Histoire naturelle et morale des iles Antilles de l'Amérique

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HISTOIRE NATURELLE ET MORALE DES

ILES ANTILLES DE

L'AMERIQUE-

Enrichie d'un grand nombre de belles Figures en taille douce, des Places des Raretez les plus confiderables, qui y font décrites. Avec un Vocabulaire Caraïbe,

S E C O N D E

EDITION.

Reveuë & augmentée de plusieurs Descriptions & de quelques éclaircissemens, qu'on defiroit en la précédente,

Par M. de Rochefort

A Chez

R O T E R D A M ,

A R N O U T

M.

D C

LEERS L X V.



A

M O N S I E U R

MONSIEUR

DE BEVEREN G O U V E R N E U R DE

L'ILE DE TABAGO, Pour les Hauts & Puiffans Seigneurs les Eftats des Provinces Vnies du Pais-bas.

Generaus

MONSIEUR Ayant efté convié de revoir l'Hiftoire Naturelle & Morale des Iles Antilles de l'Amérique, & d'en procurer une Edition nouvelle,qui fut enrichie de plufieurs Defcriptions, & de quelques figures & a3 éclair-


E P I S T R E. éclairciffemens,qu'on defiroit en la précédente : j'ay creu que je ne pouvois rechercher une protection plus avantageufè à toutes ces Additions, qu'en leur faifant voir le jour à la faveur de vôtre N o m , qui eft autant celebre dans cette partie d u nouveau M o n d e , dont ce Livre traite, qu'il eft; illuftre & de bonne odeur au milieu de nous. Mais bien q u e je fois perfuadé, que ce petit Ouvrage doive recevoir un ornement & u n éclat tout particulier de la liberté que je prens, & que je confeffe hautement, qu'il a befoin de cet apuy, pour paroitre aus yeus d'un fiecle tres-éclairé, & qui a fujet d'examiner plus feverement que par le paflé, les


E P I S T R E . les pièces d e cette nature qu'on luy prefente: il faut neantmoins q u e je vous a v o u e , MONSIEUR, q u e ce n'eft point tant fon propre intereft, qui m'oblige à vous l'ofrir, q u e le defir qui m e prefle,de donner au public quelques preuves de la grande eftime q u e ie fais d e vos eminentes Vertus, & fingulierement de vôtre pieté, & de ce zele q u e vous avez p o u r l'avancement de la gloire de D i e u , dans cette aimable Colonie, qui recueille avec ioye les dous fruits d e vôtre fage conduite, dépuis q u e la providence vous y a appelle. Il eft vray, MONSIEUR, q u e n'ayant pas le bien d'eftre c o n n u de vous, i ay fuiet d'aprehender, q u e d abord vous


E P I S T R E . vous ne foyez furpris de m o n pro­ cédé : mais fi vous m e permet­ tez de le iuftifier, ie vous diray s'il vous plaît , qu'en vifitant durant m e s voyages la plupart des Iles de l'Amérique, & trouvant celle de T a b a g o entierement deferte, bien quelle m e parut richement pourveuë, de tous les avantages natureîs, qu'on eut pu defirer pour recevoir des Habitans : ie fouhaitois des lors, que quelque perfonne d'autorité, prit la refolution de la faire cultiver c o m m e elle le meritoit: de forte, qu'ayant en fuite en­ tendu , que Mefsieurs Lampfins y avoient fait porter à leurs frais dans leurs propres vaiffeaus, plufieurs


E P I S T R E . fieurs braves h o m m e s , pour y établir u n e nouvelle Peuplade, fous la C o m m i f s i o n & les favorables aufpices des H a u t s & Puiffans Seigneurs les Eftats Generaus des Provinces U n i e s d u Païs bas, & qu'ils vous avoient prefenté à leurs H a u tes Puiffances, pour y c o m m a n der en leur N o m : je benis Dieu de tout m o n c œ u r de ce genereus deflein, & d e l'excellent choix q u e ces Seigneurs avoient fait d e vôtre Perfonne , pour en avoir la direction : & des ce tems là, je conceus de grandes efperances , qu'il feroit a c o m p a g n é d'un heureus fuccés par la bened étion d u Seigneur, & q u e cette belle Terre étant en de

b

fi


E P I S T R E .

fi bonnes mains, feroit bien toft, l'une des plusfloriffantes& des plus celebres de toutes les Antilles. Cer­ tes, MONSIEUR, ie puis dire maintenant avec verité, que m o n attente n'a point efté vaine, & que mes defirs font à prefent parfaite­ m e n t acomplis, puifque j'aprens avec une fatisfaction nonpareille, par le recit conftant & unanime de tous ceus qui en font retournez dépuis peu , qu'outre la grande prudence, l'équité, & la modération tres-exquifes, que vous aportez en l'adminiftration de vôtre charge, en protegeant les gens de bien, repri­ mant , les déreglez par les loix de la juftice,& veillant fur tout que Dieu foit


E P I S T R E . foit fervi, dans toute l'étendue de vôtre Gouvernement : vous gardez encore un fi bel ordre dans vôtre Maifon, & vous y recevez avec tant de courtoifie & de civilité toutes les Perfonnes d'honneur qui vous vifitent, que vous confervez & avancez merveilleufement parmi ce nouveau M o n d e , la gloire & la reputation de la Nation Belgique. Je fais, M o N s i E U R , q u e vôtre M o deftie , qui relevé grandement le luftre de vos autres perfections, n'aprouvera point ces louanges, bien qu'elles foyent fondées fur la vérité : c'eft pourquoy je ne m'etendray point plus avant dans cette riche matière, de peur de vous b 2 ofen-


E P I S T R E. ofenfer, & afin aufsi q u e l'on ne m e puiffe point imputer avec quelque couleur, d'avoir entrepris de faire vôtre E l o g e , qui eft refervé à u n e meilleure p l u m e : maisje vous prieray tant feulement, que pour confirm e r ce q u e cette Hiftoire pofe par tout pour confiant; aflavoir, q u e les îles Antilles ne font point fi obfcures,qu'elles n'ayent le bonheurd'efhe éclairées de plufieurs honneftes Familles, & particulièrement d e Chefs, qui font très illuftres, pour leur pieté,leur valeur, leur fageffe, & m ê m e pour leur grande erudition ; il vous plaife, MONSIEUR, de foufrir q u e j'ajoute encore ce m o t : qu'ayant la connoiffance de toutes les


EPISTRE. les belles chofes, & poffedant en égale perfection les plus nobles langues de l'Europe, & m ê m e celles qui font les plus prifees entre les docites, c o m m e les excellentes Poëfies Latines q u e nous avons de vôtre faffon le témoignent a m p l e m e n t : V o u s avez aufsi toutes les grâces naturelles & aquifes, & tous les atraïts d e l'efprit & d u corps, qui font capables de toucher les coeurs & d e gagner les afections des Habitans d e l'Ile que vous gouvernez, & des étrangers qui y abordent : tellem e n t , qu'encore q u e cet agreable féjour ait toutes les beautés & tous les charmes qu'on fauroit defirer, pour le rendre acompli, il faut touteb3 fois


E P I S T R E . fois avouer, que vous eftes fon plus precieus joyau, & que vous faites fes plus cheres delices. Voila, MONSIEUR, le fentiment c o m m u n de tous ceus qui ont eu le bien de vous voir, & les raifonnables motifs qui m'ont excité à graver vôtre N o m au frontifpice de cette Hiftoire des Iles Antilles, entre lefquelles celle où vous c o m m a n d e z ,eftla première en ordre, de m ê m e que vos foins l'ont renduë l'une des plus confiderables. E t c'eft aufsi de toutes ces neceffaires & évidentes premiffes, que je tireray s'il vous plait, la preuve tres-claire de la juftice de m o n entreprife, de m ê m e que c'eft fur vôtre grande bonté que je fonde


E P I S T R E . del'efperance que i'ay, qu'en la féellant de votre aprobation , vous agreerez,le petit prefent que ie vous fais de la Defcription de votre Ile & d u pais des Apalachites en particulier, c o m m e un témoignage d u fervice que ie vous ay voué&d u refpect tres-fincere que ie vous porte , Se c o m m e un gage inviolable des prieres que ie prefente à D i e u pour la profperité & la bénédiction de vos grands employs, m e difant à toujours. M O N S I E U R Votre tres-humble & tresobeïjfant Serviteur,

DE

ROCHEFORT.

PRE-


PREFACE.

N

Ous avons le malheur dans les Relations que l'on nous donne des païs lointains, que fouVent ellesfontécrites par des perfonnes intereffèes, qui par ele certains motifs pour de certaines confiderations deguifent la Vérité, & nom reprejentent les chofes d'un autre air, & fous une autre couleur, quelles ne font en effet. Quelque fou aufsi nous rencontrons des Ecrivains, qui de fang froid de gayete de cœur, nom en font acroire, & prenent plaifir à impofer à notre crédulité. Les uns & les autres ont l'affurance de mentir, & croyent qu'ils lepeuvent faire inpunément , parce qu'ils Viennent de loin, comme dit leproverbe. Et par fou enfin nous fommes fujets à recevoir des pieces de cette nature, de la main de gens fimples & grofsiers, qui n'ont ni eftide ni efprit pour nom donner rien d'exact d'affuré, dans les écrits déquels on ne trouve pas de certitude ni de fondement, parce qu'en plufieurs fujets ils ont pris le blanc pour le noir, que faute d'avoir ou bien compris , ou bien retenu les chofes, ils ne nous les raportent pas dans leur naive verité : quoy qu'au reste leur intention ne fait pas de nous tromper. Mais au contraire, c'est un grand avantage, quand de tels Ouvrages font compofez par des Auteurs, ou l'on peut reconnoistrê tout enfemble ces trois conditions, d'eftre desintereffez, de ne point faire jeu de la Vérité, & d'avoir de la memoire & de l'intelligence, pour former leurs Relations. Ceus qui prendront la péne, de jetter les y eus fur l'Hiftoire que nous leur prefentons en ce Volume, y doivent efperer les deus premieres de ces conditions que nous Venons d'établir, cest à dire en un mot, lafincerité: Veu que c'est une louange, qu'il femble qu'un chacun fe peut donner innocenment, à moins que fi


PREFACE. fa propre confidence le demente. Mais pour les qualitéz de l'efprit que nom avons reprefentées comme la troifiéme condition, nom n'en faurions prendre l'eloge, fans faire un trait dedevanité. N o m ofons nom promettre que le titre d'Hiftoire Naturelle & Morale , que nom mettons fur le front de cet O u v r a g e , ne femblera ni trop faftueus ni trop Vafte, à ceus qui daigneront le confronter a Vec le corps de la piece. Au moins avons nom tafché de proportionner lagrandeur de l'édifice, à la magnificence du portail. Ce n'est pas que nom nom Vantions icy d'avoir compris dans ce Livre, tout ce que l'on pourroit écrire fur le fujet des Antilles. On trouveroit affez de matiere pour en amplifier de beaucoup THifloire Naturelle, & même la Morale : Mais quoy qu'il en foit , ilnousfemble que nom avons fatisfait en quelque forte , à ce que le frontifpice du Livre fait efperer aus Lecteurs, & quefichaque partie du Nouveau Monde, étoit examinée aufsi particulierement par les Historiens, l'ancien en feroit mieus informé, qu'ilria efté jufqu'a prejent. N o m avons eflé obligez à toucher en quelques endroits, des fujets déjà traitez par d'illuftres Ecrivains, connus d'une infinité deperfonnes : non certes en intention ou de grofsir notre Volume, ou de nom élever au défus de ces grands Auteurs : mais parce que fans cela notre Histoire eut eflé defectueufe. Tout de même qu'une Carte de la France feroit imparfaite, fi fon Auteur y aVoit obmis quelques places confiderables, fous ombre, que d'autres Geographes les auroient marquées en des Cartes particulieres, de chaque Province du Royaume. Et n'eantmoins, nom nom fommes retranchez en ces matieres, autant qu'il nom à été pofsible, comme en la Defription du Cocos de l'Ananas & de plufieurs autres chofes. A l'exem-


P

R

E

F

A

C

E

.

A l'exemple de Lery & de l'Efcarbot, d'autres Hiftoriens , & par le confeil les invitations de quelques-uns de nos amis , nous avons parferrie cet Ouvrage de paraleles , & d'opofitions enpruntees de divers Pais & de divers Peuples. Si que le un trouve que c'est interrompre lefilde l'Histoire, alonger le parchemin, & amufer le tapis : nous nous flatons dans la creance , qu'il y en aura d'autres, à qui ce s petis enrichiffemens ne feront pas desagréables. Et s'ils ne les confiderent pas comme de traits apartenans au deffein effenciel du tableau, ils les pourront regarder aVec quelque plaifir, comme des bordures de fleurs ,. defruits , & d'oifeaus , pour l'ornement de la pièce. Pour ne pas fatiguer le Lecteur, en lui faifant faire de trop grandes traites tout d'une halêne , pour ne point l'affer fes yeus par une trop longue trop uniforme tiffure de périodes & de difcours , nous avons diVifé notre Histoire en autant de Chapitres & d'articles , que nom avons eftimé le pouvoir faire raifonablement , avec grâce. Mais en quelques endrois, la contexture & la liaifon de la matiere ne nom ayant pas laiffé la liberté de faire des paufes , & de couper notre recit, comme nous l'eufsions voulu y cette contrainte nous fervira d'une excufe fuffifante. Le difeours estl'imagede la penfée. Mais le portrait reprefente la chofe même. C'est pourquoy, nous ne nom fommes point contentez de fimples paroles dans cette Histoire. Nous y avons ajouté un grand nombre de figures de tailles douces, felon les fujets qui nous l'ont permis, pour en inprimer plus puiffianment l'idée dans les efprits, par une demonftration fenfible & palpable. Et nous n'avons pas creu, que les celebres yîuteurs qui ont excellnment reprefenté une partie des mêmes chofes par le


PREFACE, le burin de leurs Graveurs , comme entr autres Charles de l'Eclufe & Iean de Laet, nom en duffent détourner : Veu que par ces aides nom facilitons l'intelligence des matières , & nom divertiffons nos Lecteurs , en même tems que nous embéliffons & que nom enrichiffons notre Histoire. Mais fi la main du Graveur qui a tafchê defuiVre le crayon du Peintre, n'a pas bien conduit tous fes traits , nonobftant les foins & les adreffes de ceus qui en ont forme les deffeins , il s'en faudra prendre feulement a fa foibleffe & à fon inadvertence , & non pas rejetter la faute fur les Directeurs de l'Ouvrage, qui n'ont rien oublié, de tout ce qu ils ont creu pouvoir contribuer, à fa perfection. Pour les manquemens de ce Livre, qui peuvent estre venus de nom mêmes , fans que le Scribe nil'Imprimeury ayent rien contribué, nous n'aurons point de honte de les reconnoitre, & nom nom garderons bien de les défendre , quand on nous les aura montrez, fâchant affez quelle est la foibleffe , & de la mémoire & du jugement de tous les hommes du monde. Seulement nous fuplions ceus qui les auront remarquez, de s'apliquer à eus mêmes ce dire fameus, H o m o fum,

humani à m e nihil alienum puto.

C'est à dire de fe fouVenir qu'ils font fujets a fe méprendre, & à Je tromper comme toute autre perfonne, Qu'au lieu donc de reprendre feverement & avec rigueur, ce qu'ils n'aprouverontpas dans notre Histoire, ils nom en aVertiffent doucement & en charité : nom y déférerons autant que la raifon nous lepourra perfuader. Ainfi bien loin de nous en plaindre, nous leur en aurons de l'obligation, le public en recevra de l'utile té,fice Livre eft mis encore une autrefois en lumière.

c 2

Nous


PREFACE. Nous citons fouVent avec honneur, plufieurs perfonnes de mente de toutes fortes de conditions & qualitéz, qui habitent dans les Colonies, que diverfes Nations del'Europeont formées aus Antilles. Nous avons estimê que nous en devions ufer de la forte, pour autoriser par ce moyen nos (Relations , leur procurer plus d'éclat & plus de certitude. N o m avons außi produy ces illußres & irréprochables témoins , pour désabuzer plufieurs qui fontfimal informez de ces Iles, qu'ils fe perfuadent, quelles ne fervent pour la plupart, que de retraite aus banqueroutiers & aus gens de mauvaife vie. Le contraire étant neantmoins tres-averé , affaVoir, quelles font habitées par une infinitéd'honnestesfamilles, qui y vivent civilement en la crainte de Dieu. Cen'eftpas pour obliger cette Province tres-renommée , en laquelle cette Hiftoire a efté mife fous lapreffe, que nom avons toujours employé le terme d'Hollandois , pour exprimer toute cette floriffante Nation, qui relevé de La Souveraineté des Hauts & Puiffans Seigneurs les Etats Generaus des ProVinces Vnies des Païs-bas : mais feulement pour nous rendre intelligibles à nos François, en nous acommodant au ftile c o m munement receu parmi eus, qui comprend fous ce mot tous les Habitans des autres Provinces confederées }

AVER-


AVERTISSEMENT A U

L

E Touchant

C

C

T

E

U

R

,

cette féconde Edition de l'Histoire des Antilles.

Fttc Hiftoire, ayant efté imprimée en un Pais ou nôtre langue eft étrangere, ce n'eft pas de merveille, qu'il s'y trouve plufieurs fautes. Et il y a plutôt fujet de s'étonner, qu'il ne s'y en rencontre pasd'avantage. Il y a pluficurs è aigus, où il n'en faut pas, & fouvent il n'y en a point, où il en faut, félon la règle d'aujourduy. N o u s difons auffi le même des Apoftrofes, & des ponctuations, On trouvera auffi en quelques endrois , des lettres qui ne font pas neceffaires, fuivant la prononciation & l'ortografe qui ont cours ; & en d'autres il en faudroit ajouter, pour éviter les incongruitez. N o u s aurions fait une lifte de toutes ces fautes, que nous condamnons les premiers, fi nous néuffionscraint, qu'elle eut étonné par fa longueur. Four ce qui eft de l'elegance & des enrichiffêmens du langage, c o m m e cela n'eft pas de l'effence de l'Hiftoire ; Les efprits folides & raifonnables, rechercheront plus icy les choies, que les mors , & la vérité que les ornemens. N o u s confeffons neantmoins, que pour nous eftre arrêtez un peu trop fcrupuleufement, aus propres termes de quelques m é moires, qui nous font venus de diverfes mains, nous avons quelquefois employé des mots qui ne font plus de mile, & m ê m e des faffons de parler, qui ne font pas du belufage. N o s Lecteurs, les fuporteronr s'il leur plait : puifquefices fautes font tort à la pureté de la diction , & à l'élegance duftile,qui eft à prefent le miens receu , elles ne corrompent point le fens, & ne changentpas la fubftance des chofes. N o u s demandons particulierement ce bénin fuport, en faveur des Additions , des éclairciffemens, & des amplifications que nous avonseftéobligez de faire à cette deuziéme Edition, c . fans


Avertiffement

au Lecteur.

fans en avoir pu conférer felon nôtre defir, avec ce tres-docte & incomparable A m y & Allié, qui eut la bonté de polir, d'orner, & d'adoucir par fes pures & naïves expreffions, les rudes matières que nous lui communiquâmes pour en c o m pofer cette Hiftoire, à peu prés en la m ê m e forme, qu'elle a paru en fa première impreffion. Car nous avouons que c'eft de cette excellente plume, que nous tenons la plus grandpart, de tout ce qu'il y a de plus net & de plus exact dans cet Ouvrage, & particulièrement tous ces riches paraleles, & toutes ces judicieufes opofitions, dont il luy plût de parfemer, comme.d'autant de belles fleurs,l'HifloireMorale de nos Caraïbes : de m ê m e que nous lui devons le Vocabulaire du langage de ce Peuple , qu'il obtint du P. R a y m o n d qui étoit alors à Paris. D e forte , quefinous avions efté encore affez heureus, pour eftre éclairez de fes belles lumières , fans doute, que cette pièce pourroit eftre mife au rang des plus achevées en fa forme, c o m m e nous ofons avancer, qu'elle l'eft en la vérité de fes matières. Mais une étendue d'environ deus cens lieues de chemin qui nous fepare , ayant interrompu dépuis quelques années le dous commerce de lettres, que nous entretenions auparavant avec ce grand h o m m e : le Lecteur debonnaire eft fuplié d'atribuer à cette infurmontable neceffité , l'inégalité duftilequi eft vifible en quelques endrois, & la privation de tous les autres precieus ornemens , dont cette Hiftoire auroit efté enrichie , fans cet éloignement. Bien que tout cet univers foit un teatre d'inconftance, où il arrive journellement des revolutions fi étranges & fi inpreveuës, qu'elles changent en peu de tems la face des chofes mêmes , qui fembloient eftre les plus afermies : il faut particulierement. confeffer, que ces altérations & ces changemens font plus reconnoiffables & plus frequens dans ce nouveau M o n d e , duquel nous décrivons icy une partie;qu'en aucun autre endroit de l'ancien , où nous habitons. Depuis environ dixfet ans, que nous fommes de retour du dernier des voyages que nous y avons faits cheminans en nôtre vocation, felon l'ordre que la providence nous avoit adreffé : nous aprenons que des iles qui avoient alors des Colonies tres-floriffantes, font à prefent prefque defertes, & que d'autres, qu'on tenoit en


Avertiffement

au Lecteur.

en ce tems-là c o m m e abandonnées, font maintenant peupléesà merveille. Q u e la plupart des m ê m e sIlesont changé de Seigneurs fonciers, bien qu'elles reconnoiffent la m ê m e Souveraineté dont elles relevoient auparavant. Q u e les Indiens originaires du Païs, font tellement reduits à l'étroit, qu'ils n'ocupent plus que les Terres de la Dominique & de Saint Vincent, o ù l'on projette encore d'établir des C o l o nies , & de les obligeràles recevoir ou par amitie ou par force. Tellement qu'on nous affure, quefinous étions maintenant fur les lieus , nous aurions de la péne à reconnoitre les chofes, que nous y avons autrefois veuës de nos propres yeus, & touchées de nos propres mains. Voila, ce qui concerne les changemens qui font arrivez aus Antilles: & pour ce qui touche ceus du Continent, les derniers mémoires qui nous font venus du fein de la Mexique nous informent, que la Colonie de la Palme, qui ocupoit autréfois l'un & l'autre rivage de la grande Riviere, qui eft connue dans la Floride fous le n o m du Fleuve du Saint Efprit & qui s'étendoit lors que nous y fûmes portez , dépuis la cofte de la m e r jufques à Ochille, cefta dire , plus dedix o u douze lieues avant dans la terre, aeftécontrainte dépuis peu d'abandonner toute cette contrée-là , & de fe retirer au pied des montagnes,qui font éloignées de plus de foixante lieues de la cofte de la m e r , en tirant au domaine des Apalachites, tant afin de fe mettre à couvert des incurfions des Sauvages de la Province de Tagoesta qui les harceloient fans ceffe; que pour fe parer par m ê m e m o y e n , des fréquentes inondations de la Rivière & des torrens, qui enlevoient fouvent tout le provenu de leurs champs, lors qu'ils croient à la veille de le recueillir. N o u s avançons ces exemples, afin que ceus quifaifans le voyage de l'Amérique, porteront avec eus nos Relations , ne trouvent point étrange d'y voir toutes ces révolutions qui y font furvenuës, & qui ne pouvoient eftre preveuës d'aucun h o m m e . Quelques-uns de nos A m i s , ayant veu entre nos mains, les excellentes Lettres, dont plufieurs Seigneurs & Chefs de diverfes Colonies de l'Amérique, nous ont honorez en fuite de la première Edition de cette Hiftoire : & ayans jugé qu'elles donne-


Avertiffement

au Lecteur.

donneraient un merveilleus poids à nos Relations, & qu'elles leur ferviroient d'une aprobation autentique , fi nous leur donnions place à l'entrée de ce V o l u m e , veu n o n m é m e n t , qu'elles leur fembloient écrites à deffein d'eftre publiées. N o u s avons eu beaucoup de péne à fuivre en ce point leurs inclinations , à caufe que nous f o m m e s perfuadez que la grande generofité de ces Seigneurs, leur a dicté des termes trop beaus, trop obligeans & trop avantageus en faveur de cet Ouvrage, &finous avonsfléchià leurs fentimens , ce n'a pas eue fans protefter , c o m m e nous le faifons encore , que ce n'eu point pour nôtre intereft particulier, puifque fans nous atribuer aucune partie de ces éloges, mais les renvoyant entierement à la m ê m e civilité d'où ils ont pris leur origine, nous ne les produifons icy , que pour les confiderations que ces Charitables amis nous ont alleguées: & pour juftifier amplement, ce que nous avons déja pofé c o m m e tres-conftant : que ces Païs-là, ne font pointfibarbares que quelques-uns les eftiment : puis qu'il s'y rencontre des perfonnes tres illuftres, n o n feulement au fait des armes & en la fage conduite des peuples, mais encore en la connoiffance parfaite de tout ce qui eu en eftime parmi les plus grands & les plus folides efprits de nôtre Europe, ainfi que ces riches productions de leurs plumes le témoignent, fans qu'ilfontbefoin de recourir à d'autres preuves.

C O.


C O P I E S De

quelques Lettres choifies entre plufieurs au-

tres , qui ont elle écrites de l'Amérique en faveur de cette Hiftoire. Et premierement de celle que Monfieur le Chevalier de Lonvilliers Poincy, Bailly & Grand Croix de l'Ordre de Saint Jean de Jerufalem , C o m m a n d e u r d'Oyfemont & de. Coulours, Chef d'Efcadre des Vaiffeaus du R o y en Bretagne, Lieutenant & Gouverneur General pour fa Majefté aus Iles de l'Amerique nous écrivit après qu'il en eut receu un Exemplaire, & en nous envoyant le Plan de fa Maifon , & le payfage de l'ile de Saint Chriftofle.

M O N S I E U R

J

E n'ay pointeftéfur pris de la beauté & del'excellencede votre Livre, que vous avez pris la péne de m'envoyer. il ne peut rien fortir de votre bel efprit, qui nefoitparfaitement achevé : & il me femble que vous avez,fiheureufementreufsidans cet Ouvrage, que je m'affure que votre reputation en recevra un grandéclat.Vos remarques fontficurieufes&fivéritables , & le difcoursfipoli que vos amis n'y peuvent rien desirer davantage. Pour moy , je meveusfeulementrejoüiravec vous, d'un fi beau fuccés, & vous rendre mille graces , de ce que vous vous eftesfiavantageufementfouvetiu de moy. le vousenvoyeen échange le Plan de cette Maifon que vous avez defiré.I'yay ajouté celui du payfage de notre île, qui ne vous desagréera pas : & quoy que l'abfence de Monfieur Auber de Midelbourg , m'aye un peu mis en peine par qui vous faire tenir ces petites curiofitez , j'ay creu que Monfieur Kerke, marchand de EleFsingue fer oit connu de vous, & qu il s'aquiteroit volontiers de celte commifion dont je le charge par le Capitaine Antoine d'Armoyfe. le voudrois estre afifez heureus , pour vous témoigner en une ocafion de plus d'importance , ma gratitude de tant d'autres obligations que je vous ay; Vous pouvez bien croire, Monfieur, que je le feray tôud

jours


L E T T R E S . jours avecjoye dans toutes celles qui s'ofriront, & que je fuis de

tout mon cœur.

M O N S I E U R De Saint Chriftofle le D e c e m b . 1638,

1o LE

Vôtre tres-humble Serviteur.

C H E V A L I E R D E POINCY.

Copie d'une autre Lettre que le m ê m e Seigneur nous adreffa, e n nous envoyant encore un autre Crayon de faMaifou, M O N S I E U R

J

Ay receu la lettre que vous avez, pris la peine de m écrire le fixie me du mois de Mars dernier , & je fuis bien aife que vous ayez

agrée les Tableaus de ma Maifon & de nôtre Ile. Voftre Livre est

rempli de remarques tres-doctes , & fi curieufesqu'ilne recevra qu'un mediocre enbeliffement, en y ajoutant le Plan d'une petite Caze à l'Indienne. le prens pourtant tant de plaifir a fatisfaire à ce que vous defirez, que je vous en envoyé encore un autre Crayon

par cette voye, afin que vous ayez le moyen de choifir celui que vous

jugerez le plus propre à votre deffein. le nefuis point du tout étonne de l'aprobation que notre Nation, & même

les étrangers ont

donnée à voftre Hiftoire : Car elleestfiexacte & fi bien écrite,

qu'on n'y peut rien ajouter. le fuis témoin depuis plus de vint années de la plupart des belles chofes que vous remarquez , &

on ne

fauroit trop avant ageufement reconnoitre un travailfilouable. le vous fouhaite toute forte de profperité, & vous conjure de croire,

qu'en toutes ocafions je vous feray paroitre , que jefuis parfaite ment.

M O N S I E U R D e Saint Chriftofle le 15 Juillet 1659..

Votre tres-humble Serviteur

LE. C H E V A L I E R DE P O I N C Y .

Copie


L E T T R E S . Copie de la lettre que Monfieur le Gouverneur de la C o lonie de la Palme , nous a envoyée au fujet de cette Hiftoire.

M O N S I E U R

N

oftre Colonie doit beaucoup à votre docte plume, & au zele que vous avez, eu de la faire connoitreàl'autre Monde, où fans vos belles lumières, l'on nefauroitpas mêmefielle fubfifte en celui-cy : tellement que nous reconnoijfons par une tres-agréable expérience, qu'en quelque part qu'on vous trouve;foit dans le fein del'ileHifpaniola, foit dans celle de la Tortue, foit dans la Floride , foit en France, ou dans vos riches Ecrits,vouseftes par tout l'obligeant&le tout aimable, il n'y a aucun de notre Compagnie qui n'ait ces fentimens, qui ne vous regarde comme un ami intime, qui ne fouhaite de vous revoir dans ces contrées , & de vous pouvoir un jour témoigner la reconnoiffance que nous vous devons, à caufe decedous fouvenir que vous avez eu de nous dans votre vraye & incomparable Histoire des Antilles. Nous avons tout fujet de donner ces élogesàcette excellente production de votre efptrit, après tant de Relations fabuleufes qui ont paffé fous nos yeus , & qui ont donné aus Apalachites & aus autres Indiens qui peuplent ces Pais , une toute autre face qu'ils nont en éfet. Pour moy , j'ay du déplaifir de ce que lors que cette Colonie naiffante eut le bien de vous poffeder, je ne pûs jouir qu'un moment de voftre douce converfation. Vous favez, Monfieur, que la, necefsité de nos affairesm'obligeade me rendre fur nos frontieres pour opofer nos forcesàla defcente des Barbares , qui y avoient paru, & que je pris congé de vous dans l'efperance de vous trouver encore à la Palme h mon retour, mais fans doute , vous ne le fauries pas fi je ne le vous difois , quejamais aucun vent ne fut plus contraire h mes inclinations , que celui qui durant mon abfence fe rendit favorable a la continuation de voftre Voyage , puis qu'en vous enlevant du milieu de nous , il ravit aufsi les delicesdenos cœurs, & nous priva d'une tresfenfible confolation. Depuis ce tems-là, nous avonsfouvent parlé.

d

2

de


LETTRES. de vous,

&

nous avons reconnu pas votre digne Hiftoire, que l'a-

mitie que nous avons pour vous est réciproque, veu que vous avez, fi bien conferve les Idées de la P a l m e , des Provinces voifines , &

de C o f a , de B e m a r i n

&

que vous nous donnez des enfeignes

illuftres de ce precieus fouvenir.

Certes , Monfieur , quand bien

vous nous auriez laiffez dans ce profond filence, ou nous fommes comme

enfevelis depuis tant d'années , nous dirions neantmoins

de votre Histoire, qu'elleestjudicieufe,fidele, & divertiffante, &

quelle est richement embelie de tous les agréemens, que les

efprits Us plus délicats fauroient defirer, pour leur entière fatis faction. Pourfuivez, Monfieur a nous aimer, & tenez s'il vous plait pour affuré que nous reputerons h grand bonheur d'aprendre que nos lettres vous ayenteftéfidèlementdélivrées, & que nous ayons toujours part en vos afections , de même qu'en vous honorant très parfaitement, nous faifons des prières à Dieu pour vôtre profperité, &

pourl'heureusfuccés de vos louables entrepri-

fes. C'eft aufsiàfa fainte protection , que je vous recommande particulier, comme

en

étant de tout mon cœur.

M O N S I E U R D e la Palme en l'Amérique Septentrionale le 14 Juin 1659.

Vôtre tres-humble & trèsobeiffant Serviteur. DE

VAL CROISSANT.

Copie d'une Lettre que Monfieur Edouard Graeves, Docteur en droit , & l'un des Chefs & Directeurs des Familles étrangères qui font parmi les Apalachites, nous à envoyée fur le fujet de cette Hiftoire, avec la Relation fort ample de tout l'état de ce Païs-là, & ies crayons de la montagne. d'Olaimy, de la Ville de Melilot, & de la Plante fenfitive. M O N S I E U R

Bien que nous vivions dans l'une des plus reculées Colonies l'Amérique Septentrionale,&que nous foyons prefque privez de tout commerce avec le reste des hommes , qui font profeffion


L E T T R E S . fion de rechercher les belles chofes & de leur donner le prix qu'el­ les méritent : nоus avons neantmoins efté affez heureus, que de recevoir un Exemplaire de l'excellente Histoire Naturelle& Morale des îles Antilles , que vous avez, donnée au public. Et parce que vous avez eu la bonté de vous fouvenir de nom ,& de nom nommer avec honneur en plufieurs endroits de votre Livre,& même d'y inférer à deffein une belle& judicieufe digrefsion , qui ne traite que de nom , je crois eftre obligé de vous en rendre de tres-afectueufes actions de grâces,& de vous affurer comme jefais , que nom avons leu avec un contentement extraordinaire, cette Relation très-fidèle& tres-exacte, que vous avez compofée de ce petit Etat,fur les mémoires que feu M Briftok vom avoit envoyez. r

Nous fouhaiterions , Monfieur, que ce docte Perfonnage, qui л laiffé parmi nom unefidouce odeur defes vertus , fut encore en vie pour s'aquiter de la promeffe qu'ilvousavoit donnée, d'informer encoreplusamplement l'Europe , de tout ce qu'il y à deplusrare & deplusconfiderabledansce Pais& dans les Provinces voifines. Car comme il avoit une tres-exacte connoiffance de toutes ces chofes, & une grâce incomparable à s'en exprimer de vive voix & par écrit,ileut efté fans doute auffifoigneusde tenirfaparole avec honneur , qu'il avoit efté facile & obligeant a la donner. Mais afin que dans cette perte qui nom est extrêmementfenfible , vom ne foyez pas entierement frufiré de cette douce attente, & de l'efperance que vom en avez fait concevoir au public : nous vom prions Monfieur de recevoir le Cayer qui acompagne les prefentes, ou vom trouverez les Crayons de la celebre montagne d ' O l a i m y , de notre Ville de M e l i l o t ,& de la Plantefenfitive, avec un recit veritable de notre petite Colonie , & de tout ce dont nom avons creu vom devoir informer, pour eftre ajouté fi vous lejugez convenable, я la deuziéme Edition de votre Hiftoire. Nom avons auffi eftimé, Monfieur, que vous ne trouveriez point mauvais, que nom joignifsionsaufsiàces mémoires que nous confions a votre prudence , le jugement que nom avons pris la liberté de faire de tout vôtre digne Ouvrage, & la prière que nous vom faifons de le recevoir, comme le fentiment general de tout ce qu'il y a d'honnêtes gens, dans cette partie du nouveau Monde. De vray, Monfieur, nom croirions commettre une haute injuftice fi nous en ufions autrement, & fi nous ne confifsions avec cette fran-

d

3

chife


L E T T R E S . chife&

fincerité

dons n o m faifons profeßion: que vous avez

grandement oblige le public , en lui donnant une piece des plus acomplies en ce genre d'écrire, qui ayent encore v e u lejour nous

,&

qu

n e doutons point qu elle ne foit dans l'aprobation univerfèl

de tous ceus qui aiment les îles,&

qu'en fuite, v o u s n'en rece-

viez, une grande louange. Mais agréez s'il vous plaît, Monfieur, que n o m prenions la liberté de vous dire, que d'abord nom

nou

fommes un peu étonnez,

de ce que vous ne vous étiez donné autrement à connoitre dans

l'exemplaire qui est parvenu jufques à nous, quefouscertaines lettres , qui n'ont jamais

efté de mauvais augure. N o u s n'avons garde

de chercher quelques myfteres, qu'uneingenieufefubtilité pourroit facilement trouver dans ces caracteres, ni de penetrer dans les raifons qui vous ont obliged'enuferdelaforte mais nom

nom

fommes perfuadez que fi votre modeftie, par une induftrie fem-

blable a celle de cet excellent Peintre de l'antiquité , a voulu e prunter ce voile : vous étiez außi par un fuccés

toutpareil,fort

bienreconnu à la delicateffe de vos traits , aus vives couleurs de votreftile,&

par cette raviffante Symmetrie que votre pinceau

a donnée à toutes les parties de cet excellent Ouvrage.

Sans vous traiter avec des termes de flaterie, qui font bannis pa un arreß irrevocable,

&

fans aucune efperance de rapel., de tou

jurifdiction de cette Republique : de qui pouvoit-on atendre des defcriptionsfiriches& veilleus dans ces

fi naïves , de tout ce qu'il y a deplusmer-

iles, ou les plm renommées Nations de l'Europe

ont pouffé c o m m e à l'envi des Colonies , que de celui qui les a

foigneufement vifitées ? Et qui pouvait nom en donner l'Hiftoire avec plm de perfection ; qu'une perfonne exempte de toutes les partialitez&

de tous les préjugez ou intérêts , qui infectent la plu-

plart des Ecrivains dufiecle:&

quis'eftétudiée de confiderer les

chofes dans leur propreforme,fans que l'envie, la jaloufie, ou que que autre paßion maligne, ayent tant foit peu altéré leur vraye& Soit que vous parliez des miracles de la nature, ou des mœurs

des Barbares , ou de la police des habit ans étrangers : vous lefaite avec tant de grâce , d'exattitude ,&

de dextérité, que

pouvons dire, que la curiofité la plus avide&

nom

la plm infatiable, s'en

treuvefatisfaite. Mais, ce qui donne plm de poids à notre admiration ;


L

E

T

T

R

E

S

.

tion;c'eftque vous avez, tiré toutescesraretezde votre riche fonds ayant le premier penetré dans cesfecrets, &

traite de ces matieres.

Bien que le fujet que vous maniez foit fouvent affez fterile & languiffant, voire même quelquefois fauvage & obfcur, vous le poliffez par la douceur de vos expreßions , vous l'éclairez de vos belles lumières,. vous le foûtenez par la force de vos raifonnemens, vous l'animez par la vigueur de vos penfées , vous l'enrichiffez de tant d'agréables paraleles &

de judicieufes opofitions,& vous le

revêtez de tant de precieus ornemens , qu'on y trouve par tout un

dous aymant, & des chaînes invijibles, qui lient les cœurs, & atirent les afections de tous ceus qui le confiderent. Ilefl vray, que votre modeftie, dans la préface qualifie toutes ces beautés, ces grâces ,& ces riches obfervations,des bordures de fleurs, de fruits, & d'oifeaus, qui nefont point de l'effence

mais de

l'ornement du Tableau : Mais quant à nous,nousles priferons toujours comme

une ravijfante broderie , qui rehauffe la valeur de fa

matière, oufivous nous permettez de nom exprimer encore plm richement, comme autant de perles, de diamans, de rubis,& d'autres pierres precieufes que vous y avez femees , pour donner à tout le corps de cette Hiftoire, tout l'éclat&

toute la pompe,

qu'on pour-

roit defirer pour fon acompliffement. Voila, Monfieur, ce que nom avions à dire en gros de votre travail. Mais, s'il nom est encore permis de le confiderer en détail, trouvez bon, nom

Monfieur,

que nom vous déclarions franchement, que

avons icy quelques-uns de vos amis qui vous ont connu aus

Iles , qui fe perfuadent, que fans y penfer, vous avez fait un grand tort aus païs que vous décrivez , parce que vous les reprefentez avec tant de naïveté.dans leur beauté naturelle: qu'ils aprehendent, qu'iln'yait deformaisperfonne qui. forme le deffein de vifiter ces lieus, pour léquels autrefois l'on ne craignoit point d'entreprendre defilongs&

defiperilleus voyages, puif qu'on peut à prefentfiaifé.-

ment contempler tout ce qu'il y a de plus beau& fortir dulieude fa demeure ,&

de plus rare , fans

même fans quiter le cabinet ; Mais

nous ne vous celerons pas außi,qu'ily en a d'autres,ejr en beaucoup plus grand nombre, qui raifonnent tout autrement,&

qui s'aten-

dent que vôtre procédé aura un fuccés tout contraire au jugement des premiers. D'autant qu'ils croyent que vous dépeignez ces concesfibelles&firaviffantes, que les Iles fortunées quifont tant

van


L E T T R E S . vantées dans les fables , n'en étant que des idées fort grofieres &

de legers crayons : l'on prendra volontiers la genereufe refolut ion de les allervoir,pour conférer les excellentes copies que vous avez mifes en main , avec les Originaus, &

ainfi contenter la

veuë, de ce que. vous dites eftre,comme ill'eften éfet, acompagnéde tant de charmes réels,&

de veritables delices.

Et de vrai, Monfieur, quieftcelui qui en lifant vos doctes

écrits , n'auroit envie de voir ces belles plaines de quelques Il que vous repreféntez, couvertes de tant de tre fors de la nature : & de confiderer en prefence, la hauteur prodigieufe de ces montagnes,

quipour nousfervir de vos termes , font couronnées d'une infinit d'arbres precieus,&

revétuës d'une verdure eternelle ? Qui ne

feroit épris de la beauté de tant de profondes vallées& d'agréable

collines , qui en divertifant ces aimables payfages , y forment d

ferfpectivesfidivertijfantes , que l œil ne peut foufrir qu avec r

gret, d'eftre tant foit peu diverti de la contemplation de tons

aimables objets ? Sur tout qui est-ce, qui aprés avoir leu ce que v dites de ce magnifique Palais de

Monfieur le Gouverneur Gene-

ral de votre Nation , lequel vous décrivez d une architecture fi

acomplie, arrofé de tant de claires fontaines , ombragé de tant d bois precieus& &

de bonne odeur , afforti de tout ce que l'arti

la nature ont de plus raviffant,&

même pourveu de tant de

douceurs, quelles pourraient faire tarir les fources de l'amer

me : ne foitenfuitetranfportéd'un ardent defir de voir le glorieu affemblage de tant de raretez& de tant de merveilles, qui lui étoyent autrefois inconnues ?

Il faudroit auffi eftre privé de l'une des plus douces paßions qui flatent ordinairement le cœur des hommes, fi aprés avoir leu

vôtre Hiftoire l'on ne defir oit de voir, non plus dans les livre

ou dans les cabinets des curieus ; mais au lieu même de leur orig ne, tant de fortes de bétes a, quatre pieds, de reptiles& &

d'infect

particulierement ces incomparables Oifeam que vous reprefen-

tez dans leur pompe, couverts d'un plumage diverfifiè de tant de vives&

inalterables

couleurs, qu elles femblent avoir épuifé t

ce qu'il y a de plus brillant&

de plusl u m i n e u sdanslanature,

pour faire ce fuperbe mélange ? L'on envoyé bien à l'Europe quel-

ques dépouilles de ces legers habitans de l'air : mais outre qu'é morts, ils perdent beaucoup de leur lustre&

de leur grâce : vou les


L E T T R E S . les avez,fiparfaitement bien d'écrits en vôtre Hifloire, que nou nous perfuadons aifément, que ceus qui la lifent fouhaiteroient fort volontiers , d'avoir quelque participation de leur agilité, pour fe tranfporter d a n s ces aimables contrées , afin de les y voir A v e c tout ce vif éclat,&

tout ce riche émail dont ils font parez.

Et fur tout pour y confiderer ce Diamant

animé, ou cette Eftroite

volante, cet admirable C o l i b r y , quipour perpetuerfarace, fait u n nid d'unfimerveilleus artifice, qu'il est à craindre que l'Arabie heureufe n'oublie deformais celui def o n Phœnix,

pour célé-

brer celui-cy. Pour n e rien dire de ce petit C u c u y o s , que vous revêtez de tant de gloire&

de lumiere, qu il fait évanouir lesplusépaiffes

tenebres de la nuit : ces Monftres de la mer &

de la terre , ces

Amfibies qui font marcher devant eus la terreur&

l'épouvan-

tement, étans couverts de v o s termes, ont une certaine grâce, qui amoindrit de beaucoup l'horreur qu on avoit conceuë de leurs corps écaillez ou heriffez d e poil,&

de toutes les prodigieufes

défenfes dont leurs gueules font armées. La mer même cette inexorable , qui ne refpecte aucune autres loix que celles que fon Createur lui a impofees , y nourrit tant de poiffons diferens,&

recelé

dans fon vafte fein tant d'ambre , tant de perles , tantdecoral, &

tant d'autres riches productions que vous décrivez, que defor-

mais , l'on fe refoudra facilement a fe confieràfon inconfiance, pour avoir quelque part à tousfes trefors. Fous n'exaltez pas neantmoins ces heureufes contrées jufqu'à un tel point, que vous

rien

découvriez les défauts ,&

rien

declariez les incommoditez , mais au m ê m e tems que vous en donnez la connoiffance , vous fourniffez par une charitable indufirie, les remedes qui font propres pour repouffer les éfets de leur malignité. Et il n'y a rien de tout ce qui peut choquer le repos des Habitans d e ce nouveau Monde,

a quoy vous ne pourvoiyez, ni

venin auquel vous n'opofiez l'antidote, ni d'afligeant que vous nefoulagiez : de forte que les nouveaus venus en lifant vos écrits y trouvent non feulement le moyen de paffer leur vie avec douceur dans ces agréables retraites ,& nobles&

les fecrets de reußir dans tous les

profitables employs que vous leur propofez ; mais encore

les aydes dont il faut ufer,&

le régime de vivre qu'ils doivent

garder, pour y conferver leur fanté toujours vigoureufe, contre e

les


L E T T R E S . les injures desfaifons,lesmauvaifes qualitez de quelquesfruits les outrages des reptiles&

&

des infectes;tellement qu'en moins

d'une heure, ils y aprenent plus de remedes aus maus qui les y peuvent acueillir, qu'une facheufe expérience ne leur en auroit pâ enfeigner, dans la révolution d'unfiecleentier. Vous avez fi parfaitement confervé les idées du naturel, de la police,&

de toutes les diverfes faffons de faire des

que vous avez veues en tant de diferens endrois de

Nations l'Ame-

rtque , qu on ne (auroit rien defirer aus naïves defcriptions, que vous en avez faites. Les maximes ges ,&

mêmes

les plus fauva-

les coutumes les plus étranges , reçoivent un tel air de

politeffe en paffant par vos mains , que les efprits les plus de cats , ne treuvent rien qui les rebute, ou qui leur donne le moindre dégoût en lifant votre Histoire. Et pour les memoires qui vous

ont efté fournis par ces nobles Voyageurs que vous citez toujours avec eloge : vous les avez fi bien arangez dans leur propre lieu & dans un ordre fi judicieus, qu encore qu'ils foient precieus en leur matière & en la forme qu'ils ont receue de leurs propres Auteur, vous les avez rendus tellement vôtres par ce beau jour, & par tous ces agrêemens dont vous les avez acompagnez , que ce feroit vous faire tort,fil'onne les contait entre vos propre srichejfes. Bien que votre Nation, foit l'une des plm plus genereufes qui foyent au

Monde, &

illuftres

&

qu'on doive apeler

vôtre France, de même que l'ancienne terre de Canaan , le Pais

de ta vràye nobleffe, la parfaite en beauté, la joye de toute la terre ,&

qu elle foit célébrée par tout l'univers pour l'œil de l

rope , la mere des civilitez ,&

la maître ffe des bellesfiences,

la bonne grâce, & de tomles plm nobles exercices de la paix & de la guerre , de la Cour & du cabinet : vous ne négligez pas neantmoins par un fourcilleus dédain , les autres Peuples , qui

font dans fon ancienne alliance:mais vous louez ce qui le mérite, parmi telle Nation qu'il fe rencontre,&

vous

avez (î bien par-

tage vos Relations , que vous donnez à chacune ce qui luieftdeu,

fans qu on vous puiffe acufer avec juftice , de partialité, ou de flaterie. De peur, que ces chaleurs prefque continues qui regnent aus Antilles

, ne fuffent tantfoit peu contraires au temperament de vos

Lecteurs, vous leur avez,fourni par une fage prévoyance, un

aimable


L E T T R E S . ble rafrachiffement au milieu de leur courfe, au moyen de la Relationficurieufe& fi bien circonftanciée, de ces triftes Habitans du Détroit de D a v i s , qui paffent les deus tiers de leur vie parmi les glaces& les neiges qui couvrent leurs cavernes : & le refte, dans leseausavec les poiffons , comme une effece d'Amfibies entre les autres hommes. Nous ne doutons point, Monfieur , que les Caraïbes que vous avez, fi bien dépeints , dans leurs ménages & dans leurs divertiffemens , dans tous leurs exercices de la paix& de la guerre, dans leur naiffance& dans leur mort : ne vous avouent deformais pour leur propre Hifiorien ,& qu'ils ne vous celebrent en leurs Carbets & en toutes leurs rejoüiffances lesplusfolemnelles, pour avoir fait l'arbre de leur genealogie, & pour leur avoir donné la connoiffance de leur vraye origine,& fingulierement, pour les avoir produits à la face de l'Europe tels qu ils font en efet, c'est affavoir, beaucoup moins barbares, qu on ne les avoit creus jufques-à prefent. Nom avons eu la curiofité, de communiquer ce que vous en avez, dit, à ceus qui refient encore au milieu de nom ;& nom les avons entendu confirmer de vive voix , tout ce que feu Monfieur Briftok, vous avoit mandé de leurs guernes, de leur religion , de leur langage ,& de leurs mœurs ; tellement que toutes ces chofes font fi veritables au fonds , & en toutes leurs cir confiances, qu'on ne fauroit les rejeter, fans dementir tout un peuple, qui par une tradition conftante & unanime , étant nourri dans cette creance, en fera toujours le garant. Mais ce feroit peu , s'il n'y avoit que cette Nation , qui fe refent encore de l'humeur fauvage, qui publiait vos perfections, & qui vous témoignait fes reconnoiffances : Il eft auffi tresjufte, que nom qui vivons, entre quelques refies de ces Peuples ,& parmi d'autres , que nous, tachons de civilizer , tenions à gloirefingulierede nom aquiter de ces devoirs :& que nos Familles , qui ne compofent à prefent aucun corps d état fèparé d'avec eus ,& qui jufques-a maintenant s'étoient contentées d'avoir leur témoin au ciel, ayant efté produites au jour par votre Histoire , confeffent qu'elles font redevables à votre bonté, de toute la lumière dont elles jouïffent en l'Europe , ejr elles vous en reiterent par ma plume,

leurs plus cordiales actions


L

E

T

T

R

E

S

.

actions de grâces. Recevez-les s'il vous plait Monfieur ,&

en

continuant de nom honorer de vôtre bienvueillance, qui nom eft fi avantageufe : Croyez que nôtre Floride , répandra volontiers &

fans aucune referve tout ce qu'elle a defleurs, pour orner la

couronne qui est deue à votre Histoire, & que nos plaines, nos lacs, nos forets,& nos plus hautes montagnes n'ont point d'habitans , qui ri admirent

vos écrits ,&

qui ne forment

vœus pour votre profpertté. Ce font-là leurs fentimens &

des

communs,

les particuliers de celui qui fera pour toujours.

M O N S I E U R

De Melilot en la Floride ce 6 Jan. 1 6 6 0 .

Vôtre tres-humble & tresaffectioné Serviteur. EDOUARD

GRAEVES.

HISTOI-


1

.

H I S T O I R E

N A T U R E L L E

&

M O R A L E

D E S

ILES

ANTILLES D E

L ' A M E R I Q U E L I V R E

P R

E M

I E

R

Comprenant l'Hiftoire Naturelle. C H A P I T R E PREMIER. De la fituation des Antilles en general ; de la Temperature de l'Air';De la nature du Pais;& des Peuples qui y habitent. E N T R Ele Continent de l'Amérique Meri­ dionale , & la partie Orientale de l'Ile de Saint Jean Porto-Rico, il y a plufieurs Iles , qui ont la figure d'un arc , & qui font difpofées en telle forte, qu'elles font une ligne oblique au travers de l'Océan. Elles font c o m m u n é m e n t appellées, les Antilles del Amé­ rique. Q u e fi l'on demande la raifon de ce n o m là , ileftà croire, qu'elles ont été ainfi n o m m é e s , patce qu'elles font c o m m e une barriere au devant des grandes Iles, qui font ap­ pellées, les Iles de l'Amerique. Et ainfi il faudroit écrire , & prononcer proprement Antilles, ce m o t étant compofé d e A celuy


2

HITOIRE

NATURELLE,

Chap.i

celuy d'Ile, & de la particule Gréque axn, qui fignifié à lopNeantmoins l'ufage a obtenu, que l'on écrive & que l'on prononce Antilles. O n les n o m m e auffi,lesIlesCaraïbes o u Cannibales, du n o m des Peuples qui autrefois les poffedoient toutes, & quelques uns les appellent aujourduy, îles

fofite.

C

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.

C H R I S T O F L E C O L O M B , fut le premier qui les decou-

vrit, fous le regne de Ferdinand & Ifabelle, R o y s de Caftille & de Léon, l'an mille quatre cens quatre- vints douze. On en conte en tout vint-huit principales, qui font fous la Z o n e Torride, à prendre depuis l'onzième degré del'Equa~ teur, jufques au dix-neuviéme, en tirant vers le Nord. Quelques uns, c o m m e Linfcot en fon Hiftoire de l'Amérique, prenant le n o m d'Antilles en une fignification plus générale, le donnent aus quatre grandes Iles, l'Efpagnole, ou Saint Domingue, Cube, lamaique, &

Porto-Rico, auffi b i e n q u ' a c e s V i n t -

huit. L'air de toutes ces ileseftfort tempéré, & aflcs fain, quand on y eft acoûtumé. L a Pefte y étoit autrefois inconnue de m ê m e qu'en la Chine, & en quelques autres lieus de l'Orient: Mais îl y a quelques années, que la plupart de ces Iles furent affligées defièvresmalignes , q u e les Médecins tenoient pour contagieufes. C e mauvais air, y avoit été apporté par des Navires qui venoient de la cofte d'Afrique : Mais aujourduy , o n n'entend plus parler de femblables maladies. Les chaleurs, n'y font pas plus grandes qu'en France aus mois de Juillet & d'Août: Et par le foin de la Divine Providence, entre les huit & neuf heures du matin, il fe leve un petit vent d'Orient, qui dure fouvent jufques fur les quatre heures du foir, & qui raffraichit l'air, & rend la chaleur plus fuportable. Jofef Acofta dit, qu'aus grandesIlesde l'Amerique, o n ne fent ce raffraichement que vers le midy. Et c'eft ainfi que prefque fous toute l'enceinte de la Z o n e Torride, le fage Maitre du M o n d e , a ordonné des vens frais, & reguliers, pour tempérer les ardeurs du Soleil. 11 ne fait jamais de froid ans Antilles. Aufli la glace n'y eft point connue, ce feroit un prodige que d'y en voir, Et


Chap.I

DEs

ILES

ANTILLES

3

Et jamais en ces bords de verdure embellis l'Hyver ne fe montra , qu'en la neige des lys.

Mais les nuits y font extrêmement fraîches, &fil'on demeure découvert pendant ce tems-là , o n eft fujetàs'enrumer , & à gagner de grands & dangereus maus d'eftomac ; Et on à remarqué , que tous ccus qui s'expofent à nud à cette delicieufe fraîcheur, s'ils ne font faifis de maus d'eftomac , du moins ils deviennent pâles, jaunâtres, & boufis, & perdent en peu de tems , tout ce qu'ils avoient de couleur vive & vermeille. Ileftvray, que d'autres attribuent ces effets, àlanourriture de la Caffave, que l'on mange ordinairement en cesIlesau lieu de pain , & qui peut eftre, a quelque qualité contraire à la conftitution naturelle des Habitans de nos climats. O n éprouve la m ê m e température durant la nuit, au Pérou, & dans les Maldives. Et ceus qui ont fait le voyage de Jerufalem, & de tous les pais chauds, rapportent, qu'autant que les chaleurs y font grandes pendant le jour, autant les nuits y font froides. C e qui arrive,à caufe des grandes vapeurs que le Soleil élevé fur le jour, & qui venant à fe condenfer la nuit, & à tomber en rofée, raffraichiffent l'air mervcilleufement. L'Equinoxe, dure en ces Iles prés de la moitié de l'année, & le refte du tems, les plus grands jours font de quatorze heures, & les plus courtes nuits de dix. Et c eft ainfi que la Divine fageffe, a donné aus terres qui font plus expofées ans ardens rayons du Soleil, des nuits fort longues & fort humides , pour reparer & remettre en vigueur, ce que cet aftre fi voifin, y a flétry & defféché durant le jour. O n n'y peut point divifer l'année en quatre égales & diverfes parties, c o m m e nous le faifons en l'Europe. Mais les pluyes, qui y font fort frequentes dépuis le mois d'Auril, jufques à celuy de N o v e m b r e , & les grandes féchereffes qui dominent le refte du tems, font la feule différence, qu'on peut remarquer entre les faifons. Q u efio n demande , c o m m e n t o n doit appeller ces deus diverles Conftitutions & Températures de l'air?C'eft en cet endroit o ù les opinions fe trouvent fort partagées. Les uns veulent, que de m ê m e que les jours n'y ont prefque point de ces heures qu'on n o m m e Crepufcule, qui tiennent le miA 2 lieu


HISTOIRE NATURELL

4 E, Chap.1 lieu entre le jour & la nuit, qu'auffi il n'y ait point de Printems ni d'Automne, qui faffent la liaifon de l'Eté, d'une efpece d'Hyver qu'ils y admettent. Les autres maintiennent au contraire, qu'il n'y aaucune jufte raifon , qui puiffe obliger, à faire porter le n o m d'Hyver àl'unede ces faifons: à caufe que la terre n'y eft jamais couverte de glace, ni de neige, qui font les triftes productions de l'Hyver, mais toujours revétuë d'une agreable verdure, & prefque en tout tems couronnée de fleurs & de fruits, quoy qu'en une différente mefure. D'où ils concluent que le Printems , l'Eté , & l'Automne , y partagent l'année en trois diverfes & égales portions , encore qu'on ne les puiffe pas difcerner fi ayfément, qu'en plufieurs autres endroits du monde. Maislefentiment des Peuples, qui ont formé des Colonies en ces Iles, ne s'accorde pas avec cette divifion, parce qu'ils prenent le tems des pluyes pour l'Hyver & celuy des féchereues, quieftbeau, riant & ferein pour l'Eté.Ileftvray qu'Acofta au Chapitre troizieme, du deuzieme Livre de fon Hiftoire , querelle les Efpagnols qui parlent de la forte, & qui prenent pour Hyver ces mois pluvieus.Ilfoutient que le tems fec & ferein, eft le vray Hyver dans toute la Z o n e Torride, par ce qu'alors le Soleil eft le plus éloigné de cette Region ; & qu'au contraire , la faifon des pluyes & des brouïllars, y doit eftre n o m m é e l'Eté, à caufe de la proximité de cet Aftre. Mais bien qu'à parler proprement & à la rigueur, il fe faluticy,ranger au fentiment d'Acofta, neantmoins puisque non-feulement les Efpagnols, mais tant d'autres Nations, font accouîuméesà tenir un autre langage, il nous fera bien permis d'ufèr de leurs termes, en une chofe defipetite importance. A u refte , quelque pluvieufe que puiffe dire la faifon dans les Antilles,ceus qui y ont demeuré plulieurs années affurent, qu'il ne le paffe prcfque aucun jour, que le Soleil ne s'y faffe voir. Et c'eft ce que l'on dit auffi de l'Ile de Rhodes : A caufe dequoy toute l'antiquité ladediée au Soleil, croyant qu'il en avoit un foin particulier. L e flus & reflus de laMereftreglé en ces pats c o m m e aus coftes de France : mais il ne monte que trois ou quatre pieds au plus. La


Chap.

I

DES

LES

ANTILLES,5

L a plus grand partie de cesIles,eft couverte de beaus boi, qui eftant verds en toute faifon, font une agreable perfpectiv e , & reprefentent un Eté perpétuel.. L a terre y eft en plufieurs lieus auffi belle, auffî riche, & auffi capable de produi e qu'en aucun endroit du M o n d e . E n effet toutes celles de ces Iles qui font cultivées, donnent en abondance, dequoy vivre aus Habitans qui y demeurent : E n quoy elles font bien differentes de ces païs de la nouvelle France, où les pauvres fauvages ont tant de peine à trouver leur nourriture, que leurs enfans en fortant le matin de leurs Cabannes, & eus au milieu de la campagne où ils font leur chaffe, ont accoutumé de crier à haute voix, Venez Tatous, venez Caftors , venez Orignacs appellant ainfi au fecours de leur neceffité, ces animaus, qui ne fe prefentent pas à eus fi fouvent, qu'ils en auroient befoin. Ces m ê m e s Iles habitées, font pourvëues de bonnes fources d'eau douce, de fontaines, de lacs, de ruiffeaus, de puits ou de cifternes : 6c quelques unes d'entre elles ont auffi de bellesrivieres, qui arrofent la terre fort agreablemenr. Il y a m ê m e en plufieurs lieus des eaus minerales, dont on ufe avec heureus fuccés pour la guerifon de divers maus. L e foulfre, fe tire en plufieurs endroits du fein des montagnes , & les paillettes luifantes & argentées que les torrens & les rivieres charrient parmy le fable & l'écume de leurs eaus, au tems de leurs débordemens, font des Indices certains qu'il s'y forme du Criftal, & qu'il y a auffi des mines de ces precieus metaus, qui font tant recherchez de la plupart des h o m m e s . Les eaus courantes, qui meritent de porter le n o m de Rivieres n'y tariffent jamais dans les plus grandes féchereffes , & font fort fécondes en poiffons, qui font pour la plupart, differens de ceus qui fe voient en Europe: Mais il s'en trouve en telle abondance aus coftes de la M e r , que les Habitans ne s'amufent pas fouvent à pefcher dans les rivieres. L a Vigne vient fort bien en ces Iles, & outre une efpece de vigne fauvage , qui croift naturellement parmy les bois, & qui porte de beaus & gros raifins , l'on voit en toutes celles qui font habitées, de belles treilles ,&m ê m e en quelques endroits des Vignes cultivées c o m m e en France, qui portera A 3 deus


Châp. t deus fois l'année, & quelquefois plus fouvent, felon la taille & la culture qu'on leur donne , ayant égard à la Lune & à la faifon convenable. Le raifin en eft fort b o n , mais le vin que l'on en tire n'eft pas de garde , & ne fe conferve que peu de jours; c'eft pourquoy on nes'amufepas à en faire. Quant au Blé, qui vient en la neuve Efpagne auffi bien qu'en lieu du m o n d e , il croift feulement en herbe aus Antilles, & ne peut fervir qu'à faire de la fauce verte, à caufe que le froment veut eftre hyverné, & que la terre eftant trop graffe en ce païs, elle pouffe tant d'herbe au commencement, qu'il ne refte pas affés de force à la racine, pour palier au tuyau, & former un épy. Mais, s'y on avoit effayé d'y femer de l'Orge , du feigle, & d'autres grains qui veulent lechaud , il eft croyable , qu'ils y croiftroient en perfection. Ileftvray, que quand tous ces grains y pourroient venir en maturité, les H a bitans, qui ont prefque fans peine le Manioc, les Patates, le Mays, & diverfes autres efpeces de racines & de legumes, ne voudroient pas prendre le foin qu'il faut pour les cultiver. T o u s les vivres naturels de ces Iles font legers & de facile digeftion. Dieu l'ayant ainfi permis, à caufe que le païs étant chaud, on n'y doit pas tant charger fon eftomac, que dans les contrées froides. D e la vient, qu'on confeille aus nouveaus venus, de manger peu & fouvent, pour fe bien porter. L e s vivres, n'y font pasauffibeaucoup de fang, ce qui eft caufe que les Chirurgiens y faignent fort peu. Pour ce qui regarde les Habitans de ces Iles. Elles font peuplées de quatre Nations differentes : Dont la premiere qui en eft Originaire, & qui les poffede de tems immemorial, eft celle des Caraïbes, o u Cannibales , déquels nous entreprenons de parler au long au deuziéme Livre de cette Hiftoire. Les autres trois font, les François, les Anglois, & les Hollandois. C e s Nations étrangeres, ne fe font établies en ce Pais, que dépuis l'An millefixcens vint-cinq. Et dépuis ce tems, elles s'y font tellement accrues, que la Françoife & l'Angloife n o m m é ment, y font aujourduy un tres-grand peuple: C o m m e il fe verra plus particulièrement dans la fuite de cette Hiftoire. 6

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

CHA-


Chap. 2

DES

ILES

C H A P I T R E

ANTILLES.

7

SECOND.

De chacune des Antilles en particulier.

P

O u r obferver quelque ordre, en la defcription que nous ferons de chacune des Antilles en particulier, nous les distribuerons toutes en trois claffes : dont la première comprendra lesIlesqui approchent plus du midy, & qui font les plus voifmes de la ligne. L a feconde, celles qui s'étendent plus vers le N o r d ; & la dernière, celles qu'on n o m m e ordinairement les Iles de deffous le vent, qui font au couchant de l'Ile de Saint Chriftofle, la plus r e n o m m é e de toutes les Antilles. A R T I C L E

I.

De l'île de Tabago, ou de la Nouvelle Oüalcre.

A premiere & la plus Méridionale de toutes les Iles Antilles, que nous avons propofé de décrire au premier Livre de cette Hiftoire, eft celle qui a efté connue jufqu'à prefent dans toutes les Cartes Geografiques, fous le n o m de Tabago , & qui dépuis trente ans ou environ, a auffi efté apelée la Nouvelle Oualcre, ou bien Walchre felon l'ortografe des Flamans. Elle eft diftante de l'Equateur en tirant vers le N o r d , d'onze degrez & féze fcrupules. Son circuit eft du moins de trente lieues, & fon étendue d'onze en longueur, fur la largeur de quatre, & de quelque peu moins aus extrémités. Cette Ile, n'eft point heriffée de montagnes fourcilleufes & inacceffibles, ni inondée de marécages, o u couverte de bois inpenetrables c o m m e quelques autres des Antilles, qui font encore poffedées par les Caraïbes. Mais en quelques endrois elle eft relevée en collines fort agreables, puis aprés feftre abaiffée en des vallées extremement divertiffantes , elle s'élargit en des plaines tres-fertiles , qui font revêtues de C e dres ,dePalmes , d'Acajous, d'Akoumas, & de toutes fortes d'excellens Arbres d'une hauteur & d'une groffeux demefu-

L

rées


Chap, 2 rées, quifaifans par tout de merveillcufes perfpectives, femblent avoir efté plantez à deffein , de fe promener fous leurs branches, ou d'y prendre le plaifir de la chaffe, fans aucun enpefchement. Quant aus qualités de fon Terroir, il eft en quelques liens leger & fablonneus, en d'autres il eft parfemé de gravier, & de petis caillous, ailleurs il paroit gras & noirâtre: & ceus qui l'ont vifité dans toute fon étenduë, dépuis fes plaines jufqu'au fommet de fes côtaus, raportent conftanment, que par tout il efttrespropre àeftrecultivé : Maisles Arbres qui luy font en tout tems une riche guirlande, font fans contredit fou plus precieus ornement. Les uns font chargez de bons fruits, qui peuvent contribuer beaucoup au rafraichiffement & au foùtien de la vie des h o m m e s : & les autres ne fervent pas feulement àl'ornementdes montagnes & au divertiffernentde la veuë, mais auffi à la charpente, à la menuyferie, à la teinture & à la médecine : la folidité, la bonne odeur, la diferente couleur, & les vertus fecrettes de leur bois, de leurs fruits, & de leurs feuilles les rendit, tres-propres à tous ces ufages. Outre tous ces beaus Arbres, qui font auffi c o m m u n s à la plupart des autresIlesdu voifinage, il en croift plufieurs en celle-ci, qui lui font particuliers, & qui la rendent recommendable: tels que font en premier lieu, ceus qu'on y arrouvez dépuis peu , qui portent des fruits qui ne font en rien diferens, quant à la forme extérieure, des Noix Mufcades qui nous viennent des Indes Orientales, & qui font pareillement couverts de Macis, c'eft à dire d'une petite feuille ou pellicule aromatique, qui eft entre la Nois & la rude écorce qui conferve & envelope tout le fruit. Mais quant au refte, cette forte de Mufcades, eft d'une faveur plus piquante que celle qui vient d u levant, & d'une odeurfifoible qu'elle fe paffe aifément. Il eft neantmoins à efperer,quefil'on prenoit le foin de décharger les arbres qui les portent, des branches mortes o u fuperfluêsqui les étoufent, & les empefchent de receveur pleinement les rayons du Soleil, elles viendroient en plus grande perfection, & feroient d'un goût plus agreable, & d'une odeur plus douce & plus confiante. 11

8

HisToiRE

N A T U R E L L E ,


Сhap.2 DES ILES A n t i l l e s . 9 Il y croit auffi prefque par tout des autres Arbres, que les habitans ont apellez Millepieds, Fromagiers, Bois de Canelle, & de Copal, dont nous ferons icy les defcriptions, à caufe qu'ils font entièrement inconnus, o u fort rares aus autres Iles. L e Millepieds , eft ainfi n o m m é , parce qu'il eft foûtenu d'un n o m b r e prefque infini de groffes racines, qui font formées de fes propres branches, incontinent quelles touchent la terre, tellement qu'a la fin, fon tronc devient d'une groiTeur prodigieufe. Ses feuilles, font un peu plus larges que celles du Laurier. Il produit un fruit delagroffeur d'une figue, qui eft fort recherché des Perroquets. C e fruit eft devancé d'une fleur blanche, fous laquelle on trouve ordinairement une certaine g o m m e jaune, qui a la vertu de guérir toutes fortes de dertres & de feus volages, qui viennent à la face ou aus mains. C'eftauffidans les branches creufes de cet Arbre, que les Abeilles de cette Ile, font le plus fouvent leur cire & leur miel; L e Bois deСanelleque les Floridiens apellent Pauame, & nos François Saffafras, eft l'un des plus beaus & des plus excellens Arbres, qui fe voyent en tout ce nouveau Monde. Il croit fort droit, & fon tronc s'élève jufqu'à vint-cinq o u trente pieds de hauteur, avant que de pouffer fes branches. Ses feuilles font aprochantes en figure, en couleur, & en odeur à celles du Laurier. Son bois eft rougeâtre & de bonne fenteur, folide, uni & tres-propre à faire toutes fortes de riches ouvrages de menuiferie: mais dans cette Ile , l'on ne s'en fert à prefent qu'a bâtir des maifons. Ses branches font fi toufués, qu'il ne peut rien croitre défous, qu'une petite herbe courte, qui compofe en tout tems un beau tapis vert, pour le divertiffement de ceus qui veulent jouir de la delicieufe fraicheur qu'elles prefentent, à m ê m e tems qu'elles recréent également la veuë & l'odorat, par la verdure perpetuelle de leurs feuilles, & la fouëue odeur qu'elles exhalent. Ces Arbres, portent des graines femblables à celles du poyvre rond, & bien qu'elles foient un peu fortes, les Perroquets y trouvent leurs délices: C'eft auffi fur leurs branches qu'ils font ordinairement leur ramage inportun, & où ils fe tiennent en toute affurance fans pouvoir eftre aperceus , à caufe que leurs plumes font de m ê m e couleur que les feuilles В de


10

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

Chap. 2

de ces Arbres fur léquels ilsfeplaifent. Leurs écorces aromatiques font recherchées de tous ceus qui font travaillez de defluxions froides, & leur decoction eft employée heureufement aus douleurs de reins procédantes de froid, c o m m e auffi à la guerifon de la colique, à la dificulté de refpirer, & à décharger la poitrine des humeurs gluantes qui l'opreffent, c o m m e auffi à châtier les vens & toutes les obftructions des parties baffes. Et cette m ê m e écorce étant féchée à l'ombre , donne encore une faveurfiagréable aus viandes qui en font affaifonnées,qu'a caufe qu'elle eft aprochante de celle de la Canelle, l'on a apellé les Arbres qui en font couverts, de ce m ê m e n o m , L e Copal, dont nous parlerons en divers endrois de cette Hiftoire, eft un Arbre d'une belle montre , lequel étant percé en fon tronc ou en fes plus groffes branches jette un b a u m e de îres-douce odeur, qui a la vertu de guérir enfortpeu de tems toutes fortes de coupures, & de faire refoudre ou fupurer les tumeurs, qui fe font amaffées en quelque partie que ce foit du corps des h o m m e s . L'écorce de cet Arbre eft rousâtre, & de m ê m e que le Cafier, il perd fes feuilles durant les grandes chaleurs, contre la nature de tous les autres, qui parent la terre de ces contrées, & qui confervent en tout tems leur agréable verdure. L e Fromagier, eft un Arbre qui vient dans cette Ile d'une groffeur tout a fait extraordinaire, & d'une figure bien diferente de celle des autres de m ê m e n o m , qui fe treuvent ailleurs, c o m m e nous le dirons en fon lieu. Il eft raviffant pour Je bel ombrage qu'il donne, & pour le fruit merveilleus qu'il produit, Il confifteen une groffe filique ligneufe, laquelle eft de la groffeur d'un œ u f de Poule, & de la longueur d'un demipied. Lorsque cette rude envelope eft m e u r e , le foleil la fait ouvrir à moitié, & le vent l'ayant fait tomber, o n trouve quelle eft remplie d'un fin coton ou duvet, lequel étant extrêmement dous, & delié c o m m e de la foye , feroir très propre à faire quelques beaus ouvrages. Cet Arbre a fans doute receu le n o m qu'il porte, à caufe que fon bois qui eft revêtu par dehors d'une écorce grisâtte, eft fi m o laffe , qu'on le peut couper auffi aifément que du fromages Ceus


Chap.2

DES

ÎLES

ANTILLES.

11

Ceus qui ont eu la curiofité de pénétrer dans les bois d'haute fûtaye qui couronnent cette Terre, y ont auffi rencontré un n o m b r e bien confiderable de ces Arbres, qui portent le fruit de Cacao,dont les Efpagnols fe fervent en la compofition de ces pains tant prifez parmi-eus, déquels ils font cet excellent bruvage, qui eft connu par tout fous le n o m de Cicolate. Ils y ontauffiremarqué une fort grande quantité de eeus qu'on apelle de Fuftok, dont le bois qui eft jaune eft employé avec heureus fuccés à la teinture: & une infinité d'autres qui font en eftime, o u bien à caufe qu'ils font chargez de ce precieus vermillon que les Indiens n o m m e n t Rou(ou> ou d'autant qu'il diftile de leurs troncs des g o m m e s & des raifines de bonne odeur, en affez grande abondance pour en tirer du profit. Les Orangers, les Citronniers aigres & d o u s , les Grenadiers, les Figuiers, les Goyaviers, les Motnins, les Bananiers , & les Papayers , y portentauffides fruits autant beaus & délicats, qu'en aucun autre endroit des A n tilles. T o u s les vivres qui fervent à la nourriture ordinaire des Habitans de ces païs chauds, croiffentauffidans cette Ile en leur perfection, & avec une telle facilité que fans beaucoup de travail, o n y recueille du Ris, du gros Mil, des Pois & des Féves, d u Manioc dont on fait le pain qui eft en ufage dans la plus grande partie de l'Amérique, des M e l o n s , & toutes fortes d'herbes potageres & de racines, qui font fort nourriffantes & d'un goût relevé. Les ananas & les Patates y viennent auffi à merveille: & cette Terre répond fi parfaitement àl'atentede ceus qui prenent le foin de la cultiver, qu'elle leur rend avec une douce ufure, toutes les femences qu'ils jettent dans fon fein. O n trouve dans cette feule Ile, toutes les efpeces de Bétes à quatre pieds, dont o n voit feulement une o u deus pour le plus aus autres Antilles. E n premier lieu, l'on y rencontre c o m m u n e m e n t une forte de Sangliers que quelques Indiens n o m m e n t Iavaris, &lesautres, Paquires, qui font diferens de ceus de nôtre Europe, en ce qu'ils ont les oreilles plus courtes, un évent, o u c o m m e veulent quelques-uns, le nombril fur le dos, & que leur grongnement eft beaucoup B 2 plus


12 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap 2 plus effroyable. 2. D e s Tatous o u des Armadilles : 3. Des Agoutis. 4. D e s Rats mufquez, qu'on n o m m e en quelques endroits Piloris. 5. U n e efpece de petites Martes ou Fouines, q u e les habitans appellent Manicous. 6. Et m ê m e des R e nards & des Chats fauvages, qui ont des peaus, qui font marquetées de diverfes couleurs. L a plupart de ces animaus que nous décrirons en leur propre lieu , le retirent entre les fentes des rochers, o u dans les troncs des Arbres qui font creufez & minez de vieilleffe , & quelquefois dans les tanieres qu'ils font fous la terre. Quant ans Oifeaus qui peuplent l'air de cette Ile, outre les Ramiers, les Tourtes, les Perroquets, & une efpece de Merles & de Grives qu'on y voit voler par troupes, il y a encore une forte de Faifans, que les habitans n o m m e n t Kaquereka, à caufe que des le point du jour, ils répètent diftinctem e n t & à.diverfesreprifes un certain ramage, qui femble form e r ce m o t , dont ils font une mufique autant choquante & des-agreable aus oreilles de ceus qui n'y font pas encore a c o û t u m e z , que leur chair eft favoureufe & délicate à leur goût. Les bords de la m e r qui entourecette Ile, & d e s Rivières qui l'arroufent, font encore couverts d'Aigrettes, de Plongeons, de Canarts, & de plufieurs autres fortes de beaus Oifeaus, qui fe nourriffent de petis Poiffons, ou de quelques infectes quiflotentfur les eaus. Et le Continent qui n'en eft pas beaucoup éloigné , la remplit auffi d'une infinité d'autres, qui ne paffent point jufqu'aus Iles plus reculées. Quelques-uns font parez d'une feule livrée: mais les autres ont le corps émaillé de tant de belles & de vives couleurs , q u e foit que l'on confidere l'agréable bigarrure de leur plumage, o u la merveilleufe induftrie avec laquelle ils font leurs nids, o u l'agilité incomparable dont ils fendent l'air, ils fourniffent un tres-ample fujet de célébrer le Seigneur, qui a paré fi magnifiquement tant de légères créatures. L a M e r qui lave inceffanment les bords de cette Terre , eft abondante en toutes fortes d'excellens Poiffons. Les groffes Tortues, durant le calme & le profond filence de la nuit, forcent par centaines de ce vafte fein de l'Océan où elles fe font jouées


Chap. 2 DES LES ANTILLES. 13 jouées pendant le jour, pour cacher leurs œufs à la faveur de la nuit, dans le fable mollet qui eft fur fes rivages. Les Carets , qui font couverts de cette forte d'écaillés precieufes dont on fait à prefent tant de beaus ouvrages qui enrichiffent les cabinets des curieus, s'y viennent auffi rendre par troupes, pour y terrir en leur faifon : la nature leur ayant donné cet inftintct, qu'ils y trouveront des lieus c o m m o d e s , pour y mettre en déport, l'unique efperance delaconfervation de leur efpece. A u couchant & au nord de cette Ile, y a des havres & des mouillages tres-feurs & tres-commodes pour toutes fortes de navires., Mais ce qui eft de plus merveilleus, & d'un fingulier avantage pour y atirer & conferver le c o m m e r c e , c'eft que fes Habitans ont reconnu par une douce experience, qu'elle n'eft point fujette à ces éfroyables tempeftes, que les Infulairesapellent Ouragans, qui font ailleurs tant de ravages. N o u s ne rechercherons point curieufement, c o m m e n t il fe peut faire , que toutes les autres terres des Antilles étans expofées fi fouventàcette univerfelle confpiration des vens, celle-ci feule en foit exempte, & jouïffe d'un calme parfait, pendant que tout le voifinage eft dans la confufion qui acompagne ordinairement ce defordre : Mais en raportant cet éfet extraordinaire à Dieu feul qui en eft le véritable Auteur , & lui donnant toute la gloire de cette illuftre merveille , nous dirons en admirant ce rare privilege, que fon adorable providence a voulu déployer en faveur de cette Ile , que ces vensfilegers & fi forts,qui bouleverfent les maifons,& defolent les campagnes, fortent du fonds de fes inepuifables trefors, & que n'ayans point d'autre force que cellequ'il leur infpire , ils ne fouflent que là, ou fa très-fage ordonnance les adreffe. Cette Ile, de m ê m e que quelques autres des Antilles, a encore cet avantage tres-confiderable,qu'elle ne nourrit aucune befte qui ait du venin. Il eft vray qu'on rencontre quelquefois parmi fes forets le moins fréquentées, de monftrueus ferpens de douze a quinze pieds de long. Mais , outre qu'ils prenent la fuite à la rencontre des h o m m e s , & qu'on n'a pas encore ouï dire, qu'ilslcur ayent fait aucun mal,, lors que les Negres, qui font ces ferviteurs perpétuels des HabiB

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tans


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Chap. 2 tans de ce nouveau M o n d e , les trouvent à leur avantage, il les tuent pour fe repaiftre de leur chair, laquelle ils difent eftre auffi délicate & favoureufe à leur gout, que celle des meilleurs poiffons. Ils confervent auffi les dépouilles de ces épouvantables Reptiles, pour en a c c o m m o d e r les curieus qui en font état, à caufe des écailles de diferente couleur dont elles font émaillées avec une fi admirable variété , & un mélange fi fuperbe , qu'il n'y a aucune tapifferie qui leur foit comparable. N o u s pouvons mettre auffi entre les faveurs que le ciel a répandues libéralement fur cette Ile, qu'a peine y en a t'il aucune dans tout le vafte fein de l'Océan de l'Amérique, qui â proportion de fon étendue, ait tant de Rivières & de F o n taines d'eau vive, que celle-cy. Les anciens habitans n'en avoyent auttéfois remarqué que dixhuit : mais ceus qui y font à prefent en content beaucoup d'avantage, dont la plûpart après avoir ferpenté & rafraichi les plaines & les vallées, ont affez de force & de rapidité, pour rouler leurs eaus jufques-à la mer. 11 y a m ê m e quelques unes de ces agreables Rivieres, qui en faifant leur cours ordinaire, & rencontrant en quelques endrois des pentes, o u des rochers plus eminens que le refte du terrain, y precipitent leurs eaus avec tant d'inpetuofité, qu'elles feroient capables de faire tourner avec une facilité nonpareille, les roués des Moulins à fucre, o u des machines àfierle bois, qu'on y voudroit dreffer. Il y a encore dans cetteIle,plufieurs belles & grandes Prairies, qui font couvertes d'une herbe tres-propre à nourrir & à engraiffer le bétail, & qui après la faifon des pluyes font e'maillées d'une infinité de petitesfleursde diferentes figures, qui recreent merveilleufement la veuë : mais les arbres & les plantes de cette terre en portentdefiravinantes, & d'une fi douce odeur, qu'on ne s'arrête pas fouvent à confiderer toutes ces menues productions des prairies, bien qu'il foit conftant, que les plus curieus y trouveroient la riche matiere de leurs fpeculâtions. N o u s décrirons au Chapitre onziéme de cette Hiftoire N a turelle , lesfleursqui font c o m m u n e s à toutes ces Iles, mais d'autant HISTOIRE

N A T U R E L L E ,


Chap

2

DES

ILES

ANTILLES.

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autant que celle-ci produit une forte de Lys qui n'eft point connue ailleurs , nous la reprefenterons en cet endroit avec le plus de naïveté qu'il nous fera poffible. L a Plante qui porte cette fleur myfterieufe, ne rampe point fur la terre où elle pourroit eftre foulée aus pieds des paffans, mais elle croift fur le tronc ou fur les plus groffes branches de quelques uns de ces arbres precieus dont cetteIleeft avantageufement parée , & ayant unfiriche foûtien , elle s'élève par toufes & par bouquets, c o m m e le M u g u e t ou le Lys des vallées. Cette incomparablefleurqui n'a pas plus d'étendue que celle du Narcyffe, reprefentefiparfaitement un Lys en broderie d'argent, qu'il femble que la nature ait déployé tout ce qu'elle a de plus rare dans fes trefors, pour la produire dans cette Ile, avec toute la grâce & les atraits que les mains les plus adroites des brodeurs & des orfévres luy fauroient donner, pour la faire paroître avec toute cette p o m p e & tout cet éclat, qui l'a rendue digne d'enrichir la couronne & la pourpre des plus auguftes Rois du M o n d e . Bien-que cette place entre toutes les autres Antilles, foit la plus avancée vers la Ligne Equinodiale, & par confequent la plus expofée aus ardeurs du Soleil, l'Air y eft neantmoins extremement agreable & tempéré.Ileft bien vray qu'a caufe de certaines incommoditez qui acueillirent les premiers h o m m e s qu'on y avoit portez pour la défricher , les envieus de cet etabliffement fe fervirent d'une fi trifte oca-. fion , pour en dire des chofes difamatoires, c o m m eficette terre eut devoré fes habitans, & n'eut pas efté digne d'eftre cultivée. Mais ces maladies qui pour lors lui étoient c o m m u n e s avec toutes lesIlesqu'on découvre nouvellement, font à prefent entierement evanoüyes, & par la benediction d u Seigneur , l'on y jouît d'une fanté auffi ferme , & d'une conftitution de corps & d'efprit autant vigoureufe , qu'en aucune autre des- A n tilles. Cette Terre de m ê m e que les voifines étoit autrefois peuplée de Caraïbes, qu'y avoient plufieurs beaus & grands Villages: mais il y a près d'un fiecle qu'ils furent contrains de l'abandonner, & de fe retirer à. l'Ile de Saint Vincent, pour fe


HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap.2 fe mettre à couvert des furprifes fort fréquentes & des rude, affauts, qui leur y e'toient livrez par les Aroüagues, leurs anciens & irréconciliables ennemis du Continent. CetteIleétant ainfi deferte par la retraite des Caraïbes, Se apartenant de droit aus premiers qui l'ocuperoient, fa beauté, fa fertilité , & fafituationfort avantageuse, convierent il y a environ trente ans, une C o m p a g n i e de Bourgeois de la Ville de Fleffingue d'y faire porter deus cens h o m m e s , à deffein d'y jetter les premières fondemens d'une Colonie, à laquelle ils donnerent dés lors le n o m de la Nouvelle Oüalcre, qui eft celui de la plus celebre & de la plus peuplée de toutes les Iles qui composent la Province de Zélande, en laquelle leur Ville a toujours tenu u n rang tres-confiderable: mais les Indiens d u voifinage s'étans liguez avec les Efpagnols de l'Ile de la Trinité refolurent de venir fondre d'un c o m m u n acord fur ces nouveaus venuz , avant qu'ils euffent le loifir de mettre en bonne defenfe le Fort qu'ils avoient c o m m e n c é de bâtir, & que le fecours qui leur avoit efté promis fut arrivé. C e funefte deffein, reuffit à ces barbares ainfi qu'ils l'avoient projette: tellement, qu'après avoir taillé en pieces tous ceus qui eurent le courage de s'opofer à leur defcente, démoli la fortereffe, & fait plufieurs prifonniers de guerre : ceus qui furent affez heureus pour échaper le maffacre ou la captivité, aprehendans u n traitement pareil à celui de leurs c o m p a g n o n s , furent d'avis de fe retirer ailleurs. Dépuis cette déroute, cette Ile fut prés de vint années fans avoir aucuns habitans qui y fuffent fermement arrêtez : mais en l'an mille fix cens cinquante quatre, Meffieurs Adrien & Corneille Lampfins, refolurent de faire peupler de nouveau cette belle Ile, fous les favorables aufpices des Hauts & Puiffans Seigneurs les Etats Generaus des Provinces Unies d u Pais-bas : Et depuis onze ans que ces deus genereus Freres, ont formé & heureufement exécuté ce grand deffein, ils y ont fait paffer à leurs frais & dans leurs propres vaiffeaus, u n n o m b r e tres-confiderable de braves h o m m e s , qui travaillent inceffanment à la défricher,& à relever glorieufement les ruines de l'ancienne Colonie que leurs compatriotes y avoient autrefois dreffée. Mon16


Chap.2

D E S

ILES

A N T I L L E S

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Monfîeur Adrien LampfinseftDirecteur de la Compagnie des Indes Orientales à la C h a m b r e de Midelbourg; & M o n fieur Corneille Lampfins, fon frère, qui eft decedé dépuis peu au grand regret de tous ceus qui l'ont connu , étoit ancien Bourguernaiftre & Sénateur de la Ville de Fleffingue, & Député perpetuel de la Province de Zelande, à l'Affemblée des Hauts & Puiffans Seigneurs les Eftats Generaus des Provinces Unies. Outre ces grandes charges & eminentes dignitez , déquelles ce Seigneur étoit revêtu de fon vivant, & dont il s'eft aquité avec beaucoup de louange, l'on remarquoit en fa perfonne une integrité incorruptible, un dous & facile accès, & u n grand zele à conferver& à acroître la gloire & la reputation de fa patrie, & à entretenir les Provinces confédérées, dans l'étroite correfpondance,& la parfaite amitié de Puiffances Souveraines, qui font dans leur ancienne alliance. D'où vint que le R o y tres-Chreftien à prefent heureufement régnant, voulant reconnoiftre les mérites de cedigne Sénateur, & les bons fervices qu'il avoit rendus à fa Majefté, en plufieurs ocafions importantes, de fon propre m o u v e m e n t , certaine fcience, pleine puiffance& autorité Royale, le crea & déclara Baron, voulant qu'il fut reputé cenfé& apellé B A R O N D E T A B A G O , & que tel il fe pût n o m m e r& apeler tant en jugement que dehors: & qu'il jouît de cettedignité titre& prééminence, pleinement paifiblement & perpétuellement , luy, fes hoirs , fucceffeurs & ayans caufe tant malles que femelles, en tels& pareils droits de nobleffe, autoritez, prérogatives, privilèges, & prééminences , en fait de guerre alTemblées de Nobles & autres, c o m m e en jouïffent, ufent, & ont acouftumé d'en jouir les autres Barons du R o y a u m e de France. Et que deformais lui & fa pofterité , puiffent porter les armes efcartelées , ayant fur le tout un Efcuffon chargé defleursde Lys fans n o m b r e , & ornée d'une couronne perlée , ainfi qu'elles font icy empraintes. C

ET


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HISTOIRE

NATURELLE,

Chap.2

Et pour le gratifier encore d'avantage faMajefté,luidonna le ceint militaire, & le fit C H E V A L I E R D E L ' A ­ C O L A D E , C o m m e il apert plus amplement parfesLet­ tres donne'es à Saint Germain en l'Aye, au mois d'Aouft, de l'an de grâce millefixcens foixante deus, lesquelles font fignées de fa main Royale, & feellées du grand feau en cite verte, & en


LES ANTILLES.

Chap. 2 D E S 19 en fuire vérifiées & enregiftrées au Parlement de Paris, ouï Se à ce contentant le Procureur General de fa Majefté, fuivant l'Arreft de vérification , en date du vintcinquiéme M a y , millefixcens foixante trois. D'autant que cette Ile, eft au rang des îles Antilles , & du nombre de celles qu'on n o m m e auffi lesIlesCaraïbes, Se qu'en cette qualité, elle eft comprife dans la conceffion que la C o m pagnie des Indes Occidentales a obtenue des Hauts & Puiffans Seigneurs les Eftats Generaus des Provinces Unies, dés le c o m m e n c e m e n t qu'elle fut érigée, M. M . Lampfins ont apuyé l'etabliffment qu'ils y ont fait, de l'Octroy des Directeurs c o m m i s des chambres refpectives de cette m ê m e Compagnie, reprefentans l'Affemblée des dixneuf : ainfi qu'il paroit par l'Extrait de leurs refolutions, en date du cinquième du mois de M a y , de l'année millefixcens cinquante cinq. L'une des conditions de cet Octroy, portant expreffement» que celui qui feroit n o m m é pour c o m m a n d e r à cette Colonie naiffante, feroit agréé Se confirmé en cette charge par les m ê m e s Hauts & Puiffans Seigneurs les Eftats Generaus, M . M . Lampfins leur prefenterent Monfieur Hubert de Beveren : & leurs Hautes Puiffances étant deuëment informées de la generofité, de l'expérience, de lafidélité,& de toutes les autres belles qualitez dont ce Gentil-homme eft richement pourveu, & qui le rendent tres-capable de cet employ, le munirent, de leur ample Commiffion, le deuziéme du mois de Septembre en la m ê m e année millefixcens cinquante cinq : en vertu de laquelle, il eft entré en poffeffion de ce Gouvernement, au grand contentement de tous les Habitans de l'Ile, qui ont tout fujet de fe louer de fa tres-fage conduite, Se de tous les grands foins qu'il aporte pour procurer le bien Se la gloire de leur Colonie , & l'entretenir dans le repos & la tranquilité dont elle jouit. Il faut avouer, que cette Ile meritoit bien d'avoir des Habitans : car outre ce que nous avons déjà dit, de la bonté de l'air qu'on y refpire, de l'incomparable fertilité de fon terroir, de la beauté raviffante des arbres qui le revêtent, & du criftal coulant des rivières & des fontaines qui l'arroufent, des exccilens vivres qui y croiffent, du miel & du fucre qui y C 2 difti-


Chap. 2 diftilent, des precieufes marchandifes qui s'y recueillent, de la pefche & de la chaffe qui y (ont abondantes. de la feureté & commodité de fes ports & defesrades, & de tous les autres, avantages qui la rendent recommendable :étantvoifine du Continent de l'Amérique méridionale, elleefttres-propre pour y entretenir un bon commerce avec les François, les A n glois,& les Efpagnols qui y ont des Colonies, c o m m e auffi avec les Aroüagues, les Calibis, les Caraïbes, & plufieurs autres nations Indiennes, qui ont leurs Villages fur le bords de la grande Riviere d'Orinoque, & le long de la cofte de la mer. Pour affurer ce c o m m e r c e , & mettre cette place en état de ne point redouter les courfes des fauvages, ou les furprifes de quelque autre ennemi, M . M.. Lampfins y ont fait bâtis trois Fortereffes, qui font à prefent en tres-bonne défenfe, & fuffifanment pourveuë de canons, & de toutes les autres munitions de guerre & provisions de bouche, qui font neceffaires pour afermir le repos des habitans , contenir les brouillons dans le devoir, & donner de la terreur aus envieus de la gloire de cette Colonie. La plus considerable de ces Fortereffes, & où Monfieur le Gouverneur fait fa demeure ordinaire, cft connue fous le n o m de Lampfinbergue, pour la diftingues des deus autres, qui font c o m m u n e m e n t apelées de Beveren, 20

HISTOIRE

N A T U R E L L E .

& de Belleviste.

La premiere eft bâtie fur une agréable colline, laquelle eft élevée de cinquante pieds ou environ, au defus du terrain que l'on n o m m e Lampfin-Baye, & où l'on a auffi jette les fondem e n s d'une Ville, qui porte le n o m des Seigneurs de l'Ile, & qui eft déjà enrichie d'une belle & grande rue, en laquelle o n voit l'Eglife , plufieurs agréables maifons couvertes de tuiles, & acompagnées de Magazins, fort amples & folidement batis,. & de quelques autres ornemens publics & particuliers,, qui font tous d'une belle monftre au dehors, & tres-commodes au dedans. Cette Fortereffe confifte en quatre baftions, fur chacun déquels, il y a une baterie de plufieurs groffes pieces de canons, qui defendans la Ville & la C a m p a g n e voifine, peuvent foudroyer tous les vaiffeaus qui auroient l'affurance de mouiller à cette Baye, ou de porter des h o m m e s à terre,, fans en avoir obtenu la permiffion. Ces quatre baftions enferment


Chap.2 DES ILES ANTILLES, 21 ruent dans leur enceinte le corps de garde, l'arfenal muni de toutesfortesde bonnes armes, la maifon de Monfieur le G o u verneur, & les apartemens des Officiers & des foldats de la garnifon qui y eft entretenue. L'autre Fort qui eft appelle de Beveren , eft flanqué fur un rocher, lequel étant inacceffible de quelque côté qu'on le vueille aborder, eft encore baigné de la mer & d'une rivière d'eau douce, qui lui font un large & profond foffé, en forme de demye lune. L afituationde cette place eftfiavantageufe, que felonlejugement de tous ceus qui s'entendent aus fortifications, l'on pourroit avec peu de frais, la mettre en état d'arrêter une puiffante armée : parce qu'outre qu'elle n'eft commandée d'aucune montagne ou eminence qui foit au voifinag e , le roc fur lequel ce Fort eft bâti, ne peut eftre ni miné ni fapé, à caufe de fa dureté naturelle, & des eaus qui l'entourent. Joint que pour y entrer, il faut traverfer la rivière, & monter par un petit fentier pratiqué dans la maffe du rocher, & qui eftfiétroit, qu'il n'y peut paffer qu'un h o m m e de front, tellement que les foldats qui le gardent, n'ont pas beaucoup de peine à defendre cette avenue, & d'en empefcher l'accès. Il eft auffi pourveu de plufieurs groffes pieces d'artillerie de quinze à dixhuit livres de bales, qui tiennent la rade & tout le Quartier voifin en feureté. Tout joignant cette Place, il y a une langue de terre qui forme une prefqu'Ile, fur laquelle on a deffein de bâtir encore uneautre Ville , fous le n o m de laNouvelleFlefingue..

L e troifiéme Fort, qu'on apelle de Bellevifte, ne confifte qu'en une redoute, qui eft conftruite entre deus Pointes, dont l'une eft n o m m é e de Caron, & l'autre de Sable. L'on a, édifié dépuis peu cette petite Fortereffe, à deffein d'empefcher les Indiens de faire quelques irruptions dans l'Ile par ces endrois-là. Car bien-que M . M . Lampfins defirent que leurs, fujets entretiennent une bonne intelligence avec ces Barbares, afin de les aprivoifer & de les atirer à la connoiffance de. Dieu, par toutes les voyes de douceur & de charité Chreftienne.,fieft-ce qu'ils ne veulent pas qu'ils defcendent à terre, fans en avoir demandé 6c obtenu la licence de Monfieur: le Gouverneur. C 3 Pour


Chap. 2 Pour ce qui eft de l'état prefent de cette Colonie, les derniers mémoires qui en font venus nous aprenent, qu'il y a déjà environ douze cens Habitans , quis'ocupenttous à cultiver le Tabac ou le Gingembre, ou leCoton, ou l'Indigo, ou ces precieus Rofeaus dont on fait le Sucre , & qu'ils ont déja fix beaus Moulins pour brifer ces Cannes & en exprimer le Suc. Il eftaufficonftant que les Navires qui en font retournez dépuis peu, ont déchargé à Fleffingue dans les m a gazins de M . M . Lampfins, une quantité bien notable de toutes ces fortes de marchandifes , qui étoient du crû & de la faffon de cette Ile : léquelles auffi au raport des experts ont efté jugées autant excellentes & auffi bien conditionées qu'aucunes autres de m ê m e efpece , qui jufqu'à prefent font venues de l'Amérique. Il eft à croire, que la bonté & la fertilité du terroir de cette Ile, contribué beaucoup aus louables qualitez & à toute la perfection de ces marchandifes: mais il en fautauffidonner la gloire & la louange, à la diligence & à la d'exterité des Habitans de cette Nouvelle Oüalcre, qui étans d'un naturel vigilant & laborieus au poffible, fontauffifort foigneus de ne rien oublier de tout ce qui eft capable de mettre dans l'eftim e leur aimable Colonie, & de lui aquerir & conferver un b o n renom parmi les marchands. Quant au Gouvernement de cetteIle,la juftice & la police y font adminiftrées avec toute l'équité, la douceur & la m o d é ration que l'on fauroit defirer, par un fageConfcil auquel Monfieur le Gouverneur prefide. C e Sénat eft compofé d'un Bourguemaiftre de cinq Efchevins & des principaus Officiers de la milice, qui terminent promtement & fans beaucoup de remifes fuivant les bonnes loix, & les anciennes coutumes des Provinces confédérées, tous les diferens qui peuvent furvenir entre les Habitans. Les Eglifes de l'une & de l'autre langue que le Seigneur y a recueillies, c'eft à dire tant la Flamande que la Valonne, font auffi conduites par le miniftere des Pafteurs des Anciens & des Diacres, de m ê m e que celles des Provinces Unies aufquelles elles font affociées, fous la direction d'une m ê m e Difcipline Eclefiaftique, & l'Infpection de leurs Synodes. Enfla

22

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,


Chap. 2 DES ÎLES ANTILLES. 23 Enfin., pour ce qui concerne la Police,l'onne foufre point de pareffeus ni de bouches inutiles dans cette petite Republique , non plus qu'en celle des Abeilles : mais c o m m e l'oyfiveté quieftla roüillure des corps & des efprits , en cil bannie par un Arreft irrevocable, auffi le dous & profitable employ de l'agriculture, & tous les louables exercices qui fervent à l'entretien du commerce, y font receus & pratiquez avec honneur, de m ê m e que parmi les plus genereufes Nations, dont l'hiftoire eft parvenue jufques à nous.

A R T I C L E

II.

De l'île de la Grenade,

C

Ette Ile , qui eftfituéefurlahauteur de douze degrez, & feize fcrupules au deça de la Ligne, c o m m e n c e proprement le demy cercle des Antilles. O n luy donne fét lieues de longueur, fur une largeur inégale, elle s'étend Nord & Sud en forme de Croiffant. Les François s'y font placez il y a environ fix ans. Ils eurent à leur arrivée beaucoup à démefler avec le Caraïbes, qui leur en contefterent quelques mois par la force desarmes, la paifible poffeffion. Mais enfin Monfieur du Parquet Gouverneur pour le R o y de l'Ile de la Martinique, qui avoit entrepris à fes frais cet établiffement, les obligea, à luy laiffer la terre libre, par la confideration de leurs propres Interefts, fondez principalement fur le grand avantage qu'ils recevroient du voifinage des François, qui les affifteroient en tous leurs befoins. La Terre, y eft tres-propre à produire toute forte de vivres du païs, des Cannes de Sucre, du Gingembre & d'excellent Tabac. Elle jouyt d'un air bien fain. Elle eft pourveüe de plufieurs fources d'eau douce, & de bons mouillages pour les Navires. 11 y a auffi une infinité de beaus Arbres, dont les uns portent des fruits delicieus à manger, & les autres font propres à bâtir des maifons. L a pefche eft bonne en toute la cofte, & les Habitans fe peuvent étendre tant pour la pefche, quepour lachafle, en trois ou quatre petis Ilets, qu'on n o m m é les Grenadins, qui font au Nord-Eft de cette terre.


24

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

Chap.2

terre. Monfieur le C o m t e , Capitaine de la Martinique, à efté le premier Gouverneur de cette Ile. Monfieur de la Vaumeniere, luy a fuccedé en cette charge. Il a fous fa conduite plus de trois cens h o m m e s bien aguerris, quipour la plupart ont déjademeuré en d'autres Iles, & qui s'entendent parfaitement à faire cultiver la terre, & à manier les armes, pour repouffer au befoin les efforts des fauvages,; & de tous ceus qui voudroient troubler le repos dont ils jouyffent, en cette aimable demeure. Monfieur le C o m t e de Seryllac, ayant entendu le récit avantageus qu'on faifoit à Paris & ailleurs, de la bonté & beauté de cette Ile, là fait acheter depuis peu de Monfieur du Parquet. C e qui donne tout fujet d'efperer, que dans peu de tems cette Colonie, qui eft tombée en defibonnes mains, fera confiderable pour le nombre de fes Habitans, & pour la quantité des Marchandifes qu'elle fournira. A R T I C L E

III.

De l'île de Bekia.

C

Ette Terre, eft diftante de la ligne de douze dégrez 5c vint-cinq fcrupules. Elle a dix ou douze lieues de circuit, & elle feroit affes fertile,fielle étoit cultivée. Il y a un fort b o n Havre pour les Navires, qui y peuvent eftre à l'abry de tous vens : mais à caufe qu'elle eft dépourveue d eau douce, elle eft peu fréquentée,fice n'eft de quelques Caraïbes de faint Vincent, qui y vont quelquefois faire la pefche, o u cultiver de petis jardins qu'ils ont ça & là, pour leur divertiffement. A R T I C L E

IV.

De l'île de Saint Vincent.

C

Ettc Ile, eft la plus peuplée de toutes celles que poffedent les Caraïbes; Elle eft fur la hauteur de feize degrez au N o r d de la Ligue. C e u x qui ont veu l'Ile de Ferro, qui


DES ÎLES ANTILLES.

Chap. 2 25 qui eftl'unedes Canaries, difent que cellecy eft de m ê m e figure. Elle peut avoir huit lieues de long & fix de large. L a terre eft relevée de plufieurs hautes montagnes, au pied defquelles fe voyent des plaines, qui feroyent fort fertiles fi elles croient cultivées. Les Caraïbes y ont quantité de beaus Villages, où ils vivent delicieufement, & dans un profond repos. Et bien qu'ils foient toujours dans la méfiance des Etrangers, & qu'ils fetiennent fur leur garde quand il en arrive à leur rade, ils ne leur refufent pas neantmoins du pain du païs, qui eftlaCaffave, de l'eau, des fruits, & d'autres vivres qui croiffent en leur terre , s'ils en ont befoin : pourveu qu'en échange, ils leur donnent des couteaus, des ferpes, des coignées, ou quelques autres ferremens, dont ils font état. A caufe que cette place, entre toutes celles que les Caraïbes poffedent aus Antilles, eft la plus voifine du continent, où habitent les Aroùagues leurs irreconciliables ennemis, ils y affignent ordinairement, le rendez-vous general de leurs troupes, lors qu'ils ont formé le deffein de les araquer. C'eft de cetteIle,que font fortis les plus vaillans h o m m e s , qui i diverfes reprifes, ont fait des defcentes & des ravages dans les Colonies des François & des Anglois, c o m m e nous le dirons en fon lieu.

AUFFI

A R T I C L E

V.

Del'IledelaBarboude,

L

'Ile que nos François appellent la Barboude,& les Angtais Barbade, eftfituéeentre le treizième & le quatorzième degré, au N o r d de l'Equateur, à l'Orient de Sainte Aloufie & de Saint. Vincent. Les Anglois, qui y ont m e n é des l'an mil fix cens vint fét la Colonie qui l'habite encore à prefent, luy donnent environ vint-cinq lieues de tour. Elle eft d'une figure plus longue que large. 11 n'y a qu'un feul ruiffeau en cette Ile, qui mérite de porter le n o m de Rivière: Mais la terre y étant préfque par tout plat te & unie , elle a en plufieurs endroits des Etangs, & des refervoirs d'eau douce,

D

QUI


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HISTOIRE N A T U R E L L E ,

Chap.2

qui fuppléent au defaut des fontaines & des rivières. L a plupart des maifons, ontauffides Cifternes, & des puits, qui ne tariffent jamais. D u c o m m e n c e m e n t qu'on cultiva cette terre, o n tenoit qu'elle ne promettait pas beaucoup: Mais l'expérience a vérifié le contraire, & elle s'eft trouvée fi propre à produire du Tabac, du Gingembre , du Cotton , & particulierémentdes Cannes de fucre, qu'apres l'Ile de Saint Chriftofle, elle eft la plus fréquentée des Marchands, & la plus peuplée de toutes les Antilles. D e s l'an milfixcens quarante fix, on y contoit environ vint mille Habitans, fans comprendre les Efclaves negres, que l'on tenoit monter à un nombre beaucoup plus grand.. Il yaplufieurs places en cette Ile, qui portent à bon droit le n o m de Villes : parce-qu'on y voit plufieurs belles, longues & larges rues, qui font bordées d'un grand nombre de beaus édifices, o u les principaus Officiers & Habitans de. cette celebre Colonie font leur demeure : Mais à confiderer toute cette Ile en gros, on la prendrait pour une feule grande Ville, à caufe que les maifons ne font pas fort éloignéesles unes des autres ; Qu'il y en a auffi,beaucoup de bien bâties, à la. faffon de celles d'Angleterre : que les boutiques & les magasins y font fournis de toutes fortes de Marchandifes : qu'on y tient des foires & des marchez : Et que toute l'Ile, à limitation des grandes Villes,eftdivifée en plufieurs, Parroiffes, qui ont chacune une belle Eglife, où les Pafteurs qui y font en grand nombre, font le fervice Divin. 1 ous les plus confiderables Habitans de cetteIle,y font ferm e m e n t établis, & s'y trouventfibien , qu'il arrive rarement qu'ils la quittent, pour aller en une autre. C e qui n'eft pas étonnant, puifqu'elle leur fournit en abondance tous les meil. leurs rafraichiffemens qui peuvent eftre tranfportez de l'Europe , & une infinité de douceurs que ce nouveau M o n d e produit. N o u s aprenons auffi, que cette Colonie s'eft tellement acrue, que ne pouvant plus contenir fans enpreffement le grand nombre de fes Habitans, elle a efté obligée pourfemettre plus au large,de pouffer une nouvelle Peuplade dans le Continent de


Chap, 2 DES ÎLES ANTILLES 27 de l'Amérique Méridionale, laquelle s'acroift de jour à autre, à la décharge, & au plus grand avantage de celle-cy,dont elle relevé. Cette Ile eft renommée par tout, à caufe de la grande abondance d'excellent fucre , qu'on en tire depuis plusieurs années, Il eft vray, qu'il n'eft pasfiblanc que celuy qui vient d'ailleurs, mais il eft plus eftimé des Raffineurs, par ce qu'il a le grain plus beau, & qu'il foiffonne davantage, quand on le purifie. A R T I C L E

VI.

De l'île de Sainte Lucie,

es

François appellent c o m m u n é m e n t cette Ile Sainte Aloufie , elle eftfituéefur le treiziéme degré & quarante fcrupules au deçà de la ligne. Elle n'eftoit par cy devant frequentée que par un petit n o m b r e d'Indiens, qui s'y plaifoient à caufe de la pefche qui y eft abondante. Mais les François de la Martinique, font venus dépuis peu leur tenir compagnie. Il y a deus hautes montagnes en cette Ile, qui font extrêmement roides. On les apperçoit de fort loin , & on les nomme ordinairement, les Pitons de Sainte Aloufie; A u pied de ces montagnes ; il y a de belles & agreables Vallées, qui font couvertes de grands arbres , & arrofées de fontaines. O n tient que l'air y eft b o n , & que la terre y fera fertile, quand elle fera un peu plus découverte, qu'elle n'eft à prefent. Monfieur de Roffelan , a étably cette Colonie Françoife, fous les ordres de Monfieur du Parquet, qui l'avoit choify pour y eft refon Lieutenant & étant decedé en l'exercice de cette charge de laquelle il s'aquittoit dignement, Monfieur le Breton Parifien a efté mis en fa place.

L

P*

ARTI.


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HiSTOIRE

NATURELLE,

A R T I C L E

Chap. 2

VII.

De l'île de la Martinique,

L

Es Indiens, appelloient cette Ile Madanina ; mais les Efpagnols luy ont donné le n o m qu'elle porte à prefent. Elle eftfurla hauteur de quatorze degrez & trente fcupules au deçà de la ligne. C'eft une belle & grande terre , qui a environ, feize lieues en longueur, fur une largeur inégale , & quarante cinq de circuit. C'eft aujourduy l'une des plus célèbres, & des plus peuplées des Iles Antilles. Les François, & les Indiens occupent cette terre , & y ont vécu long tems enfemble en fort bonne intelligence. M o n sieur du Parquet, neveu de feu Monfieur Defnambuc , qui donna le commencement aus Colonies Françoifes qui font répandues en ces Antilles, c o m m e nous le dirons cy après, en eft Gouverneur pour le R o y , & dépuis quelques années il en a aquis la Seigneurie. C'eft la plus rompue des Antilles, c'eft à dire la plus remplie de montagnes, qui font fort hautes, & entre-coupées de rochers inacceftibles. C e qu'il y a de bonne terre, eft compofé en partie de Mornes, qui font des eminences prefque rondes, ainfi n o m m é e s au païs : de côtaus qui font parfaitement beaus, (on les appelle Cotieres au langage des Iles:) Et de quelques plaines ou valons, qui font extremement agréables. Les montagnes, font tout à fait inhabitables, & ferventde repaire au beftes fauvages, aus ferpens, & aus couleuvres, qui y font en fort grand nombre. Ces montagnes font couvertes de beaus bois, d'ont les arbres, furpaftent de beaucoup- & en groffeur, & en hauteur les nôtres de France ; & produitent des fruits,. & des graines, d'ont les fangliers & les oiféausferepaffent. Pour ce qui eft des Mornes & des côtaus, la plupart font habitables, & d'un bon terroir, mais fort penible à cultiver : Caron en voit qui fontfihauts & fi droits, qu'à peine y peut on travailler fans danger, ou du moins, fans eftre obligé à fe tenir


Chap.

2

DES ÎLES ANTILLES. 29 tenir d'une main à quelque fouche de Tabac, ou à quelque branche d'arbre, afin de travailler de l'autre. L e Tabac qui croift dans ces lieus élevez, eft toujours meilleur, & plus eftimé, que celuy qui croift es vallées, & en des f o n d s q u i ne font pas de fi prés favorifez de l'aimable prefence du Soleil. Car le Tabac qui fe cueille en ces endroits, eft toujours plein de taches jaunâtres, c o m m e s'il étoit brûlé, & n'eft ni de bon goût, ni de bonne garde. C e s liens étoufés font auffi fort mal-fains, ecus qui y travaillent, deviennent de mauvaife couleur, & les nouveaus venus, qui ne font pas acoûtumcz à cet air, y gagnent plutôt qu'ailleurs le mal d'eftomac, qui eftfic o m m u n en ces Iles. C o m m e il y a deus fortes de Nations différentes en cette terre, auffieftelle partagée entre l'une & l'autre, c'eft à dire entre les Indiens habitans naturels du païs, &les François, qui jetterait les fondemens de cette Colonie au m o y s de juillet de l'an mil fix cens trente cinq, fous la fage conduite de Monsieur D e f n a m b u c , qui les fit paffer de l'ile de Saint Chriftofle, les mit en la paifible poffeffion de cette terre, & après les avoir munis de tout ce qui étoit neceffaire pour leur fubfiftence, & pour leur feureté , leur laiffa Monfieur du Pont, pour c o m m a n d e r en qualité de fon Lieutenant. La partie de l'Ile, qui eft habitée par les Indiens, cft toute comprife en un quartier , qui fe n o m m e la Cabes-terre , fans autre diftinction. Pour ce qui eft du païs occupé par les François, & que l'on n o m m e Baffe-terre-, il eft divifé en cinq quartiers, qui font la Cafe du Pilote, la Cafe Capot, le Carbet, le Fort Saint Pierre, & le Prefcheur. E n chacun de ces quartiers il y a une Eglife, o u du moins une Chapelle , un Corps de garde, & une place d'Armes, autour de laquelle on abâty plufieurs beaus & GRANDE Magazins, pour ferrer les Marchandifes qui Viennent de dehors, & celles qui fe font dans l'ile. Le quartier de la Cafe du Pilote, eft ainfi appelle, à caufe d'un Capitaine fauvage, qui y demeuroit autrefois, & qui tenoit à gloire de porter ce n o m de Pilote, que nos François luy avoient donne. Il étoir grand a m y de Monfieur du Parquet , & c'étoit luy quil'avertiffoitcontinuellement, de tous les D 3


Chap.2 les deffeins, que ceus de fa Nation formoient alors contre nous. A u quartier de la Cafe Capot, il y a une Fort belle Savanne, (on appelle ainfi ausIlesles prairies & les lieus de pâturage) laquelle eft bornée d'un cofté d'une riviere, n o m m é e la Rivière Capot, & de l'autre, de plusieurs belles habitations. L e quartier du Carbet, a retenu ce n o m , des Caraïbes, qui avoient autrefois en cette place l'un de leurs plus grands Villages, & une belle Caze qu'ils appelloient Le Carbet, n o m , qui eft encore à prefent c o m m u n à tous les lieus,oùils font leurs affemblées. Monfieur le Gouverneur, a honoré un fort long rems c'et agreable quartier defademeure, laquelle il faifoit en une maifon qui eft bâtie de briques, guéres loin de la rade, près de la place d'armes, en un beau vallon , qui eft arrofé d'une affes groffe rivière, qui tombe des montagnes. Les Indiens qui n'avoient point encore veù de bâtiment de pareille figure , ni de matière fi folide, le confideroient au comm e n c e m e n t , avec un profond étonnement, & aptes avoir effayé avec la force de leurs épaules, s'ils le pourroient ébranler, ils étoient contrains d'avouer, quefitoutes les maifons étoient bâties de la forte, cette tempefte qu'on n o m m e Ouragan, ne les pourroit endommager. Cette maifon, eft entourée de plufieurs beaus jardins, qui font bordez d'arbres fruitiers, & embellys de toutes les rarétez, & curiofitez du païs. Monfieur le Gouverneur a quitté cette demeure depuis environ deus ans , à caufe qu'il ne fe portoit pas bien en ce quartier où elle eft fituée, & en a fait prefent aus Jefuites, c o m m e auffi de plufieurs belles habitations qui en dépendent, & d'un grand nombre d'Efclaves nègres, qui les cultivent. L e Fort Saint Pierre, eft le quartier o ù demeure prefente* ment Monfieur le Gouverneur. Il y a une Fort bonne batterie de plufieurs groffes pieces de C a n o n , partie de fonte verte, & partie de fer. C e Fort c o m m a n d e fur toutelarade. A un jet de pierre du logement de Monfieur le Gouverneur, eft la belle Maifon des Jefuites, fituée fur le bord d'une agréable Rivière, que l'on appelle pour cette raifon, la Riviere des Jefuites. C e rare édifice, qui pourroit en un befoin fervir de 30

HISTOIRE NATURELLE,


Chap.2

D E S ILES A N T I L L E S .

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de Citadelle, eft bâty folidement de pierres de taille & de briques, d'uneftructurequi contente l'œil. Les avenues en font fort belles; & aus environs o n voit de beaus jardins, & & des vergers remplis de tout ce que lesIlesproduifent de plus delicieus,. & de plusieurs plantes, herbages, fleurs & fruits qu'on y a apportez de France.Ily a m ê m e un plan de Vignes, qui porte de bons raifins, en affes grande abondance, pour en faire du vin. L e quartier du Prefcheur, contient un plat païs fort confiderable pour fonétenduë;& plufieurs hautes montagnes, à la pente déquelles on voit un grand nombre de belles habitations, qui font de bon rapport. - Entre la Cabes-terre & la Baffe-terre, il y a un cul-de-fac, o ù il fe trouve beaucoup de bois propre à monter le Tabac. O n y va prendre auffi des rofeaus, qui fervent à paliffader les Cafes, & du Mahot franc, dont l'écorce fert à plufieurs ufages de la ménagerie. L a plupart des maifons de cetteIle,font de charpente, fort c o m m o d e s , & d'une montre agréable, Les plus confiderables font bâties fur ces eminences, queles Habitans appellent Mornes. Cette fituation avantageufe contribue beaucoup à la fanté de ceus qui y demeurent, car ils y refpirent un air plus épuré que celuy des vallées ; Et elle relevé merveilleufement la beauté de tous ces agréables édifices, leur fourniffant une perfpective fort diversifiante. L a meilleure rade de cette le, eft entre le Carbet,&le Fort Saint Pierre. Elle eft beaucoup plus affurée que celle des Iles voifines, étant à-demy entourée de montagnes affeshautes., pour la mettre à couvert des vens, & y tenir les vaiffeaus en feureté. Entre la Cafe du Pilote, & ce fein qu'on n o m m e ordinairement le Cul-de-fac des Salines, il y a un rocher une demye lieue avant en m e r , que l'on appelle le Diamant, à caufe de fa figure, qui fert de retraite à une infinité d'Oifeaus, & entre autres aus Ramiers, qui y font leurs nids. L'accès en eft difficile : mais on ne laiffe pas de le vifiter quelquefois en paffant, pendant le tems que les petits des Ramiers, font bons à manger. Le


Chap. 2 L e Crénage,eftfituédu m ê m e cofté que ce Diamant;c'eft un lieu en forme de Cul-de-fac, ou de fein, où l'on m e n e les Navires pour les r'affraichir, & pour les reparer en les tournant fur le cofté, jufques à ce que la quille apparoiffe à decouvert. La mer y eft toujours calme : mais ce lieu n'eft pas en bon air,& les matelots y font ordinairement pris de fievres, qui pourtant ne font pas fort dangereufes, puis qu'elles quittent le plus fouvent en changeant de lieu. Outre les Torrens, qui au tems des pluyes coulent avec impetuofité parmy toutes les ravines de cetteIle,on y conte jufqu'à neuf ou dix rivières considérables , qui ne tariffent jamais. Elles prenent leurs fources à la pente, ou au pied des plus hautes montagnes, d'où elles roulent leurs eaus entre les vallons , & après avoir arrofé la terre , elles fe déchargent en la mer. Leur voifinage eft fouvent incommode & dangereuz , à caufe que lors qu'elles fe debordent, elles deracinent les arbres , fappent les rochers, & defolent les champs & les jardins, entraînant bien fouvent dans les précipices, les maifons qui font en la plaine, & tout ce quis'oppofeà cette extraordinaire rapidité de leur cours. C'eftauffice qui a convié la plupart des Habitans de cette Colonie, de choifir leurs demeures au fommet de ces petites montagnes, ou à la pente de ces eminences, d'ont leur Ile eft richement couronnée: car elles les parent contre ces inondations. Mais ce qui eft de plus confiderable en cette terre, eft la multitude des Habitans qui la poffedent, & la cultivent, qu'on diteftreà prêtent de neuf ou dix mille perfonnes , fans y comprendre les Indiens, & les Efclaves négres, qui font prefque en aufi grand nombre. La douceur du Gouvernement , & lafituationavantageufe d e cetteIle,contribuent beaucoup à l'entretien, & à l'accroiffement d e cette grande affluance de Peuple. Car préfque tous les Pilotes des Navires François & Hollandois qui voyagent en l ' A m e r i q u e , ajuftent le cours de leur navigation en telle forte , qu'ils la puiffent reconnoitre, & aborder avant toutes les autres, qui ne font p a s fî b i e n fur leur r o u t e : &fi-t-oftqu'ils ont jette l'ancre à la rade de cette terre, pour y prendre les refraichiffemens qui leur font neceffaires, ils y fon defcendre leurs paffagers,. s'ils ne 32

HISTOIRE N A T U R E L L E ,


Chap.2 D E S ÎLES A N T I L L E S . 33 ne font expreffément obligez de les conduire encore plus loin. Il eft m ê m e arrivé fouvent, que des familles entieres, qui étoient forties de France, en intention de paffer en d'autres Iles, qui font au delà de celle-cy, & qui ne luy cèdent en rien, ni en bonté d'air, ni en fertilité de terroir, étans fatiguées & ennuyées de la m e r ,s'yfont arrêtées, pour nepoints'expofer de nouveau, à tant de dangers, de dégoûts, & d'autres incommoditez , qui accompagnent infeparablement , ces longs & pénibles voyages. Parmy cette grande multitude de peuple, qui compofe cette Colonie, il y a plufieurs perfonnes de mérite, & de condition qui après avoirfignaléleur valeur, dans les armées de France, ont choify cette aimable retraitte, poureftrele lieu de leur repos, après leurs honorables fatigues. Monfieur de Gourfolas, Lieutenant General de Monfieur le Gouverneur, s'y eft rendu recommandable entre tous;fa fage conduite, fon affabilité, & fon humeur obligeante, luy ont aquis les affections de tous les Habitans de l'Ile,& les refpc&s de tous les étrangers qui y abordent. Monfieur le C o m t e , & Monfieur de L'Oubierc, y font confiderez entre les principaus Officiers. Monfieur du Coudre, y a exerce un fort longtems la charge de juge Civil & Criminel, avec beaucoup d'approbation. A u commencement de la defcription de cette Ile, nous avons dit à deffein, que les François & les Indiens, y ont vécu long tems enfemble en bonne intelligence : Car nous apprenons des mémoires, qui nous ont efte envoyez dépuis peu, touchant l'Etat de cette Ile, qu'il y-a environ quatre ans,, que les Caraïbes font en guerre ouverte avec tes nôtres ; que depuis ce tems-là , ces Barbares ont fait plusieurs ravages en nos quartiers;& que ni les hautes montagnes, ni la profondeur des précipices, ni l'horreur des vaftes & affreufes folitudes, qu'on avoir tenues jufques alors pour un m u r impénétrable , qui feparoit les terres des deus Nations, ne les ont pu empefcher de venir fondre fur nos gens, & de porter jufques au milieu de quelques-unes de leurs habitations , le feu, le maffacre, la defolation , & tout ce que l'efprit de vengeance leur à pu dicter de plus cruel pour contenter leur rage , & pour affouvir la brutalité de leur paillon. E On


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HISTOIRE

NATURELLE,

Cap. 2

O n parle diverfemcnt des fujets de cette rupture. L e s uns l'attribuent au déplaifir que quelques Caraïbes ont conçeu., de ce que Monfieur d u Parquet, a établi contre leur gré , des Colonies Françoifes aus Iles de la Grenade, & de Sainte Aloufie , o u de ce qu'on ne leur a pas acompli la promeffe qui leur avoit efté faite, en s'emparant de ces places, de leur donner en compenfation, des marchandifes, qui leur feroyent les plus agréables, jufqu'à la concurrence, de la valeur de deus mille francs, ou environ. Les autres difent, qu'ils ont efté incitez à prendre les armes, pour venger la mort de quelques uns de leur Nation, Habitans de l'Ile de Saint Vincent, qu'ils tiennent eftre periz , aptes avoir beû de l'eau de vie empoifonnée, qui leur avoit efté apportée de la Martinique. Incontinent que cette guerre fut déclarée , & que les C a raïbes eurent fait par furprile, felon leur c o u t u m e , quelques dégâts en l'un de nos quartiers: ceus qui font envieus de la gloire de nos Colonies, & de leur progrez & affermiffément dans ce nouveau M o n d e , faifoient courir le bruit, que nos gens ne pourroyent jamais domter ces Barbares que ceus de cette m ê m e Nationqui habitent à la D o m i n i q u e , & à Saint Vincent, avoient ébranfé tous leurs alliez d u Continent, pour nous faire la guerre à forces unies ; que pour faciliter ce deffein, & groffir leur party, ils avoient m ê m e traitté de paix avec les Arovagués leurs anciens ennemis ; & qu'ils avoyent engagé fi avant tous ces Sauvages en leur querelle , qu'ils étoient refolus de fejetterd'un c o m m u n effort fur nous , & de nous accabler de leur multitude. L ' O n ne fait pas au vray, fi cette ligue générale dont o n nous menaçoit à efté projettée : mais il eft confiant qu'elle n'a point paru , & qu'après les premières courfes, que les C a raïbes de la Martinique firent fur nos terres avec quelque avantage, ils ont dépuis fi mal reuffy dans leurs entreprifes, & ils ont eftéfifouvent pour fuivis & repouffez des nôtres, avec perte de leurs principaus Chefs, qu'ils ont efté contrains depuis deus ans ou environ d'abandonner leurs Villages, & leurs jardins â leur difcretion , & de fe r'enfermer dans l'epaiffèur des bois, & parmy des montagnes & des rochers qui font préfque inacceffibles. D e forte que ceus qui connoiffent la valeur,


Chap.3 D E S ÎLES A N T I L L E S , 35 valeur, l'expérience, & le bon ordre de nos François qui habitent cette Ile , font entièrement perfuadez, quefices Barbares-, ont encore l'affurance de fortir de leurs tanières, pour expérimenter le fort des armes, & pour fecouer cette profonde confternation en laquelle ils vivent, ils feront contrains par neceffité , ou de leur quitter l'entière poffeffion de cette terre , ou d'accepter toutes les conditions fous lefquelles ils voudront traitter de paix avec eus, & renouveller l'ancienne alliance, qu'ils ont trop légèrement rompue. Dépuis la première édition de cette Hiftoire, nous avons efté plenement informez de l'état auquel eft à prêtent cette floriffante Colonie, & de l'heureus fuccés des guerres quelle a eus avec les Caraïbes : Mais à caufe que cet Article eft déjà allez diffus, & que cette matière apartient proprement à l'Hiftoire Morale, nous la remettrons avec toutes les circonftances, au Chapitre vintiéme de nôtre fecond Livre, auquel nous traitons des guerres des Caraïbes. •

CHAPITRE TROISIEME, Des Iles Antilles qui s'étendent vers le Nord.,

T

Outes les Iles dont nous ferons la defcription en ce Chapitre, étans fituées plus au N o r d que les précedentes;jouiffent par confequent d'une temperature un peu plus douce. Elles fontauffiplus frequentées que celles de Tabago, de la Grenade, & de Sainte Aloufie;à caufe que les Navires qui fe font rafraîchis à la Martinique, & qui defcendentà Saint Chriftofle , les peuvent vifiter les unes apres les autres, fans fe detourner de leur route. A R T I C L E De l'île delaDominique.

C

EtteIle, eft fur la hauteur de quinze degrez 6c trente fcrupules. O n l'eftime avoir en longueur environ tréze lieues, & en fa plus grande largeur un peu moins. Elle a en E2 fon


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HISTOIRE

NATURELLE,

Chap.

5

fon centre plufieurs hautes montagnes, qui entourent u n fonds inacceffible, o ù l'on voit du haut de certains rochers, une infinite de Reptiles, d'une groffeur & d'une longueur effroyable. Les Caraïbes, qui habitent cetteIleen grand n o m b r e , ont fort long-tems entretenu, ceus qui les alloient vifiter, d u conte qu'ils faifoient, d'un gros & monftrueus ferpent, qui avoit fon repaire en ce fonds, Ils difoient qu'il portoit fur fa refte une pierre éclatante c o m m e une Efcarboucle, d'un prix inéftimable. Qu'il voiloit pour l'ordinaire ce riche ornem e n t , d'une petite peau mouvante, c o m m e la paupière qui couvre l'œil : mais que quand il alloit boire, o u qu'il fe joùoit au milieu de ce profond abyfme , il le montroit à découvert, & que pour lors les rochers, & tout ce qui étoit à l'entour, recevoit u n merveilleus éclat du feu, qui fortoit de cette precieufe couronne. L e Cacique de cette Ile , étoit autrefois des plus confiderez entre les autres de la m ê m e Nation. Et quand toutes leurs troupes marchoient en bataille, contre les Arouagues leurs ennemis du Continent, celuy-cy avoit la conduite de l'avant garde,& étoit fignalé par quelque marque particuliere, qu'il avoit fur fon corps. Et encore à prefent, il tient un rang de Prince parmy ces Barbares , qui ont m ê m e tant de refpcect & de veneration pour luy, qu'ils le portent fouvent rut leurs épaules, dans une forme de braucart, lors qu'il veut honorer de fa prefence leurs feftins, & leurs autres affemblées folemnelles. Q u a n d il paffe de Navires François prés de cette Ile, o n voit auffi-tôt plulieurs canots, en chacun déquels il y a trois o u quatre Indiens au plus, qui viennent convier les Capitalnés de ces Vaiffeaus, d'aller mouiller aus bonnes rades qu'ils montrent : O u du moins, ils prefentent des fruits de leur terre, qu'ils ont apportez , & apres avoir fait prefent de quelques uns des plus beaus aus Capitaines, & aus autres Officiers, ils offrent ce qui leur refte , en échange de quelques hameçons, de quelques grains de criftal, o u d'autres m e n u e s bagatelles qui leur font agréables. Ceus


Chap.3 D E S ILES A N T I L L E S . 37 Ceus qui ont une connoiffance particulière de cette belle Ile, nous affurent, qu'elle eft l'une des meilleures, & des plus dignes d'eftre cultivées de toutes les Antilles, à caufe des excellentes vallées, & des plaines de grande étendue , qui font au pied des agreables montagnes, qui luy font une fuperbc couronne, & parce qu'elle eft rafraichie plus qu'aucune autre, de plufieurs grandes fources, qui y forment des ruik feaus & des rivieres, qui font merveilleufement c o m m o d e s . O n tient auffi , qu'il y a des perfonnes de qualité , qui ont deffein d'obliger bien tôt les Caraïbes, à recevoir des c o m pagnons du dous repos & de la tranquilité qu'ils y refpirent, A R T I C L E

II.

De l'île de Marigalante.

O

N la met ordinairement fur la hauteur de quinze degrez & quarante fcrupules. C'eft une terre affez platte & remplie de bois, qui témoignent qu'elle ne feroit pas inféconde, fi elle étoit cultivée. Elle a toujours été fréquentée des Indiens,tant pour la pefche, que pour l'entretien de quelques petis jardinages qu'ils y ont. Les derniers avis, qui nous font venus des Antilles, portent, que Monfieur D'Hoüel, Gouverneur de la Gardeloupe, a nouvellement fait peupler cette Ile , & qu'il y a fait bâtir un Fort, pour reprimer quelques Indiens, qui vouloient s'oppofer à ce deffein, & qui y avoient tué vint h o m m e s , qu'il y avoit envoyez par avance, pour découvrir peu à, peu la terre : & qu'à caufe de cet accident, il y en a fait paffer environs trois cens, qui le retiroient la nuit en un grand vaiffeauqu'ils a voient à la rade, jufques à ce que la fortification fut en defenfe. Les Caraïbes de la D o m i n i q u e , pour, entretenir, l'amitie qu'ils ont avec les Habitans de la Gardeloupe , qui font leurs plus proches voifins, difent qu'ils font innocens de, ce maffacre , & en ont fait excufe à Monfieur d'Hoüel, l'imputant à ceus de leur Nation, qui habitent aus autres Iles. E3

ARTI


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HISTOIRE N A T U R E L L E ,

A R T I C L E

Chap 3

III.

Des Iles des Saintes, & des Oifeaus,

E

Ntre la Dominique, & la Gardeloupe, il y a trois ou quatre petites Iles, fort proches les unes des autres , qu'on n o m m e ordinairement les Saintes. Elles font fur la m ê m e hauteur que Marigalante, au couchant de laquelle elles font fituées, & jufques à prefent , elles font defertes & inhabitées. l'Ile aus oifeaus, eft encore plus occidentale que les Saintes. O n la range fur la hauteur de quinze degrez, & quarante cinq fcrupules. Elle eft ainfi n o m m é e à caufe de la multitude d'Oifeaus, qui y font leurs nids jufques fur le fable, & au bord de la mer. Ils font pour la plupart fort faciles à prendre à la main, par ce que ne voyant pas fouvent des h o m m e s , ils n'en ont nulle crainte. Cette terre eft fort baffe, & à peine la peut-on appercevoit, que l'on n'en foit bien prés. A R T I C L E

IV.

De l'île de la Defiderade.

E

Lle eft ainfi n o m m é e , par ce que christofle Colomb, la découvrit la premiere de toutes les Antilles, en fon fécond voyage de l'Amérique. Et c o m m e la premiere terre de ce N o u v e a u M o n d e , fut appellée par luy, San Salvador, au lieu qu'elle fe n o m m o i t auparavant Guanaham, qui eft une des Lucayes, fur la hauteur de vint-cinq degrez & quelques fcrupules; ainfi, il n o m m a celle-cy la Defirée, à caufe de l'accompliffement de fon fouhait. Elle eft éloignée de dix lieues de la.Gardeloupe , en tirant vers le Nord-Eft : & de la ligne, de feize degrez, & dix fcrupules. 11 y a allez de bonne terre en cette Ile , pour y dreffer plufieurs belles habitations : c'eft pourquoy o n efpere , qu'elle ne fera pas long-tems, fans eftre peuplée. •

ARTI-


Chap. 3

DES

ILES A N T I L L E S .

A R T I C L E

39

V,

De l'île de la Garde loupe,

C

EtteIle,eft la plus grande, & l'une des plus belles, de toutes celles que les François poffedent aus Antilles, Elle étoit cy devant appellée par les Indiens Carucueira: mais les Efpagnols luy ont donné le n o m qu'elle porte à prefent. Les uns la mettent precifément au feiziéme degré , & les autres y ajouftent feize fcrupules. Elle a environ foixante lieues de circonférence, fur neuf o u dix de largeur aus endroits ou la terre s'étend d'avantage. Elle eft divifée en deus parties par un petit bras de m e r , qui fepare la Grand'terre, d'avec celle qu'on n o m m e proprement la Gardeloupe. La partie plus Orientale de celle-cy, eft appellée, Cabes-Terre, & celle qui eft au Couchant, Baffe-Terre. d e qu'on n o m m e la Grand'Terre, a deus Salines, où l'eau de la mer fe forme en fel, c o m m e en plufieurs autresIles,par la feule force du Soleil, fans aucun autre artifice. La partie qui eft habitée, eft relevée en plufieurs endroits., & particulièrement en fon centre, de plufieurs hautes m o n tagnes, dont les unes font heriffées de rochers pelés & affreus, qui félevent du fein de plufieurs effroyables précipices, qui les entourent; & les autres, font couvertes de beaus arbres, qui leur compofent en tout tems une guirlande agreable, Ily a au pied de ces montagnes, plufieurs plaines de grande étendue, qui font rafraichies par un grand nombre de belles rivières, qui convioient autrefois les flottes qui venoient d'Efpagne, d'y venir puifer les eaus, qui leur étoient neçeffaircs, pour continuer leurs voyantes. Quelques unes de ces rivieres, en fe débordant, roulent des bâtons enfoufrez , qui ont paffé par les mines de foulfre , qui font dans une m o n tagne des plus renommées de l'Ile, qui vomit continuellement de la fumée, & à laquelle on a donné pour ce fu jet, le n o m de Soulfriere.Ily a auffï des fontaines d'eau bouillante,; que l'expérience a fait trouver fort propres à guerir l'hydropifie, & toutes les maladies qui proviennent de eaufe froide.


Chap.3 Il y a deus grands feins de m e r , entre ces deus terres, d'où les Habitans de l'Ile qui fe plaifent à la pefche, peuvent tirer en toute faifon des Tortues , & plusieurs autres excellens poiffons. Cette terre c o m m e n ç a d'eftre habitée par les François, e n l'an mil fix cens trente cinq. Meilleurs du Pleffis , & d e L'Olive, y eurent les premiers c o m m a n d e m e n s avec égale autorité. Mais le premier étant mort le feptiéme mois apres fon arrivée, & Monfieur de l'Olive étant devenu inhabile au gouvernement, par la perte qu'ilfitdelaveue , les Seigneurs delaC o m p a g n i e des Iles de l'Amérique, prirent à c œ u r de foûtenir cette Colonie naiffante, qui étoit extrêmement defolée , & d e la pourvoir d'un chef doué de courage, d'expérience, & de toutes les qualitez, qui font requifes en u n h o m m e de commandement. A cet effet ils jetterent les yeus fur Monfieur Auber l'un des Capitaines del'Ilede S. Chriftofle, qui étoit pour lors à Paris. L e tems à amplement vérifié , que ces Meilleurs ne pouvoient pas faire un meilleur choiz : Car cette Colonie doit fa confervation , & tout le b o n état auquel elle a été dépuis, à la prudence , & à la fage conduitte de ce digne Gouverneur, qui fignala fon entrée en cette charge, par la paix qu'il fit avec les Caraïbes, & par plufleurs bons ordres qu'il établit, pour le foulagement des Habitans, & pour rendre l'Ile plus recommendable : c o m m e nous le deduirons au Chapitre troifiéme, du fécond Livre de cette Hiftoire. Monfieur d'Hoüel eft aujourduy Seigneur & Gouverneur de cetteIle: & depuis qu'il y a été étably, elle a pris encore une toute autre face, qu'elle n'avoit auparavant, car elle s'eft accrue en nombre d'Habitans, quiy ont bâty plufieurs belles maifons, & y ont attiré un fi grand c o m m e r c e , qu'elle eft a prefent l'une des plus confiderables, & des plus floriffantes des Antilles. O y voit de belles plaines, fur lefquelles o n fait paffer la charrue pour labourer la terre ; ce qui ne fe pratique point aus autres Iles : Apres quoy le Ris , le M a y s , le Manioc dont on fait la Caffane ,lesPatates, & m ê m e le Gingembre,&les Cannes de fucre, viennent le mieux du m o n d e . Les

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HISTOIRE

NATURELLE,


Chap, 3 d e s I l e s A n t i l l e s . 41 Les Jacobins Reformez, poffedent une partie de la meilleure terre de cette Ile, fur laquelle ils ont fait plufieurs belles Habitations, qui font d'un bon rapport. Elles doivent le bon état auquel elles font, aus foins incomparables du P. Raymond Breton, qui les a confervées à fon Ordre, parmy plufieurs difficultez. L a partie del'ilequ'on n o m m e la baffè terre ,eftenrichie d'une petite Ville, qui s'acroift tous tes jours. Elle a déjà plufieurs rues, qui font bordées d'un grand nombre de beaus edifices de charpente, qui font pour la plupart à deus étages, & d'uneftructurec o m m o d e , & agreable â la veuë. Elle eft auffi embellie de l'Eglife Parroiffiale, des Maifons des Jefuites, & des Carmes, que Monfieur le Gouverneur y a appellez dépuis peu ; & de plufieurs amples Magazins, qui font neceffaires pour la fubfiftence de cette aimable Colonie. Monfieur le Gouverneur, fait fa demeure en un Chateau, qui n'eft pas fort éloigné de la Ville.Ileftbâty bien folidément, à quatre faces. Les coins font munis déperons , & de redoutes de maffonnerie d'une telle épaiffeur, qu'elle peut foûtenir la pefanteur de plufieurs pieces de Canon de fonte verte , qui y font pofées en batterie. U n peu au delà de ce Chateau, il y a une fort haute montagne, qui le pourroit inc o m m o d e r : mais Monfieur le Gouverneur, qui n'oublie rien de tout ce qui peut contribuer à l'ornement & à la feureté de fon Ile, y a fait monter du C a n o n ; & afin qu'un enn e m y ne fe puiffe emparer de cette place, il y a fait une efpéce de Citadelle, qui eft en tout tems pourveuë de vivres, & de munitions de guerre. Il y aauffifair batir des logémens , qui font capables de tenir à couvert les Soldats qui la gardent , & de fervir au befoin de retraite affurée aus Habitans. L a Cabes-Terre, a auffi un Fort, qui eft b en confiderable. 11 eft bâty en un lieu qu'on nommoit autrefois la Cafe au borgne. Il contient tout ce quartier-là en affurance. O n l'appelle le Fort de Sainte Marie. Meffieurs les Neveus de M o n fieur d'Houel, ayans contribué de leurs biens à l'afermiffement de la Colonie de cetteIle,en font auffi Seigneurs en partie, & leur Jurifdiction s'étend, fur ce quartier de la Cabes-terre, qui leur eft échu en partage. F

Plu-


Chap.3 Plufieurs perfonnes de condition , le font retirées en cette Ile, & y ont fait dréffer un grand n o m b r e de Moulins à fucre. Monfieur de Boifferet, y eft Lieutenant General de Monfieur le Gouverneur. Monfieur Hynfelin, Monfieur du Blanc, Monfieur de M é , Monfieur des Prez, & Monfieur Poftel, y font eftimez entre les principaus Officiers , & les plus hono­ rables Habitans. Monfieur d'Aucourt, perfonnage d'un rare favoir, & d'une converfation fort douce, y exerce la char­ ge de Lieutenant Civil & Criminel, avec beaucoup d e louange.

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HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

A R T I C L E

VI.

De l'île D'Antigoa,

C

Ette Ile, eft fur la hauteur de feize degrés & quarante fcrupules, entre la Barbade & la Defirée , fa longueur eft defixo u fept lieues, fur une largeur inégale. Elleeftde difficile accés aus navires, à caufe des rochers qui l'environ­ nent. L'on tenoit cy-devant, qu'elle étoit inhabitable , par ce qu'on croyoit qu'il n'y avoit point d'eau d o u c e , mais les Anglais, qui s'y font placez, y en ont trouvé, & y ont encore creufé des puits,& des cifternes, qui fuppléeroientà ce défaut. Cette Ile eft abondante en poiffons, eft gibier, & en toute forte de bétail domeftique. Elleefthabitée par fét o u huit cens h o m m e s , & il y a c o m m e en toutes les autres, qui font entre les mains de cette Nation, de bons & de favans Paâeurs, qui ont un grand foin des troupeaus, qui leur font commis. A R T I C L E De l'île de

L

VII.

Mont-ferrât.

Es Espagnols, ont d o n n é à cette Ile le n o m qu'elle por­ te, à caufe de quelque reffemblance qu'il y a, entre une montagne qui y eft, & celle de Mont-ferrat, qui eft prés de Barce-


Chap. 3 D E S I L E S A N T I L L E S , 43 Barcellonne, & ce n o m luyeft demeuré jufques à prefent. Elle eft fur la hauteur de dix-fét degrez de latitude feptentrionale. Elle a trois lieues de long, & préfque autant de large, de forte qu'elle paroit d'unefigureronde. La terre y eft tres-ferrile. Les Anglois la poffedent & y font fort bien logez. O n tient qu'il y a environfixcens h o m m e s , C e qui eft de plus confiderable en cetteIle,eft une belle Eglife, d'une agreable ftructure, que Monfieur le Gouverneur & les Habitans y ont fait bâtir: la chaire, les bancs, & tout l'ornement du dedans, font de menuiferie, de bois du pais, qui eft precieus, & de bonne odeur. A R T I C L E

VIII.

Des iles de la Barbade & de Redonde,

L

'Ile, que les François n o m m e n t Barbade, & les Anglois Barboude, eft fur la hauteur de dix-fét degrez & trente fcrupules. C'eft une terre baffe longue d'environ cinq lieues, fituée au Nord-Eft de Mont-ferrat. Les Anglois, y ont une Colonie de trois à quatre cens h o m m e s , & y trouvent dequoy fubfifter c o m m o d é m e n t . Elle à cecy de fâcheus& de c o m m u n avec les îles d'Antigoa, & de Mon-ferrat, que les Caraïbes de la Dominique & d'ailleurs, y font fouvent de grands ravages. L'inimitie que ces Barbares ont conceuë contre la Nation Angloife eltfigrande, qu'ils ne s'écoule préfque aucun année , qu'ils ne faffent une ou deus defcentes à la faveur de la nuit, en quelcune desIlesqu'elle poffede : & pour lors, s'ils ne font promtément découvers & vivément repouffez , ils maffacrent tous les h o m m e s qu'ils rencontrent, ils pilent les maifons & les brûlent, & s'ils peuvent fe faifir de Quelques femmes ou de leurs enfans, ils les font prifonniers de guerre, & les enlevent en leurs terres, avec tout le butin qui leur agrée. l'Ile qu'on appelle Redonde ou Rotonde, à caufe de fafigure, eft fur la hauteur de dix-fét degrez & dix fcrupules. Elle eft petite, & ne paroit de loin que c o m m e une groffe tour : & felon une certaine face, o n diroit que ce feroit un grand F 2 Navire,


44

H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap, 3 Navire, qui eft ious la voile. O n la peur facilement aborder de toutes parts, à caufe q u e la m e r qui l'entoure eft profonde , & fans rochers o u écueils, qui puiffent mettre en danger les Navires. A

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IX,

De l'île de Nieves.

C'Eft une petite terre, qui eftfituéefur la hauteur d u dix fettiéme degré & dixneuf fcrupules vers le N o r d ; Elle n'a qu'environfixlieues de tour, & dans fou milieu , une feule m o n t a g n e qui eft fort haute, & couverte de grands bois jufcjues au f o m m e t . Les habitations font tout à l'entour de la m o n t a g n e , à c o m m e n c e r dépuis, le bord de la m e r , jufques à. ce qu'on arrive au plus haut, o ù l'on peut c o m m o d é m e n t monter. O n fait aifément & par eau & par terre, tout le circuit de cette Ile. IL y a plufieurs fources d'eau douce , dont quelques-unes font affez fortes , pour porter leurs eaus jufques à la mer. Il y a m ê m e une fontaine , dont les eaus font chaudes & minérales. O n a fait des bains tout proche de la fource, qui font frequentez avec heureus fuccés , pour la guerifon des m ê m e s maladies , qui demandent l'ufage des eaus de Bourbon. L e s Anglois qui s'y font établis enl'anmilfix cens vinthuit, habitent cetteIleau n o m b r e d'environ trois milles h o m m e s , qui y fubfiftent honorablement parle trafic qu'ils y font de Sucre, de Gingembre, & de Tabac. CetteIle,eft des miens policées de toutes les Antilles. L a Juftice s'y adminiftre avec grande fageffe , par u n Confeil, qui eft c o m p o f é des plus notables , & de plus anciens Habitans de la Colonie. L e s juremens, les larcins, l'yvrognerie, la paillardife, & toutes fortes de diffolutions & de defordres, y font punis feverément. L'an milfixcens quarante neuf, M o n sieur Lake y c o m m a n d o i t . Depuis Dieu l'a appelle à foy. Il étoit h o m m e craignant Dieu,& favant;qui gouvernoit avec grande prudence, & grande douceur. Il


Chap. 4 DES ÎLES ANTILLES. 45 Il y a trois Eglifes, qui font fimplement bâties; mais en recompenfe elles font c o m m o d é m e n t difpofées pour y faire le Divin fervice. Pour la feureté des vaiffeaus qui font à la rade, & pour empefcher la defcente que pourrait faire u n E n n e m y , on y a bàty un Fort, o ù il y a plufieurs groffes pieces de C a n o n , qui commandent fur la mer. Il tient auffi en affurance les Magazins publics, dans lefquels. on décharge toutes les Marchandifes qui viennent de dehors, & qui font neceffaires pour la fubfiftence des Habitans. Et c'eft delà, qu'elles font puis apres diftribuées à tous les particuliers qui en ont befoin, pourveu que ceus qui ont cette commiffion, les jugent capables de les payer au jour n o m m é . , & au prix, que Monfieur le Gouverneur & Meilleurs du Confeil y ont mis , felon leur prudence , & équité. C e qui rend encore cette Ile recommandàble, eft qu'elle n'eft feparée que par un petit bras de m e r , de celle de Saint christofle, la plus belle & la plus r e n o m m é e de toutes les A n . tilles, dont elle eft la Capitale. Décrivant donc allez briévement la plupart des autres Iles, il eft jufte de nous étendre un peu davantage fur cellecy. Et c'eft pourquoy nous en ferons un Chapitre à part, c o m m e le fujet le mérite bien..

C H A P I T R E

Q U A T R I E M E .

De l'Ile de Saint Chriftofle en particulier.

L

'Ile de Sainte Christofle, fut ainfi appellée par chriftofle Colomb, qui la voyantfiagréable., voulut qu'elle portail fon n o m . A.quoy il futaufficonvié par la figure d'une des montagnes qui font en cetteIle,laquelle porte fur fa croupe , c o m m e fur l'une defesépaules une autre plus petite montaigne; de m ê m e quel'onpeint Saint Chriftofle, comm e un Geant, qui porte nôtre Seigneur fur lesfiennes,en form e d'un petit enfant. L'Ile eft fur a hauteur de dix-fét degrez, & vint cinq Scrupules. C'eftlefiegedes Gouverneurs Generaus des Francois & des Anglois , qui poffedent la plus grand'-part des Antilles: F 3 MoN-


46

HISTOIRE N A T U R E L L E , M O N S I E U R LE C H E V A L I E R D E P O I N C Y ,

Chap.4

Baillif & Grand-Croix de l'Ordre de Saint Jean de Jerufalem , C o m mandeur d'Oyfemont & de Couleurs , & C h e f d'Efcadre des Vaiffeaus du R o y en Bretagne , Gentil-homme de fort ancienne Maifon , qui porte le n o m de P O I N C Y , exerce tresdignement cette charge pour fa Majefté , depuis environ dixneuf ans. Et l'on trouve en fa perfonne, toute la prudence, toute la valeur, toute l'experience & en un m o t toutes les hautes qualitez , qui font neceffaires pour achever un grand C a pitaine. C'eft aus foins & à la fageffe de ce brave Seigneur, que l'on doit aujourduy le b o n Etat de cette Ile : Car l'ayant trouvée c o m m e un defert, il l'a enrichie de plufieurs beaus édifices : Il la remplie de toutes les chofes neceffaires à la vie : Il y a attiré une grande multitude de perfonnes de toute condition, qui y vivent doucement & en repos. & il y a formé la plus noble & la plus ample Colonie, que nôtre Nation ait eue jufqu'à prefent, hors des limites de la France. 11 maintient cette Colonie par de bonnes lois politiques, & militaires. Il rend une fidele juftice à tous ceus de fon gouvernem e n t , ayant éftably pour cet effet un Confeil de gens de confideration. 11 prend un foin charitable des pauvres, des m a lades & des orfelins : En general il foulage & aide au befoin tous les habitans de l'Ile, fubfiftant de fes propres biens , par fon b o n ordre, & par fon œ c o n o m i e , fans eftre à charge à perfonne. Il traitte fplendidement les Etrangers qui le viennent vifiter, & fait un accueil favorable à tous ceus qui abordent en fon Ile. Sa maifon eft conduite avec u n ordre qu'on ne fauroit affez prifer. Dans la paix m ê m e , o n y voit faire les exercices de la guerre : Et en tous tems, elle eft une école de civilité, & de toutesfortes de vertus. Il fait obferver exactement la difcipline militaire, pour tenir l'Ile en defenfe, donner de la terreur à l'ennemy, & préter au befoin fecours aus alliez Il eft l'Arbitre de tous les differens qui furviennent entre les Nations voifines , & par fa fage conduite, il demeure toujours en parfaite intelligence avec les Anglois, les conviant par fes rares vertus, à l'honorer , & à déferer à fes fentimens. Il peut mettre fur pied en un inftant plufieurs C o m pagnies de Cavalerie & environ huit à neuf mille h o m m e s de pied.


Chap.4 DES ILES ANTILLES. 47 pied, Enfin il a eu foin détendre le n o m François en piufieurs Iles, ou il a étably des Colonies qui font a prefent floriffantes : Il àauffienvoie en la terre ferme de l'Amérique, en u n endroit appelle Cap de Nord, des h o m m e s qui entretiennent un c o m m e r c e avec les Indiens, & qui peuvent donner le fonà une ample Peuplade , parce que ce lieu là , ouvre l'entrée d'un grand & bon Païs. Il étoit impoffible de paffer plus outre, fans arrêter quelque tems nos yeux fur unfidigne Général; Pourfuivons maintenant la defcription de Saint Chriftofle. L'Ile a environ vint-cinq lieues de tour. L a terre en étant légère, & fablonneufe, eft tres-propre à produire toutes fortes des fruits du païs, & plufieurs de ceus qui croifient en E u rope. Elleeftrelevée au milieu, par de très-hautes montagnes , d'où coulent piufieurs ruiffeaus, qui s'enflent quelquefoisfipromtément, par les pluies qui tombent fur les m o n tagnes, fans qu'on l'apperçoiue à la pente, ni ans plaines ; que l'on eft fouvent furpris de ces torrens , qui debordent tout à coup. Toute l'Ile eft divifée en quatre Cantons ? dont il y en a deus, qui font tenus par les François, & les autres , par les Anglois : mais en telle forte que l'on ne peut traverfer d'un quartier à l'autre, fans paffer fur les terres de l'une ou de l'autre Nation. Les Anglois, ont en leur partage plus de petites rivières que les François : Mais en recompenfe, ceux-cy, ont plus de plat-païs, & dé terres propres à eftre cultivées. Les Anglois fontauffien plus grand nombre que les nôtres : mais ils n'ont point defifortes places de defenfe, & ne font pasfibien armez. Les François ont quatre Forts, munis de quantité de Canons, qui portent loin en mer, d'ont celui qui eft à la pointe de fable, à des fortifications régulières c o m m e une Citadelle. L e plus confiderable après celui-là, eft à la rade, ou au mouillage qu'on appelle de la Balle-terre. Il y a jour & nuit en l'un & en l'autre , des Compagnies de Soldats qui font bonne garde. Pour contenir auffi les quartiers en feureté, & prevenir les defordres, qui pourroient furvenir entre deus peuples differens , chaque Narion tienr aus avenues de fes quartiers, un corps de garde, qui renouvelle par chacun

dément


HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 4 chacun jour. Les Anglois, ontauffide leur cofté deus places fortes, l'une qui c o m m a n d e fur la grand'-rade, & l'autre fur une autre defcente, qui eft joignant la pointe de fable. CetteIle, eft pourveue d'une belle Saline, qui eft fur le bord de la m e r , dans un fein, que les habitans appellent ordinairement Cul-de-fac. Guéres loin de-là, il y aune pointe de terre, quis'avancefiprès de l'Ile de Nieves, que le traiet de mer qui fepare ces deus places , n'a qu'un petit quart de lieue, de forte qu'il s'eft trouvé des h o m m e s , qui l'ont autrefois pafié à la nage. O n tient, qu'il y à une M i n e d'argent à Saint Chriftofle : mais, c o m m e les falines, les bois, les rades, & les Mines font c o m m u n e s ans deus Nations, perfonne ne fe m e t en peine d'y regarder. oint qu'il faut une grande puiffance, & un prodigieus n o m b r e d'Efclaves pour une telle entreprife. L a vraie M i n e d'argent de cette île, c'eft le Sucre. O n fait aifément par terre, le tour de toute cette Ile : mais on ne peut traverfer le milieu , à caufe de plufieurs grandes & hautes montagnes, qui enferment en leur fein d'effroyables precipices, & des fources d'eaus chaudes. Et m ê m e o n y trouve du foulfre, qui a donné le n o m de Soulfriere, à l'une de ces montagnes. Depuis le pied des montagnes , en prenant la Circonferance au dehors, toute la terre de cette Ile s'étend par une pente douce jufques au bordde la m e r , d'une largeur inégalé, felon que les montagnes pouffent plus où, moins avant leurs racines , du cofté de la m e r ; où que la mer s'avance, & referre la terre contre les montagnes. T o u t e l'étendue de bonne terre qui eft cultivée , jufques à la pente trop roide des montagnes, eft divifée préfque par tout,en plufieurs étages , par le milieu defquels paffent de beaus & larges chemins tiréz en droite ligne, autant que les lieus le peuvent permettre. L a première de ces lignes de communication , c o m m e n c e environ cent pas au deffus du bord de la m e r : l'autre trois o u quatre cens pas plus haut, & ainfi en montant jufques au treizième o u quatrième étage, d'où l'on voit les habitations de défous, qui forment un afpect fort agréable. C h a q u e étage, qui fait c o m m e une ceinture ou plus gran-

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de


Chap.4

DES

ILES

ANTILLES.

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de ou plus petite à l'entour des montagnes, felon qu'il en eft ou, plus ou moins éloigné, aauffifes fen tiers, qui c o m m e autant de rues traverfantes, donnent le libre accez à ceus qui font ou plus haut ou plus bas: Et cela avec unefibelle fymmetrie, que lors que l'on fait par mer le lourde l'Ile, il ny a rien de plus agreable, que de voir cette divertiffante verdure de tant d'arbres qui bordent les chemins , & qui font aus lizieres, & font les feparations de chaque habitation. La veuë ne fe peut laffer de confiderer cette terre. Si elle fe porte en haut, elle fe trouve terminée °, par ces hautes montagnes, qui font couronnées d'une verdure éternelle, & revêtues de bois precieus. Si elle fe refléchit plus bas, elle apperçoit les Jardins, qui prenant leur naiffance dés le lieu o ù les montagnes font acceffibles, s'étendent de là par une douce & molle defcente, jufques au bord de la mer. L e beau vert naiffant du Tabac planté au cordeau, le Jaune pâle des Cannes de Sucre qui font en maturité, & le vert brun du Gingembre & des Patates, font un païfage fi diverfifié, & un émailficharmant, qu'on ne peut,fansfaire un effort fur fon inclination , retirer la veue de deffus. C e qui recrée encore d'avantage les yeux, eft qu'au milieu de chaque habitation ou Jardin, on remarque plufieurs belles maifons, de différente ftructure. Celles n o m m é m e n t qui font couvertes de tuile rouge ou plombée , donnent un grand luftre à cette aimable perfpective : Et par ce que l'Ile va toujours en montant , l'étage inférieur ne derobe pas la veüe de celui qui eft plus avant en la terre, mais en un inftant on voit tous ces beaus compartimens, tous ces chemins qui font c o m m e autant d'allées de vergers ; toutes ces bordures de différentes fortes d'arbres ; tous ces jardins plantez à la ligne de diverfes efpéçes de fruits; & tous ces jolis édifices , qui ne font diftansleplus fouvent que de cent pas, ou environ , les uns des autres : Et en un m o t , tant d'àgreajblcs objets fe prefentent aus yeux en m ê m e rems, que l'on ne fait à quoy s'arrêter. Ileftneceffaire, pour la plus grande commodité des habitans, & la facilité de leurs employs, que leurs maifons foient feparées les unes des autres, & placées au milieu de la terre qu'ils cultivent ; Mais, les François, outre leurs demeures qui G font


4

Chap. font ainfi écartées, ont encore bâty en leur quartier de la baffe terre, une agréable ville, qui s'augmante tous les jours, & d o n t les edifices font de brique & de charpente. Elle eft prés de la rade où les vauffeaus ont coutume de mouiller. Tous les. plus honorables Habitans de l'Ile, & les Marchands étrangers, y ont leurs Magazins. O n y trouve chez les Marchands François 6k Hollandois, qui tout là leur refidence , d'excellent vin, del'eaude vie , de la biere, toutes fortes détoffes de foye & de laine, qui font propres pour le pais, & généralement tous les rafraichiffem e n s qui ne croiffent point en l'ile, & qui (ont neceffaires pour l'entretien des habitans. L'on à de tout à un prix raisonnable, en échange des Marchandifes qui croiffent en cette terre. C'eft en ce m ê m e lieu, o ù demeurent les artifans, qui s'occupent en divers métiers , qui font utiles pour maintenir le c o m m e r c e , & lafocietécivile. O n y voit de plus, un Auditoire pour rendre laJuftice, & une belle Eglife qui peut contenir une fort nombreufe affemblée. T o u t cet edifice eft de charpante élevée fur une baze de pierre de taille. A u lieu de vitres & de feneftres, il n'ya que des baluftres tournez. L e comble du couvert eft à trois faiftes , pour ne point donner tant de prife au vent , & la couverture eft de tuile rouge. Les Capucins, ont eu quelques années la conduire de cette Eglife, & la charge des ames parmy les François de l'Ile: mais en l'an milfixcent quarantefix, ils furent difpenfez de cet employ du c o m m u n avis des habitans , qui les congedièrent civilement, & reçeurent en leur place , les Jefuites & les C a r m e s , qui y ont à prefent , par les foins & la libéralité de Monfieur le General & des Habitans, de belles Maifons, & de bonnes habitations, qui font cultivées par un grand n o m , bre d'efclaves qui leur appartiennent, & qui leur fourniffent dequoy fubfifter honorablement. L e P. Henry du Vivier à efté le premier Superieur delaMaifon des Jcfuites. Sa douceur, & fon aimable converfation ,luyont aquis le c œ u r de tous ceus de noftre Nation qui demeurent en cette Ile. Monfieur le General, aauffifaitbâtir un bel Hôpital en un lieu fortfain, o ù les malades quin'ontpas le moien de fe faire guerir 50

HISTOIRE

N A T U R E L L E .


Chap. 4

des

Iles

Antilles.

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guérir en leurs maifons , font fervis, & nourris, & vifitez des Médecins & des chirurgiens jufqu'à leur convalefcence. Les Etrangers , qui tombent malades dans l'Ile y font auffi receus. Il a encore mis ordre, que les Orfelins foient placez en des maifons honorables, où. ils font inftruits & nourris à les fraiz. Entre les beaus , grands, & folides edifices que les François & les Anglois ont bâty , en plufieurs endroits de cette le, le Chateau de Monsieur le General de P O I N C Y excelle fans contredit, & furpaffe de beaucoup tous les autres. c'eft pourquoy nous en ferons une defcription particuliere. Ileftplacéen un lieu frais & fain , fur la pente d'une treshaute montagne couverte de grands arbres, qui par leur verdure perpétuelle, luy donnent une raviffante perfpective. IL eft éloigne du bord de la m e r , d'une bien petite lieue de France. L'on trouve au chemin qui y conduit, & qui monte infenfiblement , les agréables mailons de quelques-uns des principalis Officiers & Habitans de l'Ile: & dés qu'on à coftoyéune petite eminence qui le couvre , en venant de la baffe terre, o n y eft conduit par une droite & large allée, bordée d'Orangers & de Citroniers, qui fervent de paliiiàde, & qui recréent merveilleufement l'odorat & la veùe : Mais ce beau Palais, prefentant à l'œil une face extrêmement charmante, à péne la peut on jetter ailleurs. Sa figure eft préfque quarrée , à trois étages bien proportionez , fuivant les régies d'une exquife Architecture, qui y a emploie la pierre détaille, & la brique, avec une belle fymmetric. La face, qui le prefente la premiere, & qui regarde l'Orient, a au devant de fon entrée un large efcalier, à double rang de degrez , avec un beau parapet au deffus;& celle qui al'afpectau Couchant,eftaufli embellie d'un efcalier tout pareil au premier, & d'une belle & groffe fource d'eau vive, qui étant receüe dans un grand baffin , eft de là conduite pat des canaus fou-terrains en tous les offices. Les falles & les chambres font bien percées; les planchers font faits à la Françoife, de bois rouge, folide , poly, de bonne odeur, & du crû de l'Ile. L e couvert, eft fait en plate form e , d'où l'on a une veue des plus belles, 6c des plus accomplies du m o n d e . G 2 Les


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Chap.4 Les feneftrages font difpofez en bel ordre : les veües de devant s'étendent le long de l'avenue, & percent dans de beaus vallons, plantez de Cannes de Sucre, & de Gingembre. Celles du Couchant, font terminées par la montagne, qui n'eneftéloignée , qu'autant que la jufte proportion le requiert, pour relever par le riche fonds qu'elle prefente, la grâce & les perfections de ce Palais. Quant aus veuës du M i d y & du N o r d , elles découvrent une partie confiderable de l'Ile, & les courts & les bâtimens, o ù font tous les offices neceffaircs, pourl'accompliffementd'une fi belle maifon. Dans l'efpace qui cil entre ce Château, & la montagne Voifine, on a m é n a g é un beau jardin, qui eft curieufement entretenu. Il eft fourny de la plu-part des herbes potageres, quifevoient en France , & enrichy d'un parterre, rempli de fleurs rares & curieufes, qui font arrofées d'une claire fontaine, qui prend fa fource à la pente de la montagne, & fans beaucoup d'artifice fait un gros ject, qui reiallit au milieu du jardin. C e riche bâtiment eft fi bien placé, & rafraichyfiagreablement des doits vens qui coulent de la, montagne , & de celuy d'Orient, qui eft le plus ordinaire du païs, qu'aus plus grandes chaleurs de l'été, on y jouyt d'une aimable temperature. C'eft une chofe diverriffante au poffible, quand ans jours de rejouiffance publique, o n fait à l'Ile des feus de joye , pour les nouvelles de quelque heureus fuecés des armes victorieu-fesdefa Majefté tres-Chreftienne. Car alors les Clairons, & les Hautbois, font ouïr leur fon éclatant du haut delaplatteforme de ce Palais, en telle forte , que.les montagnes voifines, les côtaus & les bois qui les couvrent, retentiffent à ce bruit penétrant , & forment un aimable éco,. qui s'entend parroute l'Ile, & bienavante n mer. Alors on voit auffi pendre du haut de la Terraffe, & des feneftres de l'étage le. plus élevé , les enfeignes femées de fleurs de Lis, & les drapeaus & étendars, que Monfieur le General a remportez fur les ennemis. A l'un des cotez de cette maifon, il y a une belle & grande Chapelle, fort proprement ornée, où les Aumofniers de MonHISTOIRE

N A T U R E L L E ,


Chap. 4

des

Iles

Antilles.

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Monfieur le General font le fervice. Les Offices & les logements des domeftiques vont en fuitte, & font compris en deus corps de logis, qui font auffi bâtis de brique. A l'autre côté, mais un peu plus loin , fur une petite eminence, o n voit le quartier des Eclaves Négres, qui occupent plufieurs petites maifons de bois, & de brique. O n a donné à ce lieu le n o m de la Ville D'Angole. Cette Maifon, n'eft pas feulement recommandable pour eftre fitué e n bon air, poureftreparfaitement bien bâtie, & pour les claires fources d'eaus qui la raffraichiffent, les bcaus Jardins qui l'entourent, les droites & fpacieufes avenues qui y conduifent, les commodités des divers offices qui l'accompagnent , & pour tous les autres riches ornemens qui l'embelliffenr : Mais auffi pour eftre fortifiée de redoutes, & munie de groffes pieces de C a n o n de fonte verte, & d'un Arfenal. o ù toutes fortes d'armes, & de provifions de poudre, de méfche, & de balles, fe trouvent en abondance. C e ne ferait pas m ê m e allez pour la perfection de ce magnifique Hoftel, qu'il eut tous ces rares avantages de la nature & de l'art, que nous venons de décrire,fiaprés tout cela il étoitfituéen un lieu defert, aride , & infructueus, & qu'il faluft mandier d'ailleurs que de la terre qui l'environne, les moyens neceffaires pour fon entretenément. Auffi n'a-til point ce défaut, & la beauté s'y trouve jointe avec l'utilité, par u n merveilleus affemblage. Car de fes feneftres, on voit dans la baffecourt,trois machines,ou moulins propres à brifer les Cannes de Sucre , qui apportent à leur maiftre un profit, & un revenu affuré., & qui va du pair avec celuy des plus nobles & meilleures Seigneuries de France. Quanta la matiere pour entretenir les moulins, affavoir les Cannes de Sucre, elle fe recueille des chams qui font aus environs, & qui les produisent à merveille. Plus de trois cens Négres, qui appartiennent à Monfieur le General, cultivent ces terres, & font employez au fervice de ces Moulins, & à la fabrication do diverfes autres Marchandifes , que cette Ile produit heureufement, c o m m e nous le dirons au fécond Livre de cette Hiftoire. T o u t fe fait en cette maifon, & en fes dépendances, fans G 3 confu-


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HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

Chap.4

confufion , & fans empréffement. C e grand nombre d'Efclaves Négres eftfibien police conduit & reglé , que chacun fe rend à l'exercice& à l'employ qui luy eft affigné par le Maitre des ouvrages, fans s'ingérer dans les offices & dans les occupationsdes autres. Outre cette forte de gens qui font nez à ja fervitude, M o n fieur le General a environ cent Domeftique François de Nation, qui font gagez pour lefervicede fa maifon, dont la plupart font de diverses profeffions, & de divers métiers neceffaires en la focieté Civile, fur tous lefquels , l'intendant de la maifon , a une infpection particulière. Monfieur le General, a encore les Gardes de fa perfonne, qui l'accompagnent lors qu'il eft neceffaire, fous la conduite d'un Capitaine , plutôt pour reprefenter la Majefté du R o y , de qui il a l'honneur d'eftre Lieutenant, que par aucun befoin qu'il en ait, eftant aimé, & chery de tous les François, & reveré des Etrangers. A l'exemple de Monfieur le General, plufieurs Nobles & honorables Familles, qui font venues de France, eftant attirées par la douceur de fon Gouvernement, fe font fermement établies dans cetteIle, & y ont bâty de belles & agréables maifons. Les plus remarquables font celles de Meilleurs de Poincy , de Tréval, & de Benevent, qui font trois braves Gentils-hommes, N e v e u s , de Monfieur le General : LE premierdefquels, eft Gouverneur particulier de Saint Chriftofle, fous Monfieur fon Oncle, & les deus autres ,fontCapitaines de leurs quartiers. Feü Monfieur Giraud, entre fes autres Maifons, en avoit & une autre a C a y o n n e , qui font des plus accomplies. C e perfonnage, qui étoit de grand mérite, & qui par fa iage conduite, s'étoit acquis l'amitié de tous les Habitans des Iles, portoit la qualité de Sergent de bataille de Saint Chriftofle, & autres Iles de deffous le vent, c'eft a-dire, de S. Martin, de Saint Bartelemy & de Sainte Croix, qui font au Couchant de S. Chriftofle. Entre les maifons confiderables parmy nos François, o n doit encore mettre CELLE de Monlieur A u b e r , qui aeftéG o u verneur


Chap. 4 DES ÎLES ANTILLES. 55 verneur de la Gardeloupe, Elleeftd'une belleftructure,de bois folide & en bon fonds,& de plus, elle a un bois de haute fùtaye, quin'eftpas encore abbatu , & de la terre nette pour occuper cinquante Efclaves, qui travaillent au Sucre, & au Gingembre. Mais ce qui luy donne plus de luftre,eftqu'elle eft placée, au plus haut étage des Habitations du quartier de la montagne Plateau, & relevée fur unee m i n e n c e, d'où l'on découvre plufieurs belles demeures qui font au défous, & autant loin en m e r , que la force de l'œil fe peut étendre. Monfieur de la Roziere à prefent Major de l'île , Monfieur de Saint A m a n t , Monfieur de l'Efperance, Monfieur de la R o c h e , qui font Capitaines , tous les Officiers en general, & tous les plus anciens Habitans, font bien logez. Les Anglois, ontauffifait bâtir en leurs quartiers, plufieurs grands & beaus edifices, qui relevent merveilleufément la beauté naturelle de cette Ile. Les plus confiderables font ceus de Feu Monfieur Wäernard, premier Gouverneur General de cette Nation : de Feü Monfieur Riche, qui fut fon Succeffeur , de Monfieur Eüret, qui exerce aujourduy cette charge avec grande louange , & de Monfieur le Colonel Geffrefon, qui font tousfiaccomplis, qu'ils doivent à bon droiteftren o m m e z , entre les plus belles, & les plus c o m m o des maifon des Antilles. O n conte auffi, jufques à cinq belles Eglifes, que les A n giois ont fait bâtir en cette Ile. La premiere , qu'on rencontre enfortantdu quartier des François , eft à la pointe des Palmilles;la féconde près de la grande rade, au deffous de l'Hofiel de Monfieur leur Gouverneur ; la troifiéme à la pointe de Sable, & les deus autres , au quartier de Cayonne. Les trois premieres,, font d'une agreable ftructure felon le pais, ornées en dedans de belles chaires, & d efiegesde menuiferie , & de bois precieus. Les Ecclefiaftiques, y font envoyez de m ê m e qu'en toutes les autresIlespar les Evefqnes d'Angleterre , déquels ils tiennent leur ordination , & ils y celebrent le Service Divin, au grand contentement de tous ceus de leur Nation, & à l'édification finguliere des étrangers ,felonla Liturgie de l'Eglife Anglicane, avec toute la gravité, la modeftie & la reverence, qui font requifes, à la Maifon de Dieu, & au culte reli-


56 HISTOIRE N A T U R E L L E , C h a p . 4. religieus, que tous les Fideles font obligez de luy rendre. C H A P I T R E

C I N Q U I E M E ,

Des Iles de dejfous le

Vent.

T

Outes les Iles, qui font au Couchant de celle de Saint Chriftoflc, font ordinairement appellées, les Iles de dejfous le vent : parce que le vent qui fouffle prefque toujours aus Antilles, eft un vent d'Orient , qui participe quelquéfois un peu du N o r d , & que ce n'eft que bien rarément u n vent du Couchant, ou du Midy. O n en conte en tout neuf principales, defquelles nous traitterons en ce C h a pitre, felon l'ordre à peu prez qu'elles tiennent en la Carte. A

R

T

I

C

L

E

I.

De l'île de Saint Euftache.

C

EtteIleeftau Nord-Oueft de Saint Chriftofle, fur la hauteur de dix-fet degrez, & quarante minutes. Elle eft petite , & ne peut avoir en tout, qu'environ cinq lieues de tour. C e n'eft à proprement parler qu'une montagne, qui s'éleve au milieu de l'Océan, en forme de pain de Sucre : qui eft la m ê m e figure que reprefente le m o n t de Tabor , & le Pic de Tenerife : finon que ce dernier, eft incomparablement plus haut. Elle relevé de la Souveraineté de Meilleurs les Etats G e n e raus des Provinces Unies, qui en ont concédé la Seigneurie, 6c la propriété foncière , à Monfieur V a n R é e , & à fes Affociez Honorables Marchands de Fleffinguesen Zélande, qui y ont étably une Colonie, compofée d'environ feize cens h o m m e s , qui y font proprement a c c o m m o d e z , fous le dous Gouvernement de la Nation Hollandoife. Cette Ile, eft la plus forte d'affiéte de toutes les Antilles: car il n'y a qu'une b o n n e defcente, qui peut eftre facilement defenduë, & o ù peu d'hommes pourroient arrêter une armée entiere.


Chap. 5 DES ÎLES ANTILLES. 57 entière. Outre cette fortification naturelle, on y a bâty un b o n Fort, qui c o m m a n d e fur la meilleure rade, & bien avant en m e r , par la portée de fon Canon. Les Habitans font tous c o m m o d é m e n t logez, & proprement meublez, à limitation de leurs compatriotes d'Hollande. Il n'y a plus que le haut de la montagne, qui foit couvert de bois: tout le tour eft défriché. Et l'on ne fauroit croire qu'à péne, la grande quantité de Tabac, qu'on en a tiré autrefois, & qu'on en tire encore journellement. Bien-qué, le fommet de la montagne de cette Ile, paroiffe fort pointu , il eft neantmoins creus , & a en fon centre un fonds affez vafte, pour entretenir quantité de Sauvagine, qui fe plaît dans cette profonde retraitte. Les Habitans, font foigneus de nourrir fur leurs terres, toutes fortes de volailles, & m ê m e des Pourceaus , & des Lapins, qui y foiffonnent à merveille. IL n'y a point de Fontaines en cette Ile ;mais il y a prefentement fort peu de maifons, qui n'ayent une bonne Citerne, pour fuppléer à ce manquement. Il y aauffides Magazins fi bien fournis de toutes les chofes, qui fontnecefiaireala vie, & à l'entretien des Habitans, qu'ils en ont fouvent affez, pour en faire part à leurs voifins. Quant aus perfonnes qui compofent cette Colonie, il y a plufieurs familles honorables , qui y vivent Chrétienné ment & fans reproche, & qui n'ont jamais été flétries des crimes, que quelques-uns leur impofent. Ceus qui ont vécu parmy ces gens-là , y ont remarqué un grand ordre , & beaucoup moins de déreglement, qu'en diverfes autres Iles. Il y a auffi une belle Eglife, qui eft gouvernée par un Pafteur Hollandois. Monfieur de Graaf, qui eft à prêtent Pafteurde l'Eglife de Trévers, en l'Ile d'Oualcre, en a eu autrêfois la conduite, Il y prefchoit en un m ê m e jour, & en une m ê m e chaire, en François, & en Flamand ; pour édifier les Habitans de l'une & de l'autre langue, qui demeurent en cette Ile. Monfieur de M e y célèbre Predicateur de l'Eglife de Midelbourg, qui entre autre écrits, adonné au public un docte & curieus commentaire, fur les lieus les plus difficiles des cinq livres de Moyfe, où il eft traitté des choies naturelles, H fucceda


58 H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap. 5 fucceda à Monfieur de Graaf, & dépuis qu'il a été rappelle pour fervir en fon Païs, Meffieurs les Directeurs de cette Colonie, ont toujours efté fort foigneus de demander au Synode de leur Province, de bons & de fideles ouvriers pour eftre employez , en cette petite portion de la vigne d u Seigneur. A R T I C L E

II.

De l'île de Saint Bartelemy.

L

'Ile de Saint Bartelemy, eft au Nord-Eft de Saint Chriftofle, fur le dixféttiéme degré. Elle a peu de terre propre à eftre cultivée, bien qu'elle foitd'un affez grand circuit. Monfieur le Bailly de Poincy, Gouverneur General des François, l'à fait habiter à fes dépens, il y a environ quinze ans. L'on y trouve plufieurs beaus arbres fort eftimez, une infinité d'oifeaus de diverfes efpeces,& de la pierre tres-propre à faire de la chauz, qu'on y va querir des autres Iles. Elle eft de difficile accez pour les grands Navires; à caufe quelle eft entourée de plufieurs rochers. Ceus qui fe plaifent à la Solitude, n'en s'auroient defirer une plus accomplie.A R T I C L E

III.

De l'île de Saba.

E

Lle eft fituée au Nord-Oueft de Saint Euftache, fur la hauteur d u dixféttiéme degré , & trente-cinq fcrupules. O n croiroit à la voir de loin, que ce ne feroit qu'une roche: Mais la Colonie de Saint Euftache, qui y a fait paffer des h o m mes pour la cultiver, y a trouvé une agréable vallée, & affez de bonne terre pour employer plufieurs familles , qui vivent contentes, en cette aimable retraitte Il n'y a point de mouillage à la cofte, que pour des chaloupes. L a pefche y eft abondante. Et les foins que Monfieur le Gouverneur de Saint Euftache,


Chap. 3 D E S I L E S ANTILLES. 59 Euftache , a pris jufqu a prefentde cette Peuplade, font que les refraichiffemens neceffaires n'y manquent point. A R T I C L E De

C

l'île de Saint

IV. Martin.

Ette Ile,eftfur la hauteur de dixhuit degrez & feize fcrupules. Elle a environ fét lieues de long , & quatre de large. Il y a de belles Salines, qui avoient oblige l'Efpagnol a y bâtir un Fort;où il entretenoit une Garnifon, pour s'en conferver la proprieté. Mais il y a environ neuf ans, qu'il démolit le Fort & abandonna l'Ile. C e qui ayant eux apperceu par Monfieur de Ruyter , qui commandoit l'un des grands Navires, que Meilleurs Lampfius envoyent d'ordinaire en l'Amérique, & qui pour lors coftoyoit cetteIlede Saint Martin, il fut à Saint Euftache lever des h o m m e s , qu'il y amena pour l'habiter, & en prendre poffeffion , au n o m de Meilleurs les Eftats Generaus , des Provinces Unies. L a nouvelle de la fortie des Elpagnols de cette terre, étant venue au m ê m e tems à la connoiffance de Monfieur le General des François, il equippa promtement un Navire, & y mit un nombre de braves h o m m e s , pour relever le-droit & les pretenfions de nôtre Nation, qui avoir poffedé cette Ile avant l'ufurpation de l'Efpagnol. Dépuis les François, & les Hollandois, ont partagé cette terre à l'amiable, & ils y vivent enfemble, en fort bonne intelligence. Les Salines, font au quartier des Hollandois: mais les François en ont l'ufage libre. Monfieur le General, établit pour fon Lieutenant en cette place Monfieur de la Tour. Et a prefent, c'eft Monfieur de Saint A m a n t qui y c o m m a n de. Il a fous foy environ trois cens h o m m e s , qui cultivent la terre, & font tous les devoirs poffibles , pour la mettre en reputation. Les Hollandois, y font en auffi grand nombre que les François. Meffieurs Lampfius, & Monfieur van R é e , font les principaus Seigneurs , & Directeurs de cette Colonie. Ils ont en leur quartier de belles Habitations, de grands M a H 2 gazins,


Chap. 5 gazins, & un nombre bien considerable de N é g r e s , qui leur font ferviteurs perpetuels. Il n'y a point d'eau douce en cette Ile, que celle, qui au tems des pluies eft recueillie en des citernes, qui y font affez c o m m u n e s . Il y a plusieurs Ilets à l'entour de cette terre, qui font tres-commodes, pour les m e n u s divertiffemens des Habitans Il y a auffi des Etangs d'eau falée, qui s'avancent bien avant entre les terres , o ù l'on pefche une infinité de bons poiffons , particulièrement des Tortues de mer. O n trouve dans les bois, des Porceaus fauvages , des Ramiers, des Tourtes , & des Perroquets fans nombre. O n y voit plusieurs arbres , qui diftilent diverfes fortes de g o m m e : mais le Tabac qui y croift, étant plus eftimé que ce luy des autresIles: c'eft ce qui rend fon c o m m e r c e plus confiderable. Les François & les Hollandois, ont leurs Eglifes particulières, es quartiers de leur Jurifdiction. Monfieur des C a m p s , qui a efté le premier Pafteur del'EglifeHollandoife , y fut envoyé en cette qualité par le Synode des Eglifes Vallonnes des Provinces Unies, qui a cette Colonie fous fon infpection fpirituelle , & étant decedé en l'exercice, de cette charge, les premiers Vaiffeaus qui doivent partir pour ce pais-là, y en doivent porter un autre, qui a efté choifi pour fon fucceffeur, & qui y doit prefcher le Saint Euangile du Seigneur,en l'une & en l'autre, langue.

60

H I S T O I R E

N A T U R E L L E ,

A R T I C L E

V.

De l'ile de l'Anguille.

ELle porte ce n o m , à caufe de fa figure: car c'eft une terre fort longue , & fort étroite, qui s'étend en ferpentant prés de l'Ile de Saint Martin, d'où on l'apperçoit à découvert. Il ne s'y trouve aucune montagne, la terre, y eft par tout platte & unie. A l'endroit où elle a pinède largeur, il y a un étang, autour duquel, quelques familles Angloifes fe font placées dépuis fét o u huit ans , & où elles cultivent du Tabac, qui eft fort prifé de ceus qui fe connoiffenr à cette Marchandife. O n met cetteIlefur la hauteur d e dixhuit degrez & vint fcrupules, au deça de la ligne.

ARTI-


Chap. 5

DES

ILES

ANTILLES.

A R T I C L E

61

VI.

Des Iles de Sombrero, d'Anegade, & des Vierges.

A première de ces trois Iles ,eftfituée au milieu des. Bancs, qui bordent le Canal par o u panent les Navires, qui veulent retourner en Europe. Elle eft fur ledixhuitiéme degré , & trente fcrupules. Les Efpagnols, l'ont n o m m é e Sombrero, à caufe qu'elle à la figure d'un chapeau. Elle eft inhabitée. Anegade, qui eft fous le m ê m e d é g r é que Sombrero, eft auffi deferte, & de dangereus abord. Les Vierges grandes & petites , comprenent pluficurs Iles qui font marquées en la carte fous ce nom. On en conte en tout douze o u treize. Elle s'étendent au Levant de l'Ile de Saint Jean de Porto-Rico, fur la hauteur de dixhuit degrez au N o r d de la ligne. Entre ces Iles; il y a de fort bons moüillages, pour mettre en feurcté pluficursflottes.Les Efpagnols les vifitent fouvent pour la pefche, qui y eft abondante. Il y a auffi, une infinité de beaus Oifeaus de m e r & de terre. Mais il y a il peu de bon terroir, qu'après l'avoir effayé,& vifité en toute fon étendue, on a trouvé., qu'il ne meritoit pas d'avoir des Habitans.

L

A R T I C L E

VII.

De tIlede Sainte Croix,

LA

dernière de toutes les Antilles, qui font au deffous du V e n t , eft celle, qui porte le beau n o m de Sainte Croix. Elle eft fur la hauteur de dixhuit dégrez & quelques fcrupules. Les Caraïbes , qui en furent chaffez par les Efpagnols, la nommoient. Ay-Ay, Elle étoit forteftiméeparm y c u s : à caufe que c'etoit la premiere Ile que cette Nation avoit occupée aus Antilles , en venant du N o r d chercher une habitation c o m m o d e , pour jetter les fondemens de leurs Colonies , c o m m e nous le reprefenterons particuliereH 3 ment


62

Chap. 6 m e n t au fecond Livre de cette Hiftoire, au Chapitre de leur Origine. L a terre de cette Ile , rend avec beaucoup d'ufure, tout ce qu'on y feme. O n y voit de belles& fpacieufes plaines de terre noire & facile à labourer. Il y a audi plufieurs arbres Fort beaus ,& precieus , qui font propres à la teinture, & à la ménuiferie. L'airyeftb o n ; mais les eaus n'y font pas beau­ coup faines, fi o n les boit incontinent qu'elles ont efté puifées. Pour leur ôter la mauvaife qualité qu'elles ont, o n les laiffe repofer quelque tems en des vaiffeaus de terre , ce qui les rend bonnes,& qui donne fujet de croire, qu'elles ne font mauvaifes, qu'à caufe de leur limon, c o m m e celles du Nil. Cette Ile, eft maintenant en la poffeffion des François, qui en ont relevé glorieufement le débris. Apres les divers changémens de Maîtres , qui y étoient furvenus en peu d'an­ nées , c o m m e nous le dirons au Chapitre deuziéme du fécond Livre de cette Hiftoire. Monfieur le General des François, qui la fait peupler à fes frais, luy a donné un nouveau luftre, qui fait naître l'efperance d'une ample Colonie. Elle peut avoir neuf ou dix lieues de long, & prefque au­ tant, en fa plus grande largeur. Les montagnes n'y font point lihautes, ni fi preffées les unes contre les autres , que l'on ne puiffe monter au deffus , & qu'il n'y refte beaucoup de bonne terre, propre pour employer piufieurs milliers d'hommes. HISTOIRE

C H A P I T R E

N A T U R E L L E ,

S I X I E M E .

Des arbres qui croiffent en ces Iles, dont on peut ger le fruit,

man­

ENtre les Arbres, qui fe trouvent en ces Iles, les uns portent de bons fruits qui aident à la nourriture des Habitans , les autres font propres à faire des bâtimens, o u bien ils fervent à la ménuiferie , ou à la teinture. Il y en a auffi , qui font employez avec heureus fuccés en la Medecine, & quelques autres qui recréent feulement l'odorat par leur

fenteur


Chap. 6 DES ILES ANTILLES. 63 fenteur agreable, & la veüe par la beauté de leur feuillage, qui ne flétrit jamais. D e ceus qui portent des fruits bons à manger, Se qui fe voyent en l'Europe, on n'y rencontre que les Orangers, les Grenadiers, les Citroniers , & les Limoniers, dont la groffeur, Se la bonté, furpaffe celle des m ê m e s efpéces qui croiffent ailleurs. A R T I C L E Des

I.

Orangers, Grenadiers, & Citroniers.

Uant aus Oranges, il y en a de deux fortes aus Antilles ; Q elles font toutéfois de m ê m e figure, & on ne les peut difcerner que par le goût. Les unes font douces, Se les autres aigres, les unes Se les autres extremément delicates;les aigres aportent une grande commodité au m é n a g e , car o n s'en fert au lieu de verjus & de vinaigre, mais les douces excellent en bonté. Il eft vray que quelques un n o m m e n t les Oranges de la Chine, Les Reynes des Oranges, Se de vrais mufcats fous la figure Se la couleur d'Oranges. Mais quelque eftime que l'on faffe de l'agreable douceur de ces C h i noifes, il y en a qui preferent le goût excellent Se relevé de celles de l'Amérique. Les Grenadiers croiffent auffi en perfection en toutes ces Ces Arbriffeaus fervent en plusieurs endroits de Palifade aus courts , & aus avenues des maifons , & de bordure ans jardins. Pous les Citrons, il y en a de trois efpéces differentes en grofféur, que l'on ne n o m m e pas pourtant toutes Citrons. L a première forte, qui eft la plus belle Se la plus groffe, eft appellée Lime. Elle n'eft guère bonne qu'à confire, n'ayant préfque point de jus, mais étant confite elle eft excellente. L a féconde efpéce eft le Limon, de la m ê m e groffeur que les Citrons qui nous font apportez d'Efpagne : mais il a peu de jus àproportion de fa groffeur. L e petit Citron qui fait la troiziém e efpéce eft le meilleur Se le pluseftimé.Iln'a qu'une tendre


64

Histoire

Naturelle,

Chap. 6

dix pellicule, & eft tout plein de fuc extrêmement aigre, qui donne bon goût ans viandes, & fert à affaifoner plufieurs ragouts. Il eft particulier à l'Amérique. Quelques curieus, ont auffi en leurs jardins des Citrons parfaitement dous , tant en leur ecorce qu'en leur fuc, qui ne cedent ni en groffeur, ni en faveur à ceus qui croiffent en Portugal. Ils ontauffides Figuiers de la m ê m e efpece que ceus qui croiffent en la France & ailleurs, & qui ont cecy de particulier , que prefque toute l'année, ils font chargez de fruits qui meuriffent à merveille, dans ces pais chauds. Les Anglois de l'Iledela Vermude, en font une boiffon fort faine & extrêmement agréable au goût, qui leur tient lieu de vin, laquelle eftant gardée, devient auffi forte que le vin d'Efpagne. A R T I C L E

II.

Du Goyavier.

P

O u r commencer par les Fruitiers, o n fait état du Goyavier, qui approche de la forme d'un Laurier, horsmis que fes feuilles font plus molles, d'un vert plus clair & qu'elles font cottonnées par deffous. L'écorce de cet Arbre eft fort deliée & unie. Il pouffe plufieurs rejettons de fa racine, qui font à lafin,fi on ne les arrache, un bois épais fur toute la bonne terre voifine. Ses branches qui font affés toufuës, font chargées deus foisl'ande petitesfleursblanches, qui font fuivies de plufieurs p o m m e s vertes, qui deviennent jaunes & de bonne odeur, lors qu'elles font meures. C e fruit, qui fe n o m m e Goyave y eft orné au deffus d'un petit bouquet en forme de couronne, & au dedans, fa chair eft blanche ou rouge, remplie de petis pépins c o m m e eft la Grenade, C e qui fait que les Hollandois l'appellent Grenade douce.Ileftde la groffeur d'une p o m m e de Rénette, & il meurit en une nuit. Sa qualitéeft,de referrer le ventre eftant m a n g é vert : dont aufli plufieurs s'en fervent contre leflusde fang; Mais étant m a n g é meur, il a un effet tout contraire. ARTI-


CHAP.6

DES

ILES

ANTILLES.

A R T I C L E

Du

65

III.

Papayer.

L

E Papayer, eft un Arbre qui croift fans branches, de la hauteur de quinze à vint pieds , gros à proportion creus & fpongieus au dedans, d'où vient qu'on l'employé à conduire partout où l'on veut, les ruiffeaus des fontaines. Il y en a de deus fortes, l'une qui fe voir c o m m u n é m e n t dans toutes les Iles. Ses feuilles font divifées en trois pointes, à peu prés c o m m e la feuille du Figuier, elles font attachées a de longues queues, qui font groffes c o m m e le pouce, & creufes au dedans: Elles fortent de la cime de l'Arbre, d'où eftant recourbées, elles couvrent plufieurs fruits ronds delagroffeur d'une poyre de Coin, qui croiffent à l'entour du tronc, auquel ils demeurent attachez, I

L'autre


66

Histoire Naturelle.

Chap.6

L'autre efpéce de Papayer, Ce trouve particulièrement en l'Ile de Sainte Croix, Elle eft plus belle & plus chargée de fueilles que l'autre. Mais ce qui la fait eftimer d'avantage,, c'eft fon fruit qui eft de la groffeur d'un M e l o n , & de la figure d'une m a m m e l l e , d'où vient que les Portugais l'ont n o m mé

Mamao.

Ces Arbres, ont cecy de particulier, qu'ils donnent de nouveaus fruits chaque mois de l'année. L afleurde l'une & de l'autre efpéce eft de bonne odeur ,& approchante de celle du Jafmin. Mais on met entre les regales des Iles le fruit de la dernière, à caufe que quand il eft arrivé à fa perfection, il a une chair ferme, qui fe couppe par tranches c o m m e le M e l o n , & qui eft d'un goût delicieus. Son Ecorce,eftd'un Jaune meflé de quelques lignes vertes, & au dedans il eft remply d'une infinité de petis grains ronds gluans & mollaffes, d'un goût picquant, & qui fent l'épice. C e fruit fortifie l'eftomac, & aide à la digeftion. Quelques uns le mangent, c o m m e il vient de l'Arbre ; mais les delicats le preparent avec du Sucre, & en fout


CHAP. 6

DES

ILES

Antilles,

67

font une forte de Marmelade, qui eft fort agreable à la veuë, & delicieufe au goût, lors notamment que la douceur naturelle de ce fruit, eft relevée par quelques épiceries qu'ils y mettent. O u bien ils le confiffent tout entier, ou coupé & feché par quartiers , en forme d'écorces de Citrons. A R T I C L E Du

L

Momin,

&

IV.

des Cachimas.

E Momin, eft u n Arbre qui croift de la groffeur d'un P o m m i e r , & porte un gros fruit de m ê m e n o m que luy. Il eft vray que les infulairesl'appellentordinairement Corafol, à caufe que la graine de ceus qui fe voyentparmy eus, à efté I2 appor-


6

HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap, apportéede Corafol,qui eft une Ile tenüe dépuis un long tems par les Hollandois, qui y ont un b o n fort, & une ample Colonie, qui s'eft étendue en plufieurs autres Iles voifines de celle là. C e fruit reffemble à un petit C o c o m b r e , qui n'eft point meur. Il a la peau toujours verte, & émaillée de plufieurs petis 68

compartimens, en forme décailles. Si on le cueille en fa maturité il eft blanc au dedans c o m m e de la C r é m e , & d'une d o u ceur relevée par une petite aigreur , qui luy donne une pointe fort agreable. C e fruit, eft raffraichiffant au poffible, & delicieusau goût. Il porte fa femence au milieu, qui eft de la groffeur , & de la figure d'une Féve extrêmement polie, & de la couleur d'une pierre de touche, fur laquelle o n auroit tout; fraîchement éprouvé une piece d'or ; car elle paroit émaillée de petites veines d'orées. Nous


6

Chap. DES ILES ANTILLES. 69 N o u s joignons les Cachimas avec le Momin à caufe que ces Arbres, portent auffi des fruits , qui ont le goût & la blancheur de la C r é m e , & que leur femence qui croift au milieu, eft prefque d'une m ê m e figure «5c folidité. Mais il y a deus fortes de Cachimas, l'une quieft fauvage & heriffée dépines, eft chargée d'un fruit de la groffeur d'une p o m m e médiocre , qui a la peau relevée par boffettes, & qui demeure tousjours verte & dure. Et quantàl'autre, qu'on appelle ordinairement le Cachimas franc, c'eft un Arbre qui à l'écorce affez polie, & qui dans la faifon, prefente un fruit beaucoup plus gros que le premier, qui étant parvenu à fa maturité eft d'une couleur vermeille,& dont la fubftance qui eft cachée fous cette peau , eft blanche au poffible ,& d'une tres-douce faveur. Ces arbres croiffent allez hauts,& font couverts de feuilles aprochantes à celles des Chatagniers. Ceus qui m a n gent rarement de ces fruits, ont remarqué, qu'ils ont la vertu d exciterl'apetit&de purifier l'eftomac des humeurs gluantes , qui y étoyent atachées, ce qui fait , qu'ils les ont en eftime; A R T I C L E

V.

Du Iunipa.

LE

ou Genipa, qui eft le m ê m e Arbre que les Brefiliens n o m m e n t Ianipaba ,& les Portugais Ienipapo, croift de la groffeur d'un Chataignier, fes rameaus fe recourbent pres de terre, & font un ombrage agréable, fes feuilles font longues c o m m e celles du Noyer. Il porte des fleurs-pareilles à celles du Narciffe, qui font de bonne odeur. Son bois eft folide , de couleur de gris de perle. Les Habitans des Iles couppent les troncs de ces Arbres quand ils font encore jeunes , pour faire des afuts de fufils & de moufquets, parce que ce bois étant mis facilement en oeuvre, peut eftrc poly en perfection, Chaque mois il fe reveft de quelques feuilles nouvelles. Il porte d e s p o m m e s qui étant meures, femblent eftre cuites au four, elles font de la groffeur d'une p o m m e de R a m b o u r . E n tombant de l'Arbre elles font un bruit pareil I 3 à celuy Iunipa


70

H I S T O I R E

N A T U R E L L E ,

Chap. 6

à celuy d'une arme à feu: C e qui vient, de ce que certains vens o u efprits, qui font contenus en de petites pellicules qui couvrent la femence, étans excitez par la cheute, fe font o u verture avec violence. D'où il y a raifon de fe perfuader, que c'eft le m ê m e fruit, qu'en la nouvelle Efpagne les Indiens appellent d'un n o m fort barbare , Quant la la&in. Si on m a n g e de ces p o m m e s de junipa, fans ôter cette petite peau qui eft au dedans, elles referrent le ventre d'une étrange faffon. C e fruit eft recherché des chaffeurs,à caufe qu'étant aigrelet il étanche la foif, & fortifie le c œ u r de ceus qui font fatiguez du chemin. Son fuc, teint en violet fort brun, encore qu'il foit clair c o m m e eau de roche , & quand o n en veut mettre jufques à deus fois fur la m ê m e place du corps que l'on veut teindre, la feconde teinture paroit noire. Les Indiens s'en fervent pour fe fortifier le corps, & le rendre plus foupie , avant que d'aller à la guerre. Ils croient auffi, que cette couleur les rend plus terribles à leurs ennemis. L a teinture de ce fruit nefepeur effacer avec le fàvon : mais au bout de neuf ou dix jours, elle d'ifparoit d'elle m ê m e . A u tems que ce fruit tombe , les pourceaus qui en mangent, ont la chair & la graiffe


Chap.6

DES

ÎLES

ANTILLES,

71

graille entierement violette, c o m m e l'expérience le témoigne. II en eft de m ê m e de la chair des perroquets, & des autres oifeaus, lors qu'ils s'en nourriffent. A u refte , on peut faire avec ces p o m m e s un breuvage affés agréable, mais qui n'eft gueres en ufage, que parmy les Indiens, & les Chaffeurs, qui n'ont point de demeure arrêtée. A R T I C L E VI. Du Raifinier.

E Raifinie que les Caraïbes n o m m e n t Ouliem , croift de moyenne hauteur & rampe prefque par terre au bord delam e r : Mais dans une bonne terre il devient haut, c o m m e un des plus beaus Arbres des Forets. Il a les feuilles ron-

L

des, épaiffes, entre-meflées de rouge & de vert. Sous l'écor -ce du tronc, après qu'on a enlevé un aubel blanc de l'épaiffeur de deus pouces, on trouve un bois violet, folide , & fort propre à faire d'excellens ouvrages de menuiferie.Ilproduiten fes branches des fruits, qu'on prendroit quand ils font meurs.


72

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

Chap.6

meurs, pour de gros Raifins violets : Mais au lieu de pépins, chaque grain a tous une tendre pellicule, & fous fort peu de fubftance aigrette, raffraichiffante, & d'affez bon goût, u n n'oyau dur c o m m e celuy des prunes. A R T I C L E

VII.

De l'Acajou.

I

L y a trois fortes d'Arbres qui portent le n o m D'acajou. mais il n'y a que celuy que nous décrivons icy, qui porte du fruit. C'eft u n Arbre de m o y e n n e hauteur, qui panche fes branches jufques à terre. Ses feuilles font belles& larges, ar-

rondiés par devant, & rayées de plufieurs veines. Il porte des fleurs qui font blanches, lorsqu'elles s'épanoviffent nouvellement, puis aprés elles deviennent incarnates, & de couleur de pourpre. Elles croiffent par bouquets & elles exhalent unefidouce odeur, qu'on n'a point de péne à difcerner l'Arbre qui les porte. C e sfleursne tombent point jufques à ce qu'elles


Chap. 6 DES ÎLES A N T I L L E S . 73 qu'elles foient pouffées par une efpece de Chataigne faite en forme d'oreille, ou de rognon de lièvre ; Quand cette châtaigne a pris fon accroiffement, il fe forme au deffous une belle p o m m e longuette, qui eft couronnée de cette crefte, qui devient en meuriffant d'une couleur d'Olive, pendant que la p o m m e fe reveft d'une peau delicate, & vermeille au poffible. Elle eft remplie au dedans, de certains filamens fpongieus, qui font imbus d'un fuc tout enfemble dous & aigre, qui defalterc grandement,& que l'on tienteftretres-utile à la poitrine, & aus défaillances de c œ u r , étant temperé avec un peu de Sucre. Mais, s'il tombe fur quelque linge, il y imprime une tache rouffe, qui demeure jufques à ce que l'Arbre fleurifle de nouveau. Les Indiens font un bruvage excellent de ce fruit, lequel étant gardé quelque jours, a la vertu d'enyvrer auffi promtément que feroit le meilleur vin de France. La nois qui eft au deffus étant brulée , rend une huile cauftique, de laquelle o n fe fert heureufement pour amollir,& m ê m e pour extirper ces durétez qui croulent aus pieds, & que l'on n o m m e Cors, Q u e s'y on la caffe , on trouve au dedans un pignon couvert d'une tendre pellicule, laquelle étant ôtée, eft d'un tres-bon goût, & a la vertu déchauffer & de fortifier mer veilleufement l'eftomac. Cet Arbre, ne porte du fruit qu'une foisl'an,d'oùvient que les Brefiliens, content leur âge avec les nois qui croiffent fur cette p o m m e , en refervant une par chacun année, laquelle ils confervent avec grand foin , dans un petit panier , qui n'eft deftiné qu'à cet ufage. Si on fait une incifio au pied de cet Arbre, il jette une g o m m e claire & transparente, que plufieurs ont pris pour celle qui vient d'Arabie. La femence de l'Arbre eft en la nois, qui produit aifément étant mife en terre.

к

ARTI-


74

Histoire

Naturelle,

A R T I C L E

CHAP. 6

VIII.

Des Prunes D'Icaque.

L' Icaque, eft une efpece de petit prunier, qui croift en form e d'un buiffon ; les branches, font en tout tems chargées de petites feuilles longuettes , elles font deus fois l'an émaillées d'une infinité de bellesfleursblanches, o u violettes , qui font fuivies d'un petit fruit rond , de la groffeur d'une Prune de damas, & qui étant m e u r devient blanc o u violet,

de m ê m e qu'étoit fa fleur. C e fruiteftfort dous, & tellement aime de certains Sauvages, qui demeurent pres d u Golfe d'Hondures, qu'on les appelle Icaques, à caufe de l'état qu'ils font de ces Prunes, qui leur fervent de nourriture. Ceus qui ont voyagé parmy ces Peuples, ont remarqué, que lors que ces fruits font en leur maturité, ils font fort foigneus de s'en conferver la propriété ; & que pour empefcher leurs voifins, qui n'en ont point en leur contrée,d'y venir faire aucun dégaft, ils tiennent durant tout ce tems-là aus avenues de


Chap. 6 D E S ILES A N T I L L E S . 75 de leur terre, des Corps-de-garde, compofez de l'elite de leurs meilleurs Soldats, qui les repouffent vivement avec la fléche & la maffuë, s'ils ont l'affurance de fe prefenter, A R T I C L E Des Prunes de

IX. Monbain.

L

E Monbain, eft u n Arbre qui croift fort haut, & qui produit auffi des Prunes longues & jaunes, qui font datiez bonne odeur : Mais, le noyau étant plus gros que tout ce qu'elles ont de chair, elles ne font gueres eftimées, il ce n'eft de quelques uns, qui les meflent dans les bruvages du Oüicou & du Maby , pour leur donner un meilleur goût. Les Pourceaus, qui vivent dans les bois, font toujours gras, lors que ces fruits font en maturité , par ce qu'il en tombe une grande quantité fous les Arbres, à mefure qu'ils m'euriffent, qui font receûillis avidément de ces animaus. Cet Arbre, jette une g o m m e Jaune, qui rend une odeur encore plus penetrante que celle du fruit. Les branches étant mifes en la terre, prenent aifément racine, ce qui fait, qu'on les employe ordinairement â fermer les parcs, où l'on nourri le bétail, A R T I C L E

X.

Du Courbary.

LE

Courbary, croift d'ordinaire plus haut, plus touffu, & plus gros, que le Monbain. Il porte un fruit, dont la coque eft fort dure à caffér; & qui a environ quatre doigts de long, deus de large & un dépâis. Dans la coque il a deus ou trois noyaus , couverts d'une chair fort pâteufe, qui eft jaune c o m m e du Safran. Le goût n'en eft pas mauvais: maison n'en peut faire d'excès, que l'eftomac n'en foit extrêmement chargé & que la gorge n'en foit empefchée. Les Sauvages, en cas de neceffite en font une forte de bruvage, qui n'eft pas désagréable étant bien preparé, c'eft à dire lors qu'il a K 2

bien


76 HISTOIRE N A T U R E L L E . Chap.6 bien bouilly avec l'eau. Son bois eft folide, de couleur tirant fur le rouge. l'Arbre étant vieil rend de la g o m m e , qui s'endurcit au Soleil, & qui demeure toujours claire, transparente c o m m e l'ambre jaune , & de bonne odeur. Quelques Indiens en forment des boutons de diverfe figure, dont ils font des Bracelets, des Colliers & des pendans d'oreille, qui font beaus, luifans, & de bonne fenteur. A R T I C L E Du

XI.

Figuier d'Inde,

O

N voit en la plupart de ces Iles, un gros Arbre, que les Européens ont n o m m é Figuir d'Inde , à caufe qu'il porte un petit fruit fans noyau , qui a la figure, & le goût approchant des ligues de France. D'ailleurs il ne reffemble de rien à nos Figuiers ; car outre que la feuille eft de différente figure, & beaucoup plus étroite, il croift en des lieus,fidemefinement gros, qu'il s'en rencontre qu'à peine plufieurs h o m mes pourroient embraffer, parce que le tronc, qui le plus fouvent n'eft pas uny en fa circonference, pouffe à fes coftez, dépuis la racine jufques à l'endroit o ù les branches prenent leur naiffance,certaines areftes, ou faillies, qui s'avancent jufques à 4 ou 5 pieds ans environs, 8c qui forment par ce m o y e n de profondes cannelures, enfoncées c o m m e des niches. Cesfaillies , qui font de la m ê m e fubftance que le corps de l'Arbre font auffi envelopées , de la même écorce qui le couvre , & elles font de Fépaiffcur de fét à huit pouces, à proportion de la groffeur du tronc qu'elles entourent. L e bois de cet Arbre, eft au dedans blanc & mollaffe, & l'on couppe ordinairement de ces longues pieces qu'il pouffe hors de fon tronc, pour faire des planches, des portes , & des tables, fans crainte que l'Arbre meure. Car il recouvre en peu de tems,fiproprement de fon écorce, la bréche qui a efté faite, qu'a peine peut o n appercevoir que l'on en ait rien enlevé, T o u s ceus qui ont demeuré en l'Ile de la Tortue, qui eft fitué au cofté feptentrional de.l'Ile Efpagnole , ont veu au chemin qui conduit des


Chap. 6 DES ILES ANTILLES. 77 des plaines de la montagne, au village que nos François ont n o m m é Milplantage, un de ces Arbres, qui peut facilement tenir à couvert plus de deus cens h o m m e s fous l'ombre de fes branches, qui font toujours chargées de plufieurs feuilles fi. toufués, qu'on y trouve en voyageant, une fraîcheur fort agréable, & un couvert bien affuré contre la pluye. A R T I C L E

XII.

Du Cormier.

I

L y a en ces Iles, une efpéce de Cormier, bien different du Cormier que l'on voit en France. Car il éft d'une hauteur exceffive fort beau à voir, & orné de belles feuilles, & de plufieurs branches qui les accompagnent. 11 porte un fruit agreable, rond c o m m e une Cerife, qui eft de couleur jaune, tacheté de petites marques rouges, & qui tombe de foy m ê m e lors qu'il eft meur. Il a le goût de la C o r m e , & c'eft ce qui eft caufe, qu'on luy a donné le m ê m e n o m .Ileft fort recherché des Oifeaus. A R T I C L E

XIII.

Du Palmiste Epineus.

T

Outes ces Iles ont des Palmes, & quelques-unes en ont jufques à quatre fortes toutes differentes. L'une fe n o m m e Palmifte Epineus. Cet Arbre porte juftement ce n o m , car il eft toutHeriffé, ayant en fa tige, en fes branches, & en fes feuilles de grandes épines extrêmement aiguës,& fi dangereufes, que quand quelcun en eft piqué, il court rifque d'en eftre long tems i n c o m m o d é , s'y l'on n'y apporte un promt remede. Celles qui entourent le tronc de l'Arbre, font plates, longues c o m m e le doigt, de lafigured'un Cure-dent, polies, & d'une couleur tannée tirant furlenoir. Les Négres, avant que de s'en approcher, mettent le feu à l'entour du pied de l'Arbre, pour brûler toutes les Epines quil'arment& luy ferveut de defenfe. Son fruit,confifteen un gros bouquet, qui K 3 eft


78

Histoire

Naturelle

Chap.6

eft compofé de plufieurs nois grisâtres, dures, & rondes, qui refferrent des noyaus qui font bons à manger. C'eft auffi de cette efpece de Palmes, que quelques Négres tirent du vin, par le m o y e n desincifionsqu'ils font au deffous de fes branches. Il y a apparence, que c'eft le m ê m e Arbre, que les Brefiliens n o m m e n t Ayri. A R T I C L E Du

LA

XIV.

Palmiste Franc.

féconde efpece eft n o m m é e Palmiste Franc. C'eft un grand Arbre droit & d'une hauteur demefurée. Les racines de cette efpece de Palmier, s'élèvent hors de terre tout autour de la tige, de la hauteur de deus o u trois pieds, & de la groffeur d'un baril. Ces racines font petites à proportion de la hauteur de l'Arbre qu'elles foutiennent : mais elles font entrelacéesfiétroitement, & fi confufément les unes dans les autres, qu'elles luy fervent d'un folide appuy. Cet Arbre a cecy


Chap.6

DES

ILES

ANTILles.

79

cecy de particulier, qu'il eft ordinairement plus gros par le haut que par le bas. Quand il eft encore jeune, il a l'écorce tendre, de couleur grisâtre, Remarquée de pied en pied d'un cercle, qui donne à cognoiftre a peu prés, combien il y a

d'années qu'il occupe la terre: Mais quand il a pris fa confiftence, il devient par toutfifolide &fiuny, qu'on n'y peur plus rien remarquer. Son fommet, eft orné de plufieurs belles branches canelées & polies, qui font accompagnées de part & d'autre, d'une infinité de feuilles vertes, longues, étroites, & deliées, qui leur donnent une merveilleufe grace. Les plus tendres de ces branches, qui ne font pas encore épanovyes, s'élèvent directement au milieu de l'Arbre, pendant que les autres qui font courbées tout autour, luy compofent. une riche & agreable couronne. Cet Arbre, fe décharge par chacun mois de quelcune de fes branches, & d'une écorce, qui fe détache de deffous, la quelle eft longue de quatre ou cinq pieds, large de deus o u environ, & de l'épaiffeur d'un cuir preparé. Les Habitans des Iles, n o m m e n t cette écorce Tache, & ils l'employeur pour


80 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap.6 pour la couverture de leurs Cuifines, & des autres petis offices de leurs Habitations, de m ê m e qu'ilsfefervent des feuilles , treffées , & cordonnées proprément à l'un des coftez des branches, pour faire celle de leurs maifons. N o u s avons à deffein , rangé les Palmiftes à lafindes Arbres fruitiers quifetrouvent en ces Iles, à caufe qu'ils contribuent tous, horsmis le Latanier, à la nourriture des h o m mes. Carfile Palmifte épineus, lequel nous avons décrit en l'article precedent, fournit du vin, celuy-cy porte au fommet de fon tronc, & c o m m e en fon c œ u r , une moelle blanche, tres-tendre,& tres-favoureufe qui alegoût de Noifette,étant m a n g é e cruë, & etant bouïllie & allaifonnée avec plufieurs feuilles déliées, & blanches au poffible , qui l'entourent, & luy fervent c o m m e de chemife, elle peut tenir un rang confiderable, entre les plus delicieus mets des Antilles. Les François , appellent cette fubftance moëlleufe , 5c les feuilles qui l'enveloppent, chou de Palmifte, parce qu'ils en mettent au potage, au lieu de chous, o u d'autres Herbes. Si l'on fend en deus le tronc de cet Arbre, & qu'on enleve c o m m e il fe peut faire aifément, une certaine matiere fillaffeufe & mollaffé qui eft au dedans, ce bois qui refte ainfi creufé, & qui eft épais d'un bon pouce , fournit de belles & longues goutieres, qui font de durée. O n s'en fert pour couvrir d'une feule piece le faîte des Cazes, & pour conduire les eaus par tout où l'on veut Les Tourneurs & les M e n u y fiers font auffi avec ce bois , qui eft préfque noir, & fe polit aifément, plufieurs beaus & rares ouvrages, qui font naturellement marbrez. Pline, fait des Arbresfiprodigieufement hauts, qu'une fléche n'en peut atteindre le fommet quand elle eft tirée;Et l'Auteur de l'Hiftoire generale des Indes , parle d'un Arbre de telle hauteur, qu'on ne s'auroitjetterraine pierre a plein bras par deffus. Mais encore que le Palmifte que nous decrivons furpaffe de beaucoup tous les autres arbres des Antilles, nous n'oferions pas dire qu'il foit d'une hauteurfidemefuréc, puifque du pied de l'arbre, on remarque facilement une belle panache , qui fortant du plus haut du tronc, eft toujours tournée au foleil levant ; Elle fe renouvelle par chacune année,


Chap. 6 DES ILES A N T I L L E S . 81 née, & quand elle eft fortie de fon étuy, elleeftemailléed'une infinité de petites fleurs jaunes, en forme de boutons dorez, qui venans à tomber, font fui vis de plufieurs fruits ronds, & de la groffeur d'un petit œ u f de poule. Ils font attachez en un feul bouquet, & afin que ces fleurs & ces fruits, foient confervez contre les injures du tems, ils font couverts par deffus d'une écorce épaiffe, dure & grisâtre par le dehors, & d'un vermeil doré par le dedans, qui aboutit en pointe. C e precieus parafol, n'eft autre chofe que l'étuy, qui referroit les fleurs, avant qu'elles fuffent épanouyes , & qui s'étant entre-ouvert par deffous,s'élargit en unefigurecreufe au milieu, & pointue aus extremitez, pour mieus couvrir & les fleurs Se le fruit. D'autant que cette efpece d'Arbres, n'a point dépines, o n le n o m m e Palmifte Franc.Ily en a encore une autre forte, qui ne croift pasfihaut que celle-cy, qui porte une petite graine ronde, que les Négres font foigneus de recueillir, à caufe qu'elle fert à fairede beaus Chapelets qui font marbrez, & polis à merveille. A R T I C L E

XV.

Du Latanier.

L

troiziéme efpece de Palme eft n o m m é e Latanier. Cet arbre élevé fa tige allez haut ; mais il ne croift pas beaucoup en groffeur. A u lieu de branches il n'a que des longues feuilles , qui étant épanouyesfontrondes par le haut, Se plicées par le bas, à la façon d'un Eventail. Elles font attachées à de grandes queues, qui fortent de certains filamens, qui entourent la tefte du tronc , c o m m e une groffe toile rouffe & fortclaire. Ces feuilles étant liées par petis faiffeaus, fervent à couvrir les cazes, & la peau qu'on enlevé de deffus les queues, eft propre à faire des cribles, des paniers, & plufieurs autres petites curiofitez, que les Indiens tiennent entre leurs meubles plus precieus Ils fontauffidu bois de cet arbre, & de celuy du Palmifte Franc, des arcs, des maffuës , dont ils fe fervent en leurs combats, au lieu dépées, des Zagayes, qui font de petites lances aigues , qu'ils d'ardent avec la main A

L

contre


82

H I S T O I R E

N A T U R E L L E ,

Chap.

contre leurs ennemis, & ils en muniffent la pointe de leurs fléches, qui font par ce m o y e nauffipenetrantes, que s'y elles étoient d'acier. A R T I C L E

XVI.

Du Cocos.

L

A quatrième efpece de P a l m e , & la plus excellente de toutes , eft celle qui porte le n o m de Cocos , ce fameus fruit dont les Hiftoriens difent tant de merveilles. Mais il faut remarquer, que les Cocos quifetrouvent aus Indes Occidentales, ne croiffent pas à beaucoup-prés fi hauts , que ceus de l'Orient, le tronc pour l'ordinaire n'excedant pas vint, o u vint-cinq pieds en hauteur, étant au relie d'une groffeur bien proportionnée. Il eft beaucoup plus chargé de branches & de feuilles, que le Palmifte Franc. Les Iles de la Monaque & de Roatam, qui font au Golfe d'Hondures, font renommées pour, l'abondance de ces Arbres. L'Ile de Saint Bartelemy entre


Chap; 6

Antilles 83 entre les Antilles, en eft auffi ornee , & c'eft de là, qu'on en a apporté en celle de Saint Chriftofle. L e fruit, croift fur le tronc m ê m e , au pied des branches, il a la forme d'une nois : mais fans faire de comparaifon DES

îles

pour la groffeur: car unfeulpefe quelquefois environ dix livres. Depuis que l'Arbre a c o m m e n c é de porter, o n ne le trouve jamais fans fruit; car il en pouffe de nouveaus par chacun mois de l'année. L a coque eftfidure &fiépaiffe, qu'on la peut polir, & y graver diverfesfigures,pour enrichir les coupes, les bouteilles, & plufieurs autres vaiffeaus, qu'on en fait, pour le fervice ordinaire du ménage. Elle eft entourée d'une groffe envelope, qui eft toute de filamens, L 2 Quand


84

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

Chap.6

Q u a n d on a ouvert cette nois de C o c o s , on trouve premierement une chair blanche c o m m e neige qui eft nourriffante au poffible : & qui a le goût de l'Amande. Cette fubftance moëlleufe eft en fi grande quantité en chaque fruit, qu'on en peut remplir un plat ; Elle eft attachée fermement au dedans de la C o q u e ; & en fon milieu, elle contient un grand verre d'une liqueur claire & agréable, c o m m e du vin mufcat; de forte qu'une perfonne fe pourroit bien contenter de l'un de fes fruits, pour fon repas. Ç'eft cette eau feule , qui fe convertit en germe, & qui entre fes autres vertus, a la propriété d'effacer toutes les rides du vifage, & de luy donner une couleur blanche & vermeille, pourveu qu'on l'en lave auffi-toft,que le fruit eft tombé de l'Arbre. Qui defirera d'apprendre toutes les particularitez du C o cos , & les grands ufages qu'il a tant en la Medecine, qu'en la Ménagerie, lira s'il luy plait, la belle & ample defcription que François Pyrard en a fait, en fontraitté Ses Animaus, arbres & fruits des Indes Orientales. O ù il reprefente, que les Peuples de ces païs-la, trouvent dans ce feul Arbre non feulement leur pain, leur bruvage plus delicieus, leur vêtement, leur huile, leur fucre, leur miel, leur b a u m e , & les médecines pour rétablir leur fanté, lors qu'elle eft altérée : mais, qu'ils en tirent encore la matière, pour bâtir avec une facilité & folidité nonpareille, leurs maifons, & les vaiffeaus, dont ils entretiennent le commerce avec leurs voifins. D e forte, que l'on voit ans Iles Maldives, des Navires qui ne font bâtis & chargez que de Cocos, ayant receu de cet Arbre merveilleus, planches, chevilles, cordages, cables, voiles, ancres, huile, vin, confitures, fucre,, &diverfes autres chofes. A R T I C L E

XVII.

Du Cacao.

Uelques-uns, à caufe de la reffemblance des noms, conQ fondent quelquefois le avec le qui croift en la Province de Guatimala, pres la neuve Efpagne, qui eft Cocos,

Cacao,

auffi


Chap. 6 DES ILES ANTILLES. 85 auffi un fruit tres-renommé en toute l'Amérique, pour eftre le principal ingrédient, qui entre en la de la chicolate, o u Chocolate , d'ont on fait un bruvage fouverain, pour fortifier la poitrine, diffiper toutes les humeurs malignes qui s'y attachent, chaffer la gravelle, 6c tenir le corps frais & difpos, pourveu qu'on le prene modérément.

composition

C e Cacao,qui fe trouvoit auffi aus Antilles, en l'an 1649, dans le Jardin d'un Habitant de l'Ile de Sainte Croix, eft à prefent connu e n celle de Tabago, c o m m e nous l'avons dit en fon lieu. C'eft un Arbre prelque femblable à l'Oranger, finon qu'il ne croift pas du toutfihaut, & qu'il a les feuilles un peu plus étendues. O n le plante ordinairement en des lieus ombrageus, & m ê m e fous d'autres arbres, qui le puiffent defendre de l'ardeur du Soleil, qui flétriroit fes feuilles. Son fruit qui eft de la groffeur, & d'unefigureapprochante de celle d'un Gland, o u d'une moyenne Olive, fe forme dans de groffes coffes longuettes, qui font rayées, & diviCes par le coftez c o m m e il eft icy reprefenté, L 3 CHA-


86

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

Chap.7

CHAPITRE SÉTTIÉME. Des Arbres qui font propres à bâtir; ou qui fervent a la menuyferie ; ou à la Teinture,

N

O u s avons jufques icy reprefenté, plufieurs beaus Arbres qui portent des fruits, qui contribuent à la nourriture, ou au raffraichiffement des Habitans des A n tilles : & en ce Chapitre, nous nous propofons de traitter des principaus, qu'on peut employer utilement, tant à bâtir des maifons, qu'à les orner, par le moyen des beaus meubles de menuyferie, qu'on en peut faire ; Puis après,nous confidererons tous les autres Arbres de diverfes couleurs, qui font proprès à la Teinture. A R T I C L E

I.

Dedeusfortes d'Acajou.

I

L y a fort peu d'Iles, ou l'on ne trouve de beaus Arbres, qui font tres propres à bâtir des maifons, & à faire divers ouvrages de ménuyferie. O n fait particulierement état de l'Acajou, qui croift d'une hauteur & d'une groffeurfiexceffive, que les Caraïbes tirent fouvent d'un feul tronc, ces grandes Chaloupes, qu'ils appellent Pyraugües, qui font capables de porter cinquante h o m m e s . Il pouffe plufieurs branches, qui font fort toufuës, à caufe de la multitude de feuilles d'ont elles font chargées, l'ombrage de cet arbre eft fort agreable : Et m ê m e quelques uns tiennent, qu'il contribuë à la fanté de cens qui fe repofent deffous. Il y a deus fortes d'acajou, qui ne font differens qu'en la hauteur de leur tronc, & en la couleur de leur bois. Celuy quieftle plus eftimé, alebois rouge, leger,de bonne fenteur, & fort facile â eftre mis en œuvre. O n a remarqué par experience, que le verne l'endommage point; qu'il ne fe pourrit point dans l'eau, quand il a été coupé en bonne L u n e ; Et que


Chap. 7

D E S Iles, A n t i l l e s .

87

que les coffres & les aumoires qui font faites de ces bois, donnent une bonne odeur aus habits, & qu'ils les contregardent de toutes les vermines, qui s'engendrent, ou fe gliffent aiférnent dans les coffres qui font faits d'une autre matière. Ces proprietez font caufe que quelques-uns ont creü, que cet arbre étoit une efpece de Cedre. O n en fait auffi de l'Efcente, pour couvrir les maifons. Les Capitaines de Navires, qui trafiquent aus Antilles, apportent fouvent des planches de ce bois qui font fi longues &filarges,qu'il n'en faut qu'une,pour faire une belle & grande table. L'autre forte d'Acajou , eft de pareillefigurequant au dehors, que celuy que nous venons de décrire ; mais il ne croift pasdutoutfi haut, & quand on a levé l'écorce & l'aubel, o n trouve que le bois eft blanc. Il eftauffifort facile à mettre en oeuvre, quand il eft fraichement couppé; maisfion le laiffe a l'air, il fe durcit en telle forte, qu'on a bien de la péne à s'en fervir. Les Habitans des îles, ne l'employent qu'à faute d'autre, à caufe qu'il eft fujet aus vers, & qu'il fe pourrit en peu de tems. Si on fait des incifions au tronc de ces arbres, ils jettent une grande abondance de g o m m e , qui pourroit avoir quelque bon ufage,fion en avoit fait l'effay. A R T I C L E

II.

De L'Acomas.

C

Et Arbre, eft bien auffi gros & auffi haut que l'Acajou, & n'eft pas moins prifé des Architectes, & des Menuyfiers. Ses feuilles font polies, & affes longues. Il porte un fruit de la groffeur d'une prune , qui étant venu en fa maturité, eft de couleur jaune, & beau à voir, mais il eft trop amer pour eftre recherché des h o m m e s . Les Ramiers s'en engraiffent en une faifon de l'année, & pendant ce tems là, leur chair eft de même goût, que le fruit qu'ils ont mangé. Il a l'écorce cendrée & raboteufe, le bois pefant & ayfé à polir, & felon les lieus où il croift , fon cœur eft rouge , ou jaunâtre, ou tirant furleviolet. Si on ouvre l'écorce, il en fort une liqueur laiteufe, qui fe durcit en forme de G o m m e , A R T I -


88

Histoire

Naturelle,

A R T I C L E du

I

Chap.7

III.

Bois de Rofe.

L faut avouer, quefiles Habitans des Antilles, avoient deffein de s'y établir fermement, ils y pourroient trouver, non feulement les chofes qui font necefFaires à l'entretien de la vie , mais encore les dElices & les curiofitez , tant pour ce qui concerne la nourriture, & le vêtement, que pour ce qui regarde laftru&urede leurs maifons, & leur embelliffement intérieur. Mais les douces penfées du retour au païs de leur naiffance, que la plu-part confervent en leurs coeurs, leur font négliger, tous les rares avantages que cesIlesleur prefentent, & paffer légèrement, par deffus la riche abondance des chofes precieufes quelles produiffent, fans en tirer aucun profit. Car pour ne rien dire prefentement, de la grande facilité qu'ils ont de faire des étoffes, du Cotton qui y croift, de nourrir en leurs parcs toutes fortes de volailes, & de bétail domeftique, qui y foiffonne autant qu'en lieu du m o n d e ; ils pourroient fans doute, recevoir beaucoup démolumens, de plufieurs bois precieus, qui feroient de grand ufage non feulement pour les loger, & les meubler c o m m o d é m e n t : mais auffi pour en faire du C o m m e r c e avec l'Europe. Les defcriptions que nous ferons de quelques uns de ces rares Arbres, tant au refte de ce Chapitre qu'au fuivant, juftifieront cette propofition. L e Bois de Rofe, étant propre non feulement à la charpente, mais auffi à la Menuyferie, doit tenir le premier rang. Cet arbre croift d'une hauteur bien proportionnée à fa groffeur; Son tronc eft ordinairement fi droit, que c'eft l'un des plus agreables ornémens des forefts des Antilles ; 11 eft couvert de plufieurs belles branches, qui font accompagnées de feuilles molles, velues d'un cofté, & longues à peu pres c o m m e celles du Noyer. E n la faifon des pluyes il porte desfleursblanches , de bonne odeur, qui croiffent par bouquets, & qui relevent merveilleufément la grace naturelle de cet arbre. Ces fleurs font fuivies d'une petite graine noirâtre & polie. L'écorce


Chap. 7

DES

IlES

ANTIllEs.

89

corce de fon tronc , eft d'un gris blanc. Son bois eft au dedans de couleur de feuille morte, & quand le Rabot & le Poliffoiront paffé par deffus, o n y remarque plufieurs veines de différentes couleurs, qui font c o m m e des ondes, qui luy donnent un éclat marbré, & un luftre merveilleus. Mais, la douce odeur qu'il exhale, lors qu'on le met en œuvre , & qu'on le manie eft, ce qui le fait prifer d'avantage, & qui luy donne le beau n o m qu'il porte : Quelques-uns, ont m ê m e eftimé que cette douce fenteur , qui eft encore plus agreable que celle de la Rofe, luy devoir donner le n o m de bois de Cypre ,& par effet ils le font paffer fous ce titre, en quelques-unes des Antilles. Cet arbre, croift dans toutes lesIlesde m ê m e faffon, quant à lafigureextérieure ; mais fon bois eft marbré de diverfes couleurs felonladifférence des terroirs, o ù il a pris fa naiffance. A R T I C L E

iv.

Du Bois D'Inde.

C

Et Arbre precieus & de bonne fenteur, fe trouve en fi grande abondance dans l'Ile de Sainte Croix ,& en plufieurs autres, qu'il y en a des forefts prefque toutes entieres. Il va du pair avec le Bois de Rofe, mais il croift beaucoup plus gros & plus haut, lorsqu'il rencontre une bonne terre. Son tronc prend de profondes racines, & s'élève fort droit. Son écorce eft déliée, douce & unie par tout, fa couleur eft d'un gris vif& argenté,& en quelques endroits elle tire fur le jaune, ce qui fair remarquer cet Arbre entre tous les autres. Ilfleuritune fois l'an, au tems des pluyes,& pour lors, il renouvelle une partie de fon feuillage. Son bois eft tresfolide,& pelant au poffible, d'où vient qu'il fouftre d'otre poly,& que quelques fauvages en font leurs maffues. Apres qu'on a levé un aubel vermeil, qui eft fous l'écorce : on apperçoit le cœur de l'arbre qui eft extrêmement dur,& d'une couleur violette, laquelle le fait beaucoupeftimerdes :urieus. La bonne odeur de cet Arbre, refide particulierement en fes feuilles. Elles font de pareille figure, que celles du M

Goya-


90

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

Chap.7

Goyavier, & quand on les manie elles parfument les mains d'une lenteur plus douce, que celle du Laurier. Elles donnent à la viande & aus fauces un goûtfirelevé, qu'on l'attribueroit plutôt à une compofition de plufieurs fortes d'épiceries, qu'à une fimple feuille. O n s'en fertauffidans les bains, que les Medecins ordonnent pour fortifier les nerfs foulez. & pour deffeicher l'enflure, qui refte aus jambes de ceus, qui onteftétravaillez defievresmalignes. A R T I C L E

V.

De plufieursВоisRougesqui font propres à

O

batir,

Utre l'Acajou, dont nous avons parlé au c o m m e n c e ment de ce Chapitre, il y a encore en ces Mes plufieurs beaus arbres, qui ont le bois rouge, folide,& pefant, qui refifte aus vers, & à la pourriture. Ils font tous tres-propres à, bâtir des maifons, & à faire de beaus ouvrages de M e nuyferie. Mais on fait particulierement état, duBoisdefer, qui porte ce n o m , à caufe qu'il furpaffe en folidité, pefanteur, & dureté, tous ceus que nous avons d'écrits jufques à prefent. Cet Arbre, qui doiteftremis entre les plus hauts, & les mieus proportionezdes Antilles, eft revêtu de beaucoup de branches. Il porte de petites feuilles, qui aboutiffent en pointe, & font divifées prés de la queue. 11fleuritdeus fois l'année, affavoir aus mois de Mars & de Septembre. Sesfleurs,qui font de couleur de violette , font fuivies d'un petit fruit, de la groffeur d'une Cerize qui devient noir étant m e u r , & eft fort recerché des Oifeaus. L'écorce du tronc eft brune. Le Bois eftd'un rouge bien vif, lors qu'il eft nouvellement coupé ; mais il fe ternit étant misàl'air, & perd beaucoup de fon luftre. Le c œ u r de l'Arbre eft d'un rouge fort obfcur, c o m m e le bois de Brefil, & d'une telle dureté, que l'on doit avoir des coignées bien trenchantes, & qui foyent à l'épreuve, pour le pouvoir abbatre: Mais fon bois étant beau,folide,facile à polir, & plus incorruptible que le Cèdre & le Cyprès, il resoné


91 C h a p . 7 DEs ILES A N T I L L E S , compenfe abondamment par toutes ces bonnes qualitez, la pene qu'il donne, avant qu'on s'en puiffe fervir. Il y a encore un autre Arbre qui porte le m ê m e n o m de Bois de fer, mais il n'eft pas comparable at? precedent, Il ne porte que de petites feuilles, & quand ilfleuritil eft charge d'une infinite de Bouquets, qui s'élèvent fur toutes fes branches, c o m m e autant de pannaches, qui les parent fort avantageufement. Il eft d'une belle hauteur ; & il a l'aubel jaune ou blanc, felon les lieus ou il croift. Tout le bois de cet arbre, horsmis le cœur qui eft fort petit, fort dur,& tirant fur le noir, eft fujet aus vers, ce qui fait qu'on ne le met pas volontiers en œ u v r e ,fice n'eft à faute d'autre. A R T I C L E

VI.

De plufieursArbres dont le Boisestpropre àlaTeinture.

Ntre les Arbres qui croiffent aus Antilles, il y en a plufieurs qui fervent à la Teinture. Les plus eftimez, & les plus connus, font, le Bois de Brefil, le Bois Jaune, l'Ebéne verte, & le Roucou. Le Bois de Brefil, eft ainfi n o m m é , à caufe que le premier qui a efté veü en Europe, avoit efté apporté de la Province du Brefil, ou il croift en plus grande abondance, qu'en aucun autre endroit de l'Amérique. Cet arbre eft rare ans Antilles, & on n'en trouve qu'encelles, qui font le plus heriffées de rochers fecs & arides. Son tronc n'eft pas droit c o m m e celuy des autres arbres ; mais il eft tortu , raboteus, & plein de n œ u d s a peu prés c o m m e l'Epine blanche. Lors qu'il eft chargé defleursil exhale une douce fenteur, qui fortifie le Cerveau. Son bois eft recherché des Tourneurs; mais fon principal ufage, eft en la Teinture. L'Ile de Sainte Croix , eft renommée parmy toutes les autres , pour avoir une infinité d'Arbres rares & precieus. O n fait particulièrement état d'un, qui s'élève fort haut & dont le bois qui eft parfaitement jaune, fert à la Teinture. Lors que les Anglois tenoient cette Ile, ils en envoyoient beaucoup M2. en

E


92

N A T U R E L L E , Chap.7 en leur pais. O n le n o m m e Bois laune, à caufe de fa couleur, ou bien de Fuftok, ainfi que nous l'avons dit en la defcription de l'Ile de Tabago,en laquelle cet Arbreeftauffi fort HISTOIRE

commun. eft ordinairement employée à faire plufieurs excellens ouvrages de Menuyferie , parce qu'elle prend aifémentlacouleur, & le luftre de la vraye Ebéne mais fon meilleur ufàge eft en la Teinture, laquelle elle rend d'un beau vert naiffant. L arbre qui porte ce bois, eft fort touffu, à caufe que fa racine pouffe une grande quantité de rejettons, qui l'empefchent de croiftre il haut &figros qu'il feroit, fi fa force étoit ramaffée en un feul tronc. Ses feuilles font polies, & d'un beau vert. Sous l'écorce, il a environ deus pouces d'aubel blanc, & le refte du bois jufques au cœur, eft d'un vert il obfcur, qu'il approche du noir; mais quand on le polit, on découvre certainesveines jaunes, qui le font paroiftre marbré, L'ebene Verte,

ARTICLE

VII.

Du Roucou.

'Eft le m ê m e Arbre que les Brafiliens n o m m e n t Vrucu: 11 ne croift pas plus haut qu'un petit Oranger. Ses feuilles qui font pointues par l'un des bouts,, ont lafigured'un cœur. Il porte desfleursblanches meftées d'Incarnat ; Elles font compofées de cinq feuilles,qui ont la forme d'une Etoile, & la largeur d'une Rofe. Elles croiffent par bouquets, aus extremitez des branches, Cesfleursfontfuiviesde petites filiques, qui referrent plufieurs grains de la groffeur d'un petit pois, qui étans parvenus à maturité, font couverts d'un vermillon le plus vif, & le plus éclatant, qu'on s'auroit defirer ; Cette riche Teinture, qui eft enfermée en cetteécoffe, eft fi mollette, &figluante, qu'elle s'attache aus doigts, auffi-tôt

C

qu'on la touche.

Pour avoir cette precieufe couleur, on s'écouë dans un vaiffeau de terre les grains fus lefquels elle eft attachée, o n venè deffus de leau tiède, dans laquelle on les lave, jufques à ce qu'ils ayent quitté leur vermillon. Et puis quand on à laiffé


Chap. 7

93 fé repofer cetre eau, o n fait feicher à l'ombre le mare, o u laIleépaiffe qui fe trouve au fonds du vaiffeau, & l'on en forme des Tablettes , o u de petites boules, qui font fort eftimees des Peintres, & des Teinturiers, lors qu'elles font pures , & fans aucun melange, c o m m e font celles que nous venons de décrire. DES

ILES

ANTILLES.

L e bois de cet Arbre, fe brife facilement ; il eft tres-propre pour entretenir le feu, & s'ileftentièrement éteint & qu'on en frotte quelque tems deus pieces l'une contre l'autre, elles jettent des étincelles c o m m e feroit un fufil, qui allument le Cotton, ou toute autre matière fufceptible de feu , que l'on à mife auprez pour les recevoir. Son écorce fert à faire des cordes qui font de durée. Sa racine donne un bon goût aus viandes, & quand on en met dans les fauces, elle leur c o m m u nique la couleur, & l'odeur d u Safran. Les Caraïbes, ont de ces Arbres en tous leurs Jardins, ils les entretiennent foigneufement &lesprifent beaucoup, à cau-M

3

fe


94 HISTOIRE NATURELLE, Chap.8 fe qu'ils en tirent ce beau vermillon dont ils fe rougiffent le corps. Ils s'en fervent auffi à peindre, & à donner du luftre ans plus belles vaiffelles de leur petit ménage. O n pourroit auffi mettre au rang des Arbres qui font propres à la Teinture , la plupart de ceus qui diftilent des g o m mes: car ceus qui ont efté curieus d'en faire l'effay, ont remarqué, qu'eftant niellées dans la Teinture , elles relevent les couleurs les plus fombres & les moins claires, par un certain éclat, & un fort beau luftre, qu'elles leur donnent.

CHAPITRE HUITIEME. Des Arbres qui font utiles à la médecine Et ;de quelque autres dont les Habit ans des Antilles peuvent tirer dé grands avantages.

D

ieu ayant ordonné à tous les Peuples les bornes de leur habitation, n'a l'aiffé aucune contrée dépourveué de moyens neceffaires, pour y faire fubfifter c o m m o dément les h o m m e s , qu'il y a placez; & pour étaler devant leurs yeus, les richeffes infinies de fon adorable Providence, il adonné à la terre la vertu de produire, non feulement les vivres qui font neceffaires pour leur nourriture; mais encore divers antidotes, pour les munir contre les infirmitez, dont ils peuvent être acuéillis, & plufieurs remedes fouverains, pour les en délivrer, lorsqu'ils y font tombez. Pour ne rien dire des autres endroits du monde, les Antilles, poffedent fans contredit tous ces rares avantages, en un degré fort confiderable: Car elles ne fourniffent pas fimplement a leurs Habitans une agreable variété de fruits, de racines, d'herbages, de legumes, de gibier, de poiffons, & d'autres delices pour couvrir leurs tables; mais elles leur prefentent encore un grand nombre d'excellens remedes, pour les guerir de leurs maladies. C'eft ce que le Lecteur judicieus pourra facilement remarquer en la fuitte de cette Hiftoire Naturelle , & particuliere-


Chap.8 DES ILES ANTILLES. 95 lierement en ce Chapitre, où. nous décrirons les Arbres qui font d'un grand ufage en la Médecine. A R T I C L E

I.

Du Cafier ou Canificier.

C

Et Arbre croift de la groffeur, & prefque de la m ê m e figure qu'un Pefcher,fesfeuilles font longuettes & étroit tes: Elles tombent une fois l'an pendant les féchereffes, & quand la faifon des pluyes retourne, il en pouffe de nouvelles.

Elles font precédées de plufieurs beaus bouquets de fleurs jaunes, auquelles fuccedent de longs tuyaus, ou de longues filiques, qui viennent de la groffeur d'un poulce, ou environ, & font quelquefois d'un pied & d e m y , ou de deus pieds de long.


96 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 8 long. Elles contiennent au dedans, c o m m e en autant de petites cellules, cette drogue Medecinaleficonnue des Apoticaires, que l'on appelle Caffe. N o s François n o m m e n t l'Arb r e Cafier, o u Canificier , & les C a r a ï b e s M a l i Mali. Tandis que le fruit groffit & s'allonge, il eft toujours vert , mais quand il a pris fà confiftance ,ildevient en meuriffant, brun, o u violet, & demeure ainfifufpenduàfesbranches. Quand ce fruiteftmeur & fec, & que les Arbres qui le portent font agitez de grands vens, on entend de fort loin le bruit, qui eft excité par la collifion de ces dures & longues filiques, les unes contre les autres. Cela donne l'éfpouvante aus Oifeaus, qui n'en ofent approcher ; & pour les h o m m e s qui ne favent pas la caufe de ce fon confus, s'ils ne voyent les Arbres m ê m e s émeus , & choquans leurs branches & leurs fruits, ils s'imaginent qu'ils ne font pas loin du bord de la m e r , de laquelle ils croyent entendre l'agitation : ou bien ils fe perfuadent, que c'eft le Chamaillis de plufieurs foldats, qui font aus mains. C'eft la remarque de tous ceus qui ont vifité le fein , o u c o m m e o n le n o m m e ordinairément le - Cul-de-fac, de l'Ile de Saint Domingue, où l'on voit des plaines entières, & de fort longue étendue, qui ne font couvertes d'aucuns autres Arbres. C'eft auffi de-là,felontoute apparence, qu'on a apporté la femence de ceus qui croiffent aus Antilles. A u refte ces bâtons de Caffe , qui viennent de l'Amérique, font plus pleins & plus pefants, que ceus qu'on apporte du Levant, & la drogue qui eft dedans, a tous les m ê m e s effets. Lesfleursdu Caffier étant confites en fucre , purgent benignement, non feulement le ventre, mais auffi la veffie. Les bâtons du Caffier lors qu'ils font confits verts , ont auffi la m ê m e propriété. Mais la poulpe étant extraite du fruit m e u r , fait une operation plus prompte, & beaucoup plus louable. Plufieurs des Habitans du Païs fe trouvent bien d'en ufer chaque mois, un peu avant le repas : & ils ont remarqué, quecedous Médicament leur conferve merveilleufement leur bonne conftitution. ARTI


Chap.8

DES

ILES

ANTILL E

A R T I C L E

97

II.

Des Nois de Médecine.

fontfic o m m u n e s en toutes ces Iles,croiffent fur un petit Arbre, d'ont on fait le plus fouvent les feparations des Jardins & des habitations. Si l'on n'empefche fa jufte croiffance, il monte à la hauteur d'un figuier ordinaire, duquel il aauffilafigure,fonbois eft fort tendre & moëlleus, il produit plufieurs branches qui rampent confufément à l'entour du tronc. Elles font chargées de feuilles affez longues, vertes & mollaffes, qui font rondes par le bas, & fe terminent en trois pointes.

L

Es Nois de Medecine qui

L e bois & les feuilles de cet Arbre, diftilent un fuc laiteus, qui tache le linge : M ê m e il n'y à pas de plaifir de s'en approcher en tems de pluie , parce que les gouttes d'eau qui tombent de deffus fes feuilles, ont un tout pareil effet que le fuc. Il porte plufieursfleursjaunes compofées de cinq feuilles, N qui


Chap, qui ont la figure d'une étoile, quand elles font épanouyes. Les fleurs venant à tomber, quelques unes font fuivies de petites nois, qui font vertes au commencement, puis elles deviennent jaunes, & enfin noires, & un peu ouvertes lors qu'elles font meures; Chaque Nois, referre trois ou quatre noyaus en autant de diftinctes cellules, qui ont l'écorce noirâtre de la grofféur & de la figure d'une Féve. L'écorce étant levée, on trouve dans chacun , un pignon blanc, d'une fubftance huileufe, quieftenveloppé & my-party d'une deliée pellicule, Ces pignons ont un goût allez agréable, qui eft approchant de celuy des Noifettes : Mais, s'y l'on n'obferve quelque regle en les mangeant, ils excitent un étrange devoyément par haut & par bas, particulièrement, s'y on avalle la petite peau qui les enveloppe, & celle qui les fepare par la moytie. Pour temperer leur force, & pour en ufer avec un heureus fuccés , on les purge de ces peaus, & on les fait paffer légèrement fur les charbons, puis étant battus, on en prent quatre ou cinq, qu'on méfie dans un peu de vin , pour leur fervir de véhicule & de correctif. Les rameaus de cet Arbre étant couppés & mis en terre, prenent facilement racine. Les Portugais tirent de l'huile des pignons, qui eft eftimée en la ménagerie, & qui peut auffi avoir fon lieu en la Medecine.

98

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

A R T I C L E

III.

Du Bois de Canelle.

L

'Arbre, qui porte cette efpece de Canelle, qui eftficomm u n e en toutes les Iles, peut tenir place entre ceus qui fervent à la Médecine , puifque fon écorce aromatique eft recherchée de tous ceus qui font travaillez d'affections froides, & employée pour décharger l'eftomac, des humeurs gluantes & pituiteufes quil'oppreffént.La bonne odeur,, & la verdure perpetuelle de ce bel Arbre , ont perfuadé à quelques uns que c'étoit une forte de Laurier ; Mais il croift beaucoup plus haut, fontronceftauffiplus gros, fes branches font pluséten-


Chap. 8 DES ILES ANTILLES. 99 étendues, & fes feuilles, qui ne font pas du toutfilongues, font de beaucoup plus douces, & d'un Vert plus gay. Son écorce, qui eft cachée fous une peau cendrée eft plus épaiffe, & d'une couleur plus blanche, que la Canelle qui vient du levant ; Elle eft auffi d'un goût plus acre & plus mordicant, Mais étant féchée à l'ombre, elle donne une faveur tres agreable aus viandes. Outre tous ces Arbres precicus que nous venons de décrire, les Iles de T a b a g o , de la Barbade, & de Sainte Croix, font eftimées entre toutes les autres, pour avoir plufieurs bois quel'ufagea rendus recommendables en la Médecine. Car on y trouve du Sandale, du Gayac, & m ê m e du Safafras, qui font affez connus , fans qu'il foit befoin d'en faire des deferiptions particulieres. A R T I C L E

IV

Du Cottonnier.

I

L y a encore plufieurs autres Arbres, alfez c o m m u n e par toutes les Antilles, dont les Habitans peuvent tirer de grandes commoditez. Le Cottonnier, que les Sauvages appellent Manoulou-Akecha, doit tenir le premier rang, c o m m e étant le plus utile. Il croift de la hauteur d'un Pefcher : Il a l'écorce brune , les feuilles petites, divifées en trois. Il porte une fleur de la grandeur d'une Rofe , qui eft foutenuë par le bas, fus trois petites feuilles vertes, & piquantes, qui l'enferrent. Cette fleur eft compofée de cinq feuilles, qui font d'un jaune doré , elles ont en leur fonds de petites lignes de couleur de pourpre, & un bouton jaune, qui eft entouré de petis filamens de m ê m e couleur. Les fleurs font fuivies d'un fruit, defigureovale, qui eft de la groffeur d'une petite nois avec fa coque. Quand il eft parvenu à fa maturité, il eft tout noir par dehors, & il s'entrouve en trois endroits, qui font voir la blancheur du Cotton, qu'il referre fous cette rude couverture. O n trouve dans chaque fruit, fét petites fèves, qui font la femence de l'Arbre. N

2

Il


Chap. 8 Il y a une autre efpéce de Cottonnier, qui rampe fur la terre, c o m m e la vigne deftituée d'appuis : c eft celle-cy , qui produit le Cotton le plusfin& le plus eftimé. O n fait de l'un & de l'autre des toiles, & plufieurs petites étoffes , qui font d'un grand ufage en la ménagerie. 100

HISTOIRE

NATURELLE,

A R T I C L E

V.

Du Savonnier.

I

L y a deus fortes d'Arbres, dont les Infulaires fe fervent au lieu de Savon, l'un a cette qualité en fon fruit, qui croift par grappes, rond, jaunâtre, & de la groffeur d'une petite prune, qui a auffi un noyau noir & dur, qui fe peut polir. O n le n o m m e c o m m u n é m e n t Pomme de Savon. L'autre , acette vertu en fa racine, qui eft blanche & mollaffe. L'un & l'autre rend l'eau blanche & écumeufe,. c o m m e feroit le Savon m ê m e ; Maisfion ufoit du premier trop fouvent, il brûleroitlelinge. L'on appelle ces Arbres Savonniers, à caufé de la propriété qu'ils ont deblanchir. A R T I C L E

V I

Du Paretuvier...

C

'Eft Arbre, ne fe plait qu'aus marécages, & aus bords delà mer. Il a la feuille verte, épaiffe, & allez longue. Ses branches qui fe recourbent contre terre, ne l'ont pasfitoft touchée, qu'elles prennentdes racines, & pouffent un autre Arbre, qui entrelaffe ordinairement fa tige & fes branches fi près à prés, & à tant de réplis, avec tout ce qu'il peut joindre , que ces Arbres gagnent & occupent en peu de tems, tout ce qu'il trouvent de bonne terre , qui eft parce m o y e n renduefidifficile à défricher, que l'on n'en peut attendre aucun profit. C'eft fous ces Arbres, que les Sangliers, & autres befies Sauvages tiennent leur fort.Ilsfervent auffi en quelques lieus


Chap,

8

DES

ILES

ANTILLES.

101

lieus de rempart aus Habitans des Iles, qui font affurez que perfonne ne les furprendra de ce cofté là. Ils font encore tresutiles, en ce que n'y ayant point de Chefne encesIlesleurécorceeft propre à tanner les cuirs. A R T I C L E

VII.

Du Calebafier.

I

L ne faut pas oublier le Calebafier, qui fournit la plus gran­ de partie des petits meubles du ménage des Indiens, & des Habitans étrangers, qui font leur demeure en ces Iles. C'eft un Arbre , qui croift- de la hauteur, de la groffeur, & de la forme d'un gros Pommier. Ses branches font ordinairement fort touffuës. Ses feuilles qui font longuettes, étroites, & rondes par le bout, font attachées par bouquets ans branN 3

ches,


102 HISTOIRE

NATURELLES

Chap.8

ches, & en quelques endroits du tronc. Il porte desfleurs& des fruits prefque tous les mois de l'année. Les fleurs font d'un gris meflé de vert, & chargé de petites taches noires, & quelquefois violettes. Elles font fuivies de certaines p o m mes, dont à peine en peut-on trouver deus, qui foient de pareille groffeur, & de m ê m e figure. Et c o m m e un potier, fait paroitre l'adreffe de fa main, en faifant fur une m ê m e roue, & d'une m ê m e maffe de terre , des vaiffeaus d'une form e & d'une capacité différente: Ainfi la nature montre icy fon induftrie merveilieufe, en tirant d'un feul Arbre , des fruits divers en leur forme, & en leur groffeur, encore qu'ils foient tous attachez à une m ê m e branche, & produits d'une m ê m e fubftance. Ces fruitsont cecy de c o m m u n , qu'ils ont tous une écorce dure, ligneufe , d'une épaiffeur & d'une folidité requife pour s'en pouvoir fervir au lieu de bouteilles, de baffins, de coupa


Chap.8 DES ÎLES ANTILLES. 103 pes, de plats, décuelles, & de tous les autres petis vaiffeaus, qui font neceflaires au ménage. Ils font remplis d'une certaine poulpe , laquelle étant bien bien meure, devient violette, de blanche qu'elle étoit auparavant. O n trouve parmy cette fubftance , certains petis grains plats, Se durs qui font la femence de l'Arbre. Les Chaffeurs des Iles , fe fervent de ce fruit pour étancher leur foif au befoin, Se ils difent qu'il a le goût de vin cuit: mais qu'il referre un peu trop le ventre. Les Indiens poliffentl'écorce,& remaillentfiagreablement avec du Roucou , de l'Indigo , & plufieurs autres belles couleurs, que les plus delicats peuvent manger Se boire fans dégoût , dans les vaiffelles qu'ils en forment Il y a auffi des Curieus, qui ne les eftiment pas indignes, de tenir place entre les raretez de leurs cabinets. A R T I C L E Du

VIII.

Mahot.

L y a deus fortes d'Arbres qu'on appelle Mahot, affavoir le Mahotfranc, Se le Mahot d'herbe. Le premier eft le plus recherché, parce qu'il eft plus fort. Il ne devient pas fort grand, mais il produit plufieurs branches, qui rampentcontreterre. L'écorce en eft fort épaiffe, Se fort aifée à lever de deffus l'Arbre. O n en fait de longues éguillettes, qui font plus fortes que les cordes de Teil, d'ont on fe fert en plufieurs endroits. O n l'emplo'ye ordinairement à monter les rouleaus du T a bac , Se à attacher plufieurs chofes, qui font neceflaires au m é nage. Pour ce qui eft du Mahot d'herbe, on s'en fert au défaut du premier ; mais il pourrit facilement, Se n'égale en rien l'autre pour la force. Enfin il y a dans ces Iles plufieurs autres Arbres, qui ne fe voyent point en l'Europe, dont les uns recréent feulement la veue, tels que font, celuy qu'on appelle Mappou, Se plufieurs fortes de Bois Epineus ; Et les autres contentent l'odorat par leur bonne fenteur: ou m ê m e ont des qualitez venimeufes, c o m m e l'arbre laiteus. Céluy dont la racine étant broyée,& jettée. dans les rivieres, enyure les Poiffons : le

I

Mance-


Chap. 9 décrirons enfonlieu,& une infinité d'autres, qui ont tous le bois blanc, mol & de nul ufage, & qui n'ont encore point de n o m parmy nos François. 104 HISTOIRE Mancenilier, lequel nous

C H A P I T R E

N A T U R E L L E .

N E U V I E M E .

Des Arbriffeaus du Paîs ; qui portent des fruits, ou qui pouf fent des racines, qui font propres à la nourriture des Habit ans, ou qui fervent à d'autres ufages. m îeu ayant fait de la terre un feul Element , la feparée en diverfes Contrées, a chacune defquelles il a donné quelque avantage & quelque commodité, qui ne fe trouve point ans autres, afin que dans cette agréable variété, fa Providence le puiffe tant plus diftinctément reconnoitre, & admirer. Mais, il faut avouer, qu'en la diftribution que cette Divine Sageffe a fait de fes biens,lesAntilles ont efté fort richement partagées : Car pour nous arrêter fixement à la matiere que nous traittons, non feulement le grands Arbres, que nous avons décrits aus Chapitres precedens, contribuent au logement, à la nourriture, au vêtement, à la confervation de la fanté, & à plufieurs autres dous accommodémens des h o m mes qui y habitent, mais il y croift encore plufieurs Arbriffeaus, qui pouffent des racines, ou qui portent des fruits qui fervent aus m ê m e s ufages, c o m m e il fe pourra remarquer par lalecturede ce Chapitre.

D

A R T I C L E Du

L

I.

Manyoc,

Es Habitans des Iles, fe fervent au lieu de blé de la racine d'un Arbriffeau , qui fe n o m m e Manyoc, & que les Toupinambous appellent Manyot, & d'autres Mandioque, de laquelle on fait un pain affez délicat, que l'on appelle Caffave. Cette racineeftfiféconde, qu'un arpent de terre qui en fera plante,


Chap.9 DES ÎLES ANTILLES. 105, planté, nourrira plus de perfonnes, que n'en pourroientfaire fix, qui feroient enfemencez du meilleur froment. Elle jette un bois tortu, de la hauteur de cinq à fix pieds, quiefttresfaciie à rompre & remply de petis nœuds. Sa feuille eft étroi-

te & longuette. A u bout de neuf mois, la racine eft en fa maturité. O n dit m ê m e qu'au Brefil, ilneluyfaut que trois ou quatre mois, pour croiftregroffeou c o m m e la cuiffe.Si laterre n'eft point trop humide, la racine s'y peut conferver trois ans, fans fe corrompre; fi bien qu'il ne faut point de grenier pour la ferrer, car on la tire de la terre, à mefure qu'on en a befoin. Pour faire venir cette racine, il faut prendre de ce bois, & le couper par bâtons, de la longueur d'un pie ou environ. Puis faire des folles dans le jardin avec une houe, & fourrer trois de ces bâtons en triangle dans h terre que l'on à tirée de cesfoffes,& dont on a fait un petit monceau relevé. O n O appelle


106 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap.9 appelle cela planter a la foffe. Mais il y a une autre forte de planter le Manioc, que l'on n o m m e planter au Piquet, qui eft plus pronte & plus ayfée, mais qui ne produit pas de Manioc fi beau, nifieftimé. Cela ne confifte, qu'à faire u n trou en terre avec un piquet & à y planter tout droit le bois de M a nioc. Mais il faut prendre garde en le plantant, de n e pas mettre les nœuds en bas, parce que les bâtons ne poufferoient point. Les Indiens n'y font point d'autre faffon : mais pour l'avoir en faifon , ils obfervent le decours de la L u n e , & que la terre foit un peu humectée. Il y a plufieurs fortes de ces Arbriffeaus, qui ne font differens, qu'en la couleur de l'écorce de leur bois, & deleurracine. Ceus qui ont l'écorce, grife , ou blanche, ou verte, font un pain de bon goût, & ils croiffent en peu de tems: mais les racines qu'ils produifent ne font pas defibonne garde, & elles ne foifonnent point tant, que celles du Manyoc rouge o u violet, quieftle plus c o m m u n , le plus eftimé , & le plus profitable en la ménagerie. L e fuc de cette racine, eft froid c o m m e celuy la ciguë; & c'eft un poifon fi puiffant, que les pauvres Indiens des grandes Iles, étans perfécutez à feu & à fang par les Efpagnols , & voulans eviter une mort plus cruelle, fe fervoient de ce venin, pour fe faire mourir eus mêmes. O n voit encore aujourduy en l'Ile de Saint D o m i n g u e , un lieu n o m m é la Caverne des Indiens, o ù fe trouvent les offemens de plus de quatre cens perfonnes, qui s'y donnerent la mort avec Ce poifon, pour échaper des mains des Efpagnols. Mais, au bout de vintquatreheures, que ce fucfivenimeus pour toutes fortes d'anim a u s , eft tiré de fa racine, il perd fa qualité maligne & dangereufe. A R T I C L E

II.

Du Ricinus ouPalmaChrifti»

I

L y a dans les Antilles, une infinité de ces Arbriffeaus q u e l'on n o m m e Palma Chrifti, o u Ricinus. Et ils croiffent fi hauts, &figros en quelques lieus, qu'on les prendroit pour une


Chap. 9

des

Iles

Antilles.

107

une efpece différente de ceus que l'on voit en Europe. Les Négres en amaffent la graine & en expriment l'huile, de la­ quelle ils fe fervent pour frotter leurs cheveus, & fe garentir de la vermine. Les qualités que luy donnent Galien & Dioscoride, répondent bien à l'ufage qu'en tirent ces Barbares.. L a feuille de cet Arbriffeau eft auffi fouveraine, pour la guérifon de quelques ulceres, parce qu'elle eft fort attractive. A R T I C L E

III.

Des Bananiers, & Figuiers L croift en toutes ces Iles deus fortes d'Arbriffeaus, ou plu­ tôt de gros Rofeaus fpongieus au dedans, qui viennent vo­ lontiers en terre graffe, pres des ruiffeaus, ou dans les vallées,

I

qui font a l'abry des vens. O n les h o m m e ordinairement Bananiers , ou Planes & Figuiers , ou Pommiers de Paradis. O2 Ces


108

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

Chap.9

Ces deus efpeces d'Arbriffeaus ont cecy de c o m m u n entre eus, 1. Qu'ils croiffent de pareille hauteur, affavoir de douze ou de quinze pieds hors de terre : 2. Q u e leurs tiges qui font vertes, luifantes, fpongieufes & remplyes de beaucoup d'eau, fortent d'un gros oignon en forme d'une poire., qui eft m u n y de plufieurs petites racines blanches, qui le lient avec la terre: 3. Qu'ils pouffent proche leur pie des rejettons, qui produifent des fruits au bout de l'an : 4. Q u e quand on a coupe une des tiges pour avoir le fruit, la plus avancée fuccede en la, place,& ainfil'Arbriffeaufe perpétué, & fe multiplie, telle­ ment, qu'il occupe avec le temps, tout autant de bonne terre qu'il en rencontre: 5. Q u e la fubftance de l'un & de l'autre eft mollaffe, qui fe refont en eau, laquelle étant claire au poffible, a neantmoins la qualité de teindre le linge, & les étoffés blanches en couleur brune. 6. Q u e leurs fruits font au fommet de chaque tige , en forme de groffes grappes, ou de gros bouquets. 7. Et que leurs feuilles, qui font grandes d'environ une aulne & un quart,& larges de dixhuit pouces, peuvent fervir de nappes & de ferviettes,& étant féches, tenir lieu de matelas & délits, pour coucher mollement. Ces deus Arbriffeaus font encore femblables en cecy, que de quelque fens quel'oncoupe leur fruit, lors qu'il eft en m a ­ turité , la chair qui eft blanche c o m m e nége, reprefente en fon milieu la figure d'un Crucifix: cela paroit particuliere­ ment quand on le coupe par roüelles delicates. C'eft pourquoy les Efpagnols croiroient faire un crime , d'y mettre le couteau, & fe fcandalifent fort, de le voir trancher autrement qu'avec les dens. Mais le Bananier a cecy de particulier : I. Son fruit eft long de douze à tréze pouces, un peu recourbé vers l'extrémité, gros à peu prés c o m m e le bras;au lieu que celuy du Figuier eft de lamoitie plus petit, de la longueur defixpouces. 2. Le Bananier, ne produit en fon bouquet que vintcinq ou trente Bananes pour le plus, qui ne font point trop ferrées les unes aupres des autres; Mais le Figuier, a quelquefois jufques a cent oufixvintfigues;qui tont tellement unies & preffées les unes contre les autres, qu'on a de la peine à les en déta­ cher. 3. Les Bananes ont la chair ferme & folide, propre à eftre


Chap. 9 D E S ILES A N T I L L E S , 109 eftre cuite, ou fous la cendre, ou au pot avec la viande, o u confite, & féchée au four, ou au Soleil, poureftregardée plus facilement. Mais la Figue, ayant une fubftance mollace, ne peut fervir à tous ces ufages. Four avoir ces fruits, on coupe par le piéles Arbres , qui ne portent qu'une feule fois en leur vie, &onfoutien avec une fourche la groffe grappe, de peur qu'elle ne fe froiffe en tombant. Mais on n'y met pas volontiers-la ferpe, que quand o n apperçoit, qu'il y a quelques uns des fruits de chaque bouquet, qui ont la peau jaune ; Car c'eft unfignede maturité: & lors étant portez à la maifon, ceus qui étoient encore verts meurifient fucceffivement, & l'on a chaque jour du fruit nouveau. La Grappe, quieftn o m m é e Régime par nos François, eft ordinairement la charge d'un h o m m e : & quelquesfois il la faut mettre fur un levier, & la porter à deus fur les épaules, c o m m e la grappe de raifin , que les Efpions rapporterent de la terre de Canaan. Quelques uns, ont trouvé ce fruitfibeau & fi délicat, qu'ils fe font imaginez que cét celuy du Paradis terreftre, dont Dieu avoit defendu à A d a m & à Eve de m a n ger. Auffy ils le n o m m e n t Figuier D'Adam, ou Pommier de paradis. La feuille de ces Rofeaus, fe trouvant de la grandeur que nous avons dit, étoit du moins bien propre, à couvrir la nudité de nos premiers parens. Et pour ce qui regarde la figure du Crucifix, que le fruit reprefente au dedans JOBS qu'il cil coupe, cela peut fournir une ample matiere de profondes fpeculations, à ceus qui feplaifentà fpiritualifer les fecrets de la Nature. Ilyen a qui difent, que lafigured'une Croix eft auffi marquée danslafemence de l'herbe que l'on n o m m e Rué. La petite Gentiane ou Cruciata, a les feuilles difpofées en forme de Croix fur fa tige: & il faut avouer, que la nature c o m m e en fe jouant, s'eft pluë à reprefenter decetteforte diverfes figu— res, dans les plantes & dans les fleurs. Ainfi il yen a qui fe rapportent à la forme des cheveus, d'autres à celle des yeus, des oreilles, du nez, du cœur, de la langue, des mains & de quelques autres parties du corps. Et ainfi il y a encore diverles plantes fameufes, qui femblent reprefenter plufieurs auO

3

TRES


110 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 9 tres chofes, c o m m e des Aigles, des Abeilles, des ferpens, des pattes de chat, des creftes de coq , des oreilles d'Ours, des bois de cerf, des fléches, & femblables ; dont par fois m ê m e à caufe de cette reffemblance, ces plantes-là, portent le n o m . N o u s ne les fpecifions pas icy, parce que tous les Livres en font pleins. A R T I C L E Du

IV.

Bois de Coral.

IL y a encore en plufieurs Iles, un petit Arbriffeau, qui porte une graine rouge c o m m e du Coral. Ellecroiftpar bouquets à l'extrémité de fes branches, qui en reçoivent un grand luftre. Mais ces petits grains, ont une petite marque noire à l'un des bouts, qui les défigure, & leur fait perdre leur prix felon l'advis de quelques uns. Les autres difent tout au contraire, que cette bigarrure de couleurs, ne les rend que plus agréables. O n s'en fert à faire des Braffelets. A R T I C L E

V.

Du Iafmin & du Bois de Chandelle.

LEs Arbriffeaus, que nos François ont n o m m e Iafmin, & Bois de Chandelle, doivent eftre mis entre ceus, qui font confiderables en ces Iles. Car le premier porte une petite fleur blanche , qui parfume tout la circonference de fa bonne odeur;& c'eft ce qui luy a acquis le n o m qu'il porte. Et quant à l'autre, il exhalé unefiagreable &fidouce fenteur, lors qu'on brule fon bois fec , ileftauff+ififufceptible de feu, & il rend uneflammeficlaire, à caufe d'une certaine g o m m e aromatique d'ont il eft I m b u , que c'eft avec raifon qu'il eft recerché des Habitans pour l'ufage & l'entretien de leurs feus, & pour leur tenir lieu de chandelle, & de flambeau pendant la nuit. CHA-


Chap. 10 DES ILES

CHAPITRE

ANTILLES.

111

DIXIEME.

Des Plantes, Herbages , & Racines de la terre des Antilles.

A

Prcs avoir reprefenté dans les Chapitres precedens, les Arbres & les Arbriffeaus, dont la terre des A n tilles eft richément couverte : il nous faut maintenant entrer en la confideration, de plufieurs rares Plantes, Herbes, & Racines dont elle eft auffi tres-abondamment pourveuë. A R T I C L E De trois fortes de

LA

I .

Pyman.

Plante, que nos François appellent Pyman ou Poyure de l'Amérique, eft la m ê m e que les naturels du pais n o m ment Axi ou Carive. Elle croift touffue, c o m m e un petit buiffon fans e'pines. Sa tige, eft couverte d'une peau cendrée, elle porte plufieurs petis rameaus, qui font chargez d'une multitude de feuilles longuettes, dentelées, & de couleur de vert naiffant. Il y en a de trois fortes qui ne font en rien différentes, qu'en lafigurede l'écoffe, ou du fruit qu'elles por-, tent. L'une ne produit qu'un petit boutton rouge, longuet c o m m e un clou de Girofle, qui a au dedans une femence deliée, beaucoup plus chaude que les épices, qui viennent du Levant, & préfque cauftique, qui communique facilement cette qualité picquante, à tout ce à quoy on l'employé. L'autre Efpéce , a uneécoffebeaucoup plus grolfe,&plus longue, qui devient parfaitement vermeille étant meure, & fi l'on s'en fert ans faulces, elle les jaunit c o m m e feroit le Safran. La Troiziéme, a encore une écoffe plus groffe, qui eft affez épaiffe, rouge c o m m e du plus vif Coral, & qui n'eft pas également lement


112 H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap. 10 lementunie. L a graine qui n'eft point fi acre, nifiépicée que celle des autres, eft fufpenduë au milieu. C'eft l'un des plus beaus fruits, que l'on s'auroit voir, lors qu'il eft meur. O n en a apporté de la graine en France & ailleurs, qui eft venue

en perfection. Mais lefruit ne vient pas du toutfigros, qu'en l'Amérique O n fe fert de cette écoffe, & de la graine qui eft dedans, au lieu de poyure, parce que ce fruit donne un goût relevé, qui approche de celuy de cette épice. Leseffets neantmoins n'en font pas fi louables ; Car après qu'il à un peu piaqué la langue , & enflammé le palais par fon acrimonie, au lieu de fortifier , & déchauffer la poitrine, ill'affoiblit,& y caufe des froideurs ; O u plutoft ,felonle fentiment des M e d e c i n s , il ne l'échauffé que trop, & ill'affoiblitpar fa vertu cauftique, n'y caufant de froideur que par accident, entant qu'il 'diffipe l'humide radical, qui eft lefiegede la chaleur. Cet pourquoy on remarque dans les Iles, que ceus qui s'en fervent


Chap. 10 DES ILES ANTILLES. 113 vent ordinairement en leur manger, font fujets à des m a u s d'eftomac, & à contracter une couleur jaune. A R T I C L E

II.

Du Tabac.

L

A plante de Tabac,ainfiappelléà caufe de l'Ile de Tabago, o u felon l'opinion de quelques uns, elle a efté premièrement découverte par les Efpagnols, eftauffin o m m é Nycoîtane, du n o m de Monfieur Tricot Médecin, qui la mit le premier en ufage en l'Europe, & qui l'envoya de Portugal en France. O n la qualifie encore Herbe à la Reyne, parce qu'eftant apportée del'Amérique,elle fut prefentée à la Reine d'Efpag n e , c o m m e une plante rare, & de merveilleufe vertu. Les Efpagnols, luy donnent de plus le n o m d'Herbe Sainte, pour les excellens effets que l'expérience leur en a fait fentir, c o m m e témoigne Garcilaffo , au 25 Chapit. du 2 Livre de fon commentaire Royal des Yncas du Pérou. Enfin on l'appelle Petun , bien que Jean de Lery s'en mette fort en colere, foutenant que la plante qu'il a veuë au Brefil, & que les Taupinambous n o m m e n t Petun, eft tout a fait différente de noftre Tabac. Les Caraïbes, le n o m m e n t en leur langue naturelle TOuly. O n ne conneiffoit autrefois dans les Iles d'autres Plantes de Tabac, que celles que les Habitans n o m m e n t ordinairement Tabac vert, & Tabacàla langue, à caufe de la figure de fa feuille : Mais dépuis qu'on y à apporté de la terre ferme, de la femence de celles qu'on appelle Tabac de Verine, & Tabac des Amazone, on les a auffi divifées en ces quatre fortes. Les deus premieres font de plus grand rapport: Mais les deus autres font plus eftimées, à caufe de leur bonne odeur. Toutes ces fortes des plantes de Tabac, croiffent aus Iles, de la hauteur d'un h o m m e & d'avantage, lors qu'on n'empéche point leur croiffane , en coupant fe fommet de leurs tiges. Elles portent quantité de feuilles vertes longues , velues par deffous , & quel'ondiroit eftre huilées, lors qu'on les manieCelles qui croiffent au bas de la plante, font plus larges & plus P lon-


114 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap.10 longues, c o m m e tirant plus de nourriture de l'humeur de la racine. Elles pouffent au fommet de petits rameaus, qui portent une fleur en forme de petite clochette, laquelle eft d'un violet clair. Et quand cette fleur eftféche, il fe forme un petit bouton en la place, dans lequel eft conténuë la femence, qui eft de couleur brune & extrêmement deliée,. Quelquefois on trouve fous les feuilles, & fous les branches de cette Plante, des nids de ces petis oifeaus que l'on appelle Colibris, & que nous décrirons en leur lieu. A R T I C L E

III.

De l'indigo,

L

A matiere d'ont on fait cette Teinture violette qu'on appelle Indigo, fe tire d'une Plante, qui ne s'élève hors

de terre, qu'un peu plus de deus pied & demy. Elle a la feuille petite, d'un vert naiffant, qui tirefurle jaune quand

elle


C h a p . 10 DEs ILES A N T I L L E S . 115 elle eft meure. Safleureft rougeâtre. Elle vient de graine, que l'on feme par fillons en droite ligne. Son odeur eft fort désagréable, au contraire de cette efpece d'Indigo que l'on trouve en Madagafcar, qui porte de petitesfleursd'un pourpre méflé de blanc, qui s'entent bon.

A R T I C L E *

Du

IV.

Gingembre,

Ntre toutes les Epiceries du levant, qu'on à effayé de faire croiftre en l'Amérique, il ny en a aucune qui ait reuffi que le Gingembre , qui y vient en abondance , & en fa perfection. C'eft la racine d'une Plante, qui ne s'élève pas

E

beaucoup hors de terre, qui a les feuilles vertes & longuettes, comme celles des rofeaus,& des cannes de fucre. Sa Racine,

P

2

fe


116 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 10 fe répand non en profondeur, mais en largeur, & eft couchée entre deus terres, c o m m e une main, qui a plufieurs doigts étendus aus environs. D'où vient auffi qu'on l'appelle Patte, entre les habitans des Iles. Cette plante fe peut provigner de femence, ou c o m m e il fe pratique plus ordinairement, de certeines petites racines, qui croiffent c o m m e filets, autour de la vieille tige & des plus groffes racines, tout ainfi qu'aus Chervis. Elle croift facilement en toutes les Antilles & particuliement à S. Chriftofle. Auffi, depuis que le Tabac eft devenu; à fi vil prix, plusieurs Habitans de cette Ile, ont fait trafic de. Gingembre, avec un heureux fuccés. A R T I C L E

V.

Des Patates.

A Patate, que quelques uns appellent Patate,eftune racinequi eft prefque de lafiguredes Trufes des jardins,quel'on n o m m e Toupinambous ou Artichaut d'Inde , mais d'un goût beaucoup plus relevé, & d'une qualité.beaucoup meilleure pour la fanté. N o u s prendrons icy occafion de dire en paffant par forme de digreffion, que ces Toupinambous, qui font aujourduy non feulement fort c o m m u n en ces quartiers, mais fort vils & fort méprifez, & qui ne font guéres que la viande des pauvres gens, ont efté autrefois entre les plus rares délices. Caraus fuperbes feftins, qui fefirentà Paris par les Princes, à quelques Ambaffadeurs en l'an milfixcens feize, on en fervit c o m m e d'un mets precieus & exquis, Retournons à noftre

L

Patate.

Elle croit en perfection dans une terre légère, moyenement humide, & un peu labourée. Elle pouffe quantité de feuilles mollaffes,d'un vert fort brun, qui ont unefigureapprochante de Celles des Epinars. Elles fortent de plufieurs pampres qui rampent fur terre, & qui rempliffent incontinent au long & au large toute la Circonference ; Etfila terre eft bien preparée, ces pampres forment en peu de tenu diverfes racines, par le m o y e n de certainsfibresou filamens blan-


Chap.10 D E S ILES A N T I L L E S , 117 blanchâtres, qui fe pouffent de deffous les noeuds, & qui s'infinuent facilement en laterre. Elle porte unefleur,de la couleur à peu prés qu'eft la racine, & en forme de clochette, au defaut de laquelle fe forme la graine. Mais ordinairement,

pour provigner ce fruit, o n prend feulement de ces pampres qui s'éparpillent par tout c o m m e nous avons dit, & o n les couche dans une terre labourée, o ù au bout de deus o u trois mois ils ont produit leur racine : Laquelle a auffi cette vertu, qu'étant coupée par roüelles & mife en terre, elle produit fa racine & fa feuille, c o m m efielle avoit fa femence, en chacune de fes moindres parties , de m ê m e que les Naturaliftes l'atribuent à la graine de la Coriandre & à celledel'Armoife, de laquelle ils difent de plus, qu'elle renaift m ê m e de fa cendre. C e s Racines font de couleur differente, & dans un m ê m e c h a m p on en tirera quelquefois de blanches , qui font les plus c o m m u n e s , de violettes , de rouges, c o m m e les Bettes-raves, de jaunes, & de marbrées. Elles font toutes d'un goût excelP.3 lent,..


Chap. 10 lent. Car pourveu qu'elles ne foient point remplies d'eau, & qu'elles foient creües en un terroir moyennement humide & fec, qui participe de l'un & de l'autre, elles ont le goût des Chataignes, & font d'une meilleure nourriture quelaCaffaue, qui defféche le corps ; Car elles ne font pas fi arides. Auffi, plufieurs Anglois le fervent de ces racines, au lieu de pain & de Caffaue, & les font cuire pour cet effet fous la cendre, ou fur les charbons. Car étant ainfi préparées, elles font de meilleur goût, & elles perdent cette qualité venteufe, qu'ont la pluspart de racines. Mais pour l'ordinaire, on les fait cuire dans un grand pot de fer, au fond duquel on met tant foit peu d'eau : Puis on étouppe foigneufement avec un linge l'orifice du couvercle , afin qu'elles cuifent par cette chaleur étouffée. Et c'eft là le mets plus ordinaire des ferviteurs & des Efclaves du Païs, qui les mangent ainfi fortant du pot, avec une fauce compofée de P y m a n , & de fuc d'Orange, que nos François appellent Pymantade. 11 faut avouer, que fi cette racine n'étoit pas fi c o m m u n e , elle feroit beaucoup plus prifée. Les Efpagnols la mettent entre leurs delices, & ils l'aprétent avec du beurre, du fucre, de la mufcade, ou de la Canelle. Lès autres la reduifent en bouillie, & y ajoutant force graiffe, & du poyure ou du Gingembre, trouvent que c'eft un excellent manger. Mais la plupart des Habitans des Iles n'y font pas tant de façon : Quelques uns auffi cueillent la tendre extremité des pampres, & apres les avoir fait bouillir, ils les mangent en falade, en forme d'Afperge,ou d'Houblon. 118

HISTOIRE

NATURELLE,

A R T I C L E

VI.

De l'ananas.

L

'Ananas ,eft

tenu pour le fruit le plus delicieus, non feulement de ces Iles, mais de toute l'Amerique. Il eft auffi fi beau & d'une odeur fi douce, qu'on diroit que la nature ait déploié en fa faveur, tout ce quelle referroit de plus rare, & de plus precieus en fes trefors. Ilcroiftfur une tige haute d'un bon pied, qui eft revêtuë d'en-


C h a p . 10

DES

ILES

ANTILLES,

119


120 H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap. 10 d'environ quinze ou feize feuilles, qui font de la longueur de celles des Cardes, de la largeur de la paume de la main, & de la figure de celles de l'Aloes. Elles font pointues par le bout, de m ê m e que celles du Glayeul, un peu cavées par le milieu , & armées des deus côtés de petites épines, qui font fort pointues. L e fruit qui croift entre ces feuilles, & qui eft élevé fur cette tige, eft quelquefois delagroffeur d'un Melon. Sa forme eft à peu prés femblable à une p o m m e de Pin. Son écorce, qui eft relevée de petits compartimens en forme décailles,d'un vert pâle, bordé d'incarnat, couchez fur un fonds jaune, eft chargée en dehors, de plufieurs petites fleurs, quifelonles divers afpe&s du Soleil, fe revétent d'autant de différentes couleurs, qu'on en remarque en l'arc en Ciel. Cesfleurstombent en partie, à mefure que le fruit meurit. Mais ce qui luy donne plus de luftre, & ce qui luy a acquis le titre de R o y entre les fruits, c'eft qu'il eft couronné d'un gros bouquet, tiffu defleurs& de plufieurs feuilles, folides& dentelées, qui font d'un rouge vif& luifant, & qui luy donnent une merveilleufe grâce. La chair, ou la poulpe qui eft contenue fousl'écorce,eft un peu fibreufe; mais elle fe refout toute enfucdans la bouche. Elle a un goût fi relevé, & qui luy eft fi particulier, que ceus quil'ontvoulu parfaitement décrire, ne pouvans le faire fous une feule comparaifon, ont emprunté tout ce qui fe trouve de plus délicat, en l'Auberge, en la fraife, au Mufcat,&en la Rénette, & après avoir dit tout cela, ils ont efté contrains de confeffer, qu'elle a encore un certain goût particulier, qui ne fe peut pas aifément exprimer. La vertu, ou le germe, par lequel ce fruit fe peut perpetuer, ne confifte pas en fa racine, ou en une petite graine rouffe, qui fe rencontre fouvent en fa poulpe : Mais en cette guirlande dont il eft couvert. Carfi-tôtqu'elle eft mife en terre, elle prend racine, elle pouffe des feuilles, & aubout de l'an elle produit un fruit nouveau. O n voit fouvent de ces fruits, qui font chargez de trois de ces bouquets, qui ont tous la vertu de conferver leur efpece. Mais chaque tige, ne porte du fruit qu'une feule fois. 11


Chap.10 des Iles A n t i l l e s . 121 Il y en a de trois ou quatre fortes, que les habitans des îles ont diftingués o u par la couleur, ou par lafigure, ou par la faveur, affavoir l'ananas blanc, le Pointu, & celuy qu'ils appellent la Rénete. C e dernier eft plus eftimé que les deus autres, à caufe que quand il eft bien m e u r , il poffede pour le goût toutes ces rares qualitez que nous •avons dites ; IL a auffi une odeur plus agreable que les autres , & il agace moins les dens. Les Indiens naturels du Païs, & nos François qui demeurent aus Iles, compofent de ce fruit un très-excellent bruvage, qui approche fort de la Malvoifie, quand il eft gardé quelque tems. O n en faitauffiune confiture liquide , laquelle eft l'une des plus belles, & des plus délicates, de toutes celles que l'on apporte des Indes. O n coupe aufll l'écorce en deus, & on la confit à fec avec une partie des feuilles les plus déliées, puis après on là rejoint proprement felon l'art, & on l'encroûte d'une glace fucrée, qui conferve parfaitement lafigured u fruit & de fes feuilles, & qui fait voir en ces heureufes contrées , nonobftant les chaleurs de la zone torride , une douce image des triftes productions de l'hyver. O n a m a n g é affés long tems de ce fruit, fans remarquer les rares ufages qu'il a dans la Médecine ; Mais à prefent, l'experience a fait connoiftre, que fon fuc a une vertu admirable pour recréer les efprits, & relever le coeur abbatu; on l'employeauffiheureufement, pour fortifierl'eftomac, chaffer les dégoûts, & rétablir l'appetit. Il foulage auffi merveilleufementeeus, qui font affligez de la gravelle, ou de fuppreffion d'Urine, & m ê m e il détruit la force du poifon. A u défaut de ce fruit, fa racine produit les m ê m e s effets. L'eau que l'on en tire par l'Alanbic , fait une opération plus promte & plus puiffante; mais à caufe qu'elle eft trop corrolive, & qu'elle offenfe la bouche, le palais & les vaiffeaus uretaires, il en faut ufer en bien petite quantité, & par l'avis d'un (avant Médecin, qui s'aura donner un correctif, à cette acrimonie.

Q

ARTI-


122

HISTOIRE

N A T U R E L L E , Chap, 10

A R T I C L E

VII.

Des Cannes de Sucre.

L

E Rofeau, qui par fon Suc delicieus fournît la matière dont on compofe le Sucre, porte les feuilles femblables aus autres rofeaus, que l'on voit aus marais & au bord des étangs ; mais elles font un peu plus longues, & un peu plus trenchantes. Car fi on ne les empoigne avec adreffe, elles coupent les mains c o m m e un rafoir. O n le n o m m e Canne de Sucre, & il croift de la hauteur de cinq à fix pieds, & de la groffeur de deus pouces en circonference. Il eft divifé par plusieurs n œ u d s , qui font ordinairement éloignez de quatre ou cinq pouces les uns des autres. Et d'autant plus que cette diftance eft grande , d'autant plus auffi les Cannes font eftimées eftre plus propres, à faire le Sucre. L a tige, pouffe c o m m e un buiffon de longues feuilles vertes & touffues, du milieu defquelles s'éleve la canne , qui eft aufli chargée en fon fommet de plufieurs feuilles pointues, & d'un panache dans lequel fe forme la femence. Elle eft entièrement remplie d'une moelle blanche & fucculante, de laquelle on exprime cette douce liqueur, dont fe forme le Sucre. Elle vient en perfection dans une terre graffe , legere, & moyennement humide. O n la plante en des filions, qu'on fait en égale diftance avec la hoüe, ou avec la charrue, & qui font profons d'un demy pied. O n y couche des Cannes qui font meures, on les couvre de terre, & peu de rems apres, chaque n œ u d forme une racine, & pouffe fa feuille & la tige, qui produit une nouvelle Canne. Si toft qu'elle fort de terre , il faut eftre fort foigneuz de farcler tout aus environs, afin que les méchantes herbes ne la fuffoquent : Mais dez qu'une fois elle a couvert la terre, elle fe conferve d'elle m ê m e c o m m e un bois taillis, & elle peut durer plufieurs années, fans eftre renouvellée, pourveu que le fonds foit bon, & que le ver ne la corrompe, car en ce cas, le meilleur eft d'arracher au plûtoft toute la.plante, & de la faire toute nouvelle. Encore


Chap.

II

d e s

Iles

A n t i l l e s .

123

Encore que les Cannes foient meures au bout de neuf ou dix m o i s , elles fe confervent bonnes fur le pied deus ans , ce quelquefois trois ans entiers, apres quoy , elles déperiffent. Mais le plus leur & le meilleureft,de les couper tous les ans, prez de terre, & au defaut du dernier n œ u d . Lors que ces Cannes font en leur maturité', & que l'on marche fur les chams, on trouve ce dous raffraichiffement, & o n en fuce avec plaifir le jus, quieftexcellent, ayant le même goût que le fucre. Maisfil'on en prend trop, on le met en danger d'un cours de ventre, & c'eft de quoy il faut avertir les nouveau s venuz, car ceus qui font naturalifez dans le païs, n'y font pas fi fujets. Il y a encore en quelques unes de ces îles , de ces belles & precieufes Cannes, qu'on porte à la main par ornement, & qui font naturellement, marbrées & émaillées de diverfes figures. L e bord des Etangs, & tous les endroits marécageus, fontauffipourveus de gros Rofeaus fort hauts & fort droits, dont les Habitans font ordinairement les parois& les feparations de leurs maifons , & les lattes de leurs cou vers. Les Indiens fe ferventauffidu fommet de ces rofeaus, pour faire la plupart de leurs fléches.

CHAPITRE UNZIEME. De quelques autres rares productions de la terre des Antilles & de plufieurs fortes de Legumes & de Fleurs qui y croiffent.

NOus avons déjà reprefenté au Chapitre précèdent, plufieurs Plantes, Herbages & Racines qui croiffent aus Antilles, & qui font confiderables en leurs feuilles, en leurs fruits, & en leurs merveilleufes proprietez. Mais, d'autant que cette matiere eft extrêmement feconde &. agreable, nous f o m m e s perfuadez, que le lecteur curieus aura pour agreable, de voir encore fous un titre particulier, u n grand n o m b r e de rares Productions de cette terre, qui font pour la plupart inconnues en l'Europe, Q2. ARTI-


124

H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap.11 A R T I C L E

I.

Des Raquettes,

C

E que nos François appellent Raquettes, à caufe de la figure de fes feuilles ; Eft un gros buiffon épineus, qui rampe fur la terre, ne pouvant s'élever guére haut, parce que fa tige, qui n'eft autre chofe qu'une feuille qui s'eft groffie par fucceffion de tems, ne monte qu'environ demy pied hors de terre. Et quoy qu'elle foit allez groffe elle ne paroit point, & on ne la peut appercevoir qu'en foulevant les feuilles vertes, lourdes groffieres & épaiffesd'un pouce , qui l'entourent, & qui font attachées les unes aus autres. Elles font armées d'aiguillons extrêmement perçans & deliez ; Et fur quelques unes de ces feuilles longues & heriffées, il croift un fruit de la groffeur d'une Prune Datte, qui a auffi fur fa peau plufieurs menues& deliées épines, qui percent vivement les doits de ceus qui le veulent cueillir. Quand il eft meur il eft rouge de dans & dehors comme le vermilon. Les Chaffeurs des Iles le trouvent fort delicat &c fort rafraichiffant. Mais il a cette proprieté, qu'il teint l'urine en couleur de fang,auffitoft après qu'on en a mangé, de forte que ceus qui ne lavent pas ce fecret, craignent de s'eftre rompu une veine. Et il s'en eft trouvé qui aians apperçeu ce changement, dont ils ignoroientlacaufe , fe font mis au lit, & ont crëu effre dangereufement malades. O n dit, qu'il y a au Perou une efpece de Prunes , qui produit le m ê m e effet. Et quelques uns affurent l'avoir auffi remarqué, après avoir mangé de la gelée, de grofeilies rouges. Ceus qui ont décri le Tunal, qui eft fi prifé à caufe de la precieufe teinture décarlatte qu'il nourrit fur fes feuilles, le fonttoutpareil à la plante, d'ont nous venons de parler, horsmis, qu'ils ne luy donnent point de fruit. Quelques autres, l'ont mife au rang des Chardons qui portent des figues, à caufe que le fruit en a la figure, & que quand il eft ouvert au lieu de noyau, il n'a que des petits grains, tout pareils à.ceus de la figue. Il


C h a p , II

DES

ILES

ANTILLES.

125

Il y en a encore d'une autre efpece, dont le fruited blanc, & ge, dont nous venons de parler. Et m ê m e il s'en trouve une autre, qui eft fans doute une efpece de Tunal, fur laquelle o n a vendes vermiffeaus, femblables en couleur à un rubis : qui teignent en tres-belle & tres-vive écarlate le linge, o u le drap fur lequel o n les écrafe. A R T I C L E

I I .

Du Cierge.

L

E Cierge, qui eft ainfi n o m m é par nos François , à caufe de fa forme, eftappellépar les Caraïbes Akoulerou. C'eft auffi une efpece de gros Chardon, qui croift c o m m e un gros buiffon touffu, & heriffé de toutes parts dépines extrêmem e n t pointues & deliées. Il pouffe en fon milieu neuf o u dix tiges fans branches ni feuilles, qui font hautes de neuf à dix pieds, droites & canelée c o m m e de gros Cierges. Elles fontauffimunies de poignantes épines, c o m m e d'aiguilles fines, & perçantes au poffible, qui ne permettent pas, qu'on le puiffe toucher de quelque cofté que ce foit. L'écorce & le dedans font affes molaffes & fpongieus. C h a q u e Cierge porte en une faifon de l'année, entre les rayes canelées de fa tige, des fleurs jaunes ou violettes, aufquelles fuccede un fruit en forme de groffe figue , qui eft bon à manger , & affes délicat. Les oifeaus en font fort frians, mais ils ne les peuvent béqueter qu'en volant, parce que les aiguillons qui le confervent de toutes parts, ne leur fouffrent pas de s'arrefter fur ce buiffon, ni fur fes tiges. Mais les Indiens en détachent le fruit, avec de petites perches fendues par le bout, A R T I C L E De plufieurs

III.

fortes de Lienes.

L y a plufieurs efpéces de bois rampans par terre, & qui s'attachent aus Arbres, & empefchent fouvent de courir facilementpar les forets. Les Habitans desIlesles n o m m e n t

I

Q 3

Lienes,


126

H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap. II Les unes font en forme de gros Cable de Navire. Les autres portent desfleursde diverfes couleurs. Et m ê m e il s'en voit qui font chargées de groffesfiliquestannées, longues d'un bon pied, larges de quatre ou cinq.pouces & dures comm e l'écorce du chefne,dansiefquelles font contenus ces fruits curieus qu'on appelle Châtaignes de mer, qui ont la figure d'un coeur, & dont on fe fert fouvent après qu'on les avuidez de leur poulpe, pour conferver du Tabac pulverifé, ou quelque autre poudre de bonne fenteur. C e que les Habitans des 1 les appellent Pommes de Lienes ,eftun fruit qui croift fur une forte de V i m e , qui s'attache aus gros Arbres, c o m m e le Lierre. Il eft de la groffeur d'une bale de jeu de paume, & couvert d'une coque dure , & d'une peau verte, qui contient au dedans une fubftance, laquelle eftant meure a lafigure,& le goût de Grofeilles. Lieues.

A R T I C L E

IV.

Des Herbes toujours vives.

O

N trouve dans ces Antilles plufieurs efpéces d'Herbes toujours vives, dont les unes croiffent fur le tronc des viens Arbres, c o m m e le Guy fur le Chefne : les autres croiffent en terre & fur des Rochers. Elles ont tant d'humidité naturelle, que bien qu'elles foient arrachées , & fufpenduës la racine en haut, au milieu des chambres, où on les conferve par ornement, & pour recréer la veuë , elles ne quittent point leur verdure. A R T I C L E

V.

Des Plantes fenfibles.

I

L y a à Tabago une efpece d'Herbe toujours vive, qui d'abondant eft fenfible. Elle croift haut d'un pied & demy, ou environ : la tige eft entourée d'une grande multitude de feuilles longues d'un bon pied, larges de trois doits, dentelées à peu prés c o m m e celle de la Fougere, aus extremités de couleur verte entremélée de petites taches brune & rouges


Chap.II DES ÎLES ANTILLES, 127 ges. E n la faifon des fruits, il croift du milieu de cette plante une fleur ronde, compofée de plusieurs feuilles, qui font rangées en m ê m e ordre que celles du Soucy. Mais elles font d'un violet clair, & ont affes bonne odeur eftant maniées.

L a nature de cette Planteefttelle, quefiquelcun arrache d e fes feuilles , ou s'il les touche feulement, toute la Plante fe flétrit, & laiffe tomber fes autres feuilles contre terre, c o m m efion l'avoit foulée aus pieds. Et felon le n o m b r e des feuilles que l'on en a arrachées, elle demeure plus o u moins de temps à fe redreffer. Il en croift une femblable à Madagascar que les habitans appellent Haeft-vel, c'eft a dire Herbe ayant vie. Mais ce n'eft pas la m ê m e efpece, qui fe voit à Paris au jardin du R o y , car elle a la feuille beaucoup plus petite, & qui n'eft ni tachetée ni dentelée : Et qui plus eft, elle ne produit point de fleurs. Outre que fes feuilles eftant touchées, fe refferrent en dedans par quelque forte de contraction, A ulieuquecelle que nous decrivons , laiffe tomber les fiennes à terre e n dehors. On.


Chap. 11 O n voit encore une autre efpece de Plante vive & fenfible, en plufieurs autres Iles, Elle croift quelquefois de la hauteur d'un Arbriffeau. Elle, eft revetuë de beaucoup de petites branches qui font chargées en tout tems d'une infinite de feuilles longuettes & étroites, qui font émaillées en la faifon des pluyes, de certaines menuesfleursdorées, qui réfemblent à de petites étoiles. Mais ce qui fait que cette Planteefteftimée l'une des plus rares & des plus merveiileufes du monde, eft qu'auffi-tôt qu'on là veut empoigner, elle retire fes feuilles , & les recoquille fous fes petis rameaus, c o m m e s'y elles étoient flétries, puis elle les épanouit de nouveau, quand on retire la main & qu'on s'en éloigne. 11 y en à, qui nomment cette Plante l'Herbechafte;parce qu'elle ne s'auroit fouffrir qu'on la touche, fans s'en offencer. Cens qui ont paffé par l'Ifthme depuis N o m b r e de Dios jufques à Panama, racontent qu'il y a des bois entiers, d'un Arbre n o m m é Senfitif, auquelfitoft que l'on touche, les branches & le feuilles s'élevent avec grand bruit, & font enfemble lafigured'un Globe. O n voyoit a Paris, au jardin du R o y il y à quelques années , un Arbriffeau fenfitif, eftimé de grand prix. Mais quelcun s'eftant avifé de donner l'invention de le mettre au fonds d'un puits, pour le conferver contre le froid, & les rigueurs de l'hyver, il y mourut miferablement, au grand regret des Curieus. 128

HisTOIRE

N A T U R E L L E ,

A R T I C L E

VI.

De plufieurs fortes de Pois.

L

A terre y produit par tout des legumes, tels que font les pois & lesfeves,de plufieurs fortes: Les Sauvages A n tillois les appellent en general Manconti. Pour les Pois, ils font prefque tous de m ê m e efpece que ceus qui croiffent en l'Europe, excepté cens que l'on cueille fur un petit Arbriffeau, qui eft de la hauteur du Geneft & a les feuilles petites, vertes, & étroites. 11 porte des Pois dans des gouffes, oufiliques,qui font attaches à fes branches. Ils font


C h a p , II D E S I L E S A N T I L L E S . 129 font verts & plus petis que les ordinaires , d'un goût relevé, &fifaciles à cuire, qu'il ne leur faut qu'un bouillon. O n les n o m m e aus Iles. Pois d'Angole, parce que la femence, en cil venue de ce païs la, c o m m e ileftà croire. Il y en à d'une autre forte, que l'on n o m m e Pois, mais qui neantmoins ont lafigurede Fèves. Ils font ailes petis. Et de cette efpeee il y en a deblans,de noirs, de rouges, ou tannés, qui font tous excellens, & qui viennent à maturité en trois mois. O n les n o m m e à Saint Chriftofle Pois Anglois. A R T I C L E

VII.

Des Feves,& Fafeoles.

Ntre les Feves & Fafeoles, il en croift aus Antilles de plufieurs efpéces, qu'on ne voit point en France. Les plus c o m m u n e s font des blanches , à qui les premiers Habitans ont donné un n o m mal honnefte , à caufe de leur figure. Elles produifent leur fruit, quieftbon à manger,fixfemaines aprés avoir efté plantées. Les autres font diversifiées de plufieurs belles & différentes, couleurs, c o m m e celles que l'on n o m m e

E

Fèves de Rome, eu de Lombardie.

Mais les plus considérables pour leur rareté, fontcelles qu'on n o m m e Fèvesdefétans , parce qu'une m ê m e tige, portefétans entiers fans felaffer,&s'étend fur les Arbres, fur les rochers & par tout ou elle peut atteindre. Et ce quieftmerVeilleus, cell qu'en tout tems il y a du fruit en fleur, du fruit en vert, & du fruit en maturité. D e forte qu'on y peut admirer ; Le printems & l'Automne en un même rameau.

O n dit la m ê m e chofe, d'un certain Arbre d'Egipte n o m m e Figuier de Faraon, où l'on voit toujours du fruit meur, d u fruitpreftà meurir,& du fruit naiffant. Les Orangers ont un femblable avantage.

R

ARTI-


130

HISTOIRE

NATURELLE

A R T I C L E Des Plantes &

Chap. II

VIII.

herbes qui peuvent avoir leur ufage en la Médecine ou au ménage.

aus plantes, qui peuvent avoir leur ufage en la M é QUant decine. IL y en a plusieurs en cesIles,defquelles les pro-

priétés ne font pas encore bien connues, & quelques autres qui fe trouvent auffi ailleurs. Telles que font, la fcolopandre, une efpece d'Aloes , & plufieurs fortes de Capillaires. 11 y e aauffiquelques unes, dont on a déjà fait l'expérience, & qui font recognuës pour eftre douées de grandes vertus, entre lefquelles les plus prifées font, le Ionc defenteur, le Balifier, & l'Herbe aus fléches.

Le jonc de fenteur, eft tout femblable aus autres joncs qui croiffent aupres des étangs & des rivieres;mais il pouffe une racine ronde de la groffeur d'une noifette, qui rend une odeur fort douce c o m m e celle de l'iris, & qui étant féchée à l'ombre, & réduite en poudre, a une merveilleufe vertu pour aider les femmes qui font en travail d'enfant,fion leur en donne une petite prife. L e Balifier, croift de differente groffeur & hauteur felon les terroirs où il fe trouve, il fe plait particulierement dans des lieus humides. Ses feuilles fontfigrandes &filarges, que les Caraïbes en couvrent au befoin, leurs petites cabanes. Elles font auffi employées pour adoucir les inflammations des playes, & pour faire des bains à ceus qui ont des nerfs foulés, ou quelque autre debilité. Sa fleur, qui croift c o m m e une pannache, qui eft compofée de plufieurs petites coupes jaunes ou rouges, eft fuivie de boutons, qui font remplis d'un grand nombre de grains gros c o m m e des pois, qui fontfipolis&fi durs qu'on en peut faire des Chapelets. L'Herbe aus fléches, eft une efpece d'herbe trifte, car pendant le jour fesfleursfont toujours fermées, & durant la nuit elles font epanoüyes. Ses feuilles qui font d'un beau vert, font longues defixou fét pouces, & larges de trois. Sa racine étant pilée.


Chap.II

DES

ÎLES

ANTILLE

131

pilée , a la vertu déteindre tout le venin desflèchesenpoifonnées., étant appliquéefurla playe, le plus promtément qu'il eft poffible. L a plupart des Herbes potageres que nous avons en France, croiffent auffi en ces Iles. Il eft vray qu'il y en a quelques unes, c o m m e font les C h o u s & les Oignons, qui ne portent point de graine. O n n'en m a n q u e pas toutefois pour cela; Car quant aus C h o u s , lors qu'ils font en maturité, ils produifent plufieurs rejettons, que l'on transplante,& qui en pouffent d'autres, qui deviennent aufli gros & auffi beaus, que s'ils venoient de graine. Etpour ce qui eft des Oignons, les Navires y en apportent quantité, qui produifent beaucoup de vert, dont o n le fert ordinairement dans le potage, & dans les pois. Il y a aufli beaucoup de Melons c o m m u n s , dont la graine aeftéportée de ces quartiers; Mais a caufe de la chaleur du pais, ils meuriffent là plus facilement, ont la chair plus ferme, & de meilleur goût, & font d'une plus fovëue odeur. Et ce qui eft l'excellence, eft que l'on en a, en toutes les faifons de l'année, A R T I C L E

IX,

Des Melons d'eau,

I

L croift en ces païs là, une autre efpece de Melons, qui font c o m m u n s en Italie; Mais qui font fans comparaifon meilleurs en Egypte, & au levant. 11 en croift aufli en quelques endroits de France, mais il n e valent rien. O n les n o m m e Melons d'eau, parce qu'ils font remplis d'une eau fucrée, qui entrelaffe leur chair, qui eft pour l'ordinaire, vermeille, & rouge c o m m e du fang aus environs du coeur, o u font contenus les grains de leur femence, qui font auffi de m ê m e couleur, & quelquesfois noirs. Leur écorce demeure toujours verte & fans odeur, de forte que c'eft à la tige, plutoft qu'au fruit, qu'il faut difcerner leur maturité. Ils croiffent fouvent plus gros que la tefte, d'une forme ronR 2 de


132

HISTOIRE

NATURELLE,

Chap. II

de ou en Ovale. O n les mange fans fel, & bien que l'onen mange en quantité , ils ne nuifent point à l'eftomac : Mais en ces païs-là qui font chauds, ils raffrachiffent beaucoup, & provoquent l'appétit. O n y cultive encore du Mays, qu'on n o m m e autrement Blé d'Efpagne , ou de Turquie, de toutes fortes de Mil,des Concombres, d e s Citrouilles, d e s Bettes raves & d'autres Raci-

nes , qui font toutes extremement bonnes & favoureufes, A R T I C L E

X.

Des Lys des Antilles.

E

T parce qu'il y en à qui pourraient outre tout cela, demander desfleurs.Ily encroiftauffide tres-belles, & de tres-bonne odeur. Entre autres il s'y voit une efpece de Lys


Chap.ii

DES

ILES

ANTILLES.

133

d'une mervcilleufe fcnteur : Car ils ont une odeur pareille à celle du Jafmin , maisfipenetrante , qu'il n'en faut qu'une fleur, pour parfumer une chambre. L'Oignon & la feuille font femblables à celles des Lys de France, mais la fleur a fes feuilles éparpillées & divifées par petis lambeaus , c o m m efielles avoient efté découpées par plaifir, avec des cizeaus. Il y a encore d'autres Lys, qui font d u tout point pareils à nos Lys jaunes, o n orangers. Lys blancs

A R T I C L E

XI.

De Deus fortes de fleurs de la Pafion.

O

N voit aus Antilles une Plante tres-renommee pour la beauté de fes feuilles, la douce odeur de fes fleurs, & la bonté de fon fruit. Les Efpagnols l'appellent Grenadile, les Hollandois Rhang Appel, & nos Françoislafleur de la Paffion, à caufe qu'elle porte cette rare fleur, en laquelle on remarque avec admiration, une partie des inftrumens de la paffion de nôtre Seigneur, qui y font reprefentez. Il eft vray que quelques curieus qui Pont confiderée attentivement, avouent, qu'ils y ont bien reconnu quelque reffemblance de la couronne dépines, des fouets, des clous, du marteau, & de la C o l o m n e : mais ils ajoutent auffi, que la plupart de ces chofes y fontfigurées,à peu prés en la m ê m e façon, que les Vierges, les Lions, & les Ours le font par les Conftellations celefte; tellement, que pour trouver toutes ces enfeignes de la paffion dans cesfleurs-là,ils difent après Acofta au 2 7 Chapitre du Livre quatriéme de fon Hiftoire,qu'il eft befoin de quelque pieté, qui en faffe croire une parrie. 11 y en a de plufieurs fortes , qui ont toutes cecy de comm u n : que s'y elles ne rencontrent quelque arbre pour l'embraflér, & fe foutenir, elles rampent fur la terre, c o m m e fait le lierre: que leurs fleurs s'epanoviffent après le lever d u Soleil, & fe referment avant qu'il fe couche ; & qu'elles produifent un fruit délicat & raffraichiffant au poffible. M ais les feuilles, lesfleurs,& les fruits dequelques-unes,fontfidif- ferens en leur forme extérieure, qu'il ne fe faut pas s'étonner R 3 de


134 H i s t o i r e

Naturelle,

Chap.II


Chap.

II

DES

ILES

ANTILLES.

135

de ce que les Auteurs qui onr traifté de cette Plante , & qui ont crû, qu'il n'y en avoit qu'une feule efpece, ne fe font pas accordez, dans les defcriptions qu'ils nous en ont données. Les Habitans du Brefil en content jufques à fét fortes: mais aus Antilles, l'on n'en connoît que les deus, dont nous avons icy fait mettre les figures. L'une a les feuilles affez larges, qui font partagées en cinq fleurons, dont celuy du milieu cft rond par le haut, & les quatre autres fe terminent en pointe. Sa fleur étant épanoüye ,eftplus ample qu'une rofe. Elle eft enferrée prés du pied, dans trois petites feuilles vertes ; fon corps eft compofé de plufieurs autres belles feuilles, dont les unes font d'un bleu celefte, qui eft parfemé de petites pointes rouges, qui ont lafigured'une couronne, & les autres font de couleur de pourpre. Toute cette belle fleur eft entourée d'une infinité de menus filamens ondez, qui font c o m m e les rayons de ce petit Soleil entre les fleurs; ils font émaillez de blanc, de rouge, de bleu, d'incarnat, & de plufieurs autres vives couleurs, qui leur donnent une merveilleufe grâce. L'autre forte, a auffi les feuilles divifées en cinq parties c o m m e la premiere : mais fafleur,qui a la figure d'une petite coupe, bordée par le haut de petitsfiletsblancs & rouges, n'eft pointfiétendue;le dedans eft orné de feuilles blanches, qui fe terminent en pointe. Ces deus efpéces de fleur de la Paillon , pouffent de leur coeur une petite C o l o m n e ronde, qui a fur fon chapiteau un bouton chargé de trois grains, qui ont la forme de clous : cette colomneeftaccompagnée de cinqfiletsblancs , qui fupportent de petites languettes jaunes, femblables a celles qu'on voit dans la couppe des Lys ; & c'eft ce qu'on dit reprefenter les cinq playes de nôtre Seigneur. Ces fleurs, qui font d'une douce odeur, venant a tomber, le bouton qui eft fur la colomne fe groffit tellement, qu'il, s'enforme un beau fruit jaune, poly, & delagroffeur d'une p o m m e mediocre. Son écorce eft auffi épaiffe que celle d'une Grenade, & elle eft remplie d'un fuc delicieus au goût, parmy lequel, il y a un grand nombre de pepins noirs & durs au poffible. O n ordonne ce fruit, c o m m e un fouverain raffraichiffément, à cens qui ont la fièvre, & l'expérience a fait connoître, qu'il a une finguliere vertu pour réveiller l'appetit, recreer


136 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. II recréer les efprits vitaus, & reprimer les ardeurs de l'efto m a c ; Les Habitans du Brefil entretiennent foigneufement cette Plante, de laquelle ils fe fervent c o m m e d'un fingulier ornement pour couvrir les berceaus & les cabinets de leurs jardins, car fes feuilles ôc fesfleursleur fournhTent un agréable ombrage ; & ils compofent avec le fruit un fyrop cordial, qui eft fort eftimé parmy eus, à caufe qu'outre les proprietez que nous avons déjà dites, il a encore cette qualité bien remarquable, de ne laifferaucun dégoùt, à ceus qui ont accoutumé d'en ufer. L'écorce de ce fruit & fesfleursétans confites, produifent tous les mêmes effets que le fuc. A R T I C L E

XII.

De l'Herbe de Mufc.

I

L y aauffiune Herbe, que l'on n o m m e Herbe de Mufc. Elle porte fa tige ailés haut, & elle croift touffue, c o m m e un petit buiffon fans épines. Ses feuilles font affez longues & rudes, fesfleursfont jaunes fort belles à voir, en forme de calice ou de clochette , qui fe forment apres en un bouton affez gros, qui devient étant meur, d'un blanc fatiné en dedans, & de couleur de mufc en dehors. La graine que ce bouton referre , eft auffi de cette m ê m e couleur brune : Ellefentparfaitement le Mufc , quand elle eft nouvellement cueillie. Dont auffi elle eft n o m m é e Graine de Mufc, & elle conferve long tems cette odeur, pourveu qu'on la tienne en lieu fec, & dans quelque vaiffeau, où elle ne s'évente pas, Ainfi plufieurs autres Herbes, plufieurs Arbriffeaus, ôc m ê m e la plufpart de ces vimes ou Lienes, qui rampent parmy les buiffons, & qui s'élèvent furies Arbres quicroiffentdans les Antilles, portent desfleursauffi belles& agréables à la veuë, qu'elles font douces ôc fovëues à l'odorat. D e forte que bien fouvent en allant par la campagne, on paffe en des liens, où l'air en eft tout parfumé. C H A


Chap.

12

DES

ILES

CHAPITRE

ANTILLES,

137

DOUZIEME.

De cinq fortes de Bestes à quatre pieds, qu'on a trouvé en ces Iles.

A

Vant que les Efpagnols & les Portugais euffent dreffé des Colonies en l'Amérique, on n'y voyoit ni Chevaus, ni Bœufs, ni Vaches , ni Moutons, ni Brebis, ni Chévres, ni Pourceaus, ni Chiens. Mais pour faciliter leurs navigations , & raffraichir leurs vaiffeaus dans le befoin, ils jetterent de tous ces animaus en divers lieus de ce nouveau M o n d e ; où ils ont tellement multiplié, qu'a prefent ils y font plus c o m m u n s , qu'en aucun endroit de l'Europe. Outre ce Betail étranger, il a eu de tout tems dans les A n tilles quelques Beftes à quatre pieds, telles que font, l'Opaffum, leIavaris,leTafou, l'Agouty, & le Rat mufqué, dont nous ferons les defcriptions en ce Chapitre. A R T I C L E

I.

De L'Opaffum.

L

'Opaffum, qui eft le m ê m e animal que les Brésiliens n o m ment Carigueya, eft de la groffeur d'un C o c h o n de fix fémaines. Il a le muféau pointu, la mâchoire d'en bas plus courte que celle de deflus, c o m m e le pourceau : les oreilles, longues, larges & droites, & la queue longue, pelée par le bout, & recourbée. Il eft couvert fur le dos d'un poil noirentremélé de gris, & fous le ventre & fous le col, il eft jaunâtre. Il a des ongles extremement pointus, avec lefquels il grimpe legèrement fur les arbres. 11 fe nourrit d'oifeaus, & il fait la chaff eaus poules c o m m e le Renard, mais au defaut de proye, il fe nourrit de fruits. C e qui eft de particulier en cet Animal, eft, que par une fingularité bien remarquable, il a une bourfe de fa peau m ê m e repliée fous le ventre, dans laquelle il porte fes petis, lefS quels


138 HISTOIRE NATURELLE, Chap.12 quels il lafche fur terre quand il veut, en defferrant cette bourfe naturelle. Puis quand il veut paffer outre, il l'a r'ouvre, & les petis rentrent dedans, & il les porte ainfi par tout. La femelle les allaitte fans les pofer à terre ; car fes m a m melles font cachées dans cette bourfe, qui eft en dedans couverted'unpoil beaucoup glus mollet, qu e celui qui paroit en dehors. La femelle produit ordinairement fix petis. Mais le mafle, qui a aufli un pareilfacnaturel fous le ventre , les porte à fon tour, pour foulager la femelle, quoy qu'il ne les puiffe pas allaitter. Ces Animaus font c o m m u n s dans la Virginie, & dans la Nouvelle Efpagne. La Baleine, n'ayant pas receu de la nature lacommoditéd'un tel fac, a l'induftrie, à ce que dit Filoftrate , de cacher fes petis dans fa gueule. Et la Belette aime tant fes petis, que crainant qu'on ne les luy dérobe, elle les prend aufli dans fa gueule , & les remue de lieu en autre.

A R T I C L E

II.

Du Iavaris.

I

L y a auffi en quelques unes de ces Iles, c o m m e a Tabago, une efpece de Pourceaus fauvages, qui fe voient pareillement au Brefil, & en Nicaragua. Ils font préfque en tout femblables aus fangliers de nos forefts. Mais ils ont peu de lard, les oreilles courtes, prefque point de queue, ôc ils portent leur nombril fur le dos. O n en voit de tout noirs, & d'autres qui ont quelques taches blanches. Leur grongnément, eft aufli beaucoup plus effroyable, que celuy des Pourceaus domeftiques. O n les n o m m e Iavaris. Cette venaifon eft d'affez bon goût : Mais elle eft difficile à prendre, à caufe que ce Sanglier ayant un event fur le dos, par lequel il refpire & rafraichit fes poulmons, il eft prefque infatigable à la courfe, & s'il eft contraint de s'arréter, & qu'il foit pourfuivy des Chiens, il eft armé de defenfesfipointues &fitrenchantes, qu'il déchire tout ceus qui ont l'affurance de l'approcher. ARTI-


Chap. 12 D E S A

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ILES T

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ANTILLES. C

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III.

Du Tatou.

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Es Tatous, qui fe trouvent auffi à Tabago, font armes d'une dure écaille , de laquelle ils fe couvrent & fe parent c o m m e d'une cuiraffe. Il ont la telle d'un C o c h o n , le mufeau de m ê m e avec quoy ils fouillent la terre, lis ont auffi en chaque patte, cinq ongles fort pointus , dont ils fe fervent pour renverfer promtément la terre, & découvrir les racines, dont ils s'engraiffent pendant la nuit. O n tient que leur chair eft delicate à manger, & qu'ils ont un petit offelet à la queue, qui guérit la furdité. L'on a expérimenté qu'il foulage le bourdonnement, & qu'il appaife la douleur d'oreille, le laiffant dedans enveloppé dans du cotton. Il y en a qui font gros c o m m e des Renards, mais ceus qui font à Tabago, font beaucoup plus petis. Q u a n d ces Animaus font pourfuivis, & quand ils prenent leur repos, ce qu'ils font ordinairement durant le jour, ils fe mettent en forme de boule , & ilsramaffentfibien leurs pieds, leur tefte, & leurs oreilles fous leurs écailles dures & folides, qu'il ny a aucune partie de leur corps, qui ne foit à couvert fous cette curaffé naturelle, qui eft à l'épreuve des armes des chaffeurs & des dens des chiens; & s'ils font prés de quelque precipice , ils fe laiffent rouler du haut en bas, fans creinte de fe faire mal. L'Infcot recite qu'aus Indes Orientales , en la Riviere de G o a , fut pris un Monftre Marin, tout couvert d'écaillés , dures à l'égal du fer ; & qui lors qu'on le touchoit, fe retiroit ainfi en une pelotte. A

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IV.

De l'Agouty.

L

'Agouty , eft de couleur brune tirant fur le

noir. Il a le poil rude, clair, & une petite queue fanspoil.Ila deus dens en la mâchoire den haut, & autant en celle d'en-bas. S 2 Il


140 HISTOIRE NATURELLE, Chap.12, Il tient fon manger en fes deus pattes de devant, c o m m e l'Efcurieu. 11 jette u n cry c o m m e s'il difoit diftinctement Coüyé, O n le pourfuit avec les chiens, parce que fa chair, quoy qu'elle fente un peu le fauvagin, eft eftimée de plufieurs, autant que celle du Lapin. Quand il eft chaffé, il fe fauve dans le creus des Arbres, d'où on le fait fortir avec la fumée, après qu'il a crié étrangement. Si on le prend jeune, il s'aprivoife aifément, & lors qu'on le met en colere, le poil de deffus fon dos s'heriffe, & il frappe la terre de fes pattes de derrière, c o m m e font les lapins.Ileft auffi de m ê m e groffeur. Mais fes oreilles font courtes & rondes, & fes dens font trenchantes c o m m e un rafoir. A R T I C L E

V.

Des Rats Mufqués.

L

Es Rats Mufqués , que nos François appellent Piloris, font le plus fouvent leur retraitte dans les trousde la terre, c o m m e les Lapins, aufli ils font prefque de la m ê m e groffeur, mais pour lafigure,ils n'ont rien de différent de celle des gros Rats qu'on voit ailleurs,finonque la plufpart, ont le poil du ventre blanc c o m m e lesGlirons,& c e l u y du refte du corps, noir ou tanné. Ils exhalent une odeur Mufquée, qui abbat le cœur, & parfumefifort l'endroit de leur retraitte, qu'il eft fort aifé de le difcerner. La Terre ferme de l'Amérique, nourrit plufieurs beftes à. quatre pieds, qui ne fe trouvent en aucune de ces Iles.

€HA


Chap.

12

DES

ILES

ANTILLES.

141


142

HISTOIRE

Chap, 13

NATURELLE,

CHAPITRE TREIZIEME, Des Reptiles qui fe Voyent en ces Iles.

A

Près avoir reprefenté au Chapitre precedent, les Belles à quatre pieds, qui fe font trouvées aus Antiles, lors que les Colonies étrangères s'y font établies : nous devons à prefent traitter des Reptiles, qui y font auffi en grande abondance : car ces animaus qui font naturellement ennemis du froid, fe multiplient merveilleufement dans ces pays chauds : Joint que les grands bois, & les rochers de ces îles, contribuent beaucoup à leur production, car ils leurs fervent de retraitte affurée, A R T I C L E

I.

De plufieurs efpeces de Serpens&

I

de Couleuvres.

L y a fort peu de Beftes venimeufes dans les Antilles. Il eft vray qu'il y a beaucoup de Serpens & d e Couleuvres de differente couleur & figure. Il s'en voit de neuf a dix pieds de long, & de la groffeur du bras & de la cuiffe. O n y a m ê m e une fois tué une de ces Couleuvres, qui avoit dans fon ventre une Poule entiere avec la plume , & plus d'une douzaine d'œufs, ayant furpris la poule c o m m e elle couvoit.Ils'en eft trouvé une autre, qui avoit englouty un chat. D'où l'on peut aifément juger, de la groffeur de ces Beftes. Mais quelques prodigieufes qu'elles foient, elles n'ont aucun venin en la plupart de ce Terres. Et m ê m e plufieurs habitans, en ayans fur la couverture de leurs maifons, qui eft fait le plus fouvent des feuilles de Palme, ou de Cannes de Sucre ; ils ne les en chaffent pas, à caufe qu'elles dénichent & dévorent tous les Rats. Mais il faut tout dire, elles font auffi la guerre aus Poulets. O n a encore remarqué, que quelques unes ont l'adreffe de garder une poule lors qu'elle couve, fans luy faire aucun mal pendant ce tems-là ; Mais fi toft que


Chap. 13

DES

ÎLES

ANTILLES,

143

que les œufs font éclos, elles mangent les petis pouffins , & du moinsfuffoquentla poule, s'y elles ne font pas affez puiffantes pour l'engloutir. Il y en a d'autres qui font parfaitement belles & agréables à voir: car elles font entièrement vertes, horsmis fous le ventre, qu'elles font d'un gris blanc. Elles font longues, d'une aulne & d e m y e ,& quelquefois de deus : Mais elles font fort déliées à proportion, n'eftant pour le plus, que de la groffeur du poulce. Elles ne vivent que de grenoiïilles, qu'elles épient prés des ruiffeaus, ou d'oifeaus, qu'elles guettent fur les Arbres, & dans leurs nids, lors qu'elles y peuvent atteindre. Ainfi cette efpece de Couleuvre eft noble par deffus les autres : Car elle ne vit que de péfche & de chaffe. Quelques Habitans, qui font acoûtumez à voir toutes ces fortes de Couleuvres, les manient fans crainte, & les portent en leur fein. Ceus qui ont voiagé en Afie & en Afrique, difent qu'ils y ont trouvé quelque chofe de femblable. Car ils rapportent qu'en la grande Tartarie, il y a des montagnes, o ù fe nourriffent des Serpens d'une groffeur prodigieufe , mais nullement venimeus,& tresbons à manger: Et qu'au R o y a u m e de Syr, ils ont veu de ces Beftes, fe jouer avec des enfans, qui leur donnoient un morceau de pain. O n dit auffi, q u e dans les Provinces des Antes, au R o y a u m e du Pérou , il y a d'effroyables Couleuvres, longues de vintcinqà trente pieds, qui ne font mal à perfonne. Quant aus Iles de la Martinique,& de Sainte Aloufie, il n'en eft pas de m ê m e qu'aus autres Antilles; Car il y en a qui ne font point dangereufes, & d'autres qui le font b e a u coup. Celles qui ne le font pas , font plus groffes , & plus longues que les autres. C'eft pourquoy ceus qui ne les connoiffent pas, en ont plus de peur, que de celles qui font véritablement à craindre. Neantmoins elles ne font aucun mal : au contraire, dez qu'elles aperçoivent une perfonne, elles s'enfuyent avec diligence. C e qui eft caufe qu'on les appelle Courereffes. Elles ont auffi des taches noires & blanches fur le dos , qui fervent à les faire reconnoitre. plus aifément. Les


144

HISTOIRE

NATURELLE.

Chap. 13

Les Couleuvres dangereufes, font de deus fortes. Les unes font grifes fur le dos & fort veloutées. Les autres font toutes jaunes, ou ronffes & effroyables à voir, à caufe de cette couleur, bien qu'elles ne foient pas plus dangereufes, & peuteftre encore moins, que les premières. Les unes & les autres ayment fort les Rats, auffi bien que celles qui n'ont point de venin ; Et lors qu'il y en a beaucoup en une cafe, c'eft merveille s'il ny a auffi des Couleuvres. Elles font de différente groffeur & longueur,& l'on tient que les plus courtes, font celles qui font le plus à craindre. Elles ont la tefte platte & large, la gueule extrêmement fendue, & armée de huit dens, & quelquefois de dix;dont les unes font crochues comm e un croiffant, & tellement pointues, qu'il efl impoffible de s'imaginer rien de plus. Et c o m m e elles font toutes creufes, c'efl par ce petit canal qu'elles font couler fubtilement leur venin, quieftrenfermé dans de petites bourfes, aus deus collés de leur gueule, à l'endroit precifement ou répondent les racines de leurs dens. Elles ne mâchent jamais les alimens dont elles fe nourriffent : mais les avalent tout entiers, après les avoir preffez & aplatis, s'ils font trop gros. Quelques uns difent, que fî elles employoient leurs dens à les mâcher, elles s'empoifonnéroient elles m ê m e s , & que pour obvier à cela, elles couvrent leurs dens de leurs gencives, lors qu'elles prenent leur nourriture. Ces Animaus font fi venimeus dans ces deus Iles, que quand ils ont piqué, s'y l'on n'a recours promtément, à quelque puiffant remede, la bleffure fe rend incurable, en moins de deus heures. Ils ont cecy de bon, qu'ils ne vous mordent jamais, pourveu que vous ne les touchies pas, ni rien fur quoy ils fe repofent. A R T I C L E

II.

De Lezars.

I

L y a plufieurs fortes de Lezars dans ces Iles. Les plus gros & les plus confiderables, font eeus que quelques Indiens ont n o m m é Iguanas, les Brefiliens Senembi, & nos Caraïbe»


Chap.13

DES

ILES

ANTILLES.

145

raïbes Ouayamaca. Q u a n d ils ont pris leur jufte confiftence, ils ont environ cinq pieds de longueur , à mefurer dépuis la tefte, jufques à l'extrémité de la queüe, qui eft bien auffi longue que le refte du corps : Et pour leur groffeur elle peut eftre d'un pied en circonference. Selon les divers terroirs o u ilsfenourriffent, ils ont auffi la peau de différente couleur. Et c'eft peuteftre pour ce fujet, que les Portugais les ont n o m m é s Cameleons, & fe font perfuadez que s'en eftoit une efpece. E n quelques Iles, les femelles font couvertes d'un beau vert, qui eft marqueté de blanc & de noir, & les mâles font gris: E n d'autres ils font noirs, & les femelles font d'un gris clair, rayé de noir & de vert, il y a m ê m e des lieus, où les males & les femelles ont toutes les petites écailles de leur peau , fi éclatantes, &fichamarrées, qu'on diroit à les voir de loin, qu'ils foient couverts d'une riche toile d'or , ou d'argent. Ils ont fur le dos des épines en forme de crête, qu'ils dreffent & couchent quand ils veulent, & qui vont toujours en amoindriffant dépuis la tefte jufque au bout de la queue. Ils font portez fur quatre pieds, qui ont chacun cinq griffes , qui font munies d'ongles fort pointus, Ils font fort légers à la courfe, & ils grimpent des miens fur les arbres. Mais , foit qu'ils aiment de confiderer les h o m m e s , ou qu'ils foient d'un naturelftupide, & peu apprehenfif, quand ils font apperçeus du chaffeur, ils attendent patienment le coup de fléche, ou de fufil fans branler. Et m ê m e , ils fouffrent qu'on leur mette au col un las coulant, qui eft attaché au bout de la perche , dont on fe fert affes fouvent, pour les tirer de deffus les Arbres o ù ils repofoient. Q u a n d ils font en colere, ils enflent un grand gofier, qui leur pend fous le col & qui les rend épouvantables, ils ont auffi la gueule fort fendue , la langue épaiffe, & quelques dents affez pointues. Ils ne demordenr pas aifém e n t , ce qu'ils ont une fois ferré : mais ils n'ont point de venin. Les Femelles, ont des œufs qui font de la groffeur de ceus des Ramiers, mais ils ont la coque molle. Elles les pofent affes profond dans le fable , qui eft au bord de la m e r , & les laiffent couver au Soleil, d'où eft venu que quelques Auteurs, les ont mis entre les animaus amfibies. Les Sauvages ont T aprins


H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap.13 aprins aus Européens le moyen de prendre ces Lézards, & la hardieffe de les manger à leur exemple. Ils font tres-dificiles à tuer. D e forte qu'à quelques uns, l'on a donné jufques à trois coups de fufd , & emporté une partie des entrailles, fans qu'ils fuffent abatus. Cependant, en leur mettant un petit bois dans le nez, ou une épingle entre les deus yeus, y aiant là un petit trou, où l'épingle entre aifément, on les fait m o u rir auffi-rôt. Les Caraïbes, font fort adroits à les prendre avec un laqs coulant, qu'ils leur paffent fubtilement fur le cou, ou bien les ajant attrapés à la courfe, ils les faififfentd'une main par la queue, laquelle étant fort longue;donne une belle prife : & avant qu'ils fe puiffent retourner pour les mordre, ils les prenent fur le chinon du col: Et puis ils leur tournent les pattesfurle dos, ils les lient,& les confervent ainfi en vie plus de quinze jours, fans leur donner à manger. Leur chair eft blanche, & en des endrois couverte de graiffe. Ceus qui en ufent, la trouvent fort délicate, lors nommement qu'on a relevé un certain goût fade qu'elle a naturellement, par de bonnes épices & quelque fauce piquante. O n ne confeille pas neantmoins d'en manger fouvent, à caufe qu'elle défeche trop le corps, & lui fait perdre tout fon embon-point. Les œufs font fans glaire, & n'ont au dedans que du jaune, qui rend le potageauffiexcellent, que nos œufs de pou le. Outre ces gros Lezars, on en voit en cesIlesde quatre autres fortes quifont de beaucoup plus petis. N o s François les nomment Anolis, Roquets, Maboujats, & Gobe-mouches. 146

A R T I C L E

III

Des Anolis.

L

Es Anolis, font fort communs en toutes les habitations,, Ils font de la groffeur & de la longueur des Lezars qu'on voit en France : Mais ils ont la tefte plus longuette, la peau jaunâtre & fur le dos, ils ontdes lignes rayées de bleu, de vert & de gris, qui prenent depuis le deffus de la telle, jufques-au bout de la queue. Ils font leur retraitte dans les trous de la, terre, & c'eft de-là que pendant la nuit ils font un bruit beaucoup,


C h a p . 13 DES ILEs A n t i l l e s . 147 coup plus pénétrant, & plus inportun que celuy des Cygales. L e jour ils font en perpétuelle action, & ils ne font que roder ans environs des Cafés, pour chercher de quoy fe nourir, A R T I C L E

IV.

Des Roquets.

L

Es Roquets font plus petis que les Anolis. Ils ont la peau de couleur de feuille morte, qui eft marquée de petis pointsjaunes, ou noirâtres. Ils font portez fur quatre pieds,, dont ceus de devant font affes hauts. Ils ont les yeus étincelans&vifs au poffible. Ils tiennent toujours la tefte élevée en l'air, & ils fontfidifpos, qu'ils fautejent fans ceffe , c o m m e des oifeaus, lors qu'ils ne veulent pas fe fervir de leurs aifles. Leur queue eit tellement retrouffée fur le dos, qu'elle fait c o m m e un cercle & demy. Ils prenent plaifir à voir les h o m m e s , & s'ils s'arrêtent au lieu ou ils font, ils leur jettent à chaque fois des œillades. Q u a n d ils font un peu pourfuivis, ils ouvrent la gueule, & tirent la langue c o m m e de petits chiens de chaffe. A R T I C L E

Des LEs

V.

Maboujas.

font de différente couleur. Ceus qui fe tiennent dans les arbres pourris , & aus lieus marécageus, c o m m e auffi dans les profondes & étroites vallées où le Soleil ne pénètre pas, font noirs & hideus tout ce qui fe peut, & c'eft fans doute ce qui a donné occafion de les appeller du m ê m e n o m , que les Sauvages ont impofé au Diable. Ils ne font gros pour l'ordinaire , qu'un peu plus que le pouce, fur fix o u fét de longueur. Ils ont tous la peau c o m m e huilée. Maboujas

т2

ARTI


148

HISTOIRE

NATURELLE.

A R T I C L E

Chap.13

VI.

Des Gobe-mouches. Eus que nos François n o m m e n t Gobe-mouches à caufe de leur exercice le plus ordinaire, & les Caraïbes Oulleouma, font les plus petis de tous les Reptiles qui font en ces Iles. Ils ont la figure de ceus que les Latins n o m m e n t Stelliones: Il y en a qui femblcnt eftre couverts de brocateldefinor, o u d'argent, d'autres qui font de vert doré, & de diverfes autres raviffantes couleurs. Ils fontfifamiliers, qu'ils entrent hardiment dans les chambres,, où ils ne font aucun mal: mais au contraire les purgent de mouches, & de pareille: vermine. C e qu'ils font avec une telle d'exterité & agilité, que les rufes des chaffeurs ne font pas à prifer, en comparaifon de celles de cette petite Befte. Car elle fe tapit, & fe met c o m m e en fentinelle fur quelque planche, fur la table, o u fur quelques autres meubles, qui foyent plus élevés que le pavé, où elle efpere que quelque mouchefe viendra pofer. Et appercevant fa proye, elle la fuit par tout de l'œiL, & ne la quitte point de veuë, faifant de fa tefte autant de différentes poftures, que la mouche change de places. L'on diroit quelques fois, qu'elle fe lance à demy corps en l'air. Et fe tenant fur fes pieds de devant, haletant après fon gibier, elle entr'ouve fa, petite gueule affez fenduë, c o m m efidéjà elle le devoroit & l'engloutiffoif par efperance. A u refte, bien que l'on mené du bruit en la chambre, & que l'on s'approche d'elle , elleeftfi attentive à fa chaffe, qu'elle n'abandonne point fon pofte ; & ayant enfin trouvé fon avantage , elle s'elancefidroit fur fa proye, qu'il arrive rarement qu'elle lui échappe, C'eft u n divertiffement bien innocent, que de confiderer l'attention, que ces petites Beftes apportent, à chercher leur vie. D e plus elles fontfiprivées qu'elles montent fur la table quand on mange;&fielles apperçoivent quelque mouche, elles la vont prendre jufques fur les affietesdeceus qui m a n gent, & m ê m e fur les mains & fur les habits. Elles font d'ailleursfipolies &finettes, qu'elles ne donnentpoint d'averfion ni

C


Chap, 13 D E S I L E S A N T I L L E S . 149 ni de dégoût, pour avoir paffé fur quelque viande. Pendant la nuit, elles tiennent leur partie en cette mufique que font les Anolis, & les autres petis Lezars. Et pour fe perpetuer, elles font de petis œufs gros c o m m e des pois , qu'elles couvrent d'un peu de terre, les laiffant couver au Soleil. Si toft qu'on les tuë, ce quieftfort aifé, à caufe de l'attention qu'elles apportent à leur chaffe, elles perdent incontinent tout leur luftre : l'or & l'azur, & tout l'éclat de leur peau fe ternit, & devient pâle & livide. Si quelqu'un de ces petis Reptiles que nous venons de décrire, devoit eftre tenu pour une efpece de C a m é l é o n , fe devroit eftre ce dernier,à caufe qu'il prend volontiers la couleur, de tout ce furquoy il fait fa refidence plus ordinaire. Car ceus qu'on voit àl'entourdes jeunes Palmes, font entièrement verts c o m m e les feuilles de cet arbre. Ceus qui courent fur les orangers, font jaunes c o m m e leur fruit;Et m ê m e il s'en eft trouvé, qui pour avoir efté familiers dans uns chambre, o ù il y avoir un tour de lit de taffetas changeant, produifirent une infinité de petis, qui avoient tout le corps émaillé de diverfes couleurs, toutes femblables à l'ornement; du lieu où ils avoient accès. O n pourroit peuteftre attribuer cet effet, à la force de leur petite imagination : mais nous laiffons cette fpeculation aus curieus, A R T I C L E

VII.

Des Brochets de terre.

I

L y a encore en plufieurs de ces Iles des Brochets de terre, qui ont l'entierefigure,la peau, & la hure denos Brochets de Riviere. Mais au lieu de nageoires, ils ont quatre pieds; qui fontfifoibles, qu'ils fe traînent fur la terre en rampant, & en ferpentant c o m m e les Couleuvres, ou pour demeurer e n nôtre comparaifon, c o m m e des Brochets, qui font hors de leau. Les plus grands , ne peuvent avoir que quinze pouces de long,.fur une groffeur proportionée. Leur peau, eft couverte de petites écailles, qui font extrêmement luifantes, T3 & DE


150 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap, 13 & de couleur de gris argenté. Quelques curieus, en ont de petis en leurs Cabinets, qu'on leur a fait paffer pour des Salemandres. Pendant la nuit, ils font un bruit effroyable de deffous les rochers , & du fonds des cavernes où ils fe tiennent. Le fon qu'ils rendent eft beaucoup plus fort, & plus defagreable que celuy des Grenouilles & des Crapaus, & il fe change & fe diverfifie, fuivant la variété des lieus, où ils font cachez. Ils ne fe montrent préfque point, qu'à l'entrée de la nuit, & quand o n en rencontre de jour, leur mouvément, qui eft tel que nous avons dit, donne de la frayeur. A R T I C L E

VIII.

Des Scorpions & d'une Autre efpece de dangereus Reptiles. L y a auffi des Scorpions, qui ont la m ê m e forme, que ceus qu'on voit en France : mais ils n'ont pas un venin fi dangereus , ils font jaunes, gris, ou bruns, felon les differens terroirs où ils fe trouvent. En fouillant dans les lieus marécageus pour y faire des Puits, ou des refervoirs d'eau, on trouve fouvent une forte de Lezars hideus au poffible. Ils font de la longueur de fix pouces ou environ. L a peau de leur dos eft noire, & parfemée de petites écailles grifes, qui femblent eftre huilées, tant elles font luifantes. Ils ont le déffous du ventre écaillé c o m m e le dos : mais la peau qui le couvre, eft d'un jaune pale. Leur tefte eft petite & pointue, Leur gueule quieftaffez fendue, eft armée de plufieurs dens, qui font extrêmement trenchantes. Ils ont deus petis yeus, mais ils ne peuvent fupporter la lumiere du jour, car auffi-tôt qu'on les a tirez de la terre, ils tachent incontinent de faire un trou avec leurs pattes, qui ont chacune cinq ongles durs & crochus, avec quoy ils fe font ouverturede m ê m e que les Taupes, pour pénétrer par tout où ils veulent. Ils font un grand ravage dans les jardins, rongeant les racines des Arbres & des Plantes. Leur morfure, eft auffi autant venimeufe, que celle du plus dangereus Serpent.

I

CHA.


Chap.13

DES

ILES

Antilles

151


152

HISTOIRE

CHAPITRE

NATURELLE,

C h a p . 14

QUATORZIEME.

Des Infectes quifont communs

aus

Antilles.

N

O n feulement les cieus,& les autres plus vartes & plus relevez corps de la nature, racontent la gloire du Dieu fort : mais m ê m e les plus petites & les plus ravalées de fes productions, donnent auffi à connoitre l'ouvrage de fes mains, & fourniffent à tous ceus qui les confiderent avec attention, une riche & abondante matiere, pour exalter la puiffance, de fa Majefté Souveraine. C'eft pourquoy nous croyons, que ceus qui fe plaifent à mediter les fecrets de la nature, & de contempler les merveilles de Dieu, qui a tiré de fes inépuifables trefors, tant de riches ornemens, de proprietez occultes, & de rares beautez, pour en revêtir les moindres de fes créatures : auront pour agréable, que nous donnions ce Chapitre, à la confideration de quelques Infectes, qui fe voyent c o m m u n é m e n t ans Antilles, & qui font tous revêtus de quelques qualitez particulieres, c o m m e d'autant de rayons de gloire, qui foutiennent & relevent avec éclat, leur foibleffe & leur baffeffe naturelle. A R T I C L E

I.

Des Soldats, & des Limaçons.

E

Ntre les Infectes, qui font en abondance en ces païs chauds, il y a une efpece d'Efcargots, ou de Limaçons, que les François appellent Soldats, parce qu'ils n'ont point de coquilles qui leur foyent propres & particulières, & qu'ils ne les forment pas de leur propre bave , c o m m e le Limaçon c o m m u n : mais, quefitoft qu'ils font produits de quelque matière corrumpuë, ou autrement, ils ont cet inftinct, pour mettre la foibleffe de leur petit corps à couvert des injures de l'air, & de l'atteinte des autres Beftes, de chercher une maifon étrangère, & de s'emparer de tel coquillage qu'ils trouvent


Сhар.14 DES ILES A N T I L L E S . 153 vent leur eftre propre, dans lequel ils s'ajuftent & a c c o m m o ­ dent, c o m m e les Soldats qui n'ont point de demeure arrêtée ; mais qui font toujours leur maifon de celle d'autruy, felonla rencontre & la neceffité. O n les voit plus ordinairement en des coques de Burgaus, qui font de gros Limaçons de mer, qu'ils rencontrent à la colle, à laquelle ils font pouffez, quand le poiffon qui en étoit le premier hofte, eft mort. Mais, on trouve auffi de ces petis Soldats , en toutes fortes d'autres coquillages, m ê m e en des coques de nois de Liénes, & on en a veus quelques uns , qui s'étoient fourrez dans des pieds de groffes Crabes mortes. Ils ont encore cette induftrie, qu'a mefurequ'ils groffiffent, ils changent de coquille,felonla proportion de leur corps, & en prennent une plus ample, dans laquelle ils entrent quittant la premiere. D e forte qu'on en voit de différentes faffons & figures, felon la diverfité des coquillages qu'ils empruntent. II y à apparence que eft de ces Soldats que Pline parle fous le n o m d'une efpece de petite Ecreviffe, à qui il attribue le m ê m e . Ils ont toutlecorps fort tendre, horsmis la telle & les pattes. Ils ont pour pied & pour défenfe, un gros mordant, femblable au pied d'un gros Cancre, duquel ils ferment l'entrée de leur coquille, & parent tout leur corps.Ileft dentelé au dedans, & il ferrefifort ce qu'il peut attraper, qu'il ne démord point, fans emporter la piece. CÉT Infecte , va plus vifte que le Limaçon c o m m u n , & ne falit point de fa bave, l'endroit ou il paffe. Quand on prend ce Soldat il s'en fafche , & fait du bruit. Pour luy faire rendre la maifon qu'il a prife, on en approche le feu : & auffi tôt il fort de la place. Si o nlaluy prefente pour y rentrer, il s'y remet par le derrière. Q u a n d il s'en rencontre plufieurs, qui veulent quitter en m ê m e tems leur vieille maifon , & s'emparer d'une nouvelle , qui leur agrée à tous: c'eft alors qu'il entrent en une grande conteftation, & qu'après s'eftre opinâtrez au combat, & avoir joué de leurs mordans, les plus foibles font enfin contrains de ceder au victorieus, qui fe faifitauffitôt de la coquille, de laquelle il joüit en paix, c o m m e d'une precieufe conquefte. Quelques uns des habitans en mangent, c o m m e on fait en V quel-


H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap. 14 quelques endroits les Efcargots : Mais ils font plus propres à la Médecine, qu'à la nourriture. Car étans ôtez de leur coquille, & mis au Soleil, ils rendent une huyle, qui eft fort profitable à la guerifon des goutes froides, & qui s'employe auffi. heureufement, pour amollir les duretez, & les callus du corps. Il y a encore deus fortes de petis Limaçons, qui font fort beaus. Les uns font plats c o m m e les bonnets de Bafques, & de couleur brune. Les autres font pointus, & tournez en forme de vis de preffoir, ils font auffi rayez de petites bandes rouges , jaunes & violettes , qui les font eftimer des Curieus, 154

A R T I C L E

II.

Des Mouches Lumineufes..

O

N voit en ces Iles, plufieurs cfpecesde groffes Mouches de différentesfigures& couleurs. Mais il faut donner le premier lieu, à celles que les François appellent Mouches. Lumineufes, que quelques Sauvages n o m m e n t Cucuyos, & les Caraïbes Coyouyou, d'un n o m approchant. Cette M o u c h e n'eft point recommendable pour fa beauté, ou pour fa figure, qui n'a rien d'extraordinaire : mais feulement pour fa qualité lumineufe. Elleeftde couleur brune , & delagroffeur d'un Hanneton. Elle a deus ailes fortes & dures, fous lefquelles font deus ailerons fort deliez , qui ne paroiffent que quand elle vole. Et c'eft auffi pour lors que l'on remarque, qu'elle a fous ces ailerons,. une clarté pareille à celle d'une chandelle, qui illumine toute la circonférence. Outre, qu'elle a auffi fes deus yeusfilumineus, qu'il n'y a point de ténèbres, partout où elle vole pendant la nuit, quieftauffi le vraye tems, qu'elle fe monftre en fon luftre. Elle ne fait nul bruit en volant, & ne vit que de fleurs, qu'elle va cueillir fur les arbres. Si on la ferre entre les doits, elleeftfipolie &figliffante , qu'avec les petis efforts qu'elle fait pour fe mettre en liberté, elle échappe infenfiblement,. & le fait ouverture. Si on latientcaptive, elle referre toute la


Chap. 14. D E S I L E S A N T I L L E S . 155 la lumière qu'elle a fous fes ailerons, & n'éclaire que de fa yeus, & encore bien faiblement, au prix du jour qu'elle donne étant en liberté. Elle n'a aucun aiguillon, ni aucun mordant pour fa défenfe. Les Indiens, font bien aifes d'en avoir en leurs maifons, pour les éclairerau lieu de lampes. Et d'elles m ê m e s , elles entrent la nuit dans les chambres, qui ne font pas bien clofes. Il y a de certains Vers luifans en ces Iles, qui volent c o m m e des Mouches. Toute l'Italie & tous les autres païs du Levant en font auffi remplis. L e fameus Auteur de Moyfe fauve en fait mention dans la préface de fon ouvrage. Et fur lafindu P o ë m e , cet illuftre Poëte en parle ainfi, dans la defcription qu'il nous donne d'une nuit : Les heures tenebreufes Ornoient lefirmamentde lumieres nombreufes On decouvroit la Lune & de feus animez, Et les champs & les airs étoyent déja femez, Ces miracles volans, ces Aftres de la terre Qui de leurs rayons d'orfont aus ombres la guerre, Ces trejors ou reluit la divine fplendeur Faifoient déjà briller leursflammesfans ardeur : Et déjà quelques uns en guife d'efcarboucles, Du beau poil de Marie avoient paré les Boucles Mais, quelques Lumineus que puiffent être ces petis Aftres de l'Orient, toujours ne font ils que c o m m e une petite étincelle, au prix du grand feu, que jettent cesflambeausvolans de l'Amérique. Car non feulement, on peur à la faveur de leur clarté, voir fon chemin pendant la nuit: mais à l'aide de cette lumière, on écrit facilement, & on lit fans peine le plus m e n u caractere. U n Hiftorien Efpagnol recite, que les Indiens de l'Ile de Saint D o m i n g u e , fe fervoient de ces petites Mouches attachées à leurs mains & à leurs pieds, c o m m e de chandelles, pour aller la nuit à la chaffe. O n dit auffi, que quelques autres Indiens expriment la liqueur l'umineufe, que ces Mouches ont en leurs yeus & fous les ailes, & qu'ils s'en frottent le vifage & la poitrine en leurs réjouiffances V 2 noctur-


156

HISTOIRE

N A T U R E L L E , CHap. 14

nocturnes : C e qui les fait paroitre au milieu des tenebres, c o m m e s'ils étoient couverts de flamme, & c o m m e des fpectrès affreus, aus yeus de ceus qui les regardent. O n prend aifément ces Mouches durant la nuit. Et pour cet effet, il faut feulement remuer en l'air un tifon allumé. Car incontinent que celles qui fortent du bois à l'entrée de la nuit, apperçoivent ce feu, croyant que ce foit de leurs compagnes, elles volent droit au lieu où leur paroit cette lumière, & on les abbat avec le chapeau , ou bien fe venant jetter d'elles m ê m e s contre, le tifon, elles tombent étourdies a terre. C e fera, fans doute icy une chofe divertiffante de rapporter ce que Monfieur du Montel Gentil-homme François, perfonnage auffi fincere & auffidigne de Foy qu'il eft Docte & Curieus, & à la genereufe liberalité duquel nous devons beaucoup de belles & rares remarques qui enrichiffent cette Hiftoire, a nouvellement écrit fur ce fujet à d'un de fes amis. Voicy donc ce qu'il en dit. Etant en l'Ile„Hifpaniolaou Saint „ Domingue , je m e fuis fouvent arrêté à l'entrée de la nuit ,,au devant des petites cabanes, que nous y avions dreffées pour y paffer quelques jours, en attendant que nôtre Na„ vire fut reparé : Je m e fuis dis-je fouvent arrêté, à.confi„ derer l'air éclairé en plufieurs endrois, de ces petites étoiles „ errantes. Mais fur tout, c'étoit une chofe des plus belles „ à voir, lors qu'elles s'approchoient des grands arbres, qui „ portent une efpece de Figues, & qui étoyent joignant nos huttes. Car elles faifoient mille tours, tantoit aus environs, „ tantoft parmy les branches de ces arbres toufus, qui ca„ choient pour un tems la lumière de ces petis aftres, & les „ faifoient tomber en éclypfe : & au m ê m e tems nous ren„dotent cette lumière, & des rayons entrecoupez au travers des feuilles. La clarté venoit à nos yeus tantoft oblique„ ment, & tantoft en droite ligne, &. perpendiculairement. „ Puis ces Mouches éclattantes fed'eveloppant de l'obfcurité. de ces arbres, & s'approchant de nous, nous les voyions fur les Orangers voifins, qu'ils mettoient tout en feu, nous ren„ dant la veùe de leurs beaus fruits dorez , que la nuit nous „ avoir ravie, émaillant leurs fleurs, & donnant un coloris fi, „ Vif


C H a p . 14

DES

ILES

ANTILLES.

157

„ vif à leurs feuilles, que leur vert naturellement agréable, „ redoublent encore & rehauffoit notablement fon luftre, par cette riche enluminure, je fouhaitois alors l'induftrie des „Peintres, pour pouvoir reprefenter une nuit éclairée de tant „ de feus, & un paifagefiplaifant &filumineus. N e trouvez „ pas mauvais, que je m'arrefte fi longtems àl'Hiftoired'une „ M o u c h e , puifque du Bartas luy a autrefois donné place en„ tre les Oifeaus, au cinquième jour de fa premiere fémaine, „ & en a parlé magnifiquement en ces termes. Déjà l'ardent Cucuyes es Efpagnes nouvelles, Perte de us feus au front, & deus feus fous les ailes „ L'aiguille du brodeur au rais de ces flambeaus Souvent d'un lit royal chamarre les rideaus: „ Aus rais de ces brandons , durant la nuit plus noire, „ L'ingénie us tourneur polit en rond l'y voire ; „ A ces rais l'ufurier reconte fon trefor, „ A ces rais l'écrivain conduit fa plume d'or. „ S'y l'on avoir un vafe defincriftal, & que l'on mit cinq ou „fixde ces belles Mouches dedans, il n'y a point de doute que la clarté qu'elles rendroient, pourroit produire tous „ les admirables effets, qui font icy d'écrits par cet excellent „ Poëte, & fourniroit un flambeau vivant & incomparable. Maisau refte dés que ces Mouches font mortes, elles ne re„ luifent plus. Toute leur lumière s'éteint avec leur vies, C'eft là l'agréable récit de noftre digne Gentil-homme. A R T I C L E

III.

Des Falanges.

P

our venir aus autres efpéces de groffes Mouches qui le voient aus Antilles, & que quelques uns n o m m e n t Falanges : outre les Cucuyos, il y en à qui font de beaucoup plus groflés, & d'une étrangefigure.11 s'en trouve, qui ont deus trompes, pareilles à celle de l'Elefant: L'une recourbée en haut, & l'autre en bas. Quelques autres ont trois cornes. V 3 une


Chap. 14 une naiffant du dos, & les deus autres de la tefte. L e refte du corps auffi bien que les cornes, eft noir & luyfant c o m m e du jayet. Il y en a qui ont une grande corne longue de quatre pouces, de la faffon d'un bec de Beccaffe, liffée par deffus, & couverte d'un poil folet par deffous, laquelle leur fort du dos, & s'avance tout droit fur la tefte, au haut de laquelle il y a encore une autre corne, femblable à celle du Cerf volant, qui eft noire c o m m e ébéne, & claire c o m m e du verre. Tout le corps eft de couleur de feuille morte, poly & damafle. Elles ont la tefte & le mufeau c o m m e un Singe, deus gros yeus jaunes & folides,une gueule fendue, & des dens femblables à une petite fcie. Ecoutons encore icy ce que rapporteàce fujet noftre fidele & curieus voyageur. „ J'ay veu dit il une efpece de ces groffes Mouches, belle en perfection. Elle étoit longue de trois pouces ou environ. Elle avoit la tefte azurée, & de la faffon de celle d'une Sauterelie,finonque les deus yeus étoient verts c o m m e une éme„ raude, & bordez d'un petitfiletblanc. L e deffus des ailes, ,,étoit d'un violet luifant, damaffe de divers compartimens, „ de couleur incarnate, rehauffé d'un petitfild'argent natu,, rel. A u refte ces compartimens étoient d'uneSymmétriefi bien obfervée, qu'il fémbloit que le compas & le pinceau, „ y euffent employé toutes les régies de la perfpective, & les „ adouciffemens de la peinture. L e deffous du corps, étoit de „ m ê m e couleur que la tefte, horsmis, qu'ils y avoitfixpieds „ noirs, repliez proprement contre le ventre. Si on epanoüif„ foit les ailes, qui étoient dures & folides, on appercevoit „ deus ailerons, quiétoient plus deliez que de la toile de foye, & rouges c o m m e écarlate. je la vis en l'Ile de Sainte Croix, », entre les mains d'un Anglois & j'encouchai à l'heure m ê m e „la defcription fur mes tablettes. Je croiois au commencé,, ment qu'elle étoit artificielle, à caufe de cet incarnadinfivif, & de cefiletd'argent;mais l'ayant maniée, je reconnus que „ la nature étant fans doute en fes plus gayes humeurs, s'étoit divertie à parerfirichement, cette petite Reine entre les „ Infectes. 158

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

ARTI-


C h a p . 14

DES A

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ILEs T

I

ANTILLES. C

L

E

159

IV.

Des Millepieds.

C

Et Infecte eft ainfi n o m m é , à caufe de la multitude prefque innombrable de fes pieds, qui heriffent tout le deffousdefon corps, & qui luy fervent pour ramper fur la terre, avec une viteffe incroiable, lors notamment qu'il fe fent pourfuivy. Il a de longueurfixpouces, ou environ. L e deffus de fon corps eft tout couvert d'écailles tannées, qui font fort dures, & emboittées les unes dans les autres, c o m m e les tuiles d'un toit : mais ce qui eft de dangereus en cet animal, eft, qu'il a des mordans en fa tefte & en fa queue, dont il pincefivivement, & gliffe unfimauvais venin en la partie qu'il a bleffée; que l'efpace de vint-quatre heures, & quelquefois plus long tems, on y reffent une douleur fort aigué. A R T I C L E

V.

Des Araignées.

N voit en plufieurs des Antilles, de groffes Araignées, que quelques uns ont mifes au rang des Falanges , à caufe de leurfiguremonftrueufe, & de leur groffeurfiextraordinaire, que quand leurs pattes font étendues, elles ont plus de circonference, que la paume de la main n'ade largeur. Tout leur corps eft compofé de deus parties, dont l'une eft platte, & l'autre d'unefigureronde, qui aboutit en pointe, c o m m e un œ u f de pigeon. Elles ont toutes, un trou fur le dos , qui eft c o m m e leur nombril. Leut gueule ne peut pas facilement eftre difcernée, à caufe qu'elle eft préfque toutecouverte fous un poil d'un gris blanc, qui eft quelquefois entremêle de rouge. Elle eft armée de part & d'autre, de deus crochets fort pointus, qui font d'une matière folide , & d'un noirfipoly&filuifant, que les Curieus les enchaffent en or, pour s'en fervir au lieu de Curédens, qui font fort eftimez

O


160 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 1 4 de tous ecus , qui connoiftent la vertu qu'ils ont, de preferver de douleur, & de toute corruption, les parties qui en font frottées. Q u a n d ces Araignées font devenues vieilles, elles font couvertes par tout d'un duvet noirâtre, qui eft auffi dous, & auffi preffé, que du velours. Leur corps , eft fupporté par dix pieds, qui font velus par les cotez , & heriffez en défous de petites pointes, qui leur fervent pour s'accrocher plus aifém e n t par tout, o ù elles veulent grimper. T o u s ces pieds fortentde la partie de devant: Ils ont chacun quatre jointures, & par lebout, ils font munis d'une corne noire & dure, qui eft divifée en deus, c o m m e une petite fourche. Elles quittent tous les ans leur vieille peau , c o m m e les ferpens , & les deus crochets qui leur fervent de dens & de defenfe ; ceus qui rencontrent ces precieufes dépouilles , y peuvent remarquer la figure entière de leur corps, telle que nous l'avons fait dépeindre à lafinde ce Chapitre. Leurs yeus fontfipetis,& fi enfoncez, qu'ils ne paroiffent que c o m m e deus petis points. Elles fe nourriffent de m o u ches ,& de femblables vermines.,& on a remarqué qu'en quelques endroits, ellesfilentdes toiles qui fontfifortes, q u e les petis oifeaus qui s'y embarraffent, ont bien de la péne de s'en développer. O n dit le m ê m e des Araignées, qui fe trouvent c o m m u n é m e n t dans les Iles Vermudes, qui font habitées par les Anglois ; il eft auffi fort probable, qu'elles font d'une m ê m e efpece.

A R T I C L E

VI.

Du Tigre volant.

O

N a donné à cet Infecte,le n o m de Tigre volant, à caufe qu'il eft marqueté par tout fon corps, de taches de diverfes couleurs, de m ê m e que le Tigre. Il eft de la groffeur d'un Cerf volant. Sa tefte eft pointue,& embellie de deus gros yeux, qui fontauffiverts,& auffi brillans qu'une Emeraudc. Sa gueule eft armée de deus crocs durs ,& pointus au poffible, avec lefquels il tient fa proye, pendant qu'il en tire le


Chap. 1 4 DES ILES A N T I L L E S . 161 le FUC. Tout FON corps eft revêtu d'une croûte dure & brune , qui lui fert comme de cuiraffe. Ses ailes, qui font auffi d'une matière folide, couvrent quatre ailerons, qui font auffi deliez que de la toile de foye. Il afixpattes, quiont chacune trois jointures, & qui font heriffées de plufieurs petites pointes. Durant le jour, il s'occupe continuellement à la chaffe d'autres Infectes , & pendant la nuit, il fe perche fur les arbres , d'où il fait un bruit tout pareil au chant des Cigales. A R T I C L E

Des Abeilles, & de quelques

VII. autres

Infectes,.

L

Es Abeilles, qu'on voit aus Antilles ne font pas de beaucoup différentes de celles, qui fe trouvent en l'Amerique Meridionale : mais les unes & les autres, font plus petites que celles de l'Europe. Il y en a qui font grifes, & d'autres , qui font brunes, ou bleues : ces dernieres font plus de cire & de meilleur miel. Elles fe retirent toutes, dans les fentes des rochers, ou dans le creus des arbres. Leur cire eft molle, & d'une couleurfinoire, qu'il n'y a aucun artifice, qui foit capable de la blanchir : mais en recompenfe, leur miel eft beaucoup plus blanc, plus dous & plus clair, que celuy que nous avons en ces contrées. O n les peut manier fans aucun danger , parce qu'elles font prefque toutes dépourveües d'éguillons. O n trouve encore dans ces Iles, plufieurs Cerfs volans, & une infinité de Sauterelles, & de Papillons, qui font beaus à merveille. Il s'y voit auffi & fur la terre, & en l'air divers Infectes fort importuns & dangereus, qui travaillent grandement les Habitans: mais, nous parlerons de ces incommoditez, & de quelques autres, dans les deus derniers Chapitres de ce premier Livre.

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CHA-


162

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

Chap.14


C h a p . 15

DES

IlEs

ANTILLES.

163

CHAPITRE QUINZIEME. Des Oifeaus les plus confiderables des Antilles.

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Outes les œuvres de Dieu font magnifiques , il les a routes faites avec fageffe , la terre eft pleine de fés biens: mais il faut avouer, qu'entre toutes les Creatures, qui n'ont rien au deffus delavie fenfitive;les Oifeaus publient plus hautement qu'aucunes autres , les inépuifables richeffes de fa bonté & de fa providence : Et qu'ils nous convient , par la douce harmonie de leur chant, par l'activité de leur vol, par les vives couleurs & par toute la p o m p e de leur plumage, de louer & glorifier cette Majefté Souveraine , qui lesfiavantageufement parez, & embellis de tant de rares perfections. C'eft auffi pour nous animer â ces facrez devoirs, qu'aprés avoir traitté des Arbres, des Plantes, des Herbages, des Beftes à quatre pieds, des Reptiles & des Infectes, dont la terre des Antilles eft couverte, nous décrirons en ce Chapitre tous les plus rares Oifeaus, qui peuplent l'air de ces aimables Contrées, & qui enrichiffent la verdure eternelle, de tant d'Arbres precieus , dont elles font couronnées. A R T I C L E DES

D

I.

FREGATES,

Es qu'on approche de cesIles, plufieurs Oifeaus qui frequentent la mer, viennent à la rencontre des Navires, c o m m e s'ils étoient envolez, pour les reconnoitre. Si toft que les nouveaus paffagers les apperçoivent, ils fe perfuadent qu'ils verront incontinent la terre : Mais il nefefaut pasflatterde cette efperance, jufques à ce qu'on les voie venir par troupes. Car il y en à une efpece , qui s'écarte fouvent en pleine M e r , de plus de deus cens lieües loin de terre. N o s François les n o m m e n t Frégates, à caufe de la fermeté & de la legereté de leur vol, Ces Oifeaus ont bien autant de X 2 chair


164 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap.15 chair qu'un Canart ; mais ils ont les ailes beaucoup plus grandes, auffi ils fendentl'air,avecune telle viteffe & rapidité, qu'en peu de temps, on les a.perdu de veuë. Ils ont le plumage different : car les uns font entierement noirs : & les autres font tout gris, à la referve du ventre & des ailes , qui font m ê lées de quelques plumes blanches. Ils font fort bons pefcheurs , car quand ils apperçoivent un poiffon àfleurd'eau, ils ne manquent pas c o m m e en fe jouant, de l'enlever,& d'en faire curée. Ils ont fur tout une adreffe merveilleufe, à fe faifir des poiffons volans; car fi toft qu'ils voyent, que cette delicate proye fait heriffer les eaus, & qu'elle s'en va eftre contrainte de prendre l'effor, pour eviter les cruelles pourfuites de fes ennemis de mer. Ils fe placent fi bien du cofté où ils doivent faire leur faillie , que dez qu'ils fortent de l'eau, ils les reçoivent en leur bec, ou en leur ferres : Ainfi ces innocens & infortunés poiffons, pour éviter les dens d'un ennemy, tombent fouvent entre les griffes d'un autre, qui ne leur fait, pas une meilleure compofition. Les rochers qui font en mer les petites Iles inhabitées fervent de retraitte à ces Oifeaus. C'eft auffi en ces lieus deferts, ou ils font leurs nids. Leur chairn'eftpoint tant prifée : mais o n recueille fort foigneufement leur graiffe, à caufe qu'on a experimenté, qu'elle eft tres propre, pour la guérifon ou du moins le foulagement, de la Paralyfie, & de toutes fortes de gouttes froides. A R T I C L E

II.

Des Fauves.

L

Es Oifeaus, que nos François appellent Fauves, à caufe delacouleur de leur dos, font blancs fous le ventre, Ils font de la groffeur d'une poule d'eau;mais ils font ordinairementfimaigres, qu'il ny a que leurs plumes qui les faffe valoir, ils ont les pieds c o m m e les Cannes, & le bec pointu, c o m m e les beccaffes. Ils vivent de petis Poiffons, de m ê m e que les Frégates , mais ils font les plus ftupides de tous les Oifeaus de m e r & de terre, qui font aus, Antilles; car foit qu'ils


Chap. 15 DES ILES ANTILLES. 165 qu'ils fe laffent facilement de voler, ou qu'ils prenentlesN a ­ vires pour des rochers flottans;auffitôt ;qu'ils en apperçoivent quelcun , fur toutfila nuit approche, ils viennent incontinent fe pofer deffus : Et ils fontfiétourdis qu'ils fe laiffent prendre fans peine. A R T I C L E

III.

Des aigrettes & de plufieurs autres Oifeaus de Mer & de Riviere.

O

N voit auffi prés de ces Iles, & quelquefois bien loin en M e r , des Oifeaus parfaitement blancs, qui ont le bec & les pieds rouges c o m m e du Coral ; Ils font un peu plus gros que les Corneilles. O n tient que c'eft une efpéce d'aigrette, à caufe qu'ils ont une queue qui eft compofée de deus plumes longues & precieufes, qui les fait difcerner entre tous les au­ tres Oifeaus, qui fréquentent la Mer. Entre les Oifeaus de Rivieres & d'étangs :Ily a des Pluviers,

des Plongeons, des Poules d'eau, des Cannars, des Oyes Sauva­ ges ; une efpece de petites Cannes , qui font blanches c o m m e la neige par tout le corps, & ont le bec & les pieds tout noirs, & des Aigrettes, d'une blancheur du tout admirable, qui font de la groffeur d'un Pigeon, & qui ont le bec femblable à celuy de la Becaffe, & vivent de poiffon, aimant lés fables & les ro­ chers. Elles font particulierement recherchées, à caufe de ce precieus bouquet, de plumesfines& deliées c o m m e de la foye, dont elles font parées,& qui leur donne une grace toute particuliere. Mais parce que tous ces Oifeaus de M e r & de Riviere, font c o m m u n s ailleurs, il n'eft pas befoin de les décrire. A R T I С L E

IV

Du Grand Gofier.

I

L y a encore un gros Oifeau en toutes ces Iles , qui ne vit que de poiffon. Il eft de la groffeur d'une große Canne, & X 3 d'un


HISTOIRE N A T U R E L L E , C h a p . 15 d'un plumage cendré & hideus à voir.Ila le bec long & plat, la tefte grotte, les yens petis & enfoncez,& un col affez court, fous lequel pend un Gofier,fidemefurement ample & vafte, qu'il peut contenir un grand feau d'eau. Ceft pourquoy nos gens l'appellent Grand Gofier. Ces Oifeaus, fe trouvent ordinairement fur les arbres, qui font au bord de la mer, où ils fe tiennent en embufcade pour épier leur proye. Car fi toft qu'ils voient quelque poilïon à fleur d'eau , & à leur avantage, ils fe lancenr deffus & l'enlevent. Ils fontfigoulus, qu'ils avallent d'affez gros poiffons tout d'un coup, & puis ils retournent à leur fentinelle. Ils font auffifiattentifs à leur péfche, que ne detournans point la veue de deffus la mer, d'où ils attendent leur proye;on les peut facilement tirer de la terre, fans qu'ils fe donnent garde du coup. Ils font fongearts & mélancoliques, comme il convient à leur employ. Leurs yeus fontfivifs & fi perçans, qu'ils découvrent les Poiffons bien loin en M e r , & plus d'une braffe de profondeur : mais ils attendent que le poiffonfoitpréfque à fleur d'eau, pour fe ruer deffus : leur chairn'eftpoint bonne à manger. 166

A R T I C L E

V.

De Poules d'eau,

L

Es Iles, qu'on n o m m e les Vierges, font recommendables entre toutes les Antilles, pour avoir une infinité de beaus & de rares Oifeaus de mer& de terre. Car outre tous ceus dont nous venons de parler, qui y font en abondance, o n y voit une efpece de petites Poules d'eau , qui ont un plum a g e raviffant. Elles ne font pas plus groffes qu'un pigeon : mais elles ont le bec plus long de beaucoup , de couleur jaun e ,& les cuiffes plus hautes, qui de m ê m e que les pieds, font d'un rouge fort vif. Les plumes du dos& des ailes , & de la queue, font d'un Incarnat luifant, entre-mélé de vert& de noir, qui fert c o m m e de fons, pour relever ces éclatantes couleurs. Le deffous des ailes& du ventre,eftd'un jaune doré. Leur col & leur poitrine, font enrichis d'une agreable m é lange , de tout autant de vives couleurs, qu'il y en à en tout leur


Chap. 15 DES ILES ANTILLES. 167 leur corps : & leur telle qui eft m e n u e , & en laquelle font enchaffez deus petis yeus brillans, eft couronnée d'une huppe tiffuë de plufieurs petites plumes, qui font auffi émaillées de diverfés belles couleurs. A R T I C L E

Des

VI.

Flammans.

Es étangs , & les lieus marécageus , qui ne font pas fouvent fréquentez, nourriffent de beaus & grands Oifeaus, qui ont le corps delagroffeur des Oyes fauvages, & de la figure de ceus , que les Hollandois n o m m e n t Lepelaer, à caufe de la forme de leur bec, qui eft recourbé en faffon d'une cüeilliere. Car ils ont le bec tout pareil, le col fort long, & les jambes & les cuiffes fi hautes, que le refte de leur corps eft élevé de terre de deus bons pieds ou environ. Mais ils différent en couleur, d'autant qu'ils ont le plumage blanc quand ils font jeunes;.puis après à mefure qu'ils croiffent, il devient de couleur de R o f e , & enfin quand ils font âgez , il eft tout incarnat. Il y a apparence que c'eft à caufe de cette couleur, que nos François les ont n o m m é s Flammans. 11 fe trouve de c e s m ê m e s Oifeaus, prés de Montpélier, qui ont feulement le deffous des ailes & du corps incarnat, & le deffus noir, Il s 'en voit auffi aus Iles, qui ont les ailes mêlées de quelques plumes blanches & noires. O n ne les rencontre rarement qu'en troupe, & ils ont loiiye & l'odorat fi fubtils ; qu'ils éventent de loin les chaffeurs, & les armes a feu. Pour éviterauffitoutes furprifes, ils fe pofent volontiers en des lieus découverts, & au milieu des marécages, d'où ils peuvent appercevoit de loin leurs ennemis , & il y en a toujours un de la bande, qui fait le guet, pendant que les autres fouillent en l'eau , pour chercher leur nourriture: Et aufli toll qu'il entend le moindre bruit, ou qu'il apperçoit un h o m m e , il prend leffor, & il jette u n cri, qui fert de fignal ans autres pour le fuivre. Q u a n d les chafteurs , qui fréquentent l'Ile de S. D o m i n g u e , veulent abattre de ces Oifeaus, qui y font fort c o m m u n s , ils fe mettent au deffous

L


168 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 15 deffous du vent, afin que l'odeur de la poudre ne leur foit fi facilement portée, puis ils fe couvrent d'un cuir de B œ u f , & marchent fur leurs mains, pour contrefaire cette befte, jufques à ce qu'ils foient arrivez en un lieu, d'où ils puiffent c o m m o d e m e n r tirer leur coup : & par cette rufe, ces Oifeaus qui font acoutumez de voir des Bœufs fauvages, qui defcendent des montagnes, pour venir aus abreuvoirs , font faits la proie des chaffeurs. Ils font gras & ont la chair affez délicate. O n conferve leur peau, qui eft couverte d'un m o l duvet, pour eftre employée aus m ê m e s ufages, que celles du C y g n e & d u Vautour. A R T I C L E

VII.

De l'Hirondelle de l'Amérique; Il

y a quelques années, qu'il fut aporté de ces îles, à un curieus de la Rochelle, un Oifeau de la groffeur d'une Hirondelle, & tout femblable, exeepté que les deus grandes plu-

m e s de la queuë, étoient u n peu plus courtes , & que fon bec étoit crochu, c o m m e celuy d'un Perroquet, & fes pieds c o m m e ceus d'une C a n n e , le tout parfaitement noir, fi ce n'eft le


Chap. 15 D E S I L E S A N T I L L E S . 169 le deffous du ventre, qu'il avoit blanc c o m m e celuy des Hirondelles;enfin il leur reffembloitfifort,horsmis cette petite difference, que nous ne le faurions mieus n o m m e r qu'Hirondelle d'Amérique. N o u s luy avons à deffein donné place après les Oifeaus de M e r Se de Rivière, à caufe que la forme de fes pieds donne affez à connoiftre qu'il vit dans les eaüs. Et parce qu'il eftfirare , qu'aucun Auteur n'en a jamais parlé que nous fâchions, nous en donnons icy la figure fidelement tirée fur l'original, renvoyans celles des autres Oifeaus plus remarquables, que nous avons déjà décrits, ou que nous allons décrire, à lafinde ce Chapitre. A R T I C L E

VIII.

De plufieurs Oifeausdeterre. Utre tous ces Oifeaus de Mer, de Rivières, & d'étangs ; on trouve en ces Iles une tres grande abondance de PerO dris , de Tourtes , de Corneilles, & de Ramiers, qui menent un étrange bruit dans les bois. O n y voit trois fortes de Poules, les unes font Poules communes, femblables à celles de ces quartiers ; les autres font de celles que nous n o m m o n s Poules d'Inde : Et celles de la troitiéme forte, fontuneefpecede Faifans, que les Françoisàlimitation des Efpagnols, appellent Poules Pintades, par ce qu'elles font c o m m e peintes de couleurs blanches, & de petis points, qui font c o m m e autant d'yeus, fur un fonds obfcur. Il y a auffi plufieurs Merles , Grives, Ortolans&Gros-becs, préfque tout femblables ans nôtres de m ê m e n o m . Quant aus autres Oifeaus, qui four particuliers aus forefts des Antilles, il y en à de tant de fortes, & qui font fi richem e n t , & fi pompeufement couverts: qu'il faut avouer que s'ils cedent à ceus de l'Europe pour le chant :Ilsles furpaffent de beaucoup en beauté de plumage. Les defcriptions que nous allons faire, de quelques uns des plus confiderables, confirmeront fuffifamment la vérité de cette proposition, Y

Nous


HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap.15 N o u s commencerons par les Perroquets, qui felon leur différente groffeur font diftinguez en trois efpeces. Les plus grands font n o m m e s Arras, Canides ou Canivés les moindres Perroquets communs ,. & les plus petis Perriques.

170

A R T I C L E Des

IX.

Arras;.

L

Es Arras font des Oifeaus beaus par excellence , de la groffeur d'un Faifan : mais quant à lafiguredu corps, ils font femblables aus Perroquets. Ils ont tous la telle affés groffe, les yeus vifs & affures,le bec crochu, & une longue queue, qui eft compofée de belles plumes, qui font de diverfes couleurs,felonla difference des Iles, où-ils ont pris leur naiffance. O n en voit qui ont la tefte, le deffus du col, & le dos de bleü celefte tabizé, le ventre & le deffous du c o l & des ailes, de jaune râle, & la queue entierement rouge. Il y en a d'autres, qui ont préfque tout le corps de couleur de feu , horsmis qu'ils ont en leurs ailes, quelques plumes, qui font jaunes, azurées & rouges. Il s'en trouve encore qui ont tout le plum a g e meflé de rouge, de blanc , de bleu, de vert & de noir, c'eft à dire de cinq belles & vives couleurs, qui font un trèsagréable émail. Ils volent ordinairement par troupes. O n jugeroità leur pofture qu'ils font fort hardis & refolus: car ils ne s'étonnent point du bruit des armes à feu, &files premier coup ne les a bleffez, ils attendent fans bouger du lieu où ils font, une deuziéme charge : mais il y en a plufieurs, qui attribuent cette affurance, à leurftupiditénaturelle, plutôt qu'a leur courage. O n les apprivoifé allez aifément : on leur apprend auffi à prononcer quelques paroles, mais ils ont pour la plupart, la langue trop épaiffe, pour fe pouvoir faire entendre, aufilbien que les Canidés,, & les plus petis Perroquets. Ils fontfiennemis du froid, qu'on à bien de la peine à leur faire paffer la mer.

ARTI-


C h a p . 15

DEs

ILES

ANTILLES.

A R T I C L E

171

X.

Des Canidés.

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N eftime beaucoup les Canidés qui font de m ê m e groffeur que les precedens, mais d'un plumage encore plus raviffant. T é m o i n celuy que Monfieur du Montel qui a fait plufieurs voyages en l'Amérique , & qui a foigneufément vifité toutes les Iles, a veu en celle de Coraçao, & dont il nous „ donne cette exacte relation. Il meritoit, dit il, de tenir „ rang entre les plus beaus Oifeaus du monde. Je le confideray defiprez,& le maniayfifouvent étant en ce lieu là, que ,, j'en ay encore les idées toutes fraiches. Il. avoit tout le plum a g e fous le ventre, fous les ailes & fous le col de cou„leur d'aurore tabizée: Le deffus du dos, & de la moitié des ailes d'un bleu celefte, & vif au poffible. La queue & ,,les grandes plumes des ailes, étoient entremêlées d'un inearnadin éclatant à merveilles, diverfifié d'un bleü c o m m e le deffus du dos, d'un vert naiffant, & d'un noir luifant, qui „ rehauffoit & faifoit paroître avec plus déclat, l'or & l'azur „ de l'autre plumage. Mais ce qui étoit le plus beau , étoit fa ,, telle, couverte d'un petit duvet de couleur de Rofe , mar,, queté de vert, de jaune, & de bleü mourant, qui s'étendoit „ e n ondes jufques au dos. Ses paupières étoient blanches, „ & la prunelle de fes yeux jaune& rouge , c o m m e un rubis „ dans un chaton d'or. Il avoit fur la telle , c o m m e une toque „ de plumés d'un rouge vermeil, étincelant c o m m e un charbon allumé, qui efloit bordée de plufieurs autres plumes plus petites, de couleur de gris de perle. „ Q u e s'il étoit merveilleus pour cette riche parure, il n'é„ toit pas moins à prifer pour fa douceur ; Car bien qu'il eût „ le bec crochu,& que les ongles, ou ferres de fes pieds, d'ont „ il fe fervoit c o m m e de mains , tenant fon manger, & le por„ tant au bec, fuffentfiperçantes&fifortes, qu'il eutpüem„ porter la pièce, de tout ce qu'il empoignoit : neantmoins „ il étoitfiprivé,qu'il joüoit avec les petis enfans, fans les blef,, fer : Et quand on le prénoit, il refferroitfibien fes ongles, Y 2 ,,que


Chap.15 ,,que l'on n'en fentoit aucunement les pointes. Il l'échoit „ c o m m e un petit chien, avec fa langue courte & épaiffe, ceus „ qui l'amadoüoient, & luy donnoient quelque friandife, joig„noit fa tefteà leur joues, pour les baifer & careffer, & t é,,moignant par mille foupleffes fa reconnoiffance, il fe laif„ foit mettre en telle pofture qu'on vouloit, & prenoit plaifir à fe divertir de la forte, & à faire pafler le tems à fes amis. ,, Mais autant qu'il étoit dous & traittable, à ceus qui luy fai„ foient du bien; autant étoit il mauvais & irreconciliable, à ceus quil'avoientoffenfé, & il les favoit fort bien difcer,,ner entre les autres, pour leur donner quelques atteintes „ de fon bec & de fes ongles, s'il les trouvoit à fon avantage. ,, A u refte il parloit Hollandois , Efpagnol , & Indien : Et en ce dernier langage il chantoit des airs c o m m e un Indien ,, m ê m e . Il contrefaifoit auffi toutes fortes de volailles, & ,, d'autres animaus domeftiques. Il nommoit fes amis par n o m & par furnom, accouroit à eus, & voloit fureus, fi toft: qu'il les apperçevoit, notamment quand ilavoit faim. Q u e ,, s'ils avoient elle abfens, & qu'il ne les eut veus de long ,, tems, il faifoit paroître la joie qu'il avoit de leur retour, par des cris déjouiffance. Quand il avoit bien folâtré & joué, & que l'on étoit ennuyé de fes careffes, il fe retiroit au faîte du couvert de la caze de fon nourriffier, qui étoir un Cava», lier de la m ê m eIle: Et de la il parloit, chantoit, & faifoit millefingeries,fe mirant en fou plumage qu'il agençoit & „ partit, nettoyoit & poliffoit avec fon bec. O n n'avoir ,, point de peine à le nourrir. Car non feulement le pain ,,dont on ufe en cetteIle,mais tous lesfruits& toutes les ,, racines qui y croulent, luy étoient agreables. Et quand on ,,luy en avoit donné plus qu'il n'en avoit befoin, il cachoit foigneufement le relie, fous les feuilles de la couverture de la caze, & y avoit recours dans la neceffité : Enfin, je n'ay „ jamais veu d'oifeau plus beau ni plus aimable. 11 étoit digne „ d'être prefenté au R o y , fi on euft pu le pafler en France, C'eft la, ce qu'en rapporte ce noble & véritable T é m o i n , qui ajoute, qu'il avoit été apporté des Antilles à Monfieur R o denborck, qui étoit alors Gouverneur du Fort, & de la C o lonie Hollandoife, quieften l'Ile de Caraçao. 172

HISTOIRE

NATURELLE,

ARTI-


Chap. 15

DES

ILES

ANTILLES.

A R T I C L E

173

XI.

Des Perroquets. N voit prefque par toutes les Antilles des Perroquets, que les Indiens habitans du païs appellent en leur langue Kouléhuec, & qui vont par troupes c o m m e les E tourneaus. Les chaffeurs les mettent au rang du gibier, & ne croient pas perdre leur poudre ni leur peine de les mettre bas. Car ils fontauffibons & auffi gras, que le meilleur poulet : fur tout quand ils font jeunes , & pendant le tems des graines, & des fruits de plufieurs Arbres, dont ils fe nourriffent. Ils font de différente groffeur & de différent plumage, felon la différence des îles. D e forte que les anciens habitans favent reconnoître le lieu ou ils font nez , à leur taille & à leur plume. Il y en à d'une admirable forte, en l'une des Iles qu'on appelle Vierges. Ils ne font pas plus gros que l'Oifeau que les Latins n o m m e n t Hupupa, & ils ont prefque la m ê m e figure. Mais ils font d'un plumage chamarré d'une fi grande variété de couleurs, qu'ils recréent merveilleufement la veuë, ce ce qui eft le principal, ils apprenent parfaitement bien à parler, & contrefont tout ce qu'ils entendent.

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A R T I C L E

XII.

Des Perriques.

L

Es plus petis Perroquets, ne font pas plus gros qu'un Merle, il s'en trouve m ê m e qui n'ontpas plus de corps qu'un Paffereau. O n les n o m m e Perriques. Elles font couvertes d'un plumage, qui eft entièrement vert, horsmis que fous le ventre & aus bords des ailes & delaqueue, il tire fur le jaune. Elles apprenentauffià parler & à fiffler. Maiselles retiennent toujours quelque peu du fauvagin. C e qui fait qu'elles pincent bien tort, quand elles ne font pas en bonne humeur. Et fi elles peuvent avoir la liberté, elles gagnent les bois, où elles meurent de faim. Car ayant efté nourries Y 3

d e


Chap.15 de jeuneffe en la cage, où elles trouvoient leur nourriture préparée, elles ne favent pas choifir les Arbres , fur léquels il y a des graines qui leur font propres.

174

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

A R T I C L E

XIII.

Du Tremblo. L y à en quelques Iles, particulièrement à la Gardeloupe, un petit Oifeau que l'on n o m m e Tremblo, parce qu'il tremble fans ceffe principalement des ailes qu'il entr'ouve. Il eft de la groffeur d'une caille, & fon plumage eft d'un gris un peu plus obfcur, que celuy de l'Alouette.

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A R T I C L E

XIV.

Du Paffereaude l'Amérique. m

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Es îles de T a b a g o & de la Barboude, c o m m e e'tant les plus Méridionales des Antilles , ont beaucoup de rares Oifeaus, qui ne fe voient pas en celles,qui font plus aunord.Il s'y en rencontre entre autres un, qui n'eft pas plus gros qu'un Paffereau, & qui a un plumage raviffant : Car il a la tefte, le col, & le dos, d'un rouge il vif & fi éclatant, que lors qu'on le tient ferre en la main, & qu'on ne fait paroiftre que le col, o u le dos, on le prendroit m ê m e de fort prez , pour un charbon allume. Il a le deffous des ailes & du ventre d'un bleu celcfte , & les plumes des ailes & de la queue, d'un rouge obfcur, marqueté de petis points blancs, difpofez en égale diftance, qui ont la figure de la prunelle de fon œil. Il a auffi le bec, & le ramage , d'un Paffereau; & pour ce fujet on l'a n o m m é à bon droit, Paffereau de l'Amérique,

ARTI-


Chap. 15

DES

ILES

A N T I L L E S . 175

A R T I C L E

XV.

De l'Aigle D'Orinoque.

I

L paffe auffi fouvent de la terre ferme, à ces mêmes Iles, une forte de gros Oifeau, qui doit tenir le premier rang entre les Oifeaus de Proye, qui font aus Antilles. Les premiers habitans de Tabago ; le n o m m e r e n t , Aigle D'orinoque, à caufe qu'il eft de la groffeur & de lafigured'une Aigle, & qu'on tient que c'et Oifeau, qui n'eft que paffager en cette Ile, fe voit c o m m u n e m e n t en cette partie de lAmerique Meridionale , qui eft arrofée de la grande Riviere d'Orinoque. T o u t fon plumage eft d'un gris clair, marqueté de taches noires, horsmis que les extrémités de fes ailes & de fa queue, font bordées de jaune.Ila les yeus vifs & perçants. Les aîles fort longues, le vol roide & promt, veu la pefanteur de fon corps. Ils fe repaid d'autres Oifeaus, fur léquels il fond avec furie, & après les avoir atterrez, il les dechireen pieces , de les avale, Il a neantmoins tant de generofité, qu'il n'attaque jamais ceus, qui font foibles & fans defenfe. Mais feulement les Arras, les Perroquets, & tous les autres qui font armez c o m m e lui, de becs forts & crochus, & de griffés pointues. O n a m ê m e remarqué, qu'il ne fe rue point fur fon gibier, tandis qu'il eft à terre, ou qu'il eft pofé fur quelque branche : mais qu'il attend qu'il ait pris l'effor,pour le combattre en l'air, avec un pareil avantage. A R T I C L E

XVI.

Du Mansfeny.

L

E Mansfeny , eft auffi une efpece de petite Aigle, qui vit auffi de Proye, mais il n'a pas tant de cœur, que celle dont nous venons de parler, car il ne fait la guerre qu'ans Ramiers, aus Tourtes, ans poulets, & aus autres petis Oifeaus,qui ne lui peuvent refilter.

Il


C h a p . 15 Il y a encore dans ces Iles une infinité d'autres Oifeaus de toutes fortes d'éfpeces, ôc dont la plupart n'ont point de noms.

176

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

A R T I C L E

X V I I .

Du Colibry.

P

O u r couronner dignement l'Hiftoire des Oifeaus de nos Antilles, nous finirons par l'admirable Colibry, admirable pour fa beauré, pour fa petiteffe, pour fa bonne odeur, ôc pour fa faffon de vivre, Car étant le plus petit de tous les Oifeaus qui fe voient, il vérifie glorieufement le dire de Pline, que

Natura nufquam m a g i s quam in minimis tota est. Il fe trouve de ces Oifeaus, dont le corps eftfipetit, qu'ils ne font guéres, plus gros qu'un Hanneton. Il y en a, qui ont le plumage fi. beau , que le col les aîles & le dos reprefentent la diverfité de l'arc-en-ciel, que les Anciens ont appellé Iris,&fille de l'ad­ miration. L'on en voit encore, qui ont fous le col un rouge fi vif, que de loin, on croiroit que ce feroit une efcarboucle. L e ventre & le deffous des aîles eft d'un jaune doré; les cuiffes d'un vert d'Emeraude; les pieds & le bec noirs c o m m e ébene polie; & les deus petis yeus, font deus diamans enchaffez en une ovale de couleur d'acier bruny. L a tefte eft d'un vert naiffant qui lui donne tant d'éclat qu'elle paroit c o m m e d'o­ rée. L e mafle, eft enrichy d'une petite H u p e en forme d'ai­ grette , qui eft compofée de toutes les differentes couleurs, qui emaillent ce petit corps, le miracle entre les Oifeaus , & l'une des plus rares productions de la nature. Il abaiffe & leve quandillui plait cette petite crefte de plumes, dont l'Au­ teur de la nature l'afirichement couronné. T o u t fon plu­ m a g e eft auffi plus beau, & plus éclatant, que celuy de la femelle. Q u e fi cet Oifeau eft merveilleus en fa taille , & en fon plu­ mage; il n'eft pas moins digne d'admiration en l'activité de fon vol, qui eftfivite ôcfiprécipité, qu'à proportion, les plus gros Oifeaus, ne fendent point l'air avec tant de force, ôc ne font pasunbruitfirefonnant, que celuy qu'excite cet aimable


Chap. 15

DES

ILES

ANTILLES.

177

ble petit Colibry, par le battement de les ailes ; Car on diroit que ce foit un petit tourbillon é m e u en l'air, & quififfleans oreilles. Et parce qu'il le plaira voler prés de cens qui paffent, il furprend quelquefoisfiinopinément, que bien fouvent il donne une fubite, & innocente frayeur, à cens qui l'entendent plûtoft qu'ils ne le voient. Il ne vit que de rofée, laquelle il fucce fur lesfleursdes arbres avec fa langue, qui eft beaucoup plus longue que Je bec, & qui eft creufe c o m m e un petit chalumeau , de la groffeur d'une m e n u e aiguille. O n ne le voit que fort rarement fur terre, ni m ê m e perché fur les arbres : mais fufpendu en l'air aupres de l'arbre, ou il prend fa nourriture. Ilfefou tient ainfi par un dons battement d'ailes, & en m ê m e tems il tire la rofée, qui fe conferve le plus long-tems, au fond des fleurs à d e m y épanouies. C'eft en cette pofture, qu'il y a du plaifir à le confiderer. Car épanovïffant la petite hupe, o n diroit qu'il ait fur la tefte, une couronne de rubis & de toutes fortes de pierres precieufes. Et le Soleilrehauffanttoutes les riches enluminures de fon plumage, il jette un éclatfibrillant, qu'on le pourrait prendre, pour une rofe de pierrerie animée & volante en l'air. A u s lieus où il y à plufieurs Cottonniers, o n voit ordinairement quantité de Colibris. Bien que fon plumage perde beaucoup de fa grâce quand il eft mort,fieft ce qu'il eft encorefibeau, que l'on aveu des D a m e s en porter par curiofité pour pendans d'oreilles. C e que plufieurs ont trouvé leur eftre mieus feant, que tous les autres. C e merveilleus Oifeau, n'a pas feulement la couleur extraordinairement agréable : mais il y en a d'une forte, qui après avoir recrée la veué, rejouit encore & contente l'odorat par fa fovëue odeur, qui eft auffi douce , que celle de l'ambre & dum u f cles plus fins. Il bâtit le plus fouvent fon nid, fous une petite branche de quelque Oranger ou Cottonnier, & c o m m e il eft proportioné à la petiteffe de fon corps, il le cachefibien parmy les feuilles,&le metfiinduftrieufement à l'abry des injures de l'air, qu'il eft préfque imperceptible.Ileft auffi,fibon architecte, que pour n'eftre point expofé aus vens du levant & du Nord, Z qui


178

Chap. 15 qui foufflent d'ordinaire en ces païs-la, il le place au midy. Il le compofe au dehors de petis filets d'une Plante que l'on n o m m e Pite, & dont nos Indiens font leurs cordes. C e s petis filamens, font deliez c o m m e des cheveus, mais beaucoup plus forts. Il lesIle& les entortille avec fon bec fi ferrement, à l'entour de la petite branche fourchue, qu'il à choifie pour y perpetuer fon efpece: que ce nid étant ainfi parmy les feuilles, & fufpendu fous la branche, fe trouve c o m m e nous avons dit & hors de la veuë, & hors de tout peril. L'ayant rendu folide & remparé au dehors par ces filam e n s , & par quelques brins décorces & de menues herbes, entrelacez les uns dans les autres avec un merveilleus artifice , il le pare au dedans du plus fin cotton , & d'un duvet de petites plumes, plus molles que la foye la plus deliée. La femelle , ne fait c o m m u n é m e n t que deus œ u f s , qui font en ovale, & de la groffeur d'un pois, ou fi vous voulés d'une perle de conte. Notre brave voiageur, ne fe taira pas fur cette matiere, elle eft trop digne de fes obfervations curieufes. Voicy donc ce qu'il en écrit entr'autres chofes à fon amy, en fes relations familières. O n trouve par fois des nids de Colibry, fous les branches de quelques unes de ces plantes de tabac, qu'on „laiffecroîtreauffihaut qu'elles peuvent, pour en avoir la „ graine. Je m e fouviens, qu'un de nos Negres m'en montra un, qui étoit ainfi fort proprement attaché fous une de ces „ branches. M ê m e c o m m e j'étois à Saint Chriftofle, à la „ pointe des Palmiftes, un Anglois m'en fit voir un autre, qui „ tenoit à l'un des rofeaus, qui foutenoit la couverture de fa cafe à Tabac, c o m m e ont parle ans Iles. J'ay veu auffi un „ de ces nids avec les œufs, qui étoit encore attaché à la branche, qui avoit efté coupée pour l'ornement du cabinet d'un eu riens, lequel avoit de plus encore le mafle & la „ femelle fecs, & confervez en leur entier. Et c'eft là où je „ confideray attentivement & le nid & l'oifeau. Et après avoir admiré l'œuvre de Dieu en cette petite creature, je „ dis étant tout ravy à la veuë de ce nid, qui étoit delagrof„ feur d'une nois, HISTOIRE

NATURELLE,

"

Que


Chap. 15

DES

„ „

Que la mariere oulafigure Se faffe icy confiderer Rien ne fe doit accomparer A cetteexquifeArchitecture Vne folide dureté S'y mefle avec la beauté Par unfingulierartifice : Car un bec eft tout l'inftrument donne à ce rare édifice, Son plus precieus ornement.

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Qui

ILES

ANTILLES

179

Au refte,ilfe voit de ces Oifeaus prefque en toutes les A n tilles, mais felon la diverfité des Iles ils different & de groffeur & de plumage. Les plus beaus, & les plus petis de tous, fe trouvent en l'Ile d'Aruba,qui relevé de la Colonie Hollandoife , qui eft à Coraçao, O n pourroit peut eftre defirer icy, que nous par laffions d u chant de cet Oifeau , & qu'après avoir ravy la veuë , & fatisfait merveilleufement l'odorat, il contentaft encore l'ouïe par l'harmonie de fon chant. Quelques uns difent qu'en effet il y en a d'une efpece, qui chante en quelque faifon de l'année. Mais il y a grande apparence , que ce qu'on appelle le chant du Colibry, n'eft autre chofe, qu'un petit cry femblable à celuy de la Cygale, qui eft toujours d'un m ê m e ton. Mais quand il ne chanteroit pas, il poffede fans cela , allez d'autres rares avantages de la nature , pour tenir rang entre les plus beaus , & les plus excellens Oifeaus. Ceus qui ont demeuré au Brefil, nous rapportent conftanment, qu'il y a u n petit Oifcau n o m m e Gonambuch, d'un blanc luifant, qui n'a pas le corps plus gros qu'un Frelon, & qui ne doit rien au Roffignol, pour le regard du chant clair & net. Peuteftre que c'eft uneefpécedeColibry-, c o m m e quelques uns le pofent. Mais toujours n'eft il pas comparable, ni en beauté de plumage , ni en odeur, & autres raviffantes qualitez, à celuy que nous venons de décrire. Z 2 Ceus


180 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 15 Ceus la ont mieus rencontré, qui ont dit que ce chef d'oeuvre de nature, eft une efpéce de ces petis Oifeaus que quelques Indiens appellent Guaraciaba, o u Guacariga,c'eftà dire Rayon du Soleil, & Guaracigaba, c'eft â dire cheveu du Soleil. Les Efpagnols les n o m m e u t Tomineios, par ce que quand on en met un avec fon nid dans un trébuchet à pefer l'or, il ne pefe ordinairement, que deus de ces petis poids, que les m ê m e s Efpagnols appellent , Tominos,, c'eft à dire vint-quatre grains. Quelques uns ont mis en avant, qu'une partie de ces admirables Colibris, font premierement des M o u c h e s , qui puis aprés fe transforment en Oifeaus, D'autres ont écrit, que les Antillois appelloient ces Oifeaus des R é n e z , parce qu'ils dorment la moitié del'annéec o m m e les L'oirs, & qu'ils fe reveillent au Printems, renaiffant c o m m e de nouveau, avec cette agreable faifon. M ê m e il y en à qui difent, que lors que les fleurs viennent à tomber, ils pouffent leur petit bec dans le tronc des arbres, & y demeurent fichez immobiles & c o m m e morts durant fix mois, jufques à ce que la terre vienne à à eftre couverte , d'un nouveau tapis de fleurs. Mais nous n'avons garde de mefler tous ces contes, à la véritable Hiftoire de nôtre Colibry, & nous ne les faifons que toucher,du doigt en paffant. N o u s fermerons ce Chapitre, par une chofe bien digne d'être remarquée, & qui ne fe voit point ailleurs, fi ce n'eft peut eftre en la Guinée c o m m e l'Infcot le rapporte. C'eft le merveilleus inftinct, que Dieu adonné à.tous les petis Oifeaus de l'Amerique, pour conferver leur efpece. E n ce qu'y ayant parmy les bois une forte de grandes couleuvres vertes & m e nues, qui rampent fur les Arbres, & qui pourroient s'entorîillant de branche en branche, aller manger les œufs des Oifeaus, dont elles font fort avides : Pour empefcher ces larroneffes d'atteindre àleurs nids, tous les petis Oifeaus, qui n'ont pas le bec affez fort, pour fe defendre contre leurs ennemis, font leurs nidsau bout fourchu de certains filamens, qui com-, m e le lierre croiffent à terre , s'élevent à la faveur des Arbres, & s'étant pouffez jufqu'à leur f o m m e t , ne pouvant aller plus outre, retombent en bas, quelques fois deus o u trois braffes,, au,


C h a p . 15 DES ÎLES A N T I L L E S , 181 au deffous des branches. C'eft donc au bout de ces ligamens n o m m e s Lienes par nos François, que les Oifcaus attachent fortement leurs nids , avec une telle induftrie, que lors qu'on les rencontre dans les bois, c o m m e il y en a grand n o m b r e , o n ne peut affez admirer, ni la matière, ni l'ouvrage de ces petis édifices branlans. Pour ce qui eft des Perroquets, & des autres Oifeaus qui font plus forts, ils font leur nids dans les creus des arbres, o u fur les branches, c o m m e ceus de par deçà : Car ils peuvent rechaffer avec le bec & les ongles les C o u leuvres qui leur font la guerre. O n trouvera en la page fuivante, les figures des Oifeaus les plus rares & les plus confiderables que nous venons d e décrire: mais il faut confeffer que le burin, ni m ê m e les pinceaus les plus delicas, ne leur s'auroient donner la grace, les traits, ni toutes les vives couleurs, dont ils font naturellement parez.

Z3

CHA-


182

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

Chap. 15


Chap.16

D E S ILES

ANTIlLES.

183

CHAPITRE SEIZIEME. Des Poiffons de la M e r , & des Rivieres des Antilles. O u s ne pretendons pas, de traitter l'Hiftoire des Poiffonsdes Antilles, avec toute l'exactitude, que cette ample & féconde matière le pourroit defirer: mais, puis qu'apres avoir confideré jufques icy, toutes les plus precieufes richeffes, dont Dieu a fort avantageufement pourveu les terres de ces heureufes contrées, l'ordre requiert, q u e nous parlions à prefent, des productions de la M e r qui les entoure , & des Rivieres qui les arrofent: nous nous propofons feulement de décrire briévement dans ce Chapitre, les plus excellens Poiffons, qui s'y trouvent en abondance, & qui fervent à la nourriture de l'homme, afin que cette confideration nous porte à reconnoître, que fa tres-fage Providence a déployé fes merveilles fur les profondes eaus, avec autant déclat & de liberalité que fur le fec, & par confequent qu'il eft jufte que les Cieus & la terre le louent, la M e r & tout ce qui fe rem u é en elle.

N

A R T I C L E

I.

Des Poiffons volans.

L y en a, qui tiennent pour u n conte fait a plaifir, ce que l'on dit des Poiffons volans , bien que les relations de plufieurs fameus voiageurs en faffent foy. Mais, quelque opinion qu'en puiffent avoir ceus qui ne veulent rien croire , que ce qu'ils ont veu, c'eft une vérité tres-conftante, qu'en navigeant, dés qu'on a paffé les Canaries, jufques à ce que l'on approche des Iles de l'Amerique , on voit fortir fouvent de la; M e r , de groffes trouppes de Poiffons, qui volent la hauteur d'une pique, & près de cent pas loin , mais pas davantage : par ce que leurs ailes fe féchent au Soleil. Ils font préfque femblables aus Harans , mais ils ont la tefte plus ronde, & ils font plus larges fur le dos. Ils ont les ailes c o m m e une C h a u ve-fou-

I


184 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 16 Ve-fouris, qui commencent un peu au deffous de la tefte, & s'étendent préfque jufques à la queue. Il arrive fouvent, qu'ils donnent en volant contre les voiles des Navires, & qu'ils tombent m ê m e en plein jour fur le tillac. Ceus qui en ont fait cuire, & qui en ont mangé les trouvent fort delicas.


Chap. 16 DES ILES ANTILLES. 185 C e qui les oblige à quitter la mer , qui eft leur élément le plus ordinaire , eft qu'ils font pourfuivis de plufieurs grands Poiffons, qui en font curée. Et pour efquiver leur rencontre, ils prennent une fauffe route, faifant un bond en l'air, & changeant leur nageoires en ailes, pour eviter le danger, mais, ils trouvent des ennemis en l'air,auffibien que dans les eaus. Car il y a de certains Oifeaus marins, qui ne vivent que de proye, lefquels leur font auffi une cruelle guerre, & les prennent en volant ; c o m m e nous l'avons déjà dit au Chapitre précèdent. Il ne fera peut eftre pas désagréable à ceus, qui liront l'Hiftoire de ces Poiffons ailés du nouveau m o n d e , de nous y voir ajouter pour enrichiffement, les paroles de ce grand Poëte, qui dans fon Idyle Heroïque, nous témoigne qu'avec plaifir il a veu millefoisfous les cercles brulans Tomber comme des Cieux de vrais poiffons volans : Qui courus dans lesflotspar des monftres avides, Et mettant leur refuge en leurs ailes, timides Au fein du pin vogueur pleuvoient de tous cotez, Et joncohient le tillac de leurs corps argentez,. A R T I C L E

II.

Des Perroquets de Mer.

I

L y a auffi en ces quartiers là des Poiffons, qui ont l'écaillé c o m m e la Carpe, mais de couleur verte c o m m e la plume d'un Perroquet: d'où vient auffi que nos François les n o m ment Perroquets de Mer. Il ont les yeus beaus & fort étincelans, les prunelles claires c o m m e du Criftal, qui font entourées d'un cercle argenté, qui eft enfermé dans un autre, qui eft d'un vert d'émeraude c o m m e les écailles de leur dos, car celles de deffous le ventre, font d'un vert jaunâtre. Ils n'ont point de dents, mais, ils ont les mâchoires d'enhaut & d enbas d'un os folide, qui eft extrêmement fort, de m ê m e couleur que leur écailles, & divifé par petis compartimens beaus À VOIR. Ils VIVENT de Poiffons à Coquille, & en cet avec ces duA2 res


186

HISTOIRE

NATURELLE,

Chap.16

res machoires, qu'ils brifent c o m m e entre deus meules, les Huitres les Moules, & les autres coquillages, afin de fe repaître de leur chair. Ils font excellens à manger , & fi gros, qu'il s'en voit qui pefent plus de vint livres. A R T I C L E

III,

De la Dorade.

L

A Dorade, que quelques uns n o m m e n t Brame de Mer, y eft encore commune. Elle a ce n o m de Dorade, parce que dans l'eau fa tefte paroit d'un vert doré, & tout le refte de fon corps jaune c o m m e or, & azuré c o m m e le ciel ferain. Elle fe plait à fuivre les Navires, mais elle nage d'une telle viteffe, qu'il faut eftre bien adroit, pour la pouvoir atteindre avec la gaffe ou foine, qui font des inftrumens, avec lefquels les Matelots ont de coutume de prendre les gros Poiffons : auffi il s'en voit peu, qui ait une plus grande difpofition naturelle à fendre lesflotsque celuy-ci; car il aledevant de la tefte fait en pointe, le dos herifle dépines qui s'étendent jufques à la queue qui eft fourchue, deus nageoires au défaut de la tefte, & autant fous le ventre, les écailles petites, & tout le corps d'une figure plus large que groffe; C e qui luy donne un merveilleus empire dans les eaus. Il s'en trouve, qui ont environ cinq pieds de longueur. Plufieurs eftiment que leur chair qui eft un peu féche, eft auffi agréable au goût que celle de la Truitte ou du Saulmon;pourveu que fon aridité foit corrigée, par quelque bonne fauce. Lors que les Portugais voient que ces Doradesfiuventleur Navire, ils fe mettent fur le beau pré, avec une ligne à la main, au bout de laquelle il y a feulement un morceau de linge blanc au haut de l'hameçon, fans autre apas.

ARTI-


Chap. 16 DES

ÎLES

ANTILLES.

A R T I C L E

187

IV.

De la Bonite;

I

L y a un autre Poiffon, qui fuit ordinairement les Navires, O n le n o m m e Bonite. Il eft gros & fort charnu, & de la longueur de deus pieds ou environ. Sa peau paroit d'un vert fort obfcur, & blanche fous le ventre. 11 n'a point d'écaillés fi ce n'eft aus deus coftés, où il en a deus rangs de fort petites, quifontcouchées fur une ligne jaunâtre, qui s'étend de part & d'autre, à commencer depuis la tefte jufqucs à la queue qui eft fourchue. Il fe prend avec de gros hameçons, que l'on jette aus environs du Navire. Tout en avançant chemin , & fans caller les voiles on fair cette pefche. C e Poiffon eft goulu c o m m e la M o r u ë , & fe prend avec toute forte d'amorces , m ê m e avec les tripailles des Poiffons, qui ont ELLE eventrez. O n le rencontre plus fouvent en pleine mer, qu'es coftes. Il eft bon étant mangé frais; mais il eft encore plus délicat, lorsqu'ila demeuré un peu dans le fel, & dans le poivre, avant que de le faire cuire. Plufieurs tiennent, que ce Poiffon eft le m ê m e , que celuy que nous appellons Thon, & qui eft c o m m u n en toutes les coftes de la M e r Méditerranée. A R T I C L E De l'Eguile de

L

V. Mer.

eft un Poiffon fans écailles, qui croift de la longueur de quatre pieds ou environ. Il a la tefte en pointe, longue d'un bon pied , les yeus gros & luifans qui font bordez de rouge. La peau de fon dos eft rayée de lignes de bleu & de vert, & celle de deffous fon ventre , eft d'un blanc meflé de rouge. Il a huit Nageoires, qui tirent fur le jaune, & une queue fort pointuë, qui a peut eftre donné l'occafion de luy donner le n o m qu'il porte, de m ê m e que la figure Aa 2 de 'Eguille,


Chap. 16 de fa tefte, a convié les Hollandois de l'appeller, Tabac-Type, c'eft a dire Pipe à Tabac. 188

HISTOIRE

NATURELLE,

A R T I C L E

VI.

De plufieurs autres Poiffons de la Mer & des Rivieres.

L

Es Côtes de ces Iles ontauffides Carangues des Mulets qui entrent quelquefois en l'eau douce, & fe pefchent dans les Rivieres, des Poiffonsderoche qui font rouges , & d e diverfes autres couleurs, & fe prennent aupres des Rochers; Des Negres ou diables de Mer , qui font de gros Poiffons qui ontl'écaillenoire , mais qui ont la chair blanche & bonne au poffible, & une infinité d'autres Poiffons , qui font pour la pluspart differens de ceus qui fe voient en Europe, & qui n'ont encore point de noms parmy nous, Pour ce qui eft des Rivieres;elles fourniffent une grande abondance de bons Poiffons aus Habitans des Antilles, & s'il eft permis de comparer les petites chofes aus grandes, elles ne cedent point à proportion de leur étendue en fécondité, à la Mer. Il eft vray qu'elles ne produifent point de Brochets, de Carpes, ni de femblables Poiffons, qui font c o m m u n s en ces quartiers-cy : mais il y en a grande quantité d'autres, qui ne font connus que des Indiens, & dont quelques uns ap­ prochent de lafiguredes nôtres.

CHA-


Chap,

16

DES

ILEs

ANTILLES,

189


190

HISTOIRE

CHAPITRE Des Monstres

Marins

N A T U R E L L E ,

Chap. 17

DIXSEPTIEME. qui fe trouvent en ces quartiers,

Eus qui ont décry l'Hiftoire des Poiffons, ont mis au rang des Baleines tous ceus qui font d'une groffeur extraordinaire, de m ê m e , qu'ils ont compris fous le Titre des Monftres, tous ceus là qui ont Unefigurehideufe, ou qui vivans de proye font des ravages dans les eaus, c o m m e les Lions, les Ours, les Tigres , & les autres beftes farouches en font fur la terre. N o u s devons parler dans ce Chapitre des uns & des autres,c'eftà dire de tous ceus qui font d'une groffeur prodigieufe, ou qui font effroyables pour leur forme hideufe à voir, & redoutables à caufe de leurs defences. Et ainfi, nous defcendrons pour un peu de tems, dans les abyfmes de cette grande & fpacieufe M e r , ou c o m m e dit le Saint R o y qui acompofé les Sacrez Cantiques d'Ifraël, il y a des Reptiles fans nombre, de petites beftes avec des grandes, & apres y avoir contemplé les oeuvres du Seigneur, nous en remonterons incontinent, pour célébrer fa bénignité & fes merveilles envers lesfilsdes hommes.

C

A R T I C L E

I.

De l'Efpadon.

E

Ntre les Monftres Marins, on remarque particulièrement celuy que nos François n o m m e n t Efpadon, à caufe qu'il a au bout de fa mâchoire d'enhaut une defenfe de la largeur d'un grand Coutelas, qui a des dens dures & pointues des deus coftés. Il y a de ces Poiffons, qui ont ces defenfes longues de cinq pieds, larges de fix pouces par le bas, & m u nies de vintfet dens blanches& folides en chaque rang , & le corps gros à proportion. Ils ont tous latefteplate & hideufe, de lafigured'un c œ u r , ils ont prés des yeus deus fouspiraus, par o ù ils rejettentl'eauqu'ils ont avallée. Ils n'ont point d'écail-


Chap. 17 D E S Î L E S A N T I L L E S . 191 d'écaillés, mais ils font couverts d'une peau grife fur le dos, & blanche fous le ventre , qui eft raboteufe c o m m e une lime. Ils ontfétnageoires, deus à chaque cofté, deus autres fur le dos, & puis celle qui leur fert de queue. Quelques uns les appellent Poiffons a Scie, ou Empereurs, à caufe qu'ils font la. guerre à la Baleine, & bien fouvent la bleffent à mort. A R T I C L E

Des

II.

Marfoüins.

Es Morfoüins , font des Pourceaus de Mer , qui vont en grande troupe, & fe jouent fur la Mer, faifant des bonds, & fuivant tous une m ê m e route. Ils s'approchent volontiers affez prés des Navires ; Et ceus qui font adroits à les harponner, en accrochent fouvent. La chair en eft allez noirâtre. Les plus gros, n'ont qu'un pouce ou deus de lard. Ils ont le mufeau pointu, la queue fort large, la peau grisâtre, & u n trou fur la tefte , par ou ils refpirent & jettent l'eau. Ils ronflent préfque c o m m e les Porccaus de terre. Ils ont le fang chaud, & les Inteftins femblables à ceus du Pourceau , & font prefque de m ê m e goût : mais leur chair eft de difficile digeftion. Il y a une autre efpece de Marfoüins, qui ont le groin rond & mouffu c o m m e une boule. Et à caufe de la reffemblance de leur telle avec le Froc des Moines. Quelques uns les appellent , Teftes de Moine, & Moines de Mer.

L

A R T I C L E

III.

Du Requiem. Requiem, eft une efpece de Chien ou de Loup de Mer, L leE plus goulu de tous les Poiffons, & le plus avide de chair humaine. Il eft extrêmement à craindre, quand on fe baigne.Ilne vit que de proye, & il fuit fouvent les Navires, pour fe repaitre des immondices que l'on jette en Mer. C e s monftres paroiffent de couleur jaune dans l'eau.Ily en a qui font


192

HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 17 font d'une grandeur& d'une groffeur deméfurée, & qui font, capables, de couper tout net un h o m m e en deus. Leur peau eft rude, & l'on en fait des limes douces, propres à polir le bois. Ils ont la tefte plate, & n'ont pas l'ouverture de leur gueule tout au devant de leur mufeau, mais deffons. C e qui fait, que pour prendre leur proye, il faut qu'ilsferetournent le ventre prefque en haut. Ils ont les dents trenchantes fort aiguës & fort larges, qui font dentelées tout autour, c o m m e les dents d'une fcie. Il y en a tels, qui en ont trois & quatre rangs en chaque mâchoire. Ces dents font cachées dans les gencives ; mais ils ne les font que trop paroitre quand ils veulent. Ces cruels Dogues Marins, font le plus fouvent efcortez de deus ou trois petis Poiffons, & quelquefois d'avantage qui le precedent avec une telle viteffe & un mouvementfimefuré, qu'ils s'avancent & s'arreftent plus ou moins, felon qu'ils apperçoivent que les Requiéms s'avancent ou s'arreftent. Quel­ ques uns les nomment Rambos, & Pelgrimes. Mais nos M a ­ telots les appellent les Pilotes du Requiem, par ce qu'il femble que ces petis Poiffons le conduifent. Ils n'ont qu'un bon pied ou environ de longueur, & ils font gros à proportion. Mais au refte, ils ont l'écaillé parfemée de tant de belles & vives cou­ leurs , que l'on diroit, qu'ils foient entourez de chaînes de per­ les, de corail, d'emeraude, & d'autres pierreries. O n ne s'auroit fe lafferde les confiderer en l'eau. C'eft ainfi que la Baleine ne marche jamais, qu'elle n'ait devant elle un petit Poiffon, femblable au Goujon de Mer, qui s'appelle pour cela la Guide. L a Baleine le fuit, fe laiffant mener & tourner auffi facilement, que le timon fait tourner le Navire, & en recompenfe auffi, au lieu que toute autre chofe, qui entre dans l'horrible Câos de la gueule de ce M o n ftre , eft incontinent perdu & englouty, ce petit Poiflbn s'y retire en toute feureté, & y dort. Et pendant fon fommeil la Baleine ne bouge, mais auffitoft qu'il fort elle fe met à le fuivre fans ceffe. Etfide fortune elle s'écarte de luy, elle va errant ça & la, fe froiffant fouvent contre les rochers , com­ m e un vaiffeau qui n'a point de gouvernail. C e que Plutarque témoigne qu'il a veu en l'Ile d'Anticyre. Il y a une pa­ reille focieté, entre le petit Oifeau qu'on n o m m é le Roytelet 3c


Chap. 17 DES ILES ANTILLES. 193 & le Crododyle. Et cette Coquille qu'on appelle la Nacre, vitainfiauffi avec le Pinnothere, quieftun petit animal de la forte d'un Cancre. C'eft ce que recite Michel de Montagne, au fécond Livre de fes Effais, Chapitre 12. - A u refte la chair du Requiem n'eft point bonne , & l'on n'en mange qu'en neceffité. O n tient toutefois que quand ils font jeunes , ils ne font pas mauvais. Les curieus, recueillent foigneufement la Cervelle qui fe trouve dans la tefte des vieus, & après l'avoir fait s'écher, ils la confervent, & ils difent qu'elleefttres-utile à ceus, qui font travaillez de la pierre, ou de la gravelle. Quelques Nations, appellent ce Monftre Tiburon & Tubeton. Mais les François & les Portugais luy donnent ordinairement ce n o m de Requiem, c'eft â dire Repos , peuteftre parce qu'il à accoutumé de paroître, lors que le temseftferain & tranquille, c o m m e font auffi les Tortues : ou plutôt, parce qu'il envoyé promtément au repos, ceus qu'il peut attraper ; quieftl'opinion la plus c o m m u n e entre nos gens, qui l'appellent de ce nom. Son foye étant boüilly, rend une grande quantité d'huyle, qui efl tres-propre pour entretenir les lampes , & fa peau, efl utile aus Menuyfiers, pour polir leur ouvrage. A R T I C L E

IV.

De la Remore.

O

Utre ces Pilotes , dont nous avons parlé: les Requiems, font bien fouvent accompagnez d'une autre forte de Petis Poiffons, que les Hollandois appellent Suyger , par ce qu'ils s'attachent fous fe ventre des Requiems, c o m m e s'ils les vouloient fucçer. N o s François tiennent, que c'eft une efpece de Remore , & ils leur ont donné ce n o m , à caufe qu'ils fe collent contre les Navires, c o m m e s'ils vouloient arrêter leur cours. Ils croiffent environ de deus pieds de long, & d'une groffeur proportionée. Ils n'ont point d'écaillés, mais ils font couverts par tout, d'une peau cendrée, qui eft gluante c o m m e celles des Anguilles, Ils ont la Mâchoire Bb de


194 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 17 de deffus,un peu plus courte que celle de deffous, au lieu de dens, ils ont de petites eminences, qui font affez fortes pour brifer ce qu'ils veulent avaller. Leurs yeus font fort petis, de couleur jaune. Ils ont des Nageoires & des Empennures,, c o m m e les autres Poiffons de M e r , mais ce qu'ils ont de particulier , eft , qu'ils ont la tefte relevée d'une certaine piece faite en ovale , qui leur fert de couronne. Elleeftplatte, & rayée par deflus de plufieurs lignes, qui la rendent heriffée ; C'eft auffi par cet endroit, que ces Poiflbns s'attachentfifermement aus Navires & aus Requiems, qu'il faut fouvent les tuer, avant que de les pouvoir feparer. O n en mange, mais c'éft au défaut d'autres Poiffons, qui font plus delicas. A R T I C L E

V,

Du Lamantin;

E

Ntre les Monftres Marins, qui font bons à manger, & que l'on referve en provifion, c o m m e on fait en Europe le Saumon & la M o r u e , on fait fur tout état ausIlesdu Lamantin felon nos François, ou N a m a n t i n & Manatyfelonles Efpagnols. C'eft un Monftre, qui croift avec l'âge d'une grandeur fi étrange , qu'on en aveu qui avoient environ dixhuit pieds de long, & fét de groffeur au milieu du corps. Sa tefte a quelque reflémblance à celle d'une Vache, d'où vient que quelques uns l'appellent Vache de Mer. Il a de petis yeus, & la peauépaiffede couleur brune, ridée en quelques endroits & parfemée de quelques petis poils. Eftant feiche, elle s'endurcit de telle forte, qu'elle peut fervir de rondache impénétrable ausfléchesdes Indiens. Auffi, quelques Sauvages s'en fervent pour parer les traits de leurs ennemis, lors qu'ils vont au combat. Il n'a point de Nageoires, mais en leur place, il afousle ventre deus petis pieds, qui ont chacun quatre doits fort foibles, pour pouvoir fupporter le fais d'un corpsfilourd & fi pefant : Et il n'eft pourveu d'aucune autre defenfe. C e Poiffon vit d'herbe, qui croift auprés des R o ches , & fur les baffes qui ne font couvertes que d'une braffe ou environ, d'eau de Mer. Les femelles mettent leur fruit hors,


Chap. 17

DES

ÎLES

ANTILLES,

195

hors, à la faffon des V a c h e s , & ont deus tétines avec lequelles elles allaitent leurs petis. Elles en font deus à c h a q u e portée , qui n e les abandonnent point, jufques à ce qu'ils n'ayent plus befoin de l'ait, & qu'ils puiffent brouter l'herbe c o m m e leurs mères. Entre tous les Poiffons, il n'y en a aucun qui ait tant de b o n n e chair, q u e le Lamantin. C a r il n'en faut fouvent q u e deus o u trois, pour faire la charge d'un grand C a n o t , & cette chair eft femblable à celle d'un animal terreftre, courte, vermeille , appetiffante, & entre-meflée de graiffe, qui étant fond u e ne fe rancit jamais. Lors qu'elle a efté deus ou trois jours dans le fel, elle eft meilleure pour la fanté , q u e q u a n d o n la m a n g e toute fraîche. O n trouve plus fouvent ces Poiffons, à l'embouchure des Rivieres d'eau d o u c e , qu'en pleine M e r , L e s curieus, font grand état de certaines pierres qu'on trouve e n leur tefte, à caufe qu'elles ont la vertu à ce qu'ils difent, eftant réduites en poudre, de purger les reins de gravelle, & de brifer m ê m e la pierre qui y feroit formée. Mais, à caufe q u e ce r e m e d e eft violent, o n ne confeille à perfonne d'en ufer, fans l'avis d'un fage & bien experimenté M é d e c i n .

A R T I C L E

VI.

Des Baleines & autres Monftres de Mer. E u s qui voyagent en ces Iles, apperçoivent quelquefois fur leur route des Baleines qui jettent l'eau par leur évent de la hauteur d'une pique, & qui ne montrent pour l'ordinaire qu'un peu d u dos, qui paroit c o m m e u n e R o c h e hors de l'eau. L e s Navires, font auffi par fois efcortez affez long tems, par des Monftres qui font de la longueur, & de la groffeur d'une C h a l o u p p e , & qui femblent prendre plaifiràfe m o n trer. Les Matelots les n o m m e n t Morhous o u Souffleurs, par ce q u e de tems en t e m s , ces prodigieus Poiffons mettent u n e partiede leur telle hors de l'eau , pour reprendre haleine. E t alors ils foufflent, & font écarter l'eau de devant leurs m u feaus pointus. Quelques uns difent, q u e c'eft une efpece de gros Marfouins. Bb 2 ARTI-

C


196

HISTOIRE

N A T U R E L L E , Chap, 17

A R T I C L E

VII.

Des Diables de CMer.

A

us coftes de cesIles,il tombe quelquefois fous la Varre des Pefcheurs un Monftre, que l'on met entre les efpeces de Diables de Mer, à caufe de fafigurehideufe. Il eft long d'environ quatre pieds, & gros à proportion. 11 porte une boffe fur le dos, couverte d'aiguillons pareils à ceus d'un Heriffon. Sa peau eft dure , inegale, & raboteufe comm e celle du Chien de M e r , & de couleur noire. Il a la tefte platte, & relevée par deffus de plusieurs petites boffes , entre lefquelles o n voit deus petis yeus fort noirs. Sa gueule qui eft demefurément fenduë, eft armée de plufieurs dens extrem e m e n t perçantes,, dont il y en a deus qui font crochues & annelées, c o m m e celles d'un fanglier. Il a quatrenageoires & une queue affez large, qui eft fourchue par le bout. Mais ce qui luy à fait donner le n o m de Diable de Mer, eft, qu'au deffus des yeus, il a deus petites cornes noires affes pointues, qui fe recoquillent fur fon dos c o m m e celles des Beliers. Outre que ce Monftre eft laid au poffible , fa chair qui eft mollaffe &filafeufe,eft un vray poifon, car elle caufe des vomiffemens étranges,& des defaillances, qui feroient fuivies de la mort, s'y elles n'étoient prontement arrétées par une prife de bon Teriac, ou de quelque autre contrepoifon. C e dangercus animal, n'eft recherché que des curieus, qui font bien aifes d'en avoir la d'épouïlle dans leurs cabinets. Ainfi ce Diable, qui n'a porté jamais d'utilité aus h o m m e s pendant fa vie, repaift au moins leurs yeus après fa mort. Il y a encore une autre forte de Diables de Mer, qui ne font pas moins hideus que les precedents, encore qu'il foient d'une autrefigure.Les plus grands de cette efpece n'ont qu'un pied ou environ dépuis la tefte jufques à la queue. Ils ont prefque autant de largeur,mais quand ils veulent,ils s'enflent d'une telle forte, qu'ils paroiffent ronds c o m m e une boule. Leur gueule qui eft affés fenduë, eft armée de plufieurs petites dens extremement pointuës, & au lieu de langue ils n'ont qu'un petit OS;


Chap. 17 D E S I L E S A N T I L L E S . 197 os, qui eft dur au poffible. Leurs yeus font fort étincelans, & fi petis & enfoncez; en la tefte, qu'on a peine de difcerner la prunelle. Ils ont entre les yeus une petite corne, qui rebrouffe en arriere, & au devant d'icelle un filet un peu plus grand, qui eft terminé par un petit bouton. Outre leur queue, qui eft c o m m e le bout d'une rame, ils ont deus empennures, l'une qui eft fur le dos, laquelle ils portent droite & relevée, & l'autre fous le ventre. Ils ontauffideus nageoires, qui répondent de chaque cofté du milieu du ventre, & qui font terminées en forme de petites pattes, qui ont chacune huit doits, qui font munis d'ongles affez piquans. Leur peau eft rude & heriffee par tout, c o m m e celle du Requiem ; horsmis fous le ventre. Elle eft d'un rouge obfcur, & marquetée de taches noires, qui font c o m m e des ondes. Leur chair, n'eft point bonne à manger. O n les peut écorcher aifément, & apres avoir remply la peau de cotton, ou de feuilles s'éches , on luy donne place entre les raretez des cabinets ; Mais elle perd beaucoup de fon luftre, lors que le Poiffon eft mort. A R T I C L E

VIII.

De la Becune. Ntre les Monftres goulus & avides de chair humaine, qui fe trouvent aux coftes de ces Iles, la Becune eft l'un des plus redoutables. C'eft un Poiffon , qui eft de la figure d'un Brochet, qui croift de fét à huid pieds en longueur, & d'une groffeur proportionée. Il vit de proye, & il fe lance de furie, c o m m e un chien carnaffier, fur les h o m m e s qu'il apperçoit en l'eau. Outre qu'il emporte la piece de tout ce qu'il peut attraper, fes dents ont tant de venin, que leur moindre morfure , devient mortelle, fi on n'a recours au m ê m e inftant à quelque puiffant remede, pour rabattre & divertir la force de ce poifon.

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HISTOIRE

NATURELLES

A R T I C L E

Chap. 17

IX.

De la Beccaffe de Mer. L y a encore une autre forte de Becunes que nos François ont n o m m é e Beccaffe de Mer, à caufe de lafigurede fon bec, qui eft prefque pareil à celuy d'une Beccaffe, excepté, que la partie d'enhaut, eft plus longue de beaucoup, que celle d'enbas, ce que ce Poiffon, remuë l'une & l'autre mâchoire,avec une égale facilité. O n en voitdefigros &defilongs, qu'on pcutmcfurer 4 bons pieds entre queue & tefte, & 12 pouces en la largeur de chaque cofté, qui répond aus ouïes. Sa tefte a préfque la forme de celle d'un Pourceau, mais elle eft éclairée de deus gros yeux, qui font extremément luyfans. 11 a la queue divifée en deus, & des nageoires aus coftes & au deffous du ventre, & une empennure haute & relevée par degrez, c o m m e une créfte,qui commence au fommet de la tefte,& s'étend tout le long du dos, jufques prés de la queuë. Outre le bec long & folide qui le fait remarquer entre tous les Poiffons, il a encore deus efpeces de cornes dures, noires, & longues d'un pied & dem y , qui pendent au deffous de fon gofier, & qui luy font particulieres , il les peut cacher aifement dans une enfonçure qui eft fous fon ventre, & qui leurfortde gaine. Il n'a point décailles: mais ileftcouvert d'une peau rude, qui eft noirâtre furie dos, grife aus coftez , & blanche fous le ventre. O n en peut manger fans peril, encore que fa chair ne foit pasfidelicate, que celle de plufieurs autres. Poiffons.

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A R T I C L E

X.

De l'Heriffon de Mer. L' Heriffon de Mer qui fe trouve auffi en ces côtes , porte à bon droit ce n o m là. Il eft rond c o m m e une boule, & tout revêtu dépines fort piquantes, qui le rendent redoutable. D'autres le n o m m e n t Poiffon armé. Quand les pefcheurs en prennent, ils les font fécher pour les envoyer aus curieus, qui les pendent par raréte en leurs cabinets. CHA-


Chap. 17

DES

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ANTILLES,

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HISTOIRE

C H A P I T R E

NATURELLE ,

Chap. 18

D I X H U I T I E M E .

Defcription particuliere d'une Licorne de Mer, qui s'échoua à la rade de ïIlede la Tortue en l'an 1 6 4 4 . Avec un recit curieus,par forme de comparaison de digreffion agréable,touchant plufieurs belles & rares cornes qu'on a apportées depuispeu du détroit de Davis ; & delaqualité de la terRE , des meurs des Peuples qui y habitent. Ous ne pouvons miens finir ce que nous avions à dire des Monftres marins, que par la defcription d'un Poiffonfiremarquable &fimerveilleus, qu'il mérite bien d'avoir un Chapirre particulier. C'eft la Licorne de mer, qui fe rencontre quelquefois en ces quartiers. 11 s'en échoua en l'an 1 6 4 4 une prodigieufe au rivage del'Ilede la Tortue, voifine de l'Ile Hifpaniola , ou Saint Domingue. Monfieur du Montel, en ayant une connoiffance exacte c o m m e Témoin oculaire, nous en donne cette curieufe defcription. Cette „ Licorne, dit il, pourfuivoit une Carangue , qui eft un », Poiffon médiocre, avec une telle impctuofité , que ne s'appercevant pas qu'elle avoit befoin de plus grande eau qu'el,, le pour nager, elle fe trouva la moitié du corps à fec, fur ,, un grand banc de fable, d'où elle ne put regagner la grande ,, eau , & ou les habitans de l'Ile l'affommerent. Elle avoit environ dixhuit pieds de long, étant de la groffeur d'une Barrique au fort du corps. Elle avoitfixgrandes nageoi,, res, de la faffon du bout des rames de galère, dont deus ,, étoient placées au défaut des ouyes, & les quatre autres à coté du ventre en égale diftance: elles étoient d'un rouge vermeil. Tout le deffus de fon corps, étoit couvert de grandes écailles de la largeur d'une pièce de cinquante huit ,, fols, léquelles étoient d'un bleu , qui paroiffoit c o m m e par,,femé de paillettes d'argent. Aupres du col fes écailles étoient plus ferrées, & de couleur brune, ce qui luy faifoit ,, c o m m e un collier, Les écailles fous le ventre étoient jau-

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,,nes


Chap.18 D E S I L E s A N T I L L E S . 201 ,,nes: la queuë fourchuë la tefte un peu plus groffe que celle d'un Cheval, & presque de la m ê m e figure ; Elle étoit couverte d'une peau dure & brune : & c o m m e la Licorne de terre, a une corne au front, cette Licorne de mer, en avoir ,,auffi une parfaitement belle au devant de la telle , longue de neuf pieds & demy. Elle étoit entièrement droite , & depuis le front où elle prenoit fa naiffance, elle alloit toujours en di,, minuant jufques à l'autre bout, qui étoitfipointu, qu'étant ,,pouffée avec force, elle pouvoir percer les matières les plus folides. L e gros bout, qui tenoit avec la tefte, avoir ,,feize pouces de circonférence, & dés-là jufques aus deus tiers de la longueur de cette merveilleufe corne, il étoit en ,, forme d'une vis de preffoir, ou pour mieus dire, faffonne en ondes, c o m m e une colomne torfe , horsmis que les en,,fonçures alloient toujours en amoindriffant, jufques à ce ,, qu'elles fuffent remplies & terminées par un agréable adouciffement, quifiniffoitdeus pouces au deffus du quatrième ,, pied. Toute cette partie balle étoit encroûtée d'un cuir „ cendré, qui étoit couvert par tout d'un petit poil mollet, ,, & court c o m m e du velours de couleur de feuilles morte; „ mais au deffous, elle étoit blanche c o m m e y voire. Quant ,, à l'autre partie qui paroiffoit toute nuë, elle étoit naturelélément polie, d'un noir luifant, marqueté de quelques m e „ nusfiletsblancs & jaunes, & d'une folidité telle, qu'à peine une bonne lime en pouvoit elle faire fortir quelque m e n u e poudre. Elle n'avoit point d'oreilles élevées, mais deus grandes ouïes c o m m e les autres Poiffons. Ses yeus étoient de la groffeur d'un œ u f de poule. La prunelle, qui étoit d'un bleu celefte emaillé de jaune, étoit entourée d'un cerc l e vermeil, qui étoit fuivy d'un autre fort clair, & luyfant c o m m e criftal. Sa bouche étoit affez fendue & garnie de „ plufieurs dens,dont celles de devant étoient pointues & trenchantes au poffible, & celles de derriere tant de l'une que ,,de l'autre mâchoire, larges & relevées par petites boffes. ,, Elle avoit une langue d'une longueur & épaiffeur propor,,tionée, qui étoit couverte d'une peau rude & vermeille. A urefte,cePoiffon prodigieus avoit encore fur fa telle, une ,,efpéce de couronne rehauffée par deffus le relie du cuir, C c de


Chap. 18 ,, de deus pouces o u environ, & faite en ovale , de laquelle les extrémités aboutiffoient en pointe: Plus de trois cens ,,perfonnes de cette Ile-là, mangerent de fa chair en abon,,, dance , & la trouvèrent extrêmement delicate. Elle étoit ,, entrelardée d'une graiffe blanche, & étant cuite elle fe ,, levoit par écailles, c o m m e la morue fraiche : mais elle avoit „ un goût beaucoup plus favoureus. „ Ceus qui avoient veu ce rare Poiffon en vie,& qui luy „ avoient rompu l'échiné à grans coups de leviers, difoient „ qu'il avoit fait de prodigieus efforts, pour les percer avec fa corne, laquelle il manioit & tournoit de toutes parts avec „ une dextérité & une viteffe incomparable, & que s'il eut eu allés d'eau pour fe foutenir & pour nager tant foit peu, il les eut tous enfilez. Quand on l'eut eventré, on reconnut „ aifément qu'il fe nourriffoit de proye, car on trouva en fes „ boyaus, beaucoup décailles de Poiffons. Les rares dépouilles de ce merveilleus animal, & fur tout „ fa tefte, & la riche corne qui y étoit attachée, ont demeuré „ près de deus ans fulpenduës au corps de garde de l'Ile, juf„ ques à ce que Monfieur le Vaffeur qui en étoit Gouverneur, voulant gratifier Monfieur des Trancarts, Gentilh o m m e de Saintonge , qui l'étoit venu voir, luyfitprefent „ de cette corne. Mais quelque peu aprés m'étant embar„ q u e dans un vaiffeau de Fleffingue avec le Gentil homme,. „ qui avoit cette precieufe rareté en une longue caille , nôtre vaiffeau fe brifa prés de l'Ile de la Fayale, qui eft l'une des Açores. D e forte que nous fifmes perte de toutes nos har„ des & de toutes nos Marchandifes. Et ceGentil-hommere„ grettafurtout fa caiffe. Jufques icy font les paroles de nôtre aimable Voyageur. O n trouve en la mer du Nord , une autre efpece de Licornes qui font fouvent pouffées par les glaces, aus coftes d'Iflande. Elle font d'une longueur & d'une groffeurfiprodigieufe, que la plupart des Auteurs qui en ont efcri, les mettent au rang des Baleines. Elles ne font point couvertes décailles, c o m m e celle dont nous venons de donner la description ; mais d'une peau noire& dure c o m m e le Lamantin. Elles n'ont que deus nageoires aus coftez, & une grande& large enpen

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NATURELLE,


Chap. 18 D E S I L E S A N T I L L E S . 203 enpennure fur ledos, laquelle étant plus étroite au milieu, fait c o m m e une double crefte, qui s'élève en une forme tres-propre , pour fendre c o m m o d é m e n t les eaus. Elles ont trois trous en forme de foupiraus , à la naiffance de leur dos, par où elles vomiffent en haut toute l'eau fuperfluë qu'elles ont avallée, de m ê m e que les Baleines. Leur telle fe termine en pointe, & au cofté gauche de la mâchoire d'enhaut,elle eft m u n i e d'une corne blanche par tout, c o m m e la dent d'un jeune Elefant, qui s'avance quelquefois de la longueur de quinze à feize pieds hors de la tefte. Cette corneefttorfe en quelques endrois ,& rayée partout de petites lignes de couleur de gris de Perle, léquelles ne font pas feulement en la fuperficie : mais qui pénètrent au dedans de la maffe, qui eft creufe jufques au tiers, & par tout auffi folide, qu'un os le plus dur. Quelques uns, veulent que cette prominence, foit plûtoft une dent qu'une Corne, à caufe qu'elle ne fort pas du front c o m m e celle dont nous venons de parler, ni du deffus de la tefte, c o m m e celles des Taureaus & des Béliers mais de la mâchoire d'enhaut dans laquelle lé bout eftenchaffé, c o m m e font les dens en leurs propres caffettes. Ceus qui font dece fentiment ajoutent, qu'il ne fe faut pas étonner lices Poiffons n'ont qu'une de ces longues dens, veu que la matière laquelle en pouvoit produire d'autres, s'eft entierement epuifée pour former cellecy, qui eft d'une longueur & d'une groffeurfiprodigieufe, qu'elle fufficoit bien pour en faire une centaine. O r foit que cette pefante& merveilleufe défenfe d'ont Ces monftrueus Poiffons font armez, foit appellée dent ou Corne: il eft conftant qu'ils s'en fervent, pour combattre contre les Baleines, & pour brifer les glaces du Nord , dans léquelles ils fe trouvent bien fouvent enveloppez ; d'où vient qu'on en à veu quelquefois, qui pour avoir fait de violens efforts, pour fe démefler du milieu de ces montagnes glacées, avoyent non feulement emouffé la pointe de cette lance naturelle;mais m ê m e l'avoyent brifée & fracaffée e n deus. N o u s avons fait mettre en une m ê m e planche les figures de la Licorne laquelle s'échoüa en l'Ile de la Tortue. & Cc 2 d'une


H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap. 18 d'une de celles du N o r d , afin que l'on puiffe plus facilement difcerner la grande différence qui eft entre ces deus efpeces.

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A u m ê m e tems, que nous tirions de noftre cabinet cette Hiftoire pour la donner au public , un Navire de Fliffingue c o m m a n d é par Nicolas Tunes, dans lequel. Monfieur L a m p fius,les Sieurs Biens, Sandras, & d'autres Marchands de la m ê m e Ville étoient intereffez, étant heureufement retourné du d'étroit de Davis, en a rapporté entre autres rarérez, plusieurs excellentes dépouilles de ces Licornes de la mer du N o r d , dont nous venons de parler. Et d'autant que la relation qu'on nous a envoyée touchant ce voiage, peut donner de grandes lumieres à la matiere que nous traittons , nous croyons que le Lecteur curieus trouvera bon, que nous le fervions de cette nouveauté par forme de digreffion, qui fera accom-


Chap. 17 D E S I L E S A N T I L L E S . 205 compagnée de la m ê m e fidélité, avec laquelle elle nous a eux communiquée. L e Capitaine de qui nous tenons ce recit, e'tant party de Zélande fur lafindu Printems de l'an 1656. en intention de découvrir quelque nouveau commerce es terres du Nord, arriva fur lafindu mois de Juin dans le Détroit de Davis , d'où étant entré dans une rivière qui c o m m e n c e au foixante quatrième degré & dix minutes de la ligne en tirant vers le Nord, ilfitvoile jufques au feptante deuzieme, fous lequel la terre que nous allons décrire eft fituée. D e z que les Habitans du Pais qui étoient à la pefche eurent apperçeu le Navire, ils le vinrent recognoitre avec leurs peris efquifs, qui ne font faits que pour porter une feule perfonne, les premiers qui s'étoient mis en ce dévoir, en attirerent tant d'autres aprez eux , qu'ils compoferent en peu de tems un efcorte de foixante & dix de ces petis vaiffeaus, qui n'abandonnèrent point ce Navire étranger, jufques à ce qu'il eut mouillé à la meilleure rade, où ils luy témoignerent par leurs acclamations, & par tous lesfignesde bienveuillance, qu'on peut attendre d'une Nationfipeu civilizée, la joye extraordinaire qu'ils avoyent, de fon heureufe arrivée. Ces petis vaiffeaus fontfiadmirables, foit qu'ils foyent confiderez en leurmatiere, foit qu'on ait égard à la mcrveilleufe induftrie dont ils font faffonnez, ou à la dextérité incomparable avec laquelle ils font conduits, qu'ils meritent bien, de tenir le premier rang, dans les defcriptions que cette agréable digreffion nous fournira. Ils font compofez de petis boisdeliez, déquels la plupart font fendus en deus c o m m e des cercles. Ces bois font attachez les uns avec les autres, avec de fortes cordes qui font faites de boyaus de Poiffons, qui les tiennent en arreft , & leur donnent lafigurequ'ils doivenr avoir, poureftrepropres aus ufages aufquels ils font deftinez. Ils font couverts en dehors de peau de Chiens de mer, qui fontfiproprement coufuës par enfemble, &fifoigneufement enduites de refine à l'endroit des coutures, que l'eau ne les peut aucunement penetrer. Ces petis Bateaus, font ordinairement, de la longueur de quinze à feize pieds, & ils peuvent avoir par le milieu où ils C c 3 ont


206 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 18 ont plus de groffeur, environ cinq pieds de circonférence, C'eft auffi dés cet endroit qu'ils vont en appetiffant, de forte que les extremitez aboutiffent en pointes , qui font munies d'os blanc, ou de dépouïlles des Licornes dont nous venons de parler. L e deffus eft tout plat & couvert de cuir de m ê m e que le refte, & le deffous a la forme du ventre d'un gros Poiffon : de forte qu'ils font tres-propres à couleur fur les eaus. Ils, n'ont qu'une feule ouverture, qui eft directement au milieu de tout l'édifice. Elle eft relevée tout à l'entour d'un bord de cofte de Baleine, & elle eft faite à proportion , & de la groffeUr du corps d'un h o m m e . Quand les Sauvages qui ont inventé cette forte de petis vaiffeaus s'en veulent fervir, foit pour aller à la pefche, o u pourfedivertir fur la mer, ils fourrent par cette ouverture leurs jambes & leurs cuiffes, & s'étans mis fur leur feant, ils lientfiferrement la cafaque qui les couvre, avec le bord de cette ouverture , qu'ils femblent eftre entez fur cet efquif, & ne faire qu'un corps avec luy. Voila pour ce qui concerne la figure & la matière de ces petis vaifleaus. Confiderons à prefent, l'équipage des h o m m e s qui les gouvernent. Quand ils ont deffein d'aller fur m e r , ils fe couvrent par deffus leurs autres habits d'une Cafaq u e , laquelle n'eft deftinée à aucun autre ufage. Cet habit de mer eft compofé de plufieurs peaus, denuées de leur poil, qui font fi bien préparées & unies par enfemble , qu'on le croiroit eftre fait d'une feule pièce. 11 les couvre dépuis le fommet de la tefte, jufques au deffous du nombril. Il eft enduit par tout d'une g o m m e noirâtre , laquelle ne fe diffout point dans l'eau, & quil'empefchede percer. L e Capuchon qui couvre la tefte , ferrefibien fous le col, &fur le front, qu'il ne leur laiffe rien que la face à decouvert. Les m a n ches font liées au poignet, & le bas de cette cafaque, eft auffi attaché au bord de l'ouverture du vaiffeau, avec tant de foin, & avec une telle induftrie, que le corps qui eft ainfi couvert, fe trouve toujours à fec au milieu desflots,qui ne peuVent mouiller auec tous leurs efforts , que le vifage & les mains. Encore qu'ils n'ayent ni voiles, ni maift, ni gouvernail, ni compas, ni ancre, ni aucune des pieces de tout ce grand attirail,


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tirai, qui eft requis pour rendre nos Navires capables d'aller fur mer. Il entrepreneur neantmoins de longs voiages, avec ces petis vaiffeaus, fur léquels ils femblent eftre coufus.Ilsfe connoiftent parfaitement bien aus étoiles, & ils n'ont befoin d'autre guide pendant la nuit. Les rames dont ils fe fervent, ont une largeur à chaque bout en forme de palette , & afin qu'elles puiffent coupper plus aifément lesflots, & qu'elles foyent de plus grande durée, ils les enrichiffent d'un os blanc, qui couvre les extremitez du bois, ils en garniffent auffi les bords des pallettes, & ils y attachent cet ornement avec des chevilles de corne, qui leur fervent au lieu de clous. L e milieu de ces rameseftembelly d'os, ou de corne precieufe, de m ê m e que les bouts , & c'eft par là qu'ils les tiennent afin qu'elles ne leur coulent des mains. A u refte , ils manient ces doubles; rames avec tant de dextérité & de viteffe, que leurs petis vaiffeaus devancent aifément les Navires , qui ont deployé tousleurs voiles, & qui ont le vent & la marée favorables. Ils fontfiaffurez dans cet petis efquifs,& ils ont unefigrande adreffe â les conduire, qu'ils leur font faire mille caracoles, pour donner du divertiffement à cens qui les regardent. Ils s'éfcriment aufli quelquefois contre les ondes , avec tant de force & d'agilité , qu'ils les font écumer c o m m e fi elles étoient agitées d'une rude tempefte , & pour lors, on les prendroit plutot pour des Monftres marins qui s'entrechoquent, que pour des h o m m e s : Et m ê m e , pour montrer qu'ils ne redoutent point les dangers, & qu'ils font en bonne intelligence avec cet element qui les nourrit & les careffe, ils font le m o u linet, fe plongeans & roulans en la mer, par trois fois confecutives, de forte qu'ils peuvent paffer pour de vrais Amfibies. Quand ils ont deflein , de faire quelques voiages plus longs que les ordinaires, o ù quand ils apprehendent, d'eftre jettez bien avant en pleine mer par quelque tempefte, ils portent dans levuide de leur vaiffeau , une veffie pleine d'eau douce; pour étancher leur foif, & du Poiffon feché au Soleil ou à la gelée, pour s'en nourriràfaute de viandes fraiches. Mais, il arrive rarement qu'ils foyent reduits à recourir à ces provifions : Car ils ont certainesflechesen forme de petites lances, qui font attachés fur leurs Bateaus, & lefquelles ils s'avent d'arder


208 H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap, 18 d'arder fi vivement fur les Poiffons qu'ils rencontrent, qu'il n'arrive presque jamais, qu'ils foyent fans ces rafraichiffemens. Ils n'ont point befoin de feu pour cuire leurs viandes, par ce que fur la mer & fur la terre , ils font accoutumez de les manger toutes crués, ils portentaufficertaines dens de gros Poiffons, ou des broches d'os fort pointues, qui leur tiennent lieu de couteaus, car ils s'en fervent pour eventrer & trancher les Poiffons qu'ils ont pris. A u refte il n'y peut point avoir de débats dans ces vaifleaus, puis qu'un feul h o m m e eneftle Maitre, le Matelot, le Pourvoyeur, & le Pilote, qui le peut arrêter quand bon luy femble, ou l'abandonner au gré du vent & de la marée , lors qu'il veut prendre le repos qui luy eft: neceffaire pour reparer fes forces. E n ce cas, il accroche fa rame à des courroyes de cuir de Cerf, qui font preparéez à cer ufage , & qui font attachées par bandes au deffus de ce Batteau : ou bien il laIleà une boucle , laquelle pend au devant de fa cafaque. Leurs femmes, n'ont point l'ufage de ces petis Efquifs, mais afin qu'elles puiffent quelquefois le divertir fur la m e r , leurs marys, qui ont beaucoup de douceur & d'amitie pour elles, les conduifent en d'autres vaiffeaus, qui font de la grandeur de nos Chaloupes, & capables de porter cinquante perfonnes. Ils font faits de perches liées par enfemble, & ils font couverts de peaus de Chiens de m e r , c o m m e ceus que nous venons de décrire.Ilspeuvent eftre conduits à force de rames quand le tems efl: calme : mais lors que le vent peut fervir, ils attachent au malt des voiles de cuir. O r afin que la defcription de ces rares vaiffeaus, & de ces h o m m e s de m e r , foit mieux éclaircie & c o m m e animée : nous en avonsicyfait mettre une figure, laquelle a été tirée au naturel fur l'original. Pour parler maintenant de la terre, en laquelle naiffent ces h o m m e s , qui fontfientendus en la Navigation : les dégrez, fous léquels nous avons déjà dit qu'elleeftfituée,témoignent affez, qu'elleeftd'une tres-froide conftitution.Ileftvray, que durant le mois de Juin & de Juillet, qui compofent l'été de cette contrée là, & qui tout éclairez d'un jour perpetuel, de m ê m e que ceus de Décembre & de Janvier, n'y font qu'une feule


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DES

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feule nuit, l'air y eft chaud agréable Se fercîn : mais le refte de l'année, les jours qui s'allongent & s'accourciffent alternativ e m e n t , font accompagnez de brouillards épais, de néges, o u de pluyes glacées, qui font extrêmement froides & inportunes. T o u t e la Terre qui eft prez de la m e r eft féche , & heriffée de plufieurs rochers pélez, qui font affreus au poffible, elle eu auffi inondée en beaucoup d'endroits, au rems que les néges fe fondent, de plulieurs effroyables torrens, qui roulent leurs eaus troubles, dans levaftefein de la mer. Mais lors qu'on a traverfé une petite lieuë de mauvais chemin, o n rencontre de belles campagnes, qui font tapiffées durant l'Eté, d'une agreable verdure. O n y voit auffi des montagnes, qui font couvertes de petis arbres, qui recreent merveilleufement la v e u ë , & qui nourriffent une grande multitude d'oifeaus & de Sauvagine. Et on paffe par des vallées, qui font arrofées de plufieurs claires & agreables rivieres d'eau douce, quiont affez de force, pour fe rendre jufques à la mer. L e Capitaine qui c o m m a n d o i t ce Navire de Fliffingue, étant defcendu à terre avec une partie de fes gens, & l'ayant Dd foigneu.


210 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 18 foigneufement vifitée, il y rencontra entre autres chofes dignes de remarque, une veine d'une certaine terre brune, parfemée de paillettes luifantes & argentées, de laquelle il fit remplir une barrique, pour en faire l'épreuve: mais apres avoir été mife au creufet, on a trouvé qu'elle n'étoit propre qu'à encroûter des Boettes, & quelques autres m e n u s ouvrages de bois, aufquels elle donne un fort beau luftre. Cet Indicelaiffeneantmoins quelque efperance, qu'on pourroit trouver des Mines d'argent parmy cette terre,fion avoir encore penetré plus avant. Encore que ce Païs foit bien froid, on y voit plufieurs beaus & grands Oifeaus d'un plumage blanc & noir, & de diverfes autres couleurs, que les Habitans écorchent, pour en manger la chair, & pour fe couvrir de leurs dépouilles. O n y trouve auffi des Cerfs, des Helans, des Ours, des Renards, des Lievres, des Lapins, & une infinité d'autres Belles à quatre pieds, qui ont prefque toutes le poil blanc ou grisâtre , fort épais, long, d o u x , & tres-propre à faire de bons chapeaus, o u de belles & tres-riches fourrures. Quant aus Peuples qui habitent cette terre , N o s V o y a geurs y en ont veu de deus fortes , qui vivent enfemble en bonne correfpondance & parfaite amitié. Les uns, font d'une fort haute flature , bien faits de corps, de couleur affez blanche, & fort habiles à la courfe. Lesautres, font de beaucoup plus petis, d'un teint olivâtre, & affés bien proportionnez en leurs m e m b r e s , horsmis qu'ils ont les jambes courtes & groffes. Les premiersfeplaifent à la chaffe, à laquelle ils font portez par leur agilité & leur belle difpofition naturelle, pendant que ceus-cy s'occupent à la pefche. Ils ont tous les dens extrêmement blanches & ferrées, les cheveus noirs, les yeus vifs, & les traits du vifagefibien faits, qu'on n'y peut remarquer aucune notable difformité. Ils font aufii tous fi vigoureus, & d'unefiforte conftitution , qu'on en voit plufieurs qui ayans paffé la centiéme année de leur âge , font encore fort alaigres & fort robuftes. E n leur converfation ordinaire, ils paroiffent d'une h u meur gaye, hardie & courageufe. Ils aiment les étrangers qui les vont vifiter, à caufe qu'ils leurs portent des aiguilles, des


Chap. 18 DES I L E S A N T I L L E S . 211 des hameçons, des couteaus, des ferpes, des coignées, & tous les autres ferremens qui leur font propres, & donc ils font unefigrande eftime qu'ils les achetent au prix de leurs propres habits, & de tout ce qu'ils ont de plus precieus : mais ils fontfigrands ennemis de toute nouveauté, en ce qui concerne leurs vétemens & leur nourriture, qu'il feroit bien difficile, de leur faire recevoir aucun changement, ni en l'un ni en l'autre. Encore qu'ils foyent l'une des plus pauvres, Se des plus Barbares nations que le Soleil éclaire , ils fe croyent tres-heureus, & les mieus partagez du m o n d e ; Et ils ontfibonne opinion de leur manière de vivre , q u e les civilitez de tous les autres Peuples, paffent aupres d'eux pour des actions mal-feantes , fauvages , & ridicules au poffible. Cette haute eftime laquelle ils ont conceuë de leur condition, ne contribué pas peu à cette fatisfaction , & à ce contentement d'efprit qu'on lit fur leur vifage; Joint, qu'iis ne s'entretiennent pas dans la vanité de plufieurs deffeins, qui pourroient troubler leur tranquillité: Ils ne fcavent ce que c'eft de tous ces foucis rongeans, & de ces chagrins inportuns, dont le defir déreglé des richeffes tourmente la plupart des autres h o m m e s . La commodité des beaus & fomptueus bâtimens, la gloire du fiecle, les delices des feftins, la connoiflànce des belles chofes, Se tout ce que nous eftimons la douceur & le repos de la vie, n'ayant point encore penetré jufques à eus, ils ne font auffi travaillez d'aucune penfée de les poffeder, qui pourroit interrompre le dous repos dont ils joüiffent : mais tous leurs deffeins font terminez à acquérir fans beaucoup d'empreffement, les chofes qui font precifément neceffaires pour leur vêtement, Se pour leur nourriture. Leurs exercices les plus ordinaires, font la pefche & la chaffe : & encore qu'ils n'ayent point d'armes a feu, ni de filets, l'ingenieufe neceffité, leur a fuggeré des autres induftries toutes particulieres,pour y pouvoir reuffir. Ils mangent toutes les viandes dont ils fe nourriffent, fans les faire cuire , & fans autre fauce, que celle que leur franc appetit leur fournit. Ils le rient de ceus qui font cuire le poiffon o u la venailon, D d z car


212

HISTOIRE

NATURELLE,

C h a p . 18

car ils tiennent, que le feu c o n f o m m e leur faveur naturelle, & tout ce qui les rend plus agreables à leur goût. Encore qu'ils n'ayent point befoin de feu , pour cuire leur viandes, ils en louent neantmoins grandement l'ufag e , & leurs cavernes n'en font jamais dépourveuës durant l'hyver ; tant pour éclairer & adoucir par fa lumiere, la noirceur & l'effroy de cette longue nuit, qui regne en leur contrée; que pour temperer par fon aimable chaleur, la froidure qui les tient affiegez de toutes parts. Mais quand ils prennent leur repos, ou qu'ils font contrains de fortir de leurs grottes, ils fe muniffent d'une certaine fourrure , laquelle par un excellent trait de la Divine Providence, a la vertu de les garantir parfaitement, contre toutes les injures d u froid, quand ils feroyent couchez au milieu des néges. Les habits des h o m m e s confiftent en une Chemife, u n haut de chauffe, une Cafaque & des bottines. L a Chemife ne bat que jufques au deffous des reins. Elle a un C a p u c h o n qui couvre la tefte & le col. Elle eft faite de veffies de gros Poiffons, qui font couppées par bandes d'une égale largeur, & fort proprement coufuës par enfemble. Elle n'a point d'ouverture à la poitrine c o m m e les nôtres ; mais afin qu'elle ne fe déchire en la vétant, les bouts des manches, la tétiere, & le déffous , font bordez d'un cuir noir fort delié :felonla figure laquelle nous avons fait mettre en ce lieu. Leurs autres Habits, & m ê m e leurs bottines , font auffi de pieces r'âpportées c o m m e leurs chemifes : mais ils font d'une matiere beaucoup plus forte, affavoir de peaus de Cerf, o u de Chien de m e r , parfaitement bien préparées, & garnies de leur poil. Celuy du Sauvage duquel nous avons fait mettre icy le pourtrait tiré au naif fur l'original, étoit de peau de deus couleurs, les bandes étoyent couppées d'une m ê m e largeur, & difpofées en unfibel ordre , qu'une bande blanche , étoit coufué entre deus brunes , par une agréable affemblage. L e poil qui paroiffoit en dehors, étoitauffipoly , & auffi dous que du velours, & il étoitfibien couché, & les diverfes pieces fe rapportoientfiparfaitement les unes ans autres, qu'on eut jugé au dehors, que tout l'habit avoit efté taillé d'une feule peau. Pour ce qui concerne maintenant la forme de la. cafaque


C h a p . 18 D E s I L E S

ANTILLES.

213

cafaque & de tout l'ornement extérieur du Sauvage qui en étoit paré : le Graveur les a reprefentezfinaifuément en cette taille douce , que ce feroit un travail inutile,d'en vouloir faire une plus ample defcription. Ces Sauvages qui habitent ce détroit, ne fortent jamais en campagne , fans avoir fur l'épaule un carquois remply de fléches , &l'arco u la lance en la main. Quant ausfléchesils en ont de plufieurs fortes. Les unes font propres pour tuer les Lievres, les Renards, lesOifeaus, & toute forte de m e n u Gibier: & les autres ne font deftinées, que pour abbatre les Cerfs, les Helans , les Ours, & les autres groffes beftes. C e l ­ les-là , n'ont qu'environ deus ou trois pieds de longueur, & au lieu de fer, elles ont la pointe m u n y e d'un os delié , trenchant & fort aigu, qui a l'un des cotez heriffé de trois ou quaDd 3 tre


214 Histoire

N A T U R E L L E ,

Chap. 18


Chap.

18

DES

Î L E SA N T I L L E S .215

tre crochets, qui font qu'on ne les peut arracher du lieu qu'elles ont perce , fans élargir la playe. Et celles-cy, qui ont du moins quatre o u cinq pieds de longueur, font armées par le bout d'un os pointu, qui a auffi des crochets, qui font faits c o m m e les dens d'une Scie. Ils lancent ces dernières avec la main ; mais pour leur donner plus de force , & faire qu'elles attaignent de plus loin.Ilsattachent à leur bras droits un bois long d'un pied & d e m y , qui a d'un côté une affez profonde couliffe , dans laquelle ils font paffer le gros bout de cette Javeline, laquelle étant dardée, reçoit par ce m o y e n une plus forte impreffion, & fait un effet beaucoup plus violent. Ils portent auffi quelquefois à la main, une efpece de lance, qui eft d'un bois fort & pefant, lequel eft garny par le petit bout, d'un os rond , dont la pointe a efté aiguifée fur une pierre, ou bien ils les muniffent ces cornes,ou dens de Poiffons que nous avons décrites. Ces lances ont fét ou huit pieds d'hauteur, & elles font enrichies par le gros bout, de deus ailerons de bois, o u de coftes de Baleine, qui leur donnent un peu plus de grâce, qu'elles n'auroyent fans cet ornement. Outre plufieurs fortes d'hameçons, dont ils fe fervent pour prendre les menus Poiffons qui frequentent leurs coites, ils ont encore diverfes efpeces de Javelots, léquels ils fçavent lancer avec une d'exterité non pareille, fur les gros & monftrueus Poiffons qu'ils vont chercher en pleine mer. Et afin que ceus qu'ils ont bleffez avec cette forte de d'ards, ne fe puiffent couler au fonds de l'eau &fruftrer leur attente, ils lient au gros bout une courroye de cuir de Cerf, longue de vint-cinq o u trente braffes , & ils attachent au bout de cette courroye, o u de cette ligne de cuir, une veffie enflée, laquelle retournant toujours au déffus de l'eau , leur marque l'endroit oü eft le Poiffon, lequel ils attirent à eus, o u bien ilsle conduifent aifément à terre, après qu'il s'eft bien débatu & qu'il a epuiféfes forces. L e jeunes femmes portent un habit, qui n'eft pas de beaucoup différent de celuy des h o m m e s : mais les vieilles, fe couvrent le plus fouvent, des dépouilles de certains gros Oifeaus, qui ont le plumage blanc & noir ;& qui font fort c o m m u n s en


216 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap.18 en cette terre. Elles ont l'adreffe de les écorcher fi proprement, que la plume demeure attachée à la peau. Ces habits ne leur battent que jufqu'au-gras de la jambe. Elles font ceintes d'une courroye de cuir, à laquelle au lieu de clefs, elles attachent plufieurs offelets, qui font pointus c o m m e des poinçons, & de m ê m e longueur que des aiguilles de tefte. Elles ne portent ni bracelets, ni colliers, ni pendans d'oreilles : mais pour tout ornement, elles fe font une taillade en chaque joué, & elles rempliffent la cicatrice, d une certaine couleur noire, quifelonleur opinion, les fait paroitre beaucoup plus agréables. Pendant que les h o m m e s fe divertiffent à la chaffe, ou à la pefche, elles s'occupent à coudre des habits, & à faire des tente,des paniers, & tous les petis meubles, qui font neceffaircsau ménage. Elles prennentauffiun grand foin des petis Enfans, &fielles font obligées de changer de demeure, o u defuivreieurs Maris en quelque voyage, elles les portent o u les conduifent par tout où elles vont, & pour les defennuyer par le chemin, & les appaifer lors qu'ils crient, elles ont de petis Tambours, qui font couverts de veffies de Poiffons, fur léquels elles s'avent faire de fi bons accords , que ceus des Tambours de Bafque, ne font pas plus dous, ni plus agreables. Elles les fonnent auffi , pour donner l'épouvante , & faire prendre la fuite aus Ours, & aus autres Belles farrouches, qui viennent fouvent roder prés des cavernes, où ces Sauvages fe retirent avec leurs familles durant l'hiver, ou à l'entour des tentes fousléquellesils logent pendant l'été. N o u s avons fait mettre en ce lieu, le pourtrait d'une de ces femmes vetuë de plumes, duquel on pourra inferer la grace que les autres peuvent avoir. Encore que ces pauvres Barbares n'ayent pas beaucoup de police, ils ont neantmoins entre-eux des Roytelets & des Capitaines qui les gouvernent, & qui prefident à toutes leurs affemblées. Ils élevent à ces dignitez ceus qui font les mieus faits de corps, les meilleurs chaffeurs, & les plus vaillans. Ils font couverts de plus belles peaus, & plus precieufes fourrures que leurs fujets & pour marque de leur grandeur, ils portent une en cigne , en forme de roze de broderie, laquelle


Chap,18

DES

ILES

ANTILLES.

217

quelle eft coufuë au devant de leur* cafaque, & lors qu'ils marchent, ils font toujours efcortez de plufieurs jeunes h o m ­ mes, qui font armez d'arcs & defléches,& qui exécutent fide­ lement tous leurs c o m m a n d e m e n s . Il n'ont point l'induftrie de bâtir des maifons; mais du­ rant l'été, ils demeurent à la campagne fous des tentes de cuir, léquelles ils portent avec e u s , pour les dreffer en tous les enEe droits


218 HISTOIRE N A T U R E L L E . Chap. 18 droits où ils trouvent b o n de camper :& pendant l'hyver ils habitent dans des cavernes, qui font faites naturellement dans les montagnes, ou qu'ils y ont creufées par artifice. Ils ne fement, ni ne recueillent aucuns grains de la terre,, pour l'entretien de leur vie. Ils n'ont point auffi d'arbres, o u de plantes qui leur portent des fruits , qui foyent bons à manger, horsmis quelque peu de fraifes , & d'une efpece de Eramboifes : mais ils ne fubfiftent, c o m m e nous l'avons déjà infinué , que de leur chafie & de leur pefche. L'eau toute pure cil leur boiffon ordinaire, & pour leur plus delicieufe regale , ils boivent le fang des chiens de m e r , & celuy des Cerfs, & des autres animaus de terre qu'ils ont abbatus, ou qu'ils ont fait tomber dans les pieges, qu'ils leur fcavent dreffer,avec un merveillcus artifice. L'Hyver, étantfilong &firigoureus en cette contrée o ù ils habitent, ileftimpoffiblequ'ils ne fouffrent beaucoup de dizette durant cette trifte conftitution de l'année, notamment pendant cette affreufe nuit qui les enveloppe deus mois entiers ; mais outre qu'au befoin ils fupportent aifément la faim, ils ont tant de prévoyance, qu'ils font fécher en efté le furplus de leur pefche & de leur chaffe, & le mettent en referve, avec toute la graine , & le fuif, qu'ils ont pû ramaffer, pour la provifion de cette fâcheufe & ennuyeufe faifon. O n dit m ê m e , qu'ils fontfiadroits à faire la chafie à la faveur de la L u n e , que durant les plus épaiffes ténèbres qui les couvrent , ils font rarement dépourveus de viandes fraîches. Ils n'ont pas la curiofité de voir d'autre païs que celuy de leur naiffance ; & s'il arrive que quelque rude tempefte , o u quelque autre rencontre, les ait pouffez en quelque terre étrangère, ils foûpirent perpetuellement apres leur chere patrie, & ils ne fe donneur point de repos, jufques à ce qu'on les y ait rétablis: quefil'on refufe, ou qu'on diffère trop à leur accorder cette grâce, ils effayent de s'y rendre au peril de leur vie, à la faveur de leurs petis vaiffeaus, dans léquels ils s'expofent à tous les périls de la M e r , fans autre guide que celle des Etoiles, dont ils ont affez de connoffiance, pour régler leur navigation furleurcours. Le


C h a p . 18 D E S I L E S A N T I L L E S . 219 L e langage dont ils fe fervent, n'a rien de c o m m u n avec celuy de tous les autres peuples de la terre. N o u s en avons u n petit Vocabulaire : mais de peur de groffir u n peu trop cette digre-ffion , nous le referverons parmy nos mémoires, jufques à ce qu'un fecond voyage qu'on projette pour ce d'étroit, nous en ait donné de plus claires lumières. O n n'a pas encore pû bien remarquer , qu'elle forte de religion eft en ufage parmy ces pauvres Barbares : mais par ce qu'ils regardent fouvent le Soleil, & qu'ils le montrent avec admiration , en élevant leurs mains en haut, on a inferé de-là, qu'ils le tenoient pour leur Dieu. L e Navire qui nous a fourny cette Relation, retourna de ce d'Etroit de Davis chargé de plufieurs bonnes Marchandifes, déquelles nous mettrons icy la Lifte, pour montrer que le froid qui regne en cette contréen'eftpasfirigoureus, qu'il y ait gelé toute forte de commerce. 1. N e u f cens peaus de Chiens de m e r , longues pour la plûpart de fet à huit pieds, marquetées, & ondées de noir, de rous, de jaune , de tanné, & de plufieurs autres couleurs, qui relevoyent leur prix , par deffus celles qu'on voit c o m m u nement en Hollande. 2. Plufieurs riches peaus de Cerfs, d'Helans, d'Ours, de Renards, de Lievres, & de Lapins, dont la plus grand'part étoit parfaitement blanche. 3. U n grand nombre de precieufes fourrures, de diverfes Beftes à quatre pieds , qui font toutes particulières à cette région , & qui n'ont encore point de n o m parmy nous. 4. Plufieurs Pacquets de coftes de Baleine, d'une longueur extraordinaire. 5. Des Habits complets des Habitans du païs, dont les uns étoient de peaus, & les autres de dépouilles d'oifeaus , & de la figure que nous les avons reprefentez. 6. Plufieurs de leurs Chemifes, faites de vèffies de Poiffons, fort proprement coufuës, de leurs bonets, gants, & bottines, de leurs carquois, fléches, arcs, & autres armes dont ils fe fervent, c o m m e auffi plufieurs de leurs tentes, de E c 2 leur


220 Histoire N A T U R E L L E , Chap. 18 leurs facs, de leurs paniers & autres petis meubles, dont ils ufent en leur ménage. 7. U n grand nombre de ces petis vaiffeaus de m e r , qui font faits pour porter un feul h o m m e . U n grand Batteau long de quarante cinq pieds, qui pouvoit porter c o m m o d e m e n t cinquante perfonnes. 8. Mais ce qui étoit de plus rare & de plus precieus, c'étoit une quantité bien confiderable de ces dens, ou cornes de ces Poiffons qu'on appelle Licornes de mer, qui font eftimées les plus grandes, les plus belles , & le mieux proportionnées, de toutes celles, qu'on avoit veuës jufques à prefent. O n en a envoyé quelques unes à Paris, & en d'autres endroits de l'Europe, qui y ont efté bien receuës: mais il y a grande apparence qu'elles feront encore plus prifées, quand o n aura la connoiffance, des admirables vertus qu'elles ont en la Médecine. Car bien-que leur beauté, & leur rareté, leur doivent faire tenir le premier rang entre les plus precieufes richeffes des plus curieus cabinets : plufieurs celebresMcdecins & Apoticaires de Dannemark , & d'Allemaign e , qui en ont fait les effays en diverfes rencontres, témoignent conftamment, qu'elles chaffent le venin, & qu'elles ont toutes les m ê m e s proprietez, qu'on attribuë c o m m u n é m e n t à la Corne de la Licorne de terre. E n voila affés, & peut eftreque trop au goût de quelques-uns, pour une fim ple digreffion.

CHA-


Chap.

1 9

DES

ÎLES

ANTILLES.

221

CHAPITRE DIXNEUVIEME. Des Poiffons couverts de croûtes dures, au lieu de peau & décailles : de plusieurs rares Coquillages : & de quelques autres belles productions de la Mer, qui fe trou vent aus costés des Antilles.

A

Moins que d'avoir quelque participation de cette celefte Sapience,, qui fut autrefois adreffée à Salom o n , pour parler non feulement des Arbres depuis le Cedre qui eft au Liban, jufques à l'Hiffope qui fort de la paroi : mais encore des Beftes, des Oifeaus, des Reptiles , & des Poiffons:Ileft impoffible de fonderies profons fecrets des eaus, pour y conter toutes les excellentes créatures, qui fe jouent dans leur fein, & remarquer toutes les vertus , & les proprietez occultes, dont elles fonr ennoblies. Car cet Elément eft doué d'une fi merveilleufe fécondité, qu'il ne produit pas feulement en toute abondance, des Poiffons de différentes efpeces, qui fervent à la nourriture de l'homme, & qui font pour la plupart d'une groffeur demefurée, & d'une figure, monftrueufe, c o m m e nous venons de le monftrer dans les Chapitres precedens : mais encore, unefigrande multitude de precieus Coquillages & d'autres Rarétez, qu'il faut confeffer, que la Divine Sageffe qui eft diverfe en toutes fortes , a tiré toutes ces riches beautez de fes inepuifables trefors , pour faire paroître la gloire de fa puiffance, au milieu des flots de la M e r ; & pour nous convier doucement à l'admiration de fes bontez, & de fon adorable Providence, laquelle s abaiffe julque dans la profondeur des abifmes, pourles peuplerd'un n o m b r e de bonnes créatures, qui ne fevoyent point ailleurs, & d'une infinité d'autres, qui portent les caractères, & les images des corps les plus confiderables qui ornent les cieus, o u qui volent parmy les airs, o u qui embeliffent la terre : d'où vient qu'on y trouve, c o m m e nous le verrons en ce Chapitre, des Etoiles, des Cornets, des Trompettes, des Porcelaines, E e 3 des


Chap. 19 des Arbres , des P o m m e s , des Châtaignes, & routes les plus raviffantes curiofitez , qui font prifées parmy les h o m m e s , O r pour commencer par les Poiffons, qui font couverts de croûtes dures & folides au lieu décailles, ou de peau. Il y en a plufieurs efpeces en la M e r , & aus Rivières des Antilles. O n fait particulièrement état, des Homars, des Araignées, 222

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

& des Cancres. A R T I C L E

Des

I.

Homars.

L

Es Homars, font une efpece d'Ecreviffes de m ê m e figure que celles de nos Rivières. Mais elles font fi groffes, qu'il n'en faut qu'une pour remplir un grand plat. Elles ont la chair blanche & favoureufe, mais un peu dure à digerer. Les Infulaires les prennent pendant la nuit fur le fable, ou fur les baffes de la M e r , & àl'aide d'un flambeau ou de la clarté de la L u n e , ils les enfilent avec une petite fourche de fer. A R T I C L E

II.

De l'Araignée de Mer.

L

'Araignée de Mer, eft tenuë par quelques uns, pour une efpece de Cancres. Elle eft couverte de deus fort dures écailles, defquelles celle de deffus eft relevée, & celle de deffouseftplus unie,& dentelée de pointes rudes. Elle a plufieurs jambes, & une queue forte, & longue quelquefois d'environ un pied. Quelques Sauvages les recherchent foigneufement, pour en armer leurs fléches. Quand ce Poiffon eft feché au Soleil, fon écaille devient luifante & c o m m e diafane, encore qu'elle foit naturellement de couleur cendrée.

ARTI-


C h a p , 19

DES

ILES

ANTILLES.

A R T I C L E

223

III.

Des Cancres.

L

Es Cancres ordinaires des Antilles, font de la m ê m e form e que ceus qu'on pefche es coftes de France. Il y en a de différente groffeur, mais ceus qui font les plus rares, font ceus qui vivent de proye. Ils font affez c o m m u n s en la plûparr des Iles, fur tout aus Vierges. Ils fe tienent fous les tronc des arbres du rivage de la mer : & à l'exemple de ces Grenouilles qu'on appelle Pefcheufes, ils épient de leur fort les Huit res & les Moules, pour en faire curée, & ils s'yprenent par cette rufe merveilleufe. C'eft qu'ils ont reconnu que leurs mordans & leurs défenfes, n'ont pas allez de force pour rompre les coquillages qui couvrentces Poiffons délicats. D e forte, qu'ayans auffi remarqué qu'ils ouvrent plufleurs fois le jour leurs écailles, pour prendre le frais, ils en épient foigneufément le tems , & s'e'tans garnis d'un petit caillou rond, qu'ils ont choifi dans le gravier, ilsletiennent preften l'une de leurs tenailles, & s'aprochans de l'Huitre, o u de la M o u l e , le laiffent tomber avec tant d'adreffe dans fa coquille entr'ouverte, que ne fe pouvant plus refermer, le Poiffon demeure la proye de ces fins chaffeurs. Quant aus Coquilles que l'on trouve en ces Iles, dans les ances où la mer les pouffe, elles font en grand n o m b r e , & de plufieurs fortes. Voicy les plus recherchées& les plus considérables. A R T I C L E

IV.

Du Burgau,

L

E Burgau, qui à la figure d'un Limaçon , étant dénué de la première croûte qui le reveft en dehors, prefente une Coquille argentée, & entrelacée de taches d'un noir luifanr, d'un vert gay, & d'une grifaillefiparfaire & fi luftrée, qu'aucun émailleur, n'en s'auroit aprocher avec tout fon artifice. Si ton; que


HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 19 que le Poiffon, qui a l'honneur de loger fous ce precieus couvert , en a quittélapoffeffion , on voit d'abord une entrée magnifique, encroûtée de perles : & en fuitte plufieurs riches appartenons ,ficlairs,fipolis, & émaillez par tout d'un argentfivif, qu'il ne fe peut rien voir de plus beau, en matière de Coquillage.

224

A R T I C L E

V.

Du Cafque.

L

E Cafque, qui eft de différente groffeur, à proportion des teftes de tant de Poiffons qui en font revêtus , eft ainfi n o m m é à caufe de fa figure. Il eft doublé par dedans & fur les bords, qui font épais, plats, & dentelez , d'un fatin incarnat, extrêmement luifant. Et par le dehors, il eft faffonné d'une agreable ruftique, relevée de plufieurs petites boffes, qui font entrelacées de mille compartimens, fur léqucls o n voit ondoyer un pannache, de diverfes rares couleurs. A R T I C L E

VI.

Du Lambis.

L

E Lambis, a peut-eftre reçeu ce n o m , à caufe que le Poiffon qui le fait mouvoir, a la figure d'une groffe langue, qui léche cette humeur gluante, qui s'atache fur les rochers que la mer baigne de fesflots.C'eft un des plus gros Coquillages qui fe voient. Il eft retrouffé par l'un de fes bords, c o m m e pour faire mieusparoitre , la belle couleur pourprine qui l'enrichit au dedans. Mais, il faut avouer que fa maffe étant affez groffiere, & heriffée par deffus de plufieurs boffes rudes & pointues, luy fermeroit la porte des cabinets,fil'artifice en luy enlevant fa première robe, n e découvroit la bigarrure & la politeffe de lécaille marquetée, qu'il porte fous cet habit de campagne. Le Poiffon , qui loge fous les cavernes de cette petite roche mouvante , eftfigros , qu'il en faut peu pour remplir un plat. Il peut être admis fur les tables des


Chap. 19 DES ILES ANTIlLEs. 225 des délicats, pourveu qu'il foit bien cuit,& encore mieus poyuré, pour corriger fon indigeftion. Et pour profiter de fa dépouille , étant calcinée & méflée avec du fable de riviere, o n en compofe u n ciment, qui refifte à la pluie & à toutes les injures du tems. C e lambis auffi, s'entonnant c o m m e un C o r d e chaffe ,& s'entendant de fort loin, quelques Habitans desIless'en fervent, pour apeller leurs gens aus repas. Et les Indiens de l'Amérique Septentrionale, l'ayans reduit en chaus, & mefié avec une certaine terre minérale, qu'ils tirent des montagnes, en forment ces beaus pavez de leurs cabanes, dont nous parlerons en fon lieu. A R T I C L E

VII.

Des Porcelaines. Es Porcelaines, doivent être rangées entre les plus rares L productions de l'Océan : foit que l'on confidere cette agréable politeffe, dont elles font liffées& au dehors& au

dedans; foit que l'on faffe réflexion , fur tant de différentes & de vives couleurs, dont elles font revêtues. Elles replient leur bord dentelé,& le roulent en dedans,& bien qu'elles foient plus ou moins luftrées, elles font toutes d'une m ê m e figure ovale, entrebaillantes au milieu,& recoquillées par le bec. Mais il s'en trouve, qui font fort differentes en groffeur & en couleur. Les plus ordinaires, font d'un jaune doré, marqueté de petites taches blanches ou rouges, & l'ondiroit de loin que ce font des marques de perles, ou de grains de coral. O n en voit auffi de bleuâtres, détoilées, de grisâtres, de cryftalines , & de couleur d'Agate, qui ont toutes un œil fort attrayant. Mais celles qui font les plus eftimées des curieus, font de coraline incarnate au dehors, & argentées au dedans : ou bien elles font parées d'un beau bleu celefte au dedans,& d'un riche porfire au dehors, rayéez de petis filets d'orez. O n prife auffi avec raifon , celles qui font par deffus d'un vert luisant comme émeraude, & emperlées dans l'intérieur, au bord, & enleurs caneluecs. L'on met aufli dans ce même rang, celE f les


226

HISTOIRE

NATURELLE,

Chap. 19

les qui font fur le dos d'un noir luifant c o m m e j'ayet, & quant au refte, émaillées d'un bleu mourant, entrelacé de petites veines de pourpre. Enfin, il y en à qui font chamarrées de tant de vives couleurs, qu'il femble que larc-en-ciel, air imprimé fur ces petites créatures, un racourcy de fes plus ravifiàntes beautez: IIy en auffi une infinité d'autres, qui font diverfifiées de tant de chifres & de grotefques , qu'il eft à croire que la nature étoit en fa plus gaye h u m e u r , quand elle s'eft mile à produire ces merveilles, Mais le mal eft , que la m e r qui les poffede c o m m e fes plus precieus joyaus, ne s'en deffaifit pas volontiers, & femblene: les donner qu'à contre cœur. Carfiles vens ne la mettoyent,: quelquefois en colére , & qu'en fecoüant fes entrailles, ils ne fouilloyent jufques au-fonds de fes tréfors , pour les enlever par force, elle jouïroit toute feule de ces richeffes & de ces beautez, fans nous en faire jamais de part. Les curieus pour en rehauffer le luftre , les placent felon leur rang , & leur prix, dans de différentes caffetes doublées de velours vert, o u de quelque autre riche étoffe; Et a limitation des Fleuriftes, qui qualifient leurs Tulipes & leur Oeillets-, des n o m s des Cefars & des plus illuftres Héros ; ils leur font porteries titres des Empereurs & des Princes.

A R T I C L E

VIII.

Des Cornets de Mer.

O

N voit encore aus Antilles, de deus fortes de ces gros Coquillages, que l'on appelle Cornets de Mer, qui font tournez par le bout en forme de vis. Les uns font blancs s o m m e de l'yvoire, & ne cedent enrienà fon luftre. Les autres font enrichis par dedans d'un gris de perle, extrêmement luifanr, & par dehors de plufieurs belles & vives couleurs; qui feterminent quelquefois en écailles, ou fe répandent en forme d'ondes, qui fe pouffent & qui flottent les unes fur les autres, depuis le bord de la.largeouverture de deffus, jufques àlapointe entortillée on elles meurent,. Si l'on perce ces

Cor.


C h a p . 19 DES I L E S A n t I L L E s . 227 Cornets par le petit bout, on en fait une efpéce d'infiniment de mufique, qui rend un fon aigu & penetrant, & qui étant pouffépar les diverfes s'inuofités de ce Coquillage, fe fait entendre de loin, c o m m e feroit celuy d'un clairon. Mais , il y à dufecret,à compaffer le foufle qu'il faut, pour les faire jouer. L a m e r , auffi bien que les Architectes , fe plait à produire, des ouvrages de diverfe ordonnance. Quelquefois elle en fait à la ruftique, qui font tout nuds , & ont fort peu d'ornemens ; Puis elle en fait de compofez par un mélange des ordres ; qui viennent au fecours les uns des autres, avec tant de mignardife & de delicateffe, qu'il n'y a rien de plus agreable à l'œil. Cela fe remarque en une infinité de Coquilles , qui font diversifiées de cent mille grotefques. O n y peut remarquer des laqs entrenoiiez, des efpéces de fruitages, des faillies hors d'oeuvre, des culs de lampe, des pointes de diamant, des goutes pendantes, des éguilles, des clochers, des pyramides , des colomnes, des fufées, des chapiteaus , des moulures & une infinité d'autres fantaifies, & d'autres morefques, qui donnent fujet d'entretien Se d'admiration aus curieus. C o m m e en effet,l'onne s'auroit jamais affés admirer par ces échantillons, la merveilleufc diverfité, de tant de riches ouvrages , que les eaus refervent dans leurs profons cabinets. A R T I C L E

IX.

• De la Nacre de perle.

L

Es Coquilles ne donnent pas feulement un divertiffem e n t agreable, qui porte les h o m m e s , par la considération de ces petis, mais admirables ouvrages de la nature, à benir celuy qui eneftl'Auteur, Mais apres avoir contenté les yeus, elles fourniffent auffi dequoy fatisfaire le goût, Se dequoy accroiftre les tréfors. Car les Huîtres & les Moules fervent aus délices des tables : & l'Ecaille Nacrée ou la Nacre de perle, ell groffe de la Perle, qui enrichit les couronnes des Rois. Ileftvray que ces Perles ne fe trouvent qu'en femence aus Antilles, Se que c'eft l'Ile de la Marguerite, & la cofte M é ridionale de l'Amérique, qui ont le bonheur de les recueillir Ff 2 entie-


228 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 19 entièrement formées. Maisfiles Antilles ne voyent point ce precieus germe fe durcir en groffes Perles, ces riches Coquilles, ne les laiffent pas pourtant fans quelque avantage Car elles leur offrent pour nourriture le corps qu'elles enferment, & les deus parties de leur écaille argentée fourniflent chacune une cuëillier, qui peut paroitre avec éclat fur la table. Il eft malaifé de dire, fi la rofée qui t o m b e aus Antilles, n'eft pas affés féconde pour faire que les Méres Perles, y produifent leurs fruits en perfection : O u fi après avoir reçeu cette femence des cieus, elles auortent, & n'ont pas affés de force naturelle pour la retenir. Mais fans rechercher de qu'elle part vient le défaut, il eft affuré qu'elles ont une auffi forte inclination à fe délivrer de l'oprobre de la fteriliré , que celles qu'on péfche aus coftes de la Marguerite, Car fi on fe veut donner la curiofité d'épier leurs fecrettes amours , de deffus les rochers au pied déquels elles le plaifent, on apereeura qu'au lever de l'Aurore, elles s'élancent plufieurs fois fur la furface de l'eau, c o m m e pour faire h o m m a g e au Soleil levant: Puis tout à coup , on verra qu'elles-ouvrent leur fein, & qu'elles s'épanoviffent fur ce lit mollet, pour attendre les premiers rayons de ce bel aftre. Q u e fi elles font affés heureufes, pour recevoir quelques goûtes de la rofée, qu'il fait diftiller des cieus à fon lever, elles referment promtément leurs écailles nacrées, de peur que quelque goûte d'eau falée, ne vienne à corrompre ce germe celefte. £t puis elles fe replongent alégrement au fonds de leur couche. U n Auteur n o m m é Fragofus, eftime que les Perles s'engendrent dans la, chair de l'Huitre , c o m m e la pierre dans quelques animaus, d'une humeur craffe & vifqueufe, qui refte de l'aliment. Quelques Doctes Medecins, qui font auffi dans le m ê m e fentiment, appuyent cette opinion , fur ce que jofef à Cofta, Ecrivain fort croiable pofe pour conftant, affavoir, que les Efclaves qui pefchent les Perles, plongent par fois jufques à douze braffes dans la mer , pour chercher les Huitres, qui d'ordinaire font attachées aus rochers : qu'ils les arrachent de-là , & reviennent furl'eauen étant chargez: d'où ils concluent que du moins o n n e peut pas dire, que ces Huitres-


C h a p . 19 DES ILES A N T I L L E S . 229 Huitres-là, qui font attachées aus rochers, h u m e n t la rofée, & que par là fe faffe la génération des Perles. Mais fans entrer en conteftation avec ces Meilleurs, & fans rejeter absolument leur opinion, laquelle a fes fondem e n s : O n peut dire que le récit tres-veritable d'Acofta touchant la pefche des Perles, ne fait du tout rien , contre le fentiment c o m m u n é m e n t reçeu de leur génération : Car il fe peut faire, que les mères Perles qui ont conçeu de la rofée, fe s'entant chargées de ce precieus fruit, n'ayent plus d'inclination de fe faire voir fur la furface des eaus ; & qu'étant contentes du trefor qu'elles poffedent, elles s'attachent pour lors fixement aus rochers , d'où puis après, elles font arradiées avec violence. A R T I C L E

X.

De plufîeurs autres fortes de Coquillages. Eus qui au milieu des Villes les plus fréquentées, veulent contrefaire des dcfcrts,des rochers, & des folitudes; ou qui dans les plaines de leurs jardins, veulent élever des montagnes dans lequelles ils creufent des grottes, qu'ils encroutent de toutes les plus curieufes dépouilles de la mer, & de la terre, trouveroyent en la plupart de cesIles, dequoy contenter leur inclination. Mais il feroit il à craindre, q u e l'abondance & la diverfité, métant en peine leur choiz , n e leur en causât du mépris, Car pour parler de quelques-unes, o n y voit une multitude innombrable de Trompes de mer, d'Efcargots, & de petis Vignols , argentins, étoilez, fanguins, verdàtres , rayez d'incarnat, moucherez de mille fortes de couleurs, qui les font éclater parmy le fable , c o m m e autant de pierres precieufes. L e Soleil rehauffe merveilleufement leur luftre. Et lors qu'après quelque rude tempefte , la mer a enrichy la furface de ces rivages, de tous ces petis brillans, l'oeil en demeure tellement éblouy, que l'on eft obligé d'avouer, que la nature fait reluire avec majefté fa puiffance, & montre ce qu'elle fait faire , en revêtant de tant de riches ornemens, & de tant de belles lumières,cesm e n u e s créatures, Ff 3 Nos-

C


HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 19 N o s Infulaires, ramaffent quelquefois par divertiffement ces petis jouets de la m e r , & en ayant percé le bour, ils les enfilent, pour en faire des bracelets & des cordons: Mais la plupart des Indiens de l'Amérique Septentrionale, les ont en une bien plus haute eftime. Car ils s'en fervent pour leur trafic & pour leur m e n u c o m m e r c e , c o m m e nous faifons parmy nous , de l'or & de l'argent m o n n o y é : & ceux là , qui en ont le plus grand n o m b r e , font eftimez les plus riches. Les Coquilles qui fervent à cette ufage, font de mediocre groffeur, d'une folidité & d'un luflre extraordinaire. Et pour eftre de mife en certains endroits, elles doivent avoir été marquées par des Officiers deftinez à cela , qui y donnent le prix & le cours, en y gravant de certains petis caractères.

230

A R T I C L E

XI.

D'un Coquillage couvert de Notes de Mufique. L y a un Coquillage fort confiderable , que Monfieur d u Montel croit que l'on peut t r o u v e r quelcune des Antilles, bien qu'il n'en ait veu qu'a Coraço. ileftd'une figure u n peu différente des Porcelaines, c'eft à dire un peu plus ramaffé. O n le n o m m é Mufical, par ce qu'il porte fur le dos, des lignes noirâtres pleines de notes, qui ont une efpece de clé pour les mettre en chant, de forte que l'on diroit qu'il ne m a n q u e que la lettre, à cette tablature naturelle. C e curieus Gentil-homme raporte, qu'il en a veu qui avoient cinq lignes, une clé & des notes, qui formoient un acord parfait. Quelcun y avoit ajouté la lettre, que la nature avoit oubliée, Se la faifoit chanter en forme de trio, dont l'air étoit fort agreable. Les beaus efprits, pourroient faire la deffus mille belles confiderations. Ils diroient entr'autres chofes, que il felon l'opinion de Pythagore , les cieus ont leur harmonie, dont les dous accords ne peuvent être entendus à caufe du bruit que l'on fait fur la terre, quefiles airs retentiffent de la m é lodie

I


231 Chap. 1 9 DES ILES ANTILLES. lodie d'une infinite d'oifeaus, qui y tienent leur partie,& que fi les h o m m e s ont inventé une Mufique à leur m o d e , qui charm e les coeurs par les oreilles: auffi lamer, qui n'eft pas toujours agitée, a dans fon empire des Muficiens , qui chantent d'une faffon qui leur eft particulière , les louanges du Souverain. Les Poetes adjouteroient, que ces Tablatures naturelles , font celles que les Syrenes avoient en mains dans leurs plus melodieus concerts: & qu'étant aperçeües de quelque œilqui vint troubler leur paffetems , elles les laifferent tomber dans les eaus, qui dépuis les ont toujours foigneufement confervées. Mais laiffant ces conceptions , & leurs femblables , à ceus à qui elles apartienent, fuivons lefilde noftre Hiftoire.

A R T I C L E Des

XII.

Pierres aus yeux,

Ncore qu'on trouve de ces Pierres bien avant en la terre , auffi bien qu'au bord de la mer : neantmoins puifque la plus c o m m u n e opinion les tient pour une production des eaus, nous leur donnerons placeen ce lieu. O n en voit qui font aufii larges qu'un Lyard ; mais les plus petites font les plus eftimées. A les confiderer au Soleil, on croiroit que ce feroit de ces perles qu'on n o m m é Baroques , qui auroyent efté couppées en deus, tant elles font claires, transparentes, & polies. Il y en a quelques unes , qui ont de petites, veines rouges ou violettes , qui leur donnent un fort agreable éclat, felon les divers afpects qu'on les regarde. Elles portent toutes, la figure d'un Limaçon gravée fur le cofté qui eft plat. Q u a n d on les met fous la paupière , elles fe roulent autour de la prunelle de l'œil, & l'on dit, qu'elles ont la vertu de la fortifier, de l'eclaircir, & de faire fortir promptémenr les fétus, qui y feroyent tombez. C'eft pourquoy o n les a appellées d'un n o m , qui monftre leur propriété.

E

ARTI-


232

HISTOIRE

Burgau

Porceleine

C a f q u e de mer

N A T U R E L L E S Chap. 19 Mufical

Trompette marine

Lambis


Chap. 19

D E s ILES

ANTILLES.

A R T I C L E

233

XIII.

Des Pommes de mer.

O

N rencontre en l'Ile de Saint Martin, des Pommes de mer, heriffées d'aiguillons perçans, qui fortent d'une peau brune: mais quand le Poiffon qui les roule eft m o r t , elles quittent toutes ces épines & toutes ces défences, qui leur font desormais inutiles : & laiffant auffi, cette croûte cendrée qui les envelopoit, elles font montre de la blancheur de leurs coques, qui font entre-lacées de tant de compartimens & de petites finuofitez, que l'aiguille du plus adroit brodeur, fe trouveroit bien empéfchée fi elle les vouloit imiter.Ilfemble que ces Pommes , pourroient mieus être apellées , de petis Heriffons de mer, ou des Châtaignes de mer: Car étant en vie elles font & de la figure, & de la couleur, d'un petit Heriffon, qui fe forme en boule & qui s'arme de tous fes traits, pour fe rendre imprenable à fon cnnemy. O u bien, elles font fembiables à ces groffes & rudes envelopes, armées dépines, qui couvrent la Chataigne, quand elle eft fur l'Arbre. A

R

T

I

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E

XIV.

Des Etoiles de Mer.

A

Confiderer de prés, toutes les raretez qui fe trouvent en la m e r , on diroit que le Ciel ne veuille rien pofféder de beau, qu'il n'en imprime une reffemblance en la m e r , c o m m e en fon miroir. C'eft pourquoy ,l'ony voit des Etoiles qui ont cinq pointes , ou cinq rayons, tirant fur le jaune. T o u t ce beau compofé , n'a qu'un bon pied de Diamétre : Son épaiffeureftd'un pouce, fa peau eft affez dure, & relevée par de petites boffes , quiluy donnent meilleure grâce. Si ces Etoiles, de mer cedent en grandeur 8c en lumiére à celles des Cieus,elles les furpaffent, en ce qu'elles font animées,& en ce que leur m o u v e m e n t n'eft point forcé, & qu'elles ne font pointfixesni attachées en une place. Car le Poiffon, à qui ce Gg riche


234 HISTOIRE NATURELLE, Chap. 19 riche domicile étoile eft écheu en partage, fe promené c o m m e il veut dans l'azur des eaus pendant le calme ; Mais auffitôt qu'il prévoit quelque orage, de crainte d'être pouffé fur la terre, qui n'eft pas digne de poffeder les Aftres; il jette deus petites ancres de fon corps, avec léquelles il s'accroche il fermement contre les rochers, que toutes les agitations des ondes irritées, ne 1 en peuvent détacher. Sa vie eft entretenue par le m o y e n de la nourriture qu'il prend, par une petite ouverture, qui luy fert de bouche, & qui eft juftement au centre de fon corps. Les curieus, tirent ces Étoiles de leur Ciel humide , & après les avoir féchées au Soleil, ils en parent leurs Cabinets, A R T I C L E

X V .

Des Arbres de Mer.

L

ES bancs des Rochers, qui font couverts d'eau, ne peuvent foufrir lafterilité,& nonobftant la falure qui les baigne inceffamment, ils féforcent de produire parmy l'herbe qui les reveft, des Arbres qui font incontinent glacez d'un Salpêtre, qui les rend blancs au poffible. Quelques uns les prenent pour une efpece de Coral. O n en arrache detoutes figures, & defibien faffonnés, que l'œil ne fe peut laffer, d'en confiderer les grotefques. A R T I C L E

X V I .

Des Pannaches de Mer.

I

L y a auffi des Pannaches, qui font par maniére de dire c o m m e les bordures de ce grand Jardin liquide , qui n'a jamais befoin d'être arrofé. Elles font tiffuës fort délicatement, en forme d'un riche point-coupé. Etfelonla qualité des. R o chers où elles ont leur racine, elles font auffi de différentes couleurs. Il feroit feulement à defirer, qu'elles euffent u n peu plus de folidité , pour fouffrir le voyage des Iles, en ces quartiers. CHA-


C h a p . 19

D E s ILES

ANTILLES.

235


236

HISTOIRE

CHAPITRE

N A T U R E L L E .

L

20

VINTIEME.

De l'Ambre gris ; De fon Origine celuy qui eft bon, & fans

'Ambregris, fe trouve

Chap.

des marques mélange.

de

en plus grande abondance aus coftes de la Floride, qu'en aucune des autres contrées de l'Amérique. C'eft pourquoy les Efpagnols y ont dreffe des forts, pour fe conferver la terre, & pour entretenir avec les Indiens qui l'habitent, le c o m m e r c e de cette riche marchandife, laquelle ils receüillent foigneufement, de'puis qu'on leur en a enfeigné le prix O n en a auffi ramaffé quelquefois, aprés de rudes tempeftes, fur les rades de T a b a g o , de la Barboude, & dequelques autres de nos Antilles , c o m m e nous le reconnoiffons par plusieurs mémoires , que nous avons entre nos mains: Et c'eft ce qui nous fait croire, que fans fortir des limites de l'Hiftoire Naturelle que nous traitons, nous pouvons parfumer rout ce Chapitre de la fouëue odeur de cette drogue Aromatique, qui eft fans contredit la plus rare,& la plus precieufe de toutes les productions, que l'Océan ait encorepoufféhors de fon vafte& inépuifable fein, pour enrichir ce nouveau monde. Les Maldivois appellent l'Ambre-gris Panahambar, c'eft à dire l'Ambre d'or, à caufe de fa valeur. Les habitansde Fés & de Maroc & les Ethiopiens, le nomment du même nom que la Baleine. C e qui fait croire probablement, qu'ils ont eftimé qu'il venoit de la Baleine.Ileft très-certain , que ni Hippocrate, ni Diofcoride, ni Galien , n'ont jamais ouï parler del'Ambre-gris, non plus que de la pierre de Befoar, d u Gayac,du Saffafras,de la Sarfepareille, de la Gomme-goutte, de la Rubarbe, du Mechoacan, & d'une infinité d'autres chofes. L'ambre-gris eft donc une drogue , dont la connoiffance eft tout à fait moderne,& d'ont o n ne fait pas l'origine. Quelques uns, fe font imaginez que cet A m b r e , inconnu à l'antiquité, eft un excrément de Baleines. D'autres croyent qu'il


Chap.20

DES

ILES

ANTILLES.

237

qu'il vient des Crocodiles , parce que leur chair eft parfum é e . Quelques autres fe perfuadent, que ce font des pièces d'Iles ,& des fragmens de rochers cachez en la mer ,& e m portez par la violence des flots, parce qu'il fe recueille quelquefois des pieces de cet A m b r e , qui péfent jufques à cent livres, & de la longueur de foixante paumes , & qu'au rapport de Linfcot, en l'an mil cinq cens cinquante cinq, il en fut trouvé un morceau vers le C a p C o m o r i n , du poids de trente quintaus. 11 y en a qui eftiment que c'eft une efpéce d'écum e de m e r , quis'amaffe& s'epaiffit avec le tems, par l'agitation des eaus de la m e r : & qui fe durcit par la chaleur du Soleil, Mais, c'eft plus vrai-femblablement une forte de Bitume, qui s'engendre au fond de la mer : Et lors qu'elle vient à eftre agitée extraordinairement par quelque furieufe tempefte, elle détache ce Bitume de fon fein, ce le porte fur fes rivages. Car en effet, c'eft ordinairément apres une grande tempefte, que l'on en trouve fur les bords. Filoftrate en la vie d'Apollinius dit, que les Panteres qui font à l'entour du m o n t Caucafe, aiment fort la bonne odeur de ce lien là. Mais il eft certain qu'entre autres beftes, les Oifeaus fe m o n trent extrêmement amoureus de cet A m b r e , & qu'ils le s'entent de fort loin, C'eft pourquoy dés que l'orage eft ceffé , il le fautchercher& l'enlever en diligence, autremement on le trouveroit tout mangé. Et ce n'eft pas fa bonne odeur , mais fa mauvaife, qui attire ces Oifeaus. Car ce parfumfiprecieus &fiadmirable , lors qu'il eft encore frais, & mol , & qu'il ne fait que fortir de la m e r , fent très-mauvais,& les animaus y courent en m ê m e faffon , qu'ils vont aus charognes : Car fon odeur eft à peu prés, c o m m e de lard corrompu,& il eft à croire, que c'eft pour cette raifon, que l'on a étéfilong-tems à e connoitre, & à s'en fervir. Les Anciens jugeoient de fa vertu, par fa mauvaife odeur, plutôt capable de faire mal au cceur, que de le réjouir, ainfi ils le rejettoient c o m m e inutile, o u m ê m e nuifible. Joint, qu'il ne fe trouve pasfifréquemm e n t , ni enfigrande quantité vers la cofte de Gréce, nidans l'Europe :& que les navigations aus Indes étoient rares autrefois. G g 3 Les


HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap.20 Les Renards, ne s'en montrent pas moins paffionez. A n s Païs o ù il fe recueille en quantité , ces animaus font le guet à la cofte, & auffitoft qu'ils en découvrent, ils s'en faififfent & l'avalent. Mais, après l'avoir gardé quelque tems dans leur ventre, ils le rendent fans qu'il foit aucunement digeré: Seulement il y perd une partie de fa qualité , & de fa bonne odeur. Ç'eft pourquoy cette forte d'Ambre, qu'on appelle Renardé, eft moins prifée que l'autre, & ne s'employe gueres qu'aus parfums. Il ne fera pas mal à propos de donner en paffant, le m o y e n de difcerner le vray Ambre-gris d'avec le faus, veu que tous ceus qui en ont écrit, c o m m e Gardas, Monard, Scaliger, Ferdinand Lopés, Clufius, & autres, n'en parlent que fort fuccin&ement, & n e nous en difent pas les marques effencielles.. Il faut favoir premierement, que l'Ambre fe diftingue en general, en celuy de la mer du levant, & en celuy de la mer du Ponant. Celuy qui fe prend à la cofte du Levant, & particulierement à la cofte de la Barbarie, o ù il le trouve en grande quantité & en groffes pièces, eft généralement noir, & ne féche jamais il bien, qu'il fe puilfe réduire en poudre, c o m m e celuy du Ponant, quelque addition qu'on y faffe pour le pulvérifer. Il fe fond auffi plus facilement au feu, il eft de moins douce odeur, & de beaucoup moindre prix. O n apporte peu de cet A m b r e en ces quartiers, parce qu'il n'y eft pas eftimé, & qu'iln'eft guère bon pour la Médecine, ni pour les parfums, L'Ambre du Ponant, dont le meilleur eft celuy de nos coftes, eft ordinairement d'un gris cendré : c o m m e fi l'on avoit meflé de la cendre parmy de la cire: de faffon néantmoins, que la cendre y parut diftinctement & ne fe confondit pas avec la cire. L e deffus ayant frayé fur le rivage, & ayant plus fenty l'air, eft ordinairement de couleur tannée , ou du moins plus blanc que le dedans, dur & folide en faffon de croûte, & par fois meflé de fable, & de coquillages. C e qui arrive, lors qu'étant mol c o m m e du Bitume ou de la poix, les ordures s'y attachent facilement ; Et cela diminuë fon prix, mais ne le rend pas moins bon. Pour 238


Chap.20

DES

ÎLES

ANTILLES.

239

Pour favoir fi cet A m b r e , qui eft de la meilleurecfpéceeft bon, on regardera premièrement lafigure,qui doit tirer pour l'ordinaire, à la rondeur, par ce que toutes les chofes moyennement molles étant roulées par la m e r , & pouffées fur le rivage, s'arrondiffent. Il doit eftre encore en quelque faffon poly, & de couleur brune, entre gris de m o r e & tanné. Q u e s'il eft bien fec, il faut qu'il foit fort léger pour fa groffeur. Car par la, vous jugeresfice n'eft point une mixtion de С о lofone, de Bitume, de Cire, de Poix, & de Réfine , toutes ces chofes pefant beaucoup plus. V o u s connoitrez auffi par là, fi parmy le bon A m b r e , on n'a point méfié de fable, o ufice n'eft point de l'Ambre noir du levant. Si l'on ne veut pas rompre la piece, il faut prendre une aiguille, & la faire chauffer, & en percer cette piece d'Ambre. V o u s remarqueres par ce m o y e nfielle entre aifément, qu'il n'y a point de pierres enclofes. Et en fentant la liqueur qui fortira par la chaleur de l'aiguille qui fondra l'Ambre, vous trouverés une odeur,qui approche de celle de la cire g o m m é e , & qui fe termine enfin en une odeur affés douce. Mais le plus affuré m o y e n , eft, après avoirfait le prix de la piece d'Ambre à condition qu'il foit b o n , de la rompre. Ainfi vous reconnoîtres s'il n'y a point de caillous II faut c o m m e nous avons déjà dit, que l'Ambre fe trouve de couleur cendrée, à petis grains, c o m m e font cens de nos Truffles. Lors qu'il eft rесеnt, il eft plus brun que lors qu'il eft fort fec. Mais pourveu qu'il ne s'éloigne guère de cette couleur, & qu'il ne foit ni trop noir, ni trop blanc, il n'importe; fur tout il faut qu'il paroiffe de couleur méflée, il faudra auffi prendre un peu de l'intérieur de la pièce, ou de l'endroit que l'on foubçonne le moins b o n , & le mettre fur un couteau que vous aures fait chauffer;y étant mis, il faut qu'il fonde auffi-tôt c o m m e de la cire, & fi le couteau eft fort chaud, qu'il s'exhale tout fans rien laiffer. V o u s prendrés garde en le faifant ainfi fondre, s'il-a à peu prés l'odeur que nous avons déjà dite, & qui ne fe peut guère reconnoitre, qu'on ne l'ait expérimentée auparavant, par ce qu'elle luy eft particulière. Et par là vous reconnoîtrés encore, s'il n'y a point de poudre méflée parmy l'Ambre. Lors qu'il


240

HISTOIRE

NATURELLE,

Chap.20

qu'il fe fond vous pourrés auffi, fi vous voulés en faire l'effay , en prendre un peu & le mettre fur la main : & en l'étendant vous verres s'il n'y a rien de méflé. Il doit adhérerfifortementà la m a i n , qu'il ne foit pas aifé de l'en ôter. Quand il fond il devient d'une feule couleur , bien qu'auparavant il femble méflé , & il tire alors fur la Colofone. Il ne fe doit diffbudrenidans l'eau, ni dans l'huile. Ce n'eft pas qu'il n'y ait un moien de le diffoudre dans l'une & dans l'autre, par l'addition d'une certaine chofe , que ceus qui la faveur tienent fecrette. Il ne faut pas aufilqu'il fe mette en poudre,fice n'eft qu'étant bien fec on le racle, & on le meflé avec quelque poudre bien fubtile : encore prend il en partie au mortier, qu'il faut racler de tems en tems. L e noir ne fe met jamais bien en • poudre, ni de cette faffon, ni. d'aucune autre. L a différence du noir d'avec le gris eft, premièrementfacouleur, qui tire plus fur la poix noire, & qui n'eft pas méflée de grains gris-blancs, mais par tout égale. L e noir eft aufli plus m o l & plus pefant, & il fent plus le Bitume. Il y a une troifiéme efpece d'Ambre, qui eft blanc, lequel c o m m e dit Ferdinand Lopés, eft le plus rare, mais non pas lemeilleur, c o m m e il eftime: au contraire c'eft le moindre de tous : & c o m m e l'on n'en fait nul cas, on en transporte fort peu. Mais pour mieus dire, c'eft de l'Ambre , ou gris ou noir, lequel ayant été mangé & digéré par les Oifeaus, qui ont l'eftomac fort chaud, devient ainfi blanc c o m m e font présque tous les excremens des Oifeaus. Celuy que les Poiffons ont dévoré, ce qui arrive fouvent, n'eft guère altéré ni en fa couleur, ni en fa fubftance. C e qui vient, de ce quelesPoiffons ont l'eftomac moins chaud que les Oifeaus, & que peuteftre fentant cet A m b r e plus chaud que. leurs alimens ordinaires , & s'en trouvant travaillez, ils le vomiffent promptement. Mais celuy que l'on appelle Renard&, eft présque tout corrompu , & de peu de valeur, à caufe de la chaleur del'eftom a c des Renars, qui l'ont dévoré. Cet A m b r e blanc, reffemble à du Suif Mariné, fe fond aifément, & fent le fuif,auffiquelques uns croyent, que ce n'eft que du Suif Mariné. Nous


Chap.21 D E S ILES A N T I L L E S . 241 N o u s ne nous arrefterons pas à reprefenter les Sofiftications qui fe font en l'Ambre, parce quelles font infinies, & qu'il fuffit d'avoir donné les marques du bon. N o u s ne dirons rien auffi,desadmirables ufages qu'il a en la Medecine , ni de toutes fes bonnes qualitez , & fur tout de la douce odeur qu'il donne aus liqueurs, aus confitures, & à tout ce en quoy o n l'employé : puifque les Livres nouveaus en font pleins, & que l'experience les témoigne.

CHAPITRE VINT-ET-UNIEME. De quelques a n i m a u s Amfibies, qui font en ces Iles.

communs

P

O u r ne faire qu'une volée des Oifeaus de nos Antilles, & ne les pas feparer les uns d'avec les autres, nous avons déjà parlé dans le fétiéme Chapitre de cette Hiftoire, des Oifeaus que l'on n o m m e de Riviere, & qui vivent également & fur la terre & fur l'eau. 11 ne nous relie donc plus icy, qu'à décrire quelques autres Amfibies, qui font c o m m u n s en ces Iles. A R T I C L E

I.

Du Crocodile. O u s commencerons par le Crocodile. que les Infulaires n o m m e n t Cayeman. C'eft u n monftre. tresdangereus, qui croift par fois d'une groffeur & d'une longueur énorme. O n en apportefifouvent des dépouilles en France, qu'il n'eft pas neceffaire de nous étendre beaucoup fur fa déicription. CET A n i m a l , fe tient en la M e r & aus Rivieres desIlesinhabitées, & m ê m e fur la terre parmy les Rofeaus. Il eft hideus au poffible. O n tient qu'il eft de longue vie, & que fon corps croift en toutes fes dimenfions, jufques à fa mort. C e qui fait,qu'on ne fe doit pas étonner,fio n en a veu,qui avoient

N

H h

dixhuit


H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap.21 dixhuit pieds de long, & qui étoient gros c o m m e une Barri, que. Ileftfoutenu fur quatre pieds, qui font armez d'ongles crochus. Sa peau qui eft relevée par écailles , eftfidure fur le dos, qu'un coup de moufquet chargé de bales ramées, ne fait que l'effleurer légèrement ; mais fi o n le bleffe fous le ventre, ou aus yeus, il eft incontinent arrêté. Sa mâchoire inférieure eft immobile.Ila la gueulefideméfurement fendue, & heriffée de tant de densfipointues &fitranchantes, qu'en un coup, il peut couper un h o m m e en deus. Il court affés vitte fur la terre;mais la pefanteur de fon corps, fait que fes pattes impriment dans le fable des traces auffi profondes, que feroit un cheval de carroffe. Et c o m m e il n'a point de vertebres à l'éfpine du dos, non plus que les H y e nes : il va tout droit, fans pouvoir tourner fon grand corps, que tout d'une piece. D e forte, quefil'on en eft pourfuivy, il ne faut que prendre de fauffes routes, & courir en biaifant & en ferpentant, pour l'éviter. Ceux qui fe nourriffent en l'eau douce, fentent tellement le Mufc quand ils font en vie , que l'air en eft tout parfumé, à plus de cent pas aus environs : Et m ê m e l'eau où ils font, en eft: odoriferante. Cette remarque de la bonne odeur d u Crocodile, nous montre en paffant l'erreur de Pline, qui s'étoit imaginé, que la feule Panthere entre tous les animaus croit odoriferante , c o m m e il le dit en quelque endroit : bien qu'ailleurs il écrive, que les entrailles du Crocodile fentent tres-bon, & que cela vient des fleurs odoriferantes qu'il prend pour fa nourriture. A u refte cette odeur mufquée d u Crocodile de l'Amérique, eft particulierement renfermée , en certaines glandules qui font ans Emonctoires, qu'il a fous les cuiffes, & qui eftant arrachées confervent encore long-tems cette odeur. Il eft à croire, que Dieu leur adonné cette fenîeur, afin que l'homme & les autres animaus,. aufquels ce monftre carnacier fait une cruelle guerre , puiffent à l'odeur difcerner le lieu o ù il fecache , & s'en donner garde. Ceus qui vivent en la Mer, ne fentent point le M u f c , mais les uns & les autres font extremementà craindre quand on fe baigne, ou qu'on eft contraint de palier quelque riviere à la Cet horrible. Monftre , a une rufe pour faire curée des. Boeufs

242


Chap.21

DES

ÎLES

ANTILLES.

243

Bœufs & des Vaches. C'eft, qu'il fe met aus aguets aus endroitsdes étangs, ou des Rivières d'eau douce, où ces animaus ont coutume d'aller boire. Et quand il en apperçoit quelcun à fon avantage, il ferme les yeus à d e m y , & f e laiffe c o m m e emporter au fil de l'eau, reffemblant ainfî à une groffe pièce de bois pourry qui flotte. Par ce m o y e n s'étant approché peu a peu de la pauvre befte qui boit, & qui ne fe donne pas garde de luy, la prenant en trahifon, il s'élance tout à coup, & la faifif-

fant prontément par les babines, il l'tire d'une telle furie au fons del'eau,qu'il ne la quitte point, qu'elle ne foit noyée, & puis il en fait fon repas.Iln'attrape pas feulement les beftes, mais auffi les h o m m e s par cette rufe. T é m o i n ce que recite Vincent le Blanc, du ferviteur d'un Conful d'Alexandrie, qui voulant prendre une de ces beftes cruelles, qu'il eftimoit éftre une pièce de bois, fut emporté par elle au fonds de l'eau, fans qu'il ait jamais paru depuis. Mais, ils ne contrefont point au milieu des rofeaus où ils fe tiennent cachez, les plaintes & les gemiffemens des h o m m e s c o m m e ceus du Nil, pour atirer H h 2 dans


244 H i s T o i R E N A T U R E L L E , Chap. 27 dans leurs pieges les pauvres paffans,qui touchez de c o m p a f fions fe detournent de leur chemin , pour aller au fecours de ces pretendus afligez. L e pars de l'Amérique, ne.produit pas auffi des Ichneumons, qui étans les ennemis irreconciliables de ce monftre, ont auffi le courage & la d'exterité, de luy déchirer les entrailles, O n voit fur tout abondance de ces Monftrueus Crocodiles, aus Iles qui pour ce fujet ont elle n o m m é e s les Iles du Cayeman, & qui ne font fréquentées qu'au tems que l'on va tourner la Tortue: Car à caufe qu'après que l'on a pris la meilleure chair de la Tortue, on laiffe le refte a l'abandon , ces Crocodiles viennent à troupe pendant la nuit, fe repaitre des inteftins & des Carcaffes qu'on a laiffez fur le fable. D e forte que ceus qui font en garde pour tourner la Tortue, font obligez de porter de gros leviers de bois , pour feparer contre ces Cayemans , qu'ils affomment le plus fouvent, après qu'ils leur ont rompu le dos avec ces leviers. Ces Animaus ont une graiffe blanche, d'ont autrefois les Médecins fe fervoient pour refoudre lesfluxions, qui procedoient d'humeur froide ; parce qu'elle eft chaude, & qu'elle eft compofée de parties fubtiles. Et parlam ê m e raifon, on en frottoit les malades dans l'accés de lafiévre, pour leur provoquer la fueur. Pline recite mille autres proprietez qui fe rencontrent au Crocodile, pour la guerifon des maladies: Quelques uns, recerchent foigneufement certaines petites pierres en forme d'offeletsqu'il a en fa telle , & les aiant réduites en poudre, ils en ufent pour chaffer la gravelle des reins, O n dit auffi que les dens plus pointues de cet Animal, qui font; à cofté de chaque mâchoire, font palier la douleur des dens, & les empefchent de pourrir; pourveu qu'on ait foin de les frotter tous les jours avec ces dens Canines. Ainfi la tefte des Dragons, & des Crapaus, renferment des Pierres d'une merveilleufe vertu, contre plufieurs maus. Et ainfi ces cruels Requiems que nous avons décrits cy deffus, fourniffent un remede contre la pierre & la gravelle. L e face Auteur de la nature aiant voulu, q u e nous reccuffions. quelque utilité, des chofes m ê m e s les plus contraires.,

Les


Chap.21

DES

ILES

ANTILLES.

245

Les Chinois, favent prendre & apprivoifer ces Crocodiles, à ce que difent les Hiftoriens. Et quand ils les ont nourris quelquet e m schez eus , & bien engraiffez , ils les tuent & les mangent. Mais les Européens qui en ont goûté, difent, que cette chair, bien que blanche & délicate, n'eft pas agréable, parce qu'elle eft fade, & doucâtre & par trop mufquée.

A R T I C L E

II.

Des Tortues Franches.

O

N prend en ces Iles plufieurs fortes de Tortues de terre, de m e r , & d'eau douce, qui font de différentes figures; Les Caraïbes les n o m m e n t toutes Catallou, mais quand ils parlent de celles de terre, ils ajoutent le m o t de Nonum , qui fignifiela terre en leur langage ; ou celuy de Tona, c eft à dire de rivière, ou d'eau. Les Tortues de m e r , fe divifent ordinairement par les Infulaires en Tortue Franche, en celle qu'ils n o m m e n t Caoüanne, & en Caret. Elles font presque toutes d'une m ê m e figure & Mais il n'y a que la chair de la premiere efpece, qui foit bonne à manger,fice n'eft en neceffité, & à faute d'autrechofe: de m ê m e , qu'il n'y a que lécaille de la derniere,qui foit de prix. Les Tortuës Franches& les Caoüannes,font le plus fouvent d'une groffeurfidemefurée, que la feule écaille de deffus a environ quatre pieds & demy de longueur , & quatre de large. D e q u o y il ne fe faut pas étonner, veu qu'en l'Ile Maurice o n en rencontre, qui peuvent marcher portant quatre h o m m e s : Qu'Elian recite, que les habitans de l'Ile Taprobane , en couvroient leurs maifons :, Et, qu'au rapport de Diodcre de. Sicile,; certains peuples des Indes Orientales, s'en fervent c o m m e de petis Bateaus, fur lequels ils paffent un d'étroit de mer qui les fepare de la terre ferme. Ces Animaus Amfibies, ne viennent gueres à terre que pour pofer leurs œufs: ils choififfent pour cet effet un fable fort dous, & fort délié, qui foit fur le bord de la mer , en un endroit peu frequenté, & où ils puiffent avoir un facile accés. Les Hh3


Chap. 21 Les Infulaires, qui vont en certain tems de l'année aus Iles du Cayeman, pour faire provifion de la chair des Tortues qui y terrifient en nombre innombrable , difent, qu'elles y abordent de plus de cent lieues loin, pour y pofer leurs œufs, à caufe de la facilité du rivage qui eft bas, & par tout couvert d'un fable molet. Le terriffage des Tortues c o m m e n c e à la

246

HISTOIRE

NATURELLE,

fin du mois d Avril, & il dure jufques à celuy de Septembre, & c'eft alors que l'on en peut prendre en abondance, ce qui le fait en cette forte. A l'entrée de la nuit, on met des h o m m e s à terre, qui fe tenant fans faire de bruit fur la rade, guettent, les Tortues lors qu'elles fortent de la mer pour venir pofer leurs œufs dans le fable. Et quand ils apperçoivent qu'elles font un peu éloignées du bord de la m e r , & qu'avec leurs pattes elles font au fable un trou profond d'un pied & d e m y , &-quelquefois d'avantage pour y pofer leurs oeufs ; pendant qu'elles font occupées à fe vuider dans ce trou, ces h o m m e s qui les épient les furprenant, les tournent fur le dos ; & eftant en cette pofture,


Chap. 21 D E S ILES ANTILLES. 247 fture , elles ne peuvent plus fe retourner, & demeurent ainfi jufques au lendemain, qu'on les va quérir dans les chaloupes pour les apporter au Navire. Lors qu'elles font ainfi renversées fur le dos, o n les voit pleurer, & o n leur entend jetter des foupirs. T o u t le m o n d e fait, que le Cerf pleure, lorsqu'il eft reduit aus abois. Et c'eft une chofe presque incroiable, de cris & des gemiffemens, que pouffent les Crocodiles d u fleuve du Nil, & des l'armes qu'ils répandent fe voians pris. Les Matelots des Navires qui vont en ces Iles du Cayeman, pour faire leur charge de Tortues, en peuvent facilement tourner chaque foir, en moins de trois heures, quarante o u cinquante, dont la moindre pefe cent cinquante livres, & les ordinaires deus cens livres , & il y en a telle, qui a deus grands feaus d'œufs dans le ventre. Ces œufs font ronds, delagroffeur d'une bale de jeu de p a u m e : Ils ontde la glaire& un m o y e u f c o m m e lesoeufsde poule , mais la coque n'en eft pas ferme, mais mollaffe c o m m e fi c'étoit du parchemin mouillé. O n en fait des fricaffées, & des amelettes qui font affés bonnes ; mais elles font plus féches & plus arides,que celles qu'on fait avec des oeufs de poule. U n e feule Tortue a tant de chair, qu'elle eft capable de nourrir foixante h o m m e s par jour. Q u a n d o n les veut manger, o n leur cerne l'écaillé du ventre, que les Infulaires appellent le plaftron de deffous, qui eft uni a celuy de deffus par de certains cartilages, qui font aifés à couper T o u t le jour, les Matelots font occupés à mettre en pièces & à faler les Tortues , qu'ils ont prifes la nuit. La plus part des Navires qui vont en ces Iles du Cayeman, après avoir fair leur charge, c'eft à dire après fix femaines o u deus mois de demeure , s'en retournent aus Antilles, où ils vendent cette Tortue falée , pour la nourriture du c o m m u n peuple & des Efclaves. Mais les Tortues qui peuvent échapper la prife, après avoir pondu leurs œufs à deus ou trois reprifes , s'en retournent au lieu d'où elles eftoient venues. Les oeufs qu'elles ont couverts de terre fur le rivage de la m e r , étans éclos au bout de fix femaines par l'ardeur du Soleil, & non par leur regard, c o m m e Pline & quelques anciens fe font imaginez autrefois ; auffi tôt que les petites Tortues ont brifé la C o q u e , qui les tenoir


248 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 21 noit envelopées, elles percent le fable, &testentde ce tombeau qui leur a donné naiffance, pour fe rendre droità la mer auprès de leurs mères, par un inftinct qu'elles ont reçeu de la nature. La chair de cette efpéce de Tortue, eftauffidélicate que le meilleur veau , pourveu qu'elle foit fraîche , & qu'elle foit feulement gardée du jour au lendemain. Elle eft entremeflée de graiffe, qui eft d'un jaune verdâtreeftantcuite. Elle eft de facile digeftion, & fort faine ; d'où vient, que quand il y a des malades, s'ils ne peuvent fe guérir aus autresIles,on les fait paffer aus Iles des du Cayeman, dans les Navires, qui en vont faire la provifion. Et le plus fouvent, ayans cité rafraîchis & purgez par cette viande, ils retournent en bonne fanté, L a graiffe de cette forte de Tortue rend une huile qui eft jaune, & propre à frire ce que l'on veut, lors qu'elle eft fraiche, Etant vielle, elle fert aus lampes. A R T I C L E

III.

Des Tortuës qu'onAppélléCaoüannes.

L

A Tortue qu'on n o m m é Caoüanne, eft de m ê m e figure que la précédente , horsmis qu'elle a latefteun peu plus groffe; Elle fe met en defenfe lors qu'on la veut approcher pour la tourner : mais fa chair étant noire , fillafeufe, & de mauvais goût, elle n'eft point eftimée qu'à faute d'autre: l'huile qu'on en tire n'eftauffipropre, que pour entretenir les lampes. A R T I C L E

IV.

Des Tortües qu'on appelle Carets.

QUant à la troifiéme efpéce de Tortue de mer, nos François la n o m m e n t Caret. Elle diffère des deus autres en groffeur, étant de beaucoup plus petite, & en ce qu'elle ne pofe pas fes oeufs dans le fable,mais dans le gravier, qui eft méflé de petis caillous. L a chair n'en eft point agréable, mais les


C h a p . 21 DES ILES ANTILLES. 249 les œufs fon plus délicats, que ceus des autres efpéces. Elle feroit autant négligée que la Caoüanne, n'étoit que font écaille precieufe,la fait foigneufement rechercher. Elle eft compofée de quinze feuilles tant grandes que petites , dont dix font plates ; quatre un peu recourbées; & celle qui couvre le col, eft faite en triangle cavé, c o m m e un petit bouclier. L a dépouille d'un Caret ordinaire, pefe trois o u quatre livres: mais o n en rencontre quelquefois, qui ont lécaille fi epaiffe, & les feuilles fi longues, & fi larges, qu'elles pefent toutes enfemble, environ fix oufétlivres. C'eft de cette écaille de Carets qu'on fait à prefent tant de beaus peignes, tant de belles coupes, de riches boettes, de caffettes, de petis Buffets, & tant d'autres excellens ouvrages, qui font eftimez de grand prix. O n en enrichitauffiles meubles des chambres, les bordures des miroirs, & des tableaus , & pour leur plus noble ufage , o n en couvre les petis livres de devotion , qu'on veut porter en la poche. Pour avoir cette precieufe écaille, il faut mettre un peu de feu défous le plaftron de deffus, fur lequel les feuilles font attachées ; car fi tôt qu'elles fentent le chaud, o n les enlevé fans peine, avec la pointe du couteau. Quelques uns affurent, que cette efpece de Tortue eft tellement vigoureufe, que fon écaille lui étant ôtée, il en renaift bien tôt une autre, s'y o n la remet incontinent en la mer. L'abondance du Caret, fe trouve en la Peninfule de Jucatan , & en plufieurs petites Iles, qui font dans le golfe d'Hondures. C e qui fait voir, que le bon Pirard étoit mal informé, lors qu'au Chapitre deuxième, de fon traitté des animaus & des fruits des Indes Orientales, il a dit que cette forte de Tortue, ne fe voyoit qu'aus Maldives & aus Filippines. O n tient que l'huile de Caret, a la proprieté de guerir toutes fortes de gouttes, qui proviennent de caufes froides O n s'en fert auffi avec heureus fuccés, pour fortifier les nerfs , & pour appaifer les douleurs des reins, & toutes les fluxions froides. Ii

A R T L


250

HISTOIRE

N A T U R E L L E , Chap. 21

A R T I C L E

V.

De la faffon qu'on pefche les Tortues, & tous les autres gros Poiffons des Antilles. Es Tortues de mer, ne fe prennent pas feulement fur le fable, en la maniere que nous avons décrite cy deffus: mais auffi par le m o y e n d'un inftrument que l'on n o m m e Varre. C'eft une perche de la longueur d'une demye pique, au bout de laquelle, on fiche un clou pointu par les deus bouts, qui eft carré par le milieu, & de la groffeur du petit doigt. O n l'enfonce jufques à moytie dans le bout de la varre, où il entre fans force. Quelques-uns, font des entaillures du cofté qu'il fort, afin qu'il tienne plus fort, lors qu'on la lancé dans lécaille de la Tortue. Voicy c o m m e les pefcheurs font, pour darder cette Varre. La nuit lorsqu'il fait clair de L u n e , & que la mer eft tranquille, le maître pefcheur , qu'ils appellent Varreur, s'étant mis en un petit efquif, qu'ils n o m m e n t Canot, avec deus autres h o m m e s , l'un qui eft à l'aviron, pour le remuer d'un & d'autre cofté avec tant de viteffe & de d'extcrité, qu'il avance autant & avec beaucoup moins de bruit, que s'il étoit pouffé à force de rames. Et l'autre eft au milieu du canot, où il tient la Ligne, qui eft attachée au clou , en état de pouvoir aifément & promptementfiler,lors que le Varreur aura frappé la Tortue. E n cet equippage, ils vont fans faire aucun bruit, où ils efperent d'en trouver: & quand le Varreur, quifetient tout droit fur le devant du Canot en apperçoit quelcune à la lueur de la mer, laquelle elle fait écumer en fortant par intervalles; il montre du bout de fa Varre, qui doit fervir de compas à celuy qui gouverne le petit vaiffeau, l'endroit o ù il faut qu'il le conduife , & s'étant approché tout doucement de la Tortue, il luy lance avec roideur, cette varre fur le dos. L e clou pénètre l'écaille, & perce bien avant dans la chair, & le bois revient fur l'eau. Auffi tôt qu'elle fe fent bleffée elle fe coule à fonds avec le clou, qui demeure engagé en fon écaille.

L


Chap.

21

DES

ILES

ANTILLEs.

251

le. Et d'autant plus qu'elle fe remué & s'agite, plus elle s'enferre. Enfin après s'être bien débatuë, fes forces luy m a n quant, à caufe du fang qu'elle a perdu, elle fe laiffe prendre aifément, & o n la tire fans péne à bord du Canot, ou à terre. O n prend en cette m ê m e forte le Lamantin, & plufieurs autres gros Poiffons : mais au lien d'un clou , on met au bout de la varre un harpon, o u un javelot de fer, qui eft fait en forme de celuy d'une lance bien perçanre. A cofté de ce fer, il y a un trou , auquel eft paffée une corde , laquelle eft auffi entortillée a l'entour de la perche, en telle forte, que quand le Varreur l'a lancée de toutefaforce fur le Poiffon , la corde coule facilement, pour luy donner la liberté de fe démener dans l'eau : & apres qu'il a epuifé toutes fes forces, & qu'il eft reduit à l'extrémité, s'y on ne le peut embarquer dans le C a n o t , o n le tire facilement fur le bord de la m e r , o ù l'on le divife par quartiers. A R T I C L E

VI.

Des Tortuës de Terre, & d'Eeau douce. Es Tortues de Terre, fe trouvent en quelques Iles prés des Rivieres d'eau douce , qui fontlesmoins fu jettes aus débordemens, ou dans les érangs & dans les marécages , qui font bien éloignés de la mer. Elles font couvertes de tous cotez, d'une dure & folide croûte, qui ne fe levé point par écailles, c o m m e celles des Tortues de mer, & qui eftfiépaiffe par tout, qu'elle fert d'un fort fi affuré à l'animal qui y fait fa demeure, que quand les rouës d'un chariot pafferoyent par deffus, elle ne feroit pas brifée. Mais ce qui eft de plus merveilleus, eft, qu'il ne peut jamais eftre à l'étroit dans cette maifonmouvante: car elle s'élargit à mefure que le corps de fon hofte, prend de nou veaus accroiffemens. Le couvert de deffus, eft en quelques unes de la longueur d'un pied & demy. Il eft d'une figure ovale, creufé comme un bouclier, & enrichy par deffus de piufieurs rayes, qui font arrangées en differens parquets, qui paroiffent un peu relevez, & qui forI i 2 ment

L


Chap.21 m e n t plufieurs petis compartimens d'une parfaite fymmetrie: T o u s ces entrelacemens font couchez fur un fond noir, qui eft émaillé en plufieurs endroits,de blanc & de jaune. Cette efpece de Tortue, a la tefte fort hideufe, car elle eft femblable à celle d'un ferpent. Elle n'a point de dens : mais feulement des m'achoires, qui font d'un os allez fort, pour brifer ce qu'elle veut avaller. Elle eft fupportée d e quatre pieds, qui font bien roubles, pour foutenir la pefanteur de fon corps, auffi elle ne fe confie pas en leur legereté, pour fe fauver , & gagner quelque retraitte , lors qu'elle eft pourfuivye: maisfielle n'eft fur le bord des Rivieres ou des étangs, dans léquels elle fe puiffe precipiter; elle ne recherche aucun autre abry, ni aucun autre avantage, que le toict de fa propre maifon , fous lequel de m ê m e que l'Heriffon , & l'Armadille, elle retire promptement & feurément fa tefte, fes pieds & fa queue, auffi tôt qu'elle craint le moindre danger. La Femelle, pofe des oeufs de la groffeur de ceux d'un pigeon : mais un plus longuets. Elle les cache dans le fable, & les confie au Soleil, pour les couver & les faire éclore. Bien que quelques-uns tiennent, que la chair de ces Tortues de terre foit de difficile digeftion , ceus qui en ont goûté, la rangent entre les viandes les plus exquifes, & les plus délicates de toute l'Amerique : Et les Medecins du païs, confeillent à ceus, qui font menacez d'Hidropifie,d'en ufer fouvent, pour leur guerifon. Ils ont auffi reconnu par l'experience qu'ils en ont faite, que leur fang étant féché & reduit en poudre, attire le venin des viperes, & des Scorpions, en l'appliquant fur la playe. Il eft auffi confiant, que la cendre de leur écaille méflée avec le blanc d'un œ u f , guerit les crevaffes qui furviennent aux mammelles des femmes qui allaitent ; & que s'y on s'en poudre la tefte, elle empefche les cheveus de. tomber. 252

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

CHA*


Chap.22

DES

CHAPITRE

ÎLES

ANTILLES.

253

VINT-DEUSIEME.

Contenant les defcriptions particulières de plufieurs fortes de Crabes , qui Je trouvent communément fur la terre des Antilles. L fe trouve par toutes cesIles,des Crabes o u Cancres, qui font une efpéce d'Ecreviffes Amfibies,& fort bonnes à manger, au lieu que celles du Brefil font defagreables, parce qu'elles fentent la racine de Genévre. Auffi les Indiens Infulaires eftiment beaucoup les leurs, & en font leur mets le plus ordinaire. Elles font toutes d'une figure ovale, ayant la queue retrouffée fous le ventre. Leur corps, qui eft tout couvert d'une coque affez dure , eft fupporté fur pluficurs pieds, qui font tous Heriffez de petites pointes, qui fervent à les faire grimper plus aifément, o ù elles ont envie d'atteindre. Les deus de devant font fort gros : l'un notamment, eft plus gros que l'autre. N o s François , appellent ces deus pattes de devant, des Mordans , parce qu'avec icelles elles pincent& ferrent vivement ce qu'elles attrapent. L a partie de devant qui eft un peu plus large& plus relevée que l'autre, pouffe en dehors deus yeux, qui font folides, transparens & de differente couleur. Leur gueule, eft armée de deus petites dens blanches, qui font difpofées de chaque cofté, en forme de tenailles trenchantes, dont elles couppent les feuilles, les fruits,& les racines des arbres, qui leur fervent de nourriture.

I

A R T I C L E

Des Crabes qu'on nommé

I.

Tourlourou-,

IL y en a de trois fortes, qui différent en groffeur& en couleur. Lesplus petites, font celles que l'on appelle c o m m u nément Tourlourous. Elles ont la coque rouge marquée d'uae tache noire ; elles font affez agreables au goût : mais à I i 3 caufe


254 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap.22 caufe qu'il y a beaucoup à éplucher, & peu à prendre, & qu'on tient aufli, qu'elles provoquent la diffénterie,elles ne font recherchées que dans la neceffité. A R T I C L E

II.

Des Crabes blanches.

L

Es autres font toutes blanches, & fe tiennent ans pieds des arbres au bord de la m e r , en des trous qu'elles font enterre, & où elles fe retirent c o m m e les Lapins en leurs clapiers. Elles font les plus groffes de toutes, & il s'en voit telles, qui ont enl'unede leurs pattes, la groffeur d'unoeuf,de chair auffi délicate, que celle des Ecreviffes de riviere. Elles fe montrent rarement de jour: mais pendant la nuit, elles fortent en bandes de leurs tanieres, pour aller manger fous les arbes ; & c'eft auffi en ce tems là, qu'on tes va prendre à lalanterne , ou aus flambeaus. Elles fe plaifent particulierement, fous les Paretuviers, & fous les autres arbres qui font au bord de la mer, & dans les endroits les plus marécageus. Q u a n d on fouille dans la terre , ou dans le fable pour les chercher en leurs retraittes, on les trouve toujours à moitié corps dans l'eau , de m ê m e que la plupart des autres anim a us Amfibies. A R T I C L E

III.

Des Crabes peintes. Ais celles de la troifiéme efpece, laquelle tient le milieu entre les deus autres, dont nous venons de parler, font les plus belles, les plus merveilleufes,& les plus prifées de toutes. El.les ont bien la m ê m e figure que les précédentes ; mais felonlesdiverfes Iles ,& les differens terroir o ù elles fe nourriffent , elles font peintes de tant de couleurs, qui font toutes fi belles &fivives, qu'il n'y a rien de plus divertiffant, que de les voir en plein jour roder fous les arbres, où elles cherchent leur nourriture, Les unes, ont tout

M

le


C h a p . 22 DES ILES ANTILLES. 255 le corps de couleur violette pannaché de blanc: Les autres, font d'un beau jaune, qui eft chamarré de plufieurs petites Lignes grisâtres & pourprines, qui commencent à la gueule, & qui s'éparpillent fur le dos, 11 y en à même quelques unes, qui fur u n fond tanné, font rayées de rouge, de jaune, & de vert, qui leur donne un coloris le plus riche& le mieus meflé, qu'on le pourroit figurer. O n diroit à les voir de loin, q u e toutes ces agreables couleurs, dont elles font naturellement émaillées, ne foient pas encores féches , tant elles font luifautes ; o u qu'on les ait tout fraichément chargées de vernis, pour leur donner plus de luftre. Ces Crabes peintes , ne font pas c o m m e les blanches, qui n'ofent pas fe montrer de jour. Car o n les rencontre fur tout le matin& le foir,& apréslespluyes fous les Arbres, où elles fégaienr par troupes. Elles fe laiffent auffi appprocher d'affez prés ; m a i s , incontinent qu'on fait mine de les vouloir arrêter avec une baguette , car il feroit trop perilleus d'y emploier les mains ; elles font leur retraite, fans tourner le dos à ceus qui les pourfuivent,& en fe reculant de cofté, elles montrent leurs dens,& prefentant leurs defenfes ouvertes, qui font ces deus ténailles ou mordans, qu'elles ont en leurs pieds, elles s'en parent tout le corps,& les font choquer de tems en tems l'une contre l'autre, pour donner de la terreur à leurs ennemis y& en cette pofture, elles gaignent leur fort, qui eft ordinairement fous la racine, o u dans le creus de quelque arbre pourri, ou dans les fentes des rochers, Ces Crabes, ont cet inftinct naturel, d'aller tous les ans environ le mois de M a y , en la faifon des pluyes au bord de la m e r fe l'aver ,& fecouër leurs oeufs pour perpetuer leur efpéce. C e qu'elles font en cette forte : Elles defcendent des montagnes enfigrande troupe, que les chemins & les bois en font tout couverts : Et elles ont cette addreffe merveilleufe, de prendra leur route vers la partie de l'Ile, o u il y à des ances defable,& des décentes, d'ou elles peuvent c o m m o d é m e n t aborder la mer. Les Habirans, en font alors fort i n c o m m o d e z , parce qu'elles rempliffent leurs jardins,& qu'avec leurs mordans , elles coupent les pois,& les jeunes plantes de Tabac, O n diroit à voir


Chap. 22 à voit l'ordre qu'elles gardent en cette defcente, que ce feroit une armée qui marche en bataille. Elles ne rompent jamais leurs rangs. Et quoy qu'elles rencontrent en chemin, maiions, montagnes, rochers, ou autres obftacles,elles s'éforcent de monter deffus, afin d'aller toujours constamment en ligne droite, Elles font alte deus fois le jour, pendant la plus gran­ de chaleur, tant pour repaître , queроurferepofer un peu ; Mais elles font plus de chemin denuitque de jour, jufques à ce qu'enfin, elles foient arrivées au bord de la mer. Lorsqu'elles font ce voyage,ellesfont graffes & bonnes à manger ; les mâles étans pleins de chair, & les femelles remplies d'oeufs. Auffi en ce tems-là , onenà provifion à fa porte. Et quelquefois, elles entrent m ê m e dans les maifons, quand les paliffades ne font pas bien jointes, & qu'elles trouvent ouverture. L e bruit qu'elles font durant la nuit, eft plusgrand que celuy des rats, & empefçhe de dormir. Q u a n d elles font au bord de la mer, après s'eftre un peu repofées, & avoir confideré la mer, comme la nourrice de leurs petis, elles s'approchent defiprés, qu'elles puiffent eftre baignées , à trois ou quatre reprifes , des petites ondes quiflottentfur le fable; puis s'étant retirées es bois, ou es plaines voifines pour fe de laffer, les femelles retournent une feconde fois à la mer, & s'étant un peu lavées, elles ouvrent leur queue, laquelle eft ordinairement ferrée fous le ventre, & elles fecoüent dans l'eau, les petis œufs qui y étoient attachez. Puiss'étant encore l'avées, ellesferetirent avec le même ordre, qu'elles étoient venues. Les plus fortes regagnent incontinent les montagnes, chacune au quartier d'où elle étoit partie, &par le m ê m e chemin où elle avoir paffé. Mais elles font alors , c'eft à dire, à leur retour, pour la plupartfifoibles, &fimaigres ; qu'elles font contraintes, de s'arréter es premieres Campagnes qu'elles recontrent , pour fe refaire , & reprendre leur premiere vigueur, avant que de grimper au fommet des m o n tagnes, Quant aus œufs qu'elles ont ainfi confiez à la m e r , après avoir efté repouffez fur le fable mollet, & echaufez quelque temps par les rayons du Soleil, ils viennent enfin à s'eclorre, & à 256

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,


C h a p . 22 DES ILES AnTILLES257 & à produire de petites Crabes , qu'on voit par millions de la largeur d'un liard gagner les buiffons voifins, jufques à ce qu'étant fortes , elles puiffent fe rendre aus montagnes auprés de leurs meres. C e qui eft de plus considérable en ces Crabes , eft qu'une fois l'an, affavoir,après qu'elles font retournées du voiage de la m e r , elles fe cachent toutes enterre, durant quelques fix fémaines : de forte qu'il n'en paroit aucune. Pendant ce tems-là, elles,changent de peau , ou d'écaille, & fe renouvellent entierement. Elles pouffent alors de la terrefiproprem e n t à l'entrée de leurs tanières, que l'on n'en apperçoit pas l'ouverture. C e qu'elles font pour ne point prendre d'air. C a r quand elles pofent ainfi leur vieille robe, tout leur corps eft c o m m e à n u d , n'étant couvert que d'une pellicule tendre, & délicate, laquelle s'épaiffit & fe durcit peu à peu en croûte;fuivant là folidité de celle qu'elles ont quittées. Monfieur du Montel rapporte, qu'il afaitcreufer à deffein en des lieus, o ù il y avoit apparence qu'il y en eut de cachées. Et en ayant rencontré en effet, qu'il trouva qu'elles étoyent c o m m e enveloppées dans des feuilles d'arbres, qui fans doute, leur fervoient de nourriture & de nid, durant cette retraite: mais elles étoientfilanguiffantes&fiincapables de fupporter l'air vif, qu'elles fembloient à demy mortes, quoy que d'ailleurs elles fuffent graffes,&tres-delicates à manger. Les Habitans des Iles les n o m m e n t pour lors Crabes Bourfieres , & les eftiment beaucoup. T o u t auprès d'elles, il voyou: leur vieille dépouille,c'eftà dire, leur coque qui paroiffoit auffi entière, quefil'animal eut encore été dedans. Et ce qui eft merveilleus, c'eft qu'à peine, quoy qu'il y employat de fort bons yeus, pouvoit il reconnoître d'ouverture, o u defente, par o ù le corps de labeftefuft forty , & fe fut dégagé de cette prifon. Neantmoins, apres y avoir pris garde bien exactement, il remarquait en ces dépouilles, une petite feparation d u cofté de là queuë , par o ù les Crabes s'étoient d'éveloppées. L a manière plus ordinaire de les appréter , eft toute la m ê m e que celle des Ecreviffes en France : Mais ceus qui font les plus delicats, & qui veulent emploier le tems qui eft K k

requis


258 H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap. 23 requis, pour les rendre de meilleur goût, prennent la péne apres les avoir fait bouillir, déplucher tout ce qu'il y à de bon dans les pattes , & de tirer une certaine fubftance huileufis, qui eft dans le corps, laquelle on n o m m e Taumaly , & de fricaffer tout cela avec les oeufs des femelles, y mêlant u n bien peu de poyure du païs, & du fuc d'oranges.Ilfaut avouer que ce ragoût, eft l'un des plus excellens , que l'on ferve aus Antilles.

A u s Terres, où il y à plufieurs Arbres de Mancenilles, les Crabes qui repairent deffous, ou qui ufent de ce fruit, ont une qualité venimeufe. D e forte que ceus qui en mangent, en font dangereufement malades. Mais aus autres endroits elles font fort faines, & tiennent lieu de delices , c o m m e les Ecreviffes en Europe. Ceus qui font foigneus de conferver leur fanté, les ouvrent auparavant que d'en manger & fi le dedans du corps eft noir, ils tiennent qu'elles font dangereufes, & n'ont, garde d'en ufer. C H A P I T R E

V I N T - T R O I S I E M E .

Des Tonnerres ; des Tremblemens de terre : & des T e m peftes qui Arrivent fouvent encesIles. C

O m e il n'y à guéres de vifage fi beau &fiagréable, o ù l'on ne puiffe remarquer quelque defaut, & qui ne foit fujet à quelque tâche, & à quelque verrue : Ainfi les Antilles, poffedant d'ailleurs toutes les beautez & tous les avantages que nous avons representez, & qui les rendentfirecommandables ; ont auffi leurs imperfections, & quelques m a n q u e m e n s , qui terniffent cet éclat, & qui diminuent ces agrémens & ce prix. Voicy quelques unes, des principales incommodités qui s'y rencontrent, & les remedes, qu' on y peut apporter.

ARTI-


Chap.23

DES

ÎLES

A R T I C L E

ANTILLES.

259

I.

Des Tonnerres,

T premierement, au lieu que dans toute la cofte du Perou l'on n'entend jamais tonner ; icy les Tonnerres font frequens, & en quelques endroits, ils fontfiépouvantables, que le c œ u r le plus affure tremble d'effroy, quand cette puiffante & magnifique voix du Ciel, fe fait entendre, avec un fon fi terrible.

E

A R T I C L E

II.

Des Tremblement de terre.

LEs

Tremblemens de terre, y produifent auffi quelquéfois de trilles effets, & émeuvent les fondemens de la terre , d'une fecouffe fi violente ; qu'on eft contraint de chanceler, aus lieus oùl'onfe croiroit le plus affuré. Mais par bonheur, cela arrive rarement, & en quelques endroits, l'agitationn'eftpasfigrande. A R T I C L E D'une Tempefte que

III.

les Infulaires appellent

Ouragan.

CE qui eft le plus à craindre , eft une confpiration generaie de tous les Vens, qui fait le tour du C o m p a s , en l'efpace de vint-quatre heures , & quelquefois en moins de tems. Elle arrive d'ordinaire es mois de Juillet, d'Aouft , o u de Septembre. Hors de-là, o n ne la craint pas. Autrefois o n ne l'éprouvoit que de fét en fét ans, & quelquefois plus rarement : Mais dépuis quelques années, elle eft venue de deus en deus ans : Et en une feule année,on en à fouffert deus : M ê m e peu aprés que Monfieur Auber euft efté envoyé pour c o m m a n d e r à la Gardeloupe, il y eut trois de ces orages en l'efpace d'un an. Kk 2 Cette


H I S T O I R E N A T U R E L L E , Chap. 23 Cette Tempefte , que les Infulaires appellent Ouragan, eft fi étrange, qu'elle brife & déracine les Arbres, dépouille de toute verdure ceus qu'elle n'enlevé point, defole les forêts entieres, détache les rochers du haut des montagnes, & les precipite dans les vallées, renverfe les cabanes, entraine jufques à la mer les plantes qu'elles arrache delaterre , fait un dégaft univerfel, de tout ce qu'elle trouve à la Campagne: & en un mot laiffe une famine en tout le païs, qui gemit longtems en fuite de ce défaftre,& qui à bien de la pene à réparer ces ruines. Cet Ouragan, ne fait pas feulement fes ravages fur la terre ; mais il émeut encore une telle tempefte fur la mer, qu'elle femblefe mêler & fe confondre avec l'Ait & les Cieux. C e Tourbillon impetueus, brife & fracaffe les Navires qui fe trouvent dans les coftes, jettant les uns fur le rivage, & faifant plonger les autres dans la mer. D e forte que ceus qui échappent de ce naufrage, ont grand fujet de louer Dieu. Ceus qui prenent garde aus lignes qui font les avant-coureurs de cette Tempefte ont remarqué, qu'un peu auparavant qu'elle arrive, la mer devient en un inftant tellement calme, & unie, qu'il ne paroit pas la moindre ride en fa fuperficie : que les Oifeauspar un inftincf naturel, defcendent par troupes des montagnes, où ils font leur retraitte plus ordinaire, p o u r fe retirer dans les plaines & dans les vallées, o u ils fe rangent contre terre, pour à eftre labri des injures de ce mauvais tems, qu'ils prevoient devoir bien tôt fuivre: & que la pluye qui tombe un peu devant, eft a m e r e & falée, c o m m e l'eau de la mer. Il y a peu d'années, qu'il parut un exemple memorable de cette tempefte, en plufieurs Navires qui eftoient à la rade de Saint Chriftofle, chargez de Tabac, & prefts à faire voile. Car ils furent tous fracaffez & fubmergez, & la marchandize fut entierement perdue. D o n t il fenfuivit un étrange effet. C'eft que la pluspart du poiffon de la cofte, fut empoifonné de ce tabac. O n voioit la mer toute couverte de ces pauvres animaus, qui renverfez & languiffans,flottoientau gré de l'eau, & venoient mourirfur le rivage. 260

Et


Ghap. 23 DES ILES ANTILLEs. 261 Et afin, que quelcun ne s'imagine pas que ces desaftres foyent tout à fait particuliers au nouveau M o n d e , nous ajouterons icy , qu'il s'eft veu en ces contrées de France de fi épouvantables Tempeftes, que l'on ne les peut eftimer autre chofe, que des Ouragans. L'An mil cinq cens quatre-vins dix-neuf, il fe leva prés de Bordeaus un vent fi violent & fi impetueus , qu'il rompit & déracina la pluspart des grands arbres, qui eftoient forts pour refifter , principalement les N o y e r s , dont les branches font ordinairement fort étendues, & en transporta quelques uns, à plus de cinq cens pas du lieu o ù ils étoient. Mais les arbres les plus foibles, & qui plioient, furent laiffés. U n e partie du palais de Poitiers, en fut fort e n d o m m a g é e en fa couverture. L e Clocher de Cangres prés de Saumur, en fut abbatu. Divers autres Clochers, & plufieurs maifons de la campagne, en fourfrirent beaucoup de mal. Quelques personnes, fe trouvant à cheval au milieu des c h a m p s , furent emportéez à plus de foixante pas loin. C e vent courut dépuis le voifinage de Bordeaus, jufques au Vendomois & au Perche : tenant de large environfixou fét lieues, & on ne voyoit en tout cet efpace , que fracas d'arbres arrachez & renverfez. Et pour donner un exemple d'une efpéçe d'Ouragan, qui fe foit particulièrement montré fur la m e r , nous attacherons icy l'extrait, quinous a elle c o m m u n i q u é d'une lettre écrite de la Rochelle, par un honorable Marchand du lieu, à l'un de fes amys & correfpondans à R o u e n , en datte du trentième Janvier, mil fix cens quarante cinq. Voicy donc ce qu'elle porte. Dépuis deus jours , nous f o m m e s dans une affliction fen,,fible,au fujet de l'extraordinaire tourmente qui a c o m m e n c é „ la nuit de Samedy dernier vinthuitiéme de ce mois , & qui ,, continué encore. N o u s voyons de deffus noftre muraille, ,, trente o u trentecinq Navires échouez & brifez à la colle, „ la plupart Anglois, avec n o m b r e de Marchandifes perdues. ,, U n de ces Navires, de deus cens T o n n e a u s , à efté porté jufques auprès d'un moulin à vent, quieftdouze pieds plus ,, haut que la hauteur ordinaire de la mer. Car l'Orage n'a 3 pas

K

K

e


HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 23 ,,pas efté feulement en l'air: Mais cette Tempefte, a telle,,ment émeu& enflé la m e r , qu'elle â paffé bien-haut au deffus de fes bornes ordinaires : fi bien que le dommage & le dégaft qu'elle à fait fur la terre, eft fans comparaifon plus grand, que celuy du naufrage des vaiffeaus. T o u t le fel qui eftoit fur les marais bas, a efté emporté , tous les bleds des „ terres baffes, & des marais deféichez, ont efté inondez. Et dans l'Ile de R é , la mer à paffé d'un collé à l'autre à travers, & y a gafté nombre de vignes, & noyé force bétail. D e memoire d ' h o m m e , on n'avoit veu monter la mer fi „ haut, & elle eft entrée en des endroits, pres d'un lieuë avant ,, dans la terre. Si bien, que cens qui ont efté à Saint Chri,,ftofle,difent, que l'Ouragan qui y eft affés ordinaire, n'eft pas plus épouvantable , qu'à été celuy-cy, qu'ils ont appelle du ,, m ê m e n o m . L e vent étoit Nord-Ouëft. O n eftime le d o m „ m a g e , tant à la mer qu'à la terre, plus de cinq cens mil efcus. „ O n tient, qu'il s'eft perdu environ deus mille cens de fel, qui font la charge de deus cens Navires, de trois cens ton,, neaus la piece. Il s'eft aufli perdu des Navires Hollandois devant R é , à Bordeaus, & à Bayonne, qui eftoient riche„ ment chargez D'où il apparoit, qu'il fait ibuvent en Europe des Tempeftes, qui font bien aufli violentes, que celles qui font tant apprehendées aus Antilles. Quelques uns, pour fe mettre à couvert de cette Bourrafq u e , abandonnent leurs maifons, crainte d'eftre envelopez fous leurs ruines, & fe fauvent es cavernes & es fentes des rochers, o u bien fe tapiffent contre terre, au milieu des chams, où ils effuyent tout cet Orage. Les autres, tâchent de gagner promptement, quelque maifon du voifinage, qui foit affez folidement bâtie , pour relifter à toutes les fecouffes de cette Tempefte. Car par bonheur, il y a maintenant aus Antilles plufieurs édifices, qui peuvent foûtenir cette épreuve. Il y en a m ê m e , qui fe retirent dans de petites cabanes, que les Efclaves Négres ont béties, fur le modele de celles des Caraïbes, car on à reconnu par experience , que ces petites huttes defigureronde , qui n'ont point d'autre ouverture que la porte, & dont les cheurons touchent la terre, font ordinairement épargnées; pendant que lesmaifonsles plus 262


Chap.23 DES ILES A N T I L L E S . 263 plus élevées, font transportées d'une place en une autre , fi elles ne font entierement renverfées, par l'impetueufe agitation des vens, qui excitent cette tempefte. Mais il faut avouer, que toutes ces precautions exterieures , ne font pas capables de delivrer plainement les efprits des h o m m e s , des frayeurs mortelles qui les environnent, lors que Dieu tonne d u Ciel , qu'il fait retentir fa voix terrible, qu'il lance les éclairs & les charbons allumez; que la terre en tremble , q u e les montagnes croulent, & que les fondemens du m o n d e font découverts : car A ceus que fes bontés ne peuvent émouvoir Cette effroiable voix ne fait elle pas voir Vne Image de fa puiffance ? Certes , qui ny connoist fa haute Majesté, Qui l'entend fans frayeur , n'a pas de la confiance Mais il a de l'impieté. il faut donc, que ceus qui defirent d'eftre fans apprehenfion; au milieu de ces defordres, & de ces émotions de la m e r & de l'air , ayent recours à des retraittes plus affurées, & que pour cet effet, ils entrent dans le fanctuaire de Dieu, qu'ils fe logent à l'ombre du toutpuiffant, & qu'ils prennent le Seigneur pour leur retraite & pour leur fortereffe. Il faut qu'ils embraffent avec une foy vive, ce grand & precieus falut qu'il a deploié en fonfilsbienaimé, qui nous a délivré de toutes nos frayeurs par le fang de fa Croix, qui a fait noftre paix, & qui feul peut appaifer les craintes & les orages de nos confciences,& donner un vrai repos à nos ames, d'autant que Celuy , qui du très haut implore l'afiftance Et dont l'efpoir plein de confiance N'attend fon fecours que de luy, Quelque péril qui le menace Se peut promettre fans audace D'avoir en fa faveur un immobile appuy. Il faut qu'ils confiderent pendant cette tempefte , que c'eft Dieu qui tire les vens de fes trefors,& qu'ils ne foufflent que par


HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 23 par fon ordre : Q u e ces effroiables Tourbillons , ces T o n nerres grondans , ces noires obfcuritez, qui voilent la face de la terre, & toutes ces puiffantes agitations qui la fecouënt : ne font que des groffieres idées, de ce jour épouvantable d u Seigneur, auquel les Cieux patTeront rapidement & eftant mis en feu feront diffouts, & les elemens étans embraféz fe fondront, & la terre & les œuvres qui font en elle, feront brulées. Ils doivent particulièrement recourir à Dieu de tout leur c œ u r , & le prier qu'en contemplation des merites infinis de fon Saint fils Jefus, il luy plaife d'eftre appaifé envers fes ferviteurs, & qu'il daigne avoir pitié de fa terre. Ils fe doivent fouvenir, que fon courroux ne dure qu'un m o m e n t : mais que fa bienvueillance dure toute une vie. Q u e le pleur loge chés nous au foir, & qu'au matin il y a voix déjouiffance. Enfin ils doivent eftre fermement perfuadez , que celuy qui aconté leurs cheveus, a auffi conté leurs jours ; Qu'il ne les abandonnera point au befoin , mais qu'il les commettra à la charge de fes Anges de lumière, pour les contregarder parmy ces affreufes tenebres , afin que nulle playe n'approche de leur tabernacle. Mais , pour avoir au befoin toutes ces douces penfées, & pour eftre munys au jour de la calamité, d'une fi fainte confiance. Il faut qu'en bien faifant, ils recommandent par chacun jour leurs ames au fouverain Créateur de toutes chofes; Qu'ils s'étudient de cheminer en Sainteté & Juftice devant luy, durant toute leur vie ; Qu'ils lavent leurs mains en innocence, & qu'ils purifient leurs cœurs, par la roy en fes precieufes promeffes ; étans affurez, qu'il tient les vens, & toutes les autres créatures en bride par fa puiffance , qu'il n'y en à aucune , 'qui fe puiffe mouvoir fans fa permiffion , qu'il fait fervir à fa gloire les Feus, les Tonnerres, les Tempeftes, & les Tremblemens de terre, ce qu'il les dirige au bien& au falut de fes enfans. 264

CHA-


Chap.24

DES

C H A P I T R E

ILES

ANTILLES.

265

V I N T - Q U A T R I E M E .

De quelques autres incommodités du païs & des remedes qu'on y peut aporter. }

O

Utre les Tremblemens de terre, les Tonnerres,& terre des Antilles, c o m m e nous venons de le representer : il y a encore quelques autres incommoditez , qui font bien inportunes, encore qu'elles ne foyent point tant à craindre que les precedentes. N o u s leur avons, refervé ce dernier Chapitre du premier Livre de cette Hiftoire , o ù , pour témoigner la grande paffion que nous avons d'eftre afféz heureus pour contribuer quelque chofe au foulagément, & à l'entière fatisfaction des aimables Colonies de ce nouveau m o n d e : nous propoferons les remedes, que l'experience des anciens Habitans, & le jugement de plufieurs celebres M e d e cins , ont trouvé eftre les plus propres, & les plus efficacieus, pour les munir contre leurs dangereus effets. A R T I C L E Des

N

Moustiques

, &

I.

des Maringoins.

O u s donnerons le premier lieu, à certains petis M o u cherons appeliez Moustiques , que l'on fent plutôt qu'on ne les voit, tant ils font petis ; Mais dans la foibléffe de leur corps, ils ont un aiguillon fi piquant, & venimeus, • que leur piquurc caufe une demangéaifon tellement importune , qu'en s'écorchant quelquefois la peau à force de fe grarter, la bleffure dégenere en un ulcère d'angereus, fi l'on n'y aporte du remède. Il s'en trouve d'une autre efpece , qui font plus gros, & qui font un bruit, pareil à celuy que font les Moucherons, qui en France fe trouvent proche les étangs, & lés liens marécageux. O n les n o m m é Maringoins. Ils produifent le m ê m e L l effet


Chap. 24. effet que les Mouftiques, étant armez d'un petit trait, qui perce les habits, & m ê m e les lits branlans, dans léquels on repofe. Mais ils ont cecy de particulier, qu'ils ne lancent jamais leur petit éguillon , qu'ils n'ayent auparavant déclaré la guerre, & fonné la charge avec leur petite trompette, qui donne fouvent plus de peur, que leur piquure ne fait de mal. Pour s'exempter de ces deus fortes de petites Belles, on a de coutume de placer la Maifon, en un lieu un peu haut élevé , de luy donner air de tous coftez, & de coupper tous les arbres qui empefchent le vent d'Orient, qui fouffle presque ordinairement en cesIles,& qui chaffe au loin ces malins & importuns ennemis. Ceus auffi qui ont des logis bien fermez , & des lits biens clos, n'en font point tant incommodez. Mais,fil'on enefttravaillé, on n'a qu'à faire fumer du T a bac en la chambre, ou de faire un feu, qui rende beaucoup de fumée y car par ces moiens, on met en fuite ces petis perturbateurs du repos des h o m m e s . Q u e s'ils ont piqué, & qu'on defire de faire paffer bien-tôt la demangéaifon , & attirer tout le venin, qu'ils ontgliffé: il faut feulement moüiller l'endroit de vinaigre, ou de jus de petit Citron. 266

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

A R T I C L E

II.

Des Guefpes , & des Scorpions. Es Guefpes, & les Scorpions, font c o m m u n s en la plupart des Antilles. Ces vermines font de m ê m efigure,& auffi dangereufes, que celles des m ê m e s efpéces que l'on voit en beaucoup d'endroits de l'Europe. Les piquures des Guefpes font foulagées par le jus de la feuille de la Ruë, & entièrement gueries, par une fomentation du fouverain remede contre toutes fortes de venins, qui efl difpenfé fous le n o m celebre, D'orviétan. Et celles des Scorpions , trouvent leur remede en la befte m ê m e , qu'il faut écrafer deffus, & à fon defaut, il faut recourir à l'huile qu'on appelle de Scorpion , qui doit eftre c o m m u n e par tout, o ù il fe trouve de ces infectes.

L

A R T I -


Chap, 2 4

DES

ÎLES

ANTILLES.

A R T I C L E Des

267

III.

Arbres de Mancenille.

E

N la plupart de ces Iles, croiffenr certains Arbres n o m m é s Mancenilliers, beaus à voir, qui portent des feuilles femblables à celles des Pommiers fauvages, & un fruit que l'on appelle Mancenille, tout pareil â une P o m m e d'Apis, car il eft pannaché de rouge , beau à merveille, & d'une odeur il agréable, que l'on feroit incontinent invité à en goûter, fi l'on n'étoit averty de fa qualité dangereufe. Car bien qu'il foit dons à la bouche, ileftfifunefte, quefil'on en m a n geoit, il envoyeroit dormir, non pour vint-quatre heures, c o m m e une certaine femence d u Pérou,& une Herbe de l'orient, de laquelle Linfcot parle amplement ; mais pour n'en réveiller jamais. Tellement que c'èft bien pis , que ces A m a n d e s d'un fruit de la Mexique , qui fentent le mufc, mais qui après eftre mangées, laiffent un goût de pourriture. Et bien pis encore, que ces belles p o m m e s de S o d o m e , qui étiant ouvertes, ne prefentent que de la fuye , & de la pouffiere. Car s'y vous avez le déplaifir d'y eftre trompé, d u moins ce n'eft pas au danger de voftre vie. Mais ces P o m m e s venimeufes, fe peuvent comparer à la noix Indienne, qui croiit en Java. Elle reffemble à une noix de Galle-, & d'abord qu'on la m a n g e , elle à un goût d'Avelaine,- mais puis après, elle donne des angoiffes mortelles, & c'eft u n poifon tres-dangereus. Il fe trouve auffi dans l'Afrique, u n Arbre n o m m é Cofcoma, quieftchargé de P o m m e s mortelles. L'Arbre des Maldives n o m m é Ambou, porte un fruit , qui n'eft pas moins trompeur, & moins pernicieus. Et le Terroir de Tripoly en Syrie; produit certains gros Abricots , qui font fort beaus à l'oeil, & fort favoureus au goût$ Mais les qualitez en font fouvent mortelles \ o u du moins, elles caufent de longues& fàcheufes maladies, à ceus qui en mangent. Il croift des Mancenilles,fur le bord de la mer & des rivieres ,& fi le fruit tombe en l'eau, les poiffons qui en manLl 2

gent,


268 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 24 gent, ne manquent jamais d'en mourir ; & encore qu'il demeure long tems dans l'eau, il n'y pourrit point ; mais il fe couvre d'un falpêtre, qui luy donne une croûte f o n d e , c o m m e s'il étoit petrefié. Dans les Iles, o ù cet Arbre croift en abondance, les Couleuvres y font venimeufes; Par ce que quelques uns croient, qu'elles fucent quelquefois de fon fruit. Les Crabes m ê m e s , qui font leur repaire fous ces Arbres, en contra&ent une qualité dangereufe, c o m m e nous,l'avons dit. en fon lieu : & plufieurs ont été malades pour en avoir mangé. D'où vient, qu'au tems que ces fruits eftans fort meurs tombent à terre, on confeille à tous ceus qui font foigneus de leur faute, de s'abftenirde manger des Crabes. N i les Couleuvres, ni les Crabes, ne vivent pas abfolument de P o m m e s de Mancenilles. Mais quand elles font leur repaire fous cet Arbre, elles en tirent l'infection , & plus encore quand elles fucent le venin de fon fruit. Il fe peut faire neantmoins, que ce qui eft mortel à quelques animaus, ne le foit pas à tous : Et m ê m e que ces Infectes, qui mangent fouvent de ce poifon, le changent en leur nourriture , par la coutume & la continuation: C o m m e l'on dit de Mitridate. Ainfi ils peuvent infecter ceus qui en mangent, n'en recevant quant à eus, aucun d o m m a g e . Sousl'écorcedu tronc, & des branches de ces Arbres, eft contenue une certaine eau gluante, & blanche c o m m e du lait, extrêmement maligne & dangereufe. C o m m e il y a plufieursMancenilliers fur les chemins, fi fans y prendre garde, vous froiffez en paffant quelcune de ces branches, ce lait,ou plûtoft ce venin , en fort & reiaillit fur vous : s'il tombe fur voftre chemife , il y fait une vilaine tache, qui paroit c o m m e une brûlure. Si c'eft fur la chair n u ë , & qu'on ne lave prontément l'endroit qui a efté touché,Ils'y forme auffi tôt des enleuvres & des ampoules. Mais ce quieftle plus à craindre, c'eft pour les yeux : Car (i par malheur, une goutte de cette eau cauftique & venimeufe tombe deffus, il s'y fera une horrible inflammation , & vous en perdez la veüe neuf jours durant ; au bout déquels, vous recevrés du foulagement. La


Chap. 24 D E s ILES ANTILLES. 269 L a rofée, o u la pluye, après avoir demeuré quelque tems fur les feuilles des Manceniliers , produifent le même effet, & fi elles tombent fur la peau, elles l'écorchent, comme feroit de Peau forte. C e qui ne vaut guerés mieus, que les gouttes d e pluye de deffous la ligne , qui font tellement contagieufes, à ce qu'affurent ceus qui les ont fenties, que s'y elles tombent fur les mains, furlevifage, o u furquelque autre endroitdu corps, qui foit à découvert; il s'y élevé auffitôt des veffies & des ampoules avec douleur, & même fi l'on ne change promptement d'habits, on voit bien toft fon corps tout couvert de puftules, fans parier des vers qui s'engendrent dans les habits. L'ombre de cet Arbre nuit aus h o m m e s , & fi l'on repofe deffous, tout le corps enfle d'une étrange faffon. Pline & Plurarque font mention , d'un Arbre d'Arcadie , auffi dangereus que celuy-cy : Et ceus qui ont voyagé aus Indes Orientales , rapportent, qu'il s'y trouve une Herbe n o m m é e Sapony, qui donne la mort à ceux qui couchent deffus. Mais ce qui augmente les mauvaife squalités du Mancenillier, eft, q u e m ê m e la viande cuite au feu de fon bois, contracte quelque, chofe de malin, qui brule la bouche& le gofier. Les Sauvages Antillois , connoiffans fort bien la nature de ces Mancenilles , font entrer& le l'ait de l'arbre, & la rofée. qui en t o m b e , & le fuedu fruit en la compofition du venin, dont ils ont accoutumé démpoifonner leurs fléches. Pour guerir en peu de rems l'enflure& les Puftules, qui feforment au corps , après avoir d o r m y par mégarde à l'ombre de ces Arbres, o u apres qu'on a été arrofé de la pluye, ou de la rofée qui tombe de deffus leurs branches, & m ê m e de ce l'ait, qui eft fous leurs écorces, il faut recourir promtement à, une efpece d'Efcargots, dont nous avons parlé cy deffus , fous. le n o m de Soldats,& il en faut tirer une certaine eau claire, qui eft contenue dans leur coquille, & l'appliquer fur la partie offenfée; ce remede, rabat incontinent le venin de cette brulante liqueur,& met la perfonne hors de danger. L'huile, qui eft tirée fans feu de ce m ê m e efcargot, a auffi le m ê m e , effet, que s'il eft arrivé à quelcun , de manger du fruit de ces. Arbres venimeus , il faudra qu'il ufe des m ê m e s remedes QUE Ll 3


270

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

Chap.24

que nous prefcrirons cy aprés, pour chaffer le venin des Serpens, & tous les autres poifons. A R T I C L E

IV.

Des Pous de bois.

I

L y a auffi une efpece de fourmis, ou de vermiffeaus, qui ont une petite tache noire fur la tefte , & le refte du corps tout blanc. Ils s'engendrent de bois pourry, &c'cftpourcc fujet, que nos François les n o m m e n t Pous debois. Ils ont le corps plus molaffe , que nos Fourmis ordinaires, & néantmoins leur dent eftfiacérée, qu'ils rongent le bois, & s'infinuent dans les coffres, qui font placez prés de terre : & en moins de deus jours, par ce qu'ils fe fuivent à la pifte ,fil'on n'eft foigneus de les tuer, il y en entrefigrande quantité, qu'ils percent mangent & detruifent, le linge, les habits, les papiers, & tout ce qui eft dedans : Ils mangent m ê m e & rongent tellement les maitréffes fourches , qui foutiennent les cabanes c o m m u n e s , qu'ils les font enfin tomber à terre,fil'on n'y apporte du remede. O n empefche ces beftes là de s'engendrer,fio n ne laiffe point de boisàterre en batiffant la maifon. Car ils s'engendrent de bois corrompu & pourry :fion brûle le bout de tous les bois qu'on plante en terre:fiincontinent que l'on en remarque quelques uns, on jette de l'eau chaude dans les trous, qu'ils peuvent avoir faits :fion fufpend les coffres en l'air avec des cordes, c o m m e o n eft obligé de faire en divers endroits de l'Inde Orientale, afin qu'ils ne touchent point la terre, &fio n a foin de nettoyer fouvent les chambres, & de ne rien laiffer contre terre. O n a encore remarqué, que pour leur coupper chemin , il ne faut que frotter le lieu par où ils paffent, de l'huile de cette efpece de Palma-Chrifti, dont les Négres fe frottent la telle , pour fe garentir de la vermine. L'huile de Lamantin, à auffi le m ê m e effet, &fil'on en verfe fur leur citadelle , qui eft une fourmiliiere compofée de leur baue, laquelle ils attachent autour des fourches, qui foutiennent les cafes, ils l'abandonnent incontinent.

ARTI-


Chap.24

DES

ILES

ANTILLES.

A R T I C L E

271

V.

Des Ravets.

Es Ravets font encore dangereus. Il y en à de deus fortes. Les plus gros font environ c o m m e des Hannetons, & de m ê m e couleur: les autres font plus petis de la moitié. Les uns & les autres rodent principalement pendant la nuit, & fe gliffent dans les coffres, s'ils ne font bien fermez , s'aliffent tout ce qu'ils trouvent, & font affés de dégaft; mais n o n pas tant, nifipromtement, que les Pous de bois; O n les appelle Ravets, par ce qu'ils rongent c o m m e les Rats tout ce qu'ils peuvent attraper. C'eft fans doute la m ê m e efpéce, que jean de Lery n o m m e Aravers, felon le langage des Brefiliens. Cette vermine , en veut particulierement aus livres & à leur couverture. Les pous de bois n'en font pas moins, lors qu'ils y peuvent mettre la dent. Mais ils ont cela de bon, qu'ils refpectent les lettres, & qu'ilsfe contentent de ronger la marge des livres, & d'y faire des cizelures profondes. Car, foit que l'ancre ne foit pas à leur goût, ou pour quelques autre caufe , ils ne mangent l'impreffion, qu'en une extrême famine , & à faute de toute autre chofe. N o u s pourrions faire voir des livres qui portent leur livrée, & les marques de leurs dens. Mais ils font frians de linge, par deffus toute autre, chofe : Et quand ils peuvent entrer en un coffre, ils préparent en une nuir plus d'ouvrage, que les plus habiles couturières, n'en pourroienr r'entraire en un mois. Quant aus Ravets, encore qu'ils ne foient pas fi habiles en befongne , ils népargnent rien , finon les étoffes de foye & de cotton. Celuy notamment, qui n'eft pas mis en œ u v r e , n'eft pas felon leur appetit. Etfil'on tient les coffres fufpendus en l'air, & qu'on en entoure les cordes, qui les foutiennent : auffi tôt qu'ils font parvenus à ce cotton, qui embaraffe leurs petis pieds, ils tachent de s'en démefler, & ils prennent incontinent une autre route. C e u s qui ont des maifons de brique, o u depierre, ne craignent point les Pous de bois : mais avec tous leurs foins, ils ont bien de la peine de s'exempter des courfes.

L

& du


272 Histoire N A T U R E L L E , Chap. 24 & du dégaft des Ravets. O n a neantmoins reconnu par expérience , qu'ils font ennemis des bonnes odeurs, & qu'ils ne fe fourrent pas volontiers dans les coffres, qui font faits de Cedre , & de ces excellens bois de lenteur, qui font communs en toutes les Iles, A u Caire, on met les pieds des Cabinets dans des vaiffeaus pleins d'eau , pour empefcher les fourmis d'y monter. C e fecret qui eft bien aifé, produiroit fans doute le m ê m e effet aus Antilles , pour fe munir contre les Pous de bois & les Ravets, dont nous venons de parler, & m ê m e contre les fourmis , qui y font auffi extremément inportuns. A R T I C L E

VI.

Des chiques.

E qu'il y a de plus à craindre en toutes ces Iles, font de certains petis cirons, qui s'engendrent dans la poudre, dans les cendres duFoyer,& en d'autres immondices. O n les n o m m e ordinairement chiques. Ils fe fourrent le plus fouvent aus pieds , & fous les ongles des orteils , mais s'y on les laiffe paffer outre, & qu'on ne les tire de bonne heure, ils gaignent toutes les autres parties du corps. A u commencement , ils ne caufent qu'une petite demangeaifon : Mais lors qu'ils ont percé la peau , ils excitent une inflammation à la partie, qui eft infectée, & de petis qu'ils y étoient entrez, ils déviennent en peu de tems de la groffeur d'un pois, & produifent une multitude de Lentes, capables d'en engendrer d'autres. Et en fuite, il fe fait fouvent des ulceres aus lieus, d'où on les à tirez. Les Sauvages, à ce que racontent ceus qui ont converfé parmy eus, ont une certaine g o m m e , de laquelle ayant frotté leurs pieds, particulierement fous les ongles, ils ne peuvent eftre i n c o m m o d e z de cette vermine. Mais , on confeille à ceus qui n'ont pas la connoiffance de ce fecret, de fe faire regarder aux pieds, par ceus qui s'entendentà découvrir, & à tirer ces dangereufes petites beftes, incontinent que l'on lent la moindre demangeaifon ; à quoy les Indiens font fort adroits,

C


Chap. 24 DES ILES A N T I L L E S . 273 adroits, & fort heureus.Ilfaut que ceus qui tirent ces chique;, prennent bien garde à ne pas crever la poche, où ils font enclos- autrement il ne m a n q u e jamais de demeurer quelques uns de leurs petisoeufs,dont il s'engendre infailliblement d'autres chiques. O n croit auffi,que le Roucou dont les Caraïbes fe fervent pour fe rendre plus beaus, plus fouples , & plus agiles à la courfe, à la vertu de chaffer toutes ces vermines. C'eft auffiun+b o n remede , d'arrofer fouvent la chambre d'eau falée; D e n'aller point nuds pieds ; de porter des bas de c h a m o i s : & de fe tenir nettement. C a r , il n'y a d'ordinaire que ceus qui fe negligent, & qui fe tiennent falément, qui en foyent fenfiblement attaquez. C e s facheus Cirons, font les m ê m e s que les Brefiliens appellent Tons , & quelque autres Indiens Nigas. Ceus qui ont des Ulceres, qui leur font cauféz par les Chiques, lors qu'ils n'ont pas efté tirez ni affés â tems, ni affés adroitement, font n o m m e z Malingres auftiledu païs. Ces ulceres viennent auffi fouventefois , aprés quelque petite écorchure, qui femble d'abord n'eftre que fort peu de chofe. Mais aprés o n eft tout étonné, que cela devicnt grand comm e le creus de la main ; & alors vous avez beau y donner ordre : C a r il faut que l'ulcere prenne fon cours. Il y en a m ê m e qui poureftreplus petis , ne laiffent pas d'eftre tres-dificiles à guerir Ces ulceres font de deus fortes. L'une eft ronde , & l'autre inégale. L'ulcere rond eft beaucoup plus difficile à guérir que l'autre, parce qu'il a des bords de chair morte qui viennent tout à l'entour, & qui empirent le mal. C a r tant que cette chair morte & baveufe y eft, l'ulcere ne peut guérir. C'eft pourquoy ,l'orsqu'on penfe la playe , il faut toujours couper jufqu'au vif cette chair morte, ce qui fait de cruelles douleurs. Entre les remedes pour la guerifon de ces ulceres , o n ufe de vert de gris, de l'eau forte, de l'effence de vitriol, & d'Alum brûlé, qui mangent la chair morte de la playe. O n fe fertauffipour le m ê m e effet, d u jus du peit Citron qui eft extraordinairément aigre. Et lors que la playe eft fale, il la rend belle & nette. Il eft vray, qu'a caufe delagrande douleur que l'on fent, lors que fon en frote la playe, o n a plutôt M m recours


Chap. 24 recours à d'autres remedes : mais auffi l'on ne guerit pas fi tôt. O n fait encore un onguent avec du Miel c o m m u n , u n peu de fort vinaigre, & de poudre de vert de gris, qui eft fouverain pour guérir en peu de tems les ulceres. Et pour les prévenir, on confeille de ne point negliger la moindre bleffure, ou égratinure, qui furvient en quelque partie du corps que ce foit, particulièrement aus pieds , ou aus jambes , mais d'y appliquer quelque emplâtre, qui attire le feu , qui pourroit eftre en la playe, & au defaut de tout autre remede, d'y mettre du moins des feuilles de Tabac. Et de fe fervir de jus de citron, & de vinaigre, pour faire paffer la demangeaifon , qui demeure après que les Mouftiques, ou les Maringoins ont piqué, plutôt que d'y emploierlesongles. 274

HISTOIRE

N A T U R E L L E ,

A R T I C L E

VII.

Remedes contre la morfure des Serpens venimeus, & contre tous les autres poifons tant de la terre, que de la mer des Antilles.

N

O u s avons dit au Chapitre fixiéme de cette Hiftoire, qu'il y avoit des Serpens, & des Couleuvres ausIlesde la Martinique & de Sainte Aloufie, qui ont un dangereus venin. Mais nous avons à delfein relervé pour ce lieu, les remedes qu'on peut heureufement emploier, pour en rabatre la force. N o u s poferons donc premierement, qu'ils doivent eftremis en ufage, & par dedans & par dehors. Par dedans pour foulager & fortifier le c œ u r , & diffiper la qualité venimeufequile pourroit gagner, on fe fert avec heureus fuccés de Thériaque, de Mitridat, de Confection d'Alkermes, de B a u m e e'Egypte, & du Pérou, de R h u ë , de Scordeum, de Scorçonnaire, de Viperine, d'Angélique , de Contrahierva. Mais fur tout, il faut avaler avec un peu d'eau de bourrache, o u de buglofe ou de quelque autre liqueur, le poids d'un efcu,de poudre du foye & du c œ u r des Viperes. E n general il faut ufer de toutes les chofes qui fortifient le c œ u r , & qui réjouiffent & réveillent les Efprits. Par dehors, o n peut appliquer tous les remedes, qui ont la vertu & la faculté, d'attirer


Chap.24

DES

ILES

ANTILLES.

275

tirer & diffiper toute forte de venin. C o m m e font la V e n toufe appliquée fur la playe fcarifiée , les Cornets, & tous les medicamens chauds & attractifs, tels que font le Galbanum, l'Ammoniac, la fomentation de vin cuit, avec la racine de Serpentaria, ou la feuille d'Armoife , les A u x & les Oignons, lafientede Pigeon, le fang de la Tortue de terre , féché & mis en poudre, & femblables. Il n'eft rien de plus affuré , que d e lier au deffus de la m o r fure le plus prontement que faire fe p e u t , la partie offencée : & de l'incifer auffi tôt, & m ê m e d'en emporter la piece; o u d u moins après l'avoir fcarifiée, d'y appliquer le plûtoftque l'on peut, le derrière plumé d'une Poule , o u d ' u n Pigeon pour en attirer le venin , & cette Poule, o u ce Pigeon eftant m o r t , il en faut reprendre un autre , tant qu'il n'y ait p l u s d e venin à attirer. Il feroitauffià defirer, que tous les Habitans des Antilles, euffent l'ufage de cet excellent Antidote, qui a été éprouvé en tant de liens, qui eft connu fous le n o m fameus d'Orviétan, & qui fe debite à Paris au bout d u Pont-neuf , au coin de la rué d'Auphine, à lenfeigne du Soleil. Car cet admirable fecret, a entre plufieurs autres rares qualitez, la vertu de chaffer le venin de toutes fortes de Serpens, & de rabattre la force des plus puiffans poifons. Voici la faffon dont ceus qui onteftémordus de Serpens venimeus, s'en doivent fervir. Il en faut prendre la groffeur d'une féve, diffous dans du vin. Et après il faut faire des fcarifications fur la morfure, & tirer le fang par le m o y e u de la ventoufe, Pui y appliquer

un peud Orviétan , & prendre garde, queleparient d e m e u re éveillé, au moins l'efpace de douze heures. C e puiffant rem è d e , fe peut-conférver e n fa bonté plufieurs années, pourveu q u ' o n ne le tienne pas en unlieuchaud, o ù il fe puiffe deffécher. Et s'il devient fec, ilfefaut remettre en fa confi-

ftance avec d u miel rofar. On e n trouve auffi quieften poudre.

Quant au regime de vivre, qu'il faut tenir durantl'ufagede ce remede ; Il faut éviter tous les alimens, qui, é c h a u f e n t

brulent le fang , ou qui engendrent l'humeur mélancolique. M m 2 Et


276 HISTOIRE N A T U R E L L E , Chap. 2 4 Et il fe faut abftenir entierement de la purgation & de la faignée, de peur d'attirer le venin de dehors au dedans :fice n'eft q u e le m a l eût gagné les parties nobles : Auquel cas il faudroit purger affés copieufément, & ufer de bains, & de chofes capables d'ouvrir les pores, & de provoquer la fueur. Q u e .fio n eftoit reduit à telle extremité, qu'on ne pût recouvrer aucun des Antidotes que nous venons de décrire : E n voicy encore u n , qui eft fort c o m m u n & tresfacile à practiquer. Il faut que celuy qui a efté mordu d'un animal venimeus, m a n g e promtément u n e écorce de Citron tout frais;car elle a la vertu de munir le c œ u r contre le venin. S'il eft poffible il faut lier la partie offenfée le plus ferré que l'on peut, au deffus de la morfure. 11 la faut en fuitte fcarifier, & y appliquer fouvent de la falive d'un h o m m e , qui foit à Jeün, &fion peut avoir la befte, qui a fait le mal, il luy faut couper la refte , & la broyer, jufques à ce qu'elle foit réduite en forme d'onguent, qu'il faut appliquer tout chaud fur la playe. C'eft le remede ordinaire, dont fe fervent les Habitans naturels du Brefil, pour fe garantir de la violence du venin de ce dangereus & monftrueus Serpent , qu'ils appellent en leur langue Bouiminingd, & que les Efpagnols n o m m e n t CafcaveL Les derniers mémoires qui nous ont efté envoiez de la Martinique, portent que quelques Honorables Familles qui fout venues dépuis peu du Brefil avec leurs ferviteurs Négres, pour demeurer en cetteIle,ont donné ans Habitans la connoiffance de plufieurs herbes & racines, qui croiffent ans Antilles auffi bien qu'au Brefil, & qui ont une vertu fouveraine pour éteindre la force du venin de toute forte de Serpens, & des fléches envenimées. O n fé peut fervir des m ê m e s remedes que nous avons décrits cy deffus, pourfeprémunir contre le venin de la Becune, & de tous les autres coiffons dangereus, qui fe trouvent enlamer. Ils peuvent auff eftre employez avec heureus fucces, pour empefcher les pernicieus effets du Suc de Manioc, de l'àrbe de Mancenille, & delapiqûre des Guéfpes , des Scorpions, & de tous les autres lnfectes venimeus. ARTI-


Chap.24

DES

ILES

ANTILLES.

A R T I C L E

277

VIII.

De l'Ecume de mer. Eus qui pefchent o u qui fe baignent en la mer, font quelquefois accueillis d'une certaine é c u m e quiflotteau gré lu vent, c o m m e une petite vefFie de couleur de pourpre, d e lifferentefigure,& agreable à voir : Mais à quelque partie lu corps qu'elle s'attache , elle y caufe en un inftant, une tresénfible douleur, qui eft brûlante , & piquante au poffible, Le remède le plus prompt qu'on peut apporter pour appaifer ette cuifante douleur , eft, d'oindre la partie offencée avec de huile de noix d'Acaïou, mélée avec un peu de bonne eau de ie ; car une chaleur en fait paffer une autre.

C

A R T I C L E

IX.

Des Rats qui font communs en ces îles. Epuis qu'il fréquente aus Antilles, un fi grand nombre de Navires, & qu'il arrive allez fouvent, que plusieurséchouent à la rade de ces Iles, o ù ils pourriffent de vieilffe : les Rats , qui étoient autrefois inconnus aus Caraïbes, ont gagné la terre,& ils s'y font tellement multipliez, qu'en luelques endroits, ils font grand d o m m a g e aus Patates , aus Pois, aus Fèves, & particulièrement au Maison gros Blé, u'on n o m m é Blé de Turquie. Et n'étoit que les Couleuvres es detruifent, & les vont chercher bien avant dans les trous e la terre & des rochers o ù ils fe fourrent,& m ê m e dans les ouverts des maifons , qui font compofez de feuilles de Palnés, ou de Canne defiltre,on auroit fans doute de la peine à onferver des vivres. Ileftvray, qu'à prefent il y a des Chats n ces Iles , qui ne les épargnent pas. O n a même dreffe des hiens à leur faire la guerre,& c'eft un plaifir de voir c o m m e s font fubtils aleséventer,& adroits à leur donner la chaffe, à les tuer,

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M m N

3

Cette


278

HIST. N A T U R . DES ILES ANTIL.

Chap.24,

Cette incommodité n'eft pas particulière aus Antilles. Et c'eft bien pis au Pérou, car Garcilaffo en fon Commentaire Royal nous témoigne, que ces vilains animaus y étans en nombre préfque infiny, y font par lois de grands dégâts, ravageant les lieus par où ils paffent, defolant les champs , & rongeant les fruits julques aus bourgeons, & à la racine des Arbres. Les Habitans des Iles, fe fervent encore d'une invention, qu'ils n o m m e n t Balan, pour empefcher que les Rats ne mangent leur caffaue , & leurs autres provisions. C e Balan, eft une efpece de claye ronde, ou quarrée compofée de plusieurs bâtons, fur léquels il onr coutume d'arranger la caffaue, après qu'elle a efté féchée au Soleil. Elleeftattachée au haut de la cafe avec une liene; o ù une corde, qui tient le Balan fufpendu en l'air. Et afin que les Rats ne fe puiffent pas couler le long de la corde, & defcendre furleBalan , ils font paffer la corde par une calebaffe bien polie , qui demeure fufpenduë au milieu , de forte que les Rats étans parvenus jufques à cet endroit-là, ne trouvans point de prife pour arrefter leurs pieds, & apprehendans le mouvement de la Calebaffe , ils n'ont pas laffurance de paffer outre. Sans ce petit fecret, les Habitans auraient de la peine à conferver leurs vivres. Voila c o m m e le fage Auteur de la Nature, a voulu parun admirable contrepoids, qui balance toutes les perfections de l'univers, que les Pais qui ont quelques avantages par deffus les autres foient à l'oppofite fujects à des incommodités, qui ne fe rencontrent point ailleurs : Et c o m m e fa Divine Providence, qui pourvoit puiffanment aus befoins de les créatures, a mis l'Antidote auprès du venin, le remede joignant le mal, & a m ê m e ouvert devant l'homme, les inépuifable trefors de la grâce, & de la nature, pour le premunir contre les injures de l'air, les outrages des faifous, la violence des poifons, & de tout ce que la terreà produit de plus dangereus, dépuis qu'elle à rfté envenimée par le premier peché. Fin du premier Livre de l'Histoire des Antilles.


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