Observations importantes sur les troubles de Saint-Domingue

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OBSERVATIONS IMPORTANTES

SUR

LES

TROUBLES

DE SAINT-DOMINGUE. INUTILITÉ absolue des moyens qu'on prend pour les appaiser, fi l'on n'améliore pas en même temps le fort des Nègres esclaves , fi l' on n interdit pas aux Colons les rigueurs excessives qu'ils fe permettent d'exercer fur eux. PAR

M.

BLANC-GILLI,

DÉPUTÉ DU DÉPARTEMENT DES BOUCHES -

DU-RHÔNE.

MESSIEURS

LES defordres de l'Isle Saint-Domingue font devenus la matière d'un plaid célèbre que votre sagesse seule peut conduire à d'heureusesfins. Remonter aux causes premières de ces désordres, embrasser

Colonies. C.

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(2) tous les moyens qui peuvent faire succéder une paix durable ; c'eft votre unique but, c'eft l'état naturel de la question qu'on ne peut .établir fur d'autres principes. Les différens rapports que vous avez entendus ont jeté une certaine masse de lumières fur les dépendances de ces troubles , fur les maux soufferts par les Colons blancs , fur les droits légitimes que les gens de couleur libres réclament ; de-la devoit découler naturellement un Décret pour l'envoi des troupes nécessaires à rétablir la paix & a protéger la ratification du concordat passé entre les Gens de couleur libres & les Colons blancs ; mais comme ma persuasion intime est que, ni la ratification de ce concordat changé en loi, ni la présence des troupes, ne pourront jamais ramener une paix durable dans cette malheureuse contrée, le sentiment de mes devoirs, l'impulsion de ma confcience & le cri de l'humanité me forcent a manifefter les moyens que je crois indispensables pour faire un décret complet d'an décret qui ne l'est qu'à-demi, un décret radical d'un décret de circonftance, qui ne peut attaquer le mal dans fa fource. En examinant les troubles de cette Colonie fous le point de vue d'une grande querelle mue entre les trois classes d'hommes qui l'habitent, je ne puis voir dans la décision de l'Assemblée nationale autre chose que le jugement d'un procès dans l'instruction duquel on a oublié de pefer les raifons , Jes plaintes , les motifs d'une des parties ; conséquemment un des grands poids de cette affaire n'a pas été mis dans la balance. Pour porter v?n remède infaillibe à une pareille révolte, il faut d'abord confulter les localités ; elles feules nous offrent une des causes originaires de cette révolte dans la haine que se por eut réciproquement les trois castes de la population coloniale. SaintDomingue & toutes les autres Colonies fe diftinguent des autres pays par les plus monstrueuses difparates ; là tous les individus font unis par les liens du sang , & rien ne fut jamais plus irrévocablement prononcé que leur féparâtion foetale. Des Nègres & Mulâtres courbés fous le joug du plus affreux esclavage ; des Nègres & Mulâtres libres , qui n'ont jamais été regardés comme citoyens , quoiqu'ils en remplissent tous les devoirs ; les Blancs de notre race qui, prefque tous, font les bourreaux des premiers, & qui repoussent les seconds avec autant d'injustice que de dédain ; tous telle, est en deux mots l'image de cette étrange société où nal'effet malheur par égaux en font maintenant membres les

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( 3 ) turel des réactions qui vengent l'humanité trop long-temps outragée. Peut-on être furpris de la révolte des Nègres ? Quel eft celui qui ni pas entendu dire dès fon enfance que les Colonies périroient tôt ou tard par un massacre général ? Quel eft celui n'a pas entendu parler des nombreuses tentatives que les Nègres font depuis plus d'un siècle pour fecouer le joug de leur intolérable captivité ? Quel eft enfin celui qui peut ignorer que la vengeance des efclaves renversa les plus grands empire ? Remplis du desir de vous éclairer furies évènemens & les causes de cette révolte,toute votre attention, Meilleurs , s'est fixée fur les rapports qui en ont été faits dans l'Assemblée. Vous avez entendu, les Colons blancs plaider leur caufe , retracer les scènes fanglantes affou ies fur eux par leurs Nègres efclaves ; le fentiment d'horreur que vous avez éprouvé vous a fait dire que les Blancs étoient très-malheureux , & leurs efclaves très-barbares. Un de nos collégues a plaidé la caufe des. gens de couleur libres ; la vérité des principes , la force du raisonnement, le concours des recherches , vous ont confirmé l'équité de ce jugement prononcé depuis long-temps ; que cette portion de la société coloniale ne pouvoit être rejetée de la classe des citoyens ; vous y avez trouvé de plus cette affligeante vérité , que la révolte des Colonies eft encore l'ouvrage de cette faction sacrilège , qui , depuis trois ans , enhardie par l'impunité, ne celle' d'entasser conspiration fur conspiration, dans l'efpérance de porter le coup mortel à la patrie ; mais à la fuite de ces nombreux éclaircissemens, ne restoit il pas à connoître les réclamations de la dernière des parties querellantes ? Quoi ! la plus nombreufe , la plus outragée des trois classes n'a aucune forte de droits & de plaintes à faire valoir ? N'étoit-il pas naturel de mettre en question les motifs de fon défefpoir, au lieu de rappeler à l'ordre de la question celui d'entre nous qui a voulu prononcer un seul mot en faveur des Nègres ? Certes, à ce repoussement inattendu , je n'ai pas balancé de renoncer à la parole, quoiqu'inscrit fur le tableau ; réduit à la ressource plus heureuse de l'impression, puisse-t-elle être plus favorable à la cause déjà trop oubliée !.... Qu'ai-je dit? Non, il n'est pas possible , les représentans de la nation françoise ne termineront point cette grande affaire par un pareil abandon du Nègre infortuné qui n'a d'autres défenfeurs que fes larmes & fes tourmens. Le sort affreux des Nègres esclaves n'est pas assez connu, & A a

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(4) ceux qui en ont quelque idée, pensent sans doute qu'il n est guères possible d'y porte du soulagement. Il in porte donc que les malheurs des Nègres soientdévoilés ; car ce n'est que de cette feule idée que fe sont fervis les confpirateurs pour allumer la torche du désespoir dans leurs ames. Il importe aussi de détromper fur la prétendue impossibilité de diminuer, fans inconvénient , les rigueurs excessives de l'esclavage. Une dépenfe de dix millions a été décrétée ; une armée de six mille hommes eft en marche. Oui , les événemens nous forcent a prendre ce parti ; mais si, en déployant cette force qui défarme les bras, nous pouvons oSrir des moyens propres a adoucir les cfprits aigris, à guérir les cœurs ulcérés , ne devons-nous pas ufer de ces moyens salutaires ? Je dis bien plus , s'ils étoient rejetés ces moyens , ceux de la force armée deviendroient inutiles. Nous n'a vous pas tous les ans une si grande somme d'argent à fournir , ni i un pareil nombre de troupes à faire palier au-delà des mers ; il eft donc prouvé que fi nous ne tendons "pas une main secourable aux Nègres esclaves, nos Colonies périront au moment le moins attendu. Ici le bien public réclame avec autant de force que la pitié. Quand la sainte proclamation des droits de l' homme fut entendue dans l'autre hémisphère, le pauvre Nègre épanouit fon coeur à cette efpérance fi naturelle de voir , sinon briser fes fers , soulager du moins fes mifères. Jugea du déchirement de son cœur quand il a vu tous les regards fe détourner de lui. Alors il a calculé les hasards de la révolte ; alors les conspirateurs, attentifs à fa position , ont guidé tous fes mouvemens. Dans les premières convulsions de fon défefpoir on lui entendit proférer ces paroles que les législateurs ne sauroient trop pefer : Elle nous appartient cette terre , s'écria-t-il ; nous l'avons

assez arosée de notre sang & de nos larmes pour qu'elle soit à nous. . Voilà des calculs qui portent leurs preuves , & j'aime à vous les présenter, Messieurs, avec toute leur spérité, de crainte d'affoiblir la force d'une caufe fi juste. Tournez vos regards fur le Nègre esclave ; relevez-le de l'accablement de f s maux : ils sont affreux : vous ne fuiriez vous en faire une idée, puisqu'ils font incroyables a ceux mêmes qui en ont été les témoins. C'est trop peu de vous dire que les maîtres fe font arrogé le pou-

voir de vie & de m mort ; ils fe permettent de les supplicier dans les tortures. Je ne déchirerai pas le voile qui couvre

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( 5 ) cet affreux spectacle de misères & de tourmens ; je n'en retra-

cerai qu'une idée rapide, non pour éprouver votre sensibilité , mais afin que la loi invoquée dans cette cause h pressante foit l' ouvrage de votre unanime décision. Ne craignez pas , Meilleurs , d'être induits à erreur ; plus terribles & nombreuses ont été les tentatives du Nègre pour briser le joug de son esclavage , plus aussi la continuité de ses malheurs vous est démontrée. Ce fort désespérant d'être assujéti aux travaux les plus durs fans jamais toucher de salaire , ce fort désespérant qui dans nos climats est la, plus terrible punition des malfaiteurs , ce fort désespérant, dis-je , est à peine la centième partie des maux que souffrent les Nègres esclaves. Il faut se les représenter quand, pour les fautes les plus légères , leurs maîtres cruels assouvissent fur eux ces tortures que la férocité ne fuggéra qu'à des Néron. Déchirés par lambeaux, on en a vu mille fois expirer fous le fouet on le détruire eux-mêmes en fe frappant de la tête fur la pierre où ils étoient enchaînés. Pourrez-vous croire que des femmes prêtes à accoucher ne font pas plus épargnées ? Pourrez-vous croire qu'après huit ans de travail l'homme le plus robuste , devenu perclus de ses forces, eft alors impitoyablement renvoyé, réduit à fe nourrir de fouris & de bêtes mortes ? Souvent le voyageur a rencontré fur fa route cette scène effroyable d'un cadavre qui dévore un autre cadavre. Vous nommerai-je deux frères fameux , riches Colons du Port-au-Prince , qui ont fait, périr planeurs de leurs Nègres dans le four , Se un entr'autres dont tout le crime étoit d'avoir trop salé un ragoût ? Vous en nommerai-je quelquesuns de la Martinique qui naguères en ont fait brûler fur des buchers ? La Guadeloupe en a. produit un qui faifoit périr lentement les siens en leur faifant avaler de la cendre brûlante : & quand par fois ils brifent leurs chaînes , vous attendriez-vous d'apprendre qu'on va à la chasse de ces malheureux fugitifs comme on va à la chasse des bêtes fauves , qu'on les relance avec des chiens , & qu'après les avoir terrassés , on porte leur tête en triomphe à la ville ? C'eft en cela que consiste cette bravoure , cet infatigable courage des Mulâtres qu'on vous a tanÊ vanté. Faut-il être furpris si tous les jours on voit de ces infortunés de tout âge, de tout fexe , fe précipiter, étouffer leurs enfans, s'étrangler avec eux pour fe délivrer d'une vie qui ne leur préfente aucun terme à tant de souffrances ? C'eft à ce prix font cultivées les riches productions deftinées à nos délices , & il se trouve des barbares qui ne tremblent pas de ca-

Observations de M. Blanc-Gilli.

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(6) somnier les bons citoyens qui déplorent de fi grands maux.... Je m'arrête ; il est impossible de fixer plus long-temps ces épouvantables horreurs. On ne me taxera pas, j'espère , d'avoir exagéré ; il me seroit facile de prouver qu'elles fe reproduisent tous les jours ces scènes horribles , que j'en dérobe encore de plus atroces ; & fans fortir des murs de cette capitale, je produirois une foule de témoignages. L'aveu formel qu'en ont fait les députés de Saint-Domingue feroit mon garant à l'égard des incrédules, & j'interpellerois furtout un des plus fages , un des plus grands génies de l'Europe , M. Bernardin de Saint-Pierre qui plaide cette même caufe dans fes ouvrages immortels. Jufqu'ici, Meilleurs , vous ne connoissez les Nègres que par leurs malheurs, comme efclavcs; par la férocité de leur vengeance , comme peuples barbares livrés au désespoir : qu'un seul trait maintenant vous les fasse connoître par des vertus dont ils furent fouvent capables comme hommes simples & naturels. Un Colon alloit être jugé pour un crime d'assassinat ; son généreux efclave a la confiance de s'avouer lui-même le coupable, & de subir le supplice de la roue pour fauver celui qui n'avoit d'autre droits à fa reconnoissance que fes bons traitemens & fon humanité. Quel est donc ce sentiment céleste qui fe montre, avec tant d'éclat après avoir passé à travers les ténèbres d'une éducation fauvage & les fers de la fervitude ? C'en est assez, Meilleurs, pour prouver la nécessité d'améliorer le fort des efclaves. Eh ! plut a Dieu qu'il fût possible à cette heure de prononcer leur affranchissement ! Mais ce feroit les perdre au phyfique comme au moral. Le bienfait d'une loi sage leur fera maintenant plus falutaire que l'aliment de la liberté. Vos cœurs Tentent le besoin urgent de cette amélioration , tous les intérêts la réclament, ceux des gens de couleur honnêtes , ceux de ces vertueux Colons blancs qui confervent les mœurs patriarchales au milieu de leurs Nègres; ceux même de ces Colons inhumains qui doivent reconnoître à présent par leur funeste expérience que la tyrannie a fon terme. Les intérêts du commerce la réclament aussi. Un temps viendra bientôt que la traite des noirs s'abolira d'elle-même, parce que l'espèce fe détruit tous les jours. On n'en trouve plus fur les côtes ; on les recherche jufqu'a deux cents lieues dans l'intérieur des terres ; les vaisseaux négriers font fouvent forcés de partir fans compléter leurs cargaisons ; il faut par conséquent prévenir cet inconvénient que l'agriculture manquât de bras ; & quel autre


(7) moyen y a-t-il linon d'adoucir le fort de la famille, noire qui se multipliera pour lors avec tant de rapidité qu'elle pourra fournir a de nouvelles Colonies? Il ne me reste plus qu'un mot à dire fur une objection que je vois venir , si toutefois une objection si puérile peut fe faire sérieusement : c'est l'initiative donnée , dit-on , constitutionnellement aux assemblées coloniales pour les loix concernant leur régime intérieur. Une pareille objection mériteroit bien plutôt le mépris que la réfutation ; aussi j'ai lieu de croire que la discussion n'en fera pas longue dans l'Affemblée législative. Quand l'Affemblée constituante a déclaré que les Colonies 82 possessions françoises d'Asie , d'Afrique & d'Amérique n'étoient point comprîtes dans la constitution , c'est qu'elle a bien senti qu'en les y Comprenant l'affranchissement des esclaves fe trouvoit prononcé de droit, & n'y ayant point encore de moyen de prononcer un affranchissement qu'il faut préparer pour éviter des embarras & des malheurs incalculables, elle a trcs sagement sait de déclarer que les Colonies n'étoient point comprifes dans la conllitution , quoique faifant partie de l'Empire françois. Au furplus la déclaration du 3 septembre portant ces mots facramentels : que la constitution est terminée , & qu'elle ne peut y rien changer ; Cette déclaration, dis-je , ne prononce-t-elle pas l'abdication de fes pouvoirs constituans ; & comment accordera-t-on la prérogative constitutionnelle à une loi qui a été faite vingt-un jours après cette folcmnelle déclaration ? J'efpère bien qu'on ne voudra pas faire dire à l'Affemblée continuante , qu'après avoir fait une conllitution de liberté pour les hommes à peau blanche , elle en a commencé une d'esclavage pour les hommes à peau noire. Je ne crois pas qu'aucun de mes collégues foit tenté de fe déshonorer à défendre , comme constitutionnelle , l'initiative des Colonies prononcée dans le décret du 24 feptembre. Celui qui le proposa ce décret, mentit à fa confcience , l'indignation publique l'en punit trop pour qu'il ait des imitateurs. Ce fera donc vous, Messieurs , qui le révoquerez ce décret injuste , parce qu'il n'est aucun de vous qui ne voie dans l'initiative le germe de la féparation des Colonies avec la métropole ; & ce foible obstacle levé , quand vous aurez déterminé l' ufage de la protection accordée aux Colons blancs , quand vous aurez rétabli les droits naturels des gens de couleur , ne laissez pas passer le jour fans rendre une loi favorable au Nègre Infor-


( 8 ) tuné qui implore votre pitié. N'en doutez pas , Meilleurs , au même instant que vous essuierez ses larmes, cette fatale de.finée qui devoit perdre les Colonies fera changée en prospérité.

PROJET

DE

LOI

Relative aux Nègres esclaves L'Assemblée nationale , profondément affligée des désordres qui ont agité l'isle de Saint-Domingue & la plupart des autres Colonies françoifes , considérant que les caufes originaires de ces défordres dérivent principalement des rigueurs excessives que souffrent les Nègres efclaves; Confidérant qu'après s'être occupée du bonheur des Colons , l'humanité réclame d'elle le bienfait d'une loi qui adoucisse le fort des efclaves , autant que leur propre intérêt & les circonftances peuvent le permettre , prononce le décret d'urgence , & décrète définitivement ce qui fuit :

ARTICLE

PREMIER.

Dans toute l'étendue des possessions françoifes les colons ne pourront , fous aucun prétexte , maltraiter de coups leurs efclaves , & la disposition du code noir qui limite le nombre des coups de fouet est abolie. I I. Le Colon qui aura maltraité de coups son efclave , perdra tout pouvoir fur lui. Sera le Colon convaincu de fon délit quand six témoins, autres que les efclaves, déposeront le fait en témoignage judiciaire. Le tribunal de la police recevra la plainte verbale de l'efclave. Il jugera trois jours après l'audition des témoins, & prononcera l'affranchissement s'il y a lieu.

III. Le Colon qui aura à fe plaindre de quelqu'un de fes escla-


(9) ves à raifon du travail auquel il fe refuseroit , ou pour cause de vol, fe pourvoira en redressement fuivant la disposition ciaprès. Il y aura une maison de force au chef-lieu de tous les cantons. Cette maison appelée le dépôt des Nègres, recevra ceux contre lesquels leurs maîtres auront porté des plaintes. Ils y pourront être échangés de gré à gré, pour tel temps déterminé entre les maîtres contractans ; & fi l'échange ne peut s'effectuer, le Nègre fera détenu prisonnier , nourri aux dépens de son maître pendant un mois ou jusqu'à promesse de travailler ; & pour cause de Vol, autant qu'il feroit prouvé par le témoignage même des autres esclaves du maître, la détention fera de quatre mois. IV. L'esclave maltraité par fon maître , & qui ne pourroit le prouver, fera reçu au dépôt fur fa plainte avec ferment, & pourra profiter du droit de l'échange qui fera fixé par le tribunal. V. La municipalité du chef-lieu du canton exercera la police & l'administration du dépôt. El e fera diviser l'intérieur en petites prisons bâties à rez-de-chaussée. Les Nègres feront enfermés séparément, chacun dans une de ces prifons , fans qu'il leur soit jamais accordé de communication entr'eux. La municipalité occupera aux travaux publics ceux des Nègres qui n'auront Pas mérité d'être fermés fous l'écrou. VI. Les Nègres qui ne pourront plus travailler à caufe d'infirmité ou de vieillesse, continueront à recevoir leur subsistance comme à l' ordinaire , & les maîtres qui s'y refuferont feront contraints de les nourrir a l'hospice de l'hôpital où les Nègres fe préfenteront. VII. Les efclaves qui auront des moyens suffisans pour fe racheter , le pourront dès-à-présent s'ils le demandent. Le prix du * rachat sera fixé au prix moyen des ventes de traite faites fur les lieuxdans le courant d'une année. L'acte d'affranchissement fera délivré sans frais & fans perception d'aucuns droits.


(10) VIII. Les enfans des Nègres efclaves feront déformais libres en naissant. Les maîtres pourront en exiger les services proportionnés a leur âge jusqu'à douze ans, moyennant la nourriture ; & après cette époque les enfans Nègres pourront exiger deux sols par jour en sus , jusqu'a dix-sept ans révolus, s ils veulent relier auprès de leurs maîtres. I X. Les Nègres fugitifs qu'on faifira seront regardés comme vagabonds , & punis de prifon pour autant de femaines qu'ils auront resté de jours dans leur fuite. X. Les Nègres qui font actuellement efclaves depuis plus de quatre ans avec un maître , feront libres & affranchis dans l'espace de quatre ans a compter du jour de la publication de la préfente loi. Ce droit leur fera refufé s'ils fe font rendus coupables de refus de travail, de vol & de marronage ; dans ce cas ils feront forcés de recommencer leur temps. Les Nègres nouveaux feront libres & affranchis fous les mêmes obligations après huit ans, à compter de leur premier achat de traite. A cette époque ils feront obligés de travailler, ou pour leur propre compte , ou à la journée, Le prix de la journée fera de 6 f. argent des Colonies avec la nourriture. Dans les villes le prix de la journée ne fera point fixé ; mais la municipalité fera tenue de limiter le nombre des Nègres de fatigue, en forte que le commerce ne fouffre pas , & que les Nègres de la campagne ne refluent pas dans les villes. X I. Sera la préfente loi publiée avec appareil dans toutes les villes, bourgs & églifes , pendant trois jours confécutifs , par les ordres des commiffaires pacificateurs envoyés à cet effet dans les Colonies d'Amérique, Isles de France, de Bourbon & autres possessions. XII. Après les trois publications , les commiffaires pacificateurs convoqueront une assemblée de Nègres efclaves en place publique. Ils leur annonceront, en présence des gardes nationales & troupes de ligne, l'intérêt que l'Assemblée nationale prend à


(II)

tout ce qui peut faire leur bonheur. Ils leur recommanderont l'obligation du travail & leur feront prêter solemnellement le serment d'obéissance aux lois. XIII. Les Nègres révoltés de Saint-Domingue & autres lieux, qui retourneront a leurs atteliers dans l'intervalle de cinq jours, à compter de la première publication , feront absous & pardonnés en vertu de l'amnistie qui leur est accordée par la présente loi. Sont exceptés de l'amnistie ceux qui fe font rendus coupables d'assassinat. XIV. Les révoltés qui, après le délai des cinq jours, ne seront pas rentrés dans leurs atteliers , ne pourront plus prétendre à la grace de l'amnistie, & fubiront leur jugement selon les loix.

P. S. Comme les connoissances locales fur cette matière manquent au plus grand nombre des Membres de l'Assemblée, je les prie instamment de donner une attention particulière a ce projet de loi, d'y remarquer son extrême simplicité , le balance,.. nt & le rapport de toutes les convenances du maître , de l'esclave & du bien général des Colonies. Cette loi rend les maîtres & les esclaves tellement dépendans de leur bonne conduite réciproque , que s'ils s'écartent des principes rie l'équité & du devoir , leurs intérêts les plus chers font déjà frustrés avant même l'application de la loi par jugement. Les trois grands défauts des esclaves, le refus du travail, le vol & le marronage y font prevenus par l'éloignement de la plus précieuse de leurs espérances, l'époque de leur affranchissement ; de manière que les maîtres, font allures d'avoir pendant huit ans une assiduité fi complette du travail de leurs efclives que les résultats leur équivaudront au double du nombre dans l'état actuel de contrainte. Eh ! que peuvent désirer de plus les Colons ? S'i s font jettes , s'ils calculent bien le rs intérêts & leur sûreté individuelle, ils feront les premiers a invoquer cette loi. Qu'ils ne fe bercent pas plus long-temps de la portabilité de maintenir l'esclavage avec toutes les horreurs dont ils l'ont \ accablé jusqu'à ce jour. 11 Décembre 1791.

A PARIS, DE L'IMPRIMERIE NATIONALE.




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