Note sur la fondation d'une nouvelle colonie dans la Guyane française

Page 1


Service Commun de la Documentation de l'Université des Antilles et de la Guyane Section Guyane B.P. 1179—97346 CAYENNE CEDEX


NOTES SUR

LA FONDATION

D'UNE NOUVELLE COLONIE DANS

LA GUYANE FRANCAISE

N° 3. NOTE SUR

LA

FONDATION

D'UNE NOUVELLE COLONIE

DANS LA G U Y A N E F R A N Ç A I S E .


PARIS. — TYPOGRAPHIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRE, RUE JAC0B, 50.


PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ D'ÉTUDES

POUR

LA C O L O N I S A T I O N D E L A G U Y A N E . o

N N O T E SUR

LA

3. FONDATION

D'UNE NOUVELLE COLONIE

DANS

LA

G U Y A N E

FRANÇAISE

OU

PREMIER APERÇU «D'UN NOUVEAU MODE DE

POPULATION E T D E CULTURE POUR L'EXPLOITATION DES RÉGIONS TROPICALES, SUIVI DE PLUSIEURS PIÈCES ET DOCUMENTS. ETC. ETC. Homo habitat intra tropicos, vescitur palmis, Hospitatur extra tropicos sub uovercante Cerere. LINNÉ. « L'espèce humaine a son habitation naturelle au « sein des régions tropicales, où les palmiers lui « fournissent spontanément une riche alimenta« tion; elle s'établit artificiellement en dehors « des tropiques , arrachant à une nature marâtre « la chétive subsistance extraite des céréales. »

PARIS, L I B R A I R I E D E F I R M I N DI D O T F R È R E S , BUE

JACOB,

1844.

56.



ÉPIGRAPHES.

Homo habitat intra tropicos, vescitur palmis, Hospitatur extra tropicos sub novercante Cerere. Linné. « L'espèce humaine a son habitation naturelle au « sein des régions tropicales, où les palmiers lui « fournissent spontanément une riche alimenta« tion ; elle s'établit artificiellement eu dehors des « tropiques , arrachant à une nature marâtre la « chétive subsistance extraite des céréales. » “ It is an ill-grounded opinion that, by the labor of slaves, America may possibly vie in cheapness of manufactures with Britain. The labor of slaves can never be so cheap here as the labor of workingmen is in Britain. Any one may compute it. per cent.

Interest of money is in the colonies from six to ten

Slaves, one with another, cost thirty pounds sterling per head.

Reckon then the iuterest of the first purchase of a slave, the insurance or risk on his life, his clothing and diet, expenses in his sickness and loss of time, loss by his neglect of business (neglect is natural to the man who is not to be benefited by his own care or diligence), expense of a driver to keep him at work, and his pilfering from time to time, almost every slave being by nature a thief, and compare the whole amount with the wages of a manufacturer of iron or wool in England, you will see that labor is much cheaper there than it ever can be by negroes here. Why then will Americans purchase slaves ? Because slaves may be kept as long as a man pleases, or has occasion for their labor; while hired men are continually leaving their masters (often in the midst of his business) and setting up for themselves. ” — ( F r a n k l i n , Observations concerning

the increase of

Mankind

and the Peopling of Countries. — Works of Franklin, edit. I836, Boston. Tome ii, page 314.) « C'est une erreur de croire qu'au moyen du travail des esclaves l'Amérique puisse parvenir a rivaliser avec l'Angleterre, pour le bon marché des pro-


duits manufacturés. Jamais en Amérique le travail des esclaves ne reviendra à un prix aussi bas que celui des ouvriers en Angleterre. Chacun peut s'en rendre compte. L'intérêt de l'argent aux colonies est de six à dix pour cent. Les esclaves reviennent, l'un dans l'autre, à trente livres sterling (750 fr.) par tête. Comptez maintenant l'intérêt de la première mise de fonds pour l'achat d'un esclave , la prime d'assurance qu'il faut payer sur sa v i e , ou le risque qu'il faut courir, son habillement et sa nourriture, les dépenses occasionnées par ses maladies, et la perte de temps ; perte de temps provenant Je la négligence naturelle à tout homme qui n'a point de profit à tirer du plus ou moins de soin qu'il apporte à son travail; dépense d'un commandeur pour maintenir l'esclave à l'ouvrage; fraude et larcin de temps en temps, chaque esclave étant voleur de sa nature. Après cela, comparez le coût total de l'esclave avec le salaire d'un ouvrier, mineur ou tisserand, en Angleterre. Vous verrez que le travail des ouvriers est beaucoup meilleur marché là-bas que celui des nègres ici. — Pourquoi donc les Américains continueront-ils à acheter des esclaves ? Parce que l'on maintient les esclaves à l'ouvrage aussi longtemps que l'on veut, aussi longtemps que l'on a besoin de leur travail, tandis que les salariés abandonnent toujours leur m a î t r e (quelquefois au milieu du travail que celui-ci leur a commandé), et vont s'établir pour leur propre compte. » — FRANKLIN , Observations

sur la Po-

pulation. (OEuvres de Franklin, édit. de Boston, 1836, t. ii, p. 314.)

« Les colonies nouvelles que nous voulons instituer ne doiveut marcher que pas à pas, et faire successivement leurs paisibles conquêtes, non en disputant la terre aux naturels du pays, mais en la disputant à la solitude et à la peste, en l'arrachant à la puissance aveugle et délétère qui la dévore, en la refaisant par le travail, en refaisant l'air et le climat. Elles s'avanceraient d'année en année ; elles ne prendraient une pleine possession d'un pays qu'après l'avoir préparé par la culture et par des travaux d'assainissement. Elles y feraient parquer leurs troupeaux avant d'y tracer des villages, destinés ensuite à devenir des villes. Nous ne voulons pas sacrifier les hommes d'aujourd'hui aux hommes qui doivent leur succéder. On sait


ce qu'il en coûta de finiérailles pour conquérir, sur une terre marécageuse et inhabitée, le sol où maintenant Saint-Pétersbourg règne sur la Baltique. Nous ne voulons pas de telles hécatombes. «Au reste, les nouvelles études géologiques nous offrent des inductions puissantes, dont il nous est permis de profiter. Nous pouvons faire pour certaines contrées ce que Dieu a fait pour notre globe, et e n composer l'atmosphère, le sol, l'appropriation à la vie,dans une succession analogue i celle des grandes époques qui ont précédé l'homme. » ( B a l l a n c h e , Fragment de la Fille des

0

Expiations.)



REMARQUE

SUR

L'ÉPIGRAPHE

EMPRUNTÉE

A

LINNÉ:

Homo habitat intra tropicos, vescitur palmis , Hospitatur extra tropicos sub novervante Cerere. « L'espèce humaine a son habitation naturelle AU « sein des régions tropicales, où les palmiers lui « fournissent spontanément une riche alimen« tation, elle s'établit artificiellement en dehors « des tropiques, arrachant à une nature marâtre « la chétive subsistance extraite des céréales. »

11 y a t o u t u n n o u v e a u m o n d e a g r i c o l e e t i n d u s t r i e l d a n s c e s d e u x l i g n e s à l a f o i s si p o é t i q u e s e t si v r a i e s . A u l i e u d e t r a d u i r e ralement, —

litté-

ce q u i nous paraît à p e u près


X

impossible dans notre langue, — nous avons été obligés de p a r a p h r a s e r l'énergique de

latin

L i n n é . Il n e f a u t p a s o u b l i e r q u e c e l u i

q u i p a r l e ainsi n'est p a s s e u l e m e n t u n g r a n d naturaliste, mais u n

homme du Nord,

un

S u é d o i s . P o u r le g é n i e d e L i n n é , le p a r a d o x e n'est pas d u côté d e ceux possibilité

qui affirment

d e faire travailler la r a c e

la

euro-

p é e n n e e n t r e les t r o p i q u e s . Ces r é g i o n s

lui

s e m b l e n t , a u c o n t r a i r e , le d o m a i n e n a t u r e l de l'humanité. ici

les

considérations scientifiques q u i justifient

Nous

n'avons

pas

à

faire

valoir

la

doctrine de L i n n é , ou qui expliquent,

par

l ' a b o n d a n c e m ê m e e t la s p o n t a n é i t é d e s r e s sources naturelles, en même temps q u e p a r le p e u d'intensité des besoins d e l ' h o m m e , l'état d'infériorité

o ù la civilisation est d e -

m e u r é e j u s q u ' à ce j o u r d a n s les r é g i o n s t r o picales. N o u s i n d i q u e r o n s

seulement

dans

q u e l l e a c c e p t i o n il f a u t p r e n d r e p l u s p a r t i c u l i è r e m e n t l e m o t palmier,

lorsqu'il

s'agit

d e la p l a n t e q u e L i n n é e n t e n d o p p o s e r a u x céréales. Les espèces de palmiers qui croissent en abondance

sous

les t r o p i q u e s ,

sont

n o m b r e u s e s ; elles offrent à l ' h o m m e

trèsprès-


XI

que

t o u s les é l é m e n t s d e la vie p h y s i q u e ,

réunis quelquefois d a n s u n seul a r b r e . dattier

Le

lui d o n n e u n fruit succulent; u n p a l -

mier

lui d o n n e

palmier

du

de l'huile;

désert,

autre,

dit

laisse é c h a p p e r d e

un

son

é c o r c e u n e l i q u e u r q u i a la m ê m e s a v e u r et les m ê m e s

propriétés q u e l'eau

autre porte à son sommet sant

d i t chou

palmiste;

à la fois u n e

filtrée;

le fruit

l e cocotier

boisson suave, une

un

nourrisfournit amande

nourricière, une huile abondante, propre à t o u s les u s a g e s . L e s I n d i e n s d e la

Guyane

d e m a n d e n t p r e s q u e exclusivement leur alimentation végétale à deux palmiers, l'un dit paripou,

l'autre

maripa.

Et,

lorsque

tous

ces a r b r e s o n t n o u r r i l ' h o m m e d e l e u r lait e t d e l e u r s f r u i t s , ils f o r m e n t e n c o r e ,

par

l e u r t r o n c a r r o n d i e n c o l o n n e , les p r e m i e r s m a t é r i a u x d e s o n a r c h i t e c t u r e ; p a r l e u r feuill a g e , le t o i t d e sa m a i s o n ; p a r l e u r s f i l a m e n t s , ses n a t t e s , ses c o r d a g e s , ses l i g n e s d e p ê c h e . Mais l'espèce de p a l m i e r

qui peut

être

le

plus spécialement o p p o s é e aux céréales, et que

L i n n é a v o u l u sans d o u t e désigner, c'est

l e sagoutier Sagus

d'Asie

Rumphii.

( Metroxylum sagu, ou

) « La quantité de

« nourrissante qu'offre

le v é r i t a b l e

matière sagou-


XII

« t i e r d e l ' A s i e , e x c è d e t o u t ce q u e d o n n e n t « d'autres plantes utiles à l ' h o m m e . U n seul « t r o n c d ' a r b r e , d a n s sa q u i n z i è m e a n n é e , « f o u r n i t q u e l q u e f o i s six c e n t s livres d e sa« g o u , o u d e farine (car le m o t sagou signi« fie f a r i n e

dans

le

dialecte

d'Amboine. )

« M . C r a w f o r d , q u i a h a b i t é si « l'archipel

longtemps

de l'Inde, calcule q u ' u n e

acre

« a n g l a i s e ( à 4,029 m è t r e s c a r r é s ) p e u t n o u r « rir quatre cent trente cinq sagoutiers, qui « d o n n e n t cent vingt mille cinq cents livres. » « (History

of the Sud Archipelago,

« p a g e 393.)

Ce produit

tome

est t r i p l e d e

er

1 ,

celui

« des céréales, d o u b l e de celui des p o m m e s « de terre en France. Les bananes

offrent,

« s u r la m ê m e surface d e t e r r a i n ,

plus

de

« m a t i è r e a l i m e n t a i r e e n c o r e q u e le sagou« tier. » ( H u m b o l d t , équinoxiales,

Voyage

t o m e viii, page

aux

régions

414.)

Ajoutons

à cela, q u e ce g r a n d a r b u s t e a l i m e n t a i r e , u n e fois v e n u o u p l a n t é , s e r e p r o d u i t p a r

lui-

m ê m e , et n'a besoin d ' a u c u n e c u l t u r e ; en sorte q u e l ' h o m m e en possession du

sagou-

tier p e u t subsister sans travail. Q u o i q u ' i l e n s o i t , l e p a l m i e r n ' e s t n i la s e u l e n i m ê m e la p l u s r i c h e d e s s o u r c e s a l i mentaires

qui coulent, p o u r

ainsi

dire, à


XIII

g r a n d s flots d a n s les r é g i o n s t r o p i c a l e s : t o u t e la n a t u r e y r é p è t e , e n m i l l e a c c e n t s d i v e r s , la m a g n i f i q u e s t r o p h e d e L i n n é . — D a n s l a G u y a n e , p a r e x e m p l e , et d a n s la p l u p a r t des colonies

européennes

de

cette

partie

du

m o n d e , o n cultive et l'on emploie d e

préfé-

r e n c e l e bananier

(2), le

manioc

(3),

l a couscouche caraïbe du

(7),

o u igname

d e s pois,

douce

(4) , l ' i g n a m e (5), indien

l e s f r u i t s d e l'arbre

châtaignier

maïs,

( i ) , l a patate

l e cra-manioc

(6),

(9), sans p a r l e r du fèves

le

à pain

riz,

au

et a u t r e s aliments

farineux de toute espèce, qui donnent, q u e année, plusieurs

chou (8) e t et

cha-

récoltes.

U n grand n o m b r e de plantes textiles, de graines oléagineuses,

d'arbres

à g o m m e et

à r é s i n e , c o m p t e n t a u s s i p a r m i les p r o d u c -

(1) Мusa paradisiaca. ( 2 ) Convolvulus batatas. (3) Jatropha manihot. (4) Variété du précédent. (5) Dioscorea alata. (6) Espèce appartenant à la même famille que le précédent ( 7 ) A r u m sagittæ f o l i u m . (8) Artocarpus incisa.

( 9 ) Cupania Americana


XIV

tions naturelles des zones équinoxiales. — Le c a o u t c h o u c seul serait déjà u n e richesse inépuisable. C e q u i est v r a i p o u r les m o y e n s

alimen-

taires est é g a l e m e n t v r a i p o u r les fruits les boissons. R i e n n e s e r a i t p l u s facile

et que

d ' e x t r a i r e d e la p l u p a r t d e ces f r u i t s , o u d e p r é p a r e r a v e c l e u r s u c , d e s vins, d e s bières,

d e s esprits

des

cidres,

d e t o u t e sorte. E t n'est-

il p a s b i e n b i z a r r e q u e , p a r m i t o u t e s l e s b o i s sons qu'il était p o s s i b l e et facile

d'obtenir,

l'on n'ait p o r t é d u soin q u ' à la p r o d u c t i o n d ' u n s p i r i t u e u x a r d e n t , l e rhum

o u tafia!

Ce

s p i r i t u e u x é t a n t la s e u l e b o i s s o n l o c a l e

et,

p a r c o n s é q u e n t , la s e u l e q u i , p a r s o n p r i x , se t r o u v e

à p o r t é e d e s classes

inférieures,

produit des ravages déplorables. P o u r parer à

ce d a n g e r ,

l'on

n'a

pas

trouvé

d'autre

m o y e n q u e d e r e c o m m a n d e r la t e m p é r a n c e : c'est-à-dire q u e l'on prescrit d e ne pas boire, d a n s u n p a y s o ù la soif est u n b e s o i n p l u s i m p é r i e u x e n c o r e q u e la f a i m ! L a m o r a l e a u rait b e a u c o u p m i e u x atteint son b u t s i ,

ap-

p e l a n t la s c i e n c e à s o n s e c o u r s , elle e û t o p p o s é a u r h u m u n e d e ces b o i s s o n s à la fois toniques

et

rafraîchissantes,

fruits p e u v e n t

fournir.

que

tant

de


XV

En

un

m o t , s o u s les t r o p i q u e s , les

trois

r è g n e s d e la n a t u r e s o n t p l u s r i c h e s e t

plus

variés

que

dans aucune

autre

partie

g l o b e , et la p l u p a r t des s u b s t a n c e s priées

aux

besoins de l'homme

du

appro-

o n t été

à

p e i n e t o u c h é e s p a r l ' i n d u s t r i e . Si d o n c , s u i vant L i n n é , l'espèce h u m a i n e , e n c o r e inculte et sauvage, y t r o u v e son d o m a i n e

naturel,

l ' e s p è c e h u m a i n e , a r r i v é e à la c i v i l i s a t i o n , y trouve encore son plus

beau

champ

de

travail. C i t o n s e n c o r e le b a r o n

de

Humboldt,

l'heureux continuateur de Linné : « Plus on

é t u d i e r a la c h i m i e s o u s la z o n e

« t o r r i d e , et p l u s

on

aura

occasion,

dans

« q u e l q u e lieu r e c u l é , mais a b o r d a b l e «commerce

de l'Europe,

au

de découvrir,

à

« d e m i p r é p a r é s d a n s les o r g a n e s d e s p l a n t e s , « des produits q u e nous croyons appartenir « au seul règne a n i m a l , ou q u e n o u s obte« n o n s p a r les p r o c é d é s d e

l'art,

toujours

« s û r s , mais s o u v e n t l o n g s et p é n i b l e s . Déjà « o n a t r o u v é la c i r e q u i e n d u i t le p a l m i e r « d e s A n d e s d e Q u i n d i u , le lait « d u Palo

de Vaca,

« f r i q u e , la m a t i è r e « séve

presque

nourrissant

l'arbre à beurre de

l'A-

caséiforme tirée d e

animalisée du

Carica

la Pa-


« paya.

Ces

découvertes

se

multiplieront

« l o r s q u e , c o m m e l'état p o l i t i q u e d u m o n d e « p a r a î t l ' i n d i q u e r a u j o u r d ' h u i , la

civilisa­

« tion e u r o p é e n n e refluera en g r a n d e partie « d a n s les r é g i o n s équinoxiales d u « c o n t i n e n t . » ( Voyage t o m . vii , p .

151.)

aux

régions

nouveau équin.,


AVERTISSEMENT.

A p r è s a v o i r d o n n é , d a n s les p u b l i c a t i o n s p r é c é d e n t e s , q u e l q u e s n o t i o n s s u r les e x p é d i t i o n s e t e n t r e p r i s e s q u i o n t e u l i e u à la G u y a n e

depuis

l'établissement d e cette colonie (1), et r e p r o d u i t

(1) Notice historique sur la Guyane française, par M. H. Ternaux-Compans, un vol. in-8°. — La première édition de cet ouvrage est épuisée. — C'est le N 1 des publications de la Société d'études. o

a*


XVIII

les d o c u m e n t s s t a t i s t i q u e s r e c u e i l l i s e t m i s a u j o u r p a r le D é p a r t e m e n t d e la M a r i n e e t d e s C o lonies (1),

nous avons

r é u n i plusieurs pièces

d e s t i n é e s à faire c o n n a î t r e la p e n s é e de l'opération qui a été proposée

première

pour

en valeur n o t r e riche possession d u

mettre

continent

sud-américain. L e s d e u x p i è c e s p r i n c i p a l e s ( N o t e sur la fondation

d'une

française, des

nouvelle

industrielles

l'émancipation, à

dans

p a g . 1 à 5 4 ) , — (Nécessité

compagnies

tées

colonie

un

pour

p a g . 5 6 à 69),

la

Guyane

du

concours

l'exécution sont

mémoire présenté à M.

de

emprunle

Minis-

t r e d e la M a r i n e e t d e s C o l o n i e s , s o u s c e t i t r e : Études

et

avant-projet

cière

destinée

à

time

et à faciliter

dune

développer

institution

finan-

le commerce

mari-

la réorganisation

des

colonies

françaises. C e m é m o i r e a é t é s o u m i s à la

Commission

(1) Notice statistique sur la Guyane française. Cet ouvrage est une réimpression, faite avec l'agrément du Ministre de la Marine et des Colonies, de la Notice qui se trouve consacrée à la Guyane, dans l'ouvrage officiel publié par le Gouvernement. — C'est le n° a des publications de la Société d'études.


XIX c o l o n i a l e ( 1 ) p r é s i d é e p a r M. le d u c d e B r o g l i e , e t e n s u i t e , il a é t é rielle, u n e M.

formé, p a r décision

Commission

spéciale,

présidée

le c o m t e d e T a s c h e r , et c h a r g é e

les q u e s t i o n s

relatives

à

ministé­ par

d'examiner

la c o l o n i s a t i o n

d e la

G u y a n e (2).

(1) La Commission coloniale, présidée par M. le duc de Broglie, est instituée par Ordonnance Royale en date du 26 mai 184O. Cette Commission est composée ainsi qu'il suit : MM. le duc de Broglie, pair de France, président ; le comte de Saint-Cricq, le marquis d'Audiffret pairs de France ; Rossi, le comte de Sade, Wustemberg, de Tracy, Passy (Hippolyte),nombres de la chambre des députés ; de Tocqueville, Bignon, Reynard, Galos, député, directeur des colonies; le baron de Mackau, vice-amiral ( 1 ) ; le comte de Moges, contre-amiral ; Jubelin, commissaire général de la marine, membre du conseil de l'a­ mirauté ; Filleau de Saint-Hilaire, conseiller d'État, ancien directeur des colonies ; Mestro, chef de section à la direction des colonies, secrétaire. ( a ) La Commission de c o l o n i s a t i o n de la Guyane, présidée

(1) Aujourd'hui p a i r d a France , Ministre d e l a Marine e t des Colonies.

a.


XX

Les explications d o n n é e s devant cette C o m mission p a r l'auteur d u m é m o i r e , font aussi partie e

de notre 3

publication

( p a g . 73 à 128). V i e n -

n e n t e n s u i t e u n e p i è c e i n t i t u l é e : Réponse quelques

objections

à

( p . 129 à 144,) e t d i v e r s r e n -

s e i g n e m e n t s , e n t r e a u t r e s c e u x c o n c e r n a n t les

par M. le comte de Tascher, et instituée par arrêté ministériel du 13 janvier 1842; est composée ainsi qu'il suit : MM. le comte de Tascher, pair de France, président ; Gautier, pair de France, régent de la Banque de France ; Ferrier, pair de France, ancien directeur des douanes à Dunkerque; Jacques Lefebvre, député, régent de la Banque de France; Galos, député, directeur des colonies ; Magnier de Maisonneuve, député, directeur général des contributions directes ; Muret de Bort, député ; Greterin, conseiller d'État, directeur de l'administration des douanes; Filleau de Saint-Hilaire, conseiller d'État, ancien directeur des colonies ; Drouyn de Lhuys, directeur des affaires commerciales et du contentieux au ministère des affaires étrangères ; Lavollée, directeur du commerce extérieur, au ministère de l'agriculture et du commerce; Favard, délégué de la Guyane ; Émile Péreire, directeur des chemins de fer de Saint-Germain et de Versailles ; Pécoul, membre du conseil colonial et président de la société d'agriculture de la Martinique; Barrat, négociant, propriétaire à la Guyane; Wolowski, professeur au conservatoire des arts et métiers; Jules Lechevalier, avec voix consultative ; Paul de Tascher, maître des requêtes, secrétaire.


XXI

t e n t a t i v e s q u i s e f o n t e n c e m o m e n t p a r la H o l l a n d e à S u r i n a m , e t p a r la B e l g i q u e à S a n t o T h o m a s d e G u a t e m a l a , p o u r a p p l i q u e r le travail d e la r a c e e u r o p é e n n e à la c u l t u r e , d e s t e r r e s tropicales. Depuis

q u e j'ai e u l'occasion

établissements

coloniaux

j'ai travaillé d a n s

la

des

d'étudier les

divers p e u p l e s ,

conviction qu'il y a u n e

p e n s é e n e u v e e t u t i l e à p r o d u i r e s u r le d'exploitation

mode

des régions tropicales, q u i

succéder à l'ancien

doit

m o d e de population et de

c u l t u r e a u j o u r d ' h u i e n d é c a d e n c e r e l a t i v e , là o ù il n ' e s t p a s e n c o r e d é t r u i t . Cette pensée, qu'il n'y a pas d e u x manières d e r e n d r e e n t e r m e s p r é c i s , se e

d a n s n o t r e 3 publication

trouve exprimée

, ainsi qu'il suit :

« 1° L e s r é g i o n s é q u i n o x i a l e s , b i e n l o i n d ' ê t r e à la veille d e l e u r r u i n e , s o n t à p e i n e à l ' o r i g i n e d e la p r o s p é r i t é q u ' e l l e s p e u v e n t e t d o i v e n t a c quérir ; n° L a c u l t u r e d e s u c r e e t d e s a u t r e s d e n r é e s d i t e s c o l o n i a l e s n ' e s t p a s la s e u l e r e s s o u r c e d e ces

c o n t r é e s . T o u s l e s a u t r e s é l é m e n t s d e la

richesse agricole et manufacturière y a b o n d e n t ;


XXII

3° L e travail libre, organisé c o m m e l ' ê t r e a p r è s la g r a n d e e x p é r i e n c e d u

il p e u t

gouverne-

m e n t a n g l a i s , r e m p l a c e , a v e c t o u s les a v a n t a g e s p o s s i b l e s , la r o u t i n e b a r b a r e e t g r o s s i è r e d e l'esclavage ; 4° Le

c e n t r e d e la s p é c u l a t i o n

industrielle

t e n d à se d é p l a c e r e n f a v e u r d e s r é g i o n s é q u i n o x i a l e s , o u , d u m o i n s , le m o u v e m e n t d u t r a vail d o i t se r a l e n t i r d a n s les c o n t r é e s e u r o p é e n n e s o ù la

terre, premier

instrument

de tout

travail,

a a t t e i n t u n e v a l e u r e x a g é r é e , et se p o r t e r d e p r é f é r e n c e vers les t e r r e s d ' u n e fertilité e x u b é rante qui sont encore incultes et p r e s q u e sans v a l e u r . » — (Notes colonie

sur la

fondation

dans la Guyane française,

d'une

nouvelle

p . 1.)

1° « T o u t e s l e s i n d u s t r i e s , p r o p r e s a u x t e r r a i n s d e s t r o p i q u e s , c o m p o r t e n t e t e x i g e n t m ê m e la l i b e r t é d u t r a v a i l a i n s i q u e la d i v i s i o n d e s fonctions ; a°

La

race européenne, m u n i e de tous

les

m o y e n s d'assainissement, de d é f r i c h e m e n t , et d e


XXIII

p r é s e r v a t i o n , d o n t la g r a n d e i n d u s t r i e p e u t disposer aujourd'hui, bien loin d'être exclue

de

ces régions, est m i e u x q u e t o u t e a u t r e r a c e e n m e s u r e d e les e x p l o i t e r , s a n s c o m p t e r q u ' e l l e a p l u s q u e t o u t e a u t r e r a c e le b e s o i n d e se c r é e r d e n o u v e a u x d o m a i n e s . » — (Nécessité cours

des compagnies

industrielles

du

pour

con-

l'exécu-

tion de l'émancipation, p a g e 6 1 . ) Le nouveau

m o d e d e p o p u l a t i o n et d e c u l -

ture des régions tropicales repose d o n c sur cette d o n n é e , qu'il existe d e s m o y e n s p r a t i c a b l e s , faciles m ê m e , e t s u r t o u t p r o f i t a b l e s , d e s u b s t i t u e r , d a n s ces r é g i o n s , Au m o d e d e population p a r voie tion forcée, (avant

d'immigra-

dit Traite des noirs ou des blancs

d'exporter

des

captifs

africains,

on a

e x p o r t é des engagés b l a n c s , soit d a n s n o s colon i e s , s o i t d a n s c e l l e s d e s a u t r e s p e u p l e s ) , — le m o d e d e p o p u l a t i o n p a r v o i e d'immigration lontaire

des personnes de t o u t e race, aussi

vobien

les b l a n c s d ' E u r o p e q u e les n o i r s d ' A f r i q u e

et

l e s c u i v r é s d'Asie ; A u m o d e d e c u l t u r e p a r v o i e d e travail

extor-

qué e t forcé, d i t e s c l a v a g e , — le m o d e d e c u l t u r e


XXIV

p a r v o i e d e travail payé et volontaire,

faussement

d i t t r a v a i l l i b r e (1) ; Au m o d e d'aménagement patriarcal, o u féodal, qui concentre

t o u t e s les

barbare

opérations

agricoles e t i n d u s t r i e l l e s d a n s la m ê m e m a i s o n , d a n s le m ê m e c l a n , d a n s le m ê m e c h â t e a u , dans l a m ê m e p l a n t a t i o n , — le m o d e

d'aménagement

q u i p r é v a u t d a n s les c o n t r é e s o ù la c i v i l i s a t i o n e t l a r i c h e s s e s o n t l e p l u s d é v e l o p p é e s , s a v o i r : la d i v i s i o n d e s f o n c t i o n s d a n s la m ê m e i n d u s t r i e , e t l a d i v i s i o n d e s t r a v a u x d a n s la m ê m e

U n e telle p e n s é e s u r v e n a n t

au

fonction.

milieu d'une

(1) Les mots travail volontaire me paraissent exprimer beaucoup mieux que les mots travail libre, ce qui caractérisera le nouveau régime par rapport à l'ancien. Le travail libre, proprement d i t , n'existe et ne doit exister dans a u cune société régulière; c'est l'état sauvage. Le travail est réglé en Europe; il doit être soumis, dans les régions incultes et impeuplées, a des règlements particuliers, plus minutieux et plus complets ; mais, enfin, le travail est et doit être réglé partout. Lorsque le travail est réglé d'après le principe o p pressif et unilatéral du despotisme, l'ouvrier ne travaille que par contrainte : pour obtenir constamment son travail, il faut le maintenir dans l'esclavage. Lorsque le travail est réglé d'après le principe synallagmatique de la répartition proportionnelle, l'ouvrier travaille volontairement et librement : il n'a plus besoin d'être contraint par la force.


XXV

grande complication

d ' i n t é r ê t s é t a b l i s e t d'af-

faires e n g a g é e s , n ' a j a m a i s p u p r é t e n d r e à se réaliser q u e g r a d u e l l e m e n t et p a r voie d ' e x p é riences et d e t r a n s a c t i o n s . J'ai p r i s

s o i n d e le d i r e m o i - m ê m e , d è s la

première manifestation de cette pensée. On trouvera p l u s loin ( p a g e 3 2 ) ces p r o p r e s paroles : « L ' e x p o s é q u ' o n v i e n t d e lire c o n t i e n t

seu-

« l e m e n t les d o n n é e s p r e m i è r e s d e l ' o p é r a t i o n « q u ' i l s e r a i t p o s s i b l e d e t e n t e r . Il e s t d e s t i n é à « o u v r i r la d i s c u s s i o n d e l'affaire e t n o n à p r é « ciser les voies et m o y e n s , c h o s e q u i n e p e u t « ê t r e faite qù'ultérieurement

et d ' u n

commun

« a c c o r d a v e c les f o n d a t e u r s d e la C o m p a g n i e « d'exploitation. » Et encore (page

115)

:

« J e le r é p è t e , l e t r a v a i l d e s b l a n c s s o u s les « tropiques

ne peut

pas

être encore

la b a s e

« d'une spéculation industrielle p r o p r e m e n t dite: « c'est u n e e x p é r i e n c e à t e n t e r . » M a i s , a p r è s t o u t , il a fallu e t il faut b i e n e n c o r e e x p o s e r la p e n s é e p r e m i è r e d a n s t o u t e sa v é r i t é . Tel e s t le b u t d e s é c r i t s q u i c o m p o s e n t c e t t e troisième

publication

d e la Société

d'études.


XXVI

Il r e s t e à r a c c o r d e r les v u e s t h é o r i q u e s a v e c les p r i n c i p e s q u i o n t p r é v a l u d a n s l ' A d m i n i s t r a t i o n , a v e c les i n t é r ê t s q u i se s o n t d é v e l o p p é s s o u s le r é g i m e d e la t r a i t e , d e l'esclavage e t d u monopole commercial.

Le travail de raccord a

c o m m e n c é e t s e c o n t i n u e d a n s l e s e i n d e la C o m m i s s i o n d e c o l o n i s a t i o n d e la G u y a n e , d a n s les c o n f é r e n c e s a v e c les c h a m b r e s d e c o m m e r c e , d a n s la c o r r e s p o n d a n c e d u D é l é g u é d e la G u y a n e a v e c le c o n s e i l c o l o n i a l .

Il est t r o p c e r t a i n q u e d e p u i s b i e n t ô t c i n q a n s q u ' e l l e c h e r c h e à s e faire p l a c e d a n s le m o n d e , la

double

pensée

de

traiter

l'émancipation

c o m m e u n e réforme industrielle, et d'introduire d a n s les r é g i o n s t r o p i c a l e s u n n o u v e a u d e population et d e c u l t u r e , n'a pas

mode marché

b i e n r a p i d e m e n t . Elle r é p o n d a i t , c e p e n d a n t , p o u r les c o l o n i e s o ù

il s'agissait d e l ' a p p l i q u e r ,

et

p o u r la m é t r o p o l e à q u i l ' i n i t i a t i v e e n é t a i t p r o p o s é e , a u x plus u r g e n t e s nécessités de leur

si-

tuation réciproque. A u m o m e n t m ê m e o ù la p e n s é e se p r o d u i -


XXVII

s a i t , l'émancipation était mise à l'ordre du j o u r p a r la c r é a t i o n d ' u n e C o m m i s s i o n i n s t i t u é e p o u r e n p r é p a r e r les b a s e s ; les s y m p t ô m e s les p l u s alarmants pour l'ancien

régime

colonial

écla-

t a i e n t d e t o u t e s p a r t s . D ' u n a u t r e c ô t é , il d e v e n a i t p l u s é v i d e n t , d e j o u r e n j o u r , q u e la p r e m i è r e e x p é r i e n c e d'émancipation des n o i r s esclaves, emp l o y é s à la p o p u l a t i o n e t à la c u l t u r e d e s r é g i o n s tropicales, n'avait pas, dès l'abord, p r o d u i t des rés u l t a t s a v a n t a g e u x à t o u s les i n t é r ê t s .

Toutefois

les i n c o n v é n i e n t s a s s e z g r a v e s d u n o u v e a u r é g i m e n'étaient pas des obstacles à l'accomplissement d e la m e s u r e , m a i s p l u t ô t d e s i n d i c a t i o n s s u r l e s m o y e n s d e l ' e x é c u t e r . C e s i n c o n v é n i e n t s , q u i se f o n t s e n t i r s e u l e m e n t e n c e q u i c o n c e r n e les i n t é r ê t s d e s a n c i e n s p l a n t e u r s , t a n d i s q u e les c h o s e s v o n t a u m i e u x s o u s le r a p p o r t m o r a l e t p o l i t i q u e , p r o v i e n n e n t , en effet, e x c l u s i v e m e n t d e ce q u e les i n t é r ê t s d e la g r a n d e p r o p r i é t é a g r i c o l e , e n g a g é s d a n s la r é f o r m e a n g l a i s e , s e s o n t a b a n d o n n é s e u x - m ê m e s , et o n t é t é , sinon négligés, d u m o i n s lésés b i e n i n v o l o n t a i r e n e n t p a r le g o u v e r n e m e n t b r i t a n n i q u e . Ceci soit dit sans i n c u l p e r e n r i e n ni la b o n n e foi d e c e g o u v e r n e m e n t ,


XXVIII

n i la c a p a c i t é d e ses a g e n t s . U n e g r a n d e e x p é r i e n c e a é t é a c c o m p l i e ; le p r o b l è m e à r é s o u d r e était fort

compliqué, surchargé

d'inconnues :

il é t a i t i n é v i t a b l e q u e c h a c u n fit d e s f a u t e s . A p r è s c e s f a u t e s il n e r e s t a i t p l u s q u ' à p r o f i t e r d e l'exp é r i e n c e . O n a m i e u x a i m é p e r p é t u e r , s u r les r é s u l t a t s d e l ' é m a n c i p a t i o n , u n e v é r i t a b l e confusion

des langues, et contrarier le développe-

ment d u nouveau principe par u n appel à tous les p r é j u g é s , à t o u s les i n t é r ê t s e n d é f i a n c e .

Avoir essayé de t r a n s f o r m e r en o p é r a t i o n

finan-

cière u n e oeuvre d e m o r a l e , d e p h i l a n t h r o p i e , o u tout au m o i n s de grande et libérale politique ; avoir dit q u ' u n e mesure qui tendait à changer r a d i c a l e m e n t , e t les c o n d i t i o n s d ' e x p l o i t a t i o n d e la p r o p r i é t é t e r r i t o r i a l e , e t les r e l a t i o n s d u m a î t r e a v e c le t r a v a i l l e u r , d e v a i t ê t r e t r a i t é e c o m m e u n e réforme

i n d u s t r i e l l e : c'était l à ,

aux

yeux

de

b e a u c o u p de personnes dévouées à la cause de l ' é m a n c i p a t i o n , r a b a i s s e r la r e l i g i o n e t la m o r a l e a u niveau des i n t é r ê t s m a t é r i e l s ; c'était s u r t o u t i n f i r m e r , p a r les i m p u t a t i o n s q u i s e r a i e n t n é c e s -


XXIX

sairement dirigées c o n t r e m o i , l'autorité d u témoignage q u e j'avais r e n d u en faveur de l'émancipation. Ces objections a u r a i e n t a r r ê t é p e u t - ê t r e

un

esprit q u i n'aurait eu sur l'émancipation q u ' u n e opinion puisée dans l'étude des sciences économiques, ou q u i , spéculateur avant tout, n'aurait o b é i , d a n s la p r o p a g a t i o n d e c e t t e o p i n i o n , q u ' à des mobiles d'intérêt personnel. L'économiste et le s p é c u l a t e u r n ' a u r a i e n t p a s v o u l u r i s q u e r d e d é t r u i r e le p r e s t i g e d e l e u r p o s i t i o n . E n p r o f e s s a n t d e s p r i n c i p e s e n t a c h é s d u m a t é r i a l i s m e d e la s p é culation industrielle, l'économiste aurait craint de p o r t e r a t t e i n t e à sa r é p u t a t i o n d e savant désintéressé. L e s p é c u l a t e u r p r o p r e m e n t dit se serait b i e n g a r d é d e c o m p r o m e t t r e sa s p é c u l a t i o n , e n n e l ' a b r i t a n t p a s s o u s le m a n t e a u d e la p h i l a n t h r o p i e . Obéissant à d'autres sentiments et à d'autres mobiles, je n'ai pas eu à m ' i n q u i é t e r des vains j u g e m e n t s q u i c i r c o n v i e n n e n t t o u j o u r s les s o l d a t s d e la v é r i t é l o r s q u ' i l s s ' a v a n c e n t p o u r faire b r è c h e a u c œ u r d e la p l a c e . C o n s i d é r e r l ' é m a n c i p a t i o n s o u s le r a p p o r t é c o n o m i q u e e t i n d u s t r i e l , c e n ' e s t p a s lui e n l e v e r


XXX

son caractère religieux, m o r a l , philosophique, philanthropique; c'est, au contraire, rechercher le m o y e n d e d o n n e r à la r e l i g i o n , à la m o r a l e , à la p h i l o s o p h i e , à la p h i l a n t h r o p i e , q u i e n

ont

q u e l q u e besoin en ce p a y s , d e nouvelles forces e t d e n o u v e l l e s a r m e s ; c'est c o m p l é t e r

l'étude

d e la q u e s t i o n p a r les c ô t é s q u e l ' o p é r a t i o n a n glaise n ' a p a s s u f f i s a m m e n t m i s e n l u m i è r e ; c'est i n d i q u e r le m o y e n d ' a c c o m p l i r c e t t e m e s u r e s a n s imiter servilement l'Angleterre, à u n m o m e n t où l ' i m i t a t i o n d e l ' A n g l e t e r r e est l'effroi d e s s i m p l e s e t le m o y e n d ' i n t i m i d a t i o n e m p l o y é p a r les h a biles. T r a d u i r e l ' é m a n c i p a t i o n en s p é c u l a t i o n p r o f i t a b l e , e n affaire d e d i v i d e n d e , n ' e s t - c e p a s , e n l u i d o n n a n t p r i s e s u r les i n t é r ê t s , lui f o u r n i r le l e v i e r p u i s s a n t d o n t elle m a n q u e p a r m i n o u s ? E n F r a n c e , l'idée d e l'émancipation est n é e d e e

la p h i l o s o p h i e l i b é r a l e d u xviii

siècle. O r , c e t t e

p h i l o s o p h i e , q u i n'est p o i n t s o u t e n u e p a r l'inspiration persistante des sentiments r e l i g i e u x , n ' e n t r e t i e n t n i la p a t i e n c e , n i la c h a r i t é , n i l ' e s p r i t d e p r o s é l y t i s m e q u i d é t e r m i n e n t les c o n v i c t i o n s , i m p o s e n t les sacrifices e t r é u s s i s s e n t à faire p r é -


xxxi v a l o i r les g r a n d e s m e s u r e s d ' h u m a n i t é . L e l i b é ralisme a été sans d o u t e u n e légitime

colère

c o n t r e les a b u s d e t o u s les p o u v o i r s d e s p o t i q u e s , y c o m p r i s l e p o u v o i r d u m a î t r e s u r l'esclave e t d e la r a c e b l a n c h e s u r la r a c e n o i r e . M a i s le l i b é r a l i s m e , si t a n t e s t q u ' i l s'élève j u s q u ' à la r e l i g i o n dans l'âme

et d a n s l'intelligence d e

quelques

philosophes d'élite, n'est, après t o u t , lorsqu'il d e s c e n d d a n s les m a s s e s é l e c t o r a l e s o u

popu-

laires, q u ' u n m o u v e m e n t d e colère q u i se t r a d u i t en

a c t e s d e v i o l e n c e . Il a b a t c e q u i

lui

fait

o b s t a c l e . U n e fois l ' o b s t a c l e v a i n c u , il r e t o m b e s u r l u i - m ê m e , e t se r é s o u t a l o r s e n c e t i n d i v i dualisme égoïste q u i ne voit en t o u t e chose q u e l'intérêt matériel d u m o m e n t . O n p e u t d u m o i n s , sans t r o p d'injustice, car a c t é r i s e r a i n s i l'état g é n é r a l d e la s o c i é t é f r a n ç a i s e , a u m i l i e u d e l a q u e l l e le l i b é r a l i s m e a e n c o r e u n e d e r n i è r e m i s s i o n à r e m p l i r , s a v o i r : la d e s t r u c t i o n d u d e r n i e r d e s p o t i s m e , c'est-à-dire d u p o u voir souverain

et a b s o l u , — a b s o l u ,

jusqu'au

d r o i t d e p r o p r i é t é , — q u ' e x e r c e le m a î t r e s u r son esclave, l ' h o m m e d e race b l a n c h e s u r l ' h o m m e de race noire.


XXXII

Ce n ' e s t p a s à la p h i l o s o p h i e r é g n a n t e , à celle qui, xix

e

du

moins, a dominé jusqu'ici

dans

s i è c l e , c e n ' e s t p a s à la p h i l o s o p h i e d u

q u ' i l f a u t a l l e r d e m a n d e r le souffle

le moi

inspirateur

q u i p a s s i o n n e r a les m a s s e s p o u r l ' é m a n c i p a t i o n des esclaves

d'une autre race ou

d'un

autre

h é m i s p h è r e . La p h i l o s o p h i e d u moi, q u i n e s'est e n c o r e o c c u p é e q u e d u moi b l a n c , e n est p e u t ê t r e à se d e m a n d e r si la p e a u n o i r e d e la r a c e nègre couvre bien réellement un h o m m e , susceptible de travailler m o y e n n a n t s a l a i r e , et d e v o u loir a c q u é r i r , a u p r i x d e q u e l q u e s e f f o r t s , p o u r lui e t sa f a m i l l e , u n p e u d e b i e n - ê t r e ,

voire

m ê m e un peu de propriété. D a n s u n e s i t u a t i o n p a r e i l l e , il n ' e s t p a s s u perflu d e d o n n e r a u principe d e l'émancipation u n p o i n t d ' a p p u i d a n s les i n t é r ê t s m a t é r i e l s , e t d e c h e r c h e r s'il n ' y a u r a i t p a s u n m o y e n c o m p l i r c e t t e m e s u r e , d e m a n i è r e à offrir,

d'acsoit

a u x p r o p r i é t a i r e s d'esclaves, soit au c o m m e r c e m a r i t i m e , d e s p e r s p e c t i v e s d e b é n é f i c e s a u lieu d'une menace de pertes. D ' a i l l e u r s , c'est s u r c e t e r r a i n s e u l e m e n t q u ' i l é t a i t p o s s i b l e d e r e n c o n t r e r les p r o p r i é t a i r e s et


XXX II

planteurs des colonies, qui ne

sont

pas

près

d ' a d h é r e r à l ' é m a n c i p a t i o n , en v e r t u d e tel o u tel p r i n c i p e r e l i g i e u x , m o r a l o u p h i l o s o p h i q u e . B i e n t ô t p e u t - ê t r e v e r r o n s - n o u s se p r o d u i r e u n fait q u i t é m o i g n e r a d e s r é s u l t a t s q u e l'on

peut

a t t e n d r e d e la m é t h o d e , p l u s p h i l o s o p h i q u e e t plus spiritualiste peut-être qu'on n e p e n s e , qui d o n n e p o u r alliés à la m o r a l e les i n t é r ê t s i n d u s t r i e l s e t les c o m b i n a i s o n s

financières.

Depuis plusieurs a n n é e s on travaille avec n o n moins de persévérance q u e de succès à c o m primer, par l'intervention des intérêts matériels, ce q u i reste en ce pays d e s e n t i m e n t m o r a l

en

faveur de l'émancipation. Voyant q u e de

nos

efforts il p o u r r a i t b i e n r é s u l t e r q u ' i l y a p l u s d e p r o f i t à t i r e r d e la r é f o r m e c o l o n i a l e q u e m a i n t i e n d u statu

quo,

du

les f a u t e u r s d e

l'escla-

v a g e se s o n t s e n t i s p r i s à l e u r p r o p r e

piége,

e t ils o n t c r i é a u s c a n d a l e . Si n o u s a v i o n s c é d é a u x c l a m e u r s e t a u x i n t r i g u e s , l e m o u v e m e n t l e p l u s efficace q u i s o i t fait, d e n o s j o u r s , e n f a v e u r d e s

se

vérita-

b l e s i n t é r ê t s d e la F r a n c e e t d e s e s c o l o n i e s , s e s e r a i t t r o u v é a r r ê t é à s o n d é b u t . Ce m o u v e b


XXXIV

ment salutaire,

qui a pour

lui le v e n t e t la

m a r é e , a p p e l l e les c o l o n i e s clans le g r a n d c o u rant des m œ u r s , des idées, des intérêts et des ressources de leur puissante métropole, par opposition a u m o u v e m e n t r é t r o g r a d e et tiraillé q u i t e n d à les m a i n t e n i r , s u r t o u s les p o i n t s , d a n s l ' i s o l e m e n t , d a n s l ' e x c e p t i o n e t s o u s la p r e s s i o n a c c a b l a n t e d e t o u t e s s o r t e s d ' i m p o s s i b i l i t é s factices, lorsqu'elles o n t déjà bien assez d e vaincre les difficultés n a t u r e l l e s d e l e u r p o s i t i o n l o i n t a i n e . E n r a i s o n m ê m e d e s efforts q u i se t r a m a i e n t , nous avons persisté, tout en regrettant de voir u n grand n o m b r e de personnes d o n t l'appui n o u s e û t é t é p r é c i e u x , t o m b e r d a n s le p i é g e q u i l e u r était tendu... Si n o u s n e l a i s s i o n s p a s à n o t r e t é m o i g n a g e , d i s a i t - o n , l e p r e s t i g e d u sacrifice e t d u d é s i n t é r e s s e m e n t , la v a l e u r e n p o u v a i t ê t r e i n f i r m é e . E n t o u t e c h o s e , et à n o t r e é p o q u e

surtout,

c e n ' e s t p a s le p r e s t i g e q u i e s t efficace; c e s o n t les faits e t les a c t e s . L e s c o n v i c t i o n s q u e j e m a i n tiens et défends ne reposent pas sur des conject u r e s m o r a l e s ; elles r e p o s e n t s u r d e s faits positifs e t s u r les n o t i o n s les p l u s v u l g a i r e s d e la s c i e n c e


XXXV

é c o n o m i q u e . Elles se d é f e n d r o n t p a r e l l e s - m ê m e s a u x y e u x d e t o u s les h o m m e s q u i p e n s e n t e t q u i , au b e s o i n , savent agir. E t s i , p o u r faire a c c e p t e r c e q u i est v r a i e t b o n , il f a u t a v o i r , d e s o n c ô t é , c e q u e l'on n e d e m a n d e p a s a u x p r o p a g a n d i s t e s d e l ' e r r e u r , l'ép r e u v e d u d é s i n t é r e s s e m e n t et d u sacrifice, qu'il m e soit p e r m i s d e d e m a n d e r q u e l g a g e p l u s s é r i e u x je pouvais d o n n e r à mes c o n v i c t i o n s , q u e d'aller, de p r o p o s d é l i b é r é et l o r s q u e b i e n d ' a u tres voies m'étaient o u v e r t e s , leur livrer

mon

a v e n i r e t m e r é s o u d r e à le d i s p u t e r p i e d à p i e d à t o u s les g e n r e s d e r é s i s t a n c e ? — Ici e n c o r e les a d v e r s a i r e s d e la p e n s é e n o u v e l l e se s o n t t r o u v é s p r i s à l e u r p r o p r e p i é g e ; c a r p l u s s e r a i e n t f o n d é e s les i m p u t a t i o n s de cupidité dirigées c o n t r e l'auteur d e c e t t e p e n s é e , p l u s é v i d e m m e n t il s e r a i t p r o u v é que l'émancipation, conduite comme opération i n d u s t r i e l l e , n ' e s t p a s u n e si m a u v a i s e affaire , p u i s q u e d e s s p é c u l a t e u r s é h o n t é s s'y

engagent

a v e c u n c y n i s m e q u i fait r o u g i r les d é f e n s e u r s d e l'esclavage, aussi m o d e s t e s q u e désintéressés.

I l est u n a u t r e p o i n t s u r l e q u e l la r é s i s t a n c e a d i b.


XXXVI

rigé des attaques redoublées. Je veux parler des o p i n i o n s émises a u sujet d u n o u v e a u m o d e d e p o pulation et de culture, applicable aux régions tropicales. Les défenseurs d e l'ancien r é g i m e colonial e t les z é l é s d u p a r t i a b o l i t i o n n i s t e s e s o n t t r o u v é s d'accord

pour combattre l'introduction,

dans

ces contrées, de travailleurs de race européenne. O n p o u r r a v o i r p l u s l o i n ( p . 110 e t s u i v a n t e s ) à q u e l l e c a u s e il f a u t r a p p o r t e r les r é p u g n a n c e s d e s m e m b r e s d e X Anti-Slavery

society,

à Londres.

Ces r é p u g n a n c e s ne s'appuient pas sur u n n o m b r e d e faits assez significatifs e n e u x - m ê m e s e t suffis a m m e n t c o n t r ô l é s : Il n ' y a là q u ' u n e x c è s d e z è l e , e t c e t t e o p p o s i t i o n p r é c o n ç u e est d ' a u t a n t p l u s r e grettable, q u e l'introduction de travailleurs e u r o p é e n s d a n s les r é g i o n s t r o p i c a l e s e m p o r t e r a i t la solution d e trois q u e s t i o n s sociales d e p r e m i e r o r d r e , q u i d o i v e n t ê t r e a u j o u r d ' h u i la p r é o c c u p a t i o n c o n s t a n t e des p h i l o s o p h e s et des h o m m e s d'État d i g n e s d e ce n o m : l'abolition de la traite des

Noirs,

— l'abolition de l'esclavage des Noirs et des

autres

races opprimées,

— e t l'extinction

du

paupérisme,

cet autre g e n r e d'esclavage particulier a u x travailleurs européens.


XXXVII

L a t r a i t e o u immigration

forcée

des Noirs et

autres races sauvages et b a r b a r e s devient

un

m a u v a i s c o m m e r c e , u n e i n d u s t r i e r u i n e u s e , le j o u r o ù l ' i m m i g r a t i o n volontaire races, mais particulièrement

de toutes les

d e la r a c e e u r o -

p é e n n e , qui r e p r é s e n t e dans l'histoire d e

l'hu-

m a n i t é l'initiation a u travail agricole et m a n u facturier, vient fournir a b o n d a m m e n t aux régions t r o p i c a l e s les t r a v a i l l e u r s d o n t l ' o u v r a g e e s t l e m e i l l e u r e t se p a y e le m o i n s c h e r ( 1 ) . L e j o u r o ù s u r les m a r c h é s d ' e s c l a v e s il n ' y a p l u s d e d e m a n d e s , et où l'acheteur a intérêt à

repousser

l'offre d u v e n d e u r , il n ' y a p l u s n i t r a i t e n i t r a i tants. L ' e s c l a v a g e o u travail forcé

des N o i r s e t a u t r e s

races n'est plus qu'une lourde charge p o u r p r o p r i é t a i r e , d è s l o r s q u e l e travail

volontaire

d'un s a l a r i é , à prix d é b a t t u et p r o p o r t i o n n e l la t â c h e a c c o m p l i e , v i e n t s'offrir

le

à

spontanément

(1) Le travail libre est, en effet, moins cher que le travail esclave, soit en lui-même, soit parce qu'il n'exige pas la mise dehors et l'immobilisation d'un fonds considérable, et qu'il s'alimente par la rotation continue d'un faible capital de faisance valoir.


XXXVIII

e t le d é b a r r a s s e d e la c r u e l l e e t p o i g n a n t e f o n c t i o n d e c o n t r a i n d r e p a r le c h â t i m e n t u n t r a v a i l leur sans aptitude et sans b o n n e volonté. L e j o u r o ù l'esclavage s e r a p o r t é à perte

s u r les l i v r e s d u

p l a n t e u r c o l o n i a l , il n'y a u r a p l u s d ' e s c l a v e s . Les nombreuses paupérisme

et lamentables légions

du

e n E u r o p e se c o m p o s e n t d e m a l h e u -

reux et de c o u p a b l e s , des ouvriers qui n e peuv e n t pas o u qui n e peuvent plus t r o u v e r

de

travail, et de ceux q u i , ayant d'abord trouvé de l'emploi c o m m e salariés, sont déchus de ce dern i e r d e g r é de l ' é c h e l l e c i v i l e , p o u r t o m b e r d a n s le v a g a b o n d a g e , la m e n d i c i t é , le v i c e e t la m i s è r e . Q u e les c o u p a b l e s , s a n s ê t r e p r i v é s

des

b i e n f a i t s d e la r e l i g i o n e t d e la c h a r i t é , s o i e n t livrés à la p r é v o y a n c e d e l ' a d m i n i s t r a t i o n , à la s u r v e i l l a n c e d e la p o l i c e , à la j u s t i c e d e la l o i p é n a l e : r i e n d e m i e u x . M a i s les m a l h e u r e u x , d é n u é s de travail o u p o u r v u s d ' u n travail t r o p peu rémunérateur

pour leur subsistance,

les

m o r t s e t les b l e s s é s d e c e t t e g u e r r e i n d u s t r i e l l e que

l'on

n o m m e la c o n c u r r e n c e

commerce,

seraient

heureux

illimitée

de trouver

du une

issue s u r c e s t e r r e s v i e r g e s o ù la p r o p r i é t é s ' a c -


XXXIX

q u i e r t f a c i l e m e n t e t à b a s p r i x , o ù le t r a v a i l e s t g r a s s e m e n t r é m u n é r é , o ù la t e r r e p r o d u i t p r e s q u e d'elle-même d e u x ou m ê m e trois récoltes des s u b s t a n c e s n é c e s s a i r e s à l'aisance d e la v i e p h y s i q u e , o ù la d o u c e u r d e s s a i s o n s r é d u i t c o n s i d é r a b l e m e n t le chiffre d e s b e s o i n s . S'il é t a i t d é m o n t r é q u e la t e r r e d e s t r o p i q u e s e s t a c c e s s i b l e a u x t r a v a i l l e u r s d e r a c e e u r o p é e n n e , la v o i e la p l u s l a r g e , la p l u s f a c i l e , la p l u s f é c o n d e p o u r la p r o s p é r i t é i n d u s t r i e l l e , m a r i t i m e e t c o m m e r ciale d e s g r a n d e s n a t i o n s m a n u f a c t u r i è r e s , s e r a i t ouverte aux victimes innocentes d u paupérisme.

J e le d e m a n d e : d a n s t o u t c e p r é t e n d u m a t é r i a l i s m e i n d u s t r i e l , est-il q u e l q u e c h o s e q u i n e soit é m i n e m m e n t r e l i g i e u x , m o r a l , p o l i t i q u e , p h i l a n t h r o p i q u e ? Est-il r i e n d e p l u s l é g i t i m e m ê m e q u e d'offrir à u n e s o c i é t é o ù t r o p s o u v e n t l'int é r ê t e n t r a î n e la m o r a l e , d e s o p é r a t i o n s i n d u s trielles, des combinaisons

financières

et des spé-

c u l a t i o n s , si l'on v e u t , o ù la m o r a l e

entraîne

l'intérêt? C o m m e n t se fait-il d o n c q u e c h e z les A n g l a i s e u x - m ê m e s , c'est-à-dire, c h e z le p e u p l e o ù s o n t


XL

le m i e u x c o m p r i s e s les t r o i s q u e s t i o n s s o c i a l e s d o n t la s o l u t i o n s e r a t t a c h e à l ' a c c l i m a t e m e n t d e l a r a c e e u r o p é e n n e e n t r e o e t 35 d e g r é s d e l a t i t u d e N . e t S., l e s s o c i é t é s d e m o r a l e e t d e p h i l a n t h r o p i e aient o p p o s é , soit l'hostilité, soit l'indifférence à t o u t e tentative a y a n t ce caractère et cet objet? C e p e n d a n t ces t e n t a t i v e s , p o u r ê t r e c o n d u i t e s a v e c la m o r a l i t é e t la h a u t e u r d e v u e s nécessaires, auraient

besoin du concours

des

h o m m e s religieux. C'est u n m a l h e u r à d é p l o r e r s a n s d o u t e , m a i s n o u s s o m m e s disposés à voir dans cette opinion des sociétés abolitionnistes plutôt u n é g a r e m e n t d e l ' e s p r i t d e p a r t i q u ' u n d e c e s a r r ê t s définitifs d e l ' e x p é r i e n c e a u x q u e l s la r a i s o n d o i t se r e n d r e . Des faits, qui p e u v e n t passer p o u r témoignages confirmatifs de n o t r e opinion à cet é g a r d , sont consignés dans cette troisième publication. (Page 147 e t s u i v a n t e s . — Renseignements miers

résultats

africaine

de l'immigration

dans les colonies

sur les preeuropéenne

et

anglaises.)

L e s p i è c e s c o n c e r n a n t les p r e m i e r s r é s u l t a t s de l'immigration des travailleurs de toute race q u i a e u l i e u d a n s les I n d e s O c c i d e n t a l e s a n -


XLI

glaises d e p u i s l ' é m a n c i p a t i o n , a t t e s t e n t : 1° q u ' i l n ' a é t é fait a u c u n e t e n t a t i v e r é g u l i è r e e t d i r e c t e ayant pour b u t principal l'acclimatement de

la

r a c e e u r o p é e n n e ; 2° q u e les faits d e c e g e n r e q u i se s o n t p r o d u i t s , i s o l é m e n t et à t o u t h a s a r d , a u lieu d ' ê t r e d é c o u r a g e a n t s , l a i s s e n t a u contraire beaucoup

d'espérance.

11 n e r e s t e p l u s q u ' u n sujet d e s u r p r i s e , c ' e s t q u e l'immigration européenne, précisément parce q u ' e l l e excitait la m é f i a n c e d u p a r t i a b o l i t i o n n i s t e , n ' a i t p a s a t t i r é p l u s q u ' e l l e n e l'a fait j u s qu'ici l'attention

des planteurs

anglais. E n

y

pensant un p e u , on ne tarde pas cependant à s'apercevoir q u e , m ê m e après l'accomplissement d e l ' é m a n c i p a t i o n , les p l a n t e u r s ( A n g l a i s , F r a n çais o u a u t r e s ) e n g a g é s d a n s l ' a n c i e n s y s t è m e d e c u l t u r e , é p u i s e r o n t t o u t e s les c o m b i n a i s o n s a v a n t d ' a r r i v e r à faire l'essai d u

travail de

la

race

b l a n c h e a v e c le s o i n , la p e r s é v é r a n c e et les p r e miers

d é b o u r s nécessaires

au succès. —

Les

planteurs sont habitués depuis plusieurs génér a t i o n s à e m p l o y e r la r a c e n o i r e , e t , ici

comme

e n t o u t e c h o s e , l'habitude est d e v e n u e u n e sec o n d e n a t u r e . L ' e m p l o i d e la r a c e e u r o p é e n n e e t


XLII

d u travail s a l a r i é s u p p o s e , e n o u t r e , u n e r é v o l u t i o n r a d i c a l e d a n s les p r o c é d é s d e g e s t i o n , d e culture et de fabrication, dans p r e s q u e toutes les c o n d i t i o n s d e la vie d o m e s t i q u e e t c i v i l e ; il tend

à substituer, dans l'économie

rurale,

la

p o n d é r a t i o n d e s i n d u s t r i e s a u s y s t è m e exclusif. Q u a n t aux p l a n t e u r s français, après ce q u i vient d'être d i t , leur o p p o s i t i o n n'a pas besoin d'être expliquée. Cette opposition dérive des

mêmes

habitudes, des m ê m e s intérêts, des m ê m e s causes. A t o u t cela v i e n t se j o i n d r e e n c o r e , p o u r

les

planteurs français, u n e nouvelle raison d e résister. L ' é m a n c i p a t i o n d a n s n o s colonies n'est e n c o r e n i d é c i d é e n i v o t é e , e t , p o u r les p l u s c l a i r v o y a n t s d ' e n t r e c e u x q u i se p r o c l a m e n t les a m i s d e s c o l o n s et q u i s o n t a c c e p t é s c o m m e t e l s , elle est a u m o i n s ajournée à long t e r m e . Or, aussi longtemps que

l'esclavage

s u b s i s t e e t q u e la

v a l e u r v é n a l e d e l'esclave n'est p a s d é f i n i t i v e m e n t fixée p a r u n e loi d ' i n d e m n i t é , l ' a t e l i e r d ' e s c l a v e s représente

la p a r t i e la p l u s c l a i r e e t la p l u s

l i q u i d e d u c a p i t a l d e s p l a n t a t i o n s . Il est é v i d e n t q u e le c a p i t a l a b s o r b é e t i m m o b i l i s é d a n s les a t e liers d ' e s c l a v e s

subirait

une détérioration

fort


XLIII

r a p i d e , et deviendrait

peu à peu u n e véritable

n o n - v a l e u r , s'il a r r i v a i t q u e le t r a v a i l v o l o n t a i r e d ' u n e r a c e , b i e n s u p é r i e u r e à la r a c e n o i r e p a r ses h a b i t u d e s d e c i v i l i s a t i o n , p a r la q u a l i t é

et

p e u t - ê t r e m ê m e p a r la q u a n t i t é d ' o u v r a g e q u ' e l l e p e u t f o u r n i r , s e m î t à la d i s p o s i t i o n d e l ' e n t r e preneur de culture

aux

colonies, sans exiger

l'avance d'un capital et m o y e n n a n t

un

simple

f o n d s d e r o u l e m e n t q u e le m o u v e m e n t d u c o m m e r c e p e u t faire r e n t r e r e n caisse a u m o i n s u n e fois t o u s les six m o i s . A u t a n t est l é g i t i m e l ' o p p o s i t i o n d e s p l a n t e u r s à laisser d é p r é c i e r s a n s c o m p e n s a t i o n s u f f i s a n t e , par

l'invasion

du

nouveau régime, une

pro-

p r i é t é s a n c t i o n n é e p a r la loi e t p a r l ' u s a g e , a u t a n t e s t s a c r é p o u r e u x le d r o i t d e r e c e v o i r u n e i n d e m n i t é e t p o u r l ' É t a t le d e v o i r d e r é g l e r c o n venablement cette indemnité, autant sont mal f o n d é e s les r a i s o n s , — q u e dis-je? les r a i s o n s — les p r é t e x t e s q u ' i l s a l l è g u e n t p o u r r é s i s t e r à l'introduction de n o u v e a u x travailleurs européens. Les p r é t e x t e s d e cette o p p o s i t i o n s o n t l'insal u b r i t é du c l i m a t e t l'intérêt t o u t p h i l a n t h r o p i q u e q u e l'on p r o f e s s e en f a v e u r d e la r a c e e u r o p é e n n e .


XXIV

Ces p r é t e x t e s n e s o n t q u e d e s a r m e s d a n g e r e u s e s p o u r les i n t é r ê t s d e s c o l o n s : c'est d é p r é c i e r le sol

e t la propriété

tant bien que

- territoriale

pour

maintenir,

m a l , la v a l e u r d e la

propriété-

homme. C e q u i a d e la p o r t é e , c e q u i c o m p t e e t c e q u i p è s e d a n s l ' e s p r i t d e s h o m m e s p o s i t i f s , c'est la raison très-plausible qu'avant d e

s'embarquer

d a n s les e x p é r i e n c e s d u n o u v e a u r é g i m e , il c o n v i e n t d e r é g l e r la v a l e u r d e la p r o p r i é t é , d ' e n faciliter la l i q u i d a t i o n , e t d ' a s s u r e r , e n c e q u i c o n c e r n e les e s c l a v e s é m a n c i p é s , l e s m e i l l e u r e s conditions de travail. L ' i n d e m n i t é n ' e s t p a s s e u l e m e n t la d e t t e d ' u n gouvernement régulier o p é r a n t , en pleine paix c i v i l e , u n e r é f o r m e o ù les i n t é r ê t s d e la p r o p r i é t é s o n t m i s e n q u e s t i o n : l ' i n d e m n i t é est la condition essentielle d u succès d e l'émancipation, d e q u e l q u e m a n i è r e q u ' o n la v e u i l l e a c c o m p l i r . L o r s q u ' i l s'agit d ' e x p o s e r o u d ' a p p l i q u e r

le

n o u v e a u m o d e d e p o p u l a t i o n e t d e c u l t u r e , la j u s t i c e , la n é c e s s i t é e t la c o n v e n a n c e d e l ' i n d e m n i t é n e sont d o n c pas e n cause. Le vote d e l'indemnité sera m ê m e d'autant plus assuré, qu'il


XLV

sera possible d'espérer q u e l'État trouvera, dans l e s b é n é f i c e s d ' u n n o u v e a u r é g i m e , la c o m p e n s a t i o n d e s d é p e n s e s q u ' i l a u r a faites p o u r e x é c u t e r la r é f o r m e . Les défenseurs avoués des intérêts coloniaux p e n s e n t q u ' i l est d e b o n n e t a c t i q u e d ' a p p u y e r les j u s t e s r é c l a m a t i o n s d e l ' i n d e m n i t é s u r l ' h y p o t h è s e d e la r u i n e p r o b a b l e d e s c u l t u r e s c o l o n i a l e s a p r è s l ' é m a n c i p a t i o n . Morituri

te

salutant,

a d i t , d a n s u n d e ses d i s c o u r s officiels, u n o r a t e u r d e la c a u s e c o l o n i a l e . N o u s n ' e n t e n d o n s p a s d e c e t t e m a n i è r e la r é g é n é r a t i o n d u c r é d i t et d e la p r o s p é r i t é d e s c o l o n i e s , n i la d é f e n s e d e l e u r s légitimes intérêts, q u i

sont

i n t é r ê t s n a t i o n a u x . Vœ victis!

aussi d e

grands

est u n e allusion

n o n m o i n s c l a s s i q u e q u i a u r a i t p u se p r é s e n t e r avec

autant

rateur

que

d ' à - p r o p o s à la m é m o i r e d e nous

venons

de

citer. D a n s

l'oles

c h a m p s d e b a t a i l l e d e l ' i n d u s t r i e e t d e la d i s c u s s i o n p a r l e m e n t a i r e , o n d i t a u s s i : Malheur vaincus!

aux

et, à la C h a m b r e d e s d é p u t é s , l'on n ' a i m e

p a s les c a u s e s p e r d u e s , p a s p l u s q u ' à la B o u r s e l'on n ' a i m e les g e n s r u i n é s . Les a m i s v é r i t a b l e s d e s p l a n t e u r s , les b o n s

c i t o y e n s d e la F r a n c e


XLVI

d'outre-mer, sont d o n c , à nos y e u x , ceux

qui

croient à l'avenir de leur pays, et q u i , p r é p a r a n t c e t a v e n i r p a r l e u r t r a v a i l , se d i s p o s e n t à t r a verser courageusement

la c r i s e d e s

réformes.

C e u x - l à n e s ' o b s t i n e n t p a s à fixer les l i m i t e s d u p r o g r è s d e la c u l t u r e e t d e l'état s o c i a l , d a n s le nouveau monde découvert par Colomb, aux inst i t u t i o n s civiles e t a u x p r o c é d é s a g r i c o l e s q u i se s o n t é t a b l i s a u p r e m i e r siècle d e la d é c o u v e r t e .

M a l g r é t o u s c e s o b s t a c l e s , la p e n s é e n o u v e l l e , depuis que

son p r e m i e r travail a c o m m e n c é ,

a-t-elle r é t r o g r a d é , o u

b i e n a-t-elle suivi

m a r c h e ascendante et progressive? — O n

une peut

assez b i e n a u g u r e r , à c e t é g a r d , d e c e q u i s ' e s t passé en F r a n c e , en Belgique, e n Hollande. L ' A n g l e t e r r e a fait, d e s o n c ô t é , q u e l q u e s eff o r t s . Il y a d é j à p l u s i e u r s a n n é e s , u n e

société

s'est f o r m é e à L o n d r e s s o u s le t i t r e d e

Société

pour l'immigration

(West

aux

Indes

Occidentales

India i m m i g r a t i o n Society). L e b u t d e cette s o ciété, qui ne semble pas très-bien est d ' a p p e l e r

s u r les t e r r e s h a u t e s

constituée, des

mon-


XLVII

t a g n e s de la J a m a ï q u e u n e p a r t i e d e c e t t e é m i g r a t i o n qui se p o r t e au C a n a d a , a u x États-Unis e t d a n s l ' O c é a n i e . L e m o u v e m e n t q u i se fait, d e p u i s vingt o u t r e n t e ans, dans l'Océanie anglaise, d a n s la N o u v e l l e - H o l l a n d e , d a n s la t e r r e d e V a n D i e m e n e t d a n s la N o u v e l l e - Z é l a n d e , e t q u i est s a n s c o n t r e d i t u n d e s p l u s b e a u x faits d e l ' h i s toire d u m o n d e , a imprimé à l'émigration glaise u n e

direction

si p u i s s a n t e , q u ' i l

difficile, m ê m e à u n e s o c i é t é m i e u x q u e la Société tales,

d'immigration

aux Indes

an-

serait

organisée Occiden-

de d é t o u r n e r ce grand courant industriel

vers d'autres régions. Quoi qu'il en soit, cette Société c o n t i n u e son œ u v r e et p r é t e n d y réussir. A la d a t e d u 25 j u i n 1841, elle a v a i t d é j à t r a n s p o r t é à la J a m a ï q u e 800

émigrants, partis des

docks d e L o n d r e s . Les r e n s e i g n e m e n t s ultérieurs m e m a n q u e n t . Plusieurs autres tentatives partielles o n t e u lieu à la J a m a ï q u e m ê m e e t à S a i n t e Lucie. Les résultats n ' o n t rien de fâcheux, ainsi q u ' o n p e u t le v o i r e n p a r c o u r a n t l e s d o c u m e n t s officiels i n s é r é s p l u s l o i n . ( P a g e s 147 à 1 6 2 , e t p a g e 199.) J e n ' i n s i s t e r a i p a s n é a n m o i n s s u r ces t e n t a t i v e s , p a r c e q u e le G o u v e r n e m e n t Anglais


XLVVIII e t les L é g i s l a t u r e s c o l o n i a l e s n ' o n t p a s e n c o r e p r i s d e p a r t i décisif q u a n t à la q u e s t i o n d u t r a vail d e la r a c e

e u r o p é e n n e . D'ailleurs, ce qui

s'est fait e n A n g l e t e r r e e s t s a n s lien a v e c c e q u i a été proposé au

Gouvernement

Français, dès

l e 9 n o v e m b r e 1840 (1). I l n ' e n est p a s d e m ê m e d e la f o r m a t i o n d ' u n e Compagnie

belge

de colonisation,

qui a placé son

premier établissement à Santo-Thomas de Guatem a l a , ni de l'expérience c o m m e n c é e p a r o r d r e d u r o i d e H o l l a n d e d a n s la c o l o n i e d e S u r i n a m . Je ne m'arrête pas à u n e vaine prétention de p r i o r i t é , m a i s il c o n v i e n t d u m o i n s d e p r é s e n t e r l e s faits t e l s q u ' i l s s e s o n t p a s s é s .

L ' a r r ê t é d u r o i d e H o l l a n d e q u i a u t o r i s e les p a s t e u r s J.-H. B e t t i n g , A. V a n d e n B r a n d h o f f e t D . C o p y n à i n t r o d u i r e d a n s la G u y a n e h o l l a n d a i s e , a u x frais d e l ' É t a t e t s u r d e s t e r r a i n s c o n c é d é s p a r le G o u v e r n e m e n t , c i n q u a n t e familles

(1) Lettre à Son Excellence le Ministre de la Marine et des Colonies. — (Études et avant-projet d'une institution financière, etc., etc.)


XLIX

d e c u l t i v a t e u r s e u r o p é e n s , est d a t é d u 25 j a n v i e r 1843. ( V o i r p l u s l o i n , p a g e

184.)

A u m o i s d e m a r s 1840, a u r e t o u r d u v o y a g e d ' e x p l o r a t i o n q u e j ' a i fait d a n s les c o l o n i e s , j ' e u s l'occasion d'entretenir M. de R o c h u s s e n , alors à P a r i s p o u r la n é g o c i a t i o n d u t r a i t é d e c o m m e r c e e n t r e la F r a n c e e t la H o l l a n d e , d e s r i c h e s s e s n a turelles d e la colonie d e S u r i n a m q u e j e venais d e v i s i t e r , e t d e s m o y e n s n o u v e a u x q u e l'on p o u r rait t r o u v e r d ' a u g m e n t e r , d e toutes ces richesses, le d o m a i n e d e la r a c e e u r o p é e n n e . M . d e R o c h u s s e n p a r u t f r a p p é d e s c o n s i d é r a t i o n s q u i se p r é s e n t a i e n t à l ' a p p u i d e c e t t e p e n s é e , et m e d e m a n d a l'autorisation de c o m m u n i q u e r à son G o u v e r n e m e n t q u e l q u e s - u n e s des pièces o ù ces considérations étaient

développées. Je

m'em-

pressai d'aller a u - d e v a n t d e t o u s ses désirs à cet égard, heureux de pouvoir, en quelque chose, t é m o i g n e r m a g r a t i t u d e p o u r t o u t c e q u e le G o u v e r n e m e n t h o l l a n d a i s a b i e n v o u l u faire à S u r i n a m d a n s le b u t d e faciliter m e s é t u d e s e t m e s recherches. Les résultats

de

l'expérience

d o n n é e p a r le r o i d e H o l l a n d e , a t t e n d u s i m p a t i e n c e , n e sont pas encore connus. C

oravec


L

D e t o u t e s les n a t i o n s , la B e l g i q u e est la m i e u x p l a c é e p o u r faire l'essai d ' u n n o u v e a u m o d e d e p o p u l a t i o n e t d e c u l t u r e , la p l u s i n t é r e s s é e à l a fondation de colonies de grande c o n s o m m a t i o n , c'est-à-dire,

peuplées de consommateurs

euro-

péens. Une tentative exécutée par cette nation, q u i s e t r o u v e e n t i è r e m e n t d é g a g é e , s o u s le r a p p o r t colonial, des précédents, des intérêts et des résistances d'un régime établi, serait u n excellent moyen

d ' e x p é r i m e n t a t i o n . J e l'ai p e n s é d è s l e

p r i n c i p e , et cette proposition, portée à Bruxelles v e r s la fin d e l ' a n n é e 1839, f u t a c c u e i l l i e a v e c b i e n v e i l l a n c e p a r Sa M a j e s t é le r o i d e s Belges e t par M. N o t h o m b , alors ministre des travaux p u b l i c s . E n d e h o r s d e la s p h è r e officielle, il s e f o r m a u n Comité de colonisation,

o r g a n i s é p a r les

soins d e M. le c o m t e Félix d e M é r o d e et

de

M . le c o m t e A r r i v a b e n e . A l o r s il n ' y a v a i t g u è r e u r g e n c e d ' o c c u p e r la F r a n c e d e c e s q u e s t i o n s . La colonisation de l'Algérie n'était pas

même

c o m m e n c é e , e t l ' o n p o u v a i t d é c l a r e r à la t r i b u n e d e la C h a m b r e d e s D é p u t é s , s a n s y t r o u v e r

de

c o n t r a d i c t e u r s , q u e « la F r a n c e n ' a v a i t p a s d e place sur l'Océan. »


LI

L a Compagnie

belge

de colonisation

a été or-

g a n i s é e le 7 o c t o b r e 1841, s o u s le p a t r o n a g e d e Sa M a j e s t é le roi d e s Belges, p a r u n a r r ê t é c o n t r e signé de M. N o t h o m b , et en g r a n d e partie p a r l e s s o i n s d e M. le c o m t e F é l i x d e M é r o d e e t d e M . le c o m t e A r r i v a b e n e . — Se p l a ç a n t e n d e h o r s d e t o u s les p r é c é d e n t s d e l ' a n c i e n r é g i m e d e t r a i t e e t d ' e s c l a v a g e , elle a c h o i s i p o u r s i é g e d ' u n p r e mier établissement de colons européens,

une

p r o v i n c e d e l'État d e G u a t e m a l a , située p a r le e

10

degré d e latitude, et par c o n s é q u e n t

plus

r a p p r o c h é e d e la l i g n e é q u i n o x i a l e q u e la G u a d e l o u p e e t la M a r t i n i q u e , q u i se t r o u v e n t 0

16 e t 1 7 . S'il f a u t e n c r o i r e

les

par

témoignages

f a v o r a b l e s q u i se m u l t i p l i e n t d a n s la p r e s s e d e P a r i s , le d i s t r i c t d e S a n t o - T h o m a s , s i t u é à p e u d e distance de Guazacoalco, où quelques Français ont voulu naguère fonder u n établissement, et à p e u p r è s s o u s la m ê m e l a t i t u d e , a u r a i t d o n c d é m e n t i , a u d i r e d e ceux-là m ê m e s q u i o n t p r o d u i t c e s i n d u c t i o n s , t o u t e s les i n d u c t i o n s f u n e s t e s t i r é e s d e la t e n t a t i v e d e n o s c o m p a t r i o t e s , si m a l c o n ç u e e t si m a l o r d o n n é e . U n é t a b l i s s e m e n t f r a n ç a i s , c r é é e

e n t r e le 4 e t le 6

e

degré de latitude, et dans u n e

c.


LII

c o n t r é e d o n t les c o n d i t i o n s c l i m a t é r i q u e s s o n t à p e u p r è s les m ê m e s q u e celles d e S a n t o - T h o m a s , ne manquera p a s , nous l'espérons, de produire les m ê m e s résultats et d e s'attirer e n t e m p s utile la m ê m e faveur. E n t i è r e m e n t é t r a n g e r à ce q u i s'est passé e n B e l g i q u e d e p u i s la f o r m a t i o n d u

Comité pré-

s i d é p a r M . le c o m t e d e M é r o d e , j e m ' a b s t i e n d r a i d ' é m e t t r e a u c u n e o p i n i o n s u r l ' œ u v r e d e la C o m pagnie belge.

J e m e b o r n e à faire d e s v œ u x

p o u r s o n s u c c è s , d o n t la r é f r a c t i o n s e p o r t e r a s u r c e q u ' i l s'agit m a i n t e n a n t d ' e x é c u t e r p o u r la G u y a n e française.

D e p u i s l ' a n n é e 1840, la s i t u a t i o n d e la F r a n c e a b i e n c h a n g é e n t o u t c e q u i se r a p p o r t e a u x q u e s t i o n s m a r i t i m e s et coloniales. L o i n d e se m o n t r e r p e u s o u c i e u x d u m a i n t i e n et d u dével o p p e m e n t d e ses possessions

d'outre mer,

le

G o u v e r n e m e n t français a p r o u v é q u ' i l s o n g e p l u t ô t à les é t e n d r e . L o i n d e v o u l o i r

restreindre

l ' a c t i o n n a v a l e d e la F r a n c e à la M é d i t e r r a n é e , le G o u v e r n e m e n t d e 1830 a n o y é d a n s les flots


LUI

du grand Océan cette misérable politique

des

m a u v a i s j o u r s d e la R e s t a u r a t i o n . L'occupation d e Nossé-Bay et de M a y o t t e , et l ' é t a b l i s s e m e n t d e p o s t e s fortifiés e t d e

comp-

t o i r s c o m m e r c i a u x s u r les c ô t e s d ' A f r i q u e , s o n t e n c o r e d e s faits d i g n e s d ' a t t e n t i o n . Mais l ' i n d i c e le p l u s c e r t a i n d e c e m o u v e m e n t d e r é n o v a t i o n c o l o n i a l e , c'est, s a n s c o n t r e d i t , la création de plusieurs Commissions importantes d o n t n o u s avons parlé p l u s h a u t , et particulièm e n t d e la C o m m i s s i o n q u i a é t é f o r m é e p o u r s ' o c c u p e r d e la s i t u a t i o n p o l i t i q u e d e s c o l o n i e s e t d u r é g i m e d e l'esclavage (1). L e s a n n a l e s p a r l e m e n t a i r e s d e la F r a n c e , q u i c o m p t e n t déjà u n g r a n d n o m b r e de d o c u m e n t s remarquables,

n'ont

pas d'oeuvre p l u s solen-

nelle et plus approfondie q u e le travail de cette Commission

et le R a p p o r t

rédigé

par M.

le

(1) Le travail de cette Commission, publié par le Département de la Marine et des Colonies, forme 4 vol. in-4°. Procès-verbaux, l partie, du 4 au 18 juin 1840; 2 part.,du 22 déc. 1840 au 12 mai 1841; 3 part., du 31 janv. au 30 mai 1842 ; Rapport de M. le duc de Broglie, 1 vol. de 434 pages. r e

e

e


LIV

d u c de Broglie.

L'expérience

accomplie par l'Angleterre,

a

d'émancipation, été étudiée

du

p o i n t d e v u e le p l u s é l e v é e t le p l u s i m p a r t i a l . L a C o m m i s s i o n a fait m i e u x q u e d e p o r t e r , s u r cette expérience, un jugement qui peut être considéré

c o m m e s a n s a p p e l : elle a i n d i q u é

m o y e n s d'éviter

les froissements q u i o n t

les eu

lieu. L ' e s c l a v a g e , c o n d a m n é e n p r i n c i p e p a r la r e l i g i o n , p a r la m o r a l e e t p a r l ' é c o n o m i e p o l i t i q u e , e s t a u j o u r d ' h u i c o n d a m n é e n fait p a r le

Gou-

v e r n e m e n t français. L e d r o i t d e s p l a n t e u r s e t le d e v o i r du G o u v e r n e m e n t , q u a n t à l ' i n d e m n i t é , r e c o n n u s p a r la r e l i g i o n , p a r la m o r a l e e t p a r l ' é c o n o m i e p o l i t i q u e , s o n t a u s s i r e c o n n u s , e n f a i t , p a r le G o u v e r n e ment. Il n'est d o n c plus possible d e c o m b i n e r , s u r u n e colonie française, de nouvelles

opérations

q u i reposent sur l'ancien m o d e de population et de culture. En

m ê m e t e m p s , l e sacrifice

financier

que

l ' É t a t e s t d é t e r m i n é à faire p o u r p a y e r sa p a r t contributive dans l'œuvre expiatoire peut don-


LV n e r ouverture à des combinaisons avantageuses. E n c e q u i c o n c e r n e la r é f o r m e

économique

d e l ' a n c i e n r é g i m e c o l o n i a l , u n t r a v a i l à la fois i n g é n i e u x e t positif a é t é p u b l i é p a r M . P a u l D a u b r é e , s u r la c o n v e n a n c e e t la p o s s i b i l i t é d ' o pérer,

dans l'industrie

d u s u c r e d e c a n n e s , la

séparation du travail d e c u l t u r e et d u travail d e fabrication. A la s u i t e d e c e t r a v a i l , e t e n m ê m e t e m p s q u e M. P a u l D a u b r é e fait l u i - m ê m e , a v e c u n c e r t a i n s u c c è s , l ' a p p l i c a t i o n d e ses i d é e s à la G u a d e l o u p e , u n e C o m p a g n i e s ' e s t f o r m é e s o u s le t i t r e d e Compagnie

des Antilles

pour la fabrication

L e conseil d'administration

du

sucre.

de cette C o m p a -

g n i e est c o m p o s é d ' h o m m e s c o m p é t e n t s e t d é v o u é s a u x i n t é r ê t s d e s c o l o n i e s . Ses p r e m i è r e s opérations, conduites avec p r u d e n c e , se présent e n t , dit-on, sous des auspices favorables. L a c r é a t i o n d e c e t t e C o m p a g n i e , si elle s ' é t a b l i t et p r o s p è r e , s e r a u n fait é m i n e m m e n t favor a b l e a u p e r f e c t i o n n e m e n t d e la p r o d u c t i o n e n q u a n t i t é e t e n q u a l i t é , à la r é d u c t i o n d e s frais g é n é r a u x , et, p a r c o n s é q u e n t , à

l'abaissement

d u p r i x d e r e v i e n t d e la d e n r é e . L e s o p é r a t i o n s


LVI

d e la C o m p a g n i e a u r o n t p o u r effet d e faciliter les t r a n s a c t i o n s s u r la p r o p r i é t é f o n c i è r e ; elles donneront aux terres cultivables, m ê m e q u ' i l s'agira d e l ' i n d u s t r i e d u s u c r e , u n e

lorsvaleur

i n d é p e n d a n t e des b â t i m e n t s et des usines, ind é p e n d a n t e aussi d u n o m b r e d e s e s c l a v e s , p u i s q u e les libres p o u r r o n t ê t r e appelés à cultiver m o y e n n a n t s a l a i r e . E n c e s e n s e n c o r e , elles f a voriseront

beaucoup

la

solution

d'une

des

g r a n d e s difficultés d e la s i t u a t i o n a c t u e l l e d e s c o l o n i e s , s a v o i r , la difficulté d e p r o c u r e r

du

travail a u x noirs et g e n s d e c o u l e u r déjà r e n d u s à la l i b e r t é . L a Compagnie

des Antilles

est,

en un

mot,

u n p r e m i e r jalon placé, p a r les intéressés euxm ê m e s , s u r la v o i e d e l ' é m a n c i p a t i o n

e t d e la

réforme économique. M a i s , a p r è s t o u t , l'édification d e s u s i n e s cent r a l e s e s t - e l l e le m o y e n le p l u s efficace

pour

a m e n e r l e s u c r e d e c a n n e s à l u t t e r c o n t r e la c o n c u r r e n c e si r e d o u t a b l e q u e le s u c r e d e b e t t e r a v e s e s t e n m e s u r e d e l u i o p p o s e r , soit a u j o u r d ' h u i s o u s le r é g i m e d e l ' i n é g a l i t é

d'impôt

en faveur d u s u c r e d e b e t t e r a v e s , soit d e m a i n


LVII

l o r s q u e s e r a v e n u le t e r n i e e n c o r e t r o p é l o i g n é d e la p é r é q u a t i o n (1)? L e s u c r e d e b e t t e r a v e s ,

(1) Ce passage était écrit lorsque l'Administration a p u blié un document duquel il résulte q u e , depuis le vote de la loi de 1843, qui n'est pas encore appliquée, le nombre des fabriques de sucre de betteraves et la production de cette denrée ont diminué d'une manière assez notable. A la fin de novembre de cette année, la situation de l'industrie betteravière présente, sur les chiffres de l'année précédente, une différence de 48 fabriques et de 1,580,498 kilogr. de sucre. La simple imminence d'une première application de la loi de 1843 aurait produit ce double fait. Par là serait infirmée notre assertion, que le sucre de betteraves peut supporter immédiatement l'égalité fiscale avec le sucre de cannes, et qu'à ce compte même, la situation de l'industrie sucrière métropolitaine vis-à-vis d e l'industrie sucrière coloniale serait encore privilégiée. Nonobstant les faits qui viennent d'être cités, nous pensons que l'on serait mal fondé à conclure que l'avenir de l'industrie betteravière est réellement menacé par la nouvelle loi. — Une diminution pourrait se manifester au commencement de la lutte, et n'avoir d'autre effet que d'assurer une nouvelle victoire à l'industrie métropolitaine en stimulant le génie de la science et les efforts des producteurs. C'est ainsi que depuis le vote de la loi de 1843, on remarque de toutes parts un grand mouvement parmi les chimistes industriels. Déjà la théorie annonce de très-beaux résultats, et les manufacturiers commencent à eu faire leur profit. Mais on peut aller plus l o i n , et contester, sinon la réalité des chiffres donnés par l'Administration, du moins leur signification en tant qu'elle serait réellement défavorable à l'industrie betteravière. La diminution des fabri-


LVIII

q u i a u r a i t s u p p o r t é la p e r é q u a t i o n

immédiate

d e l ' i m p ô t , la s u p p o r t e r a b i e n m i e u x et b i e n plus facilement,

si elle n ' a r r i v e p a s a v a n t

le

ques n'est pas, en elle-même, un signe certain de détresse dans cette industrie; son progrès consistera, au contraire, à diminuer de plus en plus le nombre des usines et à augmenter le nombre des champs cultivés en betteraves. Ainsi beaucoup de petites fabriques, qui déjà auraient été fermées par leurs propriétaires sans la perspective de la loi de suppression avec indemnité, ont dû terminer leur existence factice aussitôt leur espoir déçu par le vote d'une loi de peréquation graduelle, sans que cette clôture des fabriques implique un état périclitant de la grande industrie betteravière. Ces changements entraîneront sans doute une crise, mais elle sera tout à fait passagère. Telle est du moins l'opinion de personnes très-versées dans la connaissance pratique de l'industrie coloniale et de l'industrie métropolitaine, et nous sommes tout à fait de cet avis. En tout c a s , c'est un point à éclaircir sans délai dans l'intérêt des planteurs de nos colonies, afin qu'ils ne se reposent pas encore sur des espérances illusoires. Plus on approfondira la question, plus la chimie industrielle trouvera occasion de développer sa puissance par la lutte, plus facilement on reconnaîtra que la véritable égalité fiscale entre les deux sucres n'est pas seulement dans la peréquation de l'impôt, mais dans la liberté de perfectionner et de raffiner, qui doit être laissée au sucre de cannes, comme elle est acquise au sucre de betteraves. Et, cette égalité fiscale obtenue, il restera encore au sucre de betteraves tous les priviléges que nous signalons.


LIX t e r m e fixé p a r la loi d e 1 8 4 3 . L e s u c r e d e

bet­

teraves a, en effet, de g r a n d s avantages indus­ triels, et ces a v a n t a g e s font plus q u e c o m p e n s e r , ils d o m i n e n t les i n é g a l i t é s n a t u r e l l e s d e p l a n t e et d e

sol

qui existent en

faveur du sucre de

cannes. Supériorité des travailleurs en n o m b r e et en a p t i t u d e ;— b o n m a r c h é r e l a t i f d u t r a v a i l e t d e s capitaux; —

a b o n d a n c e d e p o p u l a t i o n (1); —

disponibilité de l'ouvrier sans d é b o u r s prélimi­ n a i r e d e c a p i t a l ;— r é p a r t i t i o n d e s efforts e t d e s d é p e n s e s d e la p r o d u c t i o n , n o n - s e u l e m e n t

en­

t r e le c u l t i v a t e u r e t le m a n u f a c t u r i e r , m a i s e n t r e le p r o p r i é t a i r e , l o c a t e u r d e la t e r r e , e t le fer­ mier, simple cultivateur; — marché direct p o u r la v e n t e d e s p r o d u i t s e t p o u r l ' a c h a t d e s o b j e t s d e c o n s o m m a t i o n ;— s u p é r i o r i t é d e s r e s s o u r c e s t e c h n o l o g i q u e s et m é c a n i q u e s : tels s o n t , indé­ p e n d a m m e n t d u privilége

fiscal,

les p r i v i l é g e s

industriels d u s u c r e d e b e t t e r a v e s s u r le sucre de cannes. (1) L e seul département du Nord contient une population quatre fois supérieure à la population réunie de nos quatre colonies à sucre.


LX

Ces p r i v i l é g e s , il e s t v r a i , s o n t c e u x d e la c i v i l i s a t i o n s u r la b a r b a r i e ;

m a i s ils

pouvaient

d e p u i s assez l o n g t e m p s , e t , a u j o u r d ' h u i

surtout,

ils p e u v e n t e t d o i v e n t suffire a u m a i n t i e n

du

s u c r e d e b e t t e r a v e s , si t a n t e s t q u e le m a i n t i e n d e c e t t e p r o d u c t i o n n e s o i t p a s un

désavantage

à la fois p o l i t i q u e , i n d u s t r i e l et fiscal. Travail volontaire ; — division, ou, d u m o i n s , d i v i s i b i l i t é d e la propriété-terre; propriété-homme

— l i b é r a t i o n d e la

; — abondance de bras ; — capi-

t a u x à b o n m a r c h é : telles s o n t a u j o u r d ' h u i les a r m e s d o n t le sucre d e c a n n e s doit être m u n i p o u r s o u t e n i r la l u t t e e t p o u r r e m p o r t e r s u r l e s u c r e d e betteraves le

triomphe

certain et

durable

q u ' a u m o y e n d ' u n e j u s t e égalité d a n s les i n s t r u m e n t s d e t r a v a i l e t d a n s les a u t r e s c o n d i t i o n s i n d u s t r i e l l e s d e la p r o d u c t i o n , l e sol e t la

plante

d e s t r o p i q u e s d o i v e n t r e m p o r t e r s u r le sol e t la plante

des zones dites

tempérées.

A i n s i le m o d e d e f a b r i c a t i o n d u

sucre que

les p r o m o t e u r s d e s u s i n e s c e n t r a l e s v e u l e n t i n t r o d u i r e d a n s les c o l o n i e s n ' e s t q u ' u n brement

du nouveau

mode

démem-

de culture et

de

population q u e n o u s développons dans son e n -


LXI

s e m b l e . En s e r e n f e r m a n t d a n s la q u e s t i o n t e c h n o l o g i q u e (1), o n a p u se soustraire à l'opposition systématique

des partisans de l'ancien r é -

g i m e c o l o n i a l ; o n a r e n d u la r é f o r m e , e n a p p a rence,

p l u s facile.

Mais a - t o n

véritablement

c o m m e n c é p a r le c o m m e n c e m e n t ,

et

abordé

les difficultés q u ' i l i m p o r t e le p l u s d e r é s o u d r e d a n s l'intérêt m ê m e des colonies et des

plan-

t e u r s ? C'est c e q u e j e n e p e u x p a s c o n c é d e r . Lorsqu'on voudra changer favorablement

la

s i t u a t i o n d e s c o l o n i e s , e t m ê m e é g a l i s e r le c o m b a t e n t r e les d e u x s u c r e s , il n ' y a u r a d e m e s u r e s v r a i m e n t efficaces q u e celles q u i p o r t e r o n t : 1° S u r les m o y e n s d e faciliter la l i q u i d a t i o n des immeubles, d'activer

et d e multiplier

les

v e n t e s et t r a n s a c t i o n s d e ce g e n r e , et, p a r c o n s é q u e n t , s u r l e s m o y e n s d e m u l t i p l i e r les c a p i t a u x ( d i v i s i o n d e la p r o p r i é t é e t p a y e m e n t d e s salaires en n u m é r a i r e ) ; a° Sur

les m o y e n s d e c o n s t i t u e r

régulière-

(1) Je me sers à dessein de cette expression, au lieu de dire : Question économique ,1a fabrication du sucre n'étant qu'un détail de la grande question économique qui sépare le nouveau régime colonial de l'ancien.


LXII

ment

l e c r é d i t f o n c i e r e t le c r é d i t c o m m e r c i a l

(caisse f o n c i è r e et b a n q u e d e c i r c u l a t i o n ) ; 3° S u r les m o y e n s d ' é t a b l i r

le t r a v a i l

libre

et d ' a u g m e n t e r a b o n d a m m e n t le n o m b r e d e b r a s d i s p o n i b l e s p o u r la c u l t u r e ( c o l o n i s a t i o n et i m m i g r a t i o n v o l o n t a i r e d e la r a c e e u r o p é e n n e ) . T o u t cela s e r é s u m e e n d e u x m o t s : sation

et

Coloni-

Banques.

Il n ' y a e n c o r e r i e n d e p r é c i s q u a n t a u x ques;

m a i s , q u a n t à la colonisation,

m e n t en a pris

ban-

le G o u v e r n e -

l ' i n i t i a t i v e e n A l g é r i e , e t M. le

M i n i s t r e d e s affaires é t r a n g è r e s a p o r t é l ' a n n é e d e r n i è r e , à la t r i b u n e d e la C h a m b r e d e s D é p u t é s , la p e n s é e

q u ' i l fallait enfin

s'occuper

de

t i r e r p a r t i d e la G u y a n e . N o u s c o n s t a t o n s ce p r e m i e r r é s u l t a t d u t r a v a i l d e la C o m m i s s i o n s p é c i a l e c r é é e p o u r c e t o b j e t . L a C o m m i s s i o n s'est d é j à livrée à u n e d i s c u s s i o n préliminaire, savante et r i c h e d e

faits, comme

o n pouvait l'attendre des esprits élevés e t des h o m m e s d ' e x p é r i e n c e e t d e p r a t i q u e q u i la c o m posent. Les procès-verbaux de cette discussion


LXIII

ont

été

r é u n i s e t p u b l i é s p a r le

Département

d e la M a r i n e e t d e s C o l o n i e s (1). Plusieurs incidents favorables, s u r v e n u s pend a n t les d i s c u s s i o n s d e c e t t e C o m m i s s i o n , o n t d û s u s p e n d r e la c o n c l u s i o n d é f i n i t i v e d e s o n t r a v a i l . Les

chambres

de

commerce

de Paris,

R o u e n , du Havre, de Nantes, de Bordeaux

de et

d e Marseille, o n t été consultées. Plusieurs d'entre elles o n t e n v o y é l e u r avis. Au mois de janvier dernier, MM. Ternaux-Comp a n s et Joly d e L o t b i n i è r e se m i r e n t

d'accord

avec l'auteur d u projet, et proposèrent au Gouvern e m e n t d e faire, p a r e u x - m ê m e s , u n v o y a g e d ' e x p l o r a t i o n e t d ' é t u d e s à la G u y a n e , afin à la f o r m a t i o n d ' u n e Compagnie

d'arriver

d'exploitation.

L e 23 f é v r i e r d e la m ê m e a n n é e , c ' e s t - à - d i r e , q u e l q u e s j o u r s a p r è s la r e m i s e d e s p r o p o s i t i o n s , le p r é s i d e n t d e la C o m m i s s i o n d e la G u y a n e a a d r e s s é à S o n E x c e l l e n c e le P r é s i d e n t d u C o n s e i l des Ministres u n r a p p o r t l u m i n e u x et précis (a)

(1)Procès-verbaux de la Commission de colonisation de la Guyane; un vol. in-4°. — Imprimerie royale. (a) Ce rapport a été inséré au Moniteur le 16 mars dernier.


LXIV

dont

les c o n c l u s i o n s é t a i e n t f a v o r a b l e s à la p r i s e

en considération des propositions de MM. Ternaux-Compans et Joly de Lotbinière. N o u s e m p r u n t o n s a u r a p p o r t d e la C o m m i s s i o n le p a s s a g e s u i v a n t , q u i n o u s p a r a î t

fort

significatif : « 11 r e s s o r t d e la d i s c u s s i o n g é n é r a l e à l a q u e l l e « la C o m m i s s i o n s'est l i v r é e , dit l ' h o n o r a b l e r a p « p o r t e u r , q u ' i l n'y a p a s l i e u de d é s e s p é r e r d e la «Guyane,

e t q u e si les f r é q u e n t e s

tentatives

« d o n t , à diverses é p o q u e s , cette colonie a été « l'objet, p r o u v e n t q u e son i m p o r t a n c e a t o u « j o u r s é t é s e n t i e , le m a u v a i s s u c c è s d e c e s t e n « tatives

faites p o u r la p e u p l e r e t la c u l t i v e r

«doit être a t t r i b u é , avant t o u t , à des « commises,

fautes

soit d a n s l'organisation m ê m e de

« c e s t e n t a t i v e s , s o i t d a n s la c o n d u i t e d e

leur

« exécution. »

E n r é s u m é , le r a p p o r t c o n c l u a i t a i n s i : « La proposition adressée au G o u v e r n e m e n t «par

MM. T e r n a u x - C o m p a n s , Joly de L o t b i -

« n i è r e , e t c . , e t c . , p r é s e n t e des a v a n t a g e s e t d e s


LXV

« garanties morales qui permettent

au Gouver-

« n e m e n t d e l'accepter. » E n r a i s o n d e l ' é p o q u e a v a n c é e d e la s e s s i o n , le G o u v e r n e m e n t s'est d é c i d é à u n a j o u r n e m e n t . I m m é d i a t e m e n t a p r è s l ' a j o u r n e m e n t d e la p r o position d e MM. T e r n a u x - C o m p a n s et Joly d e Lotb i n i è r e , l ' a u t e u r d u p r o j e t s'est r e n d u s u c c e s s i v e m e n t près des chambres de c o m m e r c e du Havre, d e R o u e n , de Marseille, de B o r d e a u x et de Nantes, c o n s u l t é e s p a r le G o u v e r n e m e n t , afin d e c o n f é r e r a v e c elles s u r l e s b a s e s p r i m i t i v e s d e l ' o p é r a t i o n , et s u r les modifications qu'il

convien-

drait d'y a p p o r t e r , p o u r servir n o n - s e u l e m e n t l ' i n t é r ê t d e la n a v i g a t i o n f r a n ç a i s e e n g é n é r a l , m a i s les i n t é r ê t s d é j à e n g a g é s d a n s c e t t e b r a n c h e d'industrie. L e résultat d e ces conférences a été f a v o r a b l e , e t le p r o j e t e n a é p r o u v é d e n o t a b l e s

amélio-

rations. P e n d a n t c e t e m p s , le c o n s e i l c o l o n i a l d e la G u y a n e adressait au G o u v e r n e m e n t u n travail o ù

les b a s e s

de

l'opération

premier primitive

étaient acceptées, sauf à laisser au G o u v e r n e m e n t e t a u x c a p i t a l i s t e s d e la m é t r o p o l e , le s o i n d ' e n d


LXVI r é a l i s e r les m o y e n s d ' e x é c u t i o n ; e t d e u x m e m b r e s 1

d u m ê m e c o n s e i l , e n t r a n t d a n s la v o i e d ' e x é c u t i o n la p l u s n a t u r e l l e e t la p l u s f a c i l e , a r r i vaient à u n e proposition n o u v e l l e , d o n t le car a c t è r e p r i n c i p a l e s t d e faire o r g a n i s e r p a r les habitants eux-mêmes, et en vue d'une expérience d'émancipation, u n e compagnie a l o r s le t i t r e d e Compagnie Guyane Les

qui prendrait

des colons

de la

française. d e u x m e m b r e s d u conseil colonial o n t

fait p a r t d e l e u r p e n s é e à l ' a u t e u r d u p r o j e t p r i mitif, e t s e s o n t e n t e n d u s a v e c l u i p o u r f o r m u l e r , dans ce s e n s , d e nouvelles propositions. Ces nouvelles propositions o n t été remises a u G o u v e r n e m e n t le 25 a o û t d e c e t t e a n n é e .

«commises, soit dans Voilà l ' é t a t réel d e la q u e s t i o n q u a n t à l'idée é m i s e d a n s les p i è c e s q u ' o n v a lire. C'est a u milieu d e cet ensemble d e circonstances et d'él é m e n t s d i v e r s q u ' e l l e est a p p e l é e à se d é v e l o p p e r , en subissant les c h a n g e m e n t s légitimes exigés par le respect d e s intérêts établis. Cette troisième MM. Henri Sauvage et Adolphe de Saint-Quantin.


LXVII

p u b l i c a t i o n d e la Société d'études

n'est d o n c q u ' u n

exposé destiné à servir de point d e départ. Sous peu de j o u r s , u n e quatrième publication d o n t la r é d a c t i o n est c o n f i é e

à M. Victor d e

N o u v i o n , s e c r é t a i r e d e la Société d'études,

viendra

d o n n e r , à l ' a p p u i d e c e t e x p o s é , le t é m o i g n a g e des auteurs,

d e s voyageurs

et des

administrateurs

e

q u i , d e p u i s le xv s i è c l e , o n t é t u d i é , e x p l o r é e t g o u v e r n é la G u y a n e . A p r è s c e l a , le t r a v a i l t h é o r i q u e d e la d'études

Société

s e r a , p o u r le m o m e n t , t e r m i n é ; il n ' y

a u r a p l u s lieu q u ' à d e s t r a v a u x d ' e x é c u t i o n p r a tique. JULES

Paris, septembre

1843.

LECHEVALIER.



TABLE DES MATIÈRES.

Pages.

Épigraphes v Remarque sur l'épggraphe empruntée à Linné ix Avertissement xvii Note sur la fondation d'une nouvelle colonie dans la Guyane française i Objet et bases générales de l'entreprise 3 Motifs de préférence eu faveur de la Guyane. . . . ib. Organisation commerciale et industrielle 13 Débouchés ib. Commerce du sucre et des autres denrées dites coloniales 14 Emploi de la population européenne 17 Révolutions profitables dans les relations commerciales à la suite de ce changement 19 Moyens d'encourager l'émigration 21 Formation du capital d'exploitation 26 Dépenses et revenus 27 Meilleur emploi des ateliers déjà organisés 30 Indiens de l'Amazone 31 Conclusion 32 Pièces justificatives 33 Renseignements sur le produit des cultures et le prix courant des denrées de la Guyane française ib.


lXX Pages. Produit par hectare des diverses cultures dans la Guyane française 33 Prix courant légal des denrées, publié dans le journal officiel de la Guyane française 34 Extraits de divers documents statistiques et géographiques sur la Guyane 35 Opinion de M. Noyer. — Variétés et richesse des bois de la Guyane ib. Opinion de Malte-Brun. — Salubrité du climat. . 38 — Ressources du sol et moyens de prospérité. ib. Opinion de l'ingénieur Guizan sur les terres d'Oyapoc et d'Approuague 40 Opinion de M. Malouet sur les ressources de la colonic de Cayenne et les causes d'insuccès des tentatives précédentes 41 Opinion de M. le baron de Humboldt 42 Nécessité du concours des compagnies industrielles pour l'exécution de l'émancipation 55 Explications présentées à la Commission de colonisation de la Guyane française 73 Réponse à quelques objections 129 Renseignements divers 147 Renseignements sur les premiers résultats de l'immigration européenne et africaine dans les colonies anglaises 149 Immigration européenne à Sainte-Lucie ib. Rapport du docteur Ewart sur l'immigration e u ropéenne et africaine 150 Lettre adressée à M. le docteur Ewart, par le docteur Maxwell, sous-agent de l'émig. à la baie d'Aunoto. 158 Précis sur l'établissement de la Communauté de l'Union au Guatemala, par la Compagnie belge de colonisation 165


LXXI Page.

Extrait du Moniteur belge Extrait du Moniteur Universel Extrait du Moniteur Universel Essai de colonisation européenne dans hollandaise Arrête royal prescrivant les mesures pour l'établissement d'une colonie leurs européens à Surinam Colonisation de Surinam. — Extrait hollandais le Contemporain Extrait du Moniteur universel Dernières nouvelles de la colonie belge mala Extrait du Moniteur parisien Extrait du Journal du Havre Extrait du journal le Globe Immigration européenne à la Jamaïque

181 182 183 la Guyane 186 à prendre de travailib. du journal 189 194 de Guate-

Derniers renseignements sur l'essai de colonisation européenne dans la Guyane hollandaise

195 ib. 196 J97 199 ib.



NOTE

SUR

LA

FONDATION

d'une

NOUVELLE COLONIE dans

L A G U Y A N E FRANÇAISE(1). (Extrait d'un mémoire intitulé : Études et avant-projet d'une institution financière ayant pour but de développer le commerce maritime et de faciliter la réorganisation des colonies françaises. [Pièce n°. 6, lettre C.] )

D E S é t u d e s a p p r o f o n d i e s , faites s u r l e s l i e u x , d a n s la p l u p a r t d e s c o l o n i e s f r a n ç a i s e s e t é t r a n g è r e s c o m p r i s e s e n t r e l ' é q u a t e u r e t le 18 d e g r é d e l a t i t u d e N o r d , p e n d a n t un voyage d e treize m o i s , m ' o n t p e r m i s d e c o n s t a t e r les faits s u i vants : 1° L e s r é g i o n s é q u i n o x i a l e s , b i e n loin d ' ê t r e à la veille d e l e u r r u i n e , s o n t à p e i n e à l ' o r i g i n e d e la p r o s p é r i t é q u ' e l l e s p e u v e n t e t d o i v e n t a c quérir. 2° L a c u l t u r e d u s u c r e e t d e s a u t r e s d e n r é e s d i t e s c o l o n i a l e s n ' e s t p a s la s e u l e r e s s o u r c e d e c e s c o n t r é e s . Tous les a u t r e s é l é m e n t s d e la r i chesse agricole et m a n u f a c t u r i è r e y a b o n d e n t . 3° L e t r a v a i l l i b r e , o r g a n i s é c o m m e il p e u t e

(1) Cette note a été écrite en octobre 1839. I


( 2 ) l ' ê t r e a p r è s la g r a n d e e x p é r i e n c e d u g o u v e r n e m e n t a n g l a i s , r e m p l a c e , a v e c t o u s les a v a n t a g e s p o s s i b l e s , la r o u t i n e b a r b a r e e t g r o s s i è r e d e l'esclavage. 4° L e c e n t r e d e la s p é c u l a t i o n i n d u s t r i e l l e t e n d à se d é p l a c e r e n f a v e u r d e s r é g i o n s é q u i n o x i a l e s ; o u , d u m o i n s , le m o u v e m e n t d u t r a vail d o i t se r a l e n t i r d a n s les c o n t r é e s e u r o p é e n n e s o ù la T E R R E , premier instrument (le tout travail, a a t t e i n t u n e v a l e u r e x a g é r é e , e t se p o r t e r d e p r é f é r e n c e v e r s les t e r r e s d ' u n e f e r t i l i t é e x u b é r a n t e q u i s o n t e n c o r e incultes et p r e s q u e sans valeur. J e p r o p o s e d e t e n t e r la f o n d a t i o n d ' u n e c o lonie s u r ces bases n o u v e l l e s . H e u r e u s e m e n t il n ' e s t p l u s p o s s i b l e a u j o u r d ' h u i d ' a t t i r e r les c a p i t a u x e u r o p é e n s d a n s les c o l o n i e s à e s c l a v e s . M a i s il s e r a facile d e les r é u n i r p o u r u n e œ u v r e d ' é m a n c i p a t i o n , si elle est c o n ç u e d e m a n i è r e à m a i n t e n i r le t r a v a i l , e t si elle o b t i e n t d e l'État le c o n c o u r s q u e p e u t réclamer légitimement toute grande entreprise d'outre-mer. D a n s les p o s s e s s i o n s f r a n ç a i s e s , p l u s q u e p a r t o u t a i l l e u r s , il e s t p o s s i b l e d ' e n g a g e r u n e telle opération, d'une manière également avantageuse a u x anciens planteurs et a u x financiers européens.


( 3 ) OBJET

ET

BASES

GÉNÉRALES

DE

L'ENTREPRISE.

L'entreprise q u e j'ai conçue a donc pour o b j e t la f o n d a t i o n d ' u n e c o l o n i e o ù l e t r a v a i l s e r a l i b r e ; e t c'est u n e p o s s e s s i o n f r a n ç a i s e q u i d o i t e n ê t r e le s i é g e . Le succès d e cette première opération peut c o n d u i r e , d'abord, à tirer un parti avantageux d e s t r o i s a u t r e s c o l o n i e s f r a n ç a i s e s ; il p e u t e n s u i t e o u v r i r la v o i e à la p l u s g r a n d e e t à la p l u s n o b l e affaire q u i p u i s s e ê t r e p r o p o s é e a u x capitalistes, savoir, l'abolition d e l'esclavage p a r t o u t o ù il e x i s t e e n c o r e , p a r d e s m o y e n s t r è s productifs, et en demandant aux gouvernements d'autres compensations q u e l'indemnité financière. Mais il n e s'agit e n c e m o m e n t q u e d ' u n e e n treprise plus restreinte. Motifs lie préférence en faveur française.

de la

Guyane

L a G u y a n e f r a n ç a i s e a é t é c h o i s i e d e préfér e n c e p o u r les r a i s o n s s u i v a n t e s : I.

La grande disproportion qui existe entre la partie déjà tée et celle qui reste à cultiver (1).

exploi-

L e l i t t o r a l d e la G u y a n e , d e p u i s la r i v e g a u c h e (1) Tous les renseignements à l'appui de cette note sont I.


( 4 ) du

Maroni

j u s q u ' à la r i v i è r e Vincent Pinçon,

125 l i e u e s d e l o n g s u r u n e p r o f o n d e u r

a

d e 3oo

lieues (Notices stat., p. 160.)

L e n o m b r e d'hectares mis e n c u l t u r e n e s'élève g u è r e a u - d e s s u s d e 11,826. (Notices stat., p. 220.)

IL Le petit nombre d'esclaves et le peu d'importance des établissements formés d'après l'ancien système.

N o m b r e t o t a l d e la p o p u l a t i o n d a n s l a G u y a n e française : P o p u l a t i o n l i b r e . . . 5,056 P o p u l a t i o n e s c l a v e . . 16,592

21,648

(Notices stat., p. 182.)

Nombre

d'esclaves e m p l o y é s

à

la c u l t u r e

13,727 (Notices stat., p . 220.)

N o m b r e d'habitations rurales.

.

620

(Notices stat., ibid.)

III. La facilité

de se rendre maître à nouveau de toute la colonie ,

extraits d'un ouvrage officiel publié, en 1838, par les ordres du ministre de la marine, sons ce titre : Notices statistiques sur les colonies françaises, etc.


( 5 ) d'ajouter la puissance sociale d'une grande Compagnie financière aux efforts isolés des petits propriétaires qui occupent actuellement le sol, et d'organiser la grande culture pour toutes les productions.

Ces t r o i s c i r c o n s t a n c e s s o n t é m i n e m m e n t favorables à l'accomplissement de l'émancipation, et l è v e n t les p l u s g r a n d s o b s t a c l e s q u e c e t t e m e s u r e a r e n c o n t r é s d a n s les p o s s e s s i o n s a n glaises. La v a l e u r t o t a l e d e s p r o p r i é t é s i m m o b i l i è r e s et d e s e s c l a v e s est p o r t é e à 3 6 , 0 0 0 , 0 0 0 fr. d a n s la s t a t i s t i q u e officielle ( p . 224); m a i s c e chiffre est é v i d e m m e n t e x a g é r é . IV.

L'absence d'hostilité entre la population blanche et la population affranchie, (noirs et hommes de couleur.)

Les p r é j u g é s d e c a s t e s o n t m o i n s p r o n o n c é s à la G u y a n e f r a n ç a i s e q u e d a n s les A n t i l l e s . D e u x h o m m e s d e couleur o n t été élus m e m b r e s du conseil colonial par des a r r o n d i s s e m e n t s électoraux composés en majorité d'électeurs blancs. (Notices stat., p. 279.)

V. La fertilité

du sol.

O n o b t i e n t d e u x r é c o l t e s a n n u e l l e s p o u r le plus grand n o m b r e des p r o d u i t s . La c a n n e à


( 6 ) s u c r e e s t e n t i è r e m e n t m û r e le q u a t o r z i è m e m o i s . L e sol e s t t r a v e r s é p a r d e s fleuves m a g n i fiques d o n t p l u s i e u r s s o n t n a v i g a b l e s p a r les b â t i m e n t s à voiles d e 250 à 3 0 0 , e t p a r les b â t i m e n t s à v a p e u r d e 4 à 5 o o t o n n e a u x . Il e s t c o u v e r t d e bois et d e forêts q u i c o m m e n c e n t à d e v e n i r e x p l o i t a b l e s à q u i n z e l i e u e s d e la c ô t e ; d a n s l e s t e r r e s b a s s e s , il n ' a p a s b e s o i n d ' e n grais. VI. La variété des cultures déjà

établies.

L a v a r i é t é d e s c u l t u r e s e t d e s i n d u s t r i e s est le p r i n c i p e q u i d o i t p r é v a l o i r d a n s le n o u v e l é t a b l i s s e m e n t . L a G u y a n e française e s t , p a r m i t o u t e s l e s a n c i e n n e s c o l o n i e s , celle q u i p r é s e n t e , s o u s c e r a p p o r t , les p l u s g r a n d s a v a n t a g e s . L a plupart des denrées tropicales y sont indigènes ou déjà naturalisées. Produits

Sucre brut Sirops Rhum Café Cacao Coton Girofle

exportés de la Guyane en 1 8 3 6 .

française

2,314,796 kil. 473,032 lit. 69,536 lit. 20,328 k i l . 23,340 » 275,622 » 99,208 »


( 7 ) C a n n e l l e et V a n i l l e 5 4 8 kil. Muscade (en 1835) 132 » Poivre 24,177 » I n d i g o ( e n 1831 ) 50 » Rocou 313,002 » Bois d ' é b é n i s t e r i e 611,501 » Bois d e c o n s t r u c t i o n . . . . 40,000 b a r d e a u x . Notices stat., p. 252.)

Ainsi, voilà déjà q u a t o r z e c u l t u r e s e n d e n r é e s d ' e x p o r t a t i o n . T o u t e s celles q u i n e s o n t p a s e n plein r a p p o r t et q u i n e d o n n e n t pas des p r o duits considérables, n'en sont pas moins trèsc o n v e n a b l e s a u s o l . S e u l e m e n t elles s o n t n é g l i g é e s , e n r a i s o n d u m a n q u e d e b r a s et d e c a p i t a u x , en raison s u r t o u t d u défaut d'industrie d e la p a r t d e s h a b i t a n t s . L ' i n d i g o , p a r e x e m p l e , v i e n t d a n s la G u y a n e c o m m e p l a n t e s a u vage. Mais il est b i e n d ' a u t r e s c u l t u r e s e t b i e n d ' a u t r e s i n d u s t r i e s q u i n ' a t t e n d e n t q u e la v o l o n t é e t le t r a v a i l d e l ' h o m m e p o u r s e d é v e l o p p e r . I n d é p e n d a m m e n t d'une industrie nouvelle, ent i è r e m e n t i n e x p l o i t é e , les H U I L E S d e p a l m e , d e r i c i n , d e c o l z a , d e c o c o , d e c o t o n , e t c . , e t c . , le p a y s c o m p o r t e t o u t e s les i n d u s t r i e s q u i f o n t la base du c o m m e r c e des États-Unis avec l'Europe e t a v e c les c o l o n i e s , C O T O N , T A B A C , R I Z , M A Ï S , B E S TIAUX,

CHEVAUX,

TROUPEAUX,

VOLAILLES,

SALAI-


( 8 ) (en v i a n d e e t p o i s s o n ) , B O I S DE C H A R P E N T E , AISSANTES, P L A N C H E S , etc. Ces d e r n i è r e s i n d u s tries m e p a r a i s s e n t d e la p l u s h a u t e i m p o r t a n c e d a n s l ' o p é r a t i o n p r o p o s é e , vu la p o s s i b i l i t é de s ' a s s u r e r la f o u r n i t u r e d e s c o l o n i e s e n v i r o n nantes.

SONS

VII. LA facilité d'introduire, dans ces vastes plaines de terres molles, les machines dites E X C A V A T O R et C R U B B E R , ainsi que toutes les autres applications de la mécanique à l'industrie agricole.

L a m a c h i n e d i t e Crubber est d e s t i n é e à a r r a c h e r les a r b r e s . Elle les saisit e t les a b a t a v e c u n e g r a n d e r a p i d i t é . Elle a é t é i n v e n t é e a u x E t a t s - U n i s e t a b e a u c o u p facilité les d é f r i c h e m e n t s . Elle p r o c u r e r a u n e g r a n d e é c o n o m i e d e bras et un grand accroissement d e résultats dans l'exploitation des terrains alluvionnaires d e la G u y a n e . L a m a c h i n e d i t e Excavator fait le travail d e s t r a n c h é e s e t c r e u s e d e s fossés d e d e s s é c h e m e n t . C e t r a v a i l e s t la b a s e d e la c u l t u r e d a n s la Guyane. L'Excavator a été inventé par u n m é c a n i c i e n d e D e m e r a r a . J'ai v u la m a c h i n e o u p l u t ô t le p r e m i e r e s s a i , p r è s d e G e o r g e - t o w n , d a n s la G u y a n e a n g l a i s e . Il m a n q u e p e u d e c h o s e p o u r qu'elle soit en état de fonctionner régulièrement.


( 9 ) L ' a b s e n c e d ' u n e p o p u l a t i o n s u f f i s a n t e é t a n t le p l u s g r a n d o b s t a c l e à la p r o d u c t i o n d e les r i c h e s s e s v é g é t a l e s , a n i m a l e s

et

toutes

minérales

d o n t les g e r m e s se t r o u v e n t e n a b o n d a n c e d a n s les r é g i o n s é q u i n o x i a l e s , l ' a p p l i c a t i o n de la m é c a n i q u e à l'industrie agricole devra être

aussi

é t e n d u e q u e p o s s i b l e , s u i v a n t le n o u v e a u p l a n d e c o l o n i s a t i o n . Elle n ' a u r a a u c u n d e s i n c o n v é nients

immédiats

que

l'on

pourrait

craindre

a v e c r a i s o n d a n s les p a y s o ù il e x i s t e u n e g r a n d e accumulation de population. VIII. Les priviléges commerciaux légalement acquis à la colonie de Cayenne.

« L e p o r t d e C a y e n n e a c o n s e r v é , d e p u i s la « reprise de possession « des franchises

( e n 1817), u n e

commerciales

qui

lui

« été antérieurement données dans

partie avaient

le b u t

de

« laisser se d é v e l o p p e r l i b r e m e n t s e s r e l a t i o n s « a v e c l ' e x t é r i e u r . A i n s i , t o u s les p a v i l l o n s

y

« sont a d m i s ; des marchandises étrangères peu« vent y être introduites; « produits

du sol,

« est autorisée

par

ainsi

e t l'exportation

que des objets

TOUS NAVIRES

et à

des importés,

TOUTES DES-

« TINATIONS. »

(Notices stat., p. 242).

O s p r i v i l é g e s d o n t la G u y a n e est e n c o r e e n


( possession On

pourra

l'acte q u i velle

ne en

10

lui s o n t stipuler

donnera

)

pas contestés la

jusqu'ici.

confirmation

l'existence

dans

l é g a l e à la n o u -

colonie.

IX. La promulgation entière et la mise en vigueur du Code civil français dans toutes ses parties, de la législation française sur l'expropriation forcée, et du Code de commerce. La

législation sur l'expropriation

forcée

n'a

p a s é t é p r o m u l g u é e à la M a r t i n i q u e e t à la G u a d e l o u p e . Le C o d e d e c o m m e r c e e s t e n

vigueur

à la G u a d e l o u p e e t n e l ' e s t p a s e n c o r e à la M a r t i n i q u e . D a n s la G u y a n e f r a n ç a i s e , a u c o n t r a i r e , t o u t e s l e s l o i s e t o r d o n n a n c e s d e la sont c o m p l é t e m e n t en

Métropole

vigueur. X.

La salubrité relative du climat. L e s s e u l e s m a l a d i e s e n d é m i q u e s à la G u y a n e s o n t les fièvres i n t e r m i t t e n t e s q u e l'on r e n c o n t r e , s o u s t o u t e s l e s l a t i t u d e s , p a r t o u t o ù il y a des marais, des forêts vierges et des terres cultes. —

La fièvre j a u n e et les a u t r e s

in-

fièvres

p e r n i c i e u s e s n e s o n t p a s c o n n u e s à la G u y a n e . Les bâtiments

venant

des

Antilles s o n t

même

s o u m i s à faire q u a r a n t a i n e d a n s les p o r t s d e colonie.

la


( II ) XI.

L'absence,

ou du moins l'extrême rareté des grands boulever sements atmosphériques ou géologiques.

L e s t r a d i t i o n s h i s t o r i q u e s de la G u y a n e m e n t i o n n e n t ni o u r a g a n s ni t r e m b l e m e n t s terre.

ne de

XII. La facilité d'obtenir, pour l'affranchissement des esclaves, des compensations d'un autre genre qui permettraient à la Compagnie, soit de se passer entièrement de l'indemnité pécuniaire, soit d'abaisser considérablement le chiffre de ses prétentions.

P a r e x e m p l e , la S o c i é t é e n é t a b l i s s a n t le chiffre de l'indemnité

à

1,200

fr. p a r t è t e ,

moyenne

p a y é e d a n s la G u y a n e a n g l a i s e , p o u r r a i t

deman-

d e r 400 fr. e n a r g e n t , e x i g e r d u Noir u n

rachat

d e 400 fr. ( 1 ) , p a y a b l e e n t r a v a i l . Elle p r o p o s e r a i t , e n é c h a n g e d e s 400 fr. r e s t a n t , q u e les fac u l t é s s u i v a n t e s lui f u s s e n t a c c o r d é e s : 1° O c c u p a t i o n e t e x p l o i t a t i o n

de

toutes

les

terres n o n cultivées ; (1) Ces avantages pourraient être remplaces en partie par un prêt équivalent à la valeur des terres, ou par la garantie d'un minimum d'intérêt sur la totalité du fonds social.


( 12 ) 2° La f a c u l t é de t r a n s p o r t e r à la G u y a n e les n o u v e a u x a f f r a n c h i s n o i r s et h o m m e s d e c o u leur libres des autres colonies françaises, lorsque ceux-ci voudront contracter un engagement ; 3° L a f a c u l t é d ' e m p l o y e r les e s c l a v e s saisis p a r les c r o i s e u r s f r a n ç a i s e t m ê m e p a r les c r o i s e u r s a n g l a i s s u r les n a v i r e s d e t r a i t e ; l e s q u e l s esclaves deviendraient libres sans apprentissage, p a r le s e u l fait d e l e u r i n t r o d u c t i o n s u r le t e r r i t o i r e d e la C o m p a g n i e ; 4 ° L e d r o i t d e raffiner le s u c r e p o u r l ' e x p o r t a t i o n , d e t i s s e r le c o t o n , d e f a b r i q u e r , e n u n m o t , t o u s les o b j e t s d o n t les m a t i è r e s p r e m i è r e s s o n t s o u s la m a i n ; 5° L ' a d o p t i o n d ' u n r è g l e m e n t d e t r a v a i l c o n c e r t é e n t r e le G o u v e r n e m e n t e t la C o m p a g n i e . C e d e r n i e r p o i n t est e s s e n t i e l , c a r les e f f e t s , b o n s ou mauvais, de l'émancipation , dépendent e n t i è r e m e n t d e s m e s u r e s p r i s e s p o u r la c o n s e r vation d u travail. L a C o m p a g n i e r é c l a m e r a i t é g a l e m e n t le c o n c o u r s d u G o u v e r n e m e n t p o u r la c r é a t i o n d ' u n système d e viabilité p a r t e r r e et p a r eau. A l ' e x c e p t i o n d e la n a v i g a t i o n e n p i r o g u e s e t s u i v a n t le c o u r s n a t u r e l d e s f l e u v e s , q u i se fait e n c o r e p a r les m o y e n s e m p l o y é s à l ' o r i g i n e d e la civilisation , la G u y a n e n'a a u c u n e c o m m u n i c a tion r é g u l i è r e . L e s t r a v a u x p u b l i c s s o n t c e p e n -


( 13 ) dant très-faciles à e x é c u t e r s u r le sol d e cette c o n t r é e qui n'est q u ' u n e i m m e n s e plaine de t e r r e d'alluvion. ORGANISATION COMMERCIALE ET INDUSTRIELLE.

Débouchés. Il a d ' a i l l e u r s p l u s i e u r s m o y e n s d e s ' a s s u r e r des débouchés avantageux. La n o u v e l l e c o l o n i e a u r a d ' a b o r d t r o i s g e n r e s spéciaux de c o m m e r c e , absolument inconnus aux colonies fondées d'après l'ancien système , savoir : 1° L e commerce intérieur : f o u r n i t u r e d e s p r i n cipaux moyens de subsistance et objets de cons o m m a t i o n à t o u t e la p o p u l a t i o n d e s a n c i e n s e t nouveaux colons; débouché naturel qu'elle o b t i e n d r a f a c i l e m e n t p a r la g r a n d e e x p l o i t a t i o n d e s c u l t u r e s d i t e s vivrières, e t p a r la f a b r i c a t i o n d e t o u s les p r o d u i t s d ' a r t s e t m é t i e r s a y a n t r a p p o r t au v ê t e m e n t , à l'habitation, etc. 2° L e commerce avec les colonies environnantes p o u r l ' é c h a n g e d e ses p r o p r e s d e n r é e s : v i v r e s , r i z , m a ï s , b a n a n e s , volailles, b e u r r e , huiles, poissons salés, bestiaux , p o r c s , etc., etc. D a n s ces c o l o n i e s , victimes d e l'ancien système d e t r a v a i l , t o u s les o b j e t s d e p r e m i è r e n é c e s c i t é s o n t r a r e s , q u e l q u e f o i s j u s q u ' à la d i s e t t e , e t se v e n d e n t à d e s p r i x e x o r b i t a n t s , bien qu'ils


( 14 ) soient admis à la consommation presque sans droits et par tous les pavillons. — Lors de mon p a s s a g e à S u r i n a m , le r é g i m e d e b a n a n e s ( 1 ) , q u i p e u t se v e n d r e a v a n t a g e u s e m e n t à З0 c., se v e n d a i t 1 fr. 50 p a r m a r c h é s c o n c l u s p o u r p l u s i e u r s m o i s , e t 1 fr. p r i x o r d i n a i r e . — A D e m e r a r a , la l i v r e d e m o u t o n valait 3 f r . , e t les v o lailles a u m o i n s 5 fr. 40 c. la p i è c e . 3° Le même commerce avec la Métropole : la s o i e ; — les h u i l e s d e r i c i n , d e c o c o e t d e c a c a o , e x c e l l e n t e s p o u r l ' é c l a i r a g e e t la f a b r i c a t i o n «les g a z ; — les c h a n v r e s , f i l a s s e s , m a g n i f i q u e s p r o d u i t s d e s p l a n t e s i n d i g è n e s (sillk-grass, p i t r e , b a n a n i e r , e t c . ) ; les p a p i e r s , t o i l e s , t a p i s s e r i e s , c o r d a g e s , o b j e t s «le v a n n e r i e , d e m a r q u e t e r i e e t «l'ébénisterie d o n t les m a t i è r e s p r e m i è r e s se t r o u v e n t en a b o n d a n c e d a n s les p l a n t e s , a r b r e s , a r b u s t e s , l i a n e s , qui croissent s p o n t a n é m e n t d a n s la G u y a n e . L e n o m b r e d e s e s s e n c e s d e b o i s i n d i g è n e s s'élève s e u l e m e n t à 259. (Noyer, forets vierges de la Guyane, p a g e 2 З . ) Commerce

du sucre

et des autres coloniales.

denrées

dites

Quant au commerce des denrées dites colo­ n i a l e s , il d o i t t o u j o u r s r e s t e r u n o b j e t p r i n c i p a l (1)Ce fruit est la base de la nourriture des noirs esclaves. On appelle régime une grappe portant de 40 à 50 fruits.


( 15 ) d e s p é c u l a t i o n , niais a v e c d e s m o d i f i c a t i o n s d a n s la m a n i è r e d ' o p é r e r , c o m m a n d é e s p a r l'état a c t u e l d e s m a r c h é s e u r o p é e n s . Il est c e r t a i n q u e , d e p u i s 20 a n s s u r t o u t , les p l a n t e u r s o u vendeurs directs d e d e n r é e s c o l o n i a l e s o n t vu d i m i n u e r c o n s i d é r a b l e m e n t l e u r s b é n é f i c e s , t a n d i s q u e les raffineurs, a r m a t e u r s , négociants et c o m m i s s i o n n a i r e s d e la M é t r o p o l e o n t fait d e s affaires avantageuses. La décadence des anciens planteurs doit sans d o u t e se r a p p o r t e r à l e u r s p r o p r e s f a u t e s , q u i sont n o m b r e u s e s , et à ce funeste esprit de r o u t i n e q u i les a m a i n t e n u s s t a t i o n n a i r e s e t a s s e r v i s a u x procédés industriels des sociétés b a r b a r e s , l o r s q u ' a u t o u r d ' e u x t o u t p r e n a i t u n e face n o u velle. M a i s la p r i n c i p a l e c a u s e d e la d é t r e s s e d e s c o l o n i e s se t r o u v e d a n s u n o d i e u x s y s t è m e d e d o u a n e s et d ' i m p ô t s q u i p r o d u i t n é c e s s a i r e m e n t la b a i s s e e x a g é r é e d e s d e n r é e s c o l o n i a l e s s u r les m a r c h é s d e la M é t r o p o l e , e t la h a u s s e e x a g é r é e d e s m a r c h a n d i s e s m é t r o p o l i t a i n e s s u r le m a r c h é d e s c o l o n i e s , e n p r o t é g e a n t o u t r e m e s u r e les m é t r o p o l i t a i n s , et c o m m e v e n d e u r s d e d e n r é e s c o l o n i a l e s d a n s la M é t r o p o l e , e t c o m m e v e n d e u r s d e m a r c h a n d i s e s m é t r o p o l i t a i n e s d a n s les c o lonies. Les colonies n e p e u v e n t pas l u t t e r c o n t r e ce d o u b l e p r i v i l é g e ; elles d o i v e n t e n d e m a n d e r e t e n o b t e n i r la s u p p r e s s i o n . Mais il y a u n m o y e n


( 16 ) de p l a c e r la n o u v e l l e c o l o n i e d a n s u n e telle sit u a t i o n q u ' e l l e n'ait R I E N A P E R D R E a u m a i n t i e n des priviléges, et qu'elle puisse p r o s p é r e r en a t t e n d a n t leur disparition. Ce moyen , bien simp l e e n l u i - m ê m e , e s t i m p r a t i c a b l e p o u r la m a j o r i t é d e s p r o p r i é t a i r e s , l i v r é s à e u x - m ê m e s . Mais l'application en est très-facile à u n e g r a n d e C o m p a g n i e organisée avec des capitaux e u r o p é e n s e t a y a n t s o n c e n t r e e n E u r o p e . Elle c o n siste : 1° A v e n d r e , sur les marchés d'Europe seulement, les d e n r é e s p r o d u i t e s p a r la c o l o n i e ; à a c h e t e r , en Europe seulement, les o b j e t s n é c e s s a i r e s à sa c o n s o m m a t i o n ; 2° A faire c e s t r a n s a c t i o n s d i r e c t e m e n t et s a n s l'entremise des commissionnaires; 3° E n f i n , à se s e r v i r p o u r t r a n s p o r t d'allée e t r e t o u r , d e n a v i r e s a p p a r t e n a n t à la C o m p a g n i e . J e c h o i s i s , p o u r e x e m p l e , l ' i n d u s t r i e d u Raffinage. L e s M é t r o p o l e s j o u i s s e n t d ' u n m o n o p o l e à la c o n s o m m a t i o n e t à l ' e x p o r t a t i o n , p o u r le raffinage des sucres bruts coloniaux. Cette industrie est p r o h i b é e a u x c o l o n i e s q u i e n o n t c e p e n d a n t la m a t i è r e p r e m i è r e ; e t , c h o s e e n c o r e p l u s é t r a n g e , le s u c r e r a f f i n é , i n d é p e n d a m m e n t d e son d o u b l e p r i v i l é g e , r e ç o i t p o u r p r i m e à l ' e x p o r t a t i o n , à t i t r e d e Draw-bach, le m ê m e d r o i t q u e c e l u i q u i est p a y é à l ' e n t r é e p a r le s u e r


( 17 ) b r u t c o l o n i a l , c'est-à-dire, a u t r e f o i s 49 fr. 50 c e n t , p a r 100 k i l . , e t m a i n t e n a n t , 37 fr. 50 c e n t , p a r 100 kil. L e c o t o n , le c a f é , le c a c a o , s o n t soumis à des charges analogues sur les m a r c h é s d e s c o l o n i e s , e t à d e s p r i v i l é g e s a n a l o g u e s s u r les m a r c h é s d e la m é t r o p o l e . Q u e la c o m p a g n i e d ' e x p l o i t a t i o n raffine s e s s u c r e s e t ses s i r o p s , distille ses r h u m s , p r é p a r e ses c a c a o s e t tisse ses c o t o n s d a n s la m é t r o p o l e , elle j o u i t d e la f a c u l t é d ' e x p o r t a t i o n a v e c p r i m e , e t o b t i e n t , de f a i t , u n e e x e m p t i o n d e d r o i t s p o u r ses m a t i è r e s p r e m i è r e s . E n s e c o n d lieu , ELLE

N'A

RIEN

A

CrAINDRE

DE LA

CONCURRENCE

e t , b i e n l o i n q u e le sucre de betterave, aujourd'hui ramené à un c o m m e n c e m e n t d'égalité p a r l'impôt qu'il subit et p a r l e d é g r è v e m e n t q u i a é t é a c c o r d é a u x s u c r e s c o l o n i a u x , s o i t p r i v i l é g i é , c'est la c o m p a g n i e d ' e x p l o i t a t i o n q u i , g r â c e à la transposition des marchés, a r r i v e à m e t t r e le p r i v i l é g e d e son côté.

DU

SUCRE

DE

Emploi

BETTERAVE;

de la population

européenne.

L e r é s u l t a t i m m é d i a t d e l ' i n t r o d u c t i o n d e la v a r i é t é d e s c u l t u r e s ainsi q u e d e s a r t s e t m é t i e r s d a n s la n o u v e l l e c o l o n i e s e r a i t d e p e r m e t t r e l'emp l o i d e la p o p u l a t i o n o u v r i è r e e u r o p é e n n e . — L ' e m p l o i d e la p o p u l a t i o n o u v r i è r e e u r o p é e n n e , a


(

18

)

s o u s l e s t r o p i q u e s , r é a l i s e r a i t le fait q u i a f o n d é la p r o s p é r i t é m i r a c u l e u s e d e s É t a t s - U n i s ,

même

d a n s l e S u d , e t p r é s e n t e r a i t la s e u l e s o l u t i o n a c t u e l l e m e n t p o s s i b l e d e s d i f f i c u l t é s d e la p o p u l a tion d a n s les Indes-Occidentales, savoir :

l'ÉMI-

G R A T I O N V O L O N T A I R E d e la r a c e q u i s a i t l e m i e u x travailler, q u i a, p l u s q u e t o u t e a u t r e , le b e s o i n d ' a c q u é r i r , et q u i a é c h a p p é jusqu'ici à t o u t e s les prohibitions que

des scrupules, exagérés quel-

q u e f o i s , o n t é t a b l i e s d a n s les c o n d i t i o n s d u trav a i l des a u t r e s r a c e s . Beaucoup

de paysans d'Europe ont deux

t r o i s m é t i e r s . Ils s o n t , par e x e m p l e , et moissonneurs

ou

laboureurs

p e n d a n t l'été, tisseurs, forge-

rons ou cordonniers

q u a n d les autres

travaux

c h ô m e n t , e t p a r t i c u l i è r e m e n t p e n d a n t l ' h i v e r . Il s'agirait, entre les d e u x t r o p i q u e s , d'établir d a n s l ' e m p l o i d e s h e u r e s d u j o u r la m ê m e

alternative

qui a l i e u , e n E u r o p e , dans l'emploi des saisons. O n demanderait, par exemple, aux colons ropéens,

TROIS

PROFESSIONS

ET

NEUF

HEURES

euDE

TRAVAIL par jour : 3 heures aux c h a m p s ; 3 heures a u x m a n u f a c t u r e s ; 3 h e u r e s aux arts et métiers. On

pourrait

ainsi

leur allouer

un

très-fort

sa-

l a i r e , e t a v o i r f a c i l e m e n t , m o y e n n a n t d e faillies avances,

1,500

blancs p o u r remplacer, dans les

t r a v a u x a g r i c o l e s , 5oo

n è g r e s , qu'il est

aujour-

d ' h u i s i d i s p e n d i e u x e t si d i f f i c i l e d e r é u n i r . R i e n n e serait p e r d u

pour

la p r o d u c t i o n ,

car

ces


( 19 ) quinze cents ouvriers blancs seraient e m p l o y é s , e n o u t r e , p e n d a n t six h e u r e s p a r j o u r , a u x a r t s et m é t i e r s ainsi qu'aux m a n u f a c t u r e s . Il y a d a n s c e t t e c o m b i n a i s o n d e u x g r a n d s avantages. L e p r e m i e r est d ' o b t e n i r r a p i d e m e n t , e t p a r le s e u l fait d e s n a i s s a n c e s , p r o v e n a n t d e s m a r i a g e s faits d a n s la c o l o n i e , u n e p o p u l a t i o n b l a n c h e indigène, v o u é e a u t r a v a i l a g r i c o l e et industriel. L e d e u x i è m e est d ' a u g m e n t e r le n o m b r e d e s en m ê m e t e m p s q u e celui d e s T R A V A I L L E U R S , — C e t t e c o n s i d é r a t i o n est m a j e u r e d a n s le s y s t è m e c o m m e r c i a l q u e j e c o n ç o i s p o u r la n o u v e l l e c o l o n i e . L a c o m p a g n i e s ' a s s u r e r a , par la vente des denrées de consommation, la r e n t r é e d ' u n e g r a n d e p a r t i e d u salaire q u ' e l l e aurait à payer aux ouvriers. CONSOMMATEURS,

La c o n s o m m a t i o n d e C a y e n n e en p r o d u i t s importés d'Europe ou d u Nord de l'Amérique est é v a l u é e , p o u r l ' a n n é e 1 8 3 6 , à la s o m m e d e 3 , 2 6 2 , 5 1 9 fr. (Notices stat., pag. 254.)

Révolution profitable dans les relations commerciales à la suite de ce changement. L e s y s t è m e d e s m é t r o p o l e s à l'égard d e l e u r s c o l o n i e s a c o n s i s t é j u s q u ' i c i à l e u r i n t e r d i r e l'ina.


(20)

d u s t r i e m a n u f a c t u r i è r e , et m ê m e à l i m i t e r , a u t a n t q u e p o s s i b l e , la v a r i é t é d e l e u r s c u l t u r e s , afin d e se r é s e r v e r le m o n o p o l e d e la f o u r n i t u r e d e s o b j e t s d e c o n s o m m a t i o n : ce q u i r e v i e n t à v o u l o i r a u g m e n t e r le c o m m e r c e e n d i m i n u a n t l e s m o y e n s d ' é c h a n g e . C'est ce f u n e s t e s y s t è m e q u i , s o u s le n o m d e système colonial, a ruiné t o u t e s l e s c o l o n i e s q u i n ' o n t p a s é t é asssez f o r t e s p o u r s'émanciper p a r l'insurrection. Ce système, d u m o i n s , a b e a u c o u p d i m i n u é la r i c h e s s e relative d e s c o l o n i e s e t e n t i è r e m e n t a r r ê t é le d é v e l o p p e m e n t d e la p o p u l a t i o n . L ' é t a t n o u v e a u , q u i s e r a p r o d u i t p a r l ' i n t r o d u c t i o n d e la m u l t i p l i c i t é des cultures et des i n d u s t r i e s , a m è n e r a sans d o u t e u n e r é v o l u t i o n d a n s le c o m m e r c e d e s c o l o n i e s a v e c les m é t r o p o l e s ; m a i s c e t t e r é v o l u t i o n sera profitable au c o m m e r c e métropolitain luim ê m e . S o n p r e m i e r résultat sera d e d é t r u i r e ce c o m m e r c e m i s é r a b l e d i t commerce de pacotille, i n d i g n e d e l ' i n d u s t r i e m o d e r n e . M a i s a u s s i l e vér i t a b l e et g r a n d c o m m e r c e q u i c o n s i s t e d a n s l'échange des matières p r e m i è r e s , des machines et m o y e n s d e t r a v a i l , d e s p r o d u i t s les p l u s raffinés de l'industrie, et qui fournit de bien meilleurs é l é m e n t s à la n a v i g a t i o n , se d é v e l o p p e r a r a p i d e m e n t . A u lieu d e v e n i r p o r t e r a u x c o l o n i e s d u p o i s s o n s a l é , d e s s o u l i e r s et h a b i t s t o u t f a i t s , d e s étoffes g r o s s i è r e s d e s t i n é e s à l ' h a b i l l e m e n t d e s classes i n f é r i e u r e s , les b â t i m e n t s d ' E u r o p e l e u r


( 21 ) p o r t e r o n t , en plus grande q u a n t i t é , des machin e s , d u p l o m b , d u fer, d u c u i v r e , d e s o u t i l s , des objets de haut luxe. Moyens

d'encourager

l'émigration.

F o n d e r u n e c o l o n i e , c'est f o n d e r la p o p u l a t i o n là o ù elle n ' e x i s t e p a s e n c o r e . Afin d e n e r i e n d o n n e r a u h a s a r d , la n o u v e l l e c o l o n i e d e v r a d ' a b o r d r e c r u t e r ses t r a v a i l l e u r s d a n s la p o p u l a t i o n déjà a c c l i m a t é e , s a v o i r : e s c l a v e s a c h e t é s à C a y e n n e , a u B r é s i l , o u a i l l e u r s , p o u r ê t r e lib é r é s ; n o i r s c a p t u r é s s u r les n a v i r e s d e t r a i t e ; n o i r s e t g e n s d e c o u l e u r a f f r a n c h i s ; e n f i n , les I n diens. M a i s , dès q u e l'on v e u t sortir des p r a t i q u e s g r o s s i è r e s d e l'esclavage e t d e la r o u t i n e agricole de l'ancien système c o l o n i a l , le c o n c o u r s d e la p o p u l a t i o n b l a n c h e e u r o p é e n n e d e vient absolument nécessaire p o u r organiser u n travail régulier et intelligent. J u s q u ' a u m o m e n t d e l ' a b o l i t i o n d e la T r a i t e et d e l ' E s c l a v a g e , les colonies occidentales n'ont p u attirer d ' E u r o p e q u e les m a r c h a n d s o u s p é c u l a t e u r s a p p a r t e n a n t à la classe é l e v é e d e la s o c i é t é . L e s p e r s o n n e s d e c e t t e classe r e s t e n t t o u j o u r s p r o f o n d é m e n t a t t a c h é e s à la m é t r o p o l e ; elles y r e v i e n n e n t d è s q u ' e l l e s o n t fait f o r t u n e , e t n e f o r m e n t j a m a i s u n e population sédentaire. Les enfants ne sont p a s m ê m e élevés d a n s le pays. C'est l'émigration


( 22 ) d e s l a b o u r e u r s , des f e r m i e r s e t d e s a r t i s a n s q u ' i l s'agit a u j o u r d ' h u i d e d é t e r m i n e r . L e s m o y e n s q u i o n t p e u p l é les E t a t s - U n i s e t q u e l'on emploie aujourd'hui p o u r p e u p l e r la N o u v e l l e - G a l l e s d u S u d n e s o n t p a s les m e i l l e u r s . E n g é n é r a l , la f a m i l l e é m i g r a n t e c o n s a c r e s o n p e t i t c a p i t a l à u n a c h a t d e t e r r a i n , e t les g r a n d e s Compagnies qui paraissent se former dans u n b u t d e colonisation n'ont souvent q u ' u n b u t d ' a g i o t a g e s u r les t e r r a i n s . La t e r r e , morcelée e n fractions m i n i m e s , cultivée avec d e petits capitaux o u m ê m e sans c a p i t a l , ne p r o d u i t p a s Ce q u ' e l l e p o u r r a i t p r o duire. L'émigrant, qui presque toujours a payé t r o p c h e r son lot d e t e r r a i n , est d é ç u a p r è s avoir été n o u r r i d'illusions. L o r s m ê m e q u e la colonisation réussit, elle m a r c h e très-lentement. Une Compagnie financière, formée Sérieusem e n t dans un b u t d e colonisation, n e devrait pas morceler le s o l ( 1 ) . La concession tout e n t i è r e d e v r a i t r e s t e r i n d i v i s e , d u m o i n s q u a n t au r é g i m e d ' e x p l o i t a t i o n , afin d ' ê t r e e x p l o i t é e e n g r a n d e c u l t u r e . L e c o l o n c u l t i v a t e u r s e r a i t fermier, e t le colon artisan serait e n t r e p r e n e u r p o u r l e c o m p t e d e la C o m p a g n i e . L e s c u l t u r e s e t les i n d u s t r i e s les p l u s a v a n t a g e u s e s d a n s les (1) Cette partie du projet est destinée à subir des modifications importantes; elle a, d'ailleurs, besoin de développement.


( 23 ) r é g i o n s t r o p i c a l e s e x i g e n t d ' a i l l e u r s la g r a n d e e x p l o i t a t i o n . Q u a n t a u x v i v r e s e t o b j e t s d'alim e n t a t i o n , d o n t la c u l t u r e e s t r e s t é e d a n s l e s c o l o n i e s u n e i n d u s t r i e d o m e s t i q u e , ils s e r a i e n t bien plus abondants et à bien meilleur marché, si o n les o b t e n a i t p a r l'exploitation en grand. Il f a u t r e c o n n a î t r e n é a n m o i n s q u e la f a c u l t é d e d e v e n i r p r o p r i é t a i r e à p e u d e frais a é t é le p l u s g r a n d m o b i l e d e l ' é m i g r a t i o n v e r s le N o r d e t v e r s l'Est. Il est d o n c p r o b a b l e q u e la C o m p a g n i e d ' e x p l o i t a t i o n é c h o u e r a i t , si e l l e n ' a v a i t à p r o p o s e r a u x é m i g r a n t s q u e la c o n d i t i o n d ' o u v r i e r s à g a g e s . M a i s , s a n s ê t r e o b l i g é d e v e n d r e la t e r r e acre par acre, on peut trouver u n moyen d'encourager l'émigration, qui n'a pas été employé jusqu'ici et q u i , en l u i - m ê m e , n'exclut pas le m o b i l e r é s u l t a n t d e la facilité d e d e v e n i r p r o priétaire. C e m o y e n , c'est l e c r é d i t a c c o r d é a u x t r a v a i l l e u r s , et leur admission c o m m e intéressés dans les b é n é f i c e s d e l ' o p é r a t i o n t o u t e n t i è r e . S u p p o s o n s , p a r e x e m p l e , q u e la C o m p a g n i e , n e r e cevant d'abord q u e des personnes ayant quelq u e s r e s s o u r c e s , a c c o r d e à c h a q u e c h e f d e fam i l l e u n c r é d i t é g a l à t r o i s fois la s o m m e q u ' i l verserait avant de partir, et qu'elle attribue aux travailleurs u n e portion des bénéfices. C h a q u e famille a u r a i t i m m é d i a t e m e n t l e m o y e n d e s'é-


( 24 ) q u i p e r c o n v e n a b l e m e n t p o u r le t r a v a i l . C e l a s e u l p r é v i e n d r a i t b i e n d e s m a l a d i e s q u e l'on r a p p o r t e aux intempéries d u climat, lorsqu'elles ne devraient être attribuées qu'à l'absence de précautions par négligence, par ignorance, et s u r t o u t p a r d é f a u t d e m o y e n s suffisants p o u r p a y e r c e s p r é c a u t i o n s . — U n s a l a i r e fixe s e r a i t attribué à l'entreprise de c h a q u e travail. Les travailleurs auraient, en o u t r e , u n e part dans les b é n é f i c e s , p a y a b l e e n actions o u certificats d e la C o m p a g n i e . D e tels a v a n t a g e s n ' o n t j a m a i s é t é o f f e r t s à la c o l o n i s a t i o n , e t c e p e n d a n t ils s e r o n t , p o u r l a C o m p a g n i e e l l e - m ê m e , p l u s g r a n d s q u e p o u r les t r a v a i l l e u r s . U n e fois c o n s t i t u é s d é b i t e u r s e n v e r s la C o m p a g n i e , l e s é m i g r a n t s s o n t liés a u t r a v a i l p a r l ' o b l i g a t i o n civile la p l u s s t r i c t e . A u m o y e n d e la p a r t i c i p a t i o n a u x b é n é f i c e s , ils s o n t a t t a c h é s à la d e s t i n é e d e la C o m p a g n i e , e t c e l l e c i , d é l i v r a n t ses a v a n c e s e n o b j e t s d e s o n p r o pre c o m m e r c e , a u n e nouvelle occasion de b é néfices. L'avance d e 3 o u 4 p o u r 1 a m ê m e lieu s a n s d é b o u r s , e t se r é d u i t à u n e a s s o c i a t i o n p a r tielle d u t r a v a i l l e u r a u c r é d i t g é n é r a l d e la s o c i é t é . Q u a n t a u v o y a g e d e s é m i g r a n t s e t à la f a c u l t é d e rapatriation gratuite qu'il sera p e u t - ê t r e b o n d e l e u r a c c o r d e r e n c a s d e m a l a d i e , il est t r è s p r o b a b l e q u e jusqu'à u n succès bien constaté p e n d a n t plusieurs a n n é e s , le G o u v e r n e m e n t


( 25 ) c o n s e n t i r a à faire faire l e s e r v i c e p a r d e s b â t i m e n t s d e l ' É t a t , e t q u e , s u r la d e m a n d e d e l a C o m p a g n i e , il y c o n s a c r e r a q u e l q u e s - u n e s d e s g r a n d e s c o r v e t t e s q u i déjà v o n t p l u s i e u r s fois p a r a n s u r les c ô t e s d e la G u y a n e . Ce s e r a u n avantage à stipuler. C e t a r t i c l e émigration é t a n t u n e chose ess e n t i e l l e p o u r l'avenir d e la n o u v e l l e c o l o n i e , exigera u n e discussion a p p r o f o n d i e , lorsqu'il s'agira d ' a r r ê t e r d é f i n i t i v e m e n t les b a s e s d e l'opération. J'aurai alors occasion de développer q u e l q u e s a u t r e s i d é e s s u r les m o y e n s d e d é t e r m i n e r l'émigration volontaire et de naturaliser la p o p u l a t i o n e u r o p é e n n e d a n s les r é g i o n s équatoriales. — Je me b o r n e en ce m o m e n t à p o s e r les p r i n c i p e s s u i v a n t s : D o m a i n e d e la C o m p a g n i e , i n d i v i s q u a n t a u t e r r i t o i r e , soumis à u n plan d e c u l t u r e o ù les détails seront c o o r d o n n é s par r a p p o r t à l'ens e m b l e ; d i s t r i b u é s e u l e m e n t e n communes q u a n t à la c i r c o n s c r i p t i o n a d m i n i s t r a t i v e , e t e n t i t r e s i m m o b i l i e r s q u a n t à la p r o p r i é t é . L e s é m i g r a n t s d e la r a c e b l a n c h e , p r i s u n i q u e m e n t p a r m i les p e r s o n n e s a y a n t u n e p r o f e s s i o n et quelques avances; S a l a i r e fixe p o u r c h a q u e e m p l o i e t p o u r les diverses tâches de travail; Crédit d'établissement accordé aux émigrants avec b o n n es garanties;


( 26 ) P r i m e a u t r a v a i l s u r les b é n é f i c e s . Il s'agirait d ' o r g a n i s e r u n e C o m p a g n i e financ i è r e p o u r l ' a c h a t e t la m i s e en v a l e u r d e l ' e n s e m b l e d e s p r o p r i é t é s a c t u e l l e m e n t é t a b l i e s à la G u y a n e , t e r r e s et esclaves, et de c r é e r u n capital d ' e x p l o i t a t i o n assez é l e v é p o u r qu'il s o i t p o s s i b l e d e c o m b i n e r u n e faisance-valoir p l u s avantag e u s e d e s p r o p r i é t é s q u i e x i s t e n t d é j à , a v e c le d é f r i c h e m e n t d e s t e r r e s v a c a n t e s e t la f o n d a t i o n d'une nouvelle population.

FORMATION

D U CAPITAL

D'EXPLOITATION.

U n c a p i t a l d e cinquante millions d e francs suffirait à l'achat d e s p r o p r i é t é s é t a b l i e s , et f o u r nirait de nouveaux moyens d'exploitation. Il est i n u t i l e d ' é n u m é r e r les a v a n t a g e s a t t a c h é s à la p o s s e s s i o n e x c l u s i v e d ' u n t e r r i t o i r e , s u r t o u t l o r s q u ' i l s'agit d ' y f o n d e r u n n o u v e a u s y s t è m e d e c u l t u r e e t d ' o r g a n i s e r le t r a v a i l d ' a p r è s les p r i n c i p e s d ' u n e s a g e é m a n c i p a t i o n . N o u s a v o n s vu q u e la v a l e u r t o t a l e d e s p r o p r i é t é s d e la G u y a n e f r a n ç a i s e é t a i t p o r t é e , d a n s la s t a t i s t i q u e officielle, a u chiffre d e 36,000,000 fr. Il s e r a p o s s i b l e d e les a c q u é r i r s a n s e x c é d e r u n e s o m m e q u i p e u t v a r i e r e n t r e 28 e t 3 o , o o o , o o o fr. L e s h a b i t a n t s se m o n t r e n t d i s p o s é s à v e n d r e . Quant au moyen d'arriver à u n e évaluation é q u i t a b l e , on aurait recours à un jury institué


(27) ad hoc e t c o m p o s é s u r l e s m ê m e s b a s e s q u e c e l u i q u i est p r o p o s é , d a n s la loi s u r les c a n a u x , p o u r le r a c h a t d e s a c t i o n s d e j o u i s s a n c e . C e j u r y s e r a i t a i n s i c o m p o s é : 1° l e s r e p r é s e n t a n t s d e la p r o p r i é t é c o l o n i a l e a u n o m b r e d e t r o i s ; 2° les r e p r é s e n t a n t s d e la C o m p a g n i e financière au n o m b r e d e t r o i s ; 3° d e u x m a g i s t r a t s , l ' u n d é l é g u é à c e t effet p a r le M i n i s t r e d e la m a r i n e , l ' a u t r e c h o i s i d a n s la c o l o n i e p a r le G o u v e r n e u r . E n c a s d e p a r t a g e , le p r é s i d e n t d u t r i b u n a l d e p r e m i è r e i n s t a n c e d e la S e i n e a u r a i t v o i x d é c i s i v e . Dépenses

et

revenus.

L e s frais d e d e s s é c h e m e n t e t d e d é f r i c h e m e n t d ' u n h e c t a r e d e t e r r e d a n s la G u y a n e s o n t é v a l u é s e n m o y e n n e à 3 o o fr. ( 1 ) . Les établissements n o u v e a u x d'une

Compa-

(1) Tous les calculs sur les dépenses d'exploitation et sur la probabilité des revenus sont empruntes à l'ouvrage de M. Guizan sur les terres noyées de la Guyane. — M. Guizan était ingénieur et directeur de plantations à Surinam, lors du voyage que M. Malouet, intendant de Cayenne, fit dans la colonie hollandaise pour étudier les causes de sa prospérité. M. Malouet demanda aux principaux habitants du pays un ingénieur capable de mettre en valeur les terres incultes de la Guyane française. M. Guizan lui fut indiqué unanimement, et celui-ci a fondé dans notre colonie le plus bel établissement qu'elle possède : c'est le quartier d'Approuague dont le chef-lieu porte le nom de Guizanbourg.


( 28 ) gnie disposant de grands capitaux devraient être c a l c u l é s s u r u n e é t e n d u e d e 2,000 h e c t a r e s , afin de réunir quelques-unes des conditions d'écon o m i e et d e r e s s o u r c e s n é c e s s a i r e s à u n e p r o duction abondante. Six CENT MILLE F R A N C S , suffisent e t a u - d e l à p o u r c o n s t r u i r e , s u i v a n t l e s p r o c é d é s les p l u s a v a n t a g e u x d e la s c i e n c e e t d e la m é c a n i q u e , les u s i n e s e t l e s a t e l i e r s d e s t i n é s à la p r é p a r a t i o n d e s d e n r é e s p r o d u i t e s p a r u n e telle é t e n d u e d e terre. O n p e u t d o n c établir, à r a i s o n d e 600 fr. p a r h e c t a r e , l e s d é p e n s e s d e mise en c u l t u r e . D ' a p r è s l ' e s t i m a t i o n a c t u e l l e ( v o i r Notices stat., p . 2 2 0 ) , les 11,826 h e c t a r e s q u i f o r m e n t t o u t e la p a r t i e c u l t i v é e d e la G u y a n e , d o n n e n t c h a q u e a n n é e u n r e v e n u n e t d e 4,574,355 fr., c e q u i fait e n m o y e n n e u n p r o d u i t d e 375 fr. p a r h e c t a r e . M a i s o n n e p e u t se d i s s i m u l e r q u e c e t t e é v a l u a t i o n e s t b i e n e x a g é r é e q u a n t à la d é p e n s e e t b i e n faible q u a n t a u x r e v e n u s . Si les 11,000 h e c t a r e s e x p l o i t é s a u j o u r d ' h u i d a n s la G u y a n e , à p e u p r è s s a n s c a p i t a u x , e t a v e c l e s m o y e n s d e p r o d u c t i o n les p l u s g r o s s i e r s , r e n d e n t 4,500,000 fr., c o m m e n t l e s m ê m e s t e r r e s , e x p l o i t é e s a v e c t o u t e s les r e s s o u r c e s q u e d o n n e n t les c a p i t a u x e t l e s m o y e n s m é c a n i q u e s , et a v e c les a v a n t a g e s r é s u l t a n t d ' u n e a d m i n i s t r a tion sur g r a n d e échelle, n e donneraient-elles pas un revenu supérieur?


( 29 ) Il faut penser également q u e l'emploi d e s moyens mécaniques p o u r les desséchements e t les o p é r a t i o n s e n t r e p r i s e s s u r 20,000 h e c t a r e s à la f o i s , a u lieu d e a o u 3 , 0 0 0 , d i m i n u e r a i e n t considérablement la s o m m e d e dépense q u e n o u s a v o n s a d m i s e p o u r c h a q u e h e c t a r e défric h é (1). L e capital d e c i n q u a n t e millions d e francs p o u r r a i t ê t r e e m p l o y é d e la m a n i è r e suivante : A c h a t d e 11,826 h e c t a r e s , d é j à m i s e n c u l t u r e , e t d e 13,727 e s claves f o r m a n t la p o p u l a t i o n a c tive d e s t r a v a i l l e u r s d a n s la G u y a n e française, 30,000,000 Défrichement e t mise e n cult u r e d e 16,000 h e c t a r e s d e t e r r e s vacantes, Travaux publics e n participation avec l'État, Navigation et constructions, Pour encourager l'émigration, Réserve,

10,000,000 2,000,000 2,000,000 1,000,000 5,ooo,ooo 5o,ooo,ooo

L e c a p i t a l d e 5 o , o o o , o o o fr. s e t r o u v e r a i t t o u t (1) Plusieurs ingénieurs que j'ai consultés, en Europe, ont affirmé qu'avec les procédés actuels de l'industrie, la dépense du desséchement d'un hectare ne s'éleverait pas au-dessus de40fr.


( 30 ) d ' a b o r d g a r a n t i : 1° p a r l ' e n s e m b l e d e s p r o p r i é tés déjà exploitées e t q u i o n t u n e v a l e u r réelle bien

supérieure

3 0 , 0 0 0 , 0 0 0 fr.; 2

à la v a l e u r 0

vénale

p a r la p o s s e s s i o n

d e 28 à

incontestée

d ' u n e g r a n d e q u a n t i t é d e t e r r e s f e r t i l e s ; 3° p a r la plus-value q u i serait acquise n é c e s s a i r e m e n t , soit a u x t e r r e s c u l t i v é e s , s o i t a u x t e r r e s e n f r i c h e , le j o u r o ù l ' o n v e r r a i t u n e c o l o n i e a u s s i fertile en ressources passer aux mains d'une Compagnie p u i s s a m m e n t a c c r é d i t é e d a n s la f i n a n c e . L e r e v e n u d e 11,826 h e c t a r e s , a s s u r é d è s la p r e m i è r e a n n é e e t é v a l u é d a n s la s t a t i s t i q u e officielle à 4,500,000 fr., p e r m e t t r a i t d e d o n n e r u n d i v i d e n d e i m m é d i a t d e 9 %. Les

16,000 h e c t a r e s d é f r i c h é s à n o u v e a u e t

d o n t la m i s e e n c u l t u r e t o t a l e e x i g e r a i t six a n s , donneraient chaque année u n accroissement de dividende

d o n t la p r o g r e s s i o n

s'élèverait,

au

b o u t d e la s i x i è m e a n n é e , à 18 % d u c a p i t a l d e 50,000,000 f., e n t o u t 27 %. E n c o r e le d i v i d e n d e est-il é v a l u é Meilleur

d'après

emploi

u n e moyenne

des ateliers

déjà

très-basse. organisés.

En o p é r a n t s u r u n c a p i t a l q u i d o n n e m o y e n d ' a c h e t e r i m m é d i a t e m e n t 14,000 travailleurs climatés,

la C o m p a g n i e se t r o u v e p l a c é e

acdans

des conditions beaucoup plus avantageuses par r a p p o r t à la difficulté la p l u s s é r i e u s e d ' u n e c o -


(

31

)

l o n i s a t i o n d a n s la G u y a n e , le manque de bras. C e t a t e l i e r d e 14,000 n o i r s , à la d i s p o s i t i o n d ' u n e C o m p a g n i e q u i p e u t les r é u n i r , les d i v i s e r , e t les p o r t e r , t a n t ô t d ' u n c ô t é , t a n t ô t d e l ' a u t r e , fera t r o i s o u q u a t r e fois p l u s d ' o u v r a g e et d e m e i l l e u r o u v r a g é q u e l'on n ' e n p o u r r a i t o b t e n i r d e c e n t a t e l i e r s isolés e t c o m p o s é s d e 140 t r a v a i l l e u r s c h a c u n . Un e m p l o i j u d i c i e u x d e la m é c a n i q u e a j o u t e r a e n c o r e b e a u c o u p à la p r o d u c t i o n . E n f i n , il s e r a facile d ' a u g m e n t e r le n o m b r e d e t r a v a i l l e u r s d e 3,000 b l a n c s e m p l o y é s a u x o u vrages intérieurs, exécutés à couvert : fabrication d e s u c r e , p r é p a r a t i o n d u r o c o u , d u café, d u c o t o n , etc., etc. Indiens

de l ' A m a z o n e .

I n d é p e n d a m m e n t d e la f a c u l t é d ' a c h e t e r d e s e s c l a v e s d a n s les c o l o n i e s f r a n ç a i s e s e t a u B r é s i l , afin d e l e u r d o n n e r la l i b e r t é s u r ses d o m a i n e s , la C o m p a g n i e p o u r r a se p r o c u r e r é g a l e m e n t d e s I n d i e n s d o n t le travail s e r a t r è s - p r é c i e u x p o u r les d é f r i c h e m e n t s , l ' e x p l o i t a t i o n d e s b o i s , l'élève d e s b e s t i a u x , la g a r d e d e s t r o u p e a u x , la c h a s s e , la n a v i g a t i o n i n t é r i e u r e , la p è c h e , l ' e x p l o r a t i o n d e l o c a l i t é s n o u v e l l e s , le t r a c é d e s r o u t e s . L e s I n d i e n s q u i h a b i t e n t les b o r d s d e l ' A m a z o n e s o n t fort i n d u s t r i e u x . U n g r a n d n o m b r e v i v e n t d é j à s u r les p o s s e s s i o n s f r a n ç a i s e s d e la G u y a n e .


( 32 ) M a i s , e n o u t r e , les I n d i e n s d u P a r a , q u i s o n t c o n n u s p o u r exercer plusieurs industries utiles d a n s c e t t e p r o v i n c e , a y a n t é t é p e r s é c u t é s p a r le g o u v e r n e m e n t b r é s i l i e n , se m o n t r e n t t r è s - d i s p o s é s à l'émigration.

CONCLUSION.

L ' e x p o s é q u ' o n v i e n t d e lire c o n t i e n t s e u l e m e n t les d o n n é e s p r e m i è r e s d e l ' o p é r a t i o n q u ' i l serait possible de tenter p o u r coloniser à n o u v e a u la G u y a n e f r a n ç a i s e , e t p o u r m e t t r e e n val e u r les t e r r a i n s d e la c o n c e s s i o n . Il est d e s t i n é à o u v r i r la d i s c u s s i o n d e l'affaire e t n o n à p r é c i s e r les v o i e s e t m o y e n s , c h o s e q u i n e p e u t ê t r e faite q u ' u l t é r i e u r e m e n t e t d ' u n c o m m u n a c c o r d a v e c les f o n d a t e u r s d e la C o m p a g n i e d ' e x p l o i t a tion.


PIECES

JUSTIFICATIVES.

RENSEIGNEMENTS SUR

LE P R O D U I T DES C U L T U R E S ET

L E P R I X COURANT DES D E

L A

Produit

par

G U Y A N E

DENRÉES

F R A N Ç A I S E .

I. hectare des Guyane Quanti­ tés

DENREES.

le kilos. Ml. minimum

3,375

Sucre< moyenne,

4,500

maximum

6,7V) j

1" recolle 211 Coton (1)

<)< r é e n l t p

Cacao (3).

i

dans

la

PRODUIT EN FRANCS.

OBSERVATIONS.

fr. c. 1,080 Le sucre brut est évalué à rai­ » raffiné.. 2,700,60 son de 32 fr. le quintal, ou 32 » brut. .1,440 cent, le kllog; et le sucre raffiné à raison de 80 fr. >> raffiné.. 3,600 le (]uin(al. ou Ro cent, le kilog. •> brul 2,160

Sucre brut

raffiné. 5,400 Évaluation h rai­ son de I fr. 60 c. le kilog.

422

675

POU

1,312

Évaluation à I fr. 04 c. le kilog.

«m

1,050

Évaluation à I fr. 70c. le kilog.

'211

Café (2).

diverses cultures française.

Cl) SI l ' é f r e n a r e d u c o t o n s e fait a u m o y e n d ' u n e m a c h i n e a v a p e u r , c h a q u e I r a v a i l l e u r p e u t c u l t i v e r e t r e c o l l e r 7 h e c t a r e s , ( f t c n s r i g n c i u c n t f l f o u r n i s p a r M. Bar­ r i r a . d i r e c t e u r d e ta p l a n t a t i o n b o m b o u r g , A S u r i n a m . ) (a) C h a q u e o u v r i e r e m p l o y é à la c u l t u r e d u c a f é p r o d u i t i.ooo k l l o g p a r a n (Guican, page iso). (s) U n t r a v a i l l e u r p e u t c u l t i v e r p a r a n « h e c t a r e s Î:; a r e s ( G u l r a n , p . l e a ) .

3


( 34 )

II. Prix

courant

légal des denrées, officiel de la Guyane

publié dans française.

le

journal

ANNÉES DENRÉES. 1839.

1838.

Sucre brut • .

• fr, 50 c . l e k i l o g . •> fr- 4JC. le k i l o g

1840. » fr- s o c . l e k U o g -

31

déc

>' fr. su c . le kilog

»

&t

SO

I

*

Coton sans disUnctioa.. . i

as

S

»

Girofle n o i r . .

10

I

00

a

»

»

M

I

m

terré. .

Calé marchand en parchemin . . .

«s

I

SO

•»

blanc.

I

s

griffes,

I

ad

70

a

«

I

«

I

ftt

SO

40

»

&j

»

au

Cacao.....

»

«o

70

M

70

M

M

Couac

za

*a

l'eaux de bœuf

l

*

<*

la p e a u . •

»

1842.

SO

la p e a u •

»

la p e a u . i o

»

la p e a u


SUITE

DES PIÈCES

JUSTIFICATIVES.

EXTRAIT DE DIVERS

DOCUMENTS

STATISTIQUES

ET

GEOGRAPHIQUES

SUR LA GUYANE.

1. OPINION D E M. NOTER,

Forêts Variété UNE

de la Guyane

et richesse

COMMISSION

MINISTRE

AUTEUR D'UN OUVRAGE

vierges

DE

des bois

INSTITUÉE

et

LA M A R I N E

À

les bois

DE

1826,

UN

ET

RÉSULTATS

ONT

ÉTÉ

À

la

CONSIGNÉS

la

:

Guyane.

BREST,

EN

1825

de

par

S.

s'est

GUYANE,

TRAVAIL

DANS

SUIVI

DES

EX.

l'effet

DES COLONIES , À

V I S I T E R ET D ' E X A M I N E R 1824,

INTITULÉ

Française.

LE DE

LIVRÉE,

D O N T LES

RAPPORTS

AU

M I N I S T R E D E LA M A R I N E . IL R É S U L T E PUBLIÉES TROIS

des

DANS

ESPÈCES

ÉMINEMMENT

OBSERVATIONS

les Annales DE BOIS PROPRES

D E la

COMMISSION

maritimes,

EXAMINÉES

ont

QUE ÉTÉ

les

(1)

,

VINGT-

RECONNUES

AUX CONSTRUCTIONS NAVALES; QU'À

(1) Cette C O M M I S S I O N N'A É T U D I É qu'une Mana, e t , D A N S la seule Guyane FRANÇAISE,

celle D E compte vingt

RIVIÈRE, ON

FLEUVES ET RIVIÈRES N A V I G A B L E S .

3.


( 36 ) la vérité elles s o n t s u s c e p t i b l e s d e se tendre et d e s e g e r c e r par la d e s s i c c a t i o n , niais que leur d e n s i t é parais saut être la cause q u i s'oppose à l'évaporation d e la s é v e , o n pourrait faciliter cette é v a p o r a t i o n i m m é d i a t e m e n t après l'abattage, soit e n s c i a n t les p i è c e s q u i d o i v e n t être d é b i t é e s en b o r d a g e s , d e m a n i è r e à mettre le c œ u r à d é c o u v e r t , soit e n traversant le b o i s par d e s trous d e tarière. O u t r e les e s p è c e s p r o p r e s a u x c o n s t r u c t i o n s , les forêts d e la G u y a n e p r o d u i s e n t plusieurs b o i s d é b é nisterie. L e s principaux s o n t : Le b o i s d e lettre moucheté, le bois-bagot, le satine rubané, le moutouchy-grand-bois, le férolle , le panacoco, le boco , le bois violet, e t c . , e t c . , Les b o i s d'ébénisterie d e la G u y a n e p e u v e n t faire de très-beaux meubles massifs, et sont susceptibles de r e c e v o i r u n bien plus b e a u poli q u e t o u t e s les autres e s p è c e s . Les terres alluvionnaires qui b o r d e n t le littoral d e la G u y a n e s o n t p e u p l é e s d e forêts d e palétuviers o u mangliers. O n e n c o n n a î t d e u x e s p è c e s : le palétuvier blanc (rizophora) e t l e rouge ( a v i c e n n i a ) . L e palétuvier blanc e s t e x c e l l e n t p o u r chauffer les machines à vapeur. O n fait avec l e palétuvier rouge d e s pilotis ; mais c'est s u r t o u t s o n é c o r c e qui est é m i n e m m e n t utile dans l'art d u t a n n e u r : elle r e m p l a c e l'écorce du c h ê n e . O n t r o u v e d a n s la forêt d e la G u y a n e u n e g r a n d e quantité d'arbres à g o m m e , à r é s i n e , à b a u m e , d o n t o n pourrait utiliser les p r o d u i t s . O n en retirerait en a b o n d a n c e la g o m m e d'acajou, celle d e monbin, le b a u m e d e copahu, le b a u m e d e


( 37 racoucini,

)

a u q u e l les I n d i e n s a t t r i b u e n t d e s propriétés

médicinales

m e r v e i l l e u s e s ; la résine

caoutchouc ; celle d e courbari,

élastique

ou

aussi belle et aussi p u r e

q u e la résine copal ; le mani, q u i d o n n e u n e e s p è c e d e brai

s e c ; le guinguiamadou

adipocire,

d o n t on extrait u n

q u i sert à faire d e s b o u g i e s .

C e s forêts p r o d u i s e n t aussi u n e g r a n d e variété d e fruits o l é a g i n e u x d o n t o n o b t i e n t d e s huiles c o n c r è t e s ou liquides. On y r e n c o n t r e le vanillier g r i m p a n t s u r les t r o n c s d e s v i e u x p a l m i e r s ; le q u i n q u i n a , e t c . , e t c . C'est s u r t o u t d e la n o m b r e u s e famille d e s palmiers q u e l'on p e u t tirer u n e foule d'avantages. M . d e H u m boldt en a décrit q u a t r e - v i n g t - s i x

plantes

espèces dans ses

équinoxiales.

La m é d e c i n e t r o u v e r a d e riches m o i s s o n s à faire d a n s les v é g é t a u x d e t o u t e e s p è c e d o n t est c o u v e r t le sol

fertile d e la G u y a n e . D e p u i s l'Oyapock j u s q u ' à

l'Araouari, les rivières sont

p o u r ainsi dire

vierges;

leurs rives s o n t p e u p l é e s d e belles forêts o ù la c o g n é e n'a p o i n t e n c o r e retenti. La p r e m i è r e rivière

qui se présente, au sud de

l'Oyapock, est celle d e Cachipour, qui m e s e m b l e r é u nir t o u t e s l e s c o n d i t i o n s

nécessaires à u n e g r a n d e

e x p l o i t a t i o n . S o n e m b o u c h u r e e s t saine et p r o f o n d e . On pourrait établir s u r la c ô t e d e s p ê c h e r i e s q u i proc u r e r a i e n t d e g r a n d e s ressources alimentaires a u x exploitants. La m e r y fournit u n e g r a n d e q u a n t i t é d e p o i s s o n s d e t o u t e e s p è c e , parmi l e s q u e l s est le pirarocou qui a q u e l q u e a n a l o g i e avec la m o r u e . L e s lacs q u e r e n f e r m e c e t t e partie d e la G u y a n e abondent

en lamantins

mammifères

du poids d e


( 38 ) quatre à c i n q

c e n t s l i v r e s ) , d o n t la chair r e s s e m b l e

beaucoup à celle du porc. ( T o u t e s les n o t e s q u i p r é c è d e n t s o n t extraites d'un ouvrage çaise,

i n t i t u l é : Forêts vierges

de la Guyane

fran-

par M . N o y e r , i n g é n i e u r - g é o g r a p h e et d é l é g u é

de Cayenne. Paris, 1 8 2 7 , chez Mad. veuve Huzard.) II. OPINION D E MALTE-BRUN.

Salubrité

du climat.

C o n s i d é r é s o u s le rapport d e la s a l u b r i t é , l e c l i m a t de la G u y a n e a é t é trop c a l o m n i é . Il a les d o u b l e s i n c o n v é n i e n t s attachés à t o u t pays e n f r i c h e , c o u v e r t d e b o i s o u d e marais, et à t o u t e c o n t r é e c h a u d e et h u m i d e . Les m a l a d i e s qui a t t a q u e n t les E u r o p é e n s n o u v e l l e m e n t arrivés s o n t d e s fièvres c o n t i n u e s . C e s o n t les abatis n o u v e l l e m e n t faits q u i e x p o s e n t le p l u s la s a n t é d e s c o l o n s ; le soleil d é v e l o p p e l e s m i a s m e s q u ' e x h a l e u n terrain f o r m é d e débris d e v é g é t a u x a c c u m u l é s d e p u i s d e s siècles ; m a i s c e d a n g e r n'existe q u e d a n s l e s prem i è r e s a n n é e s . L e s fièvres tierce et d o u b l e - t i e r c e , q u i règnent habituellement

dans

le p a y s , s o n t

incom-

m o d e s , mais p e u d a n g e r e u s e s . L e s é p i d é m i e s s o n t trèsrares , e t la p e t i t e v é r o l e y a é t é e x t i r p é e . (MALTE-BRUN, Précis de la Géographie

universelle,

liv. 192.)

Ressources du sol et moyens de prospérité. La Guyane française,

e n t r e la p r é c é d e n t e e l l e terri-

toire b r é s i l i e n , c o m p r e n d , d e p u i s

l'embouchure du


( 39

)

Maroni jusqu'à celle d e l'Oyapock, u n e é t e n d u e d e 80 l i e u e s de c ô t e s . Ces d e u x rivières qui lui s e r v e n t d e limites à l'est e t à l'ouest s o n t l e s p l u s c o n s i d é r a b l e s qui l'arrosent. E n t r e c e s d e u x c o u r s d ' e a u , l ' A P P R O U A G U E e t la M A N A o n t 30 à 40 l i e u e s d e l o n g u e u r .

C e t t e partie d e la G u y a n e e s t p l u s saine q u e l e s d e u x autres e t p r é s e n t e les é l é m e n t s d e la p l u s g r a n d e p r o s -

périté. Il n'y règne aucune

maladie endémique : la

petite v é r o l e n'y a paru q u e d e u x fois e n 24 a n s , et la fièvre j a u n e u n e s e u l e fois d e p u i s la f o n d a t i o n d e la c o l o n i e . L e sol e s t très-fertile. Q u e l s p r o g r è s l'agric u l t u r e n e p e u t - e l l e pas y faire, p u i s q u e s u r u n e s u perficie égale au c i n q u i è m e d e t o u t e la F r a n c e , c e t t e c o l o n i e n'a q u e 7,774 (1) h e c t a r e s e n c u l t u r e ! L e t e r ritoire d e c e t t e c o l o n i e r e n f e r m e d e vastes savanes d o n t l e s p â t u r a g e s p o u r r a i e n t servir à f o n d e r u n e b r a n c h e d'industrie i m p o r t a n t e , e n y élevant d e s c h e v a u x e t d e s b ê t e s à c o r n e s , d o n t il serait facile d'app r o v i s i o n n e r les A n t i l l e s , e t c . , e t c . La nature n'a pas traité C a y e n n e a v e c m o i n s d e fav e u r q u e S u r i n a m . Mais l'ignorance si c o m m u n e c h e z les h o m m e s d'État français, la p r é s o m p t i o n , c o m p a g n e d e l ' i g n o r a n c e , enfin la p u i s s a n c e c o m b i n é e d e l ' i n t r i g u e e t d e la r o u t i n e , o n t t o u j o u r s e n c h a î n é les h o m m e s éclairés et e n t r e p r e n a n t s q u i o n t p r o p o s é l e s vrais m o y e n s p o u r faire sortir c e t t e c o l o n i e d e sa trop longue enfance. ( M A L T E - B R U N , ibid.) (1) La statistique officielle donne un chiffre plus élevé.


(

)

40

III. OPINION

DE

L'INGÉNIEUR D'OYAPOC

ET

GUIZAN

SUR

LES

TErRES

D'APPROUAGUE.

C'est à O y a p o c q u e s o n t l e s m e i l l e u r e s terres b a s s e s ; m a i s l e u r g r a n d é l o i g n e m e n t s'opposait à c e q u ' o n pût raisonnablement

leur

d o n n e r la p r é f é r e n c e s u r

c e l l e s d ' A p p r o u a g u e qui s o n t e x c e l l e n t e s et en tout à celles de Surinam,

semblables

o ù l'on en c u l t i v e a s s u r é -

m e n t u n e t r è s - g r a n d e q u a n t i t é qui leur s o n t m ê m e d e b e a u c o u p inférieures.

Il est vrai q u e c e s terres s o n t

u n p e u froides actuellement, o u paraissent l'être; m a i s cela n e v i e n t q u e parce q u e c e t t e plage

commence

s e u l e m e n t d'être r é c e m m e n t e n t r è s - p e t i t e partie d é couverte,

et

que

les d e s s é c h e m e n t s

n'y s o n t

en-

c o r e ni assez p r o f o n d é m e n t c r e u s é s ni assez p e r f e c t i o n n é s ; dès qu'ils le s e r o n t s u f f i s a m m e n t , et q u e la partie d é c o u v e r t e sera a u g m e n t é e

par d e n o u v e a u x

d é f r i c h é s , o n verra u n e n o u v e l l e f o r c e , u n e n o u v e l l e activité à la v é g é t a t i o n qui est déjà si p r o d i g i e u s e ; t o u t e s les c u l t u r e s y r é u s s i r o n t b i e n m i e u x e n c o r e , et les c h a n g e m e n t s d e s a i s o n , u n e x c è s d e pluie o u d'humidité n'opéreront a u c u n c h a n g e m e n t q u e l c o n q u e qui p u i s s e être défavorable a u x plantes.

Cependant,

c e n'est q u e l o r s q u e les é t a b l i s s e m e n t s s e r o n t p o u s s é s à u n e c e r t a i n e p r o f o n d e u r d a n s les p i n o t i è r e s , qu'on reconnaîtra à c e sol t o u t e s les richesses qu'il renferme. La rivière d ' A p p r o u a g u e e s t d o n c la s e u l e d e c e t t e c o l o n i e qui r é u n i s s e t o u s les avantages vraiment désirables : à la r i c h e s s e

d e s t e r r e s , à leur é t e n d u e , à

l'agrément d e s p o s i t i o n s les plus h e u r e u s e s , et à t o u t


(

41

)

c e qui c o n s t i t u e la salubrité , s e j o i n t e n c o r e u n e prérogative b i e n i m p o r t a n t e , celle d'être m o i n s i n c o m m o d é et p r e s q u e e x e m p t d'une m u l t i t u d e d'insectes qui v o u s d é v o r e n t p l u s o u m o i n s dans la plupart d e s autres parties d e la c o l o n i e ; c'était d o n c le quartier le p l u s p r o p r e à l'établissement d'une c o l o n i e et aux progrès d e s grandes cultures. B i e n p l u s , cette rivière a e n c o r e l'avantage p a r t i c u lier d'être la plus navigable d e t o u t e s celles d e la G u y a n e française; et a u c u n e m ê m e d e toutes les autres parties d e la G u y a n e en général n'a u n p o i n t de r e c o n n a i s s a n c e aussi r e m a r q u a b l e : c'est le C o n n é t a b l e , vaste r o c h e r q u i se t r o u v e à q u e l q u e s lieues au n o r d de s o n e m b o u c h u r e . (GUIZAN , p . 3 1 5 . ) IV. OPINION

DE

COLONIE

M DE

TENTATIVES

MALOUET CAYENNE

SUR

ET

PRÉCÉDENTES.

LES

LES

RESSOURCES

CAUSES

DE

D INSUCCÈS

LA DES

( A n n é e 1778.)

P o u r le d e s s é c h e m e n t d e s terres basses et les e s p é rances q u e l'on doit en c o n c e v o i r , la c o l o n i e de S u r i n a m e t la richesse d e ses cultures f o r m e n t u n e c o l l e c t i o n d e p r e u v e s qui n e pourra être d é t r u i t e ni par les effets r u i n e u x du l u x e excessif d e ses h a b i t a n t s , ni par la différence g é o g r a p h i q u e d e s terres h o l l a n daises et des n ô t r e s . Les Hollandais o n t été o b l i g é s de bâtir à g r a n d s frais sur la v a s e , de recueillir dans des citernes les eaux d e p l u i e , d e faire des d i g u e s et des canaux avant d e p o u v o i r planter des v i v r e s ; et les Français p e u v e n t avoir des m a g a s i n s , de l'eau, des


( 42 ) vivres sur la t e r r e f e r m e e n v i r o n n a n t e , a v a n t d e c o m m e n c e r leurs travaux, d a n s les p i n o t i è r e s . (Mémoires sur les colonies, tome III, p. 267.)

T o u t e s les e n t r e p r i s e s d u G o u v e r n e m e n t et d e s particuliers o n t é t é faites avec la m ê m e i n c o n s i d é r a t i o n . La d i f f é r e n c e d e s projets n'a p o r t é q u e sur la p r é f é r e n c e à d o n n e r à tel

o u tel q u a r t i e r , à telle rivière.

T e l a été le p l u s c é l è b r e et le p l u s d é s a s t r e u x d e ces é t a b l i s s e m e n t s d a n s la rivière d e K o u r o u . C e p e n d a n t les Hollandais o n t , à c e n t lieues d e n o u s , u n e c o l o n i e florissante : m ê m e s o l , m ê m e climat, m ê m e s a c c i d e n t s de la n a t u r e ; t o u t s'y r e s s e m b l e , h o r s les plans et les m o y e n s d'institution. Ce sont deux oit un architecte ont bâti, fique,

intelligent

avec la même

l'autre

emplacements

égaux

et un manœuvre

dépense,

une chaumière

ignorant

l'un un palais

magni-

misérable. (Même ouvrage, p. 267 )

OPINION DE M. LE BARON DE

HumBOLDT.

EXTRAITS D'UN OUVRAGE INTITUlÉ : Voyage

aux

régions

équinoxiales. BASSIN

DU

RIO-NEGRO ET DE

l'AMAZONE

DANS LA

GUYANE. — C'est le bassin central et le p l u s

grand

des b a s s i n s de l ' A m é r i q u e d u S u d . 11 est e x p o s é à la f r é q u e n c e d e s p l u i e s é q u a t o r i a l e s ; le c l i m a t , c h a u d e t h u m i d e à la f o i s , y d é v e l o p p e u n e f o r c e d e v é g é t a t i o n à l a q u e l l e rien n e p e u t être c o m p a r é d a n s les d e u x continents. ( T o m e x , page ao3.) Les p r o g r è s q u e la v é g é t a t i o n d e s grands arbres et la culture

des plantes

d i c o t y l é d o n e s o n t faits

dans


( 43 ) les e n v i r o n s d e s v i l l e s , par e x e m p l e a u t o u r d e Calab o z o et d u P é r o u , p r o u v e n t

ce que

l'on pourrait

g a g n e r s u r la s t e p p e , e n l'attaquant par d e

petites

p o r t i o n s , e n l'enclavant p e u à p e u , en la d i v i s a n t par d e s taillis et d e s c a n a u x d'irrigation. ( T o m . i x , p .

80.)

Je suis persuadé q u ' u n e partie c o n s i d é r a b l e d e c e s p l a i n e s , V e n e z u e l a , M e t a , etc., perdra d a n s la s u i t e des siècles , s o u s u n e a d m i n i s t r a t i o n favorable à l'ind u s t r i e , l'aspect s a u v a g e qu'elles o n t c o n s e r v é d e p u i s la c o n q u ê t e d e s E u r o p é e n s . ( T o m e i x , p a g e

80.)

La p l u s p e u p l é e des divisions d e V e n e z u e l a , la p r o v i n c e d e Caraccas, c o n s i d é r é e sans e x c l u r e les Llanos,

dans son e n s e m b l e ,

n'a e n c o r e q u e la p o p u l a t i o n

relative d e T e n n e s s é e ; et c e t t e m ê m e p r o v i n c e , e n e x c l u a n t les Llanos,

offre d a n s sa partie s e p t e n t r i o -

n a l e , s u r p l u s d e 1800

l i e u e s c a r r é e s , la p o p u l a t i o n

relative de la Caroline d u S u d . C e s 1,800 l i e u e s c a r r é e s , c e n t r e d e l'industrie agric o l e , s o n t d e u x fois plus h a b i t é e s q u e la F i n l a n d e , m a i s elles le s o n t e n c o r e d e u n

tiers m o i n s q u e

la

p r o v i n c e d e C u e n ç a , la p l u s d é p e u p l é e de t o u t e l'Esp a g n e . O n n e p e u t s'arrêter à c e résultat sans se livrer à des s e n t i m e n t s p é n i b l e s . — T e l est l'état d a n s l e q u e l la politique c o l o n i a l e et la déraison de l'administration p u b l i q u e o n t laissé d e p u i s trois siècles u n pays d o n t les r i c h e s s e s naturelles rivalisent avec tout c e qu'il y a d e m e r v e i l l e u x sur la t e r r e , q u e , p o u r en t r o u v e r un qui soit é g a l e m e n t d é s e r t , il faut porter s e s regards soit vers les l é g i o n s glacées d u N o r d , soit à l'Est des monts

Alleghanys,

vers

l e s forêts

de

Tennessee,


( 44 ) o ù l e s premiers d é f r i c h e m e n t s n'ont c o m m e n c é q u e depuis un d e m i - s i è c l e ! ( T o m e i x , pag. 2 6 6 . ) Même

avec

neuf millions

d'habitants,

le V e n e -

zuela o u la partie orientale d e la république de Colombia n'aurait pas e n c o r e u n e p o p u l a t i o n plus c o n s i d é rable q u e la V i e i l l e - E s p a g n e ; et c o m m e n t d o u t e r q u e la partie d e c e p a y s , la plus fertile à c u l t i v e r , c'est-àdire,

les 10,000 l i e u e s carrées qui r e s t e n t lorsqu'on

décompte

l e s savanes et l e s forêts p r e s q u e

impéné-

t r a b l e s , e n t r e l ' O r é n o q u e et le C a s s i q u i a r e ,

n e puis-

s e n t , s o u s le b e a u ciel d e s t r o p i q u e s , n o u r r i r a u t a n t d'habitants q u e 10,000 l i e u e s carrées d e l'Estramadure, d e Castille , et d'autres p r o v i n c e s d ' E s p a g n e . ( T o m . ix , p a g . 3 1 5 . ) L e s c ô t e s d e V e n e z u e l a o n t , par la beaute d e leurs p o r t s , par la tranquillité d e la m e r q u i les b a i g n e , et par les s u p e r b e s b o i s d e c o n s t r u c t i o n d o n t elles s o n t couvertes , de grands avantages

sur les côtes des

É t a t s - U n i s . ( T o m . ix, pag. 316.) Les superbes vaisseaux

sortis d e s c h a n t i e r s d e la

H a v a n e , d e Guyaquil e t S a n - B l a s , s o n t plus c h e r s sans d o u t e q u e l e s vaisseaux d e s c h a n t i e r s d ' E u r o p e , mais ils o n t s u r c e s d e r n i e r s , par la nature des bois tropiques,

des

l'avantage d'une l o n g u e d u r é e . ( T o m . i x ,

p a g . 319.) — P e n d a n t le séjour d e M. d e H u m b o l d t e n A m é rique, ordre

fut d o n n é a u vice-roi d e la N o u v e l l e -

E s p a g n e de faire arracher les c e p s d e v i g n e d a n s l e s

provincias La h a i n e

internas. p o r t é e à la c u l t u r e d e la v i g n e dans leS


(

45 )

c o l o n i e s , était d u e à l'influence

des n é g o c i a n t s de

Cadix. ( T o m . i x , pag. 3 5 6 . ) La fertilité d u

sol

est c e p e n d a n t t e l l e , q u e j'ai

c o m p t é à A t t u r è s , sur un s e u l r é g i m e d e m u s a nier),

(bana-

jusqu'à la nourriture journalière d'un h o m m e .

( T o m . v u , pag.

92.)

Espérons que l'homme,

en c h a n g e a n t

la surface

du s o l , parviendra p e u à p e u à c h a n g e r la c o n s t i t u t i o n de l'atmosphère. Les i n s e c t e s d i m i n u e r o n t l o r s q u e les v i e u x arbres d e la forêt a u r o n t d i s p a r u , et q u e

l'on

v e r r a , d a n s ces c o n t r é e s d é s e r t e s , les fleuves b o r d é s de h a m e a u x , les plaines c o u v e r t e s d e pâturages et d e moissons. ( T o m . v u , pag.

139.)

D a n s c e m ê m e site si p i t t o r e s q u e , M. B o n p l a n d fut assez h e u r e u x p o u r d é c o u v r i r plusieurs t r o n c s d e l a u r a s cinnamomoïdes, e s p è c e de cannelier t r è s - a r o matique , c o n n u à l ' O r é n o q u e s o u s le n o m de varim a c a et de canelilla. C e t t e p r é c i e u s e p r o d u c t i o n se t r o u v e dans la vallée de Rio-Caura, près de l ' E s m e r a l d a , et à l'Est des g r a n d e s cataractes. Il paraît q u e c'est le père j é s u i t e F r a n c i s c o d e O l m a qui a d é c o u v e r t le premier la canellila d a n s le pays d e s Piaciors près les s o u r c e s de Cataniopo. Le missionnaire G i l i , qui ne s'est p o i n t avancé jusqu'aux c o n t r é e s q u e j e décris en ce m o m e n t , paraît c o n f o n d r e le varimaca o u guaümaca avec le myristica ou muscadier de 1 Amérique. Ces é c o r c e s et ces fruits a r o m a t i q u e s , la c a n n e l l e , la n o i x d e m u s c a d e , le myrtus pimenta et le l a u r u s pulcheri seraient d e v e n u s des objets importants d e c o m m e r c e , si l ' E u r o p e , lors d e la d é c o u v e r t e d u


( 46 ) N o u v e a u M o n d e , n'avait pas déjà é t é a c c o u t u m é e aux épiceries et a u x

a r ô m e s d e l'Inde. La c a n n e l l e

l ' O r é n o q u e et celle des m i s s i o n s A n d a q u i e s ,

de

dont

M. M u t i s a i n t r o d u i t la culture à Mariquita, s o n t c e p e n d a n t p l u s a r o m a t i q u e s q u e la c a n n e l l e d e C e y l a n , et elles le seraient e n c o r e d a v a n t a g e si elles étaient s é c h é e s et préparées par d e s p r o c é d é s t o u t s e m b l a b l e s . ( T o m . v i i , pag.

220.)

Les embarcations

s o n t faites d u

t r o n c d'un seul

arbre. Ce s o n t les t r o n c s d'une grande e s p è c e d e l a u r i e r , appelé Sassafras

par l e s m i s s i o n n a i r e s , q u e l'on

creuse par le d o u b l e m o y e n d u feu et d e la h a c h e . Ces arbres o n t plus de 100 p i e d s d e h a u t e u r ; le b o i s en est j a u n e , r é s i n e u x , p r e s q u e i n c o r r u p t i b l e d a n s l ' e a u , et pag.

d'une

odeur

très - agréable.

(Tom.

vii,

312.)

L o r s q u ' o n réfléchit s u r l ' i m m e n s e variété d e s v é g é t a u x p r o p r e s à fournir d u c a o u t c h o u c d a n s les r é gions équinoxiales, on regrette que cette substance, si é m i n e m m e n t u t i l e , ne soit pas à plus bas prix parmi n o u s . S a n s p r o p a g e r par la c u l t u r e les arbres à s é v e l a i t e u s e , o n pourrait recueillir dans l e s seules m i s s i o n s d e l ' O r é n o q u e t o u t le c a o u t c h o u c q u e p e u t c o n s o m m e r l'Europe civilisée. D a n s le r o y a u m e de la N o u v e l l e G r e n a d e , o n a fait q u e l q u e s essais h e u r e u x p o u r fabriquer a v e c c e t t e s u b s t a n c e d e s b o t t e s et des souliers sans c o u t u r e . Les O m a g u a s d e l ' A m a z o n e s o n t la n a tion a m é r i c a i n e qui sait le m i e u x travailler le c a o u t c h o u c . ( T o m . v i i , pag.

328.)

S o u s la z o n e t e m p é r é e , sur les b o r d s d u M i s s o u r y ,


( 47 ) comme sUR le plateau du N o u v e a u - M e x i q u e , l'Américain est c h a s s e u r ; mais s o u s la z o n e t o r r i d e , dans l e s forêts d e la G u y a n e , il c u l t i v e d u m a n i o c , d e s b a n a n e s e t q u e l q u e f o i s d u m a ï s . T e l l e e s t l'admirable fertilité d e la n a t u r e , q u e le c h a m p d e l'indigène est u n petit c o i n d e terre; q u e d é f r i c h e r , c'est m e t t r e le feu à d e s b r o u s s a i l l e s ; q u e l a b o u r e r , c'est confier a u

sol

quelques

graines o u des b o u t u r e s . Q u e l'on r e m o n t e par la p e n s é e aux siècles les p l u s r e c u l é s , t o u j o u r s , d a n s c e s f o rêts é p a i s s e s , n o u s d e v o n s n o u s

figurer

les p e u p l e s

tirant de la terre la plus g r a n d e partie de leur n o u r r i t u r e ; n i a i s , c o m m e c e t t e terre p r o d u i t a b o n d a m m e n t s u r u n e petite é t e n d u e et p r e s q u e sans l a b e u r , n o u s d e v o n s n o u s représenter aussi c e s p e u p l e s

comme

c h a n g e a n t s o u v e n t de d e m e u r e le l o n g d'une m ê m e rive. E n effet, e n c o r e a u j o u r d ' h u i , l'indigène de l ' O r é n o q u e v o y a g e a v e c ses g r a i n e s ; il t r a n s p o r t e ses c u l t u r e s (conucos) c o m m e l'Arabe transporte sa tente et c h a n g e de p â t u r a g e . Le n o m b r e d e s plantes c u l t i v é e s q u e l'on t r o u v e sauvages a u m i l i e u des b o i s p r o u v e des h a b i t u d e s n o m a d e s c h e z un p e u p l e a g r i c o l e . P e u t - o n être surpris q u e c e s h a b i t u d e s fassent p e r d r e p r e s q u e t o u s les avantages q u i r é s u l t e n t , s o u s la z o n e

tempérée,

des c u l t u r e s stationnaires , d e c e l l e s des céréales qui e x i g e n t d e vastes terrains e t d e s travaux p l u s assidus. ( T o m . v i i , pag. 3 3 4 . ) J'ai v u arriver, s u r les c o t e s d e la t e r r e - f e r m e , d e s b â t i m e n t s v e n a n t d e D e m e r a r y , c h a r g é s d e fruits d u laryocar

tomentosum

, q u i e s t le pekea

tuberculum

d'Aublet. C e s arbres a t t e i g n e n t jusqu'à 100 p i e d s d'él é v a t i o n , et o f f r e n t , par la b e a u t é de leur corolle et


( 48 ) la m u l t i t u d e de leurs é t a m i n e s , un aspect m a g n i f i q u e . Je fatiguerais le lecteur en c o n t i n u a n t

l'énumération

des merveilles v é g é t a l e s q u e r e n f e r m e n t

c e s vastes

forêts. L e u r variété r e p o s e s u r la c o e x i s t e n c e d'un grand n o m b r e de familles dans un petit espace d e terrain , s u r la force s t i m u l a n t e d e la l u m i è r e et d e la c h a l e u r , sur l'élaboration parfaite d e s s u c s qui circulent

dans

ces

végétaux

gigantesques. ( T o m .

vii,

pag. 348.) Plus o n étudiera la c h i m i e s o u s la z o n e t o r r i d e , et plus o n aura o c c a s i o n , d a n s q u e l q u e l i e u reculé , mais abordable au c o m m e r c e d e l ' E u r o p e , d e d é c o u vrir, à demi préparés dans les o r g a n e s des p l a n t e s , d e s produits q u e n o u s c r o y o n s appartenir au seul r è g n e a n i m a l , o u que n o u s o b t e n o n s par les p r o c é d é s

de

l'art, toujours s û r s , m a i s s o u v e n t l o n g s et p é n i b l e s . Déjà o n a t r o u v é la cire qui e n d u i t le p a l m i e r des A n d e s de Q u i n d i u , le lait nourrissant d u Palo

de

V a c a , l'arbre à beurre de l ' A f r i q u e , la matière caséiforme tirée de la s é v e p r e s q u e a n i m a l i s é e d u Papaya.

Ces d é c o u v e r t e s s e m u l t i p l i e r o n t

Carica

lorsque,

c o m m e l'état p o l i t i q u e d u m o n d e paraît l'indiquer auj o u r d ' h u i , la civilisation e u r o p é e n n e refluera en grande partie d a n s les r é g i o n s é q u i n o x i a l e s d u n o u v e a u c o n t i n e n t . ( T o m . v i i , pag.

151.)

N o u s e û m e s à p e i n e le t e m p s d ' e x a m i n e r , dans le c o u v e n t ( c o v e n t o s ) , d e grands amas d e résine

(mani)

et les c o r d a g e s d u palmier chiquichiqui qui mériteraient b i e n d'être p l u s c o n n u s en E u r o p e . Ces c o r d a g e s s o n t e x t r ê m e m e n t légers, s u r n a g e n t à l'eau, et o n t plus d e d u rée d a n s la navigation d e s rivières q u e les c o r d a g e s d e


( 49 ) chanvre.

Sur

mer,

il

faut,

pour

les

conserver,

les

m o u i l l e r s o u v e n t et les e x p o s e r p e u aux a r d e u r s du soleil. (Tom. vii, pag. 436.) Il serait à d é s i r e r q u ' o n p û t établir d e

grandes

c o r d e r i e s sur les rives d u R i o - N e g r o et d u Cassiquiare p o u r faire d e s câbles u n objet d e c o m m e r c e a v e c l ' E u rope. O n e n e x p o r t e déjà u n e p e t i t e q u a n t i t é d e l'Ang o s t u r a a u x Antilles. Ils y c o û t e n t 5o à 60 p . 100 d e m o i n s q u e les c o r d a g e s d e c h a n v r e . C o m m e o n n ' e m ploie q u e les j e u n e s p a l m i e r s , il faudrait les planter et les s o i g n e r par la c u l t u r e . ( T o m . v i i , pag. 437. ) D e p u i s q u e j'ai q u i t t é les b o r d s de l ' O r é n o q u e e t d e l ' A m a z o n e , u n e n o u v e l l e è r e s e prépare p o u r l'état social d e s p e u p l e s d e l'Occident. A u x fureurs d e s d i s s e n s i o n s civiles s u c c é d e r o n t les bienfaits d e la p a i x , u n d é v e l o p p e m e n t plus libre d e s arts i n d u s t r i e l s . C e t t e bifurcation d e l ' O r é n o q u e , cet i s t h m e d u T u a m i n i , si facile à franchir par u n canal artificiel,

fixeront

les

y e u x de l'Europe c o m m e r ç a n t e . L e C a s s i q u i a r e , l a r g e c o m m e le R h i n , et d o n t le c o u r s a 180 milles d e l o n g , n e formera p l u s e n vain u n e l i g n e navigable e n t r e d e u x b a s s i n s de rivière qui o n t u n e surface de 190,000 l i e u e s carrées. Les grains de la N o u v e l l e - G r e n a d e s e r o n t p o r t é s aux b o r d s du R i o - N e g r o ; d e s s o u r c e s d u N a p o et d e l'Ucayale, des A n d e s de Q u i t o et du haut P é r o u , o n d e s c e n d r a e n bateau a u x b o u c h e s d e l ' O r é n o q u e , sur u n e d i s t a n c e q u i é g a l e c e l l e d e T o m b o u c t o u

à

Marseille. U n pays de n e u f à d i x fois plus é t e n d u q u e l ' E s p a g n e , et e n r i c h i d e s p r o d u c t i o n s les plus v a r i é e s , est n a v i g a b l e dans t o u s les s e n s , par l ' i n t e r m è d e du

4


( 50 ) canal naturel d u Cassiquiare et d e la bifurcation des rivières. U n p h é n o m è n e qui sera u n j o u r si i m p o r tant p o u r l e s relations p o l i t i q u e s des p e u p l e s , m é r i tait sans d o u t e d'être e x a m i n é a v e c s o i n . ( T o m . v i i i , pag. 138.) Il faut avoir m a n g é d e s sapotilles (achras) à l'île d e la Marguerite o u a u C a m a n a , d e s c h i c i m o g a s ( b i e n différents d u corossol et d e l ' a n a n a s d e s Antilles) à Loxa au P é r o u , d e s grenadilles o u paschas à Caracas, d e s ananas à l'Esmeralda et à l'île d e C u b a , p o u r n e pas trouver e x a g é r é s les é l o g e s q u e les premiers v o y a g e u r s o n t faits d e l'excellence d e s p r o d u c t i o n s de la z o n e t o r r i d e . L e s ananas font l'ornement des c h a m p s près d e la H a v a n e o ù o n les t r o u v e plantés par rang é e s parallèles sur les flancs d u D u i d a s . Ils e m b e l l i s s e n t le g a z o n des s a v a n e s e n é l e v a n t leurs fruits j a u n e s c o u r o n n é s d'un faisceau d e feuilles a r g e n t é e s , a u d e s s u s d e s seteria, d e s paspalum et d e q u e l q u e s cypéracées. Cette p l a n t e , q u e les I n d i e n s d e l ' O r é n o q u e appellent anacarna, s'est p r o p a g é e d è s le s e i z i è m e s i è cle d a n s l'intérieur d e la C h i n e , et r é c e m m e n t d e s v o y a g e u r s anglais l'ont t r o u v é e a v e c d'autres p l a n t e s i n d u b i t a b l e m e n t américaines (avec le mais, le manioc, le papayer, le tabac et le piment) sur les rives d u R i o C o n g o en Afrique. ( T o m . v i i i , pag. 141.) Il e n sera d e c e s c o n t r é e s f e r t i l e s , m a i s i n c u l t e s , q u e p a r c o u r e n t le G u a l l a g a , l'Amazone et l'Orénoque, c o m m e de l'isthme d e P a n a m a , d u lac d e N i c a r a g u a et d u R i o - H a a s a c u a b o , qui offrent u n e c o m m u n i c a t i o n entre les d e u x mers. L'imperfection

des i n s t i t u t i o n s


( 51 ) politiques a p u , pendant des siècles, convertir en d é serts des l i e u x d a n s l e s q u e l s le c o m m e r c e d u m o n d e devrait se t r o u v e r c o n c e n t r é ; m a i s le t e m p s a p p r o c h e o ù c e s entraves c e s s e r o n t d'avoir l i e u . U n e a d m i n i s tration v i c i e u s e n e pourra pas t o u j o u r s l u t t e r c o n t r e les intérêts r é u n i s d e s h o m m e s , et la civilisation v a s e p o r t e r i r r é s i s t i b l e m e n t d a n s les c o n t r é e s d o n t la n a t u r e e l l e - m ê m e a n n o n c e d e g r a n d e s d e s t i n é e s par la config u r a t i o n d u s o l , par l ' e m b r a n c h e m e n t p r o d i g i e u x d e s fleuves, et par la p r o x i m i t é d e d e u x m e r s qui b a i g n e n t les c ô t e s d e l'Europe e t d e l'Inde. ( T o m . v i i i , p a g . 152.) S o u s t o u t e s les z o n e s , les h o m m e s , d a n s l'état d e nature, t i r e n t u n grand parti d e ces g r a m i n é e s à c h a u m e élevé. L e s G r e c s disaient avec raison q u e l e s r o s e a u x a v a i e n t c o n t r i b u é à s u b j u g u e r l e s p e u p l e s e n fournissant des flèches, à a d o u c i r les moeurs par l e c h a r m e d e la m u s i q u e , à d é v e l o p p e r l ' i n t e l l i g e n c e en offrant l e s premiers i n s t r u m e n t s p r o p r e s à tracer d e s lettres L e s différents e m p l o i s d e s r o s e a u x m a r q u e n t , p o u r ainsi d i r e , les trois p é r i o d e s de la vie d e s p e u p l e s . N o u s c o n v i e n d r o n s q u e les h o r d e s d e l'Orénoque se t r o u v e n t a u premier d e g r é d'une civilisation naissante. L e r o s e a u n e leur sert q u e c o m m e i n s t r u m e n t de g u e r r e et d e c h a s s e , et les flûtes de P a n , s u r c e s rives l o i n t a i n e s , n'ont p o i n t e n c o r e d o n n é des s o n s capables d e faire naître des s e n t i m e n t s d o u x e t h u m a i n s . ( T o m . v i i i , p a g . 176.) J e n e c o n n a i s rien d e plus propre à faire a d m i r e r la p u i s s a n c e d e s forces o r g a n i q u e s dans la z o n e é q u i -

4.


(

52

)

n o x i a l e , que l'aspect d e ces g r a n d s péricarpes l i g n e u x , par e x e m p l e d u c o c o t i e r d e m e r (lodoïca), parmi les monocotylédones, et d u bertholletia, et d u lecythis, parmi les dicotylédones. S o u s n o s c l i m a t s , les cucurbitacés s e u l s p r o d u i s e n t , d a n s l'espace de q u e l q u e s m o i s , d e s fruits d'un v o l u m e e x t r a o r d i n a i r e , mais ces fruits s o n t p u l p e u x et s u c c u l e n t s . Entre les t r o p i q u e s , le b e r t h o l l e t i a f o r m e , en m o i n s d e c i n q u a n t e à s o i x a n t e j o u r s , u n péricarpe d o n t la partie l i g n e u s e a un d e m i p o u c e d ' é p a i s s e u r , et que l'on a d e la p e i n e à scier avec les i n s t r u m e n t s les p l u s t r a n c h a n t s . Un grand naturaliste a déjà o b s e r v é q u e le bois des fruits atteint en général u n e dureté q u e l'on n e trouve g u è r e d a n s le b o i s d u t r o n c d e s autres arbres. ( T o m . v i i i , pag. 181.) L'habit d e saint F r a n ç o i s , qu'il soit b r u n

comme

celui des c a p u c i n s de C a r o n i , o u b l e u c o m m e

celui

des o b s e r v a n t i n s de l ' O r é n o q u e , a c o n s e r v é un certain c h a r m e pour les I n d i e n s de ces c o n t r é e s . Ils y attac h e n t je ne sais q u e l l e s idées de prospérité et d'aisance, l'espoir d'acquérir d e s h a c h e s , d e s c o u t e a u x et d e s inst r u m e n t s d e p ê c h e . C e u x m ê m e q u i , j a l o u x de leur i n d é p e n d a n c e et d e l e u r i s o l e m e n t , refusent d e s e laisser « g o u v e r n e r par le s o n de la c l o c h e , » r e ç o i v e n t a v e c plaisir la visite d'un m i s s i o n n a i r e v o i s i n . S a n s les e x a c t i o n s d e s militaires et les i n c u r s i o n s h o s t i l e s d e s m o i n e s ; sans les entradas

et conquistas

apostolicas,

les

naturels ne se seraient, point é l o i g n é s des rives du f l e u v e . En a b a n d o n n a n t le s y s t è m e d é r a i s o n n a b l e d'introduire le r é g i m e des c o u v e n t s dans les forêts et les s a v a n e s de l ' A m é r i q u e ; en laissant j o u i r les I n d i e n s des fruits d e leurs travaux et les g o u v e r n a n t m o i n s , c'est-à-dire, e n


( 53 ) n'entravant pas à c h a q u e instant leur liberté naturelle, les missionnaires v e r r a i e n t s'agrandir r a p i d e m e n t la s p h è r e d e l e u r a c t i v i t é , q u i devrait être celle d e la civilisation h u m a i n e . ( T o m . v i i i , pag.

221.)

N o u s t r o u v â m e s d a n s la m a i s o n d u m i s s i o n n a i r e l e s s o i n s les p l u s p r é v e n a n t s ; o n n o u s p r o c u r a d e la farine d e maïs e t m ê m e d u lait. L e s v a c h e s e n d o n n e n t en a b o n d a n c e d a n s les b a s s e s r é g i o n s d e la z o n e t o r ride. On n'en m a n q u e n u l l e part o ù l'on t r o u v e d e b o n s pâturages. J'insiste s u r c e fait, parce q u e d e s c i r c o n s tances l o c a l e s o n t r é p a n d u , d a n s l'archipel i n d i e n , le préjugé d e regarder les climats c h a u d s c o m m e c o n traires à la sécrétion d u lait. ( T o m . v i i i , pag. 2 8 3 . )

La q u a n t i t é de matière nourrissante véritable s a g o u t i e r d e l'Asie (Sagus troxilon

Sagu,

Rob.]

qu'offre

Rumphii,

excède tout ce que

ou

le Me-

donnent

d'autres plantes utiles à l ' h o m m e . U n seul t r o n c d'arbre , d a n s sa q u i n z i è m e a n n é e , fournit q u e l q u e f o i s six c e n t s livres d e s a g o u o u d e farine (car le m o t s a g o u signifie farine d a n s le d i a l e c t e d ' A m b o i n e ) . M. Crawf o r d , qui a h a b i t é si l o n g t e m p s l'archipel d e l ' I n d e , calcule qu'un acre anglais (à 4,029 m è t r e s carrés) p e u t nourrir quatre c e n t t r e n t e - c i n q sagoutiers, qui d o n n e n t c e n t v i n g t mille c i n q c e n t s l i v r e s , avoir

du poids,

plus d e h u i t c e n t s livres d e f é c u l e par an (Hist. sud Archipelago;

tom.

er

1 , pag.

of

ou the

3 9 3 ) . Ce produit est

triple d e celui d e s c é r é a l e s , d o u b l e d e celui des p o m m e s de terre en F r a n c e . Les b a n a n e s offrent s u r la m ê m e surface d e terrain plus de matière alimentaire e n c o r e


( 54 ) q u e le sagoutier. ( V o y e z m o n Essai politique

Nouvelle-Espagne, Il

sur la

er

t o m . 1 , pag. 3 6 3 . )

faut e s p é r e r q u e l o r s q u e la paix sera r e n d u e à

c e s b e l l e s c o n t r é e s , et q u ' u n e p o l i t i q u e é t r o i t e n'arrêtera p l u s l e d é v e l o p p e m e n t d e l'industrie, d e s calles d e c o n s t r u c t i o n s e n t o u r e r o n t les bassins d e la Guayana.

Vieja

A p r è s l ' A m a z o n e , il n'y a pas d e rivière q u i ,

des forêts m ê m e s qu'elle p a r c o u r t , p u i s s e fournir d e s b o i s d e c o n s t r u c t i o n plus p r é c i e u x p o u r l'architecture navale. Ces b o i s , appartenant a u x g r a n d e s familles d e s l a u r i n é e s , d e s g u t t i f è r e s , d e s rutacées et d e s l é g u m i n e u s e s a r b o r e s c e n t e s , offrent t o u t e s l e s variétés d é s i rables d e d e n s i t é , d e p e s a n t e u r spécifique et d e qualités plus o u m o i n s r é s i n e u s e s . O n n e m a n q u e d a n s c e p a y s q u e d'un b o i s d e mâture l é g e r , élastique e t à fibres

parallèles, c o m m e e n fournissent les conifères

des r é g i o n s t e m p é r é e s et d e s h a u t e s m o n t a g n e s d e s t r o p i q u e s . ( T o m . v i i i , pag. 414.)


NÉCESSITÉ DU

CONCOURS

DES

COMPAGNIES INDUSTRIELLES POUR L'EXÉCUTION

D E

L ' É M A N C I P A T I O N .

(Note remise à M. le duc de Broglie, président de la commission des affaires coloniales, le 18 Juin 1840.)

L'émancipation des noirs a été favorisée en Angleterre par un des plus nobles élans relig i e u x q u i se s o i e n t e n c o r e p r o d u i t s d a n s l ' h i s toire. Cette passion p u b l i q u e a b e a u c o u p c o n t r i b u é à faire v o t e r l ' i n d e m n i t é a c c o r d é e a u x p l a n t e u r s . Elle a p r o v o q u é le c o n c o u r s d e s s o u s criptions particulières qui ont ajouté aux dép e n s e s faites p a r l'État u n c o m p l é m e n t n é c e s s a i r e p o u r préparer l'émancipation et p o u r en assurer les résultats. Q u a n d u n e nation est p a s s i o n n é e e n f a v e u r d ' u n e g r a n d e m e s u r e , e t q u ' e l l e la c o n sidère c o m m e l'accomplissement d'un devoir r e l i g i e u x , elle n e r e c u l e p a s d e v a n t u n e f o r t e d é pense pour arriver au b u t .


( 56 ) D'un a u t r e c ô t é , l ' é m a n c i p a t i o n d a n s les c o l o n i e s a n g l a i s e s , a u lieu d ' a r r ê t e r le m o u v e m e n t d e s o p é r a t i o n s financières et c o m m e r c i a l e s sur les t e r r e s e t s u r les p r o d u c t i o n s d e s c o l o n i e s , a o c c a s i o n n é u n e v é r i t a b l e r e c r u d e s c e n c e d e l'esprit de spéculation. Ainsi, à peu près au m ê m e m o m e n t o ù le p a r l e m e n t a n g l a i s v o t a i t l ' i n d e m n i t é d e 5 o o m i l l i o n s d e f r a n c s , les p r i n c i p a u x b a n q u i e r s de Londres établissaient une b a n q u e c o l o n i a l e , a y a n t s o n s i é g e à L o n d r e s , e t se r a m i fiant d a n s t o u t e s les c o l o n i e s d i t e s d e s I n d e s Occidentales. E n F r a n c e , la s i t u a t i o n e s t b i e n

différente.

L'esprit public ne s'oppose pas à l'émancipat i o n , m a i s il n e s'en p r é o c c u p e p o i n t , et les c h a m b r e s n e v o u d r o n t peut-être pas y mettre le p r i x , l o r s q u e le m o m e n t d ' a g i r s e r a v e n u ; e n sorte q u e l'émancipation peut é c h o u e r , parce q u e l'indemnité ne serait pas accueillie. En t o u t c a s , l ' é m a n c i p a t i o n s e r a é l o i g n é e et r e t a r d é e , ainsi q u ' e l l e l'est déjà d e p u i s p l u s i e u r s a n n é e s , par cet esprit d'économie. O n d o i t c r a i n d r e aussi q u ' à l ' a p p r o c h e d e c e t t e m e s u r e , le c o m m e r c e , loin d e r a v i v e r ses s p é c u l a t i o n s , n e les r a l e n t i s s e e t n e s o n g e q u ' à é t e i n d r e s e s c r é a n c e s en se r e n d a n t m a î t r e d e la p l u s grande portion de l'indemnité.


( 57 ) E n f i n , le m o d e d ' é m a n c i p a t i o n q u i s e m b l e devoir être adopté de préférence, je veux dire l ' a c h a t s i m u l t a n é d e t o u s les n o i r s p a r l ' É t a t , p o u r être ensuite donnés en location aux plant e u r s , p r é s e n t e r a b e a u c o u p d e difficultés d a n s l ' e x é c u t i o n . C e m o d e d ' é m a n c i p a t i o n n ' e n est pas m o i n s le m e i l l e u r ; m a i s , d e la p a r t d e s p l a n t e u r s , il faut c o m p t e r s u r u n e r é s i s t a n c e q u i n e s e r a p a s m ê m e l i m i t é e p a r l e u r i n t é r ê t . D a n s la p o p u l a t i o n b l a n c h e , l'orgueil e t la v a n i t é l ' e m portent. Beaucoup d'habitations seront abandonn é e s . L e s p l a n t e u r s r e f u s e r o n t d e p a y e r le s a laire. L e s h o m m e s c a p a b l e s d e d i r i g e r les u s i n e s e t les a t e l i e r s m a n q u e r o n t . C e s o n t là d e s difficultés à p r e n d r e e n s é r i e u s e considération. O n n e fera p a s n a î t r e en F r a n c e l'élan m o r a l et r e l i g i e u x q u i a f a v o r i s é l ' é m a n c i p a t i o n e n A n g l e t e r r e : il faut s o n g e r à c r é e r u n a u t r e m o b i l e . Les e s p r i t s s o n t t o u r n é s v e r s la s p é c u l a t i o n i n d u s t r i e l l e , e t , d a n s u n e telle d i s p o s i t i o n , il e s t a v a n t a g e u x , p o u r le s u c c è s d e l ' é m a n c i p a t i o n e l l e - m ê m e , d e la t r a i t e r c o m m e u n e affaire financière, plutôt q u e d'en appeler à u n e croisade e n faveur d e s n o i r s . C e s d e u x m o b i l e s , d ' a i l l e u r s , n e s ' e x c l u e n t p a s l'un l ' a u t r e . L'obstacle réel au m a i n t i e n d e l'ordre et d u


( 58 ) t r a v a i l , a p r è s l ' é m a n c i p a t i o n , p r o v i e n d r a d e la r é s i s t a n c e d e s p l a n t e u r s : c'est u n fait c e r t a i n . L e m o d e d ' é m a n c i p a t i o n le p l u s facile à m e t t r e e n p r a t i q u e , et a u f o n d le m o i n s d i s p e n d i e u x , c o n s i s t e r a i t d o n c à o p é r e r la t r a n s f o r m a t i o n d e la p r o p r i é t é d u sol e n m ê m e t e m p s q u e le r a c h a t d e s e s c l a v e s . C'est aussi le m o d e p o u r leq u e l les c o l o n s t é m o i g n e n t le m o i n s d e r é p u gnance. L e G o u v e r n e m e n t n e p e u t pas e n t r e p r e n d r e u n e p a r e i l l e t â c h e ; m a i s il a i n t é r ê t à e n c o u r a g e r la f o r m a t i o n d e c o m p a g n i e s financières q u i , s a n s prétendre l'accomplir tout entière, pourraient d u m o i n s b e a u c o u p faciliter la t r a n s i t i o n d ' u n é t a t social à l ' a u t r e . D ' a u t r e p a r t , d e s affaires c o l o n i a l e s , é t a b l i e s s u r l ' e x p l o i t a t i o n d u sol e t s u r la m i s e e n v a l e u r d e s p r o p r i é t é s f o n c i è r e s , p e u v e n t a t t i r e r s u r n o s p o s s e s s i o n s d ' o u t r e - m e r la s p é c u l a t i o n d e s g r a n d s financiers, q u i n e s'y est p a s e n c o r e p o r t é e , e t r é p a r e r les f u n e s t e s r é s u l t a t s d u faux s y s t è m e d e c o m m e r c e q u i a e x i s t é j u s q u ' i c i e n t r e les m é t r o p o l e s e t les c o l o n i e s . Telle e s t l ' i n t e n t i o n g é n é r a l e d e s o p é r a t i o n s q u e j e p r o p o s e . Elles s ' é t a b l i s s e n t d ' a p r è s l e s données suivantes: L'industrie régulière n'existe pas encore dans les r é g i o n s i n t r a - t r o p i c a l e s e t p a r t i c u l i è r e m e n t


( 59 ) d a n s l e s p o s s e s s i o n s f r a n ç a i s e s . La p r o p r i é t é e t la r i c h e s s e n ' y s o n t p a s f o n d é e s s u r l ' i m m e u b l e q u i s ' a c c r o î t p a r la d u r é e d u t r a v a i l e t q u i fait fructifier l e c a p i t a l s a n s l ' a b s o r b e r : elles y s o n t f o n d é e s s u r la v i e d e l ' h o m m e , c ' e s t - à - d i r e , s u r la v a l e u r m o b i l i è r e la p l u s f r a g i l e , celle q u i se d é t é r i o r e p a r sa d u r é e m ê m e , e t q u i , e n d é f i n i t i v e , a b s o r b e le c a p i t a l , p u i s q u e , d a n s l'état d ' e s c l a v a g e , le n o m b r e d e s d é c è s d é p a s s e o r d i n a i r e m e n t c e l u i d e s n a i s s a n c e s . L à , le r e v e n u e s t t o u t , l e c a pital est p e u d e c h o s e . D a n s les c o l o n i e s , 15,000 fr. de revenu, en terres, ne représentent pas même un

c a p i t a l d e 100,000 fr. f a c i l e m e n t

réalisable.

E n E u r o p e , le m ê m e r e v e n u , p r o v e n a n t d u même genre

de propriété, représente un ca-

p i t a l d e 500,000 fr. e t q u e l q u e f o i s d e 600,000 fr. L ' e s c l a v a g e a e n c o r e p o u r effet d ' a r r ê t e r l e d é v e l o p p e m e n t d e la p o p u l a t i o n qui appellent l'homme ment

sur des terres

les b r a s , et d e d é t r u i r e ,

considéré

les facultés

comme

ouvrier,

q u i constituent

dans

précisé-

sa s u p é r i o -

r i t é s u r u n o u t i l , l'intelligence e t l ' é d u c a b i l i t é . L'application des arts chimiques et m é c a n i q u e s est n u l l e . L a d i v i s i o n d u t r a v a i l n ' e x i s t e n i p a r r a p p o r t à la v a r i é t é d e s f o n c t i o n s d a n s la m ê m e i n d u s t r i e , n i p a r r a p p o r t à la v a r i é t é d e s i n d u s t r i e s s u r le m é m e sol. C e s c o n t r é e s

produisant

le s u c r e a v a n t le p a i n , o n y p a y e la livre de p a i n


( 60

)

q u e l q u e f o i s m o i t i é p l u s c h e r q u e la livre d e s u c r e (1). L ' é t a t d e la p r o d u c t i o n d u s u c r e , d u c a f é , d u c o t o n , d e t o u t e s c h o s e s e n f i n , est e x a c t e m e n t celui o ù n o u s v e r r i o n s l ' i n d u s t r i e d u b l é e n E u r o p e , si c h a q u e p e t i t c u l t i v a t e u r v o u l a i t bâtir et entretenir u n moulin p o u r m o u d r e son g r a i n . E t c e p e n d a n t , la t e r r e est si f é c o n d e , la f a i s a n c e - v a l o i r si p e u d i s p e n d i e u s e , q u e le rev e n u n e t d e la p r o p r i é t é c o l o n i a l e , a u x m a i n s d e s p r o p r i é t a i r e s l i q u i d e s , p e u t ê t r e é v a l u é suiv a n t u n e m o y e n n e t r è s - m o d é r é e à 15 %. L ' é m a n c i p a t i o n a u r a p o u r effet d e r é t a b l i r la p r o p r i é t é s u r sa v é r i t a b l e b a s e , le s o l ; p a r c o n s é q u e n t , d ' a c c r o î t r e , e n c a p i t a l , le p r i x d e s imm e u b l e s et d e c o m p e n s e r l'abaissement d u rev e n u e t l ' a u g m e n t a t i o n d e la f a i s a n c e - v a l o i r p a r la s o l i d i t é e t la p l u s - v a l u e d e s t i t r e s d e p r o p r i é t é . Elle m u l t i p l i e r a la p o p u l a t i o n n o i r e p a r la fécond i t é d e s m a r i a g e s ; elle a t t i r e r a la p o p u l a t i o n é m i g r a n t e p a r le h a u t p r i x d e s s a l a i r e s , p a r l'ab o n d a n c e et le b o n m a r c h é d e s s u b s i s t a n c e s . E l l e d o n n e r a à l ' o u v r i e r t o u t e sa v a l e u r , e n s u b s t i t u a n t , p o u r le t r a v a i l , les m o b i l e s positifs e t t r è s (1) A la Martinique, par exemple, le pain vaut ordinaire nient 80 centimes le kilog., et les habitants s'estiment trèsheureux aujourd'hui lorsqu'ils peuvent vendre leurs sucres à raison de 50 francs le quintal métrique ou 5o centimes le kilog.


( 61 ) a c t i f s d e la c i v i l i s a t i o n , l e d é s i r d u g a i n e t l ' a m o u r du bien-être, a u x mobiles négatifs et p e u stim u l a n t s d e la b a r b a r i e , la c r a i n t e d u c h â t i m e n t et l'appétit p u r e m e n t a n i m a l d e la n u t r i t i o n . L a c h e r t é d e s b r a s e n t r a î n e r a l e s a p p l i c a t i o n s d e la m é c a n i q u e d e s t i n é e à é c o n o m i s e r la m a i n - d ' œ u vre. La sécurité

des transactions appellera les

capitaux, e n m ê m e t e m p s q u e les applications d e la c h i m i e a g r i c o l e e t m a n u f a c t u r i è r e

augmente-

r o n t la n i a s s e d e s d e n r é e s e x t r a i t e s d e s m a t i è r e s p r e m i è r e s , d i m i n u e r o n t le c o û t d e l'extraction, p e r f e c t i o n n e r o n t la q u a l i t é d e s p r o d u i t s . La s u p é r i o r i t é d u n o u v e a u r é g i m e s u r l ' a n c i e n s'élèverait e n c o r e à d e b i e n plus g r a n d e s

propor-

t i o n s , s'il é t a i t d é m o n t r é : 1" Q u e t o u t e s l e s i n d u s t r i e s p r o p r e s a u x t e r rains

des

même

la l i b e r t é d u t r a v a i l , a i n s i q u e l a d i v i s i o n

tropiques

comportent

et

exigent

des f o n c t i o n s ; 2° Q u e la r a c e e u r o p é e n n e , m u n i e ; d e t o u s l e s moyens

d'assainissement,

de défrichement

et

d e p r é s e r v a t i o n , d o n t la g r a n d e i n d u s t r i e p e u t d i s p o s e r a u j o u r d ' h u i , b i e n loin d'être e x c l u e d e ces r é g i o n s , est mieux q u e toute autre race e n mesure d e les exploiter, sans compter qu'elle a plus q u e toute autre race le b e s o i n d e se créer d e nouveaux

d o m a i n e s . O r , c'est c e q u e j e m ' e n -


( 62 ) g a g e à é t a b l i r , d ' a p r è s d e s faits positifs e t e n m'appuyant de l'autorité de M. de H u m b o l d t ( 1 ) . Il y a d ' a i l l e u r s s u r c e p o i n t u n e a u t o r i t é b i e n s u p é r i e u r e à c e l l e d e s g r a n d s n a t u r a l i s t e s , c'est celle d e l ' e x p é r i e n c e ; o r , l ' e x p é r i e n c e est faite p a r voie d ' é p r e u v e et de c o n t r e - é p r e u v e . L e d é veloppement industriel des États-Unis d'Amér i q u e est l'exemple p r a t i q u e d e ce qu'il faut f a i r e ; t o u t c o m m e le s y s t è m e c o l o n i a l d e l ' E s p a g n e , d e la H o l l a n d e , d e la F r a n c e e t m ê m e d e l ' A n g l e t e r r e , est l'exemple p r a t i q u e d e ce qu'il faut é v i t e r , l o r s q u ' i l s'agit d e c o l o n i s e r e t d e mettre en valeur des régions incultes, sous q u e l q u e d e g r é d e l a t i t u d e q u e c e s r é g i o n s se t r o u v e n t placées. En A m é r i q u e , c o m m e en E u r o p e , l'action intelligente et libre d e l'industrie h u m a i n e est le fait p r i n c i p a l ; l'influence d u c l i m a t est le fait s e c o n d a i r e . A c e p o i n t d e v u e , l ' é m a n c i p a t i o n se p r é s e n t e c o m m e u n e excellente spéculation industrielle, mais à condition : 1° Q u e le s p é c u l a t e u r ait l ' i n t e l l i g e n c e d e la s u p é r i o r i t é d u t r a v a i l civilisé s u r le t r a v a i l b a r bare; (1) Cette opinion a été émise antérieurement par Linné, qui se sert même d'expressions tout à fait remarquables. Il dit formellement: Homo HABITAT intra tropicos, vescitur palmis; HOSPITATUR extra tropicos, sub NOVERCANTE cerere.


( 63 ) 2° Q u ' i l p u i s s e a t t e n d r e les r é s u l t a t s transformation lente et graduelle ;

d'une

3° Qu'il a i t le m o y e n d ' o p é r e r la t r a n s i t i o n , e t l ' h a b i l e t é n é c e s s a i r e p o u r la m é n a g e r . Mais q u i p e u t c o n c e v o i r et e x é c u t e r u n e pareille s p é c u l a t i o n d o n t le b u t est d e faire t o u r n e r a u p r o f i t d e l ' a v e n i r les f a u t e s m ê m e s d u p a s s é ? L e s forces isolées d e la r i c h e s s e i n d i v i d u e l l e n e p e u v e n t p a s suffire à r é a l i s e r c e t t e t r a n s f o r m a t i o n . Mais l ' É t a t se t r o u v a n t d a n s l ' o b l i g a t i o n d'y c o n c o u r i r p o u r u n très-gros chiffre, celui d e l ' i n d e m n i t é , p e u t se m é n a g e r le c o n c o u r s de C o m p a g n i e s et c o m p l é t e r son action p a r c e l l e d e la s p é c u l a t i o n p a r t i c u l i è r e . L ' É t a t d e v r a m ê m e , e n p a r e i l l e c i r c o n s t a n c e , se r é s e r v e r la d i r e c t i o n e t le c o n t r ô l e d e t o u t e s les opérations. On p o u r r a i t o b j e c t e r la c o m p l i c a t i o n e t la difficulté d e c e t t e a c t i o n c o m b i n é e d e l'État e t des Compagnies. R É P O N S E : l'État n e p e u t r i e n e n t r e p r e n d r e d e p l u s c o m p l i q u é q u e d ' e x é c u t e r à lui seul l ' é m a n c i p a t i o n d e s n o i r s c o n t r e le g r é d e s p l a n t e u r s ; il n e p e u t r i e n e n t r e p r e n d r e d e p l u s difficile q u e d e faire v o t e r p a r les c h a m b r e s , a u n o m d ' u n


( 64 ) s e n t i m e n t m o r a l , u n e i n d e m n i t é d o n t l e chiffre le p l u s r é d u i t n e p e u t ê t r e a u - d e s s o u s d e 170,000,000 fr. C e chiffre d e 170,000,000 fr. s e r a i t m ê m e , il faut le d i r e , t o u t à fait insuffisant. Il y a, a u s u r p l u s , u n e c o n s i d é r a t i o n p o l i t i q u e d e p r e m i e r o r d r e , c'est q u ' u n e d é p e n s e aussi f o r t e n e s e r v e p a s s e u l e m e n t à la l i b é r a t i o n d e s n o i r s , m a i s à la r é g é n é r a t i o n d e la p u i s s a n c e c o l o n i a l e d e la F r a n c e . Sans d o u t e , suivant les données théoriques q u i é t a b l i s s e n t la s u p é r i o r i t é d u travail l i b r e s u r le t r a v a i l e s c l a v e , e t s u i v a n t l e s d o n n é e s p r a t i q u e s q u i fixent à 15 p o u r 100 l e r e v e n u d e s p r o p r i é t é s coloniales, m ê m e sous le r é g i m e d e l'esclavage, les capitalistes e u r o p é e n s devraient p r é f é r e r , d ' e u x - m ê m e s e t s p o n t a n é m e n t , les plac e m e n t s d e c e g e n r e à c e u x q u ' i l s font e n E u r o p e à 3 1/2 e t 3 p o u r 100. A c e c o m p t e , les C o m p a gnies financières devraient aussi t r o u v e r d e l'avantage à désintéresser les p l a n t e u r s , à leur p a y e r l e p r i x d e la t e r r e e t d e l'esclave, e n r e c e vant d e l'État, p o u r échange et c o m p e n s a t i o n , des concessions d e terrains et d'autres avantages commerciaux. Mais les c a p i t a l i s t e s e t les C o m p a g n i e s r e c h e r c h e n t a v a n t t o u t la s é c u r i t é ; ils n e p a s s e r o n t les


( 65 ) m e r s q u ' a u t a n t qu'ils t r o u v e r o n t , d e l'autre côté d e l ' O c é a n , les m ê m e s g a r a n t i e s q u ' e n E u r o p e , e t qu'ils a u r o n t encore p o u r raison de préférence l'appât de gros bénéfices. Le motif d é t e r m i n a n t p o u r e u x s e r a la g a r a n t i e d ' u n m i n i m u m

d'in-

térêt. L e s y s t è m e f i n a n c i e r q u i m e p a r a î t le p l u s s û r , le p l u s f é c o n d e t le p l u s é c o n o m i q u e , p o u r l'exécution de l'émancipation, consisterait par cons é q u e n t à s u b s t i t u e r à la c r é a t i o n effective d ' u n e r e n t e destinée au r a c h a t des esclaves, l'éventualité d u p a y e m e n t d e t o u t o u p a r t i e d ' u n i n t é r ê t d e 3 o u 4 p. 100 s u r u n e v a l e u r r e p r é s e n t a n t l'ensemble des propriétés coloniales, terres et e s c l a v e s . La r e n t e c r é é e s e r v i r a i t a l o r s à f o r m e r le c a p i t a l d e s C o m p a g n i e s d e s t i n é e s à o r g a n i s e r le n o u v e a u m o d e d e t r a v a i l . A m o i n s q u e t o u t e s l e s d o n n é e s d e la r a i s o n e t d e l ' e x p é r i e n c e n e s o i e n t f a u s s e s , le G o u v e r n e m e n t p e u t a c q u é r i r , d a n s ses p r o p r e s d o c u m e n t s a d m i n i s t r a t i f s , la c e r t i t u d e q u e l ' é v e n t u a lité d u p a y e m e n t d e la g a r a n t i e d ' i n t é r ê t n e se p r é s e n t e r a p a s , m ê m e la p r e m i è r e a n n é e . D a n s la G u y a n e f r a n ç a i s e , p a r e x e m p l e , le r e v e n u n e t d e s p r o p r i é t é s d o n n e d è s a u j o u r d ' h u i 4,500,000 fr., c ' e s t - à - d i r e , 9 p o u r 100 d ' i n t é r ê t d u c a p i t a l d e 5 o , o o o , o o o fr. q u ' i l s ' a g i r a i t d e c r é e r p o u r l ' e x p l o i t a t i o n d e c e t t e c o l o n i e , d ' a p r è s les p r i n c i p e s

5


( 66

)

de l'industrie régulière ( 1 ) . Les d o c u m e n t s

offi-

c i e l s p u b l i é s p a r l e M i n i s t è r e d e la m a r i n e

en

font foi. En

stipulant

en

sa f a v e u r

une

portion

des

b é n é f i c e s d e s c o m p a g n i e s d o n t il s u r v e i l l e r a

et

dirigera l'administration, l'État p e u t m ê m e arriver à porter l'émancipation a u

budget des

re-

c e t t e s , a u l i e u d e la p o r t e r a u b u d g e t d e s d é penses. Cela v a u d r a i t m i e u x q u e d e faire

payer

a u n o i r u n e p a r t i e d e sa l i b e r t é , c o n d i t i o n n o u s p l a c e r a i t vis-à-vis d e l ' A n g l e t e r r e e n

qui infé-

riorité relative de générosité et d e m a g n a n i m i t é . J'ose p e n s e r q u e

le G o u v e r n e m e n t

pourrait

(1) OBSERVATION IMPORTANTE. — Cette considération dé-

truit la principale objection financière que l'on ait opposée jusqu'ici aux combinaisons basées sur la garantie par l'État d'un minimum d'intérêt. — Toutes les entreprises qui o n t demandé ou obtenu ce genre de subvention reposaient sur des travaux à faire : l'État a consenti, par conséquent, à payer à découvert pendant la durée des travaux, et à courir le risque de payer toujours, en totalité ou en partie, dans le cas o ù , après l'exécution des travaux, le revenu n'atteindrait pas 4 pour 100 du capital employé. Dans les opérations qui auraient pour but l'exploitation des propriétés coloniales, il s'agit au contraire de terres et d'usines déjà en plein rapport. La garantie ne porte en quelque sorte que sur les risques de guerre et sur les irrégularités d'une administration lointaine : il est possible d e garantir l'Étal lui-méme contre cette double éventualité.


( 67 ) t r a i t e r , s u r ces b a s e s , d e l ' é m a n c i p a t i o n t o u t e s les c o l o n i e s .

dans

T o u t e f o i s , il s'agirait d ' a b o r d d e f a i r e u n e e x p é r i e n c e p a r t i e l l e s u r la G u y a n e f r a n ç a i s e . L a C o m p a g n i e d e la G u y a n e f r a n ç a i s e , é t a b l i e s u r u n c a p i t a l d e 40 o u 50 m i l l i o n s , e t d e v e n u e m a î t r e s s e d e t o u t e s les p r o p r i é t é s a c t u e l l e m e n t e n v a l e u r d a n s c e t t e c o l o n i e , se c h a r g e r a i t d ' o p é r e r l ' é m a n c i p a t i o n à ses p r o p r e s d é p e n s ; elle d e m a n d e r a i t , en c o m p e n s a t i o n , des c o n c e s s i o n s d e t e r r e s , e t , d e p l u s , la g a r a n t i e d ' u n m i n i m u m d ' i n t é r ê t de 4 p o u r 100 p o u r la t o t a l i t é d e son c a p i t a l . L ' E t a t , de s o n c ô t é , s e r é s e r v e r a i t u n e p a r t i c i p a t i o n a u x b é n é f i c e s d e la C o m p a g n i e . L e s C o m p a g n i e s d e la M a r t i n i q u e , d e la G u a d e l o u p e , de B o u r b o n , s'organiseraient ensuite s u r d e s b a s e s d i f f é r e n t e s , a p p r o p r i é e s a u chiffre des propriétés, t r o p élevé p o u r qu'il soit p e r m i s d'espérer u n e r é u n i o n en m a s s e , c o m m e celle q u i a u r a i t l i e u p o u r l e s p r o p r i é t é s d e la G u y a n e française. U n e fois la p u i s s a n c e d u c r é d i t c r é é e p a r l'ass o c i a t i o n d e l'État e t d e s C o m p a g n i e s , o n p e u t c o n s i d é r e r les a c t i o n n a i r e s c o m m e e n g r a n d e p a r t i e t r o u v é s : c e s e r o n t les p r o p r i é t a i r e s d e s c o l o n i e s e u x - m ê m e s e t l e u r s c r é a n c i e r s , les u n s et les a u t r e s c h a r m é s d ' é c h a n g e r , m ê m e à p e r t e , 5.


( 68 ) u n e propriété lointaine, n o n disponible et m e n a c é e , c o n t r e d e s t i t r e s a y a n t v a l e u r à la B o u r s e d e P a r i s , c o m m e d a n s les a u t r e s p l a c e s d e F r a n c e e t d ' E u r o p e ; h e u r e u x , e n m ê m e t e m p s , d e se trouver garantis des risques d'un nouveau m o d e d e t r a v a i l a u q u e l ils n ' o n t p a s c o n f i a n c e . L e p o i n t d e d é p a r t de t o u t e s ces o p é r a t i o n s s e r a i t la c o n s t i t u t i o n à P a r i s , a u c e n t r e d u m o u v e m e n t d e s affaires e t d e s c a p i t a u x , d ' u n l e v i e r d ' e x é c u t i o n , p l a c é d i r e c t e m e n t s o u s la m a i n d e l'Etat. L ' é t a b l i s s e m e n t à P a r i s d ' u n e Compagnie de colonisation, qui serait, en même t e m p s , une b a n q u e c o l o n i a l e , d o n n e r a i t à la F r a n c e c e q u i lui a m a n q u é j u s q u ' i c i , u n e c a p i t a l e d e c o m m e r c e m a r i t i m e , et ferait t o u r n e r a u p r o f i t d e l ' u n i t é n a t i o n a l e , la r i v a l i t é d u H â v r e , d e M a r seille, d e B o r d e a u x e t d e N a n t e s , q u i n ' o c c a s i o n n e a u j o u r d ' h u i q u e p e r t u r b a t i o n et d é p e r d i t i o n de forces. Si l ' A n g l e t e r r e a u n e c a p i t a l e d e c o m m e r c e m a r i t i m e , ce n'est pas s e u l e m e n t p a r c e q u e la T a m i s e p o r t e d e g r o s v a i s s e a u x , c'est s u r t o u t p a r c e q u e les affaires d e c o m m e r c e m a r i t i m e s o n t c e n t r a l i s é e s e n t r e les m a i n s d e g r a n d e s C o m p a g n i e s d o n t l'action p r i n c i p a l e s ' e x e r c e à la B a n q u e d e L o n d r e s . De grandes Compagnies de c o m m e r c e

mari-


(69) t i m e , a y a n t u n c e n t r e c o m m u n p o u r la n é g o c i a ­ t i o n d e l e u r s t i t r e s e t p a p i e r s , voilà le p r i n c i p a l a v a n t a g e q u e l e c o m m e r c e a n g l a i s a s u r le n ô t r e . Sans qu'il soit besoin d e faire d e Paris u n p o r t d e m e r , la F r a n c e p e u t a c q u é r i r les m o y e n s d e d é v e l o p p e m e n t m a r i t i m e q u i l u i m a n q u e n t , si la d i r e c t i o n d u m o u v e m e n t d e s v a l e u r s c o l o n i a l e s se t r o u v e p l a c é e à P a r i s , e t si n o u s s a v o n s a p p l i q u e r l ' a s s o c i a t i o n a u x affaires d e c o m m e r c e m a r i t i m e , c o m m e n o u s c o m m e n ç o n s à l ' a p p l i q u e r a u x af­ faires d e c a n a u x e t d e c h e m i n s d e fer.



EXTRAIT

DES

PROCÈS-VERBAUX DES séances

D E L A COMMISSION

D E COLONISATION

DE LA

GUYANE FRANçAISE

E x p l i c a t i o n s p r é s e n t é e s p a r M. J u l e s L e c h e v a l i e r (4 m a n 1 8 4 2 ) . (CES EPLICATIONS ONT ÉTÉ PUBLIÉES PAR DÉCISION DE LA COMMISSION.)



EXPLICATIONS PRÉSENTÉES

A

L A COMMISSION DE DE

COLONISATION

LA

GUYANE FRANÇAISE.

( Extrait du procès-verbal de la séance du 4 mars 1842.)

La Commission se réunit sous la présidence de M. le comte D E TASCHER, pair de France — Présents: MM. GAUTIER , pair de France, sous-gouverneur de la Banque ; GALOS, membre de la Chambre des Députés; DE MAISONN E U V E , membre de la Chambre des Députés, conseiller d'État, directeur des colonies; GRETERIN, conseiller d'Ét a t , directeur des douanes; DROUYN DE L H U Y S , directeur des affaires commerciales au ministère des affaires étrangères ; LAVOLLÉE, inspecteur général des finances, sous-directeur des postes; F A Y A R D , délégué de la Guyane française; E . P E R E I R E , directeur des chemins de fer de Saint-Germain et de Versailles. M . J u l e s L e c h e v a l i e r e s t i n t r o d u i t . M . le P r é s i d e n t lui fait c o n n a î t r e q u ' i l est a p p e l é a u s e i n d e la C o m m i s s i o n

afin d ' e x p l i q u e r les

moyens


(

7 4

)

s u r l e s q u e l s il c o m p t e p o u r se p r o c u r e r les t r a v a i l l e u r s n é c e s s a i r e s à la r é a l i s a t i o n d e ses plans. M. Jules Lechevalier : Avant de m'expliquer s u r les m o y e n s d ' o b t e n i r d e s t r a v a i l l e u r s , j ' a i b e s o i n d ' e x p o s e r s o m m a i r e m e n t le b u t d u p r o j e t q u e j ' a i p r é s e n t é , le c a r a c t è r e g é n é r a l d e la c o n c e p t i o n i n d u s t r i e l l e q u i e n est la b a s e . L a p r o p o s i t i o n est d e s t i n é e à d e m e u r e r la m ê m e , q u a n t à s o n p r i n c i p e , s o i t q u ' i l s'agisse d e l ' a p p l i q u e r à u n q u a r t i e r d e la G u y a n e , à la G u y a n e t o u t entière, ou bien à l'ensemble de nos colonies. C e t t e o b s e r v a t i o n m e f o u r n i r a , d e p r i m e a b o r d , la r é p o n s e à u n e g r a v e o b j e c t i o n , celle q u i se r a p p o r t e à l ' é t e n d u e d u p l a n p r o p o s é . S a n s d o u t e le p l a n s e r a i t i m m e n s e , si l'on v o u lait e u é t e n d r e i m m é d i a t e m e n t l ' e x é c u t i o n à t o u t e s n o s p o s s e s s i o n s à la fois. L e p r o j e t e s t c o m p l e x e d a n s ses é l é m e n t s . Mais je t i e n s à é t a b l i r q u e , s'il e s t p o s s i b l e d e r e s s e r r e r la s p h è r e d ' a c t i o n e t d e r é t r é c i r le c h a m p d e t r a vail, il n ' e s t p a s p o s s i b l e d e p r e n d r e u n e s e u l e m e s u r e efficace p o u r la r é o r g a n i s a t i o n i n d u s trielle e t financière d e s c o l o n i e s , s a n s r é s o u d r e e u p a r t i e l e s q u e s t i o n s s o u l e v é e s d a n s le m é m o i r e s o u m i s à la C o m m i s s i o n . Q u ' a u lieu d ' o p é r e r s u r u n e colonie t o u t ent i è r e , o n se b o r n e à o p é r e r s u r u n e p a r t i e d e territoire seulement, sur un seul quartier : on


(75 ) n'en sera p a s m o i n s obligé d e s'occuper d e t o u s les p o i n t s q u e j'ai i n d i q u é s , d e la

commerciale, tion,

d u crédit foncier,

circulation

d e la

colonisa-

d e l'indemnité d u e a u x p l a n t e u r s , e n c a s

d'émancipation.

O n n'obtiendra aucun résultat

p o s i t i f , si l ' o n n é g l i g e u n s e u l d e c e s f a i t s : c ' e s t en ce sens seulement q u e le plan proposé est u n et indivisible, quant au b u t : mais, je le répète, il e s t t r è s - f a c i l e m e n t d i v i s i b l e q u a n t à l ' e x é c u tion. Ainsi, c e q u e j'ai c r u p o u v o i r être réalisé par u n e seule et m ê m e institution, o n peut le séparer, c o n f o r m é m e n t a u x p r i n c i p e s d e la d i vision d e s fonctions dans le travail

industriel.

Sous ce point de vue, m a proposition se résoud r a i t e n la f o r m a t i o n d e t r o i s i n s t i t u t i o n s f i n a n cières de m o i n d r e échelle, a u lieu d'une seule et m ê m e g r a n d e c o m p a g n i e o p é r a n t à la fois c o m m e b a n q u e , c o m m e caisse hypothécaire, c o m m e s o ciété d e colonisation, e t c o m m e caisse d'amortissement d e l'esclavage. Mais é v i d e m m e n t cela n e c h a n g e r i e n a u f o n d d e la p e n s é e . Je d é c l a r e m a i n t e n a n t qu'il n'y a s u r c e p r o j e t a u c u n e a f f a i r e i n d u s t r i e l l e e n g a g é e . Il n ' y a i c i , Messieurs, plans

ni s p é c u l a t i o n , ni spéculateur.

par m o i proposés ne

sont

autre

Les

chose

qu'une pensée de bien public qui, par b o n h e u r o u p a r m a l h e u r , e s t v e n u e à m o n e s p r i t , à la suite

d'un long v o y a g e

d'exploration,

et q u e

j ' a i s u i v i e à m e s r i s q u e s e t p é r i l s . J'ai v u , d a n s


( 76 ) cette conception, un moyen de réorganiser nos possessions d ' o u t r e - m e r qui sont en complète décadence. Né m o i - m ê m e d a n s u n e de ces p o s sessions, et p r é o c c u p é d e p u i s l o n g t e m p s des int é r ê t s g é n é r a u x d e la m é t r o p o l e , m o n z è l e s'est animé d'un double patriotisme. D a n s u n v o y a g e d e t r e i z e m o i s , j ' a i visité t r o i s colonies françaises, u n e colonie hollandaise, u n e c o l o n i e d a n o i s e , les q u a t r e p l u s i m p o r t a n t e s c o l o n i e s a n g l a i s e s d a n s les A n t i l l e s , d a n s le golfe d u M e x i q u e , e t s u r l e s c ô t e s d e la G u y a n e . J ' a i étudié ces colonies, plantation p a r plantation. D u s p e c t a c l e d e s l i e u x q u e j ' a i p a r c o u r u s , il e s t né chez moi u n e émotion profonde, u n m o u v e m e n t de recherches et d'idées a u q u e l mes e n t r e tiens avec m e s compatriotes d'outre-mer n ' o n t fait q u e d o n n e r p l u s d ' é n e r g i e . J'ai é t é d ' a b o r d f r a p p é d e la d é c a d e n c e d e n o s p o s s e s s i o n s , à c ô t é d e la p r o s p é r i t é d e s c o l o n i e s d e s a u t r e s peuples. On vous dit quelquefois, en E u r o p e , q u e les colonies anglaises s o n t r u i n é e s : n ' e n c r o y e z r i e n ; elles s o n t , a u c o n t r a i r e , e n v o i e d e p r o s p é r i t é , m a l g r é le g r a n d d é p l a c e m e n t d ' i n t é rêts qui a eu lieu, depuis l'émancipation. La colonie hollandaise d e S u r i n a m , q u i vit e n c o r e s o u s le r é g i m e d e l ' e s c l a v a g e , e s t b i e n s u p é r i e u r e à la G u y a n e f r a n ç a i s e , c e l l e d e n o s p o s s e s s i o n s q u i l u i e s t a n a l o g u e p a r l e c l i m a t , l e sol e t l e s c u l t u r e s . — A l a B a r b a d e , à la J a m a ï q u e , à S a i n t -


( 77 ) T h o m a s , à D e m e r a r a , il e x i s t e d e s b a n q u e s , u n m o u v e m e n t d e n u m é r a i r e assez c o n s i d é r a b l e , e t u n très-grand m o u v e m e n t de billets d e circulation : les t r a n s a c t i o n s y s o n t n o m b r e u s e s e t faciles. D a n s n o s c o l o n i e s , les t r a n s a c t i o n s s o n t n u l l e s o u d e p e u d ' i m p o r t a n c e . J'ai c h e r c h é à me r e n d r e c o m p t e des causes et des résultats d e ce c o n t r a s t e , e t j e m e s u i s a r r ê t é d e v a n t q u a t r e faits p r i n c i p a u x . L e premier est l'absence p r e s q u e c o m p l è t e d e n u m é r a i r e d a n s n o s c o l o n i e s : la m o n n a i e n e p e u t p a s r e s t e r d a n s la c i r c u l a t i o n l o c a l e ; e t , c o m m e à la M a r t i n i q u e e t à la G u a d e l o u p e , il n e se t r o u v e n i b a n q u e s , ni i n s t i t u t i o n s d e c r é d i t , on c h e r c h e v a i n e m e n t des billets de circulation. 11 e n r é s u l t e q u e les v é r i t a b l e s t r a n s a c t i o n s c o m merciales y sont à p e u près impossibles, à des c o n d i t i o n s r é g u l i è r e s . L a c i r c u l a t i o n d e la m o n n a i e m é t a l l i q u e o u d e s billets de b a n q u e est le p r o d u i t d e l ' a c c u m u l a i ion d e s r i c h e s s e s c r é é e s p a r le t r a v a i l et q u e l ' é p a r g n e fait fructifier. I I n'y a p a s d e r i c h e s s e a c c u m u l é e a u x c o l o n i e s , p a r c e q u e les c a p i t a u x n e p e u v e n t p a s y o b t e n i r d e s p l a c e m e n t s s û r s : là où il n'y a pas d e c a p i t a u x , il n ' y a p a s de. c i r c u l a t i o n c o m m e r c i a l e ; l ' a r g e n t m a n q u e p o u r e x p l o i t e r les p l a n t a t i o n s , o u , d u m o i n s , il n e s'en t r o u v e q u ' u n e q u a n t i t é i n f é r i e u r e a u x b e s o i n s , et l'on n e s'en p r o c u r e q u ' à u n t a u x u s u r a i r e . J e n e p a r l e p a s ici


( 78 ) p a r c o m p a r a i s o n a v e c le faible t a u x a u q u e l l'arg e n t s ' o b t i e n t e n E u r o p e . La s i t u a t i o n d e s c o l o n i e s n e c o m p o r t e p a s d e s i n t é r ê t s d e 3, 4 e t 5 p . 100 c o m m e la p r o p r i é t é f o n c i è r e les p a y e e n E u r o p e . Les terres vierges des tropiques peuvent e t d o i v e n t , d ' a i l l e u r s , p a y e r p l u s c h e r . Mais, e n f i n , d a n s les c o l o n i e s a n g l a i s e s , à la B a r b a d e , à la J a m a ï q u e , à la G u y a n e , c o m m e à M a u r i c e , o n o b t i e n t à 7 et 8 p . 1 0 0 t o u s les c a p i t a u x n é c e s s a i r e s à la c u l t u r e . A la M a r t i n i q u e , à la G u a d e l o u p e , l'intérêt s'élève q u e l q u e f o i s , d i r e c t e m e n t o u i n d i r e c t e m e n t , j u s q u ' à 25 p . 100, et, e n c o r e u n e f o i s , à ce p r i x m ê m e , l ' a r g e n t e s t fort r a r e . D ' u n a u t r e c ô t é , la m é t r o p o l e , q u i e x p l o i t e a v e c p r i v i l é g e les m a r c h é s c o l o n i a u x , n ' y fait presque plus de véritable commerce. Les colonies seraient t r o p heureuses q u e nos g r a n d s p o r t s d e m e r l i s s e n t s e u l e m e n t a v e c elles le c o m m e r c e d e la troque ( 1 ) . La p l u p a r t d u t e m p s , les a r m a t e u r s m é t r o p o l i t a i n s s e b o r n e n t a u r ô l e de c o m m i s s i o n n a i r e s et de rouliers. Les d e n r é e s d ' E u r o p e , n é c e s s a i r e s a la c o n s o m m a t i o n d e s habitants, ne sont pas m ê m e échangées contre les d e n r é e s c o l o n i a l e s ; elles s o n t v e n d u e s c o n t r e a r g e n t c o m p t a n t . T o u t l ' a r g e n t q u i , p o u r le payement des services publics, est envoyé a u x (1) Un des Mémoires soumis à lu Commission, présidée par M. le comte de Tascher, se rapporte au commerce de la troque sur tes côtes occidentales de l'Afrique.


( 79 ) c o l o n i e s , revient ainsi en F r a n c e , o u s'exporte a u x É t a t s - U n i s . La v é r i t a b l e m o n n a i e d e c i r c u l a t i o n e s t le d o u b l o n d ' E s p a g n e , q u i p e r d e n v i r o n 3 p . 100 a u c h a n g e a v e c la m é t r o p o l e . L e s d o u b l o n s d ' E s p a g n e , q u i v a l e n t 8 6 fr. 4 ° c. a u x c o l o n i e s , se p a y e n t 8 3 fr., e t q u e l q u e f o i s m o i n s , à Marseille, à Bordeaux, à Nantes, au H a v r e . Q u e fait le c o m m e r c e m é t r o p o l i t a i n ? il e x p o r t e les d o u b l o n s q u ' i l o b t i e n t p o u r 8 3 fr. s u r l e s m a r c h é s d e F r a n c e ; e n s o r t e q u e le c o m m e r c e d e la m o n n a i e est p e u t - ê t r e c e l u i q u i p r é s e n t e le p l u s g r a n d n o m b r e d e t r a n s a c t i o n s . U n tel é t a t d e c h o s e s , q u i est p l u t ô t l'effet q u e la cause d u m a u v a i s r é g i m e a g r i c o l e et i n d u s t r i e l d e s c o l o nies, indique u n ensemble de r a p p o r t s c o m m e r c i a u x t o u t à fait i r r é g u l i e r s , r u i n e u x p o u r le p a y s q u i les s u b i t , p e u a v a n t a g e u x p o u r la m é t r o p o l e q u i e s t r é d u i t e à les e n t r e t e n i r . Al. Gautier déclare q u e , p o u r s o n c o m p t e , il n ' a j a m a i s e u c o n n a i s s a n c e d e s faits q u i v i e n n e n t d'être articulés. M. Favard les c o n f i r m e , a u c o n t r a i r e , p o u r c e q u i c o n c e r n e la G u y a n e . M. le Directeur des colonies : L ' a s s e r t i o n d e M. Jules Lechevalier n'est m a l h e u r e u s e m e n t q u e t r o p e x a c t e . La p é n u r i e d u n u m é r a i r e d a n s n o s c o l o n i e s est u n lait r e c o n n u d e p u i s l o n g t e m p s ; le g o u v e r n e m e n t a c h e r c h é , p l u s d ' u n e fois, à y p o r t e r r e m è d e . On a v a i t e u l ' i d é e d e faire f a b r i -


( 80 ) q u e r u n e m o n n a i e p o u r l'usage spécial et exclusif des c o l o n i e s ; m a i s le m i n i s t r e d e s f i n a n c e s s'est o p p o s é à la r é a l i s a t i o n d e ce p r o j e t , e n d i sant q u e l'argent expédié aux colonies revenait en F r a n c e , s a n s q u e les r o u l e a u x e u s s e n t seulem e n t é t é d é f a i t s ; q u ' i l e n s e r a i t d e la m o n n a i e n o u v e l l e c o m m e d e la m o n n a i e a n c i e n n e , q u ' e l l e r e v i e n d r a i t à sa s o u r c e s a n s a v o i r é t é m i s e e n c i r c u l a t i o n , le g o u v e r n e m e n t n e p o u v a n t s e d i s p e n s e r d e la r e c e v o i r p o u r le p a y e m e n t d e s droits à acquitter. M. le Président e x p l i q u e la p e n s é e d e M . L e chevalier. M. Gautier p e r s i s t e t o u j o u r s à r é v o q u e r e n d o u t e les faits a l l é g u é s ; il affirme q u e , c o m m e a r m a t e u r ou c o m m e n é g o c i a n t , a y a n t fait p e n d a n t t r e n t e a n s le c o m m e r c e , n o n - s e u l e m e n t a v e c la M a r t i n i q u e et la G u a d e l o u p e , m a i s a v e c l'île B o u r b o n , il n'a j a m a i s e u o c c a s i o n d e c o n s t a t e r le r e t o u r d e s e s p è c e s m o n n a y é e s , n o n p l u s q u e d e faire les o p é r a t i o n s d o n t p a r l e l ' a u t e u r d u p r o j e t . I l n e c o n t e s t e p a s le fait q u e v i e n t d e r é v é l e r M. le D i r e c t e u r d e s c o l o n i e s s u r l'insuffisance d u n u m é r a i r e d a n s n o s p o s s e s s i o n s ; il c o n t i n u e c e p e n d a n t à c r o i r e q u e les e s p è c e s n e r e v i e n n e n t q u e t r è s - r a r e m e n t d a n s la m é t r o p o l e . M. Jules Lachevalier affirme q u e , p e n d a n t s o n v o y a g e , il a é t é p l u s i e u r s fois t é m o i n d e s o p é r a t i o n s q u ' i l a s i g n a l é e s . R e p r e n a n t e n s u i t e l'ex-


( 81

)

p o s i t i o n g e n é r a l e de son p l a n , il e x p l i q u e c o m m e n t la f o n d a t i o n d ' u n e B a n q u e c o l o n i a l e e s t la p r e m i è r e c h o s e à faire p o u r a m é l i o r e r la s i t u a t i o n m a t é r i e l l e d e s c o l o n i e s . O n p e u t faire d e la b a n q u e u n e i n s t i t u t i o n à p a r t , t o u t à fait d i s t i n c t e d e la C o m p a g n i e d e c o l o n i s a t i o n ; m a i s la c r é a t i o n d e c e t t e b a n q u e e s t n é c e s s a i r e . L'essai d ' u n e m o n n a i e s p é c i a l e p o u r les c o l o n i e s a é t é fait p a r le g o u v e r n e m e n t anglais. L'impuissance du r e m è d e a é t é d é m o n t r é e . Il a fallu s'en t e n i r a u p a p i e r d e b a n q u e , p a r c e q u e les b i l l e t s s e u l s r e s t e n t e n c i r c u l a t i o n e t f o r c e n t les v e n d e u r s d e m a r c h a n dises à effectuer leurs r e t o u r s en d e n r é e s colon i a l e s . Il a é t é f o n d é à L o n d r e s u n e b a n q u e c o l o n i a l e a u c a p i t a l social d e 5 o m i l l i o n s , a y a n t d e s r a m i f i c a t i o n s d a n s t o u t e s les c o l o n i e s . Il y a d e s b a n q u e s s p é c i a l e s à la B a r b a d e , à S a i n t T h o m a s , à la J a m a ï q u e , à la G u y a n e . Il faut e n é t a b l i r aussi d a n s n o s c o l o n i e s . M. Favard d é c l a r e q u e la n é c e s s i t é d e r e c o u r i r à l ' i n s t i t u t i o n d e s b a n q u e s est a u s s i é v i d e n t e p o u r l u i q u e p o u r M . J u l e s L e c h e v a l i e r . A la G u y a n e , on a été obligé d ' e n t r e r d a n s cette voie p o u r s u p p l é e r à l ' a b s e n c e d e la m o n n a i e o u p o u r o b t e n i r u n m o y e n d e c i r c u l a t i o n q u i n e fût p a s c o n s t a m m e n t e x p o r t é a u d e h o r s . Il a v a i t é t é c r é é u n e m o n n a i e s p é c i a l e e n b i l l o n . Ce b i l l o n r e v e n a i t s a n s c e s s e a u t r é s o r , et le p a y s se t r o u vait d a n s la m ê m e s i t u a t i o n q u ' a u p a r a v a n t . O n 6


( 82

)

a c r é é a l o r s d e s b i l l e t s r e p r é s e n t a t i f s d e ce b i i l o n , qui est r e s t é a u t r é s o r d e la c o l o n i e . C e s b i l l e t s , d o n t la s o m m e s'élève à d e u x o u t r o i s c e n t m i l l e francs, o n t acquis u n e telle faveur qu'ils g a g n e n t maintenant 2 p. % de prime. M. Lavollée : J'ai e u o c c a s i o n d e c o n s t a t e r les m ê m e s faits p e n d a n t m o n v o y a g e a u x c o l o n i e s . M. Jules Lechevalier : L e d e u x i è m e fait q u i m ' a f r a p p é , c'est l ' a b s e n c e d e t r a n s a c t i o n s s u r la p r o p r i é t é foncière et l'impossibilité d ' o p é r e r en cette matière avec sécurité et régularité. L e syst è m e h y p o t h é c a i r e est v i c i e u x . D a n s les c o l o n i e s , l ' e x p r o p r i a t i o n d u d é b i t e u r p a r le c r é a n c i e r n ' e s t pas admise. O ù l ' h y p o t h è q u e et l'expropriation n ' e x i s t e n t p a s , le c r é d i t r é g u l i e r n e p e u t p a s n a î t r e . A u s s i e s t - c e e n vain q u e l'on e n c h e r c h e rait la t r a c e a u x c o l o n i e s . Ce d e u x i è m e fait, a v e c ses c o n s é q u e n c e s , e s t la c a u s e la p l u s é n e r g i q u e d e la m i s è r e q u i r è g n e dans nos possessions transatlantiques. Le gouv e r n e m e n t l'a c o m p r i s , e t u n e loi s u r l'applicat i o n d u r é g i m e h y p o t h é c a i r e est m a i n t e n a n t s o u m i s e a u x c h a m b r e s . M a i s , q u e l l e q u e s o i t la j u s t i c e d e c e t t e l o i , o n r e n c o n t r e r a les p l u s g r a n d e s difficultés d a n s l ' e x é c u t i o n , p a r c e q u e , d a n s les c o n d i t i o n s a c t u e l l e s d e la s o c i é t é c o l o n i a l e , les m e s u r e s législatives n e p e u v e n t r é u s s i r q u ' a u t a n t q u ' e l l e s s o n t c o m p l é t é e s p a r d e s s e c o u r s fin a n c i e r s . Il a r r i v e r a , p a r e x e m p l e , q u ' a u m o m e n t


( 83

)

de l ' e x p r o p r i a t i o n , l ' e n c h è r e j u d i c i a i r e n e sera pas c o u v e r t e , parce qu'il n'y a u r a pas d'acquér e u r ; e t il n e se p r é s e n t e r a p a s d ' a c q u é r e u r , p a r c e q u ' i l n ' y a p a s d e c a p i t a u x d i s p o n i b l e s d a n s la s o c i é t é c o l o n i a l e , e t q u e les c a p i t a u x d ' E u r o p e o n t à p e u p r è s p e r d u l ' h a b i t u d e d e s'y p o r t e r . M ê m e a p r è s la p r o m u l g a t i o n d e la n o u v e l l e loi h y p o t h é c a i r e , il se p a s s e r a b e a u c o u p d e t e m p s a v a n t q u ' i l n e se p r é s e n t e d e s a c q u é r e u r s s é r i e u x d a n s les c o l o n i e s . Ils n ' y e x i s t e n t p a s j u s q u ' i c i . L e s e n c h è r e s , la p l u p a r t d u t e m p s a u - d e s s o u s d e la valeur réelle des p r o p r i é t é s , n e sont pas couvert e s ; q u a n d elles s o n t c o u v e r t e s a u j o u r d e la v e n t e , il faut b i e n t ô t r e c o u r i r à u n e s e c o n d e v e n t e , p o u r c a u s e d e folle e n c h è r e . Il n e se fait habituellement que deux genres de transactions s u r la p r o p r i é t é c o l o n i a l e : l ' u n e f r a u d u l e u s e , c'est celle q u i est c o n n u e s o u s le n o m d e blanchissage , e t q u i a é t é si b i e n d é c r i t e p a r M. L a v o l l é e , d a n s s o n m é m o i r e s u r les c o l o n i e s . LA d e u x i è m e e s t le déguerpissement, c'est-à-dire la substitution directe du créancier au d é b i t e u r , d a n s l ' e x p l o i t a t i o n d e la p r o p r i é t é . L e blanchissage r é s u l t e d ' u n e s o r t e d e c o a l i t i o n d e s h y p o t h è q u e s d o t a l e s e t d e f a m i l l e , q u i la p l u p a r t d u t e m p s s o n t e x a g é r é e s , c o n t r e les h y p o t h è q u e s d e s p l u s p e t i t s c r é a n c i e r s . O n s ' e n t e n d p o u r faire v e n d r e à l ' e n c h è r e ; la p r o p r i é t é est r a c h e t é e à b a s p r i x , a u p r o f i t d e la f a m i l l e , p a r u n d e ses 6.


( 84 ) m e m b r e s . Le déguerpissement a été p r a t i q u é q u e l q u e f o i s p a r les n é g o c i a n t s d e la m é t r o p o l e , q u i s o n t v e n u s se s u b s t i t u e r a u p r o p r i é t a i r e o u gérer c o m m e séquestres judiciaires. Cette manière d e se faire p a y e r n e d i s p o s e p a s le capitaliste à p l a c e r s e s f o n d s , e t le d é c o u r a g e m ê m e q u e l q u e f o i s d e c h e r c h e r à les r e c o u v r e r , l o r s q u ' i l les a prêtés. J ' a r r i v e m a i n t e n a n t a u t r o i s i è m e f a i t , c'est-àd i r e a u lien q u i r a t t a c h e la p r o s p é r i t é d u c o m m e r c e m a r i t i m e a u d é v e l o p p e m e n t d e la colonisation. A u t a n t l ' A n g l e t e r r e a m i s d ' a r d e u r à é t e n d r e s e s é t a b l i s s e m e n t s c o l o n i a u x , a u t a n t la F r a n c e a négligé ce m o y e n d'agrandissement. L'exploitat i o n d e s t e r r e s d ' o u t r e - m e r , p a r les c a p i t a u x e t les b r a s d e la m é t r o p o l e , est c e p e n d a n t le p l u s s û r e t m ê m e le s e u l m o y e n f é c o n d d ' é t e n d r e d ' u n e m a n i è r e efficace les r e l a t i o n s c o m m e r c i a l e s . — O n r e c o n n a î t assez o r d i n a i r e m e n t l ' a v a n t a g e q u e p r é s e n t e la n a v i g a t i o n r é s e r v é e d e s c o l o n i e s , p o u r f o u r n i r u n a l i m e n t c o n s t a n t à la m a r i n e m a r c h a n d e , sans laquelle un État n'a pas d e m o y e n s d e r e c r u t e m e n t p o u r sa f o r c e n a v a l e . Mais o n n e c o m p r e n d p a s assez q u e , d a n s l'état a c t u e l d u m o n d e et d e s a f f a i r e s , e t v u la n é c e s s i t é d e F A B R I Q U E R d e s c o n s o m m a t e u r s , si j ' o s e dire ainsi, p o u r l'énorme production manufact u r i è r e d e s m é t r o p o l e s , la colonisation e s t le s e u l m o y e n p u i s s a n t d e f a v o r i s e r le c o m m e r c e


( 85

)

m a r i t i m e e t de p r o c u r e r à l ' i n d u s t r i e d e b o n s débouchés. Il n ' y a q u e d e u x g r a n d s m a r c h é s d e c o m m e r c e m a r i t i m e d a n s le m o n d e : c e s o n t les É t a t s - U n i s et les I n d e s O r i e n t a l e s . L e c o m m e r c e d e s I n d e s est à p e u p r è s m o n o p o l i s é p a r l'Ang l e t e r r e e t p a r la H o l l a n d e . — Q u a n t a u c o m m e r c e des É t a t s - U n i s , il n ' a l i m e n t e q u e très-faiblement notre navigation marchande. En accord a n t l'égalité d e d r o i t s a u x n a v i r e s a m é r i c a i n s , d a n s l'intérêt des vins, des soieries et d e q u e l q u e s produits manufacturés, on a privé n o t r e m a r i n e m a r c h a n d e d u t r a n s p o r t d e la p l u s g r a n d e p a r t i e des d e n r é e s q u e n o u s a c h e t o n s et v e n d o n s aux É t a t s - U n i s , les A m é r i c a i n s n a v i g u a n t à m e i l l e u r m a r c h é q u e nous et construisant des navires de plus fort t o n n a g e . L e s États-Unis sont sans d o u t e u n m a r c h é c o m m e r c i a l i m p o r t a n t ; m a i s le g e n r e d e c o m m e r c e q u e n o u s faisons a v e c e u x n e p e u t pas être considéré c o m m e u n m o y e n d e d é v e l o p p e r la navigation ; e t , d ' a i l l e u r s , l ' A m é r i q u e d u N o r d n o u s fait c h a q u e j o u r d e s c o n d i t i o n s p l u s «litres. Il r e s t e e n c o r e le m a r c h é d e l ' A m é r i q u e m é r i d i o n a l e , c e m a r c h é t a n t v a n t é s o u s la r e s t a u r a t i o n , e t q u i a si l o n g t e m p s d é t o u r n é l ' a t t e n t i o n de nos ports de mer du véritable commerce mar i t i m e , q u i est le c o m m e r c e c o l o n i a l . O n sait ce q u ' i l faut p e n s e r a u j o u r d ' h u i de ces p a y s . D e s


( 86 ) r é v o l u t i o n s c o n t i n u e l l e s les b o u l e v e r s e n t ; la g u e r r e civile y r e n a î t s a n s c e s s e ; il est i m p o s s i b l e a u c o m m e r c e d'y t r o u v e r d e la s é c u r i t é . E n o u t r e , la p o p u l a t i o n d e l ' A m é r i q u e m é r i d i o n a l e est peu n o m b r e u s e eu égard à l'étendue d u s o l , et cette population, composée en grande partie d'esclaves, possède très-peu de moyens de consommation. Cette petite quantité de consommat e u r s , q u i c o n s o m m e n t e u x - m ê m e s si p e u d e c h o s e , est livrée à la c o n c u r r e n c e d e t o u t e s les n a t i o n s m a n u f a c t u r i è r e s d u g l o b e . Q u e l l e est la p a r t d e c h a q u e p e u p l e d a n s ce c o m m e r c e général d e s Etats d e l ' A m é r i q u e d u Sud ? A p e i n e ce q u e d o n n e r a i t le c o m m e r c e r é s e r v é d ' u n e s e u l e c o lonie florissante. Ainsi, nous sommes forcés, p o u r développer n o t r e m a r i n e m a r c h a n d e , d e r e c o u r i r à la c o lonisation. H e u r e u s e m e n t toutes nos colonies s o n t s u s c e p t i b l e s d ' e x t e n s i o n . L e s t e r r e s fertiles qu'elles renferment sont bien loin d'être entièr e m e n t cultivées. Mais a u c u n e d e nos colonies n e p r é s e n t e a u t a n t d e surface et d e ressources q u e la G u y a n e . La G u y a n e a une é t e n d u e de plus de quatrev i n g t s l i e u e s d e c ô t e s , d e l ' e m b o u c h u r e d u Maroni à l'embouchure de l'Oyapock, sur une profondeur de trois cents lieues. O n p e u t m ê m e «lire q u e c e t t e p r o f o n d e u r est i n d é f i n i e . D a n s c e t t e é t e n d u e d e quatre-vingts l i e u e s d e c ô t e s .


( 87 ) n ' e s t pas c o m p r i s le t e r r i t o i r e s i t u é e n t r e l'Oyap o c k et la r i v i è r e d e s A m a z o n e s . Ce t e r r i t o i r e , q u i c o m p r e n d q u a r a n t e - c i n q l i e u e s de c ô t e s s u r u n e p r o f o n d e u r i n d é f i n i e , est l'objet d'un litige d i p l o m a t i q u e e n t r e la F r a n c e e t le g o u v e r n e m e n t b r é s i l i e n . Soit d i t e n p a s s a n t , le litige q u i e x i s t e à c e t é g a r d e n t r e la F r a n c e et le g o u v e r n e m e n t brésilien m e paraît mériter, au plus h a u t d e g r é , l ' a t t e n t i o n d e n o t r e d i p l o m a t i e . L e s d r o i t s d e la F r a n c e à l ' a n c i e n n e l i m i t e d u c a p N o r d s o n t incontestables ; u n e négociation bien conduite p o u r r a i t m ê m e n o u s d o n n e r u n e p a r t i e d e la r i v e gauche de l'Amazone. M o n e s p r i t s'est d o n c d i r i g é d ' u n e m a n i è r e t o u t e s p é c i a l e s u r la G u y a n e c o m m e p o i n t d e colonisation et d'extension territoriale favorable au c o m m e r c e maritime. M a i s la q u e s t i o n d e c o l o n i s a t i o n n e p e u t p a s ê t r e i s o l é e d e la q u e s t i o n d'émancipation. L ' i m m i n e n c e d e c e t t e m e s u r e e s t le quatrième des faits d o n t j e m e s u i s p r é o c c u p é e t q u i m ' o n t c o n d u i t à la c o n c e p t i o n d u p l a n p r o p o s é . A la veille d e l ' é m a n c i p a t i o n , il é t a i t i m p o s s i b l e d e p r o p o s e r u n e opération de colonisation sans qu'elle eût u n r a p p o r t d i r e c t a v e c la s o l u t i o n d e c e t t e q u e s t i o n . Ce n ' e s t p o i n t la m é t r o p o l e s e u l e q u i h é s i terait à s'engager d a n s u n e voie nouvelle avant d'avoir, en q u e l q u e s o r t e , liquidé son passé c o lonial. Les habitants des colonies eux-mêmes, n e


i

88

sachant q u e résoudre et q u ' a t t e n d r e , ne prend r o n t aucun parti. En vivant au milieu d'eux, j'ai d û é c o u t e r leurs p l a i n t e s , et j'ai pris p a r t aussi leurs inquiétudes. Je ne m'associe pas, il est v r a i , à l e u r s s e n t i m e n t s d e r é s i s t a n c e a b solue à l'émancipation, ni à leur défiance à l'égard d u G o u v e r n e m e n t , q u i doit e n t r e p r e n d r e et dir i g e r c e t t e m e s u r e ; m a i s , j e dis q u ' e n r a i s o n d e s difficultés d e l ' é m a n c i p a t i o n d a n s n o s c o l o n i e s , o n p e u t c o n c e v o i r d e s a l a r m e s p o u r les i n t é r ê t s , s i n o n p o u r les p e r s o n n e s , e t q u e si les p l a i n t e s s o n t q u e l q u e f o i s e x a g é r é e s e t b i z a r r e s d a n s la f o r m e , elles s o n t s o u v e n t j u s t e s a u f o n d . D e t o u t e s les n a t i o n s q u i p o s s è d e n t e n c o r e d e s e s c l a v e s , la F r a n c e e s t s a n s d o u t e la p l u s disposée à o p é r e r l ' é m a n c i p a t i o n , mais est-elle a u s s i d i s p o s é e à e m p l o y e r les m o y e n s q u i p e u v e n t a s s u r e r le s u c c è s d e c e t t e m e s u r e ? — P o u r faire u n e b o n n e é m a n c i p a t i o n , c e q u ' i l f a u t a v a n t t o u t , c'est d e l ' a r g e n t , e n c o r e d e l ' a r g e n t . O r , l ' a r g e n t n ' e s t a c c o r d é p a r les c h a m b r e s q u e p o u r des m e s u r e s q u i se r a t t a c h e n t a u x grands intérêts politiques et financiers d u pays. R a t t a c h e r d e g r a n d s i n t é r ê t s f i n a n c i e r s à la r é f o r m e c o l o n i a l e , c'est la p l a c e r s u r le s e u l t e r r a i n o ù elle p u i s s e d e v e n i r u n e g r a n d e m e s u r e p o l i t i q u e , e t o ù elle p u i s s e , e u m ê m e t e m p s , o b t e n i r la f a v e u r d e s c h a m b r e s . La p e n s é e d u remploi de l'indemnité a u m o y e n d ' u n e o u p l u -


( 89 ) s i e u r s i n s t i t u t i o n s f i n a n c i è r e s d e s t i n é e s à satisfaire les t r o i s p r i n c i p a u x i n t é r ê t s d u c o m m e r c e m a r i t i m e , s a v o i r : la colonisation, le rétablissement du crédit foncier et d e la circulation monétaire d a n s les c o l o n i e s é m a n c i p é e s , e s t , si j ' o s e le d i r e , la b a s e d e l ' e x é c u t i o n p r a t i q u e d u p l a n q u e j ' a i i n d i q u é . J e s u p p o s e , e n effet, q u ' i l m e fût v e n u à l'idée d e p r o p o s e r la r é a l i s a t i o n d ' u n c a p i t a l d e c i n q u a n t e m i l l i o n s p o u r c o l o n i s e r la G u y a n e , e t d e d e m a n d e r le c o n c o u r s d e l ' É t a t , en m'isolant entièrement des préoccupations q u i se r a t t a c h e n t à l ' é m a n c i p a t i o n e t à la d e s t i née des a u t r e s colonies, aurais-je p u être écouté, lorsque a u j o u r d ' h u i m ê m e , et a u m o m e n t o ù t o u t e s c e s q u e s t i o n s s o n t f l a g r a n t e s , j e le suis à peine? J ' e s p è r e , M e s s i e u r s , a v o i r d é m o n t r é p a r ce q u i p r é c è d e , q u e le p l a n s o u m i s à v o t r e e x a m e n n'a p a s d ' a u t r e é t e n d u e q u e celle qui m ' é t a i t p r e s c r i t e p a r la n a t u r e d e s c h o s e s , e t q u e , s'il est c o m p l e x e , il r é p o n d à u n e s i t u a t i o n q u i , ellem ê m e , n'est pas très-simple. J ' a b o r d e le d é t a i l d u p r o j e t s u r la G u y a n e . Je traiterai des m o y e n s d e t r a v a i l , mais je d e m a n d e la p e r m i s s i o n d e p r é s e n t e r q u e l q u e s faits généraux. Il y a c i n q G u y a n e s : l ' a n c i e n n e Guyane espagnole c o m p r i s e a u j o u r d ' h u i d a n s le t e r r i t o i r e des r é p u b l i q u e s d e C o l o m b i e et d e V e n e z u e l a , la


( 90 ) Guyane brésilienne, la Guyane anglaise, la Guyane hollandaise, la Guyane française. C e s cinq immenses provinces sont placées, à peu d e c h o s e p r è s , d a n s les m ê m e s c o n d i t i o n s c l i m a t é r i q u e s e t g é o l o g i q u e s . Mais il faut s e b o r n e r à c o n s i d é r e r celles d e ces p r o v i n c e s q u i d é p e n d e n t de grandes métropoles européennes. L a G u y a n e a n g l a i s e e t la G u y a n e h o l l a n d a i s e p r é s e n t e n t u n é t r a n g e c o n t r a s t e a v e c la n ô t r e . Les r e n s e i g n e m e n t s q u e j ' a i r e c u e i l l i s s u r la G u y a n e h o l l a n d a i s e n e s o n t p a s , e n ce m o m e n t , à m a d i s p o s i t i o n . L e m a n u s c r i t est s o u s p r e s s e . Q u a n t à la G u y a n e a n g l a i s e , v o i c i , p o u r l ' a n n é e 1 8 3 6 , le t a b l e a u d e ses p r o d u i t s c o m p a r é s a v e c les p r o d u i t s d e n o t r e G u y a n e . L a G u y a n e a n glaise a d o n n é 5 3 m i l l i o n s d e k i l o g r a m m e s d e s u c r e , 9 millions d e litres d e r h u m , 1 million 700,000 k i l o g r a m m e s d e c a f é ; t a n d i s q u e la G u y a n e française n'a d o n n é q u e a millions d e k i l o g r a m m e s d e s u c r e , 69,000 l i t r e s d e r h u m , e t 20,000 k i l o g r a m m e s d e café. La G u y a n e f r a n çaise e s t p o u r t a n t celle q u i a é t é c o l o n i s é e la première. Il faut a j o u t e r t o u t e f o i s q u e l'on t r o u v e , d a n s notre colonie, des cultures q u i manquent e n t i è r e m e n t a u x a u t r e s G u y a n e s : l e s épices de l'Inde, le poivre, l e girofle, l a cannelle, l a vanille, l e rocou. C e t t e d e r n i è r e c u l t u r e a c q u i e r t chaque j o u r u n e nouvelle i m p o r t a n c e . La pros-


( 91 ) p é r i t é d e ces d i v e r s e s c u l t u r e s , q u i n ' o n t pus é t é e s s a y é e s d a n s les a u t r e s c o l o n i e s d ' A m é r i q u e , fait d e n o t r e G u y a n e u n e c o l o n i e «l'une e s p è c e u n i q u e d a n s le N o u v e a u - M o n d e . M a i s , à p a r t c e fait, on voit q u e l l e i m m e n s e d i s p r o p o r t i o n elle p r é s e n t e a v e c les a u t r e s p r o v i n c e s . M. le Directeur des colonies : D e q u e l l e a n n é e s o n t ces r e n s e i g n e m e n t s ? M. Jules Lechevalier : Ils s o n t d e 1 8 3 6 . J'ai c h o i s i c e t t e a n n é e , p a r c e q u e c'est la d a t e la p l u s r é c e n t e d e s r e n s e i g n e m e n t s s u r les c o l o n i e s f r a n ç a i s e s , c o n s i g n é s d a n s la s t a t i s t i q u e officielle. D e p u i s 1 8 3 6 , les p r o d u i t s o n t d i m i n u é à D e m e r a r a : m a i s c e t t e d i m i n u t i o n n e c h a n g e r i e n à la disproportion q u e je viens de signaler. D'ailleurs, la p r o d u c t i o n d e S u r i n a m , c o l o n i e à e s c l a v e s , p r é s e n t e a v e c celle d e C a y e n n e le m ê m e c o n t r a s t e . Si o n d e m a n d e o ù est la v é r i t a b l e c a u s e «le c e t t e d i s p r o p o r t i o n e t de c e c o n t r a s t e , j e n ' h é s i t e p a s à p r o c l a m e r q u ' e l l e est d a n s le n o m b r e e t la p u i s s a n c e d e s b a n q u e s e t d e s g r a n d e s C o m p a g n i e s de c o l o n i s a t i o n e t d e c o m m e r c e m a r i t i m e , q u i f o r m e n t e n q u e l q u e s o r t e le p o i n t d ' a p p u i d e l ' a c t i o n m a r i t i m e e t c o l o n i a l e d e la H o l l a n d e et d e l ' A n g l e t e r r e . L a p e n s é e d e c o l o n i s e r la G u y a n e , p a r l ' i n tervention d'une grande Compagnie financière, a s o u l e v é des objections générales q u a n t au b u t et a u x m o y e n s , e t d e s objections spéciales quant


( 92 ) au personnel

des

t r a v a i l l e u r s , e t à la

contrée

c h o i s i e p o u r p r e m i e r c h a m p d e travail. O n d i t , s o u s le p r e m i e r p o i n t d e v u e : Vous

demandez

la f o r m a t i o n

d'une

grande

Compagnie : vous voulez retourner aux institut i o n s s u r a n n é e s d é t r u i t e s par le r é g i m e d e

libre

concurrence. Le temps des grandes Compagnies est passé. Vous demandez un m o n o p o l e de navigation : c'est p o r t e r a t t e i n t e a u x

intérêts des

ports

de

mer. L a faculté d e raffiner le s u c r e , d e tisser le c o t o n , d e manufacturer les p r o d u i t s , qui est p r o p o s é e e n f a v e u r d e la C o m p a g n i e d e la

Guyane

française, contredit le principe de notre

légis-

lation i n d u s t r i e l l e , qui l i m i t e le travail d e s étab l i s s e m e n t s c o l o n i a u x à la p r o d u c t i o n d e s

ma-

tières p r e m i è r e s . La colonisation

enlèverait

des ouvriers à

la

métropole. E n f i n , u n e o b j e c t i o n qu'il n e faut pas o m e t tre , p u i s q u ' e l l e e s t f a i t e p a r d e s h o m m e s g r a v e s , se rapporte a u cas de guerre. Les capitaux e n gagés outre-mer seraient, dit-on, exposés

à de-

v e n i r la p r o i e d e l ' é t r a n g e r . A la p r e m i è r e o b j e c t i o n , j e r é p o n d r a i q u e t o u t ce qui a été écrit par les é c o n o m i s t e s , sur les a n ciennes C o m p a g n i e s , doit être mis e n suspicion. D a n s le t e m p s o ù l e s p r e m i è r e s C o m p a g n i e s o n t


( 93 ) é t é f o r m é e s , les s t a t i s t i q u e s a d m i n i s t r a t i v e s n'existaient pas. On m a n q u e de renseignements officiels s u r les o p é r a t i o n s d e c e s é t a b l i s s e m e n t s . Mais, de prime a b o r d , on ne peut s'empêcher d e r e c o n n a î t r e q u e , p o u r f o n d e r le c o m m e r c e d a n s d e s c o n t r é e s o ù les r e l a t i o n s n ' a v a i e n t p a s e n c o r e é t é é t a b l i e s , l'effet d e s g r a n d e s a s s o c i a t i o n s é t a i t a b s o l u m e n t n é c e s s a i r e . C'est p a r ce p r o c é d é q u e les A n g l a i s o n t e n t r e p r i s l ' e x p l o i t a tion d u c o m m e r c e de l'Inde Orientale; et l'opér a t i o n n'a pas mal t o u r n é . D e p u i s q u e l q u e s a n n é e s , le m o n o p o l e c o m m e r c i a l d e la C o m p a g n i e d e s I n d e s a c e s s é , e t ce vaste c o n t i n e n t , qui avait d'abord été fermé a u c o m m e r c e p a r t i c u l i e r , lui a é t é l i v r é . L ' i n n o v a t i o n a r é u s s i ; m a i s il n ' e n e s t p a s m o i n s v r a i q u e c'est le m o n o p o l e q u i a o u v e r t la v o i e a u commerce libre. D ' a i l l e u r s , o n s e t r o m p e g r a v e m e n t , si l ' o n p e n s e q u ' i l n ' e x i s t e e n A n g l e t e r r e q u e la s e u l e C o m p a g n i e d e s I n d e s . J'ai c o n s t a t é , à L o n d r e s s e u l e m e n t , l'existence d'un grand n o m b r e de Compagnies territoriales et de Banques p o u r les c o l o n i e s . Q u e l q u e s - u n s d e c e s é t a b l i s s e m e n t s o n t été fondés tout récemment. P o u r multiplier, à c e p o i n t , c e g e n r e d ' i n s t i t u t i o n , il f a u t , c e m e s e m b l e , q u e n o s voisins y t r o u v e n t q u e l q u e avantage. Les Anglais o n t u n e a u t r e m a n i è r e d'opérer, à laquelle nous n'avons recoins que


( 94 ) b i e n r a r e m e n t , e t a v e c d e faibles c a p i t a u x . Ils v o n t s ' é t a b l i r e u x - m ê m e s d a n s les p a y s é t r a n g e r s , d a n s les c o n t r é e s q u i n e s o n t p a s p l a c é e s s o u s la s o u v e r a i n e t é d e l e u r p a v i l l o n : a i n s i les m i n e s e t les s u c r e r i e s d u B r é s i l , les m i n e s e t les s u c r e r i e s d e C u b a , s o n t e x p l o i t é e s a v e c d e s capitaux anglais, et a p p a r t i e n n e n t à des maisons anglaises. M. le Président p r i e M. J u l e s L e c h e v a l i e r d e n e p a s p e r d r e d e v u e la q u e s t i o n s u r l a q u e l l e la Commission désire l'entendre. Les renseignem e n t s q u ' i l lui t r a n s m e t o f f r e n t u n vif i n t é r ê t ; m a i s ils n e p e u v e n t m a n q u e r d e t r o u v e r p l a c e plus tard. M. Jules Lechevalier d e m a n d e la p e r m i s s i o n d ' a j o u t e r u n d e r n i e r m o t : Ce q u e j e t i e n s s u r t o u t à c o n s t a t e r , d i t - i l , c'est q u e le c o m m e r c e a n g l a i s , p o u r se c r é e r d e s d é b o u c h é s , o p è r e t o u j o u r s p a r la c o l o n i s a t i o n . — Colonisation indirecte s u r les t e r r e s q u i n ' a p p a r t i e n n e n t p a s a u d o m a i n e n a t i o n a l ; colonisàtion directe, sous le d r a p e a u a n g l a i s . P o u r o b é i r à l ' o b s e r v a t i o n d e M. le P r é s i d e n t , j ' o m e t t r a i la r é p o n s e a u x o b j e c t i o n s g é n é r a l e s , et j e m e b o r n e r a i a u x o b j e c t i o n s q u i se r a p p o r t e n t s p é c i a l e m e n t à l ' e x p l o i t a t i o n d u sol d e la Guyane. L a G u y a n e e s t , c o m m e j e l'ai d i t , celle d e n o s c o l o n i e s q u i p r é s e n t e le p l u s d e r e s s o u r c e s . U n


( 95 ) c h a m p p r e s q u e infini e s t o u v e r t a u x t r a v a u x de c o l o n i s a t i o n . P a r sa d i s t a n c e d e la m é t r o p o l e , c e t t e c o l o n i e offre a u c o m m e r c e m a r i t i m e u n trajet considérable à opérer. Les marchandises d ' e n c o m b r e m e n t s'y t r o u v e n t e n a b o n d a n c e . La G u y a n e est c o u v e r t e d ' u n e i m m e n s e forêt. O n n ' a u r a q u e la p e i n e d e c o u p e r le b o i s p o u r le t r a n s p o r t e r e n E u r o p e , o ù il d e v i e n t d e j o u r e n j o u r plus c h e r et plus r a r e . Cette forêt d e trois cents lieues de p r o f o n d e u r contient des essences p r o p r e s à la c o n s t r u c t i o n , à l ' é b é n i s t e r i e , à la t e i n t u r e c o m m e a u c h a u f f a g e . T o u t e s les c u l t u r e s s o n t f o n d é e s à la G u y a n e . — Les t e n t a t i v e s déjà faites s o n t loin d ' a v o i r m a n q u é p o u r d e s c a u s e s i n h é r e n t e s à la localité e t i m p o s s i b l e s à m o d i f i e r . Les circonstances du climat y sont entrées p o u r b e a u c o u p , o n n e p e u t le n i e r ; m a i s o n n e p e u t pas nier n o n plus q u ' a u c u n e expédition n'a été o r g a n i s é e a v e c la p r u d e n c e n é c e s s a i r e . — V e u t o n , en France m ê m e , fonder un établissement, j e n e dis pas d a n s u n d é p a r t e m e n t éloigné, mais hors des barrières de Paris, on prend plus de précautions qu'il n'en a été pris p o u r aller coloniser, à deux o u trois mille lieues, un désert m a r é c a g e u x et i n s a l u b r e , c o m m e t o u t e s les t e r r e s vierges q u e l'action de l'industrie h u m a i n e n'a p a s e n c o r e m o d i f i é e s ? — P o u r o p é r e r en F r a n c e , o n constitue d'abord u n e administration cent r a l e , o n d i s p o s e le t e r r a i n , o n a soin d e t e n i r


( 96 ) e n d i s p o n i b i l i t é u n e m a s s e d e c a p i t a u x suffisante p o u r faire face à t o u t e s les é v e n t u a l i t é s ; o n p r o c è d e p a s à p a s . R i e n d e t o u t c e l a n ' a é t é fait p o u r l ' e x p é d i t i o n d u K o u r o u , la p l u s s é r i e u s e d e t o u t e s , p a r s o n i m p o r t a n c e et p a r la g r a v i t é d u d é s a s t r e q u i l'a t e r m i n é e . Q u a n t à la d é p o r t a t i o n à S i n n a m a r y , il n e faut p a s la c o n f o n d r e a v e c u n e c o l o n i s a t i o n a g r i c o l e e t i n d u s t r i e l l e . Q u e l s h o m m e s le D i r e c t o i r e a-t-il déportés à Sinnamary? Des h o m m e s de lettres, d e s h o m m e s p o l i t i q u e s d o n t il r e d o u t a i t les p a s s i o n s e t l ' a g i t a t i o n . L e u r t é m o i g n a g e n'est-il p a s s u s p e c t ? P o u v a i e n t - i l s m a n q u e r de j u g e r d é f a v o r a b l e m e n t u n p a y s o ù ils v i v a i e n t , n o n p a s e n colons, mais en proscrits ? P o u r r e v e n i r à l ' e x p é d i t i o n d u K o u r o u , elle a été entreprise sans renseignements, sans études p r é l i m i n a i r e s , s o u s les a u s p i c e s d e q u e l q u e s courtisans r u i n é s , entièrement étrangers aux affaires. O n n ' a v a i t p a s d é f r i c h é ; o n n ' a v a i t p r é p a r é n i l o g e m e n t , ni p l a n d ' é t a b l i s s e m e n t , e t l ' o n d é b u t a p a r t r a n s p o r t e r six à h u i t m i l l e h o m m e s . E n p a r e i l c a s , le n o m b r e d e s c o l o n s i m p o r t é s a u g m e n t e les d a n g e r s e t les c a u s e s d ' i n s u c c è s . Il faut r e m a r q u e r , e n o u t r e , q u e p o u r l'expédition d u K o u r o u , o n avait négligé d ' é t a b l i r u n c e n t r e d a n s la m é t r o p o l e , c e q u i était c e p e n d a n t i n d i s p e n s a b l e . Il f a u t a u j o u r d ' h u i p r o c é d e r d ' u n e façon i n v e r s e , o r g a n i s e r ,


(97

)

ici, à Paris, u n centre ayant son point d'appui s u r le g o u v e r n e m e n t e t s u r la f i n a n c e , d é f r i c h e r et dessécher à l'avance u n e certaine q u a n t i t é de t e r r a i n s , i n t r o d u i r e g r a d u e l l e m e n t les n o u v e a u x c o l o n s . P a r c e m o y e n , les p r i n c i p a l e s difficultés s e r o n t v a i n c u e s . C'est m ê m e u n fait b i e n e x t r a o r d i n a i r e , q u e q u e l q u e s f a m i l l e s i s o l ées s o i e n t p a r v e n u e s à f o r m e r d e s é t a b l i s s e m e n t s . Ce fait p r o u v e c e q u ' o n p e u t o b t e n i r p a r le m o y e n d e s g r a n d e s C o m p a g n i e s , e t e n é p a r g n a n t le p l u s p r é c i e u x d e s c a p i t a u x , la f o r c e h u m a i n e . A v e c les r e s sources q u e l'industrie posssède aujourd'hui, r i e n n e s e r a p l u s facile q u e la c o l o n i s a t i o n d e la G u y a n e , à c o n d i t i o n q u e l'on p r e n n e p o u r p o i n t d e d é p a r t les c u l t u r e s e t les p r o p r i é t é s é t a b l i e s . M. Lavollée fait o b s e r v e r à M . J u l e s L e c h e v a l i e r q u ' i l n'a p o i n t p a r l é d e s t e n t a t i v e s d e M M . C e r b e t , Catineau-Laroche et de m a d a m e Javouhey. M. Lechevalier : P o u r a b r é g e r , j ' a v a i s o m i s les tentatives d o n t M. Lavollée vient de p a r l e r , et q u e je ne considère pas c o m m e des opérations de colonisation. C e p e n d a n t j'ai pris connaissance d e ces e n t r e p r i s e s . J'ai v i s i t é m o i - m ê m e la c o l o n i e d e M a n a , o ù j'ai p a s s é q u a r a n t e - h u i t h e u r e s . — M a d a m e J a v o u h e y o p è r e a v e c 100,000 fr. p a r a n , e t c'est a v e c ce c a p i t a l q u ' e l l e d o i t e n t r e t e n i r le t r a v a i l d e c i n q c e n t s n o i r s ! Q u e p e u t - o n faire d a n s d e p a r e i l l e s c o n d i t i o n s ? L e 7


( 98 ) s u c c è s d e la M a n a t i e n t s u r t o u t a u c a r a c t è r e p e r s o n n e l d e la f o n d a t r i c e . M a d a m e J a v o u h e y e s t assurément ce q u e j'ai vu de plus remarquable d a n s n o s c o l o n i e s , p a r l ' é n e r g i e d e la foi q u i est e n e l l e , e t p a r l ' h a b i l e t é d e la d i r e c t i o n q u ' e l l e i m p r i m e à sa p e t i t e c o l o n i e . Si la F r a n c e a v a i t v i n g t - c i n q c o l o n i s a t e u r s d e c e t t e e s p è c e , elle o b t i e n d r a i t des résultats r a p i d e s et certains. M a d a m e Javouhey possède cinq cents travaill e u r s p l e i n s d e f o r c e e t d e s a n t é ; elle e n o b t i e n t l ' o b é i s s a n c e , s a n s r e c o u r i r à la f o r c e a r m é e : ils s o n t d o c i l e s e t r e l i g i e u x ; m a i s ils p r i e n t p l u s q u ' i l s n e t r a v a i l l e n t . La M a n a n e p e u t p a s ê t r e c o n s i d é r é e c o m m e u n e c o l o n i e d e t r a v a i l : c'est p l u t ô t u n e école d e civilisation p o u r les noirs. M a d a m e J a v o u h e y a c o m p r i s q u e les h o m m e s d e c e t t e r a c e é t a i e n t p l u s faciles à g o u v e r n e r q u e les b l a n c s , e t elle n e v e u t p a s d e c o l o n s e u r o p é e n s d a n s s o n é t a b l i s s e m e n t . T o u s les o r d r e s religieux qui s'établissent d a n s ces contrées o n t , d u r e s t e , le m ê m e s e n t i m e n t : t o u s é c a r t e n t la r a c e b l a n c h e . L e défaut de succès des opérations de MM. Gerb e t e t C a t i n e a u - L a r o c h e est c o n t e s t a b l e e n l u i m ê m e ; m a i s , e n t o u t c a s , c e s o p é r a t i o n s se s o n t p l u t ô t éteintes p a r défaut d'élan et d e p e r s é v é rance, et par l'absence d'une b o n n e organisation administrative, qu'elles n'ont é c h o u é ou p r o d u i t de mauvais résultats. — Le d é p a r t de M. G e r b e t


( 99 ) a d i s p e r s é le p e t i t n o m b r e d e familles q u ' i l a v a i t a m e n é e s d u J u r a : l'ennui et l'isolement d e t o u t e civilisation o n t fait e n c o r e d a v a n t a g e . J'ai e u o c c a s i o n d e v o i r , à C a y e n n e , u n d e s c o l o n s d e l ' e x p é d i t i o n G e r b e t : c'était u n c o r d o n n i e r a m e n é d e la F r a n c h e - C o m t é p o u r e x p l o i t e r les t e r r e s d e la G u y a n e . C ' é t a i t l à , o n p e u t le d i r e , u n assez t r i s t e é l é m e n t d e c o l o n i s a t i o n . E h b i e n ! le c o r d o n n i e r f r a n c - c o m t o i s avait fini, m'a-t-il d i t , p a r se former très-bien a u t r a v a i l d e s c h a m p s ; ses e n f a n t s v e n a i e n t à s o n a i d e e t t r a v a i l l a i e n t c o m m e l u i ; ils s ' é t a i e n t b â t i eux-mêmes u n e petite maison avec des bois coup é s s u r p l a c e . Ils o n t q u i t t é p a r i m p o s s i b i l i t é d e s'accommoder au régime à peu près monastique introduit par madame Javouhey, et par ennui d'être éloignés de toute civilisation, d'être privés d e nouvelles d ' E u r o p e et m ê m e d e C a y e n n e : la M a n a est s i t u é e s u r la r i v i è r e A m a n a , à q u a r a n t e lieues d u c e n t r e d e l'ancienne colonie, M. Lavollée fait o b s e r v e r q u ' i l r é s u l t e , m ê m e d e s t e n t a t i v e s d o n t le d é t a i l v i e n t d ' ê t r e d o n n é , q u e l'insalubrité n'est pas u n obstacle invincible, e t q u e la c o l o n i s a t i o n p a r f a m i l l e i s o l é e p e u t réussir. M. Lechevalier. S a n s d o u t e ; m a i s les r é s u l t a t s s o n t i n c e r t a i n s e t se p a y e n t c h e r . — L e s d e s s é c h e m e n t s et défrichements en grande échelle 7-


( 100 ) s e r o n t b i e n p l u s a v a n t a g e u x , n e fût-ce q u e p o u r f o u r n i r a u x familles isolées le m o y e n d e v e n i r s'établir d'une m a n i è r e plus convenable. Rien n'a été plus faux et p l u s mal c o m b i n é q u e t o u t e s les t e n t a t i v e s a n t é r i e u r e s . O n d i r a i t q u ' o n a mis d e l ' a r t à se c r é e r d e s difficultés. P a r e x e m p l e , c'est s u r l ' A m a n a q u e t o u s les eff o r t s se s o n t d i r i g é s , e t l ' A m a n a e s t p e u t - ê t r e le p o i n t d ' o p é r a t i o n le p l u s d é f a v o r a b l e ; l ' e m b o u c h u r e d e la r i v i è r e A m a n a est d i f f i c i l e , e t sa sit u a t i o n , à q u a r a n t e l i e u e s s o u s le v e n t d e la ville c e n t r a l e , i n t e r d i t les c o m m u n i c a t i o n s r é g u lières. Une circonstance de ce g e n r e a particulièrement contribué au désastre de l'expédition d u . K o u r o u , c a r la r i v i è r e d e K o u r o u est s i t u é e a u s s i s o u s le v e n t d e C a y e n n e . O n v e r r a d a n s le p r é c i s d e c e t t e e x p é d i t i o n , d o n t le M i n i s t è r e d e la M a r i n e p r é p a r e e u c e m o m e n t la p u b l i c a t i o n , q u e les 8,000 é m i g r a n t s d é b a r q u é s t o u t d ' u n c o u p s u r les m a r a i s d e c e t t e c ô t e d é s e r t e , o n t p é r i p a r le m a n q u e d e v i v r e s et de soins. Les vivres a p p o r t é s d ' E u r o p e o n t été p r o m p t e m e n t a v a r i é s p a r l'effet d e la c h a l e u r e t d e l ' h u m i d i t é . O n c o m p t a i t s u r le p o r t d e C a y e n n e p o u r f o u r n i r d e s vivres f r a i s ; m a i s , p a r s u i t e d e la d i r e c t i o n c o n s t a n t e d e s v e n t s e t d e s c o u r a n t s , il f a u t q u e l q u e f o i s v i n g t - c i n q j o u r s à u n b â t i m e n t à voiles p o u r s e r e n d r e d e l ' A m a n a o u d u K o u r o u à C a y e n n e , t a n d i s q u ' i l suffit d e


(

101

)

d e u x o u t r o i s j o u r s p o u r faire le t r a j e t i n v e r s e . Les victimes de cette malheureuse expédition n ' a v a i e n t p o i n t t e n u c o m p t e d e c e s faits. L a s e u l e c o n c l u s i o n r a t i o n n e l l e que l'on p u i s s e t i r e r a u j o u r d ' h u i d e c e s t e n t a t i v e s , c e n ' e s t p a s q u e le t r a v a i l d e la r a c e e u r o p é e n n e s o u s les t r o p i q u e s est i m p o s s i b l e , c ' e s t q u ' i l n ' a é t é fait e n c o r e , à cet égard, a u c u n e expérience sérieuse et bien conduite. A u s u r p l u s , j e n e d i s s i m u l e p a s q u e t o u s les t é m o i g n a g e s , m ê m e les p l u s r é c e n t s , c e u x q u i c o n c e r n e n t les c o l o n i e s a n g l a i s e s , n e s o i e n t t o u t à fait c o n t r a i r e s à l ' o p i n i o n p a r m o i é m i s e e t s o u t e n u e , q u e le t r a v a i l d e s b l a n c s est p o s s i b l e , s o u s les t r o p i q u e s , l o r s q u ' o n p r e n d r a les p r é c a u t i o n s c o n v e n a b l e s p o u r i n s t a l l e r les c o l o n s . C'est d o n c là u n e o p i n i o n t h é o r i q u e n o n j u s t i f i é e p a r les faits. O r , si l'esprit p h i l o s o p h i q u e c o n siste à s a v o i r se s é p a r e r q u e l q u e f o i s d e s o p i n i o n s a d m i s e s e t a c c r é d i t é e s , l ' e s p r i t d e s affaires e s t t o u t a u t r e ; aussi la c o l o n i s a t i o n d e la G u y a n e , telle q u e je l'indique e n ce m o m e n t , n e r e p o s e e n a u c u n e f a ç o n s u r l e t r a v a i l d e la r a c e e u r o péenne. Je réserve entièrement mes opinions sur ce p o i n t , m a i s j e n ' e n p r o p o s e p a s l ' a p p l i c a t i o n immédiate. M. le Président r a p p e l l e à M. Lechevalier que d e u x q u e s t i o n s lui s o n t p o s é e s p a r la c o m m i s s i o n : Q u e l p a r t i il e s p è r e t i r e r d e la p o p u l a t i o n


( 102 ) a c t u e l l e ? C o m m e n t il c o m p t e s e p r o c u r e r les b r a s qu'il sera p e u t - ê t r e nécessaire d'ajouter a u x t r a v a i l l e u r s q u e p o s s è d e d é j à la c o l o n i e ? M. Jules Lechevalier. — L e p r o b l è m e d e c o l o n i s a t i o n q u e j e m e s u i s d ' a b o r d p o s é e s t celui-ci : é t a n t d o n n é s les p l a n t a t i o n s e t les e s c l a v e s d e la colonie d e C a y e n n e , telle qu'elle existe actuell e m e n t , c o m m e n t l e u r faire p r o d u i r e u n e m a s s e s u p é r i e u r e de richesse, et réaliser u n e plus g r a n d e s o m m e d e b i e n - ê t r e i n d i v i d u e l p o u r les h a b i t a n t s ? — J'ai r e c o n n u , a u p r e m i e r a s p e c t , q u e les produits pourraient être considérablement augmentés par l'introduction de nouveaux capitaux p o u r l'exploitation des usines déjà établies, par l'introduction de bateaux à vapeur, de machines à d r a g u e r et à dessécher, par l'emploi d'un capital d e d e u x o u trois millions d e francs à c r é e r des c a n a u x , des chemins de bois, dans un pays o ù les g r a n d s t r a v a u x p u b l i c s p e u v e n t s ' e x é c u t e r si f a c i l e m e n t , e t o ù les m a t é r i a u x p e u v e n t s ' o b t e n i r à t r è s - b a s p r i x . — L'essai d e la m a c h i n e à v a p e u r p o u r c r e u s e r les fossés d e d e s s é c h e m e n t a déjà é t é fait à D e m e r a r a ; m a i s c e s m a c h i n e s existent aussi en F r a n c e . M. Hallette, d'Arras, q u i e n est l ' i n v e n t e u r , e n a fait l'essai à B l a n g y : c e t essai p a r a i t a v o i r é t é h e u r e u x . O n p o u r r a t i r e r a u s s i g r a n d p a r t i , p o u r le p a r c o u r s d e s f l e u v e s , des b a t e a u x portatifs en toile, q u i o n t été r é c e m m e n t i n v e n t é s et e x p é r i m e n t é s , à Paris m ê m e , p a r M. Leclerc.


( 103 ) O n est s o u v e n t a r r ê t é d a n s le p a r c o u r s d e s fleuves de là G u y a n e , p a r d e s sauts o u c a t a r a c t e s , q u e l'on n e p e u t p a s r e m o n t e r e n b a t e a u x e t q u e l'on n e d e s c e n d q u ' e n c o u r a n t de g r a n d s d a n g e r s . A r r i v é e à c e s sauts o u c a t a r a c t e s , u n e e x p é dition, m u n i e de bateaux portatifs, p o u r r a m e t t r e p i e d à t e r r e , c ô t o y e r le fleuve j u s q u ' à c e q u ' e l l e e n a t t e i g n e le c o u r s r é g u l i e r , e t r e p r e n d r e e n s u i t e la n a v i g a t i o n . L e s q u a t o r z e mille travailleurs a c t u e l l e m e n t dispersés sur des plantations qui ne peuvent pas c o m m u n i q u e r e n t r e e l l e s , u n e fois s o u m i s à la direction d'une seule et m ê m e Compagnie, pourr o n t être t r a n s p o r t é s p a r masse d ' u n lieu à u n a u t r e , e t faire s u c c e s s i v e m e n t d e g r a n d s t r a v a u x d e d e s s é c h e m e n t , d e p l a n t a t i o n et d e récolte. Ces travailleurs s e r o n t ainsi multipliés p a r e u x m ê m e s , e t m u l t i p l i é s e n c o r e p a r la p u i s s a n c e de locomotion des bateaux à vapeur. L'introd u c t i o n d e six b a t e a u x à v a p e u r d a n s la c o l o n i e , t e l l e q u ' e l l e est a c t u e l l e m e n t , suffirait p o u r e n c h a n g e r la face. L a f a c u l t é d e t r a n s p o r t e r r a p i d e m e n t les t r a v a i l l e u r s d ' u n lieu à u n a u t r e , s e r a a u s s i d ' u n e g r a n d e i m p o r t a n c e , q u a n t à la q u e s t i o n de s a l u brité. O n évitera b e a u c o u p de maladies, si, a u m o m e n t des d é f r i c h e m e n t s , les travailleurs n e c o u c h e n t p a s s u r le sol q u ' i l s a u r o n t c r e u s é e t r e m u é p e n d a n t le j o u r . L a s t a t i s t i q u e officielle


( 104 ) fixe à 4 , 5 0 0 , 0 0 0 fr. le p r o d u i t d e s t e r r e s e t u s i n e s f o r m a n t l ' e n s e m b l e d e s p r o p r i é t é s à la G u y a n e . S u p p o s o n s q u e c e t t e é v a l u a t i o n soit e x a g é r é e d e 1,500,00 fr., les 3,000,000 r e s t a n t r e présentent encore l'intérêt à 5 p. % d'un capital d e 60,000,000, c a p i t a l s u p é r i e u r à celui q u i e s t p r o p o s é p o u r la c o n s t i t u t i o n d e l a C o m p a g n i e . Les capitalistes seraient assurés t o u t d ' a b o r d d'un p r o d u i t immédiat, e t cette condition place l'opération proposée dans une situation unique par l'apport aux entreprises qui sont chaque j o u r offertes à la s p é c u l a t i o n . I l f a u t o r d i n a i r e m e n t q u e le c a p i t a l i s t e a t t e n d e p e n d a n t q u e l q u e s a n nées l'intérêt des capitaux qu'il voudrait placer. — La C o m p a g n i e d e la G u y a n e , exploitant avec plus de capitaux et des capitaux à meilleur marc h é q u e c e u x d o n t les p r o p r i é t a i r e s actuels p e u v e n t d i s p o s e r , p r o d u i r a p l u s e t m i e u x ; elle a u r a t o u s les m o y e n s d e s e r v i r , d è s le d é b u t , l'int é r ê t r é g u l i e r d e s o n c a p i t a l ; elle a u r a a u s s i , p o u r agir sur le m a r c h é de la v e n t e , des m o y e n s q u e les p r o p r i é t a i r e s c o l o n i a u x n ' o n t p a s a u j o u r d ' h u i . E l l e v e n d r a m i e u x les p r o d u i t s d e la c o l o n i e . Voilà d o n c , sans ajouter u n b r a s de plus à c e u x qui existent déjà, les moyens d e tirer u n parti b e a u c o u p plus avantageux d e notre possession. L a c o l o n i s a t i o n , ainsi r e p r é s e n t é e , a t o u s les c a r a c t è r e s d e c e q u ' o n a p p e l l e a u j o u r d ' h u i u n e affaire positive.


(

105

)

S'agit-il m a i n t e n a n t d ' i n t r o d u i r e d e n o u v e a u x b r a s ? O u les t r o u v e r a , s a n s p e n s e r à d ' a u t r e s r a c e s q u e celle d o n t l ' a c c l i m a t e m e n t est d é j à r e c o n n u p o s s i b l e . L e s c o l o n i e s d e la M a r t i n i q u e e t d e la G u a d e l o u p e o n t c h a c u n e a u m o i n s v i n g t c i n q m i l l e l i b r e s , a u j o u r d ' h u i d é s œ u v r é s , et, p o u r la p l u p a r t , d a n s u n é t a t v o i s i n d u v a g a b o n d a g e . J e n ' a t t r i b u e p a s ce d é s œ u v r e m e n t à u n e p a r e s s e i n h é r e n t e a u x d i s p o s i t i o n s d e s p e r s o n n e s d e la r a c e n o i r e o u d e la r a c e c u i v r é e ; c e s p e r s o n n e s t r a v a i l l e n t c o m m e les p e r s o n n e s d e r a c e e u r o p é e n n e , l o r s q u ' e l l e s s o n t p o r t é e s a u travail p a r les m ê m e s m o b i l e s : les b e s o i n s , d ' u n e p a r t , e t le s a l a i r e , d e l ' a u t r e . Il est vrai q u e , d a n s n o s c o l o n i e s , la p o p u l a t i o n des n o u v e a u x a f f r a n c h i s t r a vaille p e u , e t q u e la t u r b u l e n c e q u i n a î t d e ce d é s œ u v r e m e n t d o n n e quelquefois b e a u c o u p d ' o c c u p a t i o n à la p o l i c e l o c a l e ; m a i s cela t i e n t à ce q u e , d a n s les s o c i é t é s à e s c l a v e s , r i e n n ' e s t d i s p o s é p o u r le t r a v a i l s a l a r i é . L o r s q u ' o n fera u n a p p e l à ces n o u v e a u x libres et qu'il l e u r sera all o u é d e b o n s s a l a i r e s , les a u t r e s c o l o n i e s s'en d é b a r r a s s e r o n t sans r e g r e t , et e u x - m ê m e s s'empress e r o n t d'offrir l e u r s s e r v i c e s . Il y a u r a m o y e n aussi d ' o b t e n i r d e s t r a v a i l l e u r s d a n s la p o p u l a t i o n n o i r e e t c u i v r é e d e s É t a t - U n i s d ' A m é r i q u e , d ' a b o r d p a r m i les l i b r e s , e n s u i t e p a r m i les e s c l a v e s e u x - m ê m e s . L a classe d e s p e r s o n n e s d e c o u l e u r l i b r e s est fort m a l t r a i t é e a u x


(

106

)

Etats-Unis. E l l e e s t v i c t i m e d e t o u t e s l e s e x c l u sions q u i t i e n n e n t à l'esprit de caste. Les gens d e c o u l e u r ne s o n t p o i n t a d m i s d a n s la s o c i é t é . A u x é g l i s e s , a u x t h é â t r e s , ils n e p e u v e n t o c c u p e r q u e d e s p l a c e s r é s e r v é e s , s é p a r é e s d e celles o ù s e t i e n n e n t les b l a n c s . L e s É t a t s - U n i s

facilitent,

p a r t o u s les m o y e n s , l ' é m i g r a t i o n d e c e t t e c l a s s e . L a c o l o n i e d e Liberia,

s u r la c ô t e d ' A f r i q u e , a é t é

fondée d a n s ce b u t . Les h a b i t a n t s de D e m e r a r a e t d e la T r i n i t é o n t e u l'idée d ' a p p e l e r c h e z e u x les p e r s o n n e s d e c o u l e u r l i b r e s d e s É t a t s - U n i s . U n m e e t i n g a é t é c o n v o q u é d a n s c e b u t , à Baltim o r e , p a r u n h a b i t a n t d é la G u y a n e a n g l a i s e . La population de couleur a n o m m é deux délég u é s q u i se s o n t r e n d u s à D e m e r a r a e t à la T r i n i t é , p o u r e x a m i n e r les r e s s o u r c e s q u e ces c o l o n i e s p o u v a i e n t offrir à l ' é m i g r a t i o n . A l e u r r e t o u r l e s d é l é g u é s o n t fait u n r a p p o r t f a v o r a b l e , e t , d e p u i s lors, l'émigration a c o m m e n c é . T o u t e s ces c i r c o n s t a n c e s s o n t r e l a t é e s d a n s le t r a v a i l q u e j e p r é p a r e p o u r la C o m m i s s i o n c o l o n i a l e . J'ai m ê m e t r a d u i t le r a p p o r t fait p a r c e s d é l é g u é s s u r la G u y a n e e t s u r la T r i n i t é . N e serait-il pas possible, en o u t r e , d e r a c h e t e r d e s e s c l a v e s a u x É t a t s - U n i s e t d e les i m p o r t e r à la G u y a n e , c o m m e

travailleurs libres, en

leur

i m p o s a n t c e r t a i n e s c o n d i t i o n s p o u r le r e m b o u r s e m e n t d u capital q u i aurait été c o n s a c r é au rachat? L a p o p u l a t i o n e s c l a v e d e s É t a t s - U n i s , q u i


( 107 ) s'élève à p r è s d e 3 m i l l i o n s d ' â m e s , d e v i e n d r a i t alors u n e excellente base de r e c r u t e m e n t . Les r e s s o u r c e s q u e p r é s e n t e n t les É t a t s - U n i s , s o u s ce d o u b l e r a p p o r t , s o n t très s u p é r i e u r e s à celles d e la c ô t e d ' A f r i q u e . Il n e f a u d r a i t p a s r e n o n c e r c e p e n d a n t à ce d e r n i e r m o y e n , a u q u e l les Anglais o n t m a i n t e n a n t r e c o u r s . J e c o n s t a t e s e u l e m e n t q u ' i l a e u p e u d e s u c c è s , e t q u e le n o m b r e d e s Africains q u i o n t é m i g r é d e S i e r r a - L e o n e , d e p u i s q u e c e t t e é m i g r a t i o n e s t p e r m i s e , est p e u c o n s i d é r a b l e . L e s Hill-Coolies d e l ' I n d e , les h a b i t a n t s d e M a d è r e et d e s A ç o r e s p e u v e n t a u s s i ê t r e employés c o m m e travailleurs d a n s ces clim a t s . L e s i m p o r t a t i o n s q u i o n t e u l i e u o n t assez b i e n r é u s s i , t o u t e s les fois q u ' e l l e s o n t é t é a c c o m p a g n é e s de q u e l q u e s précautions. J'ai vu à la G u y a n e a n g l a i s e t o u t e s c e s classes d ' é m i g r a n t s . 11 m ' e s t d é m o n t r é q u ' e l l e s p e u v e n t s'acc l i m a t e r d a n s le p a y s e t y t r a v a i l l e r à la t e r r e . U n r a p p o r t q u e le D é p a r t e m e n t d e la M a r i n e v i e n t d e p u b l i e r , f o u r n i r a la p r e u v e la p l u s d i r e c t e d e c e f a i t ; il é t a b l i t q u e d e p u i s l ' é m a n c i p a t i o n , l'ém i g r a t i o n a d o n n é dix mille n o u v e a u x h a b i t a n t s à la G u y a n e a n g l a i s e . Ce r a p p o r t est d e M . L a y r l e , c a p i t a i n e d e c o r v e t t e , e n v o y é p a r le g o u v e r n e m e n t p o u r é t u d i e r les r é s u l t a t s d e l ' e x p é r i e n c e anglaise. U n e b o n n e loi d ' é m i g r a t i o n p e u t r é g l e r l ' e m ploi de toutes ces races, sans p o r t e r atteinte a u x


(

108

)

p r i n c i p e s d ' u n e s a g e l i b e r t é . Il i m p o r t e s u r t o u t q u e l ' é m i g r a t i o n e t le r e c r u t e m e n t d e s t r a v a i l l e u r s a i e n t t o u j o u r s l i e u s o u s la s u r v e i l l a n c e d e l ' É t a t , et m ê m e par son e n t r e m i s e directe. Sous c e r a p p o r t , les t e n t a t i v e s q u i o n t é t é faites d a n s les c o l o n i e s a n g l a i s e s s o n t t r è s i n c o m p l è t e s , e t d o i v e n t ê t r e c o n s i d é r é e s c o m m e les p r e m i e r s p a s d a n s u n e voie o ù d e p u i s s a n t e s C o m p a g n i e s , o p é r a n t a v e c le p a t r o n a g e d e l'État, p o u r r o n t m a r c h e r bien plus l i b r e m e n t et o b t e n i r de b i e n meilleurs résultats. M a i n t e n a n t q u e j ' a i fait v o i r c o m m e n t le t r a vail d e la r a c e e u r o p é e n n e n ' e s t p a s a b s o l u m e n t i n d i s p e n s a b l e p o u r c o l o n i s e r la G u y a n e , j ' y r e v i e n s c o m m e q u e s t i o n p o l i t i q u e , et p o u r faire s e n t i r la n é c e s s i t é d e t e n t e r à c e t é g a r d u n e e x p é r i e n c e r a i s o n n é e e t b i e n c o n d u i t e . Il est b o n d ' ê t r e l'ami d e s h o m m e s n o i r s e t d e s h o m m e s j a u n e s , m a i s , a v a n t t o u t , il faut ê t r e l'ami d e sa p r o p r e p e a u , et j ' a v o u e q u e j e m ' i n t é r e s s e v i v e m e n t au sort des habitants des faubourgs de L y o n , de Rouen et de M u l h o u s e , victimes de l ' e x u b é r a n c e d e s b r a s et d e s m a c h i n e s , d e la d é préciation des salaires et de l'irrégularité d u travail. C'est la r a c e e u r o p é e n n e q u i souffre le p l u s ; c'est elle q u i a le p l u s b e s o i n d e t r a v a i l l e r ; c'est elle q u i sait le m i e u x t r a v a i l l e r . P e n d a n t que les t r a v a i l l e u r s p a u v r e s s e d i s p u t e n t en E u r o p e ; d e m o d i q u e s s a l a i r e s , e t q u e les t r a v a i l l e u r s e n r i c h i s


( 109 ) s'arrachent, à des prix e x o r b i t a n t s , quelques morceaux d u sol, pourquoi ne pas songer à r e n d r e accessibles aux travailleurs et a u x capital i s t e s , les p l u s b e l l e s , les p l u s r i c h e s e t les p l u s vastes régions d u g l o b e ? T e l est le b u t r é e l q u e j e m e s u i s p r o p o s é p o u r l'avenir, en prenant m o n p o i n t d e d é p a r t d a n s u n e opération d'émancipation q u i est presc r i t e à l'Etat c o m m e une n é c e s s i t é p o l i t i q u e , e t q u i p r é s e n t e t o u s les c a r a c t è r e s p o s i t i f s q u ' i l faut c h e r c h e r d a n s les affaires. C'est p a r le côté d e l ' é m i g r a t i o n e u r o p é e n n e q u e l ' e n t r e p r i s e d e v i e n t p o l i t i q u e . Elle d e v r a i t ê t r e s u r t o u t française , c a r d e t o u t e s les n a t i o n s d u g l o b e la F r a n c e est celle q u i a le p l u s b e s o i n d e s ' é t e n d r e a u d e h o r s e t d e p r e n d r e p l a c e a la m e r . D e p u i s v i n g t - c i n q a n s , la R u s s i e e t l'Anglet e r r e o n t é t é fort habiles en a p p e l a n t c o n s t a m m e n t la d i p l o m a t i e s u r le t e r r a i n d e l ' é q u i l i b r e e u r o p é e n . E n se p l a ç a n t a u v é r i t a b l e p o i n t d e v u e d e l ' é q u i l i b r e p o l i t i q u e d e s É t a t s , e t si elle c o n s i d é r a i t la b a l a n c e d u m o n d e a u lieu d e s e r e n f e r m e r d a n s les é t r o i t e s l i m i t e s d u c o n t i n e n t e u r o p é e n , la d i p l o m a t i e f r a n ç a i s e r e c u l e r a i t d e s u r p r i s e à la p e n s é e d e s d i m e n s i o n s c o l o s s a l e s d e la R u s s i e e t d e l ' A n g l e t e r r e . Il n e faut p a s p e n s e r q u e la p u i s s a n c e a n g l a i s e soit à s o n d é c l i n . S o u s le r a p p o r t c o l o n i a l s u r t o u t , la p u i s s a n c e a n g l a i s e est à p e i n e à s o n o r i -


(

110

)

g i n e . J'ai p l u s d e foi à la s o l i d i t é d e la p u i s s a n c e a n g l a i s e q u ' à la p r o s p é r i t é factice d e la f é d é r a tion a m é r i c a i n e , c h a q u e j o u r m e n a c é e d e se d i s s o u d r e , e t q u i , d ' a i l l e u r s , est e n c o r e s o u s la d é p e n d a n c e i n d u s t r i e l l e d e l ' E u r o p e . S a n s les c a p i t a u x d e l ' E u r o p e , e t s u r t o u t d e l ' A n g l e t e r r e , la p r o s p é r i t é des États-Unis serait bien é p h é m è r e . O n p e u t d i r e q u e si l ' A n g l e t e r r e a c e s s é d ' ê t r e la m é t r o p o l e p o l i t i q u e d e l ' A m é r i q u e f é d é r a l e , elle e n est e n c o r e la m é t r o p o l e i n d u s t r i e l l e . L'Angleterre est d o n c en pleine voie d e dév e l o p p e m e n t colonial. Elle n'a p a s r u i n é , q u o i q u ' o n d i s e , ses c o l o n i e s o c c i d e n t a l e s d ' A m é r i q u e . E l l e y a c r é é , a u c o n t r a i r e , u n é t a t social n o u v e a u , t r è s - f a v o r a b l e à la c o n s o m m a t i o n d e s e s p r o d u i t s m a n u f a c t u r i e r s . E l l e s u i v r a la m ê m e m a r c h e dans l'exploitation des Indes Orientales. E l l e travaille a v e c u n e a r d e u r t o u t e n o u v e l l e à la c o l o n i s a t i o n d u C a n a d a , d e l ' A u s t r a l i e , d e la t e r r e d e V a n - D i é m e n , e t m ê m e d e la N o u v e l l e Zélande. Sur u n seul point ce peuple paraît n ' a v o i r p a s e n c o r e o u v e r t les y e u x à l ' a v e n i r d e s régions équinoxiales. En Angleterre, on ne rec o n n a î t p a s e n c o r e la p o s s i b i l i t é d e faire e x p l o i t e r c e s r é g i o n s p a r la r a c e e u r o p é e n n e . L e s témoignages qui arrivent des colonies anglaises, s u r c e p o i n t , p o u r r a i e n t p a r a î t r e décisifs, si l e u r o r i g i n e n ' é t a i t p a s s u s p e c t e . Ce s o n t les é c r i v a i n s a b o l i t i o n i s t e s , les a m i s f a n a t i q u e s d e la r a c e


(

111

)

n o i r e q u i r é p a n d e n t la t e r r e u r s u r l ' é m i g r a t i o n européenne aux Indes Occidentales; ce sont eux q u i p u b l i e n t , d a n s les j o u r n a u x d e L o n d r e s , c e s avis r e d o u t a b l e s q u i f o n t s a v o i r a u x p a y s a n s d e s c o m t é s d u R o y a u m e - U n i , q u e s'ils o n t le m a l h e u r d ' é m i g r e r à la J a m a ï q u e , c'est le t o m b e a u q u i les a t t e n d ; q u ' i l s a u r o n t , u n m o i s a p r è s l e u r a r r i v é e , six p i e d s d e t e r r e s u r la t ê t e . L e s m i s s i o n n a i r e s d e t o u t e s les s e c t e s t i e n n e n t c e l a n g a g e ; m a i s c e s n o u v e a u x d o m i n a t e u r s d e la r a c e n o i r e , q u i e x e r c e n t s u r les n o i r s d e s c o l o nies anglaises u n e m p i r e a n a l o g u e à celui q u e les j é s u i t e s o n t e x e r c é s u r la p o p u l a t i o n d u P a raguay, ont de b o n n e s raisons p o u r ne pas créer à leurs clients et à leurs disciples u n e c o n c u r r e n c e redoutable en matière de travail et de salaires. T o u t e s les é p a r g n e s d e s n o i r s s o n t a u j o u r d ' h u i d é p o s é e s e n t r e les m a i n s d e s m i s s i o n n a i r e s . L ' é c o l e e t le t e m p l e o n t , e n o u t r e , b e a u c o u p à se l o u e r d e la g é n é r o s i t é d e s n o u v e a u x é m a n c i p é s . P e n d a n t q u e j ' é t a i s à la J a m a ï q u e , les n o i r s d ' u n e s e u l e p a r o i s s e o n t fait u n e s o u s c r i p t i o n d e 1,500 g o u r d e s p o u r offrir u n p r é s e n t à u n g o u v e r n e u r q u i q u i t t a i t la c o l o n i e . J'ai fait le v o y a g e d e la J a m a ï q u e à L o n d r e s a v e c u n missionnaire q u i se r e n d a i t en E u r o p e p o u r soig n e r sa f e m m e m a l a d e , a u x frais d e s n o i r s d e sa p a r o i s s e . Q u e l q u e s m o i s a u p a r a v a n t , la f e m m e d u m i s s i o n n a i r e é t a i t p a r t i e d e la J a m a ï q u e e t


( 112 ) a v a i t e n c o r e fait le v o y a g e a u x frais d e s n o i r s . O n c o n ç o i t q u e les m i s s i o n n a i r e s p r é f è r e n t d e p a r e i l l e s h a b i t u d e s à celles q u i p r é v a l e n t d a n s les p o p u l a t i o n s e u r o p é e n n e s . L e c o n t a c t d e c e s populations pourrait être d'ailleurs d'un m a u vais e x e m p l e p o u r les n o i r s , a u j o u r d ' h u i p l u s r e l i g i e u x , p l u s d o c i l e s et s u r t o u t p l u s s o b r e s q u e n e le s e r a i e n t d e s é m i g r a n t s d e r a c e b l a n c h e , r e c u e i l l i s a u h a s a r d s u r les p l a g e s d ' E u r o p e . Je suis p e r s u a d é q u e t o u t e s ces circonstances agissent s u r l'esprit des m i s s i o n n a i r e s , m ê m e à leur i n s u , et c o n t r i b u e n t b e a u c o u p à leur inspirer l'horreur qu'ils témoignent p o u r toute tentative d'émigration e u r o p é e n n e . N'obéissons pas en aveugles à ces p r é j u g é s , n ' a j o u t o n s p a s foi à d e s r é c i t s d é c l a m a t o i r e s . E n ce q u i m e c o n c e r n e , je persiste à p e n s e r : 1° Q u e l ' e x p é r i e n c e d u t r a v a i l d e s b l a n c s d a n s les r é g i o n s é q u i n o x i a l e s , n ' a p a s é t é faite encore d'une manière convenable; 0

2 Q u e l ' a c c l i m a t e m e n t , s o u s t o u t e s les l a t i t u d e s , est p l u s facile p o u r c e t t e r a c e q u e p o u r toute autre. T o u t e s les fois q u e la r a c e e u r o p é e n n e a v o u l u a b o r d e r u n c l i m a t n o u v e a u , a v e c ses r e s s o u r c e s m o r a l e s e t s o n é n e r g i e i n d u s t r i e l l e , elle e n est v e n u e à b o u t . C'est la r a c e b l a n c h e q u i a d é f r i c h é t o u t e s les c o l o n i e s o ù l'on p r o c l a m e a u j o u r d ' h u i q u e les n o i r s p e u v e n t s e u l s t r a v a i l l e r . L a


( 113 ) B a r b a d e , la M a r t i n i q u e , la G u a d e l o u p e , les t r o i s Guyanes, Cuba, Porto-Rico, Saint-Domingue ont été défrichés p a r des blancs. L'histoire de ces c o l o n i e s e n fait foi. Mais, d'ailleurs, l'expérience d u d é f r i c h e m e n t p a r la r a c e e u r o p é e n n e , d ' u n e t e r r e n o u v e l l e e t i n s a l u b r e , a é t é faite s u r la p l u s g r a n d e é c h e l l e , d a n s les É t a t s - U n i s . Les l i e u x o ù la fièvre j a u n e a e x e r c é les p l u s g r a n d s r a v a g e s s o n t c e u x o ù o n t é t é b â t i e s les villes a u j o u r d ' h u i les p l u s r i c h e s d e la f é d é r a t i o n a m é r i c a i n e : N e w - Y o r k , C h a r l e s t o w n , la N o u v e l l e - O r l é a n s . O n p o u r r a v o i r , d a n s l ' o u v r a g e d e V o l n e y , s u r le. Climat et le Sol de l'Amérique, quelle modification p r o f o n d e la c u l t u r e e t l ' i n d u s t r i e p e u v e n t i n t r o d u i r e d a n s la s a l u b r i t é d ' u n e r é g i o n . E t V o l n e y , e n é c r i v a n t s o n l i v r e , n e se p r o p o s a i t p a s , s a n s d o u t e , de favoriser u n e spéculation! C e q u i s ' e s t p a s s é a u x É t a t s - U n i s , s'est p a s s é a u s s i t o u t p r è s d e P a r i s , d a n s la S o l o g n e . L ' i n s a l u b r i t é d e c e t t e p a r t i e d e la F r a n c e a d i m i n u é en raison directe des progrès du défrichement et d e la c u l t u r e . I l e n a r r i v e r a t o u t a u t a n t d a n s la G u y a n e . M a i s il faut p r o c é d e r e n g r a n d e é c h e l l e , d e s s é c h e r d ' e n s e m b l e des plaines de vingt lieues carrées. La dépense sera b e a u c o u p m o i n d r e , et le r é s u l t a t s a n i t a i r e s e r a b e a u c o u p m e i l l e u r . O n ne p e u t m ê m e attendre un résultat sanitaire de quelque importance, que d u défrichement en

8


( 114 ) g r a n d e é c h e l l e . D é f r i c h e r u n c o i n d e t e r r e au milieu d'une vaste plaine i n o n d é e et couverte d e b o i s , p o u r y p l a c e r q u e l q u e s familles d e c u l tivateurs, ce n'est p o i n t assainir le pays : c'est, au contraire, p r é p a r e r aux colons u n e place p o u r r e s p i r e r e n p l u s g r a n d e q u a n t i t é les m i a s m e s e t les e x h a l a i s o n s m é p h i t i q u e s . P o u r a t t i r e r l ' é m i g r a t i o n d e la r a c e e u r o p é e n n e v e r s l ' A m é r i q u e d u S u d , il n e suffira p a s q u e l ' a t t e n t i o n d e s e s p r i t s soit p r o v o q u é e s u r les r e s s o u r c e s d u s o l . Il f a u d r a e n c o r e , c o m m e il est arrivé p o u r l'Amérique du N o r d , des circonst a n c e s p o l i t i q u e s f a v o r a b l e s . C'est la p e r s é c u t i o n religieuse qui a peuplé l'Amérique d u N o r d . C'est la p e r s é c u t i o n i n d u s t r i e l l e , c'est le p a u p é r i s m e et la m i s è r e q u i p e u p l e r o n t l ' A m é r i q u e d u Sud. L a Compagnie de colonisation est destinée à e n t r e p r e n d r e c e t t e œ u v r e . O r g a n i s é e p a r le c o n c o u r s d e l ' É t a t et d e s f i n a n c i e r s , elle a c c o m p l i r a avec p r u d e n c e et régularité ce q u e des p i o n n i e r s d ' u n e part, et, de l'autre, des b a n q u e s aventureuses, o n t exécuté en A m é r i q u e à force d'audace, et a u prix de g r a n d s désastres financiers. P r e s q u e t o u t e s ces b a n q u e s o n t s u c c o m b é ; mais elles o n t l a i s s é , s u r le sol d e s États, d e s t r a c e s ineffaçables d e l e u r e x i s t e n c e . Il s'agit d ' o b t e n i r de meilleurs résultats, en o p é r a n t avec plus de m e s u r e et de p r é v o y a n c e , et en profitant d e


( 115 ) l ' e x p é r i e n c e d e s d e v a n c i e r s . S o u s ce r a p p o r t , la Compagnie de colonisation, q u i est avant tout u n e institution agricole et d e population, n ' a u r a p a s eu d'analogue d a n s les g r a n d e s C o m p a g n i e s d e s xvi , xvii e t xviii s i è c l e s . Ces C o m p a g n i e s avaient p l u t ô t p o u r b u t d'exploiter les marchés c o m m e r c i a u x q u e d e les c r é e r . — A u j o u r d ' h u i q u e l e s m a r c h é s c o m m e r c i a u x déjà e x i s t a n t s s o n t e n c o m b r é s , il f a u t e n o u v r i r d e n o u v e a u x , en c r é a n t des m o y e n s d'échange p a r l'exploitation des b o n n e s terres restées incultes, e

e

e

Mais, j e le r é p è t e , le t r a v a i l d e s b l a n c s s o u s les t r o p i q u e s n e p e u t p a s ê t r e e n c o r e la b a s e d ' u n e s p é c u l a t i o n f i n a n c i è r e p r o p r e m e n t d i t e : c'est u n e e x p é r i e n c e à t e n t e r . E l l e r é u s s i r a , j ' e n ai la certitude. Lorsqu'il y a u r a , p o u r l'exploitation d e la G u y a n e , u n e C o m p a g n i e c o n s t i t u é e , j ' o s e rai lui p r o p o s e r d e f o n d e r u n e p l a n t a t i o n , o ù il n'y a u r a p a s d ' a u t r e s travailleurs q u e des p e r s o n n e s d e r a c e e u r o p é e n n e , e t q u i p r o d u i r a le s u c r e , l e r h u m , l e café, l e c o t o n , l ' i n d i g o , t o u t e s les d e n r é e s q u e l ' o n a p r é t e n d u n e p o u v o i r ê t r e p r o d u i t e s q u e p a r des b r a s esclaves. P o u r d o n n e r la p r e u v e d e la f o r c e e t d e la s i n c é r i t é d e mes convictions, j e n'hésiterai pas à m e placer à la t ê t e d e c e t t e e x p é r i e n c e , a u m o i n s p o u r a v o i r la p l u s g r a n d e p a r t d e d a n g e r . M a i s j u s q u ' i c i , j e l'affirme d e l a m a n i è r e la p l u s p o s i t i v e , il n ' y a n i s p é c u l a t i o n n i s p é c u l a t e u r . J'ai s u i v i , à m e s

8.


( 116 ) r i s q u e s e t p é r i l s , t o u t e s les é t u d e s d u p r o j e t . M. F a v a r t , d é l é g u é d e la c o l o n i e , m ' a p r ê t é son concours moral auprès d u gouvernement. M. Emile Péreire, q u e des relations personnelles m ' o n t mis à m ê m e d'entretenir f r é q u e m m e n t de l'idée p r e m i è r e d u projet, a p e n s é qu'il p o u r r a i t a r r i v e r à fixer l ' a t t e n t i o n d e s financiers e t d e s h o m m e s d'affaires. A v a n t e t d e p u i s la f o r m a t i o n d e la C o m m i s s i o n , il n e s'est r i e n p a s s é q u i p u i s s e faire c r o i r e à l ' e x i s t e n c e d ' u n e s p é c u l a t i o n p r i vée. M . le p r é s i d e n t r e m e r c i e M. J u l e s L e c h e v a lier, q u i s e r e t i r e .

M. le Directeur des colonies. B e a u c o u p d e p e r s o n n e s o n t v o u l u v o i r , d a n s le p r o j e t d e M . J u l e s L e c h e v a l i e r , u n m o y e n d e faire v a l o i r u n e c o n cession i m p o r t a n t e qu'il a o b t e n u e d u conseil c o l o n i a l d e la G u y a n e . M a i s il n ' e n est r i e n . M. J u l e s L e c h e v a l i e r a, e n effet, o b t e n u u n e concession considérable q u i n'avait de valeur q u ' a u t a n t q u ' e l l e s e r a i t s a n c t i o n n é e p a r le r o i ; m a i s M . L e c h e v a l i e r n ' a fait a u c u n e d é m a r c h e p o u r o b t e n i r c e l t e s a n c t i o n . Il a d é c l a r é , a u c o n t r a i r e , q u e la c o n c e s s i o n n ' a v a i t é t é p o u r l u i q u ' u n m o y e n d ' o b t e n i r le c o n c o u r s d e s h a b i t a n t s d e la c o l o n i e à u n e oeuvre d e t r a v a i l l i b r e ; q u e cette concession n'avait plus d'objet, dès


( 117 ) q u ' i l s'agissait d e r é a l i s e r l ' é m a n c i p a t i o n d a n s la colonie tout entière. M. le Directeur des colonies a j o u t e q u e M . J u l e s L e c h e v a l i e r s'est l i v r é a v e c le p l u s g r a n d d é s i n t é r e s s e m e n t à t o u t e s les é t u d e s préliminaires d u p r o j e t ; q u ' i l n e lui a e n c o r e é t é a l l o u é a u c u n e i n d e m n i t é , a u c u n d é d o m m a g e m e n t de ses sac r i f i c e s ; q u ' i l a fait, e n t o u t c e l a , œ u v r e d e b o n c i t o y e n , e t q u e l ' i n t é r ê t p u b l i c e x i g e la p r é s e n c e d e M. L e c h e v a l i e r d a n s le sein d e la C o m m i s sion. La C o m m i s s i o n a d o p t e c e t avis. Elle d e m a n d e que l ' e x p o s i t i o n d e M. J u l e s L e c h e v a l i e r soit r e c u e i l l i e e t d i s t r i b u é e a u x m e m b r e s d e la C o m mission. La séance est levée. Pour extrait conforme : Signé,

P A U L DE TASCHER,

Secrétaire de la Commission de colonisation de la Guyane.

A p r è s l'accueil f a v o r a b l e q u e la C o m m i s s i o n a fait à ses e x p l i c a t i o n s , M . J u l e s L e c h e v a l i e r s'est e m p r e s s é d ' a j o u t e r a u x p a r o l e s q u ' i l a p r o n o n c é e s la n o t e c i - j o i n t e : NOTE COMPLÉMENTAIRE.

Je crois devoir essayer de r é p o n d r e aux o b j e c t i o n s g é n é r a l e s d o n t j ' a i o m i s la s o l u t i o n , p o u r


( 118 ) m e r e n f e r m e r d a n s le c a d r e d e s q u e s t i o n s q u i m'étaient posées directement. Ces o b j e c t i o n s , a i n s i q u ' o n a p u le v o i r p l u s h a u t , s ' a d r e s s e n t 1° a u p r i v i l é g e d e n a v i g a t i o n q u ' i l s'agirait d ' é t a b l i r e n f a v e u r d ' u n e C o m p a g n i e ; 2° à l ' i n t r o d u c t i o n d e l ' i n d u s t r i e m a n u f a c t u r i è r e d a n s la c o l o n i e n o u v e l l e , c e q u i a u r a i t lieu si o n a c c o r d a i t à la C o m p a g n i e la faculté d e raffiner le s u c r e , d e tisser le c o t o n , d e p r é p a r e r le c a c a o , l ' i n d i g o , e t c . , e t c . ; 3 ° a u déplacement d'intérêts qui résulterait d'un grand m o u v e m e n t d ' é m i g r a t i o n ; 4 ° a u cas de g u e r r e . 1. Il est p r o b a b l e q u ' u n e C o m p a g n i e o p é r a n t a v e c d e g r a n d s c a p i t a u x , e t se c h a r g e a n t e l l e m ê m e d e ses t r a n s p o r t s , ferait u n e c o n c u r r e n c e r e d o u t a b l e à la n a v i g a t i o n m a r c h a n d e d e n o s p o r t s de m e r . O n p o u r r a i t se d e m a n d e r , c e p e n d a n t , si la n é c e s s i t é d ' i m p r i m e r u n e v i g o u r e u s e i m p u l s i o n à la n a v i g a t i o n m a r c h a n d e n ' a u t o r i s e p a s à t e n t e r , s o u s ce r a p p o r t , d e s efforts s u p é r i e u r s à c e q u ' o n p e u t a t t e n d r e d e s f o r c e s isolées d e l ' i n d u s t r i e p a r t i c u l i è r e ; s i , d ' a u t r e p a r t , la r a r e t é , le chiffre r e s t r e i n t d e s v é r i t a b l e s affaires d e c o m m e r c e d ' o u t r e - m e r q u i se f o n t d a n s n o s ports, en dehors des opérations à primes et d r a w - b a c k , n ' i n d i q u e n t p a s la n é c e s s i t é d e fav o r i s e r la r é u n i o n d e g r a n d s c a p i t a u x , s i n o n p a r des priviléges, d u moins par des avantages temp o r a i r e s c o n c é d é s s o u s le c o n t r ô l e d e l ' a d m i n i s -


( 119 ) t r a t i o n e t p a r le v o t e d e s p o u v o i r s p a r l e m e n taires; si, enfin, t o u t e objection à cet égard n e d e v r a i t p a s ê t r e l e v é e p a r c e fait d é c i s i f q u e le Havre, celui des p o r t s maritimes de F r a n c e o ù il se fait le p l u s d ' a f f a i r e s , n ' a p a s p u f o r m e r , avec une subvention considérable, u n e C o m p a g n i e d e n a v i g a t i o n d e s t i n é e à e x p l o i t e r la l i g n e d e N e w - Y o r k , la p l u s c o u r t e d e t o u t e s les g r a n des lignes de communication transatlantique, et celle q u i p r é s e n t e , s o u s t o u s les r a p p o r t s , le plus de ressources. M a i s , afin d e n e p a s s u s c i t e r d e s difficultés accessoires à l'œuvre principale et féconde, q u i est la c r é a t i o n directe d e n o u v e a u x d é b o u c h é s p o u r les m a n u f a c t u r e s e t d e n o u v e a u x m a r c h é s r é s e r v é s p o u r le c o m m e r c e , o n p e u t p l a c e r la C o m p a g n i e d a n s u n e p o s i t i o n t o u t à fait n e u t r e , à c ô t é d e t o u t e s les o p é r a t i o n s d ' a r m e m e n t d é j à e n g a g é e s , o u m ê m e , faire d u l e v i e r d ' o p é r a t i o n créé p a r u n établissement de ce g e n r e , u n m o y e n direct de procurer aux armateurs de nouveaux frets p o u r l e u r s n a v i r e s e t d e n o u v e l l e s c o m missions. Si la C o m p a g n i e t r a v a i l l e d ' a b o r d s u r la G u y a n e , o n p o u r r a lui i m p o s e r l ' o b l i g a t i o n d e t r a n s i g e r a v e c les a r m a t e u r s d e s d i v e r s e s p l a c e s q u i f o n t d é j à le c o m m e r c e d e c e t t e c o l o n i e , c o m m e o n lui imposera l'obligation d e transiger avec les p l a n t e u r s . L a m ê m e o b l i g a t i o n p o u r r a lui ê t r e


( 120 ) i m p o s é e successivement p o u r les a u t r e s c o l o n i e s , à m e s u r e q u ' e l l e y é t e n d r a ses o p é r a t i o n s . De c e t t e f a ç o n , la C o m p a g n i e c r é e r a d e s i n t é r ê t s n o u v e a u x , s a n s g ê n e r ni d é p l a c e r les i n t é r ê t s acquis. O n p e u t e n c o r e , à l'exemple de ce q u i a e u lieu e n H o l l a n d e , p o u r la Société de commerce des Pays-Bas, i n t e r d i r e à la C o m p a g n i e d e c o l o n i s a t i o n d e faire e l l e - m ê m e ses t r a n s p o r t s d'allée et de r e t o u r . E n v e r t u d e cette c o m b i n a i s o n , t o u t le c a p i t a l e m p l o y é p a r la C o m p a g n i e a u r a i t p o u r effet i m m é d i a t et d i r e c t d e p r o c u r e r d u fret et des c o m m i s s i o n s a u x a r m a t e u r s , e t d e fav o r i s e r les s e u l e s i n d u s t r i e s m a r i t i m e s q u i e x i s t e n t a u j o u r d ' h u i d a n s les p o r t s , celles d e s c o n s t r u c t e u r s , des affréteurs de navires, des consig n a t a i r e s , des c o m m i s s i o n n a i r e s e t d e s c o u r t i e r s . M a i s , q u e l q u e s o i t le m o y e n p r a t i q u e p r é f é r é p a r le g o u v e r n e m e n t , d ' a c c o r d a v e c les f o n d a t e u r s d e la C o m p a g n i e , le p r i n c i p e d e l ' o p é r a t i o n d e m e u r e le m ê m e : c r é e r d e n o u v e a u x i n t é r ê t s m a r i t i m e s e t c o m m e r c i a u x d a n s le p a y s , sans préjudice et m ê m e a u g r a n d profit des intérêts acquis. II. Les métropoles o n t voulu jusqu'ici q u e leurs colonies d'outre-mer n e fussent q u e des plantations et des établissements de p r o d u c t i o n a g r i c o l e . E l l e s se s o n t m ê m e o p p o s é e s a u x i n d u s t r i e s r u r a l e s q u i p o u r r a i e n t faire c o n c u r r e n c e


121 ) a u x p r o d u i t s déjà c u l t i v é s d a n s d a n s la m é t r o p o l e : c'est a i n s i q u e l ' E s p a g n e fait a r r a c h e r les v i g n e s d a n s les p r o v i n c e s d u c o n t i n e n t S u d Américain. (

D a n s les c o l o n i e s n o u v e l l e m e n t é t a b l i e s , il y a u n fait q u i p r é e x i s t e à t o u t e l é g i s l a t i o n a d m i n i s t r a t i v e e t q u i f r a p p e d ' i n u t i l i t é t o u t e s les r e s t r i c t i o n s a p p o r t é e s a u d é v e l o p p e m e n t d e l'ind u s t r i e . Ce f a i t , c'est l ' u r g e n c e d e s t r a v a u x a g r i c o l e s , le g r a n d p r o d u i t d e s t e r r e s , e t s u r t o u t l ' a b s e n c e d e s b r a s et d e s c a p i t a u x q u i s e r a i e n t n é c e s s a i r e s p o u r u n e b o n n e e x p l o i t a t i o n d u sol. Les nouvelles colonies n e s o n g e n t pas à l'indust r i e m a n u f a c t u r i è r e . Elles y s o n g e r a i e n t , q u ' e l l e s n e p o u r r a i e n t p a s s u p p o r t e r la c o n c u r r e n c e d e s b r a s e t d e s c a p i t a u x d e l e u r m é t r o p o l e . A i n s i , la faculté d ' é t a b l i r d e s f a b r i q u e s e t d e s u s i n e s d'ind u s t r i e m a n u f a c t u r i è r e , d e m a n d é e p a r la C o m p a g n i e , n ' e s t p a s u n e c o n d i t i o n e s s e n t i e l l e d e sa p r o s p é r i t é . O n p e u t lui r e f u s e r c e t t e c o n d i t i o n , sans entraver en rien son développement pend a n t p l u s i e u r s a n n é e s . C e p e n d a n t il i m p o r t e d e remarquer : 1° Q u ' e n m a t i è r e d ' a d m i n i s t r a t i o n c o l o n i a l e , le s e u l p r i n c i p e j u s t e , f é c o n d , c o m p a t i b l e a v e c le p r o g r è s d e la s c i e n c e e t q u i p u i s s e , e n m ê m e t e m p s , rattacher p o u r toujours des possessions d ' o u t r e - m e r à l e u r m é t r o p o l e , c'est d e les c o n s i d é rer c o m m e des départements m a r i t i m e s , traités,


( 122 ) a u t a n t q u e p o s s i b l e , s u r le pied d ' u n e parfaite égalité, et destinés à o b t e n i r g r a d u e l l e m e n t t o u s les d r o i t s , t o u t e s les f a c u l t é s d o n t j o u i s s e n t les autres d é p a r t e m e n t s , formant l'unité nationale; 2° Q u e , p o u r m a i n t e n i r le n i v e a u d e la j u s t i c e , il suffit d e n e p a s b r u s q u e r p a r «les immunités o u p a r d e s primes l ' é t a b l i s s e m e n t d e l'ind u s t r i e m a n u f a c t u r i è r e d a n s les c o l o n i e s , e t d e les l a i s s e r , s o u s c e r a p p o r t , l i v r é e s à la loi «lu d é v e l o p p e m e n t n a t u r e l d e la r i c h e s s e locale e t d e la p o p u l a t i o n ; 3° Q u ' e n d r o i t e t e n r a i s o n , il est a u s s i i n j u s t e «l'empêcher u n e colonie française d e p r o d u i r e des objets manufacturés, q u e d'imposer au dép a r t e m e n t des B o u c h e s - d u - R h ô n e u n e r e s t r i c t i o n a u p r o f i t d u d é p a r t e m e n t d e la L o z è r e , e t r é c i proquement ; 4 ° Q u e la c o n c u r r e n c e m a n u f a c t u r i è r e d ' u n e colonie ne peut jamais devenir dangereuse p o u r sa m é t r o p o l e , p u i s q u e la l i q u i d a t i o n e t la b a l a n c e d e s p r o f i t s et p e r t e s r é s u l t a n t d e la c o n c u r r e n c e d e s d e u x i n d u s t r i e s s e fait d a n s le s e i n m ê m e d e l ' u n i t é n a t i o n a l e , et a u p r o f i t d e la g r a n d e a s s o c i a t i o n civile et p o l i t i q u e ; 5° Q u e l ' i n d u s t r i e m a n u f a c t u r i è r e n e se d é v e l o p p e d a n s u n e c o l o n i e que p a r les c a p i t a u x de la m é t r o p o l e ; q u e t o u t e e n t r e p r i s e «le travail d a n s u n e c o l o n i e se r é s o u t , p a r c o n s é q u e n t , e n achat d e marchandises métropolitaines;


( 123 ) 6° Q u ' e n f i n , s o u s c e d e r n i e r p o i n t d e v u e , e m p ê c h e r le d é v e l o p p e m e n t s p o n t a n é d e l ' i n d u s t r i e m a n u f a c t u r i è r e , d a n s les c o l o n i e s , c'est l e u r i n t e r d i r e d e se c r é e r des c a p i t a u x et des d e n r é e s , c'est-à-dire d e s m o y e n s d ' é c h a n g e a v e c la métropole. I I I . Le d é p l a c e m e n t d e s c a p i t a u x e t d e s b r a s , q u i a lieu p a r l ' é m i g r a t i o n , n ' e s t j a m a i s n i a s s e z r a p i d e ni assez c o n s i d é r a b l e p o u r i n t r o d u i r e a u sein d e la m é t r o p o l e , u n e p e r t u r b a t i o n d a n s le m o u v e m e n t d u travail e t d a n s le chiffre d e s val e u r s . D a n s les c o n t r é e s o ù il s ' é t a b l i t u n c o u r a n t d ' é m i g r a t i o n , la p o p u l a t i o n e t la r i c h e s s e s u i v e n t t o u j o u r s , à l'intérieur, u n e progression ascend a n t e t r è s - c o n s i d é r a b l e ; e n s o r t e , o n p e u t le d i r e , q u e c h a q u e é m i g r a n t q u i s o r t est déjà r e m p l a c é p a r q u a t r e o u six n a i s s a n c e s e n e x c é d a n t ; e t , d e m ê m e , c h a q u e é c u q u i va c h e r c h e r à se r e p r o d u i r e a u d e h o r s , est d'avance r e m p l a c é p a r u n e a u g m e n t a t i o n g é n é r a l e des é p a r g n e s . À la r i g u e u r , o n p e u t d i r e aussi q u e les h o m m e s e t les é c u s q u i s o r t e n t d e la m é t r o p o l e lui r e v i e n n e n t , au b o u t de q u e l q u e s a n n é e s , multipliés p a r e u x - m ê m e s ; c a r vis-à-vis d u m o u v e m e n t d e départ p r o d u i t p a r les b r a s q u i c h e r c h e n t u n t r a v a i l l a r g e m e n t r é m u n é r a t e u r , e t p a r les c a p i t a u x q u i c h e r c h e n t d e g r o s p r o f i t s , il y a t o u j o u r s le m o u v e m e n t d e retour. C e m o u v e m e n t d e r e t o u r r a m è n e les p r o p r i é t a i r e s e n r i c h i s q u i vieil-


( 124 ) r i e n t c h e r c h e r le loisir e t la v i e d e l u x e , a i n s i q u e les c a p i t a u x a c c u m u l é s q u i r e n o n c e n t a u x profits aléatoires du m a r c h é colonial, p o u r ven i r c h e r c h e r la s é c u r i t é d e s p l a c e m e n t s d e la m é tropole. A u s u r p l u s , la c o l o n i s a t i o n s u r le sol n a t i o n a l n ' e s t n i u n e émigration n i u n e expatriation : c'est u n d é v e l o p p e m e n t et u n e expansion de l'unité n a t i o n a l e e l l e - m ê m e . C h a q u e classe d e c i t o y e n s y t r o u v e s o n a v a n t a g e : le c a p i t a l i s t e u n b o n e m p l o i d e ses f o n d s ; l ' o u v r i e r , l ' a r t i s t e , l ' i n d u s t r i e l , le c o m m e r ç a n t , u n b o n e m p l o i d e leurs, t a l e n t s ; le p r o p r i é t a i r e , d e b o n n e s p r o p r i é t é s à acheter. A u lieu d ' a d r e s s e r à la c o l o n i s a t i o n les r e p r o c h e s a u x q u e l s j e m ' e f f o r c e ici d e r é p o n d r e , o n ferait m i e u x d'y a v o i r r e c o u r s c o n t r e les d a n g e r s de l'expatriation , o u c o l o n i s a t i o n e n d e h o r s du sol n a t i o n a l . Le m o u v e m e n t d ' e x p a t r i a t i o n e x i s t e déjà avec u n e certaine intensité dans plusieurs p r o v i n c e s d e F r a n c e , e n Alsace et d a n s les p a y s b a s q u e s . Il se d i r i g e v e r s les é t a t s d e la f é d é r a tion américaine et vers Montevideo. Bien q u e c e t t e e x p a n s i o n e x t é r i e u r e n e soit p a s u n m a l e n e l l e - m ê m e , il v a u d r a i t b e a u c o u p m i e u x , puisque nous avons des colonies à p e u p l e r , c ' e s t - à - d i r e du sol à faire valoir, q u e la m i g r a t i o n d e l ' i n d u s t r i e et d u c a p i t a l se fît a u sein m ê m e d e s d o m a i n e s n a t i o n a u x .


( 125 ) I V . L o r s q u ' i l s'agit d e s r a p p o r t s d e m é t r o p o l e à c o l o n i e s , les p e r s o n n e s q u i t i e n n e n t q u e l q u e c o m p t e des p r i n c i p e s d e j u s t i c e , n e p e u v e n t t i r e r q u e d e u x c o n c l u s i o n s p r a t i q u e s d e l'object i o n faite e n p r é v i s i o n d ' u n cas d e g u e r r e : c ' e s t q u e la F r a n c e d o i t r e n o n c e r à ses c o l o n i e s , o u b i e n les laisser se p o u r v o i r d e c a p i t a u x à l'étranger. La France ne serait pas une m é t r o p o l e , mais u n e m a r â t r e t y r a n n i q u e , si elle m a i n t e n a i t ses col o n i e s d a n s ce c e r c l e v i c i e u x f i n a n c i e r d e n e p o u voir o b t e n i r de capitaux chez e l l e , et de n e p o u voir en aller c h e r c h e r a u d e h o r s . La situation , j e n e d i s p a s d e la f o r c e effective d u p a y s , m a i s d e l ' e s p r i t p u b l i c , p r e s c r i t , il est v r a i , a u G o u vernement français, des devoirs de protection spéciale, à l'égard des capitaux q u i voudraient s e p o r t e r s u r le sol c o l o n i a l : t e l l e est la s e u l e r é p o n s e d i r e c t e q u e j e v e u i l l e faire à c e t t e o b jection. Ces d e v o i r s u n e fois a c c o m p l i s d e la p a r t d u G o u v e r n e m e n t , on pourrait indiquer u n e comb i n a i s o n d'assurance qui donnerait, aux titres d e la Compagnie de colonisation, u n e v a l e u r locale, e t u n e v a l e u r extra-locale, t o u t à fait i n d é p e n d a n t e s d e s d a n g e r s d u c a s d e g u e r r e ; c a r il f a u t b i e n r e m a r q u e r q u e la g u e r r e et la c o n q u ê t e r e s p e c t e n t a u j o u r d ' h u i la p r o p r i é t é p r i v é e . En fait, la G u y a n e e t la M a r t i n i q u e s o n t a u s s i


( 126 ) faciles à d é f e n d r e q u e C a l a i s , D u n k e r q u e , T o u l o n , le H a v r e ; e t , e n c a s d e g u e r r e , l e s p r o b a b i l i t é s d ' a t t a q u e s o n t aussi fortes d ' u n c ô t é q u e de l'autre. En fait, q u e l l e q u e soit la d i s p r o p o r t i o n q u e l ' o n v e u i l l e é t a b l i r e n t r e la f o r c e n a v a l e d e la F r a n c e e t celle d e l ' A n g l e t e r r e , la F r a n c e a dix p o s s e s s i o n s c o l o n i a l e s à d é f e n d r e s u r le g l o b e ; l'Angleterre en a au moins quatre-vingts, d o n t la p l u p a r t c o m p r e n n e n t u n e i m m e n s e é t e n d u e d e côtes. E n b o n n e l o g i q u e , ce serait p l u t ô t à l'Angleterre de n o u s craindre. En fait e n c o r e , la b a n q u e c o l o n i a l e d e L o n d r e s , q u i a déjà e u d e s c o m p t o i r s à la M a r t i n i q u e e t à la G u a d e l o u p e , n ' a t t e n d p l u s q u e la p r o m u l g a t i o n d e la loi d ' e x p r o p r i a t i o n f o r c é e p o u r les r é t a b l i r . C'est à l ' i n d u s t r i e et a u G o u v e r n e m e n t d e la F r a n c e d e s a v o i r si c e t t e i n v a s i o n i n d u s t r i e l l e n ' e s t p a s u n g e n r e d ' a g r e s s i o n dont ils o n t d é j à à se d é f e n d r e , e t q u ' i l est e n c o r e p l u s facile d e p r é v e n i r q u e la c o n q u ê t e m i l i taire. Je terminerai cette note par quelques mots s u r u n e d e n o s m a l h e u r e u s e s e x p é d i t i o n s à la G u y a n e , q u i a é t é o m i s e d a n s les e x p l i c a t i o n s q u e j ' a i e u l ' h o n n e u r d e p r é s e n t e r à la C o m mission. I l s'agit d e l ' e x p é d i t i o n q u i a e u lieu e n 1 8 1 8 , e t q u i a v a i t p o u r o b j e t d ' e n l e v e r la c u l t u r e d u


( 127 ) t h é a u x C h i n o i s p o u r la n a t u r a l i s e r d a n s la Guyane. O n a c o m m i s , dans cette e n t r e p r i s e , t o u t e s les f a u t e s q u i o n t é t é a c c u m u l é e s d a n s les e x p é d i t i o n s p r é c é d e n t e s , e t l ' o n y a m ê m e int r o d u i t de n o u v e a u x p e r f e c t i o n n e m e n t s d ' i m p r é v o y a n c e , d e mauvaise gestion et d'excentricité commerciale. On a c o m m e n c é par aller, à grand renfort de capitaux, c h e r c h e r à Macao des cult i v a t e u r s d e t h é . Ces p r é t e n d u s c u l t i v a t e u r s d e t h é é t a i e n t , p o u r la p l u p a r t , d e s a r t i s a n s e t o u v r i e r s d ' a u t r e s p r o f e s s i o n s . O n les a c o n d u i t s , au n o m b r e de quarante, dans un pays qui n'était p a s m ê m e d é f r i c h é , s a n s familles, s a n s c a p i t a u x , sans e n t r e p r i s e o r g a n i s é e , et sans qu'ils eussent p l u s d ' u s a g e d e la l a n g u e f r a n ç a i s e q u e l'on n'av a i t , à C a y e n n e , l ' u s a g e d e la l a n g u e c h i n o i s e . E t t o u t c e l a , d a n s q u e l b u t ? D a n s le b u t d ' a j o u t e r à t o u t e s les c u l t u r e s d e l u x e q u e l'on a d é j à a c c u m u l é e s à la G u y a n e , s a n s p o u v o i r les e x p l o i t e r , u n e n o u v e l l e c u l t u r e d e l u x e , q u e la Compagnie des Indes e t la Société de commerce des Pays-Bas o s e n t à p e i n e a b o r d e r s u r les l i e u x m ê m e s , LA CULTURE nu T H É ! . . . IL fallait p l u t ô t s o n g e r à d e s s é c h e r , à défricher, et ensuite élev e r d e s b e s t i a u x et c u l t i v e r d e s v i v r e s . A u t a n t vaudrait a u j o u r d ' h u i e n v o y e r c h e r c h e r des jard i n i e r s e n H o l l a n d e p o u r i n t r o d u i r e la c u l t u r e d e s t u l i p e s e n A l g é r i e ! L e c o m p t e définitif d e c e t t e e x p é d i t i o n f r a n c o - c h i n o i s e a d o n n é , en dé-


( 128 ) pense, 4 m i l l i o n s d e f r a n c s , e t , en recette, deux naturels Chinois qui sont aujourd'hui domesti­ q u e s d u g o u v e r n e u r à la G u y a n e ! Il est c e r t a i n q u ' o n ferait m i e u x d e s ' a b s t e n i r à t o u j o u r s , q u e d e r e c o m m e n c e r d e p a r e i l l e s ex­ p é r i e n c e s . Mais ce n ' e s t p a s là d e la c o l o n i s a t i o n : c'est u n g e n r e d ' i n d u s t r i e f a n t a s t i q u e q u i n o u s a r e n d u s assez r i d i c u l e s a u x y e u x d e s a u t r e s n a ­ t i o n s m a r i t i m e s , p o u r q u e la F r a n c e t i e n n e à h o n n e u r d e p r e n d r e sa r e v a n c h e ! Signé,

JULES LECHEvALIER.

P o u r copie conforme : P A U L DE T A S C H E R ,

Secrétaire

de la

Commission.


RÉPONSE A

QUELQUES OBJECTIONS.

9



REPONSE A

QUELQUES OBJECTIONS.

(Lettre adressée à M. le rédacteur en chef du Journal le Constitutionnel.) MONSIEUR ,

En rendant compte, il y a quelques jours, du travail que le Département de la Marine a publié sous le titre de : Précis historique de l'expédition du Kourou, vous avez eu occasion de mentionner, avec quelque détail, un plan de colonisation qui est, en ce moment, soumis à l'examen d'une Commission instituée par M. le maréchal, président du conseil. Le projet dont je suis l'auteur n'est pas indiqué directement dans votre article; mais ce mémoire étant le seul , du moins en ce qui regarde la Guyane, qui ait été présenté, soit à la Commission générale présidée par M. le duc de Broglie, soit à la Commission spéciale présidée par M. le comte de Tascher, je suis peut-être autorisé à penser que c'est lui qui a donné lieu à vos réflexions. Si je ne me trompe pas à cet égard, v o u l e z - v o u s me permettre, Monsieur, d'ajouter quelques mots à ce que vous avez dit. Dans le mémoire dont vous vous êtes occupé, j'ai exprimé l'opinion que la réforme politique et civile de nos institutions coloniales devait avoir pour points d'appui, dans l'ordre industriel :


( 132 ) 1° Une Banque de circulation destinée à fournir des moyens de crédit au commerce, et surtout à maintenir le change et à régler la circulation monétaire aux colonies; 2° Une Banque foncière ou caisse hypothécaire puissamment organisée, destinée à faciliter la liquidation des plan leurs, au moment de la mise en vigueur de l'expropriation forcée; 3° Une Compagnie de colonisation destinée à multiplier les bras aux Antilles, quand le moment sera v e n u , et particulièrement à peupler la Guyane. Approuvant la pensée de la Banque de circulation et de la Banque foncière, vous désirez que l'on en presse l'exécution; mais la colonisation vous paraît moins praticable. Ce serait, sans doute, beaucoup faire pour nos colonies déjà fondées, que d'y établir les comptoirs d'une Banque d'escompte et de circulation, et de leur offrir, par une Banque foncière, des capitaux à 7 ou 8 p. 100, lorsqu'elles n'en trouvent pas même à 15, 20 et 25 p. 100. L'établissement du travail salarié n'est possible que par l'établissement de la banque, et la propriété foncière doit rester à toujours abîmée dans l'insolvabilité, si elle n'est pas pourvue de nouveaux et puissants moyens de crédit agricole. Mais j'ai insisté particulièrement sur la colonisation de la Guyane, et je me suis beaucoup occupé de cette entreprise, parce qu'étant la plus difficile des trois opérations, elle peut avoir, au début, moins d'attrait que les deux autres, et qu'en outre elle me paraît la plus importante pour la grandeur nationale de la France et pour le développement de son commerce maritime. On arrivera, sans trop de peine, a organiser une Banque de circulation et une Banque foncière pour les colonies. Les affaires de ce genre commencent à être connues en France, et il est possible d'en réunir les éléments, malgré toutes les différences dont il faudra tenir compte, dans la situation


( 133 ) financière et industrielle de ces contrées, comparée avec le mouvement ordinaire des affaires en Europe. Pour la colonisation, au contraire, tout est à recommencer sur des bases différentes, et l'on doit aviser à plusieurs transformations importantes dans le mode de culture et dans les habitudes du travail d'alimentation, de vêtement et même d'habitation. Sur tous ces points, j'ose penser qu'il y a de nouvelles combinaisons à essayer, et qu'à certaines conditions elles réussiront. D'ailleurs, s'il y a lieu d'établir, à la Martinique, à la Guadeloupe et à Bourbon, les comptoirs d'une banque et d'une caisse hypothécaire, dont le siége central serait à Paris, la Guyane, dans son état actuel de développement ou plutôt de non-développement, ne pourrait guère profiter ni de l'une ni de l'autre de ces deux institutions, parce que la masse des affaires y est trop peu considérable. Ainsi , tandis que le mouvement commercial annuel excède, à la Martinique , 43 millions de francs, à la Guadeloupe 48 millions dé francs, à Bourbon 40 millions de francs, à la Guyane il ne faut le compter que pour 6 millions. D'autre part, la partie du territoire que la France possède dans la Guyane et qui est encore susceptible d'une extension considérable de l'Est à l'Ouest, offre déjà une superficie de 5,400,000 hectares, superficie 55 fois plus grande que celle de la Martinique, 32 fois plus grande que celle de la Guadeloupe, 23 fois plus grande que celle de Bourbon, 10 fois plus grande que la superficie totale des trois autres colonies. Les proportions du chiffre de la population avec l'étendue du sol ne sont pas moins frappantes : A la Martinique, on compte 1 2/10 personnes par h e c tare. Pour les autres colonies il faut retourner les termes, savoir : A la Guadeloupe, 1 hectare 3/10 par personne. A Bourbon, 2 hectares 1/2 par personne.


(

134

)

A la Guyane, 250 hectares par personne. Ces chiffres sont éloquents. La colonisation est donc l'unique moyen de tirer parti de la Guyane. Vous dites v o u s - m ê m e : « Certes, on doit « désirer vivement la colonisation de la Guyane française. « Quelles que soient les catastrophes qui ont terminé d'une « manière plus ou moins funeste les essais de colonisation « tentés jusqu'à ce jour, on ne doit pas perdre l'espoir d'as« sainir et de cultiver une contrée q u i , par son étendue de quatre-vingts lieues de côtes et sa profondeur de plus de « trois cents lieues, forme la plus considérable de nos pos« sessions transatlantiques. Ce serait faire un pénible sacri« fice que d'abandonner forcément à une éternelle barbarie « un pays dont la fertilité est incontestable. » Cela p o s é , pourquoi se lutter, en présentant comme un double obstacle l'émancipation des noirs et l'état précaire de l'industrie coloniale, de supposer des difficultés qui, au fond, n'existent pas? Pourquoi considérer comme jugée une question qui jusqu'ici n'a pas même été bien posée, qui n'a encore été soumise, ni en France ni en Angleterre, à aucune expérience sérieuse et bien combinée, soit comme œuvre agricole et financière, soit comme oeuvre de fondation civile et sociale, et qui e s t , par elle-même, l'une des choses les plus intéressantes pour l'avenir de l'espèce humaine tout entière, une chose essentielle et d'intérêt immédiat pour toutes les nations manufacturières dont le sol est suffisamment peuplé: la question de savoir si les régions situées entre les deux tropiques , et qui comprennent la plus vaste et la plus riche partie du globe, sont inaccessibles au travail des races européennes? si ces régions, eu outre des denrées dites coloniales: sucre, café, c o t o n , cacao, e t c . , ne peuvent pas produire beaucoup mieux et beaucoup plus facilement que les terres d'Europe, les matières premières de l'industrie et les substances nécessaires à la vie? si encore la culture


( 135 ) de ces précieuses denrées coloniales n'est possible qu'à condition d'extorquer le travail à des races opprimées, maintenues dans un état constant de dégradation sociale et de non-valeur civile et financière? L'émancipation des noirs, bien loin de faire obstacle à une colonisation nouvelle, me semble une très-bonne occasion, et même la seule qui se soit présentée jusqu'ici, d'exécuter à la Guyane une opération régulière, c'est-à-dire, une opération fondée sur la variété des cultures et des industries, ayant pour base la constitution de la propriété territoriale et la destruction de la propriété humaine, offrant pour gage la valeur de la terre développée par le travail, et ne reposant plus sur la vie d'un malheureux esclave, hypothèque aussi fragile qu'impie; payant à l'ouvrier le juste salaire de sa tâche, et le laissant responsable de son bien-être et de la gestion de sa famille, au lieu de le parquer et de le nourrir, aussi bien peut-être que le bon éleveur ou le bon charretier entretient sa bête de somme, mais enfin l'entretenant comme une bête de somme, et le châtiant de même à l'occasion. Ni pour la Guyane, ni pour les autres colonies, il n'a jamais été question d'émanciper les esclaves sans les s o u mettre à un régime intermédiaire. Je pense même que la meilleure leçou à tirer de l'expérience anglaise, c'est q u e , dans l'état actuel de la population et du sol entre les deux tropiques, le travail doit être réglé d'après des principes différents de ceux qu'admet aujourd'hui, avec plus ou moins d'avantage, le régime industriel de la France et de l'Angleterre. Ce n'est donc pas à la volonté d'un seul maître, fût-il même juste et généreux, qu'il s'agirait, suivant le plan proposé, de confier la direction des travailleurs : elle a p partiendrait à une Compagnie. La Compagnie ne serait pas maîtresse des noirs, mais soumise e l l e - m ê m e , et les noirs avec elle, à un règlement d'administration publique appli-


( 136 ) que à tous, suivant les principes et les règles de l'équité. Ne croyez pas non plus que les noirs, devenus libres, aient une si grande mauvaise volonté pour le travail, ni qu'ils vivent de p e u , ni qu'ils se passent à la rigueur de salaire. L'expérience anglaise a démontré jusqu'à la dernière évidence que le noir aime beaucoup le luxe lorsqu'il en a l'exemple sous les yeux, et que, par son avidité d'aujourd'hui, il punit sévèrement son ancien maître de l'avidité que celui-ci montrait autrefois. L'expérience anglaise est une affaire très-complexe, où le bien et le mal sont difficiles à discerner. En l'étudiant à fond, vous reconnaîtrez que son plus mauvais résultat a été d'élever le prix de la production à un taux que les prix de vente ne peuvent pas atteindre, et que cette élévation du prix du travail provient, avant t o u t , de l'exagération des prétentions des noirs en matière de salaire. Attiré au travail par l'appât d'un salaire équitable, maintenu à la culture des denrées coloniales par un bon système de colonage partiaire et par l'élévation du prix de la terre qui est aujourd'hui soumise, entre les tropiques, même dans les possessions anglaises, au plus aveugle gaspillage, le noir travaillera tout aussi bien et plus docilement peut-être que le paysan blanc ne travaille en Europe. Il creusera des canaux et des fossés, comme il le fait tous les jours dans la Guyane anglaise, d'abord pour son propre compte, et ensuite pour le compte de son maître, quand celui-ci le paye bien. Je ne suis nullement inquiet à cet égard, et encore moins embarrassé sur les véritables moyens de porter remède à l'état précaire de l'industrie du sucre de canne. La question d'impôt sur les sucres, quelle que soit son importance pour les colonies, intéresse plus spécialement les grands ports maritimes et le trésor. La véritable question coloniale, en matière de production, c'est que les planteurs obtiennent à un taux modéré les capitaux qui leur sont nécessaires ; qu'ils


( 137 ) puissent améliorer leurs conditions de vente, en reformant leur manière de travailler avec le commerce métropolitain, et même avec le commerce local ; qu'ils puissent diminuer directement et indirectement les dépenses de culture et de production : directement, c'est-à-dire, par l'introduction des machines et une meilleure division du travail; indirectement, c'est-à-dire, par le développement, sur le sol des colonies elles-mêmes, de plusieurs industries collatérales, nécessaires à la culture du sucre. Lors de mon dernier voyage aux colonies en 1 8 3 8 - 3 9 , les planteurs donnaient trois boucauts de sucre pour un boucaut de morue. Ils payent les mulets venus d'Europe à raison de 6 ou 700 francs par tête; ils les ont payés quelquefois jusqu'à 1,500 francs ; à de telles conditions, sans parler de bien d'autres misères aujourd'hui connues de t o u s , nulle industrie ne peut prospérer. Pendant que les administrateurs et les législateurs feront leur œuvre pour changer cette situation, il faut que l'art agricole, la mécanique et même la finance fassent aussi la leur. La nouvelle colonisation, sans négliger les autres denrées, s'occupera de la culture du c o t o n , du riz, du maïs, du tabac, de l'abattage et de l'apprêt des bois, de l'élève des bestiaux, de la production des huiles et des fécules. Elle aura surtout pour but le bien-être des colons et de leurs familles, afin de créer et d'enfoncer profondément dans le sol les souches premières d'une population qui n'aura plus qu'à croître et multiplier par ses propres forces. La production du sucre, bien loin d'en souffrir, obtiendra beaucoup d'avantages indirects, en outre de l'avantage direct d'opérer avec des capitaux à 4 p. 100. On verra que la Guyane française, administrée d'après ce système, produira, même en sucre, beaucoup plus qu'elle ne produit aujourd'hui. Traitant le sucre comme industrie de spéculation au dehors et non plus comme denrée de première nécessité pour se procurer les choses nécessaires à la vie matérielle, les proprié-


( 138 ) taires, à leur aise et vivant de l'échange des autres produits du sol, pourront mieux tenir les prix du sucre et obtenir de leurs commissionnaires des conditions meilleures. Propriétaires aux a b o i s , industriels enchaînés malgré e u x mêmes à un système ruineux d'exploitation, les colons ne peuvent aujourd'hui que vendre à tout prix et subir tous les genres d'usure. Croiriez-vous, Monsieur, que dans ces contrées vierges et fertiles, qui pourraient et devraient fournir des substances alimentaires a l'Europe, la livre de pain coûte deux ou trois fois plus cher que la livre de sucre? Croiriez-vous que l'habitant aisé de la Guyane en est réduit à recevoir des ports de France, dans de petites boîtes de fer-blanc, son repas de tous les jours? Croiriez-vous que sur ce sol où nous venons de compter 250 hectares de terres disponibles par tête d'homme, les habitants pauvres et les noirs, qui vivent de farine de manioc dite couac, sont presque annuellement exposés à la famine? Croiriez-vous que le plus souvent ce couac, celte nourriture précieuse qui ne vaut pas la plus grossière châtaigne et qui ne vaut guère mieux que ne vaudrait une préparation de glands, se vend jusqu'à 35 et 40 centimes la livre? Croiriez-vous qu'au moment même où j'écris, la Guyane, avec sa superficie de 4,500,000 hectares, a beaucoup de peine à trouver de l'herbe pour nourrir les chevaux d'une demi-compagnie de gendarmes qui lui a été expédiée de France? Je n'ai point parlé de la culture de l'indigo. Vous la r e commandez, en signalant à juste titre qu'il est absurde d'aller échanger dans l'Inde des espèces monnayées contre une denrée dont la matière première croît à l'état sauvage sur tous les points de la Guyane. Cependant l'indigoterie a cela de spécial qu'elle est insalubre par elle-même et non par le climat où la plante se produit. La préparation de l'indigo est reconnue partout comme un travail malsain; or


( 139 ) la préparation est la seule industrie qui se ferait à couvert et qui pourrait offrir de l'emploi à la race européenne, s'il est vrai qu'elle ne puisse point cultiver la terre. Je suis persuadé que la science arrivera peu à peu à se rendre maîtresse des causes d'insalubrité qui existent dans la préparation de l'indigo. La chimie moderne est venue à bout de choses plus difficiles, lorsqu'il s'est agi de faciliter le travail des mineurs, des doreurs sur métaux, des étameurs de glac e s , des monnayeurs, etc. On connaît les effets de la cheminée d'appel, inventée par M. Darcet, pour enlever les vapeurs mercurielles de quelques ateliers insalubres. Cet appareil étant applicable à tous les gaz méphitiques , pourra être employé à corriger les émanations de l'indigo. Toutefois, ce n'est pas là une industrie d'essai. Je n'ai jamais pense qu'il fût convenable de confier à des ouvriers européens les premiers travaux de colonisation. Le Mémoire que j'ai présenté demande au contraire que ces travaux ne soient exécutés que par les noirs des ateliers actuellement existant dans la colonie, non parce qu'ils sont nègres , mais parce qu'ils sont acclimatés, et parce que cette malheureuse race a déjà payé aux routines meurtrières de la barbarie industrielle un tribut de misère et de mortalité dont la race blanche se trouvera exempte, je l'espère. S'il fallait s'en rapporter aux témoignages que vous citez, on devrait même se bien garder de s'y exposer. Les dires que vous énumérez sont vrais; mais des dires ne sont pas des faits, et des faits, non contrôlés par une analyse minutieuse des causes extérieures, ne doivent rien prouver par eux-mêmes. Je pourrais opposer les témoignages aux témoignages, mais j'aime mieux vous donner des armes contre moi-même, en vous disant qu'à mon passage à la Guyane anglaise, au mois de juillet 1839, j'ai visité un ho pital où des Maltais, des habitants de Madère, des Coulis de l'Inde étaient entasses péle-mêle, accables de fièvres,


( 140 ) couverts d'ulcères, mourant, pour ainsi dire, les uns sur les autres. Sans avoir pris aucune des précautions nécessaires pour les loger, quelques plantations avaient accueilli des émigrants recrutés sur toutes les plages d'Europe et d'Asie, pour les livrer, dès le lendemain de leur débarquement, aux plus rudes travaux de culture en plein soleil. La maladie les atteignit avant même que l'on eût pris soin de construire un hôpital! L'hôpital civil de George-Town n'était alors qu'une mauvaise baraque en b o i s , où vingt malades se trouvaient quelquefois agglomérés dans un espace de 40 pieds carrés. Le séjour de l'hôpital aurait suffi pour rendre malades des personnes valides. Si je m'étais borné à considérer ces faits, ma conviction eût été vaincue; mais j'ai v u , sur d'autres plantations, des hommes appartenant aux mêmes races, nés sous les mêmes climats, qui jouissaient d'une santé parfaite, et qui supportaient très-bien le travail des champs. Dans ce conflit, de faits contradictoires, force a été de remonter aux causes. L'étude des causes a tout éclairci. Oui, quelques magistrats spéciaux, fortement empreints de l'esprit du parti abolitioniste, se sont montrés peu favorables aux tentatives d'acclimatement de la race européenne; mais un grand nombre des mêmes magistrats ont pensé autrement. Ces témoignages existent, ils ont été produits devant le parlement anglais. Les uns et les autres ont été traduits ; le public sera bientôt saisi du pour et du contre. La vérité se dégagera, pour cette question surchargée d'inconnues, comme elle s'est dégagée pour la question d'émancipation. Oui, les missionnaires de toutes les sectes et tous les chefs du parti abolitioniste, en Angleterre, se sont prononcés contre l'immigration européenne ; mais n'ont - ils pas de bonnes raisons d'errer? Les noirs sont leurs enfants de prédilection; ils obéissent aveuglément à leurs libérateurs; ils


(

141

)

ont en général de meilleures mœurs que la classe ordinaire des émigrants d'Europe ; ils gagnent de forts salaires et jouissent de la plus heureuse condition. Les missionnaires et les membres de l'Anti-slavery society ne veulent pas de l'immigration européenne, parce qu'elle troublera la foi de leurs ouailles, qu'elle pourra corrompre de nouveau leurs moeurs en pleine voie de restauration, qu'elle pourra enfin diminuer leur bien-être. Cette dernière crainte surtout n'est pas fondée. L'immigration européenne n'aura pas d'autre résultat que d'empêcher que la race noire ne domine à son tour dans les colonies émancipées. Quelle autorité peuvent avoir sur les esprits sages des hommes de bon vouloir, sans doute, mais égarés par une sainte ardeur et qui ne craignent pas d'écrire, eu 1842, que la Jamaïque, dont la population n'est développée qu'à raison de 36o,ooo habitants pour 6,400 milles carrés, n'a pas besoin d'un seul travailleur de plus? Not a labourer wanted for Jamaïca, tel est le titre d'un écrit que vient de publier récemment, à Londres, le vénérable Thomas Clarkson, le patriarche du parti abolitioniste. Les planteurs ne sont pas mieux placés pour être clairvoyants, impartiaux et attentifs dans cette question. Les planteurs anglais, comme les nôtres, n'ont jamais songé qu'an travail des nègres et à la culture exclusive du sucre; ils ne se sont point préoccupés de créer des propriétés territoriales, des manoirs, des domaines ruraux ayant leur principale valeur en fonds et non eu revenus. Ce qu'ils veulent avant tout, c'est de faire de gros revenus pour se retirer promptement en Europe. A ces situations violentes, le travail violent imposé à l'engagé d'Afrique peut seul suffire. Les planteurs anglais poursuivent, en ce moment, une dernière chimère; ils veulent peupler leurs colonies avec des Africains libres recrutés à Sierra-Leone. Tous les noirs de Sierra-Leone s'embarqueraient pour la Jamaïque et pour


(

142

)

lu Guyane anglaise, qu'ils ajouteraient à peine 50,000 âmes à la population de ces deux colonies qui appellent des millions d'habitants. On est allé les chercher à prix d'or, ils ne sont venus qu'en petit nombre. Un navire, the Superior, frété à George-Town, pour aller à Sierra-Leone chercher des Africains libérés, en a rapporté onze après trois mois de voyage. Voilà une expédition qui aura bien coûté 2,000 liv. st. (50,000 francs), ce qui met chacune de ces précieuses têtes d'Afrique à 4,5oo fr. environ. La colonie n'aurait-elle pas eu beaucoup plus de profit à dépenser la moitié de cette somme à établir convenablement, non pas onze individus, mais onze familles de laboureurs d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, à raison de cinq personnes par famille? Ces familles n'auraient pas tout d'abord produit une forte quantité de sucre, mais elles se seraient élevées graduellement à cette culture, en commençant par la culture des vivres : elles auraient multiplié les enfants du sol. Et qui ne sait que pour des colonies nouvelles, le meilleur de tous les r e venus est l'accroissement de la population i n d i g è n e ! . . . Lord Stanley, en provoquant l'enquête, a cité les témoignages des magistrats, des ministres et des planteurs; mais quant à lui, et en qualité de Ministre secrétaire d'État des colonies, il n'a pas émis d'opinion, il n'a fait que provoquer une enquête. L'enquête est terminée. On aura bientôt le rapport. Il ne faut donc pas considérer comme un résultat définitif, les répugnances mal motivées et peu désintéressées de deux classes de témoins qui s'accordent pour la première fois depuis bien longtemps, les planteurs et les abolitionistes. La France a fait des essais qui n'ont pas été heureux. L'administration des colonies a eu elle-même la prudence et la sincérité de publier le récit exact de ses défaites antérieures. Nous avions le Précis sur la colonie de Mana; nous avons maintenant le Précis sur l'expédition du Kourou. Que le


( 143 ) petit nombre de personnes qui prennent intérêt aux affaires coloniales, lisent et méditent avec soin ces deux publications, et, pour peu qu'elles aient quelques notions des procédés réguliers du travail et de l'économie rurale, elles reconnaîtront que tout a manqué par l'inexpérience et l'ignorance des hommes et non par la faute de la nature. A l'aide de ces deux Précis on pourrait composer, à l'usage des opérations coloniales, un Manuel de ce qu'il ne faut pas faire. A la Jamaïque, à la Guyane anglaise, à la Trinité, les gouverneurs coloniaux ont fait faire des enquêtes : que l'on consulte ces enquêtes, on y verra d'abord que les choses n'ont pas toujours été aussi mal qu'on le croit (1) et qu'après tout, en Angleterre pas plus que chez nous, et encore moins que chez nous, il n'y a pas eu tentative raisonnée, sur une échelle assez grande, et conduite par des personnes compétentes. L'Angleterre, qu'on le croie bien , n'a pas dit son dernier mot ni fait son dernier effort en ce genre. Après avoir proscrit l'émigration des Coulis de l'Inde qui est une meilleure ressource que l'émigration africaine, elle vient de la rétablir, en imposant quelques sages conditions. Si elle condamne aujourd'hui l'immigration européenne aux Indes-Occidentales, elle y verra sans doute dans quelque temps le moyen de prospérité le plus l e n t , si l'on v e u t , mais le plus sûr, le plus efficace, le plus durable. Pourquoi donc, après tout, l'Angleterre ne se serait-elle pas trompée, et pourquoi s'autoriser à tout propos de son exemple? Toutes les fautes que nous avons faites en matière coloniale, l'Angleterre les a faites aussi. Au temps de la Traite et de l'Esclavage, son système colonial ne valait ni plus ni moins que le nôtre ne vaut aujourd'hui. Seulement l'Angleterre a erré, si l'on peut dire, sur une plus vaste échelle, et elle a sur nous l'avantage d'avoir commencé plus tôt à (1) Voir ci-après, page147et suivantes.


( 144 ) réparer ses erreurs. Nous sommes encore en mesure de l'atteindre, et j'ose croire que nous pourrions facilement la devancer, en la remerciant d'avoir commencé une expérience qui a fait éclater la lumière au milieu des ruines et du chaos de l'ancien système colonial. En résumé, la colonisation proposée ne repose pas exclusivement sur le travail de la race européenne. Elle admet l'emploi de tous les travailleurs que l'on pourra se procurer par des voies légitimes et légales, noirs libérés venant d'Afrique, du Brésil, des États-Unis d'Amérique, Coulis de l'Inde, e t c . , etc. Elle a pour but de faire valoir un sol de même nature que celui auquel les Anglais et les Hollandais ont fait produire de si beaux résultats. Que l'on compare la manière de travailler des trois nations : En 1 8 3 9 , la Guyane anglaise, colonie à travail libre, a expédié, malgré les prétendus désastres de l'émancipation, 7,521,472 kilogrammes de sucre, 1,798,380 litres de r h u m , 1,297,600 litres de mélasse, 742,600 kilogrammes de café. La Guvane hollandaise, colonie à travail esclave, a e x pédié : 13,357,330 kilogrammes de sucre. 3,26o,o56 litres de mélasse, 1,568,685 kilogrammes de café. La Guyane française, colonie à travail esclave, a expédie : 1,797,608 kilogrammes de sucre, 489,205 litres de mélasse, 218,880 litres de rhum, 36,591 kilogrammes de café, 159,810 kilogrammes de coton. Nous ne pouvons pas rester dans cette infériorité humi liante, sans avoir tout tenté. Il ne faut donc pas déshériter


( 145 ) si promptement la rare européenne. Il ne faut pas détourner les yeux d'un sol où la plupart des denrées alimentaires donnent deux, trois et quatre récoltes par a n n é e , tandis que l'absence de l'hiver diminue les besoins de moitié. L'hiver n'est-il pas pour l'ouvrier européen la plus grande cause de dépense en vêtement, luminaire, chauffage, etc.? En vérité, lorsque parcourant, sur ce vaste continent de la Guyane qui n'est lui-même qu'un delta sur la surface du continent Sud-Américain, une colonie plus peuplée que la nôtre, j'ai pu y faire plus de quatre-vingts lieues, à travers des fleuves bordés des plus riches forêts, sans rencontrer la trace d'une habitation humaine, je n'ai pas résisté au besoin de rechercher les causes de l'absence de l'homme, éloigné pour ainsi dire volontairement d'une nature si prodigue, tandis que les populations s'agglomèrent, à flots pressés, dans des climats froids et comparativement stériles. Avant d'admettre, comme un mystère d'impuissance et de douleur, que l'élite de l'espèce humaine pût rester, à toujours, bannie de ces magnifiques jardins des tropiques, j'ai commencé par m'enquérir si le mal ne viendrait pas plutôt des fautes et de l'inexpérience des hommes, et si cette partie du globe, inhabitée jusqu'ici, n'était pas un domaine réservé à la race européenne, après qu'elle se serait façonnée et perfectionnée au travail, dans les rudes épreuves du froid et de la faim. L'étude m'a conduit à beaucoup espérer des efforts de la science et de l'industrie, et quelque peu aussi des misères sans nombre de nos vieilles sociétés européennes. Le mal qui existe aujourd'hui n'est imputable qu'à l'insouciance des enfants ingrats de ces contrées, et au funeste système de culture et d'administration qui a caractérisé la première fondation des colonies européennes, sous les tropiques. En m'exprimant ainsi, j'ai le regret de contrarier les opinions, e t , en apparence du moins, les intérêts de la populo


( 146 ) lation blanche des colonies, à laquelle j'appartiens moimême par la naissance, e t , quoi qu'on dise, par le cœur et par les sentiments. Les colons sont malheureux, leur misère est réelle, leur ruine est certaine si la France n'a recours aux moyens les plus énergiques. Ce n'est pas le moment de flatter leurs passions et leurs illusions ; mais c'est le m o ment de les servir. Et les servir aujourd'hui, c'est leur dire, au risque d'encourir les accusations les plus injustes, que si quelques-uns des remèdes efficaces à leurs maux existent en France et dépendent du vouloir de la métropole, les causes principales de leurs misères sont chez eux-mêmes, et ne peuvent être détruites que par leur propre action. Heureusement le sol des colonies est assez riche pour payer avec usure, à la métropole, tous les sacrifices qu'elle peut et doit s'imposer, afin de réparer les égarements du passé. Encore une fois, Monsieur, les questions sont à l'étude. Rien ne se fera que sous le patronage et le contrôle de l'Etat. Le nouvel essai de colonisation, s'il a lieu, s'exécutera selon des procédés tout à fait différents de ceux qui ont été employés jusqu'ici. La Compagnie n'ira recruter ses colons ni dans les cabarets de la Franche-Comté, ni sur les quais des grandes villes d'Europe. Elle emploiera d'abord des laboureurs et des artisans d'élite, qui seront avertis de la hardiesse de l'œuvre et qui trouveront leurs motifs de confiance et d'encouragement dans la grandeur même des résultats cherchés, dans les avantages personnels qui leur seront garantis, et, au besoin , dans l'exemple qui leur sera donné par les promoteurs de l'opération. Il y a donc lieu de rassurer les esprits et de les préparer par la discussion au lieu de les effrayer prématurément. J'ai l'honneur d'être, avec les sentiments les plus distingués, e t c . ,

Jules LECHEVALIER. Paris, 10 août 1842.


RENSEIGNEMENTS DIVERS .

1O.



SUR

les premiers résultats de l'immigration européenne et africaine DANS LES

COLONIES

I. Immigration

A N G L A I S E S

européenne

R a p p o r t d e M.

à Sainte-Lucie.

(1).

(Extrait d u

Charles R e n n e t t , j u g e spécial d u

e

- 3 district d e c e t t e c o l o n i e . — 1 8 4 1 . ) M . H . K i n g , propriétaire d ' u n e vaste plantation à c a f é , y a introduit des Allemands, d o n t dix h o m m e s , s e p t f e m m e s , et s e p t o u h u i t e n f a n t s . J'ai déjà parlé d e c e t essai ; j'ajouterai s e u l e m e n t aujourd'hui qu'il f o u r nit

la p r e u v e d e c e

q u e l ' i n d u s t r i e , la s o b r i é t é , la

p e r s é v é r a n c e d'un c ô t é , et d e l'autre u n e

libéralité

b i e n e n t e n d u e et d e s p r i n c i p e s d ' h u m a n i t é ,

peuvent

p r o d u i r e d a n s u n p a y s o ù la nature a é t é aussi p r o d i g u e d e b i e n s qu'à S a i n t e - L u c i e . Je d o i s dire e n c o r e c e p e n d a n t q u e n o t r e p e t i t e ville d e la S o u f r i è r e e s t e n partie a p p r o v i s i o n n é e d e l é g u m e s t r è s - b e a u x , par c e s A l l e m a n d s , qui r e c o n n a i s s e n t e u x - m ê m e s q u e les j a r d i n s qu'ils c u l t i v e n t d a n s l e u r t e m p s p e r d u l e u r r a p (1) Ces renseignements sont extraits du Rapport sur les questions coloniales, adressé à M. le duc de Broglie, par M. Jules Lechevalier (in-folio, 1842), t. 11, 2 partie, p. 887. e


(

150

)

p o r t e n t à c h a c u n 25 fr. par s e m a i n e . Je sais qu'ils o n t déjà p r e s q u e e n t i è r e m e n t r e m b o u r s é les a v a n c e s qui l e u r o n t été faites p o u r l e u r h a b i l l e m e n t , e t c . , e t qu'ils o n t , e n o u t r e , d e l'argent e n réserve. La p l a n t a t i o n la Belle-Plaine,

o ù ils r é s i d e n t , n'a jamais e u u n e plus

b e l l e a p p a r e n c e qu'aujourd'hui. Ces é m i g r a n t s j o u i s s e n t c e r t a i n e m e n t d'un sort plus h e u r e u x q u ' a u t r e f o i s , et M. K i n g , p o u r sa p a r t , a la certitude p r e s q u e e n tière d e p o u v o i r e n t r e t e n i r sa propriété d a n s u n é t a t excellent. I I . Rapport du docteur Ewart, agent général de migration à la Jamaïque, sur l'immigration péenne et africaine (1). Depuis

le

mois d'octobre

1841,

393

l'imeuro-

émigrés

b l a n c s s o n t arrivés d a n s cette c o l o n i e , d o n t 251 d e L o n d r e s , et

1 4 2 B o s t o n ( É t a t s - U n i s ) . La p l u p a r t

d e c e s é m i g r é s s o n t I r l a n d a i s ; il se t r o u v e c e p e n d a n t parmi c e u x d e B o s t o n b o n n o m b r e d'Américains. J e s u i s f â c h é d e le d i r e , m a i s il faut e n c o n v e n i r , p l u sieurs d e c e s é m i g r é s o n t m a l t o u r n é . D e s

causes

diverses o n t c o n c o u r u à p r o d u i r e c e f â c h e u x r é s u l t a t ; h e u r e u s e m e n t qu'elles s o n t d e n a t u r e à p o u v o i r ê t r e é v i t é e s , si l'on s e d é c i d e à favoriser l'immigration d e s blancs. O n n e saurait nier q u e b e a u c o u p d e c e s arrivants fussent d e s h o m m e s sans c o n d u i t e et sans p r i n c i p e s ; mais je suis f e r m e m e n t c o n v a i n c u q u e la p r i n cipale c a u s e d e c e t i n s u c c è s est p r o v e n u e d u d é f a u t d e (1) Rapport a M. le duc de Broglie sur les questions coloniales, t. ii, 2 partie, p. 1277 et suiv. e


( 151 ) l o g e m e n t et d e préparation p o u r la r é c e p t i o n e t le bien-être d e c e s g e n s - l à à leur d é b a r q u e m e n t . Arrivant dans u n pays é t r a n g e r , o ù t o u t e s les c h o s e s n é c e s s a i r e s à la v i e p o u r u n E u r o p é e n s o n t t r è s - c h è r e s , e t t r o u v a n t p o u r le m o m e n t q u e le salaire q u ' o n l e u r p r o p o sait n e p o u v a i t satisfaire à leurs b e s o i n s , e t e n c o r e m o i n s à leurs e s p é r a n c e s , ils p r i r e n t d u m é c o n t e n t e m e n t , q u i t t è r e n t leurs premiers maîtres et s e m i r e n t à battre le p a y s , s e dirigeant p o u r la p l u p a r t s u r K i n g s t o w n , a u d é t r i m e n t d e l e u r s a n t é , et trop s o u v e n t a u péril d e l e u r v i e . O n avait b i e n s o i n d e les p r é v e n i r d e la m a n i è r e la p l u s e x a c t e de c e q u e serait l e u r p o s i t i o n e n arrivant d a n s le p a y s ; m a i s ils étaient i m b u s d'idées e x a g é r é e s ; ils s'imaginaient qu'ils trouveraient ici beaucoup de salaire

et peu

de travail

à

faire.

La c o n s é q u e n c e a é t é l e d é s a p p o i n t e m e n t le p l u s c o m p l e t e t u n p r o f o n d d é c o u r a g e m e n t , lorsqu'ils o n t v u q u e l'on d o n n a i t d e s salaires r a i s o n n a b l e s , mais qu'on exigeait e n r e t o u r u n b o n travail, et q u e , par le fait, ils étaient infiniment a u - d e s s o u s d e s travailleurs i n d i g è n e s . Ils s'apercevaient, e n effet, q u e ceux-ci s o n t e n p o s i t i o n d e g a g n e r d e b o n s salaires, qu'ils s o n t c o n f o r t a b l e m e n t l o g é s , et qu'un g r a n d n o m b r e p o s s è d e n t d e s c h e v a u x e t v i v e n t s u r leurs p r o p r i é t é s . C e t t e c i r c o n s t a n c e a b e a u c o u p c o n t r i b u é à les d é c o u r a g e r , a u lieu d e l e s c o n v a i n c r e q u e telle était la d e m a n d e d e travail, qu'il suffisait d'avoir de l'activité e t d e la p e r s i s t a n c e p o u r arriver e u x - m ê m e s , après u n certain t e m p s , à cette posit i o n qu'ils e n v i a i e n t tant. Il est f o r t e m e n t à r e g r e t t e r qu'on n'ait p u p e r s u a d e r à c e s m a l h e u r e u x d'attendre p a t i e m m e n t le résultat d'une a n n é e d e travail e t d e


(

152

)

séjour c o n s t a n t s u r u n e h a b i t a t i o n ; car c o m b i e n l e u r s o r t aurait p u être différent. B e a u c o u p des p l a n t e u r s qui e m p l o y a i e n t c e s E u r o p é e n s , q u o i q u e d é s i r e u x d e les l o g e r et de l e u r p r o c u r e r d u b i e n - ê t r e , n e v o u l a i e n t p a s faire la d é p e n s e , toujours c o n s i d é r a b l e , d e s c a s e s et des j a r d i n s , jusqu'à c e qu'ils f u s s e n t a s s u r é s d e les a v o i r . Il en est résulté q u e , b i e n q u e l e s

immigrants

e u s s e n t t o u t lieu d e s'attendre à t r o u v e r des j a r d i n s et d e s cases p r ê t e s p o u r l e s r e c e v o i r à l e u r a r r i v é e , c e fut très-rarement le cas. Ils se t r o u v è r e n t d o n c t r è s d é s a p p o i n t é s et fort m é c o n t e n t s lorsqu'ils s e v i r e n t forcés d e partager u n e m ê m e case, assez vaste t o u t e f o i s , a v e c plusieurs a u t r e s familles. S'ils avaient v o u l u se s o u mettre seulement à cette gêne m o m e n t a n é e , tout porte à croire qu'à la fin d e la p r e m i è r e a n n é e c h a q u e famille r a n g é e , c h a q u e travailleur i n d u s t r i e u x aurait é t é établi d a n s u n e b o n n e c a s e , avec u n jardin e t u n e b o n n e p i è c e d e v i v r e s , a v e c u n e b a s s e - c o u r b i e n p e u p l é e et tout c e qui p o u v a i t lui assurer u n e p o s i t i o n a i s é e e t c o n fortable, et qu'il e û t é t é ainsi p l u s h e u r e u x et plus i n d é p e n d a n t q u e d a n s s o n propre p a y s . U n e autre c a u s e é g a l e m e n t fatale à l'immigration e u r o p é e n n e a é t é la difficulté

d'empêcher les immigrants de

quitter

les

quartiers é l e v é s , s u r l e s q u e l s o n avait pris s o i n d e les diriger t o u t d ' a b o r d , p o u r c o u r i r après d e s a v a n t a g e s imaginaires et d e s salaires plus c o n s i d é r a b l e s d a n s les terres b a s s e s et m a l s a i n e s , jusqu'à c e qu'ils f u s s e n t b i e n acclimatés par u n s é j o u r de trois a n s a u m o i n s d a n s le pays. Il en est, s o u s c e rapport, d e s o u v r i e r s et des d o mestiques c o m m e des cultivateurs. L e s modifications q u i o n t été a p p o r t é e s à l'acte p o u r 1 i m m i g r a t i o n

(im-


( 153 ) migration

act)

p e n d a n t la dernière s e s s i o n , r e n d e n t

p e u p r o b a b l e l'importation d'un grand n o m b r e d e travailleurs e u r o p é e n s . Les planteurs qui v o u d r a i e n t maintenant Faire venir ici des E u r o p é e n s s o n t s o u m i s à d e s d é p e n s e s et à d e s c o n d i t i o n s propres à assurer le c h o i x des sujets , ainsi q u e les s o i n s q u ' e x i g e n t l e u r santé et leur b i e n - ê t r e . J'ai passé e n r e v u e les principales c a u s e s q u i , j u s q u ' i c i , o n t e m p ê c h é le s u c c è s de l'immigration e u r o p é e n n e ; j'ai dit aussi q u e les difficultés qu'elle p r é s e n t e n e s o n t pas i m p o s s i b l e s à s u r m o n t e r . J'espère q u e le s y s t è m e d e s villages n e m a n q u e r a pas d e r é u s s i r , s u r t o u t l o r s q u e t o u t c e qui est p r é v u par l'immigration

act aura r e ç u s o n e x é c u t i o n .

Il est d e t o u t e j u s t i c e de dire q u e , d a n s b e a u c o u p d e c a s , les i m m i g r a n t s o n t été c o n f o r t a b l e m e n t l o g é s , qu'ils s o n t c o n t e n t s e t qu'ils o n t a m é l i o r é leur c o n d i tion e n v e n a n t dans la c o l o n i e . P l u s i e u r s , d e s A m é r i cains s u r t o u t , o n t parfaitement réussi; ce s o n t e n g é néral d e b o n s s u j e t s , s o b r e s et i n d u s t r i e u x . Je n'ai jamais r e n c o n t r é d ' h o m m e s aussi t r a n q u i l l e s , p l u s respectables et p l u s laborieux q u e les ouvriers de l'établiss e m e n t d e la C o m p a g n i e d e s soies à M e t c a l f e ' s - T o w n . Ils j o u i s s e n t d e la m e i l l e u r e s a n t é , bien

qu'ils tra-

vaillent en t o u t e saison et en t o u t t e m p s . A u c u n n e fait u s a g e d e s p i r i t u e u x . De tels h o m m e s s e r o n t t o u j o u r s sûrs d e j o u i r d'une b o n n e s a n t é , et q u i c o n q u e les aura vus c o n v i e n d r a a v e c m o i q u e le pays n e s a u rait qu'y g a g n e r , s'il n o u s arrivait b e a u c o u p d'ouvriers semblables. C'est avec un

véritable plaisir q u e j e vais parler


(

154

)

m a i n t e n a n t d e s p r o g r è s q u e fait l'immigration

afri

caine, et d e l'introduction des g e n s de c o u l e u r d e s a u t r e s pays. D e p u i s m o n d e r n i e r r a p p o r t , il n o u s est arrivé 58a personnes de Sierra-Leone, 18

des É t a t s - U n i s , 10 d u

368 des

Bahamas,

h a u t Canada et 4 ° 4

de

Sainte-Hélène. T o u t c e q u i tient à l'immigration africaine prenait, à la fin d e l'année d e r n i è r e , u n aspect d é c o u r a g e a n t . L'arrivée d e l ' A d a e t d u West-Indian d a n s n o s p o r t s , le p r e m i e r a v e c 7 i n d i v i d u s , et le d e r n i e r a v e c 101 , n o m b r e si inférieur à c e l u i qu'ils auraient d û porter, fut vraiment d é s e s p é r a n t e , n o n - s e u l e m e n t à c a u s e d e la d é p e n s e , mais e n c o r e à c a u s e d u d é c o u r a g e m e n t o ù cela devait n o u s jeter q u a n t à n o s projets futurs. T o u t e f o i s , les r e n s e i g n e m e n t s qui m e furent c o m m u n i q u é s par M . Barkley, ci-devant c o m m i s s a i r e p o u r l'Immigrat i o n , q u i avait visité S i e r r a - L e o n e ,

et qui se trou-

vait à m ê m e d e m e d o n n e r l e s m e i l l e u r s c o n s e i l s , m e firent

c o m p r e n d r e b i e n t ô t q u e l'obstacle principal à

n o s s u c c è s d a n s c e s parages était la c r o y a n c e établie parmi les nègres d u p a y s , q u e , s'ils c o n s e n t a i e n t à passer à la J a m a ï q u e , ils s e livreraient à l'esclavage. Il s'agissait d o n c d e dissiper d'abord c e t t e i m p r e s s i o n f â c h e u s e ; alors o n pourrait espérer b o n n o m b r e d e travailleurs qui n o u s v i e n d r a i e n t d e c e p a y s . Partant d e c e s d o n n é e s , j e m e décidai à a c h e t e r p o u r le c o m p t e d e la c o l o n i e (avec le c o n s e n t e m e n t d u g o u v e r n e m e n t ) d e u x b r i c k s , le Herald communication

et le Treasurer, régulière

avec

afin d'établir u n e Sierra-Leone.

Cette

m e s u r e n o u s a réussi à s o u h a i t : à c h a q u e v o y a g e d e n o s d e u x b r i c k s , d e s d é l é g u é s , c h o i s i s par les n è g r e s


( 155 ) qui étaient arrivés d e s v o y a g e s p r é c é d e n t s , o n t f i n i , j'ose l'affirmer, par dissiper la crainte q u e les Africains avaient d e v e n i r d a n s c e t t e île. N o u s a v o n s lieu d'espérer q u e l'arrivée d u Herald

et d u Treasurer,

qui e n -

treront d a n s n o s p o r t s aux m o i s d e n o v e m b r e et d e décembre prochain,

confirmera

pleinement

l'espé-

rance q u e la Jamaïque s e t r o u v e m a i n t e n a n t en faveur c h e z l e s n è g r e s , et q u e les efforts d e n o t r e infatigable a g e n t , M. Catheart, r é u s s i r o n t à n o u s assurer en t o u t temps un recrutement régulier, quoique m o d é r é , de travailleurs. D a n s t o u s les cas , il reste p r o u v é q u e n o s derniers curés par ont éclairé notre

succès

à Sierra-Leone

les rapports

favorables

les indigènes

sur l'état

nous

ont été

de nos délégués, réel des choses

proqui dans

colonie.

L e s g e n s arrivés d e s îles B a h a m a s s o n t p o u r la plupart d e s Africains l i b é r é s ; d'autres s o n t natifs de c e s î l e s ; la plupart s o n t d o m e s t i q u e s . L e petit n o m b r e d e g e n s d e c o u l e u r arrivés

des

États-Unis s o n t d e b o n s s u j e t s , faisant p r e s q u e t o u s le commerce pour leur propre compte. Les dix émigrants du

h a u t Canada

sont

venus

p r i n c i p a l e m e n t , j e crois , p o u r v o i r d a n s q u e l état se t r o u v e la classe o u v r i è r e c h e z n o u s , p o u r en d o n n e r avis a u x g e n s d e c o u l e u r établis e n g r a n d n o m b r e d a n s le h a u t C a n a d a , et qui n'attendent q u ' u n r a p p o r t favorable p o u r s e transporter a u x

Indes-Occidentales,

d o n t le climat leur c o n v i e n t m i e u x . S u r c e s dix i n d i v i d u s , n e u f s o n t restés i c i , e t s'y plaisent b e a u c o u p ; le d i x i è m e , S t e p h e n V i r g i n n y , a passé q u a t r e m o i s ici ; il était v e n u e n qualité de d é l é g u é ; o n lui procura


( 156 ) t o u t e s les facilités p o u r visiter les différentes parties d e l'île; il e n paraissait e n c h a n t é , e t s'en e s t retourné, au Canada p o u r y c h e r c h e r sa f a m i l l e , e t faire c o n naître à c e u x qui l'avaient e n v o y é la b o n n e o p i n i o n qu'il a c o n ç u e d u pays e t d e s avantages q u i a t t e n d e n t c e u x d e sa classe q u i v o u d r a i e n t quitter le N o r d - A m é rique p o u r v e n i r s'y établir. Je n e d o u t e pas q u e le rapport d e cet h o m m e

res-

p e c t a b l e n e c o n t r i b u e p u i s s a m m e n t à diriger vers n o s rivages le c o u r a n t d e l'immigration d e s Canadiens d e couleur. A u c o m m e n c e m e n t d e l'année passée , M. G a l l e g o , h o m m e d e c o u l e u r t r è s - i n s t r u i t , passa p l u s i e u r s m o i s i c i , dans le m ê m e b u t q u e S t e p h e n V i r g i n n y . A v e c l'approbation de sir Charles Metcalfe, M. G a l l e g o a é t é n o m m é a g e n t d e c e t t e c o l o n i e a u Canada, e t , d'après ses dernières lettres et celles d e M M . J. W . D u n s c o m b et c o m p a g n i e , n o s a g e n t s à M o n t r é a l , j'ai lieu d e croire q u ' u n b â t i m e n t est m a i n t e n a n t e n m e r e t t r a n s p o r t e d e s h o m m e s d e c o u l e u r d u Canada , a c c o m p a g n é s par M. G a l l e g o , qui s'intéresse n a t u r e l l e m e n t b e a u c o u p à l ' h e u r e u x é t a b l i s s e m e n t d e c e u x qui a u r o n t é m i g r é à s o n instigation et par s e s c o n s e i l s . L'immigration d e s h o m m e s d e c o u l e u r d u Canada p e u t avoir les plus h e u r e u x résultats p o u r c e t t e île. A e n j u g e r par c e u x q u e j e c o n n a i s , et par les i n f o r m a t i o n s q u e j'ai recueillies s u r e u x , l e u r e x e m p l e serait d'un b o n effet; ils s ' e n t e n d e n t e n g é n é r a l au m a n i e m e n t des i n s t r u m e n t s aratoires e m p l o y é s en E u r o p e et en A m é r i q u e , tels q u e la charr u e , la h e r s e , la b ê c h e , la b r o u e t t e , etc.; ils s o n t r e s p e c t u e u x d a n s leur c o n d u i t e , et ils o n t u n certain


( 157 ) d e g r é d'éducation. U n g r a n d n o m b r e d'entre e u x seraient très-précieux c o m m e c o n d u c t e u r s de travaux o u chefs

d'ateliers

sur

d e s h a b i t a t i o n s o ù il

importe

d'avoir d e s c o m p t e s d e travail e x a c t e m e n t t e n u s . F o u r p e u qu'on e x a m i n e c e sujet a v e c impartialité e t sans p a s s i o n , o n c o n v i e n d r a , j ' e s p è r e , q u e la c o n dition des n è g r e s s'est a m é l i o r é e d e b e a u c o u p par leur importation dans

n o t r e p a y s . L e s lettres d e M .

A.

Barkley et d u d o c t e u r M a x w e l l , é c r i t e s à c e s u j e t , s o n t d'une g r a n d e i m p o r t a n c e ; v o u s les t r o u v e r e z a n nexées au rapport. D è s s o n a r r i v é e , l'Africain trouve d e l ' o c c u p a t i o n , et c e l a , p r e s q u e t o u j o u r s , s u r les p l u s belles p r o p r i é t é s , o ù il a o c c a s i o n d e g a g n e r d e s s o m m e s considér a b l e s , e n travaillant soit à la t â c h e , soit à la j o u r n é e ; il y t r o u v e , e n o u t r e , à p e u d e f r a i s , l e s m o y e n s d e s'instruire et d e faire s o n é d u c a t i o n religieuse. L e s travailleurs i n d i g è n e s s o n t , en g é n é r a l , b i e n i n t e n t i o n n é s à l'égard des n o u v e a u x v e n u s ; ils leur e n s e i g n e n t à planter et à cultiver leurs jardins.... L e s c o n t i n u e l l e s et p r e s s a n t e s d e m a n d e s d e l a b o u reurs a f r i c a i n s , q u e l'on m'adresse d e t o u t e s les parties d e l'île, p r o u v e n t assez q u e la prospérité future d e la c o l o n i e d é p e n d e n t i è r e m e n t d e l'arrivée d'un n o m b r e d e travailleurs tel q u e la p r o d u c t i o n d e n o s principales d e n r é e s puisse se m a i n t e n i r et d o n n e r au propriétaire u n r e v e n u p r o p o r t i o n n é à s o n capital et à s e s r i s q u e s , c e q u i n'est c e r t a i n e m e n t pas le cas à présent. Q u a n t à m o i , j e crois devoir c o m p t e r p l u s e n c o r e s u r l'influence morale qu'exercera l'immigration africaine s u r l'esprit des noirs é m a n c i p é s , q u e sur la force p h y s i q u e


( 158 ) d e s travailleurs q u e n o u s p o u v o n s n o u s procurer ; et cette influence m o r a l e s'est déjà fait sentir d'une m a nière n o t a b l e p a r t o u t o ù les Africains o n t été placés. L e travailleur i n d i g è n e s'aperçoit ainsi q u e n o u s p o s s é d o n s d e s r e s s o u r c e s d o n t il n e s e d o u t a i t g u è r e ; et j e crois f e r m e m e n t q u e le m o m e n t a p p r o c h e o ù les travailleurs é m a n c i p é s s e v e r r o n t d a n s la n é c e s s i t é d e d o n n e r plus d e travail p o u r le m ê m e salaire. Si cela a r r i v e , et q u e l'on c o n t i n u e , t o u j o u r s a v e c p r u d e n c e , d'amener dans le p a y s u n renfort d e t r a v a i l l e u r s , d e s propriétés a b a n d o n n é e s m a i n t e n a n t , d e s terrains laiss é s en friche s e r o n t m i s e n c u l t u r e , e t la p r o s p é r i t é et la salubrité d e l'île s'en accroîtront. III. Lettre adressée à M. le docteur Ewart par le docteur Maxwell, sous-agent de l'immigration à la baie d'Annotto (21 s e p t e m b r e 1842.) (1). La C o m m i s s i o n n o m m é e par la c h a m b r e d e s c o m m u n e s p o u r faire u n e e n q u ê t e s u r l'état des c o l o nies des I n d e s - O c c i d e n t a l e s , est arrivée, après l'investigation la p l u s m i n u t i e u s e , a u x m ê m e s c o n c l u s i o n s q u e t o u s les h o m m e s c o n n a i s s a n t l'état d e s c o l o n i e s avaient prises d'avance; la C o m m i s s i o n avait i n d i q u é la p o s i t i o n f â c h e u s e et difficile d e s p l a n t e u r s , ainsi q u e les r e m è d e s p r o p r e s à arrêter la d é p r é c i a t i o n t o u j o u r s c r o i s s a n t e d e la p r o p r i é t é ; d e s o r t e qu'il est p e r m i s d'espérer q u e , l'influence désorganisatrice u n e fois a t t a q u é e d a n s ses r a c i n e s , les belles p l a n t a t i o n s d e s (1) Rapport à M. le duc de Broglie sur les questions coloniales, t. II, 2 partie, p. 1279. e


( 159 ) c o l o n i e s s e r o n t s a u v é e s d e l'abandon qui les menaçait. Q u a n t à l'immigration e u r o p é e n n e , je c o n s e r v e t o u j o u r s la m ê m e o p i n i o n ; e t j e s o u t i e n s qu'en la s o u m e t t a n t à des r è g l e m e n t s j u d i c i e u x , et en établissant les n o u v e a u x arrivants d a n s les parties é l e v é e s d e l'île, jusqu'à c e qu'ils s o i e n t b i e n a c c l i m a t é s , d e s l a b o u r e u r s e u r o p é e n s p o u r r o n t , p o u r p e u qu'ils aient u n e c o n duite r é g u l i è r e , n o n - s e u l e m e n t y vivre c o n v e n a b l e m e n t , mais arriver à s e d o n n e r b i e n t ô t u n e certaine aisance. Ils a c c é l é r e r a i e n t , e n o u t r e , les progrès d e la c i v i l i s a t i o n , d o n t les h e u r e u x r é s u l t a t s , se r é p a n d a n t b i e n t ô t , préserveraient la classe r é c e m m e n t é m a n c i p é e d e l'état d e l a n g u e u r et d e dégradation vers l e q u e l elle marche. L e p e u d'émigrés e u r o p é e n s qui se t r o u v e n t d a n s c e district s o n t d e s h o m m e s i n d u s t r i e u x et s o b r e s , q u i , a y a n t e u s o i n d e c h o i s i r p o u r leurs d e m e u r e s d e s sites é l e v é s , o n t c o n s e r v é l e u r s a n t é ; ils o c c u p e n t m a i n t e n a n t d e s e m p l o i s d e confiance. Il e û t été plus h e u r e u x p o u r la J a m a ï q u e q u e l'on n'eût e n v o y é q u e d e s h o m m e s c o m m e c e u x - c i , et n o n c o m m e il n o u s e n e s t arrivé l'an p a s s é , des m i s é r a b l e s q u i , par leur i n c o n d u i t e et leurs e x c è s , s e s o n t t u é s e u x - m ê m e s , et o n t d i s c r é d i t é u n e m e s u r e q u i , dans d e s circonstances p l u s f a v o r a b l e s , n'aurait pas m a n q u é d e p r o d u i r e les p l u s b e a u x résultats. P o u r c e qui e s t d e s é m i g r é s d e S i e r r a - L e o n e , arriv é s à b o r d d u Herald,

d a n s les p r e m i e r s j o u r s d e

juillet, t o u s les propriétaires q u i les o n t e m p l o y é s n'ont e u qu'à se l o u e r d e leur c o n d u i t e ; e t ils se t r o u v e n t si bien d a n s la c o l o n i e , q u e la plupart d'entre e u x , n o n


( 160 ) c o n t e n t s d'engager leurs parents et leurs familles à v e n i r les j o i n d r e , c o m m e v o u s a v e z e u o c c a s i o n d e le v o i r , o n t e n c o r e e n v o y é à l e u r s a m i s le m o n t a n t d e l e u r q u i n z a i n e , afin d e l e u r d o n n e r u n e p r e u v e i r r é c u s a b l e q u ' o n g a g n e f a c i l e m e n t à la J a m a ï q u e d e 1 s c b e l l i n g 1/2 à 2 s c h e l l i n g s par j o u r , tandis qu'à S i e r r a - L e o n e o n a b e a u c o u p de p e i n e à t r o u v e r d u travail à raison d e 4 p e n c e par j o u r . Ils o n t t o u s l'air c o n t e n t et h e u r e u x , et leur seul s o u c i , c'est d e v o i r arriver p r o m p t e m e n t le Herald,

qui d o i t à son retour a m e n e r leurs

a m i s . L e u r b o n n e c o n d u i t e l e u r a g a g n é la b i e n v e i l lance d e s a n c i e n s o u v r i e r s , et j ' a v a n c e , sans crainte d'être d é m e n t i , q u e l e u r i n d u s t r i e , leur application a u t r a v a i l , a exercé u n e h e u r e u s e influence. Les Africains arrivés à b o r d d u Herald

sont,

en

g é n é r a l , plus civilisés q u e les noirs i n d i g è n e s . P r e s q u e t o u s savent l i r e , et q u e l q u e s - u n s d'entre e u x

savent

aussi écrire. L e r é v é r e n d M . F o r b e s m'a a v o u é qu'il était édifié e n les v o y a n t , d è s leur a r r i v é e , assister à l'office, t o u s p r o p r e m e n t v ê t u s , et t o u s attentifs a u service divin. U n pareil e x e m p l e ne saurait m a n q u e r d'exercer la p l u s h e u r e u s e influence s u r n o s paysans. A u n rapport

si satisfaisant, j'ai e n c o r e le plaisir

d'ajouter u n fait d e la plus h a u t e i m p o r t a n c e . P a r m i tous ceux

qui s o n t arrivés par le Herald,

et d o n t

q u e l q u e s - u n s s o n t e m p l o y é s s u r les h a b i t a t i o n s d e s terres b a s s e s , q u e l'on regarde c o m m e e x c e s s i v e m e n t m a l s a i n e s , d e u x cas d e maladie s e u l e m e n t se s o n t prés e n t é s d a n s t o u t le c o u r a n t d e j u i l l e t , d'août et d e s e p t e m b r e , c'est-à-dire à l'époque de l'année la plus fatale aux n o u v e a u x a r r i v a n t s ; et j'ose affirmer, c o m m e m é -


(

161

)

d e c i n , q u e si des E u r o p é e n s avaient été e x p o s é s c o m m e e u x , à c e t t e é p o q u e et dans c e s localités , à l'influence d u soleil et d e la malaria,

il e n

serait résulté

une

mortalité affreuse (1). D e c e s d e u x cas d e m a l a d i e , l'un était p e u g r a v e , l'autre était m o r t e l ; mais je m e h â t e d'ajouter q u e c'était u n e affection c é r é b r a l e , mal q u i , par sa n a t u r e , est i n d é p e n d a n t d u climat. D e p u i s l'arrivée d e s A f r i c a i n s , plusieurs d e m a n d e s d'ouvriers m ' o n t été adressées a v e c d e vives i n s t a n c e s . Q u e l q u e s - u n s d e s d e m a n d e u r s mettaient en avant q u e l e u r s p l a n t a t i o n s t o m b a i e n t en r u i n e ; q u ' i l s se verraient forcés d e les a b a n d o n n e r faute d e bras p o u r les cultiv e r , si o n n e leur v e n a i t en aide. e x o r b i t a n t s qui n o u s prêts à s e

soumettre

Malgré les i m p ô t s

a c c a b l e n t , les planteurs à de nouvelles

sont

impositions,

p o u r v u qu'elles s o i e n t affectées à favoriser l'immigration africaine. Aussi faut-il espérer q u e le g o u v e r n e m e n t n e tardera pas à a c c o r d e r u n e m p r u n t d a n s c e b u t . T o u s les propriétaires de Buff-Bay, sans e x c e p t i o n , m ' o n t d e m a n d é des o u v r i e r s ; il y a q u e l q u e s a n n é e s , c e district produisait à lui seul p o u r plus d'un million d e livres s t e r l i n g d e c a f é ; o n n e p e u t m a i n t e n a n t y r é c o l t e r plus d'un c i n q u i è m e d e c e t t e q u a n t i t é , faute d e bras p o u r la c u l t u r e . C'est pitié q u e d e v o i r c e t t e v a l l é e , n a g u è r e si r i c h e et si f e r t i l e ,

ne présentant

m a i n t e n a n t q u e d e s r u i n e s ; et t o u t c e l a , p a r c e q u e l e s travailleurs qui la c u l t i v a i e n t s'en s o n t retirés, afín ne faut pas perdre de vue que les planteurs anglais ont à peu près les mêmes préjugés que les planteurs français sur l'acclimatement des travailleurs européens. (Note du traducteur.) 1I


(162) d'aller s'établir sur les terrains qu'ils o n t acquis. Le propriétaire d e M o u n t - P l e a s a n t , qui a e u le b o n h e u r d e se p r o c u r e r u n e trentaine d e s A f r i c a i n s arrivés par le Herald,

m'écrit, s o u s la date d u 16 s e p t e m b r e ,

q u e sa plantation avait é t é t o t a l e m e n t a b a n d o n n é e par les a n c i e n s l a b o u r e u r s , et qu'ils a v a i e n t refusé le salaire qu'il leur avait o f f e r t , b i e n q u ' e x o r b i t a n t ; qu'il avait p e r d u

p l u s i e u r s récoltes

s u c c e s s i v e s , et

qu'il

était s u r le point d a b a n d o n n e r sa p l a n t a t i o n , lorsq u e les Africains lui arrivèrent.

Je vais v o u s

citer

q u e l q u e s passages de s o n rapport : « Ils s o n t trèss o b r e s , paisibles et industrieux. A v a n t leur a r r i v é e , m a propriété était e n r u i n e ; elle c o m m e n c e déjà à s e relever , e t , dans q u e l q u e s s e m a i n e s d'ici, j ' e s p è r e voir t o u t e s m e s terres e n c u l t u r e . A v e c u n n o m b r e suffisant d e tels o u v r i e r s , n o u s p o u v o n s e n c o r e aller ; q u a n t a u x a n c i e n s l a b o u r e u r s , ils d e v i e n n e n t trop i n d é p e n dants et n e v e u l e n t p o i n t rester dans leurs

monta-

gnes. Les h a b i t a t i o n s d e S p r i n g - H i l l , d e

Cedar-Valley,

d e W a l l e n f o r d , de B i r m a n v o o d , d e M o u n t - W o l s t e i n , d e S m i t b f i e l d , d e Silver-Hill, et la m i e n n e , o c c u p e n t e n v i r o n 3 5 o travailleurs, e t , si c e n o m b r e - l à n e se t r o u v e pas b i e n t ô t , il faudra l e s a b a n d o n n e r ;

car, à

l'époque d e la r é c o l t e s u r t o u t , il e s t i m p o s s i b l e d e s e p r o c u r e r des travailleurs. Ce tableau est triste , m a i s il n'est en a u c u n e f a ç o n exagéré. Je d o i s ajouter q u e , d a n s n o t r e d i s t r i c t , le terrain est à si bas p r i x , q u e m e s a n c i e n s laboureurs et c e u x de m e s v o i s i n s n e n o u s o n t q u i t t é s q u e p o u r s'établir sur

des propriétés qu'ils

avaient achetées à vil prix; voilà p o u r q u o i ils refusent


(

163 )

d e s salaires m ê m e e x o r b i t a n t s , et le l o g e m e n t qui leur e s t offert. Il e n est résulté q u e t o u s les a n s , d e p u i s le m o i s d'août 1 8 3 8 , la m o i t i é d e ma r é c o l t e d e café et la r é c o l t e e n t i è r e d e b o i s d'Inde ( p i m e n t o ) p é r i s s e n t s u r place. » Les h a b i t a t i o n s - s u c r e r i e s , b i e n qu'elles n e s o i e n t pas dans u n état aussi d é s e s p é r é , souffrent c e p e n d a n t b e a u c o u p par le défaut d e bras. V i n g t l a b o u r e u r s v i g o u r e u x , d é b a r q u é s d u Herald, furent e n g a g é s p o u r l'habitation G o l d - G r o v e , u n e des p l u s belles propriétés d e la c o l o n i e . A v a n t leur arrivée , toutes sortes d e ruses et d e m a c h i n a t i o n s avaient été m i s e s en œ u v r e p o u r e x t o r q u e r u n e a u g m e n t a t i o n d e s a l a i r e ; il arrivait s o u v e n t q u e des c a n n e s c o u p é e s e t d é p o s é e s a u m o u l i n n'étaient p o i n t p r e s s é e s , parce q u e les ouvriers n e s'y présentaient pas. Q u e l q u e s j o u r s s'écoulèrent à p e i n e q u e , les Africains s'étant mis à l ' o u v r a g e , u n e d é p u tation d e s a n c i e n s travailleurs vint prier le gérant d e v o u l o i r b i e n tout oublier; et ils reprirent l e u r travail. V o i l à le fruit d e la c o n c u r r e n c e et d e l ' e x e m p l e . La m ê m e c h o s e s e passa s u r l'habitation d e F o r t e w a r t . C i n q u a n t e b o n s travailleurs, sur c h a c u n e d e c e s magnifiq u e s p r o p r i é t é s , feraient d e s m e r v e i l l e s , et leur e x e m ple stimulerait au travail les p a r e s s e u x et les i n s o u c i a n t s . J'ajouterai e n c o r e q u e les Africains établis dans c e district, d e p u i s d e u x à trois ans, d é p l o i e n t u n e intellig e n c e et font d e s p r o g r è s en civilisation qui les m e t t e n t p r e s q u e au niveau d e n o s n è g r e s c r é o l e s ; ils c h e r c h e n t à s e p r o c u r e r les a g r é m e n t s q u e le travail m e t à l e u r p o r t é e ; ils s o n t s o b r e s et t r a n q u i l l e s , et ils o n t déjà s a u v é plusieurs habitations d'une ruine i m m i n e n t e . 11.


( 164 ) A u r é s u m é , l'immigration africaine a é t é , à m o n a v i s , c o u r o n n é e d'un plein s u c c è s . Les é m i g r é s s o n t h e u r e u x , bien p o r t a n t s , i n d u s t r i e u x ; ils s o n t e n c h a n tés d e la sécurité assurée à leurs p e r s o n n e s , ainsi qu'à leurs p r o p r i é t é s ; ils v e u l e n t profiter de

l'instruction

religieuse , et t r o u v e n t , en g é n é r a l , q u e leur situation ne saurait être plus h e u r e u s e .


PRECIS SUR

L'ÉTABLISSEMENT

LA C O M M UAU N GUATÉMALA, A U T É DE L'UNION

PAR

LA C O M P A G N I E B E L G E

DE

COLONISATION.

A l ' é p o q u e o ù fut arrêtée la p e n s é e d'organiser u n e C o m p a g n i e p o u r l'établissement d'une c o l o n i e b e l g e dans l ' A m é r i q u e c e n t r a l e , les fondateurs firent i m p r i m e r e t r é p a n d r e , s o u s le titre d e Opinions auteurs

sur le Guatemala

de

divers

et la V e r a - P a z ( i n - 8 ° , 1 8 4 1 ) ,

u n e b r o c h u r e o ù étaient rassemblés u n g r a n d n o m b r e de f r a g m e n t s extraits d e divers v o y a g e u r s e t g é o g r a phes. Ces fragments ont été choisis de manière à donn e r u n e idée à la fois précise et c o m p l è t e d u p a y s , d e s o n c l i m a t , d e s o n état a c t u e l , d e s e s r e s s o u r c e s , e t m ê m e d e s o n passé. Ils f o r m e n t un corps d e d o c u m e n t s é m a n é s d e s o u r c e s diverses qui se servent récip r o q u e m e n t d e c o n t r ô l e et d e confirmation. L e s l i g n e s s u i v a n t e s , tirées d e l ' O u v r a g e statistique kens sur le Guatémala,

de J. Haef-

p e u v e n t être citées c o m m e


(

166

)

résumant les o p i n i o n s d e s a u t e u r s qui o n t fourni

leur

c o n t i n g e n t à la b r o c h u r e : « Si le b o n h e u r d e l ' h o m m e n e c o n s i s t a i t q u e d a n s le b i e n - ê t r e m a t é r i e l , il n'y a a u c u n e partie d u m o n d e o ù il pourrait j o u i r d'une félicité égale à celle qu'il peut r e n c o n t r e r d a n s le r o y a u m e d e G u a t é m a l a . » E n 1 8 4 2 , la C o m p a g n i e é t a n t c o n s t i t u é e , p u b l i a ses S T A T U T S , a u x q u e l s elle ajouta u n e C O P I E D E L'ACTE DE C O N C E S S I O N D U P O R T E T DU D I S T R I C T D E S A N T O - T H O M A S .

S u i v a n t c e s statuts , la d u r é e d e la Compagnie de colonisation,

f o n d é e sous

le patronage

belge

du r o i , e s t

fixée à 9 0 a n s . La C o m p a g n i e f o r m u l e ainsi s o n b u t : « 1° Créer d e s é t a b l i s s e m e n t s a g r i c o l e s , industriels e t d e c o m m e r c e , d a n s l e s différents États d e l ' A m é r i q u e c e n t r a l e e t autres l i e u x ; la C o m p a g n i e v e n d r a , a c h è t e r a , fera défricher e t cultiver les terres et e x p l o i ter les p r o d u i t s naturels d e c e l l e s - c i ; « 2

0

Établir d e s relations d e c o m m e r c e e n t r e c e s

pays e t la B e l g i q u e . » La C o m p a g n i e s e r é s e r v e , par l'art. 8, la faculté d'établir e n t r e e l l e , les a c q u é r e u r s d e terres e t l e s o u v r i e r s , d e s c o m m u n a u t é s d'intérêt, c'est-à-dire, u n m o d e d'association q u i capitalise l'industrie p o u r lui d o n n e r d r o i t d'entrer dans le partage d e s b é n é f i c e s g é n é r a u x d e la s o c i é t é . Par l'art. 11, la C o m p a g n i e pourra é m e t t r e d e s Bons au porteur

a y a n t c o u r s d a n s les s e u l s é t a b l i s s e m e n t s

c o l o n i a u x , et r e m b o u r s a b l e s à présentation e n traites à v u e sur la Caisse

sociale.

Ces

b o n s n'ayant q u ' u n e


( 167 ) valeur représentative, n e p o u r r o n t représenter au maxim u m qu'une s o m m e égale a u x d e u x tiers d e la valeur des m a r c h a n d i s e s e n m a g a s i n . L'apport d e la C o m p a g n i e c o n s i s t e , dans le district d e S a n t o - T h o m a s , e n u n e superficie d e 8,000 c a b a l l e r i a s , l e q u e l apport c o n s t i t u e le f o n d s s o c i a l , r e p r é s e n t é par 110 a c t i o n s , d o n t 3 o s o n t attribuées p o u r prix d e l'apport a u x q u i n z e f o n d a t e u r s ; l e s 80 actions r e s t a n t e s , d o n t c h a c u n e pourra être divisée e n 10 c o u p o n s , s o n t à répartir p o u r l e m i e u x d e s intérêts d e la société. L o r s d u bilan a n n u e l d e la C o m p a g n i e , 60 p . 100 d e s bénéfices d e l'année s e r o n t répartis e n t r e les act i o n n a i r e s ; 30 p . 100 s e r o n t attribués au f o n d s d e r é s e r v e ; 3 p . 100 répartis e n j e t o n s d e p r é s e n c e entre les m e m b r e s d u c o m i t é d e s d i r e c t e u r s ; 1 p . 100 e s t acquis à l'agent g é n é r a l ; 1 p. 100 e s t réservé p o u r r é c o m p e n s e r l e s services d e s e m p l o y é s o u agents d e la C o m p a g n i e q u i s e seront fait r e m a r q u e r par leur z è l e , etc. Par l ' A c t e de concession, l e district de S a n t o - T h o m a s est c é d é à la C o m p a g n i e , e n p r o p r i é t é absolue et perpétuelle , p o u r e n j o u i r c o m m e propriétaire. Mais le pays c é d é r e s t e c o m m e faisant partie i n t é g r a n t e d u territoire c o m p r i s dans la circonscription d e l'État d e Guatemala , et t o u s les c o l o n s q u i s'y établiront seront sujets d e l'État, resteront s o u m i s à sa s o u v e r a i n e t é , à sa juridiction , à s e s l o i s , et p e r d r o n t l e u r qualité d e nationaux étrangers p o u r d e v e n i r i n d i g è n e s d u G u a témala. E n r e t o u r , ils j o u i s s e n t , d è s leur a r r i v é e , d e t o u s les droits civils et politiques d e s G u a t é m a l i e n s .


( 168 ) La C o m p a g n i e p a y e r a , p o u r prix d e la c e s s i o n q u i lui est faite d u district d e S a n t o - T h o m a s , la s o m m e de 160,000 piastres : 16,000 piastres c h a q u e a n n é e p e n d a n t d i x a n s ; elle fournira e n o u t r e 2,000 fusils et 6 p i è c e s d e c a n o n . E l l e participera p o u r 1/5 d a n s les d é p e n s e s d e l'érection d u fort à c o n s t r u i r e p o u r la d é f e n s e d u p o r t d e S a n t o - T h o m a s ; la ville sera c o n s truite a u x frais d e la C o m p a g n i e ; les magasins e t e n trepôts d e s t i n é s a u s e r v i c e d e la d o u a n e e t d u p o r t , aux frais d u g o u v e r n e m e n t . La C o m p a g n i e

s'engage

à i n t r o d u i r e a u m o i n s mille familles d e c i n q i n d i v i d u s c h a c u n , s u r l e pied d e 100 familles p a r an. C e s n o u v e a u x c o l o n s s e r o n t p e n d a n t 20 a n s e x e m p t é s , 1° d e t o u t estanco

o u m o n o p o l e p o u r t o u t c e qui sera fabri-

q u é par e u x dans la c o l o n i e ; 2 ° d e t o u t droit d e s o r t i e à l'exportation d e s p r o d u i t s de l e u r i n d u s t r i e ; 3 ° d e t o u t droit d'importation

sur des objets de première

n é c e s s i t é d é t e r m i n é s d a n s l'acte. La C o m p a g n i e s ' e n g a g e à ouvrir d a n s le délai d e d e u x a n n é e s u n c h e m i n p o u r v o i t u r e s , e n t r e le I l i o - M o n t a g n a et le p o r t d e S a n t o - T h o m a s . Elle percevra s u r c e c h e m i n , p e n d a n t d i x a n s , u n droit d e p é a g e s u i v a n t le tarif d é t e r m i n é . E l l e s'engage e n o u t r e à établir s u r le R i o - M o n t a g n a u n e l i g n e d e navigation à vapeur , d o n t le p r i v i l é g e e x c l u s i f lui e s t a s s u r é p e n d a n t d i x a n n é e s . Si d a n s l e c o u r a n t d ' u n e d e s c i n q p r e m i è r e s a n n é e s , la C o m p a g n i e n'exécutait pas l'une d e s c o n d i t i o n s f o n d a m e n t a l e s d u c o n t r a t , c e l u i - c i sera c o n s i d é r é c o m m e n o n a v e n u , et la C o m p a g n i e perdra t o u t droit à r e v e n d i c a t i o n .

Deux

RAPPORTS,

p r é s e n t é s par des m e m b r e s de la


(169) C o m m i s s i o n e n v o y é e au Guatemala, l'un aux fondateurs d e la C o m p a g n i e , l'autre a u M i n i s t r e d e l'intérieur, o n t é t é i m p r i m é s e t r é p a n d u s p a r l e s s o i n s d e la C o m p a g n i e . Le p r e m i e r , q u i porte le titre d e R A P P O R T de M. le chevalier

V A N D E N B E R G H E D E B I N C K E M , membre

de

la

Commission d'exploration dans l'Amérique centrale, à MM. les fondateurs de la Compagnie belge de colonisation (23 mai 1842, b r o c h . in-8°) , r e n d c o m p t e d e la situation d u port d e S a n t o - T h o m a s , d e la disposition d e sa baie et d e s e s r i v i è r e s , d e s p r o d u c t i o n s a c tuelles d u pays et d e celles a u x q u e l l e s il e s t propre ; de l'état p r é s e n t d u d i s t r i c t , d e ses b o u r g a d e s , d e ses c u l t u r e s , d e ses h a b i t a n t s , d e leurs m œ u r s , etc. Q u a n t au climat, o n ne pouvait m i e u x faire connaître s e s effets sur les E u r o p é e n s qu'en e x p o s a n t l'état sanitaire d e s m e m b r e s d e l'expédition p e n d a n t leur séjour dans le Guatémala. Voici c o m m e n t le rapport s'exprime à c e sujet : « Sur c i n q u a n t e h o m m e s qui c o m p o s a i e n t l'équipage de la Louise-Marie, o n n'en perdit pas u n s e u l , q u o i qu'ils aient d e m e u r é d e u x m o i s entiers à l'ancre d a n s la baie d e S a n t o - T h o m a s . « Il y e u t q u e l q u e s i n d i s p o s i t i o n s les premiers j o u r s ; mais au b o u t d e d e u x s e m a i n e s o n n e comptait p l u s u n seul malade à b o r d . » Plusieurs d'entre n o u s , y c o m p r i s les m é d e c i n s , c o u c h è r e n t sur l e p o n t d u n a v i r e , et passèrent ainsi plusieurs n u i t s e u plein a i r , les u n s d a n s leur l i t , les autres e n v e l o p p é s d e manteaux et c o u v e r t u r e s . 11 tombait c h a q u e nuit u n e très-forte rosée q u i mouillait tell e m e n t les c o u v e r t u r e s , qu'on était o b l i g é , l e l e n d e -


( 170 ) m a i n , d e les faire s é c h e r a u soleil. E h b i e n , malgré cela, p e r s o n n e d e n o u s n'en fut i n d i s p o s é . Il en fut d e m ê m e d e s m a t e l o t s qui d e m e u r è r e n t t o u t e s les n u i t s sur le p o n t , e n se partageant par m o i t i é . « T o u s les m e m b r e s de la C o m m i s s i o n d'exploration, malgré les fatigues inséparables d'un tel v o y a g e et les privations qui s ' e n s u i v i r e n t , n'ont pas c e s s é d e jouir d'une santé parfaite. » P a r m i les p r é c a u t i o n s à p r e n d r e c o m m e

mesures

h y g i é n i q u e s , le rapporteur r e c o m m a n d e : 1° d'user d e t o u t a v e c u n e g r a n d e s o b r i é t é ; 2° d e s'abstenir le plus p o s s i b l e de vin et «le l i q u e u r s ; 3° d e b i e n se c o u v r i r la tête p o u r se garantir d u soleil ; 4° d e se préserver de l'humidité par t o u s m o y e n s . «J'ai v u , ajoute-t-il, à O u r o a , village d e 500 â m e s , c i n q vieillards d e 90 ans et trois d e 100 à 105 a n s . L'alcade v e n a i t de perdre un d o m e s t i q u e âgé d e 122 ans. » La n o m e n c l a t u r e des p r o d u c t i o n s v é g é t a l e s d u Guatémala n e c o m p r e n d q u e d e s plantes qui é g a l e m e n t d a n s la G u y a n e française : bananier, maïs,

igname,

canne,

ananas,

croissent manioc,

e t c . , e t c . La c u l t u r e d e

ces d i v e r s e s plantes n'a pas pris jusqu'ici, dans le G u a témala, p l u s de d é v e l o p p e m e n t q u ' o n n e lui en a d o n n é dans la G u y a n e française. Le r a p p o r t e u r t e r m i n e en e n g a g e a n t les fondateurs d e la C o m p a g n i e à persévérer d a n s leur projet, et à d o n ner suite à cette affaire, qui lui paraît d e v o i r d e v e n i r , p o u r la B e l g i q u e , u n e s o u r c e d e r i c h e s s e et de prospérité. Le RAPPORT présenté

à M. le Ministre

de

l'intérieur


( 171 ) par

A.

T ' K I N T D E R O O D E N B E E K , sur

les

resultats

de

sa

mission comme membre de la Commission du gouvernement pour l'exploration de la V E R A - P A Z et du district de S A N T O - T H O M A S ( 2 3 mai 1842, b r o c h . in-8°), après un e x p o s é des n é g o c i a t i o n s q u e le c o m m i s s a i r e a e n t a m é e s avec le g o u v e r n e m e n t g u a t é m a l i e n , et d o n t il n'a p u attendre la f i n , c o m p r e n d q u e l q u e s n o t e s s o m maires : 1° S u r la p r o v i n c e de la V e r a - P a z et le district d e Santo-Thomas ; 0

2 S u r les c h a n c e s de s u c c è s d'une c o l o n i e b e l g e dans la Vera-Paz o u dans le district de S a n t o - T h o m a s , et les avantages qu'elle offrirait à la B e l g i q u e . S a n s s e p r o n o n c e r sur les effets q u e p o u r r o n t avoir le climat et la température d u pays sur les E u r o p é e n s , le rapporteur se b o r n e à i n d i q u e r quels s o n t , à c e t é g a r d , les i n c o n v é n i e n t s c o n t r e lesquels les é m i grants auront à lutter. Il e n g a g e c e u x qui se r e n d r o n t dans la c o l o n i e à c o m m e n c e r leurs é t a b l i s s e m e n t s s u r les collines et à n e d e s c e n d r e q u e p e u à p e u d a n s les terrains bas. Le district de S a n t o - T h o m a s lui paraît, tant p o u r les facilités intérieures qu'il p r é s e n t e , q u e p o u r les avantages d e sa situation s o u s le rapport des relations c o m m e r c i a l e s a v e c la B e l g i q u e , m é r i t e r d e b e a u c o u p la préférence sur la p r o v i n c e de la Vera-Paz. Il fait grand f o n d s , p o u r l'exécution d e s travaux d e premier é t a b l i s s e m e n t , sur l'emploi des nègres libres, faisant partie d e la p o p u l a t i o n d e S a n t o - T h o m a s : « U n b o n travailleur n è g r e , dit-il, fait p r e s q u e autant d e b e s o g n e q u e quatre I n d i e n s . . . « Q u a n t à faire travailler les c o l o n s e u r o p é e n s , bel


( 172 ) g e s o u a u t r e s , je crois q u e l'expérience s e u l e pourra n o u s en d é m o n t r e r la possibilité. T o u t e f o i s , u n e s a g e distribution d e leurs heures de travail, et s u r t o u t u n e vie s o b r e et réglée, ainsi q u ' u n e h y g i è n e sage, en aplaniront b e a u c o u p les difficultés. J'attribue particulièrem e n t à ces dernières p r é c a u t i o n s , q u e , malgré les g r a n d e s fatigues q u e j'ai s u p p o r t é e s dans ce p a y s , je m'y suis t o u j o u r s fort b i e n porté. » L e s Anglais avaient fait dans le G u a t é m a l a , à A b b o t t s v i l l e , u n e tentative de c o l o n i s a t i o n d o n t

l'issue

n'avait p o i n t été h e u r e u s e . M. d e R o o d e n b e e k r e c h e r c h e les c a u s e s de cet i n s u c c è s , et il r e c o n n a î t q u e « la plupart des c o l o n s anglais n e travaillent pas. Ils s o n t p a r e s s e u x , b u v e u r s et m è n e n t u n e vie d é r é g l é e . L'entreprise a été mal d i r i g é e . Les c o l o n s s o n t arrivés d a n s u n e c o n t r é e o ù a u c u n c o m m e n c e m e n t de travaux n'avait e u l i e u , o ù ils étaient t o u r m e n t é s par les m o u s t i q u e s , et o ù les m o y e n s d e c o m m u n i c a t i o n étaient difficiles. Ils n'ont point c o n t i n u é leurs p r e m i e r s défric h e m e n t s , ni tiré a u c u n parti des terres défrichées. L ' e m p l a c e m e n t d e la c o l o n i e était mal choisi s o u s le rapport d u climat. L e s maladies qui en furent la c o n s é q u e n c e , ainsi q u e celles qui p r o v i n r e n t d e l'intempérance des h a b i t a n t s , a j o u t è r e n t aux m a u x d e la c o l o n i e . Les meilleurs c o l o n s o n t é m i g r é ; le m i n i s t r e protestant est de c e n o m b r e . » Ces c a u s e s d u mal s i g n a l é e s , o n devra nécessairem e n t , si l'on v e u t r é u s s i r , p r o c é d e r d e façon à les p r é v e n i r . La situation d e S a n t o - T h o m a s paraît offrir à c e sujet t o u t e s les facilités d é s i r a b l e s . L'auteur du rapport e x p o s e ainsi les motifs de la préférence qu'il


( 173 ) croit devoir

donner à

ce

district sur celui

de la

Vera-Paz : « D'abord t o u t e la baie d e S a n t o - T h o m a s et la c ô t e qui s'étend a u n o r d d e c e t t e b a i e j u s q u ' a u R i o - D o l c e , f o r m e n t u n e des parties les p l u s salubres d e l ' A m é r i q u e centrale. • S o u s le rapport d u sol et d e s r e s s o u r c e s a g r i c o l e s , S a n t o - T h o m a s p r é s e n t e les m ê m e s a v a n t a g e s q u e la Vera-Paz. Q u a n t au c o m m e r c e maritime, la baie forme u n port vaste e t s û r , d'où l'on pourrait établir des m o y e n s d e c o m m u n i c a t i o n a v e c les pays d ' o u t r e - m e r et avec l ' i n t é r i e u r , et c o n s e r v e r des relations faciles et s u i v i e s a v e c la B e l g i q u e . « E n f i n , à S a n t o - T h o m a s l ' e x é c u t i o n d u travail salarié présenterait m o i n s de difficultés qu'à la V e r a - P a z . « La

colonisation

du district

de

Santo-Thomas

pourrait dans la s u i t e s'étendre j u s q u e d a n s les parties é l e v é e s d e la

V e r a - P a z , qui s o n t s i t u é e s de l'autre

côté du Rio-Dolce. » A l'époque o ù M. d e R o o d e n b e e k rédigea c e r a p port, on ne

c o n n a i s s a i t pas e n c o r e le

résultat

de

la mission d u c o l o n e l de P u y d t , e n v o y é près d u g o u v e r n e m e n t g u a t é m a l i e n p o u r traiter d e la c e s s i o n du territoire. M. de R o o d e n b e e k n'avait d o n c pas à form u l e r d e c o n c l u s i o n s précises s u r ce p o i n t . Mais rais o n n a n t sur l ' h y p o t h è s e d e la c e s s i o n d u port d e SantoT h o m a s a v e c des priviléges qui mettraient les c o l o n s belges h o r s d'atteinte de la c o n c u r r e n c e a n g l a i s e , il regarde ce port c o m m e p o u v a n t « servir d'entrepôt général au c o m m e r c e belge dans les Indes-Occiden-


( 174 ) taies. Un pareil é t a b l i s s e m e n t rehausserait

le

com-

m e r c e maritime b e l g e , et pourrait le m e t t r e à la h a u teur d e l'industrie e n B e l g i q u e . Par l u i , a j o u t e - t - i l , notre pays pourrait d o n c a c q u é r i r u n e m a r i n e p u i s s a n t e , c o m m e jadis la H o l l a n d e et l'Angleterre o n t dû leur p u i s s a n c e m a r i t i m e à leurs C o m p a g n i e s d e s I n d e s Occidentales. » D è s q u e le c o l o n e l d e P u y d t e u t rapporté le traité conclu

a v e c le g o u v e r n e m e n t g u a t é m a l i e n p o u r la

c e s s i o n à la C o m p a g n i e b e l g e d u district d e S a n t o T h o m a s , la C o m p a g n i e r é u n i t o u r é s u m a e n u n e b r o c h u r e t o u t e s les p i è c e s q u e le p u b l i c pouvait avoir intérêt à c o n n a î t r e s u r les résultats d e l'exploration et d e s c o n v e n t i o n s a r r ê t é e s , « afin, d i t - e l l e , d e d o n n e r à c h a c u n les m o y e n s d e j u g e r a v e c c o n n a i s s a n c e de c a u s e d u d e g r é d ' i m p o r t a n c e d e ses o p é r a t i o n s , et d e s avantages q u e c e u x qui y p r e n d r o n t part p o u r r o n t e n recueillir. » C e t t e b r o c h u r e p o r t e le titre d e de

tous

les documents

relatifs

Collection

au Guatemala.

Elle

contient : 1° L e s i n s t r u c t i o n s d o n n é e s à la C o m m i s s i o n sur l'objet de ses r e c h e r c h e s ; a" Le r é s u m é d u rapport d e M. V a n d e n b e r g h e d e Binckem ; 3° Les différents rapports e n v o y é s s u c c e s s i v e m e n t par M. le c o l o n e l d e P u y d t . L e premier rAPPORT d u c o l o n e l d e P u y d t est d a t é d e la baie d e S a n t o - T h o m a s , 15 j a n v i e r 1842 ,

dix

j o u r s après s o n arrivée. Il n'y est q u e s t i o n e n c o r e que d e l ' a s p e c t , d e la disposition et des qualités p h y s i q u e s


( 175 ) d u pays. Déjà c e p e n d a n t la question d e salubrité ne taisait plus u n d o u t e p o u r M. d e Puydt. « Il r é s u l t e , dit-il,

de ces explorations

et d e s

renseignements

o b t e n u s par n o s relations a v e c les h a b i t a n t s d u p a y s , que dès ce

moment nous sommes à

même

de

ré-

s o u d r e f a v o r a b l e m e n t d e u x des principales q u e s t i o n s q u e n o u s a v o n s à traiter : la salubrité e t la valeur du sol s o u s le rapport d e s p r o d u c t i o n s . . . . D a n s m o n o p i n i o n , il n'y a pas de pays plus sain q u e la partie d u district

de S a n t o - T h o m a s

avoisinant

le g o l f e

de

Honduras. » Q u a n t à la situation , elle paraît à M . d e P u y d t r é p o n d r e e n t i è r e m e n t aux d e s s e i n s d e la C o m p a g n i e . « U n é t a b l i s s e m e n t à S a n t o - T h o m a s est c h o s e e x t r ê m e m e n t désirable. Il réaliserait à lui seul t o u t e s les espérances que sous

le rapport

la C o m p a g n i e a pu c o n c e v o i r , tant a g r i c o l e q u e s o u s le rapport c o m -

mercial. » Le d e u x i è m e R A P P O R T , daté d ' A b b o t t s v i l l e , le 5 fév r i e r , reproduit, e n les d é v e l o p p a n t et l e s c o n f i r m a n t , les o b s e r v a t i o n s c o n s i g n é e s d a n s le p r e m i e r . Il entre dans de plus l o n g s détails s u r le c l i m a t , la température , les p r o d u c t i o n s . E n voici la c o n c l u s i o n : « La Vera-Paz, c o m m e le district d e S a n t o - T h o m a s , est un pays beau et riche par ses produits de t o u t e n a t u r e . « Le c l i m a t , s u r t o u t à l ' i n t é r i e u r , est d o u x , l'air s a l u b r e ; les p o p u l a t i o n s e u r o p é e n n e s n ' o n t , pas plus q u e les i n d i g è n e s , à craindre l e s maladies d o n t o u avait v o u l u n o u s e f f r a y e r , car c e s maladies n'existent pas. » Le t r o i s i è m e RAPPORT écrit à A b b o t t s v i l l e , c i n q j o u r s


(

176

)

après le p r é c é d e n t , e x p o s e et e s t i m e le travail et le p r o d u i t de la c u l t u r e d e c e r t a i n e s p l a n t e s , telles q u e le c a f é , le r i z , l e m a ï s , la c a n n e , ainsi q u e les d é p e n s e s qu'aurait

à faire u n e famille p o u r s'établir et

se c r é e r d è s m o y e n s d e s u b s i s t a n c e . O n y lit : « O n n'a d o n c qu'à v o u l o i r travailler aussi peu le font les I n d i e n s , c ' e s t - à - d i r e , journalier

que

le quart d u travail

d ' E u r o p e , p o u r couvrir la terre d e t o u t e s

sortes d e m o i s s o n s ; et si v o u s n o u s e n v o y e z d e s h o m m e s p r o p r e s et c o u r a g e u x , ils s o n t assurés de v i v r e b i e n tôt dans la p r o s p é r i t é . Les h o m m e s qu'il faut e n v o y e r ici d o i v e n t

être

des paysans,

des charpentiers

et

menuisiers, des b û c h e r o n s , surtout des cultivateurs; mais il c o n v i e n t q u e le p r e m i e r e n v o i se c o m p o s e d e quinze o u v i n g t familles au plus ayant d e s r e s s o u r c e s p o u r passer les six p r e m i e r s m o i s ; enfin

un

prêtre

sachant l'espagnol o u d i s p o s é à l'apprendre. » L e q u a t r i è m e RAPPORT p o r t e la date d e G u a t é m a l a , le 20 avril 1842.

Celui-ci a n n o n c e la c o n c l u s i o n de la

n é g o c i a t i o n relative à la c e s s i o n

de S a n t o - T h o m a s ,

aux c o n d i t i o n s qui o n t été a n a l y s é e s c i - d e s s u s . Il n'y m a n q u a i t plus q u e la ratification d e la c h a m b r e l é g i s l a t i v e , q u i n e tarda pas à être a c c o r d é e . M . de P u y d t rend c o m p t e d e la m a r c h e qu'il a suivie p o u r c o n d u i r e c e t t e affaire à b o n n e fin , et t e r m i n e ainsi : « L ' A m é r i q u e c e n t r a l e est à mes y e u x le plus beau pays d e la terre. Il r e n f e r m e d e très-grandes r i c h e s s e s ; il r é u n i t t o u s les é l é m e n t s d e l'industrie la p l u s p r o d u c t i v e et la plus v a r i é e . La nature lui a p r o d i g u é t o u s ses d o n s

L o r s q u e les projets d e

c o l o n i s a t i o n d e M. Obert m e furent

communiqués


( 177 ) p o u r la p r e m i è r e fois à B r u x e l l e s , en janvier 1841, j'avais e n t r e v u certains avantages dans les résultats q u e l'avenir pourrait a m e n e r . D e p u i s q u e j e suis s u r les l i e u x , d e p u i s q u e j'ai v u les extraordinaires r e s s o u r c e s qu'offre c e pays , d o n t la s i t u a t i o n , s o u s le rapport d u h a u t c o m m e r c e , est p e u t - ê t r e la plus favorable d u m o n d e e n t i e r ; d e p u i s q u e j e c o n n a i s l'imp u i s s a n c e d e la p o p u l a t i o n , les résultats a n n o n c é s n'ont p l u s à m e s y e u x rien d'exagéré. » La C o m p a g n i e b e l g e , m i s e dès lors en possession d u district d e S a n t o - T h o m a s , fit, p o u r le c o l o n i s e r , u n appel à l'émigration. A u x t e r m e s d e l'art. 8 d e ses statuts o r g a n i q u e s , elle fonda sa s o c i é t é c o l o n i a l e s u r les bases de l'association r é c i p r o q u e m e n t intéressée d e l'industrie et du capital,

et consacra le principe m ê m e

d e l'organisation

le titre d e C O M M U N A U T É DE

dans

L ' U N I O N , d o n t elle fit c h o i x p o u r s o n é t a b l i s s e m e n t . Elle publia en u n e b r o c h u r e i n t i t u l é e : Communauté l'Union fondée et

approuvée

vembre

1842

par la Compagnie par

arrêté

royal

belge de en date

de

colonisation, du

26

no-

(in-8°, 1842), les clauses d u contrat à

intervenir e n t r e la C o m p a g n i e et les m e m b r e s de la C o m m u n a u t é . Les principales s o n t : (Art. 3.) Huit mille lots d e 25 hectares c h a c u n s o n t offerts en s o u s c r i p t i o n par la C o m p a g n i e au n o m et p o u r le c o m p t e de la C o m m u n a u t é . Sur c h a c u n de c e s lots (art. 4)5 h e c t a r e s font partie d e la C o m m u n a u t é ; les 20 autres p e u v e n t être e m p l o y é s par le s o u s c r i p teur en d e h o r s de celle-ci. Le prix est d e 20 fr. par hectare (art 5.), o u 500 fr. par l o t , p o u r les a c q u é r e u r s

12


(

178

)

qui auront souscrit dans le délai d e 3 o j o u r s ; 30 fr. o u 750 fr. par l o t p o u r c e u x qui s o u s c r i r o n t d a n s le délai d e 3 m o i s après l'expiration d e c e s trente j o u r s . Après c e t t e é p o q u e le prix sera a u g m e n t é . (Art.

13.

La C o m m u n a u t é s e c o m p o s e : 1° d e la

C o m p a g n i e b e l g e d e c o l o n i s a t i o n ; 2° d e t o u s les porteurs d e titres d e C o m m u n a u t é . D e p l u s , la C o m m u n a u t é a d m e t au partage, d a n s le tiers d e s d i v i d e n d e s , t o u t e s les p e r s o n n e s qui s o n t c o n s i d é r é e s c o m m e travailleurs d e la C o m m u n a u t é , c'est-à-dire (art. 1 4 ) , celles qui o n t , à q u e l q u e titre q u e c e s o i t , é t é e m p l o y é e s par la C o m m u n a u t é p e n d a n t u n e a n n é e e n t i è r e a u m o i n s , et e n A m é r i q u e . (Art. 16.) La C o m m u n a u t é a p o u r objet : 1° D'associer la propriété et le c a p i t a l , e t d'appeler le travail au partage des d i v i d e n d e s ; a" D e créer d e s é t a b l i s s e m e n t s agricoles industriels et c o m m e r c i a u x d a n s le district d e S a n t o - T h o m a s ; 3° D'établir des relations d e c o m m e r c e

entre ce

p a y s et la B e l g i q u e . (Art. 18.) L e s divers é t a b l i s s e m e n t s de la C o m m u nauté à Santo-Thomas doivent ê t r e , en tout t e m p s , a p p r o v i s i o n n é s par ses s o i n s d e t o u s les o b j e t s n é c e s saires à l'entretien d e s travailleurs. T o u s c e s o b j e t s s o n t t e n u s à l e u r d i s p o s i t i o n , et l e u r s e r o n t fournis (art. 19) e n é c h a n g e d e s b o n s a u p o r t e u r qui s e r o n t c r é é s par la C o m p a g n i e p o u r le c o m p t e d e la C o m m u n a u t é , e t q u e les m e m b r e s d e la C o m m u n a u t é s o n t t e n u s

de

recevoir en p a y e m e n t . L e s prix d e s objets a c h e t é s aux m a g a s i n s s e r o n t a u g m e n t é s d'au m o i n s u n d i x i è m e q u a n d o n les payera en e s p è c e s .


( 179 ) Les

travailleurs (art. 20)

doivent à

la

Commu-

nauté : 1° S o i t u n travail journalier , soit l ' a c c o m p l i s s e m e n t d'une t â c h e à c o n v e n i r ; 2° L e u r c o n c o u r s p o u r le m a i n t i e n de l'ordre et le service d e la g a r d e d e la C o m m u n a u t é . Après avoir (art. 22) satisfait à ces c o n d i t i o n s , c h a q u e travailleur e s t libre d e v i v r e à sa c o n v e n a n c e , et de d i s p o s e r d u t e m p s qui lui r e s t e ; il a droit d e p o s s é d e r à titre q u e l c o n q u e , t o u t e e s p è c e d e b i e n s , m e u b l e s et immeubles. Les travailleurs (art. 3o) o n t droit sans a u c u n s frais: 1° A l'usage des é c o l e s f o n d é e s par la C o m m u n a u t é ; 2° A u x avantages d e la création d'un s e r v i c e

de

santé; 3° E t c . , e t c . (Art. 3 1 . ) L e s m i l l e p r e m i e r s c o l o n s travailleurs de la C o m m u n a u t é

arrivés à S a n t o - T h o m a s ,

indépen-

d a m m e n t d e leur part des b é n é f i c e s , r e ç o i v e n t gratuitement : 1° C h a q u e travailleur, 5 o acres d e t e r r e ; 2° C h a q u e travailleur qui s e marie à S a n t o - T h o m a s , 5 o acres d e p l u s ; 3° A la n a i s s a n c e d e c h a q u e enfant i s s u d e m a r i a g e , 25 acres. La p r o p r i é t é d e s terres a c c o r d é e s d e c e t t e m a n i è r e n e sera d é f i n i t i v e m e n t a c q u i s e qu'après trois a n n é e s c o n s é c u t i v e s d e travail n o n i n t e r r o m p u d a n s la C o m munauté. 1° A p r è s trois a n n é e s d e travail c o n t i n u , les c i - d e s s u s stipulées s o n t d o u b l é e s ; 1 2.

parts


(

180

)

2° Elles s o n t triplées p o u r c e u x qui a u r o n t contin u é leurs services sans i n t e r r u p t i o n pendant

vingt

ans. T o u t travailleur d e la C o m m u n a u t é (art. 33) qui a rempli s e s e n g a g e m e n t s ,

p e u t la quitter lorsqu'il le

juge convenable. T o u s les intérêts d e la C o m m u n a u t é (art. 35) s o n t régis par le C o n s e i l g é n é r a l de la C o m p a g n i e , a d m i nistrés par le C o m i t é des d i r e c t e u r s , e t surveillés par les c o m m i s s a i r e s d u G o u v e r n e m e n t . A u 31 juillet d e c h a q u e a n n é e (art. 51), le bilan d e la C o m m u n a u t é est établi par les s o i n s d u Conseil c o l o nial. Le partage d e s bénéfices

est r é g l é (art. 52) par

le C o n s e i l général. A p r è s a p p r o b a t i o n d u Conseil g é néral (art. 53),

la répartition du p r o d u i t net e s t faite

entre t o u s les m e m b r e s d e la C o m m u n a u t é . Sur les p r o d u i t s n e t s (art. 54) r é s u l t a n t d e s e x p l o i t a t i o n s a g r i c o l e s , industrielles et a u t r e s , c r é é e s par la C o m m u n a u t é , il est o p é r é u n e r e t e n u e d e 40 p . 1 o o , destinée : 1° A f o n d e r u n e caisse d e p r é v o y a n c e p o u r s u b v e nir aux frais d u c u l t e c a t h o l i q u e et d e s é c o l e s , p o u r v o i r à l'entretien d e s o r p h e l i n s , et assurer le s e r v i c e sanitaire; 2° A fonder u n e caisse d e p e n s i o n s d e r e t r a i t e ; 3° A être e m p l o y é e a u x travaux d'utilité g é n é r a l e , tels q u e c o m m u n i c a t i o n s , é t a b l i s s e m e n t s agricoles et industriels, propres à faciliter le d é f r i c h e m e n t et à a m e ner l'amélioration d e la propriété rurale. Aussi l o n g t e m p s q u e la r e t e n u e c i - d e s s u s m e n t i o n n é e n e sera pas suffisante

p o u r assurer ces

divers


(

services,

il

y

sera

181

pourvu

)

par

la

Communauté.

Cette r e t e n u e o p é r é e (art. 5 5 ) , le restant des p r o duits n e t s est p a r t a g é , par les s o i n s d u Conseil g é n é r a l , de la m a n i è r e s u i v a n t e : U n tiers appartient aux s o u s c r i p t e u r s , et est partagé e n t r e t o u s les porteurs d e titres d e C o m m u n a u t é ; U n tiers appartient à la C o m p a g n i e , e t e s t partage e n t r e t o u s les a c t i o n n a i r e s ; U n tiers appartient aux travailleurs d e la C o m m u n a u t é , e t est partagé e n t r e e u x . L'art. 6 0 , p r é v o y a n t la liquidation à l'expiration d u terme d e la C o m m u n a u t é , règle la m a n i è r e d o n t il sera d i s p o s é , soit par répartition par v o i e du tirage au s o r t , e n t r e les p o r t e u r s d e titres de C o m m u n a u t é et la C o m p a g n i e b e l g e d e c o l o n i s a t i o n , so i t par v e n t e o p é r é e par la C o m p a g n i e , d e t o u t e s les p r o p r i é t é s d e la Communauté. LA publication de ces Statuts était le dernier des faits préparatoires que la Compagnie belge de colonisation eût à accomplir avant de s'occuper de la formation de la Communauté de l'Union. Le rapprochement des dates s u f f i r a pour faire connaître l'effet que cet appel produisit parmi la population belge. L'arrêté qui approuve l'acte constitutif de la Communauté de l'Union, est du 26 novembre 1842. Le 3 février 1813, on terminait les préparatifs pour un premier départ de colons, et six semaines après, deux navires mettaient à la voile à Anvers et à Ostende pour transporter à SantoThomas le noyau de la nouvelle colonie. Il nous a paru intéressant de rapporter ici les détails suivants, extraits de quelques Journaux.

Extrait du Moniteur belge. (3 février 1843.

L'expédition de colonisation pour le Guatémala va partir prochainement. L'atelier chargé de jeter les premiers l'on-


( 182 ) dements de lu nouvelle colonie a été organisé par les soins de M. l'ingénieur Simons; il va partir avec un véritable personnel d'élite, composé de chefs de service, de contremaîtres et d'ouvriers. Il y a des ingénieurs, des minéralogistes, des chimistes, des mécaniciens, des représentants de tous les principaux métiers, et des agriculteurs. Ce personnel, peu nombreux, puisqu'il ne se compose que d'une soixantaine de personnes, est disposé de manière à pouvoir admettre, employer et conduire six cents travailleurs. En attendant qu'il demande des ouvriers europ é e n s , le directeur se servira des nègres et des Indiens qui sont sur les lieux, et il emporte, à cet effet, des sommes suffisantes. L'atelier est pourvu de toutes le» machines, outils et ustensiles propres aux travaux; des armes, des munitions, des objets d'habillement, des provisions de toute espèce, des médicaments, e t c . , sont prêts à être e m barqués.

Extrait du Moniteur universel. (9 février 1843). Ou lit dans le Journal de Bruxelles : Les daines belges n'ont pas voulu que l'oeuvre de charité des fondateurs de la Compagnie belge de colonisation restât incomplète ; elles s'occupent avec zèle de réunir tous les objets nécessaires à la célébration du culte à Santo-Thomas. Par les soins de la Compagnie, les membre» de l'expédition qui va partir pour la colonie seront pourvus de tout ce qui peut assurer leur bien-être et faciliter leurs travaux. Il» emporteront avec eux des maisons et des meubles, de sorte que, dès leur débarquement, ils seront établis convenablement. Mais les dames belges, dont la piété active embrasse


( 183 ) tant de bonnes œuvres, ont pensé qu'il ne suffisait pas de pourvoir aux besoins du corps; elles veulent aussi qu'il soit satisfait aux besoins de l'âme, et que, dès leur arrivée, les hommes entreprenants q u i , par leurs travaux, doivent faire honorer le nom belge dans le Nouveau M o n d e , puissent entendre le service divin dans un lieu convenable. A cet effet, elles se sont réunies dans le but de fournir, pour la chapelle de Santo-Thomas, qu'on construit en ce moment dans les ateliers de M. Vandermaelen, tous les objets nécessaires à la célébration du culte. La reine des Belges, qui, lorsqu'il s'agit d'une bonne œ u v r e , ne laisse jamais échapper l'occasion de donner l'exemple, a pris sous sa protection cette pieuse association, dont la présidence a été conférée à madame la comtesse Henri de Mérode. Hier, à l'hôtel de madame la présidente, a eu lieu la première réunion. M. Becq, curé des Minimes, assistait à cette assemblée, où l'on remarquait un grand nombre de dames appartenant à nos premières familles. D'autres réunions auront encore lieu. Nul doute que l'association, qui a pour but de fonder et de protéger la première Église dans la colonie belge de Santo-Thomas, ne trouve en Belgique des sympathies et une coopération d'efforts pour lui faire atteindre son but.

Extrait du Moniteur universel. (19 mars 1843). DÉPARTDUThéodore LE

E T DE la Louise-Marie

POUR

GUATÉMALA.

Les vents, qui étaient contraires le jour où le Théodore devait partir d'Anvers, et la Louise-Marie d'Ostende, ont


(

184

)

changé tout à coup dans la matinée du 16 mars, et sont devenus tout à fait favorables. Hier d o n c , à quatre heures et demie de l'après-midi, le Théodore est sorti du bassin et a descendu la rivière jusqu'au fort du Nord pour y charger quelques barils de poudre. Au moment du départ du navire à bord duquel se trouvent le médecin de l'expédition, M. Flessu, et cinquantedeux colons, plusieurs allocutions ont été prononcées. M. le comte Félix de Mérode et plusieurs autres personnes étaient aussi présents au départ du Théodore. Ce navire a passé la nuit devant le fort du N o r d , et ce matin, à six heures, il a fait voile pour Flessingue, d'où il se dirigera vers Madère, point de ralliement des deux navires de l'expédition, qui doivent ensuite faire voile de concert jusqu'à Santo-Thomas. Hier matin, avant leur départ, tous les hommes qui font partie de l'expédition avaient assisté à l'office divin dans l'église des Jésuites, à Anvers. Voici maintenant ce qu'on nous écrit d'Ostende, 16 mars:

« « « « « «

« Hier sont arrivés dans notre ville, pour s'embarquer à bord de la goëlette de l'État ta Louise-Marie, MM. Simons, directeur colonial ; T'Kint de Roodenbeek, commissaire de la Compagnie de colonisation de Guatemala ; Tardieu, secrétaire général de colonisation, et Delwarde, ingénieur des ponts et chaussées. A u j o u r d ' h u i , à midi, M. Martial Cloquet, consul à Guatémala, est également

« « « «

arrivé et s'est rendu aussitôt à bord. La goëlette avait quitté le bassin à onze heures et demie. A une heure, l'inspection de l'équipage a été passée par M. le capitaine de vaisseau Lahure, chef de division au ministère de la marine. A deux heures, la goëlette a nus sous voiles; elle


( 185 ) se r e n d , connue on sait, dans la baie de Santo-Thomas; elle doit relâchera Sainte-Croix de Ténériffe. « Son départ de Santo-Thomas, pour revenir eu Belg i q u e , est fixé au 25 juin. Ainsi, dans le courant du mois d'août, nous aurons des nouvelles de cette expédition, qu'accompagnent les vœux et les espérances de la Belgique entière. »


ESSAI DE

COLONISATION

LA

EUROPÉENNE

GUYANE HOLLANDAISE. 1843.

ARRÊTÉ ROYAL, prescrivant les mesures à prendre l'établissement d'une colonie de travailleurs péens

pour euro-

à SURINAM.

« V u le rapport d e n o t r e ministre des c o l o n i e s , d u 23 j a n v i e r 1 8 4 3 , litt. B , n° 2 2 , par lequel il n o u s prés e n t e , d û m e n t r e n s e i g n é s , plusieurs d o c u m e n t s c o n c e r n a n t l'idée d e faire, d a n s la c o l o n i e d e S u r i n a m , u n essai d e c o l o n i s a t i o n

e u r o p é e n n e , parmi

lesquelles

pièces il se t r o u v e u n e adresse d e M M . A. V a n d e n Brandhoff, J. H. B e t t i n g et D. C o p y n , r e s p e c t i v e m e n t prédicateurs à E l s t , Beest e t W i l n i s , par laquelle ils s e p r é s e n t e n t , s o u s les c o n d i t i o n s y d é v e l o p p é e s , p o u r s e m e t t r e à la tète d'une s e m b l a b l e c o l o n i s a t i o n , qui se c o m p o s e r a i t d'abord d e d e u x c e n t s m é n a g e s à c h o i sir parmi la classe a p p a u v r i e d e c u l t i v a t e u r s d a n s les c o m m u n e s d u plat p a y s ; « C o n s i d é r a n t q u e , d a n s l'intérêt d e l'Etat e n g é n é ral, et particulièrement d a n s celui d e la c o l o n i e d e S u r i n a m , on peut attendre d e s résultats favorables d'une

I


( 187 ) bonne

c o l o n i s a t i o n , et qu'il est o p p o r t u n d e

faire

c e s s e r l'incertitude à cet égard par un essai s u r une é c h e l l e assez large p o u r p o u v o i r d é c i d e r la q u e s t i o n d'une m a n i è r e p o s i t i v e ; « A v o n s arrêté et a r r ê t o n s : ER

« ART. 1

L'offre d e s trois prédicateurs n o m m é s

c i - d e s s u s , par laquelle ils s'obligent à t e n t e r un essai de c o l o n i s a t i o n e u r o p é e n n e à Surinam , est a c c e p t é e en t e r m e s g é n é r a u x par n o u s , en leur t é m o i g n a n t n o tre a p p r o b a t i o n d u l o u a b l e esprit d'entreprise d o n t ils o n t fait p r e u v e à c e t t e o c c a s i o n . « A R T . 2. L e r é v é r e n d M. J. H . B e t t i n g , a c c o m p a g n é d e d e u x c u l t i v a t e u r s h a b i l e s , p r o p o s é s par lui au d é p a r t e m e n t des c o l o n i e s , s'embarquera aussitôt q u e possible p o u r S u r i n a m , afin de choisir, d e c o n c e r t avec n o t r e g o u v e r n e u r g é n é r a l , u n e n d r o i t c o n v e n a b l e pour la c o l o n i s a t i o n d o n t il s'agit. 11 p r é p a r e r a , a v e c l'aide des r e s s o u r c e s l o c a l e s , t o u t c e qui sera nécessaire p o u r la r é c e p t i o n et l ' é t a b l i s s e m e n t ,

d'abord de c i n q u a n t e

m é n a g e s , qui n e partiront n é a n m o i n s d'ici q u e lorsqu'on aura reçu avis d e l'exécution d e s m e s u r e s p r é paratoires, et après q u e n o u s a u r o n s a p p r o u v é le r è g l e m e n t m e n t i o n n é à l'art. 4 d u p r é s e n t arrêté. « A R T . 3 . Après l ' é t a b l i s s e m e n t d e c e s

cinquante

premiers m é n a g e s , et lorsque l'expérience aura r e c o m m a n d é la c o n t i n u a t i o n de l'essai, les autres c e n t c i n q u a n t e m é n a g e s partiront d'ici, par d é t a c h e m e n t s bien o r g a n i s é s , s o u s la c o n d u i t e de M M . les r é v é r e n d s A. V a n d e n Brandhoff et D . C o p y n , après t o u t e f o i s qu'on aura reçu avis q u e t o u t a été préparé d a n s la c o l o n i e pour les recevoir.


( 188 ) « Апт. 4. N o t r e g o u v e r n e u r général aux Indes-Occid e n t a l e s fera et t r a n s m e t t r a , a u s s i t ô t q u e p o s s i b l e , au d é p a r t e m e n t d e s c o l o n i e s , u n projet d e r è g l e m e n t prov i s o i r e , en h a r m o n i e a v e c les c i r c o n s t a n c e s

locales,

p o u r la c o l o n i s a t i o n d o n t il s'agit. Ce r è g l e m e n t i n d i q u e r a les c o n d i t i o n s d e l ' é t a b l i s s e m e n t , les droits et les o b l i g a t i o n s des c o l o n s , la n a t u r e d e s administrations civiles et r e l i g i e u s e s à é t a b l i r , ainsi q u e le rapport d e ces administrations avec les a u t o r i t é s . Le g o u v e r n e u r général s'entendra à c e t effet a v e c le révérend M. B e t ting, n o m m é ci-dessus. « Les c o l o n s , en c o n t r a c t a n t leurs e n g a g e m e n t s , résultant d e la c o l o n i s a t i o n , d é c l a r e r o n t par écrit se soumettent, tions

sans

aucune

restriction,

à

ces

qu'ils disposi-

réglementaires.

« A R T . 5. La p r o p o s i t i o n relative aux m é n a g e s à c o l o n i s e r e s t laissée aux p r é d i c a t e u r s n o m m é s d a n s le présent arrêté ; m a i s leur a d m i s s i o n définitive est s o u mise à l'approbation d u d é p a r t e m e n t d e s c o l o n i e s , qui peut p r e n d r e les m e s u r e s nécessaires p o u r faire u n b o n choix. « A R T . 6. Q u a n d l'essai à faire aura atteint le chiffre de d e u x cents ménages , notre ministre des colonies n o u s a d r e s s e r a , d a n s le m o i n d r e délai p o s s i b l e , un rapport e x a c t d e s résultats o b t e n u s et d e c e u x qu'on peut a t t e n d r e à l'avenir, le t o u t en rapport avec la q u e s t i o n de l ' é r e c t i o n , le cas é c h é a n t , d'une association p a r t i c u l i è r e , qui se chargerait d e la c o l o n i s a t i o n u l t é r i e u r e , s o u s la p r o t e c t i o n spéciale du G o u v e r n e m e n t , et sous l'obtention des avantages et des faveurs qu'on jugera alors nécessaire d'accorder à c e l t e société.


( 189

)

« ART. 7. Les d é p e n s e s résultant d u p r e m i e r essai seront s u p p o r t é e s par le trésor c o l o n i a l , sur le pied et d e la m a n i è r e qui seront u l t é r i e u r e m e n t arrêtés par nous. « N o t r e m i n i s t r e des c o l o n i e s est c h a r g é d e l'exécution d u p r é s e n t a r r ê t é , d o n t e x p é d i t i o n s s e r o n t transmises à n o t r e m i n i s t r e d'Etat c h a r g é d u département des c u l t e s r é f o r m é et a u t r e s , p o u r i n f o r m a t i o n et di rection. « La H a y e , le 25 janvier

1843.

Signé

GUILLAUME.

« Le m i n i s t r e des c o l o n i e s , Signé

J. C. B A U D . »

COLONISATION DE S U R I N A M . Extrait

du journal

hollandais le Contemporain.

(18 février 1843).

Nous avons lu avec beaucoup d'intérêt l'arrêté du roi du 25 janvier 1 8 4 3 , concernant le projet d'établir une colonie européenne à Surinam. Nous attendons avec la plus grande impatience le résultat de la commission qui y a été envoyée, et qui est déjà partie. Si l'on prend en considération la situation do la colonie et les tristes causes de sa décadence, il serait difficile, à notre avis, d'arriver à une autre solution que celle-ci : La colonisation européenne est le moyen le plus efficace d'\ rétablir la prospérité. La population esclave, c'est-à-dire, la population travailleuse, diminue annuellement, suivant les u n s , de 2 , suivant d'autres, de 3 pour 100. Outre cette mortalité, on


(

190

)

court le danger continuel d'évasions vers les colonies anglaises libres ; évasions dont on a déjà plusieurs exemples. La population noire libre est trop paresseuse ou trop fière pour labourer la terre; trop pauvre, trop ignorante et trop négligente pour établir des fabriques ou pour s'adonner à d'autres branches industrielles. Il faut ajouter qu'à Surinam l'agriculture et l'industrie sont très-arriérées. Les productions ne pouvant entrer en concurrence pour le prix avec celles des autres contrées, «donnent de la perte, et le nombre des exploitations (plantages) diminue «le plus en plus; en un m o t , la colonie s'appauvrit et décline; ce qui est évidemment prouvé par l'agio q u i , sur le change, est de 40 à 50 pour 100 de perte, depuis qu'en 1826 le papier-argent fut réduit à la moitié de sa valeur nominale. Cette situation est déplorable, sans «doute, et d'autant plus que, si l'on ne prend «les mesures efficaces, on peut prévoir une décadence plus grande, et enfin la ruine totale de la colonie. L'estimable auteur de l'intéressant ouvrage intitulé : Bydragen tot de Kennis der colonie Suriname, publié en 1842, M. W. H. Lans a, ce nous semble, indiqué avec beaucoup de connaissance de cause plusieurs moyens d'amélioration. Nous croyons avec lui qu'une émancipation subite des esclaves ne pourrait avoir des suites favorables , ce qui, du reste, est évidemment démontré par ce qui se passe dans les colonies anglaises des Indes-Occidentales; mais nous pensons aussi, avec conviction, que le développement de l'intelligence et la civilisation de la population nègre, tant libre qu'esclave, peuvent conduire à des résultats favorables pour l'avenir. Quoique nous considérions l'émancipation comme on ne peut plus difficile et incertaine dans ses résultats, nous verrions avec plaisir que la société


( 191

)

Tot nut vau het algemeen s'en chargeât et la prît à сœur Nous reconnaissons que les améliorations proposées à l'égard de l'agriculture et de la fabrication du sucre seraient très-utiles et très-salutaires pour la colonie, comme exigeant des esclaves et des hommes libres un travail moins pernicieux. Mous sommes également d'opinion que l'on ferait un grand pas vers le rétablissement de la colonie en y intruduisant sur une grande échelle la propagation des bestiaux, chose qui paraît possible. Nous reconnaissons que l'on devrait essayer de modifier le traitement des esclaves, surtout sous le rapport de la nourriture. Nous croyons aussi qu'une Commission ou Association pour l'encouragement de l'agriculture et de l'industrie, formée dans le but et avec les moyens d'indiquer et de trouver de nouvelles sources de prospérité, voire même l'établissement d'une nouvelle banque, mais sur des bases différentes de celles qui ont été proposées récemment par M. Mesquita , agirait d'une manière favorable. Nous applaudissons à tous ces moyens, indiqués pour le rétablissement de la c o l o n i e , mais nous devons ajouter ici que nous les considérons comme incomplets, et même en partie comme intempestifs, s'ils ne sont précédés ou s'ils ne marchent pas de pair avec une autre mesure : nous voulons dire l'augmentation de la classe ouvrière libre. Ce but pourrait être rempli par l'envoi d'Européens , et nous pensons que dans cette colonisation doit se trouver le puissant levier qui relèvera Surinam et la fera remonter à son ancien état de prospérité. On s'est peu occupé jusqu'à présent de la réalisation de cette idée, parce que l'opinion a prévalu que les Européens ne pouvaient supporter le travail dans cette atmosphère brûlante. Nous apprécions l'importance de cette objection ; c'est pourquoi nous attendons avec anxiété le résultat de l'essai que l'on va faire; s'il réussit et prouve que les Européens, lors même qu'ils ne seraient pas propres aux tra-


( 192 ) vaux dos esclaves dans les plantations à sucre, ordinairement situées dans les terres basses, peuvent être chargés avec succès de travaux moins forts dans les parties plus élevées et plus salubres, nous sommes convaincus qu'une émigration constante et croissante effacerait le principal obstacle à la prospérité de Surinam, qui est la disette d'ouvriers libres. Cette disette est la véritable lèpre qui ronge la colonie, et qui doit être guérie par la colonisation, car nous considérons la colonisation européenne non pas comme le seul, mais comme le plus convenable et le plus efficace des remèdes. Deux autres moyens à employer simultanément, ou bien séparément, sont aussi proposés par quelques écrivains. Le premier est l'émancipation progressive des esclaves. On se flatte qu'en les traitant avec plus d'humanité la mortalité diminuerait parmi eux ; que par des efforts constants leur civilisation augmenterait, et qu'ainsi on arriverait enfin à l'époque propice à leur émancipation , sans les voir tomber dans la paresse. A cette époque on avisera aux moyens d'indemniser leurs propriétaires. Nous pensons et espérons que cette attente pourra se réaliser, sinon totalement, du moins en grande partie. Mais avant que ce moment arrive, bien des années de peines et d'inquiétudes s'écouleront, bien des préjugés devront être vaincus; bien des circonstances favorables de toute espèce, et surtout sous le rapport des finances, devront surgir ; sans q u o i , faute d'autres moyens de salut, la colonie pourrait être perdue dans l'intervalle. Tant que les nègres seront esclaves, que la mortalité parmi eux diminue ou qu'ils se propagent, ce n'est pas la colonie de Surinam, mais les administrations de la Néerlande qui en profiteront, car peu de propriétaires habitent la colonie. C'est seulement lorsque les nègres seront libres, que l'agriculture libre, c'est-à-dire, celle dont les produits sont versés dans le commerce, pourra être alimentée; la restauration


( 19 ) de la colonie est donc subordonnée à cette émancipation, dont le terme est probablement encore fort éloigné. On a encore émis l'opinion de faire venir de l'Afrique, comme apprentis, des nègres qu'on transporterait à Surinam où ils travailleraient pendant quelques années, après lesquelles ils seraient libres. Ce projet, émis par M. L a n s , a fixé l'attention de l'Angleterre, comme étant le moyen le meilleur de pourvoir au manque d'ouvriers libres dans les Indes-Occidentales. Nous ne nous permettons pas de rejeter ce plan comme ne pouvant atteindre le but proposé; mais nous ne pouvons nous empêcher de dire que ce moyen est diflicile et dangereux , et que le danger du mal domine l'espérance du bien. Nous pensons que ce transport de nègres, qui serait nécessairement précédé d'un recrutement ou d'un enlèvement en Afrique, courrait grand risque de dégénérer en traite des noirs; ce moyen serait aussi trop coûteux, il introduirait dans la population nègre de la colonie une distinction fâcheuse, c'est-à-dire qu'il y aurait des esclaves et des apprentis qui, plus ou moins longtemps après, s e raient émancipés; puis la classe dos nègres libres. Ce transport ne répondrait pas au but qu'on se propose , parce que, pendant le court apprentissage des nègres nouvellement amenés, on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils aient atteint le degré de civilisation voulu, et q u e , sans la civilisation, le nègre est naturellement porté à l'oisiveté, aux excès et à l'immoralité. Nous craignons donc que cette mesure n'ait pour conséquence que de créer, à grands frais, une population paresseuse et abjecte, ennemie du travail, dangereuse pour le repos publie et pour les esclaves que l'on voudrait préparer à l'émancipation, et qu'ainsi les difficultés occasionnées par l'esclavage ne soient augmentées et peutêtre rendues insurmontables. La colonisation européenne n'apporte avec elle aucun de ces dangers; au contraire elle vaincrait les préjugés et hâterait l'émancipation des esclaves.

13


(

194

)

Nous ne croyons donc pas qu'il y ait lieu à d'autre objection que celle du climat. C'est le point difficile, nous n'en disconvenons pas ; mais c'est pour cela surtout que nous insistons, au moment où l'on veut faire un essai, pour que toutes les mesures possibles soient prises. Il nous paraît urgent que des cultivateurs connaissant la colonie donnent des renseignements à la Commission ; que celle-ci s'attache spécialement aux moyens de faire disparaître l'inconvénient du climat, non-seulement par le choix du terrain , mais aussi par la nature même du travail que l'on ferait faire aux émigrants de race européenne; que la Commission s'attache spécialement aussi à leur procurer un asile, la nourriture et des vêtements; qu'elle les engage à mener une vie régulière, et qu'elle s'occupe même de leur instruction; qu'elle les empêche de se livrer au défrichement des terres, travail nuisible, qui épuise les ouvriers, ou qu'elle ne le permette que de temps en temps et par petites parties; que, laissant aux esclaves la culture fatigante du sucre, elle réserve aux émigrants celle des terrains fertiles et leurs récoltes bien moins laborieuses ; qu'elle les y encourage et les soutienne dans leurs efforts. Puisse la Commission comprendre tout ce qu'il y a de beau dans sa mission , afin que les premiers essais ne soient point infructueux ! Extrait du Moniteur universel du 20 mai 1843. HOLLANDE. La Haye, 16 mai 1813.

Le 8 de ce mois, M. J.-H. Betting s'est embarqué au Helder sur le navire Wilhelmina, capitaine Kint, pour aller mettre à Surinam la première main à l'essai de colonisation réglé par l'arrêté de S. M. du 25 janvier dernier. Aussitôt que M. Betting aura choisi un emplacement convenable et que le terrain sera déblayé, on expédiera les cinquante pre-


(

195

)

miers ménages de colons; les cent cinquante autres suivront plus tard, avec les deux autres auteurs du projet de colonisation , MM. A. Vanden Braudhoff et D. Copyn.

D E R N I È R E S NOUVELLES DR LA COLONIE B E L G E D E GUATEMALA. Extrait du Moniteur parisien du 7 août 1843. 11 est des faits qui, bien que pouvant avoir une grande portée, passent souvent inaperçus; c'est ainsi que, sans avoir fixé l'attention du monde commercial, une compagnie, après avoir fait explorer l'Amérique centrale, vient d'y e x pédier des ingénieurs, des cultivateurs, des ouvriers de tous genres , accompagnés de médecins et d'ecclésiastiques. Le 20 mai dernier, le Théodore, vaisseau marchand de la marine belge, abordait dans le port de Saint-Thomas de Guatemala, le plus beau et le plus vaste de la mer des Antilles; la direction de la Communauté de l'union en prenait possession au nom de la Compagnie belge de colonisation. Le 7 juin suivant, la Louise-Marie, navire de la marine royale belge, débarquait dans le même port le consul belge près l'Etat de Guatemala et le commissaire de la Compagnie auprès des Etats-Unis de l'Amérique centrale, qui se rencontrèrent à Saint-Thomas avec M. le baron Van Lockhorts , venu exprès de Guatemala, où il est depuis longtemps en résidence, pour veiller aux intérêts de la Compagnie belge de colonisation. Le chef de l'Etat de Guatemala, le général Carréra, avait donné les ordres les plus précis pour favoriser le voyage de M. Van Lockhorts, de Guatemala à Saint-Thomas. Ces messieurs sont repartis pour Guatemala après l'arrivée du vaisseau la Ville de Bruxelles, qui portait des vivres, des outils, des machines de tous genres, ainsi qu'une église et des habi-


( 196 ) tations en bois. Déjà des nègres, en assez grand nombre au service de la Compagnie, étaient occupés à couper les bois sur l'emplacement destiné à la ville de Saint-Thomas. Ainsi donc aujourd'hui, tandis que notre industrie hésite à explorer les pays lointains, la Belgique, plus entreprenante, a , dans un pays riche et fertile, jeté les bases d'un établissement où son commerce doit trouver un débouché important. Aujourd'hui déjà, une église et des habitations belges sont élevées au centre de la baie de Saint-Thomas ; une partie de terrain assez étendue est défrichée par les nègres et les Indiens au service de la Compagnie; ses agents établissent des relations commerciales, et les navires qui ont conduit ces colons sont en charge pour rapporter les produits de ces belles contrées. C'est un bel exemple offert à notre commerce.

Extrait du Journal du Havre du 8 août 1843. Une expédition composée de trois voiles est arrivée à Santo-Thomas, dans les premiers jours de juin. Ces navires avaient à bord des ingénieurs , des chimistes, des naturalistes, des médecins, des cultivateurs, des serruriers, des maçons, des charpentiers, des menuisiers, des bûcherons , des tailleurs, des cordonniers, enfin, tout le personnel nécessaire à la fondation d'une colonie ; des vivres pour un a n , une bibliothèque, une pharmacie, une église et deux eccclésiastiques. Au débarquement, les colons ont pris possession des lieux; on a construit des barraques, où tout le monde s'est logé. Une quantité d'Indiens, appelés Caraïbes, se sont mis au service de la Communauté, et sur l'emplacement destiné à la ville que l'on doit ériger à Santo-Thomas, ils sont o c cupés à couper des bois qui doivent être rapportés au premier jour sur le Théodore et la Ville de Bruxelles, et qui ont, dit-on, été offerts à la marine française.


( 197 ) Pendant les travaux préparatoires , des explorations ont été faites sur les divers points de la baie pour choisir l'emplacement le plus convenable à l'établissement de la ville. Cet emplacement est choisi dans un lieu favorable, situe à cinquante pieds au-dessus du niveau de la mer. Suivant le dernier rapport, en date du 15 juin, malgré les fatigues occasionnées par les travaux de premier établissement, les colons jouissent tous de la meilleure santé. Un seul cas de lièvre s'est présenté; il a été guéri après trois jours de traitement. Les rapports particuliers de MM. Clayrut, c o n sul, T. K i n , du père Genon , du capitaine Philipipot, du baron Bulow et de M. Bouez, et des lettres de plusieurs c o lons, s'accordent sur la salubrité de la baie, la beauté ravissante du site, la fertilité du sol, la facilité des défrichements, la beauté, les avantages du port, et la sympathie des habitants pour l'établissement de la colonie.

Extrait du journal

le Globe du 14 août 1843.

L'Amérique centrale, par sa position entre l'océan Pacifique et l'océan Atlantique, bornée au Nord par le Mexique et au Sud par la Nouvelle-Grenade, est appelée à devenir un jour l'un des marchés les plus importants du monde. La Belgique vient de nous donner une preuve nouvelle de son intelligence des affaires, à nous hommes de théorie qui discutons et parlons de colonisation sans rien coloniser, voire même en amoindrissant l'importance de ce que nous avons encore de possessions coloniales. Une Compagnie belge de colonisation, fondée sous le patronage du roi des Belges, a pris possession du port le plus beau , le plus sûr des mers des Antilles, de Santo-Thomas qui lui est c o n c é d é , et qui la rendra bientôt l'arbitre du commerce de l'Amérique centrale. Des lettres en date du 1 7 mai ont été reçues de Guatemala, elles annoncent que la plus grande tranquillité règne


( 198 ) dans les divers États de l'Amérique centrale; elles font en même temps connaître que l'annonce du départ d'Anvers d'une expédition de colons, venant à Santo Thomas sous les auspices de la Compagnie belge pour y fonder un établissement, avait répandu la joie la plus vive non-seulement parmi les membres du Gouvernement et de la Chambre dos Députés, mais encore parmi les propriétaires et les commerçants, tous voyant dans l'œuvre des Belges, à SantoThomas, l'avénement d'une ère nouvelle. Le développement de l'industrie commerciale et agricole, que le concours des Belges doit assurer, est accepté par eux comme un moyen d'exploiter avec fruit les richesses que la nature a prodiguées à leur pays. Nous apprenons aussi que monseigneur de Viterv, évoque de San-Salvador , envoyé extraordinaire des cinq États de l'Amérique centrale près le saint siége, est arrivé à la Havane, de retour do sa mission, et il a dû s'embarquer le 25 juillet pour se rendre à Guatemala, en passant à SantoThomas, où il se proposait d'officier dans la nouvelle église que les Belges ont élevée sur l'emplacement où la ville doit être fondée. Cette marque de sympathie, de la part d'un homme aussi éminent, rentrant dans son pays après avoir réussi dans une mission à laquelle tous ses compatriotes attachent la plus grande importance, et investi de la confiance du saint-père ( monseigneur de Vitery est nommé nonce du pape dans l'Amérique c e n t r a l e ) , est pour la Compagnie belge une garantie d'avenir, et donno la prouve qu'elle n'a rien négligé pour s'assurer la protection des hommes influents de l'Amérique centrale.


(199) IMMIGRATION E U R O P É E N N E A LA JAMAÏQUE.

JAMAÏQUE. Octobre

1843.

Madame Carter, de la plantation Troy, vient de donner au pays un bon et utile exemple. Elle a l'ait venir trente Européens, et les a placés sur sa propriété, où ils travaillent depuis dix-huit mois avec beaucoup de succès. La santé des immigrants s'est très-bien conservée pendant toute cette période, et maintenant ils peuvent être considérés comme entièrement acclimatés et établis. Madame Carier a obtenu la prime allouée, en pareil cas, par la législature. ( Colonial Gazette, 11 novembre 1843.) DERNIERS

RENSEIGNEMENTS

SUR L'ESSAI DE COLONISATION E U R O P É E N N E .

DANS LA GUYANE HOLLANDAISE Au moment de l'aire paraître ce volume, nous recevons de M Baud, Ministre des Colonies de S. M. le Roi des Pays-Bas, une réponse bienveillante à la lettre que nous avions adressée à Son Excellence, pour la prier de nous faire connaître la situation actuelle de l'essai de colonisation européenne entrepris à Surinam,sous la protection de Sa Majesté Néerlandaise. Nous nous empressons de publier cet intéressant document. Il prouvera que le Gouvernement des Pays-Bas, comprenant toute l'importance de la question, s'occupe avec autant d'à-propos que de louable prudence d'établir dans la colonie de Surinam un premier noyau d'Européens cultivateurs. La Haye, ce 5 janvier 1814. Je regrette, Monsieur, de ne pouvoir satisfaire à votre demande, relativement à la colonisation projetée à Surinam. Ce projet n'étant pas encore arrivé à un point de maturité propre à offrir des détails dont la connaissance puisse r


( 200 ) beaucoup vous intéresser. — Voici ce qui a été fait jusqu'ici. M. Betting, accompagné de deux agriculteurs qui l'ont suivi d'ici, a fait un examen sur lès l i e u x , dont le résultat a été que les bords de la rivière Saramacca semblent offrir les meilleures chances de succès. Des informations recueillies chez plusieurs vieux colons, établis dans cette partie de la Guyane hollandaise, font espérer que le climat ne s'y o p posera pas à un travail modéré de la part des Européens. — D'après ces données, on s'est déterminé à commencer les travaux préparatoires pour l'installation des cinquante premières familles, qui formeront l'avant-garde de la c o lonie projetée. — Ces travaux sont exécutés par des noirs, attachés au service du Gouvernement, et dès qu'ils seront suffisamment avancés, les mesures nécessaires seront prises pour l'embarquement de ladite avant-garde. — Si, après une campagne faite par celle-ci, on continue à bien augurer du climat, on s'occupera des travaux d'installation pour cent cinquante autres familles, et ce ne sera qu'après que celles-ci seront établies, et que leur expérience aura résolu affirmativement le problème dont il est ici question, qu'on s'occupera de coloniser sur une grande échelle, par l'intervention d'une société à établir. Voilà, Monsieur, un aperçu succinct de ce qui a été fait jusqu'ici, ainsi que de nos projets ultérieurs, dont je me ferai un plaisir de vous communiquer les détails, au fur et à mesure qu'ils prendront une forme qui pourrait vous intéresser.

FIN.


Service Commun de la Documentation de l'UniversitĂŠ des Antilles et de la Guyane Section Guyane B.P. 1179 - 97346 CAYENNE CEDEX



Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.