Le calvaire d'un innocent ; n° 9

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tante. Elle lui mit les bras autour du cou et appuya son * visage contre sa j o u e , en murniurant : — Oh ! non, ma tante, non, ce n'est pas possible... Ce qui est en m o n cœur est seulement une v i v e reconnais­ sance pour ce j e u n e homme si brave !... Je voudrais seu­ lement pouvoir le r e m e r c i e r de m'avoir sauvé d'un si ter­ rible danger... P e n s e à ce qui serait arrive sans lui L a tante serra la j e u n e fille dans ses bras : .— Sans doute quelque chose de très désagréable, mû chérie ! — Tu vois bien, ma tante... C'est pour cela que j e voudrais pouvoir r e m e r c i e r m o n sauveur ; c'est pour cela que j e pense toujours à lui. — Si tu le revoyais, le reconnaîtrais-tu l La jeune fille laissa errer son regard dans le vide avec un air pensif, puis elle baissa les y e u x p o u r dire : — Je crois crue oui — M'ais, sans doute, ce brave j e u n e h o m m e n'a pas voulu être remercié et c'est p o u r cela qu'il s'est hâter de partir.,. Mais il vaut m i e u x que nous ne parlions plus de Gelât ; à quoi sort de se torturer le cerveau pour savoir qui est m o n sauveur '?... V i e n s , sortons... Nous avons diverses emplettes à faire, profitons de ce qu'il fait si beau... J'ai envie de prendre l'air M m e v o n Schwartzkoppen acquiesça : — Tu as raison, fit-elle il vaut mieux que nous sor­ tions pour jouir de c e t t e belle matinée P e u après, les deux f e m m e s quittèrent le majestueux immeuble de l'ambassade. L e s rues étaient très animées et les deux dames se promenaient l e n t e m e n t , en s'arrêtant devant les vitrines et en entrant dans quelques magasins pour faire leurs emplettes. • Elles n'avaient fait que quelques pas quand Brigitte

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-— 260 — s'arrêta soudain et retint sa tante en lui serrant forte­ m e n t le bras. La femme de l'attaché regarda sa nièce d'un air étonné. — Q u ' y a-t'il donc ma chérie, demanda-t-elle. L a j e u n e fille ne répondit pas tout de suite, niais, lâ­ chant le bras de sa tante, elle hâta le pas pour s'approcher d'un monsieur qui venait en sens i n v e r s e . H é l è n e v o n Schwartzkoppen comprit immédiate­ m e n t que l'inconnu, à la rencontre de qui Brigitte se.'portait en tendant les deux mains ne pouvait être que son sauveur. Elle hâta le pas, elle aussi, et entendit les mots dont la j e u n e fille saluait le j e u n e h o m m e . — Quel h e u r e u x hasard !.... Je vous revois enfin !.... Je puis v o u s exprimer ma reconnaissance !... C'est à vous que j e dois de v i v r e encore et j e vous remercie mille et mille fois Mathieu D r e y f u s considérait la j e u n e fille d'un air confus. — Non, mademoiselle, il ne faut pas m e remercier ; j e n'ai fait que mon devoir. N'importe qui h nia place eu aurait fait autant M m e von. Schwartzkoppen, à son tour, tendit la main à Dreyfus. — P e r m e t t e z - m o i de v o u s remercier et de vous dire que nous v o u s serons éternellement reeoilaissants; notre gratitude e s t infinie et nous avons beaucoup pa clé de vous c e s j o u r s derniers -— P e r m e t t e z - m o i de me présenter. Madame, dit le j e u n e homme. Je m'appelle Mathieu D r e y f u s — Je, suis la femme de l'attaché militaire à l'ambas­ sade dêÀïlemagne, v o n Sehwàrtzkbppen. dit Hélène, et c e t t e j e u n e fille est ma nièce Brigitte von Scheden. Nous 1

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— 261 ferez-vous le plaisir de venir p r e n d r e une tasse de thé d e ­ main, afin que m o n mari puisse, lui aussi, v o u s remercier'? Mathieu D r e y f u s accepta a v e c e m p r e s s e m e n t . D u r a n t ces dernières, semaines d'angoissé, son plus grand désir avait été de s'entretenir un m o m e n t a v e c Schwartzkoppeii. U n hasard étrange lui offrait maintenant un m o y e n d'avoir-une conversation intime avec lui. L è sort de son frère était dans les mains de cet h o m ­ m e qui connaissait la v é r i t é ; lui seul aurait p u affirmer l'inanité de l'horrible accusation qui avait j e t é t o u t e sa famille dans la douleur. — Nous comptons sur v o u s ! s'exclama B r i g i t t e . J ' e s p è r e que v o u s n'oublierez pas de venir ! Mathieu D r e y f u s regardait la j e u n e fille avec admi­ ration. Combien de fois n'avait-il pas pensé à elle depuis l'autre j o u r 1 Son image avait s o u v e n t occupé son esprit e t fait naître en son cœur une intense nostalgie. Durant ces j o u r s d'angoisse et de t o u r m e n t pour le sort de son malheureux f r è r e , le souvenir de c e t t e créa­ ture avait été la seule lumière de son e x i s t e n c e . E t main­ tenant, il constatait avec une sensation de trouble intra­ duisible que, de son côté,'Brigitte v o n Scheden le regar­ dait avec une expression où se lisait t r è s clairement'quel­ que chose de plus que de la sympathie et de la gratitude... C e t t e délicieuse enfant avait donc p e n s é quelquefois à lui, durant ces jours derniers où il avait sans cesse p e n ­ sé à elle % Il ne lui était donc pas indifférent ? L e u r s regards se r e n c o n t r è r e n t , e t échangèrent un m u e t aveu. Mais la joie de Mathieu ne pouvait être sans nuages,

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— 262 — car il se disait que son n o m était souillé de boue a cause do l'horrible accusation p o r t é e contre son f r è r e . La j e u n e fille Jui tendait la main avec un dOUK SOU" rire. — Je suis heureuse de p e n s e r que, demain, v o u s viendrez chez nous... Mathieu D r e y f u s prit la main délicate, et la retint nn instant, la serrant avec tendresse. Mademoiselle Scheden rougit et lovant les y e u x sur le visage du j e u n e homme elle rencontra un regard plein d'ardeur. Madame Sehwai'tgkoppèn tendait, elle aussi, la main à Dreyfus. — A demain donc, fit-elle, m o n mari sera bien con­ t e n t quand nous lui annoncerons v o t r e visite. On échangea encore quelques m o t s puis Mathieu prit congé des deux dames. Il se dirigea v e r s la maison de Lucie, lo cœur gonflé d'espoir. Se serrant contre sa tante, B r i g i t t e , dont le cœur bat­ tait de joie et d'émotion, murmurait : — Enfin, comme j e suis houreuse de l'avoir rencon­ tré "!... • ' ' L a tante sourit : ' — Oui. petite, c'est vraiment la P r o v i d e n c e qui a conduit nos pas, aujourd'hui ! — Oui, vraiment, ma tante ! *' — Il est remarquable quo, dans une grande ville comme Paris, l'on puisse, à p e u do jours de distance, sans se chercher, se retrouver ainsi ! — P e u t - ê t r e , nous sommes-nous cherchés par la pensée % — Sans doute, c'est j u s t e m e n t ce que j e me disais, m o n enfant ,J


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L a jeune fille eKereha a n x i e u s e m e n t le regard de sa tante : — C o m m e n t le t r o u v e s - t u ? dcmanda-t-ello. — ,La p r e m i è r e impression est bonne. C'est un j e u n e liomme t r è s bien élevé et qui doit, sans doute, appartenir à une bonne famille... -Je crois aussi qu'il est riche e&v, à sa «ravate, il portait une perle d'une grande valeur. Brigitte ne p u t retenir un sourire. — Voilà une chose que j e n'avais pas r e m a r q u é e , ma tante ; j e n'ai v u que ses y e u x si bons e t si calmes... — Oui, oui, c'est ainsi que font tous les a m o u r e u x ! La j e u n e fille se montra p r e s q u e offensée. — Mais, ma t a n t e , j e t'ai déjà dit que j e n e suis pas amoureuse... — Ma chère enfant, j e voudrais t e demander une chose : demain, ce monsieur viendra chez nous, mais t u dois m e p r o m e t t r e do savoir r e f r é n e r tes sentiments... Tu sais que tes parents e t t o n oncle ont fondé des p r o j e t s sur toi et qu'ils ne seraient pas contents de t e savoir amou­ reuse d'un Français. Tu dois de la reconnaissance à t o n sauveur, mais ta gratitude ne doit pas devenir de l'a­ mour... — P o u r q u o i , tante H é l è n e , me rappelles-tu les idées de m e s parents , — P a r c e que c'est nécessaire, m o n enfant et qu'il faut que tu sois raisonnable... — E t r e raisonnable !.,. A h ! ma tante, c o m m e c'est difficile quand on est si jeune... — Laissons les choses suivre leur cours, B r i g i t t e . Il n'y a pour l'instant aueuue raison de t'inquiéter. Il est d'ailleurs inutile d'aller contre les é v é n e m e n t s , puisque l'avenir est écrit dans le livre du Destin. Brigitte v o n Scheden ne répondit pas.

La joie que Brigitte avait éprouvé en retrouvant son


— 264 — sauveur s'était tout-à-coup évanouie ; il lui semblait qu'un nuage sombre venait de voiler le soleil. U n e anxiété terrible lui pesait sur le cœur. Qu'est-ce qui l'attendait ? Elle n'osait y penser, mais elle avait l'intime certi­ tude de ce qu'elle aurait à surmonter de nombreuses, dif­ ficultés car Mathieu D r e y f u s ne lui serait jamais indif­ férent.

CHAPITRE

LE

PEUPLE

CRIE

XXXIV.

VENGEANCE

!...

D a n s la grande salle du Conseil quelques officiers discutaient avec animation. L e groupe était formé du chef de là Section des Informations Secrètes, le colonel Sandheer, de P i c q u a r t , du P a t y et d ' H e n r y . D u P a t y avait pris la parole et continuait son dis­ cours. — Selon ces témoignages, il n e p e u t y avoir aucun doute, seul A l f r e d D r e y f u s peu avoir commis cette in­ fâme trahison ! L e lieutenant colonel P i c q u a r t l'interrompit : Selon moi, la ressemblance de deux écritures ne cous­ it ne pas une p r e u v e suffisante p o u r accuser un individu d'un semblable crime. D u P a t y sourit : — "Prenez patience, colonel. Nous avons appelé un e x p e r t p o u r qu'il examine les deux écritures. — P a r qui a été choisi cet expert %


— 265 — P a r votre collègue H e n r y . . . P i c q u a r t aurait encore voulu dire quelque chose mais juste à ce m o m e n t , le général Boisdeffre, accompa­ gné par le Ministre de la G u e r r e , entra dans la salle. Quelques saints s'échangèrent, puis Boisdeffre in­ vita les officiers à p r e n d r e place autour de la table, c o u ­ v e r t e d'un tapis vert. Quand tous furent assis, il se tourna v e r s P a t y et lui dit : — Voulez-vous nous donner connaissance de v o t r e rapport sur l'enquête concernant le capitaine D r e y f u s % D u P a t y ouvrit un dossier qu'il avait déposé sur la table, se leva et eomenea la lecture de son rapport. — P e n d a n t l'instruction, concernant le crime de haute trahison, j e me suis entretenu à plusieurs reprises avec l'inculpé... Je lui ai montré le document qui est e n ­ t r e nos mains et j e lui ai fait voir aussi le feuillet t r o u v é à l'ambassade allemande. Je lui ai toujours conseillé de dire la vérité et d'avouer sa faute... P i c q u a r t l'interrompit : — V o u s appelez cela d o n n e r des conseils !... J'ai assisté à l'un de ces interrogatoires et j ' a i constaté q u e la manière dont vous traitez l'accusé était vraiment ini­ que ! Boisdeffre jeta un regard mépriasnt à l'interrup­ teur. — Je vous prie, dit-il de laisser parler le c o m m a n ­ dant du Paty... P i c q u a r t aurait voulu répondre et manifester son indignation p o u r la façon dont D r e y f u s avait été traité en sa p r é s e n c e , mais il fit un effort p o u r se dominer et se tut. D u P a t y continua : — Quand j e montrai le document à D r e y f u s , j e vis C. I.

LIVRAISON

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266 — '

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apparaître sur son visage nue expression d'épouvante... Il paraissait attoré de voir qU© ces p i è c e s se trouvaient e n t r e nos mains... 'L'aveu de sa faute, lui. dis-je, était écrito sur son froid ; et. cependant, malgré cela, il s'obs­ tinait à nier, à protester de sou innocence. Je fus ensuite informé par le commandant Forzinetti de ce que les amis 'de D r e y f u s avaient t e n t é de le faire évader et l'on p e u t considérer c e t t e t e n t a t i v e Une nouvelle p r e u v e du crime, car un innocent ne cherche pas à fuir la justice I ••: Picquart iulorroinpit encore : — Mais le capitaine Dreyfus n'a pas pris la Cuite, malgré que la p o r t e de la cellule a été t r o u v é e ouverte e t que rien lie l'aurait empêché de s'évader... Du P a t y lui jeta un regard irrité (|ui révélait toute sa haiiie. E t , connue pour faire comprendre <|iie,.à dater de cet instant, il négligerait toute nouvelle interruption du co­ lonel, il continua en haussant la v o i x i — Si v o u s nie demandez mon impression, relative­ ment à l'attitude de l'accusé, je puis vous dire en pleine t o n victiou, <|tie je pense qu'il est coupable ! Plçqttaft tenta encore d'interrompre. — Vous ne pouvez pourtant pas attibuer la valeur 'd'une p r e u v e à vos convictions personnelles ! Boisdefl're se fâcha : — J 'ai déjà été contraint de vous prier de ne pas interrompre le coinandald, colonel l'icmia ri... Vous pre­ nez le parti de D r e y f u s avec une telle chaleur qU'OU di­ rait (|tle vous avez un intérêt personnel dans la (piestioil ! • — Mon général, il vaudrait peut-être mieux deman­ der au commandant du Paty si ce n'est pas par intérêt personnel qu'il désire que le capitaine D r e y f u s soit con­ damné ! Le visage de du P a t y s'empourpra. Il baissa les yeux


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267 —

sur la feuille qu'il tenait en main e t feignit de lire avec at­ t e n t i o n , c o m m e s'il n'avait pas entendu les paroles du colonel Pieqtiart. Boisdeffre se tourna v e r s celui-ci et lui demanda d'un t o n s é v è r e i *•? C o m m e n t duis-je interpréter v o s paroles, colo­ nel 1 — Je pense que l'endroit est mal choisi pour parler de cela, mou généi'al. — V o u s p o u v e z interroger du P a t y e t , p e u t - ê t r e , v o u s donnera-t-il l'explication de nies pa­ roles... Boisdeffre regarda du P a t y qui était toujours absor­ bé dans l'étude de ses documents, puis il se tourna vers le général Mercier et lui demanda : — V o u s y comprenez quelque chose ? — Non, e t j e n e crois pas qu'il soit utile de chercher à comprendre,.. Il vaut m i e u x continuer. — V o u s avez quelque chose à ajouter, commandant du P a t y % — Non, m o n général, répondit celui-ci en s ' a s s e y a n t . Il était f u r i e u x Contre Picquart... C ' é t a i t A r a i n i e n t u n e malchance que d'avoir rencontré sa f e m m e chez Dreyfus. L a Voix de Boisdefft'e vint le tirer de ses réflexions. — L ' e x p e r t en écriture est-il arrivé f Ce fut le colonel H e n r y qui répondit : — Oui, m o u général, il est dans l'antichambre. — Faites-le entrer. H e n r y sortit de la salle e t rentra presqu 'immédia­ t e m e n t , accompagné de Monsieur Cube ri. l'expert de la B a n q u e de France. "Celtli-ci s'approcha do la table s'inclina. — Je vous prie de m o n t r e r à Monsieur G o b e r t les


— 268 — essais d'écriture que v o u s avez fait faire à D r e y f u s ainsi que le document trouvé à l'ambassade allemande, dit Boisdeffre en s'adressant au commandant du P a t y . L e commandant remit les papiers demandés à l ' e x ­ p e r t . Celui-ci prit les deux feuillets e t les examina avec grande attention. Il resta si longtemps penché sur les d e u x p i è c e s que Boisdeffre, impatienté, lui demanda : — Q u ' e n dites-vous ? L e s deux papiers sont-ils écrits par la m ê m e p e r s o n n e ? G o b e r t rendit les papiers au général e t répondit sans hésiter : — Non, les caractères se ressemblent, mais ils n ' o n t pas été tracés par la m ê m e main... L e s officiers échangèrent des regards de surprise. D u P a t y cachait péniblement sa désillusion sous un soui'ire ironique. A l o r s 'l... Qu'allait-il arriver % Si l'expert affirmait que D r e y f u s n'était pas Fau­ t e u r de ce document infamant, son innoncence serait suf­ fisamment p r o u v é e e t l'accusation tomberait faute de substance. Soudain, de la rue, monta une rumeur confuse. / Boisdeffre fit un signe et H e n r y . s e pencha à la f e ­ n ê t r e p o u r voir ce qui se passait. — U n e grande foule est assemblée devant la maison et manifeste avec animation, dit le colonel. — La police t e n t e de la faire circuler, mais elle ne parvient à se faire obéir;.. L e s voix arrivaient maintenant distinctement dans la salle. On criait.: — A bas D r e y f u s !... — M o r t au traître ! Des sifflets, des cris, des imprécations... C'était un


— 269 — véritable tumulte, u n e véritable émeute populaire ! L e général Mercier était t r è s pâle ; ses lèvres t r e m ­ blaient . — C o m m e n t le public a-t-il pu apprendre ces faits, puisque j ' a i donné les ordres les plus s é v è r e s , afin q u e t o u t reste secret % demauda-t-il ce disant regardait a u ­ tour de lui avec un air interrogateur. Quand son regard se posa sur H e n r y , celui-ci tourna la t ê t e de l'autre côté. De:la rue montaient encore les cris du peuple c o n t r e le g o u v e r n e m e n t e t l e s imprécations contre D r e y f u s . A u tumulte se joignait la voix perçante des camelots : »

— — —-/—

Demandez là « L i b r e P a r o l e » ! U n t r a î t r e parmi les officiers de l ' E t a t - M a j o r ! L e capitaine D r e y f u s , u n j u i f , t r a î t r e à l a patrie ! L e gouvernement veut cacher l a vérité !..

L e général Mercier bondit e t s'exclama : — Il faut se procurer immédiatement ce journal... D u P a t y sortit prestement de la salle e t , quelques instants plus tard, il revint apportant le journal qu'il remit an ministre. On lisait en première page, e n caractères énormes : <( UN S C A N D A L E A L ' E T A T

MAJOR

(( Nous tenons de personnes bien informées q u ' o n a découvert à l ' E t a t - M a j o r , les faits s u i v a n t s » P u i s un article très long e t très détaillé relatait la d é c o u v e r t e de la v e n t e de documents secrets à l'ambas­ sade allemande. Ensuite o n relatait l'arrestation de D r e y f u s et l'article se terminait par la reproduction de


— 270 — m lettre adressée au directeur de la « Libre Parole » par le personnage qui avait divulgué ce secret. L a lettre disait ceci : « Mon cher ami, « Ce que je vous ai dit correspond très exactement à la vérité. L'inculpé est le capitaine Dreyfus, demeurant avenue du Trocadéro, № 6 ; il a été arrêté le 15 octobre pour espion­ nage et haute trahison. Il se trouve actuellement au ChercheMidi. « On prétend, dans certains milieux, qu'il a quitté momen­ tanément Paris, mais vous pouvez tenir echi pour une feinte destinée et étouffer le scandale. »

P u i s en guise de signature, figurait une simple ini­ tiale, un H majuscule. L e général Mercier laissa r e t o m b e r le journal sur ses j enoux. — Qui voulez-vous que soient ces « personnes bien informées » auxquelles c e t article fait allusion *? dit-il. - Il ne p e u t s'agir que d'un officier de.l'Etat-Major, et '•••LÌ officier est aussi l'auteur de la lettre ; mais qui est­ uo... ?H... Ì Qui est ce H... % I n s t i n c t i v e m e n t , il regarda H e n r y qui était penché

à la fenêtre e t regardait la foule. L e général Boisdeffre prit alors la parole : — P u i s q u e le public, maintenant, est au courant du fait, nous allons être contraints d'agir sans p e r d r e un instant... — A agir contre le capitaine D r e y f u s 1 demanda le colonel P i c q u a r t . — Naturellement...


— 271 — Picquart se drossa et posant ses d e u x poings sur la table, il cria : — La divulgation de l'accusation de trahison contre le capitaine D r e y f u s est une infamie p r é m é d i t é e ; on v e u t que le peuple se dresse contre lui. e t réclame sa condam­ nation !... L'auteur de c e t t e odieuse intrigue, de ce n o u ­ v e a u coup de scène est ici ! Boisdeffre fit signe à l'expert de sortir de la saJle. P u i s il se retourna v e r s P i c q u a r t : — V o u s êtes officiel' et j ' e x i g e de vous par-dessus t o u t e s choses, le r e s p e c t dû à Farinée... — E t vous voulez aussi, m o n général, que j e sois le complice des persécuteurs de ce malheureux capitaine Dreyfus ? — L ' i n t é r ê t de la patrie est que D r e y f u s soit s é v è r e ­ m e n t condamné... — C'est une honte ! Alfred D r e y f u s est innocent I L e j u g e m e n t de l'expert en écriture a été net et clair. D u P a t y - s e mit à rire et rétorqua : — Nous n 'avons entendu qu'un seul j u g e m e n t d ' e x ­ p e r t ; nous en attendons un autre. P i c q u a r t ne pouvait plus se maîtriser : — D ' u n (>xpert que «era payé par vous pour dire c* que v o u s voulez qu'il dise, n'est-ce pas 'i .Du P a t y se dressa d u n bond : — Colonel, ceci est... Mais Picquart ne l'entendait plus : il était déjà sorti de la p i è c e . L e général Boisdeffre avait le regard fixe, inquiet e t ce ne fut qu'après quelques instants de silence qu'il mur­ mura : — Que fait-on, maintenant ? L e général Mercier ajouta : Il faut faire quelque cho­ se р о щ calmer le peuple ! :


— 272 — D u P a t y reprit alors la parole : • — Nous devons, dit-il, maintenir ' l'accusation con­ tre D r e y f u s e t c o m m e n c e r le'procès; . E t les autres officiers, après un instant de réflexions, approuvèrent ces terribles paroles ! - -

CHAPITRE

UN D E F E N S E U R

XXXV.

DE

LA

JUSTICE.

' ~ , L'avocat Démange. " . . Du Paty releva la t ê t e et fit un'signe à l'ordonnance : Faites-rentrer !... ' • •• • - v y . Mailre I >eniange entra-ct salua froidement le com* mandant. - ' ; Sa vis P i n vi ter à s'asseoir,- le-commandant-lui deman­ da : • — , — -Quel est-le inotif de v o t r e visite-,-Monsieur % — - P e r m e t t e z - m o i 'de répondre à v o t r e .question par une autre : e s t - c e bien vous qui êtes chargé-de l'enquête sur l'affaire D r e y f u s % — Gui... ' — A l o r s , j e désire v o u s notifier que la défense de l'accusé m'a été confiée... — Il est encore .trop t ô t pour parler de cela, puis­ que l'acte d'accusation n'a pas encore été dressé. — L e fera-t-on bientôt '? D u P a t y haussa les épaule et répondit : — Je n'en sais rien. r— P o u r q u o i voulez-vous encore attendre 'l :


— Voulez-vous me permettre de m us:-<aofr à votre tabfe ?

&

ï-

LIVRAISON

35.



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275 —

— Je ne crois pas être obligé de le dire — Je vais vous Je dire m o i - m ê m e , alors... V o u s Hé­ sitez à publier l'acte d'accusation parce que v o u s n'avez absolument aucune p r e u v e en mains qui puisse justifier ]'inculpation sous laquelle on retient le capitaine Drey;'us en prison,. Du P a t y sourit. , I ' — Si v o u s le savez si bien, fit-il pourquoi m e le d e ­ mandez-vous % L ' a v o c a t bouillait intérieurement en constatant la manière dont lui répondait du P a t y et il se serait v o l o n ­ tairement fâché ; mais, h e u r e u s e m e n t pour lui, il savait admirablement se maîtriser... D ' u n air calme, froid, bureaucratique, il passa à au­ tre chose : — J'ai appris que le capitaine A l f r e d D r e y f u s e s t traité de façon telle que tous c e u x qui le savent et o n t des sentiments humains protestent... A u n o m de m e s mandants, j e p r o t e s t e , moi aussi, et'j'exprime le souhait que cela change. Nous sommes en période d'instruction et le détenu a le droit de se tenir en relations avec les personnes qui s'intéressent à son affaire, de m ê m e qu'il a le droit de voir sa famille e t de lui écrire. Je désire q u e ces droits soient r e s p e c t é s désormais. •— Ce (pie v o u s demandez esd; impossible, répliqua le,commandant. L ' i n t é r ê t supérieur de l'Etat e x i g e que l'on prenne les plus s é v è r e s mesures à l'égard d'Alfred D r e y f u s et qu'il r e s t e au s e c r e t . — L ' i n t é r ê t supérieur de l'Etat ?... Ceci ne signifie l i e n ; ce n'est qu'une mauvaise e x c u s e . P o u r des motifs inavouables, on v e u t absolument que D r e y f u s soit c o u ­ pable... Vous.... D u P a t y l'interrompit v i o l e m m e n t : — Que voulez-voUS insinuer en parlant de motifs inavouables % +


- 276 — '/ - P e u t - ê t r e , Alfred Dreyfus gêne-t-il certains p e r ­ s o n n a g e s fcktti placés.... — -Je vous défends de dire cela, Monsieur ! — C'est probablement la vérité et c'est pour cela que ces propos VOUS offensent...' D u Paty toisa l'avocat de haut en bas et déclara d'un t o n se.c : , Je considère nue cet entretien a assez duré, M o n ­ sieur... Veuillez vous retirez... — Je le ferai lorsque j'aurai fini... Je répète que j e suis venu chez vous connue représentant de l'accusé e t j ' a i le droit d'exiger que vous m'exposiez les motifs sur lesquels est basée l'accusation contre mon client... On eut dit que P a t y était décide à ne plus prendre la peine de répondre car il garda le silence et se mit à e x a ­ miner des papiers qui étaient (levant lui. Sans perdre sou sang froid .L'homme de loi reprit : — Toute l'affaire Dreyfus ne repose sur autre chose que sur une intrigue. On s'est aperçu de ce que parmi les officiers de l'Etat-Major, il y avait un misérable, coupa­ ble de haute trahison. Ne réussissant pas à. découvrir le véritable auteur de ce crime ou a choisi le malheureux D r e y f u s connue bouc.émissaire et, maitenant, il devrait être condamné à m o r t à la place d'un autre... C'est Une Iionto (pii retombe sur toute l'armée, un outrage à la j u s t i c e , un outrage, à l'humanité t o u t entière ! Et pour quelle raison, at-on choisi'Dreyfus ?... U n i q u e m e n t parce qu'il est juif !... S'il est condamné. Alfred D r e y f u s sera la victime, non seulement d'un intrigue infâme, mais e n ­ core d'une, haine injuste, stupide et barbare contre les; juifs... C'est une honte que «les officiers 'français puissent rester sourds à la voix de la justice et du droit pour écouter seulement leurs antipathies personnelles. Dreyfus était pour certains d'entré vous une épine dans le ;


- 277 — cœur, parce qu'il les empêchait de m o n t e r en grade... C'est un juif, c'est entendu, mais cela ne l'empêche pas d'être un bon français e t un bon patriote qui a donné t o u t e sa volonté e t ses p e n s é e s à la France, au bien de la F r a n c e , sa patrie d'élection ! E n le condamnant, on c o m ­ mettrait Un véritable assassinat moral. C'est pour é v i t e r une pareille infamie que j e v e u x plaider c e t t e cause ! Je luttei-ai jusqu'à l'épuisement pour faire triompher le droit de cet innoneent persécuté... J ' e n appellerai au monde entier ;.fiu que l'on m'aide dans c e t t e lutte ! Du P a t y n'avait pas osé i n t e r r o m p r e l'avocat qui avait parlé selon l'impulsion de son âme, mais ces p a r o ­ les l'avaient profondément ébranlé et il ne se sentait plus .aussi certain de la victoire. D é m a n g e était connu pour être un des meilleurs avocats du barreau parisien. S'il se déclarait p r ê t à plaider la cause de D r e y f u s , la lutte à soutenir pour abtenir la condamnation du ca­ pitaine serait certainement très dure. E t il menaçait de susciter- un scandale ! S'il faisait cela, ce serait bien dangereux pour les accusateurs ! L a p r e u v e sur laquelle l'accusation se basait étal*' tellement faible, tellement mince ! P o u r m e t t r e fin à ce p é n i b l e entretien, du P a t y se tourna v e r s l'avocat en disant : — Je p ren d s n o t e de ce que v o u s assumez la défense de l'accusé Dreyfus... D è s que l'acte d'accusation sera formulé et publié, v o u s r e c e v r e z les indications concer­ nant la base de l'accusation... Mais ceci ne suffisait pas à Maitre D e s m a n g e qui demanda : — Et en ce qui concerne ma protestation contre la manière dont est traité l'inculpé depuis son arrestation.%


-

278 —

.Je verrai ce qu'on pôtirrô faire à ce sujet pour

11 M M I i i i t 1 • les d i s p o s i t i o n s prises... 1

—- Je vous p r é v i e n s de c e que j e ne vous laisserai pas de i-épit tant que Dreyfus ne sera pas réintégré dalis ./ses droits Puis» l'avocat s'inclina froidement et prit congé Du Paty le regarda s'en aller et pehsa : — 11 s'agit à p r é s e n t de n e pas perdre de temps si nous ne voulons pas (pie c e t individu vierrie nous mettre des bâtons dans les roues I Puis avec un g e s t e rageur 11 ALLUMA une cigarette.

CHAPITRE NOUVELLES

XXXVI. ESPÉRANCES.

— Tu souris, Mathieu ?... Comment poux-tu avoir le cœur à rire, pendant que mon'eceur se brise... Lucie Dreyfus posait sur son beau-frère un regard de reproche. Le jeune homme prit dans ses mains les mains tremblantes de la jeune femme et les serra affectueusement. Oui, Lucie, dit-il. aujourd'hui, je suis content..... Il me semble qu'un rayon de soleil a chassé lès Udages.qiti assombrissaient ilotfè vie. — U n rayon de soleil % Lucie fixa, un regard incrédule sur son beati-frère et hocha tristement la tête. — Je ne réussis pas à voir le soleil, Mathieu !... Je


-

279 —

no vois pas autre chose que des nuages menaçants, annon­ ciateurs de t e m p ê t e ! — E n c o r e un p e u de patience L u c i e , et t o u t ira bien. M — Si c'était possible, Mathieu Î.Depuis des semaines nous attendons chaque j o u r , que quelque chose survienne pour améliorer n o t r e situation — A i e s confiance, L u c i e et écoute-moi. P a r un ha­ sard vraiment extraordinaire, j ' a i r e n c o n t r é aujourd'hui la nièce de l'attaché militaire à l'ambassade allemande, le capitaine v o n Schwartzkoppen. D e m a i n , on m e p r é s e n ­ tera à, lui et t u sais que, depuis l o n g t e m p s , j e désirais faire sa connaissance L u c i e tenait ses mains serrées l'une contre l'autre. —- Crois-tu vraiment, Mathieu, (pie ce serait la un b o n m o y e n p o u r sauver A l f r e d l —• Oui, L u c i e , répondit le j e u n e h o m m e d'une v o i x f e r m e ; j e le crois certainement. Si j e m'étais p r é s e n t é a à l'ambassade allemande c o m m e un inconnu qui demande secours et protection, j'aurais certainement été éconduit. Mais, à présont j ' a i une alliée en la p e r s o n n e do la nièce de l'attaché militaire et (pie lin-même m e doit d e l à r e c o n ­ naissance, j e réussirai t r è s p r o b a b l e m e n t à l'intéresser à llOtl'ô cause. L u c i e ferma les y e u x et s'appuya sur le dossier do la chaise, puis elle dit : . — C'est vrai, Mathieu, il lue semble vraiment qu'un r a y o n de soleil VCIlt p e r c e r les t é n è b r e s . — Nous (levons réussir h obtenir de l'aide pour A l ­ fred, continua Mathieu D r e y f u s . L e s deux «hunes m'ont dit qtie VOtt Schwartzkoppeu éprouve h désir de nl'expri­ m e r sa reconnaissance et j e suis à p e u près certain qu'il consentira t é m o i g n e r de l'innocence d'Alfred. Lucie soupii'a : — A h ! s'il voulait faire cela !... Alfil'd obtiendrait


— 280 — certainement un non-lieu et il reviendrait p r è s de m o i , de ses enfants... Nous retrouverions notre bonheur et il nous ferait vite oublier la détresse de ces j o u r s terribles! Tous deux se turent quelques minutes, se berçant de l'espoir que leur r ê v e se réaliserait bientôt. Tout-à-coup, L u c i e p r i t les mains de son beau-frère, les serra f o r t e m e n t et dit : — Mais si tu étais surveillé, Mathieu Si nos en­ nemis apprenaient que tu es allé à l'ambassade allemande e t que tu es en relations avec l'attaché militaire, alors... L u c i e ne p u t p o u r s u i v r e l'émotion lui serrait la gorge. Mathieu impatient insista :

— A l o r s , L u c i e t.-'.. — N e crois-tu pas qu'on ferait Semblant de croire que tu continues la trahison dont ton f r è r e est accusé — Ma chère L u c i e , tu vois des fantômes partout, et tout t e fait peur... — J'ai été t r o p cruellement frappée !... T r o p d'in­ famies m'ont fait p e r d r e toute confiance. Je ne puis plus n o u r r i r d'espoir en un avenir meilleur — Cependant, tu ne dois pas renoncer à l'espérance, puisque c'est l'unique f o r c e qui p e u t nous soutenir et nous guider v e r s la victoire. — "^ous avons t r o p d'ennemis, Mathieu. — Demain, j ' e s p è r e t r o u v e r de l'aide... — P o u r v u que tu ne t e t r o m p e s pas ! Â ce m o m e n t , on entendit une grande r u m e u r venant du dehors, Mathieu et Lucie s'approchèrent de la f e n ê t r e . D e v a n t la maison était rassemblée une quantité de gens qui discutaient à haute v o i x et regardaient v e r s les fenêtres de l'appartement. O n entendait distinctement le n o m de D r e y f u s p r o ­ noncé sur un ton indigné.


— 281 — L u c i e , épouvantée, serra le bras de son beau-frère. — Mathieu, qu'est-ce que c'est ? — Je ne sais pas... — L e s j o u r n a u x ont peut-être parlé des événements de ces j o u r s derniers et de l'arrestation d'Alfred ? Mathieu avait o u v e r t la f e n ê t r e et il écoutait atten­ tivement pour distinguer les voix de la foule. — J e . c r o i s que tu as raison L u c i e ; l'arrestation d'Alfred doit avoir été divulguée par la presse... I l vaut mieux que j e descende p o u r savoir de quoi il s'agit. Effrayée, L u c i e retint le j e u n e h o m m e par le bras. — Non, non, n'y va pas ; reste ici... Ils pourraient te faire du mal. Mathieu se mit à rire : — V o y o n s , L u c i e , t u ne vas tout de m ê m e pas croire qu'ils veulent nous tuer t — P o u r t a n t , ces gens doivent être très exilés con­ tre nous ; autrement, ils ne crieraient pas ainsi... A ce m o m e n t on frappa à la p o r t e et le p è r e de L u c i e entra. L a pauvre f e m m e se jeta dans ses bras, en pleurant et le vieillard l'embrassa en la suppliant de se calmer. — P r e n d s courage, ma fille ! dit-il. R e l è v e la t ê t e . L ' h o r i z o n finira bien par s'éelaireir. R e g a r d e , ajouta-t-il en tirant de sa p o c h e , un n u m é r o du « F i g a r o » et le t e n ­ dant à L u c i e . L i s . On commence le p r o c è s d'Alfred et son innocence ne tardera pas à être démontrée... Lucie p r i t le journal d'une main tremblante et elle lut l'article. Mathieu se pencha sur elle p o u r l e lire lui aussi. — P a u v r e A l f r e d !... M ê m e cela ne p e u t t'être épar­ gné ! T u seras traîné devant un tribunal, devant des j u ­ ges impitoyables et durs ! gémissait la malheureuse. — Mais cela vaut mille fois m i e u x que l'incertitude C. I,

LIVRAISON

36


— 282 — en laquelle il se t r o u v e maintenant, remarqua le p è r e , cite reliant à tranquilliser sa fille. — Ton p è r e a raison. Lucie dit Mathieu Dreyfus. E t c e t t e invitation à prendre le thé chez l'attaché militaire de l'ambassade d'Allemagne nie semble de bonne augure; personne ne peut nous aider plus que cet homme, car lui seul p e u t déclare i qu'il n'a jamas roçu de documents se­ crets d'Alfred. L e j e u n e homme semblait si sûr de la victoire qu'il parvint à l'aire entrer son propre optimisme et son cou­ rage dans l'âme de Lucie

CHAPITRE

CHEZ

XXXVII.

L'ATTACHÉ

MILITAIRE.

B r i g i t t e y o n Scheden se disait intérieurcinenl <pie le j e u n e h o m m e qui l'avait sauvée et qu'elle avait revu q u e l ques jours plus tard par un hasard qui paraissait presque miraculeux était vraiment intéressant, que son visage était sympathique et sa silhouette très élégante. Depuis qu'elle l'avait r e v u , elle n'avait l'ait que pen­ ser h lui. Dans son cœur, vibrait l'écho de la plus douce chan­ son d'amour. L e lendemain, elle le reverrait ! Elle attendait avec impatience le retour do son oncle p o u r l u i annoncer la visite de son sauveur. Mais l'attaché ne vint pas dîner à 'a maison ce soir-


283

là. Il téléphona à sa fournie que des affaires importantes lé retenaient au dehors. iirigitto dut donc attendre jusqu'au lendemain pour annoncer à son o n c l e la nouvelle qui la rendait si j o y e u s e . Le capitaine von Schwart/.koppen accueillit les p a ­ roles do sa nièce avec bienveillance,'mais son visage s ' o b cureit en l'entendant i)rononcei' lia nom de ! h ' e y f u s . — Dreyfus 't domandu-tdl. Est-ce un parent de cet Officier que l'on a arrête sous l'inculpation de haute tra­ hison ! Brigitte le regarda avec des y e u x étonnés et l'atta­ ché militaire reprit. — Je vois que tu n'as pas encore lu le journal de ce matin... L e n o m de D r e y f u s est mêlé à une affaire grave. Madame v o n Schvvartzkoppeu entra à ci» m o m e n t dans la pièce et elle entendit les paroles prononcées p a r son mari. : —, J'ai lu la nouvelle dans le journal et j ' a i pensé

qu'il aurait mieux valu ne p a s rencontrer hier ce Jeune

homme et surtout ne p a s l'inviter à venir c h e z nous. Mais maintenant, naturellement, il est t r o p lard. Drigittej'. gardait tantôt son o n d e , tantôt sa tante, sans réussira comprendre do quoi il s'agissait. — Mais qu'est-il arrivé > R a c o n t e s donc !implorn-telle, ' L e diplomate raconta b r i è v e m e n t l'affaire, — E t cet Alfred D r e y f u s t'aurait vendu, à toi, ces documents secrets' ?„, — C ' e s t ce qu'on dit ! répondit gravement Sehwartzkoppeu, — Mais est-ce vrai '? L'attaché se leva, s'approcha de sa nièce et caressa sa tête blonde. — Ma chère enfant, malheureusement, j e no puis I*Q-


— 284 p o n d r e a c e t t e demande, parce qu'il s'agit de s e c r e t d'E- tat... Il est certain que, comme ta tante, j e p e n s e qu'il eût m i e u x valu que tu ne rencontres'pas, hier, t o n sauveur. Mais puisque nous n'y p o u v o n s rien changer, nous le r e ­ cevrons aujourd'hui avec la plus grande cordialité et j e ne manquerai pas de lui e x p r i m e r ma reconnaissance. B r i g i t t e prit la main de son oncle et la serra t e n d r e ­ ment. — Tu seras aimable avec lui, n'est-ce pas, m o n on­ cle % — Je n'oublierai pas qu'il est m o n hôte et que j e lui dois de la gratitude... — E t ensuite \ — Que v e u x - t u dire \ B r i g i t t e hésita un instant, puis demanda sur un t o n décidé : . — A. l'avenir, le r e c e v r a s - t u encore à la maison % — Cela t e tient donc tant à cœur ? demanda-t-il. L a j e u n e fille baissa les y e u x . • — C'est à lui que j e dois d'être encore en vie ! s ' e x elama-t-elle et il me semble que ce n'est pas dans une p e ­ t i t e heure que nous passerons ensemble aujourd'hui, en p r e n a n t une tasse de thé, que j e pourrai lui t é m o i g n e r t o u t e ma reconnaissance... V o n Schwartzkoppen s'éloigna de sa nièce et se mit à marcher par la pièce avec un air pensif, — N ' e n parlons plus pour l'instant ; dit-il, j e ne puis savoir encore ce que j e vais faire... Fuis il sortit et les deux f e m m e s r e s t è r e n t seules. U n lourd silence pesa pendant quelques instants. Chacune suivait ses propres p e n s é e s . Soudain, B r i g i t t e se leva e t alla se j e t e r au cou de sa "tante. Elle pleurait et sanglotait désespérément. Toute


— 285 — effrayée. Madame v o n Sehwartzkoppen la serra dans ses bras. — Mais pourquoi pleures-tu ainsi ? s'enquit-elle. — Je ne le sais pas m o i - m ê m e , ma tante, j e suis si triste !... E t j ' a t t e n d a i s tant de j o i e d'aujourd'hui ! — Ta joie.peut toujours e x i s t e r , p e t i t e . Ton sauveur n'a rien à voir avec le p r o c è s d'Alfred D r e y f u s e t on n e p e u t pas le rendre responsable d'une chose qui concerne un m e m b r e de sa famille. D u r e s t e , p e u t - ê t r e n'est-il pas m ê m e le parent de l'accusé ; il est fort possible qu'il n'ait avec c e t homme rien de commun que le nom... Mademoiselle v o n Scheden se redressa. — C'est juste ! s'écria-t-elle, j e n'avais pas pensé à cela !... — Il ne faut pas désespérer ma chérie ; quand M o n ­ sieur D r e y f u s viendra, il nous dira cela lui-même... Madame v o n Seliwartzkoppen caressa encore une fois le visage mouillé de larmes de sa nièce, puis elle sor­ tit de la pièce et la laissa seule. B r i g i t t e prit alors le journal et se mit à lire avec- at­ tention, l'article concernant D r e y f u s . E t plus elle lisait, plus elle se disait que son oncle pourrait lui dire la vérité : il devait' savoir parfaitement si D r e y f u s était coupable ou non. .Chercherait-il à disculper l'accusé s'il était inno­ cent'? Elle aurait voulu avoir un entretien à ce sujet avec son oncle, mais elle savait qu'il ne lui répondrait pas. E t elle était trop i n e x p é r i m e n t é e pour pouvoir se former d'elle-même une opinion. Elle attendit avec impatience l'arrivée de Mathieu D r e y f u s ; elle sentait instinctivement cpie cet, é v é n e m e n t laisserait dans sa vin une empreinte profonde ; mais se­ rait-ce de la joie ou de la douleur qui en sortirait ?


- 286

Mathieu D r e y f u s se présenta ponctuellement à l'heure fixée. L e domestique qui le reçut à la p o r t é l'introduisit im­ médiatement dans le cabinet de travail de l'attaché mili­ taire et celui-ci vint à sa rencontre en lui tendant cordia­ l e m e n t l'a main et il l'invita à s'asseoir. D ' u n oeil perspicace, le diplomate examinait attenti­ v e m e n t le j e u n e homme qui avait sauvé la vie de sa nièce et son impression était si bonne (pie m ê m e son antipathie innée à l'égard des Israélites était submergée par un sen­ t i m e n t de cordiale admiration. Il offrit des cigarettes à Mathieu D r e y f u s et. lui dit : — J'ai voulu vous recevoir tout d'abord dans m o n bureau, afin de pouvoir vous parler en particulier... A v a n t t o u t , j e vous remercie pour la bravoure et la générosité dont vous ayez fait prouve en sauvant ma nièce d'un gra­ v e (langer... , Mathieu sourit et rougit légèrement. — Ne me remercie/ pas, Monsieur, dit-il, ce que j ' a i fait était tout naturel et ne m'a coûté aucune peine... — Vous êtes trop modeste, Monsieur D r e y f u s , j e sais que d ' a s s e z nombreuses p e r s o n n e s étaient p r é s e n t e s et que personne autre que vous n'a osé affronter ce che­ val emballé... Vous vous êtes comporté comme un-vérita-i ble hérOS et je ne sais comment vous témoigner ma grati­ tude.,— A v o i r sauvé votre nièce est pour moi la meilleure des récompenses, Monsieur vonfSchwcrtzkoppen... L'attaché militaire considéra encore un instant le ifeune homme, puis changeant de sujet, il lui demanda : — Je voudrais savoir si vous avez quelque rapport 1


— 287 — do parenté avec le capitaine Alfred Dreyfus, dont tout P a n s parle actuellement. — C'est m o n f r è r e . Mathieu avait p r o n o n c é ces paroles d'une v o i x f e r m e et décidée. Il était, du r e s t e h e u r e u x de c e t t e occasion de p o u v o i r immédiatement parler de ce qui lui tenait à coeur. Schwartzkoppen tressaillit et Mathieu vit qu'il était p é n i b l e m e n t impressionné. — A h !... C'est v o t r e f r è r e , répéta-t-il en se levant et on se dirigeant vers la f e n ê t r e . U n instant de silence suivit, puis Mathieu se leva a sou tour et s'approcha du diplomate, il affirma avec un air de conviction absolue : — Mon frère est innocent ! V o n Sehwartzkoppon se détourna et répondit avec prudence : — Sans doute... Evidemment... C e t t e affaire ne peut manquer de s'arrai 1 ge r... L e s y e u x de Mathieu brillèrent d'émotion. — Je suis convaincu de ce que v o u s seriez en m e ­ sure de p r o u v e r que mon frère n'est pas coupable ! s'écria-t-il. V o n Schwartzkoppon était é v i d e m m e n t très ému, mais il paraissait hésiter à dévoiler le fond de sa p e n s é e . Enfin après avoir réfléchi encore un m o m e n t , il déclara : — Ce qui est certain, c'est que v o t r e frère n'est j a ­ mais venu me voir et, à fortiori, ne m'a jamais vendu au­ cun document concernant l'armée française. Mathieu laissa échapper un profond Soupir, comme s'il s'était senti soudain allégé d'un poids énorme. — Que D i e u soit loué ! s'écria-t-il. Maintenant, tout est arrangé puisque v o t r e témoignage suffira à démon­ t r e r l'innocence de m o n frère... L e diplomate hocha la t ê t e :


— 288 — — Nervous faites pas trop d'illusions, Monsieur, di% il doucement: Vous risqueriez d'éprouver d'anières déceptions... Mathieu D r o y l u s regarda son interlocuteur avec un air étonné. — Vous..', vous n e viendrez pas t é m o i g n e r en faveur de m o n frère ? domanda-t-il. — Monsieur D r e y f u s , j ' o c c u p e un p o s t e de confiance e t vous devez comprendre que j e ne puis faire de ma p r o ­ p r e initiative une démarche de c e t t e importance... Je ne puisque nie c o n f o r m e r a la lettre aux instructions qui m e sont données... .Je dépends de chefs qui m'ont imposé le silence le pins rigoureux sur les faits et les incidents qui oui lieu sur lè terrain diplomatique. Lie regard de Mathieu D r e y f u s qui, l'instant aupara­ vant, scintillait de joie, était devenu t e r n e et:égaré. — Mais, en ce cas, ne pourrait-on'pas faire une e x ­ ception Songez que tout le bonheur;, t o u t l'avenir d'une famille est en j e u !... Si .mon frère était condamné, sa f e m m e et ses j e u n e s enfants verraient leur vie c o m ­ p l è t e m e n t ruinée. Leur salut est en vos mains, colonel e t VOUS né pouvez hésitera venir à leur secours !... Vous ne connaissez pas mon frère e t , pour cela, il v o u s est indiffé­ r e n t , mais il est le meilleur, le plus noble des hommes, le plus fidèle des maris, le plus tendre des p è r e s , le fils et le f r è r e le plus affectueux... A y e z pitié de lui, capitaine! L e s h o m m e s sont tous frères et ils ont le devoir de s'eutr'aider... Vous pouvez le faire, vous pouvez épargner à m o n frère le plus horrible sort qui s e puisse concevoir... N'hé­ sitez pas, je vous en supplie... Dieu vous récompensera d e . c e t t e lionne action... L'attaché militaire était profondément troublé, .fnstinetivenient, il éprouvait le désir ardent d e s a u v e r le-f-rè^


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