissement de la d e m a n d e h a u s s è r e n t le prix des m a r c h a n d i s e s d a n s la m é t r o p o l e , et l'on en vint à r e g a r d e r c o m m e u n véritable m a l h e u r public les e x p o r t a t i o n s industrielles vers le N o u v e a u M o n d e . C'est alors q u e le g o u v e r n e m e n t de Madrid émit cette

singulière

d'Amérique ordonnances 1

2

sans r i e n

p r é t e n t i o n de recevoir donner

successives,

Mérivale, op. cit., p . 11. S c h é r e r , op. cit., p . 194.

en

l'or

é c h a n g e : des

é c h e l o n n é e s de 1532 à


— 79 — 1552, p r o h i b è r e n t sous p e i n e de confiscation l'exp o r t a t i o n des m a r c h a n d i s e s les plus i m p o r t a n t e s et l'on vit la fabrication de T o l è d e , la ville aux riches 1

soieries, d i m i n u e r s u r - l e - c h a m p de 50.000 l i v r e s . Aussi b i e n q u e l'industrie, la m a r i n e devait t r o u ver d a n s le c o m m e r c e colonial la source d ' u n n o u vel é p a n o u i s s e m e n t . La navigation

d'Espagne

en

A m é r i q u e fut organisée avec le p l u s g r a n d soin : p e r m i s e a u x seuls Castillans, restreinte à la seule place de Séville, puis de Cadix a p r è s l ' e n s a b l e m e n t du G u a d a l q u i v i r , elle t o m b a a u x m a i n s d ' u n petit n o m b r e de c o m m e r ç a n t s ,

d o n t l'association, sans

être officiellement r e c o n n u e c o m m e telle, formait 2

u n e véritable c o m p a g n i e p r i v i l é g i é e . C h a q u e a n n é e , la Casa de contratacion

d é t e r m i n a i t l'espèce et la q u a -

lité des m a r c h a n d i s e s à destination des c o l o n i e s ; puis les b â t i m e n t s affrétés p a r les a r m a t e u r s de Séville et de Cadix faisaient voile vers l ' A m é r i q u e sous u n e b o n n e escorte de vaisseaux de g u e r r e de la m a rine royale, a r m é s c h a c u n de 50 à 52 c a n o n s ; l'exp é d i t i o n c o m p r e n a i t d e u x e s c a d r e s , la flotte, destinée au c o m m e r c e de la N o u v e l l e - E s p a g n e , et les galions qui p o u s s a i e n t j u s q u ' a u x l o i n t a i n s rivages d u Chili et d u P é r o u . L o r s q u ' a p r è s u n e longue traversée, les b â t i m e n t s faisaient l e u r e n t r é e d a n s les r a d e s de la Vera-Cruz et de Porto-Bello, ils étaient atten1

2

Cf. S c h é r e r , op. cit., p . 220. R e m a r q u e de H e e r e n .


— 80 —

d u s p a r la foule n o m b r e u s e des

c o m m e r ç a n t s de

l ' A m é r i q u e , et c'était d u r a n t q u a r a n t e j o u r s

une

g r a n d e foire qui remplissait la ville d ' u n e a n i m a t i o n e x t r a o r d i n a i r e . « Les prix étaient fixés p a r les délégués des c o m m e r ç a n t s des d e u x h é m i s p h è r e s , à b o r d d u vaisseau a m i r a l , en p r é s e n c e du g o u v e r n e u r de P a n a m a . A p r è s la p u b l i c a t i o n de ce tarif, qui laissait u n bénéfice de 100 à 300 0/0, on entrait e n p o u r p a r l e r s , et les négociants espagnols et a m é r i cains traitaient très p r o m p t e m e n t et très facilement sur la base des prix officiels. On opérait

ensuite

l'échange des m a r c h a n d i s e s c o n t r e de l'argent e n b a r r e s ou c o n t r e des piastres, et u n e telle confiance présidait à ces t r a n s a c t i o n s , q u ' o n n e c o m p t a i t ni n ' e x a m i n a i t , et q u e , l o r s q u e des e r r e u r s v i n r e n t p l u s t a r d à être d é c o u v e r t e s , o n s'empressait de les r é l

parer . » Des m a i n s des négociants, les m a r c h a n d i s e s v e n u e s d ' E u r o p e passaient à celles des corregidors, c'étaient alors les repartimientos,

et

c'est-à-dire q u e les

m a r c h a n d i s e s étaient distribuées d a n s les divers a r r o n d i s s e m e n t s avec l'arbitraire le plus ridicule et le plus oppressif. « Des h o m m e s q u i , souvent, gagnaient à p e i n e de q u o i vivre eux et l e u r famille, devaient, c o m m e p a r u n e dérision de l e u r p a u v r e t é , s'habiller de velours et de soie et o r n e r de glaces les m u r a i l l e s n u e s de 1

Cf. S c h é r e r , op. cit., p. 198.


— 81 —

leurs c a b a n e s d é l a b r é e s . Les I n d i e n s n'avaient p a s de b a r b e et on les forçait à acheter des rasoirs ; ils ne c o n n a i s s a i e n t p a s le t a b a c et o n leur d o n n a i t des tabatières ; on leur d o n n a i t de plus des dentelles, des r u b a n s , des b o u t o n s , des livres et mille a u t r e s objets p o u r eux sans v a l e u r ; o n l e u r imposait surtout l'eau-de-vie qu'ils s'étaient d ' a b o r d refusés à 1

b o i r e , le tout a u x p r i x les p l u s e x t r a v a g a n t s . » Cette r é p a r t i t i o n insensée p r o c u r a i t a u x c o r r e g i d o r s u n bénéfice s u p é r i e u r e n c o r e à celui des négociants, et s'il est vrai q u e l'un des plus graves r e p r o c h e s a d r e s sés au système colonial est de fournir a u x colonies des m a r c h a n d i s e s inférieures à des p r i x élevés, j a m a i s ce r e p r o c h e n e fut plus h a u t e m e n t justifié q u e dans l'Amérique espagnole. Telle fut l'organisation d u p a c t e colonial d u r a n t la p r e m i è r e p é r i o d e , c'est-à-dire tout a u long de la e

p r e m i è r e partie du xvi siècle. Mais bientôt la m é t r o pole c o m m e n ç a de plier sous le faix de sa g r a n d e u r ; toute grisée de gloire militaire, elle vit l ' a u g m e n t a tion continuelle des i m p ô t s s e m e r la gêne d a n s les rangs du p e u p l e , et les h o m m e s des classes m o y e n nes ou s u p é r i e u r e s r e g a r d è r e n t c o m m e indigne de leur naissance de s ' a d o n n e r aux o c c u p a t i o n s i n d u s trielles et a u x arts m é c a n i q u e s . Dès 1545, il fallut a v o u e r d a n s Séville qu'il était impossible de fournir a v a n t u n délai de six a n n é e s toutes les m a r c h a n d i s e s 1

Ibidem, p. 199. NORMAND.

6


—82 — d e m a n d é e s p a r les négociants de C a r t h a g è n e ,

de

Porto-Bello et de la V e r a - C r u z . C'est alors q u e l'on vit s'organiser le plus é t o n n a n t système de c o n t r e b a n d e d o n t l'histoire

ait g a r d é le souvenir.

Les

e x p o r t a t e u r s espagnols, obligés de r e c o u r i r à l'étranger, é l u d è r e n t la loi en p r ê t a n t leur n o m à des n é gociants h o l l a n d a i s , anglais, français, et ce

furent

d é s o r m a i s les m a r c h a n d i s e s de ceux-ci qui

char-

gèrent la flotte et les galions. T o u t cela se p r a t i q u a i t à la faveur du c o n s e n t e m e n t

universel, car d é n o n -

cer u n c h a n g e m e n t é t r a n g e r à la Casa de

contrata-

cion était r é p u t é u n e g r a n d e infamie ; u n

honnête

p r é s e n t avait bien vite raison d u zèle d u consul et des e m p l o y é s de la d o u a n e , et le g o u v e r n e m e n t luim ê m e en était v e n u à r e g a r d e r la fraude c o m m e u n m a l nécessaire, il se b o r n a i t s i m p l e m e n t à exiger l'indult,

c'est-à-dire une sorte d ' i m p ô t

qui devait

i n d e m n i s e r le roi d u tort q u e lui faisait la c o n t r e 1

bande . e

Au d é b u t du xvii siècle, la c o n t r e b a n d e

fit

un

n o u v e a u pas qui précipita la m a r i n e espagnole d a n s la d e r n i è r e d é c a d e n c e . Les négociants de l'étranger s u p p r i m è r e n t l'entremise de la flotte et des galions, et d e m a n d è r e n t les b o n s offices m o i n s c o û t e u x d u P o r t u g a l , a u q u e l la tâche était r e n d u e b i e n facile p a r son privilège de fournir d'esclaves les colonies e s p a g n o l e s ; et m ê m e b i e n t ô t ces n a t i o n s 1

Cf. S c h é r e r , op. cit., p . 220 et s.

s'affran-


— 83 — c h i r e n t d ' u n e m a n i è r e plus c o m p l è t e e n c o r e , elles aussi o b t i n r e n t des traités d'asiento

et elles p r a t i -

q u è r e n t le c o m m e r c e interlope sur les p r o p r e s vaisseaux de l e u r m a r i n e . Le d e r n i e r c o u p , le c o u p de la m o r t , fut p o r t é à l'Espagne d é s e m p a r é e l o r s q u e , d u r a n t les g u e r r e s n o m b r e u s e s qui m i r e n t a u x prises les n a t i o n s e u r o p é e n n n e s d a n s la lutte p o u r l ' h é g é m o n i e , ses h e u reuses rivales s ' e m p a r è r e n t de la moitié des Antilles : les H o l l a n d a i s p r i r e n t Saint-Eustache en 1632, Curaçao en 1634; les F r a n ç a i s o c c u p è r e n t La G u a d e l o u p e , La M a r t i n i q u e et Saint-Domingue de 1630 à 1640, les Anglais la J a m a ï q u e en 1655; puis les D a n o i s euxm ê m e s , en 1671, p a r t i c i p è r e n t à la c u r é e générale en s'emparant

d e l'île S a i n t - T h o m a s . « J a m a ï q u e

Saint-Domingue devinrent pour

les

et

marchandises

de c o n t r e b a n d e de riches e n t r e p ô t s , d'où elles étaient facilement

dirigées

vers

le c o n t i n e n t . . .

Buenos-

Ayres, de station insignifiante qu'elle était, s'éleva au rang d ' u n e cité c o n s i d é r a b l e , p a r ce fait seul d'être le c e n t r e de la c o n t r e b a n d e e n t r e l ' E u r o p e et le 1

Pérou . » C o m m e n t l'Espagne pouvait-elle résister à cet e n v a h i s s e m e n t de la c o n t r e b a n d e , étant d o n n é l'état l a m e n t a b l e de sa m a r i n e ?

« Sous Charles II, dit

Schérer, l'Espagne ne possédait plus d a n s l'océan Pacifique q u e trois b â t i m e n t s de g u e r r e , d o n t d e u x 1

Mérivale, op. cit., p . 14.


— 84 — s e u l e m e n t étaient capables de tenir la m e r ; p e n d a n t l'hiver, tous trois c h e r c h a i e n t un refuge d a n s le p o r t de Callao. » Et d a n s l'Atlantique, la situation devait p a s

être plus b r i l l a n t e ! Une

telle

ne

surveil-

lance n'était p a s faite p o u r i n s p i r e r b e a u c o u p de crainte a u x fins voiliers des i n t e r l o p e s ; aussi, d e p u i s P h i l i p p e II, les 9/10 des m a r c h a n d i s e s c o n s o m m é e s d a n s les colonies étaient de p r o v e n a n c e é t r a n g è r e ; les foires de La Vera-Cruz et de P o r t o - B e l l o , j a d i s si brillantes, si m o u v e m e n t é e s , ne furent plus q u e des m a r c h é s sans i m p o r t a n c e ; bientôt les galions ne p a r t i r e n t plus q u e tous les cinq a n s et les e x p o r t a tions d ' A m é r i q u e , délaissant la r o u t e de Séville et de Cadix, se dirigèrent vers L o n d r e s et A m s t e r d a m , qui d e v i n r e n t les g r a n d s e n t r e p ô t s des p r o d u c t i o n s d'outre-mer. La puissance coloniale de l'Espagne était en p r o i e à cette triste d é c a d e n c e , l o r s q u ' u n

grand ministre

résolut de lui insuffler u n e vitalité nouvelle. Le c a r dinal Alberoni v o u l u t r e n d r e à l'Espagne la gloire du siècle de Charles-Quint, il v o u l u t y faire

affluer

e n c o r e les richesses des colonies a m é r i c a i n e s : alors fut i n a u g u r é e u n e ère de profondes réformes, qui se p o u r s u i v i r e n t d u r a n t trois q u a r t s de siècle. Grand a d m i r a t e u r de Richelieu, le m i n i s t r e espagnol lui e m p r u n t a l'idée de ces c o m p a g n i e s privilégiées, dont la fortune avait d'ailleurs été si brillante en Holl a n d e et en Angleterre. Une c o m p a g n i e reçut, en


— 85 —

1728, le m o n o p o l e du trafic avec la p r o v i n c e

de

Caracas, d a n s le b u t n o n plus d'exploiter les m i n e s d'or et d'argent, m a i s de faire p r o d u i r e à cette t e r r e féconde le sucre et le cacao ; en 1735, fut créée la c o m p a g n i e de Cuba ; p u i s , en 1756, u n e

troisième

c o m p a g n i e engloba d a n s son c o m m e r c e Cuba, P o r t o Rico et le H o n d u r a s . D ' a u t r e p a r t , il i m p o r t a i t de ressaisir la navigation coloniale si fort

compromise

p a r l'activité de la c o n t r e b a n d e ; à cette v u e r é p o n d i t la

création

des navires

immatriculés,

bâtiments

r a p i d e s et fins voiliers, capables de lutter de vitesse avec les c o n t r e b a n d i e r s h o l l a n d a i s et anglais. Enfin, en 1765, fut r e n d u e cette célèbre o r d o n n a n c e , qui p e r m i t le c o m m e r c e d ' A m é r i q u e aux d o u z e p r i n c i 1

p a u x p o r t s de l'Espagne , m e s u r e salutaire d o n t les effets n e se firent point a t t e n d r e , car bientôt l'on put voir 150 b â t i m e n t s d a n s la r a d e de la H a v a n e o ù , sous le r è g n e de F e r d i n a n d VI, il n'avait p a r u q u e quatre

n a v i r e s i m m a t r i c u l é s . La c o n t r e b a n d e

fut

l'objet de p r o h i b i t i o n s d é s o r m a i s effectives, à tel p o i n t q u e l'on ne craignit p a s d ' e n t r e r en g u e r r e à ce sujet avec l'Angleterre, en 1749, et d'abolir l'ann é e suivante le traité d'asiento,

qui avait

revêtu

d ' u n e a p p a r e n c e de légalité l'entrée illicite des m a r c h a n d i s e s anglaises à Porto-Bello. 1

Ces p o r t s étaient S é v i l l e ,

Cadix, A l i c a n t e , Carthagène,

Malaga, B a r c e l o n e , Santander, la C o r o g n e , Gijon, Ténériffe et P a l m a .


— 86 — E n vérité, c'étaient là d ' i m p o r t a n t e s réformes, et le succès qu'elles o b t i n r e n t avait b i e n lieu d ' e n c o u rager leurs initiateurs. N é a n m o i n s , l e u r résultat n e fut a u t r e q u e d ' a p p o r t e r u n e o r g a n i s a t i o n

intelli-

gente au pacte colonial, et le vieux s y s t è m e restait toujours d e b o u t d a n s ses applications r i g o u r e u s e s , l'exclusion de l'étranger d e m e u r a i t toujours le d o g m e inviolable a u q u e l il ne fallait p o i n t t o u c h e r . Au d é b u t e

d u xix siècle, cette règle e l l e - m ê m e fut

entraînée

p a r les p r o g r è s de l ' œ u v r e réformatrice : u n e o r d o n n a n c e r o y a l e d e 1809 ouvrit enfin l'île de C u b a au c o m m e r c e de toutes les n a t i o n s . T a n d i s q u e le pacte c o l o n i a l conservait toute la rigidité de ses p r i n c i p e s d a n s les colonies françaises et anglaises, les p l a n t e u r s c u b a i n s o b t i n r e n t l'avantage, m o y e n n a n t des taxes légères, de la libre v e n t e de leurs p r o d u i t s , du libre a c h a t de l e u r s c o n s o m m a t i o n s , du libre accès de tous les pavillons. U n e telle m e s u r e , c'était l'élargissement des d é b o u c h é s c o m m e r c i a u x , n o n s e u l e m e n t d a n s la m é t r o p o l e , m a i s d a n s toutes les c o n trées qui n'avaient p a s de colonies à sucre et q u e le pacte colonial anglais ou français e m p ê c h a i t de se fournir d a n s les îles voisines des Antilles. La H a v a n e devint u n g r a n d p o r t , où fréquentaient c h a q u e a n n é e 6.000 vaisseaux de tout pavillon, et les C u b a i n s d a n s leur g r a t i t u d e d r e s s è r e n t la statue de F e r d i n a n d VII sur la plus belle place de l e u r capitale. E n 1815, ce fut au t o u r de P o r t o - R i c o de recevoir


— 87 —

les bienfaits d ' u n e législation libérale. N o n s e u l e m e n t l'on ne ferma plus la p o r t e a u x étrangers, mais l'on accueillit leur i m m i g r a t i o n p a r des faveurs ; c h a c u n d'eux reçut u n e concession de q u a t r e fanègues

et

d e m i (2 h e c t a r e s 50 ares) à condition de les cultiver, et l'on ajouta m ê m e u n e q u a n t i t é moitié m o i n d r e p a r c h a q u e esclave e m p l o y é . De m ê m e qu'à Cuba, les b o n s effets de la réforme ne t r o m p è r e n t pas l'attente ; « en q u i n z e a n s , dit Mérivale, la p o p u l a t i o n d o u b l a , et, en 1840, elle dépassait 400.000 â m e s s u r u n e surface de 4.000 milles c a r r é s . . . . D a n s les m ê m e s vingt a n n é e s , les e x p o r t a t i o n s furent

quadru-

plées ; dès 1830, l'exportation du s u c r e était à P o r t o 1

Rico moitié aussi g r a n d e q u ' à la J a m a ï q u e . » L ' E s p a g n e ne c o n n u t p a s l o n g t e m p s cette h e u r e u s e p r o s p é r i t é de ses colonies. Déjà, au m o m e n t m ê m e où Cuba et Porto-Rico p r e n a i e n t u n essor i n a t t e n d u , la m é t r o p o l e , sur un a u t r e p o i n t de l ' A m é r i q u e , p o r tait c r u e l l e m e n t le poids de ses fautes et voyait t o m b e r pièce à pièce son magnifique e m p i r e . D u r a n t trois siècles de d o m i n a t i o n sur les colonies de l'Amér i q u e m é r i d i o n a l e , l'Espagne n'avait su leur i n s p i r e r d ' a u t r e s e n t i m e n t q u e la révolte et la h a i n e ; aussi, l o r s q u e les a r m é e s françaises e n v a h i r e n t le sol de l'Esp a g n e , les colonies r é p o n d i r e n t à l'appel de l e u r célèb r e l i b é r a t e u r , Bolivar, et profitèrent d u d é s a r r o i m é tropolitain p o u r c o n q u é r i r leur i n d é p e n d a n c e . La Co1

Mérivale, op. cit., p . 40.


— 88 — l o m b i e , le Chili, le P é r o u se d é t a c h è r e n t l'un a p r è s l'autre de la m è r e p a t r i e , le Mexique l u i - m ê m e secoua le j o u g a b h o r r é et il ne resta plus q u e la m é m o i r e de ce fameux e m p i r e , d a n s les limites d u q u e l le soleil ne se couchait pas. E n 1808 eut lieu la p r e m i è r e r é v o l u t i o n de C u b a . C'était l ' é p o q u e où la F r a n c e et l'Angleterre, a b a n d o n n a n t les p r i n c i p e s s u r a n n é s d u pacte colonial, v e n a i e n t d ' a c c o r d e r à leurs possessions la p l é n i t u d e de la liberté d u c o m m e r c e . C e p e n d a n t Cuba en était toujours au tarif de 1815, a c q u i t t a n t s u r les différents articles des droits g r a d u é s de 7 1/2 à 33 1/2 p . 100 ad valorem.

La situation n'était plus égale avec les colo-

nies de l'étranger, et ce tarif qu'elle avait reçu j a d i s avec tant de r e c o n n a i s s a n c e lui p a r u t dès lors d ' u n e i n s u p p o r t a b l e o p p r e s s i o n ; elle vit avec a m e r t u m e les Etats-Unis, q u i lui a c h e t a i e n t j a d i s 62 p . 100 de sa p r o d u c t i o n sucrièrè, délaisser le m a r c h é de la H a v a n e et d o n n e r l e u r clientèle a u x colons plus favorisés de la J a m a ï q u e et des Antilles françaises. « Les p l a n t e u r s devaient p a y e r fort c h e r les farines, le fer, les tissus, tous les objets utiles à l'existence et à la fabrication, et ils se t r o u v a i e n t p o u r la v e n t e , sur le g r a n d m a r c h é d ' A m é r i q u e , d a n s des c o n d i t i o n s b e a u c o u p plus m a u v a i s e s q u e leurs c o n c u r r e n t s d e s îles voisines. Q u a n d les i n t é r ê t s des colons sont aussi m a n i f e s t e m e n t lésés, le loyalisme ne t a r d e p a s à dis1

p a r a î t r e . » Le loyalisme ne subsista g u è r e en effet ; 1

Cf. P a u l L e r o y - B e a u l i e u , op. cit., p . 259.


— 89 — la révolte éclata ; d u r a n t dix a n n é e s , la p e r l e des Antilles fut à feu et à sang. Q u a n d , en 1878, le m a réchal Martinez C a m p o s p u t enfin r é t a b l i r la paix, cette l o n g u e p é r i o d e de g u e r r e avait p r o d u i t des cons é q u e n c e s désastreuses : en 1883, la p r o d u c t i o n s u crière était t o m b é e à 400 millions de k i l o g r a m m e s , au lieu de 700 millions a v a n t la g u e r r e ; les exportations a u x Etats-Unis n ' é t a i e n t plus q u e de 330 mil1

lions au lieu de 430 millions en 1874 . C o m m e n t u n e s e m b l a b l e c o m p r e s s i o n de la vitalité é c o n o m i q u e eûtelle a m e n é l ' a p a i s e m e n t d o n t la m a l h e u r e u s e colonie avait u n si g r a n d besoin ? Et faut-il s'étonner q u e le feu q u i couvait e n c o r e se soit r a l l u m é d a n s u n e nouvelle i n s u r r e c t i o n p l u s terrible q u e la p r e m i è r e ? Cette fois, les E t a t s - U n i s , à q u i la p r o s p é r i t é de C u b a i m p o r t a i t à u n si h a u t p o i n t , n ' o n t pas reculé d e v a n t la g u e r r e p o u r o b t e n i r la satisfaction de ses intérêts, et l'Espagne v a i n c u e a été obligée de r e c o n n a î t r e l'in2

d é p e n d a n c e de sa plus belle c o l o n i e . Ainsi s'abîma la p u i s s a n c e coloniale de l'Espagne, p o u r n'avoir p a s su c o n s e n t i r à l ' h e u r e o p p o r t u n e l'abolition du vieux s y s t è m e colonial, rejeté p a r les progrès de la science et p a r les e n s e i g n e m e n t s de la 1

Ces chiffres o n t été a p p o r t é s à la t r i b u n e d u Sénat e s p a g n o l par M. R u i z - G o m e z . Cf. L e r o y - B e a u l i e u , op. cit., p . 266. 2

L ' E s p a g n e p e r d i t en m ê m e t e m p s l e s P h i l i p p i n e s , d o n t le r é g i m e d o u a n i e r avait s u b i , au c o u r s d u s i è c l e , d e s modificat i o n s p a r a l l è l e s , et qui a v a i e n t , l o r s de la d e r n i è r e g u e r r e , l e s m ê m e s griefs q u e Cuba.


— 90 —

p r a t i q u e au r a n g des plus néfastes e r r e u r s des siècles passés. E n t e r m i n a n t cette m a l h e u r e u s e histoire, l'on n e peut q u e s'associer à ces p a r o l e s d ' u n émin e n t é c o n o m i s t e : « Les Espagnols a u r o n t eu le m é rite de p e u p l e r p r è s de la moitié du N o u v e a u M o n d e , m a i s ils n ' a u r o n t pu le c o n s e r v e r p a r c e qu'ils o n t oublié q u ' u n e colonie n'est pas faite p o u r engraisser des fonctionnaires et p o u r rester fermée au

com-

1

merce étranger . »

C H A P I T R E III — L e P a c t e C o l o n i a l e n H o l l a n d e . L o r s q u e Grotius, d a n s u n célèbre o u v r a g e , éleva la p r o t e s t a t i o n éclatante du droit des gens c o n t r e le m o n o p o l e m a r i t i m e de l'Espagne et du P o r t u g a l , il n e pensait pas q u e la H o l l a n d e p o u r son

propre

c o m p t e dût a b a n d o n n e r les idées régnantes. « Mare l i b e r u m » , avait dit le g r a n d publiciste, et c e p e n d a n t aussitôt q u e le voyage de Cornélius H o u t m a n eut jeté les bases p r e m i è r e s de la d o m i n a t i o n n é e r l a n daise a u x I n d e s orientales, la m e r n'y d e m e u r a pas moins

obstinément

close

aux

infiltrations

euro-

p é e n n e s . E n H o l l a n d e c o m m e chez les a u t r e s n a t i o n s , le système colonial devait avoir sa longue histoire plusieurs fois séculaire, m a i s il p r é s e n t a ce caractère particulier q u e , t a n d i s q u ' e n E s p a g n e et en P o r t u g a l 1

Cf. P a u l L e r o y - B e a u l i e u , op. cit., p . 2 6 6 .


— 91 —

les c o m p a g n i e s privilégiées a p p a r u r e n t s e u l e m e n t à u n e é p o q u e t a r d i v e , et c o m m e u n d e r n i e r r e m è d e à u n e situation d é s a s t r e u s e , la H o l l a n d e mit en elles dès la p r e m i è r e h e u r e toutes ses e s p é r a n c e s d e colonisation. Nous

allons t r a c e r le tableau r a p i d e des évolu-

tions de la politique coloniale h o l l a n d a i s e , en n o u s c o n f o r m a n t aux divisions g é o g r a p h i q u e s de ses applic a t i o n s , c'est-à-dire en n o u s p o r t a n t t o u r à t o u r a u x I n d e s orientales et a u x I n d e s o c c i d e n t a l e s . C'est le 20 m a r s 1602 q u e la célèbre c o m p a g n i e des I n d e s orientales sortit d u vote des E t a t s - G é n é r a u x . A p e i n e e n t r é e e n activité, elle c o m m e n ç a la p r a t i q u e du s y s t è m e colonial en ses d e u x m a n i f e s t a tions essentielles, à savoir la chasse à l'étranger l'exploitation

de

et

l'indigène. Elle t r o u v a la d o m i -

n a t i o n portugaise a p p u y é e s u r u n e existence s é c u laire, m a i s cette d o m i n a t i o n a r r o g a n t e et

tyran-

n i q u e n'avait pas su m é r i t e r l'affection des p e u p l a d e s i n d i e n n e s et elle fut r a p i d e m e n t d é t r u i t e à la suite de q u e l q u e s c o m b a t s m e u r t r i e r s . La C o m p a g n i e se tourna

ensuite c o n t r e les Anglais, p o s s e s s e u r s

factoreries peu n o m b r e u s e s à J a v a et des Moluques : en 1618, l ' a m i r a l

danss

Jean

Koen

de

l'archipel conduit

u n e expédition à J a v a , chasse les Anglais hors de l'île, et bâtit s u r les d é c o m b r e s

de

Jacatra

réduite

en c e n d r e s la nouvelle cité d e B a t a v r a ; l'année suiv a n t e , les é t a b l i s s e m e n t s d e B a n d a

furent

pillés

et


— 92 —

livrés aux flammes, puis les Anglais, en 1623, furent poursuivis d a n s l e u r d e r n i è r e r e t r a i t e , à A m b o i n e , où leurs cruels e n n e m i s

les

massacrèrent

tous,

excepté q u a t r e . Avec u n e pareille i n t o l é r a n c e , est-il surprenant

que

notre

compagnie

française

des

Moluques ait b i e n vite s o m b r é d a n s u n l a m e n t a b l e é c h e c ? Les Chinois e u x - m ê m e s e u r e n t à souffrir de l'exclusivisme grosses

h o l l a n d a i s et ils d u r e n t

redevances

payer

de

p o u r c o n t i n u e r l'exercice

du

cabotage d a n s l'archipel i n d i e n . Ce qui attirait par-dessus tout la H o l l a n d e a u x I n d e s orientales, et ce qui la portait à de tels actes d e féroce j a l o u s i e , c'était l'existence des précieuses épices d o n t se couvrait la surface des îles

océa-

n i e n n e s . La C o m p a g n i e s'exagéra d ' u n e façon extrao r d i n a i r e l ' i m p o r t a n c e d e ces d e n r é e s , et, p o u r en r e t e n i r à tout j a m a i s le m o n o p o l e , p o u r en conserver le prix

au taux le plus élevé possible,

elle

a d o p t a u n e c o n d u i t e q u e l'on cite avec j u s t e raison c o m m e u n t é m o i g n a g e de l'esprit étroit qui a n i m a i t la politique c o m m e r c i a l e d u t e m p s . Elle fil la g u e r r e à la n a t u r e elle-même en n e laissant subsister ses p r é s e n t s q u e là où elle croyait p o u v o i r en c o n s e r v e r la j o u i s s a n c e exclusive et en les a n é a n t i s s a n t p a r tout ailleurs. Un de ses o r d r e s restreignit la culture du m u s c a d i e r à l'île d e B a n d a , u n a u t r e celle d u giroflier à l'île d ' A m b o i n e . D a n s toutes les a u t r e s M o l u q u e s , ces a r b r e s devaient être détruits p a r le


— 93 — fer et le feu, et toute p l a n t a t i o n nouvelle fut interdite sous les p e i n e s les plus cruelles ; on conclut à ce sujet des traités avec les indigènes, qui furent ainsi dépouillés d ' u n des droits les plus n a t u r e l s à l ' h o m m e et qui obligèrent p a r leurs infractions les agents

de

la

Compagnie à

p r e n d r e souvent

les

1

armes . U n e telle politique, c'était le pacte colonial d a n s toute sa r i g u e u r ; ce furent aussi ses c o n s é q u e n c e s m a l h e u r e u s e s d a n s toute l e u r é t e n d u e . P a r la restriction artificielle de la p r o d u c t i o n , l'on n ' e n v o y a i t en H o l l a n d e q u e de r a r e s épices, d o n t la c h e r t é p e r m a n e n t e était s i n g u l i è r e m e n t nuisible au c o n s o m m a t e u r ; la gêne q u i e n résulta eut s o n d o u l o u r e u x écho d a n s la m é t r o p o l e dès le p r e m i e r r e n o u v e l l e m e n t de la c h a r t e d e la c o m p a g n i e ; il y eut alors tout u n p a r t i qui accusa les priviligiés de sacrifier à leurs bénéfices les intérêts s u p é r i e u r s de la m è r e p a t r i e , et J e a n de W i t t l u i - m ê m e se m i t à la tête d u m o u v e m e n t qui d e m a n d a i t l ' o u v e r t u r e d u c o m m e r c e de l'Inde à tous ses c o m p a t r i o t e s . Le m o n o p o l e , d ' a u t r e p a r t , n'allait p a s sans obliger la C o m p a g n i e à des frais considérables de s u r v e i l l a n c e ; elle d u t e n t r e t e n i r à ses gages u n e a r m é e n o m b r e u s e d e fonctionnaires et placer sur toute l ' é t e n d u e de ses possessions des établissements d o n t le p r o d u i t était n u l , et d o n t la seule utilité était d'écarter les c o n t r e 1

Cf. S c h é r e r , op. cit., p . 259.


— 94 — b a n d i e r s des puissances r i v a l e s ; aussi q u a n d

les

d é b o u c h é s de la C o m p a g n i e furent atteints p a r la d é c o u v e r t e de n o u v e a u x centres de la

production

des épices, elle vit a n n u e l l e m e n t s o n budget se sold e r p a r u n déficit de p l u s i e u r s millions. Enfin les Anglais, et en général toutes les n a t i o n s , n ' o u b l i è r e n t p a s les p r o c é d é s d r a c o n i e n s d o n t ils avaient eu à souffrir a u x I n d e s o r i e n t a l e s ; ils d i r e n t adieu p o u r l o n g t e m p s à ces régions inhospitalières et ils découv r i r e n t s u r les côtes de Guinée de magnifiques t e r r i toires, d o n t le sol fertile fournissait à profusion lui aussi les m u s c a d e s et les clous de girofle. La Hole

l a n d e fut, au xvii siècle, l'objet de la h a i n e de tous les p e u p l e s , elle eut à s u p p o r t e r les a t t a q u e s continuelles de la F r a n c e et de l'Angleterre, et son hégém o n i e c o m m e r c i a l e reçut enfin u n e m o r t e l l e atteinte l o r s q u e Cromwell édicta son fameux acte de navigation. L a c o n c u r r e n c e de nouvelles terres, la f e r m e t u r e de ses p r i n c i p a u x d é b o u c h é s , et, p a r - d e s s u s tout, les vices d ' u n e a d m i n i s t r a t i o n sans s c r u p u l e , c'étaient là des causes t r o p p u i s s a n t e s de d é c a d e n c e

pour

q u e la C o m p a g n i e sût y résister; déjà, en 1741, le b a r o n d'Imhoff, g o u v e r n e u r général de Batavia, d e m a n d a i t la libre o u v e r t u r e du c o m m e r c e de l'Inde 1

à tous les n a t i o n a u x , et, lors de la fondation de la

1

Mais, p e u l o g i q u e en c e l a , le b a r o n d'Imhoff v o u l a i t r é -


95

R é p u b l i q u e Batave, en 1798, la C o m p a g n i e s o m b r a définitivement, laissant à la charge de l'Etat é n o r m e dette de 112 millions de

une

florins.

P o u r a u c u n e institution, il ne fut plus à p r o p o s de p a r l e r de g r a n d e u r et de d é c a d e n c e ; p e n d a n t tout e

le xvii siècle, la C o m p a g n i e c o n n u t u n e ère de m e r veilleuse s p l e n d e u r , elle fut en E u r o p e la reine i n contestée d u m a r c h é colonial ; m a i s l'époque suiv a n t e lui m é n a g e a de tristes r e t o u r s de fortune, tant il est vrai q u e le pacte colonial ne p u t j a m a i s asseoir u n e p r o s p é r i t é d u r a b l e , et qu'il t r a î n a toujours à sa suite un cortège de néfastes c o n s é q u e n c e s , d o n t ses p r o p r e s initiateurs d e v i n r e n t à leur t o u r les victimes. Telle fut l'histoire du pacte colonial d a n s les I n d e s orientales au m o m e n t de son application la plus rie

g o u r e u s e . Le xix siècle n o u s offre le spectacle d ' u n e évolution g r a d u e l l e , m a i s lente, de la p o l i t i q u e holl a n d a i s e vers la liberté. E n 1824, la société d u c o m m e r c e n é e r l a n d a i s fut établie sur les r u i n e s de l'anc i e n n e c o m p a g n i e , m a i s elle vécut d ' u n e existence é p h é m è r e et bientôt le g o u v e r n e m e n t de la m é t r o p o l e prit d i r e c t e m e n t e n t r e les m a i n s l'exploitation et le c o m m e r c e de ses colonies i n d i e n n e s . T o u t e s les cult u r e s d e v i n r e n t alors des c u l t u r e s g o u v e r n e m e n t a l e s , s e r v e r a la C o m p a g n i e le c o m m e r c e Cf.

Bonnassieux,

p . 58.

Les

grandes

exclusif des

Compagnies

de

épices. commerce,


— 96 — auxquelles le général Van d e n Bosch p r ê t a u n e forte organisation en établissant le régime des c o r v é e s . A p a r t i r de 1850, le g o u v e r n e m e n t limita son m o n o pole aux d e n r é e s les plus lucratives, le sucre et le café, et l'activité particulière reçut u n vaste c h a m p à son e x p a n s i o n d a n s les cultures, d é s o r m a i s libres, d u t h é , d u t a b a c , de l'indigo, de la cochenille et de la canelle. Enfin, le vieux système colonial fut l u i - m ê m e e n t a m é , avec timidité d ' a b o r d , puis r é s o l u m e n t : en 1850, o n restreignit le m o n o p o l e de navigation ; u n e o r d o n n a n c e de 1858 ouvrit au c o m m e r c e général les seize p r i n c i p a u x p o r t s de l'île de Java ; puis l'on y a t t é n u a les droits différentiels et les surtaxes de pavillon qui favorisaient a u x d é p e n s des colonies la m a r i n e m é t r o p o l i t a i n e et qui d i s p a r u r e n t c o m p l è t e m e n t en 1874. Le c a r a c t è r e libéral d u n o u v e a u r é gime a eu p o u r effet de s u p p r i m e r l ' i n t e r m é d i a i r e d e la m é t r o p o l e et de lui ôter ainsi u n e s o u r c e de b é n é fices c o n s i d é r a b l e s . Mais le c o m m e r c e général de J a v a , et p a r suite la richesse de l'île, s'est accru d a n s u n e p r o p o r t i o n merveilleuse ; q u ' o n en j u g e p a r cette seule constatation q u e le c o m m e r c e d u sucre avec la G r a n d e - B r e t a g n e s'est élevé, au l e n d e m a i n de la réf o r m e , de 9.295.000 florins à 15.869.000 florins et qu'il 1

atteignait, en 1877, 22 millions florins . 1

Cf. L e r o y - B e a u l i e u , Colonisation

p . 286 et s.

chez les peuples

modernes,


— 97 —

N o u s a v o n s t e r m i n é l'étude du pacte colonial aux Indes orientales ; il n o u s reste m a i n t e n a n t à l'étudier d a n s la d e u x i è m e s p h è r e de son application, c'est-àdire a u x Antilles et d a n s l ' A m é r i q u e du Sud. L à , son organisation n e fut p a s r e m a r q u a b l e et n o u s n o u s b o r n e r o n s à lui c o n s a c r e r u n e esquisse r a p i d e . C'est en 1621 q u e fut créée la C o m p a g n i e des Indes occidentales, avec le privilège exclusif du c o m m e r c e d a n s toute la partie du globe située e n t r e le t r o p i q u e du Cancer et la p o i n t e de T e r r e - N e u v e , entre le cap de B o n n e - E s p é r a n c e et le détroit de Magellan. La p h y s i o n o m i e de ses d o m a i n e s se présentait c o m m e p r o f o n d é m e n t différente de celle des possessions asiatiques de la c o m p a g n i e rivale : d ' i m m e n s e s territoires incultes, des p o p u l a t i o n s sauvages, des relations intercoloniales inexistantes, et,

par-dessus

tout, la puissance de l'Espagne f e r m e m e n t assise, telles furent les observations q u e Willelm Usselinx r a p porta de son voyage en A m é r i q u e , et tels furent aussi les é l é m e n t s sur lesquels la c o m p a g n i e nouvelle dut édifier sa fortune. La mise en v a l e u r d ' u n pareil d o m a i n e exigeait le travail de bien des a n n é e s , en m ê m e t e m p s q u e la d é p e n s e p r é a l a b l e de bien des millions de florins. Et p o u r t a n t , dès les p r e m i è r e s a n n é e s de son existence, l'on p u t voir la c o m p a g n i e d i s t r i b u e r de magnifiques d i v i d e n d e s de 25, de 50 et m ê m e 100 p . 100, et ses actions atteignirent u n e cote plus élevée q u e celle de la C o m p a g n i e des I n d e s orientales, alors NORMAND.

7


— 98 — d a n s la plus belle p é r i o d e de sa gloire. D'où vient cette a n o m a l i e ? Elle s'explique p a r l'activité de la course et de la c o n t r e b a n d e , qui firent alors u n e g u e r r e i m p i t o y a b l e aux navires des a u t r e s p u i s s a n ces et p r i n c i p a l e m e n t de l'Espagne. De 1623 à 1636, la c o m p a g n i e n e mit p a s en m e r m o i n s de 800 navires avec lesquels elle prit à l ' e n n e m i 545 b â t i m e n t s , e n t r e a u t r e s , en 1628, ce q u e l'on appelait la flotte d'argent ; et tandis q u e les d é p e n s e s d ' a r m e m e n t fur e n t en cette p é r i o d e de 45 millions, la v a l e u r des 1

prises s'éleva à 90 m i l l i o n s . Q u a n d la H o l l a n d e , en 1634, se fut e m p a r é e de C u r a ç a o , Bénaire, Aves et A r u b a , p u i s , q u a r a n t e a n s plus t a r d , de Saint-Martin et de Saint-Eustache, elle y établit de vastes dépôts de c o n t r e b a n d e , et ces îles r e ç u r e n t de ce caractère u n e notable a t t é n u a t i o n d u système colonial. P o u r e n t r e t e n i r l'activité de c o n t r e b a n d e , il fallait p e r m e t t r e a u x

la

marchandises

d ' e n t r e r le plus l i b r e m e n t possible, afin d'être r e v e r sées ensuite avec avantage sur les colonies de l'Espagne et du P o r t u g a l . E n 1653, les E t a t s - G é n é r a u x r é d u i s i r e n t b e a u c o u p les droits d ' e n t r é e et de sortie à C u r a ç a o ; plus tard, il en fut de m ê m e à SaintE u s t a c h e , qui obtint d'ailleurs la franchise c o m p l è t e e

de son port au milieu du xviii siècle. La c o n t r e b a n d e et la c o u r s e , c'est là le c h a p i t r e le plus i m p o r t a n t de l'histoire de la C o m p a g n i e des 1

Cf. S c h é r e r , op. cit., p . 274.


— 99 — I n d e s o c c i d e n t a l e s ; elle y trouva la s o u r c e d ' u n e r a p i d e fortune, qui c h a n c e l a b i e n vite dès q u e son a m b i t i o n la p o r t a vers des œ u v r e s plus d u r a b l e s et plus n o b l e s . On le vit b i e n a u Brésil et d a n s la G u y a n e , l o r s q u e la C o m p a g n i e v o u l u t y j e t e r

les

bases d ' u n puissant e m p i r e , a n a l o g u e à celui de sa rivale de l'autre h é m i s p h è r e . Le Brésil, victime i m p a t i e n t e de la t y r a n n i e de l'Espagne, n e d e m a n d a i t

q u ' à r e s p i r e r plus libre-

m e n t sous de n o u v e a u x m a î t r e s . Une petite a r m é e de 3.500 h o m m e s , sous le c o m m a n d e m e n t de l'amiral L o n k , suffit à y établir l'influence

hollandaise,

et les d e r n i è r e s résistances s'éteignirent sans difficultés, dès q u e la c o m p a g n i e eut p r i s l ' e n g a g e m e n t d ' a t t é n u e r les rigueurs du système colonial. Le c o m m e r c e de la colonie fut déclaré l i b r e m e n t o u v e r t à tous les citoyens h o l l a n d a i s , m a i s

ce fut

là b i e n

m o i n s u n e concession g é n é r e u s e q u ' u n e m e s u r e prise sous l ' e m p i r e de la nécessité : la C o m p a g n i e , en effet, p r é o c c u p é e a v a n t toutes choses de d i s t r i b u e r de gros d i v i d e n d e s , avait toujours négligé de faire des é c o n o m i e s , et le j o u r où l'exploitation d ' u n vaste e m pire, à peine né à la vie é c o n o m i q u e , sollicita des avances c o n s i d é r a b l e s , la C o m p a g n i e se t r o u v a d é p o u r v u e des réserves nécessaires à l'établissement de s o n m o n o p o l e ; et d'ailleurs elle m a i n t i n t t o u j o u r s à ses navires le privilège exclusif d u t r a n s p o r t de toutes les m a r c h a n d i s e s . Le n o u v e a u régime n e r é -


— 100 — p o n d i t pas aux aspirations libérales des Brésiliens ; ils profilèrent du r e t o u r du P o r t u g a l à son i n d é p e n d a n c e p o u r secouer le j o u g de la H o l l a n d e et se redonner

s p o n t a n é m e n t à leurs p r e m i e r s m a î t r e s .

Il est impossible de s ' é t e n d r e s u r l ' œ u v r e de la 1

C o m p a g n i e d a n s la G u y a n e : cette œ u v r e fut nulle . E n ce territoire sauvage et m a l s a i n , la n a t u r e avait multiplié les obstacles à la colonisation, et, plus e n core q u ' a u Brésil, il eût été nécessaire d ' a c c o m p l i r de gros sacrifices préalables, en r a s a n t les forêts i m m e n s e s , en desséchant les plaines m a r é c a g e u s e s , en p a r a n t à l'aide de t r a v a u x d'art au d a n g e r de fréq u e n t e s i n o n d a t i o n s ; Une semblable tâche dépassait b e a u c o u p les forces de la C o m p a g n i e ; elle

aima

m i e u x a l i m e n t e r ses d i v i d e n d e s à la source précaire et toujours plus restreinte de

la c o n t r e b a n d e ,

et

c'est s e u l e m e n t au l e n d e m a i n de sa dissolution q u e l'initiative d é s o r m a i s libre des particuliers trouva l'énergie de r e n o u v e l e r le p r o d i g e accompli d a n s la m é t r o p o l e , en gagnant des milliers d'hectares à l'env a h i s s e m e n t des flots de la m e r . Mais il fallut attend r e de bien longues a n n é e s avant q u e s'ouvrît l'ère h e u r e u s e de la liberté. E n 1674, la C o m p a g n i e

des

I n d e s occidentales atteignit le d e r n i e r t e r m e de la

1

Ce fut d'abord la C o m p a g n i e de S u r i n a m

elle-même

qui

e x e r ç a le m o n o p o l e , p u i s elle c é d a s o n p r i v i l è g e à la C o m p a g n i e d e s I n d e s o c c i d e n t a l e s , en 1682. Cf. B o n n a s s i e u x , grandes

compagnies

de commerce,

p . 77.

Les


— 101 — d é c o m p o s i t i o n , et les Etats-Généraux lui s u b s t i t u è rent u n e c o m p a g n i e nouvelle qui m o n t r a la m ê m e i m p u i s s a n c e et la m ê m e inutilité. Enfin, a u x d e r e

niers j o u r s du xviii siècle, u n e loi bienfaisante de 1790 p e r m i t à tous les citoyens de la m é t r o p o l e le libre c o m m e r c e avec l ' A m é r i q u e et l'Afrique. C e p e n d a n t , la m a r i n e de la m é t r o p o l e avait été précipitée d a n s la plus c o m p l è t e d é c a d e n c e ; l'acte de navigation de C r o m w e l l avait p r o d u i t son oeuvre et la p u i s s a n c e m a r i t i m e de l'Angleterre avait défin i t i v e m e n t écrasé celle de sa rivale. P e n d a n t

les

g u e r r e s de la Révolution et de l ' E m p i r e , l'Angleterre s ' e m p a r a d e la G u y a n e et ne la r e n d i t q u e m u t i l é e e n 1814. La H o l l a n d e c o m p r i t alors qu'elle ne p o u vait m a i n t e n i r plus l o n g t e m p s le système colonial d a n s ses possessions d ' A m é r i q u e . Elle fit de ses petites colonies de la m e r des Antilles des

ports

francs, et la G u y a n e fut a d m i s e à la réciprocité du droit c o m m u n i n t e r n a t i o n a l : le régime des d o u a n e s à Surinam

fut d é s o r m a i s la franchise c o m p l è t e à

l'égard des Etats d o n t les traités a c c o r d e n t

l'égalité

a u pavillon n é e r l a n d a i s et l'assimilent au pavillon 1

national . e

Ainsi s'éteignit, au xix siècle, le pacte

colonial

d a n s toutes les possessions de la H o l l a n d e . E n A m é r i q u e c o m m e d a n s l'archipel i n d i e n , il avait été p r a t i q u é avec u n e r i g u e u r qui ne le cédait en 1

Cf. d e C h a z e l l e s , Etude

sur le système

colonial,

p. 32.

rien


— 102 — à la r i g u e u r d u système colonial de l'Espagne, et s'il c o n n u t u n e plus h a u t e p r o s p é r i t é , il le dut au merveilleux génie c o m m e r c i a l des H o l l a n d a i s , et à ce fait qu'il n e fut p a s aggravé, c o m m e d a n s l ' A m é r i q u e espagnole, p a r u n e d o u b l e t y r a n n i e politique et religieuse.

C H A P I T R E IV. — L e P a c t e c o l o n i a l en Angleterre. e

L'Angleterre, qui devait être au xix siècle la p a t r i e d u l i b r e - é c h a n g e et de l ' a u t o n o m i e coloniale,

se

montra

de

jadis

métropole

rigoureuse

à

l'égal

l'Espagne, d u P o r t u g a l et de la H o l l a n d e . Sous le règne d'Elisabeth, q u a n d le génie c o m m e r c i a l de la n a t i o n anglaise se manifesta d a n s le brillant essor de la m a r i n e et d u trafic é t r a n g e r , il n ' é c h a p p a point à l'universel prestige des idées m e r c a n t i l e s ; il se d o n n a de tous ses efforts à la r e c h e r e h e du m é t a l p r é cieux, et c o m m e la n a t u r e n'avait p a s p r o d i g u é les richesses m i n i è r e s d a n s les colonies anglaises, aussi b i e n ce ne fut p a s de l'or et de l'argent q u e leur d e m a n d a la m é t r o p o l e , m a i s elle v o u l u t les faire c o n c o u r i r sous u n e h a b i l e r é g l e m e n t a t i o n à ce q u i était alors le b u t s u p r ê m e d e la p o l i t i q u e , c'est-à-dire à l'établissement

d ' u n e b a l a n c e favorable. Le p a c t e

colonial devint la règle c o m m u n e des possessions


— 103 — anglaises, m a i s il n e p r é s e n t a pas les m ê m e s caractères aux I n d e s orientales et aux I n d e s occidentales, et il convient de l'étudier s é p a r é m e n t s u r ces d e u x terrains. § 1. — Aux

Indes

orientales

Aux I n d e s orientales, l'histoire de la d o m i n a t i o n anglaise se r é s u m e

dans

l'histoire d ' u n e

célèbre

C o m p a g n i e , fondée en l ' a n n é e 1600, sous le n o m de « Société des m a r c h a n d s

de L o n d r e s

trafiquant

aux I n d e s orientales » ; la reine Elisabeth lui accordait d a n s u n e c h a r t e le privilège exclusif du c o m m e r c e avec t o u s les pays d'Asie, d'Afrique et d'Amér i q u e , situés au delà du cap de B o n n e - E s p é r a n c e jusq u ' a u détroit de Magellan. Ce n'est p a s d è s le p r e m i e r j o u r q u e la C o m p a g n i e e n t r a d a n s la paisible j o u i s s a n c e de ses d o m a i n e s , car, en ce t e m p s de farouche exclusivisme, il fallait q u e le m o n o p o l e v a i n q u î t le m o n o p o l e , et u n e n a tion

devait établir son influence

dans

les

mers

éloignées sur la r u i n e des influences é t r a n g è r e s . La C o m p a g n i e se h e u r t a d ' a b o r d à la d o m i n a t i o n portugaise, a p p u y é e sur. la bulle d ' A l e x a n d r e VI et sur les droits d ' u n établissement séculaire, m a i s singul i è r e m e n t énervée p a r u n exercice violent et t y r a n n i q u e . Aussi la h a i n e des p o p u l a t i o n s de l'Inde p o u r l e u r s p r e m i e r s m a î t r e s , et s u r t o u t l'alliance effective du belliqueux s o u v e r a i n de la P e r s e , S c h a h A b b a s ,


— 104

-

p e r m i r e n t à la C o m p a g n i e anglaise de s'assurer u n e facile victoire sur ses c o n c u r r e n t s p o r t u g a i s ; elle les frappa au c œ u r m ê m e de leur p u i s s a n c e , d a n s cette riche cité d ' O r m u s , qui était alors la r e i n e d u c o m m e r c e asiatique ; O r m u s fut prise et livrée aux f l a m m e s , et avec elle t o m b a l'influence portugaise aux I n d e s orientales. C o n t r e la H o l l a n d e , alors au faîte de sa g r a n d e u r m a r i t i m e , la lutte fut p l u s longue et p l u s o p i n i â t r e . N o u s en a v o n s vu les sanglantes péripéties d a n s le c h a p i t r e c o n s a c r é à la H o l l a n d e , et n o u s n e rappell e r o n s p a r les d e s t r u c t i o n s successives de tous les établissements anglais a u x Moluques et d a n s l'île d e Java. L a vivacité de la lutte n o u s est révélée p a r le fait suivant : J u s q u ' à

l'année

1620, la

Compagnie

anglaise avait expédié d a n s l'Inde 79 n a v i r e s , m a i s 43 s e u l e m e n t étaient r e v e n u s en b o n état d a n s la m é t r o p o l e , tous les a u t r e s avaient péri ou avaient été 1

capturés p a r les H o l l a n d a i s . Il en fut ainsi d u r a n t e

toute la p r e m i è r e moitié d u xvii siècle, m a i s l o r s q u e Cromwell eut r e m p o r t é ses brillantes victoires sur la H o l l a n d e , le respect du n o m anglais s'étendit de l ' E u r o p e j u s q u ' a u x I n d e s orientales et la C o m p a g n i e p u t d é s o r m a i s exercer son c o m m e r c e en toute liberté. Ce n'est q u e b i e n p l u s tard qu'elle se t r o u v a en face d ' u n e rivalité n o u v e l l e , q u a n d 1

Cf. S c h é r e r , op. cit., p. 376.

le d é m e m b r e -


— 105 — m e n t de l ' e m p i r e du g r a n d Mogol p e r m i t

d'étendre

l'influence anglaise j u s q u ' a u centre m ê m e d u t e r r i toire de l'Inde ; il y eut alors, e n t r e la

Compagnie

anglaise et la C o m p a g n i e française, u n e lutte

ar-

d e n t e qui d u r a plusieurs a n n é e s et fit livrer b i e n des b a t a i l l e s ; nos c o m p a t r i o t e s Dupleix et La B o u r d o n n a i s y d é p l o y è r e n t u n e a d m i r a b l e énergie, m a i s ils ne r e ç u r e n t p a s l'appui nécessaire d u

gouver-

n e m e n t débile de L o u i s X V ; la C o m p a g n i e française d u t s'avouer v a i n c u e et le traité de P a r i s ne n o u s laissa q u e q u e l q u e s débris de nos a n c i e n n e s possessions. F e r m é à l'étranger, le c o m m e r c e de

l'Inde

ne

l'était p a s m o i n s à tous les Anglais qui n ' é t a i e n t p a s des agents de la C o m p a g n i e , Mais cela ne fut vrai q u ' e n p r i n c i p e ; d a n s le fait, la p r o h i b i t i o n se trouva s i n g u l i è r e m e n t a t t é n u é e au c o u r s des âges. C h a q u e fois q u e la C o m p a g n i e sollicitait le r e n o u v e l l e m e n t de sa c h a r t e , c'était l'occasion p o u r la m é t r o p o l e de lui i m p o s e r q u e l q u e sacrifice p é c u n i a i r e ou q u e l q u e d i m i n u t i o n de son privilège. Ainsi en fut-il en 1635, q u a n d Charles I p e r m i t à sir W . C o u r t e n , en m ê m e t e m p s q u ' à p l u s i e u r s a u t r e s p e r s o n n e s , de trafiquer d a n s toutes les parties de l'Inde où la C o m p a g n i e n ' e n t r e t e n a i t p a s de relations suivies. Au l e n d e m a i n de la g u e r r e avec la

H o l l a n d e , le c o m m e r c e

m ê m e e n t i è r e m e n t libre

et

ouvert

sans

fut

réserve

à la spéculation des particuliers ; m a i s les a v a n i e s


106

q u e s u b i r e n t les négociants anglais d a n s la m e r d e s I n d e s m o n t r è r e n t la nécessité d'y créer u n e p u i s sance politique capable de faire face à la rivalité des Hollandais. Aussi rétablit-on, en 1657, le p r i v i lège de la C o m p a g n i e , m a i s ce n e fût p a s sans y faire plus d ' u n e b r è c h e i m p o r t a n t e : d é s o r m a i s la C o m pagnie

dut

laisser les négociants particuliers

se

livrer au c o m m e r c e de l'Asie, et cela de d e u x façons : 1° en l e u r a c c o r d a n t des p e r m i s d e navigation ; 2° en l e u r délivrant des p a r t s d'intérêt d a n s le charge1

m e n t des n a v i r e s . Et d'ailleurs, cette c h a r t e n o u velle était d é p o u r v u e de la sanction législative ; il en résulta q u ' u n g r a n d n o m b r e de particuliers se liv r è r e n t d a n s le ressort de la C o m p a g n i e à u n e sorte de c o m m e r c e i n t e r l o p e , d o n t l'exercice offrait a u x d é l i n q u a n t s u n e sécurité à p e u p r è s e n t i è r e , car c'est s e u l e m e n t au cas de flagrant délit q u e la C o m p a g n i e avait le droit de saisir les cargaisons

frauduleuses.

E n 1697, l ' a v è n e m e n t des idées républicaines ouvrit le c o m m e r c e de l'Inde à tous les sujets anglais, sans q u e d'ailleurs la C o m p a g n i e cessât de m e n e r u n e existence p a r a l l è l e . Dès lors, le régime c o m m e r c i a l de l'Inde d e m e u r a e

le m ê m e d u r a n t tout le xviii siècle ; les n é g o c i a n t s particuliers p o u r s u i v i r e n t l e u r s o p é r a t i o n s en m ê m e t e m p s q u e la C o m p a g n i e , et celle-ci l e u r a b a n d o n n a 1 Cf. B o n n a s s i e u x , Les p. 103.

grandes

Compagnies

de

commerce,


— 107 — m ê m e tout à fait l'exercice du cabotage asiatique, ce q u e l'on appelait alors le c o m m e r c e d'Inde e n Inde. e

Le xviii siècle fut aussi celui de l'application aux I n d e s orientales de l ' u n e des m e s u r e s les plus c a r a c téristiques d u pacte colonial. La C o m p a g n i e t r o u v a i t l'une des s o u r c e s les plus a b o n d a n t e s de ses r e v e n u s dans

l'importation

en Angleterre des soieries de

l'Inde et de la P e r s e ; m a i s a p r è s la révocation

de

l'édit de N a n t e s , u n g r a n d n o m b r e d ' o u v r i e r s français a p p o r t è r e n t à l'Angleterre le secret de la fabrication de ces riches étoffes; ils p e r f e c t i o n n è r e n t r a p i d e m e n t u n e i n d u s t r i e j u s q u e - l à d a n s l'enfance et le g o u v e r n e m e n t , h e u r e u x de

p o r t e r u n c o u p à la

F r a n c e , se r e n d i t à leurs v œ u x en l e u r a c c o r d a n t le m o n o p o l e d u m a r c h é n a t i o n a l . Un acte du P a r l e m e n t , en 1697, p r o h i b a l ' i m p o r t a t i o n d e toutes

les

soieries é t r a n g è r e s , et peu d ' a n n é e s a p r è s , en 1700 et 1721, cette

p r o h i b i t i o n fut m ê m e é t e n d u e a u x

soieries de l'Inde et de la P e r s e , ainsi q u ' a u x étoffes de coton p e i n t et i m p r i m é , objet p o u r la C o m p a g n i e d u c o m m e r c e le plus a v a n t a g e u x . On p e r m i t t o u t e fois et m ê m e on favorisa l ' i m p o r t a t i o n de ces tissus l

p o u r la r é e x p o r t a t i o n . e

Au xix siècle, n o u s v o y o n s le m o n o p o l e de la C o m p a g n i e se r e s t r e i n d r e à c h a q u e r e n o u v e l l e m e n t de la c h a r t e , j u s q u ' à l ' a n n é e 1858 qui est celle d e la 1

Cf. S c h é r e r , op. cit.,

p . 391.


— 108 —

s u p p r e s s i o n définitive de la C o m p a g n i e . E n 1813, le privilège exclusif du c o m m e r c e d u thé avec la C h i n e était tout ce qui subsistait du m o n o p o l e r i g o u r e u x de la p r e m i è r e h e u r e ; ce d e r n i e r fut

lui-même

e n t r a î n é , en 1833, à la suite d ' u n e longue

enquête

de q u a t r e a n n é e s qui a b o u t i t à u n e s e c o n d e m e s u r e e n c o r e plus i m p o r t a n t e : le P a r l e m e n t prit l'initiative d ' e n t a m e r p o u r la p r e m i è r e fois la règle fondam e n t a l e d u s y s t è m e colonial, en d o n n a n t accès d a n s les p o r t s de l'Inde à tous les vaisseaux des p u i s sances unies avec

l'Angleterre p a r des traités de

c o m m e r c e . Enfin,

en

revêtit u n

1849, la

p o l i t i q u e anglaise

caractère tout à fait libéral, q u a n d elle

déclara francs et libres tous les ports de l'Inde Une violente révolte

éclata

d a n s la

péninsule

anglaise au c o u r s de l'année 1857. La C o m p a g n i e ne sut ni la p r é v e n i r , ni la r é p r i m e r , et ses d é t r a c t e u r s , déjà

fort indisposés p a r la m o d i c i t é de ses divi-

d e n d e s , se t r o u v è r e n t de la sorte a r m é s d ' u n

nou-

veau grief. Le g o u v e r n e m e n t de L o n d r e s entendit leurs p r o t e s t a t i o n s : u n e loi du 2 a o û t 1858 r é u n i t à la c o u r o n n e tous les p o u v o i r s de la

société q u i ,

d'ailleurs, exista toujours c o m m e association c o m m e r c i a l e e n ce sens q u e le vice-roi prélève

chaque

a n n é e sur les r e v e n u s de l'Inde les fonds nécessaires a u p a i e m e n t des d i v i d e n d e s afférents a u x actions de la C o m p a g n i e . 1

Cf. B o n n a s s i e u x , op. cit., p. 118.


— 109 —

La disparition de la Compagnie n'eut pas p o u r c o n s é q u e n c e i m m é d i a t e l'établissement d'un régime é c o n o m i q u e plus l i b é r a l ; au l e n d e m a i n de la catast r o p h e , le g o u v e r n e m e n t de l'Inde eut m ô m e à faire face à des d é p e n s e s e x t r a o r d i n a i r e s et il d u t se p r o c u r e r des ressources au m o y e n d ' u n e élévation c o n sidérable des droits de d o u a n e ; ce n'est q u e t o u t r é c e m m e n t q u e n o u s l'avons vu a d o p t e r u n e p o l i tique c o m m e r c i a l e n e t t e m e n t libre-échangiste

lors

de la s u p p r e s s i o n , en 1883, de toute u n e série de droits ad valorem

l

.

Telle fut l'évolution de la politique anglaise a u x Indes orientales ; caractérisée à l'origine par une p r a tique a b s o l u e du système colonial, elle s'est p r o g r e s e

s i v e m e n t a t t é n u é e j u s q u ' à la fin du xix siècle, d ' a b o r d au profit des négociants anglais q u e l'on a d m i t à l'exercice d'un c o m m e r c e parallèle à celui de la c o m pagnie, puis au profit de la c o n c u r r e n c e é t r a n g è r e . Quelle a été l'influence d ' u n pareil c h a n g e m e n t sur la direction d u c o m m e r c e extérieur de l'Inde ? La v a l e u r totale des échanges s'élevait, p o u r l'année fiscale 1880-1881, au chiffre considérable de 3.544.941.125 francs ; en 1861, elle n'atteignait p a s la moitié de ce chiffre ; m a i s ce d é v e l o p p e m e n t d u trafic n ' a pas le m o i n s du m o n d e altéré la situation p r é p o n d é r a n t e de l'Angleterre ; elle o c c u p e de très loin la p r e m i è r e place ; en effet, la v e n t e du coton et l'achat des étof1

Cf. B o n n a s s i e u x , op. cit., p . 130.


— 110 —

fes r e p r é s e n t e n t u n m o u v e m e n t d'échange de plus de 1.500 millions. « Profitant de la plus grosse p a r t d u c o m m e r c e de l'Inde, les Anglais en sont aussi les int e r m é d i a i r e s . C'est à eux q u ' a p p a r t i e n n e n t les trois q u a r t s des navires qui a p p o r t e n t et r e m p o r t e n t m a r c h a n d i s e s et d e n r é e s , et grâce aux b a t e a u x à v a p e u r qu'ils ont construits spécialement p o u r le passage d u canal de

Suez, ils se sont e m p a r é s du m o n o p o l e

c o m m e c h a r g e u r s . Le n o m b r e des b â t i m e n t s qu'ils e m p l o i e n t p o u r la navigation e n t r e la Grande-Bretagne et les p o r t s de l'Inde, B o m b a y , Calcutta, M a d r a s , R a n g o u n , Karatchi, a d i m i n u é p e n d a n t les vingt dernières a n n é e s , m a i s leur capacité s'est a c c r u e et les voyages se sont suivis de plus p r è s , les b a t e a u x à vap e u r a y a n t pris en g r a n d e partie la place des voiliers; q u o i q u e b e a u c o u p m o i n s n o m b r e u x , ils r e p r é s e n t e n t déjà plus de la moitié du t o n n a g e . E n o u t r e , 4.000 e m b a r c a t i o n s m o n t é e s p a r les i n d i g è n e s longent le 1

littoral en t o u c h a n t de port à p o r t . » § 2. — En

Amérique.

« Le seul usage des colonies de l ' A m é r i q u e et des Indes occidentales, c'est le m o n o p o l e de leur c o n s o m m a t i o n et le t r a n s p o r t de leurs p r o d u i t s . » Cette p h r a s e b i e n souvent r a p p e l é e de lord Sheffield n o u s m o n t r e q u e le système colonial régna d a n s le N o u -

1

Cf. E l i s é e R e c l u s , Géographie

universelle,

t o m e VIII, p . 603.


— 111 — veau-Monde c o m m e il avait régné sur les b o r d s du Gange. Mais il y fut l'objet d ' u n e application plus intelligente q u e d a n s toute a u t r e colonie a m é r i c a i n e , si ce n'est toutefois celles de la F r a n c e . A d a m Smith se félicite g r a n d e m e n t q u e son pays n'ait pas resserré le c o m m e r c e des Antilles et de l ' A m é r i q u e entre les m a i n s d ' u n e c o m p a g n i e privilégiée ou de q u e l q u e s négociants d ' u n p o r t u n i q u e de la m é t r o p o l e . « P o u r la m a n i è r e de disposer de l e u r p r o d u i t s u r a b o n d a n t ou de ce qui excède l e u r p r o p r e c o n s o m m a t i o n , les colonies anglaises o n t été le plus favorisées et ont toujours j o u i d ' u n m a r c h é plus é t e n d u q u e n ' o n t fait celles de toutes les a u t r e s n a tions d ' E u r o p e . » E n effet, l'Angleterre a laissé le c o m m e r c e de ses colonies libre à tous ses sujets, « lesquels p e u v e n t le faire de tous les différents p o r t s de la m è r e p a t r i e , et n ' o n t besoin d ' a u t r e p e r m i s s i o n q u e des formalités o r d i n a i r e s de la d o u a n e . D a n s ce cas, le n o m b r e et la position des différents c o m m e r çants r é p a n d u s d a n s toutes les parties du pays les mettent d a n s l'impossibilité de f o r m e r e n t r e eux u n e ligue générale et la c o n c u r r e n c e suffit p o u r les e m p ê c h e r de faire des prix e x o r b i t a n t s . Au m o y e n d ' u n e politique aussi franche, les colonies sont à m ê m e de v e n d r e leurs p r o d u i t s ainsi q u e d ' a c h e t e r les m a r c h a n d i s e s de l ' E u r o p e à des prix r a i s o n n a b l e s . Or, d e puis la dissolution de la C o m p a g n i e de P l y m o u t h , arrivée à u n e é p o q u e où nos colonies n ' é t a i e n t en-


— 112 —

core q u e d a n s leur enfance, cette politique a toujours 1

été celle de l ' A n g l e t e r r e . » Il y eut m ê m e u n m o m e n t o ù les

possessions

anglaises v é c u r e n t sous u n r é g i m e d'entière liberté : Ce fut p e n d a n t les p r e m i è r e s a n n é e s de leur existence, au d é b u t du xvii d'elles-mêmes

e

siècle. Elles n e relevèrent

que

p o u r le choix de leurs d é b o u c h é s

c o m m e de leurs centres d ' a p p r o v i s i o n n e m e n t , et les b â t i m e n t s de tout pavillon t r o u v è r e n t

accès d a n s

leurs p o r t s ; la Virginie, p o u r ses tabacs, installa des d é p ô t s à Flessingue et à Middelbourg. C o m m e n t ce fait put-il se p r o d u i r e à une é p o q u e où déjà l'Angleterre a p p l i q u a i t les théories m e r c a n t i l e s avec u n e s c r u p u l e u s e exactitude ? C'est q u e , j u s t e m e n t , l'influence des t h é o r i e s m e r c a n t i l e s n ' e n t r a p o u r rien d a n s la f o n d a t i o n des c o l o n i e s ; celles-ci d u r e n t leur naissance à la seule initiative de g r a n d s p e r s o n n a g e s de la m é t r o p o l e ou d'exilés volontaires fuyant les p e r s é c u t i o n s politiques et religieuses, et si le gouv e r n e m e n t de L o n d r e s intervint, ce fut s e u l e m e n t p o u r a c c o r d e r d a n s u n e c h a r t e u n e sorte de c o n s é cration officielle à u n e œ u v r e a b s o l u m e n t p r i v é e . Cette l i b e r t é illimitée profita s u r t o u t a u x H o l l a n d a i s , qui avaient la m a r i n e la plus puissante et les frets les plus a v a n t a g e u x ; « ils s ' e m p a r è r e n t de tout le c o m m e r c e des colonies anglaises, y é t a b l i r e n t p a r 1

Richesse

187.

des nations,

t o m e II, l i v . IV, c h a p . v i i , p. 185 et


— 113 —

tout leurs facteurs, et effectuèrent sur leurs navires les e x p o r t a t i o n s c o m m e les i m p o r t a t i o n s , à ce point e

q u e vers le milieu du xvii siècle le pavillon anglais était p r e s q u e d i s p a r u des eaux de l ' A m é r i q u e

1

».

Cette situation d o n n a l'éveil à la m é t r o p o l e . Au l e n d e m a i n de la p é r i o d e r é v o l u t i o n n a i r e , dès qu'elle eut retrouvé sous la direction puissante de Cromwell le c a l m e nécessaire à la s a u v e g a r d e de ses intérêts extérieurs, elle e n t r e p r i t de r u i n e r la s u p r é m a t i e économique

de la

Hollande, non

seulement

en

E u r o p e , m a i s j u s q u e d a n s les m e r s lointaines de l ' A m é r i q u e . Dès 1640, sir W i l l i a m Berkeley, gouvern e u r de la Virginie, reçut l ' o r d r e de limiter à la m é t r o p o l e le c o m m e r c e de cette p r o v i n c e ; en 1645, le P a r l e m e n t

résolut

d'affranchir

de

tout

droit

p e n d a n t trois a n s les e x p o r t a t i o n s d'Angleterre aux colonies, si celles-ci d ' a u t r e

part

voulaient

bien

réserver leurs e x p o r t a t i o n s à des b â t i m e n t s anglais ; enfin,

quelques

a n n é e s plus

lard, fut

édicté le

fameux acte de navigation, expression la plus h a u t e et la plus savante qu'ait j a m a i s r e ç u e le système colonial. Il y a en fait d e u x actes de navigation, celui de C r o m w e l l et celui de Charles II. E n 1650, le L o n g P a r l e m e n t r e n d i t u n p r e m i e r statut, i n t e r d i s a n t a u x navires étrangers le c o m m e r c e avec les colonies, à m o i n s qu'ils n'eussent o b t e n u u n e licence du Conseil 1

S c h é r e r , op. cit., p . 3 6 8 . NORMAND.

8


— 114 —

d ' E t a t : le P r o t e c t e u r eut l'initiative, et c'est à lui q u e l'on r a p p o r t e toute la gloire de l'établissement du système. Mais celui-ci ne t r o u v a q u e p l u s t a r d sa formule intégrale et définitive, d a n s l'acte de

1660,

édicté p a r Charles II dès la première a n n é e de son règne et qui m é r i t a v r a i m e n t d'être appelé la « c h a r t e constitutionnelle de la m a r i n e anglaise ». Voici le r a p i d e exposé de ses dispositions. T o u t e s les m a r c h a n d i s e s p r o v e n a n t des colonies anglaises seront

désormais

t r a n s p o r t é e s d a n s la m é t r o p o l e

p a r des navires construits en Angleterre, a p p a r t e nant à des sujets anglais, a y a n t un capitaine et les trois q u a r t s de l'équipage anglais. Les p r o d u c t i o n s coloniales sont rangées en deux c a t é g o r i e s : d ' u n e part,

certaines

marchandises

gnées — enumerated

formellement

commodities,

auront

désipour

u n i q u e d é b o u c h é la m è r e patrie et les colonies b r i t a n n i q u e s ; la d e u x i è m e catégorie c o m p r e n d toutes les m a r c h a n d i s e s non désignées par les règlements, non enumerated

commodities,

ront s'exporter d i r e c t e m e n t

— lesquelles p o u r -

dans

tous

les

pays,

p o u r v u q u e ce soit sur des navires remplissant les 1

c o n d i t i o n s exigées p a r l'acte de n a v i g a t i o n . Un statut de 1663 c o m p l é t a cette organisation en d é c i d a n t Un statut de George III aggrava cette d i s p o s i t i o n en restreignant l'exportation d e s m a r c h a n d i s e s non é n u m é r é e s a u x p a y s s i t u é s au sud d u cap F i n i s t è r e . « L e s c o n t r é e s de l'Europe s i t u é e s au sud du cap F i n i s t è r e , dit A d a m S m i t h , 1


— 115 — q u e toutes les

marchandises européennes, même

chargées sur des vaisseaux anglais, ne p o u r r a i e n t être t r a n s p o r t é e s aux colonies q u ' e n p a r t a n t de ports anglais, ce qui e n t r a î n a i t l'obligation d ' u n long circuit p a r la m é t r o p o l e ; en m ê m e t e m p s , o n restreignit aux seuls citoyens de l'Angleterre l'exercice des professions c o m m e r c i a l e s aux colonies, de telle sorte q u e les n o m b r e u s e s factoreries hollandaises furent absolument ruinées. La transition était b r u s q u e p o u r les colonies de la pleine liberté de la p r e m i è r e h e u r e à

cette or-

g a n i s a t i o n restrictive de l'acte de n a v i g a t i o n ; elles s'y s o u m i r e n t de très m a u v a i s e s grâce. La Virginie adressa u n e d é p u t a t i o n à Cromwell en 1656 et se souleva en 1676 ; le Massachusets persista à ne pas r e c o n n a î t r e l'acte j u s q u ' e n 1679, R h o d e Island j u s q u ' e n 1700. En vérité, les m a r c h a n d i s e s n o n é n u m é r é e s c o m prenaient des m a r c h a n d i s e s très i m p o r t a n t e s , d o n t u n e large p r o d u c t i o n devait avoir la plus h e u r e u s e influence s u r l ' é p a n o u i s s e m e n t de la richesse coloniale : c'étaient les grains de t o u t e espèce, les p l a n ches, m e r r a i n s et bois é q u a r r i s , les v i a n d e s salées et le p o i s s o n . A d a m S m i t h en fait la r e m a r q u e ne s o n t p a s d e s

pays

manufacturiers

et n o t r e

1

:

politique

j a l o u s e a p e u à c r a i n d r e q u e l e s v a i s s e a u x de n o s c o l o n i e s r a p p o r t e n t d e c e s p a y s d e s o u v r a g e s m a n u f a c t u r é s qui p u i s sent nuire au débit d e s n ô t r e s . » Richesse 1

Op. cit., p . 190.

des nations,

p . 192.


— 116 —

a s s u r e r au grain un prix r é m u n é r a t e u r , c'est e n c o u rager les colonies à e n é t e n d r e la culture b e a u c o u p au delà dé ce qu'exige la c o n s o m m a t i o n d'un p a y s faiblement p e u p l é , c'est les m e t t r e à m ê m e de p r é p a r e r ainsi de longue m a i n

une subsistance p o u r

une p o p u l a t i o n toujours croissante. Si le bois de la colonie j o u i t de d é b o u c h é s é t e n d u s , les forêts s e r o n t e n t a m é e s et la terre se défrichera r a p i d e m e n t . D'autre p a r t , « il est nécessaire q u e le prix du bétail se trouve d a n s u n e certaine p r o p o r t i o n avec celui d u blé, a v a n t q u ' o n puisse m e t t r e en valeur la

plus

g r a n d e partie d ' u n pays ». Enfin, l'extension de la p ê c h e n'a pas été le m o i n d r e facteur du d é v e l o p p e m e n t m a r i t i m e des colonies aussi b i e n q u e de

la

métropole. Q u a n t aux m a r c h a n d i s e s é n u m é r é e s , elles sont de 1

deux sortes, n o u s dit A d a m Smith : « La p r e m i è r e c o m p r e n d celles qui sont u n p r o d u i t particulier à l ' A m é r i q u e et qui ne peuvent pas être ou au m o i n s ne sont p a s p r o d u i t e s

d a n s la m è r e p a t r i e . . . La

seconde sorte c o m p r e n d celles qui ne sont p a s u n p r o d u i t particulier à l ' A m é r i q u e , m a i s qui sont ou p e u v e n t être p r o d u i t e s d a n s la m è r e p a t r i e , q u o i q u e c e p e n d a n t pas en assez g r a n d e q u a n t i t é p o u r fourn i r à la d e m a n d e , laquelle est r e m p l i e p r i n c i p a l e m e n t p a r l'étranger. »

Or, c'étaient là toutes les

m a r c h a n d i s e s de luxe, celles qui sous un régime li1

Ibidem, p. 190.


— 117 — béral eussent fait la fortune des colonies, et il n'est plus d o u t e u x q u e ces colonies é p r o u v è r e n t u n véritable d o m m a g e du

resserrement

de leurs débou-

chés. L ' e x p é r i e n c e des Antilles est à ce point de v u e tout à fait c o n c l u a n t e . Les Antilles anglaises, d o n t le p r e m i e r d é v e l o p p e m e n t avait été si brillant, p e r d i r e n t , avec la liberté de l e u r c o m m e r c e , la source directe de l e u r p r o s p é r i t é ; elles se m o n t r è r e n t si i n férieures

à

l e u r s rivales

françaises

qu'un

relevé

c o m p a r a t i f de 1742 signalait à l'avantage de celles-ci u n e différence de 679.000 q u i n t a u x d a n s la p r o d u c 1

tion s u c r i è r e . L ' i n q u i é t u d e gagna le P a r l e m e n t qui o r d o n n a u n e e n q u ê t e , et il en ressortit q u e la gêne des colonies anglaises tenait bien m o i n s à l'infériorité de l e u r sol, p l u s a n c i e n n e m e n t mis en c u l t u r e , q u ' à la c h a r g e o n é r e u s e des i m p ô t s et des droits de d o u a n e , b e a u c o u p plus l o u r d e p o u r les colons d e l'Angleterre q u e p o u r ceux de la F r a n c e . Or, q u ' a d vint-il de cette s i t u a t i o n ? Les colonies de l ' A m é r i q u e du N o r d , clientes n a t u r e l l e s des Antilles anglaises, cessèrent d'y o p é r e r l e u r fourniture p o u r aller dem a n d e r u n s u c r e et m e i l l e u r et m o i n s c h e r

aux

planteurs favorisés d e S a i n t - D o m i n g u e et d e la Mart i n i q u e . Les Antilles d é n o n c è r e n t ce trafic i n t e r l o p e c o m m e la cause évidente de l e u r r u i n e . « C'était, disaient-elles, la seule explication 1

Cf. S c h é r e r , p. 429.

de

l'accroisse-


— 118 — m e n t qu'avait p r i s la p r o d u c t i o n d a n s les îles françaises à leur p r é j u d i c e . La m é l a s s e ,

auparavant,

avait peu de v a l e u r p o u r les p l a n t e u r s français, le r h u m q u ' o n en tirait étant p r o h i b é en F r a n c e d a n s l'intérêt de l'eau-de-vie. M a i n t e n a n t , ce r h u m

trou-

vait le p l a c e m e n t le plus a v a n t a g e u x d a n s les c o l o nies d e l ' A m é r i q u e d u N o r d . L'argent q u e celle-ci recevait en p a i e m e n t des p r o d u i t s qu'elle exportait d a n s les Antilles anglaises passait d a n s les m a i n s des p l a n t e u r s français, q u i l ' e m p l o y a i e n t à a g r a n d i r et 1

à perfectionner de plus en plus leurs e x p o r t a t i o n s . » La m é t r o p o l e v o u l u t satisfaire les d e u x p a r t i e s , et, c o m m e il arrive toujours, elle n'y réussit p a s . Un statut d e 1766 favorisa la p r o d u c t i o n sucrière des Antilles anglaises p a r l'établissement de droits différentiels s u r les sucres étrangers i m p o r t é s d a n s u n e colonie de l'Angleterre ; en m ê m e t e m p s , l ' A m é r i q u e d u N o r d o b t e n a i t la p e r m i s s i o n d ' e x p o r t e r directem e n t , sur ses navires, les sucres des colonies a n glaises d a n s tous les p a y s situés au sud du cap Finistère. Les Antilles furent, de la sorte, e n t o u r é e s d ' u n e p r o t e c t i o n effective, et elles c o n n u r e n t à nouveau l e u r activité p r e m i è r e . L a J a m a ï q u e , s u r t o u t , devint u n e riche colonie, m a i s elle n'atteignit son plus h a u t d é v e l o p p e m e n t q u ' a p r è s avoir o b t e n u , e n 1776, la franchise de s o n p o r t p o u r le c o m m e r c e avec les colonies é t r a n g è r e s , et p l u s t a r d , en 1780, 1

Cf. S c h é r e r , op. cit., p . 432.


— 119 —

la p e r m i s s i o n d ' u n trafic direct avec l'Irlande ; dès lors, l'exportation de son sucre q u i , avant 1772, n'avait p a s dépassé 11.000 b a r r i q u e s , s'éleva bientôt à 78.000 b a r r i q u e s . La l i m i t a t i o n d u c o m m e r c e extérieur n'était p a s c e p e n d a n t l'article le plus vexatoire du régime i m p o s é aux colonies ; elles souffrirent davantage e n c o r e de l'interdiction de créer des m a n u f a c t u r e s . Le sucre étant u n e d e n r é e de p r é p a r a t i o n facile, rien n'était p l u s n a t u r e l q u e les Antilles se livrassent elles-mêmes a u raffinage ; m a i s l'existence d ' u n e industrie coloniale blessait les plus fermes p r i n c i p e s de la t h é o r i e m e r c a n t i l e ; il fallait favoriser de toutes m a n i è r e s l'industrie et la m a r i n e m é t r o p o l i t a i n e ; à la p r e m i è r e o n garantit le m o n o p o l e d u raffinage, et la s e c o n d e reçut l'avantage de t r a n s p o r t e r un p r o d u i t b r u t . « T a n dis q u e le sucre m o s c o u a d e des colonies anglaises ne paie à l ' i m p o r t a t i o n q u e 6 shellings 4 d e n i e r s le q u i n tal, le s u c r e b l a n c paie 1 livre 1 shelling 1 d e n i e r ; et q u a n d il est raffiné d o u b l e ou s i m p l e , en p a i n s , il paie 4 livres 2 shellings 5 d e n i e r s 8 dixièmes. L o r s q u e ces droits é n o r m e s furent établis, la G r a n d e Bretagne était le seul, et elle est e n c o r e a u j o u r d ' h u i le p r i n c i p a l m a r c h é sur lequel p e u t être e x p o r t é le sucre de ses c o l o n i e s . Ces droits équivalaient d o n c à u n e p r o h i b i t i o n , d ' a b o r d de t e r r e r ou raffinet le s u c r e p o u r tout m a r c h é étranger q u e l c o n q u e , et e n s u i t e d'en t e r r e r ou raffiner p o u r le m a r c h é , qui e m p o r t e


— 120 — peut-être à lui seul plus des neuf dizièmes du p r o duit total. Aussi les fabriques p o u r t e r r e r ou raffiner le s u c r e , qui o n t été très florissantes d a n s toutes les colonies françaises, n ' o n t g u è r e été en activité d a n s celles de l'Angleterre q u e p o u r le m a r c h é des colo1

nies e l l e s - m ê m e s . » C'est cette organisation si c o n t r a i r e

à la n a t u r e

des choses qui inspirait à B r o u g h a m la saillie suiv a n t e : « Autant v a u d r a i t , dit-il, i n t e r d i r e

l'exporta-

tion de la farine des contrées à blé, b i e n p o u r v u e s en c o u r s et c h u t e s d ' e a u , et p a r c o n s é q u e n t en m o u l i n s h y d r a u l i q u e s , p o u r d o n n e r le m o n o p o l e de la m i noterie à u n e a u t r e contrée p o u r v u e s e u l e m e n t d e 2

m o u l i n s à vent . » La Nouvelle Angleterre était u n e c o n t r é e e s s e n tiellement agricole, et il ne p o u v a i t être question p o u r elle de se c o u v r i r de m a n u f a c t u r e s , ainsi q u e l'ont fait plus tard les Etats-Unis. N é a n m o i n s ,

ses

p r o d u i t s n a t u r e l s la m e t t a i e n t d a n s u n e situation favorable p o u r l'exercice de q u e l q u e s

industries.

L ' a b o n d a n c e des p e a u x de castors et de lièvres avait suscité u n e i m p o r t a n t e fabrication de c h a p e a u x , q u i , déjà, c o m m e n ç a i t à e x p o r t e r ; m a i s les industriels de la m é t r o p o l e s ' é m u r e n t et o b t i n r e n t d u P a r l e m e n t le statut d r a c o n i e n de 1732 : à l'avenir,

per-

s o n n e n e p o u r r a i t fabriquer de c h a p e a u x s'il n e j u s 1

2

Cf. A d a m S m i t h , p . 201. Cf. L e r o y - B e a u l i e u , op. cit., p. 127.


— 121 — tifiait d ' u n apprentissage de sept a n n é e s , et nul m a î tre ne p o u r r a i t

avoir plus de deux a p p r e n t i s ni

e m p l o y e r de nègres. Les m i n e s de fer étant n o m b r e u s e s et riches, il eût été bien facile aux colons de d o n n e r sur place au métal les p r e m i è r e s t r a n s f o r m a tions, mais la m é t r o p o l e décida de ne plus a d m e t t r e le fer, sur son m a r c h é , q u ' e n b a r r e s ou en g u e u s e s . Les m ê m e s p r o h i b i t i o n s s'étendirent à la fabrication des lainages. Enfin, à p a r t i r de 1766, on renforça les restrictions primitives p a r u n e restriction n o u v e l l e : on décida q u e

les m a r c h a n d i s e s é n u m é r é e s q u i ,

d ' a p r è s l'acte de navigation, p o u v a i e n t être exportées l i b r e m e n t d a n s tous les p a y s , ne devraient p l u s être dirigées q u e d a n s les contrées situées au s u d du cap Finistère, afin de ne p a s a p p o r t e r aux industries puissantes des n a t i o n s septentrionales le

bénéfice

d'une matière première à bon marché. On devine sans p e i n e quelle profonde

irritation

devait susciter, d a n s les colonies, la rigueur o p p r e s sive de s e m b l a b l e s dispositions. Dès le milieu XVIII

e

du

siècle, c o m m e n c è r e n t de g r a n d i r les g e r m e s de

la révolte, et le v o y a g e u r suédois P e t e r K a l m , en 1748, put en r e m a r q u e r l'existence au c o u r s de sa visite d a n s l'Etat de New-York : « J'ai e n t e n d u d i r e , écrivait-il, n o n s e u l e m e n t à des p e r s o n n e s nées e n A m é r i q u e , m a i s e n c o r e à des é m i g r a n t s anglais, et cela o u v e r t e m e n t , q u e d'ici t r e n t e ou q u a r a n t e a n s , les colonies anglaises du N o r d de l ' A m é r i q u e forme-


— 122 — r o n t u n Etat i n d é p e n d a n t de la m è r e p a t r i e . » Aussi q u a n d les difficultés s'engagèrent s u r la q u e s t i o n de l'impôt, la m e s u r e était pleine et la r u p t u r e éclata. Il n'y eut alors q u ' u n e m ê m e voix en E u r o p e aussi bien q u ' e n A m é r i q u e , p o u r p r o c l a m e r q u e

l'indé-

p e n d a n c e de la colonie était la r u i n e du c o m m e r c e m é t r o p o l i t a i n . Q u a n d l'historien Gibbon refusa de recevoir F r a n k l i n , disant qu'il n ' e n t e n d a i t pas avoir affaire à u n rebelle, celui-ci fit r é p o n d r e à l'historien qu'il lui p r o c u r e r a i t les m a t é r i a u x d ' u n e n o u velle histoire, celle de la g r a n d e u r et de la d é c a 1

d e n c e de l ' E m p i r e b r i t a n n i q u e . Seuls, A d a m Smith et Josias T u c k e r e u r e n t la perspicacité d ' e n t r e v o i r l'avenir, c'est-à-dire le m a i n t i e n et m ê m e l'extension du commerce entre l'Amérique

et la G r a n d e - B r e -

tagne. E n effet, ce c o m m e r c e s'est m u l t i p l i é , et sa p a r t d a n s le c o m m e r c e général est p l u s c o n s i d é r a b l e q u e j a m a i s . « E n 1772, la valeur des e x p o r t a t i o n s de l'Angleterre

p o u r l ' A m é r i q u e du Nord

et les

I n d e s occidentales s'éleva à 5.155.734 livres sterling (128.903.350 fr.) ; et avant l ' i n t e r r u p t i o n

du

com-

m e r c e e n t r e les d e u x p a y s , p a r suite de leurs q u e relles sur les droits des n e u t r e s , l'exportation

de

l'Angleterre p o u r l ' A m é r i q u e seule s'était élevée à 2

12.000.000 livres sterling (300 millions de f r a n c s ) ». 1

Cf. T h o r o l d R o s e r s , Interprétation

toire, p . 291. Cf. B u c h a n a n , N o t e à La Richesse 2

économique des nations,

de p . 234.

l'his-


— 123 — Tel

fut

le

système colonial de l'Angleterre

à

l ' é p o q u e de son application la plus r i g o u r e u s e . Mais l'esprit p r a t i q u e de la nation anglaise lui a p p o r t a d a n s la suite de n o m b r e u s e s a t t é n u a t i o n s . J a m a i s le g o u v e r n e m e n t de L o n d r e s ne m o n t r a l'obstination aveugle de l'Espagne d a n s la p r a t i q u e des t h é o r i e s m e r c a n t i l e s : il faut lui r e n d r e cette justice q u e dès qu'il r e c o n n u t l'absurdité d ' u n e règle, il ne craignit p a s d'enfreindre

les p r i n c i p e s et d'abolir la règle

funeste. Même à l'origine, ce fut u n usage constant q u e les m a r c h a n d i s e s étrangères métropole drawback

a u x colonies,

expédiées p a r la

bénéficièrent

du

même

q u e si la r é e x p o r t a t i o n avait eu lieu p o u r

u n p a y s é t r a n g e r ; toutefois, c o m m e il arriva q u e certaines marchandises, m ê m e

en p a s s a n t p a r la

m é t r o p o l e , coûtaient m o i n s c h e r a u x colonies q u e d a n s la m é t r o p o l e , o n s u p p r i m a , sous la reine A n n e , le drawback

sur le fer, puis, en 1763, o n limita la

restitution des droits a u x vins, calicots n o n teints et m o u s s e l i n e s . E n 1730 et en 1735, on dispensa du circuit obligatoire p a r l'Angleterre les riz c o l o n i a u x t r a n s p o r t é s d a n s les pays situés au F i n i s t è r e , afin de

leur permettre

sud du

cap

de s o u t e n i r

la

c o n c u r r e n c e des riz de l'Egypte et de la L o m b a r d i e . L ' a n n é e 1757 fut u n e a n n é e de g r a n d e c h e r t é ; a d m i t alors

les vaisseaux

neutres

eux-mêmes

l'on à

l ' e x p o r t a t i o n du blé d ' A m é r i q u e en E u r o p e , tout en m a i n t e n a n t l'obligation a b s o l u e de n e diriger ce blé q u e v e r s la seule Angleterre.


— 124 —

Toutefois, ce n'est q u ' a u xix

e

siècle q u e se m a -

nifesta l'évolution radicale de la politique anglaise vers la liberté du c o m m e r c e colonial. A la suite de l ' i n d é p e n d a n c e des Etats-Unis et des colonies e s p a gnoles, la situation é c o n o m i q u e de l'Angleterre, en m ê m e t e m p s q u e la situation générale du c o m m e r c e e u r o p é e n , s'était s i n g u l i è r e m e n t modifiée. L ' A m é r i q u e , d e v e n u e libre, ouvrait m a i n t e n a n t ses p o r t e s à toutes les n a t i o n s de l ' E u r o p e et les conviait à v e n i r c h e r c h e r au lieu m ê m e de leur p r o d u c t i o n les m a tières p r e m i è r e s d o n t d é p e n d la vitalité de l'industrie. Les d e n r é e s exotiques, offertes dès lors à p r o fusion, n'étaient plus ces m a r c h a n d i s e s

précieuses

q u e se d i s p u t a i e n t avec tant d ' a r d e u r les m é t r o p o l e s des siècles passés ; il fallut bientôt d e m a n d e r à des c o m b i n a i s o n s de tarif l ' é c o u l e m e n t des p r o d u i t s col o n i a u x d o n t l'excès devenait u n e m b a r r a s p o u r les m é t r o p o l e s d ' a u j o u r d ' h u i . A m e s u r e q u e le p a c t e colonial dépouillait la plus g r a n d e partie de ses avantages, le sens p r a t i q u e de l'Angleterre lui m o n tra q u e tous ses intérêts la p o r t a i e n t vers la liberté. Elle savait bien n'avoir rien à c r a i n d r e de

cette

liberté ; son industrie p u i s s a n t e avait a c q u i s d u r a n t les g u e r r e s de la Révolution et de l ' E m p i r e la s u p é riorité s u r toutes les i n d u s t r i e s é t r a n g è r e s . La m a r i n e , e n r i c h i e p a r le fret q u e lui d o n n a i e n t les m a n u factures, se d é v e l o p p a i t d a n s u n essor parallèle et occupait toutes les a v e n u e s de la navigation i n t e r n a -


— 125 —

tionale ; toutefois, elle eut à s o u t e n i r q u e l q u e t e m p s u n e c o n c u r r e n c e r e d o u t a b l e de la p a r t de la m a r i n e des Etats-Unis, m o i n s n o m b r e u s e , il est vrai, m a i s m o i n s c h è r e ; telle fut la raison qui e m p ê c h a l'Angleterre de s u p p r i m e r aussi vite le pacte colonial d a n s ses possessions occidentales qu'elle l'avait fait d a n s ses colonies orientales. C'est en des c o n d i t i o n s aussi favorables à la liberté q u e l'Angleterre c o m m e n ç a cette œ u v r e trice à laquelle d e m e u r e n t

réforma-

attachés les n o m s de

Huskisson et de R o b e r t Peel. Déjà, avant le g o u v e r n e m e n t de ces d e u x m i n i s t r e s , l'acte célèbre de 1822 avait réglé les r a p p o r t s des colonies d ' A m é r i q u e avec les a u t r e s contrées a m é r i c a i n e s , en établissant la liberté des échanges m u t u e l s p o u r v u qu'ils e m p l o y a s sent l ' i n t e r m é d i a i r e de la m a r i n e b r i t a n n i q u e ou de 1

celle des pays de p r o v e n a n c e ou de d e s t i n a t i o n . Un d e u x i è m e acte de la m ê m e a n n é e p e r m i t a u x colonies de c o m m u n i q u e r d i r e c t e m e n t avec les p o r t s e u r o p é e n s de l'Atlantique, de m ê m e q u ' a v e c Malle, Gibraltar, Guernesey, e t c . . . , où j u s q u e - l à elles n'avaient p u e n v o y e r leurs p r o d u i t s q u ' a p r è s le circuit en A n g l e t e r r e ; m a i s à la différence

du

commerce

avec les contrées a m é r i c a i n e s , le c o m m e r c e avec les 1

La v e n u e d e cet acte était o p p o r t u n e , car « d'après un r e l e v é qui s e t r o u v e d a n s l'ouvrage de B r y a n E d w a r d s , dit Mérivale, 15.000 n è g r e s périrent en 7 a n n é e s d a n s la s e u l e J a m a ï q u e , par suite de la d é f e n s e d e s ' a p p r o v i s i o n n e r en A m é r i q u e . » Op. cit., p. 80.


126

pays d ' E u r o p e ne pouvait s'effectuer

q u e sous p a -

villon anglais. Dès qu'il arriva au g o u v e r n e m e n t , Huskisson y porta les idées libérales qu'il avait puisées

dans

son éducation française, p a r m i les m a î t r e s de n o t r e école p h y s i o c r a t i q u e . Sous condition de réciprocité, il a d m i t toutes les m a r i n e s étrangères à réaliser les t r a n s p o r t s des colonies anglaises, en c o n c u r r e n c e avec le pavillon n a t i o n a l , tant p o u r

l'importation

des m a r c h a n d i s e s e u r o p é e n n e s q u e p o u r l'exportation des d e n r é e s c o l o n i a l e s ; ces t r a n s p o r t s étaient assujettis à d e s droits variant de 7 1/2 à 30 p . 100, qui devaient être versés d a n s les caisses des colonies. Les colonies étaient libres, dès lors, de réaliser leurs a p p r o v i s i o n n e m e n t s d a n s tout a u t r e pays q u e la m é t r o p o l e ; mais le pacte colonial est un système d'avantages r é c i p r o q u e s ; il stipule des faveurs au profit de la m é t r o p o l e à côté des faveurs réservées aux colonies, et d è s lors q u e les u n e s disparaissent, n'est-il p a s j u s t e q u e les a u t r e s t o m b e n t à leur t o u r ? P o u r q u o i l'ouvrier de la m é t r o p o l e serait-il tenu de c o n s o m m e r le sucre de la J a m a ï q u e et de la B a r b a d e , q u a n d ces colonies réservent u n e g r a n d e p a r t i e de leurs d e m a n d e s

aux manufactures

é t r a n g è r e s ? Il

fallait a n é a n t i r m a i n t e n a n t les restrictions q u e l'Angleterre s'était imposées au bénéfice de ses colonies, et c'est p o u r d e m a n d e r cette réforme q u e la c h a m -


— 127 —

b r e de c o m m e r c e de Manchester publia le manifeste du m o i s de m a r s 1841 : elle m o n t r a les résultats de l'enquête de 1840, le sucre du Brésil valant d e u x fois 1

m o i n s c h e r q u e le sucre des A n t i l l e s , la protection du sucre colonial o c c a s i o n n a n t au T r é s o r u n e p e r t e a n n u e l l e de 3 millions de livres sterling, le c o n s o m m a t e u r anglais p a y a n t le café 80 ou 100 p . 100 plus c h e r q u e le c o n s o m m a t e u r du c o n t i n e n t . A la suite de ce manifeste, le m i n i s t è r e p r o p o s a de r é d u i r e de 65 à 36 sh. la taxe sur le sucre é t r a n g e r . Il y eut au P a r l e m e n t u n e discussion très vive à laquelle prirent p a r t lord Russell, Macaulay, lord Stanley et R o b e r t P e e l ; m a i s la réforme avorta p a r suite de l'opposition des tories. C e p e n d a n t , l'opinion p u b l i q u e s'était affirmée d ' u n e m a n i è r e t r o p p u i s s a n t e p o u r ne p a s e n t r a î n e r le vote des C h a m b r e s .

En

1844, le m i n i s t è r e tory, qui avait r e n v e r s é le m i n i s tère whig, dut l u i - m ê m e p r e n d r e l'initiative de la réforme, en laissant passer u n e loi qui abaissait la taxe tout au m o i n s s u r le sucre p r o d u i t par le travail libre. Enfin, en 1846, q u a n d le cabinet whig revint au p o u v o i r , lord J o h n Russel p r o c l a m a « l ' h e u r e v e n u e de b r i s e r le cercle vicieux de l'ancien système colonial » ; il p r é s e n t a au P a r l e m e n t u n n o u v e a u

bill

qui devait fixer définitivement la législation c o m merciale des colonies anglaises : tous

les

sucres

m o s c o u a d e s étrangers furent assujettis au droit de 1

Cf. Mérivale, op. cit., p. 200.


— 128 —

21 shellings p a r q u i n t a l , m a i s ce droit devait faire l'objet d ' u n a b a i s s e m e n t graduel p e n d a n t u n e p é riode de cinq a n n é e s , afin q u ' à partir du 5 j u i l let 1851 il y eût parfaite égalisation p o u r les sucres de toutes p r o v e n a n c e s ; p a r c o n t r e , en m ê m e t e m p s qu'elles p e r d a i e n t le m o n o p o l e

du débouché

de

l'Angleterre, les colonies recevaient la plus complète liberté avec le droit de régler elles-mêmes leurs tarifs sans l ' a p p r o b a t i o n de la c o u r o n n e . L ' œ u v r e fut par rachevée à la suite du bill du 26 j u i n 1849, q u i renversa le d e r n i e r débris de l'ancien système c o l o nial, c'est-à-dire le m o n o p o l e p o u r le pavillon a n glais du cabotage et de l'intercourse e n t r e la m é tropole et les colonies ou d ' u n e colonie à l ' a u t r e ; la réforme ne fut pas a b s o l u m e n t radicale, p u i s q u ' o n laissa subsister en principe le m o n o p o l e du c a b o tage, sauf à l'abolir s u r la d e m a n d e d e s législatures coloniales ; m a i s en d e h o r s de ce faible vestige, il ne restait plus rien de l'acte de Cromwell et des Stuarts, le pacte colonial avait vécu en Angleterre. Chez la g r a n d e nation industrielle et m a r i t i m e , l ' a u t o n o m i e a réussi à l'égal du libre-échange et p o u r des raisons identiques. Certes, les colonies ont usé de la liberté d'établir elles-mêmes leurs tarifs au point de n e réserver parfois a u c u n e faveur à l'industrie et à la m a r i n e m é t r o p o l i t a i n e . Même d a n s ces c o n d i tions, l ' a u t o n o m i e coloniale d e m e u r a i t u n e institution g r a n d e m e n t a v a n t a g e u s e . Elle a été p o u r les co-


— 129 — lonies la source d ' u n e é n o r m e extension de l e u r c o m m e r c e , et, d a n s la s o m m e des échanges, la p a r t la plus i m p o r t a n t e est toujours restée à la m é t r o p o l e . Celle-ci n ' a plus a c c a p a r é p o u r elle seule tout le c o m m e r c e de ses colonies, m a i s , en dépit de la conc u r r e n c e des n a t i o n s étrangères, elle a réalisé u n c o m m e r c e colonial plus vaste q u ' à l ' é p o q u e m ê m e de son m o n o p o l e . Le C a n a d a est la seule colonie anglaise q u i e n t r e t i e n n e avec u n pays étranger des r e l a t i o n s plus actives q u ' a v e c l'Angleterre ; « en d é pit des a n c i e n n e s relations et des facilités croissantes q u e les b a t e a u x , de plus en plus n o m b r e u x

et

r a p i d e s , offrent au c o m m e r c e avec la m è r e p a t r i e , u n écart c o n s i d é r a b l e se p r o d u i t d ' a n n é e en a n n é e 1

au profit des E t a t s - U n i s . » P o u r l ' a n n é e fiscale 18881889, la confédération c a n a d i e n n e entretenait u n trafic de 503.006.375 francs avec l'Angleterre, de 510.046.450 francs avec les Etats-Unis ; le c o m m e r c e avec les a u tres pays représentait

s e u l e m e n t le h u i t i è m e des

é c h a n g e s . Mais, d a n s toutes les a u t r e s colonies de l'Angleterre, le c o m m e r c e de la m é t r o p o l e tient le p r e m i e r r a n g et de très loin : ainsi en est-il à la J a m a ï q u e où, s u r u n c o m m e r c e total de 79.443.650 francs, l'Angleterre entrait, en 1888, p o u r u n e p a r t 1

Cf. E l i s é e R e c l u s , Géographie universelle, t o m e XV, p . 677 L e s chiffres qui s u i v e n t s o n t e m p r u n t é s à l'ouvrage de M . R e c l u s p o u r le Canada et la J a m a ï q u e , et p o u r l'Australasie à la Grande Encyclopédie, article A U S T R A L A S I E , par M. Levasseur. NORMAND.

9


— 130 — n o t a b l e de 93 p . 100; les é c h a n g e s d e la m é t r o p o l e avec les colonies a u s t r a l i e n n e s

a t t e i g n a i e n t , en

1884, le chiffre d e 1.311 millions s u r u n e s o m m e totale de 2.964 millions, t a n d i s q u e la p a r t de la m a r i n e b r i t a n n i q u e était de 9.800.000 t o n n e s s u r un total de 12.900.000 t o n n e s . P a r suite de la situation industrielle et m a r i t i m e de

l'Angleterre, ses colonies sont

toujours,

pour

elle, d e s « d é b o u c h é s », c o m m e au t e m p s du pacte colonial.

C H A P I T R E V. — L e P a c t e C o l o n i a l e n F r a n c e . T a n d i s q u e les a u t r e s n a t i o n s se p o r t a i e n t de t o u s leurs efforts vers l'expansion coloniale, la F r a n c e n e d e m e u r a p a s é t r a n g è r e à la g r a n d e c o m p é t i t i o n de l ' E u r o p e d a n s les m e r s l o i n t a i n e s . C'est

nous

c a l o m n i e r n o u s - m ê m e s de dire avec Voltaire q u e « les F r a n ç a i s

ne prirent

p a s part

aux grandes

découvertes et faisaient d e s t o u r n o i s p e n d a n t q u e les

P o r t u g a i s et

les E s p a g n o l s

découvraient

et

e

c o n q u é r a i e n t les n o u v e a u x m o n d e s » ; le x v e l l e xvi

e

siècle virent au c o n t r a i r e les expéditions s u c c é d e r aux expéditions, et l'on eût dit q u e cette

hardiesse

a d m i r a b l e d e s initiatives particulières, qui j e t t e tant d e lustre s u r l'histoire d e la H o l l a n d e , avait passé d a n s le c œ u r des m a r i n s d e n o s côtes

françaises,


— 131 —

d e p u i s D i e p p e , la cité des Ango, j u s q u ' à l'antique Marseille, la r e i n e de n o t r e c o m m e r c e oriental. N é a n m o i n s , en dépit h e u r e u x de F r a n ç o i s

de plusieurs essais er

I,

mal-

c'est s e u l e m e n t sous

le

règne de H e n r i IV q u e l'expansion coloniale devint v é r i t a b l e m e n t u n e œ u v r e n a t i o n a l e , dirigée de h a u t e m a i n p a r le g o u v e r n e m e n t de nos rois et offrant d a n s u n e p r a t i q u e c o n t i n u e les caractères d ' u n système. § 1. — Règne de Henri

IV.

er

A l'exemple de F r a n ç o i s I , H e n r i IV d e m a n d e à voir l'article du t e s t a m e n t d ' A d a m q u i avait légué le N o u v e a u - M o n d e aux E s p a g n o l s et aux P o r t u g a i s , sa fierté b é a r n a i s e ne veut plus céder aux p r é t e n t i o n s rivales et il p l a n t e r é s o l u m e n t n o t r e d r a p e a u s u r les territoires

i n o c c u p é s de l ' A m é r i q u e d u N o r d . E n

1598, le m a r q u i s de la R o c h e obtient des lettres p a t e n t e s q u i le déclarent lieutenant-général d u roi d a n s les pays de C a n a d a , Hochelaga, T e r r e - N e u v e , L a b r a d o r , N o r e m b è g u e et terres a d j a c e n t e s ; m a i s au m o m e n t d'atterrir

d a n s les nouvelles contrées,

le

vaisseau qui portait les e x p l o r a t e u r s est e n t r a î n é p a r u n o u r a g a n et le pilote ne r e t r o u v e sa r o u t e q u ' e n vue des côtes de F r a n c e . T o u t était à refaire, et ce fut l'objet d ' u n e d e u x i è m e expédition, q u i mit à la voile en 1604, et se dirigea n o n plus vers le C a n a d a , m a i s vers l'Acadie; son chef était u n c a p i t a i n e de la m a r i n e royale, d o n t le n o m allait bientôt d e v e n i r


— 132 — illustre à l'égal des plus g r a n d s , S a m u e l C h a m p l a i n . Sur les territoires q u e lui ont acquis la hardiesse de ses sujets, le roi e n t e n d devenir le maître et le seul m a î t r e . Artisan laborieux de l'unité n a t i o n a l e , il avait trop bien travaillé, de concert avec Laffemas, à se soustraire au m o n o p o l e des fabriques italiennes et

flamandes

p a r l'établissement d a n s le r o y a u m e

des industries de luxe ; il connaissait trop bien l'article fondamental du credo m e r c a n t i l e , qui déjà s'affirmait d a n s les ouvrages des p r e m i e r s é c o n o m i s t e s , p o u r ne pas vouloir jouir des avantages de ses d o m a i n e s d ' A m é r i q u e à l'exclusion de toute a u t r e n a tion. Il stipula de l'Espagne, en 1598, p a r un article secret du traité de Vervins, la délimitation de la ligne des amitiés,

tracée du n o r d au sud en p a s s a n t

p a r l'île de Fer, et au delà de laquelle les p a r t i c u liers français

p o u r r a i e n t agir sans q u e la paix fût l

troublée entre les d e u x n a t i o n s . Aussi, dès l'année 1605, la c a p t u r e d'un certain n o m b r e de b â t i m e n t s interlopes devint p o u r la colonisation

acadienne

l'une des sources principales de ses bénéfices. E n m ê m e t e m p s qu'il i n a u g u r e en F r a n c e le système colonial, H e n r i IV lui d o n n e ce c a r a c t è r e p a r ticulier q u i le suivra si l o n g t e m p s : en 1603, a p p a r u t la p r e m i è r e c o m p a g n i e française de colonisation ; ce fut la C o m p a g n i e de la Nouvelle F r a n c e , dirigée 1

Voir le t e x t e de l'article d a n s l'ouvrage de M. P a u l i a t ,

La Politique

coloniale

de l'ancien

régime,

appendice.


— 133 — p a r le sieur de Monts, et bientôt suivie, en 1604, d'une

société nouvelle, la Compagnie des I n d e s

orientales, fondée sur l'initiative de Gérard de Roy. Les C o m p a g n i e s de Henri IV ne réussirent p a s , elles p é r i r e n t au l e n d e m a i n de leur n a i s s a n c e ; mais

le

g r a n d roi n ' e u t p a s m o i n s le m é r i t e d ' i n a u g u r e r u n e voie féconde où devaient s'illustrer ensuite les d e u x o r g a n i s a t e u r s de notre puissance coloniale, Richelieu et C o l b e r t . § 2. — Ministère

de

Richelieu.

Richelieu était fortement p é n é t r é de cet a x i o m e , qui allait d o m i n e r la politique coloniale d u siècle, à savoir q u e sans colonies il n'y a point de c o m m e r c e et sans m a r i n e p a s de colonies. Il savait bien q u e la F r a n c e ne pouvait songer à m a i n t e n i r l'exclusif d a n s ses colonies a m é r i c a i n e s , si elle ne m e t tait pas au service de ses p r é t e n t i o n s u n e m a r i n e de guerre

p u i s s a n t e et n o m b r e u s e . Or, en quel triste

état d'insignifiance était alors n o t r e m a r i n e militaire, m a l g r é les efforts de Henri IV : « D a n s l'Océan, la m a r i n e royale se composait d ' u n e d o u z a i n e de bâtim e n t s m a l a r m é s et m a l équipés d o n t un seul, la Vierge, qui avait coûté 200.000 écus et qui portait 80 1

La Compagnie de la N o u v e l l e F r a n c e en 1606 ; la C o m p a -

g n i e d e s I n d e s o r i e n t a l e s ne put arriver à é q u i p e r l e s n a v i r e s nécessaires,

et, m a l g r é

l e s lettres p a t e n t e s qui la réorga-

n i s è r e n t en 1611 et 1615, elle dut r e n o n c e r , en fait, à e x e r c e r s o n privilège.


— 134 — c a n o n s de fonte, était c a p a b l e de lutter c o n t r e les galions de l'Espagne et les gros navires anglais et 1

h o l l a n d a i s . » C'est à q u o i r e m é d i a le c a r d i n a l avec la p r o m p t i t u d e et la p u i s s a n c e qu'il mettait

dans

toutes ses actions : « Dix a n s a p r è s son a v è n e m e n t , la flotte royale de l'Océan c o m p t a i t 64 n a v i r e s , 30 de plus q u e n ' e n d e m a n d a i t Richelieu l u i - m ê m e en 1626, celle de la M é d i t e r r a n é e 13 vaisseaux r o n d s et 2

12 g a l è r e s . » E n m ê m e t e m p s Richelieu c o n t i n u e et fortifie la t r a d i t i o n de H e n r i IV en faisant r e p o s e r l'édifice d e n o t r e g r a n d e u r coloniale sur l'existence de c o m p a gnies privilégiées. « F a u t e de ces c o m p a g n i e s , dit le g r a n d m i n i s t r e , et p o u r ce q u e c h a q u e petit m a r c h a n d trafique à p a r t et de son b i e n , et p a r t e n t p o u r la p l u p a r t en de petits vaisseaux assez m a l é q u i p é s , ils sont la p r o i e des corsaires et des p r i n c e s nos alliés, p a r c e qu'ils n ' o n t p a s les reins assez forts, c o m m e a u r a i t u n e g r a n d e c o m p a g n i e de p o u r s u i v r e l e u r justice j u s q u ' a u b o u t . Ces c o m p a g n i e s seules n e seraient p a s n é a n m o i n s suffisantes si le roi, de son côté, n'était a r m é d ' u n b o n n o m b r e de vaisseaux p o u r les m a i n t e n i r p u i s s a m m e n t en cas q u ' o n s'op3

posât p a r force o u v e r t e à leurs desseins . » 1

2

3

Cf. P i g e o n n e a u , op. cit., p. 403. Ibidem, p . 408.

Cf. Mémoires, joulat.

t o m e I, livre XVIII, é d i t i o n M i c h a u d et P o u -


— 135 —

Dès l o r s , les c o m p a g n i e s se suivirent n o m b r e u s e s ; ce n'est p a s ici le lieu de les é n u m é r e r , ni de relater leur h i s t o i r e ; il suffît

d'indiquer

q u e l'esprit

de

leurs chartes était l'esprit m ê m e du pacte colonial. E n cela, d'ailleurs, elles ne faisaient q u e d o n n e r une application concrète aux principes émis d a n s la célèbre o r d o n n a n c e de 1627, c o n n u e sous le n o m de code M i c h a u d ; cette o r d o n n a n c e fut u n e édition a v a n t la lettre de l'acte de navigation de C r o m w e l l , elle d o n n a i t à la m a r i n e française toutes les exportations de la m é t r o p o l e , elle préconisait les c o m p a g n i e s (art. 429), elle assurait à nos a r m a t e u r s la gar a n t i e de leur m o n o p o l e en d é c i d a n t q u e les n a v i r e s m a r c h a n d s seraient convoyés p a r des vaisseaux de g u e r r e , d o n t le n o m b r e serait p o r t é à 50, j a u g e a n t c h a c u n au m o i n s q u a t r e cents t o n n e a u x (art. 130, 431, 432) ; enfin, elle autorisait les représailles c o n t r e les actes de piraterie et les m a u v a i s exercés sur

traitements

nos m a r c h a n d s et nos m a t e l o t s (art. 1

448, 449, 150, 4 5 1 ) . Si l'on envisage les c o m p a g n i e s de Richelieu au point de vue de leurs résultats é c o n o m i q u e s , ces résultais furent

ceux de tous les m o n o p o l e s .

C a n a d a , la c o m p a g n i e n ' i m p o r t a i t

q u e des

Au mar-

c h a n d i s e s d ' u n e qualité inférieure et elle p r é t e n d a i t les faire p a y e r très c h e r p a r les colons aussi b i e n 1

Cf. I s a m b e r t , Anciennes

330, 332, 333, 337.

lois françaises,

t o m e XVI, p. 329,


— 136 — q u e p a r les sauvages ; en r e t o u r , elle ne voulait acheter q u ' a u x prix le plus b a s les p r o d u i t s q u e la colonie pouvait fournir ; aussi les I n d i e n s

préfé-

raient-ils b e a u c o u p trafiquer avec les Anglais et les H o l l a n d a i s , d o n t les exigences étaient bien m o i n s oppressives. A Saint-Christophle, l ' œ u v r e de la c o m pagnie fut tout s i m p l e m e n t d é s a s t r e u s e : « La c o m p a g n i e , soit p a r négligence, soit p a r le désir de faire d e gros bénéfices, laissa les h a b i t a n t s m a n q u e r de vivres.

Un vaisseau z é l a n d a i s ,

chargé

de

toutes

sortes de provisions d ' E u r o p e , sauva en q u e l q u e sorte la vie à ces infortunés et se t r o u v a si b i e n de ses échanges qu'il y r e v i n t ; son e x e m p l e fut suivi p a r p l u s i e u r s navires de Flessingue, en sorte q u ' e n peu de t e m p s les Hollandais exclurent du c o m m e r c e 1

de la colonie la c o m p a g n i e qui l'avait fondée . » § 3. — Ministère

de

Colbert.

J u s q u ' i c i , n o u s a v o n s assisté à la formation p r o gressive du système colonial ; l'édifice s'est

élevé

pièce à pièce, m a i s il n'atteignit à la h a u t e u r d ' u n e construction i m p o s a n t e q u e sous le g o u v e r n e m e n t de Colbert. A a u c u n e é p o q u e , il faut b i e n le d i r e , la situation de la F r a n c e ne se p r ê t a m i e u x à l'étab l i s s e m e n t et a u

maintien

du

système

colonial.

Louis XIV est alors d a n s tout le r a y o n n e m e n t de sa 1

Caillet, Administration

Richelieu,

p . 108, t o m e II.

de la France

sous le ministère

de


— 137 — gloire, il est le g r a n d roi, l'arbitre des destinées de l ' E u r o p e , et ce n'est p a s i m p u n é m e n t q u e les n a tions rivales eussent attenté au m o n o p o l e de nos c o m m e r ç a n t s français : sous l'impulsion vigoureuse de Colbert, l'industrie m é t r o p o l i t a i n e s'est d é v e l o p pée d a n s u n merveilleux essor, et elle ne d e m a n d e q u ' à o u v r i r à sa p r o d u c t i o n des d é b o u c h é s toujours plus l a r g e s ; enfin, les q u e l q u e s m a u v a i s e s galères de l ' é p o q u e de Henri IV ont été r e m p l a c é e s p a r de beaux navires, et n o u s s o m m e s en possession de cette m a r i n e n o m b r e u s e et forte, sans laquelle il n'est point de colonies. Le fond de la pensée de Colbert est tout simplem e n t mercantiliste ; ce qu'il r e c h e r c h e de tous ses efforts,

c'est d'arriver

à l'établissement d ' u n e

ba-

lance favorable p a r le d é v e l o p p e m e n t du c o m m e r c e et de l ' i n d u s t r i e ; aussi, n'aura-t-il g a r d e de p a r t a g e r avec a u c u n e n a t i o n é t r a n g è r e le d é b o u c h é privilégié q u e n o u s offrent

les colonies. L'exclusion de

l'étranger est la base de son système colonial, et il e n t e n d cette exclusion de la m a n i è r e la p l u s rigoureuse : « La m a x i m e d'exclure les étrangers que. tout vaisseau é t r a n g e r ou français chargé

veut de

m a r c h a n d i s e s prises en p a y s é t r a n g e r , m ê m e d a n s les îles voisines, a b o r d a n t ou naviguant a u x envir o n s des îles, soit confisqué, et sa confiscation p a r tagée suivant l ' o r d o n n a n c e du roi ; et en cas q u e les différentes

circonstances d o n n e n t lieu à q u e l q u e s


— 138 —

d o u t e s , il faut étrangers,

toujours les e x p l i q u e r c o n t r e

sauf aux m a î t r e s ou p r o p r i é t a i r e s

les des

1

vaisseaux à se venir p l a i n d r e au r o i . » Tel fut le sens des instructions q u e r e ç u r e n t du g r a n d

mi-

nistre les g o u v e r n e u r s coloniaux, et tous s'empressèrent

d'y o b t e m p é r e r

avec la plus

scrupuleuse

exactitude. Seul, le g o u v e r n e u r des îles d ' A m é r i q u e obéit c o m m e à c o n t r e - c œ u r ; s u b o r d o n n a n t l'intérêt de la c o m p a g n i e m é t r o p o l i t a i n e à celui des colonies, il p e n s a et osa dire q u e leur p r o s p é r i t é était a t t a c h é e à cette liberté q u e r e v e n d i q u a i e n t les étrangers ; aussi, m a l g r é l'estime d a n s laquelle il tenait la h a u t e habileté d u g o u v e r n e u r , Colbert ne put

s'empêcher

d'écrire « q u e M. de Baas connivait t r o p avec les 2

étrangers et qu'il leur p a r d o n n a i t trop f a c i l e m e n t » . 11 y avait b e a u c o u p à faire p o u r a r r i v e r sur ce point à u n e c o m p l è t e réalisation de l'idéal m e r c a n tile. L o r s q u e d é b u t a l ' a d m i n i s t r a t i o n de Colbert, les c o m p a g n i e s de Richelieu s'étaient éteintes à la suite d ' u n e agonie p é n i b l e ; le m o n o p o l e du c o m m e r c e français n'avait plus de défense q u e d a n s

l'énergie

des particuliers ou d a n s les faibles m o y e n s d'associations privées, c o m m e celle qui avait succédé à la c o m p a g n i e d u C a n a d a et qui s'efforçait i n u t i l e m e n t d ' e n r a y e r le c o m m e r c e interlope des Anglais et des 1

Maxime citée par P . C l é m e n t , Histoire

p. 513. 2

Ibidem,

p . 503.

de Colbert,

t o m e I,


— 139 —

H o l l a n d a i s . Aux Antilles, les droits de la c o m p a g n i e de 1642 étaient passés aux m a i n s de simples partic u l i e r s ; D u p a r q u e t à la M a r t i n i q u e , Boisseret à la G u a d e l o u p e , le c o m t e de Cérillac à G r e n a d e , et les n o u v e a u x m a î t r e s avaient pris l'habitude d'accueillir tous les pavillons au m o y e n de passeports réguliers. Q u a n t à nos a r m a t e u r s , ils ne jouissaient p a s d'un a u t r e t r a i t e m e n t q u e les étrangers, et les q u e l q u e s e x e m p t i o n s d o n t ils j o u i s s a i e n t

d a n s les ports de

F r a n c e ne c o m p e n s a i e n t p a s les risques d ' u n e navigation d a n g e r e u s e , en des parages infestés de corsaires espagnols ou de flibustiers de toute origine p o u r qui tout navire chargé était de b o n n e p r i s e . E n u n m o t , la F r a n c e se m o n t r a i t i m p u i s s a n t e à s o u t e n i r le p o i d s de son m o n o p o l e ; « c'était sous pavillon anglais ou h o l l a n d a i s q u e nos d e n r é e s coloniales entraient d a n s nos p o r t s , et le m a r c h é des fourrures du C a n a d a , qui a u r a i t dû être à R o u e n ou à La R o chelle, était à L o n d r e s et à A m s t e r d a m

1

».

Colbert p r é t e n d i t restituer à la m é t r o p o l e ce qu'il regardait c o m m e s o n droit le plus absolu ; il v o u l u t placer les intérêts de la F r a n c e e n t r e des m a i n s vigoureuses et il p e n s a avoir imaginé le secret de n o t r e r é s u r r e c t i o n coloniale en établissant n o n plus ces petites associations provinciales et p r e s q u e m u n i c i 1

Cf. P i g e o n n e a u , « La P o l i t i q u e c o l o n i a l e d e C o l b e r t », Annales de l'Ecole libre des Sciences politiques, a n n é e 1886, p. 491.


— 140 —

pales qu'étaient les c o m p a g n i e s de H e n r i IV et m ê m e de Richelieu, m a i s en instituant d e u x g r a n d e s c o m pagnies n a t i o n a l e s q u i se p a r t a g e r a i e n t lé m o n d e , à l'exemple d e leurs devancières de H o l l a n d e et d'Angleterre. Telle fut l'origine d e la c o m p a g n i e des I n des occidentales et d e celle d e s I n d e s orientales, toutes d e u x fondées d a n s la m ê m e a n n é e d e 1664. Cette c r é a t i o n fut suivie d ' u n certain n o m b r e d'ord o n n a n c e s et de règlements r o y a u x , q u i affirmèrent la r é s o l u t i o n bien nette du m i n i s t r e d'éloigner l'étranger e t de s u b o r d o n n e r l'intérêt colonial, à l'intérêt s u p é r i e u r d e la m é t r o p o l e . Le règlement royal d u 10 j u i n 1670 défendit aux b â t i m e n t s étrangers d'aborder d a n s les ports des colonies, et a u x h a b i t a n t s des dites colonies d e les recevoir, à p e i n e d e confiscation. Il est à croire q u e la défense n e fut p a s scrup u l e u s e m e n t observée, car, à plusieurs reprises, les successeurs de Colbert furent obligés de r a p p e l e r a u x g o u v e r n e u r s les o r d r e s du roi : ce fut l'objet d u r è g l e m e n t royal d u 20 août 1698, d e l ' o r d o n n a n c e d u 26 n o v e m b r e 1719 et du r è g l e m e n t royal d u 23 j u i l let 1720. De m ê m e , l'instruction royale du 20 a o û t 1726 d u t r e n o u v e l e r la défense d e laisser faire a u c u n c o m m e r c e a u x é t r a n g e r s d a n s les îles, l'édit d'avril 1727, la défense d ' e x p o r t e r a u c u n e m a r c h a n d i s e d u 1

cru d e s îles françaises d a n s les p a y s é t r a n g e r s . 1

Cf. Nouveau

Dictionnaire

de l'Economie

politique

Say et C h a i l l e y - B e r t , article S Y S T È M E COLONIAL.

de Léon


141

Ce n'est p a s sans de vives protestations q u e les colonies accueillirent de telles m e s u r e s , les Antilles surtout, qui avaient j o u i p e n d a n t u n e période assez longue des bienfaits d ' u n e liberté p r e s q u ' e n t i è r e . Q u a n d M. de C h a m b r é , a g e n t général de la C o m p a g n i e d e s I n d e s occidentales, d é b a r q u a à la M a r t i n i q u e , il se trouva en face d ' u n e ligue des colons, décidée à e m p ê c h e r m ê m e p a r la force l'application des n o u v e a u x règlements ; c'est s e u l e m e n t à l'aide de miracles d'habileté q u e le g o u v e r n e u r de l'île, M. de T r a c y , p u t éviter u n e i n s u r r e c t i o n g é n é r a l e , et la C o m p a g n i e dut se r é s i g n e r à l ' a b a n d o n tout au m o i n s partiel de ses privilèges, a b a n d o n qui fut s a n c t i o n n é p a r u n règlem e n t du 17 m a r s 1665 : il fut décidé q u e les a r m a teurs français p o u r r a i e n t trafiquer l i b r e m e n t d a n s toutes les Antilles, m o y e n n a n t le p a i e m e n t d'un droit de 2 1/2 p . 100 sur toutes les m a r c h a n d i s e s i m p o r t é e s et exportées, et q u e , d ' a u t r e p a r t , les étrangers p o u r raient faire le m ê m e c o m m e r c e m o y e n n a n t un droit de 5 p . 100. Le régime libéral i n a u g u r é aux Antilles fut d'ailleurs d ' u n e d u r é e é p h é m è r e : au l e n d e m a i n des traités de B r é d a et d'Aix-la-Chapelle, un arrêt du conseil d u 10 n o v e m b r e 1668 décida q u ' a u c u n e p e r m i s s i o n ne serait plus accordée aux navires é t r a n g e r s ; q u a n t aux n a v i r e s de nos a r m a t e u r s , qui p r a t i q u a i e n t le c o m m e r c e e n t r e la F r a n c e et les I n d e s occidentales, ils devaient faire r e t o u r au p o r t m ê m e de leur d é p a r t , afin


142

d'éviter la fraude et la c o n t r e b a n d e avec les navires de l'étranger. La m é t r o p o l e , en effet, limitait à son seul m a r c h é toutes les e x p o r t a t i o n s des colonies, non sans r e m p l i r d'ailleurs

l'obligation corrélative du

p a c t e , c'est-à-dire en garantissant aux

colonies le

m a r c h é de la m é t r o p o l e p a r des droits différentiels sur les p r o d u i t s similaires étrangers. La gêne r é s u l tant p o u r les Antilles de la d i m i n u t i o n de leurs d é b o u c h é s fut e n c o r e aggravée p a r u n e m e s u r e n o u velle : la m é t r o p o l e , voulant a s s u r e r à son i n d u s t r i e le bénéfice d e l à m a n u f a c t u r e des p r o d u i t s c o l o n i a u x , p r o h i b a la réexpédition des sucres b r u t s a m e n é s des Antilles en F r a n c e ; cette m e s u r e était bien p r o p r e à s t i m u l e r l'activité de nos fabriques françaises, car, sur 27.000.000 de livres de sucre q u e

produisaient

nos îles d ' A m é r i q u e en 1682, 20 millions s e u l e m e n t étaient a b s o r b é s p a r la m é t r o p o l e , et n o t r e i n d u s t r i e raffinait la différence p o u r les n a t i o n s é t r a n g è r e s . Mais les Antilles, qui v e n d a i e n t m o i n s , se virent obligées de m o i n s p r o d u i r e ; elles e n t r è r e n t d a n s u n e r a p i d e d é c a d e n c e , si bien q u ' e n 1698 elles n ' e m ployaient plus que 20.000 noirs et leur c o m m e r c e n'était plus a l i m e n t é q u e p a r u n e c i n q u a n t a i n e de navires de t o n n a g e m é d i o c r e . M. de Baas avait vu juste, et c'est à b o n droit qu'il avait estimé nécessaire de « pactiser avec l'étranger ».

Vainement

Colbert avait-il multiplié les restrictions au privilège de la C o m p a g n i e , v a i n e m e n t avait-il écrit, en février


— 143 —

1670, aux d i r e c t e u r s de la Compagnie prêts à partir p o u r les Antilles : « C o m m e tout ce qui est c o n t r a i r e à cette liberté qui est l'âme du c o m m e r c e et qui seule peut l ' a u g m e n t e r , r e t a r d e r a l ' a v a n c e m e n t des colonies, il faut t r o u v e r des expédients p o u r établir cette liberté »; v a i n e m e n t enfin avait-il p r o c é d é , en d é c e m b r e 1674, à la révocation définitive d u p r i v i lège de la C o m p a g n i e , nos îles des Antilles ne retrouvaient pas leur p r e m i è r e prospérité et elles contemplaient jalousement

le brillant essor de leurs

voisines anglaises, la B a r b a d e et la J a m a ï q u e . La C o m p a g n i e des I n d e s orientales n'eut p a s u n e existence plus b r i l l a n t e , m a i s la r i g u e u r de son p r i vilège, d'ailleurs a t t é n u é e p a r des restrictions s u c cessives, n'eut pas la m ê m e influence désastreuse sur le d é v e l o p p e m e n t des colonies, car n o u s n'avions en Orient q u e des c o m p t o i r s , simples points d'attache au flanc des vastes e m p i r e s de l'Inde ; et q u a n d leur c o m m e r c e fut resserré e n t r e les m a i n s d ' u n e c o m p a g n i e privilégiée, les seuls qui en p â t i r e n t furent les a r m a t e u r s et les c o n s o m m a t e u r s français. Sur le littoral d'Afrique, la C o m p a g n i e avait fondé trois ou q u a t r e c o m p t o i r s p o u r les besoins de la traite des nègres, m a i s elle a p p r o v i s i o n n a les Antilles d ' u n e m a n i è r e si insuffisante et si o n é r e u s e q u e Colbert dut abolir partiellement au m o i n s son m o n o p o l e : ne laissant plus à la C o m p a g n i e

q u e la

traite du Sénégal, du cap Blanc à S i e r r a - L e o n e , il


— 144 —

réserva au roi, en 1670, le droit de délivrer des p a s seports, et, en 1672, il concéda douze livres de prim e à l ' a r m a t e u r et trois livres au capitaine p o u r chaq u e tête de noir i m p o r t é aux Antilles. Cette d o u b l e m e s u r e atténua sensiblement les m a u v a i s effets du m o n o p o l e , car les a r m e m e n t s se m u l t i p l i è r e n t , s u r tout à N a n t e s et à Saint-Malo, et, à partir de 1670, p l u s de 3.000 nègres furent t r a n s p o r t é s c h a q u e

an-

née d a n s nos Antilles, d é s o r m a i s bien p o u r v u e s de main-d'œuvre. Tel fut le système colonial de la F r a n c e sous le g o u v e r n e m e n t de Colbert. Il présente ce caractère r e m a r q u a b l e que pas un règlement

ne fut

édicté

d a n s la vue d ' i n t e r d i r e u n e industrie coloniale. Le b u t , l ' u n i q u e but de Colbert fut d'exclure l ' é t r a n g e r : « P a s de navires, pas de m a r c h a n d i s e s , pas de n é gociants étrangers aux colonies, pas de m a r c h a n d i ses coloniales d i r e c t e m e n t

v e n d u e s à l'étranger ;

e n c o r e Colbert fera-t-il fléchir quelquefois d a n s l'intérêt des colonies ce p r i n c i p e absolu : il p e r m e t t r a aux a r m a t e u r s d ' i m p o r t e r le bœuf salé d ' I r l a n d e , aux C a n a d i e n s de c o m m e r c e r avec Boston et aux gouv e r n e u r s d ' a c c o r d e r en t e m p s de g u e r r e et en cas de nécessité des p e r m i s s i o n s aux navires des p u i s s a n 1

ces n e u t r e s et alliées . » Les successeurs du g r a n d ministre n ' e u r e n t p a s la sagesse de c o n t i n u e r cette tradition libérale. Colbert 1

Cf. P i g e o n n e a u , La politique

coloniale

de Colbert,

p. 505.


145

m o u r u t en 1683 ; dès l ' a n n é e s u i v a n t e , les Antilles furent frappées d a n s l e u r i n d u s t r i e la p l u s i m p o r tante. L e raffinage

s u r place de la c a n n e à sucre

était p o u r elles la source d ' u n bénéfice évident, car il p e r m e t t a i t de réaliser u n e g r a n d e é c o n o m i e s u r les frais de d é p l a c e m e n t ; c'était l ' h e u r e u s e

applica-

tion d ' u n p r i n c i p e c h e r à l'économiste Carey, à savoir q u e les t r a n s p o r t s ne doivent j a m a i s avoir lieu q u e p o u r des p r o d u i t s m a n u f a c t u r é s ; m a i s cette faculté si a v a n t a g e u s e a u x colonies était en c o m p l è t e opposition

avec l'intérêt de la m é t r o p o l e , d o n t les

raffineurs avaient

à subir une concurrence

victo-

rieuse et d o n t la m a r i n e p e r d a i t la différence

entre

le fret d'un p r o d u i t b r u t et celui d ' u n p r o d u i t m a n u facturé. Aussi, en 1684, u n arrêt du Conseil d'Etat, du 21 j a n v i e r , défendit l'établissement de nouvelles raffineries a u x colonies ; p u i s , u n second a r r ê t , du 26 s e p t e m b r e de la m ê m e a n n é e , i m p o s a le sucre raffiné des colonies à 8 livres le q u i n t a l ; l'arrêt du 16 j a n v i e r 1698 éleva la m e s u r e à la h a u t e u r d ' u n e p r o h i b i t i o n en p o r t a n t à 22 livres dix sols la des raffinés

taxe

c o l o n i a u x . L ' i n d u s t r i e sucrière de n o s

Antilles fut étouffée ; « le d é c o u r a g e m e n t s'empar a n t des c o l o n s , ils a p p o r t è r e n t u n e e x t r ê m e négligence d a n s l e u r fabrication, et à ce p o i n t q u e le s u c r e b r u t q u i se vendait, en 1682, 14 et 15 francs le 1

cent, n ' e n valait plus q u e 5 ou 6 en 1713 . » Ce fut 1

Cf. M é m o i r e d u c o n s e i l d e s d é l é g u é s d e s c o l o n i e s s u r la s u r t a x e d e s s u c r e s . P a r i s , 1843. NORMAND.

10


— 146 —

en m ê m e temps la r u i n e d ' u n e i n d u s t r i e accessoire, qui avait c o n n u j a d i s u n e brillante activité, n o u s voulons parler d e la guildiverie,

c'est-à-dire la t r a n s -

formation des déchets de la raffinerie en spiritueux, r h u m s ou tafias, q u i p o r t a i e n t a u x Antilles le n o m de guildives. N o s colonies se virent réduites à a d o p ter u n m o d e de fabrication m o i n s parfait

et bien

plus coûteux, le terrage, qui atteignit en q u e l q u e s a n n é e s u n merveilleux d é v e l o p p e m e n t et offrit tout au m o i n s u n e c o m p e n s a t i o n partielle à la d é c h é a n c e 1

du raffinage . § 1. — Le dix-huitième

siècle.

Malgré les arrêts de 1684 et de 1698, l'industrie des Antilles françaises était plus libre q u e celle d ' a u c u n e colonie é t r a n g è r e ; la modération de ce régime, j o i n t e à la fécondité d'un sol plus r é c e m m e n t m i s en c u l ture, permit à n o s îles d'atteindre u n e prospérité bien supérieure à celle des Antilles anglaises qui voyaient avec jalousie s'étaler la richesse et le luxe de n o s p l a n t e u r s . C'est surfont à partir des m e s u r e s libérales a d o p t é e s sous les auspices de L a w q u e cette p r o s p é r i t é reçut un brillant et rapide essor : u n règlement salutaire affranchit de tout droit les m a r chandises françaises destinées aux îles, d i m i n u a cons i d é r a b l e m e n t les droits s u r les m a r c h a n d i s e s des îles destinées à la c o n s o m m a t i o n française, e t , disposition plus h e u r e u s e e n c o r e , autorisa les d e n r é e s 1

Cf. d e C h a z e l l e s , Elude

sur le système

colonial,

p . 76 et s.


— 147 —

des îles a m e n é e s en F r a n c e à en ressortir m o y e n n a n t u n droit de 3 p o u r 100. E n m ê m e t e m p s , les sucres étrangers furent frappés d ' u n e taxe générale. Dès lors, la Martinique, qui n ' e m p l o y a i t pas 15.000 n o i r s en 1700, vit tellement se d é v e l o p p e r

l'impor-

tance de ses exploitations, q u ' e n 1736 elle c o m p t a i t 72.000 n o i r s ; 200 navires de F r a n c e et 30 du C a n a d a fréquentaient a n n u e l l e m e n t ses p o r t s . La Guad e l o u p e atteignit une p r o s p é r i t é p r e s q u e égale, et notre magnifique colonie de S a i n t - D o m i n g u e devint le plus g r a n d c e n t r e du m o n d e p o u r la p r o d u c t i o n du sucre ; son e x p o r t a t i o n , au dire de Mérivale, m o n t a de 11.000.000 de livres t o u r n o i s en 1711 à 193.000.000 en 1788 et son c o m m e r c e

n'employait

p a s m o i n s de 1.000 navires et 15.000 m a r i n s fran1

çais . Celte prospérité n ' e m p ê c h a i t pas les Antilles de désirer u n e liberté toujours plus g r a n d e . C o m m e n çant d'ailleurs à sentir plus v i v e m e n t la c o n c u r r e n c e des colonies anglaises, r e n d u e s p a r le statut de la sixième a n n é e de Georges III à leur activité p r e m i è r e , elles d e m a n d è r e n t au g o u v e r n e m e n t de la m é t r o p o l e le r e l â c h e m e n t des liens du pacte colonial. L e u r s protestations atteignirent sous L o u i s XV u n c a r a c t è r e si aigu q u e le g o u v e r n e m e n t ne p e n s a pas devoir plus l o n g t e m p s c o n s e r v e r le m o n o p o l e d a n s 1

Cf. Mérivale, op. cit., p . 6 2 ; P a u l L e r o y - B e a u l i e u , op.

p. 167.

cit.,


— 148 —

toute sa rigueur. P a r arrêt du 27 juillet 1767, deux, e n t r e p ô t s p o u r les d e n r é e s é t r a n g è r e s furent a u t o r i sés dans les Antilles; c'étaient le m ô l e Saint-Nicolas à Sainte-Lucie et L e C a r é n a g e à S a i n t - D o m i n g u e . Les colonies cependant ne p o u v a i e n t se montrer satisfaites à si b o n m a r c h é ; elles c o n t i n u è r e n t de plaider leur cause a u p r è s d u g o u v e r n e m e n t de la m é t r o p o l e , et D u b u c , le d é p u t é d e la M a r t i n i q u e , se fit l e u r avocat souvent é l o q u e n t : « L e s colonies, disait-il, n ' o n t p a s été fondées p a r et p o u r la m é t r o p o l e , c o m m e dit l ' E n c y c l o p é d i e . L e s colons sont allés de leur propre m o u v e m e n t , sans aveu de la m é t r o p o l e et p a r c o n s é q u e n t sans c o n d i t i o n s , o c c u p e r le sol des colonies. Ils y o n t prospéré n o n p a s grâce à l'exclusif établi p a r Colbert, mais malgré lui. Ils n'ont d o n c ni pacte ni r e c o n n a i s s a n c e q u i les lie à la métropole et les oblige à travailler, à vivre p o u r elle. Les colonies sont des provinces du r o y a u m e de F r a n c e , aussi françaises de s e n t i m e n t

q u e les

1

a u t r e s , égales a u x a u t r e s . » Les protestations d e s colonies furent

entendues

de Louis XVI, qui lit une brèche profonde au pacte colonial p a r le célèbre arrêt d u 30 a o û t 1784. Il a u torisa le libre c o m m e r c e de l'étranger avec n o s colonies, au m o i n s p o u r un certain n o m b r e de d e n r é e s spécialement désignées : c'étaient les bois de toute espèce, m ê m e d e t e i n t u r e , le c h a r b o n d e terre, les 1

Cf. D e s c h a m p s , Histoire

de la question

coloniale,

p . 218.


— 149 —

a n i m a u x et bestiaux vivants de toute n a t u r e , les salaisons d e b œ u f et n o n de p o r c , les m o r u e s et poissons salés, les riz, m a ï s et l é g u m e s , les cuirs verts en poils ou t a n n é s , les pelleteries, résines et g o u 1

d r o n s . C'était là u n e révolution i n c o m p l è t e , m a i s c'en était u n e ; les colonies l'accueillirent avec u n e g r a n d e j o i e , m a i s n o s trafiquants a s s u r è r e n t q u e l'on avait décrété la r u i n e du c o m m e r c e m é t r o p o l i t a i n ; le g o u v e r n e m e n t leur fit u n e r é p o n s e p é r e m p t o i r e en chargeant le b u r e a u de la b a l a n c e d u c o m m e r c e de dresser u n état comparatif d e s échanges en 1784 et 1786 ; le b u r e a u publia son m é m o i r e , q u i conclut à u n excédent de 785.000 livres en 1786 ; c o m m e dit le m é m o i r e , « les Etats d ' E u r o p e accroissent la r i chesse territoriale d e n o s colonies p a r la c o n s o m 2

m a t i o n des d e n r é e s des î l e s ». § 5. — La

Révolution.

Cet arrêt d e 1784 fut la d e r n i è r e de la politique

manifestation

coloniale d e la m o n a r c h i e . Or, si

Louis XVI au déclin d e son règne avait r e c o n n u les funestes

c o n s é q u e n c e s d ' u n régime qui livrait les

colonies à l'exploitation d e la m é t r o p o l e , ce régime n'allait-il p a s disparaître j u s q u ' e n ses d e r n i e r s vestiges l o r s q u e le c h a m p fut ouvert à l'initiative l i b é 1

Cf. Nouveau

dictionnaire

d'économie

politique

Say et C h a i l l e y - B e r t , a r t i c l e SYSTÈME COLONIAL. 2

Cf. D e s c h a m p s , op. cit., p . 257.

de Léon


— 150 —

rale des assemblées r é v o l u t i o n n a i r e s ? E n effet,

la

Constituante p a r u t d ' a b o r d justifier toutes les espér a n c e s de nos colonies : afin de faciliter l e u r a p p r o v i s i o n n e m e n t , elle p e r m i t d'y i m p o r t e r en franchise certaines d e n r é e s , m ê m e

v e n a n t de l'étranger (D.

22 j u i n — 17 juillet 1791), puis elle posa le p r i n c i p e fécond q u e « le c o m m e r c e des colonies est u n c o m m e r c e e n t r e frères, u n c o m m e r c e de la n a t i o n avec u n e p a r t i e de la n a t i o n ». La C o n v e n t i o n a d m e t t a i t les m ê m e s

principes,

m a i s elle fut obligée p a r les circonstances d ' a b a n d o n n e r cette t r a d i t i o n libérale. L a R é p u b l i q u e naiss a n t e eut à s o u t e n i r l ' a t t a q u e des m o n a r c h i e s é t r a n gères coalisées, et dès lors sa politique coloniale fut inspirée p a r cette idée directrice : la nécessité de r u i n e r la p u i s s a n c e m a r i t i m e de l'Angleterre, qui était l ' â m e de la coalition. Ce fut l'objet du célèbre acte de navigation d u 21 s e p t e m b r e 1793. Aux t e r m e s de e r

l'article 1 , les m a r c h a n d i s e s étrangères ne p o u v a i e n t être i m p o r t é e s q u e sous pavillon français ou sous pavillon de la p u i s s a n c e ; l'article 3 réservait au pavillon n a t i o n a l la navigation de p o r t français à port français ; enfin, l'article 2 d o n n a i t la définition du n a v i r e français, c'est-à-dire tout navire construit en F r a n c e ou d a n s les colonies, ou p r o v e n a n t

de

prises m a r i t i m e s , a p p a r t e n a n t en entier à des F r a n çais et d o n t les officiers et les trois q u a r t s de l ' é q u i page étaient français. C'était r e t o u r n e r c o n t r e l'An-


— 151 — gleterre les m e s u r e s d o n t e l l e - m ê m e avait pris l'initiative au t e m p s de C r o m w e l l . L'acte de navigation de 1793 eut p o u r effet de r e n d r e m o i n s aisé l ' a p p r o v i s i o n n e m e n t des colonies, en les obligeant à réaliser leurs transports m o y e n n a n t des frets plus coûteux ; e n c o r e l'Assemblée pensait-elle servir i n d i r e c m e n t les colonies en favorisant le d é v e l o p p e m e n t de leur m a r i n e , ainsi q u e de la m a r i n e m é t r o p o l i t a i n e . Mais où la politique de la Convention manifesta des tendances absolument

prohibitives, ce fut d a n s le

régime a u q u e l elle assujettit les sucres de n o s colonies ; elle y r u i n a le terrage c o m m e les arrêts L o u i s XIV avaient étouffé le raffinage.

de

Comment

notre industrie coloniale eût-elle résisté aux droits de 50 francs, p u i s de 80 francs, qui frappèrent les sucres terrés des Antilles à la suite des décrets des 17 v e n t ô s e et 8 floréal a n I I ? § 6. — Le Consulat

et

l'Empire.

La réaction se poursuivit encore plus intense sous le Consulat et l ' E m p i r e . L'assimilation

douanière

établie p a r la Révolution fut a b a n d o n n é e . Les droits qui frappaient les p r o d u i t s de nos colonies à leur e n t r é e en F r a n c e furent rétablis. Le P r e m i e r Consul songea m ê m e à ressusciter les c o m p a g n i e s privilégiées. D u r a n t t o u t e cette longue p é r i o d e de 1800 à 1815, le chef d'Etal

fut tellement a b s o r b é par sa

politique d ' e x p a n s i o n e u r o p é e n n e

qu'il s e m b l e n e


— 152 — s'être j a m a i s soucié d e la p r o s p é r i t é coloniale ; et l o r s q u ' a p r è s Trafalgar, il eut d é s e s p é r é tout à fait de la m a r i n e , il ne p e n s a p a s à r é é d i t e r c o n t r e l'Angleterre l'acte de navigation de 1793, m a i s ce fut p a r le b l o c u s c o n t i n e n t a l qu'il

essaya

d'atteindre

la

m a r i n e de cette p u i s s a n c e . § 7. — La Restauration

et la Monarchie

de

Juillet.

U n e politique réformatrice s'imposait au gouvern e m e n t de L o u i s XVIII, l o r s q u ' a u x traités de 1814 et 1815, il eut r é c u p é r é le plus g r a n d n o m b r e de nos colonies, qui étaient d e v e n u e s la p r o i e de l'Anglet e r r e sous le règne de N a p o l é o n . Une o r d o n n a n c e du 5 février 1826 dressa la liste des p r o d u i t s s e c o n daires q u e les colons de n o s Antilles p o u v a i e n t vend r e et acheter à l'étranger. N é a n m o i n s , e n dépit de ces exceptions, le p r i n c i p e d u p a c t e colonial était toujours d e b o u t ; il régnait en m a î t r e d a n s la législation des sucres qui p r o h i b a i t l ' i m p o r t a t i o n d a n s la m é t r o p o l e de tous les sucres raffinés s a n s distinction de p r o v e n a n c e , et frappait les sucres terrés d ' u n e s u r t a x e de 25 francs en plus des 45 francs p a r 100 kilos acquittés p a r le sucre b r u t . Un tel régime comprimait

encore

singulièrement

l'essor de

la

p r o s p é r i t é c o l o n i a l e ; aussi, en 1839, les g o u v e r n e u r s de la M a r t i n i q u e et d e la G u a d e l o u p e , en p r é s e n c e de la m é v e n t e et de l'avilissement du prix des s u cres, p r i r e n t l'initiative d'en a u t o r i s e r l'exportation


— 153 —

p a r tout pavillon et p o u r toute destination, et leurs arrêtés bientôt a n n u l é s p a r le g o u v e r n e m e n t n'eurent pas m o i n s le t e m p s de p r o d u i r e des effets b i e n 1

f a i s a n t s . En 1845 et en 1846, le n o m b r e des m a r chandises dont l ' i m p o r t a t i o n était p e r m i s e fut e n c o r e é t e n d u . La p r o h i b i t i o n n é a n m o i n s restait toujours la règle. § 8. — Loi du 3 juillet

1861.

C'est au second E m p i r e q u e l ' h o n n e u r était réservé d'édicter l'abolition du système colonial. Une d o u b l e influence présida à cette o r i e n t a t i o n nouvelle

de

notre politique : l'exemple de l'Angleterre et s u r t o u t les c h a n g e m e n t s qui s'étaient p r o d u i t s d a n s n o t r e législation des sucres. D e p u i s de longues a n n é e s , le sucre indigène, tiré de la b e t t e r a v e , faisait u n e c o n c u r r e n c e c h a q u e j o u r plus r e d o u t a b l e au sucre de c a n n e des A n t i l l e s ; la loi du 2 juillet 1843 avait protégé le sucre colonial en lui assimilant le sucre indigène au p o i n t de vue de l ' i m p ô t ;

p u i s , cette

protection étant d e v e n u e insuffisante à la suite de la crise qui avait frappé les p l a n t e u r s au l e n d e m a i n de l'abolition de l'esclavage, la loi du 13 j u i n 1851 a c c o r d a u n e détaxe aux sucres c o l o n i a u x . Mais le second E m p i r e entra bientôt d a n s la voie toute nouvelle de la liberté c o m m e r c i a l e et la législation 1

Cf.

SUCRES.

Nouveau

dictionnaire

d'économie

politique,

article


— 154 — des sucres se t r o u v a du c o u p p r o f o n d é m e n t t r a n s formée.

La loi du 23 mai 1860, en m ê m e

temps

qu'elle autorisait l'exportation de F r a n c e des sucres b r u t s , réduisit c o n s i d é r a b l e m e n t les surtaxes frapp a n t les sucres étrangers, surtaxes d o n t la p l u p a r t furent d'ailleurs abolies l'année s u i v a n t e . Dès lors, le pacte colonial n'était plus un p a c t e , il dépouillait le caractère de réciprocité qui formait le s u p p o r t de ses n o m b r e u s e s r e s t r i c t i o n s ; en effet, les colonies voyaient disparaître l ' u n i q u e avantage qu'elles e u s sent j a m a i s retiré du s y s t è m e , à savoir le m o n o p o l e d u d é b o u c h é m é t r o p o l i t a i n ; il devenait d o n c i m p o s sible de m a i n t e n i r plus l o n g t e m p s les charges qui résultaient p o u r elles du p r é t e n d u p a c t e . Telle fut l'origine de la loi du 3 juillet 1861, sur le r é g i m e des d o u a n e s à la M a r t i n i q u e , la

Guade-

loupe et la R é u n i o n . Cette loi repose s u r des p r i n cipes qui sont la négation

m ê m e des cinq

règles

de l'antique système colonial. E n p r e m i e r lieu, toutes les m a r c h a n d i s e s

qui p e u v e n t être i m p o r t é e s

en

F r a n c e p e u v e n t l'être également aux Antilles et à la Réunion

(art.

1). Elles paient à l e u r

e n t r é e les

m ê m e s droits q u ' à leur i m p o r t a t i o n en F r a n c e , sauf possibilité de convertir les droits ad

valorem

droits spécifiques (art. 2). Cette i m p o r t a t i o n

en peut

avoir lieu p a r navires étrangers sauf l ' a c q u i t t e m e n t d ' u n e surtaxe de pavillon (art. 3). Les droits

de

d o u a n e applicables aux p r o d u i t s étrangers sont m a -


— 155 — j o r é s du m o n t a n t de ceux payés p a r les p r o d u i t s similaires français à leur entrée d a n s la colonie ( a r t . 5). E n second lieu, l'emploi du pavillon étranger est autorisé p o u r le transport des p r o d u i t s coloniaux en F r a n c e et des p r o d u i t s français aux

colonies,

sauf une surtaxe de pavillon de 20 francs p a r t o n neau d'affrètement aux Antilles et de 30 francs à la R é u n i o n (art. 6). E n troisième lieu, les p r o d u i t s c o l o n i a u x p e u v e n t être exportés sous tout pavillon à destination

de

l'étranger ou d ' u n e a u t r e colonie française n o n c o m prise d a n s les limites d u cabotage (art. 7); ils entrent en F r a n c e en franchise, sauf le s u c r e , les mélasses, les confitures et fruits confits, le café et le cacao (art. 8). T o u t e s ces m e s u r e s furent successivement é t e n d u e s aux a u t r e s colonies. Le second E m p i r e d o n n a i t de la sorte u n e c o m p l è t e réalisation à l'idée émise p a r les assemblées r é v o l u t i o n n a i r e s , à savoir q u e

les

h a b i t a n t s des colonies sont des F r a n ç a i s c o m m e

les

h a b i t a n t s de la m é t r o p o l e et qu'ils ont droit a u x m ê m e s libertés et à la m ê m e législation. Il ne restait plus de l'ancien système colonial q u e les s u r t a x e s de pavillon et les m a j o r a t i o n s de d o u a n e s

nécessaires

à la p r o t e c t i o n de la m a r i n e et de l'industrie politaine.

métro-


— 156 —

§ 9. — Sénatus-consulte

du 4 juillet

1866.

Le sénatus-consulte du 4 juillet 1866 m a r q u e u n e étape nouvelle et plus décisive e n c o r e d a n s la voie de la liberté. La F r a n c e venait de d o n n e r à ses colonies le bénéfice de l'assimilation d o u a n i è r e ; elle v o u l u t faire davantage et les o r i e n t e r dans, le sens de l ' a u t o n o m i e . Ainsi décida l'article 2 du s é n a t u s - c o n sulte p o u r nos possessions R é u n i o n : « Le Conseil

des

Antilles et de la

général

vote

les

tarifs

d'octroi de m e r sur les objets de toute p r o v e n a n c e ainsi

q u e les tarifs de d o u a n e s sur les

produits

étrangers, naturels ou fabriqués i m p o r t é s d a n s la colonie. Les tarifs de d o u a n e votés p a r le Conseil général sont r e n d u s exécutoires p a r décret de l'emp e r e u r , le Conseil d'Etat e n t e n d u . » Avec ce libre vote de l'octroi de m e r , les colonies recevaient le m o y e n de r o m p r e toute alliance écon o m i q u e avec la m é t r o p o l e . Il suffit p o u r s'en rend r e c o m p t e d ' e x a m i n e r la n a t u r e du droit

d'octroi

de m e r . C'est u n droit m u n i c i p a l , perçu au bénéfice des c o m m u n e s , tandis q u e le droit de d o u a n e p r o fite au budget local de la colonie ; m a i s au lieu q u e le droit de d o u a n e ne frappe j a m a i s q u e les p r o d u i t s d'origine é t r a n g è r e , l'octroi de m e r p e u t être établi sur des p r o d u i t s de toutes p r o v e n a n c e s ; ce n'est pas u n e m e s u r e protectrice, c'est bien plutôt la r é m u n é ration d ' u n service r e n d u . Or q u e firent les conseils


— 157 —

g é n é r a u x , q u a n d ils e u r e n t la faculté d'établir des droits d'octroi de m e r , en toute liberté et sans le contrôle de l'autorité m é t r o p o l i t a i n e ? Ils suivirent u n e ligne de c o n d u i t e bien facile à p r é v o i r : s'inspirant de leur seul intérêt, ils s u p p r i m è r e n t tous leurs droits de d o u a n e s et assujettirent les p r o d u i t s français et étrangers à des droits d'octroi de m e r i d e n t i q u e s . Ainsi décida le conseil général de la M a r t i n i q u e , en 1867, et les conseils g é n é r a u x de la G u a d e l o u p e et de la R é u n i o n suivirent son e x e m p l e en 1868 et 1873. Rref, ces droits d'octroi de m e r étaient sous u n n o m différent de véritables droits de d o u a n e s . L a Cour de cassation ne s'y t r o m p a pas et, d a n s un a r rêt du 11 m a r s 1885, elle statua q u e « l'octroi de m e r affecte, au point de vue du c o m m e r c e , les relations des colonies avec la m é t r o p o l e et q u e ladite taxe présente des caractères qui sont constitutifs d ' u n e taxe essentiellement d o u a n i è r e . » E n c o n s é q u e n c e , la C o u r s u p r ê m e d o n n a i t raison aux adversaires de la colonie de la R é u n i o n , qui d e m a n d a i e n t l ' a n n u l a tion d ' u n a r r ê t é de 1850 p a r lequel le c o m m i s s a i r e général de la R é p u b l i q u e avait établi u n droit d ' o c troi de m e r . Elle renvoya l'affaire devant la Cour de P a r i s qui, p a r u n a r r ê t du 20 juillet 1887, p r o c l a m a i t définitivement l'illégalité de la m e s u r e On 1

ne peut nier, a s s u r é m e n t , q u e

Cf. N o t e de M. Isaac, Journal s e s s . o r d . , 1888, p. 68.

officiel,

l'autonomie

D o c . parl., Sénat,


— 158 — n'exerçât u n e h e u r e u s e influence sur le d é v e l o p p e m e n t de la p r o s p é r i t é des colonies, car le m o u v e m e n t général de leurs échanges prit i m m é d i a t e m e n t un rapide essor; m a i s , d a n s la s o m m e des m a r c h a n dises i m p o r t é e s , les p r o d u i t s étrangers p r e n a i e n t la place des p r o d u i t s français : les i m p o r t a t i o n s françaises à la M a r t i n i q u e , la G u a d e l o u p e et la R é u n i o n étaient, en 1865, de 44.656.773 francs, en 1880, elles étaient d e s c e n d u e s à 34.867.492 francs, tandis q u e le c o m m e r c e de l'étranger avec ces îles s'élevait, d a n s la m ê m e p é r i o d e , de 25.792.704 francs à 55.707.112 1

f r a n c s . La m é t r o p o l e p e r d a i t la clientèle de ses c o l o n i e s ; aussi nos négociants faisaient-ils e n t e n d r e des 2

plaintes c o n t i n u e l l e s et le g o u v e r n e m e n t , p o u r o b tenir le rétablissement des droits de d o u a n e s , usa 3

tout à la fois de m e n a c e s et de p r o m e s s e s . Il m e n a ç a de retirer toutes les s u b v e n t i o n s a c c o r d é e s aux travaux publics et il p r o m i t un régime de faveur pour les sucres coloniaux. Nul a r g u m e n t n'était plus prop r e à r é d u i r e l'opposition des c o l o n i e s ; aussi r é t a blirent-elles l'une a p r è s l'autre leurs droits d e d o u a nes en 1884 et 1885. C e p e n d a n t les industriels français ne se m o n t r è 1

Cf. R a p p o r t d e M. T h o m s o n à la C h a m b r é d e s

Députés.

( D o c . part., S. ord. 1891, p. 877 à 884.) 2

L ' A s s o c i a t i o n de l'Industrie française c o m m e n ç a u n e c a m -

p a g n e é n e r g i q u e en f a v e u r de l ' a s s i m i l a t i o n . 3

Voir la c i r c u l a i r e a d r e s s é e par M. Félix F a u r e a u x c o n s e i l s

g é n é r a u x d e s trois c o l o n i e s .


— 159 — rent pas encore satisfaits du résultat obtenu ; ils dés i r a i e n t u n e p r o t e c t i o n plus efficace et e n t a m è r e n t une c a m p a g n e très active en p r e n a n t p o u r mot d'ord r e l'assimilation d o u a n i è r e . Ils o b t i n r e n t du Parlem e n t l'article 7 de la loi de finances du 26 février 1887, qui étendit aux provinces de l ' I n d o - C h i n e un r é g i m e qui avait déjà été i n a u g u r é en Algérie, en a p plication de l'article 10 de la loi de finances du 29 d é c e m b r e 1884 ; les p r o d u i t s étrangers i m p o r t é s en A n n a m , au T o n k i n , au C a m b o d g e et en C o c h i n c h i n e furent s o u m i s aux droits inscrits d a n s le tarif de la m é t r o p o l e , sauf certains a d o u c i s s e m e n t s à d é t e r m i n e r d a n s un règlement d ' a d m i n i s t r a t i o n

publique.

Dès l'année suivante, le m o u v e m e n t du trafic de la C o c h i n c h i n e fléchit de plus de 18 millions et le n o m 1

bre d e s faillites q u i n t u p l a ; les colons d e m a n d è r e n t q u e la m é t r o p o l e ne protégeât son industrie q u e pour les p r o d u i t s qu'elle était capable de fournir ; il fallut bien se r e n d r e à l'évidence d ' u n e r e m a r q u e aussi justifiée et le décret du 9 mai 1889 dégreva tous les p r o d u i t s qui n'avaient p a s de similaires en F r a n c e . § 10. — Loi du 11 janvier

1892.

L o r s q u ' a r r i v a la discussion du tarif général de d o u a n e s de 1892, la F r a n c e avait e x p é r i m e n t é tous les systèmes ; elle avait c o n n u tour à t o u r les restric1

Cf.

niale,

Girault. Principes p. 528.

de Colonisation

et de Législation

colo-


160

tions du pacte colonial, la liberté de l ' a u t o n o m i e , la d e m i - l i b e r t é de l'assimilation ; le législateur était d o n c d a n s la situation la plus favorable p o u r p r e n d r e u n e d é t e r m i n a t i o n éclairée. Il choisit le système de l'assimilation. A u c u n a u t r e n'était en plus parfaite h a r m o n i e avec le VII c o u r a n t du p r o t e c t i o n n i s m e

qui

s'était manifesté en E u r o p e à la suite de la célèbre d é p ê c h e adressée p a r M. de B i s m a r c k en 1878. Voici d o n c ce q u e décida l'article 3 de la loi : Les p r o d u i t s é t r a n g e r s i m p o r t é s d a n s les colonies sont s o u m i s a u x m ê m e s droits q u e s'ils étaient i m p o r t é s en F r a n c e . Tel est le p r i n c i p e , qui ne va pas d'ailleurs sans attén u a t i o n , car la loi formule la p r o m e s s e q u e des décrets r e n d u s en forme de r è g l e m e n t s d ' a d m i n i s t r a t i o n p u b l i q u e d é t e r m i n e r o n t les p r o d u i t s q u i , exceptionn e l l e m e n t , feront l'objet d ' u n e tarification spéciale. E n m ê m e t e m p s , la loi enlevait aux colonies tout m o y e n d ' a n n i h i l e r la protection accordée aux p r o duits de la m é t r o p o l e , en décidant q u e l'octroi de m e r volé p a r le conseil général devrait être rendu exécutoire p a r décret du g o u v e r n e m e n t central. La F r a n c e et son e m p i r e colonial ne forment dés o r m a i s au point de vue é c o n o m i q u e q u ' u n seul territoire. L'article 5 en tire cette c o n s é q u e n c e naturelle q u e les p r o d u i t s originaires d ' u n e colonie française ne p a i e r o n t , à l'exemple des p r o d u i t s m é t r o p o l i tains, a u c u n droit de d o u a n e . Une d e u x i è m e c o n s é q u e n c e , non m o i n s évidente,


— 161 —

c'est q u e les p r o d u i t s originaires de nos colonies dev r a i e n t aussi e n t r e r en franchise d a n s la m é t r o p o l e . Or, sur ce point, la loi de 1892 s'est m o n t r é e singul i è r e m e n t illogique en c o m m e t t a n t u n e d o u b l e infidélité au p r i n c i p e qu'elle avait p o s é . E n

premier

lieu, elle s o u m e t à la moitié des droits inscrits au tarif u n certain n o m b r e des d e n r é e s coloniales les plus i m p o r t a n t e s , c'est-à-dire le cacao, le café, le chocolat, le poivre, le p i m e n t , les a m o n e s et cardamones, la canelle, le cassia lignea, la m u s c a d e en c o q u e , la giroffe et le t h é , la m u s c a d e sans c o q u e 1

et le m a c i s , la vanille . D ' a u t r e part, la loi frappe 1

M. Méline a d é c l a r é r é c e m m e n t , d a n s u n e r é u n i o n é c o n o -

m i q u e , qu'il ne s ' o p p o s a i t pas à la s u p p r e s s i o n d u droit s u r l e s m a r c h a n d i s e s c i - d e s s u s

demi-

é n u m é r é e s ; et n o u s

a p p r e n o n s , au m o m e n t de m e t t r e s o u s p r e s s e , q u e M. Le Myre de Villers, r a p p o r t e u r d u budget d e s c o l o n i e s , va p r o p o s e r d a n s ce s e n s un a m e n d e m e n t à la C h a m b r e d e s D é p u t é s ; o n le dit d'accord s u r ce p o i n t a v e c le G o u v e r n e m e n t . Voici le texte d e l ' a m e n d e m e n t : « Par d é r o g a t i o n a u x d i s p o s i t i o n s d e l'art. 3 et d u t a b l e a u E de la loi du 11 j a n v i e r 1802, le c a c a o b r o y é , le café, le t h é , le p o i v r e , le p i m e n t , le girofle, la c a n e l l e , le c a s s i a l ' a m o n e s et c a r d a m o n e s ,

lignea,

le m u s c a t , le m a c i s , la v a n i l l e ,

provenant des colonies soumises

a u x tarifs g é n é r a u x d e s

d o u a n e s , s o n t d i s p e n s é s d u d e m i - d r o i t à l e u r e n t r é e d a n s la métropole. « Un d é c r e t r e n d u c h a q u e a n n é e s u r la p r o p o s i t i o n d e M. le Ministre d e s finances et de M. le Ministre d e s c o l o n i e s , dét e r m i n e r a p o u r c h a q u e c o l o n i e la q u a n t i t é d e s p r o d u i t s q u i j o u i r o n t de cette f r a n c h i s e , quantité c a l c u l é e s u r la p r o d u c tion totale en d e h o r s de la c o n s o m m a t i o n l o c a l e . » NORMAND.

11


— 162 — les sucres, sans distinction d'origine, d ' u n droit de 60 francs p a r 100 k i l o g r a m m e s net de sucre raffiné d ' a p r è s le r e n d e m e n t p r é s u m é . L'obstacle à la s u p p r e s s i o n de ces droits réside d a n s u n intérêt fiscal de p r e m i e r o r d r e ; ce n'est p a s d ' u n c œ u r léger q u e le Ministre des finances pouvait a b a n d o n n e r

les

droits s u r ces m a r c h a n d i s e s de large c o n s o m m a t i o n qui a p p o r t e n t c h a q u e a n n é e plus de 30 millions au 1

Trésor métropolitain . La loi du 11 j a n v i e r 1892 ne s'applique p a s à toutes les possessions françaises; il y à des colonies n o n assimilées d o n t le régime a été fixé p a r u n certain n o m b r e de décrets spéciaux. Ce sont le Sénégal et les établissements de la côte occidentale d'Afrique (sauf le G a b o n ) , Diégo-Suarez et ses d é p e n d a n c e s , Obock, l'Inde française, Tahiti et ses d é p e n d a n c e s . D a n s ces colonies, les p r o d u i t s d'origine é t r a n g è r e sont frappés à leur i m p o r t a t i o n de droits d ' e n v i r o n 12 à 15 p . 100, et les p r o d u c t i o n s coloniales sont s o u m i s e s , à leur e n t r é e en F r a n c e , au tarif m i n i 2

m u m , sauf certaines a t t é n u a t i o n s . 1

34.812.067 francs en 1893.

2

Cf. R a p p o r t de M. T h o m s o n , p . 883 : « N o u s ne l a i s s o n s

en d e h o r s de ce r é g i m e q u e c e r t a i n e s p o s s e s s i o n s d a n s l e s q u e l l e s d e s c o n v e n t i o n s i n t e r n a t i o n a l e s i n t e r d i s e n t l'applicat i o n d'un tarif différentiel, d'autres é t a b l i s s e m e n t s q u i sont

en

ne

réalité q u e d e s e n t r e p ô t s , o u q u i , trop é l o i g n é s ,

n'ont p a s un c o m m e r c e suffisant p o u r qu'il y ait a v a n t a g e à l e s faire rentrer d a n s la règle c o m m u n e ; enfin, l e s é t a b l i s s e m e n t s français d e l'Inde. »


— 163 —

E n d e u x i è m e lieu, la loi d u 11 j a n v i e r 1892 ne s'étend pas à l'Algérie et à la Tunisie. P a r suite de la p r o x i m i t é de ces d e u x colonies, la F r a n c e a voulu réaliser avec elles u n e véritable u n i o n d o u a n i è r e ; cette u n i o n est un fait accompli p o u r l'Algérie, elle ne l'est q u ' à moitié p o u r la T u n i s i e . E n effet, la loi du 17 juillet 1867 établit la c o m p l è t e assimilation de l'Algérie au point de vue c o m m e r c i a l : les p r o d u i t s n a t u r e l s ou fabriqués de la colonie, sans exception, sont e x e m p t s de tous droits à leur e n t r é e d a n s les ports m é t r o p o l i t a i n s et, en r e t o u r , les m a r c h a n d i s e s françaises i m p o r t é e s en Algérie y p é n è t r e n t en franchise. D e p u i s lors, l'article 10 de la loi d u 29 d é c e m b r e 1884 a décidé q u e les p r o d u i t s

étrangers

i m p o r t é s d a n s la colonie seraient s o u m i s aux m ê m e s droits q u e

s'ils étaient i m p o r t é s en

France.

En

1

T u n i s i e , le pacte colonial a p r o c é d é tout à fait au r e b o u r s de sa m a r c h e h a b i t u e l l e ; c'est la m é t r o p o l e qui a consenti la p r e m i è r e à se c h a r g e r de c h a î n e s , en a s s u r a n t , p a r la loi d u 19 juillet 1890, la franchise aux g r a i n s , bestiaux et huiles de p r o v e n a n c e t u n i s i e n n e , en frappant les vins d ' u n droit de 60 centimes p a r hectolitre et les a u t r e s articles des droits « les plus favorables p e r ç u s sur les p r o d u i t s s i m i laires é t r a n g e r s ». Ce n'est q u e huit a n s plus t a r d q u e les relations c o m m e r c i a l e s de la Tunisie avec la 1

Cf. L o u i s Collas, Le Régime

de d o c t o r a t , 1900.

douanier

de la Tunisie,

thèse


— 164 — F r a n c e ont acquis u n caractère de réciprocité ; jusquelà, la Régence était liée p a r des c o n v e n t i o n s avec plusieurs puissances, qui p o u v a i e n t , en vertu de la clause de la n a t i o n la plus favorisée, r é c l a m e r p o u r elles-mêmes tous les avantages c o n c é d é s à

notre

p a y s . Mais a p r è s la revision d u traité de 1868 avec l'Italie et du traité de 1875 avec l'Angleterre, a p r è s la d é c l a r a t i o n des puissances q u e le traitement nation français,

la plus favorisée

ne comprend

pas le

de la

traitement

le g o u v e r n e m e n t beylical a r e c o u v r é sa

pleine liberté et il a r e n d u les deux décrets du 2 m a i 1898. Le p r e m i e r décret établit le tarif des droits de d o u a n e s qui frapperont à l'avenir les i m p o r t a t i o n s étrangères;

le

deuxième

admet

en franchise

en

Tunisie un g r a n d n o m b r e de m a r c h a n d i s e s françaises et algériennes. Ces deux décrets ne sont

d'ailleurs

d a n s la p e n s é e des g o u v e r n e m e n t s français et b e y lical q u e la p r e m i è r e étape d a n s

l'acheminement

progressif vers l'assimilation. Telle est d a n s ses lignes essentielles l'économie de la loi du 11 j a n v i e r 1892. A-t-elle r o m p u tout à fait avec la politique traditionnelle de Richelieu et de C o l b e r t ? A s s u r é m e n t n o n . E n t r e le p a c t e colonial et l'assimilation, il n'y a q u e la distance de la p r o t e c tion à la p r o h i b i t i o n ; ce q u e r e c h e r c h e a v a n t tout le p r o t e c t i o n n i s m e , c'est le d é v e l o p p e m e n t de l'industrie m é t r o p o l i t a i n e ; les colonies, p o u r lui, ne sont p a s a u t r e chose q u e des d é b o u c h é s et leur acti-


— 165 —

vité é c o n o m i q u e doit s'orienter s i m p l e m e n t vers u n e p r o d u c t i o n c o m p l é m e n t a i r e de la p r o d u c t i o n m é t r o 1

p o l i t a i n e , toutes idées qui c o n s t i t u e n t le tréfonds du pacte colonial ; aussi A d a m Smith dirait-il sans d o u t e de la politique nouvelle, c o m m e j a d i s il disait de l ' a n c i e n n e , qu'elle convient parfaitement à u n pays d o n t le g o u v e r n e m e n t serait sous l'influence des b o u tiquiers. Si n o u s n o u s b o r n o n s à voir d a n s les colonies des d é b o u c h é s à l'industrie m é t r o p o l i t a i n e , si n o u s en s o m m e s restés à la c o n c e p t i o n coloniale de nos p è r e s , c'est p e u t - ê t r e q u e nos h a b i t u d e s nationales ne n o u s ont p a s p e r m i s de n o u s élever à la conception m o d e r n e . D ' a p r è s celle-ci, l'utilité, le bienfait de la colonisation, c'est d'être « un dérivatif n a t u r e l d ' u n superflu de p o p u l a t i o n , la ressource offerte à ceux qui se trouvent à l'étroit d a n s la m è r e p a t r i e , et q u i , h o r s de la p a t r i e , p e u v e n t espérer u n e vie aisée sans sacrifier ce bien i n e s t i m a b l e , leur n a t i o n a l i t é . . . E n effet, la p l u p a r t des h o m m e s a i m e n t à vivre p a r m i leurs concitoyens, sous les lois, la religion et les institutions d o n t ils ont l ' h a b i t u d e . E n o u t r e , ils s'exposent à des désavantages très réels en allant vivre au 2

milieu d ' u n e p o p u l a t i o n p a r l a n t u n e a u t r e langue » . 1

Cf. D i s c o u r s de M. d ' E s t o u r n e l l e s à la C h a m b r e d e s d é -

p u t é s , le 8 février 1898. — E d . T h é r y : Nécessité douanier 2

entre la France

Cf. S e e l e y , L'Expansion

et ses

d'un

colonies.

de l'Angleterre,

p . 73 et 88.

régime


— 166 — Or, le F r a n ç a i s est rebelle à l'émigration ; il n'a p a s cette initiative h a r d i e de l'Anglo-Saxon ou de l'Allem a n d qui va c h e r c h e r fortune a u x e x t r é m i t é s

du

m o n d e ; nous n'avons pas une Plus Grande France comme

il existe u n e P l u s G r a n d e Angleterre et

c o m m e il se forme u n e P l u s G r a n d e Allemagne. E t p o u r t a n t n o u s colonisons ; d a n s quel b u t ? d a n s le b u t d'ouvrir des d é b o u c h é s à n o t r e i n d u s t r i e , c o m m e à l ' é p o q u e de Richelieu et de C o l b e r t ; et t a n d i s q u e l'Angleterre d o n n e à ses possessions le bénéfice de l ' i n d é p e n d a n c e é c o n o m i q u e , t a n d i s q u e l'Allemagne se c o n t e n t e d e droits de 5 p . 100 d a n s ses colonies africaines, à l'exemple de nos p è r e s , n o u s avons vu d a n s n o t r e e m p i r e colonial n o n p a s u n e seconde p a t r i e , m a i s u n simple d é b o u c h é à l'industrie m é t r o politaine. Cette c o n c e p t i o n ne n o u s a p a s p e r m i s de gratifier n o s possessions d ' u n régime d ' a u t o n o m i e ou de libre é c h a n g e . P r o d u i s a n t plus c h è r e m e n t q u e l'Anglet e r r e , l'Allemagne et

les Etats-Unis,

ne

pouvant

offrir q u e des frets plus élevés, n o u s a v o n s été obligés de faire revivre

en p a r t i e les restrictions

du

pacte colonial, e n t o u r é e s d'ailleurs de n o t a b l e s attén u a t i o n s . L'effet i m m é d i a t a été l'élévation d u t a u x de la vie et p a r suite u n m é c o n t e n t e m e n t g é n é r a l : « P a r t o u t des crises locales ont éclaté lors de l'application des n o u v e a u x tarifs, qui o n t a m e n é d ' a b o r d u n r a l e n t i s s e m e n t des affaires et quelquefois des r u i -


— 167 —

nes ; p a r t o u t a u j o u r d ' h u i l'on se plaint de ce q u e les produits français sont g é n é r a l e m e n t plus chers q u e les p r o d u i t s similaires étrangers, puis encore de ce q u e le fret e n t r e la F r a n c e et ses colonies est plus coûteux q u ' e n t r e l'étranger et les colonies... Sur la côte occidentale d'Afrique, les noirs n'hésitent pas à faire plusieurs j o u r s de route

p o u r éviter nos

c o m p t o i r s et aller é c h a n g e r leurs p r o d u i t s d a n s colonies étrangères où ils t r o u v e n t les articles

les dont

ils ont besoin à m e i l l e u r m a r c h é q u e d a n s les n ô l

tres . » C'est q u e la protection qui a n i m e le r é g i m e d o u a nier de 1892 n'a p a s été établie d a n s l'intérêt de nos colonies, m a i s au bénéfice de l'industrie m é t r o p o l i taine ; elle n'a pas eu p o u r effet, suivant le p r i n c i p e de l'économiste Carey, de substituer u n m a r c h é plus r a p p r o c h é à u n m a r c h é p l u s lointain, elle a forcé n o s possessions o c é a n i e n n e s à d e m a n d e r à la F r a n c e des m a r c h a n d i s e s q u e l'Australie leur eût offertes à meilleur c o m p t e . De m ê m e q u e le pacte colonial, la loi de 1892 a été, d a n s u n e c e r t a i n e m e s u r e , u n r é gime d'exploitation, et, c o m m e lui, il a suscité u n vif m é c o n t e n t e m e n t chez les n a t i o n s é t r a n g è r e s , surtout chez n o s voisins les Anglais, qui n e cessent de p r é c o n i s e r le r é g i m e d e la p o r t e o u v e r t e . Il faut n é a n m o i n s se g a r d e r de toute e x a g é r a t i o n . 1

286.

Cf. V i g n o n , L'Exploitation

de

noire

empire

colonial,

p.


— 168 — N o u s le savons, le législateur a pris soin de m o d é r e r la rigueur d u principe : « Il n'est j a m a i s e n t r é d a n s la p e n s é e d ' u n être r a i s o n n a b l e , écrivait Jules Ferry;, de t r a n s p o r t e r en bloc les tarifs de la m é t r o p o l e d a n s les colonies françaises, sans t e n i r c o m p t e ni des d i s tances, ni des climats, ni de l'infinie variété de ce l o i n t a i n d o m a i n e dispersé d a n s t o u t e s les parties d u m o n d e , sous toutes les latitudes h a b i t a b l e s .

Cette

conception étroite, a b s o l u e , radicale, n'a point é t é celle du P a r l e m e n t ; c'est la c a r i c a t u r e du r é g i m e n o u v e a u , ce n ' e n est p o i n t la saine et loyale applie

cation. P a r le 4 p a r a g r a p h e de l'art. 3, la p o r t e est toute g r a n d e ouverte a u x exceptions nécessaires. E n 1

s o m m e , c h a q u e colonie a u r a son régime spécial . » L e p a r a g r a p h e 4 de l'art. 3 est le r o u a g e , la clef, d o n t l'action c o m m a n d e tout le m é c a n i s m e . Que le g o u v e r n e m e n t a p p o r t e les exceptions nécessaires au p r i n c i p e de l'assimilation,

le p a r a g r a p h e 4 j o u e r a

l'office d ' u n e s o u p a p e de sûreté ; et tel a été le b u t des décrets i n t e r v e n u s à la date du 26 n o v e m b r e 1892 p o u r la R é u n i o n , Mayotte et la Nouvelle-Caléd o n i e , d u 29 n o v e m b r e p o u r le G a b o n , l ' I n d o - C h i n e , la M a r t i n i q u e , la G u a d e l o u p e et la G u y a n e , et du 21 d é c e m b r e p o u r S a i n t - P i e r r e et Miquelon. Ces diverses m e s u r e s ont r a m e n é à l e u r j u s t e v a l e u r

les

craintes e x p r i m é e s p a r les h a b i t a n t s d e n o s c o l o n i e s ; c'est ainsi q u ' u n de n o s p a t r i o t e s de la M a r t i n i q u e 1

Cité par Girault, op. cit., p. 531.


— 169 — avait p r é s u m é

q u e le n o u v e a u

régime enlèverait

c h a q u e a n n é e au r e v e n u de la pelite île u n e s o m m e de 3.482.000 francs, au lieu des 432.000 francs qui formaient la c o n t r i b u t i o n de l'île en 1889; or, q u a n d le g o u v e r n e m e n t eut usé de sa faculté d'atténuation p a r le décret du 29 n o v e m b r e 1892, le m o n t a n t des droits à l ' i m p o r t a t i o n se réduisit à la s o m m e de 810.000 francs. Mais c'est à l'industrie française qu'il a p p a r t i e n t de d o n n e r la véritable r é p o n s e aux

protestations

des colonies. Que nos industriels sachent se m o n t r e r dignes de la faveur toute spéciale d o n t on e n c o u r a g e leurs efforts; qu'ils n ' a b u s e n t p a s de la

protection

p o u r fournir aux colonies des m a r c h a n d i s e s m a l a p propriées à

leurs goûts et à leurs b e s o i n s ;

qu'à

l'exemple de leurs c o n c u r r e n t s d'Allemagne et d'Angleterre, ils r é p a n d e n t leurs agents aux q u a t r e coins du m o n d e p o u r s'informer des m o i n d r e s désirs de la clientèle, qu'ils se m e t t e n t r é s o l u m e n t à la fabrication de cette camelote,

plus goûtée sur les m a r -

chés d'Afrique q u e les articles les plus soignés de la métropole. Mais u n j o u r v i e n d r a , p r o c h e p e u t - ê t r e , où les colonies f a b r i q u e r o n t elles-mêmes les objets n é c e s saires à l e u r c o n s o m m a t i o n . Déjà l'Inde

anglaise

fait u n e c o n c u r r e n c e r e d o u t a b l e a u x m a n u f a c t u r e s du L a n c a s h i r e ; l ' I n d o - C h i n e a suivi son e x e m p l e et plusieurs

filatures se sont élevées

à Hanoï et à


— 170 —

H a ï p h o n g ; d e m a i n l'on v e r r a les noirs de p r o d u i r e , sous la direction d'ingénieurs

l'Afrique

européens,

des fdés et des tissus au goût d e s p o p u l a t i o n s du S o u d a n et du Congo. P e u à p e u , les colonies p a s s e r o n t de l'âge agricole à l'âge m a n u f a c t u r i e r ; il y a là u n e évolution irrésistible, c o n t r e laquelle ne p o u r r o n t rien les tarifs et les r è g l e m e n t s . Ce j o u r là, les colonies ne seront plus les d é b o u c h é s de la m é t r o p o l e , et il n'y a u r a plus de pacte colonial.


ÉPILOGUE

D a n s cette étude h i s t o r i q u e sur la pacte colonial, n o u s n o u s s o m m e s attachés plus p a r t i c u l i è r e m e n t à m o n t r e r l'application du système en F r a n c e et en Angleterre : ce n'est pas s e u l e m e n t parce qu'elles sont a u j o u r d ' h u i les d e u x g r a n d e s n a t i o n s colonisatrices, mais e n c o r e p a r c e qu'elles ont a d o p t é les deux formes caractéristiques de la politique coloe

niale au xix siècle. A l'ancien pacte, l'Angleterre de Smith et de C o b d e n a fait s u c c é d e r l ' a u t o n o m i e , la F r a n c e s'est déclarée p o u r l'assimilation. Une d o u b l e voie est ainsi o u v e r t e à la politique des n a t i o n s cont e m p o r a i n e s , m a i s il p a r a î t b i e n q u e l'assimilation recueille a u j o u r d ' h u i la faveur u n i v e r s e l l e ; l'Anglet e r r e m ê m e se r e p e n t de l ' a u t o n o m i e , d o n t elle a fait tout d ' a b o r d u n e si brillante expérience. Il y a là u n p h é n o m è n e i m p o r t a n t q u e n o u s ne p o u v i o n s o m e t tre à la fin de cet ouvrage et d o n t il convient de signaler r a p i d e m e n t les causes. e

Les d e r n i è r e s a n n é e s du xix siècle o n t vu naître et g r a n d i r le m o u v e m e n t p r o t e c t i o n n i s t e . A l'abri des tarifs, la F r a n c e a défendu ses fabriques c o n t r e la r e d o u t a b l e c o n c u r r e n c e de l'industrie anglaise ; d ' a u tres n a t i o n s ont p r é p a r é leur a v è n e m e n t à la p u i s sance m a n u f a c t u r i è r e . Cet a v è n e m e n t est à l ' h e u r e


— 172 — actuelle u n fait accompli p o u r les Etats-Unis et l'All e m a g n e : n o n s e u l e m e n t ces d e u x pays sont à m ê m e d e p o u r v o i r a u x besoins de l e u r c o n s o m m a t i o n n a tionale, mais le d é v e l o p p e m e n t de leurs e x p o r t a t i o n s m a r c h e à pas de géant ; le fer et le c h a r b o n d'Amér i q u e sont offerts à m e i l l e u r c o m p t e q u e les p r o d u i t s similaires de la G r a n d e - B r e t a g n e , la c a m e l o t e allem a n d e se r é p a n d d a n s toutes les parties du m o n d e , H a m b o u r g et New-York b a l a n c e n t la fortune de L o n dres et de L i v e r p o o l . Il y a vingt a n s , les tarifs p r o t e c teurs enlevaient à l'Angleterre le d é b o u c h é de l'Europe et des Etats-Unis ; a u j o u r d ' h u i la p r o d u c t i o n anglaise est m e n a c é e d a n s toutes les parties d u m o n d e p a r l ' a p p a r i t i o n d ' u n e d o u b l e c o n c u r r e n c e souvent 1

victorieuse . Aussi l ' i n q u i é t u d e grandit chez n o s voisins et le p r o t e c t i o n n i s m e de B i r m i n g h a m fait place au libreéchange de Manchester ; le g o u v e r n e m e n t n'a p a s de souci plus i m p é r i e u x q u e de r e n d r e à la p r o d u c t i o n anglaise ses d é b o u c h é s p e r d u s ; il fait la c o n q u ê t e d u T r a n s v a a l et p r é c o n i s e en Chine le système de la p o r t e o u v e r t e . Mais les industriels d e m a n d e n t plus e n c o r e , et q u a n d le g o u v e r n e m e n t les interroge sur le r e m è d e qu'il convient d ' a p p o r t e r au malaise actuel, ils font u n a n i m e m e n t la m ê m e r é p o n s e : « Il n'y a q u ' u n seul r e m è d e : l ' u n i o n c o m m e r c i a l e avec les colonies. Il faudrait établir entre elles toutes et la mé1

Cf. Victor Bérard, L'Angleterre

et l'impérialisme,

p. 57 et s.


— 173 —

tropole u n e sorte d ' u n i o n d o u a n i è r e c o m p a r a b l e au Zollverein a l l e m a n d : on s u p p r i m e r a i t toutes les d o u a nes intérieures d ' u n e colonie à l'autre, ou des c o l o nies à la m é t r o p o l e , et l'on rétablirait u n e d o u a n e ext é r i e u r e c o n t r e les p r o d u i t s é t r a n g e r s . Nous d o n n e rions ainsi a u x colonies le m o n o p o l e de n o t r e m a r c h é p o u r leurs m a t i è r e s p r e m i è r e s . Elles n o u s d o n n e r a i e n t le m o n o p o l e de leurs m a r c h é s p o u r nos m a n u f a c t u 1

res et nos p r o d u i t s o u v r é s . » Q u ' i n d i q u e n t ces dernières lignes si ce n'est u n r e t o u r n o n dissimulé au pacte colonial ? C'est ainsi q u e la gène de l'industrie a d o n n é naissance à l'impérialisme ; M. C h a m b e r l a i n est le chef d u m o u v e m e n t , il en est à la fois l ' o r a t e u r et l ' h o m m e d'action, et les récentes élections anglaises v i e n n e n t de m o n t r e r quelle faveur

accueillait

l'impérialisme, n o n s e u l e m e n t p a r m i les industriels et les p a t r o n s , m a i s j u s q u e d a n s les masses profondes du p e u p l e de la G r a n d e - B r e t a g n e . Ce n'est pas s e u l e m e n t de l'autre côté de la Manche q u e souille le vent de l ' i m p é r i a l i s m e . Au delà d e s m e r s , les Etas-Unis s'affirment exécuteurs fidèles de la d o c t r i n e de M o n r o ë ; déjà ils ont chassé l'Espagne de Cuba et de P o r t o - R i c o , ils se sont installés

en

m a î t r e s a u x P h i l i p p i n e s ; ce n'est là sans d o u t e q u e le c o m m e n c e m e n t d ' u n e œ u v r e qui se 1

poursuivra

Blue Book, C - 4715, p. 32 et s. D é p o s i t i o n s de MM. W . L o r d et H. Müller, d é l é g u é s de la C h a m b r e de c o m m e r c e d e Birmingham.


— 174 —

l o n g t e m p s p e u t - ê t r e , m a i s q u ' u n e n a t i o n aussi p u i s sante q u e les Etats-Unis ne doit p a s e n t r e p r e n d r e e n vain. El q u i sait si l'Allemagne ne se liera p a s b i e n tôt avec ses colonies p a r les liens d ' u n e u n i o n d o u a nière, a n a l o g u e a u Zollverein qui a jeté les bases de sa p r o s p é r i t é actuelle ? Bref, les trois g r a n d e s nations industrielles de n o t r e é p o q u e r e c h e r c h e n t avant tout des d é b o u c h é s , et le besoin des d é b o u c h é s les conduit à l'impérialisme. Or, L'impérialisme n'est p a s a u t r e chose q u e l'assimilation, et n o u s savons q u e celle-ci est encore le pacte colonial, m a i s a t t é n u é ,

moder-

n i s é . P a r suite, si le pacte colonial doit être un j o u r fatalement

e n t r a î n é p a r l'évolution

des faits, s'il

disparaîtra quand les colonies d e v i e n d r o n t à leur tour

des contrées m a n u f a c t u r i è r e s ,

m o i n s q u e l'avenir

il semble du

lui réserve encore u n e longue

existence.

Vu : Le

Doyen,

Le Président

GLASSON.

de la

Thèse,

LÉVEILLÉ.

Vu et p e r m i s d ' i m p r i m e r : Le Vice-Recteur

de l'Académie GRÉARD.

de

Paris.


TABLE

DES MATIÈRES

INTRODUCTION Origines h i s t o r i q u e s d u P a c t e C o l o n i a l

7

PREMIÈRE P A R T I E

Exposé t h é o r i q u e

du Système.

CHAPITRE I. — L e s c i n q r è g l e s d u P a c t e c o l o n i a l

21

CHAPITRE II. — Les c o n s é q u e n c e s é c o n o m i q u e s d u P a c t e c o l o nial. — Appréciation

33

CHAPITRE III. — Le P a c t e c o l o n i a l e t l e s é c o n o m i s t e s

53

DEUXIÈME P A R T I E Exposé historique des Applications du

Système.

CHAPITRE I. — Le P a c t e c o l o n i a l en P o r t u g a l

61

CHAPITRE I.

73

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV. —

— —

Espagne Hollande

90

Angleterre

102

§. 1. — D a n s l e s I n d e s o r i e n t a l e s

103

§ 2. — En A m é r i q u e

110

CHAPITRE V . — Le P a c t e c o l o n i a l en F r a n c e § 1. — R è g n e de Henri IV

131

§ 2. — M i n i s t è r e d e R i c h e l i e u

133

§ 3 . — M i n i s t è r e d e Colbert

136

e

§

130

§ 4 . — L e XVIII s i è c l e

146

§ 5 . — La R é v o l u t i o n

149

§ 6 . — Le C o n s u l a t et l ' E m p i r e

151

§ 7. — La R e s t a u r a t i o n et la m o n a r c h i e de J u i l l e t

152

8 . — Loi d u 3 j u i l l e t 1861

153

§ 9. — S é n a t u s - c o u s u l t e d u 4 j u i l l e t 1866

156

§ 1 0 . — Loi d u 11 j a n v i e r 1892

159

EPILOGUE

..

171


A.

PEDONE, IMPRIMEUR-ÉDITEUR. —

PARIS






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