Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

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HISTOIRE GENERALE DES VOYAGES E T C O N Q V E S T E S des C a f t i l l a n s dans les Ides &: T e r r e - f e r m e des Indes O c c i d e n t a l e s .

Traduite de l'Efpagnol d ' A N T O I N E D ' H E R R E R A , Hiflonographe de fa Majefté Catholique, tant des Indes, que des Royaumes de Caflille. Par

N.

DE

LA

C O S T E .

O u l'on voie la prife de la grande ville de Mexique, Se autres Provinces par Fernand Cortes Sa fondation -, Les Rois qui la gouvernerent ; Le commencement & fin de cet Empire ; Leurs coutumes & cérémonies ; Les grandes révoltes qui y font arrivez ; Les conteftations qu'eurent les Caftillans & les Portugais, fur l'adiette de la ligne de partage de leurs conqueftes ; La découverte des Ifles Philippines par Hernando de Magellan ; Sa mort de autres choies remarquables. Dediée à monfeigneur le premier

A

P A R I S ,

Prefident.

62

La Veuve N i c o l A s D E L A C O S T E , à l'Ecu de Bretagne. F R A N Ç O I S CLOVZIEB. l'aimé, à l'Image noftre. Dame Chez ET PIERRE A v B o ü i N , à la Fleur de Lys.

M. AVEC

DC

PRIVILEGE

L

X

demeurant t o u s proche l'Hoftel de Monfeigne.is le premier Prefident,

XI DV

ROy,



A

HAUT

ET

PUISSANT

SEIGNEUR.

M O N S E I G N E V R

DE L A M O I G N O N C H E V A L I E R , M A R Q U I S DE BASVILLE, C o m t e de Launay-Courfon, Baron de S. Y o n , C o n feiller ordinaire du Roy en tous (es Confeils, Premier Prefident de fon Parlement.

M O N S E I G N E U R , V Auteur de cette Traduction vous en ayant dédié les deux premiers volumes pendant fa vie ; Nous fommes obligez de fuivre fon exemple de vous supplier très-humblement d'accorder au refte de fin ouvrage la mefne protection après fa mort. Elle eft fi glorieufe & futile à tous ceux qui écrivent, que quand il n'en auroit pas eu l intention, nous vous l'aurions demandée pour noftre propre intereft. Les deux premiers tomes ont eu affez de fuccez,on nous a demandé celuy-cy avec


beaucoup d'emprefemcnt, comme il contient la principale conquefte des Espagnols dans les Indes, qui cft celle de Mexique, on aura encore plus de plaifir à le lire que les deux precedens. En effet, Monfiigneur ,il n'y a rien dans t'Hiftoire ancienne fameux fiege, ou neuf cens Espagnols naturels avec peu de munitions dix dept pièces d artillerie prirent une grande Ville fituée au milieu d'nn Lac, coupée de plufieurs canaux, gagnant une rue, après l'autre, forcèrent en trois mois un million d'hommes en tuerent cent mille, fins perdre que cinquante fildats. Si cette lecture, Monfeigneur, peut fervir quelquefois à vous delafer de l'application prefque continuelle, que vous avez, à rendre la juftice comme Chef de la plus augufte Compagnie qui foit au monde, le public nous aura quelque obligation d'avoir rendu ce petit fervice à une perfinne qui en rend tous les Jours de f grands à l'Eftar. Agréez donc, s'il vous plaist, le prefent que nous vous faifons au nom d'un amy, dont la memoire nous eft chere, que vous avez, honoré de voftre eftivie. Nous ne perdrons point d'occafion de la meriter par nos refpects, de vous témoigner avec quelle foûmiffion nom fommes,

MONSEIGNEVR,

Vos tres-humbles, très- obeïffans. & tres-fideles ferviteurs , La Veuve N I C O L A S DE L A COSTE, F R A N Ç O I S C L O U S I E R , l'aifné, PIERRE AUBOUYN.


SOMMAIRE DES C H O S E S PLVS N O T A B L E S , contenues dans cette troifiéme Decade. NIVRATION d'Antonio de Villa fana contre Fernand Cortés ; lequel fubjugua lagrande Ville de Mexique, d'autres Provinces. Saluable entreprife de las rbueras. Les perficutions qu'il fouffrit dans cette découverte. De la fondation de cette grande Ville de Mexique ; des Rois qui la gouvernerent ; du commencement fin de cet Empire ; de leurs couftumes ceremonies, Découverte de la Province de Nicaragua de l'armée que François de Garay mena à Panuco , fa mort. Des differens qu'il y eut entre Pedrarias Davila, Fernand Cortés fes Capitaines, de ceux de Pedrarias de Diego Lopez de Salcedo. Les contestations qu'eurent les Caftillans les portugais fur l'affiette de la ligne du partage l'affemblée des luges arbitres de part d'autre, touchant les confins limites de Caftil le de Portugal. La navigation d'un navire Franaÿ


çois en l'an 1524. Les grandes revoltes de Mexique par l'abfence de Fernand Cortés. François Piçarro Diego d'Almagro vont en découverte peuplent Santa Marta. Hernando de Magellan trouve les Isles Philippines. Sa mort. Le navire Victoria fait le tour du monde, retourne en Caftille. Le Roy envoye une autre armée aux Moluques fous la conduite de frere Garcia de Loayfa de l'Ordre de S. le an ; une autre encorefus celle de Sebaftien Gaboto, qui demeure dans la riviere de la Plata. Cortes fait pendre le Roy quantimoc. Panfile de Narvaez. François de Montejo traittent avec le Roy pour peupler ; l'un en la Floride, l'autre a Tucatan. Traité de plufieurs chofes naturelles morales de diverfes Provinces, de plufieurs effets de la pieté Catholique des Rois de Caftible pour planter la Foy dans les nouvelles terres.


T A B L E DES C H A P I T R E S c o n t e n u s en ce

L I V R E

Livre.

P R E M I E R .

C h a p . I.

Fernand Cortés arrive a Tezcuco. il donne la Selfleurie de cette Ville à Dom FFernand.La conjuration d'antoine de Villafaria. Des Villages qui demandoient la Paix amitié de Fernand Cortés. page I. Du peril ou l'armée Caftillane fe trouva d'une bataille qu'eut Goncale de $andoval, contre l'armée de Mexique. Ceux de Tez cuco preftentferment à Dom Fernand. s Desfles que Magellan découvrit en la mer du Sud particulièrement de celle de Zebu. 9 De la mort de Fernand de Magellan. Le navire de faim Antoine à Seville. Les Brigantins que Cortés avoit fait faire font achevez tranf portez à Tezouco. 16 De la grande induftrie que l'on apporta pour expofer dans le Lac de Mexique Us Brigantins. 21 De quelques courfes que fit Cortés dans les terres de Mexique, de Tezcuco. 24 Cortés fort de Tezcuco en faveur de ceux de Chalco, prend Quantiavac, forte place.

a

iy


T A B L E DE ce qui arriva à ceux qui cherchaient l'Epicerie, ils abandonnent Ican Serrano, arrivent à Bumey. 33 Les Caftillans élifent pour leur Capitaine Major Gonçale Gomez d'Efping fa. Ils arrivent aux Ifles des Moluques. De ce qui arriva aux Caftillans dans les lfles des Moluques,jufques à ce que le navire de la Victoire partit pour aller en Caftille. 42 Le Roy Quantimoc parle à la Nobleffe Mexiquaine, qui va reprendre Suchimilco ce que fit Cortes. 47 Fernand Cortés divife l'armée en trois corps ; commence le fiege de Mexique. 52 De quelques ordres qui furent envoyez aux Indes pour faire une armée contre les Corfaires. Mert de lean Ponce. Accord fait avec Rodrigue de Baftidas pour la découverte de la terre de Santa }

56

Maria.

De la Commiffion que le Roy ordonna d'envoyer a Chriftofle de Tapia pour aller dam la nouvelle Efpagne contre Fernand Cortés. 62 Des ordres qui furent envoyez en ce temps dans Caftilla del Oro, dans la ville de Panama. 65 L'onrefolut dans Mexique de continuer la guerre. Des victoires que Cortés obtient furie Lac, dans les Chauffées,. 68 Continuation du fiege de Mexique. Plufieurs villages fe viennent offrira Fernand Cortés. 77 Des diverfes entrées que Cortés faifoit dans Mexique , du grand nombre de gens qu'il avoit dans fon armée. 81 D'une difgrace qui arriva à Cortes, des grandes réjouyffances que les Mexiquains firent de la retraite des Caftillans. 85 De quelques Provinces qui fe rebellèrent contre Cortés, des in cidens dignes de remarque, qui arriverent en cette guerre. 92 Cortés envoye demander des vivres à Tlafcala ; Du courage magnanimité de quelques femmes Caftillanes au fiege de Mexique. 97 3

L I V R E Chap.

Des

S E C O N D .

entréesetetforties que Cortés fit dans la ville de Mexique refout enfin de la mettre à feu et fang 103


D E S Continuation

C H A P I T R E S .

du mauvais eflat auquel fe trouvent les Mexiquains.

109

Le Pere de las Cafas va par l'ordre de l'Audience de l'Efpagnolle four mettre fes provifions en execution à Cumana. 115 Le Pere de las Cafas retourne à l'Efpagnolle, & ce qui arriva dans Cumana en fon abfence. Les Indiens brident le monafiere de Saint François. 118 Les Indiens ruinent le Monaftere. Le Pere de las Cafas entre dans le Monaftere de S. Dominique,& prend l'habit de cet Ordre. L'audience envoye le Capitaine Caftellon pour chaftier les indiens, 122 Continuation des attaques de la ville de Mexique. 127 Prife de la ville de Mexique. Le Roy Quantimoc eft auffi fait prifonnier. 131 Cortes congedie l'armée-, et fait diligence pour chercher le trefor de Montezume. 136 Continuation des prodiges qui arriverent avant la perte de l'Empire Mexiquain. Frere Martin de Valence de Dom Iean, arrive avec fes compagnons. 141 Des anciens Habitant de la nouvelle Efpagne. Comment et d'ou ils y arriverent. 147 De la fondation de la grande ville de Mexique Tenuchtitlan. 1 5 2 De l'origine des Rois de Mexique, jufques au troifiéme appelle Chimalpopoca, 157 Des Rois de Mexique jufques au fixrtme, appelle Tizocic. 162 Suite du regne des Rois Mexiquains jufques au fecond Montezume. 166

De U Religion des Mexiquains. 170 Continuation de la Religion que tenoient les Mexiquains. 177 Continuation de la mefme matiere. 183 Fin des chofes qui touchent la Religion. Des Loix des Couflumes, & Police des Mexiquains. 191 Continuation des Couftumes des Mexiquains. 200

L I V R E C h a p . I.

T R O I S I E S M E .

Fernand Cortés envoye des Meffagers en Caftille pour F porter les nouvelles de fes vi eoires, Ce qui arriva


TABLE à ceux qui allèrent recennoiftre s'il y avait du fouffre dans le Vul can de Tlafcala. 203 Continuation de la découverte du Vulcan de Tlafcala. 211 De quelle façon fut découverte la Province de Mechoacan, par qui, 216 Continuation de la découverte du Royaume de Mechoacan. 221 Cazauzin, Roy de Mechoacan a deffem de facrifer les Caftillans mats il enfut détourné par un Seigneur de fon Confeil. 225 Le Roy de Mechoacan congedie les Caftillans, & envoye des Ambaffadeurs a Cortés. 231 Les Caftillans fortent de Mechoacan & arrivent à Guyoacan, d'où Cortés n'avoit bougé. 233 Le Roy de Mechoacan envoye fon frère vifiter Cortés et y vint puis après luy-mefme. 137 Des qualitez de la terre du Royaume de Mechoacan. 243 Continuation des raretez du Royaume de Mechoacan. 248 Fernand Cortés envoye a Mechoacan le Capitaine Chriftofle d'Olid ; Gonçale de Sandoval dam les Provinces, qu'ils appellent de Puertos Abaxo ; Et Pierre d'Alvarado, et François d'Orozco à Guaxaca. 253 De la valée de Guaxaca au Royaume de Mifteque, & des particu laritez de fes Provinces. 257 Continuation de la matiere precedente. 262 F i n des particularitez du Royaume de Mifteque. Autres particularitez^des Provinces des Zapoteques-, & autres. 266 Continuation de la Religion, façons & couftumes des autres Natiors de la nouvelle Efpagne. 270 Chriftofte de Tapia arrive avec fes provifions Royales dans la nouvelle Efpagne, qui les prefente ; mais comme on ne le voulut pas écouter il en retourne à l'ifle Efpaçnole. 274 Fernand Cortés envoye reconnoiftre la cofte de la mer du Sud, &y fait armer des Navires. Diego Velafquez veut aller voir Cortés. François de Garay arme pour aller à Panuco. Fernand Cortés va dans cette Province avec fon armée, & la dans l'obeyffance. 284 s

L I V R E


T A B L E .

LIVRE

QVATRIESME,

C h a p . I. T Es Procureurs de la nouvelle Efpagne arrivent à l'ifle des Açores. ils perdent deux Caravelle. Le Navire Victoire arrive en Capftille. 291 De ce qui arriva au navire de la Tri nité qui eftoit refté en l'ifle de Tidore des Moluques pour eftre radoubé. 296 L'Evefque de Burgos eft reçuféde la part de Fernand Cortés. La déclaration qui fi fit fur la différence qu'il y avoit de luy à Diego Velafquez 300 L'on fait décharger le Nauire Victoire. Quelles gens eftoient dedans. Le Roy fait venir en Cour lean Sebaflien del Camo. 308 Gilles Gonçalei Davila fort avec fon Armée, découvre la mer du Sud, avec h Pilote André Nino, & demeure à Nicaragua. De ce qui fe paffa dans cette Terre. 310 De la découverte que fit Gille Gonçales. Davila par mer et par terré. 314 Frere Blaife d'Yniefta entre dans le Vulcan de Maffaya. Des chofes notables de la Province de Nicaragua. 317 Ce que faifoit Fernand Cortés dans la nouvelle Efpagne, cependant que l'on travaillait afes affaires en Caftille fuivant ce qui a efté dit cy-devant. 325 De la rebellion des Negres dans Elfpa Efpagnolle. De ce qui fe paffa dans la Caftille de l ' O r , & dans la cofle des Perles et de quelques particulantez de cette Terre. 330 Des Couftumes des Indiens de Cumana ; & des particularitez de cette terre. 335 Continuation des particularitez de Cumana. 339 De quelques chofes a quoy l'on pourveut pour le bon Gouvernement des Indes ; Et ce que le Roy de Caftille envoya dire au Rey de Portugal par chriflofle. Barrofo fon Secrétaire. 546 De l'Ordre qui fut donné pour faire une autre armée en Seville, de ce qui procedoit des Avaris. Des faveurs que le Roy fit à. Iean Sebaftien del Cano, & à fies compagnon;, 353 Des Couftumes des autres Provinces de la nouvelle Efpagne, de }


T A B L E leurs aFlions & gouvernement. 3.3 5 Des Couftumes des Mexiquains, & d'autres de la nouvelle Efpagne. 3 60 Continuation de la mefme matiere. 366 De Matalzingo & d'Vtlatlan, en continuant la mefme matiere du Chapitre precedent. 372 Des Otomans & de Xilotepec Les troupeaux multiplient beaucoup en ces terres. 377 Ruy Falero écrit à l'Empereur, & luy mande l'accord qui avoit eftè fait avec Eftienne Gomez)our aller au Non, & chercher le détroit, d'autres chofes de Cafiille de l'or ; Et que des Rochelois avoient tué Antoine de Quinonez, & pris Alonfe Davila. L'armée des Avaris part, qui amene à Seville les cinq Navires des Indes. L'Empereur commande que l'on emprunte trois cent milleducats.386

L I V R E C h a p . I.

DE

CINQVIESME.

l'ordre qui fut envoyé à Fernand Cortés pour le bon Gouvernement de la nouvelle Efpagne.392 Le Roy envoye d'autres ordres a Fernand Cortés. De l'Ordon nance des habits. 298 le Roy promet de ne point aliener de la Couronne Royale les Provinces de la nouvelle Efpagne & des autres faveurs qu'il fit aux peuplades de cette terre. 403 Des Ordres que l'Empereur donna pour l'lfie Efpagnole. 410 François de Garay part avec fon armée de l'lfie de lamayca pour aller à Panuco. Ce qui fe paffa entre Garay & les Capitaines de Fernand Cortez Le naufrage du Licentié Zuazo. 415 François de Garay s'accorde avec les Capitaines de Cortés. Ses gens le qui tient pour fe mettre du party de Cortes. 425 Fernand Cortés envoye fin armée fous la conduite de Chriftofle d'Olid, pour découvrir le long de la mer du N o r t , & pour peupler les Y bueras. il donne ordre auffi que l' on découvre par le Sud. La fin qu'eut François de Garay. 425 pierre d'Alvarado & autres Capitaines entrent dans le pays, Cortés refont d'aller en perfonne contre. Qhrftofie d'Olid. 430


DES

CHAPITRES.

De ce que firent les Capitaines Diego de Godoy & P i e r r e d'Alva rado dans les voyages que Cortés leur ordonna. 434 Des pogrés que fit Pierre d'Alvarado dans Guatemala. 438 Des particularitez, de Guatemala. Rodrigue Rangel affujettit les Zapoteques. Gonçalle Davila donne avis au Roy qu'il va à las Tbueras ce qu'il luy demande. Pedrarias ordonne a François Mernandez de Gordouë d'aller à Nicaragua, & luy donne la qualité de Capitaine. 444 Francifico Hernandez, de Cordouë peuple Grenade en Nicaragua, ce qui fe paffa entre ces gens & Gille Gonçalez Davila de Cordoue. 449 Chrifiofle d'Olid prend François delas Cafas, & Gille Gonçalez Davila ; il eft tué par eux. Le Bachelier Moreno part de l'Efpagnolle pour aller à las Ybueras. Les Officiers Royaux arrivent à Mexique. De l'avis qu'ils donnent au Roy. Cortés envoye à Chiapa le Capitaine de Mazariegos. 458

LIVRE

SIXIESME.

Chap. I. 1 V foin que le Roy avoit pour le fpirituel & le temD porel, du Gouvernement des Indes. Par l'arrivée de quelques navires qui viennent de ces quartiers l'on folicite il Armée que l'on envoyait à l'Efipicerie.4.61 Les Officiers Royaux de Mexique continuent d'écrire en Cour contre Cortés. Autres affaires des Indes. 467 De l'inftance que le Roy de Portugal fit à l'Empereur, pour qu'il luy laiffaft les ifles de l'Efpicerie & ce que l'Empereur luy envoya dire parle Docteur lean Cabrero Confieiller d'Eftat, & le Secrétaire Barrofo. 470 Le Roy de Portugal envoye des Ambaffadeurs à l'Empereur.Ils luy parlent dans Pampelune ; & la réponfe qu'il leur fit. 474 Continuation de la reponce de l'Empereur, & la refolution du Confie il là deffus. 477 Apres plufieurs conteftations, il fut accordé enfin que l'on nommeroit

e ij


T A B L E des luges pour terminer le différent de l'alignement. 482 Les Commiffaires Caftillans & Portugais fevoyent , & conviens nent enfemble du lieu ou fe doit faire l'Affemblée. Ils commment à traiter fur les points de leurs Commiffions De la refiolution des Commiffaires fur le point de poffeffiton ; en fuite dequoy l'affemblée fut rompue, parce que le terme efyoit expire. De la navigation que fit un navire François qui fortit de Diepe cette année pourfaire quelque découverte dans les Indes. 497 Fernand de Cortés refout de faire le voyage de las Y b u e r a s . Il part de Mexique pour cet effet. L'ordre quillaiffe a cette Ville. Les revoltes qui y arrivent pendant fon abfence 5 & les travaux qu'il fouffrit en ce voyage. 506 Gonçale de Salazar, & Paralmindez vont d Mexique. Ce qui leur arriva en chemin. 551 Continuation des revoltes de Mexique. Mort de Rodrigue de P a z . Continuation du voyage de Cortés à las Y bueras. 519 François Piçarro, Diego d' Almagro, & Hernando de Luque, ont permiffion de Pedrarias pour aller en découverte. Du Confeil fuprême des Indes. L'Evefque d'Ofma Frere Garcia de Loayfa, en eft fait Prefident. 556

L I V R E

SEPT

LE

SME.

C h a p . I. 1 Es Navires qui arrivèrent des Indes. De l'arD mée qui fut accordée aux Officiers de la Maifon de ContraElation peur aller contre les Corfaires.L'on donne avis aux Miniftres des Indes de la Victoire de L'Empereur devant Pavie. 560 Des ordres qui firent donnez pour le Gouvernement de la Terreferme. Le Licencié Villalobos s'oblige de peupler l'lfie Marguerite, 515 Quel fut celuy qui alla pacifier la Province de Tabafco ; & des chofes qui fe prefentent à reciter en ce lieu. 573 Du traité qui fut fait avec le Roy, de la part & au nom de Fernand, Cortés & des faveurs & honneurs que le Roy luy fit. L'armée fe prépare pour paffer aux Moluques. Les perfonnes qui


DES

C H A P I T R E S ;

y vont ; & l'ordre qui leurfut donné. 584 Continuation de l'infiruction qui fut donnée a l'armée qui alloit aux Moluques. 588 L'armée part de la Cornua pour paffer aux Moluques. Les routes qu'elle tint avant que d'entrer dans le détroit de Magellan. 596 L'Adelantado Fernand Cortés centime fa route aux Y bueras Et ce qui fe paffe cependant dans Mexique. 600 Fernand, Cortés continuant fon chemin, paffe par des terres non encore découvertes. On luy donne avis que le Roy Quantimoc le veut tuer. La juftice qu'il en fait, de quelques autres 609

LIVRE

Chap. I.

H V I T I E S ME.

FErnand Cortez continué fa route, & ce qui luy F arriva. 619 Fernand Cortés a connoiffance de Nito ; & les travaux que fes gens fouffrent. 624 Fernand Cortés arive a Nito. La faim qu'il fouffrit & la diligence dont il ufa pour chercher des vivres. 616 Fernand Cortés paffe à Truxillo ; ou il apprend les mouvemens de deMexique.Il y envoye des ordres pour y remédier. 632 Les amis de Cortés ayant appris qu'il eftoit vivant fe bandent contre Salazar & Peralmindez, 3 & apres les avoir pris ils les font mettre dans des Cages. 637 Fernand Cortés découvre une nouvelle Terre. Le Confeil qu'il donne d François Hernandez deCordoue. 642 Les ennemis de Cortés donnent au Roy de mauvaifes imprefions contre luy. Il refelut de retourner à Mexique. Qualitez de la Province de Truxillo. 647 Du voyage du Pilote Eftienne Gomez ; &de celuy que firent les navires du Linentié Ayllon à Chicora. 652 L'Adelantado Baftidas va à fanta Marta. Ce qui luy arriva en ce lieu,fa Mort, 655 L'on declare les Caribes pour efclaves, & l'on ordonne que les Indiens des Ifles foient mis en liberté. L'Empereur donne avis aux Indes de fon mariage. 661 e iij


T A B L E Des chofes qui fe paffent dans la découverte de Francois Picarro. 666 François Piçarro & Diego d'Almagro continuent leur découverte. 6 69 prancifco Piçarro & Diego d'Almagro fartent enfemble de Qhicama pour continuer leur découverte. 674. le Roy pourvoit aux affaires de la nouvelle Efpagne, Panuco , les Y bueras, & Terre-ferme. Des ordres qu'il donna au Licencié Louis Ponce de Léon, qu'il envoye pour examiner les comptes de Fernand Cortés. 677 Continuation de la teneur des dépeches qui furent données au Licencié Louis Ponce de Leon ; & ce que l'on difoit de Fernand Cortés. 682

L I V R E

N E V V I E M E .

Chap- I. D Edrarias Davila va a Nicaragua. L'inftruetion P que Pedro de los Rios emporte pour gouverner la Caftille de l'or. 683 (Des demandes que fit Pedrarias dans le Confeil 3 & ce qui fut ordonne touchant la liberté des Indiens. 693 De l'Armée que Sebafiien Gaboto leva pour l'Epicerie ; & du Le Commandeur frère Garcia de Loay fapaffe le détroit de Magellan, entre dans la mer du Sud. 601 l'armée du Commandeur Loay fia entre dans la mer du Sud ; La difgrace qui luy arrive. 707 Les Indiens de la nouvelle Efpagne traitent bien ceux de la Pata. che, & confentent que le Preftre aille à Mexique pour faire relation de fon voyage. 708 Fernand Cortés retourne a mexique. Le Licencie Louis Ponce y arrive pour eftre L'Intendant de Iuftice. 713 Le Licencié Louis Ponce prend le Gouvernement de Mexique. Sa mort, & celle de Marc d'Aguilar. Alonfie d'Eftrada gouverne en fa place. 720 Fernand Cortés refout d'armer pour aller aux ifles de l'Efiicerie.La Capitaneffe du Commandeur Loayfia y arrive. 724

fejou


D E S

C H A P I T R E S .

De ce qui fe paffa entre les Caftillans de las Ybueras & de Nicaragua. 730 De l'Ambaffade que le Capitaine des Caftillans envoya aux Rois de Gilolo & de Tidore. Des inftances qu'en firent les Portuguais. Le navire Caftillan arrive à Tidore. 73 4

L I V R E Chap.

I,

D I X I E S M E .

Diego Lopez de Saisie do part pour occuper la place de Gouverneur de Honduras. Accord fait avec François deM o n t e j o& Panfile de Narvaez pour aller en découverte ; & avec le Comte don Fernand d'Andrada & autres. 739 Pedro de los Rios eft receu Gouverneur de Caftille de l'or, ne veut point favorifer l'entreprife de François Piçarro, & de Diego d'Almagro. Ce qu'ils firent en continuant leur doffein. 745 Continuation des travaux que François pifarro & fes compagnons fouffrent en leur découverte ; du fecours que Diego d Aljmagro leur envoye. 749 Le Gouverneur pedro de los Rios envoye un navire a François Pifarro, lequel avec ceux qui luy eftoient reftez va découvrir la terre de Tumbez Continuation de la découverte de Fran çois piçarro & de fes com pagnons le long de cette cofte , qu'ils appellent du Perou. 760 François Piçarro continuë fa découverte, Ses compagnons le prient de ne pas paffer plus avant. 7 63 D e plufieurs chofes dont le Roy pourveut cette annéepour le bon gouvernement de la nouvelle Ffpagne. 766 Continuation des ordres que le Roy donne pour la nouvelle Efifagne. 770 Autres ordres qui furent donnez cette année pour le bon gouvernement de diverfes parties des Indes. 773 Continuation des provifions Royales de cette année. 77S L'on ordonna de ne laiffer fortir des Indes pour paffer en Caftille, ny de Caftille pour paffer aux Indes aucuns navires fi ce n'eft en fiote. L'on donna commiffion à Fernand Colon de faire une affemblée de Pilotes, pour corriger les Cartes marines. D'autres chofes qui arrivent fur la fin de cette année. 784


E X T R A I T D V

P R I V I L E G E

du Roy. DAr grâce Se Privilege du R o y , d o n n é à Paris le vingtPunième jour de M a r s , l'an de Grâce 1659. Se de noftre R e g n e le feiziéme,Signe MABOUL. Ileft permis à N I C O L A S DE LA COSTE Marchand Libraire en no lire bonne Ville de P a r i s , d'imprimer ou faire imprimer un Livre intitulé I Hiftoire des Voyages & Conqueftes des Caftillans

dans les

D'ANTHOINE D ' H E R R E R A . Et deffences font faites à tous Imprimeurs & Marchands Libraires , et autres perfonnes de quelque qualité Se condition qu'ils foient, d'imprimer ou faire imprimer, vendre ny debiter ledit L i v r e , en quelque forte & maniere que ce fait, fans le confentement dudit E x p o f a n t , à peine de confifeation des Exemplaires, et de quinze cens livres d ' a m e n d e , & de tous defpens, dominages Se interefts, c o m m e il eft. plus amplement p o r t é aufdites Lettres de Privilege.

Et la veuve NICOLAS DE LA COSTE a f f o c i é audit Priv i l e g e , FRANÇOIS CLOUSIER l'aifné, et P I E R R E AUBOUIN,

auffi Marchands L i b r a i r e s , fuivant l'accord fait entr'eux. Regiftré fur le Livre de la Communauté des Libraires fuivant l'Arreft du Parlement du troifiéme Avril 1653, Fait à Paris le 8. Aouft 1659. G . I O S S E , Syndic.

Achevé d'imprimer pour la premiere fois, le douzième Mars, 1 6 7 1 . Les Exemplaires

ont efté fournis.

HISTOIRE


I

H I S T O I R E GENERALE DES

VOYAGES

ET

CONQVESTES

des Caftillans dans les Ifles & Terre-ferme des Indes Occidentales.

TROISIESME L I V R E

DECADE. P R E M I E R .

C H A P I T R E

P R E M I E R .

Fernand Cortés arrive a Tezçuco. Il donne la Seigneurie de cette Ville a Dom Fernand. La conjuration d'Antoine de Villafana. Des Villages qui demandoient la paix & l'amitié de Fernand Cortés.

MME

O l'armée de Cortés defcendoit NNEE du détroit de cette haute montagne A 1521. dont nous avons parlé c y - d e v a n t , p o u r entrer dans la p l a i n e , ils commencerent à voir cette grande ville de M e x i q u e , le Lac, & toute la contrée qui l'environne. O r le deffein de Cortés eftoit d'entretenir la guerre dans les Bourgs & les Villages d'autour de M e x i q u e , en A

C


2

1521.

les Caftillans g a g n e n t u n e Vi e t o i r e c o n t r e les Mexiquains.

Le Seigneur de T e z c u c o offre s ô fervice à Cor-

ses.

H I S T O I R E

attendant que les brigantins arrivafient. Et les Indiens de là autour ayant auffi découvert l'armée des C h r e ftiens à la defcente des montagnes, fe donnèrent le lignai les uns aux autres par des fumées qu'ils firent, & s'affemblerent plus de cent mille hommes, qui fe faifirent d'un pofte, par où de neceffité l'armée devoir paffer. & l'attendirent là. Et le troifiéme jour de cette année Cortés les ayant découverts, les alla attaquer avec vingt chevaux ; & quoy qu'ils tirerent fur luy une infinité de fléches, il ne laiffa pas de les charger ; Se citant fecouru de l'armée il les mit en d é r o u t e , aprrs en eftre demeuré quantité de morts fur la place. Les Caftillans ravis de cette victoire s'en allerent loger dans une ville du Seigneur de Tezcuco, qu'ils trouverent deferte ; & comme l'on apprit q u e là aupres il y avoit une autre grande armée de Mexiquains, l'on fetint toujours fur fes gardes. Le lendemain l'armée fortit de ce lieu pour aller à Tez cuca, o ù il y a trois lieues de chemin dans une campagne, qui eft fort peuplée, & remplie de beaux édifices 5 parce que la Seigneurie & la Ville n'eftoient pas moins grandes que celle de Mexique. Il fortit au devant de Cortés dans le chemin quatre Indiens fort bien é q u i p e z , qui portoient u n e b a g u e t t e , où eftoit attaché un guidon d'or. Cortés fçachant bien que c'eftoit un témoignage de paix, fit faire alte. Apres qu'ils l'eurent falüé, ils luy d i r e n t : Que C U A N A C U Z I N T leur Seigneur luy offroit fon fervice, & le fupplioit que fes gens ne fiffent aucun mal dans fes terres, & qu'il s'en vinft loger dans la ville, ou il feroit en

toute affeurance. Cortés fut ravy de cette ambaffade, quoy qu'elle luy parût diffimulée : mais néanmoins il leur fit réponfe, qu'il agreoit fa bonne volonté ; & leur dit, que puis qu'il n'y avoit point de remede à la mort de quaranteiinq Caftillans, cinq chevaux, plus de trois cens Tlafalteques qu'ils avaient tuez que du moins on rendît for, l'argent les joyaux que l'on avoit prit à fes gens dans cette terre ; ou qu'autrement il feroit en forte que pour chaque Caftillan il ferait mourir mille des leurs. Ils firent réponfe, que cela s'é tait fait par l'ordre du Seigneur de Mexique, que les Mexi-


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OCCIDENTALES.

Liv.

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quains en emporterent les dépouilles : Mais qu'ils feraient ce 1521 qu'ils pourraient pour les chercher, & les luy reflituer. L'ar-

m é e fut fort bien receuë dans tous les Villages de là autour. Elle arriva à Guaxuta, à demy lieuë de Tezcuco, enfin dans c e t t e Ville. O n le logea dans de grandes mai- Cortés entre fonsqui avaient appartenu au pere du Seigneur de Tez- dans T e z c u c o . cuco-, où. les Caftillans, & bon nombre d'Indiens alliez trouverent affez de lieu,, afin de ne fe point feparer. O r comme ils ne virent paroiftre aucunes femmes ny d'enfans, Cortés défendit q u e perfonne n e f o r t î t du logement, de crainte de quelque trahifon, & pour s'affurer de la Ville. C e p e n d a n t l'on découvrit de deffus les terraftes des maifons, que les habitans fe r e t i r a i e n t , & enle voient leurs hardes, leurs femmes & leurs enfans, & les mettoient dans des canos pour les faire paffer à t e r r e , et gagner les montagnes qu'ils y apportaient toute la diligence poffible. Cortés ayant eu avis de cela, fit appel1er quelques-uns des p r i n c i p a u x , «Scieur dit : Q u e D o m F e r n a n d qu'il avoit avec luy, eftoit fils d e Nefzaval Pilcintle leur grand S e i g n e u r , & qu'il le leur donnoit pour Seigneur de fa main, puis que Cuanacuzint avoit paffe avec les ennemis, & qu'il avoit traitreulement tué fon frere par une ambition de regner. Ainfi D o m Fernand C e r t e s d o n n e la fut receu pour Seigneur de Tezcuco, & ceux qui s'eftoient Seigneurie de Tezcuco à D o r a retirez dans les montagnes revinrent ; la Ville fe r e p e u - F e r n a n d . pla, & les gens furent bien traitez. T r o i s jours apres les Seigneurs de Guatinchan, de Guaxuta & d'Autengo, vinrent trouver Cortés les larmes aux y e u x , luy demandant excufe de ce qu'ils s'eftoient a b fentez, luy en demanderent p a r d o n , & le prierent de les vouloir remettre en g r â c e , et que s'ils avoient q u e l q u e fois combatu contre luy, ils y avoient efté contraints. Il leur accorda leur d e m a n d e , à condition que s'ils le trahiflbient encore une fois, ils recevroient double chaftiment d e leur c r i m e , comme des traittres. C e p e n d a n t ceux d e M e x i q u e ne pouvant bien goûter cette r é u n i o n , envoyerent des meffagers pour tâcher d e les d é tourner de cela. Mais les trois Seigneurs en donnerent }

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1521.

4 HISTOIRE avis à Cortésj et luy envoyerent les meffagers liez & garotez ; lefquels nierent l'ambaffade, & dirent qu'ils n'étoient venus que pour prier ces Seigneurs d'eftre mediateurs faire une paix entre les Chreftiens & les Mexiquains.

pour Or

quoy que Cortés s'apperceut bien de leur aftuce, il les fit mettre en liberte il leur donna quelques jolivetez, & les chargea de dire à la Ville, lors qu'ils y feroient de C o r t é s envoyé offrir la paix au Mexiquains.

Conjuration cotre C o r t é s .

retour ; que puis que ceux qui efioient caufe du mal eftoient morts, que xeux qui reftoient au moins fuffent bons amis. Ils luy

promirent de fe bien acquitter de cette charge, & de venir rendre réponfe, mais ils ne parurent plus. Cependant que les chofes fe paffoient de la forte comme les Capitaines ne peuvent pas toujours contenter tout le monde, quelques mal-contens procurerent par le moyen d'Antoine de Villa-fana de fe foulever contre Cortés, & d'élire en fa place Francifco V e r d u g o , homme d'authorité & vaillant, beau-frere de Diego Velafquez, & dont l'affection ne pouvoit fortir de fon cœur. Cette conjuration eftoit compofée de trois cens rebelles, qui eftoient tous demeurez d'accord de contraindre Verdugo d'accepter cette c h a r g e , fans le luy avoir communique. Eftant donc tous préparez pour poignarder C o r t é s , & que pour cet effet ils l'attendoient de pied f e r m e , l ' u n des complices l'alla t r o u v e r , & d'un vifage tout efaré luy dit en tremblant Que s'il luy vouloit accorder la vie, & garder le fecret, il luy découvrir oit une chofe qui luy eftoit de

grande importance. Cortés qui eftoit un homme fort libre & prompt luy accorda fa demande. Il luy dit donc, qu'il fe falloit faifir au plufioft de Villa-fana, & qu'il eftoit le chef

de la confpiration. Cortés commanda auffi-toft à Gonçale de Sandoval de l'allerprendre,etde qu'il fe faifift. d'un papier qu'il portoit dans le fein, fur lequel eftoient écrits les noms des conjurez. Mais quelque diligence qu'y apporta Sandoval, Villa-fana avoit déjà la moitié du papier dans la bouche lors qu'il le faifit, & on luy ferra le gofier pour l'empêcher de l'avaler ; & toutefois il n'en jetta qu'une partie, dans laquelle on trouva les noms de quatorze perfonnes, de bon compte. Q u a n t àa luy il coruefta confeffà torze


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auffi-toft, fon crime ; mais quelques tourmens que l'on 1521 luy fit fouffrir, qu'il endura conftamment,il ne voulut jamais accufer perionne ; & pour les noms que l'on luy avoit trouvez, il dit qu'il les avoit écrits pour leur parler & les folliciter ; mais que jufques-là il n'en avoit parlé à aucun. Cortés ne fut pas fâché de n ' e n chaftier qu'un, parce que les autres fe pourroient reconcilier, & ainfi il fitpendre Villa-fana. Le lendemain comme les Caftillans eftoient affemblez, il leur dit : Que villa-fana avoitf C o r t é s parle agien Chreftien de n'avoir pas voulu accufer ceux qui efioientfes foldats. écrits fur ce papier, et en celuy qu'il avoit mangé ; & que puis qu'ils eftoient innocens^ il les prioit que fi quelqu'un avoit quelque fujet de plainte, il euft à le déclarer, & qu'il luy donneroit toute forte de fatisfaction ; & que s'il avoit erré, quils l'en advertiffent, & qu'ils ne luy pourroient pas faire un plus grand plaifir. Il leur dit encore quantité de raifons avec a m o u r , p a r l e moyen defquelles ils fe réconcilièrent, & demeur è r e n t fatisfaits, diffimulant le paffe, & fort joyeux d e n'avoir pas efté découverts. Mais de-là en avant Cortés vivoit avec plus de précautions.

C H A P I T R E

II.

Du peril où l'armée Caftillane fe trouva, & d'une bataille qu'eut Gonçale de Sandoval, contre l'armée de Mexique, Ceux de Tezjuco preftent fermenta Dom fernand.

P

Endant huit jours que Cortés demeura dans T e z c u co, fans enfortir,il s'occupa à fortifier fon logement, 6c à le garnir de vivres, parce qu'il apprehendoit que les ennemis ne l'y allaffent affieger ; mais comme il vit qu'ils ne branloient p a s , il fortit de la Ville avec d e u x cens hommes d'Infanterie, & dix-huit de C a v a l e r i e , avec quatre mille Tlafcalteques. Il cottoya la rive du Lac, de Corresva c o n t r e alla à la ville d'yztapalapa,où il y avoit bien dix mille h a - la ville d'Yzsas b i t a n s , & cette Ville alors eftoit baftie la moitié dans palapao l'eau. Le Seigneur de ce lieu eftoit frere de M o n t e z u -

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me , & ce fut luy qui chaila les Cafëillans de Mexique* 1511. Mais Cortés n'en pût pas approcher fi fecrettement qu'il ne fut découvert par les Habitans, qui commencèrent à retirer toutes leurs h a r d e s , leurs femmes de leurs en fans dans les maifons qui eftoient bafties dans Peau. A d e u x lieues avant que d'y arriver il rencontra des troupes de foldacs, qui Je conduifirent toujours en com, b â t a n t , vers la ville. Il y en avoit encore d'autres dans des canos qui faifoient la mefme chofe ; & lors qu'ils approchèrent tout contre la Ville, il en fortit d'autres en grand nombre qui enveloperent impetueufement l'arIl eft attaque mée de Cortés. Le combat dura trois heures avec beaupar une multitucoup d'opiniaftreté ; mais enfin ceux d'Yztapalapa ne de d'Indiens. pouvant pas refifter, fe retirèrent dans l'eau , où plulieurs le noyèrent, de d'autres fe fauverent dans des canos- Il en fut tué cinq mille , peu de Tlafcateques y d e meurèrent, de pas un Caftillan La dépouille fut grand e , & les Indiens alliez mirent le feu à quelques maifons. Quelque peu avant la victoire, les ennemis avoient rompu une chauffée, par où l'onpaffoit de l'eau falée à la douce ; de comme les Chreftiens pourfuivoient les enneL ' a r m é e de Cor mis, ne prenant pas garde que l'eau croiffoit , Cortés ses cil en péril. l'ayant apperceu, luy qui avoit l'efprit prefent en toutes chofes, qui le faifoit confiderer de admirer, rien ne luy pouvant eftre caché, fit grande diligence de les tirer delà, & avec toutes fes diligences néanmoins, il eftoit déjà fept heures de nuit ; de forte que lors qu'ils fe retirèrent de l'eau les uns en avoient jufques aux genoux, de d'autres jufques à l'eftomac. Les dépouilles y demeurèrent, de quelques Tlafcalteques y furent noyez 5 s'ils y fuffent demeurez encore trois heures,il n'en fût revenu pas un. Ils en fortirent furies neuf heures, &fourffirent bien du froid & de la faim, car ils n'avoient rien à manger ny deC o r t é s fe retire quoy fe chauffer. Le lendemain les Mexiquains les vindans T e z c u c o . r e n t attaquer, de ils combatirent toujours en retraite julques à Tezcuco. Il mourut en ce rencontre quelques Indiens alliez, & un Caftillan, qui fut le premier qui mourut dans la campagne en combatant ; & fut enlevé


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mort par fes compagnons dans Tezfuco , de crainte que 1 521. les Indiens ne le viffenc. Le lendemain il arriva des Meffagers de la ville à'Otumba , & de quatre autres Villes voilines pour demander pardon du trouble qu'ils avoient caufé à la guerre, priant Cortés de les vouloir recevoir pour amis. Il les récent en g r â c e , a condition qu'ils luy ammeneroient prifonniers tous les Mexiquains qu'ils rencontreroient. Cependant Cortés voyant que les garnifons Mexiquainesoccupoient toujours les palfages de la Fera Cruz & de Tlafcala, il y envoya Gonçale de Sandoval, avec GonçaledeSandoval va à Chal deux cens Caftillans & vingt chevaux , avec ordre qu'a- co. près avoir conduit dans les limites de Tlafcala, les Meflagers, qu'il envoyoit pour diligenter les Brigantins, il retournât dans la Province de Chalco, qui confinoit avec celle de Cuyoacan, parce qu'ils avoient envoyé dire que la crainte des garnifons Mexiquaines les empéchoit de fe déclarer pour amis, & qu'il les affurât. Quelques Tlafcaltef quess'en retournant parmefme moyen en leur ville, chargez de quelque butin qu'ils avoient fait,& d'antres qui avoient fervy de Vivandiers, s'imaginant eftre en feureté à caufe qu'ils cheminoient derrière les Caftillans,allerent tomber dans une embufcade de Mexiquains qui en tuèrent quelques-uns,& leur ofterent leur Bataille de Sanbutin. Comme ceux qui eftoient devant eurent enten- dovai cotre une du les cris, car ceux des Indiens font plus vehemens que armée de Mexiquains, ceux de quelque autre nation que ce (bit, et voyant la pouffiere qu'ils faifoient, Sandoval y accourut auffi-toft avec la Cavalerie ; il chargea les Mexiquains,, il fecourut fes amis, & recouvra le butin ; puis l'Infanterie étant venue au fecours,ils achevèrent de vaincre les ennemis , qui fe fauvant par la fuite fe jetterent dans le Lac ; & les Tlafcalteques chargez de leur butin , de celuy de leurs ennemis , & de leurs armes, s'en retournèrent fort contens dans leur terre. Apres que Sandoval les eut mis en feureté , en cheminant vers chalco, il rencontra dans une plaine douze mille Mexiquains, qui luy prefenterent bataille, en bon


8 1521

Autre Bataille de Sandoval c o tre les Mexiquains.

D o m Fernand prefte ferment en qualité de S e i g n . de Tezcuco.

Les Mexiquains d o n n e n t la chaffe aux Tlafcalteques pour les facrifîer.

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ordre ; elle dura deux heures, & furent mis en déroute nonobftant leur grand nombre. Ceux de Chalco, ayant appris les nouvelles de cette victoire, fortirent au devant de Sandoval, pour le recevoir, et s'en retourna auffitofl: après retrouver Cortés avec les fils de ces Seigneurs qui le defiroient reconnoiftre. Ils luy portèrent un prefent d'or, que Cortés receut, & les remercia. Il les regala fort bien, & les renvoya contens & fatisfaits, & avec Sandoval pour les efcorter le long du chemin. Apres qu'il les eut conduits en feureté, non fans avoir fait quelques rencontres, il paffa à Tlafcala, où ayant demeure fix jours, il s'en revint trouver C o r t é s , avec les Caftillans qui eftoient demeurez-là, & Dom Fernand. Cortés avec fes cérémonies ordinaires envers les Indiens, & avec une gravité qui luy edoit naturelle, luy fit prefter ferment de fidélité, & le fît reconnoiftre pour Seigneur de Tezcuco, dont Sandoval fut le témoin & le certificateur, à caufe qu'il connoiflbit que fon intention eftoit bonne ; de quoy ceux de Tezcuco en receurent un grand contentement. D e u x jours après cette élection de Dom F e r n a n d e tout le monde eftant à la Ville, la réputation de Cortés augmentant toujours ; les Seigneurs de Guatinchan et de Guaxuta, l'allerent trouver tout tranfportez, et luy dirent que toutes les puiffances & les forces des Mexiquains alloient fondre fur e u x , & qu'il prît garde auffi à luy ; et qu'il leur d î t , s'il eftoit à propos qu'ils amenaffent là leurs femmes & leurs enfans, ou s'ils les meneroient à la montagne. Il leur dit qu'ils n'euffent point de crainte, & qu'ils miflent feulement les gens inutiles dans les maifons les plus fortes, et que ceux qui eftoient capables de porter les armes fe tinffent prefts; qu'il les vouloit fecourir, & qu'ils verroient les maux qui en arriveroient aux Mexiquains. Cortés de fon cofté fe tint fur fes gardes 5 mais les ennemis n'attaquèrent point alors ny Cortés ny ces Seigneurs, ils ne s'amuferent qu'à prendre quelques Indiens qui portoient des vivres au Camp, & particulièrement dans Tlafcala, pour les facrifîer. Et pour cet effet ils recherchèrent


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I. 9 chercherent de paix deux peuplades de lafeigneurie de Tezcuco, les plus proches du Lac, où ils firent des foriez par où l'eau entroit, des tranchées, Se d'autres défenfes pour faire tous les maux qu'ils pourroient.

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1521.

III.

Des Ifles que Magellan découvrit en la mer du Sud, particulièrement de celle de Zebù.

A

&

V commencement de cette a n n é e , Fernand de Magellan navigeant avec fes trois Navires dans la mer du Sud, qui luy fembloit toujours plus vafte que dev a n t , & ayant le Soleil pour Zenit, éloigné de l'Equinod i a l a u Sud de 21. degrez, 50. minutes, il commanda que l'on continuât la route du N o r t , afin de rencontrer plûtoft des Ifles pour trouve quelques vivres. Ils navigerent deux mille lieues fans voir davantage de terre que les deux Ifles infortunées dont nous avons déjà p a r l é , au Magellan fe milieu du Golfe. Ils navigerent encore après cela huit trouve le 10. de cens lieues jufques au vingt-troifiéme de Ianvier qu'ils Ianvier au 15. arrivèrent au 15. degré 48. minutes, où ils trouvèrent degre 48. min. deux Ifles extrêmement belles, qui eftoient habitées par des gens farouches & qui adoroient des Idoles, & navigeoient dans des canos huit lieues qu'il y avoit d'une Ifle à l'autre. Il ne tenoit pas dans ces canos plus haut de dix hommes. Leurs voiles eftoient de feuilles de Palmier, comme les Latines, & fort bien faites. Leurs vibres eftoient des Cocos, des Tfiames et du Riz O r comme il arrivoit tant d'Indiens aux Navires, qu'ils ne les pouvoient pas contenir: Magellan les fît mettre dehors, & il en falut venir à la violence, parce qu'ils n'en vouloient pas fortïr. Les Indiens en colère de cela retournèrent aux Navires dans leurs canos,& jettoient tant de pierres & de baitons brûlez, qu'encore que le General défendît au commencement qu'on ne leur fift point de mal, & ne les pouvant fouffrir davantage, il commanda de tirer

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10 H I S T O I R E l'artillerie. Mais quoy que l'on en eût tué plusieurs, ils 1521 eftoient tellement ruftics qu'ils ne laiffoient pas que Les I n d i e n s dé d'apporter de leurs d a n r é e s , pour les troquer contre t a c h e n t I'Efchif celles qui eftoient dans les vaifféaux. Vn foir navigeant de la Capitaine fproche de l'une de ces Ifles les Indiens détachèrent l'Effe,& l'emmèchif de la Capitaineffe qui eftoit à la p o u p e , et l'emmenent. nèrent à terre. Le lendemain au matin le General envoya deux Chaloupes avec quatre-vingt dix hommes armez dans un Village qui eftoit au pied d'une montagne, où ils avoient mené l'Efquif. Les Indiens montèrent à la montagne, et jetterent une fi grande quantité de pierres qu'il fembloit à voir qu'il gréloit. Mais comme l'on vint à tirer les Arquebufes, ils gagnèrent le h a u t , et les Caftillans entrèrent dans le Village, y mirent le feu, tuèrent ceux qui s'y rencontrèrent, & enlevèrent les vivres qui étoient dedans.Les lndiens jugeant que ce châtiment ne fc faifoit que pour l'Efchif, le lâchèrent en mer. Magellan l'envoya quérir, fit charger de l'eau, & commenda que chacun entrât dans les vaiffeaux. Il fit départie les vivres qu'ils avoient eus dans ce Village entre-tous, parce que la plufpart pâtiffoient beaucoup par la faim, et Magellan part en eftoient prefque tous malades. Le lendemain le G e des Ifles des voineral partit de ces Ifles, et leur donna le nom de Latines-, les Latines. 6c fit trois cens lieues vers le Ponant. Il découvrit quantité d'autres Ifles, où il trouva abondance de vivres, car ces Indiens entendoient la langue d'un Indien que Magellan avoit avec luy. Puis navigeant entre deux, ils allèrent furgirà une petite Ifle appellée Managua-, pro Les Caftillans a r r i v e n t e n l f l e che d'une petite peuplade. Le R o y de cette ifle ende M a z a g u à . voya auffi-toft un cano, où eftoient dix Indiens, pour fçavoir quelles gens il y avoit dans les navires, ce qu'ils cherchaient ; et comme on les entendoit par le moyen de l'interprète qui y eftoit, Magellan fit r é p o n f e , qu'ils eftoient vaffaux du Roy de Caftille, & qu'ils defiroient faire faix avec luy, & troquer des marchandifes qu'ils avoient que s'ils avoient des vivres, qu'il le prioit de luy en vouloir donner-, & qu'il les luy payeroit. Le Roy fit réponfe, qu'il n'en avoit pas pour tant de monde, mais qu'il partageroit ce qu'il avoit }


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avec eux. Ils apportèrent aux vaiffeaux quatre porcs, 15 21. trois chèvres, & un peu de riz. O r comme cela ècheut le Les Caftillans le jour de Pafques, Magellan commanda que tous fortif- fortenr à terre fént pour entendre la Méfie, & que l'on plantât une p o u r oüirMeffe, grande Croix fur une haute montagne qui eftoit là tout proche, afin que s'il arrivoit quelques autres navires en cet endroit, ils reconnuffent qu'il eftoit arrivé des Caflillans en cette Ifle. Magellan demanda au Roy s'il ne pouvoit point trouver des vivres en quelque lieu, & qu'il en avoit befoin. Il luy repartit, qu'à vingt lieues de là il y avoir une grande Ifle, où il y avoit un Roy qui luy eftoit parent, qui luy bailleroit de tout ce qu'il voudrait. Et parce que M a gellan le pria de luy donner quelque Pilote pour le guider, il s'offrit d'y aller luy-mefme. Magellan luy donna quelques prefens, outre ceux qu'il luy avoit déjà donnez ; & le R o y s'eflant embarqué avec quelques Indiens, ils arrivèrent à ifle de Zebu, qui eftoit fon propre nom. Magellan arrive en l'Ifle de Z e Auffi-toft après il fortit de là ville plus de deux mille b ù . hommes armez de Lances,et de Boucliers, qui s'arrefterent fur la plage pour contempler les Navires avec beaucoup d'eftonnement, parce qu'ils n'en avoient jamais veu de femblables. Le Roy de Muzaguà defcendit à terre, & raconta au Roy fon neveu, que ces gens ne deniandoient que la paix, & qu'ils portoient de riches marchandifes pour troquer & que fur tout il leur fournît des vivres, parce qu'ils en avoient grande difette. L e Roy de Z e b ù envoya dire à Magellan qu'avant toutes chofes, il vouloit qu'il fift paix avec luy ; Et comme M a gellan luy fit dire qu'il en eftoit d'accord, le R o y luy fit dire, qu'il avoit accouftumé, lors qu'il faifoit paix avec des E t r a n g e r s , que les deux Chefs fe tiroient du fang de l'eftomac, & qu'ils beuvoient le fang l'un de l'autre. Magellan luy mande qu'il en eftoit content ; fi bien que Magellan attendant le Roy le lendemain au matin dans Magellan fait la Capitain effe pour faire cette cérémonie, il luy en- paix avec c Roy voya dire, qu'il eftoit fatisfait de fa bonne v o l o n t é , & de Zebù. qu'il tenoit la paix pour conclue. En confideration de B ij


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1521.

L e s Indiens enten lent la Meffe, et Ce f o n t baptif.

H I S T O I R E

cela Magellan commanda que l'on tirât toute l'artillerie des Navires, dont les Indiens furent tellement émerveillez & épouvantez tout enfemble de cette nouveaut é , que fi cela fe fût fait devant l'eftabliffement de la paix, il ne fût demeuré aucun homme dans la Ville qui n'eût pris la fuite. L'on porta auffi-toft après dans les vaiffeaux quantité de volailles, des porcs, des chèvres, du riz , des cocos , & de diverfes fortes de fruits ,et les Caftillans ne baillèrent en échange de toutes ces chofes que des fonnettes, des grains de chapelets, & autres babioles de verre. Quatre jours après, pendant lefquels les Caftillans fe donnèrent au cœur joye des vivres qui leur coûtaient fi peu , Magellan commanda de faire en terre une maifon de pierre, où l'on pût dire la Méffe. Cette Maifon ayant efté baftie en peu d e temps, il fortit des vaiffeaux avec tons fes gens pour oüir la Meffe. Le Roy y vint, la Reine & fon Fils, avec les principaux de fa maifon, pour voir ce que les Chrétiens vouloient faire. Ils furent fort attentifs à voir faire les cérémonies de la Meffe, & par le moyen de l'interprète le Preftre leur déclara les principaux points de lafoy Catholique 3 Puis après qu'ils en furent éclaircis, ils dirent qu'ils vouloient eftre Chreftiens, fi bien que le Preftre les baptifa, & en fuite tous ceux de la Ville ; & Magellan commanda que l'on mît devant l'Eojife une grande Croix.

C H A P I T R E De la mort de Fernand de Magellan.

IV. Ze navire de faint

Antoine arrive a Seville. Pres que les Indiens furent baptifez, Magellan croyant que toutes ces chofes s'acheminoient felon fon intention, commanda que l'on fift une maifon de Contractation, qu'ils appellent Factorerie, ou pour mieux dire Magafin, pour troquer des vivres ; & il y

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INDES

OCCIDENTALES,

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I.

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âvoit quelque apparence qu'on luy avoit donné quel1521 que connoiffance de rifle de Burney, & pour ce fujet il faifoit entendre qu'il vouloit fortir de-là pour y aller, parce qu'il y avoit grande quantité de vivres, & qu'il y apprendrait pluftoit des nouvelles des Ifles des Moluquesy qu'il c h e r c h o i t , dont les Caftillans eftoient fort joyeux. O r il y avoit plufieurs Rois dans cette Ifie de Z e b u , qui eft l'une des Philippines ; & il arriva qu'ils avoient guerre entr'eux ; & parce que ce Roy eftoit déjà Chreftien , qu'il s'eftoit déclaré vaffai de la couronne de Caftille, & qu'il préparait un grand prefent pour envoyer au Roy, Magellan luy voulant faire voir Ambaffa de de Magellan au combien il avoit gagné en l'amitié des Caftillans, en- Roy de Zebù, voya dire aux autres Rois de i f l e , qu'ils euffent à venir reconnoiftre le Roy Chreflien. Il y en eut deux qui obeïrent, mais les antres deux ne fe mirent pas fort en peine de fon mandement. Sur ce refus Magellan partit dans deux Barques fur le minuit, & alla brûler le village de l'un de ces Rois, Remporta tous les vivres qu'il y rencontra. Le lendemain il envoya dire au Roy de Matau qu'il bruleroit fes Villages comme il avoit fait les autres, s'il n'obe'ijfoit au Roy chrétien. Il luy fit réponfe, qu'il y vinft, & qu'il l'attendroit ; Et que ce R o y Chreilien dît à Ma-

te

Roy C i t é -

gellan qu'il abandonnât cette entreprife, parce qu'on tien confeille Magellan de luy avoit donné avis que les deux Rois qui luy avoient n'aller pas c o n obey, & l'autre dont on avoit brûlé le Village, eftoient tre le Roy de déjà dans Matau, qui l'attendoient avec plus de fix mil- Matau. le hommes. Mais nonobftant tout cela Magellan ne laiffapas de faire armer les trois Barques, dans lefquelles il mit foixante h o m m e s , parce que les autres eftoient fort langoureux de la faim qu'ils avoient e n d u r é e , et eftoient malades.Le Roy Chreilien voyant fa refolution voulut Raccompagner avec mil hommes , qui s'embarquèrent auffi toft dans des canos. Comme tout fut preil pour partir, le Capitaine Serrano luy dit,-qu'ilne troirvoit pas beaucoup à propos de vouloir entreprendre cette guerre. Car, difoit-il, quel profit en pourra-t-il arriver ? Outre que les Navires eftoient en fi mauvais eftat, que

B iij


14

1521. Magellan ne veut pas fuivre le confeil d i S r xano.

Il refufe auffi le coufeil du Roy Chreftien..

Granit c o m b a t d ' I n d i e n s conJesÇaftil âs.

H I S T O I R E

feu de gens s'en peurroient faifir. Et que fi néanmoins il avoit tant d'envie d'exécuter fon deffein, qu'il n'y allaft p a s , & qu'il y envoyaft quelque autre en fa place. Enfin il ne voulut

recevoir aucun confeil. 11 partit, & arriva à Matau deux heures avant le jour 5 mais parce que la mer s'eftoit retir é e , fes Barques ne purent approcher du Village que d'un trait d'arbalefte. Magellan vouloir auffi-toft l'entourer, mais le Roy luy confeilla d e ne le pas faire jufqu'à ce que le jour fût venu ; parce qu'il fçavoit bien qu'ils avoient fait quantité de foffes, & y avoient fiché des pieux fort pointus ; que fes gens y periroient, & qu'il ne falloit pas s'expofer dans un fi grand péril. Il le pria de le laifTer attaquer premièrement avec fes mille Indiens, et que le fecourant avec fes Caftillans, ils emporteroient infailliblement la victoire. Mais tout au contraire de cela Magellan ne voulut pas feulement y confentir , l e pouvant faire en s'excufant honeftement, & luy dit qu'il fe tint en repos, & qu'il confiderât feulement comment les Caftillans fçavoient combattre fans avoir befoin de luy. L e jour eftant arrivé, il ordonna que quelques-uns desfiens demeuraffent dans les Barques pour les garder. Il fortit donc avec cinquante-cinq hommes;il alla au ViL l a g e , et n'y trouva perfonne ; mais fi-toft qu'il eut mis le feu aux maifons, il parut un efcadron, qui l'attaqua d'un cofté, & cependant qu'il eftoit occupé à fe défendre contre celuy-là,il s'en découvrit un autre de l'autre cofté, qui contraignit les Caftillans de fe divifer. Mais ils chargèrent fi furieufement les ennemis, qu'ils fe réunirent. Ils combatirent une grande partie de la journée,jufques à ce que la poudre vint à maquer auxArquebufiers, & les flèches aux Arbaleftriers ; de forte que les Indiens voyant que l'on ne tiroit plus fur eux,s'approchèrent de plus p r é s , jettant une grande quantité de lances. Comme Magellan vit que les Caftillans eftoient pourfuivis de trop p r é s , il jugea qu'il eftoit à propos de fe retirer ; & le Roy Chreftien qui regardoit toujours tout ce qui fe paffoit, ne fe remua point. O r


DES I N D E S

O C C I D E N T A L E S , L V . T.

15

les B a r q u e s , comme nous avons déjà d i t , eiloient 1521. éloignées de la rive d'un trait d'arbaleile, & les Cailillans s'y voulant retirer eftoient accablez de pierres, de flèches empoifonnées, & de lances que les Indiens leur jettoient. Ils firent tomber le calque de Magellan d'un M o r t de Fernad coup de pierre ; ils le Méfièrent à une jambe, & le jet- de Magellan ;. terent par terre avec d'autres pierres ; & eftant contre terre ils le percèrent d'une de ces longues lances de cannes Indiennes. Ainfi mourut ce grand Capitaine par fa trop grande valeur, & pour avoir par trop de témérité voulu tenter la fortune, & l'avoir voulu comme affujetir à efcient après luy avoir tourné le dos. Cette, mort fut bien regretée de fes g e n s , fe voyant abandonnez de toute efperance, par cette perte. Chriftofle Rabelo Capitaine de la Capitainerie y mourut auffi, & fix LeRoy Chreftien autres foldats. Le Roy Chreftien voyant que Magel- fecourt les C a lan eftoit m o r t , & que les Caftillans dévoient périr , & ftillans avec les luy auffi , refolut de les fecourir ; & il le fît fi à propos, I n d i e n s , qu'ils curent tout le temps de fe retirer dans leurs vaifffeaux, où les lamentations commencèrent lors qu'ils fe virent fans Capitaine, à caufe de la grande affection qu'ils luy portoient, et qu'il les et Fectionnoit ;& ils avoient tant d'amour pour luy, qu'ils euffent fouffert tous les travaux imaginables pour l'accompagner. Ce defaftre D é c o u v e r t e dès arriva le 2.7. Avril de cette année Et ce fut cette fois- Iftes P h i l i p p i nes» là que les Philippines furent- découvertes. Cependant que ces choies arrivèrent à Magellan, le Navire de faint Antoine, navigeant depuis la Guinée en Caftille, arriva à faint Lucar à la fin du mois de Mars, avec le Capitaine Alvaro de la Mezquita, qu'ils tenoient prifonnier par l'ordre de ceux qui l'avoient p r i s , & qui luy avoient fait confeffer à force de tourmens tout ce qui leur avoit femblé à propos pour leur décharge, & dirent tous d'un commun accord, que les cruautez que Magellan avoit exercées, ne procedoient que d e ce qu'ils l'avoient requis en vertu des provifions Royales, qu'il gardât L'ordre qui luy avoit efté donné, pour obferver la route des Moluques en découvrant l'ifle de l'Epice-


H I -S T O I R E rie, parce qu'il ne tenoit pas cette voy; car il tenoit 1521 celle de la cofte du Brefil en de là par la terre ferme, en confumant les vivres fans aucun profit, & perdant le temps, eftant party il y avoit plufieurs mois de faint Lucar. Ils mirent le prifonnier entre les mains des Ofte Navire de S. A n t o i n e arrive ficiers de la maifon de Contraction de Seville, lefquels à Séviille. receurent auffi les informations de cinquante-cinq perfonnes qui eftoient venues dans le vaifleau. Ils le mirent en feureté,& prirent auffi Hierôme Guerre ,Eftienne Gomez, Chinchilla & Angulo, & quelques autres, & laidèrent aller le refte, parce que leur garde eut efté de trop grande dépenfe. Ils mirent auffi le Navire en feur e t é , & tout ce qui eftoit dedans, & donnèrent avis de tout aux Gouverneurs, & au Prefîdent du Confeil des I n d e s , au grand regret des Capitaines Iean de Cartagen e , Louis de Mendoce, Gafpard de Quefada, & des autres, de ce qui eftoit arrivé. Ils ordonnèrent que l'on mît en bonne garde la femme & les enfans de Magellan, qui eftoient alors dans Seville, afin qu'elle ne pût pas paffer en Portugal, jufques à ce que l'on fceût au vray toutes les particularitez de ce qui s'eftoit paffé ; & qu'ils euffent envoyé à Burgos, où eftoit le Confeil iL'qn o r d o n n e cjucles prifon- les prifonniers Alvaro de la Mezquita, Hierôme Guerniers foient m e - r e , Eftienne G o m e z , & les autres, & que l'on gardât nez en Cour. exactement ce qui eftoit dans le vaiffeau , de crainte que quelqu'un n'y touchât ; que l'on ne payât aucun falaire jufques à ce que l'on eût rendu compte de toutes ces chofes ; & que l'on donnât ordre d'aller chercher Iean de Cartagene. 16

C H A P I T R E Les Brigantins

D

V.

que Cortès avoit fait faire & tranfportez à Tezcuco.

font

achevez

Ans ce mefme-temps Cortés ayant eu avis que les deux Villages qui eftoient proches du Lac, & qui


DÉS

INDES

O C C I D E N T A L E S ,

Liv.

I.

17

qui dependoient de la Seigneurie de T e z c u c o , fe forti15 2 1 . fioient ; il y alla avec douze c h e v a u x , deux cens hom- Des Villages qui fe fortifient,puis mes d'Infanterie, deux pièces d'artillerie, & quelques demander parTlafcaltefques ; & à une lieue & demie d'où pouvoient don à Corsés. eftre les Villages,il fit rencontre de quelques efpions qui en eftoient fortis pour découvrir ce qui fe paffoit à la campagne. Il en prit quelques-uns 3 il arriva aux Villages ; il prit les forts 3 il fit b r è c h e , par où il entra, & brûla quantité de mailons. Les Habitans prirent la fuite ; mais il y en eut beaucoup de tuez. Le lendemain trois des principaux vinrent trouver C o r t é s , luy demande rent pardon, & luy offrirent de le fervir ; lequel p o u r eftre vaffaux de D o m F e r n a n d , les récent en grace ; outre que comme il eftoit clément de fon naturel, il jugeoit qu'il eftoit à propos de l'eftre en cette guerre, Le lendemain il arriva des Indiens de ces mefmes Villages qui eftoient bleffez, et fe plaignoient de ce que les Mexiquains eftoient entrez chez eux ; qu'ils s'y eftoient fortifiez., & qu'il les en avoient chaffez ; qu'ils apprehendoient d'y retourner; & qu'ils prioient qu'on les fecourût. Cortés les fit penfer, & leur dit que lorsqu'il Ceux de Chalco feroit temps ils l'en advertiffent. C e u x de Chalco vin- demandent du rent auffi le plaindre, demandant dufecours. O n leur feeours à Certes. promit de leur en d o n n e r , lors qu'on envoyeroit au devant des Brigantins, & que l'on ne le pouvoit pas faire pluftoft. Mais comme il arriva des Ambaffadeurs de Guaxocingo de Chulula, & de Guchachula, pour fçavoir comment le tout alloit, & fi on avoit affaire de davantage de gens, parce que depuis que l'armée eftoit partie on n'en avoit receu aucunes nouvelles ; il leur recommanda d'avoir foin de ceux de chalco, à caufe qu'ils eftoient fujets de la couronne de Caftille,, auffi bien q u ' e u x , & qu'ils ne fe reffouviniffent plus des anciennes querelles & inimitiez Ils tombèrent d'accord de cela, & deflors ils demeurèrent tous bons amis. C e u x qui affiftoierit Martin Lopez en la fabrique des Brigantins , apprirent qu'il eftoit arrivé à la V e r a C r u z un Navire dans lequel il y avoit quarante foldats et huit }

C


18

H I S T O I R E

chevaux, avec quelques arbaleftes, des efcoupettes,& de la poudre ; & comme le chemin n'eftoit pas feur, & que Cortés avoit défendu que perfonne n'y allât fans fa permiffion, de crainte de courir rifque de la vie ; de n'ofant pas contrevenir à fes ordres, ils ne fçavoient par quelle voye luy donner avis de ce fecours qui eftoit arrivé. Mais un fien ferviteur âgé de vingt - cinq ans fe chargeant de cette n o u v e l l e , & de l'avis que l'on avoit , que les Brigantins eftoient a c h e v e z , penfanc rendre un bon office à fon Maiftre, fortit de nuit. & faifant diligence en ce voyage, après avoir pris des vivres fuffifamment ce qui luy en falloit, il fe cachoit de jour, et ne cheminoit que de nuit ; quoyque quelquefois il fe vît en péril, il ne laiffa pas que d'arriver heureufement à l'armée , au grand eftonnement de tous au grand contentement de Cortés de recevoir Gonçale de San- de fi bonnes nouvelles. Sans perdre de temps, il endoval va pour voya auffi-toft. Gonçalede Sandoval avec quinze cheapporte : les Brivaux, & deux cens hommes d'Infanterie pour faire apgantins. porter les Brigantins ; avec ordre de ruiner en panant le village de Zulapeque, qui depuis fut appelle ,le village des Maires, qui confine avec la Seigneurie de Tlaf cala, parce que ce fut de ce lieu que fortirent ceux qui tuèrent & prirent les trois cens Tlalcalteques, cinq chevaux, & vingt-cinq foldats Caftillans qui alloient de la Vera Cruz à Mexique, lors que Cortés y eftoit comme affiegé, lefquels mirent dans les Oratoires de Tez CUCO , les peaux des chevaux , avec leurs quatre pieds & leurs fers, auffi adroitement que l'on l'auroit pu faire dans l'Europe, & attachèrent les habits & les armes des Caftillans dans leurs Temples par trophée , & leurs peaux comme colées contre les murailles. T a n t y Caftillans-facri- a que Sandoval partit avec un defir extrême de châtier fiez d a n s Tezcu- cette cruauté 5 parce que tout cela fe trouva dans T e z Co. cuco, chaque jour ils fe le reprefentoient devant les yeux. Le cas écheut de cette forte ; Q u e les Indiens les ayant receus dans Zulapeque fous une apparence de paix, & bien traitez, pour leur ofter toute force de 15 2 1.


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 1 9 foupçon y ils forcirent puis après fur eux comme ils a voient defcendu de cheval pour monter une montagne fort âpre 5 & furprirent auffi l'Infanterie dans un lieu où les foldats ne fe pouvoient pas fervir de leurs arm e s , & les menèrent dans T e z c u c o , où ils facrifièrent ceux qui eftoient reliez e n v i e , defquels l'on fit ce que nous venons de dire. Sandoval arriva à de certains Palais, avant que d'entrer dans Z u l a p e q u e , où il trouva écrit avec du charbon ; Icy fut le mal-heureux

/

15 2 1.

Jean Iufte , ce qui émeut

toute l'armée à compaffion. C e u x de Zulapeque ayant Sandova! châtia ceux de Z u l a p e apris que les Caftillans les alloient vilîter fe fauve- q u e pour leur rent auffi-tofl par la fuitte. Ils furent pourfuivis. L'on peifidie. en tua,& prit quantité, qui furent tous faits efclaves pour punition de leur perfidie. Et aux autres qui vinrent puis après demander p a r d o n , Sandoval leur donna la v i e , parce qu'ils confefferent leur faute, & promirent que de-là en avant ils ne fe laifferoient plus tromper par le Démon. Cependant que les chofes fe paffoient de la forte,, Martin L o p e z , que Cortés folicitoit toujours de mettre les Brigantins en eftat de naviger , fit par le moyen de quantité d'Indiens un grand canal en la rivière de Zahualt, qui paffe par Tlafcala, & en trouva l'invention fort bonne,, ainfi qu'il fe dira cy-apres. Et Alonfe d ' O j e d a , Iean Marquez, Iean Gonçalez & deux autres Caftillans, ne trouvant pas à propos d e tarder davantage, les furent defarmer & charger. Il fortit donc cent quatre-vingt mille hom- Les Brigantins partent de T l a £ mes, que la Seigneurie d o n n a , e n bon ordre jufques au cala. village appelle Guarilipa, de la Iurifdi&ion de Tlafcala, où il avoit efté arrefté que l'on les devoit trouver. Et comme ils tardoient trop, les Tlafcalteques difoient qu'ils citaient affez baftans pour les conduire, & que l'on n'attendît pas davantage : mais les Caftillans les entretenans de paroles, leur difoient qu'encore que cela fut véritable, il falloit garder l'ordre du General ; E t nonobstant tout cela au bout de huit jours qu'ils eurent attendu, parce que Sandoval tardoit trop à v e C ij


20

H I S T O I R E

nir j ils partirent, ila première journée furie minuit les fentinelles entendirent cheminer des chevaux que Sandoval avoit envoyé pour reconnoiffre la quantité de feux qu'il avoit apperceus ; & comme ils retournoient pour donner avis de ce que c'eftoit , ils rencontrèrent Sandoval, qui les fuivoit avec deux cavaliers, &; l'armée eftoit demeurée à une lieue de-là. Le lendemain, ils fe visent t o u s , Enfeignes déployées, au grand contentement des uns & des autres , et commencèrent à L'ordre que tiët marcher. Huit mille hommes cheminoient devant., deux l'armée pour la c ô l u i t e des Bri- à d e u x , qui portoient la charpenterie & les ais des Brigaatins. gantins. Pour l'avant-garde de l'armée il y avoit huit chevaux, & cent hommes de pied, Caftillans, & autant pour l'arriere-garde. Aux deux aifles cheminoient Jyutecatl, et Teutepil principaux Seigneurs de Tlafcala,, qui avoient chacun dix mille Indiens, chechimocatl, autre Seigneur Tlafcalteque, cheminoitaufîi accompagné de dix mille , qui menoit l'arriére - garde. Les autres L'ordre que l'on pour n'eftre pas neceffaires s'en retournèrent. Comme obferve pour tranfporter les ils commencèrent à entrer dans les terres Mexiquaines, Brigantins. ils jugèrent à propos de prendre un autre ordre pour la marche ; et firent cheminer la charpenterie , & les ais C h i c h i m e c a t l fe derrière à caufe de l'embarras. Chichimecatl, Capiforma'îfe de ce q u ' ô ne luy bail- taine des gens qui la conduifoient, prit cela pour un le pas la pointe. affront, dilant qu'enterre d'ennemis il vouloit aller le premier 5 que dans les batailles les plus fanglantes il avoit toujours marché devant ; & que fes devanciers l'avoient obfervé ainfi ; et que quand mefme il feroit queflion d'entrer dans Mexique, c'efloit luy qui devoit foûtenir le premier choc. Mais Gonçale de Sandoval luy ayant dit plusieurs raifons là-deffus, cela l'adoucit quoy qu'avec grande difficulté. Ils entrèrent le quatrième jour dans Tezcuc, & pour les bien recevoir ceux de la ville s'eftoient vêtus plus proprement qu'à l'ordinaire. Ils mirent leurs pennaches avec leurs de vifes, qui paroiffoient beaucoup. Cortés fortit au d e vant de l'armée en bon ordre ,& bien accompagné. Il embraffa les Seigneurs Tlafcalteques, &i leur fit beau-

1521.


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I . 21 coup de civilitez. Il confiderala marche de l'armée qui dura plus de frx heures. Il la logea & regala ; et tous ceux qui la compofoientluy témoignèrent qu'ils étoient dans l'impatience, qu'ils ne funent aux prifes avec les Ennemis.

C H A P I T R E De

1521.

VI.

la grande induflrie que l'on apporta pour expo fer dans le Lac de Mexique les Brigantins.

D

Ans ce mefme-temps Cortés eut avis qu'il eftort arrivé à la Vera Cruz quatre Navires qui venoient de faint Dominique, dans lefquels eftoient v e nus deux cens Caftillans, quatre-vingt chevaux, des armes & des munitions , fous la conduite de Iulien d'AI- Iulien d'A'deret e a r r i v e à la V e - . d e r e t e , qui fut le premier Treforier que le Roy eut ra Cruz arec dudans la nouvelle Efpagne. Ils en partirent auffi-toft, & fecouçs. arrivèrent à Tezcuco en fort eon eftat. Cortés fut fort joyeux de voir ainfi augmenter fes forces. il fit diligence d'armer les Brigantins. Et comme ils eftoient a demy lieue du Lac, et dans un ruiffeau où il y avoit peu d'eau, ils firent ( félon ce qu'en a écrit Martin Lopez ) par le travail de dix mille Indiens un grande foile, comme un eftang, & fi grande qu'elle pouvoit contenir tous les Brigantins ; puis de diftance en diftance ils rirent des foffez pour les faire parler les uns après les autres 5 avec des engins. Mais comme ils eftoient garrez il furvint une fi grande bourafque d'eau, de vents, que fi l'on n'y eut donné ordre en diligence , ils fe fuffent brifez les uns contre les autres. Et I n v e n t i o n p o u r faire couler les dans le dernier foffé qu'ils creuferent, il s'y rencon- Brigantins dans tra une r o c h e , qu'il fallut de neceffite caffer à force le Lac. de pics & de maillets de fer, & y faire une gliffoire, afitt que les Brigantins venant à couler avec l'abondance d'eau les uns fur les autres, ne fiftent point de naufrage en entrant dans le Lac par le trop grand C iij }


22

H I S T O I RE

faut'qu'ils feroicnt. Le matin que cela fe devoit faire l'on mit toute l'armée le longkie la rive du Lac. L'on y dit la Meffe du faint Efprit en grande folemnité. Tous les Caftillans fe conférèrent & communièrent, dont le Capitaine fut le premier qui en montra l'exemple. Le Preftre bénît les V ai {féaux, dit planeurs Oraifons^& fit une dévote exhortation aux foldats fur le fervice qu'ils rendoientàDieu,et fainte intention qu'ils dévoient avoir dans une action de fi grande importance, & comme ils la dévoient exécuter. Le fignal eftant donné, l'on L'on fait couler déboucha le canal, & les Brigantins fortirent fans fe toules Brigantins cher l'un l'autre, & s'eftant feparez dans le Lac, l'on déd a n s le L a c ploya auffi toft les Enfeignesi la mufique commença à frâper les oreilles., et l'artillerie fit retentir l'air, & fur le Lac, & fur la terre dans les deux armées, tant Caftillane, qu'Indienne. L'on dit auffi-toft le TeDeum laudamm, de ce qu'une affaire de fi grande confequence & où il avoit falu employer beaucoup d'efprit & de diligence, avoit reiiffi fi heureufement. Et il eft tres-conftantque treize navires tels que ceux-là, portez furies épaules des hommes vingt lieues durant, fabriquez dans une terre où il n'y avoit point de préparatifs pour cela, ny aucune apparence des matériaux qui y pouvoient fervir, fut un ouvrage du Ciel, pour avoir efté fait & mis en perfection avec tant de facilité. Cette affaire eftant achevée, qui eftoit ce que Cortés fouhaitoit le plus, il envoya à la Villa Rica Alonfe d ' O La façon d o n t jeda avec cinq mille Tlafcalteques, pour faire venir d ' O j e d a fe fer vit pour faire tranf- deux grandes pièces d'artillerie, de fer, qu'un Navire p o r t e r deux c a - de lamayca y avoit laiffez. Il arriva donc à la Ville R i nons. ca, quoyqu ileut eudiverfes efcarmouches en chemin contre les ennemis. Il démonta les canons & les mit dans des goutieres de bois , & fît mettre les futs à part, chacun eftant porté par vingt Indiens, que l'on rechangeoit de fois à autre. Il fit porter quelques barils defardines pour l'armée, qui n'avoit jamais affez de vivres. Il fitplufieurs rencontres dans le chemin ; parce que cornme les ennemis le voyoit embarafle avec ces charges, 1551.

3

?


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Lîv. ï.

23

cela leur donnoit fujet de rifquer, mais les Tlafcalte1521. ques combattoient vaillamment. En entrant dans les limites de Tlafcala, ils fortirent au devant d'eux dans les chemins avec des vivres, & ils en tiroient mefmes des maifons des champs. Il fut fort bien receu & logé dans Ojeda e n t r e das avec les Tlafcala. Il y repofa un jour & ces Seigneurs luy don- Tlafcala deux canons. nèrent d'autres Indiens de c h a r g e , & d'autres gens de guerre 3 parce que ceux-là eftoient fort fatiguez, & luy fournirent de tout ce qu'il avoitbefoin de bonne volonté ; &c luy dirent qu'ils n'avoient jamais voulu entendre à aucun party que les Mexiquains leur ofFroient, lefquels quoy que barbares faifoient toutes les diligences poffibles, tant en fecret qu'en public de les aider ; mais qu'ils ne voudraient pas,pour quoy que ce fut manquer à la promemé qu'ils avoient faite à Cortés. Ojeda alla coucher la première journée qu'il fortit de Tlafcala à Xaltoca, le fécond jour à Guaulipan où il repofa deux jours. De-là il alla à Capulalpa, & le lendemain il entra à deux heures de nuit dans Tezcuco, & Cortés pour re- Ojeda eft crée des ineompenfe de ce fervice, & des autres qu'il luy avoit General diens. rendus, outre qu'il entendoit & parloit bien la l a n g u e , il le fit General de cent quatre-vingt mille Indiens qui eftoient dans le Camp. Cortés voyant que fes Indiens eftoient ennuyez de ce C o r t é s va c o n Mexiqu'ils n'avoient rien à déméler avec les Mexiquains, for- qtreu a iles n s pour c o tit à la campagne avec trente chevaux, & trois cens hom- tenter les Tlafmes de p i e d , & Ojeda avec quarante mille Tiafcalte- c a t e q u e s . ques,laifTantle refte de l'armée à Sandoval ; & de crainte que ceux de Tezjuco n'en donnaffent avis aux M e x i quains, fans faire fçavoir où il alloit, il prit la route d'un cofté du Lac en tirant vers le Nort. A quatre lieuës de-là il rencontra un grand efcadron d'Ennemis. Il les inveftit avec les chevaux, & les mit en fuite. Les Tlafcalteques leur donnerent la chaffe, ils en tuerent quantité, & eurent un grand b u t i n , de couvertures, de boucliers, de pennaches, & de joyaux. Ils dormirent cette nuit au milieu de la campagne. Le lendemain l'armée continua fa marche, & alla à Xaltoca, qui eft fitué dans un autre. Lac 3


24 1 5 2 1.

Iufques o ù s'et e n d o l t le Lac de M e x i q u e .

Cortés arrive à T a c u b a avec l'aimée.

HISTOIRE

different de celuy qui entre dans Mexique de Tezcuco ; & d'autant que ceux du vilage fe gauffoient des CaftilJans à caufe de la quantité de ruiffeaux qui les rendement forts, ils entrerent dans l'eau jufques à la ceinture 3 de quoy que ces gens combatiffent avec des pierres, des Macanas, desf l é c h e s ,de autres armes, de qu'ils Blefferent plufieurs Caftillans, ils furent enfin forcez. Le vilage fut pris, il en fut bruflé une grande partie, ayant enlevé tous les vivres qui s'y rencontrerent, l'arm é e paffa plus avant, & fit un foupé allez maigre. Le lendemain ils partirent de grand matin, de rencontrerent les ennemis, qui fans les ofer attaquer, fe contentoient de crier apres e u x , de allerent à un autre village appelle Gautitlan, à quatre lieues de M e x i q u e , qu'ils trouverent abandonne. Ils y pafferent la nuit. D e l à ils allerent à Tenayuca, à deux lieuës de Mexique jufques ou le Lac alors aboutiffoit, où ils ne trouverent aucune refiftance. D e l à ils pafferent à Efcapuzatco,qui efloit auffi fur le L a c , de qui n'eftoit qu'à une lieuë de la Ville. Il paffa à la ville de Tacuba, de la trouva forte de gens, de fortifiée par plufieurs canaux plus larges de plus profonds que ceux des autres villes. Mais quoy que les Habitans fe miffent en defenfe, la place fut prife & il y en eut quelques-uns de tuez. Cortés refolut de f e l o ger dans la ville, où il fut toufiours fur fes gardes.

C H A P I T R E

VII.

De quelques courfes que fit Cortés dans les terres de Mexique & de Tezcuco.

L

Les Tlafcalteques pillent Ta cuba.

E lendemain les Tlafcalteques pillerent Tacuba, de bruflerent quantité de maifons, de en fix jours que Cortés y féjourna, à caufe que ce lieu luy fembloit fi proche de M e x i q u e , que fon affiette eftoit fort bonn e , de quelle vouloit faire fçavoir qu'il eftoit là ; il fit des forties, où les Tlafcalteques fe fignaloient, tant en general


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv.

I

25

general qu'en particulier, en vainquant la plufpart du 1521. temps. 11 s'y fit plufieurs défis d'homme à homme, de deux contre d e u x , & de quatre contre quatre ; & c'eftoit une chofe belle à voir & d'entendre ce qu'ils fe difoient les uns aux a u t r e s , & la rage avec laquelle ils combattoient ; parce qu'eftant venus aux prifes, il ne faloit point parler d'autre chofe que de vaincre ou de Des injures q u e mourir. Les Mexiquains difoient ; Infames valets des les Mexiquains

Chreftiens, qui n'euftes jamais la hardieffe de mettre le pied & les Tlafcalteou vous eftes maintenant, que fous leurs aufpices, nous vous ques s'entredifoient. mangerons, & eux auffi à la capilotade & en fopiquets, parce que nous vous ferions trop d'honneur de vous tenir pour des ef claves. Les Tlafcalteques leur repondoient ; Nous vous avons toujours fait fuir comme des poltrons, & fans foy ; & vous n'eftes jamais échapez de nos mains fans avoir efté vaincus. Vous efles les femmes, & nous femmes les hommes ; puis que vous efles en fi grand nombre & que nous fommes fipeu, jamais vous n'avez pû entrer dans nos limites, comme nous avons fait dans les voftres. Les Chreftiens ne font pas des hommes, mais des Dieux, puis qu'un feul efl baftant de vaincre mille des voftres. D e forte donc que par ces inju-

res ils s'échaufoient tellement que par une furie enragée ils fe déchiroient en pieces. E t les Mexiquains ufoient de toute forte d'adreffe & de fubtilité pour en prendre quelqu'un, afin de le facrifier, & pour affouvir leur rage. Ils fe mettoient en embufcade, puis ils feignoient de prendre la fuite pour les faire avancer jufques dans la chaufféc, afin de les y attraper. Ils ufoient quelquesfois de ftratagemes, & difoient en fe gauffant, Venez Meffieurs les braves & les vaillans, venez, combattre* vous ferez^aujourd'huy Seigneurs de Mexique. D'autres difoient; Venez vous réjoüir, vous trouverez la table mife, & les viandes toutes preftes. E t d'autres difoient encorie,iln'yaplus ny a plus de Montezume pour faire ce que vous voudriez, retournez vous-en à voftre terre. Cortés arriva à un pont qui

eftoit levé, il fit impofer filence, puis demanda aux M e xiquains fi le Seigneur eftoit là, & qu'il luy voulait parler. Ils firent réponfe, qu'ils eftoient tous Seigneurs, & qu'il

D

Ce q u e les M e xiquains r é p o n dent à C o r t é s .


26

1521,

H I S T O I R E

d e c l a f t hautement ce qu'il avoit envie de dire. Cortés fe

t e u t , car il eftoit fafché de cette reponfe ; & ils luy repartirent encore ; Penfe-tu, Cortés, que les chofes foient difpofées comme elles eftoient far le paffé ? certes fi tu te l'es imaginé ainfi, tu t'es bien trompé en ton calcul, car & de toy & des tiens nous devons faire un grand banquet, & une gran-

de fefte à nos Dieux.

Il y eut un Caftillan qui leur dit,

qu'ils ne devoient pas tant faire les rodomons, eftant enfermez comme ils eftoient ; & ils firent reponfe, que quand ils auroient faute de pain ils mangeroient les Caftillans & les Tlafcalteques, puis qu'ils avoient la chaffe devant eux, ils jet-

terent des gaffe aux de m a y z , en difant, mangez malheureux, car vous avez faim, mais nous par la grâce des Dieux

Cortés retourne à Tezcuco.

Defy d'un M e xiquain.

Cortés fait ofter l ' o r a u x Tlafcal-

nous en avons de refte ; puis ils remuoient les bras & les mains, témoignant avoir un defir d'en venir aux prifes. Cortés voyant qu'il ne pouvoit parler à Quantimoc, qui eftoit ce qu'il avoit le plus fouhaité, s'en retourna à Tezcuco. Avant que de fortir de Tacuba, il arriva dans un Cano un Indien feul, grand, & le corps bien fait, bien ajufté, avec l'épée & le bouclier, & mettant pied à terre fur la chauffée, dit qu'il défioit les Caffillans un à un, parce que leurs Dieux eftoient alterez de leur fang & comme perfonne ne luy difoit m o t , il dit 5 Sus donc, à quoy penfez-vous, coüards que vous elles ? Il y eut un foldat appelle Gonçale Hernandez qui ne pouvant fouffrir cela prit fon bouclier & fon e p é e , & s'en alla à luy : mais le Mexiquain s'enfuit. Le foldat voyant cela fe jetta en l'eau pour l'attaindre, & luy donna des coups d'eftocade qui le firent tomber dans le C a n o , de comme il luy vouloit couper la t e l l e , il arriva tant de Canos qu'ils enleverent le Caftillan, quoy que les autres Caftillans fiffent tout ce qu'ils pouvoient pour le fecourir ; mais enfin comme Diego Caflellanos avoit tué un grand Seigneur d'un coup de pierre qu'il luy avoit jettée à la tefte, les Ennemis furent tellement occupez à le fecourir que Goncale Hernandez trouva moyen de s'échaper. Comme Cortés vit que les Tlafcalteques eftoient


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INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv.

I.

27

tout éclatans des dépouilles, ce qu'ils n'avoient pas ac1521. c o u t u m é de porter à caufe de leur p a u v r e t é , il dît à teques dont ils Ojeda & à fon compagnon Iean Marquez. Vous eftes font mal confafchez, ce me femble, de cela ; mais prenez leur or , & laiffez tens. leur les bardes. O r il ne dit pas cela à des fourds , parce qu'ils le tirent auffi-toft, & ils en trouvèrent plus de trois mille poids. Mais auffi le lendemain l'on trouva faute de dix mille Tlafcakeques , qui s'en eftoient allez par d e pic. Le lendemain il fe fit une autre recherche , & il s'en trouva encore autant de manque. Et le troisiéme jour il s'en manqua la troifiéme p a r t i e , que l'on prétendoit avoir emporté plus de cinquante mille poids, & la valeur de plus de deux cent mille ducats de hardes. D e forte qu'après que l'on eut vu qu'ils n'eftoient parcontens qu'on leur oftaft leur butin , on ne leur ofta plus ce qu'ils avoient eu de bonne guerre ; & les Seigneurs n'en faifoient point de recherche , & ainfi ils fe remirent dans le devoir. Auffi toft après ceux de Chalco Ceux de Chalco demandent du vinrent demander du fecours,parce que les Mexiquains fecours à Corconfiderant le tort que la perte de cette place leur cau- tés. foit, vu que la plupart de leur provifion de m a i z , de bois, &; d'autres chofes venoit d e - l à , ils avoient envie de les ruiner ; & Cortés eftoit obligé de les fecourir pour empêcher qu'ils ne les afliegeaffent. Il y envoya Gonçale de Sandoval avec trois cens hommes de pied , & vingt chevaux. Il paffa la nuit dans Tlamanalco , & comme il fut arrivé à Chalco , il trouva des gens de guerre d e Guaxocingo, & de Guacachuha, qui l'attendoient, & allerent tous enfemble à Guaftepeque, où eftoient les garnifons Mexiquaines qui fortirent au devant d'eux pour les combattre C e u x de Chalcolts attaquèrent des premiers , qui furent fecourus parles Caftillans, mirent les Mexiquains en déroute. Gonçale de Sandoval & A n d r é de Tapia fe fignalerent cette journée-là. Les Tlafcakeques s'occupèrent à piller la p l a c e , parce que l ' o n y faifoit quantité de pièces de cotton ; & pendant le lac de la p l a c e , Gonçale de Sandoval apprehendoit q u e les Ennemis ne retournaient ; ce qu'ils ne manqueD ij


28 HISTOIRE rent pas de f a i r e , & entrerent combatant jufques au 1521. Bataille des Me- milieu de la place, mais ils furent bien-ton ; repouffez & xiquains contre pourfuivis plus d'une lieuë avec beaucoup de perte des les Caftillans. leurs. Delà l'armée paffa à Capiftla lieu fitué fur une haute montagne ; mais la quantité de pierres que ceux de dedans jettoient,jointe à la difficulte de la fituation, les chevaux n'y pouvoient monter,ny les Tlafcalteques n'en ofoient approcher. On les fomma de fe rendre,ou de faire la paix ; & ils ne répondoient que des extravagances 6c des faletez. Gonçale de Sandoval & André de Tapia, tinrent cela pour un affront, & dirent que c'eftoit une honte à eux que l'on dift qu'il y euft une place Vaillante refo- forte pour des Caftillans, & prenant leurs boucliers en lution des Caftillans à l'affautinvoquant faint lacques, commencerent à monter, & apres eux quantité de foldats, les uns t o m b a n t , les aude Capiftla. tres fe foutenant avec leurs mains pour s'aider à monter ; & quoy que les Indiens fiffent tous leurs efforts pour refifter, la place fut neanmoins prife de force. André de Tapia, Hernand de Ofma, & plufieurs autres furent blefiez. Les Indiens alliez voyant que les Caftilians avançaient dans la place combatirenta u f f i ,Ilen fut tué quantité du cofte des Ennemis, & l'on en jetta tant, du haut en bas de la roche qui eftoit à cofté du lieu, qu'une petite rivière qui paffoit par le bas fut tellement teinte du fang qui ruiffeloit dedans,que quoy que la foif que les foldats fouffroient fuft grande,ils furent un long efpace de temps fans en pouvoir boire. Apres cette prif e , Sandoval ayant fatisfait aux. plaintes de ceux de Chalco, il s'en retourna à T e z c u c o , mais à peine y futil entré, que les Chalcoteques revinrent fe plaindre que les Mexiquains les attaquoient tout de nouveau avec beaucoup de furie, afin de leur empécher de pouvoir eftre fecourus. Cortés commanda à Sandoval d'y retourner avec les mefmes gens qu'il y avoit déjà menez. Ceux de Chalco fortirent au devant des Ennemis pour les reLes C h a l t o t e - cevoir. Ils combatirent contre e u x , 6c la bataille fut ques c o m b a t e n t fanglante de part & d'autre , & enfin les Chalcoteques contre les M e vainquirent les Mexiquains. Ils en prirent quarante, & xiquains,


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , L i v . I.29

un Capitaine, & les vaincus fe fauverent dans les Ca1521 nos. Sandoval arriva là deffus, & trouva la campagne pleine de m o r t s , & les Chalcoteques glorieux. Ils luy donnerent les prifonniers, & s'en retourna à T e z c u c o . Mais Cortés bailla la liberté aux Mexiquains, & les re- Cortés fait b o n ne guerre aux gala. Il faifoit la mefme chofe envers tous ceux qu'il M e x i q u a i n s . prenoit, parce qu'il avoit envie de donner une bonne fin à cette g u e r r e , & de gagner le cœur des peuples.

C H A P I T R E

VIII,

Cortès fort de T e z c u c o en faveur de ceux de Chalco, & prend Quaunavac, forte place.

D

eja le chemin de la Vera Crux eftoit plus feur qu'il n'avoit eftépar le paffé, & l'on recevoit des avis plus fouvent du cofté de la mer ; il arriva donc un meifager qui avoit apporté quelques arbaleftes & des arquebufes, qui donna avis qu'il eftoit arrivé des Navires à la Vera C r u z , avec du monde. Le Samedy Saint ceux de Chalco vinrent encore demander du fecours, à caufe que plufieurs peuplades fe revoltoient contre eux. Cortés dit qu'il y vouloit aller en perfonne, & comme il fut preft de partir, il arriva des Ambaffadeurs des Provinces de Tucapan,de Maxcalcingo, & d'Autlan, avec de grands prefens, qui requeroient fa faveur, & s'offrirent d'effre vaffaux du grand Seigneur des Chreftiens. Cortés les Cortés va f e c o u les C h a l c o t e reçeut fort honneflement, & les depécha incontinent, rir ques. & leur dit qu'il alloit fecourir les chalcoteques, tout ainfi qu'il les fecourroit eux lors qu'ils en auroient befoin. Il fortit donc le cinquiéme jour d'Avril avec trois cents hommes de p i e d , trente de cheval,& vingt mille tans Tlafcalteques, que Tezuquois, & laiffa le refte de l'armée à Sandoval ; avant qu'il fut arrivé à chalco quarante mille Indiens alliez s'eftoient encore joints avec que Et reçoit en luy. Il s'y arrefta peu, parce qu'il avoit deffein de fai- chemin quaranre un tour vers le Lac ; & comme il eftoit en chemin on te mille lndiens. D iij


H I ST

30

1521

}

Sortes fonge à conferver la reputation.

Cortés attaque une roche.

Çortés arrive à Guaftapeque.

O I

RE

luy donna avîs qu'ils l'atcendoient dans la campagne. Il paffa la nuit dans une peuplade de la Seigneurie de Chalco coordonna que l'armée fuit prefte à la pointe du jour. Il partit apres avoir oüy Melfe, & alla paffer à deux heures de relevée entre de certaines montagnes fort afpres, où il rencontra dans l'antre d'une roche quantité de femmes & d'enfans, & à la d e f c e n t e , des gens de guerre qui firent des huées. Cortés s'imagina auffi-toft que de paffer outre fans attaquer ces gens, ce feroit donner occafion de l'açcufer de coüardife, & que de les vouloir inveftir dans cette fortereffe ce feroit une temerité ; mais nonobstant tout cela, jugeant qu'il n ' e ftoit pas à propos de laiffer ces Ennemis derriere eux ; ny de les pouvoir prendre par la faim, parce qu'il euft falu trop de temps pour cela 5 il refolut de les attaquer par trois endroits. Il bailla le premier 6c le plus afpre à Chriftofle de C o r r a l , Enfeigne, homme courageux 6c vaillant. Le fecond aux Capitaines François Verdugo, Se à Iean Rodriguez de Ville-Fuerte, & le troifiéme, aux Capitaines Petro de Irzio, & à André de Monjarv a z , avec ordre que fi-toft qu'ils entendroient le fignal, ils attaquaffent tout d'un temps. Ce commandement fut executé vaillamment. Ils prirent les deux coftez de la r o c h e , Se ne purent paffer outre à caufe de l'afpreté du lieu Se pour la quantité de pierres 6c d'autres chofes qu'ils jettoient d'enhaut qui les incommodoient fort ; & il y eut vingt Caftillans de bleffez 6c deux de tuez ; outre qu'il y montoit force fecours de gens qui y montoient de la campagne, dont elle eftoit pleine ; fi bien que l'on trouva à propos de fe retirer, & que la Cavalerie attaquaft ceux de la campagne 5 ce qui fut fait, Se on les r e lança de telle forte qu'ils furent contraints de l'abandonner. Ceux de la roche fe voyant privez de fecours, defcendirent pour demander pardon, Se fe rendirent, 6c s'offrirent d'aider à faire la mefme chofe contre ceux qui deffendoient un autre paffage femblable. Apres la reddition de deux places fi importantes, qui acquit beaucoup de reputation à Cortés, & qu'il euft perduë


DES INDES O C C I D E N T A L E S , LÎV. I. 31 s'il ne l'euft pas fait, il alla à Guaftapeque, & fe logea 1521. dans l'une des maifons du Seigneur, qui eftoit un jardin qui contenoit deux lieuës de circuit, au milieu duquel paffoit une riviere, dont les rives eftoient toutes bordées de quantité d'arbres, & il y avoit d'efpace en efpac e des chambres avec des jardins pleins de fleurs & de Iardin delicieux du Seigneur de fruits. Il y avoit de differentes chaffes, des terres la- Guaftapeque, bourables & des fontaines. Il y avoit dans plufieurs r o chers 6c grottes des cabinets pour prendre la refection, 6c des oratoires avec des veuës ; & les degrez eftoient entaillez dans le roc. L'armée demeura un jour dans ce jardin. Il paffa le fecond jour à Tanrepeque, où les gens de guerre qui y eftoient ne l'attendirent pas,quoy qu'il y en euft quantité. Il les pourfuivit jufques à Xicitepeque, où il en fut tué quantité, & l'ony prit quantité d e femmes ; & comme le Seigneur ne fe prefenta pas, l'on mit le feu au village. Comme Cortés en fortoit il arri- Ceux de Y a n t c va des Meffagers d'un autre village appelle Tantepeque, peque obeïffent aux Caftillans, qui fe declarerent vaffaux du R o y de Caftille. Cortés arriva ce mefme jour à la veuë d'une peuplade tres forte appellée quaunavac, où on n'entroit que Quaunavac l i e u par deux endroits, à caufe de quantité de murailles & tres-fort. de barricades & fondrieres,& les Caflillans ne fçavoient pas où eftoient les entrées ; mais après avoir reconnu la place ils les trouverent. Ils s'en approcherent, s'imaginant qu'il n'y avoit qu'à entrer d e d a n s , & cependant ceux qui y eftoient faifoient beaucoup de m a u x , & fi l'on n'avançoit rien ; & comme on y penfoit le moins, un Tlafcalteque vaillant, paffa par un lieu fort perilleux ; & ceux de la place croyant que les Caftillans entroient par là,épouvantez de c e l a , fe mirent à fuir ; & Hardieffe d ' u n fix Caftillans ayant fuivy le Tlafcalteque eftant entrez Tlafcalteque. dans ce lieu attaquerent à dos ceux qui deffendoient d'un autre cofté une muraille que Cortés attaquoit, 6c où il n'y avoit qu'une fondriere au milieu qui fervoit de foffé. Ceux de dedans troublez de voir ce qu'ils ne fe fuffent jamais imaginé, abandonnerent ce poile, qui Prife de Quaunafurent pourfuivis par d'autres Caftillans & des Tlafcal- vac,


32 1521.

Quelques Indiens meurent 4e foif.

Suchimilco liegé.

af-

Valeur des Mexiquains.

Cottes en péril, un T i a f c a h e q u e le fecour.

H I S T O I R E

teques qui eftoient déja entrez dans la place. Ainfi fut prife cette forte place, & ceux qui la gardoient fe fauverent dans les montagnes : mais le lendemain le Seigneur y arriva qui demanda pardon, 6c rendit obeïffance. Apres que Cortés leur eut pardonne,il continua fa marche vers Mexique au travers de quantité de pins & d'une terre abandonnée, fans guide. Il paffa un détroit de montagne qui dura trois lieues, où l'armée eut grande difette d'eau & de telle forte, que quelques Indiens moururent de foif. Le lendemain ils arriverent à la veuë de Suchimilco, belle ville, fituée dans le Lac d o u x , à quatre lieues de Mexique,& bien fortifiée de tranchées 6c de foffez. Cette ville refufant l'offre qu'on luy faifoit de vouloir entendre à la paix, les Caftillans attaquerent la première t r a n c h é e , & la prirent en demy heure de temps, & pourfuivant la victoire, ils palferent un grand ruiffeau, & nonobftant qu'ils fuffent moüillez ils ne laifferent pas de gagner la moitié de la ville. Il y eut une grande confufion de voix, les uns difant, T u ë , T u ë ; les autres demandant la paix. Mais les Caftillans reconnoiffant que c'eftoit une aftuce donc ceux de dedans fe vouloient fervir, pour fauver leur bien, pour mettre les gens inutiles à couvert, & pour faire entrer du fecours,on continua l'affaut. Il y mourut deux Caftillans, qui pour une avidité de piller, eftoient fortir de leurs rangs. Les Indiens attaquerent les Caftillans à dos au mefme lieu par où ils eftoient entrez : mais Cortés fe retourna vers eux avec quelques Cavaliers, & les mit hors de c o m b a t , quoy que quelques Mexiquains les foutinrent vaillamment avec l'épée & le bouclier. Cependant comme le cheval de Cortés eftoit fort harraffe, il fe coucha par t e r r e , & le maiftre fut obligé de combattre à p i e d , entouré de quantité d'ennemis qui avoient repris une nouvelle vigueur par le moyen du fecours qui leur eftoit arrivé. Dans ce mefme moment il fe prefenta un Tlafcalteque qui vint pour le fecourir avec l'épée & le bouclier,quiluy dit. N'ayez point de crainte, ie fuis Tlafcalteque. Ainfi ils comba tirent


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 33 tirent un efpace de temps pour fe debaraffer des E n n e mis. Il l'aida à relever ion cheval, qui s'eftoit un peu délalfé ; ; confidera cet I n d i e h , qui luy parut vaillant & de bonne mine. Aufïi-toft après il arriva quantité d e Caftillans & d'Indiens, qui acheverent d'écarter les Ennemis. L'armée eftant ramaiTée, Cortés repofa cette nuit-là dans la ville, en faifant faire une e x a d e garde. Le lendemain Cortés fit chercher l'Indien qui l'avoit fec o u r u , mais il ne parut jamais ny mort ny vif, & Cortés par une devotion qu'il avoit à S. P i e r r e , jugea que c'eftoit luy qui l'avoit aidé.

C H A P I T R E

1521.

Pienfe réflexion de Cortés.

IX.

De ce qui arriva à ceux qui cherchaient l'Epicerie, ils donnent lean Serrano, & arrivent à Burney.

A

aban-

Près la mort de Magellan, dés le lendemain fes gens efleurent D u a r t e Barbofa Ion neveu pour leur G e n e r a l , & pour Capitaine du Navire de la Victoire Louis Alfonfe Portugais. Eftant tous rentrez dans les Vaiffeaux, blelTez & affligez, le Roy C h r e ftien leur envoya dire qu'ils defcendilTent tous à terr e , & qu'il les vouloit c o n v i e r , & les charger du prefent qu'il avoit offert à Magellan pour envoyer au Roy de Caftille. D u a r t e Barbofa fit appeller les C a pitaines, y leur dit qu'il avoit promis de fe trouver au feftin que le Roy Chreftien leur vouloit faire, & qu'il defiroit que l'on allaft querir le prefent qu'il vouloit donner au Roy pour marque de valTalage. Le Capitaine lean Serrano luy dit que c'eftoit une temerité de fortir des Vaiffeaux , & que le Roy Chreftien pouvoit bien envoyer le prefent : Parce que de les abandonner après avoir efté mis en déroute,& les laifler en fi mauvais équi, p a g e , il y avoit à craindre quelque defaftre ; & qu'ainfl il euft elle plus à propos d'y demeurer, afin de mieux découvrir s'il n'y avoit point quelque tromperie.Duarte E

Les Caftillans eflifent pour General D u a r t e Barbofa neveu de M a g e l l a n .


34

HISTOIRE

Barbofa dit que pour luy il avoit refou d'y a l l e r , & 1521. que ceux qui le voudraient fuivre, le fuiviflent ; & que T é m é r i t é de D u a r r e Barbofa. fi lean Serrano apprehendoit quelque chofe, qu'il demeurai!: à la bonne-heure. Serrano piqué de cette par o l e , fauta auffi-toft tout le premier dans la barque. Tous ceux qui eftoient les plus fains eftant à t e r r e , le R o y Chreftien les receut avec peu de gens;mais il avoit. quantité de gens armez qui eftoient cachez à la fufcitation des autres quatre Rois qui l'avoient menacé, que s'il ne tuoit les Caftillans & qu'il ne prift leurs Vaifféaux, ils ruineroient fa terre & le tuëroient luy-mefme. C e Roy mena les conviez fous de certains palmiers, où les tables eftoient preparées. Ils s'affirent pour difner ; Les Caftillans mais lors qu'ils penfoient le moins qu'à ce qui leur arrif o n t conviez à va , un gros de gens vint fondre fur eux qui les tua tous, u n feftin, o ù ils f o n t tous tuez. excepté le Capitaine lean Serrano, à caufe qu'il eftoit fort aimé des Indiens. Incontinent apres ceux qui eftoient dans les N a v i r e s , virent traifner des hommes morts que l'on jettoit dans la mer. Comme ils prirent cela pour un mauvais prefage, quoy que bleffez & fort triftes, ils fe mirent tous en armes, en s'animant les uns les autres, de mourir en gens de cœur. Mais auffi-toft. apres ils virent ce mefme gros d'Indiens qui menoient le Capitaine Serrano, les mains liées, & tout n u d , lequel recita comme ces gens avoient tué tous leurs compagnons , & que pour luy, ils le r e n d r a i e n t , pourveu qu'on leur baillaft deux pieces de canon, & qu'ainfi il les prioit que pour l'amour de Dieu ils le dehvraffent, parce qu'autrement ils le tueroient. Mais ceux des vaiffeaux ne jugeant pas à propos de fe mettre plus avant dans le peril, leverent les ancres,& fe mirent à la voile, & virent remener Serrano au village. A peine fut-il entré dans le village qu'ils entendirent de grands cris, & ils s'imaginerent auffi-toft qu'ils tuoient Serrano, & viM o r t de l e a n rent quantité de gens qui abatirent la Croix qui eftoit Serrano. devant l'Eglife, & tant que leur veuë fe put eftendre en navigeant,ils remarquerent que ces gens ne pouvoient arracher la Croix de fon lieu. Voila donc ce qui


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. I.

35

fe paffa dans L'lfle de Z e b u , l'une des Philippines qui fe découvrirent après qu'on leur eut donné ce nom. Les Navires citant arrivez à une autre Ifle, à dix lieues de Z e b u , voyant que ceux qui avoient pery avec Magellan , & ceux qui avoient efté tuez au feftin du R o y Chreftien faifoient le nombre de trente-cinq, & qu'ils n'avoient pas allez de gens pour gouverner trois N a v i r e s , ils s'accordèrent de brufler celuy de la Conception qui eftoit-le plus v i e u x , & efleurent pour G e neral Iean Carvallo , qui eftoit le Pilote Major , & pour Capitaine du N a v i r e appelle V i c t o i r e , Gonçale C o m e z d'Efpinofa , & promirent tous d'accomplir les O r d r e s du R o y . Ils prirent la route de l'Ifle de Burney, & navigeant entre ces Ifles ils abordèrent à l'une appellée Quepindo fort grande , & peuplée de Gentils, e x c e p t é que dans les ports il y avoit des Marchands Maures de Malaga & de lava. Ils y furgirent par les bancs qui font à demy lieuë dans la mer. L e Roy de cett e Ifle vint vifiter les Navires dans la barque ; de quoy qu'il avoit promis de leur donner des v i v r e s , voyant qu'il ne leur donnoit point de r i z , qui eftoit leur principal alimentais pafferent à l'Ifle de Pulvan , où ils trouvèrent force r i z , des porcs , des volailles , des chèvres, & quantité d'autres d a n r é e s , qu'ils donnoient pour des pièces de toile, pour des c o u t e a u x , des cifeaux, des patenôtres de v e r r e , & autres, femblables chofes. Les N a vires eftant bien chargez de toutes ces chofes, ils d e m a n d è r e n t la route de l'Ifle de Burney, car quoy qu'ils la fçeuffent bien ils ne le vouloient pas d i r e , à caufe dequoy ils prirent un M a u r e & fe mirent à la voile ; lequel après plufieurs promeffes qu'ils luy rirent, dit ; q u e jufques à la première partie de l'Ifle il y avoit dix lieuës, & trente jufques à la v i l l e , dont les Caftillans furent fort fatisfaits, parce qu'ils fçavoient bien que delà ils auroient de certaines nouvelles des Moluques. Il y avoit bien dans chaque Navire cinquante hommes, fains & difpofts ; ils coftoyerent le long de l'Ifle , & arrivèrent en peu d e temps à la barre de Burney ; ils avancèrent

E iij

1521

Les Caftillans a r r i v e n t à l'Ifle de Q u e p i n d o ,

Puis à celle de Pulvan.


1521. Ils arrivent à la ville de Burney

Le Roy de Burney envoyé fçavoit quels eftoient les C a ftillans,

Les Caftillans envoyent un prêtent au Roy de Burney.

36 HISTOIRE avec les barques dans la barre jufques à une lieue, mais n'ayant pas trouvé allez de fond ils retournerent en arrière, d'où il y avoit trois lieues jufques à la Ville. Le lendemain il arriva aux Vaiffeaux trois Navires du R o y , qu'ils appellent Canamizes, qui eftoient comme des fufteS dont les prouës eftoient faites en façon de teftes de ferpens dorées,pour apprendre quelles gens eftoient dans ces Vaiffeaux, & ce qu'ils demandoient. Il y avoit dans l'un de ces Navires un vieillard, qui eftoit le Secrétaire du Roy. Ils faifoient grand bruit de trompettes, de tambours, & d'autres femblables inftrumens de mufique. Les Vaiffeaux des Caftillans faluërent les autres avec l'Artillerie ; & les fuftes tournèrent autour des Vaiffeaux, avec leur Mufique, & abordèrent à la Capitainerie. Le Secrétaire entra dedans avec quelques Maures , qui embrafferent le General avec autant de contentement ce autant de familiarité comme s'ils fe fufient connus de longue main. Comme le Secrétaire luy eut demandé ce qu'ils cherchoient ; il luy lit reponfe qu'ils eftoient vaffaux du Roy de Caftille, & qu'ils portoient de la marchandife pour troquer contre celles qu'ils avoient. Il luy demanda quelles marchandifes ils avoient ; il luy repartit que c'eftoit de l'efcarlate d'autres draps,& de la foye de diverfes couleurs, & d'autres chofes encore, dont le Secrétaire fut ravy. Il commanda de mettre dequoy manger dans les Vaiffeaux des Caftillans ; & l'y on mit diverfes fortes de viandes, & de quantité de vins differens. Ils furent dans les Navires jufques à la nuit prefque, car ils s'y plaifoient fort, & lors qu'ils en voulurent fortir, le Capitaine donna au Secrétaire un manteau de Velours cramoify ,une chaire à docier, garnie de Velours bleu, & d'autres pour le R o y , & aux autres il leur fit quelques prefens qu'ils départirent entre eux. Le Roy fe réjouit fort de ce que le Secrétaire luy avoit raconté ; & commanda que l'on priaft le Capitaine de luy envoyer deux de fes homm e s , parce qu'il avoit envie de les voir. Le Capitaine en fut fort joyeux, & y envoya entr'autres, Gonçale


DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , LIV. T. 37 G o m e z d'Efpinofa, Capitaine d e la Victoire. Il fortit 1521. de la Ville au devant d'eux par le commandement du E.oy plus de deux milles hommes armez d'arcs 6c de fléches empoifonnées, des c e r b a t a n e s , des boucliers, des Q u e l q u e s Cacoutelas a u f f i longs que les efpées des Caftillans ; avec ftilans vont vides cuiraffes de conques de tortues. Leurs veftemens fiter ce Roy. eftoient de draps de foye. Ils menoient un Eléphant armé , chargé d'un chafteau de bois, dans lequel y avoit cinq ou fix hommes armez. Comme les Caftillans s'en approchèrent l'Eléphant s'abaiffa , & ceux qui eftoient dans le Chafteau en fortirent pour y faire entrer Efpinofa. Il alla voir le R o y , auquel le Secrétaire parla par une cerbatane , paffée par un trou ; ainfi Gonçale d'Efpinofa parla à luy , & luy rendit compte de tout ce qu'il avoit envie de fcavoir. Le lendemain il pria qu'on le laillaft retourner aux Vaffeaux. Le R o y luy fit d o n n e r deux pièces, de Damas de la Chine , 6c une à chaque Caftillan qui eftoit avec luy. Gonçale d'Efpinofa raconta au General tout ce qu'il avoit vu , & luy confeilla qu'attendu que cette ville eftoit grande , ils s'en efloignaffent, jufques à ce qu'ils euffent une plus particulièr e connoillance des peuples ; ce qu'ils firent.

C H A P I T R E

X

Les Caftillans eslifent pour leur Capitaine Major Gonçale Gomez^cCEfpinofa. Ils arrivent aux Isles des Moluques I Es Caftillans ayant grande neceffité de Gouldron, Lou de poix , & jugeant à propos que cinq hommes allaifent à la Ville pour acheter ou troquer quelque marchandife contre de la cire pour faire du bitume afin de poiffer les Vaiffeaux, parce qu'il n'y avoit point d'autre poix ; & après avoir demeuré trois jours dans la Ville , & que l'on ne les vouloit pas laiffer retourner,ceux des Vaiffeaux prirent cela pour un mauvais augure. Le lendemain au matin ils virent trois luncos, qui font les E iij

Ceux de Burney r e t i e n n e n t les. Caftillans,


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HISTOIRE

plus grands Navires dont ils ufent en cette Ifle , arre1521. ifez a demy lieuë de la Ville , & creurent que c'eftoient quelques marchandifes qui eftoient dedans, & qu'ils vouloient entrer dans la Ville ; mais ils furent bien étonnez lors qu'en fort peu de temps ils découvrirent plus de cent cinquante voiles, qu'ils appellent Canamizes , comme nous l'avons déjà dit au chapitre précèdent. Les Caftillans voyant cela, levèrent les ancres , & fe mirent à la voile, & les luncos firent la mefme chofe en fuyant ; mais comme ils virent que les Navires les pourfuivoient, ils fe mirent dans leurs chaloupes & abandonnèrent les Iuncos. Les Caftillans les voyant fuir fe faillirent des deux luncos ; & les Vaiffeaux qui eftoient fortis de la Ville fe retirèrent. A u bout de deux jours les Caftillans voyLes Caftillans ant que leurs compagnons ne revenoient point, ils prip r e n n e n t l'un des fils du R o y rent l'un de ces luncos, quoy qu'il fe mift en defenfe, de Luzon pour dans lequel eftoit l'un des fils du Roy de Luzon, cent r a c h e t e r les p r i hommes, cinq femmes , & une jeune fille qui n'avoit fonniers. que deux mois. Le lendemain le Capitaine Major s'avifade renvoyer ce Seigneur avec fes gens,s'imaginant qu'ayant ufé de cette l i b é r a l i t é , ils feroient la mefme chofe envers les Caftillans qu'ils retenoient dans la ville. Et en effet le fils du Roy de Luzon jura félon fa Loy qu'il les renvoyeroit auffi-toft, &laiffa pour oftage huit Maures des pricipaux de fa fuite , & deux femmes ; & le Capitaine Major manda par cette mefme voye au Roy de Burney , que s'il ne luy renvoyoit fes hommes, qu'il mettroit à fond tout autant de luncos qu'il rencontreroit. Apres que les Maures furent partis, les Caftillans trouvèrent dans l'autre lunco, quantité d'armes, de vivres , de draps de foye & de cotton. Au bout de deux jours, ceux de la ville renvoyèrent deux hommes feuL e s Caftillans lement, & retinrent les. trois autres. Les Caftillans voyc o n t i n u e n t leur ant cela, après avoir pris quelques luncos, fans profit, reroute. folurent de continuer leur r o u t e , & de n'attandre pas davantage. Burney eft une grande Ifle 6c riche , fort Particularitez de l'Ifle de Bur- abondante en riz & en fucre ; il y a quantité de chèvres, ney. de porcs 6c de chamaux. Il n'y a point de bled, d'afnes,


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. T. 39 ny de brebis. Il y croit du G i n g e m b r e , du C a m p h r e , des Mirabolans, de d'autres drogues. Il y a de certains a r b r e s , dont les feuilles tombant à terre rampent comme des vers, T o u s les peuples portent des efcoffions de cotton. C e font Maures de Gentils, ils fe baignent fort fouvent. Ils fe fervent de quelques lettres, de eferivent fur des efcorces d'arbres. Ils font beaucoup d'eftime du verre, du l i n , de la l a i n e , du cuivre , du fer pour les cloftures, de ferremens, de pour les armes ; de du vif argent pour les onctions de les médecines. Ils expofent leur R o y tout le premier à la bataille 5 de il n e fort point fi ce n'eft pour aller à la chaffe & à la guerre. Perfonne ne parle à luy que fa femme & fes enfans, de tout le refte par c e r b a t a n e s , comme nous l'avons déjà dit. Les Gentils croyent qu'il n'y a qu'à naiftre de à mourir. La ville ou le R o y fait fa refidence eft tres-grande ; les maifons font de bois , avec de grands portails. Mais celles du R o y , de des Seigneurs, de les Temples font de pierre. Apres que les Caftillans furent fortis d e la barre de Burney ils alloient cherchant quelque lieu propre pour radouber leurs Navires,& coftoyant l'Iffle dans un beautemps , la Capitainerie demeura à fec , de pendant une nuit & un jour elle eut tant de fecouffes par les vagues qui l'agitoient, qu'il fembloit à tous momens qu'elle s'alloit brifer. Il vint cette nuit-là une fi furieufe tempefte qu'il fembloit que tout alloit abyfmer ; mais il leur fembla avoir veu le glorieux corps de Saint E l m e , ce qui les confoia t o u s , de comme le jour vint à paroiftre avec la marée qui m o n t o i t , la Capitaineffe fortit d'où elle eftoit ; & commencèrent à naviger le jour de noftre D a m e de la my-Aouft.Ils rencontreret un Iunco, de ceux qui eftoient dedans l'abandonnant ils le prirent. Ils trouvèrent dedans plus de t r e n t e mille Cocos, qui furent divifez pour les d e u x navires. Ils rencontrèrent dans la mefme colle un fein de m e r , où ils demeurèrent trente fept jours, pendant lequel temps ils radoubèrent leurs Vaiffeaux. Eftant prefts de partir, ils refolurent

1521,

Le c o r p s d e faint E l m e p a roift au m i l i e u d'une tempefte.


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HISTOIRE

tous d'un commun confentement de remettre lean Car1521. Ils oftent la vallo dans ion Office de Pilote Major, & luy ofter la charge de C a p i - charge de Capitaine Major, parce qu'il n'obfervoit pas taine à lean Ç a r v a l l o , & la bien les règles qui avoient efté prefcrites par le Roy, & donnent au Ca- mirent en fa place Gonçale Gomez d'Efpinofa du conpitaine Gonçale fentement de t o u s , & nommèrent pour Capitaine du Navire de la Victoire Iean Sebaftien delCano,qui eftoit forty de la Caftille avec la charge de Maiftre du N a vire de la Conception, & continuèrent ainfi à chercher les Moluques. Le lendemain ils prirent Iunco, à une Ifle qu'ils appellerent de la Trinité, quoy qu'il fe mift en eftat de fe vouloir deffendre , dans lequel ils trouvèrent u n Gouverneur du Roy de Borney , avec u n fien fils & u n f r è r e , accompagnez de cent hommes. Ils avoient une grande quantité de conferves, des vins de divirfes façons , des draps de cotton , & quelques-uns de foye. E t parce qu'il eftoit Gouverneur de Pulvan, où autant que d'arriver à Borney, on avoit fait une fi bonne réception aux Navires, & qu'ils avoient donné des vivres en troc, ils refolurent de luy donner la liberté, moyennant qu'il baillaft, des vivres pour les Navires. Lors qu'on luy a n nonça cette nouvelle, il leva les yeux 6c les mains vers le Ciel de ravinement. Ils approchèrent de la terre , & quantité de gens leur apportèrent d'une Ville qui eftoit tout proche de la plage quantité de riz, des chevres,des porcs, des volailles, des cannes de fucre & des Cocos. D e u x jours après qu'ils furent partis de l'Ifle de la l e s Caftillans Trinité, ils arrivèrent à celle de Guepid, où ils renconcombattent trèrent un Iunco, dont les gens qui eftoient dedans arcontre un Iunco de M a u r e s . mez de coutelas & de boucliers, appelloient les CaftiL lans ; mais à caufe des grands calmes les Navires n'en pouvant pas approcher, y envoyèrent leurs chaloupes, avec trente hommes bien armez. Ils attaquèrent le Iunco, ils entrèrent dedans, tuèrent vingt Maures , & e n prirent trente , fans qu'il y demeurait u n feul Caftellan, excepté qu'il y en eut quelques-uns de bleffez. Ils d e mandèrent quel eftoit le pilote ; lequel dit qu'il n e fçavoit pas où eftoient les M o l u q u e s , mais les Maures dirent


DES I N D E S o c c i D E N t a l e s Liv.I. 41 r e n t qu'il les fçavoit fort bien. 11 fit prendre aux Navi- 1521 res la route de deux Ifles, où il affura que l'on y trouveroit du clou , & qu'ils en pourroient charger ; mais il n e difoit pas vray ; car ce qu'il en difoit eftoit parce qu'il eftoit originaire de ces Ifles, & il pretendoit s'echaper p a r ce moyen. E n y abordant il fortit un Seigneur d a n s un Parao , ou barque , qui leur demanda où ils alloient ; & ayant appris qu'ils alloient aux Moluques, dit qu'il y avoit là un pilote qui les guideroit , mais qu'il vouloit eftre bien payé. O n luy donna tout ce qu'il demanda, parce qu'il dit qu'il le vouloit laiffer à fa femme. C o m m e il fut entré dans le N a v i r e , il fe trouva qu'il eftoit f r è r e de l'autre pilote qu'ils avoient; & ayant parlé quelque peu avec que l u y , il fe jetta dans un Parao pour s'enfuir. Mais quelques Caftillans fe j e t t e r e n t après luy, & l'enlevèrent par les cheveux dans le N a v i r e ; à caufe dequoy tous les autres Paraos qui eftoient là s'en retournèrent auffi-toft après il en fortit quantité d'autres p o u r aborder les Navires 5 mais les Navires eftoient d é j à à la voile, outre que l'on leur tira quelques coups de canon qui leur rirent r e p r e n d r e le chemin d ' o ù ils eftoient venus. Les Caftillans eftant fortis de cette Ifle ceux pilotes qu'ils appelloient Sangi, tenoient les deux frères pilotes &Lesleur fils fe j e t dans les fers,avec un de leurs enfans,au deffus du pavil- tent en m e r l'es lon de poupe,afin qu'ils guidaflent les Vaiffeaux. Comme fers aux p i e d s . ils arrivèrent a une lieue d'une Ifle qu'ils alloient coftoyant, & que les Vaiffeaux n'avançoient pas beaucoup à caufe des calmes qu'il faifoit, fur le minuit les d e u x pilotes & leur fils fejetterent en mer avec leurs fers. L e lendemain quelques Paraos abordèrent aux Navires , & l'on fceut de ceux qui eftoient d e d a n s , que les pilotes eftoient prifonniers, mais que le fils s'eftoit noyé. A l'Initant le vent commençant à fe rafraifchir, les Navires fuivirent leur r o u t e , tous fort attrifteZ de ce qu'ils n'avoient point de pilotes. Mais un M a u r e qui eftoit b l e f f é des trente qu'ils captivèrent dans le leur dit qu'ils eftoient à cent lieues des Ifles des Moluques, & qu'il les guideroit. Si bien que navigeant par un bon temps, a u F


42 1521. Les Caftillans arrivent aux Moluques.

HiSTOIRE

bout de trois jours le M a u r e dit qu'elles eftoient proches. Ils continuèrent donc leur route cette nuit avec peu de voiles, & le lendemain fur le midy le huitième jour de Novembre ils arrivèrent à l'une de ces Ifles, appellée Tidore, & furgirent tout proche de la Ville, à caule que la mer y eftoit fort profonde, où ils firent une falve. Le Roy envoya fçavoir quelles gens c'eftoient, & fut fort aife de leur arrivée.

C H A P I T R E

XI.

De ce qui arriva aux Caftillans dans les Ifles des MoluqueS, jufques à ce que le Navire de la Victoire partit pour aller en Caftille,

L

Le Roy.de T i d o re entre dans les Navires des Castillans.

Prefent q u e font les Caftillans au Roy A l m a n ç o r .

E Roy de T i d o r e , q u i fe nommoit A l m a n ç o r , fe mit dans une barque , & aborda les Navires , veftu d u n e chemife , piquée d'or à l'aiguille , fort riche , & une façon de hoqueton attaché à la ceinture qui ailoit jufqu'à terre. Il eftoit nuds pieds. Il portoit à la tefte un tres-beau voile de foye en façon de Mitre. Il dit aux Mariniers qui accommodoient les ancres, qu'ils fuffent les bien venus. Il entra dans la CapitainefTe , en fe bouchant le nez , à caufe de l'odeur du lard qu'il fentoit, parce qu'il eftoit Maure , quoy qu'il n'y euft pas plus de cinquante ans qu'il eftoit entré des Maures dans ces Ifles ; car elles eftoient habitées par des Gentils ; encore demenroient-ils dans les Montagnes. Les Caftillans luy firent de grandes révérences, & luy prefenterent une Chaire de velours cramoify, une R o b b e de velours jaune , une faye de toile d'or faux, quatre aunes d'efcarlate , une pièce de damas j a u n e , une autre de lin, une toüaille à main de toille brochée d'or & de foye , deux Couppes de v e r r e , fix Cordons enfilez de patenoftres de la mefme eftofFe,trois Miroirs, douze C o u t e a u x , fix paires de Cifeaux, & demy douzaine de Pignes. Ils donnèrent auffi à fon Fils, un Bon-


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 4 3 n e t , un Miroir, deux couteaux ; & autres chofes fem » 1521 blables aux Seigneurs qui l'accompagnoient. Les Caftillans luy demandèrent de la part de leur E m p e r e u r , la permiffion d'entrer dans fon Ifle, & d'y trafiquer. Il la leur donna d e bon c œ u r , de leur dit qu'ils tuaffent A l m a n ç o r a c quiconque les offenferoit. il confidera l'Etendart avec corde aux C a ftillans d ' e n t r e r les Armes Royales & le Portrait de l'Empereur. Il de- d a n s T i d o r e , manda à voir la monnoye & le poids qu'elle avoit, de l'ayant bien r e g a r d é e , il dit qu'il fçavoit par fon Aftrologie , qu'il devoit aller-là des Chreftiens pour chercher des efpiceries, de qu'ils enpriffent à la bonne heure. Puis il ofta la M i t r e de fa tefte, les embraffa , & s'en alla. D'autres difent qu'il le fongea, & d'autres, que ce n e fut que par conjecture, ou qu'il l'avoit entendu dire par les Maures qui trafiquoient en Zamatia , Malaca, & en la Cofte de la Chine. Les Caftillans fortirent donc à terre pour fe rafraifehir. Au bout de quatre jours on leur demanda la charge du clou, pour les Navires. Ils dirent que l'on en fift le prix , car ils ne fçavoient pas que quatre quintaux de clou valoient entre ceux de l'Ifle , d e u x Ducats ; fi bien que s'eftant p a f f é quelques jours fans qu'on leur baillaft leur charge, ils dirent qu'ils s'en vouloient aller. A caufe dequoy le R o y alla t r o u Ver le Capitaine , & luy demanda pourquoy il s'en v o u loit aller , & que s'il le faifoit il ne donneroit pas fujet de dire du bien de luy ; Parce qu'il avoit déjà envoyé dans les autres Ifles pour faire fçavoir que ceux qui voudraient apporter du clou , qu'ils le fiffent , parce qu'ils n'euffent pas ofé le faire fans fa permiffion; & qu'il Accord que le Roy de vouloit jurer en fa Loy qu'ils feraient en toute affeu- Tidote r a n c e d a n s fon p o r t , d e qu'on leur chargerait leurs N a - fait avec las Cavires de clou, pourven que le Capitaine juraft auffi de ftillans. fon cofté de ne partir du Port jufques à ce que les N a vires fuflent chargez. Il defcendit deux Maures à terre, qui portèrent dans les Vaiffeaux un p a q u e t , tant que l'un d'eux pouvoit porter des deux mains ; de parce qu'il eftoit enveloppé de toille de foyefort riche , ils n é purent fçavoir ce que c'eftoit, Almançor mit les mains F ij


44 H IS T O I R E dedans, & enfüite fur la tefte, fur l'eftomac , & puis ils 1521. s'en retournèrent à terre. L e Capitaine Gonzale G o Et les Caftillans avec luy. niez d'Efpinofa jura auffi devant une Image de la Vierge ; & il fut arrefté qu'Almançor feroit toujours amy des Rois de Caftille, de qu'il donneroit du clou 6c les autres Efpiceries, continuellement tant que les Caftillans voudraient aller dans fon Ifle,pour un certain prix qu'ils accordèrent enfemble, qu'ils payeraient en toile, draps & foyes. Les Caftillans luy donnèrent à l'heure mefme les trente Maures qu'ils tenoient captifs dans leurs Vaiffeaux, dont le Roy fut fort fatisfait. Corala, Les autres Rois Seigneur de Terronate,neveu d'Almancor, alla à Tidodeces Ifles vienre , pour offrir fon fervice au Roy de Caftille , & s'ofn e n t s'offrir p o u r Vaffaux du frit pour fon Vaffal. Luzuf, Roy de Gilolo, amy d'AL Roy de Camille- mançor , y alla auffi, pour faire la mefme chofe ; l'on dit que celuy-cy avoit fix cens enfans , qui n'eft pas une figrande nouvelle, veû la quantité de femmes qu'il avoit. Il en vint encore d'autres qui s'offrirent pour amisôcpour Tributaires du R o y de Caftille à la prière d'Almancor. Les Navires furent bien toft chargez. Et le Capitaine Major reçeut un Prefent , & des lettres A l m a n ç o r fait d'Almancor , de Luzuf, 6c de Corala, de la foumiffiou un prefent aux 6c vaffelage qu'ils faifoient à l'Empereur. Le priant Caftillans. qu'il leur envoyait nombre de Caftillans pour vanger la mort de f o n p e r e , & pour leur enfeigner les points de la Religion Catholique & les Couftumes de Caftille. Puis leur ayant fourny encore des Perroquets rouges & blancs, qui ne parloient pas bien, du miel d'abeilles , qui pour eftre petites ils ne les appelloient que des mouches, & quantité d'autres chofes, avec quelques j e u nés enfans des Ifles pour emmener en Caftille ; & les Antennes eftant préparés pour faire voile , après avoir pris congé du Roy & de tous les autres Seigneurs & du La Capitaine ffe P e u p l e , l'on defcouvrit dans le Navire de la T r i n i t é , fait eau. qui eftoit la Capitain effe , un amas d'eau qui venoit parla Quille , & il falut tout décharger pour y remédier. Ils y employèrent huit jours fans le pouvoir étancher ; à caufe de quoy il falut luy donner carène, & mettre


DES

INDES

OCCIDENTALES,

Liv.

I.

45

la Quille au deffus de l'eau. E t d'autant qu'il faloit bien trois mois pour le remettre en eflat de voguer ; il fut arrefté que le Capitaine l e a n Sebaftien D e l - C a n o Sebaftien D e l partiroit dans le N a v i r e de la Victoire pour aller en C a n o p a r t t o u t pour GaltilCaftille par la route que les Portugais prenoient , & feul le. qu'il porterait les Lettres des Rois de Moluques , de les autres chofes que Gonçale G o m e z d'Efpinofa d e voit porter. E t il fut auffi a c c o r d é que le Navire de la T r i n i t é eftant r'adoubé & en un bon eftat, prendrait la route d e Panama , de irait par Caftilla-Del-Oro , pour après y avoir déchargé , paffer fa charge en la M e r du N o r t , ainfi que l'on avoit déjà fouvent mis fur le t a p i s , qu'il falloir faire afin que l'Efpicerie p e u t paffer av e c beaucoup plus de facilité en Caftille. Enfin le N a v i r e de la Victoire partit i n c o n t i n e n t , de celuy d e la T r i n i t é demeura pour eftre r'adoubé. Ces Ifles des Moluques font cinq principales, à fça- P a r t i c u l a r i t e z voir T e r r e n a t e , T i d o r e , Maquian , M o t i r , de Patian. des Ifles des M o Elles ne font pas g r a n d e s , de font peu diftantes les unes u q u e s . des autres. Elles font fituées fous la ligne Equinoctialle , de toutes au N o r t - S u d . La principale eft celle d e T e r r e n a t e , de où il y a plus de clou ; elle eft à un degré de deux tiers du cofté d u N o r t . T i d o r e eft à u n demy degré auffi du collé du N o r t . Les autres font d u cofté du Sud, vis-à-vis les unes des autres. T e r r e n a t e de T i d o r e font les plus hautes qui paroiffent en forme de pain de fucre ; de les autres font plus unies. T o u s les R o i s d e ces Ifles efloient Maures , Almançor avoit Almançor a v o i r deux ce ns f e m vingt-fix en fans , tant garçons que filles , de deux cens m e s . femmes ; & nonoftant cette quantité de femmes , il n e laiffoit pas d'eftre jaloux., comme le font tous ces Infti- Le R o y de G i l o laires. L e R o y de Gilolo , qui eft une Ifle tout proche lo a fix c e n s e n fans. e n avoit a u t a n t , de plus, puis qu'il avoit fix cens enfans. T o u t e s ces Ifles de celles qui font autour praduifent du clou, de la canelle, du gingembre, de des noix mufcades. C o m m e l'on L ' A r b r e de la Canelle eft femblable au laurier ; fon é- n e t t o y é la caue corce croift de fe fend par le moyen du Soleil, de ils l'ô le. rent & la nettoyent au S o l e i l , & tirent d e l'eau de la F iij

1521.


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H I S T O I R E

fleur. L'Arbre du clou eft gros & grand ; fa feuille cft auflî femblable à celle du laurier ; & fon efcorce eft comme celle de l'olivier , il jette fon clou en grappes comme du lierre , ou d'efpine, ou de genevre. il eft Duclou de Girovert au commencement, incontinent après blanc , & fle. en meuriffant il devient rouge , & eftant fec il devient n o i r , comme on nous les apporte en l'Europe , après les avoir moüillez dans de l'eau de la mer. O n le cueille deux fois l'année. Ils les gardent dans les lieux fouzterrains. Ils croiffent fur des colines, où ils font couverts d'un certain brouillard plufieurs fois le jour ; ce qui n'arrive pas dans les Plaines ny dans les Valées. L e Du Gingembre.. Gingembre eft une racine rougeatre, ou de la couleur du Saffran. Ils en ont en quantité dans l'Ifle Epagnolle, 6c en d'autres contrées , que les Portugais y tranfporDe la noix muf- toyent. Les Noix Mufcades viennent fur des Arbres cade. comme de petits chefnes ou d'yeufe ; 6c naiflént comme le gland, dont le petit chaperon , comme celuy du gland, efl gluant comme du maftic. Il y a dans ces lfles de Oifeaux de Pa- certains petits oyfeaux appeliez Mamuchos, qui ont les radis , dont plusieurs ont efcrit. jambes longues de fix poulces, la tefte p e t i t e , le bec fort long, & le plumage de fort belle couleur ; ils n'ont point d'ailles, ce qui fait qu'ils ne peuvent voler qu'avec le vent. Ils ne fe corrompent jamais ,ny ne pourriflent, ny ne touchent point à terre. L'on ne fçait où ils prennent naiffance , ny ce qu'ils mangent. Les Maures croyent qu'ils vont en Paradis. Et les Caftillans croyoient qu'ils fe repaiffoient de la rofée , & des fleurs des Efpiceries, & en portoient en façon de pennaches. Mais les Moluquoiss'en fervoient pour la guerifon de l e u r s playes. 1521


DES

INDES

OCCIDENTALES}

LlV. I.

47 1521.

C H A P I T R E

XII.

Le Roy de quantimoc parle à la Nobleffe Mexiquaine, qui va reprendre Suchimilco ; & ce que fit Cortés,

D

Ans ce mefme temps , les nouvelles arrivèrent à Quantiamoc parM e x i q u e , que Cortés avoit pris Suchimilco ; à le à la nobleffe de Mexique. caufe de quoy le R o y Quantimoc fit une exortation à la Nobleffe de la Ville ; Il leur reprefenta le péril ou ils fe trouvoient, & qu'il faloit employer toute la valeur & l'indufirie, pour faire voir aux Caffillans qu'ils eftoient gens de cœur auffi bien qu'eux ; & qu'en ce la ils rendroient grand fervice à, leurs Dieux, qui eftoient par trop offenfez des outrages que les Caftillans faifoient. Et que pour rabatre quelque chofe de leur audace, Il falloit neceffairement employer tout de bon leurs forces & leurs Armes ; & que quand cela leur manquerait, il faudroit daiffer croître les ongles pour déchirer & mettre en pièces les Ennemis , contre lefquels il faloit combaîre jufques au dernier période de la vie , pour l'honneur & pour la feuretê de tout ; à caufe dequoy il falloit recouvrer Suchimilco. Pour parvenir à ce deffein, il fit embarq u e r dans deux milles Canos , plus de douze mille Les M e x i q u a i n s hommes. C e u x qui y allèrent par terre eftoient fans v o n t r e p r e n d r e n o m b r e ; ils ne portoient ny Enfeignes ny T a m b o u r s , S u c h i m i l c o . ny ne fonnoient aucun Infiniment de Mufique , comme ils ont appris de faire, afin de n'eftre point découverts. Cortés neantmoins ayant eu avis de cela par fes efpions , monta au haut d'une T o u r pour reconnoiftre c e u x qui venoient. Il difpofa fes gens en trois corps. Les E n n e m i s , cependant avançoient fort tant par eau q u e par t e r r e , afin de donner le choc tout d'un temps. Ils avoient quantité d'efpées de celles qu'ils avoient pris fur les Caftillans lors de la déroute d e Mexique. Ils cri oient à haute voix , Mexique , Mexique. Cortés c o m m a n d a à cinq cens Tlafcalteques , & à vingt C a valiers d e donner tefte baiffée au travers des E n n e m i s ,


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H I S T O I R E ,

& de s'aller pofter fur une Montagne qui eftoit-tous 1521, proche , & qu'ils retournaient faire la mefme chofe lors qu'il leur ordonneroit. Ils le firent fort heureufemcnt , & avec beaucoup de valeur , & tout d'un temps les Caftillans attaquèrent par les autres endroits, fi bien que la meflée fut grande. Dans ce mefme temps Cortés envoya dire aux Tlafcalteques & aux vingt CavaCortes- combat liers de la Montagne, qu'ils attaquaient les Ennemis c o n t r e les M e par derrière, ce qui les mit en déroute ; parce que les xicains trois chevaux d'une viteffe incroyable entroient & fortoient jours durant. au milieu des Ennemis, tuant & bleffant tout ceux qu'ils rencontroient. Mais fi toft., qu'un efcadron eftoit rompu , un autre rentroit en fa place ; fi bien que l'on compatit trois jours durant de la forte , où l'on reprit quelques efpées Caftillanes. Puis la Place ayant elle brûlée , qui eftoit remplie de beaux édifices, Cortésfe retir a , &les Ennemis le pourfuivirent fans aucune relâche jufques à Cuyoacan, à deux lieues de Suchimilcoi Cortés r e m a r Cortés voulant reconoiftre la manière dont il fe deque par où il voit fervir pour faire le Siège de Mexique , il entra pourra affieger dans la Chauffée ayant pris fur ceux qui la gardoient Mexicains. une trenchée, & faifant une courfe de lieue & demie il alla donner jufques à la porte de la Ville 5 Et après avoir confideré la fcituation & la difpofition du lieu, il s'en retourna r'amaffer fes gens pour retourner à la Ville de Tacuba, pour confiderer où il pouroit mettre des gens de guerre de ce cofté-là pour affieger Mexique. Il fit ces deux lieuës-là en faifant main baffe a tous les Indiens qui fortoient du lac comme des volées de perdreaux pour piller le bagage de l'Armée. Cependant les Ennemis enorgueillis de leur victoire , s'imaginant que Cortés ne s'eftant pas arrefté dans Tacuba, apprehendoit d'y eftre affiegé ; attaquoient toujours le bagage. Mais comme les chevaux eftoient difperfez & que la Campagne eftoit unie, ils tuerent quantité d'Ennemis. Ils prirent deux jeunes garçons , qui eftoient ferviteurs de Cortés, fort difpofts , & qui le fuivoient toujours à pied, & les emmenèrent en lieu où on n'eut jamais


DES INDES 0 c c i D EN TAL E S , Liv. T. 49 jamais de leurs nouvelles ; & l'on croit qu'ils les facri1521. fierent. Cortes paffa à quelques peuplades où il ne man- Les Mexiequains qua pas de rencontres , outre la multitude de Mexi- p r e n n e n t deux de quains qui le fuivoient continuellement. Mais il leur ferviteurs C o r t é s , qui ne dreffa une embufcade où ils ne s'attendoient pas, & tua parurent plus. plus de deux cent Gentils hommes, dont les dépouilles furent grandes, que les Tlafcalteques emportèrent. Il Les Caftillans arrivent fort arriva avec fes gens fort fatiguez & mouillez , à caufe fatiguez à Guades ruiffeaux qu'il falloit qu'ils paffaffent ; joint qu'il titlan. avoit plû beaucoup , à la ville de Guatitlan , qu'ils trouvèrent dépeuplée , & fans aucuns vivres. Ils y repoferent cette nuit affez franchement ; car comme le bois eitoit verd ils ne pouvoienr faire de feu. Le lendemain comme ils vinrent à fortifies Indiens crioient après eux en fe moquant, à caufe qu'ils les voyoient ainfi moüillez 6c mal-traitez ; mais les Caftillans piquez de la gaufferie , fortoient fur eux & fe vangeoient fur ceux qu'ils rencontroient. Cortés avançant toufiours chemin pour retourner à Cortes arrive à Tezcuco, paffa par Atlaltepeque, & la trouva auffi dépeu- Tezcuco. plée. Il y repofa un jour , où ceux qui eftoient encore mouillez , achevèrent de fe fecher. Delà il paffa à une autre ville, de la Seigneurie de Tezcuco, appellée A culma, où ils trouvèrent quelques rafraifchiffemens, & delà à Tezcuco, où l'armée les reçeut avec beaucoup de joye. Certes raconta ce qui s'eftoit paffé , & comme il avoit remarqué la manière dont il fe falloit fervir pour camper l'armée devant Mexique, qui eftoit une entreprife, où il falloit que chacun travaillaft pour vanger la honteufe retraite que l'on avoit efté contraint de faire. Il rencontra-là comme il arrive ordinairement aux vainqueurs quelques Caftillans qui eftoient venus de la Vera-Cruz & des Ambaffadeurs de diverfes villes & Provinces, les uns par crainte , les autres pour la haine qu'ils avoient contre les Mexiquains de qui ils fe vouloient vanger, pour l'arrogance dont ils ufoient envers leurs fujets. Se voyant donc avec une puiffante armée, Cortes fait faire m o n t r e à fon il refolut de faire faire montre aux Caftillans ; il trou- armée. G }


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va neuf cens hommes d'Infanterie, & quatre-vingt fix de Cavalerie ; & parmy l'Infanterie cent dix-huit Arbaleftriers &; Arquebufiers , le refte eifoient des piquiers, & cuiraffers, avec quelques cottes d'armes d e cotton piquées ; trois groffes pièces d'artillerie de fer,quinze petites de bronze , avec dix quintaux de poudre , de quantité de balles. L'on acheva de fournir les brigantins de ce qui eftoit neceffaire ; l'on mit une pièce dans chacun;Chriftofle d'Olid natif de Baeza , fut fait Meftre de Camp , & pour Lieutenans Pierre d'AlvaraIl difpofe des do, qui comme il a déjà eflé dit cy-devant,efloit de BaChefs, & donne les Offices & dajoz, & Gonçale de Sandoval natif de Medellin. Pour inftructions. Capitaines, George d'Alvarado, frère de Pierre d'Alvaradoj André de Tapia , natif de Medellin , Pierre d'Yrcio, natif de Briones, Gutiere de Badajoz , natif de Cindarodrigo , André de Monjarraz , d'Efcalona., Fernand de Lerma , de Galice. Pour Capitaines des Brigantins lean Rodriguez de Villa-Fuerte, de Medellin , Iean de Aramillo de Salvatierra, en Eftremadure, François Verdugo d'Arevalo, François Rodriguez M a gatino de M e r i d a , Chriftofle Flores , de Valence d e Dom Iean,Garcias H o l g u i n , d e C a c e r e s , Antoine de Carvajal, de Zamora , Pierre Barba , de Seville, H i e rofme Ruiz de la M o t a , de Burgos, Pierre de Briones, de Salamanque, Rodrigue de Morejon de Lovera , d e Medina del C a m p o , Antoine de Sotelo, de Zamora, Iean de Portillo, natif de Portillo. Il donna à Sandoval de à Alvarado fix brigantins, dont il en fut mis deux en la chauffée qui va de Tlatelulco à Tenayuca comme il fe dira cy-apres. Apres que les Capitaines furent efleus, Cortés fît publier tout de nouveau les Ordonnances qu'il avoit faites, pour le bon Gouvernement, la paix, de confervation de fon armée entre eux, pour avoir plus de force contre les ennemis. Il parla en particulier aux Capitaines, pour les leur faire garder & obferver ponctuellement ; de luy-mefme en donna beaucoup d'exemple , en telle forte que pour les avoir bien obfervées, toutes les chofes réunirent au contentement de tous. 1521.


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I.

51

Comme il vouloit fçavoir fi l'armée eftoit bien difpofée, 1521. Se comment il falloit agir dans les combats , luy eftant au milieu , il fit donner une fauffe alarme, de laquelle Cortés fait faire il demeura fort fatisfait, de voir comme chacun fe ran- une fauffe al larpour éprougeoit à fon pofte. Ceux de Chulula fe vinrent plaindre me ver les foldats. de ce que ceux de Topoyanco anticipoient fur leurs limites, de ceux-cy difoient la mefme chofe contre les autres. Cortés y envoya Alonfe d'Ojeda pour les mettre d'accord, de que tout d'un temps il paffaft, à Tlafcala pour faire venir les gens de guerre avec des vivres, de que s'ils ne venoient dans dix jours l'on feroit la guerre fans e u x , de perdraient les grandes dépouilles que l'on y devoit gagner. Ojeda accorda ceux, de Chulula de de Topoyanco, de les rendit bons amis. Puis il leur demanda combien de gens de guerre ils pourroient donner. Ceux de Topoyanco offrirent douze mille hommes 5 de ceux de Chululaen promirent beaucoup davantage. En fuite de cela il parla aux Seigneurs de Tlafcala, de particulièrement aux quatre Chefs des Provinces de cette Seigneurie, qui luy dirent que tous les gens de guerre qui dévoient affeurer Cortés fe preparoient. Mais comme Il fort cent mil ils ne faifoient pas toutes les diligences qu'Ojeda euft le h o m m e s de bien defiré,il emmena feulement ceux qui eftoient prefts Tlafcala & de fes limites. de partir, & alla loger à Guaulepa avec environ quatre mille hommes&de comme le jour commençait à paroiftre,il en eftoit déjà arrivé plus de trente mille, & la nuit fuivante prefque deux cent mille, qui avoient tous efté comptez avec des Xiquipeles, qui eft le Cacao , ou amanAcs, avec quoy ils font leur compte. Ojeda eftant par>ty de Guaulipa , alla loger à Acafulagot, & en fuite à ;

Tezcuco.

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52

HISTOIRE

1521.

C H A P I T R E

XIII.

Fernand Cortés divife l'armée en trois corps ; & commença le fiege de Mexique.

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Onés avoit ordonné que les gens de chulula & de Guaxocingo allaffent à Chalco , parce qu'il avoit

deffein de commencer le fiege en cet endroit-, & ayant appris que les Tlafcalteques approchaient de Mexique,il les alla recevoir avec quelques gens de cheval ; il embralTa les Seigneurs, & leur fit quantité de complimens, Cortés fort pour il les logea, les regala, & les honora beaucoup , & fe recevoir les réjouit de voir tant de gens fi bien équipez , & leur dit Tlafealteques. que Dieu luy faifoit voir de grandes apparences des faveurs qu'il efperoit de luy. Ils entrèrent dans Tezcuco deux jours avant la fefte de la Pentecofle, & toute l'armée fut trois jours à entrer dans la Ville, félon q u ' O jeda le dit dans fes Mémoires ; & quoy que Tezcuco n e fût pas une grande ville, ils ne laiffoient pas que de contenir tous dedans. Ils efioient galanifez, bien armez & paffionnez pour combattre, ainfi qu'ils le firent bien paroiflre en effet. Eftant tous préparez pour commencer le fiege , Cortés fit appelier tous les Caftillans, & tous les Seigneurs Tlafcalteques ; & afin qu'ils puffent entendre ce qu'il diroit, il leur bailla les Interprètes,& fit une | H o r a n g u e de harangue affez ample. Il loüa premièrement le fujet de Coués à toute

l'armée.

l'entreprife ; l'honneur que l'on emporteroit en affujettiffant la plus belle & la plus grande ville du monde. Et qu'outre le fervice de Dieu, qui eftoit la chofe la plus importante, l'on acquerrait une grande gloire , avec la vangeance de l'affront que l'on avoit receu, & l'on donneroit a fon Prince un domaine que tous les hommes du monde n'en ont jamais acquis de fem~ blable. il dit qu'ils eftoient Caftillans, nation belliqueufe-, & tres-forte, qu'ils avoient-la quantité d'amis , & des armées toutes entières plus grandes que les Romains ayent jamais euë, qu'ils avaient treize brigantins pour renverfer la multitude des


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I . 53 Canos que les ennemis tenaient pour entrer dans les rues de la 1521 ville , & pour combattre leur fortereffe ; qu'ils assoient- fait provifion de vivres pour toute l'armée , & deffendu que l'on ne fift aucunes courfes fur les ennemis ; & que puisque par le moyen des brigantins l'on eftoit maiftres du lac & de la campagne par la cavalerie, & placez en terre ferme pour faire retraite quand l'on voudroit , l'on devoit conftâerer la grandeur de l'entreprife qu'ils tenoient comme entre leurs mains ; que jamais beaucoup ne coufta peu , ny aucune force ne fe pourvoit vaincre que par une autre & que fi Dieu leur donnoit la v.'&oire , ils auroient dequoy s'enrichir tous , & le moyen dannoblir leurs lignées, & fi délafferoient tout à loifir, puis qu'après avoir affujetty cette grande ville toutes les autres leur ebeiroient ; que tout ce qu'il leur difoit n'eftoit pas pour leur donner courage, parce qu'il fçavoit bien qu'ils ri en manquoient pas : mais pour les faire reffouvenir qui ils eftoient, & que ce qu'ils vouloient entreprendre, ils le fiffent de gayeté de cœur fans aucune contrainte , puis que comme hommes d'honneur ils n'entreprenaient cette guerre que pour Dieu, & pour eux mefmes. Les principaux de l'armée fe regardoient les uns les autres pour voir qui prendrait la parole ; & enfin Pierre d'Alvarado , Gonçale de Sandoval, & Alonfe d'Avila luy repartirents ; que toute cette armée eftoit refoluë de ne point lafcher le pied du fiege, jufques à ce qu'elle euft vaincu , ou qu elle euft efté entièrement deffaite ; & que tous le fuhaitoient d'auffi bon cœur, qu'ils le tenoient four leur Capitaine , dont ils eftoient fort contens, a i n f i qu'il reconnoifiroitfar les effets. Voila la manière dont Cortés fe fervoir en l'Office de Capitaine géneral ; enquoy il eftoit auffi adroit que s'il n'euft fait autre chofe en toute fa vie. O r cette charge confifte en trois points ; l'election des foldats , la bonne difcipline, & la fçavoir obferver. Pour ce qui touche l'élection des foldats, &; d'en bien ufer, il avoit déja affez fait paroiffre la prudence qu'il avoit eue en pareil cas. Quant à la difcipline, on l'avoit en- En quoy conficore affez reconnue en luy, & fe reconnoiftra cy- après, fte la c h a r g e comment il tenoit fujets, obeïffans & bien appris ceux d'un General d'armee. qu'ilconduifoit ; parce qu'il ne s'efl jamais trouve que ?

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54

HISTOIRE

fes foldats euffent des courages barbares, arrogans,, vindicatifs, ny imperieux, mais qui fe font toufiours accommodez félon la volonté de leur Capitaine ; & pour cela l'on peut dire que ces louables parties n'ont point encore efté reconnues en pas une autre armée fi manifeitement qu'en la fienne ; D ' o ù l'on reconnoift qu'il eft neceffaire que les foldats foient pluftoft. choifis qu'en grand nombre ; & il n'y a chofe plus convenable que de tenir les armées nettes de gens inutiles, parce que la promptitude 6c l'agilité qui font les principales parties dans la milice, ne peuvent pas fubfiiter dans une campagne pleine de toute forte de gens, parce que cela embaraffe & donne occafion à l'ennemy de venir à bout de fon deffein. C'eft pourquoy Cortés founaitoit à fes foldats, la volonté , la honte , & l'obeiffance , d'où dépendent la valeur, & la patience,par le moyen de laquelle il avoit vaincu dans des guerres très-importantes, non par l'abondance des trefors, mais par une generofité de courage , & dans la tolérance des travaux par Belles qualités l'exemple de fa perfonne, ayant toufiours efté le prede Cortés. mier dans les batailles , dans les veilles, dans les affiduitez , & dans l'exécution de quelque chofe que ce fuft fans confiderer les hazards & les périls de la vie. L e Second jour de la Pentecofte , Cortés divifa fes gens de cette forte ; il referva auprès de fa perfonne O r d r e de C o r t é s trois cent foldats, avec lefquels il fe devoit mettre dans p e u r la divifion les brigantins ; & fit trois corps d'armée du refte. Il donDE fon a i m é e . na à Pierre d'Alvarado trente hommes de cheval,& cent cinquante de pied, à l'épée & au bouclier, dix-huit tant Arbaleftriers qu'Arquebufiers, deux pièces d'artillerie, & plus de trente mille Indiens Tlafcalteques,avec ordre de camper à Tacuba. A Chriftofle d ' O l i d , trente trois hommes de cavalerie, dix-huit Arbaleftriers & Arquebufiers, cent foixante d'infanterie, deux pièces d'artillerie , & prés de trente mille Tlafcalteques,- & pour pofte Cuyoacan. Et à Gonçale de Sandoval, trente trois Cavaliers, quatre Arquebufiers , treize Arbaleftriers, cent cinquante hommes d'épée & de bouclier,ayec tous 1521.


DES I N D E S O C C l D É N T A L E S , Liv. I. 55 les Indiens de Guaxocingo , de Chulula, de de chalco, qui

faiibient enfemble plus de quarante mille hommes ; & 1521. ceux-cy dévoient aller ruiner la ville dïztapalapa , & prendre leur pofte ou ils Je iugeroient plus à propos ; après avoir premièrement pris la garnifon de Cuyoacan, & paffé devant par une chauffée du lac , pour épauler les brigantins, afin que Cortés venant à entrer au milieu d ' e u x , Sandoval peuft avec plus de facilité & moins de rifque , fe camper où bon luy fembleroit. Il y avoit dans les brigantins, Martin L o p e z , homme de bon confeil, & vaillant, & les gens eftoient accouftumez à naviger Différent entre en mer. Il y avoit vingt-cinq Caftillans dans chaque bri- Alvarado & gantin avec leur Capitaine de fix Arbaleftriers de Ar- Olid. quebufiers. Alvarado de Chriftofle d'Olid fortirent de T e z c u c o le 22 jour de May pour fe camper dans leur pofte ; & dans Aculma, où ils allèrent repoler cette nuitlà,ils eurent différent enfemble pour le logement. Cortés y envoya auffi-toft Alonfe d'Avila pour les réprimander, en leur reprefentant le préjudice que cela pouvoit caufer en pareille rencontre. Mais ils s'accordèrent auffi-toft à caufe du refpect qu'ils portoient à leur G e n e r a l , de qu'ils eftoient affez prudens pour reconnoiftre leur faute. Ils arrivèrent à T a c u b a , qu'ils trouvèrent dépeuplé. Ils fe logèrent dans les maifons du Seigneur ; & quoy qu'il fuft tard , les Tlafcalteques allè- Les T l a f c a t o vont en rent en veuë de Mexique , & combatirent trois heures ques veuë de Mexi-durant contre ceux de la ville. Le lendemain les Capi- que & c o m b a taines refolurent de détourner le cours de l'eau qui en- tent c o n t r e les Mexiquains. trait dans la ville , dont l'un d'eux alla à la fource, accompagné de vingt Cavaliers de grand nombre d'Indiens ; & quoy qu'il y trouvaft grande refiftance,& que l'on y combatit fort de ferme, l'on ne laiffat pas que de rompre les canaux de bois,garnis de pierre & de chaux, par ou l'eau entrait dans la ville, de ainfi elle f u t fruftrée de cette e a u , qui luy caufa un grand dommage de dont les Mexiquains eurent un grand reffentiment. C e t t e mefme journée les deux Capitaines firent racommoder plufieurs paffages qui eftoient rompus, des ponts


56 1521

Chriftofle d'Olid paffe à Cuyoacan avec fon

armée.

H I S T O I R E

& des canaux autour du lac, afin que les gens de cheval puffent faire librement leurs courfes de cofté & d'autre , Se gagnèrent quelques tranchées dans des paffages difficiles, où ils çombatirent quatre jours contre les Mexiquains, pendant lefquels il y eut plufieurs défis contre ceux de Tlafcala, & quantité d'injures qu'ils le dirent les uns aux autres, Dans ce mefme temps Chriftofie d'Olid paffa à Cuyoacan. Vn autre iour il fortit avec vingt Cavaliers , quelques Arbaleftriers, & fept mille Tlafcalteques pour vifiter la chauffée qui eft entre Mexique Se Yzfapalapa , Se trouva les ennemis bien préparez pour combattre, la chauffée rompue, Se fortifiez de tranchée Se de barrières. L'on combatit fortement de part Se d'autre, & ce combat dura fept iours & une nuit. En fuite de cela les Mexiquains approchèrent des fentinelles des Caftillans, enfaifant de grands cris à leur mode. L'on fonna l'alarme, Se l'on courut fur eux ; mais on ne trouva perfonne, & cependant on ne laiffa pas de fe tenir fur fes gardes.

C H A P I T R E

XIV,

De quelques ordres qui furent envoyez aux Indes pour faire une armée contre les Corfaires. Mort de Jean Ponce. Record fait avec Rodrigue de Baftidas ,four la

découverte de la terre de Sancta Marta.

Figuerio a depoffedé de fon Gouvernerment.

cependant que ce que nous venôs de reciter fe p a f Ce foit dans la nouvelle Efpagne, il eftoit arrivé plufieurs plaintes au Cardinal de Tortofa,au Conneftable,& à l'Admirai qui gouvernoient les Royaumes de Caftille, contre le Licentié Figueroa, Se pour ce fujet ils ordonnèrent que l'on le dépoffedaft, que l'on examinait fes comptes,& que cependant l'on mift en fa place le Licencié Chriftofle Lebron. Et on trouva à propos que l'Audience de l'Efpagnolle qui eftoit eftablie dans la ville de faint Dominique envoyait delà en avant au nom du Roy,


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 57 Roy , des Lettres patentes , feellées du Sceau Royal, 1521. comme les autres Chancelleries de cette Couronne, afin que l'on euft la connoiffance de toutes les chofes de la T e r r e - f e r m e , en forme d'appellation. Et pour autorifer davantage l'Audiance l'on y pourveut d'un Prefid e n t , qui eftoit l'Evefque de la Conception. Au cornmancernent du mois d'Avril cinq Piragues de Caribes entrèrent un jour au lever du Soleil dans l'Ifle de faint Jean, qui attaquèrent quelques quartiers de Caftillans, ils les prirent au dépourvu ; & quoy qu'ils firent tout ce qu'ils purent pour fe deffendre, il y en eut quelquesuns de t u e z , les autres fe fauverent par la fuite;& lors que l'on apprit ces nouvelles en la ville de Puerto-Rico, les Caribes s'eftoient déjà retirez, & embarquez, emme- Les Caribes e n nant quantité d'Indiens captifs, ce qui caufa bien de la trent dans Ifle de S I e a n & e n fafcherie aux G o u v e r n e u r s , & au Confeil. Et d'autant lèvent des I n qu'il fembloit neceffaire pour empefcher les courfes diens captifs, qu'ils faifoient, d'avoir un brigeantin de quinze bans dans Puerto-Rico, il fut ordonne aux Officiers de Seville qu'ils l'envoyaffent aux dépens de l'Audience Royale Dans ce mefme temps l'Admirai Diego Colon avoit envoyé de l'Efpagnolle le Licencié Alonfe Zuazo dans l'Ifle de Cuba pour en prendre poffeffion & faire rendre compte à l'Adelantado Diego Velafquez. Mais parce qu'il eftoit favorifé de tous, par la bonne opinion qu'on avoit de luy , & qu'ils avoient appris que l'authorité de l'Admirai n'avoit point de pouvoir en cette Iurifdiction, il fut ordonné que le Licencié Zuazo n'executeroit point fa commiffion jufques à ce qu'il euft rendu compte luy mefme des Offices & des charges de Iuftice qu'il avoit exercées ; parce qu'il ne pouvoit pas eftre pourveu d'autre charge , puis qu'il ne quittoit pas les autres ; & que l'Adelantado euft comme il avoit eu cy-devant,le Gouvernement & la Iuftice pour l'Admirai. Et d'autant qu'il pouvoit arriver que lors que cet ordre arriveroit dans l'ifle, l'Adelantado pourroit eftre abfout, afin que la Iuftice ne manquaft pas d'eftre exercée , il fut ordonné que Gonçale N u n e z de Guzman feroit H


58 1521

Le Confeil deffend d ' e m p e cher ceux qui veulent paffer en Ciftille,ou y cferire.

O n levé u n e arm é e d a n s la C a ftille pour aller c o n t r e les Corsaires..

H I S T O I R E

l'office de Diego Velafquez: Si-toft que le licencié Zuazo fut arrivé à Cuba il ofta le partage d'Indiens que Manuel de Rojas avoit,à caufe qu'il eftoit parent de Diego Velafquez, & le luy fit rendre & prolonger le terme de huit mois qu'il luy avoit donné pour enlever fa femme pour trois ans, attendu qu'il eftoit venu en Caflille pour informer l'Empereur des chofes qui regardoient fon fervice ; & le mefme Manuel de Rojas qui eftoit natif d e Cuellar, patrie de Diego Velafquez,& fon amy procurait en ce temps-là que l'on luy fift juflice à l'encont r e de Fernand Cortés, & il n'eftoit pas mal venu auprès du Prefident du Confeil des Indes , Iean Rodrigue de Fonfeque, & d'autres. L'on avoit ordonné cy-devant que pas un Miniftre Royal n'empefchaft ceux qui voudraient venir des Indes en Caflille pour informer le R o y des chofes qui dépendoient de fon fervice, & que l'on n'empéchaft pas non plus ceux qui voudraient efcrire. E t parce que les Officiers Royaux ne gardoient pas cet ordre ponctuellement, qu'avec beaucoup de rigueur , en telle forte qu'ils ne le fouffroient qu'à grand peine, on leur manda derechef qu'ils fe déportaffent de cela, & qu'ils laiffaffent la liberté entière pour paffer en Caftille, & écrire ce que bon fembleroit à ceux qui le voudraient faire. Il y eut en ce temps-là quelques Corfaires qui r o d è rent le long de la Colle de l'Andaloufie & de l'Algarv e , q u i pilloient, & efpioient les Navires qui venoient des Indes. Pour remédier à ces inconveniens ; l'on ordonna de lever une armée de quatre ou cinq Navires, & que l'on tirafl la depenfe de cet armement fur tous les Navires, or , argent , & marchandifes qui arriveraient aux ports de l'Andaloufie & en ceux des Royaumes de Grenade 6c de M u r c i a , des Indes, & des lfles de Canarie ; & mefme du Roy & des perfonnes particulières ; & dans les Communautez & ports qui pouvoient recevoir quelque dommage des Corfaires, & que cela fufl taxé au fol la livre pendant tout le temps que cela dureroit. L'on recommanda le foin & la diligence de la


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I . 59 levée pour cet armement au Comte d'Oforno , Prefi1521 dent de Seville, & aux Officiers de la maifon de Contradationr Les Vaiffeaux furent équipez & armez, & l'on y mit pour General Pierre Manrique frère du Comte, L'on ordonna pour Pilote Eftienne Gomez. Et d'autant qu'Alvaro de Mezquita, Capitaine du Navire faint Antoine, qui revenoit du détroit de Magellan,faifoit une relation différente de ce qu'avoit fait Eftienne Gomez, & que l'on luy avoit faifi fes biens ; on ordonna de luy donner ce qu'il auroit befoin jufques à définition de procez, pour fa dépenfe , à. condition qu'il allaft fervir en cette armée. Mais comme ils eftoient prefts de partir, l'on eut avis par ceux de France, que trois caravelles qui venoient des Indes les Corfaires e n avoient pris d e u x , & que l'autre qui apportoit le plus d'or eftoit arrivée à bon p o r t , 6c que les Corfaires attendoient encore cinq autres Navires qui venoient ; l'on depécha un Navire fort léger pour aller aux Ifles des Açores pour leur en donner avis. L'on manda auffi à Pierre Manrique qu'il s'allaft joindre avec eux , ce qu'il fit. Et le iour L'armée des C a combat de faint Iean ils découvrirent fept Navires de Corfaires cftillans o n t r e les C o r autour du Cap de faint Vincent. Les Caftillans les at- faires. taquèrent , ils fe batirent à coups de Canon un bon efpace de temps ; mais enfin les Corfaires fe retirerent. Les Caftillans leur donnèrent la chaffe toute la nuit ; mais le lendemain au matin les Corfaires fe raffemblerent pour attendre Pierre Maurique, lequel prit le deffus du v e n t , mais le vent venant à tourner ils fe retirèrent. Manrique les fuivit plus de quarante lieues, & leur reprit un Navire qu'ils avoient pris , chargé de bled , & un autre où il y avoit quelques pièces d'artiller i e , 6c autres armes&Se tous les Navires des Corfaires perdirent leurs barques. Pour Pierre Manrique il fut contraint de retourner à faint Lucar pour reparer la perte qu'il avoit faite , parce qu'autrement il n'auroit pas pu paffer outre. O r d'autant que l'on avoit eu avis M a n r i q u e va à qu'il y avoit d'autres Corfaires qui attendoient les cinq S. Lucar pour Navires que l'on difoit qui apportoient cinq cent mille reparer fa perte. H ij


1521

D e l'or qui venoit tous les ans de l'Efpagnolle.

Iean Ponce Léon va a la Floride.

60 HISTOIRE ducats en or, deux mille cinq cent marcs de perîes,cinq cent mille pefant de fucre, & grande quantité de Caffe, & de cuirs cruds ; D e forte donc que pour faire fortir cette armée en bref, pour efcorter ces Navires & les faire arriver à bon port, l'on fit une levée de deniers fur les Marchands de Seville, & l'on fit diligence pour la faire joindre avec une autre armée que le Roy de Portugal envoyoit aux Ifles Açores pour accompagner les Navires de Calicut. Et parce que les Mariniers d'une caravelle qui fut dérobée en la cofte de Galice, dirent qu'ils avoient vû vingt-fix Navires de Corfaires,& qu'il y en avoit encore vingt autres qui alloient par un autre coflé ; & que les Navires de Calicut n'arrivant pas aux Ifles Açores dans le mois d'Aouft, ils ne pouvoient pas arriver en Caflille de l'année, on ordonna à Pierre Manrique que puifque l'on ne pouvoit pas éviter la dépenfe,qu'il fift en forte de retenir l'armée Portugaife pour l'efcorter jufqu'à ce qu'il fuit hors de péril ; & qu'il fe fournît de poix, d'étoupes & autres chofes neceffaires pour reparer les cinq Navires, parce que l'on difoit qu'ils faifoient eau, & qu'ils eftoient fort mal en ordre à caufe de leur trop longue navigation. O r ilarrivoit en ce temps-là tous les ans quarante à cinquante mille efcus d'or de l'Ifle Efpagnolle, tant pour le Roy, que pour des particuliers ; mais non pas toufiours dans une mefme flotte, Dans ce mefme temps la réputation des valeureux faits de Cortés fe divulgoit par t o u t , de telle forte que cela donnoit de l'émulation à la plufpart des plus anciens & principaux Capitaines des Indes pour entreprendre auffi de leur part quelques actions fignalées , parce que comme ils eftoient en pareil degré que luy, ils ne s'eftimoient pas moins. L'Adelantado Iean Ponce de Léon fut celuy qui s'émancipa le premier, parce que dés l'an 1512. qu'il defcouvrit la Floride , & qu'il alla chercher cette fontaine appellée par les Indiens Santatan , & cette Rivière qui rajeuniffoit les Vieillars ; que depuis qu'il fut maltraité par les Caribes de l'lfle de Guadalupe,


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I.

61

il s'eftoit retiré : il réfolut alors d'armer deux Navires dans l'lfle de Saint Iean de Puerto Rico, où il faifoit fa refidence, enquoy il def penfa une bonne partie de fon bien. Il s'embarqua dans ces Vaiffeaux & paffa à la Floride, que l'on croyoit encore Iftre Ifle, pour s'affurer en chemin faifant, fi c'eftoit terre ferme ou n o n , comme ille témoigna parles Lettres qu'il écrivit cette année-là à l'Empereur , au Cardinal Adrien , alors Gouverneur de ces Royaumes , & au Secrétaire Samano. Comme il voulut prendre terre dans la Floride , après avoir fouffert de grands travaux en la navigation,les Indiens fortirent au devant de luy en Armes pour luy refifter, & combatant contre luy avec beaucop d'obftination, ils tuèrent quelques-uns de fes g e n s , & luy bleffé à la cuiffe ; enfuite dequoy il s'en retourna à C u b a , avec ceux qui luy reftoient, où il mourut. Le Roy en confideration de fes Services, donna la charge d'Adelantado , & les autres qualitez qu'il avoit, à Louis Ponce de Léon fon fils.

1521.

Il y r e t o u r n e avec r e s , o ù il fut bl ffé d o n t il meurt.

deux Navi-

En ce temps-là auffi le Confeil du Roy fouhaitoit avec paffion que l'on fift quelques peuplades de Caftillans en la partie de la T e r r e ferme,appellée Santa Mar- Le R o y defire l'on peuple ta , & Rodrigue de Bartidas natif de Santo Domingo, que Santa Marta. s'eftant prefenté pour cela , l'on concerta avec que luy pour c e t effet , le quinzième jour de D é c e m b r e de cette année ; qu'il euft à faire baftir un Vilage en dedans deuzans , où il y euft au moins cinquante H a b i tans, & que quelques-uns d'entr'eux fuffent mariez, ayant leurs femmes avec eux. E t afin que Rodrigue fait avec , de Baftidas agift genereufement en cette affaire , on Accord Rodrigue de Baluy donna la Lieutenance de la première Fortereffe itidas p o u r cet qu'il baftiroit , & encore d'autres avantages qui luy effet. furent octroyez, dont il fe tint pour fatisfait : O u t r e qu'on luy bailla encore la permiffion de prendre dans rifle Efpagnolle, celle de Saint I a c q u e s , appellée lamayea, & dans celle de Saint I e a n , des gens , & des Troupeaux dont il auroit befoin. Et le Roy envoya pour fon Controlleur e n c e t t e entreprife Iean de Ledefma. H iij


HISTOIRE

62

1511.

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C H A P I T R E

,

,

XV.

De la Commiffon que le Roy ordonna d'envoyer à chrifiofte de Tapia , four aller dans la nouvelle Efpagne contre Fernand Cortés.

O

Voy que l'onne fuft, pas ignorant en Cour des valeureux faits & actions de Cortés dans les Indes,, &, que l'on y parlait de luy fort avantageufement, c e u x qui ne luy eftoient pas amis ne ceffoient de l'accufer & luy donner le nom d'ufurpateur , ayant emmené & pris à Diego Velafquez ce qui luy appartenoit de droit par l'authorité R o y a l l e , & dont il en avoit les provifions. Et comme Manuel de R o j a s , & d'autres , portoient cette affaire à toute extrémité ; il fut arrefté L'on ordonne que Panfile de Narnaez foir dé livré de pfifon.

Chriftophe A Tapia a comiffion pour paffer à la nouvelle Efpagne.

dans le Confeil Royal des Indes ; Que l'Admirai Diego Colon , & l'Audience de l'Efpagnolle, ne procédaffent point à l'encontre de Panfile de Narnaez, pour ce qui s'eftoit paffé dans la nouvelle Efpagne avec le Licencié Lucas Vafquez d'Aillon, & les Officiers qui eftoient avec luy, mais qu'ils donnaffent ordre qn'on le mit en liberté, en le tirant de la prifon où il eftoit dans la Vera-Cruz ; & que l'on reftituaft à Diego Velafquez, les frais & defpenfes de cette affaire, pour ce qu'ils l'avoient exécuté, qui montoit à quatre mille ducats ; Et que le Vifiteur Chrifiofle de Tapia, qui refidoit dans l'Efpagnolle , fe tranfportaft dans la nouvelle Efpagne, & quil prift le Gouvernement pour le Roy, & donnaft fatisfaïlion a Diego Velafquez pour les interefts qu'il prêt endoit , & nommaft une perfonne qui certifiaft ce qui s'eftoit paffé entre Fernand Cortés & Panfile de Narnaez Il ne manquoit pas d e

gens en Cour qui infiftaffent à ce que l'on envoyait des perfonnes pour examiner & vérifier l'affaire d'entre ces deux Capitaines, & d'autre chofes encore pour calomnier Cortés : mais ils difoient qu'il n'eftoit pas temps alors de le vouloir tirer de ce Gouvernement , veû qu'il n'y eftoit pas encore bien étably , & que l'ayant conquis


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 63 par une infinité de travaux &d'induftrie , ce feroit le 1521. mettre à la defefperade , & donner entrée à quelque grand changement qui pourroit eftre grandement préjudiciable. Mais l'Evefque de Burgos qui eftoit un homme hardy, ne pouvant ftipporter patiemment , le trait qui avoit efté fait à Diego Velafquez, l'emportoit fur tous, quoy qu'il ne pouvoit pas eftre loué e n cette élection de Chriftofle de Tapia , pour avoir efté fon L'Evefque de ferviteur. O u t r e que pour une femblable commiffion, Burgos veut que quoy que l'on prefuppofe qu'il fut honnefte h o m m e , T a p i a aille d é poffeder Cortes cela requeroit neantmoins une perfonne d'une autre de la Nouvelle cftoffe. Et il n'eft pas hors de propos de dire en cet en- Efpagne. droit , qu'il y en a qui difent que la confcience de Cortés luy reprochant cette action,il donna cinquante mille efcus à Panfile de N a r n a e z , pour les porter à Diego Velafquez pour fatisfaire à fes dommages & interefts. Mais cela n'a aucune apparence de vérité , & en effet cela ne s'eft pas paffe de la forte par beaucoup de raifons, qui pour n'eftre pas del'Hiftoire ne fe mettent en ce lieu. L'on donna à Burgos les dépefehes pour Chriftofle d e T a p i a , fignées des trois Gouverneurs , l'onzième d'Avril de cette année, qui luy Rirent envoyées. Si toft qu'il les eut en fapoffeffion,il fe prépara pour paffer dans la nouvelle Efpagne. Mais comme l'Admirai Diego Colon & l'Audience de l'Efpagnolle avoient une parfaite connoiffance des grands avantages que Cortés s'eftoit acquis dans toutes ces Provinces, ils firent les mefmes réflexions que quelques-uns avoient fait en Caftille , & dans le Confeil, que cela pourroit caufer de la confufion, & confeillerent â Tapia de retarder fon voyage pour quelque temps, de crainte des inconveniens qui enpourroient arriver, & le luy firent lignifier. Quel- Ils avoient defdans S a n t o ques Confeillers de l'Audience difoient qu'il fe falloit fein D o m i n g o de faifir de fa perfonne , puis qu'il eftoit arrivé à ce deffein. prendre Tapia L'on donna avis en Caftille des altérations que cela prifonnier. caufoit , & qu'il pourroit arriver des révoltes dans la nouvelle Efpagne., en cas que Chriftofle de Tapia y paffaft.


64 HISTOIRE Mais les Miniftres de l'Efpagnollene tardèrent guè1521. re à fortir de l'inquiétude ou ils eftoient i parce qu'ils reçeurent autTi-toft des lettres , 6c Padrarias d'Avila auffi pour tous les Miniftres des Indes , par lefquelles les Gouverneurs de la Ville de Burgos, leur donnoient avis que le trouble arrivé dans quelques places de Caftillefans aucun fait, eftoient par la grâce de Dieu appaifez. Parce que le vingt-troifiéme d'Avril, le propre jour de SaintGeorge l'ArméeRoyale avoit livre Bataille aux Rebelles, 6c ayant efté vaincus, 6c les principaux, coupables pris prisonniers , l'on en avoit fait juftice, Bataille de Franpour avoir abufé les Peuples, & leur avoir fait prençois & d'Efpagnols dans la dre les Armes contre le Roy. Qu'enfuite de cette ViNavarre. ctoire ? la mefme Armée alla contre les François , qui s'eftant voulu fervir de Poccalion des troubles de Caftille eftoient entrez dans l'Efpagne, & s'eftoient rendus maiftres de la Navarre , & combatant le dernier jour de Iuin de cette année, auprès de la Ville de Pampelone , proche d'un vilage appelle Noayn , les François furent vaincus, l'Afperrant General pris prifonnier ,& quantité de Seigneurs 6c de Capitaines y furent tuez & d'autres furent faits prifonniers ; que l'on y avoit pris quelques pièces de canon , & le bagage ; & l'on enchargea à tous de rendre grâce à Dieu de cette Victoire. En cette bataille Alonfe Ruyz d'Herrera , originaire de la Ville de Cuellar, fut celuy qui bleffa le Afperrant pris General d'Afperrant au vifage, dont il devint aveugle, quoy qu'il tombait entre les mains de François de prionnir. Beaumont, Capitaine de Gens d'Armes, contre lequel le mefme Alonfe Ruyz d'Herrera eût différent , que les Gouverneurs appaiferent ; lequel dans la mefme Bataille prit de fes propres mains le Guidon de Monfieur d'Afperrant, & le prefenta aux Gouverneurs, parce que les Enfeignes & les Guidons pris en Bataille appartiennent aux Généraux , en payant un droit. Ainfi ce Guidon fut porté dans Burgos , & mis dans la Chapelle du Conneftable, & Alonfe Ruyz d'Herrera eût des Privilèges de l'Empereur pour cette action. CHAP.


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I.

65 521.

C H A P I T R E

XVI.

Des Ordres qui furent envoyez en ce temps-là dans Caftilla del Oro , & dans la Ville de Panama.

L

Es Gouverneurs de ces Royaumes , nonobstant Ordre que les l'abfence du Roy , ne laiffoient pas que d'avoir Gouverneurs d'Espagne envo loin des affaires qui concernoient le Gouvernement yent aux Indes. des Ifles, du confentement de ceux qui en traitoient, & à la fufcitation de François de Lifaur , Procureur de la nouvelle Peuplade de Panama. L'on manda donc à Pedrarias d'Avila, qu'il fift faire quantité de labourages en la T e r r e que lon devoit peupler , afin que l'on n'y euft point de difette de vivres, & que l'on n e prift pas ceux des Indiens, afin qu'ils traitaffent avec les Caftillans de meilleure grâce & plus franchement} Q u e l'on apportait tous les foins poffibles envers Gille Gonçalez d'Avila de partir en toute diligence avec l'Armée qui fe preparoit , pour ailer en defcouverte du cofté du Ponant , par où l'on efperoit de trouver dans les Ifles des Epiceries , puis que par la mort de Valco Nunes de Balboa l'on en avoit perdu la volonté qu'il difoit avoir dans l'idée, & le tout par la mefintelligence que l'on difoit y avoir entre Pedrarias & Gille Gonçalez. Cependant Pedrarias avoit demandé que l'on envoyaft des Vifiteurs pour avoir l'œil fur ceux qui mal-traitoient les Indiens, mais d'autant que cette demande fut trouvée cauteleule.eu égard aux nouvelles que l'on recevoit de ces Provinces ; on luy fît ref- Le R o r a beauponie qu'il y apportai! les remèdes convenables, puis coup de foin que c'eftoit à luy à rendre compte des mauvais trai- pour le bon t r a i t e m e n t des I n temensque l'on feroit aux Indiens. Et que puis que le d i e n s . principal remède eftoit de les ofterà ceux qui les maltraitoient , on luy donnoit toute l'authorité requife pour les ofter, pour les donner, & chaftier ceux qu'il conviendroit. Et que pour ce qui eftoit desdefpenfes


66 HISTOIRE qu'il faloit faire pour ouvrir les chemins , faire des 1521. Ponts ,& envoyer des Procureurs en Caflille, veû que Divers ordres les nouvelles Peuplades n'avoient point de propres pour Caftilla l'on donna permiffion de faire des levées fur les H a Dd- Or t. bitans, & que pour une fois feulement l'on prift des deniers des peines appliquées à la Chambre Royale ; Parce que le Roy a toujours voulu aider aux eflablifcemens de cette Republique. Or afin que les gens euffent encore plus d'inclination pour paifer aux Indes , l'on ordonna que ceux qui y meneroient leurs femmes & leur famille ne payeraient aucuns impots ny fubfides, & que leur paifage leur fuit donné aux defpens des droits Royaux, & que l'on prifl auffi des mefmes droits pour la defpenfe qui fe ferait pour la guarifon des pauvres malades qui fe retireraient dans l'Hôpital de Panama pour fe faire penfer. Et fur l'avis que l'on eût que les Habitans faifoient de grands frais pour équiper desNavires pour aller en defcouverte en la mer du Sud par la route du Levant. & que pour élire une T e r r e qui ne leur eftoit pas connue , ils enduraient de grands travaux , on leur fit largeffe du Quint qui appartenoit au Roy ; à condition que pour reconnoiffance de cette grâce , ils donnafient les plus grands joyaux qu'ils trouveraient ou gaigneroient pour la Chambre au jugement du Gouverneur. Et afin qu'ils puffent mieux faire le voyage & avec plus de facilité, l'on envoya pour le compte des droits Royaux provifion de Voilles, de d o u x & ferremens , de poix, d'efloupe, & autres chofes neceffaires pour aidera reLe Roy favorife parer les Navires qui dévoient fervir à cette navigales Habitans de P a n a m a , pour tion. L'on pourveut auflî à ce que le Licencié Efpinola navigation fa , ou autres Officiers Royaux quels qu'ils fuffent, de la mer du qui euffent enlevé quelque part du gain qui aurait efté Sud. fait dans les courfes que les Habitans auraient faites en cette terre,Se qui n'y auraient pas affifté en perfonn e , euffent à la raporter , foit de Pedrarias auffi bien que des autres. L'on ordonna auffi que les Efclaves noirs n'allaffent


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. T. 6 7 point en defcouverte ny aux courfes cy-apres , parce que l'on avoit raporté qu'ils eftoient fort préjudiciables aux Indiens ; & que ceux qui porteroient des vivres dans Caftilla del Oro , fuffent exemps de fublides 6e d'impofts pour dix ans ; Q u e la ville de Panama , ne payerait en dix ans que la dixième partie de l'or qu'ils recùeilleroient , & dans les autres cinq ans , la première année la neufieme partie , & confecutivement jufques à arriver à la cinquième a n n é e , qu'ils payeroient la cinquième partie. L'on confirma à la ville les limites que le Gouverneur avoit bornées, en laiffant trois lieues au milieu pour y baftir vne peuplade. L'on donna la faculté aux Habitans de pouvoir trafiquer avec les Indiens par la voye des trocs 6e échanges au gré des parties. Et d'autant qu'il n'y avoit point dans cette T e r r e de monnoye, ny d'argent, ny de billon pour pouvoir trafiquer , & qu'ils coupoient des morceaux d'or fort menus & en quantité, par le moyen defquels ils maintenoient leur commerce, l'on y fit porter de la monnoye d'argent & de billon. L'on permit que chaque perfonne qui repafferoit en Caftille pourroit emmener avec luy un Indien ou une Indienne de ceux qu'ils avoient en partage, pourveu qu'ils y vouluffent venir de leur bon g r é , fans y eftre contraints ny forcez ; parce que félon les apparences en y apprenant les Couftumes de Caftille , & qu'y eftant endoctrinez dans les points de la F o y , cela feroit un grand progrés, lors qu'eftant de retour en leur Païs natal, ils viendroient à manifefter ce qu'ils auroient veû & appris , & feroient en paix avec les Caftillans. L'on donna le Titre de Ville à Panama , & pour l'ennoblir davantage , on dépefcha des Privilèges, 6e des Armes, qui eftoit un Efeu en champ d'or 6e au milieu à droit un j o u g , & une trouffe de flèches gris blanc , le cafque d'azur , les plumes argentées, qui eftoit la devife des Rois Catholiques, Dom Fernand , & D o n a lfabel ; & dans l'autre moitié de l'efcu, deux Caravelle, pour marque que l'on efperoit en Dieu , que par-là l'on devoit I ij

1521, Deffence de m e ner des Efc avec noirs aux defcouvertes & aux Courfes,

Q u e les Gaftit lans pourroienf trafiquer avec les i n d i e n s .

Lon porte de la m o n n o y e aux Indes.

Titre & Armes de la Ville de Panama.


1521 L'on y envoyé des Magiftrats.

68 HISTOIRE faire la découverte des Epiceries, & au deffus des Caravelles une toille en mémoire du Pole-arctique , & pour orle de Efcu, Caftillosy Leones.L'on pourveut auffi de Magiftrats , qui furent le Capitaine Gonçales de Badajoz , & le Capitaine Rodrigue Enriquez de Colmenares, Roger de Loris, Pafcal d'Andagoya, Martin Eftete , Benito H u r t a d o , Louis de la Rocha , & François Gonçalez. Le Licencié Fernand de Salaya fut pourveu de la charge de Lieutenant de Pedrarias , dans la Ville de Panama, & cinq cens cinquante mille Maravedis de gage ; Et d'autant que frère Iean de Quevedo Evefque de Santa Marta del antigua des Da-

Vincent Peraza Dominiquain Evefque de D a rien.

rien , efloit decedé , on mit en fa place frère Vincent Peraza,de l'Ordre de S. Dominique , natif de Seville. Et l'on ordonna de prendre fur les droits du Roy pour acheter des Orgues 6c une Orloge pour le fervice d e 1 Eglife ; & l'on enchargea à l'Evefque & au Gouverneur Pedrarias , comme l'on avoit fait cy-devant , d'avoir foin de la converfton & bon traitement des Caciques , & des Indiens , remettant le tout fur leur confcience.

C H A P I T R E

XVII.

L'on rêfolut dans Mexique de continuer la guerre. Des Vicloires que Cortés obtient fur le Lac, & dans les Chauffées.

L

E Royquantantimocvoyant que fes Ennemis approchoient toujours de Mexique , & que l'on appreitoit tout de bon les chofes neceffaires à la G u e r r e , refolut d'affembler de rechef les Seigneurs 6c les Capitaines qui eftoient dans Mexique ; & après leur avoir Le Roy de Mexiq u e parle à la Nobleffe, t o u chant la paix ou la guerre.

reprefenté l'eftat ou fe trouvoient la plufpart des Provinces qui s'eftoient foulevées , &avoient fait paix avec les Ennemis ; fe trouver fans eau, & qu'il faloit comme dérober fi peu qu'ils en beuvotent avec des canos ; la force des Bri-


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 69 gantins les Paffages pris , les périls & les miferes qu'il faloit 1521. fouffrir pour fournir à la Guerre , leur demanda leur fentiment là deffus,pour la maintenir , ou pourfaire la paix parce qu'il avoit eu avis que Cortes la defiroit , & plufieurs la perfuadoient. La jeuneffe,& les gens alegres & difpots vouloient la g u e r r e , d'autres difoient que l'on differaft de fa crifier quatre Caftillans, & quantité d'Indiens qu'ils tenoient frifonniers ; afin que par leur moyen quelques jours apres s'ils fe voyaient affiégez de trop près , ils puffent faire la paix, & que l'on ne fe preffaft point. D'autres qui ne vouloient point entendre deraifons, difoient qu'il faloit faire quantité de Sacrifices, d'oraifons , & fe recommander aux Dieux , puis que c'eftoit pour leur caufe qu'ils combatoient, fe confiant en leur bonté qu'ils ne les abandonneraient point. Cette dernière Les Mexiquains propofition eut plus de force que les autres ; & l'on facrifient q u a commença incontinent à facrifier les quatre Caftillans tre Caftillans & quatre mille I n & quatre mille Indiens félon la commune opinion. Et diens. après que l'on eut fait l'Oraifon , le Démon perfuada au R o y de ne rien appréhender ; que les Caftillans eftoient en petit nombre, & mortels ; que les Tlafcalteques ne perfevereraient pas dans le Siége ; qu'ils fe deffendiffent vaillamment , & qu'illes ayderoit. Quantimoc recevant cet oracle comme une v é r i t é , devint tout joyeux 5 il fit fortifier quantité de places dans la Ville ; il fit hauffer les Ponts ; il fit armer cinq millecanos, & les fournit de vivres ; & les Mexiquains travailloient après cela, lors que Criftofle d'Olid battoit fon Quartier. Les Mexiquains leur difoient alors ; Hà mal-heureux hommes , vous payerez la peine deuë à voftre folie ; nous appaiferons l'ire des Dieux par voftre fang, & nos Couleuvres le boiront ; Vos chairs foule- Ils injurient les Tlafcalteques. ront nos Tigres & nos Lyons, qui font déjà tout engraiffez, de vos compagnons. Ils traitoient les Tlafcalteques , d'infâmes^' Efclaves & de Traîtres ; & leur difoient : Puis que vous eftes fi infenfez , nous mangerons de vos chairs. Prenez ces bras & ces jambes de vos femblables que nous avons facrifiez : & les leur jettoient, leur proteftant qu'ils ne mettroient point bas les Armes qu'ils n'euffent ruiné & defolé leur T e r r e , fans y laiffer homme ny femme , dont il peut I iij


70 1521.

H I S T O I R E

renaiftre des rejettons de leur maudite race. Et les Tlaf

calteques leur refpondoient ; Qu'il eftoit bien plus expédient pour eux de fe rendre, que de s'obftiner cotre des gens qui les aux Mexiquains. avoient toujours vaincus ; qu'ils ne dévoient pas ufer de menaces comme des femmes ; que s'ils eftoient fi vaillants comme ils le prefumoieut, qu'ils le fiffent paraiftre par les effets & par les paroles 5 puis qu'ils eftoient arrivez au but où toutes leurs méchanceté fe dévoient terminer , & pour tout dire en peu de mots,qu'ils feroient tous ruiner , fans qu'il reftaft aucune chofe vivante , fi dans le temps ils ne changeoient de réfolution. Reproches des Tlafcalteques

Quelques-uns ont eu opinion que le Démon n'aparoiffoitpoint aux Indiens, ou que s'il le faifoit c'eftoitde parloir pas aux loing à loing & de nuit ; mais que c'eftoit une invention Indiens. dont fe fervoient les Preftres , pour conferver l'Empire qu'ils avoient fur ces gens ; leur faifant entendre ce, qu'ils defiroient d'eux 5 & leur difoient qu'ils avoient des virions & des révélations ; & qu'à caufe de cela ils ne difoient que des chofes où les Peuples recevoient du gouft, comme fut celle de la guerre, à laquelle la plufpart du Peuple eftoit enclin. Xicotencatl eftoit Capitaine de foixante & dix mille Tlafcalteques, & eut envie d'aller avec Pierre d'Alvarado. Mais il arriva que quelques Caftillans blefferent un Seigneur, appelle Piltectetl, coufin germain de Xicotencatl) en voulant charger un autre Indien;mais Alonfe d'Ojeda appaifa l'affaire auffi- toft ; car fans doute fi cela fût venu à la connoiffance de Cortés, il euft fait pendre les Caftillans felon fa feverité ordinaire, tant il eftoit régulier à faire obferver fes inftitutions & bonne difcipline. Tout ce que l'on put faire pour terminer ce different,fut de donner permiffion au bleffé de retourner à Tlafcala, ce que beaucoup qui eftoient las de la guerre euffent fouhaitté volontiers. Xicotencatl eut avis de cela ; & quelques-uns difent que pour l'amour d'une D a m e , envieux de ce que fon coufin eftoit retourné à Tlafcala, il s'échapa avec| quelques autres de fes amis, D'autres difent qu'il le fit à mauvaife intention , afin d'attirer après luy les gens de guerre, parce qu'il n'avoir, O p i n i o n que le D é m o n ne


DES INDES O C C I D E N T À L E S , Liv. I. 71 jamais eu d'affection pour les Caftillans. Pierre d'Alvarado ne le rencontrant pas , en advertit auffi-toft Cortés ; & trouvant cela de mauvaife grâce , dépêcha Ojeda & Marquez à Tlafcala , pour prendre Xicotencatl prifonnier, & les autres Seigneurs qui s'en eftoient allez avecque luy. Lors qu'on le prit,il demanda fourquoy l'on ne prenoit pas auffi Piltectetl ? mais oh luy fit réponfe qu'il y eftoit venu pour fe faire penfer avec licence , &

1521, Xicotencatl fe retire à Tlafcala.

Ojeda & M a r quez l'y v o n t prendre prifonnier.

néanmoins il fut auffi emmené prifonnier. Comme ils furent arrivez à Tezcuco, Cortés fit pendre Xicotencatl Cortés fait penà une potence fort haute, & l'Interprète leut fa fen- die Xicotencatl» tence à haute voix & quoy qu'il fuft orgueilleux & vaillant, il mourut avec peu de reffentiment. Apres qu'il fut expiré plusieurs Indiens vinrent au lieu du fupplice , & prirent la potence , & une liziere fort large qu'il tortilloit autour de fes cuiffes en façon de brayes, ou plûtoft un voile fort long dont il fe fervoit à cet ufage, & chacun d'eux qui en avoit quelque piece s'imaginoit tenir une grande relique. Cependant cette mort les intimida tous, à caufe que cet Indien eftoit fort fignalé & l'un des principaux. O r touchant cette prifon il fe trouve que Cortés en avoit écrit à la Seigneurie de Tlafcala, en fe plaignant de Xicotencatl ; & faifoit voir par fa Lettre que le crime qu'il avoit commis entre les Caftillans eftoit digne de mort ; & que la Seigneurie donna la main à Ojeda & à Marquez pour le p r e n d r e , & que la Republique répondit qu'entr'eux ils obfervoient la mefme feverité. C'eft pourquoy il eft a croire que fans l'authorité de la Seigneurie on ne l'euft pas pu prendre prifonnier, ny Cortés ne l'auroit pas fait pendre de la forte. Pictectetl courut auffi rifque de la v i e , car Cortés l'avoit condamné à fubir le mefme fuplice que l'autre ; mais Ojeda intercéda pour luy , difant qu'il luy avoit donné congé ; & Cortés le reprimenda fort de l'avoir amené prifonnier, puis qu'il luy avoit donné licence. Mais après tout il femble que Cortés fe mit en grand hafard par la mort de Xicotencatl, s'il n'euft efté favorifé de la fortune , qui ne l'abandonnoit point.


72 HISTOIRE Les trois armées d'Alvarado,de Sandoval, Se de Chri1521 Cortés s'emftofle d'Olid eftant dans leurs poftes, Cortes s'embarqua barque dans les dans les brigantins & alla du cofté de la ville d ' y T a p a l a brigant. dans pa, juftement dans le temps que Gonçale de Sandoval la battoit & brufloit. Il arriva à la veuë d'une roche tres-forte proche de cette ville, toute entourée d'eau, Se fur le haut quantité de gens de guerre,qui s'y eftoient retranchez avec leurs femmes & les enfans des villages du L a c , à caufe qu'ils fçavoient bien que les premiers affauts de cette guerre le dévoient livrer contre yztapalapa, ils eftoient là exprés pour la fecourir. Cortés qui ne vouloit point voir d'obftacles qui luy puffent nui r e , refolut de fortir pour attaquer cette roche , parce qu'ils y faifoient de grands cris , &s'efforçoient de l'incommoder, il fortit donc à terre avec cinquante foldats , & leur ayant déclaré combien il importait à la réputation Caftillane de ne pas laiffer ces gens derrière fans les chaftier de l'affront qu'ils, faifoient ; & que s'enorgueilliffant de cela ils en deviendraient encore plus fuperbes, Se puis après très-difficiles d'affujetir, il s'offrit d'eftre le, premier à les attaquer avant qu'il leur vinft davantage de monde , comme il leur en devoit arriver infailliblement lors qu'ils verroient qu'on auroit paffé outre fans les en chaffer. Ceux qui eftoient avec luy luy repondirent,qu'ils luy obeïroient & l'accompagneroient gayement Se courageufement par tout où il voudrait aller, 11 monta donc le premier ; Se quoy que la portés attaque roche fuft de difficile accès & fort haute , ils y montèune roche & la prend de force. rent tous & gagnèrent d'abord les retranchemens&Se eftant entrez dedans tefte baiffée,ils tuèrent tous les hommes Se referverent les femmes Se les enfans. Il y eut vingt Caftillans de bleffez, fans qu'il en mouruft pas un ; Se cette victoire donna bien de l'épouvante aux Ennemis, parce qu'ils eftimoient cette place imprenable. C'eftoit-là où. ils donnoient le lignai avec des fumées qu'ils faifoient exaler en h a u t , à ceux d'yztapalapa, de Mexique , Se des autres lieux fituez aux environs du lac. Comme les ennemis virent que Cortés entrait }

dans


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. L 73 dans cette r o c h e , & qu'ils eftoient tous armez dans leurs canos, certains Seigneurs choifirent cinq cent hommes bien équipez, & s'avancèrent pour combatre les brigantins , les autres les fuivant en bon ordre. Mais Cortés reconnoiffant qu'ils prenoient leur brifée pour venir à l u y , il ramaffa les dépouilles de la roche , & s'embarqua auffi-toft. Il commanda aux Capitaines de fe tenir prefts , & en bon ordre ; parce que comme il voyoit que les Ennemis n'attaquoient pas, il jugea qu'ils apprehendoient le choc ; & qu'ainfi les voyant comme en defordre,on commenceroit à les attaquer des premiers. Comme ils virent donc qu'on les approchoit, ils commencèrent à faire de grands cris, & à dire quantité d'injures. Mais comme l'on fut à la portée d'une Amuebufe, les cinquante Canos s'arrefterent, & attendirent les autres qui venoient en fort bon o r d r e , & bien garnis de pavois 6c de boucliers. Les deux armées eftant donc en veuë l'une de l'autre & preftes à livrer le combat, Dieu voulut qu'il vinft un vent de terre qui f o u f l a n poupe des brigantins, qui fut fi favorable que cela parut comme un Miracle 5 6c ayant rendu grâce à D i e u , Cortés

1521

dit à fes gens qu'ils priffent garde comme Dieu les favori-

foit, & quils fe ferviffent de l'occasion. Auffi-toft après ils partirent à rames 6c à voiles 6c allèrent fondre fur les Ennemis, qui ayant le vent contraire , commencèrent par le defordre & à fe fauver par la fuite fi confufément,que plufieurs Canos renverferent 6c furent coulez à fond. Il y en eut quantité de tuez & de noyez, & les Caftillans favorifez du vent leur baillèrent la chaffe plus de trois lieues durant, jufques dans les rues de M e xique. Il fut pris en cette défaite plufieufs Gentilshommes, & autres gens, parce que cette multitude de Canos s'incommodoient les uns les autres par la trop grande précipitation dont ils ufoient pour fe fauver, ce qui les faifoit trébucher ainfi. D e forte donc que par le gain d e cette victoire, Cortés demeura maiftre du Lac. Cependant que tout cela fe paffoit ainfi, Chriftofle d'Olid qui eftoit avec l'armée de Çuyoacan , en ordre de K

Bataille Navale entre les brig a n t i n s & les Canos.

Cortes d e m e u re maiftre du Lac. Chriftofle d ' O lid entre par la chauffée en, combatant.


74 HISTOIRE combat, qui épioit ce qui fe paffoit dans le lac,& ayant 1521. reconnu que Cortés avoit emporté la victoire , entra par la chauffée,combatit contre les Mexiquains 5 prit leurs tranchées ; leur prit plufieurs ponts ; & à la faveur des brigantins qui eftoient venus tout proche de la chauffée , les Tlafcalteques baillèrent la chaffe aux Ennemis ; ils en prirent plufieurs, en tuèrent quantité ; & les autres pour ne vouloir pas fubir la loy du vainqueur , fe jettoient dans le lac de l'autre cofté de la chauffée , par où. les brigantins ne pouvoient pas alleri de fuivirent cette victoire plus d'une lieuë. Apres que les Canos fe furent retirez dans les maifons de Mexique, Cortés faute à Cortés fauta à terre avec trente hommes pour s'aller terre & gagne faifir de quelques Tours où les Mexiquains tenoient des queiques T o u r s . Idoles, & dont l'enceinte eftoit baffe, & baftie de pierre , de à ciment, de quoy qu'elles furent deffenduës par les ennemis, elles ne laifferent pas d'eftre prifes. Cortés y fît mettre trois pièces de canon , qu'il fît fortir des brigantins ; Et comme la demy-lieuë qu'il y a depuis la chauffée jufques à la ville eftoit pleine de gens, de de chaque collé quantité de canos, il rit pointer une pièce de canon , & la fît tirer tout au travers qui en tua quantité , parce qu'ils y eftoient en confufion. Ainfi ils fe retirèrent tous pour quelque-temps. Mais par malheur le feu fe mit à la poudre par la négligence d'un canonier , & il falut envoyer en diligence un brigantin à Yztapalapa, d'où il y avoit deux lieuës pour avoir d'autre poudre.Cependant Cortés ne jugeant pas à propos de Il refout de ne quitter ce pofte, qu'il avoit fi heureufement gagné;il repoint quitter ce folutd'y demeurer,& d'envoyer quérir des gens dans les pofte. armées de Sandoval, de de Chrifiofle d'Olid , de tenir proche delà les brigantins. D'autre cofté les Mexiquains s'imaginant que les Caftillans feraient fatiguez des travaux paffez, qu'ils feroient endormis, de dans la néglig e n c e , jugèrent qu'il feroit à propos de les attaquer fur le minuit 5 ce qu'ils firent, quoy que contre leur couflume. Ils fortirent donc à grand nombre le long de la L'on c o m b a t d e nuit dans la chauffée de dans des Canos ; mais comme ces gens ne faichauffée.


DES

INDES

O C C I D E N T ALES

Liv.

I.

75

foient rien qu'ils ne le d o n n a i e n t à connoiftre par leurs braillemens, Se que Cortés eftoit toufiours aux aguets, ils furent auffi-toft découverts Se battus par les Canons des brigantins, par les Arquebufiers Se les Arbaleftriers. C a r comme ils eftoient grand nombre, l'on ne tiroit coup qui ne portail: , au contraire de leurs flèches qui leur eftoient inutiles , parce qu'elles n'atteignoient pas au milieu de toutes ces arquebuzades & des arbaleftes qui tiroient inceffamment & de forte que comme ils virent que la place n'eftoit pas tenable, ils fe retirèrent. Alonfed'Avila & Martin Lopez firent des merveilles en ce rencontre. Le jour eftant v e n u , il fortit de Mexique un nombre incroyable de gens, pour tafeher de reprendre la chauffée ; mais foit du cofté de l'eau par les brigantins, ou tous enfemble avec le fecours qui eftoit arrivé à Cortés, Cortés f a i t r o n v d e Cuyoacan, on les ferra de fi prés que l'on les recoigna p r e la chauffée & fait palier des dans les premières maifons de Mexique. brigantins de Il y en fut tué quantité, & l'on gagna les ponts qu'ils l'autre cofté. avoient fortifiez extrêmement. Et parce que de l'autre cofté de la chauffée , où les brigantins ne pouvoient pas aller, les Indiens incommodoient fort , jettant des pierres, des baftons & des flèches, Cortés la fit rompre , Se y fit paffer quatre brigantins, & par ce moyenlà les deux coftez de la chauffée furent defFendus ; Si bien que delà en avant les brigantins bailloient la chaffe Les b r i g a n t i n s entrent dans la aux Canos, & entroient jufques dans la Ville, mettant ville & y font le feu à quelques maifons, puis fe retiroient. Il y a une beaucoup de autre chauffée qui dure une lieu.- Se demie , qui com- tort. mence depuis la terre ferme d'yztapalapa, jufques à Cuyoacan, Gonçale de Sandoval entra dedans avec tout e fon armée, Se à un quart de lieuë delà il arriva à une petite ville, qui eftoit auffi fituée dans le l a c , où ils firent refiftance. Il les battit, les vainquit, & brufla la ville ; & comme la chauffée eftoit r o m p u ë , Cortés y envoya deux brigantins, avec lefquels ils firent un pont, Se pafferent ainfi. L'armée eftant arrivée à Cuyoacan, Sandoval alla voir C o r t é s , & le trouva combatant ; Se

1521.

k ij


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H I S T O I R E

comme il voulut éftre de la partie , il receut un coup de baguette bruflée par le b o u t , qui luy traverfa le pied, Mais nonobftant tout cela les Ennemis furent contraints de fe retirer, pour l'incommodité qu'ils recevoient de l'artillerie , des & coupetes, de des arbaleftes & cependant l'on combatit fix jours durant de la forte, fans aucun relafche ; de les brigantins portant le feu par tout où ils pouvoient dans les maifons, ils trouvèrent un canal qui tournoit tout autour de la Ville, & entrèrent par ce canal au milieu , où les Canos n'oloient entrer à plus d'un quart de lieuëde l'armée, parce que leur multitude failoit qu'ils s'épouvantoient d'eux-mefmes. Pierre d'Alvarado donna avis à Cortes, que par le coflé de Tepeacquilla, par une chauifée qui va à de certaines peuplades de terre ferme, &par une autre petite qui eft tout proche , les Mexiquains entroient dans la Ville 6e en fortoient quand ils vouloient;&de qu'il croyoit que fe voyant réduits à l'extrémité ils pouroient fortir par là ; Et quoy que Cortés fouhaitaft cela , afin de les pouvoir mieux dompter dans la campagne : il commanda à Gonçale de Sandoval, quoy que bleffé , d'aller camper fon armée dans un village où l'une de ces deux Gonçale de Sandoval va fe chauffées aboutiffoit. Et Chriftofle Flores, de Hierofme n i e t t r e i un a u tre pofte pour Ruyz avec leurs brigantins, fe mirent dans une autre ferrer de plus petite chauffée qui eftoit rompue en quelques endroits, prés les M e x i entre Sandoval de Alvarado ; de forte que par ce moyen quains. la ville de Mexique fut entièrement bloquée. En fuitte La ville de M e - de cela Cortés refolut d'entrer dans la Ville; & de crainxique eft entiè- te que les villes d'Ocholobufco, de Mexicalungo, de Cuytr e m e n t blolanaCj&L de Mezguique, qui s'eftoient rebellées,ne luy quée". donnaffent à dos, illaffa dix Cavaliers,avec dix mille Indiens alliez pour garder le paffage , de commanda à Pierre d'Alvarado qu'il attaquait auffi la ville tout d'un temps. Cortés entra donc dans la chauffée à pied à la tefte de fon a r m é e , de rencontra auffi-toft après les ennemis , qui deffendoient une brèche que l'on avoit faite à la chauffée , de qui eftoient fortifiez d'une tranchée. Cortés e n t r e dans Mexique. L'on y combatit un bon efpace de temps , parce que 1521


DES I N D E S

OCCIDENTALES,

Liv.I.

77

les deffenfes eftoient fortes & bien faites 5 joint que les Indiens eftoient beaucoup, & combatoient comme des enragez 3 mais les Caftillans les ferrèrent de fi prés qu'ils gagnèrent ce pofte.

C H A P I T R E

1521.

XVIII.

Continuation du fiege de Mexique. Plufieurs villages fe viennent offrira Fernand Cortés.

F

Ernand Cortés continuant fon chemin le long de la chauffée, arriva à l'entrée de la ville, ou il y avoit une T o u r d'Idoles,tres-forte ; & au pied de cette T o u r un pont fort grand , eflevé fur une forte tranchée , & l'eau couroit deffous par impetuofité,& abondamment. Les gens qui deffendoient cepaffage eftoient enfi grand n o m b r e , que la furie de l'eau, les braillemens, la quantité de pierres, de flèches & de ballons qu'ils jettoient, tint quelque temps les Caftillans en fufpens, fçavoir s'ils l'attaqueroient, ou non. Mais Cortés ordonna que les cuiraffiers chemineroient les premiers, & qu'après eux Cortés Ce faifit paffage les arbalétriers & les arquebufiers divertiroient les In- d'un fort i m p o r t a n t . diens , & que cependant que des deux collez les brigantins attaqueraient, l'on jettaft du monde pour gagner la tranchée ; ce qui fe fit heureufement & avec beaucoup moins de péril que l'on ne fe l'eftoit imaginé, car les ennemis abandonnèrent auffi toft la place, & fe fauverent par la fuite. Cortés paffa l'eau avec fes Caftillans & Indiens qui faifoient plus de quatre-vingt mille Les Caftillans ma h o m m e s , lefquels eftancherent l'eau de ce pont avec eftanchent pont. des pierres & de la t e r r e , à quoy Diego Hernandez, fcieur d'aix, qui avoit travaillé à la fabrique des brigantins fervit beaucoup, & fit plus de befogne luy feul que mille Indiens ; parce qu'il eftoit fort diligent, & extrêmement fort ; & lors mefme qu'il jettoit une pierre G r a n d e force de la groffeur d'une orange au milieu des ennemis, il d'un Caftillan à une p i e r affenoit fi bien fon coup qu'il renverfoit fon homme jetter re. K iij


78 HISTOIRE comme fi c'euft efté d'un boulet de canon ; outre qu'il 1521. Iles Caftillans eftoit fort courageux. Les Caftillans gagnèrent encore pourfuivent leur une autre baricade plus avant, qui eftoit dans une rue encrée dans Mefort large , & la principale de la vilie,laquelle pour n'exique. ftre pas embaraffée d'eau en fut tant pluftoft prife. Ils continuèrent leur chemin plus avant dans la rue jufques à un autre pont que l'on avoit l e v é , excepte une poutre qui y reftoit encore, qu'ils ofterent après que quelques-uns furent paffez. Et comme ils avoient de l'autre cofté de l'eau une autre barricade de terre & de fange, l'on y fut plus de deux heures à combattre, chacun fe deffendant bien de part & d'autre. Les Caftillans furent mal-traitez dans ce pofte, à caufe des pierres & des ba-. fions qu'ils jettoient de deffus les terraffes. Cortés ordonna qu'en s'approchant le plus prés que l'on pourroit, les arquebufiers & arbaléftriers, avec deux pièces d'artillerie tiraffent inceffamment ; mais ils n'eurent pas fait cela un efpace de temps que les ennemis abandonnèrent la deffenfe ; à caufe dequoy les Caftillans armez de Grande har dieffe des Ca- ces jacquettes de cotton piquées, quoy que fort pefantes, fe jetterent dans l'eau; & le payèrent au péril de quantité de flèches que l'on tiroit fur eux. Comme les ennemis virent cette grande hardieffe, ils achevèrent d'abandonner ce pofte & les terrafles.Enfin l'armée paffa,& eftancha ce pont avec les matériaux de la baricade ; & pafferent jufqu'à un autre pont,qui n'eftoit pas lev é , ny qui n'avoit aucune barriçade, proche de l'une des plus principales places de la ville, & ils l'avoient laiffée ainfi parce qu'ils ne s'imaginoient pas que les Caftillans oferoient entrer fi avant. Trouvant cette occafion fi à propos, & que c'eftoit défia toute terre ferme, Cortés fit tirer une pièce de canon au milieu de la place ; & comme elle eftoit tellement pleine de Mexiquains, qu'à peine y pouvoient-ils tenir, on ne tiroit coup qu'il ne fift une grande efcarre ; mais nonobftant tout cela les Caftillans Cortes a t t a q u e n'ofoient pas fe hafarder dans la place ; & pour cela Corle premier avec ]'épée & le bou- tés leur dit qu'il n'eftoit pas encore temps de faire paclier. roiftre leur laffitude ny leur lafeheté ; & tout d'un temps


DES

INDES

OCCIDENTALES,

Liv.

I.

79

il entra le premier dans la place, le bouclier en main, 1521 en invoquant faint Iacques. Les Mexiquains ne pouvant fouffrir la furie des Caftillans & des Indiens alliez, fe retirèrent dans le circuit du Temple,dont l'enceinte eftait baftie de pierre & de c h a u x , & c'eftoit une place qui pouvoit contenir quatre cens habitans ; mais ils l'abandonnèrent auffi & montèrent au haut des Tours & dans d'autres lieux où ils tenoient bon. Mais comme les Mexiquains virent qu'il n'y avoit point de chevaux , ils retournèrent attaquer les Caftillans, & combatant avec beaucoup de valeur, Les Mexiquains ils les repoufferent jufques dans la place, qu'ils leur firent r e t o u r n e n t fut Caftillans, abandonner e n c o r e , & une pièce de canon, & les chaf- les qui font en p é foient devant eux comme triomphant le long de la rue, ril. par leur trop grande prefomption au mépris des Indiens. Mais il arriva trois Cavaliers qui d'une fougue précipitée entrèrent parmy les ennemis, & qui firent reprendre que l'on venoit de perdre jufques dans la place & dans la court du Temple que l'on reprit, où il y eut quantité de Mexiquains de tuez , qui croyoient que les chevaux efloient autre chofe que ce n'eftoit. Et quoy qu'il fe fuft retiré trente Mexiquains dans une T o u r où ils t e noient bon , & où il y avoit plus de cent degrez à mont e r , quatre Caftillans combattant vaillamment la prir e n t , & tuèrent les defenfeurs. Mais s'il ne fuft venu fix autres chevaux, les Indiens euffent c h a f f é une féconde fois les Chreftiens de la ville. Cortés fit fonner la retraitte & ramaffer l'armée, & fi les paffages n'enflent pas efté bien eftanchez, les Caftillans euffent efté maltraittez, parce que les Mexiquains les chargeoient avec une grande furie, quoy que les chevaux diminuaffent beaucoup de leur ardeur à leur grand préjudice ; car les Cavaliers faifoient des caracoles de fois à autre. Cet- Les pierres q u e te retraitte reüffit allez bien,, quoy qu'il y en euft beau- les Indiens jett e n t de deffus coup de bleffez à coups de pierres qu'on leur jettoit de les terraiîes i n deffus les terrafles ; mais auffi ils mirent le feu à plufieurs c o m m o d e n t maifons, afin que ceux qui eftoient dedans fongeaffent fort les Caftillans. pluftoft à l'efteindre qu'à jetter des pierres. Dans ce


80 1521.

Le Seignear de Tezcuco veut fiscourit Cartes.

H I S T O I R E

mefme temps les autres armées entrèrent auffi dans la ville, & combatirent beaucoup ; & quoy qu'elles fuffent efloignées les unes des autres de plus d'une lieuë & demie , tant cette ville eft grande , car elle s'eftendoit encore autant de chaque cofté, il y avoit une fi grande multitude de monde qui accouraient de tous coftez,qu'il fembloit à voir que toutes les puiffances du monde envoient en chaque partie. Don Hernando, Seigneur de Tezcuco, reconnoiffant le bien qu'il avoit receu de Cortes,de luy avoir baillé une fi grande Seigneurie, nonobftant les pretenfions qu'il y avoit, délirant le recompenfer par la bonne volonté de fes fujets & de fept frères qu'il avoit, leur d i t , Que

puis qu'ils fçavoient bien que les Me xiquains avoient toufiours efté des Tyrans, s'ils avoient quelque affetion pour luy , ils ne luy convoient faire un plus grand plaifir que d'embraffer le party de cette guerre en faveur de l'invincible Cortès, puis qu'il fembloit que fin Dieu le favorifoit tant que de lavoir envoyé de fi loin pour chaftier les Tyrans, & pour les vanger, eux, des torts qu'ils en avoient receus ; Et qu'ainfi il croyoit que ceux qui n'auraient pas fecouru Cortès en feroient maltraite, & qu'au contraire ceux qui l'auraient favorisé, en reYztlizuchtl va cevraient des faveurs ; Et fe tournant vers yztlixuchtl, le trouver Cortés plus aifné de fes freres,luy dit ; Vous ferez le General de avec c i n q u a n t e mille h o m m e . cette armée, & la dèpartirez entre vos frères, puis que vous efies défia expérimenté dans le méfier de la guerre, & faites en forte que Cortès & les Mexiquains Cachent jufqu'où fe peut eftendre la valeur & le pouvoir de ceux de Tezcuco. Ce frère

qui eftoit âgé de vingt-fix ans, luy fit réponfe, en luy baifant les mains pour la faveur qu'il leur faifoit à tous, qu'ils s'offraient de le fervir, de cœur & d'affection. Il fortit

donc de Tezcuco avec une armée de cinquante mille hommes. Il en prit trente mille & s'alla joindre avec Cortés, & diftribua les autres vingt mille dans les deux autres armées. Cet Vztlixuchtl fut fort vaillant. Il fe fit baptifer après, & fe fit auffi appeller Don Hernando,

CHAP,


DES

INDES

OCCIDENTALES,

Liv. I .

81 1521.

C H A P I T R E

XV.

Des diverfes entrées que Cortés faifoit dans Mexique , & du grand nombre de gens qu'il avoit dans fon armée.

O

Vtre le fecours dont nous venons de parler, qui Ceux de Suchimilcho , & au. vint fort à propos, & qui donna bien de la peine très vont fecouaux Mexiquains par leur exemple ; il y en vint encore rir Corccs. un autre de Suchimilcho, ville fituée fur le Lac à quatre lieues de M e x i q u e , & de certains villages Otomies, qui font gens de montagnes, avec plus de vingt mille hommes & quantité de vivres. Cortés confiderant que les Olid fe joint brigantins avoient tellement épouvanté les Canos, que avec Contés, pas un n'ofoit paroiftre fur le L a c , & qu'il fuffifoit d'en retenir fept auprès de luy, & en envoyer trois à Sandoval, & les autres trois à Alvarado ; parce que défia l'armée de Chriftofle d'Olid s'eftoit jointe avec Cortés. Ces brigantins furent fort neceffaires en ces endroits-là, parce qu'ils faifoient grand butin fur les Canos qui entroient dans la ville pour y porter des vivres ; ce qui excitoit encore davantage les armées. Les gens de guerre des alliez eftant arrivez , Cortés difpofa & prépara les Caftillans auffi bien que les Indiens pour battre la ville de Mexique tout de b o n , & leur dit que dans deux jours il avoit deffein de commencer. L e troifiéme jour dés le Autre entrée de Cortés dans matin, après avoir oüy Meffe, il fortit des quartiers avec Mexique. vingt chevaux , trois cent Caftillans, & grand nombre d'Indiens alliez, & trois pièces d'artillerie. Il rencontra les ennemis à trois traits d'arbalefte qui l'attendoient, & qui receurent les Chreftiens avec de grands cris, & des gaufferies, fe fiant en leur multitude, & aux fortifications qu'ils avoient faites pendant ces trois jours , quoy qu'ils ne fe parffèrent pas fans efcarmouches. L'on combatif de tous collez , & les brigantins des deux collez de la chauffée incommodoient fort les ennemis. L'artillerie faifoit de grands effets, parce que comme les In-


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H I S T O I R E

diens eftoient en grand nombre tous les coups portoient, Il entre dans la 6c ainfil ils commencèrent à s'affoiblir, ce qui donna lieu ville en c o m de prendre le Fort, & l'on paffa outre en fuivant la vibatant. ctoire jufques à un autre pont 6c des retranchemens,que l'on prit, & plufieurs autres. En fuitte dequoy on arriva dans une place, & Cortés ne voulut pas palier outre que l'on n'euft eftanché les canaux, afin que les paffages fuffent libres en cas de retraite ; Et quoy qu'il y fuit employé plus de dix mille Indiens, ils y trouvèrent de l'employ jufques aux Vefpres ; pendant lequel temps les Caftillans & les autres Indiens combatoient, & faifoient grand progrés contre les Ennemis,& les chevaux qui en mettoient par terre quantité. Les Mexiquains cependant fe confiant en leurs terraffes y faifoient tout du pis qu'ils pouvoient ; mais le General Teéçucano dit à Cortés que tout ce qu'il faifoit luy ferviroit de p e u , fi à mefure qu'il prenoit de ces terraffes il ne les démoliffoit. Il refolut donc de fuivre ce confeil,quoy que contre fa volonté, parce qu'il n'en vouloit pas toufiours venir aux extremitez, croyant les gagner en repouffant la Cortés fait Bru- force par la force. Il lit mettre le feu à de grands Pafiet des Palais,& lais dans cette place où il eftoit. L'on brufla auffi la autres maifons à caufe des ter- maifon desoyfeaux de Montezume, qui eftoit très belraffes l e , & plufieurs autres chofes dont ils eurent un grand reiffentiment ; parce qu'ils ne fe fuffent jamais imaginé félon les fortereffes de la ville, que les forces humaines puffent pénétrer fi avant. Comme il fe faifoit défia tard, Cortés ordonna que l'armée fe retirait ; & ce fut alors une chofe admirable de voir de quelle façon les Mexiquains alloient à la charge ; ils combattoient comme des enragez,à caufe des incendies que les Caftillans avoient faites des plus beaux Palais de leur Ville ; pour la mort d'un fi grand nombre des leurs; de voir ceux de Chalco, de Suchimilco, des Otomies, & d'autres lieux encore, qu'ils avoient tenus pour efclaves, combatre contr'eux, ce qu'ils tenoient pour un grand affront. Ils eftoient encore en colère d'entendre les Tlafcalteques, qui leur montraient les bras & les jambes de leurs morts, leur 1521


Liv.I. 83 difant qu'ils en fouperoient cette nuit, Se en déjeune1521 roient le lendemain ; ce qu'ils firent en effet. L'armée L'armée de cortés Ce retire. acheva de fe retirer fans qu'il manquait un feul Caftill a n , mais il y demeura quelques Indiens. Alvarado & Sandoval combatirent auffi cette journée, & fort à propos pour faire diverfion ; parce que fi toutes les forces de Mexique euffent combattu en un feul endroit, elles euffent efté invincibles ; & en cela Cortés fit voir fa grande prudence & prévoyance, qui luy eftoient ordinaires en tout ce qu'il entreprenoit, & ainfi il eftoit fort peu fouvent trompé. Le lendemain Cortés fuivit le mefme o r d r e , dans le mefme lieu, & avec les mefmes gens que le jour précèdent contre les Ennemis: & quoy qu'il fe fuit, levé de grand matin, de crainte qu'ils n'euffent fortifié ce qu'il avoit pris le jour de devant ; les réparations eftoient défia faites, & plus fortes que d e v a n t , & l'on combatit ce jour-là avec plus de péril que l'on n'avoit point encore fait. L'on fut jufques à deux heures de relevée à prendre feulement deux ponts , & deux tranchées, parce que pour en prendre une feule il falloit que les Caftillans fe miffent à nage ; & s'ils n'euffent efté favorifez des brigantins, tous leurs travaux n'euffent de rien fervy, ny avec les brigantins non plus, s'ils n'euffent auparavant bruflé les maifons à caufe des terraffes. Cortés Cortés q u i t t e ce qu'il avoir puis, fe retira, chargé par les Ennemis, & Alvarado & San- & pourquoy. doval de leur cofté firent des merveilles,& blafmerent Cortés de tant de retraites, beaucoup fouhaitant qu'il euft gardé ce qu'il avoit pris, pour éviter de n'y pas revenir fi fouvent. Mais il leur fit refponfe qu'il n'avoit pas affez de forces pour fouftenir contre les ennemis,, & qu'il fe mettoit dans des périls manifeftes, puis qu'eftant dans la ville comme il eftoit, il combattoit contre eux à toute heure : Outre qu'il ne pourroit pas empefcher les vivres d'entrer dans la ville, comme il faifoit au lieu où il eftoit. Iufques à ce temps ceux d'yztapalapa , d'Ocholo- Cinq villes s'oDES

éufiûjde

INDES

OCCIDENTALES,

Mexicalcingo,

de Mezguique

, de Cuitlabaca, &

les Habitans d'autres villages qui eftoient fur le lac

L ij

frent à C o r t é s .


84

H I S T O I R E

doux, avoient toufiours efté neutres ; & voyant que les 1521. affaires des Chreftiens profperoient , ils envoyèrent des Meffagers pour faire offre de leur fervice à Cortés. Il les receut fort bien , & leur dit qu'ils envoyaient leurs Canos bien armez pour accompagner les brigantins,6c qu'ils miffent dedans des matériaux pour faire des cafemates 6c mettre à l'abry les foldats dans les quartiers. Les uns 6c les autres le firent tres-volontiers, & en peu de temps. 11 y avoit aux deux collez de la chauffée des diftances de quatre traits d'arbalefte où eftoient les Caftillans avec plus de deux mille Indiens de fervice ; parce que les autres qui eftoient plus de deux cent mille, fe Cortés avoit deux cent mille retiraient dans Cuyoacan à une lieuë 6c demie du camp. Indiens devant Ils apportèrent auffi des vivres qui firent grand bien ; Mexique. car la principale chofe dont ufoiet les Caftillans eftoient des cerifes, y en ayant beaucoup en ces quartiers , & qui duraient bien plus long-temps que celles de Caftille. Ils ne fe raffafierent pas de poiffon, car il dura fort peu ; 6c outre la faim qu'ils enduraient , outre les combats qu'il failoit faire ,le Soleil & le froid les incommodoient encore beaucoup. Cortés voyant que la quantité de morts des Mexiquains, & le travail de la faim qu'ils enduraient , ne les attirait pas à la paix , refolut de ne paffer aucun jour fans les combattre. Et pour cet effet il ordonna que quatre brigantins avec la moitié des caCortés fait divi- nos, dont il y en avoit bien quinze cent, paffaffent d'un fer les brigan- cofté , & qu'avec l'autre moitié , les autres paffaffent de tins en deux l'autre cofté, courant autour de la ville, mettant le feu bar p a r t o u t , 6c faire tous les degats poffibles. Il entra luymelme dans la principale ruë qu'il trouva fans obftacle ; puis il paffa dans celle qui conduit vers Tacuba, où il y avoit quelques ponts. Il commanda à Alonfe d'Avila d'entrer dans l'autre rue avec foixante & dix Caftillans, & que fix Cavaliers cheminaient en queuë pour les efAutre entrée de corter , & qu'il menaft avec luy douze mille Indiens. Il Cortés dans Mexique. envoya André Tapia dans une autre rue , & avec les gens qui luy reftoient il fuivit dans celle de Tacuba. Il prit trois ponts 6c les eflancha , puis s'en retourna au


DES INDES O C C I D E N T A L E S , L i v . I . 85 quartier. Le lendemain Cortés rentra dans la ville , à deffein de fe faifir de toute la rue de Tacuba pour fe pouvoir communiquer avec l'armée d'Alvarado 5 mais les Mexiquains fe retirèrent ce jour-là dans le fond de la ville, de telle forte qu'il fembloit aux Caftillans qu'ils tenoient défia les trois quarts de la ville en leur poffeffion. Alvarado & Sandoval de leur part firent auffi des merveilles ; ils gagnèrent plufieurs ponts avec peu de perte; fi bien que cette journée fe paffa fi heureufement que Cortés s'imaginoit que les Mexiquains eftoient fur le point de traiter de paix , ce qu'il procuroit par toutes fortes de moyens, en envoyant des Meffagers à Quotimac pour cet effet , & faifant d'autres diligences, pour tafcher de les y attirer tous.

C H A P I T R E

1521.

Cortes procure la paix.

XX.

D'une difgrace qui arriva à Cortés, & des grandes rêjouyffances que les Mexiquains firent, de la retraitte des Caftillans.

P

ierre d'Alvarado s'imaginant que toutes chofes luy dévoient fucceder avec profperité , négligea d'eftancher les canaux, & les ponts qu'il prenoit, ce que Cortés fur tout luy avoit enchargé ; il refolut de palier avec fon armée au bout de la chauffée qui va rendre au marché de M e x i q u e , qui eft une place fort grande, toute entourée de portiques, & il ne manquoit plus pour y arriver qu'à fe rendre maiftre de deux ponts fort larges & périlleux. Il refolut de prendre le premier, qui contenoit plus de foixante pas de largeur & plus de douze pieds de profondeur, il le paffa néanmoins non fans grande difficulté, & commanda de l'eftancher mais defireux d'emporter la victoire, il ne prit pas garde files chofes fe faifoient de la bonne forte, & comme il convenoit. Car comme les Mexiquains virent que les Caftillans n'eftoient pas plus de cinquante avec quelques L iij

Négligence d'Alvarado pas trop de confiance.


86 1521.

Les Mexiquains quatre Caftillans.

sacrifient

H I S T O I R E

Tlafcalteques, & qu'il y avoit deux Cavaliers à l'autre bord qui ne pouvoient paffer ; ils vinrent fondre fur eux avec tant de. furie , qu'ils leur firent prendre la fuite , Se furent contraints de fe jetter dans l'eau pour fe fauver. Ils prirent quatre Caftillans , qu'ils facrifierent en la prefence d'Alvarado, lefquels moururent avec des paroles de véritables Chreftiens, quoy qu'ils n'eurent pas le temps d'en dire beaucoup, parce qu'ils leur arrachèrent le cœur encore tout vivant. Cortés eut un grand reffentiment de cette difgrace, & de la fuperbe dont les Mexiquains uferent en ce rencontre ; parce qu'ils s'approchoient des Caftillans en les bernant & fe gauffant d'eux, & leur difoient ; Ay Santa Malia , commandez Capitaine, apportez icy vos fouliers. Il reprimen-

O r d r e de C o r t é s pour combattre la ville.

da modeftement Pierre d'Alvarado d'avoir fi mal foigné à faire eftancher ce pont, luy difant qu'il devoit y avoir l'œil avant que de pafter plus outre, fans en commettre d'autres ; veû qu'il le luy avoit tant de fois enchargé. L'on combatit encore quelques jours affez heureufement dans la ville, & en faifant la retraitte fans perte. Mais cette dernière a&ion donna fujet à Iulien d'Alderete, Treforier du Roy , & à d'autres encore d'importuner Cortés de gagner la marché,veû qu'il s'eftoit défia paffé vingt jours continuels à toufiours combattre , fans que cela avançait de quelque chofe, & qu'il luy fembloit que par ce moyen la guerre fe pourroit pluftoft achever. Or afin que l'on ne dift point que Cortés fuft d'un autre fentiment, il leur dit ; Qu'ils priffent bien garde à ce qu'ils difoient , & que fi l'on faifoit ce qu'ils propofoient, il fe falloit refoudre à bien jouër des coufteaux. Alderete repartit, Qu'ils y avoient tous avisé, & qu'ils aimoient mieux fe mettre dans quelque péril que ce fuft, que de combattre fi fouvent fans aucun profit. Enfin Cortés ne

voulut pas eftre feul de fon opinion. Il en donna avis à Alvarado & à Sandoval, Se luy manda qu'il vinft par le chemin de Tacuba, avec dix Cavaliers, cent fantaffins, quinze Arbaleftriers Se Arquebufiers, au quartier d'Alvarado ; & qu'il laiffaft dans le lien autres dix Cavaliers


DES

I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.

I.

87

avec ordre de fe mettre en embufcade derrière de certaines maifons , & faire femblant d'abandonner le quartier, & de fuir avec le b a g a g e , pour donner fujet aux Mexiquains de courir après e u x , & que cependant les Cavaliers qui feroient en embufcade les chargeroient à dos. Et qu'avec les brigantins l'on gagnaft ce mauvais paffage où Alvarado avoit efté mis en déroute ; que l'on l'eftanchaft, & qu'ils paffaffent adroitement plus avant en eftanchant les pallages ; & que s'ils pouvoient fans péril,ils fe rendirent maiftres du marché ; le tout à condition qu'ils en puffent venir à bout fans courir rifque d'eftre repouffez, & eftre contraints de prendre la fuite.Et parce que ceux-là dévoient combattre d'un cofté, 6c luy en pîuileurs, il leur envoya demander quatrevingt fantaffins Caftillans, Le lendemain Cortés ordonna que les brigantins conduififîent les trois mille canos par les chauffées. Il divifa fes gens en trois corps, parce qu'il y avoit trois rues pour arrivera la place appellée Tlateluico Il commanda au Treforier Alderete, & au Controlleur d'entrer dans l'une avec foixante-&-dix Caftillans , vingt-mille Indiens , huit chevaux, & quantité de pionniers pour aplanir les ponts, pour eftancher les canaux 6c pour démolir les maifons. Pour la féconde rue il ordonna à André de Tapia,& George d'Alvarado d'y e n t r e r , avec quatre vingt Caftillans, dix mille Indiens, 6c huit chevaux 5 6c à l'embouchure de cette rue, qui eftoit celle de Tacuba il y devoit avoir dix pièces d'artillerie pour l'affurer. E t Cortés devoit aller par l'autre rue qui eftoit étroite, avec cent fantaffins, huit Cavaliers. Parmy les gens de pied il y avoit vingt-cinq tant Arbaleftriers qu'Arquebufiers, 6c une infinité d'Indiens alliez ; Et les Cavaliers eftoient advertis qu'ils dévoient s'arrefter à l'embouchure de la r u e , & de ne le pas fuivre jufqu'à ce qu'il leur mandaft. Cortés e f t a n t entré dans la ruë affez avant fans trouver de refiftance, defcendit de cheval, prit un bouclier, & attaqua un pont & une tranchée. Il y combatit un bon efpace de temps, encourageant les foldats, & ordonnant

1521,

Cortes c o m b a t de fa perfonne.


88 HISTOIRE 1521. à chacun ce qu'il devoit faire. L'ayant gaigné il paffa outre par une chauffée, rompue en trois endroits, & tous fortifiez : mais les Ennemis n'y refifterent pas longtemps , parce que comme il y avoit grand nombre d'Indiens alliez , ils entroient dans les terraffes & autres lieux. Les Indiens alliez entrèrent plus avant dans la ruë, fans trouver de refiftance ; & Cortés demeura dans une Iflete qui fe formoit-là, avec vingt Caftillans, parce qu'il apperçeut que les Indiens combattoient contre quelques Caftillans ; & les chargeoient tellement qu'ils eftoient contraints quelques fois d'entrer dans l'eau , & par le moyen de fon fecours il leur fit reprendre de nouvelles forces. Il s'y arrefta encore, de crainte qu'ils ne fuiviffent les fiens en queuë par de certaines rues qu'ils laiffoient derrière Se qui venoient à la traverfe dans celle-là. Dans ce mefme-temps Iulien d'Alderete envoya dire à Cortés qu'il eftoit proche de la place, parce qu'il entendoit les cris que les Mexiquains faifoient, à caufe qu'Alvarado & Sandoval y vouloient entrer. Il luy envoya dire qu'il ne paffaft pas outre, de quelque Prudence de Contésa donne) façon que ce fuft, que premièrement les ponts 6e les canaux ne fuffent en bon eftat, Se en feureté, au cas les ordres. qu'il falluft faire retraite, parce que delà dépendoit le bien ou le mal de cette entreprife. Alderete luy fit fçavoir, que tout eftoit en bon eftat, & que pour plus grande affurance de fon dire, s'il vouloit prendre la peine de le venir voir,il trouveroit qu'il difoit vérité. Il arriva incontinent après, qu'ayant pris un pont de douze pas de large fur douze pieds de profondeur, il fembloit qu'il eftoit bien eftanché avec du bois 6c des cannes de rofeaux, & peu de terre par deffus, fi bien que les Caftillans y pafferent fans aucune difficulté, confiderant pluftoft la Victoire que la feureté du paffage qu'ils veLes Caftillans noient de quitter. Mais les Mexiquains qui reconnurent cela, profitant de leur négligence, chargèrent fi prennent la fuitte. fortement fur eux,qu'ils les firent reculer. Cortés arriva-là comme ils fuyoient, mais fes paroles, ny le courage qu'il leur donnoit ne les put jamais arrefter. Ils fe

jetterent


, Liv-I. 89 jetterent tout pefle-mefle , Caftillans & Indiens , au 1521. paffage du pont , qui vint à fondre fous eux , fans qu'il parait que l'on y euft rien mis. Les Mexiquains fe jetterent après eux dans l'eau, en pourfuivant les fuyars d'un cofté , & de l'autre il y arriva une infinité de canos qui prenoient les Caftillans & les Tlafcalteques tout en vie, & les enlevoient ainfi fans aucune efperance de fecours. Ils tendoient les mains à ceux qui s'approchoient pour les tirer de l'eau, les uns blefféz, les autres à demy n o y e z , qui en fortant expiroient. D'autres formant de pitoyables plaintes, demandoient d'eftre fecourus. Cor- Cortés eft en tès adverty de cela, qui n'avoit pas plus de quinze Ca- grand péril, ftillans autour de luy, fut entoure de grand nombre de Mexiquains qui vinrent là dans des canos, & qui le chargèrent de telle forte qu'ils le faifirent au corps , criant Melinche, Melinche ; Et en effet ils l'auroient ammené , fi François d'Olea fon ferviteur par une merveilleufe addreffe n'euft donné un coup d'eftramaçon dont il coupa la main de celuy qui tenoit fon Maiftre ; & neantmoins les Mexiquains chargeoient de tous coftez , & de telle forte qu'ils tuèrent Olea en prefence de fon Maiftre , qui fut une mort glorieufe pour une telle caufe. Le Il eft fecoum fécond qui fecourut Cortés fut un Tlafcaheque appel- par fon ferviteur & un Tlafcaltelé Tamaxant zin, natif du village de Gueymlipan, de la q u e . Province de Tlafcala, lequel fe mit entre Cortés en luy tournant le dos , & l'eftomach contre les Mexiquains, combatant contr'eux. Celuy- cy fe fit baptifer, & fut bon Chreftien,& le premier qui receut le Sacrement de l'Extreme-Ondion dans cette terre. Antoine de Q u i Dans ce mefme inftant, Antoine de Q u i n o n e s , Ca- nones tire C o t pitaine de la Garde de Cortés arriva fort à propos, qui tes de péril. le tira par le bras d'entre les Ennemis ; & comme le bruit couroit défia qu'il eftoit prifonnier, & que cela fut divulgué,quantité de Caftillans accoururent de tous coftez. Vn Cavalier fit faire place, mais il receut auffi-toft un coup de pique à la gorge qui luy fit tourner le dos. L'on amena un cheval à Cortés, mais au mefme temps Le valet de qu'il le montoit ils tuèrent Guzman fon valet de Cham- C h a m b r e de M DES

INDES

OCCIDENTALES


90

1521. Cortés eft tué e n luy donnant un cheval.

Ioarnée malheureufe pour

Ils paffent vn brigantin a force de bras de l'autre cofté de la chauffée.

Les Mexîquains incommodent fort Alvarado & Sandoval.

H I S T O I R E

bre. Certes ramaffa les g e n s , & entra dans la rue de Tlacopan, qui eft large, mais il y eut fort à faire dans le détroit d'un paffage d'une petite chauffée , où il y avoit un cas de fange, & cela les embarraffoit les uns & les autres pour palier, car ils paffoient en foule, qui fut cauie que deux cavales tombèrent dans l'eau, dont l'une fut tuée par les Mexiquains, & l'autre fe fauva. Cependant que ces chofes fe paffoient ainfi , ceux qui eftoient avec Alderete combatoient à une tranchée, Se on leur jetta d'une feneftre trois telles de Caftillans ; Se ceux qui les jetterent leur dirent, que fi l'on ne levoit le fiege ils en feroient autant de tous ceux qui reftoient ; Se ayant appris ce qui eftoit arrivé à Cortés, ils refolurent de fe retirer , quoy qu'avec beaucoup de péril. D'ailleurs, Alvarado & Sandoval alloient combattant du collé du Nord , avec beaucoup de péril, dans une rue qui va de Tacuba à Tlatelulco. Et d'autant que les canos des Mexiquains qui eftoient en grand nombre les incommodoient fort, ils s'aviferent de palier le brigantin de Pierre de Briones par une rupture de la chauffée dont le paffage eftoit prefque bouché ; & néanmoins comme il y avoit quantité d'Indiens alliez, ils l'enlèverent à force de bras. Delà ils allèrent combatant jufques proche du marché fort heureufement, fans perte d'aucun Caftilian. Ils s'arrefterent là jufques à ce qu'ils virent lefacrificedes Caftillans,& jufques à ce qu'il leur vint deux Cavaliers de la part de Cortés pour leur donner avis de la difgrace qui luy eftoit arrivée, afin qu'ils le retiraffent. Les Indiens alliez qui l'entendirent , & qui dévoient repaffer le brigantin du cofté d'où on l'avoit tiré, l'abandonnèrent ; & les Mexiquains après que Cortés le fut retiré Se les autres , fe jetterent tous fur Alvarado & Sandoval, de telle forte que l'on ne trouva point d'autre remede, & qu'il fallut que Sandoval courût avec les Cavaliers dans l'efpace qu'il y avoit entre le brigantin Se la Ville ; mais il fut fort incommode des pierres & des ballons qu'on luy jettoit, & il entretint néanmoins, ainfi les Mexiquains jufques à ce que la nuit


DES

INDES

OCCIDENTALES,

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I.

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eftant venue, les feuls Caftillans repafferent le brigantin. Les autres deux brigantins allèrent cette journéeLà enfémble , & entrèrent jufques au Temple , où eft maintenant le Monaftere de S. François ; & le Capitaine Flores pour s'eftre avancé davantage pafta avec fon brigantin dans une rue étroite, laiffant lerriere luy le Capitaine Mota avec le fien dans une petite place d'eau, où ils demeurèrent jufques à trois heures de relevée, qui fut caufe qu'ils virent le facrifice des Caftillans, & qu'on jetta dans le brigantin de Flores un haut de chauffes & un pourpoint, & vinrent vers luy à coups de pierr e s , de ballons, & d'autres chofes, de telle forte qu'eftant contraint de fe retirer honteufement, il alla donner dans un lieu plein de rofeaux , ou il fut accablé d'une infinité de Mexiquains, qui ne l'efpargnerent pas. Mais comme il voulut fécourir M o t a , il aborda contre les Ennemis avec fon brigantin, & mit pied à t e r r e , & avança vers e u x , fuivy de quelques Caftillans,qui combattirent il vaillamment qu'ils les écartèrent ; & ainfi les brigantins eurent le temps de fe retirer en feureté. Alderete commença donc à fe retirer ; ce que rirent André de Tapia & George d'Alvarado, parce que Cortés leur avoit mandé qu'ils le fiffent ainfi, & de bonne forte ; car s'ils ne l'euffent fait,ils euffent couru rifque de fe p e r d r e , à caufe de la trop grande quantité d'Ennemis qui combattoient courageufement 6c par une obftination intrépide. Cortés arriva à fon quartier fort mélancolique, reconnoiffant que cette difgrace venoit de la part de Dieu , veû qu'ayant paffe fi avant, l'on n'avoit pas pu prendre le marché ce jour-là. Le bruit courut que l'on avoit perdu les brigantins, mais l'on apprit incontinent après que cela n'eftoit pas véritable. Il fut perdu cette journée-là trente-cinq ou quarante Caftill a n s , que les Mexiquains prirent, les uns en vie, les autres morts. L'on y perdit une pièce d'artillerie , & mille Indiens alliez. Les Preftres du Temple pour celebrer la victoire , allumèrent quantité de brafiers dans les tours, & y bruflerent dedans quantité d'animé. Ils faM ij

1521,

Deux brigan t i n s combaten vaillamment.

De la perte q u e les Caftillans firent cette jour née.


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crifierent les Caftillans Se morts., Se vi vans , à la veuë des 1521. Chreftiens comme nous l'avons défia dit cy-devant,avec une incroyable compaffion de ne les pouvoir fecourir, Car quoy que l'on ne les vift pas partir,on entendoit les voix plaintives des mourans, lors qu'ils leur arrachoient les entrailles des douleurs qu'ils fouffroient par une fi Cortés fut b l e f f é grande cruauté. Cortés fut bleffé à une jambe , & il y cette journéeeut auffi trente Caftillans de bleffez. L'on y perdit qualà. tre chevaux & plufieurs barques. Chriftofle Flores mourut des bleifures qu'il avoit receuës au bout de huit Grande rejoüif- jours. La réjouiffance des Mexiquains dura toute la nuit fance des M e à caufe de cette victoire, avec des tambours, des corxiquains, n e t s , des clairons, & autres inftrumens de Mufique Mexiquaine , & firent quantité de feux,chantant, danfant, & s'animant dans leurs chanfons. Ils rendirent grâces à leurs Dieux pour la victoire , leur demandant faveur pour l'avenir. Ils ouvrirent les ponts,& les rués, comme ils avoient fait par le paffé, & mirent des fentinelles proche des armées.

C H A P I T R E

XXI.

De quelques Provinces qui fe rebellèrent contre Cottes, & des incidens dignes de remarque, qui arrivèrent en cette guerre.

A

Les Mexiquains envoyent par les Provinces confédérées les nouvelles de la victoire.

Près cette deffaite les Mexiquains ne furent pas negligens à envoyer des Meffagers par toutes les Provinces qui leur eftoient fujettes, pour leur donner avis de la victoire qu'ils venoient de gagner,& pour témoignage de cette verité ils envoyèrent par les mefmes hommes deux teftes de chevaux, & deux autres de Caftillans, en l'exaltant beaucoup , &leur mandoient auffi que dans peu de temps ils les vaincraient tous. Et ils perfuadoient par mefme moyen à ceux qui avoient fait prix avec e u x , de les abandonner, & de fecourir les Mexiquains , ou qu'à faute de le faire ils les me-


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INDES

OCCIDENTALES,

Liv.

I

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n a ç o i e n t , en achevant la guerre de les aller vifiter. 1521, C e t t e aftuce eut tant de pouvoir fur e u x , que les uns rentrèrent dans leur n e u t r a l i t é , & d'autres fe rebellèrent contre les Caftillans.Cependant Cortés voyant l'infolence que faifoient les Mexiquains,& que leurs fentinelles qu'ils pofoient proche de l'armée, s'avançoient un peu de trop prés pour dire quantité d'injures aux Chreftiens ; pour ne pas paroiftre lafches, entra le lendemain dans la chauffée, & alla jufques au p o n t , puis ils s'en revinrent ; en i n t e n t i o n , s'eftant un peu rafraifchis d'y retourner en meilleur o r d r e , & en attendant ils ne laiffoient pas de faire tous les jours des efcarmouches. Pendant ce temps-là Cortés eftoit dans l'inquietude quelle refolution prendraient les Indiens alliez à caufe de ce mauvais fuccés, pour eftre une nation changeante & légère d'efprit ; outre ce qu'il entendoit dire aux Caftillans, qui le blafmoient d'avoir entrepris fi déterminément cette guerre,, quoy qu'ils ne laiflaffent pas d é f a i r e paroiftre extérieurement un courage magnanime 6c une ferme confiance. Auffi-toft après il eut avis que ceux de Malivalco , & de la Province d'Evixco commençoient à vouloir faire la guerre à ceux de Coaunahac, à caufe qu'ils aidoient les Chreftiens, dont il r e ceut un grand mécontentement. Mais pour donner courage à ceux-cy & aux autres alliez, quoy qu'il manquait de forces,il ne laiffa pas que d'envoyer le Capitaine André de T a p i a , avec dix chevaux & quatre-vingt C o u r a g e invinCaftillans pour aller fecourir ceux de Coaunabac, avec cible de C o r t é s . ordre de retourner dans dix jours , parce qu'il y avoit beaucoup de contradiction dans l'armée, à caufe de cet envoy, reprefentant que cela ne fe devoit pas faire pour plufieurs raifons. André de Tapia rencontra plufieurs ennemis qui l'attendoient dans une campagne ordonna fes g e n s , & avec ceux de Coaunabac, il livre bataille , & comme la campagne eftoit unie les Cavaliers firent grand progrés. Il gagna la b a t a i l l e , & bailla la A n d r é de T a p i a gagne une bachaffe aux ennemis jufques à Malivalco, qui eft fur un taille contre M iij

ceux de M a l i ualco.


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haut ; c'eft une grande peuplade, qui a fort peu d'eau ; mais à caufe de fa fortereffe & du peu de terme que Cortés luy avoit donné, il ne put pas faire davantage que d'avoir vangé & mis en feureté ces alliez,& chaftie les ennemis. Auffi-toft apres arrivèrent quinze Meffagers des Otomies, qui eftoient comme efclaves des Mexiquains, pour faire des plaintes contre ceux de la Province de Matalzingo , qui les ruinoient , à caufe qu'ils eftoient amis des Chreftiens, & menaçoient d'aller contre l'armée Caftillane. Et d'autant que cette Province eft grande ; que ce font gens vaillans, & que l'on avoit oüy dire plufieurs fois aux Mexiquains, après leur victoire que ceux-cy dévoient venir attaquer les Chreftiens à dos, pour les aider, Cortés refolut de les fecourir,avant que fuivant l'exemple de ceux de Matalzingo , quelquesSandoval va fe- autres ne fe rebellaffent. Il y envoya Gonçale de Sancourir les O t o doval , & luy ordonna de prendre dix-huit Cavaliers, 6c mies. cent hommes de pied,parmy lefquels il n'y avoit qu'un Arbaleftrier. Sandoval entr'autres bonnes qualités,eftoit fort prompt dans fes entreprifes ; il chemina donc en diligence , & rencontra des gens de guerre tout proche de certains vilages d'Otomies qui eftoient ruinez. Si-toft qu'ils eurent découvert les Caftillans,ils fe mirent à fuir & abandonnèrent plufieurs charges de mayz & quantité d'enfans roftis qu'ils portoient pour leur provifion. Ils pafferent une rivière, & firent face auffi-toft. Les Cavaliers allèrent après e u x , mais ils fe mirent auffi-toft à fuir pour s'aller fortifier dans Matalzingo qui eftoit à trois lieues delà. Ils furent chargez par les Caftillans & les Indiens alliez qui eftoient bien dix mille. Les ennemis les attendirent jufques à ce qu'ils eurent mis les femmes & les enfans en feureté dans une montagne qu'ils avoient fortifiée , proche de Matalzingo, & puis ils fe fauverent par la fuite. Les Caftillans entrèrent dans le village,le bruflerent ; & voulant aller le lendemain du matin inveftir la montagne, les ennemis ayant

1521.


D E S I N D E S OCCIDENTALES, Liv. I . 95 fait dé grands tintamares de voix, de t a m b o u r s , & de 1521. cornets, il fe trouva qu'ils avoient pris la fuite. Delà Sandoval alla devant une forte place, dont le Seigneur San. oval fait ouvrit les p o r t e s , & s'offrit d'eftre le médiateur pour paix avec ceux Malinako,& faire la paix avec ceux de Matalzingo, & de Malinal- de de M a t a l z i n g o . co 3 6c il effectua fa promeffe , & rit faire la paix ; fi bien que ces peuples fervirent beaucoup au fiege de Mexique 6c fournirent de vivres. Les Mexiquains furent bien fafchez de cette p a i x , parce qu'ils efperoient un grand fecours de cette Province , & d'autres encore. Le jour que Sandoval revint de ce voyage, les Chreftiens combattoient contre les Mexiquains, & ils avoient dit que l'on leur envoyait l'interprète,qui eftoit Iean Ferez d'Artiaga, parce qu'aucun Caftillan n'avoit encore pu apprendre la langue Mexiquaine en fi peu de temps que luy , ny f i bien ; à caufe dequoy les Indiens l'appelloient Malinzin, parce qu'il fut le premier qui entendit Marina ; & il l'avoit en fa charge. Ils dirent, qu'ils defiroient la paix. L'on en traitta quelques jours, dont les conditions eftoient que les Caftillans fortiffent, & laiffaffent la terre libre. Et l'un de ces jours Cortés arriva à un pont, & leur dit que la paix valoit mieux que la guerre, puis qu'ils fouffroient défia beaucoup de faim. Mais il y eut un vieillard qui tira de fa beface fa pitance , & la mangea fort à loifir, pour donner à connoiftre qu'ils ne manquoient pas de vivres,& congédia Cortés en luy difant qu'il n'y avoit aucune efperance de paix. Dans ce mefme temps Chichimecatl, l'un des Princes Tlafcalteques defirant acquérir de l'honneur ,6c ayant efté toufiours dans le quartier de Sandoval avec fes gens, le voyant abfent, & que l'on ne combatoit pas tout de bon, après la déroute des Caftillans, advertit les fiens de fon deffein,& leur dit qu'il avoit envie de faire paroiftre aux Chreftiens que les Tlafcalteques fçavoient bien combattre fans eux , & les Mexiquains auffi ; & luy ayant accordé ce qu'il defiroit d'eux , il les difpofa en Valeur de C h i cette forte ; Il laiffa premièrement fix cent tireurs d'arc cphi tiami naec aTr ll a, f cCaal-teque.


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à l'arriére garde pour en eftre fecourus en cas de be1521. foin. Il attaqua un pont , le paffa, parce que les M e x i quains par fineffe ne le dépendirent pas beaucoup à i deffein de l'attraper au retour. Il en attaqua encore un a u t r e , en reclamant fa lignée 6e Tlafcala, & ils combâtirent icy vaillamment;mais enfin il gagna encore celuy-cy, avec perte de fang des deux coftez. Il pourfuivit les Ennemis, qui firent face, 6e il fe fit un furieux combat. Il y en eut plufieurs de bleffez & de morts, & plufieurs défis, & fur tout quantité d'injures qu'ils fe difoient les uns aux autres. Chichimecatl fe retira enfin, & les ennemis le pourfuivirent furieufement toufiours battant , prétendant l'arrefter à un paffage ; mais il en fortit heureufement par le bon ordre qu'il avoit obfervé, d'avoir laiffé les tireurs d'arc derrière. Auffi-toft après qu'il fut paffé,les Mexiquains enrageoient de bon cœur de la hardieffe des Tlafcalteques, quoy qu'il y euft des Caftillans tout prefts pour les fecourir. Mais comme les Mexiquains virent que les Caftillans ne combattoient point, s'imaginant qu'ils le faifoient par lafcheté, ou pour les bleffures, ou à caufe de la faim, ils fe jetterent dans le quartier d'Alvarado ; mais ils y trouvèrent une fi bonne refiftance,que beaucoup s'en retournèrent eftropiez. Mais pour cela leur furie ne fut pas appaifée, au contraire ils affemblerent quantité de canos & attaquèrent du cofté de Cortés les brigantins avec une rage endiablée. Ils les trouvèrent écartez les uns des autres , & les chargèrent avec tant de promptitude qu'ils penferent eftre perdus cette journée-là. La Capitaineffe s'arrefta à une poutre qui eftoit en l'eau ; le Capitaine qui eftoit d e d a n s , appelle lean Rodriguez de Villa-Fuerte paffa dans un autre pour fe fauver. Martin Lopez qui gouvernoit toute la F l o t e , comme Pilote Major, & qui pour ce fujet eftoit auffi dans la CaLes Tlafcalte- pitaineffe, la deffendit avec le refte de fes compagnons, ques c o m b a t e n & la tira d'où elle eftoit arreftée. Il jetta deux Caftilvaillamment p o u r un p o n t . lans dans l'eau à caufe qu'ils vouloient fortir de la Capitaine,


DES INDES O c c I D E N T A L E S , - L i v . I .

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pitaineffe. Il en bleffa huit,à caufe qu'ils fe mettoient 1521. lafchement fous le tendelet de peur des coups. Il tua un Indien, qui eftoit Lieutenant General de Quantimoc, il luy ofta un penache Se un bouclier d'or. Il tua encore d'autres Capitaines 6c Seigneurs. C'eftoit un homme rob u f t e , membru , vaillant, & doué d e grandes forces. C e t t e mort du Lieutenant de Quantimoc fut caufe que la ville fut pluftoft prife qu'elle n'euft efté. Cortés honora & careffa publiquement Martin Lopez , Se le favorifa dans l'armée. Il le fit Capitaine de la Capitaineffe qu'il avoit fauvée ; Se ordonna que d'orefhavant les brigantins iroient toufiours quatre à quatre. Les ennemis attadu Capiquèrent ce jour-là le brigantin de Pierre Barba, & com- Mort taine Pierre me il fe deffendoit avec un montant, comme un hom- Barba. me de cccur,ils luy jetterent de deffus une terraffe une p i e r r e , dont il fut accablé Se mourut ainfi.

CHAPITRE

XXII.

Cortés envoyé demander des vivres à Tiafcala ; Du courage & magnanimité de quelques femmes Caftillanes au fiege de Mexique.

C

Omme Cortés eftoit un homme prévoyant & qu'il fçavoit qu'il y avoit difette de vivres, il envoya à Ojeda & MarTlafcala Alonfe d'Ojeda & Iean Marquez pour cet ef- quez voyent e n fet. Ils fortirent accompagnez feulement de vingt In- trer de nuit un dans diens, du quartier d'Alvarado, fur l'heure deminuicl, fecours Mexique. e n tournoyant une grande partie du l a c , parce qu'ils ne pouvoient aller d'autre cofté que par là. Eftant arrivez entre Tepeaquilla & le quartier de Sandoval, ils entendirent un grand bruit de g e n s , & aperceurent qu'il décendoit de la montagne plus de quatre mille hommes, chargez de vivres & d'armes, Se que plus de trois mille canos les recevoient. Ils fe cachèrent cependant, n'attendant que la mort à tous momens ; parce que ceux qui N


98

1521.

ILs arrivent à Tlafcala.

l e ammenent des vivres à l'aimée.

V n e femme C a ftillane guérit les bleffez par le signe delaCroix.

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portoient les charges, & ceux qui les recevoient eftoient plus de dix mille hommes ; mais comme ils eftoient embaraffez à ce fecours, ils ne les virent pas. Ils defcendirent au quartier de Sandoval, & le trouvèrent à cheval avec Diego de Rojas, & ils luy racontèrent ce qu'ils avoient veu. Il s'eftonna de ce qu'ils n'avoient point efté découverts. Il fit faire garde en cet endroit par où eftoit entré ce fecours par des gens de cheval. Apres quoy Ojeda & Marquez fuivirent leur chemin, & allerent à Oculma cette nuit, & le lendemain à Gualipan, & le troifiéme jour ils entrèrent dans Tlafcala. Ils y furent fort bien receus. Ils recueillirent quinze mille charges de mayz , mille charges de volailles, Se trois cent tranches de venaifon. Ils emportèrent les biens de Jficotencatl qui eftoient confifquez pour le Roy , dont il y avoit quantité d'or, de plumaches, chaltutles, & quantité de hardes très-riches , trente femmes, tant filles, nièces, que fervantes. T o u t cela arriva dans Tezcuco , bien escortez de gens de guerre. Ils baillèrent une partie des vivres par l'ordre de Cortés, à Pero Sanchez farfan, & à Marie d'Eftrada, Se portèrent le refte à CuyoacanCependant les efcarmouches, les défis Se les combats continuèrent avec grande perte de fang ; Et comme les Caftillans qui eftoient bleffez avoient peu de douceurs, Se que de la part des Indiens alliez il n'y avoit jour qu'il n'y en eut cent de bleffez, Dieu y voulut pourvoir,en ce qu'une femme Caftillane, appellée Y fabelle Rodriguez leur bandoit les playes, & les beniffoit en difant ; Au nom du Pere, du Fils, du faint Efprit-, un feul Dieu véritable , qu'il te penfe & te gueriffe ; Elle ne faifoit cela que

deux fois, Se encore le plus fouvent, q u ' u n e , & il arrivoit que ceux qui avoient les cuiffes percées d'outre en o u t r e , retournoient le lendemain au combat ; qui eft un témoignage indubitable que Dieu eftoit avec les Caftillans, puis qu'il rendoit la fanté à tant de gens par les mains de cette femme. Il arriva auffi que quelques Caftillans ayant la tefte f e n d u ë , en mettant un peu


DES

INDE

OCCIDENTALES,

Liv.

I

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d'huille dans la playe , eftoient guéris en fort) peu de 1521 temps , parce qu'il n'y avoit point d'autres medicamens ; E t il s'en eft trouvé mefme qui ont efté guaris avec de l'eau, pour monftrer les effets de Dieu en ce rencont r e , & des grandes faveurs qu'il faifoit à ceux qui combatoient pour fon Saint Nom. O r les Mexiquains fe fçavoient fort bien retirer du combat & y r'entrer auffitoft après avec de plus grandes forces , & dreffer des embufcades dans le temps, & les lieux qu'ils jugeoient à propos ; ainfi que faifoient auffi les Caftillans , & le fignal eftoit d'un coup d'arquebufe, & fi-toft que les Indiens l'entendoient ils s'en alloient fautant & courant pour faire forcir ceux qui eftoient dans les maifons & derrière les murailles. Vn jour comme la compagnie d'André de Tapia fe retiroit, & que les Arbaleftriers s'eftoient arreftaz pour faire parler le refte, il y eut un foldat que la neceffité obligea de demeurer derrière, appelle Antoine Peynado. C e foldat eftant arrivé à la porte , que la compagnie eftoit defia retirée il y avoit un bon efpace de temps, & fe voyant p e r d u , parce qu'il Strarageme d'un Caftillan. eftoit pourfuiuy, il s'avifa de frapper de grands coups de fon épée fur fon bouclier en tournant la tefte vers la maifon, pour faire entendre à ceux de dedans qu'ils luy ouvriffent ; mais que les Mexiquains entendant cela & penfant que ce fuft un ftratagefme pour les furprend r e , fe jetterent dans l'eau. André de Tapia commença à crier aux armes & en tua plus de foixante, & fauva p a r c e moyen Antoine Peynado. L'on combatoit un jour du matin proche du Palais deQuantimoc,& le Treforier Alderete defcendit de cheval, & le donna à Ojeda ; il commanda à un page qu'il luy bandaft l'arbalerte, & tira fur quelques Indiens de condition qui eftoient fur une terraffe, il y employa tous les dards & en tua plufieurs. Ojeda ayant de la peine à fe tenir fur le cheval, à caufe d'vn coup de pierre qu'il avoit receu à la tefte, qui luy faifoit faire des tours de cofté & d'autre, le T r é sorier monta deffus, & comme fi le cheval euft eu de N ij


100

1521. V n cheval m o r d & rue les I n diens.

V n Caftillan v a n g e la m o r t de Magellan.

Les Caftillans font preffez.

H I S T O I R E

l'entendement, il devint furieux de telle forte qu'il mordoit, & donnoit des ruades fur les ennemis, & faifoit bien plus d'exécution que fon Maiftre. Il fut bleffé dans ce rencontre un vaillant foldat appelle Magellan, d'un coup de bafton,qui le frappa à la gorge, & comme il en fortoit abondance de fang, il s'en alla promptement au quartier pour fe mettre entre les mains de cette pieufe femme Yfabelle Rodriguez, & en difant, le merecommande à Dieu, il mourut. Sa mort fut vangée par un appelle Diego Caftellanos, fort adroit à jetter des pierres, à l'arbalefte & à l'arquebufe ; car il mira un Indien qu'il croyoit eftre celuy qui avoit frappé Magellan, & tomba mort de la terraffe embas. Il falloit que cet Indien qui venoit d'eftre tué fuft un homme de condition, parce que les Mexiquains furent tellement indignez de cette m o r t , qu'ils commencèrent à livrer un grand combat aux Chreftiens ; en difant, Voyez Seigneurs, voyez, qu'il nous importe peu de nous retirer , nous vendons du courage à nos Ennemis , fi nous devons mourir , mourons en combattant, & ne fuyons point ; ainfi ils

firent face & fe retirèrent lors qu'il fut temps , après avoir efté chargez d'importance , juftement dans le temps qu'ils eftoient en plus grand hafard. Beatrix de Palacios à demy Maurefque qui ayda beaucoup , lors que Cortés fut chaffé de M e x i q u e , & qui pendant ce fiege eftoit mariée avec un foldat appelle Pierre d'Efc o b a r , rendit tant de fervice à fon mary & à fes camarades , qu'eftant laffez de combattre de j o u r , comme l'on fonnoit pour monter à la g a r d e , 6c qu'il falloit faire la fentinelle , elle faifoit ces fonctions pour luy avec Valeur de la beaucoup de foin ; puis ayant pofé les armes dans le f e m m e d'un Caftillan. corps de garde , elle fortoit à la campagne & apportoit de la porée qu'elle faifoit bouillir, 6e en appreftoit pour luy & fes camarades. Elle penfoit les bleffez , elle felloit les chevaux , & rendoit encore d'autres fervices auffi adroitement qu'euft peu faire le meilleur foldat. Ce fut elle , & quelques autres qui penferent Cortés


DES

INDES

OCCIDENTALES,

Liv.I.

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& fes Compagnons , lors qu'ils arrivèrent à Tlafcala, 1521. Se les rirent changer de linge du païs ; & celles que Cortés defiroit qu'elles fe repofaffent dans Tlafcala, qui firent réponfe que ce n'eftoit pas le devoir des honneftes femmes Caftillanes d'abandonner leurs maris lors qu'ils alloient à la g u e r r e , & que s'ils y dévoient mourir qu'elles mourroient auffi. Ces vertueufes fem- Vertu de q u e l mes eftoient Beatriz de Palacios, Marie d'Eftrada, ques femmes Caftillanes. leanne Martin, Y label R o d r i g u e z , & la femme d'Aloufe Valiente, Se encore d'autres. Le lendemain l'on retourna au combat, & l'on prit les maifons de Q u a n - L'on prend l e s timoc ; l'on en abatit une partie ; l'on avança jufques au maifons du Roy T e m p l e Major, & les Indiens mirent des planches fur quantimoc. l'eau , & firent quelques réparations , quoy que cela ne leur fervit que pour peu de jours. Comme ils combatoient ce jour-là, il y eut un Indien qui monta fur une terraffe , qui eftoit fort lefte & bien porportionné de m e m b r e s , veftu de v e r d , avec un penache verd qui luy tomboit fur les épaules , auquel eftoit attachée une baguette qui paffoit au deffus de fa tefte , ou eftoient attachées plus de fix cent p l u m e s , avec beaucoup d'argenterie. Il portoit une efpée Caftillane & un bouclier, Se s'en ef crimoit de la belle manière ; Se parla fi haut que les Interprètes l'entendirent, & dit ; H a chiens de Chreftiens ! y en a-t'il aucun d'entre vous qui veuille venir contre moy faire un défy ; s'il eft allez hardy, qu'il vienne, ie l'attens, afin que de voftre épée mefme ie vous tuë les uns après les autres, un à un. Plufieurs fe voulurent prefenter pour y aller. Mais fur tous, H e r nando d'Ofma feprefenta, & luy donna un fi rude coup H e r v a n d od'ofmac o m contre unMexiquain& le que fon bouclier fut fendu ; mais Ofma luy lança par tuë. deffous un coup d'eftocade qui luy traverfa le corps,& tomba mort furie champ tout auffi-toft. Il luy prit l'efp é e & l e pennache. Mais quantité d'Indiens vinrent en foule fur l u y , qui luy euffent joüé un mauvais party, Il Cortés n'euft envoyé promptement des gens pour le fecourir, quoy qu'il fe deffendift vaillamment 3 mais ils N

iij


102 1521

H I S T O I R E

l'euffent enlevé. Et nonobftant tout cela il emporta l'épée & le pennache ; qu'il prefenta à Cortés de bonne grâce. Cortés les receut tout de mefme , mais il les luy rendit , & luy dit que perfonne n'eftoit digne de porter des trophées fi bien acquifes comme luy ; il l'honora fort alors ; & luy continua toufiours cette affection.

Fin du premier Livre.


103

H I S T O I R E GENERALE DES VOYAGES E T CONQVESTES des Caftillans dans les Ifles & Terre-ferme des Indes Occidentales. LIVRE

C H A P I T R E

SECOND.

P R E M I E R .

Des entrées & forties que Cortés fait dans la ville de Mexique , & refout enfin de de mettre à feu & à fang. Rlvs les Mexiquains eftoient oppreffez, d'autant plus ils étoient obftinez,& leur rage croiffoit de telle forte , qu'il n'eftoit jufques aux femmes âgées , qui balioient les terraffes pour en ramaffer la terre & la poudre, & la jetter furies Caftillans pour tafcher de les aveugler. Les enfans mefmes leur jettoient des pierres & des baftons en leur difant toutes les injures qu'ils entendoient dire à leurs pères. L e s M e x i q u a i n s a p p r e h e n d o i e n t fort u n n o m m é R o -

drigue C a f t a n e d a , qui fut l'un de ceux qui apprirent

1521.

Caftaneda tuë des Indiés en Ce gauffant avec eux.


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H I S T O I R E

parfaitement la langue Mexiquaine , & reflembloit 1521 quant à la prefomption à Xicoteucatl, & il portoit des plumes comme les Indiens. Ils luy difoient des paroles fcandaleufes , & l'appelloient Xicoteucatl Cuycone, mais il ne faifoit que rire de tout cela , & les remercioit, fi bien qu'agiffant de la forte avec e u x , il les affeuroit, mais de temps en temps il bandoit fon arbalefte & ne manquoit pas d'en mettre quelqu'un par terre, & en tua ainfi beaucoup , iufques à ce qu'ils le reconn u r e n t , & s'efloignerent de l u y , l'appellant méchant & perfide, de ce qu'il les tuoit ainfi en fe gauffant, & non en vaillant h o m m e , fans tromperie 8e en trahifon. Les manchots, les boiteux, & ceux qui ne pouvoient monter fur les terraffes ramaffoient des pierres pour tirer avec des frondes, de forte qu'ils ne tenoient perfonne qui ne travaillaft à quelque chofe pour la deffenfe de la ville. Ils eftimoient beaucoup Chriftofle d'Olid ComLes M e x i q u a i n s me homme fort vaillant, & l'appellerent par fon nom, ont de l'affection pour Olid. & luy demandèrent s'il vouloit manger ; & leur ayant dit qu'il le fouhaitoit,il defcendit un Mexiquain avec des gafteaux 8c des cerifes, pour faire voir que les vivres ne leur manquoient pas. Mais Olid les donna à un ferviteur, en fe moquant de leur prefent. Il s'affit en un lieu où il ne pouvoit pas eftre offenfé, & fit femblant de manger du prefent,& fe releva auffi-toft en leur monftrant fes feffes. Ils furent tellement offenfez de cet affront,qu'ils firent pleuvoir une multitude de pierres 8c de baftons après luy. L'on recommença à combattre d'importance, & les Mexiquains ouvrirent plufieurs ponts, & les couvrirent avec des baflons & de la paille, afin d'y faire trébucher les Caftillans. Criftofle de Corral Enfeigne chemina des Hirdie action de C o r r a l , En- premiers fon drapeau en la main , & tomba dedans le feigne. piège ; ils fe jetterent auffi toft après luy ; mais il tua les premiers qui l'approchèrent de fon poignard 3 puis faifant un faut en a r r i è r e , il fortit fur la chauffée, a d o n na avis à tous les autres de ne pas paffer outre. Les M e xiquains épouvantez de cette action, dirent qu'ils euffent mieux aimé prendre l'Enfeigne , que celuy qui la portoit ;


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. I.

105

parce qu'entr'eux quand ils ont perdu leurs guidons,le courage leur manque auffi-toft, & ils s'imaginoient qu'il en eftoit ainfi des Chreftiens. Cependant les Caftillans s'eftoient tellement méfiez avec les ennemis,& fi inconfiderément, que fe battant en diverfes avenuës de rues avec quantité , ils s'en revinrent fuyant pefle-mefle les uns avec les autres. Beatrix Bernardez de Velafco, femme de François d ' o l m o s , armée d'une jaquette de cotton piquée , le cafque en tefte , l'épée & le bouclier en main, fortit à la chauffée, & dit ; N'avez^-vous point de bonté, Caftillans, de fuir de la forte ? Retournez contre ces infâmes, & fi vous ri en voulez rien faire , il ne paffera au-

1511,

Vne CafliiUnês réprimande ceux de fa dation.

cun homme par icy que ie ne le tuë Les Caftillans furent tellement honteux d'eftre réprimandez par une femme qu'ils retournèrent contre les Mexiquains, & combatirent fi vaillamment que la victoire leur demeura. Cortés voyant donc que les Mexiquains ne fe deffendoient pas fi fortement qu'ils avoient fait par le paffé, & que ce fiege tiroit de long , il conclut avec tous les Capitaines d'attaquer la Ville par plufieurs endroits, prétendant de trouver quelque avenuë par où l'on pourbit entrer de force & finir la guerre par ce moyen. Toutes chofes eftant concertées, l'on donna donc le lignai & l'affaut fut livré, mais l'on y trouva plus de refiftance que l'on ne s'eftoit imaginé.; car quoy que tous combatirent vaillamment cette journée-là, & que l'on y fit des actions admirables, chacun fe fignalant à l'envy, la valeur & la grande multitude des ennemis obligèrent les Caftillans de fe retirer avec beaucoup de perte des affiegez, fans toutefois pouvoir venir à bout de ce que l'on s'eftoit propofé. Le lendemain Cortés refolut d'y retourner avec tou- Cortés attaque tes les forces qui furent divifées en deux corps. Il prit la ville avec deux armées. avec luy Chriftofle d'Olid, Gonçale de Sandoval, André de Tapia, Alonfe Davila, & encore d'autres Capitaines. Et avec Pierre d'Alvarado qui menoit l'autre a r m é e , il commanda à George d'Alvarado , à Pierre d'Yrcio,& à autres de l'accompagner. Comme l'on comO


106 1521.

C o r t é s eft en grand péril, & eft fecouru à temps.

Genereufe revolution d'un foldat. Genereufe a c tion d'un autre foldat

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mença à livrer Faffaut, on euft dit que la ville abifmoit, d'entendre les cris & les braillemens qui s'y faifoient. Les Indiens fe deffendoient dans des tours, deffus des planchers & des terraftes, dans les rues Se de tous collez auffi vertement que s'ils n'eufFent point encore combatu. Les Caftillans d'ailleurs, pour vouloir achever la guerre fe mettoient en grand péril ; & les Mexiquains qui combatoient endefefperez ne fefoucioient, pas de mourir pour la deffenfe de leur liberté. L'on fit cette journée des chofes fignalées,& néanmoins fort perilleufesjPierre d'Yrcio & Gonçale de Sandoval hazarderent beaucoup ; Et fi Chriftofle d'Olid & Martin de Gamboa n'euffent fecouru Cortés, qui avoit attaqué Se s'eftoit méfié parmy les ennemis avec trop de précipitation , il eftoit envelopé d'une centaine d'Indiens qui l'euffent enlevé. Alonfe Nortés foldat d'un brigantin le défendit un bon efpace de temps,les gens de mer eftant defcendus à terre , en attendant que les Indiens amis le vinffent aider. C'eft pourquoy plufieurs luy dirent que puis qu'il connoiffoit le danger qu'il pouvoit encourir par fa trop grand valeur , il ne devoit pas fe proftituer de la forte au milieu de tant de périls pour une victoire en balance, luy qui fçavoit fort bien les incidents qui arrivent en de femblables rencontres, où le Chef eftant une fois à b a s , le refte de l'armée court grand rifque. Cet Alonfe Nortés ayant fait cette genereufe adion,bleffé de cinq playes, & fur tout une mortelle,alla pour fecourir un autre Caftillan, & tomba dans l'eau,& nageant entre deux e a u x , (car il eftoit grand nageur) il échapa d'une quantité de canos. Vn autre foldat a p pelle André N u n e z fecourut deux brigantins avec le lien que les canos des ennemis emmenoient , & fauva quelques Caftillans, & particulièrement Caftillo,& D o mingo Garcia. Et le Capitaine du brigantin qui eftoit defcendu à terre eftant de r e t o u r , Nunez ne l'y voulut pas recevoir, difant qu'il avoit perdu le droit de Capitaine , puis qu'il ne s'eftoit pas voulu rencontrer dans le péril ; qu'il avoit fauvé le brigantin, & qu'ainfi la Capi


D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.I. 107 tainie luy appartenoit. Cortés ayant fceu la contefta- 1521 tion, dit qu'André Nunez avoit raifon, parce que fans luy le brigantin eftoit perdu : Et quoy qu'il fuit importuné de plufieurs de le remettre dans fon brigantin, Cortés fit réponfe qu'il eftoit obligé de rendre juftice égale à tous , il bien que les chofes en demeurèrent là. O r ce mefme Nunez dans un autre rencontre, ou il fe A n d r é N u n e t trouva depuis avec fon brigantin, mit en déroute plus m e t en d é r o u t e plus de trois de trois mille Indiens, & mit les chofes en tel eftat que mille Indiens. l'on pouvoit prendre la ville plutoft 6c avec plus de facilité. Vn nommé Montano, Enfeigne de Pierre d'Alvarado , monta avec fon drapeau au haut d'une Tour fort h a u t e , dont il fe rendit maiftre par la mort de plufleurs Indiens qui la gardoient. Cortés voyant qu'encore que l'on euft tué quantité d'Indiens,(car l'on tient qu'il en mourut plus de vingt Il mourut c e t t e mille dans la ville) & que la guerre ne fe pouvoit pas jou née vingt mille I n d i e n s . encore terminer , à caufe que l'on avoit auffi perdu quelques Caftillans, & des Indiens alliez, & qu'il y avoit quantité de bleffez de part & d'autre ; il refolut de fe retirer au meilleur ordre qu'il p u t , parce que dans ces retraites ordinairement les Indiens preffoient de prés les Caftillans. Il arriva en cette retraitte que Pierr e d'Yrcio voulant faire parler un brigantin au tra- Grand effort vers d'un p o n t , comme le brigantin fut embaraffé au de Pierre d ' Y r paffage, il fe mit en l'eau ; & quoy que fort bielle & laf- ziofé tout enfemble,il ne laiffa pas de le pouffer des épaules, avec l'aide de quelques autres,& rirent fi bien qu'ils le foulagerent, & l'enlevèrent s'il faut ainfi dire,de l'autre cofté du pont, fans fortir de l'eau, quoy que les Ennemis le fatigaffent fort, jufques à ce qu'il fuft hors de danger. Cette fois-là Cortés, de l'avis des Capitaines Caftillans & Tlafcalteques, refolut de ne plus prendre de pont, fans abbatre premièrement les maifons qui en feroient proches, afin de n'en point eftre incommodez. Nous avons dit cy-devant, comme Iean Ponce de L é o n , fut défait en cette armée dans la Floride, ou il eftoit allé avec deux Navires ; l'un de ces deux N a O ij


108 1521. V n N a v i r e de l e a n Ponce arrive à la Villa Rica.

Perfidie des Mexiquains.

H I S T O I R E

vires , foie par fortune, ou pour retirer les frais qu'il avoic faits pour cette entreprife , voyant que lean Ponce ne la pouvoit pas continuer , vint fingler à la villa R i c a , avec de la poudre , des arbaleftes & autres munitions dont Cortés avoit befoin. A caufe dequoy il rendit grâces à D i e u , voyant qu'il le favorifoit de fon affiftance au befoin, & commanda que l'on fallait faire venir pas toutes les diligences poffibles. Comme donc il avoit refolu d'abatre les maifons qui eftoient proches des ponts , il trouva à propos de commencer par celles de la ville qui fembloient les plus neceffaires , & des mefmes matériaux en emplir les ruiffeaux & les canaux, voyant que cette génération eftoit fi endurcie dans leur obftination , que ny la quantité de mortS ny la famine,& les autres maux qu'ils enduroient, ne les pouvoient adoucir pour embraffer la paix qu'il leur avoit offerte tant de fois. Il le communiqua aux Capitaines Caitillans, à ceux des Tlafcateques, & d'autres Nations ; & approuvant tous les deffeins de Cortés, il les pria d'envoyer quérir dans leurs peuplades des maifons & des manœuvres pour travailler aux démolitions , afin de ne point employer à cet ouvrage des gens qui dévoient combattre. Comme l'on attendoit que ces gens - là fuffent venus , les Ennemis s'imaginans que les Caftillans fe repofoient, pour combattre puis après avec plus de forces,faifoient auffi quantité de réparations. Comme donc toutes chofes furent préparées, les armées entrèrent dans la ville ; & Cortés eftant arrivé à un pont pour l'attaquer qui eftoit très fort, qui eftoit à l'entrée de la place, les Mexiquains dirent qu'ils defiroient la paix, & leur ayant donné un peu de relafche pour envoyer appeller Quantimoc pour en traiter, l'on fut tout eftonné qu'un moment après ils commencèrent à jetter quantité de pierres & de baftons & une nuée de flèches ; fi bien qu'ayant reconnu leur mauvaife foy, on les attaqua fortement , on prit le fort, on entra dansla place, que l'on trouva remplie de pierres pour empêcher la courfe des chevaux, une rue bouchee de pierre


D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.I. 109 feche de l'autre pleine de pierres. L'on combla cette journée toute la rue d'eau qui conduifoit à la place, de telle forte que les Mexiquains ne la purent jamais déboucher, de l'on fît encore la mefme chofe à d'autres. O n abatit des maifons ; en forte que l'on y pouvoit aller avec plus de feureté. Or comme Cortés avoit cette journée-là plus de cent cinquante mille hommes, fans compter les pionniers de manœuvres, & que les brigantins avoient auffi fait la guerre , il fembloit que c'eftoit déjà un acheminement pour parvenir à la fin.

C H A P I T R E

1521.

II

Continuation du mauvais eftat auquel fe trouvent les Mexiquains.

C

E mefme jour il fe prefenta un Indien fort puiffant de corps, qui portoit une épée & un bouclier de Caffille,fort empennaché de en tres-bonne pofture, qui demanda à Cortés par le moyen de l'Interprète, qu'il luy envoyaft quelque Caftillan avec lequel il peuft combattre , parce, difoit-il, qu'en mourant par la main d'un vail lant homme il feroit fort contant &fatisfait, & qu'en le vainquant il acquerrait une gloire. Cortés luy dit qu'il en amena// encore dix auecque luy, & femblables à luy , parce que celuf qu'il devoit envoyer devoit combattre contre tous. L'Indien luy repartit, qu il eftoit auffi vaillant que celuy qui devoit fe batre , & qu'il le fift fortir. Cortés luy répliqua ; Puis que tu n'en veux pas appeller d'autres pour Raccompagner , afin que tu voyes ce que la jeuneffe de Caftille fçait faire ; Voicy mon Page, qui eft un jeune homme fans barbe C o m b a t qui te pourra jouer un mauvais party. Iean Nunez de Mer- page de

cado , ainfi fe nommoit le Page , fe prefenta , de quoy que l'indien fuft hardy, de vaillant, à peine eurent-ils mefuré leurs épées,que l'Indien fut tué d'vn coup d'eftocadej dequoy les Mexiquains furent fafchez, de tinrent cela pour un mauvais augure ; mais Iean Nunez de O iij

d'un Cortés contre un I n dien.


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1521

L'affaut dure fix jours t o u j o u r s d'une mefme façon.

Vaillante act ô d'Ofma.

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Mercado fut fort eftimé de C o r t é s , auquel il prefenta les armes & les pennaches du Mexiquain. Le lendemain les armées rentrèrent dans la ville, & ne s'occupèrent qu'à combler les mauvais paffages & d'abattre des maiions jufques au point de combattre , avec ordre aux Cavaliers de tenir l'arriere garde. Comme donc l'on vint à combattre , l'on joua des coufteaux fortement des deux collez, & Cortés monta dans une T o u r fort h a u t e , d'où il ordonnoit de tous coftez ce qui elloit à propos de faire ; ce qui fafcha fort les Mexiquains, car ils en furent tous fpectateurs. L'on combattit de cette forte fix jours durant, & lors que l'on faifoit les retraites, les Indiens alliez paffoient devant,& les Caftillans conduifoient l'arriere-garde, & quelques Cavaliers qui eftoient en embufcade fortoient, & relançoient les Ennemis jufques à ce que tout fuft paffé. Le dernier jour les Cavaliers voyant que les Indiens ne paroiffoient pas, fe doutant de quelque embufcade ,comme les Cavaliers s'en retournoient ils vinrent fondre fur eux avec leurs braillemens, toufiours combattant, & puis s'en retournèrent. Cependant il y avoit défia tant de monde fur les terraffes, & qui jettoient tant de pierres , qu'il falut que les Cavaliers revinffent plus ville que le pas , & nonobftant toute cette diligence il y eut deux chevaux de bleffez. La plupart des Caftillans combatoient dans dans la chauffée , & les Indiens alliez dans les terraffes. Et il arriva que Hernando d'Ofma qui eftoit dans le bas de la chauffée, voyant que les Mexiquains mettoient en quelque façon les Tlafcalteques en defordre,fejetta dans l'eau, quoy qu'armé, paffa par milieu où il y avoit du feu , d'où il fortit tout enfumé, & à la veuë de l'armée combatit contre un Capitaine Mexiquain qui avoit une épée & un bouclier ; ils fe donnèrent quelques coups fur leurs boucliers, mais Ofma donna un coup d'eftocade à l'Indien au travers du corps, dont il fut tué ; ce que les Indiens alliez ne pouvoient pas faire,ny apporter aucun remède à leur déroute. Mais la perte de cet homme fit reprendre coeur aux Tlafcalteques, &


DES

I N D E S OCCIDENTALES LIV.I.

111

ils vainquirent les Mexiquains,qui furent bien eftourdis 1521 cette journée-là. Dans ce mefme temps Cortés commanda à Gonçale de Sandoval qui eftoit avec Alvarado, de le venir trouver avec quinze chevaux, & quelques autres qu'il avoit, qui pouvoient faire en tout quarante hommes. Il en envoya dix avec l'armée, pour combattre & pour abatre des maifons, comme faifoient les autres , avec ordre que lors de la retraite il accompagnaft les autres. il leur ordonna de ferrer les Ennemis de prés le plus qu'ils pourroient, & les entretinffent toujours combattant ; & juftement à une heure après midy Cortés s'alla mettre en Cortés dreffe embufcade embufcade avec trente Cavaliers, & pour mieux diffi- une pour furprendre muler il monta à la Tour qu'il avoit ey-devant prife ; & les Mexiquains. lors qu'il fut temps d'exécuter fon deffein il defcendit & donna l'ordre, & fe mit parmy ceux qui eftoient en embufcade ; fi bien que l'heure eftant venue, l'armée commença à fe retirer. Dans ce mefme temps les dix Cavaliers fe retiroient auffi fi lentement félon l'imagination des Mexiquains, s'imaginant qu'ils eftoient hors de combat, qu'ils fortirent pour leur donner la chaffe avec leurs épées de bois. Et comme c'eftoit une feinte retraite, les Indiens y furent tellement amorcez qu'il en fortit une infinité pour avoir part à la victoire. Mais l'heure eftant venue , lors qu'ils y penfoient le moins, ceux de l'embufcade fortirent qui enveloppèrent les ennemis , & il s'y fit un tres-grand carnage ; les Indiens eftant épouvantez de voir tant de chevaux. Il n'y eut pas un Indien allié qui n'emportaft un bras ou une jamb e , dont ils firent un bon repas cette nuit-là. Il fut tué plus de fix cent des principaux de la ville. Cependant que l'on combatoit avant la retraite les Caftillans trou- Les Caftillans vèrent une fepulture, où il y avoit de l'or environ quin- trouvent de l'ot dans une fepulze cent poids 5 parce que jamais les Caftillans pendant tute. la guerre ne peuvent demeurer oififs. Les Caftillans eftant prefque retirez, certains Seigneurs de Mexique enuoyerent leurs efclaves pour voir fi l'armée campoit ; mais ayant efté découverts par les Cavaliers ils leur


112 1521

Cortés apprend d'une Dame Mexiquaine le mauvais eftat de la ville.

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baillèrent la chaffe, & en prirent quelques-uns. Apres cette défaite les Mexiquains n'allèrent plus à la place qu'ils ne s'en fouvinffent. 11 arriva auffi dans ce mefme temps que lean Rodrigue Bejarano eftant entré dans une maifon combatant & ayant écarté les Ennemis, il rencontra une femme fort bien mife,& qui avoit efprit, qu'il mena à Cortés;& ayant appris qu'elle eftoit de condition, il luy dit qu'elle n'apprehendaft rien ; & que les Caftillans ne faifoient point de mal aux femmes, quoy qu'elles fuffent mères & filles de leurs Ennemis. Marina qui eftoit prefente à toutes ces chofes communiqua avec elle, & veû les careffes que Cortés luy faifoit, jointes à la liberté qu'il luy promettoit, & d'autres chofes encore pour luy;faire déclarer l'eftat de la ville & des Habitans, elle luy dit, Que l'intention des Ennemis eftoit de fe rendre ; mais que quelques bons succcs qui leur eftoient arrivezjeur avoient fait changer de deffein, que Quantimoc & fes parens eftoient refolus de mourir plûtoft que de fe rendre ; quoy que la plus grand part des gens combattoient contre leur volonté ; Que les vivres leur manquaient ; qu'il y avoit de la difcorde entre eux Que fi on les attaquoit fortement de tous coftez, on les vaincroit ; qu'il falloit prendre tous les paffages far ou entroit l'eau les vivres, les munitions ; qu'ils avoient bafty des maifons de bois, à caufe que l'on leur abattoit celles de pierre ; qu'on les preffaft de jour & de nuit, avec les armes & le feu, & que par ce moyen , avec la famine ils ne pour nient pas refifter ; & que ceux de fa lignée efloient de contraire avis à celuy de Quantimoc. }

Les Caftillans n'eurent point de difgrace cette journée-là, excepté lors que l'on fortit de l'embufcade , il y eut deux Cavaliers qui s'entrechoquèrent, dont l'un eftant tombé de deffus fa cavalle, elle prit le chemin des Ennemis, qui luy tirèrent quantité de flèches, de forte qu'ayant efté fi mal receuë elle s'en revint trouver les Caftillans, & mourut dans leur quartier. Dans la nuit les fentinelles prirent deux Mexiquains,,qui ayant efté menez devant Cortés , luy dirent qu'ils eftoient entrez dans des maifons ruinées pour amaffer du bois fie


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INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv.

II

113

& des herbes pour manger, à caufe qu'ils avoient gran1521. de difette de vivres. Cortés leur fit donner à manger,, & comme ils mangeoient, ils ne pouvoient fe tenir d'admirer la vertu de leurs Ennemis. Ils dirent que la famine eftoit grande dans Mexique, & que néanmoins on eftoit refont de mourir pluftoft que de fe rendre. Cortés en donna avis aux Capitaines, & voyant que ce que ces deux Indiens difoient avoit du raport à ce qu'avoit dit cette Dame , il fut refout de ne point perdre un moment de temps fans faire la guerre. Et pour cet effet Cortés envoya dés la pointe du jour dreffer des embufL'on prend huit cades, & des gens qui prirent plus de huit cent pauvres cent femmes femmes & enfans qui fortoient pour chercher à man- Mexiquaines ger , dont il en fut tué quelques-unes qui ne purent pas qui cherchoient des herbes à la éviter la mort par mégarde ou autrement. D'ailleurs les campagne pour brigantins rompirent quantité d'échafaudages que les manger. Indiens avoient fait pour paffer, qui fut caufe que plufieurs furent noyez, & ils mirent quantité de canos qui alloient à la pefche , & firent quantité d'autres maux; & comme cela fe fit dans une heure extraordinaire,les Mexiquains en furent tellement furpris que perfonne ne fortoit pour combattre. Le lendemain Cortés fortit en bon ordre ; ce que firent auffi les Indiens alliez ; lefquels ayant appris le mauvais eftat des Mexiquains,joint qu'ils les avoient fort en horreur, s'eftimant heureux de pouvoir fortir de leur domination, il en eftoit arrivé un fi grand nombre pour combattre contr'eux,qu'on ne les pouvoit nombrer. Ils eftancherent tous les mauvais paffages de la rue de Tacuba, par laquelle on avoit défia de la communication avec l'armée d'Alvarado , parce que l'on avoit défia eftanché plufieurs canaux , outre que l'on gagna plufieurs ponts pour paffer dans d'autres rues. Outre que l'on brufla les maifons de Quantimoc Les Caftillans les qui eftoient grandes & fplendides, ou les Mexiquains buflent maifons de fe fortifioient, & incommodaient fort les Caftillans, & Quantimoc, par ce moyen les trois parts de Mexique furent prifes. Mais nonobftant cela le lendemain, qui fut le jour du Bien-heureux Apoftre S. lacques, que l'on y retourna, P


114 1521

Paroles des Mexiquains aux Indiens alliez.

Les Caftillans trouvent des teftes de leurs camarades facri-

l e s Soldats d'Alvarado combattent plus que des hommes.

HISTOIRE

& que l'on arriva au marché , après avoir pris une rue fort large, où il y avoit quantité d'eau, les Indiens ne laifferent pas de foutenir un furieux choc, fe confiant en ce que les chevaux ne pouvoient pas faire leurs caracols dans la Place , à caufe de la quantité de pierres dont elle eftoit remplie: mais les Arbaleftes leur firent grand tort, & les piques auffi y fervirent beaucoup, parce que ceux qui les portoient les fçavoient bien manier, Il y mourut une infinité de Mexiquains, fort affligez de voir réduit en terre ce qui auparavant n'eftoit qu'eau,& abattre ôcbrufler les plus beaux édifices de ce nouveau Monde. Et c'eftoit ce qui faifoit dire aux Mexiquains, parlant aux Indiens de l'armée des Caftillans ; Bruflez & abatez les maifons tant que vous voudrez,, nous vous en ferons faire de meilleures fi nous vainquons; Et quand les Chreftiens nous vaincroient, il faudra toufiours que vous les reba-

tiffiezjtour eux. Le lendemain du jour de S. lacques l'on fit encore une autre entrée dans la ville ; & l'on trouva la grande rue d'eau en mefme eftat qu'on l'avoit laiffée le jour précèdent. L'on paffa à une Tour d'Idoles, où l'on trouva les teftes de quelques Caftillans facrifiez,quï furent reconnues avec beaucoup de douleur 6e de triftefîe. Et les Ennemis combatoient avec autant de valeur 6e de refolution que le premier jour, jufques furie foir, que Cortés jugea à propos de faire retraitte. Le jour d'après fur les neuf heures du matin comme Cortés entendoit la Meffe pour rentrer dans la ville, il ap~ perceut de la fumée dans les Tours du Tlatelulco , & que cette fumée eftoit bien plus forte que lors que les Indiens faifoient leurs facririces. Il jugea auffi toft qu'Alvarado devoit eftre entré dans le marché;ce qui eftoit véritable, & avoit perfuadé à fes gens d'entreprendre de gagner le Tlatelulco, & que c'eftoit le moyen de neriter une double gloire, parce que de ce lieu dependoit toute la force des Ennemis. Ils combatirent vaillamment, & arrivèrent en veuë du marché ; mais ils ne purent gagner que ces T o u r s , quoy qù'ils euffent fait des actions plus qu'humaines ; où Alvarado fit faire ces fu-


DES

INDES

OCCIDENTALES

LiV.

II

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mées pour le faire fçavoir à Cortés, & pour décourager les Ennemis. Cortés entra auffi-toft dans la Ville, mais il ne fit autre chofe que d'étancher des ponts & applanir les paffages, toufiours combatant, & fe battant en retraitte, avec autant d'obftination que les Ennemis avoient appris de faire ; & il fallut auffi qu'Alvarado de fon cofté monftraft fon courage & fa prudence, car les Mexiquains le ferrèrent de fort prés.

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1521.

III.

Le Pere de las Cafas va far l'ordre de l'Audience de l'Efpagnolie pour mettre fes provifions en exécution à Cumana.

P

Our ne point perdre le fouvenir de ce qui touche le Pere de Jas Cafas, il n'y a point de danger de luy faire tenir fon rang en ce lieu , &dans les temps que les chofes font arrivées. Cependant que toutes les chofes fe paffoient dans la nouvelle Efpagne , avec beaucoup de travaux comme nous le venons de faire voir, il procuroit fes depefches dans l'Ifle Efpagnolle avec beaucoup de folicitation;& difoit que puis que fes provifions avoient eft publiées avec tant de folemnité, qu'elles s'effectuaffent donc. Mais d'autant qu'il y avoit plufieurs avis pour l'exécution , cela faifoit que l'affaire fe retardoit ainfi ; quoy que le Pere de las Cafas les menaçoit Le Pere de la Cafas preffe derepaffer en Caftille pour fe plaindre au Roy, du tort pour l'exécution que cela faifoit par ces retardemens. Enfin ils pafferent de fes dépéches. encore quelques jours, & après avoir fait plufieurs affemblées entr'eux pour ce fujet, ils refolurent de ne point donner au Pere un fujet de mécontentement, & faire quelque accommodement avec luy. Il fe faifoit de quatre fortes de trafics dans la terre que le Roy avoit donnée au Pere de las Cafas en gouvernement 5 La première eftoit la pefche des perles qui fe faifoit dans Cubagua, où les Habitans de l'Efpagnolle tenoient leurs efcouades d'Indiens efclaves ; La féconde eftoit le trafic p ij


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de For qui le faifoit par toute cette colle jufques à la Province de Veneçuela, & encore plus outre au déla ; La troifiéme elloit le négoce des Efclaves ; Et la derniereja guerre des Indiens, pour y faire des Efclaves. Et fçachant bien qu'il n'y en avoit point de plus capable que le Pere de las Cafas pour faire valoir ces forCeux de l'Au- tes de négoces ; ils traitterent avec luy pour mettre codience de l'Efla en compagnie, & d'en faire vingt - quatre parts qui pagnolle entrent en party feraient partagées également ; dont il y en auroit fix avec le Pere de pour les droits du Roy , fix autres pour le Pere de las las Cafas. Cafas & pour les cinquante Cavaliers aux Efperons dor e z , qu'il devoit recevoir ; & que les douze autres feroient appliquées trois pour l'Admiral ; quatre pour les quatre ConieillerS, qui eftoient les Licenciez Marcel de Villalobos , Iean Ortiz de Matienzo , Luc Vafquez d'Ayllon , & Rodrigue de Figueroa ; trois pour Michel de Paffamonte, le Controlleur Alonfe d'Avila, & le Vifiteur Iean d'Ampuës ; & les deux autres pour les deux Secrétaires de la Chambre de l'Audience,Pierre de Ledefma , & Iean Cavallero ; moyennant quoy chacun contribua pour les frais & dépenfes. L'on fit donc le traité en cette forte ; que l'on donneroit au Pere de las Calas de l'armée que Gonçale d'Ocampo. avoit amenée , cent vingt-hommes choifis, & à la folde, & que les autres feroient congédiez. Et d'autant que ces foldats devoient eftre fous la charge d'un Capitaine,on les laiffa avec Gonçale d'Ocampo, parce qu'il avoit défia pacifié la terre, & que cette armée ne fe faifoit qu'afin que le Pere de las Cafas témoignaft avec plus de certitude comme le tout s'eftoit paffe, les gens 6c les Provinces ou Fon mangeoit de la chair humaine , & ceux qui ne vouloient point faire de paix avec les Caftillans, ny recevoir la Foy, ny les Prédicateurs ; afin que le Capitaine , & les gens qui eftoient à la folde, leur puffent faire la guerre. D e las Cafts Cette refolution eftant prife, & toutes chofes eftant p a r t de S. D o en eftat, l'on bailla au Pere d e las Cafas, les Navires m i n i q u e pour aller à C u m a n a . bien-armez, & munis de vivres, de munitions,& de mar1521


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chandiles pour faire les crocs, & ordre pour prendre 1521. unze cent charges de pain cazabi de l'Ifle de la Mona, de celuy qui eftoit dans le Magazin du Roy ; il partit du port de S, Dominique au mois de Iuiliet, mais comme fon deffein eftoit d'emmener les Laboureur qu'il avoit il laiffez en l'Ifle de S. l e a n , il n'y en trouva pas un, parce qu'ils s'eftoient difperfez en differens endroits. Enfin il arriva en terre ferme,& trouva Gonçale d'Ocampo dans fa nouvelle ville, qu'il avoit nommée T o lède , & dont les gens eftoient fort mal. contents , parce qu'ils y mouroient de faim , à caufe que les Indiens des environs s'oftoient retirez plus avant dans lepaïs. Com- Les Caftillans quittent le pere me ils eurent appris la teneur de la commiffion du Pere de las cafas. de las Cafas,perfonne ne voulut demeurer avec que luy, & ils s'en retournèrent à l'Efpagnolle ; fi bien que le Pere demeura feul , excepté fes fervitenrs, fes amis , & quelques autres qui voulurent demeurer à la folde ; ainfi Tolède demeura dépeuplé. Le Capitaine Gonçale d'O campo eut un grand reffentiment de voir le Pere ainfi abandonné. Il le confola du mieux qu'il put j & neantmoins il s'en retourna auffi à l'Efpagnolle. Il y avoit-là un Monaftere de Religieux de S. François,dont le Gardien eftoit frère Iean Garceto. Ils avoient un fort beau jardin, ou il y avoit quantité d'Orangers, une pièce de vigne, & des herbes potagères ; de bons melons & autres chofes neceffaires à la vie ; &tout cela n'eftoit qu'à un trait d'arc de la cofte de la mer, tout proche de la rive du Fleuve de Cumana, d'où toute cette terre tire fon nom. Le Pere de las Cafas commanda de baftirune cran- Le Pere com-, mence de s'éde maifon à cofté d e ce jardin, ou il y euft une grande tablir à Cumahale ou Magazin, pour mettre à couvert toutes les vi- n a . v e s , les munitions, & les merceries pour faire les trocs qu'il avoit amenez. Il fit fçavoir au plultoft aux Indiens, par le moyen des Religieux 6c d'une Dame Indienne appellée M a r i e , qui fçavoit quelque peu la langue Efpagnolle ; qu'il eftoit venu de la part du Roy,qui eftoit nouvellement arrivé à la Couronne de Caftille, duquel ils recevroient de grandes courtoifies, & les maintienP iij


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1521.

D e las Cafas veut batir; une fortereffe à Cumana.

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droit en paix , ainfi qu'ils le reconnoiftroient plus amplement ; & pour les amadouer davantage il leur donna des babioles qu'il avoit. Il a défia efté dit cy-devant que dans l'lfle de Cubagua il n y avoit que de petites mares d'eau falée, & que pour avoir de l'eau douce il falloit aller à la rivière de Cumana qui en eftoit efloignée de fept lieues, à l'embouchure de laquelle le Pere commença à baftir une Fortereffe, efperant que cela tiendroit non feulement les Indiens en affeurance ; mais qu'elle ferviroit encore pour reprimer les infolences qu'il croyoit que ceux de Cubagua pourroient commettre, Mais comme ils eurent reconnu fon deffein , ils firent en forte de luy deftourner l'entrepreneur avec lequel il eftoit convenu pour la fabrique ; fi bien que par ce moyen- là l'ouvrage de la forterefte ceffa ; & ceux de Cubagua continuèrent leur négoce avec les Indiens, bien plus hardiment qu'ils n'avoient point encore fait par le paffe.

C H A P I T R E

III,

Le Pere de las Cafas retourne à l'Efpagnolle, & ce qui arriva dans Cumana en fon abfence. Les Indiens bru fient le Monafere de S. François, l e s Indiens a i m e n t furrout le vin de Caftille.

let Indiens font grands yvrognes.

L

A plus precieufe monnoye que les Indiens afFedionnoient, eftoit le vin, & pour en avoir ils cherchoient dans les concavitez de la terre tout ce qui s'y pouvoit rencontrer de rare , & le portoient aux C a ftillans pour avoir du vin, & ils donnoient enfin tout ce qu'ils pouvoient poffeder pour en avoir. Mais il arriva de cela que comme ils ne s'en fervoient pas modérément , & qu'ils ne le trempoient p a s , ils s'eny vroient facilement, & querelloient auffi-toft les uns contre les autres ; & dans cette chaleur ils prenoient leurs arcs 6c leurs flèches empoifonnées, & fe tuoient ainfi les uns les autres. Comme donc le Pere de las Cafas pour dé-


D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.II. 119 tourner cette forte de negoce des Caftillans avec les In1521, diens, fouffrit beaucoup au commencement , il paffa à Cubagua, & pria l'Alcalde Major de ne point empêcher le cours de fa négociation ny que les gens de cette Iflc ne fe meflaffent point de fon gouvernement, parce que tout cela ne ferviroit à rien. T o u t fon entretien n'eftoit qu'avec les Religieux , & ils jugèrent bien entr'eux que tous les empefchemens que ceux de Cubagua luy faifoient n'aboutiffoient à rien, & que pour venirà bout de fon deffein il n'avoit qu'à paffer en Gaftille pour demander au R o y , ou à l'Audience de l'Efpagnolle , que deffenfes fuffent faites fur de grandes peines, de l'inquiéter. Le Pere de las Cafas ayant trou- De las Cafas r e à l'Efpavé cet avis à propos refolut de repaffer à l'Efpagnolle tourne gnolle. dans deux Navires qui eftoient chargez de fel, & laiffa pour Capitaine des gens qui y eftoient, François de Sot o , natif d'Almedo, avec ordre de ne pas permettre en aucune façon que ce fuft que les deux Vaiffeaux qu'il laiffoit au port s'en efloignaffent, dont l'un s'appelloit S.Sebaftien, qui eftoit léger, & fort bon voilier 5 , l'autre eftoit une fuite de Maures, que les Indiens appela i e n t cent pieds, à caufe qu'elle les avoit joint qu'ils la craignoient fort Et que fur tout il prift garde que les Indiens ne fe foulevaffent point, parce qu'en ce cas s'il voyoit du péril il faudroit qu'il fift embarquer les gensdedans les Navires, avec tout le bien,& qu'il paffaft à Cubagua ; & que s'il ne pouvoit pas enlever le bien qu'il fauvaft du moins les gens. Mais François de Soto garda mal l'ordre que le Pere de las Cafas luy avoit François die S o to ne fuit pas Iffé , parce que fi- toft qu'il fut party , il envoya les l'ordre du Pere Navires en divers lieux de la cofte pour négocier en or, de las Cafas. en perles, & en efclaves. Cependant les Indiens de la terre qui font toujours enclins à mal faire, résolurent de tueries Religieux, qui leur avoient toufiours fait du bien, & avec beaucoup de charité , & tout autant de Caftillans qu'ii s'y en pourroit rencontrer. Cette refolution citant prife quinze jours après le départais la voulurent mettre en exécution ; ce qui fait juger que cela


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fe fit par unundeffeinprémédité auparavant. Les Religieux ayant eu avis de cela trois jours avant qu'ils l'exéc u t a i e n t , & ayant demandé à la Dame Indienne Marie par les Indiens qui eftoient prefens,fi cela eftoit véritable 5 elle dit hautement que non ; mais elle fit figne des yeux , & par les mouvemens de la tefte que cela eftoit vray. Dans cet intervalle il arriva-là une barque qui venoit pour troquer, les Caftillans prièrent le Patron de les vouloir recevoir, & les Religieux auffi de crainte d'accident 5 mais il n'en voulut rien faire. Les Religieux Cependant tant que les trois jours qu'ils avoient de fe mettent en delay durèrent, les Religieux & François de Soto , fudefenfe, rent dans de grandes inquiétudes , demandant à tous momens aux uns & aux autres de ces Indiens,quand ils vouloient exécuter leur deffein, Enfin la nuit avant que cela arrivait ils mirent le peu de gens qu'ils avoient autour de la maifon avec quatorze petites pièces de campagne 5 mais comme ils éprouvèrent la poudre , ils trouvèrent qu'elle eftoit fort humide, & qu'elle ne pouvoit prendre feu. Le lendemain au matin comme ils l'eurent pofée au Soleil pour fecher, les Indiens arrivèrent, faifaut de terribles cris, & mirent d'abord le feu à la maifon, ou Arfenal, & tuèrent deux ou trois hommes, & l e s I n d i e n s at- le feu gaignoit toufiours. Cependant que les Indiens taquent les Ca- eftoient occupez autour de ce feu ; ils firent une brèche ftilans. à la maifon , & une autre au jardin des Religieux qui eftoit entouré d'une haye de canos ; par ou les Religieux entrèrent. Dans ce mefme temps François de Soto revenoit de voir ce qu'il y avoit dans le village des Indiens qui eftoit fur le rivage de la mer , à un trait d'arbalefte de la maifon & du Monaftere, qui fut bieffé à un bras d'une flèche empoifonnée, & nonobftant cela il ne laiffa pas d'entrer dans le jardin. Les Religieux avoient un tuyau qui leur fourniffoit de l'eau de la rivière , qui eftoit à un bon jet de pierre delà , & qui entrait dans le jardin, & où il y avoit auffi un cano, dans lequel pouvoient tenir cinquante perfonnes. Ils fe mirent tous dedans, excepte frère Denis laïc, homme de bonne

1521. Les indiens refoulent de tuer des Religieux,


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. II.

121

b o n n e vie. Comme il entendit les cris des Indiens,il s'en1521. fuit Se s'alla cacher parmy des cannes Se des rofeaux Les Religieux fans que perfonne l'aperceut; & tous les autres , qui fe fauvent , excepté frere D e pouvoient eftre vingt perfonnes, dans le Cano,fe mirent nis. fur la rivière pour descendre à la mer ; à deffein d'aller a b o r d e r a la pointe d'Araya où eftoient les Salines, & ou chargeoient quelques Navires ; mais pour y arriver il falloit paffer un golfe de deux lieues. Comme frère Denis vit le Cano au travers de ces rofeaux où il eftoit il en fortit promptement Se courut auffi-toft vers le rivage ; & quoy qu'il luy fembloit defcendre plus bas qu'il ne falloit, ceux du Cano firent tous leurs efforts pour le recevoir 5 mais comme ce fleuve eft rapide,ils ne purent vaincre le courant ; & le pauvre Religieux voyant c e l a , leur fit ligne des mains qu'il paffaft outre. Cependant les Indiens qui s'occupoient au feu de l'Arfenal, s'imaginant que les Caftillans eftoient dedans, Les Indien s futvent les R e l i eftoient tout eftonnez de ne les pas voir fortir ; mais gieux avec une après qu'ils fe furent efclaircis de cela par le moyen d'u- Pirague. ne Pirague , qui eft une façon de vaiffeau différente des Canos,& fort legere fils allèrent apres eux,qu'ils eftoient delia une lieuë en m e r , les mains pleines d'empoules, & t o u t rompus à force de ramer. Le Cano arriua à terre,& la Pirague tout d'un temps, affez proche les uns des autres. O r cette plage eft fi remplie de chardons, dont les cfpines font fi longues & fi aiguës, qu'un homme armé n'oferoit fe fourer dedans qu'en taffonnant avec quelque bafton pour fe faire place ; mais comme les Indiens font tout n u d s , ils tardèrent beaucoup à arriver,depuis qu'ils eurent quitté la Pirague jufques aux Caftillans, quoy qu'il y euft peu de diftance ; & nonobftant tout cela frère Iean Garccto dit depuis, qu'il avoit veu tout proche de luy des Indiens qui l'avoient voulu fraper avec une Macana, & qu'ayant mis les genoux en terre, fermé les yeux,, & eflevé fon cœur à Dieu en attendant le coup de la m o r t , & voyant qu'il tardoit beaucoup à le frapper, qu'ayant ouvert les yeux , il ne vit perfonne auprès de luy ; ce qui fait juger que les InP


1521. Les lndiens n'ofent entrer dans des chardons qui eft caufe que les Religieux fe fauvent.

François Soro meurt enragé.

122 HISTOIRE diens n'en avoient ofe approcher à caufe de ces pointes de chardons ; ce qui fut caufe qu'ils efchapperent tous par ce moyen-là. Ils attendirent dans cette fortereffe d'efpines , & ils en fortirent enfin après un bon efpace de temps bien piquez & fort affligez ; mais enfin ils arrivèrent où les Navires chargeoient du fel , où ils furent fort bien receus faifant compaffion de leur mifere. Il manquoit François de Soto, qui eftoit bleffé de cette flèche empoifonnée, & comme quelqu'un dit qu'il l'avoit veu deffous une roche à cofté de ces chardons, on le fut chercher dans une barque à une lieuë & demie delà, & le trouvèrent encore en vie au bout de trois jours qu'il avoit efté bleffé fans qu'il euft ny bu,ny mangé. Eftant entré dans la barque , comme cette herbe empoifonnée caufe une grandiffime foif, il demanda de l'eau,parce qu'il brufloit, mais fi-tofl qu'il en eut pris il commença à enrager, & mourut incontinent après. Parce que c'eft une chofe qui a efté éprouvée, que celuy qui eft frappé de cette herbe venimeufe , c'eft à dire de ce que l'on en a frotté, il en doit ny boire ny manger jufques à ce qu'on luy ait appliqué les remèdes pour fa guerifon, parce qu'en beuvant ou mangeant, cela fait faire l'opération au poifon, & ne ceffe point qu'il ne foit mort.

C H A P I T R E

V.

Les Indiens ruinent le Monaftere. Le Pere de las Cafas entre dans le Monaflere de S. Dominique, & prend l'habit de cet Ordre. L'audience envoyé le Capitaine Caftellon pour chaftier les Indiens.

L

A maifon que le Pere de las Cafas avoit fait baftir ayant efté bruflée, comme nous le venons de dire, par les Indiens,& le Monaftere ruiné & defolé au grand mépris des chofes facrées qui eftoient dedans , & tué jufques à un petit mulet dont les Religieux fe fervoient ;


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INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. II.

113

car ils ne laifferent rien de vivant qui leur appartint 1521. pour affouvir leur rage , pour recompenfe des bienFaits qu'ils avoient reçeus d'eux ; Ils arrachèrent tout ce qui eftoit dans le jardin, & en bruflerent ce qu'ils purent. Cependant qu'ils executoient ainfi leur paffion frère Denis qui eftoit refté parmy ces rofeaux & ces cannes , y ayant paffe trois jours fans manger , refolut Ingratitude des enfin d'en fortir, après avoir prié Dieu de faire de luy Indiens. à fa volonté , à caufe qu'il voyoit quelques Indiens À qui il avoit rendu de bons fervices. Ils le gardèrent trois autres jours, avant que de refoudre ce qu'ils feroient de luy. Les uns difoient qu'il le falloit fauver , difant qu'il ferviroit de médiateur pour eux envers les Caftillans. D'autres perfeverant en leur malice,difoient qu'ils le vouloient tuer. Mais enfin la cruauté l'emportant par deffus toutes ces confiderations, particulièrement d'un nommé Orteguilla qui avoit efté ferviteur en ce Mona- Les I n d i e n s tuent frere D e ftere, ils le tuèrent, après que ce bien-heureux Reli- nis c o m m e il gieux eut demeuré trois jours en Oraifon. Ils luy mi- faifoit fo orairent une corde au col , & après luy avoir donné un fon. coup de Macana fur la tefte, eftant à genoux comme il fe recommandoit à Dieu ; puis ils le trainerent faifant mille ignominies au corps privé de vie. Orteguilla prit fon habit & le porta plufieurs jours, jufques à ce que l'heure de fon chaftiment fuft arrivée. Leur infolence n'en demeura pas l à , car comme ils s'imaginoient que toutes chofes leur feroient faciles , ils fe préparaient défia pour aller à l'Ifle de Cubagua contre les Caftil- Les Caftillans lans qui y eftoient ; & comme Antoine de Flores qui a b a n d o n n e n t eftoit l'Alcade Major n'avoit pas affez de cœur pour Cubagua. leur refifter , quoy qu'il euft des armes & trois cens hommes dans deux caravelles , & d'autres barques qu'il avoit e n c o r e , ils s'en allèrent tous dans l'Efpagnolle, abandonnant quantité de vivres, de vin , & autres chofes de valeur. Si bien que les Indiens voyant l'Ifle abandonnée y pafferent, ils beurent le vin , & pillèrent tout ce qu'ils y rencontrèrent. D'ailleurs le Pere de las Cafas par la faute des Ma-


124 1521

H I S T O I R E

riniers,qui penfoient que la coite de l'Efpagnolle par où ils navigeoient , eftoit de l'Ifle de S.Iean , allèrent furgir au port de Yaquimo plus bas de quatre vingt lieues que celuy de S.Dominique. Si bien qu'ils furent deux mois à remonter contre les courants, qui font fort grands dans cette mer en tirant vers S. Dominique ; Et il eftoit arrivé dans le commencement des découvertes qu'un Navire pour doubler l'Iflette de la Beata fut huit mois en chemin. Et pour ce fujet l'on trouva bien moins de difficulté de tournoyer quatre cent lieuës & plus en allant à Cartagena, Santa-Marta

L'on a p p r e n d d a n S . Dominique i accident arrivé à C u m a na.

D e las Cafas entend dire à d'autres qu'il avoit efté tué.

Nombre de Bios par le

Hanana, que d'aller par le droit chemin à faint Dominique. C'eft pourquoy le Pere de las Cafas refolut d'aller par terre au village de Yaquana, neuf lieues en dedans le païs. Dans ce mefme temps les Navires qui eftoient chargés du fel à la pointe d'Araya arrivèrent à faint Dominique avec les Religieux , & ceux qui s'eftoient fauvez avec eux. Ils déclarèrent comme le tout s'eftoit paffe ; & comme le Pere de las Cafas ne paroiffoit point, & qu'on n'avoit eu aucunes nouvelles de luy ; l'on fît auffi-toft courir le bruit que les Indiens Pavoient auffi tué. Mais le Pere de las Cafas partit auffi-toft de la Yaguana, accompagné de quelques Caftillans , & comme il alloit du cofté de faint Dominique , s'eftant mis fous un arbre fur le bord d'une rivière, pour paffer la chaleur du midy , il s'endormit ; Et comme il dormoit il paffa par - là trois voyageurs Caftillans, qui fe demandèrent les uns aux autres ce qu'il y avoir de nouveau ; ils dirent que les Indiens de la cofte des perles avoient maffacré le Pere de las Cafas, & tous ceux de fa compagnie. Mais ceux qui fe repofoient avec luy dirent qu'ils eftoient témoins de ce que cela ne pouvoit pas eftre , & fur cela de las Cafas fe réveilla tout confus ; parce que félon la difpofition des chofes de cette t e r r e , il luy fembloit qu'il devoit appréhender quelque mauvais fuccés ; ce qui fe trouve véritable. Lors qu'il fut arrivé à faint Dominique il raconta tout ce qui s'eftoit paffé, & refolut d'attendre refponfe, pour n'avoir


DES

INDES

OCCIDENTALES,

Liv.II.

125

pas allez de matière pour aller à la Cour . fi bien qu'ayant 1521. attendu là quelques mois , comme toute fa conversa- Il Ce fait Relition eftoit avec les Pères de faint Dominique ,le Pere gieux de s.do Dominique de Betanzo luy perfuada de prendre l'habit de leur O r d r e , & d'entrer dans leur Religion, & qu'il avoit agy de fa perfonne autant qu'il fe pouvoit faire en faveur des Indiens ; à quoy il s'accorda. E t voila l'hiftoire du Pere de las Cafas qui fut puis après Evefque de Chiapa ; En quoy Gonçale Fernandez d'Oviedo, & François Lopez de G o m a r a , n'ont pas efte affez pond u e l s , dont le mefme Evefque avec jufte raifon en a fait paroiftre un jufte reffentiment. L'Admirai Diego Colon & tous ceux du Confeil de l'audience de en l'Ifle Efpagnolle après la relation que rirent les Reli- l'Efpagnolle voye chaftier gieux , & la fuite de Cubagua , conclurent qu'il n'eftoit les Indiens de pas jufte de laiffer cette lue à l'abandon , ny que les In- C u m a n a . diens demeuraffent impunis. Ils ordonnèrent auffi-toft de lever une armée ; & nommèrent pour Capitaine Iac-ques lever & ceux de l'Ifle de Cubagua, il paffa en terre ferme dans quatre ou cinq Navires ; & laiffant des gens dans Cubagua , afin de continuer le trafic des perles, il paffa avec le refte la rivière de Cumana, où il s'eftablit,pour afleurer l'eau à ceux de l'Ifle , & envoya des efquoades dans la terre pour faire la guerre aux Indiens. Ils en tuèrent quantité. Ils en captivèrent d'autres, & fit pendre les plus coupables qu'il put attraper, entre lefquels eftoit l'un des Frères d'Orteguilla, qu'ils prirent avec le faine habit de faint François, avec un Bréviaire dans fa manche , & depuis encore le mefme Orteguilla. Et quant à ceux qu'il ne peut a t t r a p e r a i leur bailla une amniftie par le moyen du Cacique D o n Diego , afin qu'il les fift revenir tous dans leurs villages, moyennant quoy cette révolte fut appaifée. Il baftit à l'embouchure de la rivière une fortereffe où le Pere de las Cafas l'avoit voulu baftir, par le moyen de laquelle il affeura l'eau à ceux de Cubagua ; & ils commencèrent à fabriquer des maifons de p i e r r e , & on fit un lieu tres-noble qui fut apP iij

L'on édifie la nouvelle Cadiz


126

1521.

Marrajo poiffon , qui avale u n indien.

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pelle la nouvelle Cadiz, & la pefche des perles y augmenta de telle forte,que pendant qu'elle dura,l on tient que le profit que l'on y fît monta à plus de deux milions ; mais enfin elle finit & le lieu fe dépeupla à caufe de cela. Il arriva en ce temps-là un cas effrange. Vn Indien s'eftant plongé dans la mer pour pefcher les écailles où fe trouvent les perles, vit tout proche de luy un poiffon affreux qu'ils appellent un Marrajo, & comme il eftoit extrêmement grand , & avoit auffï la bouche fort grande , il eut frayeur ôc remonta au deffus de l'eau. Vn moment après, l'Indien fe replongea dans l'eau, & le Marrajo, qui l'attendoit, l'avala auffi-toft. Les autres Indiens étonnez du triboüillement qu'ils avoient entendu dans l'eau, s'imaginant la chofe comme elle eftoit arrivée, tuèrent promptement un petit chien, & le mirent au bout d'une corde avec un ameçon de chaine fort grand, qu'ils portent ordinairement dans les Vaiffeaux pour ces fortes de poiffons ; Puis l'ayant jette dans l'eau, le Marrajo ne manqua pas de s'y prendre. Ils appellerent des gens pour les ayder, & ayant tiré le poiffon dehors, à coups de haches, de pierres, & ce qu'ils purent, ils le tuèrent. Ils luy ouvrirent le ventre, & trouvèrent dedans le pauvre Indien. Ils le tirèrent dehors, mais après avoir fait deux ou trois foupirs il rendit l'efprit. Il y a bien d'autres fortes de beftes tres-cruelles dans ces mers, comme les Caymanes ainfi appeliez par les Indiens,& par les Caftillans, lezarts, mais leur véritable nom efterocodille , qui mangent la chair humaine, dont on a défia fait mention en plufieurs endroits de ce livre, & que l'on fera encore. Les autres font les Tiburons qui faififfent les hommes par où ils peuvent, 6c les enlèvent au plus profond de l'eau , où ils les déchirent 6c les mangent. Mais les Marrajos font plus grands, & ont une fi grande bouche qu'ils avalent les hommes entiers, comme il s'eft veù en celuy-cy.


DES I N D E S

OCCIDENTALES,LIV.II.

127 1521.

C H A P I T R E

VI.

Continuation des attaques de la ville de

L

Mexique.

Cortés fait une Ors que Cortés vouloit continuer les entrées qu'il autre entrée faifoit dans M e x i q u e , il en donnoit toufiours avis dans M e x i q u e , aux autres Capitaines, afin que tout d'un temps ils fiffent tous la mefme chofe. Il entra donc dans la ville le huitième jour d'Aouh, le plus matin qu'il put,& ne trouva rien à prendre qu'une traverfe de r u e , avec fa baricade tout auprès d'une t o u r , qu'il commença à battre. Mais il y eut un Enfeigne avec deux autres Caftillans qui fe jetterent dans l'eau , & nonobftant quelque refiftance ils ne laifférent pas que de paffer, & la prirent;& Cortés s'arrefta-là pour l'affeurer. Pedro d'Alvarado ar- Cortés & Alvariva-là auffi par la mefme r u e , accompagné de quatre rado fe rencontrent avec une Cavaliers. L'on ne peut affez exprimer la joye qu'ils grand iffime eurent 6c les uns & les autres , pour beaucoup de rai- joye. fons, & pour avoir trouvé le chemin par où les deux armées fe pouvoient communiquer. Cortés alla auffi-toft voir le marché , & deffendit que perfonne paffaft outre ; & fe promenant dans la place il vit que moins il y avoir de gens fous les arcades, il y en avoit d'autant plus dans les maifons & fur les terraffes , à caufe de quoy les Caft-illans apprehendoient de fe répandre par la place;joint que la Cavalerie n'y pouvoit pas aller à caufe de l'embarras des pierres dont elle eftoit remplie. Cortés voyant Cortés t r o u v e cela monta fur une grande t o u r , où il trouva des telles des teftes de C a ftillans & de de Caftillans & de Tlafcalteques qui avoient efté facri- Tlafcalteques fiez; pofées devant des Idoles , qui luy cauferent une facrifiez. grande trifteffe. Il vit de cette T o u r que de huit parties de la ville, ils en avoient gagné fept ; d'où il conjectura que cela procedoit de la grande famine que les affiegez enduroient ; parce qu'il voyoit qu'ils avoient rongé jufques aux efcorces des arbres & aux racines,& que la puanteur des corps morts eftoit tellement infup-


128 1521.

H I S T O I R E

portable qu'il eftoit impoffible d'y fubfifter. A caufe dequoy Cortés refolut de ne les point perfecuter quelques jours, & leur offrir des moyens de paix ; & envoya pour cet effet des Meffagers qui parlèrent à Quantimoc,& luy reprefenterent le miferable eftat ou les Mexiquains fe trou-

Réponfe de Quantimoc à Cortés.

voient, & la bénignité de Cortés, Mais fans permettre qu'ils par laffent davantage il leur dit ; Dites a Cortés que noftre deffein eft de mourir comme nos parens garnis pur la deffence de noftre liberté ; & qu'il n'efpere aucune paix denous,parce que nom voulons refifter jufques à toute extrémité ; qu'il ne s'imagine pas de jouir de nos trefors , parce que lors que nous verrons que nous ne pourrons plus fubfifter, nous les jetterons

tous dans l'eau. Cortés ayant receu cette réponfe, & que la poudre manquoit aux Caftillans , il refolut de faire faire une Bacule, qui eft une certaine machine à jetter des feux d'artifice;& comme les architectes n'en avoient jamais fait, ils ne pouvoient s'accorder comment il s'y falloit prendre ; & toutefois la chofe fe fit. Ils la mirent dans la place du Tlatelulco dans un baftiment en façon de tripot qui eftoit tout au milieu, fait à chaux 6c a ciment, de la hauteur de quinze pieds,de forme quarrée, & qui avoit de coin en coin trente pas;ce lieu fervoit à faire des jeux & des réjoüiffances, Mais cette machine reüffit fi mal , qu'elle épouvantoit ceux de dehors, & tuoit ceux de dedans, en chaffant les pierres derrière. Si bien que comme l'on vit cela l'on recommança à battre la ville, & l'on trouvoit dans les rues quantité de menues gens qui mouroient de faim ; mais Cortés deffendit aux Indiens alliez de leur faire aucun mal. Les autres gens de condition, & artifans ne vinrent point combat r e , ils ne bougeoient de deffus les terraffes , couverts de leurs robes, & les Tlafcalteques leur difoient, Rendez^vous^ouvoris mourrez, de male mort. Mais ils répondoient,

mourir ou vaincre. Cortés les fomma par un Notaire & des témoins, qu'ils euffent à accepter la paix, & les interprètes ne difoient ny oüy, ny non ; mais après en avoir efté bien importunez, ils dirent que l'on ne fift point de mal à ces pauvres gens , qui fortoient pour chercher à manger,


DES

I N D E S

O C C I D E N T A L E S , Liv.

II.

129

m a n g e r , qui eftoient les femmes & les enfans, & qu'ils defiroient la paix , & firent femblant d'envoyer appel1521. ler Quancimoc ; mais ce n'eftoit que par gaufferie car ils Les Indiens deefloient tous préparez pour combattre, & attaquèrent mandent la paix , puis n'y en mefme temps. Cortes ordonna à Pierre d'Alvarado veulent pas ende le faifir d'un quartier de plus de mille maifons, & luy tendre. eftant à pied, parce que les chevaux ne pouvoient pas en approcher , il s'en alla par un autre endroit, où l'on çombatit avec plus d'obftination que jamais, & avec beaucoup plus de perte de fang du collé des M e x i quains, lelquels defefperez , & enfermez, fans aucune efperance de fe pouvoir fauver , fe fourroient au milieu des épées par un grand courage, & ainfi ce n'eftoit que fang , parce que les Cailiilans & les Tlafcalteques combattoient vaillamment , non pas tout à fait fans danger , parce qu'ils avoient à faire à des gens qui ne cherchoient que la mort. Pierre d'Alvarado prit tout ce quartier, & Cortes de fon cofté les recogna jufques dans leurs maifons ; fi bien que l'on tient que ce jour-là il en fut tué ou pris plus Cruauté des de douze mille , furlefquels les Indiens alliez exercè- diens alliezrent tant de cruauté qu'ils ne donnoient quartier à pas un , nonobftant toutes les réprimandes que Cortés & les autres Capitaines leur faifoient. Le lendemain Cortés rentra dans la ville avec toutes fes forces, mais ayant horreur de ce qu'il voyoit, il deffendit de combattre ; car ce n'eftoient que clameurs par toute la ville, de gens defefperez qui ne pouvoient mettre leurs pieds que fur des corps morts de leurs parens & amis, & de fe voir perfectitezpar ceux qui avoient efté leurs vaffaux, de forte qu'ils ne demandoient auffi que la mort , & prioient que l'on les achevait en bref. Quelques-uns des principaux demandèrent à parler en diligence à Cortés ; & Paroles

de

luy d i r e n t , Que puis qu'il eftoit le fils du Soleil, qui d'une fi Q u a t i m o c grande viteffe en un jour & en une nuit faifoit tout le circuit à cortésdu monde, pourquoy il tardoit tant à les exterminer ? Parce, qu'encore que la mort fuft fi affreufe , & qu'ils voyoient bien que leur vie luy eftoit infupportable , ils aimoient beaucoup Q

à


130

1521

H I S T O I R E

mieux faire efecthon de la mort ; Et que partant ils le priaient d'ufer tant de clémence envers eux, que de les vouloir tirer

fromptement de cette mifere. Cortés les confola, il leur offrit la liberté, & leur dit beaucoup de bonnes raifons ; parce qu'iLn'avoit jamais aucun deffein d'vfer de cruauté envers e u x , n y encore moins d'ufer de vangeance. Et d'autant que toutes ces paroles, quoy qu'affables ne purent pas amolir leur dureté,il refolut de leur envoyer un Seigneur de leur nation qu'il y avoit quatre jours qu'un Oncle du Seigneur de Tezcuco avoit pris ; pour leur offrir la paix, & dire à Quantimoc , que Cortés luy promettoit de luy laiffer la qualité de grand Seigneur comme il eftoit ; & qu'il n'avoit autre deffein que d'obliger la ville à rendre obeyffance au grand Roy de Caftille ; Et cependant il

fit préparer fon armée, afin d'eftre préparez à l'attaque après avoir receu fa refolution. Ce Seigneur alla faire fon meffage. Il dit premièrement que les Caftillans l'avoient bien pensé de fes bleffures;qu'ilsl'avoientfort bien trai-

Q u a n t i m o c ord o n n e de facrifier un Indien, pour luy avoir perfuadé de faire la paix.

té & comme il commença à luy parler de la paix, fans vouloir permettre qu'il pafTaft plus outre le Roy commanda qu'on le facrifiaft, & auffi-toft après les Mexiquains commencèrent à combattre contre les Caftillans de grande furie, jettant des pierres, des baftons,& des flèches. Ils tuèrent un cheval d'un coup de poignard qui avoit efté fait d'une épée Caftillane ; & cependant qu'ils combatoient ainfi,les Indiens alliez fe repofoient dans la ville ; & quoy que Cortés y retournaft le jour d'après il ne voulut pas que l'on combatift fe confiant que les Mexiquains voyant les maux 6c les miferes qu'ils enduroient, ou a b a n d o n n è r e n t la ville, ou le viendroient trouver. Il vit certains Seigneurs dans une tranchée., qu'il connoiffoit, aufquels il demanda pourquoy ils fe laif.

foient ainfi tuer comme des brutes, plufloft que de vouloir traiter de paix, veu les offres de bon traitement qu'il leur avoit faites, comme homme qui connoiffoit les miferes humaines, & Cortés évite t a n t qu'il peut qu'il avoit un grandiffîme regret de leur difgrace, & particule combat voya n t les M e x i - lièrement de leur Roy , qui fe pouvoir bien fer a luy , eftant quains dans un le propre des Capitaines Caftillans d'accomplir leur promeffe. fi mauvais eftat.


131 Les Seigneurs luy répondirent en pleurant , qu'ils reconDES

I N D E S

O c c I D E N T A L E s ,

Liv.II.

noiffoient leur faute , & leur perdition ; & qu'il ne s'en ailafi fas , qu'ils iroient parler à leur Seigneur Quantimoc. Ils y fu-

1521

rent , & retournèrent auffi-toff., & dirent à Cortés que le lendemain fur le midy Quantimoc iroit parlera luy dans la place du marché ; Cortés tenant cela pour tout affuré , ordonna que le lendemain l'on dreffaft au milieu de la place un échafaut fomptueux pour Quantimoc & fes Confeillers, & bien à difner.

C H A P I T R E

VII

Prife de la Ville de Mexique. Le Roy eft auffi fait prifonnier.

Quantimoc

L

E lendemain Cortés ayant mis fes gens en bon ordre , s'en alla au lieu defigné , & commanda fur tout que chacun portait fes armes defrenflves ; & avoit mandé tout d'un temps à Pierre d'Alvarado de faire faire la mefme chofe à fes gens , où ils fe trouvèrent tous en attendant que Quantimoc arrivait félon la parole donnée. Il arriva de la part cinq Seigneurs que Cortés connoiffoit de veuë, & par leurs noms,qui le prièrent d'excufer le Roy , de ce que la crainte & quelques affaires qui luy eftoient furvenuës l'avoient empêché de venir, qui font des excufes ordinaires dont les Indiens fe fervent ; outre qu'il eftoit indifpofé ; qu'il avifaft ce qu'il defiroit de luy , & qu'ils eftoient venus pour l'accomplir. Q u o y que Cortés fuft piqué de cette gaufferie , de luy avoir promis qu'il communiqueroit avec Quantimoc pour tafcher d'accommoder les chofes , & voyant que cela a voie m a n q u é , il ne fit pas feniblant de rien ; au contraire il leur témoigna une joye ; il les fit affeoir fur cet échafaut qu'il avoit fait dreffer ; il leur fit donner à manger , fçachant bien qu'ils avoient plus befoin de cela que d'autre chofe.il leur perfuada tout d'un temps de donner confeil à leur Seigneur de faire la paix, Q ij

C o r t é s perfuade aux Mexiquains d é f a i r e la p a i x .


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Pitoyable eftat des Mexiquains,

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& raffeuraffent qu'il ne recevroit aucun mécontentem e n t , & qu'il vinft en toute affeurance, parce que l'on ne pouvoit traiter autrement. Il leur donna quelques prefens , qu'ils receurent volontiers,& les congédia. Au bout de deux heures ils revinrent, & dirent à Cortés qu'il n'y vouloir pas venir, quelque implication qu'ils luy euflent faite. Cortés les renvoya encore une fois, & ils luy promirent de le faire,& de luy dire des chofes importantes pour fon intereft. Apres quoy Cortés s'en retourna au quartier,témoignant à fes Capitaines & aux principaux Tlafcalteques que les Mexiquains fe moquoient de luy. Mais il avoit un fi grand defir de la paix, qu'il, eftimoit fort peu toutes les peines qu'il prenoit pour y parvenir, quoy qu'ils fe fuffent moquez de luy pendant deux jours. Le lendemain ces cinq Seigneurs vinrent au logement, & dirent à Cortés qu'il prift la peine de retourner à la place du marché,& que Quantimoc l'y vieil droit trouver. Il y alla avec fon équipage de guerre, où, il l'attendit quatre heures, & comme il vit qu'il ne venoit point, il envoya appeller les Indiens alliez ; parce que les Mexiquains avoient prié que pour traiter de paix ils ne fuffent point dans la ville ; à caufe dequoy il leur avoit ordonne de ne point paffer un certain portes Et leur d i t , que puis que ces miferables ne vouloient point de paix, qu'ils leur fiffent la guerre tout de bon. L'on commença donc à combattre , & quoy qu'ils euffent des rues où il y euft de l'eau, & des baricades, le courage des Tlafcalteques eftoit fi grand, joint à l'animofite qu'ils avoient contre eux,qu'ils parffoient par deffus toutes les difficultez ;& les Indiens alliez ne faifoient pas moins d'exécution qu'eux. Ils alloient combattant parmy les Caftillans avec l'épée & le bouclier, & faifoient des merveilles. Et comme Cortés avoit envoyé Gonçale de Sandoval avec les brigantins par derrière pour prendre le cofté de la ville que les Mexiquains occupoient de tous collez, ce n'eftoit que fang, que plaintes & gemiffemens des femmes & des enfans. Et les Caftillans eftoient plus empêchez de retenir la cruauté de


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INDes

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fes alliez, qu'à combattre. Mais que pouvoient faire en 1521, ce rencontre neuf cens hommes contre cent cinquante mille qui eftoient les Indiens alliez,gens enclins deleur nature à la cruauté ? L'on tient pour tout affeuré qu'il mourut ce jour-là quarante mille Mexiquains ; à caufe Il m e u r t cette ournée quadequoy, & de la puanteur des corps morts il eftoit impo- jrante mille Mefïïble d'y pouvoir demeurer. C'eft pour quoyCortés refo- x i ^ u a n s. lut de fe retirer, & ordonna qu'à caufe de la multitude d'Ennemis qui s'eftoient defia retirez dans un lieu fort étroit,que les Caftillans ne s'y allaffent pas fourer,& que l'on préparait trois pièces de canon des plus groffes pour les offenfer de loin ; & que Sandoval avec les brigantins entraffent par un grand lac qui fe formoit entre de certaines maifons, où tous les canos de la ville s'eftoient retirez. Cortés envoya dire à Pierre d'Alvarado qu'il l'allaft L'on donne ordre que les ara t t e n d r e , & luy s'y en alla le lendemain avec les trois mées c o m b a pièces de canon. Comme ils fe furent joints, Cortés tant tout d'un manda à Sandoval & aux autres Capitaines , qu'en leur t e m p s . donnant un certain fignal , ils combatiilent dans leurs poftes tout d'un temps , & faire en forte de relancer les Ennemis du cofté de l'eau, & que Sandoval avec les brigamins & les canos des alliez s'approchafîent le plus qu'ils pourroient par derrière ; & qu'ils jettaffent tous la veuë fur Quantimoc, pour tafeher de le prendre vif,parce que de la prife de fa perfonne dépendait la fin de la guerre. Cortés monta fur une terraffe où eftoient quel- Cortés o r d o n n e p r e n d r e le ques Seigneurs Mexiquains, il les pleignit de leur de- de Roy m o r t ou faftre ; & que Quantimoc faifoit tres-mal de leur eftre fi vif. cruel de ne vouloir point entendre à la paix , puis que fon intention eftoit de le traiter comme Roy, & s'il n'y vouloit point entendre il eftoit impoffible qu'il peuft échaper de tomber mort ou vif entre fes mains.Ainfi il les pria de tafcher de le tirer de cette obftination. Il y en eut un qui fortit,& retourna auffi-toft avec Guacoazin , principal Confeiller du R o y , & fon Lieutenant, de Q u a n t i m o c rifour de m o u r i r après plufieurs raifonnemens , dit que Quantimoc ne pa- plutoft q u e de fe roiftroit jamais devant luy, parce que l'on n'avoit jamais pû Q iij

rendre.


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gagner cela fur fon efprit , & qu'il aimoit mieux mourir que de le faire, dont cela lefafchoit extrêmement ; & que fartant il fift ce qu'il voudrait. A ces paroles Cortés fe mit en co-

lère , & leur dit ; Q u e puis qu'ils eftoient fi barbares & dénaturez, qu'il ne laifferoit pas une ame vivante dans la ville, & qu'ils s'en allaffent le dire à Quantimoc. En moins de cinq heures après cette converifation, l'on vit fortir grande quantité de femmes 6c d'enfans, qui alloient à grand hafte en s'entre-pouffant les uns les au très & tomboient dans l'eau ; & fe noyoient ainfi. Enfin, les chauffées, les canaux & les maifons eftoient pleines de corps morts, dont la puanteur eftoit infupportable; l'on en jettoit quantité clans le lac qui n'en bougeoient ; d'autres en nageant tafchoient de fe fauver ; & d'autres qui fe noyoient par defefpoir pour ne fouffrir plus Les Mexiquains tant de miferes. Dans le lac des çanos, les Mexiquains cachent les eurent un foin particulier que les Caftillans ne viffent Corps m o r t s , & point les corps morts des leurs , ils les ramafferent de pourquoy. telle forte qu'il s'en trouva de gros tas dans les maifons , & comme nous avons défia dit, dans les ruës, & dans les ruiffeaux , & en fi grande quantité que l'on ne pouvoit mettre les pieds nulle part que fur les corps, Cortés commanda aux Capitaines de Caftillans & d'Indiens, qu'ils tafçhaffent d'empêcher les Tlafcalteques d'exercer tant de cruautez qu'ils faifoient, puis que les Mexiquains ne pouvoient plus fe deffendre, comme ils avoient fait cy devant, & qu'ils épargnaient la mort de ces pauvres miferables ; & pour les épouvanter davantage à caufe que la nuit commençoit d'approcher, & éviter en quelque façon de faire autant de maffacre que les foldats faifoient , il fit tirer les canons , au grand dommage quelquefois de ces pauures mal-heureux. Mais après tout comme il vit qu'il ne pouvoit venir à bout de ces obftineZ il donna permiffion à l'armée Cortés comde faire main-baffe par tout par le fignai , qui eftoit un m a n d a de faire coup d'efcoupette qui fut tiré. main baffe. Enfin l'armée & les brigantins commencèrent tout d'un temps, tuant & maffacrant une infinité de perfon-


CES INDES OCCIDENTALES ,Liv. II. 135 nes fans aucune exception , & gagnèrent le lien où la 1521. plupart des Mexiquains s'eftoient r e t i r e z , & où ils tenoient b o n , qui eftoit leur dernier refuge, & jetterent dans l'eau tout ce qu'ils y rencontrerent,excepté ceux qui fe rendirent fans combattre. Les brigantins entrèrent de furie dans le l a c , tout au travers de la flote des canos , & trouvèrent que les gens qui eftoient dedans eftoient tous troublez & langoureux , fans fe pouvoir fervir de leurs armes,qui eftoit la Nobleffe ; parce que les autres gens eftoient fur les terraffes, appuyez contre les murailles, diffimulant leur perte & leur trifteffe. Dans ce rencontre, le bon-heur de Garcia Holquin, Prife du Roy Capitaine de l'un des brigantins, fut grand 5 parce que comme il apperçeut que dans un cano plus grand que les autres, il y avoit des gens en meilleure pofture que les autres , empennachez & bien équipez , & qu'il fortoit d'entre les autres en fuyant à voile 6c à rames,il luy donna la chaffe, & commanda à trois Arbaleftriers de prouë de coucher en jouë dans le cano. Mais ceux de dedans firent ligne de ne pas tirer, voyant l'avantage que ceux du brigantin avoient fur eux avec leurs arbaleftes 6c leurs épées ; & comme le Roy eftoit dans le cano , le Capitaine du brigantin fauta dedans, accompagné d'autres Caftillans. Il prit Quantimoc , & Guacozin , Seigneur de T a c u b a , avec d'autres Seigneurs ,& les fit entrer dans le brigantin. il traita le Roy avec grande civilité, & le plaignit de fon infortune ; Et fort joveux , & bien accompagné de Caftillans & d'Indiens alliez , il le mena fur la terraffe où eftoit Cortés, qui le Q u a n t i m o c eft receut avec un vifage & une demonftration de grande m e n é a G o r t é ' ^ les difcours clémence. Il le fit affeoir auprès de l u y , & luy fit en- & qu'il luy t i n t . tendre fort diftinctement, qu'il avoit fait tout ce qu'il avoit pu pour le deffendre, luy & les fiens ; & que fifes Dieux luy avoient efté contraires, qu'il n'en eftoit pas la caufe ; qu'il eftoit fon prifonnier, & qu'il fift ce que bon luy fembleroit. Il mit la main fur le poignard de Paroles du Roy Cortés, & luy dit qu'il le tuaft de c e t instrument, & à C o r t é s . qu'il troit fort content où fes Dieux eftoient, & princi-


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paiement en recevant la mort des mains d'un il vaillant Capitaine. Cortés le confola, & luy dit qu'il ne fe devoit plaindre que de fon infortune , & qu'elle feule eftoit caufe de fon defaftre , & qu'il ne le tiendrait pas en moindre eftime que s'il eftoit vainqueur ; Qu'il fe réjoùift, 6c qu'il l'aimoit mieux vivant que mort ; Et le pria que du lieu où il eftoit il dift à fes gens qu'ils fe rendiflent, afin d'éviter la perte de tant de fang qui fe répandrait , dont il eftoit ennemy. Quantimoc fit ce qu'il luy dit, & ils cefferent auffi toft ; il pouvoit y avoir environ trente mille hommes, fort débiles, car à peine la plupart pouvoient-ils fe fervir de leurs armes. Ce fut donc icy où s'acheva ce grand Empire Mexiquain.

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VIII.

Cortés congédie l'armée, & fait diligence pour chercher le trefor de Montezttme, L'on folemnife dans Mexique tous les ans le jour de fa prife,

C

Ette victoire fut obtenue un Mardy treizième jonr d'Aouft, jour de S.Hippolite , en commémoration dequoy l'on fait une grande folemnité tous les ans à pa reil jour pour rendre grâces à Dieu , & l'on y porte l'Enfeigne de l'armée pour baniere. Le blocus dura trois mois , mais le fiege de la ville ne dura que quatre vingt jours, pendant lefquels il fe fit plufieurs combats,& plus de foixante batailles fanglantes. Cortés avoit dans fon armée deux cent mille Indiens des villes alliées & confédérées, neuf cens hommes d'infanterie, Caftillans, & quatre-vingt de Cavalerie , dix-fept pièces d'artillerie, légères, treize brigantins, & fix mille canos. Il y mourut environ cinquante Caftillans, fix chevaux, & pas beaucoup d'Indiens alliez : mais du cofté des Mexiquains il mourut cent mille hommes ; quelques-uns dilent davantage,entre lefquels il y avoit quantité de Nobleffe, fans ceux qui moururent de faim & de pefte ; parce qu'ils mangeoient peu & beuvoient beaucoup d'eau


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d'eau falée, & dormoient parmy les morts qui leur cau1521. foient une perpétuelle infection, d'où la pefte prit naiffance, & qui ne s'acheva que par leur trop grande obftination, parce que tandis qu'ils trouvoient des branches 6c des écorces d'arbres, & leurs racines, & autres chofes femblables,ils n'avoient jamais voulu entendre à la paix, & quoy qu'ils euffent efté bien aifes de la recevoir , le R o y n'y vouloit pas confentir, à caufe qu'au commencement contre fon confeil ils l'avoient refufée. Ils avoient entaffè les corps morts dans les maifons afin que les Ennemis ne reconnuffent pas leur foibleffe, & ils ne les mangeoient p a s , parce que les Mexiquains avoient eu horreur de manger leurs confrères. Les femmes s'occupoient à penfer les malades 6c à guérir les bleffez, à fair e des frondes 6c tailler des pierres pour j e t t e r , & à en E m p l o y des femmes de Mejetter auffi de deffus les terraffes. Dans le pillage de la xique pendant ville, les Caftillans prirent l ' o r , l'argent, & les plumes, le fiege, & les Indiens prirent les hardes & tout le refte des dépouilles qui eftoient très-riches. Cortés fit faire des grands feux de joye dans les rues à caufe de cette vicloire ; & pour purger l'air à caufe de la putréfaction, & que l'on puft agir à enterrer les morts. Il fit marquer un certain nombre d'hommes & de femmes avec un fer Les I n d i e n s alchaud pour fervir d'efclaves, & mit le refte en liberté. liez riches du de M e x i Il fit garrer les brigantins, & y mit pour Capitaine Iean pillage que. Rodriguez de Villa-Fuerte, pour les garder, & pour la feureté de la ville, avec quatre-vingt Caftillans ; & au bout de quatre j o u r s , après avoir rendu grâces à Dieu pour une fi grande victoire, défirant mettre les chofes concernant le culte divin en l'eftat qu'un véritable enfant de l'Eglife devoit faire, il mena l'armée à Cuyoacan , à une lieuë & demie de M e x i q u e , au bout de la chauffée, en terre ferme, qui eftoit un lieu d'Indiens bien peuplé, & remercia les gens de cette peuplade & des autres lieux qui l'avoient affifté , & les congédia, Cortés c o n g e les I n d i e n s leur promettant de les gratifier 6c maintenir en juftice die alliez. & l i b e r t é , & de les employer au cas qu'il y euft guerre. Ainfi ils s'en allèrent fort contens 6c riches des dépoüilR


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1521. il fait des p r e fens aux lndiens alliez.

t e s Caftillans s'imaginent de trouver le t r e for de Montezume.

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les de Mexique, & particulièrement les Tlafcalteques ; & donna aux Capitaines qui s'eftoient fignalés en ce lièg e , des boucliers, des armes, des h a r d e s , des joyaux, & autres dépouilles, dont ils furent fort fatisfaits,& s offrirent de luy rendre fervice toutesfois & quantes qu'il les en requerroit. Il mit en liberté quantité de gens de condition qu'il tenoit prifonniers, Se qui s'en retournèrent en leur païs fort contents. Il donna la permiffion à tous les Indiens qui voudraient s'eftablir dans Mexique de le faire. Cependant les Caftillans qui avoient vu les grands trefors qu'avoit Montezume, s'imaginoient de les trouver après la prife de la ville, ou du moins ceux qu'ils y avoient laiffez lors qu'ils en furent chaffez ; mais comme ils ne voyoient rien de tout cela , & que pas un Indien n'en parloit point, fçachant bien ce que l'on avoit toufiours dit que les Dieux & le Roy poffedoient de grandes richeffes, ils trouvèrent à propos,ou pluftoft expédient d'ufer de diligence, tant pour la confideration de la chofe, que pour donner de la fatisfaction à l'armée , où comme l'on peut juger il fe faifoit divers jugemens, pour la plupart téméraires ; Car les uns difoient que Cortés eftoit un ufurpateur,& qu'il avoit caché ces trefors ; d'autres, que les Officiers Royaux par leur trop grande avarice, le permettoient, Se qu'ils s'entendoient avec Cortés ; Et plufieurs autres menaçoient d'en écrire au Roy pour s'en plaindre, n'eftant pas raifonnable, di foient-ils, après tant de travaux Se de perils,d'eftre privez de cette efperance. Ces murmures , joints avec la crainte de quelque foulevement, qui euft pû faire perdre ce que l'on avoit acquis, excita Cortés à chercher quelque moyen de donner fatisfaction à ces gens. Se voyant d'ailleurs importuné par les Officiers Royaux, qui s'imaginans de rendre fervice au Roy beaucoup plus qu'ils ne dévoient, le perfecutoient pour faire diligence en cette recherche. Enfin plufieurs demenrerêt d'accord qu'il falloit appliquer Quantimoc dans les tourmens, avec un autre Seigneur,quoy que Cortés contredît tou-


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LiV.

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fiours, difant qu'il ne falloit pas irriter Dieu qui leur 1521. avoit donné une victoire fi glorieufe. Le Seigneur mou- L ' o n d o n n e la r u t dans les tourmens, fans rien confeffer,ou pour ne le queftion à timoc & fçavoir p a s , ou parce que les Indiens gardoient con- Qà uuna n Seigneur ïtamment le fecret que leur Seigneur leur confioit. Lors qui m e u r t d a n s qu'il eftoit aux abois, & que les tourmens l'obligeoient les t o u r m e n s . peut-eftre à découvrir quelque chofe, il regardoit attentivement Q u a n t i m o c , dont l'on fît divers jugemens ; Quelques-uns difoient que ce qu'il e n faifoit eftoit pour luy donner de la compaffion , & de luy permettre de déclarer le fecret. Mais il le traita m a l , & luy dit, qu'il eftoit trop lafche , & qu'il n'avoit point de c œ u r , & que ny l'un ny l'autre ne trempoient point dans ce crime. Enfin Cortés fît ofter Quantimoc des tourmens Cortes fait forle Roy des d'authorité abfoluë, comme par dépit ; difant que c'e- tir tourmens. ftoit une chofe inhumaine & extrêmement mefquine d e traiter un R o y de la forte pour un tel fujet ; & s'excufa du fait, difant qu'il avoit efté importuné , p r i é , & mefme menacé par Iulien d'Alderete,Treforier du R o y , qui l'accufoit d'avoir caché ces richeffes , & le r e q u e roit hautement de le faire appliquer à la queftion,& le follicitoit infolemment, à caufe qu'il eftoit ferviteur de lean Rodriguez de Fonfeque Evefque de Burgos,Prefident du Confeil des I n d e s , qui n'eftoit pas amis de Cortés. Enfin de l'avis, & par une compafîion univerfelle de toute l ' a r m é e , l'on ofta Quantimoc des tourmens , & tous les foldats en géneral témoignèrent avoir un grand reffentiment de cette action, après avoir premièrement blafmé les Supérieurs de ce qu'ils n'avoient pas cherché le trefor. Mais cette inconftance eft allez ordinaire parmy les peuples. Et plufieurs dirent que le tourment avoit ceffe alors ; parce que Quantimoc avoit Q u a n t i m o c confeffé que dix jours avant fa prifon il avoit j e t t é dans jette lès rrefots le lac la pièce de canon que les Caftillans avoient laif- dans le lac de Mexique. fée lors qu'ils furent chaffez de Mexique , & que le mefme Quantimoc avoit dit auffii cy devant qu'il jetteroit dedans le lac tout l'or & les joyaux qu'il avoit, à caufe que le Diable luy avoit dit qu'il devoit eftre vaincu. E t R

ij


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quoy que l'on cherchait ce trefor forr exactement p a r tous les endroits du lac Jamais on ne le put trouver ; & d'ailleurs cela eft inconcevable de croire que l'on aye pu cacher de fi grandes richeffes , fans en pouvoir découvrir quelque chofe. Quelques-uns des principaux Mexiquains que Cortés tenoit prifonniers, indiquèrent certaines fepultures, dans lefquelles il fe trouva un peu d'or , dont on en fit des partages-. Enfin ce grand Empire des Rois de Mexique prit fins & Dieu avoit permis quelque temps auparavant que Pronoftications l'on en euft des fignes & des indices tres-evidents lors de la perte de l ' E m p i r e Mexi- que le Roy de Mexique eftoit tenu 6c adoré comme un cain. Dieu , & que fa Monarchie eftoit dans fa plus hauts fplendeur. Car fes Eftats s'eftendoient jufques à Nicaragua, dont il tiroit pour tributs de grandes richeffes, des plumes, des parfums, des ouvrages de cotton, & autres danrées fort eftimées. Entr'autres pronofrications que l'on eut de la perte de ces grands Royaumes, foc qu'une Idole de Chulula , ville alliée de Montezume d é clara qu'il iroit des gens effranges poffeder c e t Empire. Vn Seigneur de T e z c u c o , neveu du dernier Mont e z u m e , luy dit un j o u r , qu'à luy & à tout fon RoyauCes pronoftica- me il fe preparoit de grands travaux. Plufieurs forciers tions d o n n e n t luy dirent la mefme chofe ; & entr'autres remarques de l'affiction à que l'on fit encore, c'eft qu'il avoit moins d'un doigt à Montezume. un pied & à une main. Il fit prendre ces foreiers ; mais ils difparurent dans la prifon, ce qui luy caufa bien de la trifteffe. Mais enfin comme il fe vit plongé dans une mélancolie il eut recours à fes Dieux, & pour les appaifer il leur fit de grands facrilices. Entr'autres chofes il fit porter une grande pierre pour facrifier dedans ; mais quoy que l'on fift tous les efforts poffibles pour la faire charier avec de gros cables , jamais on n'en put venir à bout ; & comme l'on vouloir infifter à le vouloir faire l'on entendit une voix qui dit, Que le Dieu qui avoit créé toutes chofes, ne voulait vas que l'on fift davantage de fa crifices. Et voulant que l'on fift les facrifices où eftoit la pierre , on entendit une autre voix qui dit ; le vous ay 1521


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OCCIDENTALES,Liv.II.

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défia dit que c'eftoit la volonté du Créateur de toutes chofes, que les facrifices ne fie fiffent plus & afin que vous le croyiez, le me laffiray porier un moment , & vous ne pourrez puis après

m'enlever delà. C e qui arriva ainfi, jufques à ce par quantité de prières elle fe laiffa porter jufques à l'entrée de M e x i q u e , où on la laiffa tomber dans un canal d'eau, & on ne la put jamais trouver depuis quelque recherche que l'on en ait pu faire , que dans le mefme lieu d'où on l'avait tirée, dont ils furent tout é t o n n e z , & admirèrent fort de voir une fi effrange metamorphofe. C H A P I T R E

IX.

Continuation des prodiges qui arrivèrent avant la perte de l'Empire Mexiquain. Frère Martin de Valence de Don Jean , arrive avec fes Compagnons.

D

ans le mefme temps dont nous venons de parl e r , il parut dans le C i e l , au grand eftonnement de ceux qui le virent, une flame de feu en forme de Piramide, qui s'eflevoit vers le m y - n u i t , d e la t e r r e , & montoit toufiours en l'air jufques à la levée du Soleil, en prenant fa brifée vers le midy, où elle finiffoit. Cette flamme continua plufieurs jours , & lors qu'elle commençoit à paroiftre, tout le peuple faifoit de grands cris, fe doutant bien que c'eftoit une pronoftication de quelque grand defaftre ; parce que cette nation a toufiours donné beaucoup de croyance aux fignes, & à de femblables apparences. L'on vit une Comète en plein jour & ferain,qui courut du Ponant à l'Orient , & jettoit quantité d'eftincelles ; elle avoit une longue q u e u e , & trois formes de teftes. Le lac de Mexique du cofté de T e z c u c o fans aucun fujet d'émotion,commença à bouillir , & croiffoit en bouillonnant; & quantité d'édifices qui eftoient baftis deffus & aux environs tombèrent. L'on entendit dans ce mefme temps quantité de voix comme de femmes qui fe plaignoient, & qui difoient

R iij

Les peuples font troublez des figues qu'ils voyent.


142 1521

HISTOIRE

queiquesfois ô Enfans ; l'heure de voftre deftruction eft arri

vée, & autres chofes femblables. Il parut divers monfrres qui avoient deux telles, & comme on les portoit devant Pefcheurs qui le R o y , ils devenoient invifibles. Les pefcheurs du lac p o r t e n t un oifeau à M o n t e - prirent un oifeau de la grandeur d'une grue, & comme z u m e & ce qu'il ils n'en avoient jamais veu de femblable ils le portèrent y remarque. au Roy, qui eftoit alors dans les Palais qu'ils appelloient des pleurs & du deuil, & qui eftoient tous peints de noir ; parce qu'outre toutes fes maifons de récréation , cellelà eftoit deftinée pour les temps de peine & de trifteffe,dont le Roy en eftoit beaucoup affligé , par les menaces de tous ces advertiffemens. Ces pefcheurs arrivèrent fur le midy, & luy monftrerent l'oifeau qui portoit fur fa tefte une chofe, où. le Roy remarqua que le Ciel y eftoit reprefenté avec les Eftoilles ; & retournant les yeux vers le Ciel, & ne voyant point d'Eftoilles, il demeura tout eftonné ; Puis le regardant une féconde fois il vit dans le Ciel des gens de guerre qui combatoient Se s'entretuoient. Il fit appeller les Preftres qui jugeoient queiquesfois des prodiges félon leurs caprices ; & voyant la mefme chofe en l'oifeau, ils ne purent donner aucune raifon d'où cela pouvoit procéder, ny L'oifeau difpa- aucune Signification , & l'oifeau difparut au mefme roift. temps, dont ils furent tous grandement troublez. vifion d'un laVn Laboureur recita, qu'eftant occupé à enfemmenboureur. cer fes terres il vint un aigle fort grand, qui fans luy faire aucun tort, l'emporta dans un antre, l'ayant pofé à terre dit ; Puiffant Seigneur j'ay amené celuy que tu m'as commandé d'aller quérir ; & que le Laboureur entendoit

fort bien parler l'aigle, mais qu'il ne voyoit pas celuy à qui il parloit ; & qu'il entendit une voix qui repartit, Remarque celuy qui eft à terre;&qu'il vit un homme vêtu à la Royale, qui dormoit, ayant une petite cane odorante en la main, ainfi que les Indiens en ufent ; que le Laboureur le confiderant d'avantage, il luy fembla que c'eftoit le Roy Montezume , & que la voix recommença à parler , & dit ; contemple le, il ne fe met guère en peine des travaux & des maux qui doivent tomberfur luy ; mais il eft temps


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OCCIDENTALES,

Liv.

II

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qu'il paye les offenfes infinies qu'il a faites à Dieu , & les tyrannies qu'il a exercées pour augmenter fa gloire ; car il s eft tellement abifme dans les délices qu'il n'en peut plus goutter, Et afin que tu le voye ,prens cette canne odorante , qui brufloit de

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s

qu'il tenot dans fa main, & la luy mets fur la cuiffe, tu verras qu'il ne le fentira pas. Le Laboureur n'ofa l'entreprendre , à caufe du refpect qu'il portoit au Roy , mais la voix luy dit ; ne crainspoint, car jefuis plus que Montezume , & je te peux détruire toy-mefme fi tu ne fais ce que je te dis. Le La-

boureurprit donc la canne, & la mit fur la cuiffe du R o y , mais il ne fe remua point, La voix parla encore au Laboureur , de luy d i t , que puis qu'il reconnoiffoit que le Roy dormait d'un fiprofond fomme, qu'il l'allafl efveiller, & qu'il

luy racontaft ce qu'il avoit veû. Puis l'aigle reprit auffi-toft le Laboureur, & le reporta au mefme lieu où il l'avoit pris, & alla tout d'un temps trouver le R o y , de luy raconta par ordre tout ce qui luy eftoit arrivé. Le R o y regarda auffi-toft fa cuiffe, de la trouva bruflée fans l'avoir fenty jufques alors, dont il demeura fort trifte, & efpouvanté d'un tel prodige. O r ce que le Laboureur avoit veû luy pouvoit eftre arrivé par une vifion imaginaire. parce que félon ce que difent les Théologiens, il n'eft pas incroyable que Dieu par le moyen d'un bon Ange ordonnait, ou que par le moyen d'un mauvais, il permit que cet advertiffement fe donnait à un infidelle, pour le châtiment du R o y . Outre plufieurs autres indices que l'on eut pour p r e fage d e l à perte de ce grand Empire Mexiquain, il parut des lignes de feu vers l'Orient, qui eft du cofté de la Vera-Crux, par où entrèrent les Caftillans, où l'on vit dans l'air quantité de gens armez combattans. E t d'autant que Montezume avoit une caiffe , de des hardes qui s'eftoient trouvées furie rivage de la M e r , qui pouvoit venir de quelque naufrage ; parce que dés l'année 1509. l'on fçait que les Caftillans commancerent le commerce des Ifies de la terre ferme ; les Seigneurs de T e z e u c o , de de Tlacopan eurent quelques paroles contre Montezume pour cela, difant qu'ils reffembloyent aux armes de

Des f i g n e s q u i parurent dans le Ciel.


14.4.

1521.

Les Mexiquains font efpouvantez par les p r o diges qu'ils voyent.

t e s forciers difent à M o n t e zume ce qui luy doit arriver,

H I S T O I R E

& aux hardes de ceux qui combatoient en l'air. Mais il appaifa ce différent ,en leur difant que toutes ces chofes fe pafferent du temps de fes predeceffeurs, & leur manda qu'ils efprouvaffent s'ils pourroient rompre l'efpée mais comme ils ne la purent rompre, ils s'appaiferent. L'on entendit paffé la my-nuit dans Mexique quelques voix gemiffantes, accompagnées de grands foupirs, & quoy que les habitans fe levaffent pour voir ce que c'eftoit, ils ne voyoient perfonne, ce qui caufa bien de l'étonnement, O n vit grande quantité de papillons 6c de fauterelles, qui en parlant voloient vers l'Occident , ce qui eftonna fort le peuple pour n'avoir jamais veû chofe femblable. Quelques forciers qui eftoient venus à M e xique du cofté de Guatufco qui eft en la cofte du Nort, entre autres jeux qu'ils reprefenterent devant le Roy, ils fe coupoient les pieds & les mains, & comme le fang en couloit, les membres eftant feparez du corps, ils fe les remettoient auffi- toft ; & fçavoir fi c'eftoit une illufion, le Roy commanda que l'on mift ces membres dans de l'eau bouillante, pour voir s'ils les pourroient rejoindre. Mais les forciers s'eftomaquant fort de cela,dirent que l'on les recompençoit mal, & que dans peu de temps ils feraient vangez par des eftrangers ; que le Roy perdroit fon Empire, & verroit le lac teint du fang des Mexiquains. Le Roy fe moqua de tout cela, mais il vit un matin le lac tout fanglant, & quantité de teftes, de bras & de jambes d'hommes qui eftoient fur l'eau. Il eut frayeur de cela, & fe reffouvint de ce que les forciers luy a voyent dit ; il appella fes ferviteurs pourvoir ce miftere ; mais ils ne virent rien de ce qu'il avoit veû, ce qui accrut encore d'avantage fon eftonnement, de ce que fes gens n'avoyent rien veû. Il envoya chercher les forciers, qui vinrent fur la parole qu'on leur donna qu'il ne leur feroit fait aucun mai. Mais ils n'oferent donner toute la fatisfaclion au Roy , parce que les fignes qu'ils prevoyoient eftoient horribles ; ils luy dirent feulement qu'il y auroit de grandes guerres dans cette ville par des eftrangers , & qu'il y auroit beaucoup de fang refpandu, mais


DES I N D E S

OCCIDENTALES,Liv.II.

145

mais ils ne luy voulurent pas déclarer fon entière defolation. Cependant toutes ces chofes donnèrent tant d'apprehenfion au Roy que jamais il n'eut de contentement. La mefme année que Cortés entra dans Mexique il parut une vifion à un foldat qui avoit efté captivé à la guerres qui pleuroit & fe lamentoit fort de ce qu'on le vouloit facrifier, & appelloit Dieu à fon fecours. La vifion luy d i t , que celuy à qui il fe recommandoit eftoit en colère contre l u y , mais qu'il reclamaft les Miniftres des Idoles, & que fon facrifice cefferoit bien-toft ; parce que ceux qui empefchoient l'effufion du fang humain eftoient p r o c h e , & qu'ils devoient commander en cette terre. Ils facrifierent cet homme au milieu du Tlatelulco , où eft maintenant le gibet de M e x i q u e , & ils remarquèrent bien fes paroles & la vifion, qu'ils appelloient air du Ciel. E t lors que les Caftillans furent entrez dans la ville,& que les Indiens virent des Anges peints avec des ailles, & des Diadèmes ; ils dirent qu'ils reftembloyent à cette vifion qui parut alors. T o u t proche d e la ville de Mexique la terre s'ouvrit,& il en fortit de grands poiffons avec l'eau. O r les Indiens remarquoient cela comme une grande nouveauté, & difoient, que lors que Monte2time revint victorieux de la guerre de Soconufco, il dit au Seigneur de Culvacan que la ville de Mexique eftoit dé-ja en feureté , & qu'il n'y avoit plus rien à craindre. Mais comme il luy eût refpondu qu'une force en forçot une autre, il s'en mit en c o l è r e , & ne le vit jamais de bon œ i l , & neantmoins lors que Cortés les prit tous d e u x , il fe reffouvint fort bien de ces paroles. Aufli-toft après que cette ville de Mexique futprife il arriva douze Religieux de l'Ordre de faint François,, q u e Cortés reçeut avec de grandes fourniffions & révérence , en quoy il avoit toujours donné de grands exemples aux Caftillans ,& aux originaires de la t e r r e , lefquels s'eftonnoyent fort de voir celuy qu'ils adoroyent s'humilier de la forte. Ils avoient pour conducteur frère Martin de Valence de Don-Jean, homme doué de grans

1521.

D o u z e Religieux de l ' O r dre de S. F r a n çois arrivent à Mexique.


146

H I S T O I R E

de vertu & doctrine , ayant l'ordre de frère François de Quinnones ,qui eftoit alors General de l ' O r d r e de faint François. Par l'affiftance de ces bons Pères , l'eftat de la converfion de ces peuples commença à s'acheminer & à exercer le culte de D i e u avec plus de refpect & de d é votion , dont les Indiens reçevoient un grand contentement de voir & d'entendre célébrer l'Office divin;parce que comme il y avoit quelques Caftillans qui fçavoient leplain chant , ils addoient aux Religieux ; & ce bon ordre 6c confonance des voix donnoit beaucoup de fatisfaction aux Mexiquains, & les faifoit incliner avec admiration de continuer à affifter aux Offices divins, & à y avoir de l'affection. Avant que ces Religieux-cy arrivaffent il en eftoit déjà venu trois autres du mefme O r d r e qui s'arrefterent à Tlafcala, à caufe que la guerre de M e xique s'enflamoit toujours de plus en plus. Le premier s'appelloit frère Pierre de G a n t e , homme de bonne vie, f r è r e Pierre de & bon Religieux. Comme ils celebroient le faint facriGante. flce de la Melfe, les Indiens y affifloient, les uns par curiofité pour voir des chofes fi nouvelles, & les autres pour élire touchez de la grâce divine. Et ces bons Pères travailloient beaucoup en la converfion des ames avec un progrés admirable ; & comme ils eftoient retirez dans une maifon,les habitans du lieu leur apportaient des aumofnes dequoy ils fe fuflantoient. Ces bons Pères vivoyent fort auflerement, & s'edifioient beaucoup, prenant courage , afin de fervir Dieu dans un fi faint ouvrage. Ils prefehoient dans lesplaces- publiques , quoy qu'à grand peine, faute d'interprètes pour leur ayder à déclarer les points de noftre Religion ; & neantmoins fe confiant en la mifericorde de Dieu qu'il les ayderoit, ils faiibient entendre à ces peuples qu'il y avoit un Enfer , o u l'on eftoit condamné à des peines éternelles , qu'il eftoit plein de f e u x , de crapaux , de couleuvres, & autres animaux venimeux, & leur montroyent avec la main que toutes ces chofes étoiét en bas ; puis levant les yeux & les Les Religieux mains vers le Ciel, ils difoiet,que c'eftoit le lieu où eftoit prefehent dans un feulDieu tout-puiffant qui recôpenfoit les bons d'une Tlafcala. 1521.


DES

INDES

OCCIDENTALES,

Liv.

II.

147

gloire éternelle. O r dansées commancemens ces bons 1521 Pères ne pourvoient leur prefcher autre chofe dans les places où il y avoit grande affémblée de gens. Parmy ces Pères il y en avoit un qui eftoit un vénérable vieillard , qui avoit le poil tout blanc, & eftoit chauve , qui enfeignoit au milieu de la place dans la grande chaleur du j o u r , & prefchoit hautement par un zele de charité. Les Seigneurs qui fe trouvèrent là , s'entredifoient entr'eux: qu'ont ces pauvres miferables de s'efforcer ainfi à crier ? regardez s'ils ont faim , ils doivent eftre malades, oufous ; laiffons-les crier, il faut que leur mal de folie les tienne; paffons outre fans leur faire du mal, ils mourront poiffible au bout de cela ; avez-vous confideré qu'à midy, au foir & au matin,lors que nous nous réjoüiffons tous, ils pleurent ? fans doute leur mal eft grand, parce qu'ils ne recherchent point les plaifirs, mais la trifteffe. Mais nonobftant tous ces mépris Dieu touchoit le cœur de beaucoup, qui s'approchoyent de luy & reçevoyent le Baptefme,& de cette forte ils avançoyent toujours de plus en plus en la converiion de ces pauvres gens: & déjà leurs Oracles eftoyent muets, & leurs enchantemens, fortileges, forts, & herbes empoifonnées n'avoyent plus de force furies Chreftiens ; parce que par ces bonnes inftructions, & infinis exemples , les Indiens commancoyent de les mettre en pratique ,& les Caftellans plufieurs fois les leur ont veu exercer de leurs propres yeux.

C H A P I T R E

X.

Des anciens Habitans de la nouvelle Efpagne. & d'où ils y arrivèrent.

Comment,

À Près avoir traité de la fin de la Monarchie MexiAquaine, il ne fera pas hors de propos de traiter des peuples qui l'habitèrent premièrement, de leurs Roys, de la Religion, & de la forme du Gouvernement qu'ils

S ij


148

H I S T O I R E

tenoyent. Les premiers Caftellans qui entrèrent dans la 1521. nouvelle Efpagne avec Iean de Grijalva , l'appellerent Les Provinces ainfi, leur eftant avis qu'elle en avoit la mefme difpofide Mexique t i o n , foit pour la t e r r e , pour les Montagnes couvertes pourquoy appellées n o u v e l l e de nege , les édifices de pierre de taille, & autres chofes Efpagne. qui e n a v o y e n t bien de l'air , & que jufques-là ils n ' e n avoyent point v e û de femblables dans toutes les Indes, ny depuis qu'ils eftoient fortis d'Efpagne ; c'eft doc ce qui leur donna fujet d'impofer ce nom à ces Provinces. Les anciens habitans qui la peuplèrent au c o m m e n c e m e n t , eftoyent gens champeftres qui ne vivoyent que de fruits & d e racines. Ils s'exerçoyent fort à la chaffe , & y Les M e x i q u a i n s eftoyent fort adroits. Ils ne vivoyent point enfocieté, appeliez C h i c'eft pourquoy ils furent appeliez Chichimecas. Ils faic h i m e c a s des foyent leur demeure dans les montagnes & dans les boissleur o r i g i n e . ils couchoyent contre t e r r e . & eftoyent tout n u d s ; ils n'avoyent aucune forte de police. Les femmes fuivoyent leurs maris, & laiffoyent leurs enfans pendus aux arbres dans des paniers qu'ils forrnoyent des mefmes branches en façon de b e r c e a u x , après leur avoir bien donné à tetter,jufques à ce qu'ils revinffent de la chaffe, Les C h i c h i m e - Ils ne reconnoiffoyent aucun Dieu, &n'avoient point de ces n ' a v o y e n t Religion ny de Supérieurs; & il y a encore à prefent de ny Dieux n y Religion. cette génération dans la nouvelle Efpagne , qui a efté af. fez préjudiciable, pour ne l'avoir pu dompter,à caufe qu'ils n'ont point de retraite afteurée, & il feroit bien n e ceffaire de leur apprendre à eftre h o m m e s;& Chreftiens. C o m m e ces premiers habitans de la nouvelle Efpagne ne femoyent ny ne recueilloyent aucune chofe, ils abandonnèrent les meilleures terres à des étrangers qui vefeurent plus politiquement, qui vinrent d'une autre terre plus efloignée de devers le N o r t , où l'on a d é c o u v e r t la nouvelle M e x i q u e . Ces peuples dépeignoyent l e u r defcendance en forme de cave, & difoyent qu'ils eftoiet O r i g i n e des fortis de fept caves pour peupler la terre de M e x i q u e ; & Mexiquains, faifant mention de cela dans leurs livres,ils reprefentoyent fept lignées, & difoyent que pouf arriver au lieu de ces fept caves, ils traverferent un bras de M e r dans


Liv.II 149 des troncs d'arbres,qui pouvoyent eftre des canos mal 1521. façonnez ; & félon leur compte il paroiffoit y avoir huit cens ans qu'ils fortirent de Navatlacan, qui eftant réduit félon noftre fupputation, cela pouvoit eftre en l'an huit cens vingt. Ils furent quatre-vingts ans en chemin pour arriver à la terre de Mexique, parce que leurs Dieux ou leurs Démons, aufquels ils parloyent librement , leur perfuadoyent de chercher des terres félon les fignes qu'ils leur reprefentoyent. D e forte qu'ils alloyent ainfi errant, en peuplant, & en s'enquêtant des autres peuples qu'ils rencontroyent , & paffoyent ainfi toujours plus avant. L'on voit encore les chemins qu'ils ont obfervez, où il fe trouve de grands édifices ruinez. C'eft donc ce En quel temps qui les tint fi long-temps à faire ce voyage, puis qu'il fe ils entrèrent des Mexique. peut faire en un mois. Ainfi ils entrèrent dans la terre de Mexique l'an de noftre Seigneur neuf cens deux. D e ces fept lignées fortirent premierement les Suchil micos, qui veut dirent femeurs de fleurs, qui peuplèrent les rives du lac de Mexique qui tirent vers le midy , & bâtirent une peuplade, à laquelle ils donnèrent leur nom, & quelques autres. Ceux de la féconde fignée furent Des n a t i o n s fortirent des qui les Chalchas, qui lignifie , gens des bouches, qui fondèrent fept lignées. une autre peuplade de leur nom, qui confine avec les Suchilmicos. La troifiéme lignée, font les Tepeacas , qui veut dire gens du font ; ceux cy peuplèrent à l'Occident du l a c , & s'agrandirent de telle forte, qu'ils donnèrent le nom d'Azapuzako-, à la Capitale de leur Province, qui lignifie fourmilière, & ils devinrent puiffans. Ceux de la quatrième lignée furent ceux qui peuplèrent Tezcuco ; qui font ceux de Culva, qui veut dire ,gens courbez, parce qu'il y avoit en leur terre une Montagne faite en coude. Ainfi le lac fut entouré de ces quatre nations- Ceux de Tezcuco furent plus polis 6c plus civils, & leur langue efftlameilleure & lapins courtizane. Enfuite de ces derniers arrivèrent ceux de Tlatelulca , qui fignifie gens de Montagnes, qui eftoyent plus groffiers , & qui trouvant les plaines occupées , pafferent de l'autre cofté de la Montagne, où ils trouvèrent une terre plaine & unie, & S iij DES

INDES

O c C I D E N T A L E S ,


150 HISTOIRE 1521.

fort fertile, qu'ils appellerent Quahunnahuat, qu'ils rendirent la Capitale de leur Province , qui veut dire, lieu où la voix de l'aide fe fait entendre ; c'eft maintenant la CD

Province d'un Marquifat. Les Tlafcalteques qui furent la fiziéme génération ; qui veut dire, gens de pain ,pafferent les Montagnes, en tirant vers l'Orient, & traverferent la, Sierra Nevada, où eftle fameux Vulcan, entre Mexique Les Tlafcake- & la ville de los Angelos. Ils battirent de grands édifices ; ques ne payent aucuns tributs ils fondèrent plufieurs peuplades , & appellerent la capiny fubfides. tale de leur Province, Tlafcala. Ceux-cy ne payent aucun tribut aux Roys de Caftille , & font exempts de tous fubfides. Et lors que ces nations peuplèrent , les anciens Chichimecas n'y contredirent point, au contraire ils fe deftournoyent d'eux, & fe cachoyent dans les rochers, mais ceux qui habitoyent de l'autre cotte de la Sierra Nevada fe mirent àdeffendre la terre contre les Tlafcaltequesi&comme c'ettoyent des Geans félon ce qu'en difent les Hittoires, ils voulurent chaffer les nouveaux venus. Mais les Tlafcakeques feignirent de faire une paix avec e u x , & les ayant conviez à un grand banquet, Il fe trouve e n core à prefent ils les defarmerent, & les deffirent. Pour ce qui eft du des os de geans nom de Geans que l'on leur donne,l'on a déjà dit cy-dedans la P r o v i n ce de Tlafcala. v a t , que l'on y voit encore aujourd'huy des os d'hommes d'une prodigieufe grandeur. Si bien donc que par ce moyen les Tlafcalteques, & les autres lignées demeurèrent en feureté & furent pacifiques, & le font toujours confervez cette amitié. O r les chichimecas commandèrent à apprendre quelque forte de police. Ils couvrirent leur nudité, & battirent des Cabanes ; & prenant la forme de Republique , ils efleurent des Seigneurs pour les gouverner ; fi bien que continuant dans cette refolution ils quittèrent peu à peu leur naturel fauvage. D e forte donc que fuivant ce que nous venons de reprefencer , l'on croit que la plus part des N a tions des Indes font procedées de ces gens. Parce que les premiers eftoyent des Sauvages, & pour maintenir leur chafle ils cherchèrent des terres très après ;


,

Liv.II. 151 & découvrant un nouveau inonde , toujours cherchant de meilleures terres,ils peuplèrent la b o n n e , & introduifirent une police & une facon de Republique , quoy que Barbare ; c e qui fe peut reconnoiftre de quelques couplets de leurs chanfons , qu'ils recitoyent à leurs e n fans, lors qu'ils s'abandonnoyent dans le vice: Vous imaginez-vous que l'on gagne les honneurs par cette voye? scachez que quand nos predeceffeurs habitoyent l'afprêté des antres,des rochers & des deferts afFreux, leurs plus grandes délices eftoient de fe fuftanter de leurs arcs & de leurs flêchess parce que s'ils n e travailloyent point, ils ne mangeoyent point, qui fut au temps de ces D i e u x Chichimecas nos anciens fondateurs, & d'autres encore depuis,qui commencèrent à vivre plus fplendidement, & qui s'adonnèrent à fubjuguer les moins puiffans , jufques à eftablir de grands Empires, ainfi qu'il eft arrivé de celuy de Mexique & du Pérou. D'où, l'on peur infér e r que les premiers habitans des Indes Occidentales, y allèrent par t e r r e , & que toutes ces Provinces font contigué's avec l'Afie, l'Europe , & l'Afrique, & le monde nouveau avec l'ancien, quoy que la terre qui les joint n e foit pas encore découverte jufques à prefent & que s'il y a de la Mer entre d e u x , il y e n a il peu que les belles féroces la peuvent paffer, & les hommes dans des Canos. O r o n avoit déjà paffé trois cens deux ans, depuis que les fix lignées cy-deffus déduites eftoyent forties de leurs terres ; qui avoyent peuplé la nouvelle Efpagne, & avoyent beaucoup multiplié , lors que la feptiéme arriva qui eft la nation Mexiquaine, gens politiques & belliqueux. Et d'autant qu'ils adoroyent l'Idole Vitzilifutzli, il leur commanda d'abandonner leur t e r r e , & leur promit la Seigneurie des autres lignées, dans une terre abondante, & où il y avoit de grandes richeffes. Ils portèrent cette Idole dans u n coffre de jonc odorant, appelle fouchet, fur les épaules de quatre Preftres, qui enfei-. gnoyent les cérémonies des facritices , donnoyent les loix , & fans leur confentement l'on n'ofoit rien entreDES

INDES

OCCIDENTALES,

1521.

Les gens qui peuplèrent les Indes y ont paffé par terre.

En quel temps la feptiéme lignée arriva dâs la nouvelle pagne.


152 HISTOIRE 1521. prendre. Lors qu'ils campoyent ils dreffeyent un Autel, comme l'on fait en l'Eglife Romaine, fur lequel ils pofoyent le coffre de l'Idole au milieu de l'armée ; & ils obfervoyent tout ce que l'Idole leur difoit pour les femailles, les peuplades les autres chofes neceffaires; 6c il n'eft. jamais arrivé que les Démons ayent converfé avec les hommes comme celuy-là ; ce qui fait voir que I m i t a t i o n de cette Idole ou plûtoft D é m o n , voulut imiter la fortie l'arche de l'ancien T e f l a m e n t . d'Egypte , & le chemin que firent les enfans d'Ifraël. Le Capitaine qui conduifoit cette lignée, s'appelloit M e x i , d'où, eft. venu le nom de Mexique. Comme ils cheminoyent donc au milieu des autres nations , femant & peuplant, après avoir paffé quantité de périls ils arrivèrent enfin en la Province de Mechoacan, qui veut dire terre de poiffon, à caufe de la quantité 6c de la beauté des lacs qui s'y rencontrent, & trouvant la terre à leur gré, ils avoyent deffein d'y demeurer. Mais l'Idole ne leur voulant pas permettre, quoy qu'elle leur donnait permifîion d'y laiffer des gens, ils pafferent plus outre. Et ces gens voyant qu'on les avoit abandonnez,furent toujours depuis ennemis des Mexiquains,

C H A P I T R E

XI

De la fondation de la grande ville de Mexique

Tenuichtitlan. V n e forciere fe veut faire adorer pour Déeffe.

ette lignée eftant fortie

C

de Mechoacan fe plaignirent à l'Idole d'une fameufe Sorcière qui eftoit dans l'armée ,& qui fe vouloit faire adorer comme u n e Deeffe. L'Idole commanda à l'un des Preftres qui portoitle coffre, qu'il appaifait le peuple, & que l'on laiffaïf cette femme & fa famille l à , fans luy faire aucun tort. Comme l'armée cheminoit fans laiffer aucune trace de leur fejour en ce lieu, la Sorcière fe voyant abandonnée , y bâtift une peuplade, qu'elle appella Malinelco, à caufe dequoy depuis ce temps-là l'on tint les peuples de ce lieu


Liv.II. 153 ce lieu pour de grands forciers. Les Mexiquains ayant diminué beaucoup pendant leur voyage, pour fe refaire des fatigues paffees campèrent dans tulo qui veut dire lieu de T u n a , ou figuier. L'Idole leur commanda de fair e paffer une grande Rivière dans une grande plaine qui eftoit là ,& par l'invention qu'il leur donna, ils entourèrent d'eau la Montagne appellée Coatepec, & en firend un grand l a c , qu'ils bordèrent d'arbres , & avec le poiffon qui s'y elle va, & les oifeaux qui s'y accoutumèr e n t , il s'en fit un lieu fort délectable ,& pour ce fujet ils avoient deffein d'y peupler. Le Demonirrité de cela, commanda aux Préfixes de faire reprendre le cours de la Rivière & la laiffer aller comme elle faifoit auparavant. E t voulant chaftier les autheurs de cette defobeïffance, ils entendirent fur le my-nuit un certain bruit dans un quartier de l'armée , & le matin ils trouvèrent morts ceux qui avoient confeillé de demeurer là, ayant tous le fein ouvert, dont on avoit tiré le cœur, à caufe dequoy l'on tient qu'ils ont retenu cette maudite couftume dés ce temps-là d'en ufer ainfi en leurs facrifices. Par ce cfiaftiment, & qu'ils virent cette plaine à fec, par la fortiedes eaux qui s'eftoient écoulées dans la R i v i è r e , ils allerent par le commandement de leur Dieu jufques à Capultepec, à une lieuë & demie de Mexique, lieu remply délices, à caufe de fes vergers, où ils campèrent & fe fortifièrent. Les autres nations fufcitées par les defcendansde la Sorcière de Malinalco, allèrent à main armée pour les faire décamper de-là ; mais s'eftant deffendus vaillamment ils pafferent jufques à Atlacuyabaca, peuplad e des Culvas , où ils fe fortifièrent. Ils demandèrent au Seigneur de Culvacan des terres, & lapermiffion de baftir une peuplade , & il leur marqua le lieu à Tazahapan ,qui fignifie eaux blanches, à deffein de les y faire périr, à caufe de la quantité de vipères & de couleuvres, dont cette terre eftoit pleine. Ils acceptèrent cette offre , & fi-toft qu'ils y furent ils aprivoifer e n t , & adoucirent ces animaux, & en mangèrent avec plaifir. Le Seigneur de Culvacan voyant cela ,6c qu'ils T DES

I N D E S

O C C I D E N T A L E S ,

1521.

D'où vient l'origine de facrifier les hommes


154 I

5

2 1.

Les Mexiquains tuent la fille du R o y de Culvacan p o u r eftre la Deeffe de la

Le ROy de Culvacan chaffe dela terre les Mexiquains.

H I S T O I R E

avoient déjà cultivé les terres, les vouloit introduire dans fa ville. Mais leur Dieu n'y voulut pas confentir, & leur comanda de chercher une féme qui devoit eftre appelléela Dceffe de la difcorde ; & pour cela ils en voyeret demander au Roy de Cutvacan, la fille, pour eftre Reyne des Mexiquains, & mere de leur Dieu. Il la leur donna de bon coeur , & la nuit qu'elle arriva bien accompag n é e , ils la tuèrent, & l'écorcherent, & couvrirent unjeune homme de fa peau, & luy veftirent les habits d'elle par deflus. Fuis ils le mirent tout proche de l'Idole, pour eftre la mere de leur Dieu , & l'adorèrent toujours depuis, fous le nom d'Idole, appellée Tocci qui veut dire, nofftre ayeule. Enfuitte dequoy ils convièrent le Roy, pere de la fille, parce que comme elle eftoit confacree ils la luy vouloient faire adorer. Il y vint avec de grands prefens , & l'ayant introduit dans la Chapelle où elle eftoit, quoy qu'il yfitobfcur, à caufe que l'on avoit allumé le brafier pour y mettre les parfums, il reconnut que c'eftoit la peau de fa fille, fi bien que ne pouvant fouffri cette cruauté,il fortit de la Chapelle en s'écriant, & avec tous fes gens il fe mit dans une telle colère,qu'il les fit retirer vers le lac, où il s'en noya quelques-uns, puis fe deffendant contre eux il recouvra fa terre, & furent contraints de quitter ce lieu. D e là ils allèrent au tour du lac , & fe pleignant de leur D i e u , ils arrivèrent à une Rivière qui n'eftoit pas gueable ; mais ils firent fi bien qu'avec leurs boucliers & des joncs ils firent de petites barques, avec lefquelles ils pafferent à Aztapalapan , & de-là à Acatzfntitlan, & en fuite à Yztacalco; & finalement où eft à prefent l'hermitage de faint Antoine à l'entrée de la ville de Mexique, dans le quartier qui s'appelle aujourd'huy de S. Paul ; où leur Idole les confola, & leur promit de grands biens. Quelques vieux Sorciers entrant dans des rofeaux qui eftoient-là, trouvèrent une fource de bonne eau, qui fembloit eftre argentée, tant elle eftoit blanche : les arbres leur paroiffoient blancs auffi, lesprez, & les poiffonsj ce qui leur fie fou venir d'une Prophétie de leurs


DES

INDES

OCCIDENTALES,

Liv. I I .

155

D i e u x , qui leur avoit donné cela pour fignai du lieu de leur repos. Ils retournèrent auffi-toft vers le peuple fort joyeux de cette bonne nouvelle. La nuit fui vante Vitzi. lipuztli aparut à un vieux Preftre, &luy dit qu'il chercha/} dans ce lac un figuier qui fortoit d'une pierre, va lors qu'ils tue rent l'un des fils de la Sorcière de Malivalco, ils jetterent fon cœur, & qu'ils verroient fur le figuier un aigle fort beau qui fe repaiffoit de beaux oifeaux ; & que là ils dévoient fonder leur ville, qui feroit la maiftreffe de toutes les autres. Le Preftre le

dit au peuple, & caufa tant de dévotion & d'alegreffe tout enfemble, qu'ils le mirent auffi-toft en exécution, & cherchaient le lieu tant defiré. Ils rencontrèrent l'eau blanche, mais elle venoit déjà rouge comme fang, de l'ayant partagée en deux ruiffeaux, l'un devint de couleur d'azur & fort efpais ; ce qui leur caufa bien de l'étonnement ; mais enfin en cherchant ils trouvèrent le figuierquif o r t o i t d'une pierre, dans lequel eftoit un aigle Royalties ailles ouvertes, de tourné vers le Soleil, il avoit tout au tour de luy une grande diverfité de plumes d'oifeaux tres-riches, de de différentes couleurs. Cet aigle avoit dans l'une de fes ferres un tres-bel oifeau ; ils fe mirent tous à g e n o u x , Se firent de grandes foûmiffions & révérences à l'aigle, de difent qu'il inclina la tefte, & les contempla beaucoup. Ils rendirent beaucoup de grâces à leur D i e u , luy témoignant une grande dévotion, Se appellerent la ville qu'ils fondèrent l à , Tenuchtitlan, qui lignifie figuier en pierre, comme il a efté dit ; & ils portent encore pour armes jufques à ce jour un aigle fur un figuier, tenant un oifeau dans l'une de fes ferres, & fe foutient de l'autre fur le figuier. Le lendemain ils bâtirent unOratoire,où ils poferent le coffre de leur Dieu, & le baftirent d'argile & debranchages, puis le couvrirent de paille. En fuitte dequoy ils achetèrent de leurs voifins, des pierres, du bois, & de la chaux en échange de poiffon, de grenouilles, & de diverfes fortes d'efpeces d'oifeaux marins qu'ils chaffoient dans le lac qui en eft remply. Puis ayant bâti de pierre de de chaux une meilleure Chapelle pour l'Idole, ils tarirent avec des ais & Tij

1521. L'Idole déclare aux Mexiquains où ils doivent baftir leur ville-

Commencemet de la fondation de Mexique.

Armes de la ville de Mexique.


1521

Origine des quatre quartiers de M e x i que,

156

H I S T O I R E

du ciment une grande partie du lac. Apres quoy l'Idole commanda à un Preftre qu'il leur d i t , que les Seigneurs fuiffent divifez chacun avec fa lignée & famille, & que l'on feparaft la terre en quatre quartiers, & faire en forte que la maifon que l'on avoit baftie pour la mettre en repos fût au milieu, & qu'en fuite chacun commençait à baftir comme bon luy fembleroit ; & ceux-cy font les quatre quartiers que les Mexiquains appellent aujourd'huy S. lean, fainte

Marie de la Redonde, S. Paul, &. S.

Sebaftien. Apres que cette feparation fut faite, leur Idole leur ordonna de partager entre-eux les Dieux qu'il leur nommeroit,& que chaque quartier traçait encore d'autres quartiers particuliers, où ces Dieux fuffent rêverez ; ainfi chaque quartier des grands en avoit fous foy quantité d'autres petits, félon le nombre des Dieux que leur Idole leur commandoit d'adorer, qu'ils appellerent Calpultuteo,qui veut dire Dieux des quartiers. Voila donc comment la ville de Mexique Tenuchtitlan fut fondée, & fon accroiffement, & quel fut le commencement de la nation Mexiquaine, qui quoy que barbare ne laffe pas de tenir quelque chofe de loüable, ainfi qu'il arrive à toutes les autres du monde quelques Barbares G e n s du cofté qu'ils foient. Apres la fondation de Mexique, & de tout du N o r t a b o r fon voifinage, il y paffa de nouvelles gens de devers le d e n t à Panuco, Nort, qui abordèrent à Panuco. Ils portoient de longues robbes, ouvertes pardevant, fans capuchon, fort échangerez du col, des manches courtes & larges, ainfi que les originaires de la terre les portoient encore alors dans leurs dances, en contre-faifant cette nation, laquelle fans aucune contradiction,paffa jnfques à Tulo où ils furent bien reçeus, parce que c'eftoient des gens fort induftrieux de quelque art que ce fut, & pour cultiver la t e r r e , ce qui les faifoit aimer de tous. Or comme la terre de Tulo n'eftoit pas baftante de les contenir, ils pafferent à Chololan , où ils s'habituèrent , & peuplèrent depuis là jufques à G u a x a c a , & à la Miftica haute & baffe, & à Zapotecas. Ils enfeignerent les peuples à vivre politiquement par toute cette t e r r e r a caufe dequoy dés


DES INDES O C C I D E N T A L E S ,

Liv.II.

157

qu'il fe rencontroit quelque homme prudent & induftrieux, on l'appelloit Tuloteca , parce qu'ils commencèrent premièrement à enfeigner dans Tulo. Et il eft confiant que les Tulotecas font charitables & mènent une vie de véritables Chreftiens. Lors qu'ils fe rencontrent dans quelque adverfité, ils font auffi-tofr. des vœux à Dieu, éi à la Vierge, & les accompliffent ponctuellement.

C H A P I T R E

1521. Les Tulocecas font fort charitables & bon. Chreftiens.

XII

De l'origine des Rois de Mexique jufques au troifiéme appelle Chimalpopoca.

A Près que l'on eut fait les divifions des terres, comA me nous le venons de d i r e , ceux q u i fe trouvèrent lezez, s'en allèrent avec leurs parens & amis, chercher d'autres lieux pour s'eftablir ; & tournoiant le long des rives du lac ils trouvèrent une terre unie qu'ils appellent Tlatelolli, où ils peuplèrent, & donnèrent à leur peuplade le nom de Tlatelulco, fituée dans la plaine. D e forte donc que celle-là fut la troifiéme divifion des Mexiq u a i n S ; après leur fortie. Mais ceux de Tlatelulco dont nous parlons, eftoient gens remuans , & mauvais voifins des Mexiquains ; & cette inimitié dure encore jufques à c e jour. O r ceux de Tenuchtitlan voyant que ceux de Tlatelulco multiplioyent beaucoup, refolurent d'eflire un R o y pour les maintenir dans une parfaite union, & pour les deffendre contre leurs ennemis. Et pour éviter les diffenfions, ils ne le voulurent pas prendre de leur lignée. Au contraire pour venir à bout du Roy de Culvacan- leur ennemy, par la mort de fa f i l l e , & pour avoir du fecours d e s amis, ils efleurent pour Roy un jenue homme appelle Acamapixtli, fils d'un grand Prince Mexiquain, & d'une D a m e , fille du Roy de Culvacan ; auquel ils envoyèrent u n e Ambaffade par fon neveu, lequel connoiflantque leur demande eftoit raifonnable, l e u r demande leur fut accordée. Et defirant qu'il fût marié, ils T iij

O r i g i n e de telulco.-

tla-

Élection du RoY des M e x i q u a i n s


158 HISTOIRE luy donnèrent pour femme l'une des principales Dames 1521. de la Cour ils ammenerent : donc leur Roy de leur Reine , qui furent recens en grande rejouïffance de tout le peuple. Comme il rit fon entrée, il y eût un vieillard qui luy fit une harangue, touchant fon Gouvernement, & ce qui eftoit de fon devoir ; il luy dit qu'il prît garde qu'il n'eftoit pas venu pour fe délaffer, ny pour fe divertir ; mais pour prendre de nouveaux travaux, de pour fuporter une pelante charge , & nonobftant cela ils fe réjouirent tous de fa bien venue, de le Roy les remercia fort honneftement, & leur promit de les affifter & protéger contre tous ceux qui les vondroient offenfer , de toutes fes forces. Ils luy prefterent tous les fermens requis en pareil cas, de luy poferent une Couronne fur la tefte, qui reffembloit fort à celle dont l'on couronne les Ducs de Venife, avec le nom de premier Roy , qui fut Acamafixtli, qui veut dire, Cannes en la main, dont les armes eftoient une main qui tient plufieurs flêches de cannes. E t ces harangues de les autres difcours qu'ils tinrent à ce nouveau Roy, dont les Hiftoires Mexiquaines font mention,ont efté tellement gravées dans les cœurs de la jeuneffe, qu'ils les ont toujours confervées de l'un à l'autre, jufques à prefent. Or cette eflection fut faite fort à propos pour faire gagner en peu de temps aux Mexiquains beaucoup de réputation parmy leurs voifins ; de ils eftoient déjà dans la crainte ; à caufe dequoy ils refolurent de les fubjuguer, de particulièrement les Tepavecas, lefquels voyant qu'ils devenoient puiflans , eurent deffein de les opprimer, de pour trouver fujet de le faire,ils envoyèrent dire au Guerres des Roy de Mexiqueique;d'autant que le tribut qu'il payoit Mexiquains cOeftoit modique , qu'il faloit qu'il envoyait du bois pour tre les T e p a n e ques d'où prend leur ville ,& des ferres enfemencées de plufieurs fortes fon commance- de légumes qui creuffent dans l'eau, & qu'eftant venues, ment. &creuës, elles leur fufsét portées tous les ans fur l'eau ; ou qu'autrement ils le tiendroient pour ennemy. Les Mexiquains voyant que cette menace ne tendoit qu'à leur ruine en furent affligez ; mais leur Dieu Vitziliputzli les


DES I N D E S

O C C I D E N T A L E S , Liv. I I .

159

confola, & leur commanda d'accorder le tribut, & qu'il M U , les aideroit. Le temps eftant arrive , ils firent porter le bois & les femences ,parmy lefquelles il v avoir beaucoup de mayz , & autres choies qui avoieut creu fur l'eau & dans la faifon. O r ceux qui voyent maintenant Tribus que les femailles qui fe font dans le lac de M e x i q u e , ne tien- payoient les Mexiquains, & nent pas cela pour un anchantement , mais pour une chofe qui fe peut faire ; parce que l'on met de la terre fur des joncs, & du glayeul ou flambe entrelaffes les femances où germent & viennent en maturité, que l'on traniporte de Cofté & d'autre comme l'on veut. Le Roy des Tepanecas eftonné de voir le tribut , dit que ces gens avoient un paiffant D i e u , puis qu'il leur rendoit ainfi toutes chofes faciles, & qu'à caufe de cela il vouloit que l'année fui vante ils envoiaffent dans une terre enfemencée , une oye & une grüe avec leurs œufs prefts à éclorre , en forte que lors qu'elles arriveroient les petits vinffent à fortir de leur coque, & non autrement. Les Mexiquains s'affligèrent encore beaucoup de cette demande fi difficile 5 mais leur Dieu les encouragea , & leur com manda d'obeïr, & leur dit qu'il viendroit un temps que les Tepaneques payeraient de leur vie les demandes impertinentes qu'ils faifoient. Comme donc les Mexiquains envoierent leur tribut dans la femaille, la grue & l'oye parurent auffi-toft, & en arrivant au lieu où on les devoit recevoir , les pouffins fortirent auffi-toft. de leur coque. Le Roy admirant cela, d i s q u e ces chofes étoient plus qu'humaines,& que les Mexiquains prenoient le chemin de devenir Seigneurs de tout. Ils furent cin- l e s M e x i q u a i n quante ans dans cette fervitude, & dans ce temps-là le furent cinquante ans dans la Roy de Mexique mourut,avant accru fa ville de beau- (fervitude. coup de baftimens, de ruiffeaux , & de vivres. Il régna quarante ans en paix. Comme il vint à l'article de la m o r t , quoy qu'il euft des enfans légitimes, il laiffa à la République la liberté de choifir qui bon leur fembleroit pour les gouverner, leur enchargeant qu'ils confideraffent toujours le bien public, & leur fit voir qu' il avoit un regret de ne les avoir pas peu affranchir du tribut qu'ils payoient ; puis


160

HISTOIRE

après leur avoir recommandé fes enfans & fa femme [1 mourut. En faifant fes obfeques ils efleurent pour Roy l'un des enfans du defrunt, le gratifiant en cela par la confiance que le pere avoit eue en la République , en Les Mexiquains leur remettant le choix de l'élection. Ils'appelloit Vitziéffent u n fé- locutlt* qui fignifie, plume riche. Le plus ancien luy d i t , cond Roy. qu'il prit garde que l'office d'un Roy eftoit d'avoir de la pieté pour les vieillards , pour les veufves , pour les orphelins , & d'être le pere de la Republique ; parce qu'ils dévoient eftre les plumes de fes ailles , les paupières de fes yeux , & les poils de fon vifage. Qu'il devoit eftre vaillant , puis que leur Dieu avoit prophetifé qu'il s'aideroit de fes bras. Ils le couronnèrent & Couronnement au fécond R o y l'oignirent avec une onction qu'ils appelloient divine, d e Mexique. parce qu'ils fe fervoient de cette onction pour leur Idole. Ils luy donnèrent encore d'autres advertiffemens pour l'animer à les tirer de leurs travaux , & le reconnurent tous. Ils le marièrent avec la fille du Roy d'AzcapuCérémonie du zalco, appellée Ayauchigual, & l'amenèrent en grande mariage du rejoüiffance. Ils rirent les cérémonies des époufailles, Roy. qui eftoient de lier une pointe du manteau dumary avec celle de la robbe de la femme ; & par ce lien de mariage ils eurent un fils, & ayant j e t t é au fort, parce qu'ils eftoient grands devins , pour donner des noms à leurs enfans? ils l'appellerent Chimalpopoca , qui veut dire bouclier qui jette de la fumée. Le Roy & la Reyne moururent & laifferent Chimalpopoca, âgé de dix ans feulement. L e pere fut fort dévot, & fort foigneux pour le culte de fes D i e u x , defquels il croyoit que les Rois eftoient la reffemblance,& que l'honneur qui fe rendoit aux Dieux fe rendoit aux Rois. Il'agrandit fa ville , & avoit apris l'art de la guerre à fes fujets. Les Mexiquains efleurent pour Election du troifiéme Roy fucceffeur de la Republique Chimalpopoca, parce qu'il de Mexique. eftot neveu d'Azcapuzalco l'ayant mis fur le thrône, ils luy donnèrent pour guidon un arc & des flèches en la m a i n & une épée dont le taillant eftoit de ces cailloux qui coupent comme des rafoirs,ainfi qu'ils en ufoient , en la droite; fignifiant en cela qu'ils pretendoient fe mettre en liberté par la force des armes. E t d'autant que l'eau de M e 1521.

}


DES I N D E S O C C I D E N T A L E S ,

Liv.II

161

de Mexique n'eftoit pas bonne à b o i r e , l e neveu d e - 1521 m a n d a i l'oncle celle de la Montagne de Chapultepec qui eft, à une lieuë de Mexique la rirent venir dans la ville ; mais comme les canaux par où elle venoit n'étoiét pas b o n s , & qu'ils fe rompoient fouvent, ils prirent de là occafion, de prier le R o y d'Azcapuzalco d e leur faire faire un canal qui fût ferme , & qui ne fe rompît point ; mais indigné de la fuperbe de ceux qu'il tenoit pour vaffaux , & fes gens ayant foupçon de l u y , à caufe du Roy de Mexique fon neveu, publièrent une deffenfe de commercer avec les Mexiquains, fi bien que le R o y voiant que fes gens ayoient deffein de tuer les M e x i quains ; il les pria de dérober premièrement le R o y fon n e v e u , & qu'après cela ils fiffent à leur volonté des M e xiquains. O r quoy qu'ils fe réjouirent tous de cela, il y en eût pourtant deux qui y contrarièrent, difant que le R o y eftoit Mexiquain du cofté de fon pere ; 6c que partant il tenoit plus du coffé du pere que de la m e r e , & que par confequent il falloit tuer le Roy le premier. L'ayeul entendant cela en mourut de deplaifir,& ils n'en furent pas fâchez à caufe du foupçon qu'ils avoient de luy, parce qu'il avoit ofté le tribut des femailles aux M e xiquains , & les autres chofes qu'ils payoient. D'ailleurs, Les T e p a n e q u e s les Tepaneques entrèrent nuitamment dans le Palais du tuent le Roy de Mexique. R o y de Mexique fans que perfonne les vit, & tuèrent le R o y comme il dormoit,& s'en retournèrent. Les M e xiquains ayant trouvé leur R o y mort au matin, en eurent un grand reffentiment, & protefterent de s'en vanger,& y voulurent aller d'improvifte pour exécuter leur vangeance ; mais il y eût un Seigneur qui les rctint,& les appaifa , difant qu'ils éleuffent un Roy premièrement & qu'ils entrepriffent l'affaire avec plus de confideration. Ils rirent donc auffi-toft un accommodement avec ceux de Tezcuco, & de Culvacan , afin qu'ils demeuraffent neutres ; ce qu'ils leur a c c o r d è r e n t , & de les aider auffi.

y


162

HISTOIRE

1521,

C H A P I T R E

XIII.

Des Rois de Mexique jufques au fixième , appelle Tizocic. Election du quatrième Roy de Mexiquc.

Tlacaellel rep r i m e n d e les Mexiquains de vouloir quitter leur terre.

C

omme

les Mexiquains fe furent affemblez pour l'eflection d'un nouveau Roy, ils prirent un nomme Tzcoatl, QUI veut dire couleuvre de rafoir, qui eftoit fils du premier Roy, Acamapixtli, & quoy qu'il l'eût d'une efclave, il ne laiffoit pas d'eftre vaillant, bien conditionné, & beau-frère du Roy de Tezcuco, Ils le couronnèrent pour t e l , & il y eut un Orateur qui luy reprefenta au nom de la Republique,à quoy le Roy eftoit obligés lequel ne manqua pas auffi-toft de fe préparer à la guerre. D'ailleurs les Tepaneques eftoieut auffi en eftat de la faire ; mais les Mexiquains fe voyant inférieurs, de reconnoiffant la pieté du Roy Azcapuzlco ; ils refolurent du confentement de tous, de prendre leur Dieu , & de s'en aller tous vers luy, & le prier de les tirer de ces rofeaux & de ces j o n s , & qu'il leur donnaft des terres pour peupler, & qu'ils fuffent tous unis. Comme ils eftoient fur les termes d'aller faire cette foûmiffion ; il y eut un jeune homme qui avoit le cœur généreux, appelle Tlacaellel) neveu du Roy , qui le reprimenda de fa coüardife avec beaucoup de hardieffe, de fe vouloir mettre entre les mains de les ennemis. Le Roy fe retourna auffîtoft vers les fiens, & dit que celuy qui feroit allez hardy pour porter une Ambaffade aux Tepaneques, parût , & il n'y eût que le feul Tlacaellel qui fe prefenta, s'imaginant tous qu'il n'en reviendroit jamais. S'eftant mis en chemin , quoy que les gardes des Tepaneques, euffent ordre de tuer quelque Mexiquain que ce fût, il leur donna de fi bonnes raifons qu'ils le menèrent parler au Roy. Apres qu'il eût reçeu l'Ambaffade, qui portoit de demander la paix, il fut remis à une autre jour, parce qu'il vouloir prendre confeil pour cela. Tlacaellel retourna porter la


DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , L î v . I I . 163 rëponfe au Roy de M e x i q u e , lequel luy donna de certaines armes pour donner au Roy l' Azcapuzalco en cas qu'il eût une réponfe de guerre , afin qu'il s'en deffend i t , & qu'il l'oignît & l'emplumât par la tefte , ainfi que l'on en ufoit aux morts : & cela fe fît comme par une manière de deffi. Mais quoy que le Roy fouhaitât la paix, fes fujets n'y voulurent point entendre ; c'eft pourquoy le meffager luy donna les armes, & il fe laiffa oindre & emplumer ; & pour recompenfe de cela , il donna à Tlacaellel de bonnes armes , & le fit fortir fecretement du Palais, de crainte qu'on ne le tuât. Lors que Tlacaellel fe vit en liberté il deffia les gardes ; & quoy qu'ils fiffent tous leurs efforts de le t u e r , il fit fi bien qu'il le fauva , & ainfi la guerre fut déclarée, fans aucun r e m è d e , d o n t les Mexiquains furent fort contriftez : mais le Roy les encouragea , & nomma pour Capitaine General T l a caelleL Enfin l'armée fortit en campagne, où. les Tepaneques les attendoient déja, qui eftoient les principaux de cette Province. Les Mexiquains vainquirent , & donnèrent la chaffe aux fuyars jufquesà entrer dans leur ville. Mais comme ils fe virent pourfuivis ils abandonnèrent la p l a c e , & s'eftant réfugiez dans un bois tout p r o c h e , ils poferent les armes bas, & fe rendirent&ainfi ils demeurèrent fujets & pauvres pour toûjours;parce que la N o blefTe de Mexique partagèrent entre eux les dépouilles & les terres. Quelques-uns d'entre eux des plus vaillans fe rendirent de la bonne forte, c'eft à dire en voulant bien vendre leur vic, mais les autres fe rendirent comme des lâches. Tacuba & Cuyoacan , villes du Royaume des Tepaneques continuèrent la guerre , en fe moquant en quelque façon les uns des autres. Ils combatirent néantmoins avec égales forces , mais enfin les Mexiquains emportèrent la victoire par la valeur du Capitaine Tlataellel. Il y eut trois perfonnes qui fe fignalerent des principaux de Culvacan, au premier defquels on donna pour recompenfe une grande partie de la dépouille, c'eft pourquoy entre les Mexiquains ce feul fujet d e r e compenfer les vertueux leur donnoit de l'émulation de V ij

1521.

C é r é m o n i e des défis qui fe faifoient , dans la nouvelle Efpagne.

Les Mexiquains déclarent la guerre aux T e paneques, & les vainquent.


164 HISTOIRE faire des actions Héroïques. Ils affujetrirent anffi les Sa1521. chimilcos, fut la première lignée qui fortit des fept Caves ou lignées dont nous avons parlé, qui peuplèrent la terre, & les vainquirent en bataille, les Suchimilcos ayant efté les agreffeurs, dans une apprchenfion de fervitude. D e forte donc qu'à caufe des victoires des Mexiquains, ces peuples reconnurent dans leur ville le Roy de M e xique, & luy prefterent ferment. Il leur ordonna de faire une chauffée depuis leur ville jufques à Mexique, afin de fe pouvoir communiquer, qui a quatre lieues de chemin, & dés l'heure mefme l'on commença à y travailler. Tlacuellel affujetit auffi Cuit lavaca, ville du lac ; à caufe dequoy le Roy de Tezcuco reconnut les Mexiquains ; moyennant quoy la ville de Mexique demeura La ville de M e xique demeure maiftreffe de tous les lieux qui eftoient au tour du lac ; & la maiftreffe de ainfi les Tepaneques diminuèrent beaucoup de leur toutes celles des environs grandeur ; pendant lequel temps le Roy Yzcoatl moudu l a c . rut , après avoir régné douze ans. Le cinquième Roy de Mexique fut Montezume, premier de ce nom ; & parce que dans cette eflecion il y E l e d i o n du cinquième Roy avoit quatre Electeurs, outre l'intervention des Rois de de Mexique Tezcuco & de T a c u b a , Tlacaellel fe joignit avec eux c o m m e n t fe fit. comme Capitaine General, & il écheut que ce fut fon neveu Montezume qui fut d i e u . Ils le portèrent au Temple avec grande pompe & magnificence. On portoit devant luy un brafier toujours ardant. Ils le pofe-. rent dans le T r ô n e Royal , & facrifia, en fe tirant du fang des oreilles, du molet du bras, & de la grève de la jambe,avec des pointes d'os de Tygre & de cerf Là les Préfixes luy firent des harangues, & quelques anciens Seigneurs auffi, le felicitans tous de fa réception. L'on fit de grandes danfes,des Feftes, des Banquets. L'on apporta des prefens des Provinces du Royaume, qui enLa couftume troient dans la ville en grand pompe. Le Roy fut à la de facrifier i n guerre contre ceux de chalco, qui s'eftoient déclarez troduite à pour ennemis, d'où il emmena des captifs pour facrifier venement des nouveaux Rois Couftume qui prit racine dés ce temps-là , pour les cornle Mexique. mencemens des nouveaux Rois, que lors qu'ils retour-


DES INDES OCCIDENTALES, Liv.II. 165 noient de la guerre,ils entroient dans Mexique en triomphe & dans une réception folemnelle ; parce qu'ils fortoient des Temples en proceffion,avec des brafiers odorans & au fon de quantité d'inftrumens. Les feculiers & les Courtifans fortoient auffi avec des inventions de récréation pour recevoir le Roy victorieux.Ce Montezume fut belliqueux, & conquit beaucoup de païs , mais la guerre qui luy bailla plus de peine, fut celle de Chalco, où ils voulurent eflire pour Roy l'un des frères du Roy de Mexique qu'ils a voient captivé, & dirent que pour l'accepter il vouloit parler à ceux de fa terre ; & commanda que l'on dreffaft un théâtre de bois qui fut fort haut, fur lequel il monta ayant un bouquet en la main,

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& dit ; A Dieu ne plaife que pour régner le commette une tra-

hi[on contre les miens, & pour leur apprendre à eftre fidèles à leur patrie, il fe jetta du haut en bas & fe rompit le col. L'on continua la guerre, & la ville de Chalco fut prife ; mais l'on ne la fît pas contre Tlafcala , afin que la jeuneffe Mexiquaine trouvait toufiours dequoy s'exerc e r a la guerre, & qu'il y euft des gens pour facrifier. Ce Roy ordonna des maifons pour le culte de leurs Dieux, avec plus de cérémonie de de grandeur, & celles de la Iuftice , & fe gouverna par des confeils , des confiftoires, & des tribunaux pour diverfes caufes, avec autant ou plus de luges qu'il y en ait dans les meilleures R é p u bliques des Europe.il eftablit la maifon Royale fort magnifiquement, & avec beaucoup de fplendeur. Il fit baftir un grand Temple pour fon Dieu Vitzlipuztli, & lors qu'il fut dédié ils facrifierent quantité d'hommes qu'ils avoient pris en guerre ; mais il facrifioit rarement dans d'autres temps. Enfin il mourut, après avoir régné vingt huit ans. Le fixiéme Roy fut Tezozic, parce que Tlacacllel ne voulut pas accepter la Royauté , parce qu'il avoit trop de foin, & prenoit beaucoup de peine pour la Republiq u e , qu'il aftectoit beaucoup plus que les honneuïs & la puifïance 5 & pour recompenfe de fa modeftiejes Electeurs le préférèrent pour le choix de l'Election & il 3

V iij

Ceifx àt C4»alc© font vaincus.

Cas notable que fit le p r e -

mier Memexu* me.

Sixième Ray de Mexique.


166 HISTOIRE dôna fon fuffrage à l'un des fils duRoy mort,& qtioyqu'il 1521 paruft de foible compîexion pour une charge de fi grand poids, il dit qu'il la porteroit, & qu'il fuppléroit à ce defFaut, & on fit aufîî-toft les cérémonies accouftumées. Ils luy percèrent les narines, & y mirent une efmeraudc. Il fut fort peu belliqueux, & coiiard. Pour fe faire couronner il alla pour affujettir une Province qui s'eftoit foulevée, mais il y perdit plus des ficns qu'il n'en captiva d'autres. Puis en s'en retournant il dit qu'il amcnoit beaucoup de captifs ,& fut couronné avec grande cérémonie: mais il ne régna que quatre ans , parce qu'ils l'empoifonnerent, à caufe du mécontentement que les Les Mexiquains Mexiquains avoient d'avoir un Roy fi peu vaillant,d'ou t u e n t leur Roy pocir n'eftre pas l'on peut confiderer le courage de cette nation, & le de.vaillant. fir qu'ils avoient d'eftre gouvernez par de vaillans Rois,

[CHAPITRE Suitte du règne des Rois Mexiquains Montezume, 'i.e feptiémeRoy de Mexique fils du grand M o n tezume,

L

XIV. iu/ques au ficond

E feptiéme Roy de Mexique qui fut aufïï fils du grand Montezume appelle Axacaya^ut efleu dans le mefme ordre & par les vœux & fufFragesdcTlacaellel,que les precedens,quoy que fort vieil, & fî-toft qu'il fut efleu il rît fon fils aifné Capitaine gênerai,tant pour fa confolation que parce qu'il eftoit vaillant, après quoy il ne fe foucia plus de mourir. Enfuite dequoy le Roy fortit en campagne pour prendre des efclaves pour fervir de victimes à fon couronnement. Il alla en la Province & Tecoantepec, & combatit contre une puiffante arm é e , tant de cette ville que d'une autre qui s'eftoient joints enfemble. Il gagna la victoire, de pourfuivit fes ennemis jufques au port de Cuatulco en la mer du Sud. Il retourna à Mexique triomphant , & fe fit couronner Les Rois deMeatique recevait: avec un grand appareil de facrifices de de tributs. Les l a C o u r o n n e d e s Rois de Mexique recevoient la Couronne des mains des

m a i n s des Rois de Tezcuco.


DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv

II

167

Rois de Tezcuco, qui eftoit fa prééminence. Ce Roy fut 1521. vaillant: il eftoit toufiours des premiers dans les combats. Il affujettit fous fa domination Tlatelulco , qui fut fondée par ceux qui fortirent de Mexique ; & parce qu'ils fe déguiferent & fe mirent en embufcade dans le lac, comme des corbeaux, des oyes, des oifeaux , des grenouilles , & autres femblables animaux,& ayant efté vainçus par le combat que fitle Roy de Mexique avec celuy de Tlatelulco , corps à corps, après avoir eu avis de leur déguifement, il ne leur voulut pas pardonner, & chantoient, & croaffoient chacun félon le perfonnage qu'ils s'eftoient figuré 3 mais enfin ils furent contraints à à leur honte de le continuer&& jufques à ce jour cette gaufferie dure encore contre ceux de Tlatelulco, qu'ils tiennent pour grand affront. C e Roy régna onze ans, & augmenta de beaucoup pendant fon temps le Royaume. Autzol fut le huitième Roy de Mexique, qui fut re- Election du ceu félon les formes accoutumées ; il ne fut point infé- huitième Roy de Mexique, rieur à fon predeceffeur ; au contraire c'eftoit un homme doué de vertu de de valeur, fort affable , & chery de fon peuple. Ayant appris que ceux de Quaxutatlan, Province riche & opulente , avoient mal-traitté les Mexiquains qui alloient recevoir les tributs, & s'eftoient foulevez, il les alla attaquer, les vainprit, & s'en revint Le huitième victorieux. Il fît d'autres conqueftes, par le moyen def- Roy de Mexiquelles il eftendit les bornes de fon Empire , jufques à que eftend l'es Guatemala. Il fut fort libéral, & faifoit de grandes cha- limites iufques à Guatemala. ritezaux pauvres, & beaucoup de faveur aux foldats. 11 fît quantité d'édifices ; il fit auffi venir un grand canal d'eau dans Mexique, parce qu'ils n'en avoient pas fuffifamment, & pour l'y faire venir ils firent de grandes dévotions , après quoy il en vint une fi grande quantité qu'elle penfa nover la ville. Mais le R o y y remédia par fon induftrie, y faifant faire un canal pour fa décharge, qu'il fît fortifier des deux coftez,& la ville demeura ainfi en feureté. Ce Roy régna onze ans. En l'an mil cinq cent dix-huit, qui fut l'année que les Les Gaftillans arrivent en la Caftillans entrèrent dans la nouvelle Efpagne,Montezu- nouvelle Efpa-


168 H I ST O I R E Le, fécond de ce nom regnoit alors lequel eftoit Fi pru1521 dent , que lors qu'il eftoit dans le Cqnfeil, ils écoutoiene gne du règne du fecond Mon- toutes fes paroles come autant d'Oracles, &admiroient tezume. fes avis ; à caufe dequoy avant que d'eftre R o y , on luy portoit les mefmes refpects que s'il l'efté. délia efté. Il fe retiroit d'ordinaire dans une grand'chambre qu'il avoit dans le Temple de Viztzipuztli , où il communiquoit familièrement avec fon I d o l e , parce qu'il eftoit fort R e ligieux & dévot ; & pour ce fujet , & qu'il avoit beaucoup de nobleffe & de valeur, il fut efleu Roy. Lors qu'il fut adverty de fon eflection,il fe retira dans cette chambre qu'il avoit dans le Temple , pour faire paroiftre plus d'hypocrifie ; ils le menèrent delà dans le ConPourquoy il fut fiftoire, cheminant avec une grande gravité,à caufe deappelle M o n t e - quoy ils l'appellerent Montezume, qui veut dire courouatume. ce. Il alla auffi-toft au brafier du Temple prefenter les parfums. O n luy tira du fang des oreilles ,de la grève des jambes, & du molet des bras, félon la couftume. Ils luy venftirent les ornemens Royaux. Ils luy percèrent le n e z , & y attachèrent une riche efmeraude. Eftant affis dans fon throfne ils luy firent les harangues ordinaires, La première fut faite par le Roy de Tezcuco, qui ne tendoit qu'à luy donner des louanges de fes vertus ; aufquelles il répondit avec beaucoup d'humilité & d'agréement. Mais lors qu'il commença à régner il changea de change de m œ u r s en e n - m œ u r s , parce qu'il ne voulut eftre fervy que par des t r a n t à la RoyN o b l e s , que les plus illuftres Seigneurs du Royaume auté. demeuraient dans ion Palais , & exerçaffent les Offices de fa Maifon & de fa Cour. Pour faire les cérémonies de fon Couronnement, il fortit pour aller conqueûcr une Province vers la mer du Norc, qui s'eftoit foulevéc. Il y fit une cruelle guerre avec beaucoup d'induftrie, & chaftia les rebelles. Puis ayant lafflé des garnifons dans les frontières il s'en revint avec grand nombre de captifs pour facrifier, & un grand butin. Les Seigneurs le fervoient comme des ferviteurs à gage, choie qui n'avoit point encore efté ufitée, tant ils avoient d'apprehenfion de l'irriter, jointe au refpect qu'ils luy portoient,


DESIndes

O C C I D E N T A L E S , Liv. I I . 1 6 9 toient, & au grand amour que cette Nation a toujours 1521. eu pour fes Rois. L'on fit dans Mexique les cérémonies de fon Couronnement avec tant d'appareil & de Cérémonies du réjouiffance , de danfes, de commedies, de farces, de Couronnement luminaires, d'artifices, de divers jeux, & tant de richef- de Montezume. fes des tributs de fes R o y a u m e s , qu'il vint de toutes parts quantité de gens inconnus pour voir ces magnificences , & mefme des ennemis des Mexiquains, comme des Tlafcalteques , & de la Province de Mechoacan , qui y vinrent déguifez pour contempler cette grandeur Royale. Et quoy que le Roy en fut adverty, il ne les inquiéta pas pour cela ; au contraire il les fie loger & régaler, & commanda qu'ils fuffent mis dans des balcons auffi beaux que les fiens, où ils puffent voir les feftes de nuit : E t eux & le Roy mefme y louèrent auffi leurs perfonnages mafquez. Enfin Montezume, s'adonna à fe faire refpecter de telle forte , pour n e point dire adorer, qu'aucun de fes fuets ne l'ofoit r e garder en face, & s'il le faifoit il mouroit. Il ne mettoit jamais les pieds contre terre, parce qu'il eftoit toujours Grandeur de porté fur les épaules des Seigneurs, & lors qu'ils le def- Montezume. cendoient, ils mettoient de riches tapis contre t e r r e , afin qu'il marchait. deffus Lors qu'il alloit quelque part, ceux qui l'accompagnoientIlN'ofoientfuivre le chemin par où il paffoit, il faloit qu'ils marchaffent des deux coftez du chemin, il ne portoit pas deux fois un habit, Il ne beuvoit ny ne mangeoit pas non plus deux fois dans une mefme vaiffelle, ou vafe , & comme il don noit toutes ces chofes à fes ferviteurs, ils eftoient braves & galanifez. Il vouloit que fes Ordonnances fuifent gardées inviolablement, & fi quelqu'un y manq u o i t . i l eftoit chaftié fans aucune mifericorde. Il for- Court mire de toit fou vent déguifé pour épier les actions de fes Mi- Montezume & niftres,& fofcitoit des perfonnes pour corrompre les fa feverité. l u g e s , afin de les provoquer à faire quelque injuftice ; & s'ils fe laiffoient gagner, & qu'ils fiffent quelque choie contre leur devoir,, ils eftoient condamnez à la m o n fans aucun refpect de Parens, de Noblefte , ou de X


170

1521.

H I S T O I R E

quelque autre confideration que ce fuft. Il efloit grand Iufticier, & converfoit peu avec les liens, & il fe laiffoit rarement voir. Il eftoit toujours enfermé, fongeant continuellement au gouvernement de fes Royaumes, & par quel moyen il les agrandirait, qui eftoit fa plus grande ambition ; & pour cet effet, il ne refufoit point de faire la guerre de quelque façon que ce fut, parce qu'il eftoit vaillant, & il eut de grandes victoires, de forte qu'il arriva à un plus haut point de grandeur qu'aucun de fes predeceffeurs. Mais comme il penfoit eftre au comble de fes félicitez, la roue de fortune vint à tourner qui le renverfa, comme il arrive ordinairement dans les plus grandes Monarchies.

C H A P I T R E

XV.

De la Religion des Mexiquains,

A

C e que c'eft qu'Idolâtrie & le mal qu'elle caufe

P R E S avoir parlé affez amplement de l'Empire Mexiquain &. des Rois qui l'ont gouverné, il ne fera pas hors de propos de dire quelque chofe de la Religion, en quoy confifte l'orgueil du D é m o n , en fe voulant appliquer ce qui appartient à un feul Dieu ,& de ce qu'il s'adonna pluftoft parmy des Nations qui ne font pas éclairées des lumières de l'Evangile, pour donner plus de crédit à l'Idolâtre, à caufe de la haine mortelle qu'il a contre le genre humain. C'eft pourquoy il tafche par toute forte de voyes de deshonorer Dieu, & détruire l'homme;&pour cet effet, il multiplie tant qu'il peut, tant de fortes d'Idolâtrie. Mais nonobftant toutes fes rufes les Mexiquains confeffoient un Dieu fuprefme, Seigneur & Créateur de toutes chofes, & ceftoit là le principal point de leur croyance. Ils contemploient le Ciel, & l'appelloient Créateur du Ciel & de la terre, & Admirable , & encore d'autres noms de grandeur qu'ils luy attribuoient : Et nonobftant tout cela les Prédicateurs Catholiques ont eu beaucoup de peine à


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I I . 171 ofter de l'imagination de ces barbares qu'il n'y avoit 1521. point d'autres Dieux qu'un feul , ny qu'il n'y a point d'autre D e ï t é que celle du véritable Autheur de toutes choies, ny qui puiffe donner ou concéder aucune chofe que luy. Mais depuis ce temps-là, après cette feule D e ï t é que l'on leur prefchoit, ils vénérèrent le Soleil., 6c en fuite la Lune, l'Eftoile du Iour, la Mer & la T e r r e ; à caufe dequoy ils appelloient Fernand Cortés, fils du Les I n d i e n s apCoftés Soleil. Mais ils donnoient leur plus grande adoration pellent fils du SoleiL à l'Idole Vitzilipuztli, qui veut d i r e , fenettre de plume reluifante ; & fon Temple eftoit le plus fomptueuX de tous ceux de la ville ; & ils attribuoient aux autres Idoles les effets naturels, comme ceux de pleuvoir, des femailles, de la guerre, & de la génération. Ils eftoient auffi curieux de faire des Idoles, 6c des Images de di~ verfes figures, & les adoroient pour des Dieux , à quoy ceux de M e x i q u e , de T e z c u c o , de Tlafcala, de Chuiula, & des lieux cirConvoifîns, eftoient plus adonnez que dans les autres terres les plus reculées. Ils avoient encore une autre Idole dans Mexique qui eftoit remarquable, qui eftoit celle de la Penitence & des Iubilez, pour obtenir le pardon de leurs fautes. Cette Idole s'appelloit Tezcaldiputza , elle eftoit faite de pierre noire, reluifante comme du marbre poly, & Idole des Mexiquains en granveftuë & ornée de galans ; elle avoit à la lèvre d'enbas de veneration des anneaux d'or d'argent, avec un petit tuyau ou cerbatane de criftal, dans lequel eftoit une plume verte, 6c d'autres fois bleue, qui paroiffoit une Turquoife ; la treffe de fes cheveux luy fervoit de b a n d e , qui eftoit d'or bruny, & pendoit au bout de cette trèfle une oreille d'or, avec des fumées peintes deffus, qui fignifioit les prières des affligez & des pécheurs qu'elle efcout o i t , lors qu'ils fe recommandoient à elle. Entre cette oreille l'autre, il en fortoit de certaines aigrettes, & avoit fur le col un joyau d'or qui luy defceridoit & couvroit tout le fein. Elle avoit des bracelets d'or aux bras, & nombril une riche pierre verde ; en la main gauche un chaffe-mouche de riches plumes, verX ij,


172

H I S T o I R E

d e s , bleues & jaunes qui fortoient d'une plaque d'or reluifante & bien brunie, qui reffembloit à un miroir ; & cela, fignifioit qu'elle voyoit dans ce miroir tout ce qui fe faifoit dans le monde, & ce miroir n'eftoit point appelle autrement que fon regardeur. Elle tenoit en la main droite quatre dards, qui fignifioient le chaftiment qu'elle faifoit aux méchans pour leurs pechez. O r cette Idole eftoit celle qu'ils apprehendoient le plus, de crainte qu'elle ne defcouvrît leurs délits ; & lors que fa fefte arrivoit, qui eftoit de quatre en quatre ans, il y avoit un pardon general de tous les pechez. Ils tenoient cette Idole pour le Dieu de la fterilité & de la perte,& pour ce fujet elle eftoit affife comme dans une chaire à doffier avec beaucoup de majefté, entourée d'une courtine r o u g e , où eftoient dépeints des cadavres Se des os de morts ; elle eftoit encore reprefentée tenant en la main gauche un bouclier où eftoient cinq pommes de pin de cotton, & en la droite un dard, menaçant de fraper. Il fortoit auffi du bouclier quatre dards, & elle avoit une mine renfrognée & toute pleine d'ire, le corps oingt de noir, la tefte pleine de plumes de cailles. Enfin ils avoient de grandes fuperftitions envers cette I d o l e , pour la grande crainte qu'ils en avoient. Dans Chulula, qui eft une Republique proche de Autre Idole re- Mexique , ils adoroient encore une Idole fameufe, marquable dans qui eftoit le Dieu des marchandifes, parce qu'ils eftoient Chulula. la plufpart marchands, & ils s'adonnent maintenant au trafic. Ils l'appellent Quatzalcoatl ; elle eftoit dans une grande place, en un Temple fort haut ; il y avoit tout autour de cette Idole, de l'or, de l'argent, des plumes, des hardes de grand prix. Elle portoit la figure d'un homme, un vifage d'oyfeau qui avoit le bec rouge, Se fur ce bec une crefte, & verrues, avec certaines rangées de dents, qui droit la langue en dehors. Elle avoit fur la tefte une mitre de papier qui fe terminoit en pointe, Se en la main une faux. Elle avoit auffi quantité d'enjolivemens d'or aux jambes, parce qu'elle faifoit des 1521.


DES I H D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.

II

173

largeffes à qui bon luy fembloit. Son nom fignifioit couleuvre de plume riche. Ils avoient auffi des Deeffes ; la principale s'appelloit tocci, qui veut dire, noftre ayeule.Ce fut cette Reine qu'ils égorgerent ; & dés lors ils commencèrent à égorger les hommes pour les facrifices, & veftoient les vivans de la peau des facrifiez s'imaginant que leur Dieu avoit cela pour agréable, & qu'ils arrachaffent les cœurs de ceux qu'ils facrifioient, & ils apprirent cette méthode de leur D i e u , lors du chaftiment de Tula. L'une de ces Deeffes qu'ils adoroient , eut enfant qui fut grand chaffeur, que ceux de Tlafcala prirent pour leur Dieu. E t d'autant que cette Province eft remplie de gibier, ils luy faifoient de grands honneurs, & jouoient dés la pointe du jour d'une corne-mufe., au fon de laquelle ils s'affembloient tous, avec leurs arcs, leurs flèches, leurs rets, & autres inftrumens de chaffe. Ils portoient leur Idole en proceffion, & il fuivoit arrière un grand nombre de gens, qui alloient fur une haute montagne, où eftoit fur le haut une manière de Chapelle faite de branches & de feuilles d'arbres, ou comme l'on dit , u n e ramée , au milieu de laquelle eftoit un Autel fort bien orné , où ils pofoient l'Idole, chantant 6c jouant tout le long du chemin, & faifant grand bruit avec des trompettes, des cornets-à-bouquin, des flûtes des tambours. Eftant arrivez au haut,ils entouroient : toute la pante de cette montagne, & y mettant le feu de tous coftez il en fortoit quantité de cerfs, de lièvres , Se d'autres animaux qui ne pouvant fouffrir les flammes, montoient fur le haut de la montagne, & les chaffeurs les fuivoient, criant & jouant de leurs inftrumens jufques à les ramaffer devant l'Idole , où la chaffe les pourfuivoit de fi prés, que les uns fautant, les autres tournoyant ; d'autres fautoient fur les gens & les autres fur l'autel , dont ils faifoient grand fefte & réjoüffance en cette chaffe. Ils facrifioient les cerfs & autres grandes beftes devant l'Idole, en leur arrachant le c œ u r , & faifant la mefme cérémonie qu'ils X iij

1521. D'où procedoic la couftume d'égorger les hommes parmy les Indiens,

D e la fefte des Chaffes dans Tlafcala.


1521

D e s facrifices d ' h o m m e s vivans , dont ils faifoient leurs. Dieux.

C o m m e ils gardoient leurs Dieux vivans de crainte qu'ils nt fe fauvaffent.

Methode du D é m o n pour t r o m p e r ces

174 HISTOIRE faifoient a u x hommes. Auffi-toft après ils prenoienr toute cette chaffe fur leurs efpaules, & s'en retournoient avec leur Idole dans le mefme ordre qu'ils eftoient venus, & entroient dans la ville en grande réjoiiinance, toujours jouant de leurs inftrumens jufquesà l'entrée du T e m p l e , où ils pofoient l'Idole en grande révérence ; & de ces chairs, ils en faifoient des feftins à tout le peuple ; & cependant qu'ils mangeoient l'on commençoit les jeux & les danfes. Ils avoient encore plufieurs Dieux & Deeffes, mais les principaux eftoient ceux dont nous venons de faire mention. Ils faifoient auffi des Dieux d'hommes vivans. Ils: prenoient un captif,& avant que de le facrifier à leurs Idoles, ils impofoient le nom de la mefme Idole à celuy qu'ils dévoient facrifier , ils le veftoient du mefme ornement, & tant que cette reprefentation duroit, qui eftoit un an en de certaines feftes, en d'autres fix mois, & en d'autres moins , ils le veneroient comme l'Idole ; mefme ; il mangeoit , il beuvoit, & fe réjoüiffoit, & lors qu'il alloit par les rues, le peuple fortoit au devant de luy pour l'adorer, & luy faire des prefens, & appelloient les enfans & les malades, afin qu'il les guerift, & les benift, & ils luy laiffoient faire tout ce que bon luy fembloit, excepté la fuite, car il avoit toujours dix ou douze hommes qui l'accompagnoient, & plufieurs Seigneurs auffi. Par où. il paffoit, il joüoit d'un petit chirlet, afin que les gens fortiffent pour l'adorer. Il avoit la plus belle chambre du T e m p l e , o ù tous les gens de condition l'alloient fervir, & luy faire la révérence ; on luy portoit les mefmes fervices que l'on faifoit auz Grands, Ils le mettoient la nuit dans une cage forte, de crainte qu'il ne fe fauvaft, & fi par hafard il fe fauvoit,il faloit que l'un des douze qui le gardoient entraft en fa place ; enfin lors qu'il eftoit bien gras, ils le facririoient & mangeoient. Comme le Démon poffedoit ainfi ces pauvres Idolâtres , il faifoit auffi ce qu'il pouvoit pour imiter Dieu, leur perfuadant d'avoir des Preftres, &; des façons de


DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.

II

175

Sacremens, des gens dédiez pour garder le célibat & mille inventions de faux Prophètes. Ils avoient auffi de fuperbes Temples, des Oratoires, & des Sanctuaires particuliers , comme le Cu de M e x i q u e , qui eftoit le fameux Temple de Vitzlipuztli, qui eftoit un fomptueux ouvrage, & grand ; & lors que c'eftoit la fefte des danfes, il s'y affembloit plus de dix mille perfonnes, particulièrement dans la court qui eftoit devant les chambres. Il y avoit devant l'Autel une pierre en form e de pyramide, verde & en pointe, de la hauteur de cinq palmes, où. ils mettoient les hommes pour eftre facrifiez, parce que l'ayant couché fur le dos, ils luy ouvraient l'eftomac avec un rafoir de caillou, & luy tiraient facilement le cœur. Il y avoit encore dans Mexique huit ou neuf Temples baftis l'un contre l'autre dans un grand circuit avec chacun leurs degrez particuliers, & des chambres dans leurs courts avec des dortoirs, & des portes tournées au P o n a n t , d'autres au Levant 6c au Sud, & d'autres au N o r t , bafties avec un bel ordre d'architecture , & ornées de tours, & de créneaux & de corniches de diverfes façons, avec des peintures , & diverfes figures de pierre ; ils eftoient fortifiez de bons boulevarts. Ils eftoient dédiez à divers Dieux ; après celuy de Vitzlipuztli : Le fécond eftoit celuy du Dieu de la Pénitence & des chaftimens, qui avoit quatre-vingts degrez pour arriver au h a u t , tous bien travaillez. Au deffus de l'efcalier ,il y avoit une table de cent vingt pieds de l a r g e , & tout contre une fale tapiffée, toujours couverte d'un voile, où il n'entrait que les Preftres. T o u t le T e m p l e eftoit gravé de diverfes figures , fort artiftement travaillées , ces deux Temples eftoient comme des H e r m i t a g e s , & des Chapelles ; mais tellement grands qu'il y avoit dedans , des Collèges, des Efcoles, & des maifons facerdotales. Le Démon voulant imiter l'ufage de l'Eglife de Dieu, il fit ordonner dans les Temples les ordres de grands Preftres, & de moindres, & de fuprefines. Les M e x i -

1521 pauvres Idolâtres,

manière

Leur de facrifier les hommes.

D e l'ordre à s. lears Temples,

Des ordres de leurs Preftres,


15 2 1 .

De l'eflection des Preftres.

D u fer vice du Temple.

D e la retraite q u i fe faifoit dans le Temple.

176 HISTOIRE quains appelloient les fuprefmes Preftres en leur ancien langage du nom de Papas ; Les Preftres de Vitzliputzli fuccedoient par lignées de certains quartiers, deftinez pour cela Ceux des autres quartiers ou Temples y eftoient appeliez par eflection, ou par un vœu dés leur jeunefte , pour fervir au culte. Leur exercice ordinaire eftoit d'encenfer les Idoles, ce qu'ils faifoient quatre fois le jour ; la première, à la pointe du jour ; la féconde, à midy ; la troifiéme, à Soleil couchant ; & la quatrième, à minuit. Or à ces heures, toures les Dignitez fe levoient ; & au lieu de cloches, ils joüoient de la trompette & des cornets-à-bouquin, & fonnoient un fon lugubre ; Auffi-toft après fortoit le Semainier veftu d'une robbe blanche en façon de Tunique avec fon encenfoir en la main, qui prenoit du feu du grand brafier qui brûloit perpétuellement d e vant l'Autel ; & de l'autre main il tenoit une bourfe où eftoit l'encens ; puis il encenfoit en grande révérence le devant de l'Autel ; en fuite il prenoit un linge & en frotoit l'Autel & les courtines. Cette cérémonie eftant achevée, ils alloient tous enfemble en un lieu où ils faifoient quelque efpece de pénitence fort rud e , en fe meurtriffant & fe tirant du fang. Mais fur tout, cet Office de la nuit ne manquoit jamais. Ils prefchoient les peuples en de certaines feftes. Ils avoient des rentes, outre qu'on leur faifoit de grandes offrandes. Dedans l'enceinte du Temple principal de Mexique, il y avoit deux maifons de retraite folitaire l'une de jeunes hommes, & l'autre de jeunes filles de 12. ou 13. ans, qu'ils appelloient filles de la Pénitence , & il y en avoit autant que de jeunes hommes , & les deux maifons eftoient vis-à-vis l'une de l'autre,& vivoient en claufture comme dans un cloiftre, comme vouez à Dieu. Ils prioient & balioient le Temple, & appreftoient à manger pour l'Idole & pour les Preftres,de ce qu'ils recueilloient d'aumofnes. La viande de l'Idole eftoit de petits bignets faits en façon de mains & de pieds , & d'autres tortillez


DES

I N D E S

O C C I D E N T A L E S ,

LIV. I I .

177

tortillez en faconde tourteau fait avec du miel, avec 1521 ces fortes de pain, ils en faifoient fricaffer, & les expofoient devant l'Idole ; mais les Preftres les mangeoient. Ils fe tondoient, & puis après ils laiffoient croiftre leurs cheveux jufques à un certain .temps» Ils fe levoient pour dire Matines, & faifoient les mefmes exercices que les Religieux ; & du fang qu'ils fe faifoient fortir ils s'en frottoient les joues, & fe lavoient puis après. Ils avoient des Abeffes qu'ils occupoient à faire de la toille pour le fervice du Temple. Elles eftoient veftuës tout de blanc fans aucune façon; Elles vivoient chaftemeut & dans l'honneur, & fi elles manquoient en quelque façon, elles eftoient punies de mort fans remède comme violatrices de la maifon de Dieu. Si quelque fouris ou rat rongeoit quelque choie du T e m p l e , ils difoient que c'eftoit un fignede quelque délit commis ; & ils faifoient auffi-toft une perIls g a r d o i e n t la quifîtion,& ayant trouvé le délinquant ils le faifoient chafteté,& châauffi toft mourir, quelque grand qu'il fuft. O n ne r e - tioient l'inconcevoir point de ces jeunes filles qu'elles ne fuffent de t i n e n t l'un des fix quartiers. Leur clofture duroit un a n , au bout duquel elles fortoient pour fe marier.

C H A P I T R E

XV L

Continuation de la Religion que tenoient les

Mexiquains.

D

ANs le Monaftere des hommes qui eftoit tout devant celuy des jeunes filles, il y avoit des jeunes hommes de l'âge de dix-huit à vingt-ans, qui portoient le nom de Religieux. Ils portoient à la tefte des couronnes c o m m e les Moynes, & ne laiffoient croiftre les cheveux que jufques à la moitié de l'oreille , mais plus longs fur la nuque du c o l , & ils alloient jufques fur les efpaules , & les lioyent en façon de treffe Ils vivoient en pauvreté , chafteté & obédience. Ils ferVoient les Preftres pour ce qui concernoit le culte. Ils

Y

Monafteres d e jeunes h o m m e s & de jeunes femmes.


1521.

Les Religieux vivaient en pauvreté.

Autre forte de Pénitence qu'ils faifoient.

178 HISTOIRE balioient les lieux facrez , ils alloient quérir du bois pour le brafier, qui brûloit continuellement comme une lampe devant l'Autel de l'Idole. Il y avoit quantité d'autres petits Moynes, qui avoient des Supérieurs ; ils vivoient fi fagement & avec tant de retenuë, que lors qu'ils entroient en quelques lieux où il y euft des femmes, ils avoient toujours les yeux baiffez vers la terre. Lors qu'ils fortoient pour aller en ville, ils alloient quatre à quatre , ou fix à fix pour demander l'aumofhe, ils eftoient fort mortifiez ; & fi on ne leur donnoit rien, il leur eftoit permis d'entrer dans les femailles & de prendre ce qu'ils avoient befoin pour leur nourriture, parce qu'ils avoient fait voeu de pauvreté, & de ne vivre que d'aumofne. Ils n'eftoient pas plus de cinquante ; Ils faifoient continuellement pénitenc e , & fe levoient ordinairement , & fonnoient de la trompette & des cornets-à-bouquin pour éveiller le peuple ; veilloient autour de l'Idole dans leurs quartiers, de crainte que les foyers ne s'éteigniffent ; Et lors qu'ils avoient achevé d'encenfer , ils entroient dans un lieu particulier qui leur eftoit deftiné, où ils fe tiroient du fang des molets des bras avec des pointes aiguës de caillou, & fe frottoient de ce fang les temples jufques au bas des oreilles, & fe lavoient auffi-toft dans une tinette. Les petits Moynes ne s'oignoient pas la tefte ny le corps de bitume, comme les Preftres. Leurs veftemens eftoit un cilice blanc & fort afprei & ils faifoient cette, pénitence un an durant, Apres qu'ils avoient achevé d'encenfer, les Pontifes & les Preftres du Temple alloient tous enfemble dans un lieu où il y avoit plufieurs fieges ; & là avec des pointes de Maguey, ou quelque autre efpece de lancette , ils fe tiroient depuis l'os de la jambe jufques au molet quantité de fang , dont ils fe frottoient les temples, puis ils barboüilloient du mefme fang les lancettes, & les fichoient droites entre les créneaux de la court dans des boules de paille, afin que le peuple les vift, & qu'ils fceuflent la Pénitence qu'ils faifoient.


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I I . 179 Le lieu où. ils fe baignoient s'appelloit Ezapan qui 15 2 1, veut dire eau de fang ; pas une lancette ne fervoit deux fois, c'eft pourquoy il y en avoit quantité. Ils jeufnoient cinq ou dix jours devant quelques Feftes, qui pouvoient eftre comme les Quatre-temps, & plufieurs d'entr'eux pour ne point entrer dans des foibleffes, le fendoient le membre viril par le milieu, & autres chofes pour fe rendre impotents. Ils ne beuvoient point Ils faifoient de g r a n d s jeufnes. de vin, ils dormoient p e u , parce que la plufpart de leurs exercices fe faifoient de n u i t , de fe mattoient fort par de grands jeufnes pour eftre reputez plus continents. Ils obfervoient la difcipline, de fe frapoient avec des cordes pleines de nœuds. T o u t le peuple fe Le peuple fe difciplinoit auffi en faifant la Proceffion de la fefte qui difciplinoit en Proceffion. fe faifoit à l'Idole-Dieu de la Pénitence, de toutes leurs difciplines eftoient faites de fil de Maguay, toutes * H e r b e appelneuves, longues d'une braffe, avec des nœuds au bout, lée ArretteBœuf. de fe donnoient de grands coups fur les efpaules. Les Preftres jeufnoient pour cette fefte cinq jours continuels , ne mangeant qu'une feule fois le j o u r , efloignez de la converfation de leurs femmes, car ils ne fortoient point du Temple pendant ces cinq jours, fe difciplinant fortement avec ces fortes de difciplines. Pour ce qui eft du facrifice des hommes, les Mexiquains en emportaient le prix fur toutes les Nations du Monde ; de pour ce fujet ils tafchoient toujours de captiver les Ennemis en vie ; Et c'eft pour cette raifon auffi que Montezume dit une fois à Cortés ; qu'encore qu'il luy fût fort facile de conquefter la Province de Tlafcala qui eft fi proche de M e x i q u e , qu'il ne l'avoit pas voulu faire, afin d'avoir toûiours fuiet de prendre des hommes en guerre pour facrifier, comme il a efté défia dit cy-devant. Leur façon de facrifier eftoit, qu'ils faifoient une longue file de captifs, de quantité de gens pour les garder qui les entouroient de tous coftez ; puis il fortoit un Preftre avec une aube b l a n c h e , au bas de laquelle tout autour il y avoit quantité de flocons. Il C o m m e le facrifice des hondefcendoit du Temple avec une Idole faite de farine nies fe faifoit.

Y ij


180

1521.

H I S T O I R É

de bled & de mayz, peftrie avec du miel ; elle avoir les yeux verds, qui eftoient certains grains que l'on y mettoit , fes dents eftoient de grains de mayz. Ce Preffre defcendoit les degrez du Temple avec beaucoup de précipitation ; puis il montoit fur une grande pierre qui efloit comme attachée à une plate-forme haut eflevée, au milieu de la cour. Cette pierre s'appelloit Quantixicali, qui veut dire la pierre de l'Aigle ; & paffant fur la pierre par un petit efcalier , tenant toufiours l'Idole entre fes bras, il alloit ou eftoient ceux qui dévoient eftre facrifiez, & leur alloit montrant l'un après l'autre l'Idole, en leur difant : C'eft icy voftre Dieu s & ayant achevé, il defcendoit par l'autre cofté de fefcalier, & alloit en Proceffion avec ceux qui dévoient eftre facrifiez iufques au lieu ou ils dévoient mourir ; où les. attendoient les Miniftres qui les dévoient facrifier ; ils efloient fix, qui efloient conflituez dans cette Dignité, à fçavoir quatre pour tenir les pieds & les mains de ceux que l'on facrifioitj le cinquième pour la gorge,& le fixiéme pour ouvrir le corps, & tirer le cœur de la-Victime.- Or cette dignité, de Sacrificateur eftoit fuprefme, & tenue en grande eftime ; l'Office efloit héréditaire, & fe donnoit au premier né des enfans légitimes de ceux qui la poffedoient. Celuy qui ouuroit le fein du Patient efloit tenu & refpecté comme le Grand Preftre ; fon nom de dignité eftoit Papa, & Topilzin. Sa robbe eftoit une courtine rouge qui luy fervoit comme de T u n i q u e , avec des flocons tout autour du bas. Il avoit une couronne de plumes verdes & iaunes, avec des anneaux d'or aux oreilles qui avoient des pierres verdes enchaffees, & à la lèvre d'enbas tout proche le milieu de la b a r b e , un petit tuyau d'une certaine pierre de couleur de bleu celefte. Il s'oignoit la face de noir. Les autres cinq portoient leur chevelure fort crefpuë, & renverfée avec des bandes de cuir qui leur ceignoit la tefte par le milieu ; Ils avoient des façons de boucliers de papier au front fort petits, peints de différentes


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. II. 181 couleurs, de portoient des Tuniques blanches,ouvra1521 gées de noir. Le fuprefme Preftre porcoit en la main un couteau de caillou fort a i g u , & large. Vn autre Preftre portoit un colier de bois façonné en forme de couleuvre. Ils faifoient monter ceux qui dévoient eftre facrifiez l'un après l'autre le long de l'efcalier tout nuds, & en le couchant fur la pierre ils luy mettoient le colier à la gorge, de les quatre Préfixes luy La C é r é m o n i e qu'ils faifoient prenoient les mains & les pieds, puis le Souverain Prê- en arrachant le tre luy ouvrait le fein, de en arrachoit le cœur avec cœur des victiles mains, de tout palpitant il le montrait au Soleil , mes. auquel il offrait cette chaleur de vapeur qu'il exhaloit ; Puis il fe retournoit vers l'Idole, de le luy jettoit à la face ,& auffi-toft après d'un coup de pied ils jettoient le corps du haut enbas de l'efcalier; qui n'arreftoit guère à y eftre, parce que les degrez eftoient fort droits quoy que l'on y montait, Ainfi ils les alloient facrifiant les uns après les autres. Apres que les facrifices eftoient achevez, les Maiftres des Captifs qui les avoient pris enlevoient les corps, de les partageoient entre e u x , de les mangeoient, célébrant par ce feftin la folemnite de la Fefte. Toutes les Nations circon- Ce qu'ils faifoient des c o r p s voi fines de cette terre faifoient la mefme choie à facrifiez. l'imitation des Mexiquains. Ils faifoient encore d'autres facrifices d'hommes, mais celuy-cy eftoit le plus ordinaire ; Et ils en facrifioient une fi grande quantité par le moyen de cette abomination diabolique, qu'il y a eu telle Fefte , qu'il en eftoit facrifié plus de cinq mille, & il s'eft vu certains jours qu'en plufieurs endroits l'on avoit facrifié plus de vingt-mille hommes. Lors qu'il prenoit fantaifie aux Preftres, ils alloient trouver les Roys , de leur difoient que les Idoles mouroient de fam , & qu'il fe reffouvint d'eux ; de auffitoft après les Roys fe mandoient les uns aux autres que les Dieux demandoient à manger, de qu'ils preparaffent leurs gens pour prendre jour pour venir à la guerre. Ainfi après qu'ils les avoient difpofez à cela ils fortoient à la Campagne pour combattre, & tout leur Y iij


1521.

Les Indiens fe h i r o i e n t de ces facrifices.

Pieufe refolut i o n des Caftillans.

182 HISTOIRE plus grand foin eftoit de fe prendre les uns les autres pour facrifier, pluftoft que fe tuer, parce que leur principal but eftoit de prendre des hommes vivans pour donner à manger à leurs Idoles. O r ils ne couronnoient aucuns Koys, s'ils ne gagnoient quelque bataille pour avoir des gens pour facrifier, & qu'il leur en fialoit par quelque voye que ce fuft ; cela eftoit caufe qu'il s'y répandoit beaucoup de fang humain en ces rencontres. Et quoy qu'une infinité de ces barbares fuflent las de cette beftialité de facrifier ainfi les hommes, ils n'en ofoient néanmoins parler, par la crainte qu'ils avoient de defobeïr aux Preftres ; mais nonobftant tout cela, ils ne laiffoient pas de fouhaiter de fe voir délivrez de cette cruelle fujetion, ce qui fut l'une des principales caufes d'y admettre la loy de Dieu, leur femblant qu'elle eftoit bonne, fainte & véritable , & qu'elle condamnoit toutes ces cruautez ; & qu'il fe trouvoit que leurs Preftres les dégouftoit tellement, qu'ils avoient refolu lors que les Caftillans y arrivèrent, de prendre une autre Loy ; mais fur tout cette inhumanité eftoit en grande horreur aux Caftillans. Et c'eft une chofe très certaine que ces Caftillans, qui pacifièrent la nouvelle Efpagne, propoferent entre eux de mourir pluftoft en rendant ce fervice à D i e u , que de fouffrir une abomination fi barbare 5 Et plus encore à caufe des Caftillans qu'ils avoient facrifiez, dont ils furent extrémement irritez , & de voir arracher le cœur d'un brave jeune homme Indien, qui en tournoyant & tombant dans l'efcalier, dit en fa langue ; Meffieurs , ils m'ont tuè, ce qui caufa une grande compaffion aux Caftillans,


DES INDES OCCIDENTALES, L i v . I I .

183 1521,

C H A P I T R E

XVII.

Continuation de la mefme matière.

L

A principale fefte des Mexiquains eftoit celle qu'ils Célébration d e de l'Idofaifoient à l'honneur de leur Dieu Vitzilipuztli qui lela defefte Vitzilipuz. écheoit au mois de May. Les jeunes filles reclufes dans tli. le Temple,deux jours avant la fefte petrifioient de la farine de bled & de mayz rofty avec du miel , & de cette pafte elles en faifoient une Idole fort grande , avec des yeux de grains verds , blancs, & bleus, & des dents de grains de mayz. Tous les Seigneurs y abordoient, & veftoient l'Idole félon fa qualité & grandeur, & l'ayant affife dans une chaire bleue , ils la pofoient fur un brancard pour la porter fur leurs épaules. Le jour de la fefte avant que le jour paruft , ces jeunes filles fortoient bien parées de veftemens blancs tout neufs, couronnées de mayz rofty, avec des cordons enfilez, auffi de mayz par deffous le bras gauche, & les bras emplumez depuis les coudes jufques au poignet, de plumes de perroquet, rouges, & les joues vermillonées. O r ce jour-là elles eftoient appellées fœurs du Dieu Vitzilipuztli ; & elles prenoient le brancard avec l'idole, & la fortoient en la court,où les jeunes hommes auffi reclus,fort bravesjcouronnez de la mefme façon des précédentes, prenoient avec grande révérence le brancard & le portoient au pied des degrez du Temple , où tout le peuple faifoit de grandes humiliations , & prenant de la terre de deffous leurs pieds ils la mettoient fur leurs telles, qui eftoit leur cérémonie dans les principales feftes, & auffi-toft apres le peuple commençoit la Proceffion en hafte à la montagne de Chepultepec à une lieuë de Mexique : là ils Des procédions y faifoient une ftation & un facrifice , & dans la mefme qu'ils faifoient. précipitation ils alloient à un lieu appelle Atlacuyabaya, proche de la féconde ftation, & paffoient une lieuë au delà à Cuyoacan, d'où ils s'en revenoient à Mexique fans


H I ST O I R E s'arrefter nulle part, Ce chemin de quatre lieues fe faifoit en quatre heures, & ils appelloient cette proceffion Ypayna Vitzilipuztli, qui veut dire , Le précipité chemin de Vitzilipuztli. Puis ils reportoient le brancard au pied des degrés où ils 1 avoient pris, & l'enle voient avec des cordes en grande cérémonie & révérence au haut du T e m p l e , avec un grand bruit de tambours, de trompettes , de cornets à bouquin & de flutes, parce que les degrez eftoient fi hauts & fi eftroits qu'il eftoit impoffible d'y monter l'Idole furies épaules, pendant lequel temps le peuple faifoit de grandes humiliations, Eftant arrivée au h a u t , & pofée dans une cadette de fleurs, les jeunes hommes reclus en répandoienr quantité dedans le Temple , & les jeunes filles apportaient des morceaux de la pafte dont elles avoient fait l'Idole, accommodées en forme d'os, & les mettoient à fes pieds, & appelloient cette pafte, chair de vitzilipuztli. Incontinent après fortoient les Sacrificateurs du T e m p l e , chacun félon leur ancienneté en bon ordre les uns après les autres,chacun veftu félon le perfonnage qu'il reprefentoit,ayant tous des guirlandes & des braffelets de fleurs,. Apres eux fuivoient les Dieux & les Deeffes qu'ils adoroient endiverfes figures, ornez des mefmes livrées, & fe mettoient autour de ces morceaux de pafte faits en façon d'os, faifant de certaines cérémonies de chants & de danfes, au moyen dequoy cette pafte eftoit réputée eftre de la chair de ce Dieu. La Bénédiction eftant achevée , les Sacrificateurs fortoient, & tous alloient à la boucherie des hommes facrifiez ; fi bien que comme c'eftoit une fefte folemnelie,on facrifioit beaucoup plus d'hommes qu'en d'autres temps de l'année. Apres ceux-cy , fuivoient les jeunes hommes & les jeunes filles reclus dans le Temple , & fe mettant les uns devant les autres danfoient & chantoient au fon d'un tambour à l'honneur de la folemnité & de l'Idole ; & tous les Seigneurs & gens de condition répondoient aux chanfons, danfant au milieu des reclus, faifant comme le chœur, les reclus s'entretenant toufiours des mains en danfants & pour voir cette 184

1521.


DIS

INDES

OCCIDENTALES,Liv.II

187

cette action le peuple de la ville y accouroit de tons co1521, tiez. La fefte eftant achevée, les Preftres prenoient l'Idole , & les morceaux, & les coupoient en pièces pour les donner en façon de Communion à tout le peuple, Ils diftribueiert le pain beny eu grands & petits, hommes & femmes, qui les recevoient façon de c o m avec beaucoup de dévotion, de crainte, & de larmes, m u n i o n . difant qu'ils mangeoient la chair de leur Dieu. Ils en portoient mefme aux malades; de ils tenoient que c'efloit un tres-grand péché, de manger, de boire de l'eau, ou quelque autre chofe que ce fuit jufques après midy. Ils cachoient mefme l'eau aux enfans, de advertiffoient toute forte de perfonnes de fe garder de l'ire de Dieu. Cette forte de Communion eftant achevée 3 un ancien de grande authorité montoit en haut de préchoit félon leur loy, & de l'obiervation des cérémonies. LesPreftres des Idoles s'oignoient depuis les pieds jufques à la tefte de les cheveux mefmes avec une certaine onction fort claire de liquide, laquelle leur faifoit dreifer les cheveux comme des crins de cheval, & leur croiftoient jufques aux jambes, ce qui les incommodoit f o r t , parce qu'ils ne les coupoient point jufques à la mort,ou jufques à ce qu'eftant vieux ils eftoient exempts de tout travail ; de alors on leur donnoit d'autres offices honorables dans la République. Ils treffoient leurs cheveux avec des bandes de cotton larges de fix doigts. La fumée dont ils encenfoient eftoit de raifine,à caufe dequoy ils eftoient noirs ôc barbouillez ; & lors qu'ils alloient pour encenfer ou pour facrifier aux Idoles qu'ils tenoient dans des caves, dans des bois touffus, ou fur le faifte des Montagnes, ils s'oignoient avec une autre forte d'onction faite de beftes venimeufes,bruilées avec du tabac, & de la fuye de cheminée peftris enfemble, & devenoient forciers, & parloient avec le Démon ; fi Les Preftres deforbien que par ce moyen-là ils perdoient toute forte de venoient ciers , & concrainte , de telle forte qu'eftant ainfi oints avec l'on- m u n i q u o i e n t ction qu'ils appelloient de Dieu,ils alloient de nuit dans avec le Diable. les bois & dans les lieux les plus dangereux,fe confiant que les T i g r e s , les Lyons & les Ours ne les pouvoient z


188 HISTOIRE offenfer. Ils fe fcrvoient auffi de cette forte de bitume 1521. pour penfer les enfans & les malades ; & difoient que c'eftoit une médecine divine , & affirmoient qu'elle leur fervoit d'un grand allégement, ce qui pouvoit provenir du tabac & des chofes venimeufes,qui appaifent la doul e u r , ils s'imaginoient que c'eftoit un effet de fanté ; & comme les Preftres avoient beaucoup d'authorité furie peuple, ils leur faifoient à croire mille fortes de fuperftitions. Les cérémonies Aux enfans nouvellement n e z , ils leur incifoient les qu'ils faifoient oreilles 6c le membre viril, en leur tirant un peu de fang, aux enfans, & cette cérémonie fe faifoit fur tout aux enfans des Rois ou de grands Seigneurs.En naiffant les Preftres les lavoient, & leur mettoient une petite épee en la main droite & un petit bouclier en la gauche, aux enfans du commun ils leur mettoient des outils de leur vacation, & aux filles des inftrumens pour filer, pour tiflre, & autres femblabies ouvrages, & cela en prefence de quelque Dieu. Ils fe marioient par les mains de leurs PreD e l'ordre qu'ils obferftres ; les prétendus mariez fe prefentoient devant le voient en leurs Preftre, qui les prenoit par les m a i n s , & leur demanmariages. doit s'ils defiroient eftre mariez , & en difant cette parole, oüy, il prenoit le bord de la cafaque du marié, & le bout de la coiffe que la mariée portoit fur fa tefte,& les lioient enfemble , & eftant ainfi comme attachez l'un à l'autre ils alloient à la maifon de la mariée & tournoyoient fept fois autour d'un fourneau , & auffi-toft après le mariage eftoit accomply. Les Mexiquains efI l s eftimoient toient fort jaloux de la virginité de leurs nouvelles mala virginité des riées, & fetenoient fort fcandalifez du contraire; & ils nouvelles m a honoraient fort celles qu'ils reconnoiffoient n'avoir lices. point efte eflorées, & luy donnoient quantité de jolivet e z , & à leurs pères. Ils faifoient des banquets & des feftes, & mettoient par ordre ce que la nouvelle mariée apportoit avec fon mary ; afin que s'ils fuffent venus à fe démarier, ainfi qu'ils en ufoient fouvent , l'on fift partage des biens ; le mary retenoit les filles, odes femDe leurs divormes les garçons avec la faculté de fe pouvoir marier à ces.


DES INDES O C C I D E N T A L E S ) Liv.II 189 d'autres : mais s'eftant une fois feparez, ils ne pouvoient 1521. plus fe rejoindre fur peine de la vie. D e quatre en quatre ans ils faifoient une fefte qui commençoit le dixième de May & finiffoit le dix-neufiéme. Il y avoit un Preftre qui fortoit jouant d'une flufte en fe tournant vers les quatre parties du m o n d e;puis ils'inçlinoit devant l'Idole, & prenoit de la terre & la mangeoit ; le peuple faifoit la mefme chofe avec de grands gemiffemens;demandant pardon de leurs péchez, priant qu'ils ne fuftent pas découverts. Les foldats prioientque leurs Idoles leur donnaient la victoire contre leurs Ennemis, & des forces pour en prendre beaucoup pour facrifier, & faire honneur à leurs Dieux ; & cette oraifon fe faifoit chaque jour avec des foupirs & des larmes. Et le dernier jour des d i x , qui eftoit le propre D e la célébration de ia fefte jour de la fefte de l'Idole, Dieu de la Pénitence, ils de l'Idole, Dieu s'affembloient tous dans la court du Temple pour célé- de la p é n i t e n c e . brer la fefte de Toxcoatel , qui veut d i r e , chofe feche, qui luy eftoit adreftee pour demander de l'eau ; & les Preftres portoient l'Idole fur un brancard, que quatre hommes portoient fur leurs épaules en Procefïïon tout autour de la court,en luy prefentant inceffamment de l'encens ; & le peuple s'alloit difciplinant avec ces cordes de Maguey. En fuitte dequoy l'on remettoit l'Idole en fon l i e u & l'on femoit par tout le Temple des Fleurs. L'Idole demeuroit cette journée-là découverte , & fa chambre auffi, fans que l'on y mift le voile dont elle eftoit couverte ordinairement ; & le peuple tout d'un temps luy offroit des foyes, des joyaux, des pierreries, des cailles, des fruits, & autres chofes femblables ; en fuite dequoy le peuple s'en va difner, ny reftant que les femmes qui avoient fait vœu de fervir l'Idole cette journée-là ; & les jeunes filles & les autres deftinez pour le fervice du Temple faifoient d'autres cérémonies. Le peuple eftant revenu de difner l'on faifoit fortir le captif qui avoit reprefenté l'idole un an , & le facrifioient. & lorsqu'il expiroit, les jeunes hommes & les jeunes filles deftinées pour le fervice du Temple chantoient & }

Z ij


1521

D e la fefte qu'ils faifoient de l'idole des Marchands.

De quelle façon Ils m a n g e o i e n t la chair humai

ns.

190 HISTOIRE danfoient enfemble comme nous avons dit cy-devant, tous les principaux de la ville beuvant & mangeant, Apres qu'ils s'eftoient laffez dans cet exercice , ils portoient de grands plats de collation à l'Idole, & les laiffoient-là ; puis les jeunes hommes du Temple courant pour s'en faifir, les quatre premiers qui arrivoient eftoient eftimez comme hommes adroits & habiles. Toutes ces cérémonies eftant achevées avec beaucoup de réjoùiffance & de contentement, les filles & les garçons du Temple fe retiroient en leurs maifons , après avoir achevé leur année ; mais les enfans des Efcoles & des C o leges crioient après eux , en leur jettant des pelotes d'herbe, comme à des gens qui fe retiroient du fervice des Dieux ; & ils pou voient alors fe difpofer pour le mariage. Il y avoit une autre fefte de l'Idole des Marchands, lefquels achetaient un captif quarante jours avant la fefte, homme de bonne taille , & fain Ils le veftoient des habits de l'Idole Quetzlalco, & le purifioient pendant ces quarante jours, en le lavant deux fois dans le lac des Dieux. Ils le traitoient fort bien, & luy faifoient beaucoup d'honneur ; ils l'enfermoient de nuit dans une cage , de crainte qu'il n e fe fauvaft, & le menoient par la ville de jour, chantant & danfant,6cle prefentoient à l'Idole. Neuf jours avant le facrifier il venoit deux Preftres, qui luy difoient que dans neuf jours les danfes finir oient ; & il leur devoit répondre , à la bonne heure;&ils appelloient cela, la préparation , ou advertiffiment , & s'il s'attriftoit , ils prenoient cela pour un mauvais augure, & faifoient des fortileges pour faire en forte qu'il euft le facrifice pour agréable, par le moyen defquels ils difoient que cela luy oftoit la trifteife. Apres qu'ils l'avoient facrifié, & offert fon cœur à la Lune à l'heure de my-nuit ils l'emportoient en la maifon du principal Marchand , ou. ils le rotiffoient, & l'accommodoient de différents mets, & danfoient en attendant que la viande s'appreftoit. Puis comme le jour commençoit à paraiftre après avoir falüé l'ldole , les Marchands banquetoient.


DES INDES OCCIDENTALES,Liv.II 191 & s'en alloient puis après au Temple , & faifoient d'agreables entremets, des danfes, & de grandes rejoüiflances ; ils paroiffoient vertus de leurs habits puis déguifez de diverfes façons d'oifeaux , de papillons, de grenouilles , de mouches guefpes , & autres infectes ; puis comme des boiteux , des manchots, & des eftropiez, recitant leurs difgraces facetieufement , en forte qu'ils appreftoient à rire, & la fefte achevoit avec les danfes.

CHAPITRE

1521.

XVIII.

JE in des chofes qui touchent la Religion. Des Loix , des Çouftume;, & Police des Mexiquains

L

Es funérailles de ces Indiens Mexiquains eftoient fort fomptueux , & pleins de grandes extravagances ; les Préfixes eftoient obligez d'enterrer les morts, & faire leurs obfeques ; ils enterroient les uns dans leurs héritages, ou dans les courts de leurs maifons; Ils en portoient d'autres dans les Montagnes , où. ils les facrifioient ; Ils en brufloient d'autres, & enterroient leurs cendres dans les Temples ; & les enterroient tous avec tous leurs veftemens & leurs joyaux. Ils chantoient les Offices des morts comme des Refpons , & dreffoient plufieurs fois les corps des defFunts, en faifant plufieurs cérémonies. Ils beuvoient & mangeoient eftant de retour au logis du deffunt ; & fi c'eftoit une perfonne de qualité , les héritiers habilloient ceux qui avoient affilié à l'enterrement. Lors qu'il en mouroit quelqu'un, ils le mettoient contre t e r r e , affis félon leur mode, enveloppé de fes veftemens ; & eftant en cette pofture les parens & amis le venoient faluër & luy faifoient des prefens. Si c'eftoit un Roy , ou Seigneur, ils luy ofFroient des Efclaves pour eftre facrifîez, afin de l'accompagner à. l'autre monde. Tous les Seigneurs avoient un Preftre , ou Chapelain, qui leur adminiftroient les cérémonies de leur Loy , & ils les tuoient auffi afin qu'ils les adZ iij

Des enterres m e n s de leurs morts.


1521, Les perfonnes q u e l'on enterr o i t avec les Seigneurs.

l e Preftre qui faifoit l'office des morts fe veftoit de l'habit de l'Idole.

D e la divifion des années , des Mexiquains.

192 HISTOIRE miniftraffent dans leur voyage. Le maiftre d'hoftel auffi, le porte-gobelet , le n a i n , le boffu , & les frères qui l'avoient fervy, parce que pour marque de leur grandeur ils fe fervoient de toutes ces fortes de gens , paffoient le pas comme les autres ; & croyoient qu'ils alloient leur préparer leur maifon en l'autre monde ; & pour cet effet ils faifoient enterrer toutes leurs richeffès avec eux. Les obfeques duroient dix jours, pendant lequel temps, ils pleuraient & chantoient. Si c'eifoient quelques Capitaines ou grands Seigneurs, on leur portoit des Enfeignes 6c des trophées d'armes en proceffion devant le corps jufques aux lieux ou ils dévoient eftre enterrez, ou brûliez. Les Pontifes & les Preftres du T e m p l e , les uns encenfoient, les autres chantoient ; & d'autres joüoient de la flufte , & des tambours fur un ton trifte & lug u b r e , ce qui augmentoit de beaucoup les pleurs Scies lamentations des vaffaux & des parens. Le Preftre qui faifoit l'Office, fe veftoit des habits de l'ldolc,que le mort avoit reprefenté, parce que tous les Seigneurs reprefentoient les Idoles, & c'eft ce qui les faifoit tant eftimer. Cependant que l'on brufloit le corps , le Preftre fortoit avec aftuces du Diable,& remuoit avec un grand bafton,les cendres avec une grande hardiefte , & donnoit de l'épouvante à tous. Ils avoient auffi decouftume dans Mexique, qu'à l'heure qu'entre les Chreftiens on fonne l'Ave Maria , il y avoit des Preftres qui du haut du Temple frappoient fur un tambour fort grand, & qui avoit un fon rauque, qui s'entendoit par toute la ville de M e x i q u e , & à ce fon tout le peuple fe ramaffoit , & ils faifoient la mefme chofe à l'aube du jour. Apres avoir déclaré tout ce qui concerne la Religion des Mexiquains, il ne fera pas hors de propos de parler de leurs Loix,Couftumes & police. Nous parlerons donc premièrement de l'ordre des temps, qui fait bien paroiftre que ces gens-là ne manquoient d'efprit. Ils divifoient l'année en dix-huit mois, & donnoient vingt jours à chaque mois, & faifoient ainfi les années de trois cens foixante jours, & les cinq reftans ils ne les appliquoient


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. II. 193 point à aucuns mois, mais ils les nommoient, communs, 15 2 1 , Se les occupoient à fe vifiter les uns les autres , & les Preftres ceffoient de facrifier ; puis ces cinq jours eftant finis, ils recommençoient le compte de l'année, dont le commencement Se le premier mois eftoit Mars , quoy qu'ils priffent trois jours de Février, parce que le premier jour de leur année eftoit le vingt-troifiéme de Février. Or noftre Calendrier eft défia induftrieufement A quel mois ils commençoient incorporé avec celuy des anciens Indiens, qui eurent la l'année & les connoiffance des Caftillans, d'où l'on reconnoift leur femaines. grande capacité. Chaque mois porte fon nom Se fa véritable marque, & dans leur Calendrier ils y marquoient leurs feftes. Ils contoient les femaines de treize en treize jours, & marquoient chaque jour avec un z é r o , en multiplioient les zéros jufques à treize, & recommançoient auffi-toft à compter. Ils divifoient les années de quatre en quatre fignes, qui eftoient quatre figures, l ' u n e , de maifon, l'autre, de lapin ; la troifiéme,de cann e , la quatrième, de caillou, & par cette invention ils nommoient l'année qui couroit, difant ; à tant de maifons , ou à tant de cailloux, de telle roue il arriva telle chofe ; parce que leur vie qui eftoit comme un fiec l e , contenoit quatre femaines d'années, en comptant treize pour chacune, cela accompliffoit cinquante deux ans. Ils peignoient un Soleil au milieu, Se fortoit de ce Soleil en Croix, quatre bras ou lignes , jufques à la circonférence de la roue , Se retournoient, de forte qu'ils fe divifoient en quatre parties ; & la circonférence & chacune d'elles alloit avec fon bras de la mefme couleur , qui eftoient toutes quatre différentes, de verd, de bleu , de rouge, & de jaune; & chaque partie tenoit fes treize logemens, fous les fignes de maifon , de lapin, de canne, Se de caillou, chacun fignifiant fon année , & l'ayant trouvé, ils mettoient à chacun ce qui eftoit arrivé pendant l'année. O r l'année que les Caftillans entrèrent dans Mexique , ils marquèrent par un figne d'homme, veftu à noftre mode , de rouge, parce que le premier Caftillan que Fernand Cortes envoya à Mexi-


1521.

Les Mexiquains s'imaginoient eftre proche de la fin du M o n de.

Les Mexiquains amateurs d e conferver leur ancienne m é moire.

194 H I S T O I R. E que eftoit veftu de la forte ; Se au bout de cinquante deux ans que la roue avoit fait fon t o u r , ils caffoient autant de Vaiffeaux qu'ils avoient,& efteignoient les lumières ; difant qu'en l'une des roues le monde devoir finir ; & que ce pourroit eftre celle qui fe rencontroit; Se que puis que le monde devoit finir ils ne dévoient point faire cuire de viande ; Se ainfi ils difoient que le lendemain ne viendroit peut- eftre jamais , Se veilloient toute la nuit pour voir fi le jour recommenceroit. D e forte que comme le jour commençoit à paroiftre ils cornmençoient à jouer des tambours, & des haut-bois & uatres inftrumens avec de grandes réjoüiffances, difant que Dieu leur avoit fait une grande grace, de leur avoir prolongé encore cinquante deux ans , & recommançoient une autre roue. Ils tiroient une nouvelle lumière , & l'alloient prendre des mains du fouverain Preftre,& faifoient une grande Proceffion pour action de grâces. Ils achetoient de nouveaux Vaiffeaux pour faire cuire leurs viandes. Iamais ils ne faifoient leur compte par les Lunes, ny ne s'y conformoient pas pour la diftribution des mois ; & pas une de ces Nations Indiennes n'ufa de lettres , ny d'écriture , mais d'images & de figures. Les Nations de la nouvelle Efpagne confervoient la mémoire de leurs antiquitez. Dans Tucatan Se dans Mondures ils avoient de certains Livres de feuilles reliées enfemble, dans lefquels les Indiens tenoient la diftribution des temps, la connoiffance des planettes, des animaux , & autres chofes naturelles. Dans la Province de Mexique ils avoient une Librairie d'Hiftoires, & de Calendriers, par le moyen defquels ils faifoient leurs Remarques.Celles qui avoient des figures,par leurs propres images, & d'autres caractères , & celles qui n'avoient point d'Images propres,par le nombre ; Se ainfi ils faifoient telles remarques qu'ils vouloient. Et pour la mémoire du temps auquel écheoit toute chofe , ils avoient ces roues qui eftoient de chacune un fiecle de cinquante deux ans, & à cofté de ces roues, félon qu'il arrivoit


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. II 199 arrivoit dans une année des choies mémorables ils les peignoient des peintures & caractères cydeffus ; tout ainfi qu'ils mettoient un homme peint avec fon chapeau & une Juppé rouge dans le figne de la Canne qui couroit alors, ainfi qu'ils l'a voient remarqué en l'année que les Caftillans entrèrent dans leur terre, & ainfi des autres cas. O r n'eftans pas leurs figures fi affurées que noftre écriture, ils ne pouvoient pas fi bien accorder, ny fi ponctuellement dans les paroles, mais feulement en la fubftance de leurs conceptions. Mais pour ce qui eftoit des harangues, des difeours, & des chanfons ils les apprenoient par cœur , à force de les effudier fouvent. Et pour ce fujet ils avoient foin fur tout d'enfeigner à leurs enfans dans leur bas âge toutes ces chofes, & avoient des écoles où. les anciens les leur apprenoient , & fe font ainfi maintenus par tradition fort exactement. Mais lorsque les Caftillans commencèrent à régir ces Provinces & Royaumes, & qu'ils apprirent l'art d'écrire à ces peuples , ils écrivoient leurs L o i x , leurs couftumes, leurs harangues, leurs chanfons & toutes les autres chofes , tout ainfi qu'ils le pratiquoient, entr'eux felon leur plus grande antiquité ; & par ces mefmes caractères & figures ils écrivoient auffi le Pater nofter , & l'Ave

Maria

, & toute la doctrine

Chreftienne. Les Mexiquains eftoient fort fidèles & obeïffans à leurs R o i s , & les aimoient beaucoup Ils ne leur firent jamais aucune trahifon, excepté Tizozic leur cinquième Roy qu'ils empoifonnerét pour eftre trop lafche. Au commencement de l'eftabliffement de cette Monarchie, ils eftoient pauvres & chiches, & les Rois eftoient fort modérez en leurs dépences ; mais comme ils vinrent à s'agrandir, ils augmentèrent en grandeur & magnificence ; & lors qu'ils ne pouvoient pas nourrir ou eflever quelque animal, il fe contentoit de poheder fa figure faite d'argent, ou taillée en marbre, en pier-. r e , ou en quelque autre chofe qui leur venoit à la f a n taifie , & qui luy donnoit du gouft. Aa

1521.

Ils s'exerçoient à apprendre par c œ u r leurs hiftoires & c h a n fons.


200

HISTOIRE

1521

C H A P I T R E Continuation des Coutumes des Diftinction des eftats des peuples.

Point d'hondes Mexi-

neur

Mexiquains.

L

Es Nobles tenoient leurs rangs, afin que l'on reconnuft ceux à qui il falloit porter plus d'honneur. Apres le R o y , il y avoit les quatre Electeurs du R o y , qui eftoient appeliez à cette charge par Election, & ils eitoicnt d'ordinaire tous frères, ou proches parens du Roy , & ils les appelloient en leur Langue Princes des Lances a jetter, armes dont ils fe fervoient. En fuite d e ceux- c'y , fuivoit un autre, appelle Dictateur, qui lignifie tailleur ou coupeur d'hommes.

O r d r e de luftice & des rentes du Roy.

XV.

Le troifiéme eftoit ef-

pancheur du fang, qui eft un titre de guerrier. Le quatrième titre eftoit Seigneur de la maifon noire,à caufe de l'oignement dont les Preftres fe barboùilloient tous. Ces quatre Dictateurs, eftoient du Confeil f upreme,fans. le confentement defquels le Roy ne pouvoir, rien faire, qui fuft d'importance ; & pas un Roy ne pouvoit eftre efteu que par ces quatre ordres. Hors de ceux là il y a voit d'autres Confeils,des Audiences,& plufieurs C o n fiitoires, avec leurs Confeillers & luges de C o u r , des Magiftrats & des luges fubalternes, des Lieutenans, & des Sergens, tous dans un bon ordre , qui relevoient des premiers Princes qui affiftoient avec le Roy ; & ces quatre feulement pouvoient donner une Sentence de m o r t , & les autres dévoient donner des Mémoires à ccux-cy de ceux qu'ils jugeoient ; & en de certains temps l'on faifoit fçavoir au Roy tout ce qui fe paffoit dans fon Royaume. L'on tenoit un bon ordre pour l'adminiftration des droits du Roy , parce que l'on envoyoit dans les Provinces des Maiftres des Comptes & des T r e foriers qui recevoient les rentes Royales,qui fe levoient chaque mois à la Cour, qui eftoit le tribut de tout ce qui venoit au monde tant fur la terre que fur la mer. Les Mexiquains tenoient leur principal point d'hon-


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I I . 201 neur en la g u e r r e , dont les Nobles eftoient les princi1521. paux foldats ; & ceux qui n'eftoient pas Nobles le deve- quains à la noient par la milice, en montant dans les charges & di- guerre. gnitez. Ils donnoient de grandes recompenfes aux vailfans , & ils joüiffoient de grands privilèges que pas un tre ne pouvoit pas efperer ; à caufe dequoy plufieurs s'émancipoient de porter les armes. Nous avons déjà parlé cy-devant de leurs armes ordinaires ; ils fe veftoient de peaux de Tygres , de Lyons, & d'autres beftes féroces , & venoient incontinent aux prifes avec les ennemis, Ils s'exerçoient fort à la courfe & luiter, afin de devenir plus robuftes & plus adroits à captiver qu'à tuer. Le dernier Montezume inftitua certains Ordres, avec diverses devifes ; les uns portoient la couronne de cheveux, liez avec une bande rouge , & un pennache fort riche , d'où pendoient certaines franges jufques fur les épaules, au bout defquelles il pendoit autant de houpes qu'ils avoient fait d'exploits de guerre.Cet O r dre de chevalerie eftoit le principal, & dont le Roy en eftoit le chef. Il y avoit un autre Ordre qu'ils appel- O r d r e de Cheioient, les Aigles ; les autres, les Lyons & les T i g r e s , & valerie des Me ces Chevaliers eftoient d'ordinaire les avanturiers qui x i q u a i n s . fe fignaloient à la guerre. Il y en avoit d'autres de moindre qualité, qui portoient certaine pièce de toile coupée au deffus de l'oreille, qui eftoit ronde , & cheminoient armez depuis la ceinture en enhaut feulement, à la différence des plus Nobles qui s'armoient entièrement ; & tous ceux-cy pouvoient porter de l'or, de l'argent, & fe veftir d'habits de c o t t o n , riches , & avoir des vafes peints, & eftre chauffez. Le commun peuple ne pouvoit pas ufer d'autres vaiffeaux que déterre, ny fe chauffer & veftir que d'étoffe fort groffiere. Chaque particulier de ceux que nous venons de nommer, avoit fon Palais, fes chambres avec leurs titres. Le premier Des chambres qu'ils avoient s'appelloit logement des Princes ; le fécond, des Aigles ; dans le Palaisle troifiéme, des Lyons & des Tigres ; le quatrième, des Leopars. Le refte du commun eftoit en bas, dans leurs chambres plus communes ; & fi quelqu'un prenoit un A a ij


202 HISTOIRE autre logement que celuy qui luy eftoit deftiné,il eftoit I 5 il. digne de mort. S o i n des pères Les Mexiquains avoient un grand foin pour l'éducapour l'education de leurs enfans ; & il y avoit dans chaque Temple xion d e leurs enfans. une maifon particulière pour les inftruire, comme une façon d'école ou on les mettoit en penfion , feparée de celle des jeunes hommes & des jeunes filles du Temple, où leurs pères avoient le foin de les mener aux Maiflres, qui leur enfeignoient leur créance & le refpect,afin qu'ils apprifient à chanter , à danfer, à tirer des flèches & des ballons, bref tout ce qui fe pouvoit lancer de la main , à fe bien fervir du bouclier & de l'épée. ils les faifoient coucher fur la dure & manger fort peu , afin de les accouflumer à la fatigue. Il y avoit encore une autre retraitte d'enfans de gens Nobles que l'on traittoit plus particulièrement ; & on leur portoit de leur maifon leur pitance ; & les anciens qui les inftruifoient, les admoneftoient inceffamment d'eftre de bonne vie , vertueux , chaires, & tempérez dans leurs repas, de jeufner & d'obferver leurs pas dans la modeftie & dans la gravité. Ils les éprouvoient quelques fois dans des travaux & des exercices difficiles. Apres qu'ils avoient efté ainfi eflevez ils les employoient chacun felon fon inclination, & s'ils s'adonnoient à la g u e r r e , ils les y envoyoient des leur jeuneffe pour porter des vivres aux foldats, afin qu'ils viffent ce qui s'y paffoit , & les fatigues que l'on y enduroit, & que cela les affranchift de la crainte ; & ils leur ballbient des charges pelantes, afin qu'en faifant des efforts, ils fuffent admis plus facilement en la compagnie des foldats , & il arrivoit quelques fois que tel y alloit chargé d'un pelant faix, qui revenoit pourveu de la charge de Capitaine ; Et il y en avoit d'autres qui fe fourroient fi avant parmy les Ennemis pour acquérir de la réputation,qu'ils y demeuroient prifonniersi d'autres y eftoient t u e z , & qui aimoient mieux mourir de la forte que de demeurer en la puiffance des Ennemis.Or ceux qui s'appliquoient à cet exercice c'eftoicnt d'ordinaire les enfans des Nobles. Ceux qui af-


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I I . 203 fectionnoient le fervice du T e m p l e , fi toft qu'ils eftoient en âge on les faifoit fortir des Efcoles, & on les mettoit dans les chambres, Se tenoient leurs Maiftres qui les enfeignoient ; & dans le Miniftere auquel ils feconfacroient,iis y dévoient perfifter. Il n'y a point de nations dans le monde qui n'ayent quelque forte de récréation, foit de jeux ou de danfes, qu'ils appeiloient dans Mexique Mitote, & il ne s'en eft point trouvée en aucune part où il y en ait eu, & qui ayét efté obfervez avec tant de ponctualité que dans la nouvelle Efpagne, où il fe voit encore aujourd'huy des Indiens faire des fauts Se des danfes fur la corde qui font dignes d'admiration. Il y en a d'autres qui montent au haut d'un bafton droit, qui y font mille cabrioles endanfant, droits fur leurs pieds, il y en a encore d'autres qui prenant la plante de leurs pieds le courbent, fe remuent, & fe jettent en l'air, & retombent à terre en tournoyant comme une lourde maffe , chofe que l'on ne pourroit pas croire fi on ne le voyoit, & font des merveilles , en voltigeant, fautant, & faifant des cabrioles ; portent de grands poids, & fouffrent de grands coups. Mais le folemneleft M i t o t e , qui eft une danfe fort noble & authorifee , puis que les Rois y entroient quelquesfois en ordre comme les autres, & qu'elle fe faifoit dans les courts des Temples, & dans les Maifons Royales avec les inftrumens, ainfi que nous l'avons déjà déclaré cy-devant, & avec un fi bel o r d r e , que cela faifoit une très belle harmonie. Ils eftoient pofez quelques fois fur une figure d'homme, d'animal, ou de colomne, & faifoient divers fons en recitant plufieurs chanfons & danfant au fon , avec un fi bel accord , que perfonne ne fortoit de fa règle , ny de fon ordre , tant pour les voix, que pour la danfe , & pour le mouvement des pieds avec une grande dextérité. Ils faifoient quelque fois deux grands ronds en danfant, en prenant au milieu d'eux les joueurs d'inftrumens. Dans le premier rond eftoient les Anciens , les Seigneurs, & gens de condition , & danfoient, & chantoient prefque de pied coy. Auffi-toft après fuiA a iij

1521.

D e leurs danfes & jeux ne récréation.


1521

Fauffe o p i n i o n de plufieurs qui croyoient les Indiens i n c a pables de r a i fou.

204 HISTOIRE voit l'autre rond fort grand & fpacieux, danfant deux à deux richement vertus, & bien galanifez ; & quoy que la plupart de ces danfes fe faifoient à l'honneur de leurs D i e u x , leur inftitution néanmoins n'eftoit que pour la récréation du peuple ; & ils apprenoient cela dés leur enfance par grâce de curiofité. D e tout ce qui a efté dit cy-deffus de la Religion des Indiens, de leurs Couftumes, de leur police, & de leur gouvernement, l'on verra fi l'opinion que quelques-uns tiennent eft véritable, que tous les peuples des Indes font gens brutaux & fans entendement, ou qu'ils en ont il peu qu'à peine meritent-ils le nom d'hommesjen quoy beaucoup de Théologiens fameux affirment qu'ils errent , parce que dans plufieurs Provinces ils ont une capacité naturelle pour eftre enfeignez ; Ainfi l'ont jugé les hommes les plus fages, qui ont bien examiné leurs fecrets,leur ftile & leur ancien gouvernement, en admirant l'ordre qu'ils tenoient entr'eux , & le defir qu'ils avoient d'eftre hommes parfaits, félon que leur jugement le pouvoit concevoir. Et parce que cy-apres l'on dira ce qui manque en cette matiere,ie ne feray pas icy une plus longue digreffion. Fin du fécond Livre.


205

HISTOIRE GENERALE DES VOYAGES ET CONQVESTES des Caftillans dans les Ifles & Terre- ferme des Indes Occidentales. LIVRE

C H A P I T R E

TROISIEME.

P R E M I E R .

Fernand Cortés envoyé des Meffagers en Caftille pour porter les nouvelles de fes victoires. Ce qui arriva à ceux qui allèrent reconnoiftre s'il y avoit du fouffre dans le Vulcan de Tlafcala.

A P R È S que les guerres de Mexique furent 1522, achevées, & que l'on eut congédié les troupes des Indiens alliez & confederez fort contents & fatisfaits de Cortes ; il commença à vouloir recompenier les partage Caftillans. Il leur diftribua tout le butin , félon les Certes les dépouilles mentes d'un chacun , qui fut eftimé à cent trente- des I n d i e n s de mille poids d'or , duquel l'on tira premièrement le Mexique à fes Quint du R a y , qui furent vingt-fix mille. Outre l'or, foldats. il y avoit encore quantité d'efclaves., des pennaches, des draps de catton fort riches, des boucliers avec


1522

Il n o m m e des luges & Officiers pour la Police de la Ville.

Il e n v o y a des Procureurs en Caftille. Il envoya auffi un prêtent au Roy.

2o8 HISTOIRE leurs cercles d'or , quantité de perles, dont il y en avoit d'auffi greffes que des noifettes, quoy qu'un peu noires , parce que comme nous l'avons déjà dit, les Indiens ouvroient les efcailles au feu pour les t i r e r , & pour en manger le poiffon. O r quoy qu'il fembloit que les partages euffent efté faits dans une bonne égalité, cela n'empefcha pas pourtant qu'il n'y euft des plaintes , parce qu'il n'y auroit eu qu'un feul Dieu qui les euft pu. contenter tous. En fuitte de cela Cortés occupa fon efprit à beaucoup de choies qui eftoient neceffaires pour former une Republique de Caftillans dans cette ville. Il nomma donc auffi-toft des luges, des Magiftrats, & les Officiers neceffaires pour cet effet. Il propofa & refolut tout enfemble d'envoyer des Meffagers au Roy pour luy donner avis de tout ce qui s'eftoit paffe ; & nomma pour cela Alonfe d'Avila, & Antoine de Q u i n o n e s , & leur enchargea de fupplier le Roy de confirmer les Officiers que. l'on avoit nommez dans cette Republique, & qu'il agreaft leur nomination , enfemble les partages que Cortés avoit faits jufques l à , puis qu'il les avoit employez à des gens qui l'avoient fi bien mérité. Il mit entre les mains des Procureurs, le Quint du R o y , avec beaucoup d'autres chofes des plus riches dont ils avoient fait les partages. Outre cela, il envoya au Roy une efmeraude fine, auffi large que la pomme de la main, quarrée qui finiffoit en pointe comme une pyramide, & un ameubleblement de vaiffelle d'or & d'argent, comme des taffes, des vazes, des plats, des efcuelles, des pots, & d'autres pièces, où eftoient gravées des figures, comme d'oyfeaux , de poiffons, & autres animaux de divers genres ; & d'autres en façons de fruits & de fleurs, quantité d'anneaux, de pendants d'oreilles, des carquans, des colieçs, & d'autres joyaux tant pour hommes que pour femmes, & quelques Idoles, avec des cerbatanes d'or & d'argent ; des mafques à la Mofaïque de pierres fines avec les oreilles d'or, & les dents d'os qui furpaffoient les lèvres ; des veftemens de Preftres, des


DES INDES OCCIDENTALES) L i v . I I I . 209 des mitres, un corporalier, des ornemcns d ' A u t e l , & 1522. autres paremens de plume ; de cotton , & de poil de connil bien émaillez&des os de géants qui fe trouvèrent dans Cuyoacan ; des T y g r e s , dont l'un s'échappa dans le N a v i r e , bleffa huit hommes, en tua d e u x , & fe jetta dans la Mer ; & furent contraints de tuer l'autre, de crainte qu'il ne fift la mefme choie. Plulieurs foldats donnèrent de l'argent pour porter à leurs parens, & Cortés en envoya auffi à fes pere & mere , par lean de Rivera ion Secrétaire , une allez bonne fomme. Les luges nouvellement c r é e z , & ceux du Confeil Cortés efcrit de Mexique efcrivirent auffi au R o y , exaltant fort les Roy. faits & actions admirables de Cortés, & le contentement qu'ils avoient de l'avoir pour Capitaine. Quant à C o r t é s , il fit au Roy une longue narration de fes heureux fuccés , le priant qu'il luy fuft envoyé une perfonne docte & curieufe pour admirer la grandeur & les merveilles de cette terre qu'il avoit conqueftée, & qu'il euft pour agréable qu'elle fuft appellée N o u velle Efpagne, Qu'il envoyait des Prélats & des P r ê tres qui fuffent propres pour la converfion de ces peuples , des laboureurs, avec des troupeaux, des plantes, des femences pour produire , & que l'on ne permiff point qu'il y paffaft des Advocats, des Médecins, ny des luifs Chriftianifez. Enfin les dépefches eftant préparées , Alonfe d'Avila, Antoine de Quinones, & lean de Rivera, & avec eux Diego de O r d a s , partirent de la Vera Cruz & fe mirent à la voile. Si-toft que l'on eut publie par toute la terre que Cortés avoit affujetty le Royaume de Mexique, cela caufa de grandes admirations, vu la grandeur & puiffance de fon R o y , & les grandes fortereffes dont cette ville eftoit deffenduë , & cela donna fujet à plufieurs de n'attendre pas les fommations qu'ils apprehendoient que l'on leur fît de fe rendre ; ils envoyereut des Ambaffades à Cortés pour luy faire offre d e leur fervice ôc obeïffance, & plufieurs y vinrent mefme en perfonne. A ceux qui n'y envoverent pas auffi-toft , & à Bb

au


210 HISTOIRE ceux qui n'eftoient pas de la fujetion de Mexique," 1^22. Cortés envoyé pour eftre efloignez, Cortes leur envoya des Meffades Meffagers gers Indiens pour leur donner avis de tout ce qui aux autres P ; o vinces pour les s'eftoit paffe, & leur dire que l'Empire de Montezume a d v e n i r de ren- eftoit finy, & que le Roy des Chreitiens en eftoit pofd r e obtiffance au Roy de Ca- feffeur, & que ceux qui luy obeïroient féroient bien ftille. traitez. O r cela ne fut pas bien difficile à le leur perfuader, attendu la victoire qu'il venoit d'emporter, dont les Indiens ne fe pouvoient affez efmerveiller, comme une chofe qu'ils ne fe feroient jamais imaginée. D e forte q u e , ou ils y envoyaient, ou ils y alloient en perfonne avec des prefens, «Se faifoient leurs reconnoif. fances, dont Cortés prenoit acte, de la qualité des Provinces qui reftoient à affujettir, & de tout ce qui eftoit à Cortés eft: en propos de faire pour bien eftablir cet Empire. Mais tout peine de fe voir fans poudre & ce qui l'inquietoit le plus, c'eftoit le peu de munitions fans m u n i t i o n s . qu'il avoit, & fans poudre, dont il avoit grand defir d'en eftre pourveu , pour éviter les inconveniens qui euffent pu arriver ; & s'imaginant qu'il pourroit avoir de la pierre de fouffre dans le Vulcan qui eft à douze lieu es de Mexique, avec quoy l'on pourroit facilement faire de la poudre, vu le récit que luy en avoit fait le Capitaine Diego de Ordas qui l'avoit reconnu en, l'an 1519. qui jugea que par l'odeur qu'il avoit fentie en paffant, & par d'autres fignes qu'il avoit veus, qu'il y en pouvoit avoir. C e l a , dis-je, donna de l'envie à Cortés d'en faire l'efpreuve ; & pour cet effet, il donna la miffion de cette entreprife à Montano, homme de cœur & agiffant,& à Mefa Commiffaire de l'artillerie, leur exaltant la gloire qu'ils acquerroient, & leur offrit de grandes recompenfes. Ces gens-cy ayant promis de perdre la vie, ou d'en apporter des marques , partirent avec Penalofa, Iean de Larios, un autre Caftillan, & Ils arrivèrent à Chalco; & depuis D e ceux qui a l - quelques Indiens. lerent p o u r r e - un village appelle Amecamec à deux lieues du Vulcan, connoiftre le d'où ils partirent, accompagnez de plus de quarante Vulcan. mille hommes, defreux de voir fi ces hommes-eftoient les mefmes Caftillans qui y ayoient efté cy-devant a


DES iNDES O C C I D E N T A L E S , L i v . I I I .

211

& s'ils viendroient à bout de leur entreprife ; & s'ap1522. prochèrent du Vulcan , ou ils firent des retranchemens Les Caftillans pour éviter les furprifes. Ils commancerent à y mon- c o m m e n c e n t à ter qu'il eftoit plus de midy, portant fur leurs efpaules m o n t e r a u Vuldeux fangles fort larges, des facs de toile, couverts de can. peaux de cerf, & deux grandes couvertures, que les Indiens appellent Pelou, pour s'en couvrir au cas que la nuit les y furprît. Les Indiens -contemploient ces gens avec grand eftonnement de les voir monter en ce lieu fi hardiment ; les uns dans l'apprehenfion, les autres efperant beaucoup de leur valeur. Apres qu'ils eurent monté environ le quart de la montagne du Vulcan , la nuit les furprit, & comme dans cette hauteur l'air y eftoit déjà fort froid , ils refolurent de creufer un foffé dans le fable ou ils peuffent tous contenir , & que là eftant couverts de leurs couvertures ils peuffent refifter contre le froid. Mais à peine eu- Les Caftillans a rent-ils creufé deux palmes , qu'ils rencontrèrent la caufe du g r a n d fe mettene roche du Vulcan ; d'où il fortit auffi- toft une fi grande froid dans le fable. chaleur, & une puanteur tout enfemble de fouffre, que c'eftoit une chofe horrible. Mais le grand froid qu'if faifoit moderoit cette grande chaleur qui s'exhaloit en l'air, en fe bouchant toutefois le nez quelque temps ; mais enfin ne pouvant fouffrir cette puanteur, ils quittèrent ce foffé vers minuit, & continuèrent leur chemin avec des travaux infupportables.

C H A P I T R E Continuation

CoMME

II

de la defcouverte du Vulcan de Tlafcala.

ces gens cheminoient, & que la gelée eftoit forte, l'un d'eux gliffa, & tomba dans une manière de précipice qui avoit plus de fept toifes de profondeur , & fe trouva engagé parmy de grands glaçons qui fe formoient des eaux que le Soleil par fa chaleur faifoit diftiler le jour, auffi durs que de l'acier, B b ij


212 HISTOIRE & que s'ils fulTent venus à fe rompre , il fuft tombé à 1522. Il fe bleffa Ceux qui m o n - plus de quinze cens toiles de profondeur. tent au Vulcan en plufieurs endroits, & s'efcria tant qu'il put plufieurs font en peril. fois, en appellant fes compagnons à fon fecours pour qu'ils le tiraffent de ce péril. Enfin, ils s'efforcerent avec toutes les apprehenfions imaginables de luy tendre les fangles qu'ils avoient, & d'autres lafnieres, qu'ils attachèrent les unes aux autres, avec lefquelles il fe guinda par deffous les aiffelleS, puis s'aidant des pieds & des mains, ils firent fi bien qu'ils le fauverent. Eux d'ailleurs, fe voyant preïque perdus , ne fçavoient plus à quoy fe refoudre, parce qu'ils eftoient tellement fatiguez qu'ils ne pouvoient plus cheminer ; à caufe dequoy ils refolurent de ne pas paffer outre Les Caftillans jufques au jour ; & fi le Soleil euft tardé encore quelfouffrent un que temps à paraiftre, ils euffent efté tous gelez, & il grand froid en m o n t a n t le Vul- n'en fuft rechapé aucun en vie, en l'eftat qu'ils eftoient can. déjà. En attendant donc que le Soleil les dégourdift un p e u , ils fe regardoient les uns les autres à la faveur des exhalaifons qui fortoient, & à laquelle ils fe chaufFoient les mains, car pour les pieds & les jambes, ils ne les fentoient point de froid. Le Soleil venant donc à paraiftre, ils continuèrent leur chemin toujours montant, & au bout d'une demy heure, il fortit du Vulcan une efpaiffe fumée envelopée de grandes flâmes, qui jetta une pierre toute enflambée groffe comme les deux poings , qui vint à rouler auprès de ces hommes, laquelle n'eftoit pas bien pefante, puis qu'ils l'arrefterent avec leur couverture ; ils s'en chauffèrent, & rentrèrent en eux-mefmes, en prenant de nouvelles forces, ils recommencèrent à cheminer ; V n Caftillan s'évanouit en mais l'un d'eux s'eftant efvanoüy , ils le laifferent, luy m o n t a n t le difant qu'il s'efforçait, & qu'ils le reprendroient en Vulcan. defcendant. Il leur refpondit qu'ils fiffent leur d e voir, & qu'il importoit peu de perdre un homme pour Ils arrivent à la une affaire de fi grande importance. Enfin ils arrivèbouche du Vul- rent fur les dix heures au haut du Vulcan, & comme can, de fa forils eurent avancé leur tefte dans la bouche, ils defeoume.


DES INDES O C C I D E N T A L E S , L i v . I I I . 213 vrirent auffi-toft le bas, qui brufloit comme un feu 1522, naturel, qui eftoit une chofe épouventable à voir. Il pouvoit avoir depuis cette bouche en bas deux cens toifes de profondeur. Ils tournèrent tout autour, pour voir par où l'on y pourroit entrer plus facilement ; mais ils trouvèrent l'entrée fi difficile de tous coftez, & fî épouventable, que tous ceux qui voyoient cela euffent voulu n'y avoir jamais monté. Mais comme ils eftoient tous gens de c œ u r , & d'honneur, ils s'aviferent de jetter au fort à qui entremit le premier&le fort efcheut à Montano , lequel eftant guindé avec une fangle, dans un fac de toile de chanvre avec un panier, entra dedans jufques à vingt toifes de profon- Les Caftillans deur , & tira la première fois le panier prefque plein entrent dans le de fouffre , & il y entra fept fois de la forte, & en tira Vulcan , & en tiret du fouffre. jufques à deux cens douze livres de fouffre. Apres celuy-là l'un de fes compagnons y entra, & en tira en fix fois environ cent livres ; fi bien que tout ce qu'ils en avoient tiré confiftoit à trois cens tant de livres, qui fuffifoient pour faire quantité de poudre. Enfin ils refolurent de n'y pas entrer davantage , parce que félon le récit de Montano c'eftoit une chofe affreufe Se épouvantable, en jettant feulement la veuë vers le bas i parce qu'outre fa grande profondeur qui eftourdiffoit l a t e f t e , l e feu Se la fumée qui enfortoit, & les pierres toutes ardentes qui fe jettoient de fois à autre fur celuy qui y entroit, pour augmenter fa crainte, il s'imaginoit que ceux qui le foûtenoient dévoient laicher leur prife, ou que les fangles fe dévoient rom Vn Caftillan t o m b e dans des pre , ou qu'il devoit tomber du fac, ou enfin quelques glaces, autres finiftres accidents que le trop d'apprehenfion attire à foy. Ils eftoient donc tous fatisfaits & contents , & fe voyant délivrez de cette crainte, il ne reftoit plus qu'à fe préparer pour defcendre ; mais il fe prefenta auffi-toft une autre difficulté, qui eftoit de trouver la defcente qui eftoit fort perilleufe ; joint qu'ils dévoient eftre chargez. Cependant qu'ils s'amufoient à faire leurs fardeaux, il prit fantaifie à MonB b iij


1522.

t e s Caftillans defcendent du Vulcan en un grand péril.

Ils r e n c o n t r e n t en defcendant leur c o m p a gnon.

214 HISTOIRE tano de retournera la bouche du Vulcan, & comme il cheminoit avec beaucoup d'exactitude, & ne voyant ny chemin, ny defcente certaine, il dit que pour s'en retourner avec moins de péril, il confeilloit de faire tout le tour de la bouche du Vulcan, quoy que cela les deuft retarder de beaucoup. Cet avis fut approuvé de tous ; fi bien que chacun fe chargea de ce qu'il pouvoir porter, fans toutefois y rien laiffer. Ils descendirent donc avec de grandes appréhendons, parce qu'à chaque pas prefque il y avoit des pointes de roche, & dont il falloit tournoyer autour des plus hautes, fupportant chacun leur charge de l'eftomac en gliffant jufques à ce qu'ils euffent les pieds fermes, Ils cheminèrent un bon efpace de temps de cette façon , ne voyant que des apparences de mort devant leurs y e u x , à caufe des paffages périlleux qu'ils rencontraient de moment en moment, parce qu'ils eftoient quelques fois contraints de retourner derrière, ou de fe ranger d'un cofté ou d'autre, pour éviter leur perte qui eftoit infaillible autrement. Enfin ils vinrent à fe rencontrer au lieu , ou ils avoient laffé leur compagnon qui s'eftoit évanoùy, quoy qu'il fuft déjà tout refout à la mort, & ne s'occupoit qu'à demander pardon à Dieu de fes péchez, car il ne s'imaginoit pas que fes compagnons puffent revenir de ce lieu. Mais il fut tout eftonné, que lors qu'il y penfoit le moins, il entendit le bruit que fes compagnons faifoient ; & toutefois ne croyant pas que cela fut véritable, & que c'eftoit quelque imagination qui luy eftoit venue en la penfée, il'dit auffitoft, avant que les autres luy euffent parlé ; Sont-ce mes compagnons qui defcendent ? Ils refpondirent ; C'eft

nom mefmes. il repartit ; Beny foit Dieu, de ce que je reprens aujourd'huy une nouvelle vie.

Ils fe repoferent là

quelque peu de temps fort réjouis, & rendant grâces à Dieu de ce qu'il les avoit ainfi guidez & confervez. Apres quoy ils continuèrent leur defcente, en foulagcan-c leur compagnon , qui eftoit encore tellement


D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv III.

215

épouvante des chofes qu'il avoit veuës cette nuit, où. 1522 qu'il s'eftoit imaginées , qu'il ne s'en puit remettre de long- temps. Enfin ils arrivèrent au pied du vulcan, où ils eftoient attendus avec grande impatience de quantité d'Indiens, qui coururent vers eux,& qui les entouraient pour les admirer, & pour apprendre quelque chofe de ce qu'ils avoient veû. Les Caciques leur firent donner Les I n d i e n s adm i r e n t de voir auffi-toft à manger , parce qu'ils n'avoient ny beû ny les Caftillans de mangé depuis le jour précèdent jufques à cette heure. retour., Ces peuples les mirent fur des brancards & les portèrent fur leurs efpaules, comme ils ont couftume de faire aux grands Seigneurs, quantité d'Indiens les accompagnant de cofté & d'autre, qui trefbuchoient & tomboient le plus fouvent les uns fur les autres pour fe trop précipiter de voir leurs vifages , tout eftonnez de voir des hommes qui avoient fait une action fi admirable qu'il ne s'en eftoit jamais veuë de femblable, ny entendu parler, ny encore jufques à prefent, puis que perfonne jufqu'à eux n'a jamais fceu monter qu'à la moitié de la montagne de ce Vulcan. Ils cheminèrent fix lieuës, jufques à un port du l a c , où ils fe mirent dans des canos avec quantité d'Indiens qui les accompagnèrent dans d'autres. Ils arrivèrent à la pointe du jour dans la ville de Guyoacan , & Cortés fçavoit déjà par plufieurs Meffagers que les Caciques luy avoient envoyez les bonnes nouvelles que fes gens luy apportoient, & les fatigues qu'ils avoient endurées. Cortés fort au de ceux Il fortit de la Ville au devant d'eux pour les recevoir. devant qui v e n o i e n t du Il les embraffa,& agréa fort le fervice qu'ils luy avoient Vulcan. r e n d u , & leur promit de les recompenfer largement ; parce qu'il avoit fait entendre aux Indiens alliez, qu'il n'y avoit rien d'impoffible à la Nation Caftillane. Il fit armer le fouffre, & de trois cens qu'il pefoit, cela fut réduit à deux cens cinquante pefant , dont l'on fit de la poudre.


216

HISTOIRE

1522. C H A P I T R E

III.

De quelle façon fut defcouverte la Province de Mechoacan , & par qui.

L Villadiego va f o u r defcouvrir la t e r r e , m a i s il n'en eft jamais revenu,

Parillas arrive aux confins de Machoacan.

'ON donnoit à Cortés la connoiffance de tant de Provinces dont il n'avoit pas la connoiffance, que pour en eftre mieux informé , il refolut d'envoyer un foldat appelle Villadiego, qui s'eftoit adonné à parler la langue Mexiquaine, avec quantité de choies pour troquer, & quelques Indiens qui paroiffoient les plus fidèles pour l'accompagner, avec ordre de reconnoiftre ces terres, & d'en rapporter une ample relation des particularitez qui s'y rencontroient ; mais ny le Caftillan, ny les Indiens ne parurent jamais plus. L'on jugea que ies Indiens qui l'accompagnoient l a voient tué , & qu'ils n'oferent pas revenir. Vn autre foldat appelle Parrillas, qui s'eftoit infinité dans les bonnes grâces des Indiens, à caufe que c'eftoit un plaifant & un conteur de foniettes, fut envoyé pour chercher des volailles pour l'Armée. Comme il eftoit occupé en c e t exercice, les habitans de la peuplade d e Matalzingo, l'attirèrent peu à peu en faifant fon trafic jufques aux limites du Royaume de Mechoacan, où pas un Caftillan n'avoit point encore efté , parce qu'il s'eftoit déjà paffé un bon efpace de temps depuis la prife de Mexique, que perfonne n'eftoit point encore forty plus loin que Pukepec. Ceux de cette terre fe réjouirent fort de voir le Caftillan, & le confidererent fort attentivement, en le touchant des mains, comme d'une chofe qu'ils n'avoient jamais veuë, & fe reprefentant que beaucoup d'hommes femblables à celuy-là eftoient baftans de vaincre & d'affujettir de plus grandes villes que Mexique ; Et foit par fignes, ou par truchemens,ils luy demandèrent plufieurs chofes, à quoy il fit refponfe en bons termes, ce qui leur caufà


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I I I . 2 1 7 eau fa encore plus d'admiration. Il leur demanda 1522. quelle terre eftoit celle qui reftoit derrière, & quelCe qu'il a p p r i t les gens l'habitoient ; & après avoir appris plufieurs à M e c h o a c a n . chofes, il s'informa s'il y avoit de l'or & de l'argent, & en prit quelques échantillons, avec deux Indiens qu'ils luy donnèrent, promettant qu'ils feroient bien traitez, & qu'il les renvoyeroit incontinent après. Par- Parillas rend a Cortés rjllas eftant party avec les deux Indiens qui eftoient cdeo ncet e qu'il a veû. fort contents , alla auffi-toft trouver Cortés qui le receut fort bien, pour luy avoir apporté une relation de ce qu'il fouhaittoit paffionnément , & d'avoir amené ces deux hommes de cette terre. Il les fit traiter fplendidement, & les fit promener autour de l'Armée , afin qu'ils viffent la difpofition des foldats Caftillans , leurs armes, l'artillerie & la Cavalerie , & commanda à quelques Cavaliers de faire une efcarmouche, & de tirer quelques efcoupetes devant eux , dont ils furent tout efpouvantez. En fuite de cela il leur donna quelques jolivetez de Caftille, & leur dit par fon I n t e r p r è t e , Que comme les Chreftiens eftoient fi vaillants, & efpouventables à leurs Ennemis, ils aimoient d'autant plus ceux qui fe déclaraient leurs amis, qu'ils les deffendoient, & protégeaient dans tous les périls & neceffitez, & qu'ils en uferoient ainfi envers tous ceux de leur Nation , & qu'il les iroit voir dans peu de temps, pour leur faire voir comment ils avoient fi long-temps erre en l'adoration de leurs faux Dieux , & au facrifice des hommes, & que cependant ils s'en pouvoient retourner en leur terre.

Cortés fit accompagner ces deux Indiens par quelques Tlafcalteques, car ils ne fouhaiterent pas que l'on y envoyait des Mexiquains, & partirent ainfi e x trêmement fatisfaits & joyeux de tout ce qu'ils avoient v e ù , & du bon traitement que Cortés leur avoit fait faire, dont ils le remercièrent & luy baiferent les mains. Comme les deux Indiens furent de retour, le Seigneur de Mechoacan, ennemy mortel de M o n t e z u m e , apprit d'eux tout ce qui s'eftoit paffe à leur réception. Cependant Cortés délirant defcouvrir cette t e r r e , fit Ce


1522. C o r t é s envoyé defcouvrir la terre de M e choacan.

218 HISTOIRE eflection de Montano , & de quelques autres Caftillans qu'il tenoit pour gens de difcretion , & qui eftoient vaillans, pour leur bailler cette commiffion , & leur dit qu'il leur vouloit recommander cette entreprife , pour l'exécution de laquelle il leur donneroit vingt Seigneurs Indiens qui les accompagneraient, avec un Interprète qui fçavoit trois langues, la Mexiquaine, l'Otomie, & la Mechoacane. Il leur fit donner quantité de jolivetez pour troquer, afin que parce moyen ils fuffent mieux receus. Il leur enchargea de faire en forte de voir & de parler au Seigneur, & de traiter d'amitié aveque luy ,& de s'informer par diffimulation des gens d'armes, des forces, du trafic, & de la fertilité & difpofition de la terre ; & que s'ils pouvoient parler à loifir avec le Seigneur, qu'ils luy fiffent entendre qui eftoit le Souverain Pontife Se le Roy de Caftille, en les delabufant de beaucoup de chofes touchant leur aveuglement. Et luy dire que les Mexiquains pour n'avoir pas voulu recevoir tant de bien, le grand Dieu des Chreftiens avoit permis qu'ils fuffent détruits, ainfi qu'il feroit à tous ceux qui les imiteroient. Il promit à M o n tano, & à tous ceux qui l'accompagnoient, que s'ils rapportoient de bonnes nouvelles, il leur dôneroit de grandes recompenfes, Se dit tout d'un temps devant eux quantité de chofes à ces vingt Seigneurs Indiens. Et les pria Se enchargea fur tout entre autres chofes, qu'en allant avec ces Caftillans, qui eftoient fort vaillans, & fes frères,de les protéger & les garder,& qu'ils ne les abandonnaffent en aucune façon que ce fuft, & qu'en ce faifant il en recevrait une grande fatisfaction , & le tiendrait à obligation, proteftant qu'au retour il les feroit plus grands Seigneurs. Et comme cette affaire là eftoit de confequence, il leur enchargea fort, que dans les demandes & les refponfes qui fe feraient, ils traitaffent Se agiffent avec vérité ; & que s'ils fe voyoient avec le Seigneur de Mechoacan, comme tefmoins oculaires, ils luy declaraifent la puiffance des Chreftiens, & le grand bien qu'il recevrait de fe rendre vaffal de leur Empereur qui eftoit le Roy de Caftille.


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. III. 219 Ils partirent donc tous enfemble fort j o y e u x , de cheminèrent quatre jours fans fe feparer les uns des Les 1522. Caftillans autres. Eftant arrivez proche d'une peuplade , dont arrivent à la les terres font contiguës à celles de Mechoacan, ap- première p e u plade de M e pellée la Taximafoa, les habitans de ce lieu, de leur choacan , ou ils Seigneur avoient déjà oüy faire récit des Caftillans, font bien receus. par ce qu'en avoient dit les deux Indiens. Le Seigneur de Gouverneur de ta Taximaroa, avec la plus part des principaux du lieu qui l'accompognoient, de quantité de gens du commun , parce que la peuplade eftoit grande, fortirent au devant d'eux pour les recevoir. IL embrafla les Chreftiens, de leur donna félon leur couftume , des rôles & des bouquets, & embrafta au fil en mefme temps les Seigneurs Mexiquains. Ils s'arrefterent quelque temps, de par le moyen de l'interprète le Seigneur leur dit qu'ils eftoient les bien-venus, de qu'il eftoit réjoùy de ce qu'il eftoit arrivé dans fa ville de dans fa maifon de fi bons hoftes ; qu'ils fe réjouiffent, de qu'il les vouloit fervir & régaler tant qu'il pourrait ; de qu'ils fe tinffent pour tout a durez qu'il avoit un grand defir de connoiftre leur Capitaine ; Et que quant à luy, il vouloit eftre ferviteur & Vaffal du Seigneur des Chreftiens. Parce qu'il reconnoiffoit que fon pouvoir eftoit fi grand, que quoy que fa perfonne fuft fort efloignée de Mexique , il avoit néanmoins avec peu de ferviteurs de vaffaux fubjugué la plus forte ville qu'il y euft en ces quartiers, de qu'il s'imaginoit qu'il pourrait faire la mefme chofe de tous les autres Royaumes de cette terre. A caufe dequoy il leur d i t , que depuis cette peuplade où il eftoit en tirant plus avant commençait le Royaume de M e c h o a c a n , qui eftoit à un Grand Seigneur qui eftoit ennemy capital des Mexiquains ; que le pais eftoit grand, la terre Les Caftillans fort fertile, de qu'elle eftoit fort peuplée de vaillans ocen tduconnoiffance Royaume hommes, de fort adroits à tirer des flèches de des dards ; de Mechoacan, Et qu'il croyoit que ce Grand Seigneur envoyeroit bien-toft fes Ambaffadeurs à C o r t é s , pour luy offrir fon fervice, fa maifon, de fon Royaume. Les CaftiLCc ij


220 HISTOIRE lans furent fort réjouis d'entendre ces bonnes nouvel1522, les, voyant bien que de femblables apparences il n'en pouvoit arriver que de bons fuccés ; ils luy repartirent qu'avec le temps il reconnoiftroit la grande valeur de Cortés ; & qu'il apprendrait par eux le grand pouvoir qu'avoit l'Empereur des Chreftiens, de qu'en le luy communiquant, ils feraient tous de fabufez des erreurs où ils vivoient. E n s'entretenant ainfi de pluileurs difcours, au grand contentement des uns de des autres, ils arrivèrent à la ville, laquelle à caufe des guerres qu'ils avoient contre les Mexiquains, quoiqu'elle fût grande , eftoit toute entourée de grands chefnes qu'ils avoient coupez par morceaux, pour la Cette trenchée ou mur avoit douze pieds Manière de for- fortifier. tification de la de h a u t , de fix de large, qui paroiffoit eftre fort anV i l l e frontière des Mexiquains. tique, de la renouvelloient fort fouvent, en oftant les pièces les plus feches, de en y en remettant d'autres nouvellement coupées ; de il y avoit pour cet effet des maiftres de des pioniers qui eftoient deftinez à cela , de qui n'avoient point d'autre occupation que celle là, dont ils eftoient payez aux defpens de la Republique. L'alignement de cette manière de fortification, & par dedans de par dehors eftoit tellement égal, de enduit d'argile ou terre graffe, qu'elle n'aurait pas pu eftre mieux travaillée, quand elle aurait efté baftie à Siperftition des chaux de à ciment, de de pierre de taille. Ils avoient Indiens touchât de couftume dés leur premier eftabliffement dans les la fortification victoires qu'ils emportoient fur les Mexiquains, de ne de la Ville. brufler de facrifier les corps de leurs ennemis à leurs Dieux que du bois trop fec & vieux qu'ils tiraient de cette trenchée, de ne le faifoient point fervir à autre chofe. Lors qu'ils y remettoient du nouveau bois, ils faifoient de certaines cérémonies , fignifiant par-lâ qu'avec la faveur de leurs D i e u x , ce mur ferait fi fort que leurs ennemis n'entreraient jamais dans la ville par-là y Et que leurs amis fortiroient de ce lieu, de retourneraient victorieux. Eftant entrez dedans la ville on leur apporta force vivres, de ils furent régalez


DES INDES OCCIDENTALES', Liv. III. 221 de fi bonne forte , qu'ils en furent tout eftonnez ; mais nonobftant tout cela , ils furent toute la nuit aux efcoutes, & fur leurs gardes, comme bons foldats, & qui vouloient eftre en feureté.

C H A P I T R E Continuation

1522.

IV.

de la defcouverte du Royaume de

Mechoacan.

L

E lendemain les Caftillans mandèrent à Cortés tout ce qui s'eftoit paffé , & continuèrent leur chemin à Mechoacan ; ils furent fix jours en chemin, eftant toujours accompagnez de quantité de gens qui venoient des lieux circonvoifins , pour voir ces hommes qui avoient fubjugué les Mexiquains leurs ennemis. Dés l'arrivée des Caftillans à Taximaroa, le Gouverneur en avoit donné avis au R o y , & aux Gouverneurs des autres peuplades par où. ils dévoient paffer, jufques à leur envoyer une toille où les Caftillans eftoient dépeints comme ils alloient , comme ils mangeoient , comme ils dormoient, leurs armes, & comme ils eftoient veftus. Lors qu'ils arrivèrent à une demie lieuë de la ville de Mechoacan ; le R o y pour faire paroiftre fa grandeur, & fa bonne volonté, fit fortir huict cens Seigneurs, veftus comme fi ç'euft efté pour célébrer leur plus grande Fefte, chacun d'eux avoit dix ou douze mille vaffaux ; & il fortit encore outre cela tant de gens, que la campagne en eftoit toute couverte. Les Caftillans eftant arrivez, l'un de ces Seigneurs, qui paroiffoit eftre le plus ancien , & avoir plus d'authorité, les embraffa, & leur ayant donné premièrement des rofes, il leur dit ; Noftre Grand Seigneur, de qui noué dépendons tout tant que nous fommes, nom a commande de fortir pour vous recevoir, & que nous vous difions que vous fuffiez les bien-venus, & que par des Meffagers particuliers dès que vous fuftes arrivera Taximaroa, jufques à arriver où vous eftes maintenant,

C c iij

L'on d o n n e avis au Roy de M a chaocan de l'arrivée des Caftillans.

Les Caftillans arrivent à M e choacan.


222 1522.

Ceux de M e choacan régalent les Caftillans.

Le Roy de M e choacan vifite les Caftillans.

Paroles du Roy de Mechoacan aux Caftillans.

HISTOIRE

il vous a envoyé vifiter, pour vous tefmoigner le contentement qu'il reçoit de voftre venue ; Il nous a enchargé de vous dire, qu'en entrant dans fa grande Ville, vous ferez traitez, comme dans la voftre, & vous prie de vous y repofer, & de vous y dèlaffer ; & qu'il vous fait fçavoir, que touchant ce que vous defirez entendre, & apprendre , il vous en dira une grande partie ; & qu'il recevra à grande courtoife, que de Cortés ; & de fin Grand Seigneur, l'Empereur & Roy de Çaftille , vous luy donniez une entière connoiffance , parce au il defire fort a eftre Amy de L'un & Vaffal de l'autre.

Les Caftillans ne tinrent pas grand difcours. Ils furent conduits dans de grandes chambres , & admirablement bien bafties & bien ornées, & qui tefmoignoient bien appartenir à un fi grand Seigneur 5 ils furent menez en grande cérémonie & avec de grands refpects & on leur donna à manger de différentes viandes, au fon de leurs Inftrumens , & de la Mufique, car ils y font fort adonnez, & font grand bruit. Comme ils effoient au milieu de leur repas, le Grand Seigneur les vint voir ; quoy que Montano dans fa Relation die qu'avant qu'on leur euh; apporté à manger, il fortit avec une grande majeffé pour les voir, & que leur ayant montré un figne de paix , ne confentant pas qu'ils approchaffent de luy, il leur dit, qu'ils fe repofaffent, & qu'il retourneroit incontinent pour leur parler plus à loifir. D e u x heures après que les Caftillans eurent pris leur réfection, le R o y , quoy qu'ils vouluffent fortir pour l'aller recevoir, & qu'il ne vouluft pas confentir qu'ils approchaffent de luy, les interrogea de cette forte par l'interprète , avec une grande feverité , Qui eftes-vous ? D'où venez-vous ? Que cherchez vous ? qui vous contraint de venur de fi loing ? Poffible que dans la terre d'où vous eftes nez, il n'y a pas dequoy boire ny manger, & que cela vous oblige a venir icy pour voir & reconnoiftre des gens eftanges. que vous ont fait les Mexiquains, qu'eftant entrez dans leur Ville vous les ayez ainfi détruits ? Vous prétendez poffible faire la mefme chofe de moy.


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I I I . 223 Mais je fuis fi vaillant & puiffant, que je ne le confentiray jamais, quoy que faye eu de grandes guerres contre les Mexiquains , & qu'ils ont eftè mes plus grands ennemis.

1522.

Les Caftillans n e furent pas bien contents de ces paroles ; mais nonobftant tout c e l a , Montano luy repartit par le mefme Interprète ; Grand Seigneur , H a r a n g u e d é M o n t a n o au que tes Dieux te facent proffperer,& augmenter tes Royaumes ; R o y de M e il ne te le faut point celer , nous femmes envoyez, de la part c h o a c a n . du grand Capitaine Cortés, & non à autre fin , que pour te le donner à connoiftre, & que tu le tiennes pour amy, & que tu le trouveras tel en tout ce qui fie prefientera , a toy, ou aux tiens. Et puis que tu nous as demandé en peu de paroles beaucoup de chofes , à quoy nous ne pouvons faire de refponfe qu'à loifir, nous fupplions de nous efcouter, & après que tu nous auras oüis , tu n'en fieras pas marry. Nous fommes Chreftiens, originaires d'une terre que l'on appelle Caftille y Nous femmes venus icy par le commandement d'un Grand Seigneur que l'on appelle Empereur des Chreftiens, que noftre Dieu a infpiré de nous envoyer vifiter ces nouvelles terres , non pas qu'il manque dans la noftre les chofes qui nous font neceffaires pour la vie ; bien au contraire, nous avons de refte. Nous ne fommes venus icy, après que nous avons eu la connoiffance des terres que nous avons dedefcouvertes, qu'à deux fins principales ; l'une pour communiquer aveque toy, & te tenir pour amy, en te donnant de ce que nous avons, & que tu n'as pas icy , & recevoir de toy par la voye du trafic & d'amitié, ce que nous n'avons pas dans noftre terre , ainfi que l'on a de couftume de faire par toutes les terres du monde, ainfi que l'on nous a fait entendre que vous faifiez, & par le moyen duquel les Royaumes s'enrichiffent. Mais la féconde chofie eft celle qui importe le plus qui refuite du Négoce, & communication que nous deftrons faire aveque toy ; & qui eft de te defabufer d'un grand aveuglement & erreur, en quoy le Démon te tient engagé , en te faifant adorer des faux Dieux, & corrompre en beaucoup de chofes la Loy naturelle qui a tant de force fur tous les hommes. Et quoy qu'au commencement cela te femblera difficile & rude , à caufe des couftumes que tu gardes & fais 3


1522.

Refponfe du Roy de M a choacan,

224. HISTOIRE garder par ton erreur, lors que tu nous duras efcoutez la chofe te femblera facile, & douce ; Et fi nous avons fait la guerre, & détruit les Mexiquains , ce ne fut que farce qu'ils rompirent fouvent aveque nous l'amitié que nous avions contrariée avec eux, & qu'ils nous vouloient tuer en trahifon, & pour chaftier les maux & les tyrannies qu'ils faifoient à plufieurs Nations qui nous demandaient du fecours. De forte que quoy qu'ils fuffent en grand nombre, fort puiffans , & enfermez^ dans une Ville fi forte , ils ne furent pas capables de refifter contre nos forces, & encore moins de nous offenfer ; Parce que noftre Dieu qui eft feul & tout-puiffant, combat toit pour nous contre eux , & contre leurs Dieux. Et fi tu veux fçavoir, Grand Seigneur, plus clairement, que nous ne faifons tort à perfonne, informe-toy de tant de bons amis qui nous ont favorifez, & qui nous ont pris pour Proie fleurs, tu verras par là qu'en voulant eftre le noftre , ainfi que tu nous l'as fait fçavoir , tu te réjouiras d'avoir noftre amitié ; & pour cet effet , il ne faut pas que tu adjoufle foy à tes mauvais Confeillers,pour te faire faire ce qui n'eft pas convenable à ta Royale perfonne , parce que tout ce que nous t'avons dit contient vérité ; & fi tu ne nous veux pas croire,puis que tu as des Interprètes Mexi quains,demande-le en particulier à ceux qui font venus aveque nous, quoy qu'ils ne foient pas de noftre Nation ny lignée, ils te diront la venté. Cazouzin fut toujours fort attentif à efcoûter Montarîo ; & repaffant en fon efprit beaucoup de chofes, parce que de celles qu'il venoit d'entendre, les unes luy plaifoient, & les autres luy donnaient de la crainte ; & s'arreftant un peu, comme il penfoit à quelque chofe, il refpondit, qu'il eftoit fort aife de l'avoir efcouté, & qu'il s'allaft repofer, que cependant il luy ferait refponfe. Cependant les Caftillans ne firent paraiftre aucune action de foibleffe ny de crainte, pour ne pas d é choir de la réputation qu'on les tenoit, qui eftoit de les tenir pour invincibles, fils du Soleil. Ils s entretenoient entr'eux de ce qu'ils feraient ; mais enfin , comme des gens qui ne pouvoient aller en aucun lieu de nuit ny de jour qu'ils ne fuffent defcouverts , ils refolurent d'attendre ce qui leur pouvoit arriver. ;

CHAP.


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. III. 225 1521

C H A P I T R E

V.

Cazouzin , Roy de Mechoacan a deffein de facrifier les Caftillans, mais il en fut détourné, par un Seigneur de fin Confiel.

C

avoit ordonné que grand nombre de gens par diffimulation avec des armes lecretes ; gardaffent les Caftillans dans les courts du Palais, dont les uns eftoient affis fur des pierres vies autres fe promenoient. Il commanda à deux Seigneurs de prendre garde que les Caftillans ny dej o u r ,ny de nuit, pour quelque chofe que le fuft, ne paffaffent pas une raye qu'ils leur marquèrent, fans permiffion, dont ils furent fort furpris ; mais diffimulant du mieux qu'ils p u r e n t , l'un d'eux d'un vifage gay, dit ; Dites au Roy AZOUZIN

Carouzin d e f fend aux Caftillans de forcir de leur c h a m b i e r

que nous fommes dans fon Royaume & dans fia maifon , & que nous fommes Meffagers ; que nous fommes venus à deffein de le fiervir, & que nous ne contreviendrons à rien de ce qu'il nous commandera , & que s'il veut que nous fortious de cette cham-bre, nous en fertirons fans contredit, auffi bien que ce qu'il nous

commande à prefent de faire. Ces paroles ayant efté rappor- II a deffein les tées au R o y , il manda qu'à l'heure de Vefpres l'on fift facrifier Caftillans. de grandes Feftes par toute la Ville, & mettre des brahers dans les tours des Temples, & que l'on y brûlaft des chofes odorantes ; que i o n facrifiaft à leurs Idolesdans ces tours grande quantité d'hommes, de femmes & d'enfans , au fon des trompettes, des cornets-àbouquin, avec de continuelles danfes & chanfons, & de jour & de nuit, mais des chanfons il triftes, que ce heu fembloit eftre un enfer. Ces feftes & facrifices durèrent d i x - h u i t j o u r s , à deffein de facrifier les Caftillans fur la fin. Mais comme Dieu vouloir faire ceffer la fanglante domination du D é m o n , & voulant conferver les Caftillans, & encore d'autres qui dévoient fervir d'inftrumens & de remède à ces Infidèles, il toucha le cœur d'un grand Seigneur, des plus ancien. Dd

de


1522.

226 HISTOIRE du Confeil du Roy , & qui gouvernoit fes Eftats ; il bien qu'une nuit au bout des dix-huit jours, il dit au Roy ;

Remonftrance d'un grand Seigneur au Roy de Mechoacan.

Qu'il fer oit fort à propos de bien confïderer premièrement ce qu'il avoit envie de faire s parce que ce feroit une chofe cruelle & indigne d'un grand Roy, de vouloir faire mourir ceux qui le venaient vifiter, & luy offrir leur fervice, fans reconnoiftre avant toutes chofes s'ils y venaient de bonne forte, ou autrement y Et qu'il prift garde que ces hommes, ceux qu'avait leur Capitaine eftoient fort vaill ans , puis qu'ayant eftè en fi petit nombre ils avoient affujety une fi puiffante Ville comme Mexique, & que leur Dieu dont ils parloient eftoit feul, que par confequent, il devoit eftre tout-puiffant , & que les Dieux des Mexiquains, & ce grand Dieu appelle Vitzilipuztli, qu'ils adoraient avec tant de révérence y n'avoit pas efté baftant pour les deffendre ; Et qu'il croyoit que ces Caftillans eftoient enfans du Soleil, puis qu'ils eftoient demeurez fi victorieux de leurs ennemis, & que puis qu'il avoit toujours fuivy fon confeil, il le priait de retarder cette exécution y puis qu'il n'y avoit point d'inconvénient de ne la pas faire ; & qu'il valait bien mieux confiderer qu'il eftoit bien plus à propos de tenir pour amis ceux de qui il pouvoit efferer beaucoup d'aide y & beaucoup de maux.

l e R o y de Mechoacan c h a n ge de deffein de facrifier les Caftillans par le confeil de l'an de fes Confeillers.

Ces paroles contentèrent le R o y , & agréa fort ce confeil ; il fit ceffer les Feftes, & empefcha de palier plus outre aux facrifices. Il envoya quatre de fes principaux Seigneurs dans la chambre des Caftillans ; pour luy amener quatre de ces Seigneurs Mexiquains qui eftoient venus avec e u x , afin de s'informer d'eux quelle eftime ils en faifoient. Les Caftillans ayant choifi entre les vingt, les quatre qu'ils jugeoient .avoir meilleur efprit, ils leur dirent, Qu'ils

croyoient que le Roy avoit deffein de les facrifier tous ; & que pour remédier à ce péril , il eftoit a propos, lors qu'il les interrogerait , qu'ils luy declaraffent la manière de combattre des & luy fiffent entendre quelles eftoient leurs armes , I n f r a c t i o n que Caftillans, les Caftillans l'effet de leur artillerie , des efcoupettes, des arbaleftes ; la d o n n e n t à qua& la valeur & le courage des hommes ; tre Seigneurs fougue des chevaux, Mexiquains. qu'une pièce d'artillerie tuoit tout a un coup cent Indiens ;


DES INDES OCCIDENTALES, Liv, III.

227

Qu'outre tout cela , ils avoient des chiens qui faisaient un grand carnage parmy les Indiens ennemis des chreftiens ; qu'ils eftoient d'une telle conftitution qu'ils ne fe lalaffoientjamais à la guerre, paffant des deux & trois jours fans boire ny manger ; Qu'ils fe fçavoient fort bien abfienir de dormir lors qu'il eftoit neceffure ; & que comme dans les affaires de la guerre ils eftoient tellement heureux que jamais ils n'eftoient vaincus , ils mettoient tout a feu & à fang chez leurs ennemis ; Que nonobfiant tout cela, lors que l'on les requérait de pardon & de p a i x , ils l'accordaient auffi-toft, & vivoient fuis après enfemble comme de véritables amis ; Que leur Roy leur envoyait à tous momens des armes & des gens frais, pour empeficher que quelque Roy, ou Seigneur, quelque p u i f fant qu'il fuft , ny plufieurs enfemble , ne fuffent pas fi hardis de les offenfer ; Et que pour eux, comme ils eftoient teftnoins oculaires de ce qu'ils difoient , qu'ils procuraffent autant qu'ils le pourraient, qu'il recherchaft l'amitié de Fernand Cortés, s'il vouloit conferver fon Eftat , & l'employer contre d'autres ; Et qu'il prift garde fur tout, de faire quelque chofe dont il fe pourrait repentir puis après. Que fi en tous cas , ils voyaient qu'il euft quelque mauvais deffein, ils luy diffent que les quatre Caftillans feuls, eftoient baftants de tuer tous ceux qui les gardaient ; outre que leur Capitaine ne manquerait pas de venir auffi-toft à leur fecours, & qu'il le tueroit, & mettroit tout fon Royaume a feu & à f a n g ; Qu'ils partifient donc à la bonne heure, & parlaient hardiment ; & qu'ils ne fe miffent point en peine , qu'il fuffifoit qu'ils demeuraient là , & qu'ils périraient, ou ils les fecoureroient fans y manquer en aucune façon, cela luy ayant efté enchargè par Cortés,

Les quatre Seigneurs Mexiquains, fuivirent donc ceux qui les eftoient venus quérir , & entrèrent où eftoit le R o y , auquel fuivant la couftume, & comme l'on fait à leurs Dieux, ils firent de grandes révérences ; puis ayant fait appeller fes Interprètes devant quelques-uns de fon Confeil, & de ce fage Gouverneur, il leur demanda plufieurs chofes, aufquelles ils refpondirent fi à propos , & avec autant de courage & de D d ij

1522

Le Roy de M e choacan i n t e r r o g e les M e x i q u a i n s , qui l u y refpondent.


2 2 8

1521

Les Caftillans font eftoanez de ne pas voir venir les quatre Mexiquains.

Le Roy va vifi-ter les Caftil.laas.

H I S T O I R E

liberté , que il Cortés avec toute fon Armée euft elle à la porte de la Ville. Le Roy & tous les Seigneurs qui eftoient aveque luy , furent tout eftonnez de ce que les Mexiquains luy dirent, & y ajoutèrent foy tous, par ce qu'ils en avoient déjà eu des nouvelles de pluiicurs endroits. Le Roy fit bien traiter ces Indiens, parce qu'ils luy dirent qu'ils eftoient de condition, & il leur témoigna eftre fort joveux de leur avoir parlé, & d'eftre efclaircy de ce qu'il eftoit en doute 5 il les retint dans fon Palais, & leur d i t qu'ils y demeuraffent jufques à ce qu'il leur ordonnait de retourner avec les Chreftiens Cependant les Caftillans ayant paffé un jour & demy fans revoir les Mexiquains, appréhendant qu'on ne les euft facrifiez, eftoient dans la refolution de vanger leur mort, de telle forte, que le Roy & les fiens, encore qu'ils fuffent defabufez qu'ils n'eitoient pas immortels , apprendroient combien il importoit de les offenfer. Mais ils ne tardèrent guère à les revoir fort joyeux, & les Caftillans ne le furent pas moins, & s'enquirent d'eux comme Je tout s'eftoit paffé. Trois heures après le Roy les vint voir tous, accompagné de quarante ou cinquante Seigneurs, & pour pages, dix ou douze jeunes garçons, bien équipez, avec une fuitte de plus de vingt mille hommes, portant tous des arcs & des fiéches, avec des guirlandes autour de leur tefte , faifant detcris comme des gens qui viennent de gagner une bataille. Les Caftillans s'imaginant auffi-toft que c'êtoit leur couftume d'agir ainfi, lors qu'ils vouloient tuer quelques Indiens pour les facrifier à leurs Idoles, fe mirent fur leur garde fans faire femblant de rien ; & l'un d'eux avoit un chien qu'il menoit en laiffe, qui eftoit furieux, & accouftumé à fe jetter fur les Indiens , qui eftoit refolu de le lafcher au cas qu'on les attaquait, Le Roy entra dans la court, où eftoient les Caitillans, leur montrant un vifage qui n'avoit rien de fevere, mais grave. Il portoit un arc en fa main,orné ,de quantité d'émeraudes ençhaffées,& fur les efpaules


DES INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv.III.

229

un carquois d'or, tout remply de pierreries, & comme 1522 le Soleil dardoit fes rayons fur l'arc & fur le carquois, cela efclatoit beaucoup. Il cheminoit feul, 6c aux deux codez & derrière un peu à l'efcart cheminoient les Seigneurs les plus chéris de fa perfonne. Les Caftillans allèrent au devant de luy pour le recevoir, jufques à la raye qui leur eftoit prefcrite, & luy firent d e grandes révérences avec des vifages qui n e tefmoignoient pas avoir de la crainte. Le Roy fe tira un peu à l'efcart vers l'un des coins de la court, 6c leur fît apprefter grande quantité de beftes fauves, tant mortes que vives, des lapins, des cailles, & plufieurs autres fortes d'oifeaux de chaffe, les uns en v i e , les autres m o r t s , qui cauferent beaucoup d'admiration aux Caftillans, parce qu'ils n'avoient point encore vea dans les Indes de tant de fortes de beftes de chaffe. Comme le Roy eftoit toujours fur les pieds, il appella l'Interprète, & regardant toujours fixement les Caftillans , il leur fit une harangue. D'autres difent que Le Roy fait u a pour manifefter fa grandeur, il fit appeller fon Capi- prefent de chaftaine G e n e r a l , & que le Capitaine le déclara à l'In- le aux Caftillans. t e r p r è t e , ce qui eft plus vray-femblable. Le contenu de cette Harangue eftoit , qu'il de- H a r a n g u e du mandait pardon aux, Caftillans, de les avoir retenus tant de Roy aux lans. jours y attribuant la caufe de cela , fur ce qu'il avoit eftè occupe pendant tout ce temps-là dans des feftes & des facrifices qui avoient eftè faits à l'honneur de leurs Dieux, ainfi qu'ils avoient accouftumè de faire tous les ans dans ce mefme mois, et que pour ce qui eftoit du deffein qu'ils avoient de paffer plus outre pour voir la terre de Ciquatian , qu'il ne le permettrait pas, parce que fi le cas arrivoit qu'ils fuffent maltraitez, ou tuez il ne defiroit pas que la caufe luy en fuft attribuée mais quefon defir efroit de les renvoyer à leur Capitaine auffifains, & en aufft bon eftat qu'il les avoit envoyez ; auquel il les prioit de dire qu'il faifoit beaucoup d'eftime de fa valeur; qu'il le vouloit fervir, & tout ce qu'il luy voudroit commander, & eftre vaffal du Roy de Caftille,puis qu'il eftoit fi puffant que d'envoyer un tel Capitaine, & de tels hommes

Dd

iij

Caftil-


1522

230 HISTOIRE qui font femblables à des Dieux, fuis qu'eftant fi feu, felon que nous l'avons appris, ils ont en fi pu de temps affujetty l'Empire Mexiquain , qui foffedoit tant de Royaumes & de Provinces. Et d'autant que les Rois fes predeceffeurs avoient accouftumê de ne renvoyer pas des Meffagers qui les venoient vifiterfians les charger de quelques prefens, qu'ils auroient leurs dépefches au premier jour , avec des dons pour eux , & un prefient pour leur Capitaine, auquel il baifoit les mains , & le fuplioit de recevoir ce qu'il envoyeroit, pluftoft pour gage & figne d'amitié, que pour la valeur de la chofe, parce que tout fion Royaume eftoit peu pour un homme qui meritoit beaucoup comme luy. Il leur dit e n c o r e , que le pluftoft qu'il pourroit il iroit luy rendre obeïffance, & qu'en attendant il vouloit envoyer avec eux quelques Seigneurs. Cette Harangue citant achevée, il leur donna toute cette chaffe, & leur d i t , qu'ils la partageaffent entre eux comme bon leur fembleroit. L'on ne peut pas bien exprimer la joye que les Caftillans eurent alors, parce que comme ils n'efperoient rien que la mort, ils furent bien eftonner de fe voir libres,& fi bien régalez, ainfi il leur fembloit que ce fuft un fonge. Enfin les Caftillans fe voyant traitez de la forte , luy répondirent en peu de paroles, qu'ils baifoient les pieds à fin Alteffe ; de ce qu'il avoit fait paraiftre quel il eftoit en tout, dont ils en feroient un ample récit à leur Capitaine, & dont les Seigneurs qu'il avoit deffein d'envoyer avec eux feroient les véritables tefmoins, lors qu'ils retourneroient avec la rejponfe de leur Ambaffade. En achevant ces paroles, le Roy S'en retourna, & commanda que l'on leur donnait bien à mager ; on leur en apporta t a n t , qu'il y en avoit pour plus de quatre cens hommes. 31 leur envoya dire, Qu'ils fie donnaffent du bon temps,parce qu'au premier jour il leur donneroit leur dépefiche fans faute, & que pour luy, il alloit choifir des Seigneurs de fin Royaume pour les accompagner; & qu'ils feroient porter tous les vivres qui feroient neceffaires pour tout leur voyage, jufques aux portes de Mexique, & qu'il leur envoyeroit auffi des chaffeurs pour les entretenir.


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. III.

231 1522

C H A P I T R E

VI.

Le Roy de Mechoacan congédie les Caftillans, & envoyé des Ambaffadeurs a Cortés.

L

E lendemain il parut quantité de Seigneurs, qui conduifoient vingt Indiens, chargez d'eftoffes les pius eftimées,& vingt lièges de bois,fort bien travaillez, 6c cinq charges de chauffures, dont ils ufent, de cuir de cerf, fort b e a u , blanc, jaune & rouge ; & cinquante marcs de joyaux, d'argent 6c d'or bas. T o u t cela eftant déchargé dans la court, on les pofa fur des nattes fore riches, & fort déliées, que les Indiens appellent Petates. 6c les Efpagnols Efteras , & quantité de couvertures blanches & riches, fur lefquelles ils mirent au milieu de la court quantité de pièces d'argent, d'or bas, & de fin, dont le tout pouvoit monter à cent mille Caftillans. Auffi-toft après arriva le R o y , & par le moyen de fon General, & celuy-cy par un autre Favory, & le Favory par l'Interprète, dit aux Caftillans, Que les eftoffes &

Le prefent que

les joyaux qui avoient efté déchargez dans les quatre coins de le Roy envoyé a la court , le Roy leur en faifoit frefent à eux , & que tout ce C o r t é s , & celuy qu'il d o n n e a u x qui eftoit dans le milieu de la court, ils le donnaffent a leur Caftillans. Capitaine, & luy diffent qu'il le fuplioit qu'il fift encore plus de cas de la bonne volonté, & amour de ce luy qui envoyoit ce prefent, quoy que de peu de valeur ; & que comme il avoit promis de luy aller baifer les mains en il le ferait lors qu'il auroit un peu plus de loifir. Apres qu'il eut

personne,

dit ces paroles, il fe retira à part avec huit de fes Seigneurs de ceux qui eftoient là, & leur commanda d'aller vifiter ce grand Capitaine des Chreftiens ; & les mit entre les mains des quatre Caftillans, & des Mexiquains, & leur fît dire ; Qu'encore qu'ils avoient le cœur placé en bon lieu, qu'ils eftoient généreux, & que pour cela il n'eftoit pas befoin de leur recommander ces Seigneurs, qui eftoient les plus affectionnez & favorifez de fa maifon ; que néanmoins pour le refpect qu'ils dévoient rendre à faperfonne, &à celles de ces Seigneurs en fon nom, il leur enchargeoit fur tout de les bien


1522.

H

0 I R E traiter, & qu après qu'ils feroient arriverait leur Capitaine eftont,qu'ils le fuppliaffent de fa part de les renvoyer fans leur faire aucun mal ; mais que lors qu'ils defireroient s'en revenir, ils le puffent faire librement y Et que dés l'heure mefme il demeuroitfon amy, & vaffal du Roy de Caftille -, Et que fi-toft que ces Meffagers fer oient de retour, luy mefme, comme il l'avoit déjà dit plufieurs fois, ferait ce voyage. Après cela les quatre Caftillans ,avec beaucoup, de refpects & de fourniffions, parce qu'ils ne croyoyent pas encore ce qu'ils voyaient , à caufe de la peur qu'ils avoient euë remplis d'allegreffe, refiondirent: Qu'ils n'eftoient pas fi ingrats , ny fi mèconnoiffans, qu'après avoir receu tant de faveurs dans fa mai fon, & leur avoir donné tant & de fi rares chofes, ils ne confideraffent la qualité de ces Seigneurs , & la grandeur de celuy qui les envoyait , dont ils leur avoient autant d'obligation , que s'ils euffent efté leurs propres frères ; Que fi-toft qu'ils fer oient arriverait lieu ou eftoit leur Capitaine , ils reconnoiftroient bien le bon traitement qu'on leur feront les chofes que l'on leur donnerait , parce que l'honneur des Caftillans n'eftoit pas de recevoir fans le gratifier auffi toft, Que lors qu'ils feroient de retour en fan Palais Royal, ils luy feroient un récit véritable de ce qu'ils auraient reconnu que l'on ne ferait pas demeuré ingrats envers eux ; & que fon Alteffe feroit fort fatisfaite , & contente de les avoir envoyez, & fe repentirait de n'y avoir pas efte. Le Cazouzin dit peu 232

I S T

de paroles, mais fort graves, en fe feparant d'avec ces Paroles du Roy de Machoaca aux Seigneurs qu'il envoyoit a Cortés.

Seigneurs , dont la fubftance eftoit ; le vous fais porteurs de ma parole, & vous donne charge d'aller vifiter ce fils du Soleil) Vous ferez ce meffage avec beaucoup de prudence, & luy ferez entendre ce que fay déjà dit plufieurs fois , que je luy fuis ferviteur & amy, & qu'il me trouvera tel lors qu'il fera neceffaire ; Et vous confidererez fur tout fon procède & bonne réception qu'il fera de vos perfonnes ; afin qu'eftant de retour vous m'en racontiez, les particularitez il fit partir auffi huit

cens hommes pour porter les hardes, le bagage, & les v i v r e , lefquels félon leur couftume eftant chargez fortirent de la maifon Royale l'un après l'autre, & faifoient une filongue file , que cela eftoit ennuyant de les voir paffer. CHAP.


DES INDES OCCIDENTALES, Liv..III. 233 1522,

CHAPITRE

VII.

Les Caftillans fortent de Mechoacan & arrivent à Cuyoacan, d'où Cortés n'avoit bougés

C

Omme donc les Caftillans furent prcfts de partir, le Roy envoya certains Seigneurs en grande dili- Le Roy de Megence , pour les prier inftamment de luy faire tant de choacan d e m a n d e le chieV courtoifie que de luy laffer le chien qu'ils avoient, par- que les Caftilce que c e t animal luy avoit femblé le plus beau qu'il lans avoient. euft jamais v u , & que pour cela il leur donneroit autant d'or & d'argent qu'ils luy en voudroient demandenparce qu'il croyoit qu'un animal fi vaillant & qui venoit avec de fi forts hommes, ne pouvoit qu'il ne fuft propre pour la garde & deffenfe de fa perfonne , & de fa maiion, & que pour eux ils n'en manqueroient pas d'autres; parce qu'il fçavoit bien qu'en l'armée de Cortés il y en avoit quantité qui combattoient, & que fur tout on luy octroyaft fa demande , ou qu'autrement il en auroit un grand reffentiment. Cette nouvelle donna bien de la peine aux Caftillans , parce que c'eftoit l'un des bons chiens qu'il y euft,& qui en ce temps-là n'avoit point de prix ; il eftoit grand , & courageux , fort adroit à la g u e r r e , & fi redouté des Indiens , que fi-toft que l'on l'avoit lafché , encore qu'il y en euft dix mille de, vant l u y , il les faifoit fuïr ; outre qu'il eftoit fi actif & fi acharné contr'eux, que la première chofe qu'il faifoit eftoit de terraffer tous ceux qu'il rencontroit , & après qu'il les avoit écartez, il revenoit auffi-toft fur ceux qui le relevoient, les faififfant tous à la gorge. Ils furent quelque temps à fe refoudre ce qu'ils feroient ; & Penalofa a qui il appartenoit faifoit la fourde oreille,& quoy que fes compagnons luy diffent que cela ne fe devoit pas refufer, il difoit qu'il aimoit mieux mourir que d e donner fon chien. Mais d'ailleurs appréhendant ce qui peut-eftre fut arrivé fi on ne le donnoit p a s , qui eftoit

Ec


234

1522.

Réponfe des Caftillans au Roy t o u c h a n t le chien.

H I S T O I R E

d'eftre facrifiez , comme c'eftoit un homme rai loirnable il fe laiffa perfuader. Les Seigneurs Mexiquains difoient, que fans doute le Roy croyoit que fes Dieux eftoient en colère contre luy de ce qu'il ne les avoit pas facrifiez ces dernières Fefles , vu qu'ils eftoient leurs plus grands ennemis, & que pour les appaifer il vouloir facrifier le chien; & que fi on ne le luy donnoit, il croyoit qu'ils mourroient tous , & le chien auffi , & que par confequent il valoit mieux que le chien perift qu'eux tous. Penalofa donna donc le chien à fon grand regret , la crainte de la mort ayant plus de force que fon obftination en quelque façon excufable; & comme il ne voulut pas répondre en ce rencontre , l'un de fes compagnons dit ; qu'encore que cet animal eftoit le meilleur de tous ceux de l'armée il eftoit au fervice du Roy & eux auffi , afin qu'il euft quelque chofe des Caftillans four gage , & qu'il fe fouvint d'eux ; & que s'il defiroit d'eux quelque autre chofe qu'ils euffient, qu'il s'en fiervift qu'ils luy dévoient bien davantage ; que quant a ce qu'il difoit qu'il envoyeroit de l'or & de l'argent , qùil leur en avoit affez donné , & qu'ils neftoient pas gens pour vendre un chien a qui ils avoient tant

d'obligation. Cependant que l'on euft deftourné le chien, ils fortirent de la court comme s'ils fuffent fortis d'une prifon , s'imaginant qu'ils ne verroient jamais l'heure de fe voir hors de ce lieu , & pour eftre privez de ce chien, ils furent toufiours en crainte dans le chemin ; s'imaginant que comme le Roy eftoit defia le maiftre de cet animal, il envoyeroit après eux pour les facrifier. Et ce qui augmenta encore leur apprehenfion , eft qu'ayant fait deux journées de chemin ils apprirent que l'on avoit encore fait des Feftes folemnelles, dans lefquelles par grandes cérémonies ayant demandé pardon à leurs Dieux ils avoient facrifié le chien , & que pourvoir ce facrifice il y eftoit accouru quantité de gens pour voir comment cet animal mourroit, qui eftoit fi furieux , vu qu'il avoit tué tant d'Indiens. Ce furent les Preftres particulièrement qui firent ce facrifice , avec de nouvelles cérémonies, difant au chien, comme s'il les euft enten-


DES INDES OCCIDENTALES,LiV.III. 235 dus ; Tu payeras maintenant par ta mort, celle de plusieurs 1522. & la mort de aux que tu tucrois encore ce,fera,& nos Dieux Ils facrifient le appaiferont la iufte colère qu'ils avoient contre nous autres chien dans Mechoacan. four n'avoir pas facrifié les chreftiens que nous avions en no-

Jlre pouvoir. Apres qu'ils eurent parlé d e la forte, ils r e vendirent tout de fon long comme ils faifoient les hommes fur le dos, furies degrez du Temple en la pierre piramidale ; Ils luy fendirent le codé du cœur fort adroitement , & l'ouvrirent avec un rafoir de caillou ; & l'ayant tiré , ils en frotèrent les faces de leurs Dieux, & firent auffi- tort après une danfe,chantant avec la mefme trifteffe qu'ils faifoient aux hommes qu'ils facrifioient. Cependant les Caftillans continuèrent leur chemin ; & Les Caftillans: font toujours quoy qu'ils fe voyoient libres de la prifon, ainfi qu'ils en appreheneftimoient la Maifon Royale du Roy de Mechoacan, ils fion jufques à auprés eftoient toufiours tellement dans l'inquiétude, qu'ils ne arriver de Cortés. pouvoient pas bien goutter des délices de la Campagne, & des fervices que les Indiens de Mechoacan leur rendaient , foupçonnant toufiours que ce n'eftoient que des diffimulations,pour les appeller lors qu'ils y penferoient le moins, ou qu'eftant pris au dépourveu, ces huit Seigneurs Mechoacanois les tuaffent en trahifon , parce qu'ils avoient avec e u x , outre les Indiens de charge,les huit cens hommes ; c'eft pourquoy ils fe tenoient fur leurs gardes le long du j o u r , fans s'écarter les uns des autres ; & s'eveilloient de nuit. Mais après tout ils achevèrent leur voyage, & arrivèrent enfin à quatre lieues Ils arrivent à de Cuyoacan, où Cortés effort. Ils luy donnèrent auffi- Cuyoacan. toff avis de leur arrivée, dont il receut un tres-graud contentement,. parce qu'il les croyoit morts. Il leur envoya quatre Cavaliers, avec quelques rafraifehifiemens. Il fe réjouit fort avec les Caflillans & les Mexiquains, Il lit beaucoup d'honneur aux Mechoacanois, il leur fit donner un appartement, où il les fit régaler ; & après qu'il eut receu le prefent, & traitté particulièrement avec Montafio & fes compagnons, ce qu'il leur fembloit de la terre d'où ils venoient,des gens , & comme le Roy les avoit voulu facrifier, qu'il avoit voulu avoir le chien, E e ij 3


236 HISTOIRE & enfin comme le tout s'eftoit paffé ; il fit appeller les 1521. Certes fe met Ambaffadeurs ; & pour reprefenter une authorité condans un degré venable & equipolente à celle du Roy de Mechoacan de grandeur, & qui fervift d'épouvante à ces nations, il fe veftit d'upour recevoir les Ambaffane longue veux de velours ; & s'affît dans une chaire à deurs du Roy de doffier,& ordonna que dans la fale où il feroit, tous les Mechoacan Caftillans fuffent de bout. Auffi-toft après entrèrent les Ambaffadeurs de Cazouzin, deux à deux ; à l'entrée de la fale ils firent de grandes foumiffions, & dans le milieu auffi, & lors qu'ils arrivèrent jufques où eftoit Cortés,il fe leva devant e u x , & les embraffa de bonne grâce l'un après l'autre, & lors qu'il fe fut remis dans fon fiege , le plus ancien d'entr'eux félon leur mode fit une certaine cérémonie , & tous les autres à fon imitation, & dit ; Que Compliment le grand Roy de Mechoacan luy baifoit les mains, & difoit que les Ambaf fadeurs luy font qu'à caufe de la grande réputation de fes faits merveilleux, qui voloit par tout ce nouveau monde , il n'y avoit chofe qu'il defiraft avec tant de paffion que de le voir , & qu'il eftoit tout épouvante que parfipeu de Chreftiens qu'il avait avec luy, ileuftfubjugué la plus forte ville du monde,& dont les habitans eftoientfifuperbes qutl leur fembloit que toute la puiffance de leurs Dieux ri eftoit pas capable de les humilier ; D'où il eft arrivé que pour n'avoir point eu de contradiction qu'avec leur Roy, ils avoient ainfi agrandi leur Empire, jufques à s'eftendre en de certains endroits plus de trois cent lieues ; qu'il feroit en forte de le venir voir le plutoft qu'il pourront,pour luy bai fer les mains, & luy offrir fa perfonne, fon Royaume , & fes amis qu'il avoit en quantité, & de très bons;Et que de la communication & amitié qu'ils contracteroient enfemble, il en refuiteroit de luy faire entendre ce qu'il vouloit luy dire touchant la Religion. Et parce qu'il pourroit apprendre plus particulièrement & plus à loifir des Chreftiens qu'il avoit envoyez, l'amour & la bonne volonté qu'il avoit pour luy, ils n'avoient plus rien à dire, finon de le fuplier qu'il fiftréponfe, qu'il leur baillaft leurs dépefches lors qu'il le jugeroit à propos. Cortés agréa fort leur v e n u e , & leur dit, Qu'ils fe donnaient du repos , & qu'il fe rèjoüiffoit fort que des gens confiderables comme ils eftoient, & ferviteurs d'un figrand Prince le fuffent


DES INDES OCCIDENTALES,LIV. III 237 venus voir pour eftre fatisfaits d'une partie des grandes obligations qu'il luy avoit , du bon traitement qu'il avoit fait aux Caftillans , & pour le prefent qu'il luy envoyoit ; que pour ce fujet il les prioit , qu'encore qu'ils s'en pourroient retourner quand bon leur fembleroit, qu'il fouhaitoit qu'ils fe donnaffent un peu de repos pendant quelques jours , pour voir à loifir la digpofition de fon armée, les armes , les chevaux , & faire exercice à fes foldats ; & que pour le rejle il défiroit paffionnement voir en perfonne un fi grand Seigneur, qui s'eftoit défi fendu fi fortement centre & Empire Mexiquain ; Que quant à leur arrivée il n'y devoit point avoir de regret , parce qu'il fçauroit & entendroit des chofes qui luy fer oient utiles , & à luy & à tout fon Royaume ; Que pour ce qui eftoit de ce qu'il s'offroit pour amy & vaffal du Roy de Caftille, il faifoit plus qu'il ne penfoit , parce que par cette voye il fe rendroit plus puiffant Seigneur qu'il n'avoit jamais efté ; & que pour preuve de cette amitié, ainfi qu'il difoit, il luy vouloit envoyer quel ques jolivetez de Çaftille, & qui pour n'eftre pas riches a l'égard de fa grandeur, elles ne laifferoientpas de luy donner du contentement a caufe de leur rareté. il fit auffi toft faire une efcarmouche à fa cavalerie, & une autre à l'Infanterie, & tirerquelques coups de canon 6c d'efcoupetes, qui fut une chofe bien furprenante pour ces Seigneurs, qui les regardoient avec une grande attention 6c admiration. Apres qu'ils eurent receu le prefent que Cortés envoyoit,il les congédia, & les fit conduire par quelques Caftillans, fort fatisfaits de leur Ambaffade.

C H A P I T R E

VIII,

Le Roy de Mechoacan envoyé fon frère vifiter & y vint puis après luy-mefme.

A

Cortés,

Près que Cortés eut renvoyé les Ambaffadeurs cydeffus , avec lefquels il envoya deux Caftillans pour prendre langue de cette partie de la mer du Sud, qui eft au Ponant de Mexique ; il refolut de donner une E e iij

1522,

LesAmbaffa-deurss'en retournent.


238 HISTOIRE bonne recompenfe à l'Interprète qui avoit efté à Me1522 Cortes recom choacan ; il le fit Gouverneur & Cacique de la peuplapenfe ceux qui de de JCocotitlan, à caufe de la fidélité & de la verité a voient efté a avecLefquelles il avoit agy en ce rencontre ; & recomMechoacan. penfe auffi les autres félon qu'il le jugea à propos. Ces Ambaffadeurs eftant arrivez à Mechoacan,dirent à leur Roy , tant, & de fi grandes merveilles à la louange de Cortés , que cela luy donna beaucoup d'admiration. Il leur demanda fort particulièrement & par le menu tout ce qu'ils avoient v u , & comme ils n'y eftoient pas allez à autre intention, ils luy en firent donc une auffi ample narration, que s'ils euffent elle plufieurs mois avec les Çaftillans ; d'où il nafquit une telle envie, qu'il voulue incontinent après aller voir Cortés, fi ceux de fon Confeil ne l'en detournoient. Et fur cela ayant fait quelques facrifices afin que fon voyage fuir, agréé des Dieux ; l e Roy de Me- le Confeil ayant opiné là deffus , trouva à propos qu'il choacan enr y envoyait, un n'en frère, nommé Vchuhilzi , qui avoit voye fon frère Le Roy pour.vifiter Gor- accompagné Cortés à la bataille de Honduras. tés avec un pre- fuivit ce confeil, & y envoya avec fon frère plus de milfent. le perfonnes de fervice , & quantité de Seigneurs qui avoient encor plus de mille perfonnes pour leur fervice. Il luy donna pour prefenter à Cortés quantité de hardes de plumes & de cotton, cinq mille poids d'or bas, mille marcs d'argent meflé avec du cuivre, toutes pièces de cabinet avec des joyaux. Il luy enchargea de prendre garde exactement fi tout ce que l'on difoit de Cortés eftoit véritable, ainfi que fes Ambaffadeurs luy avoient raconté ; & s'il eftoit véritable auffi que l'Empire Mexiquain fuit entièrement ruiné , & de quelle façon il fe gouvernoit alors. Ce frere du Roy eftoit vaillant & prudent tout enfemble ; & comme il avoit grande envie de voir un homme fi remply de mérites comme Cortés, il fit le plus de diligence qu'il put pour partir. Cortés ayant eu avis qu'il eftoit en chemin, envoya au devant de luy quelques Cavaliers , avec l'Interprète Cortér fort pour le recevoir & le féliciter de fa venue. Lors qu'il pour le recefçeut qu'il entroit dans, fon Palais, il fortit au devant & 0 voit.


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. III. 239 luy pour le recevoir, dans la première fale, il l'embraffa & luy fit de grandes careffes , & le prenant par la main, le fit affcoir auprès de luy , & luy fit apporter a manger. Il trouva du gouft. au vin d'Efpagne, & au milieu du repas Cortés luy dit par le moyen de l'Interprète ; Qu'encore qu'il defiraft paffionnément de voir le Roy , il fe réjouiffoit fort neant moins de fa venue , puis qu'il eftoit fon frere, & qu'il avoit grande connoiffance de fa valeur , & combien il avoit fait parler de luy à la guerre , particulièrement contre les Mexiquains. Vchichilzi fut fort aile d'entendre parler Cor-

tes de la forte , & l'agréa par des demionftrations & des paroles, difant , qu'il n'y avoit point d' homme qui peuft prendre le titre de vaillant la où il eftoit ; mais que luy & tous ceux qui l'accompagnaient le fervinient toutes les fois qu'il le commanderoit. Mais qu'avant toutes chofes il le fupplioit, de vouloir écouter ce qu'il venoit luy dire de la part de fon frère & Seigneur, il le pria premièrement par grande courtoifie de vouloir recevoir le prefent qu'il avoit apporté ; que plufieurs jours s'eftoient ècoulez depuis que fies Caftillans eftoient allez, à Mechoacan, que fon frère & luy avaient deffein de le voir, & de luy parler, à caufe des grandes victoires qu'il avoit gagnées avec les fiens, dont la réputation volait par tout ; & que fon frerey fuft défia venu ,fi de certaines occupations qu'il avoit dans fin Royaume ne l'en euffent détourné. Mais que filon ce qu'il en avoit appris , il devoit bien-toft arriver, & qu'il la 'ffeuroit qu'il eftoit tellement fon ferviteur, & bon amy, qu'en ce quifiepourroit prefenter les Tlafcalteques dont il avoit éprouvé la bonne volonté & la fidélité,n'auroient point d'avantage fur luy ; Et qu'il luy avoit dit auffi qu'il eftoit tellement fatisfait de luy, qu'il ne luy pourroit pas faire une plus grande courtoifie que de l'employer a quelque chofe ou il peuft luy rendre firvice ; parce qu'outre ceux de fia nation il y en a beaucoup qui le fierviroient d'auffi grand cœur comme les Capitaines Tlaficalteques. Et parce que les Ambaffadeurs que fon frère luy avoit envoyez avoient raconté d'étranges chofes des armes , & de la forme & manière de combattre des Caftillans, il luy feroit une grande courtoifie , de luy faire voir ta mefme chofe, & ces grands canos avec lefquels il avoit batu cette grande Ville de

Ee iij

1

52

2,

Paroles de Cortés au frère Roy.


240 1522.

Cortés mène le ftere du Roy à Mexique.

Le frère du Roy s'en retourne à Mechoacan.

Le R o y de Mechoacan refout de venir voir Cortés.

HISTOIRE

Mexique , & far le moyen des barques,

Cortés qui ne demandoit pas mieux, après luy avoir fait entendre par de belles paroles combien il eftimoit fa curiofité,luy dit, que le lendemain après qu'il fe feroit donné du repos il luy feroit voir tout ce qu'il fouhaitoit, & cependant il ordonna à fes gens de fe tenir prefts pour faire exercice & reprefenter une manière de combat tant de Cavalerie que d'Infanterie, & que l'on préparait auffi l'artillerie. Le lendemain l'armée eftantenbon ordre, il fît faire une décharge ; en fuite dequoy il fepara l'armée en deux bandes, puis l'Infanterie ayant fait une autre décharge, il en fit un efcadron, & le fit choquer contre la Cavalerie, & fit tirer tout d'un temps l'artillerie. Cet exercice eftant achevée, Cortés prift fon hofte avec luy, & entrèrent tous deux dans un Cano, bien équipé, & couvert, accompagné de plufieurs Seigneurs qui eftoient dans d'autres canos, & allèrent à M e x i q u e , où il luy fit voir les ruines de cette grande Ville, qu'il avoit veuë autrefois très-floriffante,laquelle luy parut alors un miferable fpectacle 6c digne de compaffion, dont il eut le cœur fort touché. Ils allèrent enfuite voir les brigantins, où Cortés commanda que l'on en équipaft u n , dans lequel entrèrent quarante ou cinquante hommes, qui voguèrent un efpace de temps. Cependant l'Indien confideroit toutes ces chofes avec grande attention , & dont il eftoit ravy. Apres qu'ils furent de retours Cuyoacan, il refolut de s'en retourner à Mechoacan , de forte qu'ayant receu les prefens que Cortés luy bailla, avec le bon traittement qu'il luy fit, 6c quantité de civilitez, il s'en alla fort fatisfait. Eftant de retour chez luy il fit au Roy un ample récit de tout ce qu'il avoit vu , & luy conta tant de chofes des Caftillans, de leur valeur , & de la courtoifie qu'il avoit receu d'eux , qu'il refolut d'aller voir toutes ces merveilles à fon tour , & fit apprefter de grands prefens pour Cortés. L'on tient que deux chofes le portèrent à faire ce voyage ; l'une , la nouveauté d'une chofe fi étrange , de voir un fi grand Empire defolé


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. III, 241 defolé par des hommes, qui pour eftre en fi petit nom1522, bre , la choie paroiffoit encore plus miraculeufe ; & pour traiter de paix avec eux pour mieux maintenir Tes Eftats, & s'il eitoit poffible , pour eftendre fes limites plus avant, s'imaginant acquérir de l'honneur par cette voye. L'autre , pour luy fembler qu'il triomphoit d'un R o y a u m e , avec lequel il avoit eu une haine m o r t e l l e , en fe réjoüiffant de la voir ainfi affujettie & r u i n é e , & fa Ville capitale qui auparavant eftoit fi floriflante , qu'elle eftoit la terreur & l'efpouvante de toutes les Nations des environs. Enfin Tangajuan, & pour furnom Bimbicha , Roy de Mechoacan partit, en grande Majefté, en envoyant tous les jours du lieu où il logeoit, des Meffagers à Cortés, pour luy donner avis de fa venue, & des lieux où il s'arreftoit, avec de grands compliments. Comme Cortés fort au du Roy il approcha de l'Armée des Caftillans , Cortcs fortit devant pour le receau devant de luy pour le recevoir avec toute la N o - voir. bleife Caftillane , bien équipée, & en bon o r d r e , avec la Mufique, parce qu'il avoit apris que le R o y menoit la fienne, & allèrent jufqu'à une demie lieue. L'entreveuëde ces deux grands perfonnages fut une chofe merveilleufe à voir, à caufe de la jonction des deux Mufiques, qui ne cefferent point jufques à ce que le Roy & Cortés furent enfemble. Alors le filence avant efté impofé, comme s'il n'y euft eu perfonne dans le C a m p , le Roy s'humilia beaucoup devant Cortés, lequel l'embraifa d'un grand amour & révérence, & luy dit par fon Interprète ; Tres-vaittant & tres-redouté Seigneur, Capitaine & Chef des vaillans, & courageux Seigneur ; envoyé par le plus grand Seigneur dont j'aye jamais oüy parler ; le te fuplie autant qu'il fe peut, que tu exeufes mon retardement, de n'eftre pas venu fi toft que je te l'avois promis ; parce que plufieurs fois ainfi qu'il t'eft pû arriver, les hommes principalement ceux qui ont la charge des gouvernemens, penfent d'une façon, & font fouvent le contraire de ce qu'ils penfent. Je viens exprés pour te rendre fervice, & pour eftre vaffal, comme tu l'es ; du Roy de Çaftille ton sei-

Ff

Harangues du Roy , à Cortes.


142 1522.

HISTOIRE

gneur ; c'eft pourquoy tu me peux commander d'orefnavant en tout ce qui fe prefentera qui touchera le fervice de ce grand Prince. Et d'autant que les offres que je te fais , fe doivent témoigner par les œuvres , tu recevras aujourd'huy de certains prefens d'or, d'argent, de joyaux, & d'autres chofes qui croiffent dans mon Royaume , afin que tu fçache qu'en t'offrant ma perfonne, eft la mefme chofe que de te fer-

vir de mon bien. Cortés ravy de ces paroles , & de leur exécution, car Je fujet le requeroit, l'embraffa derechef, & luy repartit ; qu'il ne s'eftonnoit pas de ce qu'il ne l'eftoit pas venu pluftoft voir, quoy qu'il s'y eftoit engagé de parole , pour la raifon qu'il difoit, qui eftoit tres-jufie, ainfi qu'il arrivoit à tous momens , mais que cela ne l'avoit pas deû mettre en peine ; & que quant à luy il eftoit tellement réjoüy fatisfait de fa venuë, qu'il le prioit de ne luy point faire ces exeufes qu'il luy baifioit les mains, & l'eftimoit beaucoup , tant pour fies offres , que pour les effets & que le Roy fon Seigneur luy feroit de grandes courtoifies, & que par la communication qu'ils auraient cy-aprés, il reconnoiftroit bien-toft le bien qu'à luy & d fon Royaume il en refulteroity en fe defabufant des grandes erreurs par lefquel les il y avoit fi long-temps que le Démon le tenoit engagé.

En s'entretenant ainfi de difcours l'un l ' a u t r e , ils retournèrent vers les appartemens de Cuyoacan , tous Cortés fait ré- deux fort contents ; Cortes le logea du mieux qu'il galer fes hoftes. pût ; il luy fit la meilleure chère des chofes que cette terre produifoit, & commanda aux principaux Seigneurs & gens de condition de fon Armée de donner toutes les fatisfactions & contentemens aux Seigneurs & parens du Roy qu'il avoit amenez avec l u y , afin que tous par le bon traitement qu'ils recevroient, euffent d e l'affection pour la converfation & amitié des Caftillans. Or ces Seigneurs eftoient félon leur mode richement veftus, ornez de riches joyaux & de pennachesj mais le Roy n'eftoit veftu que de fimples habits, & fort modeftes, pour mieux faire paroiftre devant Cortés fon humilité & obeïffance ; d'où les Mexiquains ayant pris fujet, de fe moquer de luy en le voyant,


DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I I I . 243 eftant Comme il l'avoit toujours efté leur ennemy ca1522. pital , de le voir venir en leur terre , ce qu'ils ne fe fuffent jamais imaginé, l'appelleront Cazouzin, qui fignifie Alpargate viejo en Efpagnol , & en François Le Roy de M e choacan , pourvieux foulier de c o r d e , & ce nom luy demeura tou- quoy appelle jours depuis, & les Caftillans ne l'appellerent jamais Cazouzin, autrement. Il mangeoit avec Cortés, & quelques-uns de fes principaux Seigneurs, & tous eftoient ravis de manger des viandes accommodées à la Caftillane, & affectionnoient encore davantage le vin, & ils y font tous tellement afpres, que l'on eft contraint d'y apporter une fe vérité de crainte qu'ils ne s'enyvrent. Cortés commanda que l'on fift devant le R o y , comme l'on avoit fait devant fon frère, c'eft à dire l'exercice des foldats, cependant qu'il fejourna là ; il fit efcarmoucher les gens de pied contre ceux de cheval, avec quelques falves d'artillerie & d'efcoupeterie, qui ne luy donnèrent pas moins d'efpouvante qu'à fon frère.Toutes ces réjouiffances eftant achevées, eftant fortcontent & fatisfait des fervices & des bons traitemens que Cortés luy avoir faits, & que le mefme Cortés eut agréé les prefens qu'il luy donna, il s'en retourna à fa ville de Mechoacan ; après eftre premièrement demeuré d'accord que toutes fois & quantes que Cortés y voudrait envoyer des Caftillans, ils y feroient tresbien receus , parce que Cortés par fon aftuce & par fon induftrie procuroit toujours d'agrandir cétEftat.

C H A P I T R E

IX..

Des qualitez de la terre du Royaume de Mechoacan,

M

ECHOACAN eft finie entre les limites de l'Empire Mexiquain, & ceux du détroit que l'Audience de la Nouvelle Galice tient à prefent, & s'eftend bien avant du cofté des Chichimeques, ainfi appeliez en langue Mexiquaine, dans laquelle eftoit' Ff ij

Les confins de Royaume de Mechoacan


244 HISTOIRE compris Mechoacan, qui veut d i r e , terre abondante 1522. en poiffon. Le Roy faifoit fa refidence dans Ziuzoutza, qui fignifie lieu remply d'oyfeaux Ziutzones, qui font ceux qui portent la plume de différentes couleurs, dont l'on fait les riches tapis & couvertures, & d'autres rares ouvrages, & maintenant des images. l'Eglife Cathédrale & fiege Epifcopal de Mechoacan , dont l'Evefque eftoit Dom Vofco de Quivoga, n'y fut pas long temps, il fut transféré à Puzquaro,qui veut dire en langue Mexiquaine lieu où l'on teint, &c en Tarafcofatztza, qui eft la mefme chofe. Ce lieu eft diftant de lieues de Mexique. Sa hauteur 6c eflevaLac de Mechoation du Pole eft au 19 degré dix minutes. 11 n'eft efloican plus grand gné d'un lac que d'un quart de lieuë, que l'on tient que celuy de Mexique. eftre plus grand que celuy de M e x i q u e , où il y a quantité de cauos,dont il y en a quelques-uns qui font fort grands , parce qu'il s'y efleve fouvent des vagues efpouvantables, auffi bien que fur la mer. Il s'y prend quantité de poiffon de différente forte, & entre autres d'une efpece qui eft fort petite , qu'ils fechent au Soleil, dont ils tirent un grand profit, parce que l'on y envient chercher de plufieurs endroits. Guayaugareo, appelle Valladolid, où ils pafferent le fiege Epifcopal, eft à fept lieues de Puzcuaro, & de Mexique Peuplades de & à 25 de Guadalajara, qui eft un grand chemin Royal, Caftilans dans le Royaume de & eft la capitale du Royaume , où il y a plufieurs Mechoacan. Provinces, & quelques peuplades de Caftillans, qui font Zamora, à 13. lieues de Puzcuaro ; le bourg de Lagos , à 30. lieues de Valladolid, le bourg de SanMiguel, à 4 0 . lieues de Mexique du cofté du Ponant, & San-Felipe à 1 4 . lieues plus avant que Valladolid ; la Conception de Salaya à 8. lieues de San-Miguel, qui eft efloignée de 35 lieues de Mexique , 6c de 17. de Valladolid ; Léon eft à plus de 6 0 . lieues de Mexique, 6c de 2 4 de Valladolid, dans lequel détroit il y a de grandes veines de métaux, & particulièrement d'argent. Ces quatre dernières peuplades furent bafties, à caufe de la guerre des chichimaques, pour la deffenfe de la


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv.III. 245 frontière. Les mines de Guanaxoato, font à 18. lieues 1522. de Valladolid, en tirant vers le N o r t , où il y a d'ordinaire fix cens Caftillans, avec un Lieutenant pour le Roy de Caftille. Les mines de Talpujagua en font à quinze lieues. O u t r e ces peuplades, il y a encore plus de trente hameaux de Caftillans, ou ils nourriffent des troupeaux, & il y a auffi quelques engins à fucre. L'on parle dans ce Royaume de quatre fortes de langage , le Chichimeque , l'otomie , parce qu'il y a grand nombre de gens de cette génération ; le Mexiquain & le Tarafia, qui eft fon langage originaire, le plus commun 6c le plus poly ; ce furent les Caftillans qui luy donnèrent ce nom , parce que lors qu'ils entrèrent dans ce Royaume les principaux Indiens leur donnèrent leurs filles en mariage, & Tarafcue eft autant comme qui diroit g e n d r e , d'où l'on a appelle ce lieu, la terre de los Tarafcos , à caufe dequoy l'on dit, la lengua de Tarafca. Le climat eft différent de ceux des autres Provinces, les unes font froides, les autres plus tempérées, & d'autres font plus chaudes. Mais Fertilité de la terre de Meelles font toutes fort faines, & l'air y eft fi bon que l'on choacan. y vient de quantité d'endroits pour s'y faire penfer de plufieurs fortes de maladies. Il y a abondance de lacs, de rivières ; & de fontaines d'eau douce, d é l i é e , claire & falubre qui engraiffe les troupeaux. Il y a auffi des fontaines & des bains chauds, les uns plus, les autres moins ; fi bien qu'à caufe de cette bonne température la terre y eft fort fertile 5 6c il y a de grandes campagnes pour la nourriture des troupeaux de toutes fortes, des bois fort touffus, & de tres-hauts arbres. La terre y eft fort abondante de toute forte de vivres, & mefme de b l e d , d'orge, & de toute forte de femences & l e gumes de Caftille ; de telle forte qu'il efcheut à François de Terrazas de recueillir trois cens feptiers de bled de quatre qu'il avoit femées. Il n'y manque rien de tout ce que l'on y a pu porter de Caftille, de toute forte d'arbres fruictiers, de légumes & herbes potagères , & les raifins y font excellens. Les Caftillans y Ff

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H I S T O I R E

246

1522.

ont planté des meuriers , à caufe dequoy l'on y fait force foye. Il y a de l'anil on paftel qui fert à teindre faire du tan,ou fumac, & de l'herbe pour faire le verre.

D u collé qui confine avec les Chichimeques, dont nous parlerons cy-aprés, il y croift de la graine d'efcarlate, les beftiaux, grands 6c petits, s'y eflevent engrand nombre. Il y naift auffi des chevaux, dont les Indiens fe fervent à prefent pour charier, & quitter cette barbare couftume d'eftre chargez comme des beftes. Il y a quantité de Chèvres, des Porcs de Camille, dont la plufpart vont par troupes dans les bois y comme des beftes fauvages. Les poules & les pigeons y ont auffi beaucoup produit, & il y en a une infinité dans les Provinces du Royaume de Mechoacan. Il y a force Lyons, & des Loups qui mangent les troupeaux, Des Tygres. , que les Caftillans appellent Adibes. Les Tygres qui font amorcez à dévorer des hommes, les efpient, & en entraifnent quelques fois ; mais les Caffillans les ont bien diminuez avec les arbaleftes 6c les arquebufes. Les Efcurieux font grand tort aux maifons, qui eft un mal fans remède, car ils creufent les fondemens, & les ruinent ; les Renards les empuantiffent de leur urine, dont la puanteur dure quarante jours, 6c gafte les hardes où elle t o m b e , qui ne font plus d'honneur après, D e s oyfeaux ny de profit. Les Auras, dont la naiffance eft inconappeliez AURAs nue , font certains oyfeaux comme des poules noires ; ils n'ont point de plumes à la tefte, & le col extrêmement laid 5 ils volent fort h a u t , & ne mangent que des charognes , qu'ils aperçoivent de loing. Il y a encore quantité d'oyfeaux de diverfes efpeces, qui fe retirent des derniers vers le N o r t , & reviennent dans leur temps. Il y a des Hibous, des Chats-huans, des Aigles, des Faulcons, des Autours, des Milans, des Gerfauts, des Efperviers, & plufieurs autres oyfeaux Des infectes, & de rapine ou de proye. Il y a auffi des Vipères, des autres animaux. Couleuvres, des Scorpions, & autres infeétes venimeufes mais non pas tant qu'en d'autres lieux. 11 y a des D e s animaux quy naiffent.

}


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv.III 247 Porcs de la t e r r e , & en quantité , qui font leur retraite 1522 dans les bois, 6c des Léopards, & de ceux que l ' o n dit qui forment la pierre de Bezoüar. Il y a des Lièvres, des Lapins, des Perdrix, des Faifans , des Tourterelles, & autres femblables oyféaux ; & d'autres qui font propres pour mettre dans des cages, & qui chantent melodieuiement. Les Mechoacans de condition, fe veftent comme Des habits des les Mexiquains , & il y en a quelques uns qui portent M e c h o a c a n e quesde longues veftes, & portent une cafaque pardeffus ; & portoient t o u s des efcarpins de peau de venaifon avant que les Caftillans y allaflent. Les gens du commun alloient tous nuds, en couvrant feulement leurs parties de quelque pièce de toile affez groffiere ; mais maintenant ils font tous veftus de cotton & de laine de Caftille , & portent des chapeaux. Dans plufieurs Provinces de ce Royaume , & particulièrement en celle-là, les hommes & les femmes tiennent à s gloire de fçavoir parler la langue Caftillane. Ils ont apris Ils apprennent la police Cafti; O u t r e cela beaucoup de chofes des Caftillans, tant lane. pour la police que pour la civilité & pour le travail, à caufe de la fineffe des bois de brefil, & autres, dont il y a de bons Charpentiers & Menuifiers, qui font des boiftes, des efcritoires, des tables, des cabinets, & autres chofes femblables qui font allez rares. Il y a de bons Peintres,des Tailleurs, des Cordonniers, & de tres-bons Serruriers,& qui font d'une grande mine de cuivre qu'ils purifient, quantité d'auffi bons ouvrages que les meilleurs chaudronniers du monde. Ils s'en fervent mefme pour cultiver la terre faute de fer, parce qu'il coupe comme de l'acier. Ils fe font adonnez a u f f i à nourrir des vers à foye, à planter des arbres fruitiers, & des marais pour avoir de toutes fortes d'herbes potagères tout ainfi qu'en Caftille. Ils eflevent des Brebis pour en avoir la laine, des C h e v a u x , des Vaches 6c autres animaux. Ils affectionnent auffi les Chiens, parce qu'ils gardent leurs maifons ; mais comme ils leur donnoient fort peu à manger, ils devenoient fort


248 HISTOIRE maigres, & cela leur donnoit fujet d'aller dans les bois, 1521. où ils mangeoient les troupeaux, & n'en bougeoient, fi bien que comme ils pullulent beaucoup, il y a quantité Ils eftoient plus de belles fauvages qu'ils appellent Matrones. D u fains du t e m p s temps de leur gentilité ils eftoient plus fains qu'ils ne de leur gentilifont, parce qu'ils mangeoient moins, mais s'amufoient té , & p o u r quoi à boire & à s'enyvrer ; d'où les Rois 6c les Caciques les emmenoient & les appliquoient dans de perpétuels exercices. Mais maintenant on a bien de la peine à les empefcher de fe bagner, parce que cela leur donne des maux de coffé, & les fait mourir ; & lors qu'ils fentent la fièvre , ils fe dépouillent auffi-toft, & fe vont jetter dans de l'eau froide ; fi bien qu'il en guarit fort peu. Ils ont plufieurs fortes d'herbes & de racines dont ils fe guariffent, qui ont une grande v e r t u , 6c qui font approuD e leurs herbes vées. Il y en a d'autres qui font venimeufes ; Il y en a & racines m é - d'une forte qui reffemble au lierre, qui naift fur les dicinales, bords des rivières, & en piffant deffus, elle fait enfler les parties honteufes.

C H A P I T R E

X.

Continuation des raretez du Royaume de Mechoacan. Les Mechoacaneques eftoient vaillans à la guerre.

L

E s Indiens de ce Royaume , principalement ceux de Tarafco font vaillants, & perdoient rarement une bataille du temps de leur gentilité. Leur R o y tenoit fes garnifons fur les frontières pour empefcher les courfes des Mexiquains, des Xalifcos, des colimas, & des Matalzingos, & ils ufoient des mefmes armes que les autres. Ils cheminoient tout n u d s , & s'oignoient le corps de rouge, de j a u n e , & de noir, & portoient des plaftrons de Maguey , qui eftoient trèsforts ; & tout leur plus grand entretien eftoit de prendre des captifs pour les facrifîer. Ils menoient avec eux des concerts de Mufique, des cornets-à-bouquin, des trompettes, & autres chofes femblables. Leurs

Enfeignes


L i v . I I I . 249 Enfeignes eftoient faites de plumes de piufieurs couleurs avec beaucoup d'artifice. L'on donnoit des r e compenfes à c e u x qui fe fignaloient dans les batailles, foit de Capitaine o u autres charges. Le Roy leur faifoit payer tel tribut qu'il vouloit, jufques à prendre leurs femmes & leurs enfans, fi bon luy fembloit, de forte qu'ils eftoient pire que des efclaves, & vivoient dans une terrible fervitude. Mais outre tout cela ils eftoient encore fujets aux Seigneurs, qui avoient vingt femmes plus o u moins ; lefquels en donnoient une au «premier Capitaine qui fe fignaloit à la guerre pour recompenfe , qui n'eftoit pas u n petit honneur entre DES

INDES

OCCIDENTALES,

1522.

Des tributs que les Rois voient,

eux.

Dans leurs mitotes o u danfes, ils beuvoient de telle forte de leur vin de M a y z , & autre b r e u v a g e , qu'ils tomboient tout yvres , mais aux jeunes gens cette boiffon leur eftoit interdite. Maintenant ils boivent u n peu trop de celuy de Caftille,, & d'une autre forte qu'ils font avec des cerifes, & de nos figues ; & s'en enyvrent le plus fouvent, tant ils font adonez à ce vice,quoy qu'il leur coufte allez cher. Mais du temps de leur gentilité lors qu'ils eftoient yvres, ils commettoient mille péchez abominables de la chair, quoy que cela ne demeurait, impuny lors qu'ils en eftoient aceufez. Ils joüoient au jeu de la baie, comme ceux J e Mexique ; Pour ce qui eftoit de leur Religion, ils fe conformoient auffi aux Mexiquains, & eftoient le mefme Démon les decevoit également. Leur Dieu principal eftoit Tucapacha ; ils le tenoient pour Autheur de toutes chofes ; & tenoient qu'il donnoit la vie & la m o r t , les biens & les maux temporels. Ils le reclamoient dans leurs afflictions, & regardant le C i e l , ils s'imaginoient qu'il y eftoit. Mais enfin, ils confeffoient un D i e u , un Iugement d e r n i e r , un Ciel, un Enfer, que la fin du monde devoit un jour arriver ; Q u e D i e u avoit fait un homme & une femme de t e r r e , & que s'eftant allé baigner, ils perdirent leur forme dans

Gg

Les Mechoacaneques grands yvrognes,

auffi

Tucapaena le plus grand Dieu de Me, choacan.


250 HISTOIRE l'eau ; mais que ce mefme Dieu les ayant refaits d e 1522. cendre & de certains mettaux, & qu'eftant retournez fe baigner, le monde eftoit defcendu d'eux ; Qu'il y D e la croyance avoit e u un deluge , & qu'un Indien appelle Tezpi, des Mechoacaqui eftoit Preftre, s'eftant mis avec fa femme & fes lîe^ues. enfans dans une façon de coffre de bois fort g r a n d , avec des animaux, & des femences, ils efchaperent tous ; Q u e les eaux s'eftant retirées, il avoit envoyé l'oyfeau appelle Aura , qui s'amufa à manger des charognes , & ne revint point ; & qu'ayant envoyé d'autres oyfeaux, ils ne revinrent pas non plus , excepté le plus petit, qui fut le plus eftimé à caufe des plumes qu'il porte qui font de diverfes couleurs, qui apporta une branche d'arbre. Ils avoient des Preftres qui prefchoient dans les Temples, & qui les efpouvantoient terriblement, & qui donnoient de grandes apprehenfions aux hommes, & ces appréhenfions les forçoient comme par contrainte de faire ce qu'ils prefchoient, quoy que contre leur volonté , & ils commençoient déjà à les avoir en horreur à caufe de cela, & n'entcndoient leurs prédications qu'à contre-cœur ; mais ils ne s'en pouvoient exempter, parce que le Roy les C o m m e leurs gageoit pour cela. Ces Preftres portoient de longs Preftres eftoiet cheveux, & des couronnes ouvertes à la tefte , comveftus. me ceux de l'Eglife R o m a i n e , & des guirlandes o ù De l'adminipendoient des houpes rouges. Le Roy avoit dans chaftration de la que place un Gouverneur, ou Capitaine , pour faire Justice. prendre le larron, l'homicide, ou celuy qui commettoit quelque autre crime, & qu'ayant fait informer du c a s , par des tefmoins, & le criminel eftant déclaré coupable, il fenvoyaft prifonnier avec la relation du fait , le Roy le faifoit chaftier. S'il avoit pris une femme par force & qu'il l'euft violée , on luy rafcloit la bouche jufques aux oreilles prefque, avec un rafoir de caillou , & puis après ils l'empaloient. Le premier larcin fe pardonnoit au larron, mais on luy faifoit une grande réprimande. Pour le fécond ils le preapitoient du haut d'une roche en b a s , & faifoient


DES INDES O C C I D E N T A L E S , L i v . I I I . 251 manger fon corps aux Auras, II n'y avoit point de 1 5 22. chaftiment pour l'homicide, parce qu'il s'en commettoit rarement. Les principaux Miniftres de la Iuftice A quoy l'on, les portoient de gros ballons comme d ' e b e n e , avec des connoiffoit minières de le plumes de plufieurs couleurs au bout d'enhaut , & de Iuftice. petites pierres enchaffées dans le bafton qui fonnoient comme des fonnettes, & lors qu'ils paffoient dans les rues, les hommes fortoient de leurs maifons pour les accompagner. Ceux qu'ils appellent Tarafcos , fonthommes vaillans, 8c ont embraffé courageufement la Religion & couftumes des Caftillans, & fe fçavent fort bien pleindre à la Iuflice des torts qu'ils leur font. En d'autres Provinces de ce R o y a u m e , il y a des fai- Naturel de ces néants fort vicieux , des bafteleurs , des menteurs, des Indiens. ingrats, qui n'ont aucun amour pour leurs pères , pour leurs femmes, pour leurs enfans, ny qui ne fe foucient point de leur mort ny d'autres maux qui leur peuvent arriver. Ceux de la Province de chilchota, font accouftumez a faire de faux fermens, & polir un verre de vin on leur fait dire tout ce que l'on veut ; de telle forte que les deux parties, venant- à prouver également leur intention, le luge ne peut pas s'éclaircir de la vérité. Anciennement ils ne fouffroient point les vagabonds ny les fainéants, parce qu'ils lés condamnoient à la mort, ou ils les envoyoient aux mines de Guaxcatlan. Il y avoit un Caftillan appelle Caftillo, qui avoit un grand jardin, où il y avoit quantité d'herbages de Caftille, où il y avoit auffi un grand quarré plein de febves,& fe voyant perfecuté de certaines fourmis, qu'ils appellent larroneffes, parce qu'entrant de m u s e l les ruïnoient tout;Caftillo voyant cela, refolut de l'en- Cas eftrange de tourer d'eau d'un petit ruiffeau qui paffoit tout auprès, certaines fourmis. & deffendoit fon jardin par ce moyen-là huit jours durant ; mais grand nombre de fourmis fe chargèrent de paille toutes enfemble, & la portèrent à l'endroit du courant le moins rapide, & le plus eftroit du ruif. feau , & y en portèrent tant qu'elles fe firent un pont d e quatre doigts de large par où elles pafferent de G g ij


252

HISTOIRE

nuit, & coupèrent toutes les febves qui eftoient fur pied 1522 dans le quarré, & les emportèrent dans leurs fourmilières. Le Maiftre du jardin fe rendit, & refolut de ne plus chercher de r e m è d e , & appella plufieursperfonnes pourvoir ce fpectacle. D'autres Caftillans dignes de foy, affirmèrent avoir veu en la terre des Chichimeques, que de deux fourmilières qui eftoient l'une Bataille de four, devant l'autre, il fortit une multitude de fourmis qui mis. allèrent attaquer les autres de grande furie , & comme ils s'arrefterent pour voir un cas fi effrange, ils virent qu'ils combatirent avec grande obftination, & qu'il y eut grand nombre de tefles coupées, & de corps; Et qu'enfin les unes prirent la fuite & fe fauverent dans leur fourmilière, & les autres pour fuivirent toujours, tuant jufques à ce qu'elles fuilent toutes rentrées dedans. Apres qu'elles furent toutes entrées, celles qui avoient vaincu entrèrent après les autres, & en tirèrent quantité de teftes de celles qu'elles avoient encore tuées dans leur fourmilière. Nous avons traité allez amplement du Royaume de Mechoacan, refte à dire , que maintenant il eft réduit Eftat de la Reli- en Evefché, où il y a plus de cinquante Paroiffes capig i o n dans le tales, avec leurs C u r e s , des Beneficiers, & des PréR o y a u m e de Mechoacan. fixes , tous Caftillans, fort fçavans en la langue du païs, fans ceux qui font refidens dans les villages & hanieaux, qui prefehent, confeffent, & enfeignent la jeuneffe dans tous les lieux des environs, en leur mefme langue , excepté celle des Otomies, parce qu'elle eft plus difficile & plus ruftique. 11 y a outre cela autant de Monafteres pour le moins, de l'Ordre de faint François & de faint Auguftin, qui s'occupent tous à faire la mefme çhofe. Il y a auffi fort peu de peuplade où il n'y ait un Flofpital,& en quelques-uns d e u x , pour penfer les Indiens de chaque langue, parce que pour la plufpart, ceux de cet Evefché ont çmbrafle la R e Soin des Eccle- ligion Catholique fans beaucoup de conteftation, & lîaftiques d'enfeigner les In- avec affection. Ils apportent leurs aumofnes de leur diens, bon g r é , & font fort affables & refpectueux enveu


DES INDES OCCIDENTALES, Liv.III 253 les gens d'Eglife, & s'employent avec eux dans ces faints ouvrages.

C H A P I T R E

1522

XI

Fernand Cortés envoyé à M e c h o a c a n , le Capitaine Chriftofle dolidy Gonçale de Sandoval dans les Provinces , qu'ild appellent de Puertos Abaxo ; Et Fierre d'Alvarado, & François d'Orozco à Guaxaca.

Q

velques mois après que Cazouzin, Roy de M e choacan fut retourné dans fon p a ï s , & Cortés continuant d'appliquer tous fes foins à eftabiir de tous collez l'obeïffance envers la Couronne de Caftille , ayant toujours pour principe l'introduction de la Religion , parce que fans cela il eftoit impoffible de la bien eftablir. Et d'autant que par les guerres paflees quantité d'Indiens épouvantez, fe difperfoient en plusieurs lieux efloignez,& qu'il n'eftoit pas à propos de fouffrir que l'on abandonnaft les lieux habitez de la forte ; & que le remède à cela eftoit d e faire entendre aux peuples, qu'en quelques lieux qu'ils fuffent, ils n'y feroient pas moins exempts d'obeïffance, il envoya le Capitaine Chriftofie d'Olid pour peupler dans H u i t - Chriftofle d'O zitzitla, que les Mexiquains & les Mechoacaneques , lid va peuplée Ziutzoutza. appellent Ziutzoutza, qui eft le liège Royal de ce Royaume. Il mena aveque luy quarante c h e v a u x , & cent hommes de pied. Il fut fort bien receu du R o y , qui luy donna de riches hardes, & des joyaux d'or & d'argent , quoy que méfié avec du cuivre. Chriftofle d'Olid fonda fa peuplade au gré 6c conten- ChriftopLe d'Otement de tous, & continua fon deffein paifiblement lid paffe à la Province de quelque temps , faifant en forte par fon trafic & Colima. Négociation d'attirer les Barbares à la connoiffance du fouverain bien, & incontinent après il paffa dans les Provinces de Colima, pour par cette voye s'ouvrir le chemin de la M e r , & les affujetir tout d'un temps en paffant. G g iij


254 HISTOIRE D u temps que les Mexiquains chafferent les Caftil1522. îansde leur ville, les peuplades 6c les Provinces fujettes à M e x i q u e , & leurs Alliez , tuèrent quantité de Caflillans, qui s'eftoient difperfez dans les campagnes par l'ordre de Cortés, qui cherchoient des mines d'or & d'argent. Dans Tutepec, où regnoit un grand Seig n e u r , dont l'Ellat s'eftendoit jufques à la cofte du N o r t , & qui avoit d'ordinaire des guerres contre Montezume , grand nombre d'Indiens fe jetterent fur certains Caflillans qui alloient defcouvrans la colle, & les ayant pris prifonniers, les dépouillèrent, & les mirent dans une grande court entourée d'une muraille de huit pieds de haut, où il y avoit des carneaux tout autour à hauteur d'appuy d'une allée qui regnoit à coflé ; & s'eftant mis autour d'eux plus de deux mille Indiens, ils leur baillèrent la chaffe comme s'ils enffent elle des T a u r e a u x , avec des ballons brûflez, 6c des aiguillons au b o u t , qu'ils leur fouroient dans la peau ; Cruauté des InCes pauvres miferables tafchant de fe vouloir fauver diens de T u t e embraffoient les carneaux pour tafcher de fortir de ce labyrinthe ; mais tout ce qu'ils pouvoient- faire eftoit d'y biffer les marques du fang qu'ils refpandoient pour mémoire de leur mort mal heureufe , & de la cruauté de leurs ennemis. Si bien que voyant qu'ils ne pouvoient pas éviter la mort, & que pour toutes armes, ils n'avoient que leurs mains déchirées & enfanglantées, ils fe mirent à genoux, & levant les yeux au Ciel, en s'animant les uns les autres, ils achevèrent leur vie comme de véritables Chreftiens. Dans d'autrès vilages , comme les Caftillans ne pouvoient pas toujours éftre enfemble, quand les Indiens en attratpoient quelques-uns, comme alterez de leur fang, ils cherchoient de nouvelles inventions pour les faire D e s genres de mourir plus cruellement. Ils en enfermoient quelquestourmens que uns plufieurs jours fans leur donner à manger de deux les Indiens faifoient fouffrir ou trois jours ; & enfuite ils leur coupoient un memaux Caftillans. bre du corps , & l'ayant fait cuire ils leur bailloient à manger. Ils en roftinoient d'autres tout vifs, & à


DES INDES O C C I D E N T À L E S , Liv. I I I . 255 petit feu, afin que leur tourment durait plus long-temps. Ils en efcorchoient d'autres, comme faifoient de n o tre temps les Chichimeques ; & parce que la guerre donnoit lieu à toutes ces cruautez , ne pouvant pas y remédier alors, & les chaftier comme ils le meritoient ; Comme Cortés fe vit hors de cet embarras, il envoya Gonçale de Sandoval au commencement du mois de Novembre de cette année, accompagné du Capitaine Louis Marin, avec deux cens hommes d'Infanterie & trente-cinq de Cavalerie , & bon nombre d'Indiens amis, accompagnez de quelques Seigneurs Mexiquains pour chaftier la cruauté de ces barbares, tant dans cette Province , que dans celles de Puertos Abaxo, qui commencent depuis la ceinture qui traverfe la N o u velle Efpagne en tirant vers la Mer du N o r t , depuis la Vera Cruz,

1522.

Sandoval la pour des chatier.

jufques à Goazacoalco, & Tabafco, & juf-

ques à la frontière de Tecoantepec. Mais eftant arrivez à Guatufco, toute cette terre fe rendit. L'on en chaftia peu, mais les plus coupables pafferent le pas. De-là il paffa à Guazacoalco, croyant qu'ils fuftent amis, comme ils l'avoient promis à Diego de O r d a s , lors qu'il pafïa par-là ; Et quoy qu'il les requift de fe fouvenir de la parole d o n n é e , & de la foy qu'ils avoient promife ; qu'il les exhortaft par de vives raifons, ils arrivèrent contre luy, & le menacèrent de la mort. Sandoval n'avoit pas deffein de leur faire la g u e r r e , mais voyant qu'ils perfiftoient toujours dans leur mauvais deffein, il les furprit de nuit dans leur lieu, & prit une D a m e , dont la prife fut caufe que fans aucune conteftation on fe faifit de Goazacoalco, & de fes rivages. Il peupla à trois lieues de la M e r la ville del Sandovat va peupler la Efpiritu-fancto , parce qu'il ne trouva pas une meilleure pour ville del Efporites fituation. Il contracta amitié avec les villes de Gue- faneto. chollcin , Civatlan,

Quezaltepec,

Tabafco , qui ne tar-

dèrent guère à fe révolter, & quantité d'autres lieux, qui par des brevets de Fernand Cortés furent donnez a la recommandation, & fous la conduite de ceux qui feuploient la ville del Efspirutu. fancto.


256 HISTOIRE Dans ce mefme temps Cortés aprit qu'il y avoit du 1522. trouble dans les terres du coffé du Sud, qui eft la plus riche Province de Mifteca , & d'autres encore , qui toutes à caufe de leur excellence , s'appelloient ainfi Montezume eftoit Seigneur de ces Provinces Mifteques, Zapotcques, & de plufieurs autres dont les unes obeïffoient à fon Empire depuis le temps de fes predeceffeurs, & fe rendoit Maiftre des autres,ou par force, ou par artifice, à condition de les maintenir en p a i x , parce que ces Nations pour les moindres occasions avoient guerre entre eux ; il bien que pour les maintenir dans lobeïffance, & pour faire la guerre contre le Seigneur de T u t e p e c , & d'autres ennemis, il tenoit Montezume tenoit de gran- d'ordinaire de grandes garnifons dans ces Provinces, des garnifons à principalement en la terre de Guaxaca, & de fa belle Guaxaca. valée, d'où puis après Cortés prit qualité, avec laquelle confine la Mifteque. Pour donc appaifer ces troubles, il y envoya Pierre d'Alvarado, & François d ' O r o z c o , frère de Iean de Villa-Senor, avec trente Cavaliers, & quatre-vingts hommes d'Infanterie, & une bonne armée d'Indiens. Ces Capitaines trouvèrent que les garnifons Mexiquaines s'eftoient retirées dans des peuplades appellées Penoles , qui font fix, * Roches. qui fe fuivent l'une après l'autre , en tirant vers le Nort-Sud. Mais l'armée Caftillane eftant arrivée, les Mexiquains fe retirèrent dans la première peuplade appellée Ytzquintepec, qui eft efloignée de fix lieues de la ville de Guaxaca , maintenant appellée Antequera, Ils fe fortifièrent dans cette place d'une enceinte de muraille de bonne pierre & bien bailie, qui avoit une lietië de tour. Il y avoit dedans plus de mil Mifleques, qu'ils tenoient en façon de forçats de galère , rien que faire des cris de nuit pendant les veilles 6c dans les batailles, ce qui eftoit capable de donner de l'efpouvante à ceux qui n'eftoient point accouflumez à ces bruits. Pierre d'Alvarado les tint affiegez huit jours, les battant jour & nuit, & leur oftant l'eau, & nonobstant tout cela ils ne fe vouloient point rendre jufques


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv.. I I I . 257 jufques à ce qu'ils euiîent envoyé des Meffagers à Cort é s , qui ne tardèrent guère à revenir ; Si bien que les affiegez parlant de fa p a r t , voulant avoir cet avantagelà , quoy qu'ils fuffent defia réduits aux abois, ils fe rendirent. Ils fe virent tellement preffez, principalement de la foif ; qu'ils beuvoient leur urine , de forte que lors qu'ils eurent la liberté de delcendre à la rivière ils beurent tant pour eftancher leur grande foif,qu'il en mourut quantité.

C H A P I T R E

1522. Ceux de Guaza-. ta fe rendent.

XII.

De la Valèe de Guaxaca , au Royaume de Mifteque, & des particularitéz de fes

L

Provinces,

A Province de Mtfteque confine donc avec ces len noies, du codé du Ponant,dont il y en a quatre qui parlent cette langue ; les autres deux confinent vers le Sud avec la Province de Zapoteca , & va s'eftendant en rond,jufques à arriver au premier Pennol par les vilages des Zapoteques par la valée de Guaxaca , laquelle con- Valée de Guaqui contient feize lieues de longueur, où il y a plufieurs vilages. rata tient feize lieuës Elle eft à la hauteur du 18 degré,& à quatre-vingt lieues de Mexique au Sud, qui eft une terre fort fertile, quoy qu'il y ait fort peu de rivières & de fontaines , & neantmoins Peau ne leur manque pas. Cette valée prit fon nom d'un vilage où la garnifon du Roy de Mexique faillit fa refidence. Il y a plufieurs mines, d'où l'on tire Particularitez de l'or, de l'argent, du criftal, de la couperofe,& quan- du Royaume de Guaxata. tité de pierres de différentes couleurs, propres pour appaifer les douleurs de Colique , pour le flux de fang , & autres maux. La pierre de Bezoard y croift auffi qui eft naturelle & parfaite. Elle produirait bien auffi du vin & de l'huile Ils y nourriffent des vers à foye & y recueillent de la grenne d'efcarlate & de la caffe. T o u t e forte de fruits & de femences de Caftille y viennent en perfection, Les troupeaux g r a n d s & petits s'y eflevent à merHh


258 HisTore veille. O r quoy que cette valée foit de fi grande eften1522.. due, & quelques autres petites qui s'y rencontrent,tou-tes ces Provinces ne font que Montagnes Se terres trèsafpres ; dont la plufpart toutefois font fort fertiles , & il y croift auffi de toutes les chofes que nous venons d e H e r b e mortifère nommer, avec quantité d'arbres & d'herbes, falutaires, q u i croift à Se venimeufes. E t dans cette valée particulièrement il y Mifteca. croift d'une certaine herbe qui fait une telle opération, que fi l'on veut qu'un homme meure dans un an, on luy fait boire de la décoction de cette herbe qu'il y a un an qui aura eft cueillie, & fi dans un jour , il faut qu'elle foit cueillie le mefme jour. E t c'eft une chofe digne de remarque, que du temps de la gentilité de ces Indiens, l e s trembleils fouffroient beaucoup par les tremblemens de terre, m e n s de terré y & que depuis que l'on y a prefché le faint Evangile ayant eftoient fréq u e n t s du teps pris pour Advocat faint Martial dans la ville de Guaxata d e leur gentili- contre ces tremblemens, ils n'y en ont plus vu depuis. té. Il y a dans ces Pennols, ou roches,de grandes apparences d'or, des mines de plomb, Se une certaine racine Différence qu'il qui fert de favon. D a n s le vilage de Totomachiapa il y a y a entre les une cave d'une grandeur extrême,qui a la bouche tourdeux Mifteques. née vers le Sud, & s'eftend vers le Nord. L'on a efté jufques à demy lieuë dedans, mais à caufe de la quantité d'eaux qui en diftille,l'on ne pût pas palier outre. Au temps de la gentilité des Indiens ils y faifoient leurs facrifiecs, & y communiquoient avec le démon , luy d e mandant de l'eau pour leurs femailles. Delà paffant au Royaume de Mifteque, il fe divife en deux Provinces, haute Se baffe, & en l'une Se en l'autre l'on y parle différents langages, & s'entendent neantmoins l'un l'autre ; ce Royaume eft fitué entre Mexique Se Guaxaca. Mifieque haute lignifie , terre de pluyes, & Mifteque baffe fignifie lieu plein de chaleur ; voila donc la différence qu'il y a d'une Province à l'autre Les Caciques y avoient feurs Palais, & y avoient des appartemens pour les femmes , tous tapiffez £ efteras, ou nattes, avec des coffins de cuir de Lyons, de Tygres ou d'autres animaux femblaD e leurs vefteblcs. Elles veftoient des robbes de cotton , blanches, mens.


DES

INDES O C C I D E N T A L E S , Liv.

III.

259

ciffuës, peintes, & brodées de fleurs, de rofes, & d'oi- 1522 feaux de différentes couleurs. Elles ne portoient point de chemifes, pour n'en connoiftre pas l'vfage;au lieu d e calçons, les hommes portoient de certaines braves qu'ils appelloient Matzles. Les femmes portoient auffi des fandales , & fe fervoient d'anneaux d ' o r , de pendants d'oreilles ; elles en portoient auffi d'or & de criftal à la l è v r e d'en bas ; elles avoient les cheveux fortlongs,tortillez & treffez avec des bandelettes de c u i r , & retrouffez en enhaut en forme de pennache. Les hommes s'arrachoient la barbe avec des tenailles d ' o r , & eftoient curieux de fe tenir nettement. Ils avoient des jardins de délices, ou il y avoit des fontaines dans lefqueiles ils fe baignoient loir & matin. Leur manière de vie eftoit fem- Ils vîvoient de la mefme forte blable à celle des Mexiquains , & les tributs mefmes que les Mexiqu'ils payoient aux Caciques , parce que les Caciques quains. payoientau fupréme Seigneur, qui eftoit Montezume d'autres reconnoiffances pour marque de fa Souveraineté. Il y avoit dans ces Provinces plufieurs Capitaines, des Seigneurs, des Magiftrats & des Prédicateurs qui les prefchoient felon leur Loy. Ils ufoient de fortileges & d e Médecins. Et d'autant que le Cacique terminoit tous leurs differens,ils n'ofoient entrer où il eftoit; ils avoient deux Rapporteurs; qu'ils appelloient en leur langue médiateurs,qui eftoient dans l'une des Chambres du Palais, qui écoutoient les parties, & alloient rapporter les differens devant le Seigneur, & revenoient auffi-toft avec la réponfe. Les Confeillers du Seigneur eftoient des born- Des Confeillere âmes â g e z , fages & expérimentez, & qui avoient p r e - du Cacique. mièrement efté Papes dans leurs Temples,de forte qu'ils faifoient en forte par leur douceur & affabilité de leur donner de bons expediens, & pour cela ils fouffroient qu'on leur baillaft des prefens en joyaux, ou des viandes pour leur table. Celuy qui pouvoit avoir la faveur & permiffion de parler au Cacique, entroit pieds nuds,fans ofer lever les y e u x , ny c r a c h e r , ny touffer, ny mettre les pieds fur l'eftera où eftoit affis le Cacique. Q u a n t aux chofes de la Republique, ils puniffoient d e

H h ij


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H i S T O I R E

mort l'adultère , tant l'homme que la femme, 6cc'eftcic l'adverfe partie qui mettoit la Sentence en exécution ; ou bien ils fe contentoient quelquefois de couper à l'homme adultère, les oreilles, le nez & les lèvres , & eftoit condamné outre cela de donner quelque chofe à celle dont il avoit abufé ,au cas quelle fuft groffe parce qu'ils ne font pas cruels, fi ce ,n'eftoit que l'adultère fuft commis avec la femme principale. Ils chaftioient auffi le larcin é l'yvrognerie, & la defobeïffance envers le Cacique. Pour conferver la Seigneurie en leur maiDes m a r i a g e s fon, le Seigneur fe marioit avec une femme de fa lignée des S e i g n e u r s , & de leurs con- propre, & les enfans qui en procedoient, en eftoient hécubines. ritiers ; s'il n'y avoit point d'enfant malle, la Seigneurie appartenoit à la fille aifnée. O u t r e cette femme ils avoient encore des concubines, qui eftoient des filles de Seigneurs, qui tenoient cela à grande faveur, & ils les luy donnoient dés leur enfance; & s'il n'avoit point d'enfans d e la principale femme, les ballards n'heritoient point Ils ne prenoient point de femme mariée pour concubine. Si-toft qu'ils avoient eu des enfans avec une concubine, ils la bailloient en mariage à quelque Seigneur,ou à quelque M a r c h a n d , & ne la touchoient plus Occupation de jamais, ny mefme ne la voyoient pas Ces femmes s'ocfemmes des Seicupoient à filer pour faire les habits des Caciques & d e gneurs. la Cacique, à leur apprefter les viandes, & à accompagner la Cacique & luy fervir comme d' Efclaves, à caufe dequoy elle les affectionnoit , quoy qu'il y euft quelquefois un peu de jaloufie. Quant aux mariages, les Pap e s , & les Religieux connoiffoient les empéchemens, & c'eftoit un défaut effentiel d'avoir un mefme nom dans le n o m b r e , par exemple fi la femme s'appelloit Des c é r é m o n i e s Q u a t r e rofes , & l'homme Quatre lyons, ils ne fe poude leurs m a r i a voient pas marier enfemble, parce qu'il falloit qu'elle ges. furpaffaft le nombre par deffus celuy de l'homme, & qu'ils fuffent parens ; car ne l'eftant p a s , le mariage n e fe faifoit pas, finon pour avoir la paix, parce qu'entre eux il n'y avoit point prohibition pour les degrez d e confanguinité ; ny on ne donnoit point de dot aux filles, 1522.

D e la Iuftice qu'ils exerfoienr.


des INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I I I . 261 & la mefme chofe s'exerce encore entre les gens de conditions qui s'eftiment riches lors qu'ils ont plufieurs filles à caufe des prefens qu'on leur donne. Les Laboureurs mefmes qui n'avoient point de joyaux adonner, alloient dans les bois pour en apporter une charge ; & fi le pere l'acceptoit, ou la fille , avec laquelle il pretendoit fe marier, la chofe eftoit faite. L'on confultoit premièrement s'il eftoit à propos de faire le mariage-, & n'y trouvant point d'obftacle, l'on envoyoit des Ambaffadeurs , hommes fages & âgez pour demander la femme ; & s'il y avoir de l'empêchement, on refpondoit que la chofe ne fe pouvoit pas effectuer, ainfi les Ambaffadenrs s'en retournoient , après avoir efté régalez ; & s'ils acceptoient la demande , ils s'en retournoient fort contens. Les Preftres marquoient le jour que le mariage fe devoitfaire ; ils jettoient au fort pour cela il y avoir des Religieux & des Seigneurs qui alloient trouver la m a r i é e , avec des prefens d'or ou des joyaux, & dans le chemin par où elle devoit paffer il fortoit des gens armez pour l'enlever,& fur cela il faloit c o m b a t t r e , & on l'enlevoit fi on pouvoit, qui eft une cérémonie affezinhumaine. Pour les efpoufailles, l'on ne faifoit point d'autre cérémonie que d'entrer dans une chambre tapiffée de natte , avec des branches de faulx tout autour, fans autre parole que celle du confentement de vouloir vivre enfemble. La mariée eftant devenue groffe , l'on prioit les Religieux pour e l l e , & lors qu'elle eftoit preïte d'accoucher ils alloient au bois, qu'ils apportaient fur le dos, & le beniffoient pour chauffer le bain. Eftant a c c o u c h é e , fi c'eftoit un garçon, on luy mettoit un dard dans la main, & fi c'eftoit une fille on luy mettoit un fufeau. La matrone baptifoit l'enfant avec l'eau de quelq u e fontaine qu'ils croyoient eftre fainte,& enterroient l'arriere-faix dans un pot le troifiéme jour. L'accouchée fe baignoit vingt jours de fuite, & l'on faifoit des Feftes à l'honneur de la Deeffe des bains, chantant, beuvant & mangeant, & danfant. Ils faifoient des Feftes auffi à l'enfant pendant les vingt j o u r s , & au bout de l'an la H h iij

1522. ils ne deffenioient point lesdegrez d e confaneuinité.

D e l'accoucha m e n t des f e m mes & du b a p tefme des e n fans.


1522.

262 HISTOIRE mefme chofe. Lors que l'enfant avoit atteint l'âge d e fept ans, ils le portoient au Monaftere, & un Preftre luy perçoit les oreilles, & luy impofoit un furnom.

C H A P I T R E Continuation l e s fils aifnez des Caciques font obligez d'eftre en religion un an , où ils sont penitence.

I

XIII.

de la matière précédente.

Ls avoient d e coufturne que tous les afniez des Caciques dévoient eftre Religieux un an durant. Le jour qu'ils dévoient prendre l'habit, le Pape les accompagn o i t , tout le C o n v e n t , & les Seigneurs, avec leur mufique de tambours lourds, de chalumeaux de cannes , d e hautsbois, & d e conques de tortues. En approchant du C o n v e n t , ils le dépoùilloient, & luy mettoient des haillons oingts d'une certaine g o m m e , avec une façon d e robbe par deftus. Le Pape luy donnoit un efclat de caillou en façon de lancette , pour fe tirer du fang de la langue & des oreilles pour le fervice des Dieux ; Ils luy oignoient le front, les joues, l'eftomac, & les épaules avec des feuilles venimeufes,& par cette onction il eftoit fanctifié , & demeuroit dans le Monaftere, où il eftoit chaftié , & inftruit dans la fobrieté , fouffrant les travaux d e Pobedience & de l'abftinence. L'année eftant finie fes parens le retournoient quérir en grand pompe & magnificence, & luy remettant fon premier habit il s'en retournoit en fa maifon , puis ils le menoient baign e r , & quatre jeunes filles de Seigneurs luy lavoient le corps avec du favon, pour luy ofter la noirceur de la fumée de la poix-raifine, dont ces Religieux fe fervent, qui les rend d'ordinaire noirs comme des Ethiopiens, Lors que le Cacique eftoit malade les Preitres faifoient de grands facrifices, des pèlerinages, des vœux, des offrandes, avec grande p o n c t u a l i t é s une pureté d e confeience ; S'il revenoit en convalefcence , ils faifoient de grandes Feftes, des danfes dans la maifon du Seigneur, & dans le Monaftere ; & s'il mouroit l'on fai-


DEs iNDES O C C I D E N T A I E S Liv. I I I . 263 1522 foit les funérailles avec grande pompe. Ils faifoient des offrandes pour le corps du défunt ; ils femettoient d e vant ; ils parloient à luy. il y avoit tout devant le corps un efclave veftu à la R o y a l e , & il eftoit fervy & honoré comme fi c'euft efté le R o y mort. Quatre Religieux l'enterroient fur le my-nuit dans les b o i s , ou dans les prez , ou dans quelque cave. O u t r e i'efclave qui reprelèntoit le m o r t , il y avoit encore deux autres enclaves & trois femmes qu'ils amenoient yvres, qu'ils étoufoient , afin qu'ils férviffent le Cacique dans l'autre monde ; & quant à I'efclave qui avoit reprefentéle C a cique ils l'enfeliffoient avec des couvertures d e cotton, D e s obfeques & luy mettoient un mafque au vifage, des pendans d'o- des Caciques. reilles d'or, des joyaux autour du col, des anneaux aux doigts, & une mitre fur la tefte ; puis ils luy mettoient le manteau Royal, & l'enterroient ainfi avec les autres dans une fepulture creufe; fans mettre aucune t e r r e deffus. Ils faifoient tous les ans des feftes pour le jour de leur naiffance , & non le jour qu'ils mouroient. L'on ne faifoit pas tant de cérémonie aux Laboureurs, parce qu'ils n'avoient pas dequoy pour les mariages, pour les funérailles & les enterremens. Les Marchands & autres gens de condition approchoient de cett e grandeur félon leurs commoditez. Ils avoient autant de femmes qu'ils en pouvoient entretenir, & les repudioient comme bon leur fembloit , excepté celle qui eftoit époufée. Ils avoient plufieurs D i e u x , car chaque maifon en avoit un. Ils avoient auffi des Oratoires dans leurs maifons, où ils faifoient leurs offrandes & leurs facrifices, & y avoient recours en leurs neceffitez, parce que cette nation de Mifteques eftoient fort religieux La Nation Miau temps de leur gentilité. Ils mettoient leurs enfans fteque grandedés l'âge de fept ans dans les Monafteres, où on leur en- ment religieufes. feignoit les points de leur Religion 6c bonnes couftum e s , & les pères les nonrriffoient. Ils montoient de d e gré en degré dans les charges , & leurs offices ne duroient que quatre ans. Le R o y pourvoyoit à tout, & donnoit les charges à qui bon luy fembloit, Q u a n d le


1522.

C o m m e l'on g o u v e r n o i t les affaires de la religion

ils j e û n o i e n t les villes de feftes.

264 HISTOIRE Pape avoit accomply fes quatre années il fortoit du Monaftere , parce qu'il avoit paffé par tous les degrez que fa charge requeroit, & ainfi il n'avoit plus defervice à rendre ; & le Cacique l'affectionnoit à luy donnoit place dans fon Confeil ; & s'il fe vouloit marier, il le pouvoit faire. L'habit monachal eftoit une robbe d e groffe bure , & leurs haillons de deffous eftoient de papier qu'ils faifoient dans le païs. Les ornemens Pontificaux pour la célébration des feftes eftoient des robbes de diverfes couleurs, fur lefquelles eftoient peintes des hiftoires de leurs Dieux. Ils veftoient de certaines façons de chemiles fans manches qui leur alloient jufques aux genoux ; ils avoient aux jambes des chauffes de peaux faites en façon de gueftres, & au bras droit une pièce d'étoffe , en façon d'Aumuce avec des houppes, & par deffus un manteau comme les noftres, avec une houppe qui leur pendoit au milieu des deux épaules. Il avoit auffi une mitre fort grande à la tefte , faite de plumes vertes, d'un fort bel ouvrage, où eftoient peints leurs Dieux principaux. Lors qu'ils danfoient dans les courts des Monafteres, ils fe veftoient de robbes blanches peintes, avec une roupille en façon de forçat d e galère. Ils ne mangoient que des légumes & des herbes, excepté lors qu'ils avoient quelques offrandes. Il y avoit de certaines femmes chaftes qui leur aprétoient leur viande, que l'on changeoit de quatre en quatre ans. L e Cacique leur fourniffoit ce qui leur eftoit n e celfaire, c a r il avoit des héritages pour cela. Ils j e u noient les veilles des feftes, ne mangeant qu'un peu de pain & de miel crud. Il y avoit telle fefte qui requeroit quatre ou cinq jours déjeune. Ils eftoient fort pauvres, & n'avoient point de maifons en propre ; tous leurs raifonnemens eftoient de demander pour la v i e , prier pour la fanté du R o y ,fouhaiter la paix,& des biens temporels pour les Republiques, & la vengeance deleurs ennemis. Lors que quelqu'un rompoit le vœu d e chafteté, il eftoit maffacré à coups de baftons. S'il deveîioit malade, il eftoit penfe fort foigneufement dans le monaftere


DES INDES O C C I D E N T A L E S , L i v . I I I . 265 Monaftere , & s'il mouroit on l'enterroit dans la court 1522. envelopé dans u n e reft. Il ne fortoit que pour des Capitaines, & pour célébrer quelque fefte, ou pour faire quelque pèlerinage ou vœu pour le R o y ; & les Papes eftoient fort aimez des Caciques ; ils ne faifoient aucune chofe fans leur confeil. Ils ordonnoient des années , & regloient les Republiques. Ils parloient contre les vices, & fi l'on ne s amendoit ils me- Les Preftres tenus naçoient les peuples de famine , de guerre , & de eftoient p o u r des Saints. mortalité , avec l'indignation des Dieux. Enfin ils eftoient tenus pour des Saints , & on les eftimoit beaucoup. D u règne du premier M o n t e z u m e , comme il vou- t e premier lut achever de conquefter ce Royaume des Mifteques, Montezume acheva de c o n & ne le pouvant faire à force d'armes, il trouva inven- quefter le Roytion de faire tuer en trahifon le Cacique de Tantguit- aume de Miftes lan, homme vaillant ; qui luy faifoit grande refiftance ; que. il s'appelloit Très micos ; fi bien que par fa mort ils furent tous affujettis , & leur fit payer des tributs en plumes v e r d e s , des Chalchuites, qui font de certains grains qu'ils eftimoient beaucoup , des tapis, de la graine d'efcarlate, & de la cochenille. Ils fourniffoient encore quelques grennes pour femer&& outre tout cela ils eftoient obligez d'affifter aux garnifons , & de combattre à la guerre avec des boucliers, & de Leur manière ces efpées de bois appell&es Macanas , faites d'une ef- de combattre à la pece de chefne, de cinq pieds de l o n g , avec deux ran- la guerre. gées de rafoirs de caillou enchaffez dedans. Les b o u cliers eftoient de canne entretiffoë, & doublez. Ils portoient auffi des cafaques piquées, & avoient les vifages peints pour efpouvanter leurs ennemis, Ils invoquoient les D i e u x pour les garentir de la faim, d e la foif, & de laffitude ; pour n'eftre point t u e z , prifonn i e r s , ny vaincus, & ufoient d e paroles comme d'enc h a n t e m e n t , & partoient ainfi dans cette confiance ; & s'il leur arrivoit du m a l , ils difoient que les D i e u x eftoient en colère ,ou que leur fortilege les trompoit, Lors qu'il faloit partir pour aller à la g u e r r e , ils p r e -

li


1522.

266 HISTOIRE noient des gens dans les quartiers , & les menoient aux Capitaines, qui les conduifoit ; & s'ils eftoient afftegez ils fe retiroient dans les montagnes, ou ils affembloient toutes les femmes, les enfans, & le b i e n , & fe fortifioient de bonnes barricades , & fortoient fept Capitaines contre autres fept, foldats contre foldats, & fi-toft qu'il y en avoit un de t u é , on en remettoit un autre à la place du m o r t , & combattoient toujours ainfi jufques à ce que l'un des deux partis fuff vaincu, & les vaincus eftoient emmenez captifs, ou bien ils terminoient la guerre par une p a i x , ou par quelque accord,

C H A P I T R E fin

XIV,

des particularitez du Royaume de Mifteque. Autres particularités des Provinces des Zapoteques, autres.

I

leur diverfité de langage.

L y a dans ce R o y a u m e de Myfteque, comme dans toutes les autres Provinces de l'Evefché de Guaxaca, ou & Antequera, treize langages differens, mais la Mexiquaine y eft générale, & ainfi comme ces langages font diffemblables en de certains endroits , les couftûmes le font auffi. Parce que dans les Provinces de Tecovatlavaca , ils chaftioient les adultères & les larrons rigoureufement, & confifquoient leurs biens pour le Seigneur. Et ceux qui eftoient e n d e b t e z , & qui ne pouvoient payer eftoient faits efclaves perpétuels, & les vendoient, ou facrifioient ; bref les créanciers en faifoient ce que bon leur fembloit , & ils ne s'enfuyoient jamais , parce qu'ils fçavoient bien qu'ils feroient mis en pièces. C e t t e génération portoit à la guerre des Enfeignes tiffuës de plumes rouges. Ils combattoient avec des Macanax,des boucliers, des arcs, des flèches, & des frondes ; Ils fe peignoient le vifage & les jambes ; ils portoient les cheveux longs


DES INDES OcCIDENTALES,LIV. III. 2 6 7 & treffez, avec quantité de plumes auteur de la tefte, 1522. des pendants d'oreilles d'or 5 Ils en avoient auffi à la lévre d'en bas. Lors qu'ils combatoient, ils commençoient par de grands cris. Dans la ville de Cuahuitlan, ils cueilloient quantité d'une racine appellée Mechoacan ; Dans, la jurifdiction des peuplades de Cuetlavaca & de Tequiciftepca , il y a une montagne fort h a u t e , où il y a une cave qu'un Religieux de l'Ordre de S. Domi- D'une cave cons nique vifita, accompagne de quelques Indiens y il trou- fiderable. va la bouche fort eftroite , car à peine y pouvoit-ii entrer un homme tout au plus ; Effcant entré un peu avant, il y a un grand efpace qui eft prefque quarré de cinquante pieds d'un cofte à l'autre. Auffi-toft après l'on voit de certains trous avec des d e g r e z , qui donnent l'ouverture à un chemin qui conduira quantité de tours & de détours en façon de labyrinte , par où ils cheminèrent une heure , & s'ils ne fe fuffent fervis d'une ficelle, ils fe fuffent perdus. Ils entrè- Ils y trouvent rent dans une grande place , au milieu de laquelle il une façon de la-byrinte. y a une fontaine de fort bonne eau ; & d'autant que les Indiens croyoient qu'anciennement c'eftoit l'eau des Dieux , & que les hommes qui en betivoient mouroient incontinent après ; C e R e l i g i e u x , pour abolir cette fuperftition en b e u t , & en fit boire aux Indiens qui eftoient aveque luy. Il paffe à cofté de ce lieu un petit ruiffeau. Ils cheminèrent un peu plus avant dans la cave., mais n'y trouvant point de f e u , ils en fortirent par le moyen de la ficelle, parce qu'autrement ils ne l'auroient pas pu. Dans cette mefme lurifdktion il y a de hautes montagnes, qu'ils appellent de faint Anthoine, où habitent certains I n d i e n s , dans Indiens qui habitent dans des les antres de certains rochers qui ont dix ou vingt antres de rochers. pieds de circonférence, où eftoient leurs femmes & leurs enfans, & font plus dé cent dans ces eoncavit e z , d'où il eft impoffible qu'on les en puiffe faire fortir. Il y a encore deux montagnes fort h a u t e s , M o n t a g n e s requi femblent eftre fort larges par le b a s , & qui s'a- marquables. proclient tellement l'une de l'autre par le h a u t , que Ii

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268 1522

N o m s que fe donnoient les Indiens..

HISTOIRE

les Indiens y paffent en touchant un pied de chaque collé. Voilà tout ce qui fe peut dire quant au R o y a u m e des Mifteques, refte maintenant à parler des Provinces des Zapoteques , des Cuyoateques, & d'autres qui leur font contigus , dont les çouftumes font plus générales, auffi bien que tout le refte. Les Zapoteques eftoient des gens terribles & effranges. Leur Seigneur faifoit fon ordinaire fejour dans la ville de Teozgpotlan ; il avoit guerre contre les Mixes, gens qui habitoient dans les montagnes, & contre le Seigneur de Tutupec, du S u d , parce qu'ils ne fe tenoient jamais en repos dans leurs maifons. Ils combatoient avec des armes offénfives & deffenfives contre leurs ennemis , & fe fervoient de frondes, & de cafques ou falades de pierre d'azur. Ils portoient tous de femblables habits, & de mefmes vivres , & ils prenoient leurs noms des a n i maux , des bois, des montagnes, des forefts, des rivières, des fontaines, des fleurs, & des rofes, comme Madame de Q u a t r e - R o f e s , Moniteur de Cinq G u e n o n s , Moniteur de Vingt-Lyons ; & ainfi des autres. Lors que les Caftillans commencèrent la guerre contre les Mexiquains, ils firent paix avec eux. T o u t e cette terre eft fort afpre, & la plufpart ne font que montagnes fort h a u t e s , & eft de plus grande eftenduë que celle des Mifteques. Il s'y recueille les mefmes chofes que dans les autres Provinces ; & elle produit les mefmes fruits & les légumes comme en Caftille La plufpart de ces gens aloient tout n u d s , mais ils fe veftent maintenant, & il n'y en a pas un quitte porte un c h a p e a u , & fe coupent les cheveux comme les Caflillans, ce qu'ils tenoient à grand affront lors de leur gentilité. O r comme ils avoient toujours la guerre contre leurs voifins, auffi eftoient-ils toujours prefts à combatre ; car fitoft qu'ils fe rencontroient par la campagne, il faloit fe b a t r e , & les vainqueurs lioient les vaincus par les parties honteufes avec la corde de leurs arcs, & les menoient ainfi en triomphe


DES INDES O C C I D E N T A L E S , LiV. III, 269 dans leur peuplade, puis ils s'en fervoient, du ils les 1522 menoient vendre dans les m a r c h e z , où ils les facrifioient. Leur Religion eftoit prefque femblable à cel- D e leur R e l i g i o n & facrifile des autres Indiens, & leurs couftumes auffi ; Ils ces. facrifioient les hommes à leurs D i e u x , 6c les femmes à leurs Deeffes, ouvrant le fein d'un teton à l'autre ; d'où après avoir tiré le cœur, ils mangeoient le corps. Ils facrifioient auffi des enfans, & des animaux qu'ils chaffoient dans les bois. Ils obfervoient le jeufne à d e certains temps de l'année , quelquesfois d e quarante jours, & d'autres fois de quatre-vingts, mangeant d e quatre en quatre jours d'une certaine herbe qu'ils appellent Pifate , qui eft fort Médicinale ; & puis ils fe tiroient du fang de la langue & des oreilles , qui eftoit leur difcipline. Dans la peuplade de C o a t l a n , ils tenoient un ils avoient un Cacique appelle Petela, qui veut dire Cacique pour an. Dieu. chien , qu'ils difent eftre defcendu d e ceux qui efchaperent du D é l u g e gêneral ; & l'eftimoient fort vaillant. Quelques Caftillans difent l'avoir veû & connu, & le Bachelier Barthélémy de Pifa-Vicaire de ce lieu, certifia, qu'ils luy faifoient des facrifices comme à un D i e u ; & ils l'avoient enterré tout f e c , & embaumé d e toute fon eftenduë ; mais qu'il le fit d é t e r r e r & brufler publiquement. Quelques années après le Bénéficié Eflienne R a m o s , trouva eftre véritable que dans une maladie générale qui arriva, dont il mourut quantité d'Indiens, les principaux du lieu recommancerent de facrifier à Petela , afin qu'il impetraft de Bezalao, qui eft le D é m o n , qu'il fift ceffer c e t t e maladie , & que le Bénéficié les fit p r e n d r e , & les envoya à l'Evefqne de Gaxaca. Il y a une cave dans cette peu- Cave de deux plade qui eft fort fpacieufe 6c grande , dans laquelle cens lieues d'éplufieurs perfonnes font e n t r e z , qui ont affirmé qu'elle tendue. alloit aboutir à la ville de Chiapa, qui eft à deux cens lieues de-là.

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270

HISTOIRE

1522

C H A P I T R E

XV.

Coninuation de la Religion , façons & couftumes des autres Nations de la Nouvelle Efpagne.

D

Ans la peuplade d'yzcatian, ils avoient plufieurs Dieux , & obfervoient diverfes Feftes. Ils avoient u n fouverain Preftre , qui eftoit efteu par les autres Preftres ; ils n e fortoient point d u T e m p l e , & s'ils p e ehoient avec quelques femmes , ils eftoient mis en pièces, & celuy qui eftoit efleu à la place du m o r t , l'on luy reprefentoit devant l e s yeux les pièces d e fon corps pour luy fervir d'exemple ; & s'il eftoit marié, il faloit qu'il quittait fa femme. Lors que quelqu'un fe vouloit marier, il s'en alloit trouver les Preftres, o n le faifoit monter au plus haut du Temple le jour que le marché f e tenoit , un jour de Fefte ; ils luy Deleurs Maria- coupoient quelque p e u de fes c h e v e u x , & difoient à ges. haute voix ; Celuy-cy fe veut marier ; puis e n d é p e n dant , la première f e m m e qu'il r e n c o n t r a i t , eftoit à l u y , fi on ne la cachoit , ou qu'on ne la détournaft. Il y avoit des chaftimens pour toute forte de vices 5 Ils chaftioient l e s biens du larron après eftre jugé & condamne rigoureusement eftoient délivrez à celuy à qui le Vol avoit efté fait. le larron,& non Ils ne chaftioient point le Sodomite ; & celuy qui f e le fodomite. trouvoit chargé de p é c h e z , plus il donnoit d'offrandes dans le T e m p l e , & plus on luy en pardonnoit. Les enterremens des Preftres fe faifoient dans le T e m ple. C e u x des Seigneurs, dans leurs maifons, & l e s obfeques duroient dix jours. Lors qu'ils eftoient prefts d e mourir, ils faifoient des teftamens, & donnoient leurs biens à qui bon leur fembloit. Dans la peuplade de Tecomanaca, qui eft dans le chemin Royal de Guaxaca à Mexique , Montezume allant pour livrer b a taille aux indiens de Zapotitlan , fe fafchant de ce que l'on avoit plus de foin des viandes que l'on devoit


DES INDES OCCIDENTALES, Liv.III. 271 m a n g e r , que des armes avec lefquelles ils dévoient 1522. combattre , il fit brifer toutes les Xicaras, & les Tecomanaca,qui font une efpece de p o t s , de cuves & de marmites , d'où eft venu ce nom de Tecomanaca; E t cette Province fut pacifiée par l'ordre d e Fernand Cortés ; & exécuté par lean N u n e z de Mercado. Dans la peuplade de Guaxtlotitlan, les mariages s'y faifoient comme dans M e x i q u e , en nouant le manteau d u mary avec la robe de la femme. Si la femme eftoit La femme adultere eft tuée , & trouvée en a d u l t è r e , le mary la devoit accufer deuant m a n g é e . le C a c i q u e , & fi elle eftoit convaincue, ils la tuoient, & la bailloient à manger à tous ceux qui fe trouvoient prefens, en publiant le délit. Dans la Province d'ytztpexic, lors que Cortés eftant dans Mexique l'on receut nouvelle par les Indiens de Guilapa,qu'il eftoit entré dans cette ville certains hommes veftus d e fer q u e la M e r avoit jettez à t e r r e , qu'ils appelloient fils du Soleil , dont il y alla pour Capitaine un Caciq u e , appelle de la Garça. Ceux-là furent après ap- Diverfts couftu mes de ces Inpeliez par les Mexiquains pour combatre contre les diens. Caftillans. Icy ils fe marioient autant de fois qu'ils Icy l'on ne chattioit point les vouloient, & les adultères ne mouroient p a s , mais adulteres. elles eftoient feulement répudiées. Dans yzipec, c e u x à qui l'on avoit dérobé , eftoient les bourreaux de leurs larrons. A la femme adultère on luy coupoit le nez & les oreilles, à la requefte du m a r y , & payoient neuf couvertures ou tapis au Seigneur. Dans la Province de Tecoantepec , qui fignifie montagne de tygre, les Mixes eftoient fujets ; il y avoit e n t r e eux diverfité de langage. Elle eft au 16. degré, & à 6o. lieues de Soconufco ; jamais M o n t e z u m e ne la put mettre entièrement fous fon obeïfgance quoy qu'il y allaft en perfonne, parce que le Seigneur de Tutepec eftoit puiffant , qui le deffendoit, & qu'il ne vouloit pas qu'il gagnaft une bataille contre ces barbares , de crainte qu'il n'euft affujety la Province. Il s'y trouve une raifine odoriférante. Dans la Province de Couftume des Temitlan, de la langue de Mazataca,qui eft vis-à vis de Mazateques.


1522.

Couftumes des Chinanteques.

la dure Loy, où ils vivoient.

Leur manière de faire pénitence.

272 HISTOIRE celles des Mifteques, ils efcorchoient les perfonnes qu'ils facrifioient, & portoient les peaux des hommes facrifiez par les villages en demandant l'aumofne. V n jour de Fefte fort célèbre qui fe faifoit tous les a n s , deux Preftres montoient au haut du T e m p l e , & frapoient fur un tambour de g u e r r e , au fon duquel tous les Indiens qui eftoient dans la campagne fe d é voient retirer dans leurs maifons & dans le vilage ; puis ceux qui avoient porté les peaux des facrifiez fortoient, & couraient dans la campagne jufques à midy , & tout autant de perfonnes qu'ils rencont r a i e n t , ils leur faifoient une petite couronne à la tefte en coupant de leurs c h e v e u x , qui eftoit une marque qu'ils dévoient eftre facrifiez dans un an. D a n s les peuplades d ' V z i l a , & d ' A t l a t l a n c a , de la langue Chinanteque, qui eftoient de la fujetion de Montezume , & ou il y avoit garnifon, lors qu'il n'y avoit point-d'efclaves pour facrifier, le Seigneur choifiifoit celuy que bon luy fembloit, Ils avoient des quartiers particuliers, où fe tranfportoient les Exécuteurs des commandemens du Seigneur , pour ordonner ce qu'il eftoit de faire pour fon fervice, & s'ils n'obeïffoient auffi - toft, ils eftoient tuez fur le champ pour ce refus, quoy que la chofe ne fuft pas de confequence. D e forte donc que par cette cruauté , ils eftoient ordinairement dans une perpétuelle fervitude , qui n'avoit jamais de relafche. Dans la guerre que faifoient les Tuateques, les Capitaines alloient toujours d e v a n t , & ils eftoient remarquables à caufe des nœuds de leurs cheveux qui paroiffoient au deffus de leur tefte en façon de pennache. Le Cacique choififfoit les plus vaillans ; mais leurs guerres ne duraient pas beaucoup, parce qu'ils en venoient auffi-toft aux mains. A ceux-cy , Montezume ordonnoit que deux fois l ' a n n é e , à fçavoir une fois en Efté, & l'autre fois en H y v e r , ils fiffent une Oraifon à leurs D i e u x , & q u e pour la rendre plus c é l è b r e , il faloit qu'ils s'abftinfîent cent quarante jours d e voir leurs femmes, & d e commettre


DES INDES O c C I D E N T A L E S , Liv. I I I . 273 commettre aucun péché quelqu'il fuft. Ils n e dévoient 1522 point manger de fel, de p o i v r e , ny aucunes douceurs, mais feulement des galettes ou gafteaux fecs, & un peu d e mayz boüilly,& rien qu'une fois le jour ; & toutes ces abftinences fe dévoient faire dans les cent quarante jours. Mais ceux qui vouloient faire de plus grandes pénitences fe veftoient de feuilles qu'ils appellent Chichicaftli, & nous des Orties, & pendant tout le refte d e ce temps-là ils le paffoient à faire leur mitote, c'eft à dire à danfer & de jour & de nuit ; en fuite dequoy ils s'affembloient tous avec le Gouverneur, pour qu'il leur fervift de guide & les menaft où fe devoit faire le facrifi- Sacrifice barce. Comme ils eftoient au lieu deftiné pour cet effet, ils bare qu'ils faifoient e n leurs faifoient mourir un enfant qui n'euft point encore p e - feftes. ché,ils tuoient une poule & d'autres animauxj & du fang qu'ils en tiroient ils en jettoient fur leurs Idoles, qu'ils adoroient ; puis ils laffoient-là ces corps morts jufques à ce que les Aures & les corbeaux les vinffent manger.Ce pendant que l'on faifoit le facrifice, ils encenfoient le lieu où on le faifoit de plusieurs gommes fort odorantes. Apres que toutes ces cérémonies eftoient achevées , ils fe joignoient tous enfemble & faifoient une fefte fort folemnelle, & grande , & pour le faire avec plus de r é jouiffance on leur donnoit quantité de viandes : outre qu'ils achetaient trois ou quatre perfonnes des autres Provinces , en façon d'efclaves , qu'ils tenoient pour manger & pour rendre la fefte plus célèbre, fe réjoüiffant à force de manger & de boire,,

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274

HISTOIRE

1522. C H A P I T R E

XVI.

Chriftofle de Tapia arrive avec fes provifions Royales dans la nouvelle Efpagne , qui les prefente ; mais comme on ne le voulut pas écouter il s'en retourne à l'ifle Efpagnolle.

Commiffion de Chriftofle de Tapia.

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Ependant que Cortés donnoit ordre aux chofes dont nous venons de parler, & qu'il s'appreftoit pour aller à Panuco , comme il fe dira cy-apres, Chriftofle de Tapia arriva à la Vera Cruz avec les ordres cydeffus déclarez, qui luy furent envoyez de Caftille, pour prendre le Gouvernement de toutes les terres ôclfles que l'Adelantado Diego Velafquez avoit découvcrtes, fans préjudice de fes provifions & faveurs, avec la jurifdiction civile & criminelle, tout ainfi que la poffedoit le Gouverneur de Caftilla del Oro, & que Diego Velafquez la pouvoit tenir. Et tout d'un temps pour recevoir les informations des plaintes qui avoient efté faites contre Cortés touchant fon foulevement, & procéder jufques à le prendre prifonnier, & fequefftrer fes biens, & de fes complices ; & d'envoyer le procès au Confeil, fans mettre aucune peine en exécution, parce que l'on pretendoit faire fubir un rigoureux chaînaient à Cortés ; la v o lonté du Roy eftànt que fes Gouverneurs fuffent obeïs, & que les ordres de ceux qui eftoient porteurs des p a tentes Royales fuffent exécutez ; E t principalement parce que Cortés pouffé par une avarice & ambition, avoit fait entendre à ceux qui l'accompagnoient que les ordres qu'il portoit eftoient expirez, & qu'il n'avoit plus de pouvoir de peupler, ny de faire autre chofe qu'ils euffent bien fouhaité ; & qu'enfin il les avoit perfuadez de l'eflire pour Gouverneur & Capitaine gêneral. O u t r e cela il avoit encore la faculté de nommer un Procureur fifcal, pour affifter aux procès. O n luy avoit auffi mandé qu'il foignaft à Diego Velafquez, & à tout ce qui


CES INDES O c c i d E N T A L E S , Liv.III. 275 fuy appartenoit das les terres qu'il avoit découverts félon fes provisions. E t il avoit oncore un autre ordre, de p r e n d r e garde aux découvertes que feroit Iean Ponce de L é o n , du cofté de la Floride, où François de Garay avoit commencé à découvrir, jufques à la fin de fa déc o u v e r t e , fans anticiper fur les gens de Diego Velafquez. E t afin de mieux entendre le différend des parties , qu'il envoyait une déclaration fuivant fon fentim e n t , des bornes & divifions qui pouvoient appartenir à chacun,afin que le R o y les adjugeait à ceux à qui elles eftoient ; Parce qu'il avoit donné le titre d'Adelantado à François de G a r a y , & le Gouvernement de cette Province , qu'ils appelloient Garayana, qui eftoit celle de

1522. François de Garay a le tiare d'Adeiantado.

Panuca.

Voila donc ce que portoit la commiffion de Chriftofle de Tapia ; lequel en tout cas voulut faire le voyage, quoy que l'on luy euft perfuadé le contraire. Eftant ar-

Chriftofle de Tapia prefente fes provifions à la Vera Cruz.

rivé à la Vera Crux il prefenta les provifions aux Offi-

ciers du Confeil , lefquels luy repondirent adroitement par diffimulation ; que la plufpart des habitans eftoient dans Mexique au fervice du Roy , mais que néanmoins ils les acceptoient ; mais qu il eftoit neceffaire que les abfents furent de

retour pour les accomplir ; Et cependant ils donnèrent avis

à Cortés d e ce qui fe paffoit. Chriftofle d e Tapia mal fatisfait d e cette r é p o n f e , luy écrivit auffi, & luy manda le fujet de fa venue ; luy difant par fa l e t t r e , qu'il ne luy

Ce qu'il écrit à Cortés.

envoyoit pas la copie de fes commifftons , mais qu'il les luy communiqueroit lors qu'ils feroient enfemble ; qu'il ne fe mettoit pas fi-toft en chemin afin de donner du temps à fes chevaux pour fe delaffer de la fatigue de la mer ; Qu'il le prioit de donner ordre comment ils fe pourroient voir, foit que Cortés le vouluft venir trouver à la mer ou il l'attendroit, ou que Tapia paffaft à Mexique. C o r t é s luy fit r é p o n f e , qu'il fe rèjoüif La réponfe que foit de fon arrivée, à caufe de l'ancienne amitié qu'ils avoient Cortes luy fait. de tout temps eu enfemble, & qu'il luy envoyoit frère Pierre Melgarejo d'Vrraa, de l'Ordre de la Mercy, Commiffaire de la Croisade , qui l'informeroit de l'eftat des chofes, avec lequel il pourroit communiquer & accorder ce qui luy fembleroit

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276 1522.

Le Confeil de Cuyoacan ne veulent pas laiffer fortir Cartes.

HISTOIRE

utile & convenable pour le fervice du Roy & pour le bien de la terre , dont Une s'efloigneroit jamais ; il luy donna o r d r e

auffi de le faire traiter dans la Vera Cruz, & par tout ailleurs o u il voudroit , felon que fa qualité le requeroit. Cependant Cortés eftoit fur les termes d'aller à la Vera Cruz pour vifiter Chriftofle de Tapia , jugeant qu'il eftoit plus à propos d'en ufer ainfi, que de le laitier venir à l ' a r m é e , où on ne manque jamais de trouver des avis contraires. Mais les Alcades 6c les Magiftrats de la ville de Cuyoacan ; & d'autres Officiers Royaux déclarèrent qu'attendu que les chofes n'eftoient pas encore bien établies , fon abfence hors de ces Provinces pourrait caufer de grands préjudices , & faire naiftre des altérations dans l'armée ; Q u e partant il demeurait ; & qu'ils s'off froient d'aller à la Vera Cruz, pour fçavoir les prétendons d e Chriftofle d e T a p i a , afin de voir ce qui ferait l e plus convenable pour le fervice du Roy, Cortés voyant cette voye eftre la meilleure, accepta leur offre, & commanda à Diego de S o t o , & à D i e g o de Valdenebro , conjointement avec les députez du Confeil de Cuyoacan, & avec c e u x des Confeils de la Vera Cruz, d e Segura de la frontera , & del Spiritu fancto,

Offres de Tapia à Sandoval.

d'aller traiter avec Chriftofle de Tapia ; E t donna avis à Gonçale de Sandoval qui eftoit dans la Province d e Coazacoalco , d a l l e r intervenir en cette affaire comme Sergent Major. Sandoval ne perdit point de temps à exécuter cet ordre, avec lequel fe joignit André de T a pia, & d'autres Capitaines auffi, qui s'écartèrent de l'armée fecretement, expreffément pour cela. Il entra dans la Vera Cruz avec deux cens hommes d'infanterie, C a ftillans bien armez. Chriftofle de Tapia fit ce qu'il p û t pour perfuader Sandoval de fuivre fon party ; luy r e prefentant qu'en agiffant ainfi il fuivroit les Ordres du R o y , & fuivroit le véritable chemin ; & pour c e t effet il luy fit de grandes offres. Mais Sandoval luy fit réponfe que les Gouverneurs de Caftille eftoient tres-mal informez de l'eftat de la nouvelle Efpagne , & qu'ils n e prenoient pas u n bon chemin pour établir cet Empire.


Liv.III. 277 E t d'autant qu'il avoit oüy dire que quelques particuliers du Régiment de la Vera C r u z cherchoient des n o u v e a u t e z , il leur parla avec A n d r é de T a p i a , & les appaiferent par ce moyen. Cependant Chriftofle de T a pia infiftoit pour que l'on vift fes provifions ; mais les fufnommez eludèrent adroitement, & dirent qu'il en faloit premièrement donner avis à Cortés , & à tous les Caftillans ; & attendre encore que l'on euft affemblé les Procureurs des Confeils des peuplades que l'on avoit fondées. Dans ce mefme temps André de Tapia receut ordre de Cortés de fortir de la Vera Cruz, & que laiffant quelques foldats à Gonçale de Sandoval , avec le refte il s'en allait peupler un village, & qu'il envoyaft des Procureurs pour fe joindre avec les autres. C e qu'il exécuta auffi-toft, & fonda le village qui eft à trois lieues de la Vera Cruz, en la cofte de la m e r , fur les rives du fleuve, tout devant l'Ifle des Sacrifices, & l'appella Medellin , qui eft le nom du lieu de la naiffance de Cortés. Les Procureurs de ce village & les autres-, s'affembler e n t , & virent les provifions de Chriftofle de Tapia ; Ils refolurent d'ufer de fupplication, & en requirent Gonçale de Sandoval, afin de pacifier les cho fes, & qu'att e n d u que cela eftoit en quelque façon necefaire pour le fervice de fa Majefté & le repos de la terre, qu'il noti. fift à Chriftorle de Tapia la-fupplication, & qu'il s'embarquaft, & s'en allaft ; & que ne le voulant pas faire l'on fe faifift de fa perfonne, & que l'on l'envoyaft en Caftille. D e forte qu'après quelques conteftations qu'il y eut de part & d'autre ; luy difant que fes provifions eftoient fauffes, & qu'il eftoit incapable d'exercer une charge de fi grand poids ; fe voyant ainfi mal-traité de paroles , & mefme menacé , il refolut de s'en retourner à l'Efpagnolle. A peine y fut-il de retour q u e l'Admirai l'Audience luy firent des réprimandes, d e n'avoir pas voulu fuivre leur confeil, en abandonnant cette entreprife. Comme il fe vit ainfi rebuté tant d'une part que d'autre il repaffa en Caftille, pour fe plaindre de Cortes dont les aftuces, felon qu'il le faifoit DES

INDES

OCCIDENTALES,

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1522

fondation de la peuplade de Medellin,

Chriftofle de Tapia s'en re—tourne à l'Elpagnole.


278

1522

L'Evefque de Burgos m a n d e que l'on reçoive tapia au G o u Verneme c de la nouvelle Efpagne,

l e s gens de Coites attendent far fa perfonne.

H i s t o i r e

entendre , a v o i e n t caufé cette defobeïffance. Incontinent après que Chriftofle de Tapia fut party, Iean Bono de Q u e x o arriva, avec des lettres fignées de l'Evefquede Burgos, en b l a n c , & d'autres encore pour des perfonnes de connoiffance, leur enchargeant d'admettre Chriftofle de Tapia pour Gouverneur ; difant que le R o y eftoit mal-content du fervice de Fernand Cortés. Il y en avoit encore une pour l u y , qui luy perfuadoit la mefme chofe, luy promettant que le Roy luy feroit faveur. Ces lettres exciterent les efprits de plufieurs, qui eftoient amis de nouveautez ; Car fuppofé que Cortés agiffoit p r u d e m m e n t , & qu'il tafchoit de les contenter tous, comme l'homme eft un animal difficile à gouverner il ne manquoit pas d'y avoir toujours des mal-contens. Et fi Gonçale de Sandoval & les autres avec lefquels il traitoit n'euffent pas ufé tant de diligence à chaffer Chriftofle de Tapia de la t e r r e , cela euft fans doute caufé du trouble ; Et plufieurs dirent là-deffus que puis qu'il y en avoit bien dans T o l e d e , ce n'euft pas efte une chofe fort effrange qu'il y en euft eu dans la nouvelle Efpagne : E t fi ces difcordes commençaient à s'émouvoir entre les Caftillans, les Indiens n e manqueraient pas auffi de fe revolter. Mais la prudence dont Cortés fe fervoit ordinairement, & l'induftrie avec laquelle il procedoit , les prevint auffi-toft. Il aprit en ce rencontre que le Treforier Iean d'Aldrete eftoit convenu de le tuer lorsqu'il feroit à genoux en entendant la Meffe. Il luy dit comme il avoit eu avis de cela ; il confeffa la v é r i t é , & luy en demanda pardon. V n Préfixe appelle Léon fut encore découvert par Cortés mefme du mauvais deffein qu'il avoit, qui eftoit de mettre le feu à un baril de poudre au deffous de la chambre où il eftoit afin de le faire fauter ; mais il paffa tout cela fous filence ; parce que comme il eftoit prudent & fage,il fçavoït fort bien Part de diffimuler & fe conformer au temps. Cependant les Indiens qui voyoient de grandes apparences de troubles, quelques-uns voulurent auffi Cortés appaifa cela par le cha-


D E S

I N D E S

O C C I D E N T A L E S ,

Liv.

III

279

ftiment de quelques-uns, & par la douceur envers les 1522 autres.

C H A P I T R E

XVII.

Fernand Cortés envoyé reconnoiftre la cofte de la mer du Sud, & y fait armer des Navires.

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omme Cortés ne fe pouvait pas tenir en repos, il brufloit du defir d'achever de découvrir les fecrets d e la t e r r e , afin d'avoir des ports en la m e r du Sud pour faciliter les découvertes de cette cofte,efperant de r e n contrer de riches Ifles, & particulièrement celle de l'Efpicerie, fans donner fujet aux Portugais de fe plaindre que l'on anticipait fur leurs bornes & limites. 11 envoya pour cet effet quelques Caftillans qui s'offrirent de le faire du cofté de Xalifco, mais ceux-là ne revinrent point. Il y envoya puis après Francifco Chico, avec trois Caftillans & quelques Indiens, du cofté de Zacatula avec ordre qu'en reconnoiffant toute la cofte du Sud, ils priffent garde s'il n'y avoit point quelque lieu propre pour fabriquer des Vaiffeaux. Ceux-cy pafferent à Tecoantepeque & à Zacatula , & dans d'autres lieux encore, & prirent poffeffion de cette m e r , & de la terre auffi par mefme m o y e n , en y mettant des croix , & d'autres femblables remarques. Ils déclarèrent aux originaires de ces lieux la teneur de leur commiffion ; & ils leur demandèrent de l'or & des perles pour monflrer à leur Capitaine. Ils y furent fort bien reçeus & régalez, parce que la r é putation de fes grandes victoires avoit deja paffe en tous ces lieux-là. En fuite dequoy ils retournèrent à M e x i que , où Cortés r e c e u t , & regala fort bien quelques Indiens de ces lieux qui eftoient venus avec eux , & leur donna des prefens, avec lefquels ils s'en retournèrent fort contents. Auffi-toft a p r è s , le Seigneur de Tecuantefeque envoya à Cortés un prefent, d'or , de plumages & d ' a r m e s , avec offre de fa perfonne & de fon Eftat pour

Cortés e n v o y é découvrir mer du Sud.

Les Caftillans en prennent poffeffion,


280 HISTOIRE le fervice du R o y d e Caftille ; & p e u d e temps après il 1522. demanda des Caftillans Se des chevaux à fon fecours contre le Seigneur d e T u t u t e p e q u e de la coite du Sud qui luy faifoit la guerre , à caufe qu'il avoit fait amitié avec Cortés. A caufe dequoy Cortés luy envoya Pierre Alvarado va fe- d'Alvarado avec deux cens Infants Caftillans Se quarancourir le Seigneur de Tutu- te c h e v a u x , & deux pièces d e canon de bronze. Il paffa sepeque. par Guaxaca ; Il demeura un mois à faire ce chemin là ; & quoy qu'il euft trouvé de la refiftance en quelques l i e u x , il les rangea dans l'obeïffance. L e Seigneur d e T u t u t e p e q u e les voulut loger dans fon Palais, qui eftoit grand & magnifique, & la peuplade fort grande j mais Alvarado ayant apris que ce Seigneur avoit deffein de le M a i s o n luy brufler luy & les liens cette nuit-là, s'en exeufa honnedonne avis que le Seigneur de- ftement par diffimulation, difant q u e le logement n ' e Tututepeque le ftoit pas propre pour fes chevaux,& demeura dans le bas veut tuer. d e la p e u p l a d e , avec le Seigneur & fon fils, aufquels il dit qu'il les retenoit prifonniers, & il leur en dit le fujet. Mais ils fe rachetèrent moyennant vingt-cinq mille C a ftillans d ' o r , parce q u e la terre eftoit fort riche en mines, & il s'y faifoit quantité de foires. Pierre d'Alvarado Alcarado peupeupla dans Tututepeque, afin de tenir cette Province en p l e Segura, plus grande feureré , & appella la ville, Segura , & r e commanda aux H a b i t a n s quelques Provinces,par l'ord r e de Fernand Cortés. Mais eftant arrivé du trouble entre e u x , après quelques querelles, qui n e fe p u r e n t pas t e r m i n e r , ils abandonnèrent la place & allèrent à Guaxaca, dont les principaux eftoient Iean N u n e z Sed e n o , & Fernand d e Badajoz. Cependant Cortés avoit envie de chaftier ceux qui avoient caufé le defordre, & pour cet effet il y envoya fon Alcade Major Diego d ' O c a m p o , pour Commiffaire Examinateur , qui en chaftia quelques- u n s , & en condamna un à la mort ; mais comm e Cortés eftoit naturellement doux Se bénin , & qu'il pardonnoit facilement, il changea la peine de mort à un banniffement. Auffi-toft après le Seigneur de T u t u t e p e q u e m o u r u t , à caufe dequoy quelques peuplades d e la Contrée voulurent remuer. Mais Pierre d'Alvarado y

rptourna,


DES INDES O c c I D E N T A L E s , Liv. I I I . 281 r e t o u r n a , & quoy qu'ils luy euffent tué quelques C a 1522. ftillans de des Indiens alliez, il les vainquit, de les r e L'on a b a n d o n mit fous l'obeïffance, de l'on céda de peupler la ville ne cette p e u de Segura , de dés lors Alvarado commença d'ouvrir plade. le chemin pour aller dans les Provinces de Soconufco, & de

Gecatemala.

Cortés avoit auffi envoyé Guillaume de la L o a , Caftillo, de l'Enfeigne R o m a n L o p e z , & d e u x autres, au milieu de la t e r r e , entre les defcentes de la C o r delière de la M e r du N o r t , lefquels pafferent par Xaltepeque, qui eft dans les Zapoteques , & prirent leur chemin vers les defcentes de Chiapa, de par Vtlatepeque , de pafferent à Soconufco , qui font plus d e quatre cens lieues ; puis ils revinrent par la M e r du Sud à T e c o a n t e p e q u e , f e rencontrant fouvent dans d e grands hazards de la vie. Cortés voyant donc une grande partie de la cofte de la M e r du Sud defeouverte, de que l'on y pouvoit aller en toute f e u r e t é , & en paix ; il ordonna que des Maiftres Charpentiers allaffent à Zacacula, pour fabriquer deux N a v i r e s , pour reconnoiftre toute la cofte , de le Détroit que l'on penfoit trouver là a u p r è s , de ordonna que l'on y fabricaft encore deux Caravelles pour chercher les Ifles de l'Efpicerie, de fournit pour cet effet de voiles, d e cordages , d e ferremens , de d e toutes les autres chofes n e ceffaires, fe fervant en cela d e ceux qui eftoient à la Vera Cruz, qui avoient efté apportées fur les efpaules des hommes & des femmes, quoy que le chemin fuft long. Il ordonna auffi au Capitaine Chriftorle d'Olid qui eftoit à Mschoacan , qu'il allait faire travailler à cet ouvrage en d i l i g e n c e , de qu'il côtoyaft la t e r r e avec les Navires. Chriftofle d'Olid y alla avec cent Infants Caftillans , quarante chevaux , de quelques Indiens de Mechoacan. Il aprit en chemin que les peuples de Colima eftoient en armes. Il y a l l a , de combatif plufieurs jours vaillamment, de avec beaucoup d e confiance ; mais enfin ne pouvant pas refifter, il fut contraint de fe retirer , après avoir perdu trois

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Cortés envoyé d'autres Cafti lans defcouvnr la terre.

Cortés fait fabriquer des Navires.

Chriftofle d ' O lid va contre ceux de Colima.


282

HISTOIRE

Caftillans,& quantité d'Indiens amis. Il demanda du fecours à Cortés, qui y envoya le Capitaine Gonçale de G o n ç a l e de Sandoval va Sandoval avec foixante & dix Infants Caftillans , vingt fecourir Chri chevaux, & quantité d'Indiens alliez. Gonçale de Sanftofle d'Olid doval alla à YmpiltingO)&combatit vaillamment contre ces peuples , mais il ne les put d o m t e r , à caufe de l'afpreté de la t e r r e , qui eftoit fort difficile pour les chevaux. Il paffa à z a c a t u l a , vit la fabrique des N a v i r e s , où il prit davantage de Caftillans, & s'en alla à Colima , par la mefme peuplade où Chriftofle d'Olid avoit efté obligé de fe r e t i r e r , & pacifia quelques lieux en chemin faifant. C e u x de Colima fortirent au devant de luy pour le c o m b a r r e , penfant faire comme ils avoient fait à Chriftofle d'Olid ; mais le combat fut rude de part 6c d ' a u t r e , & fort opiniaftré un grand efpace de temps : mais l'indultrie, la p r u d e n c e , & la diligence de Sandoval, firent beaucoup en ce r e n c o n t r e , parce qu'il gagna la bataille , non fans perte de quantité d'Indiens de part 6e d'autre ; & quoy qu'il y euft quantité de Caftillans de bleffez, il n'en mourut pas un , pour avoir choifi pour la bataille un lieu p r o p r e , & où les chevaux avoient la courfe l i b r e , qui dans Il met les Coli- toutes ces guerres furent fort utiles pour les Caftilmas en dérou- lans. Enfin les Colimas & les Ympilzingos furent entiète. rement mis en déroute & tellement déconfits, qu'ils fe rendirent vaffaux de la Couronne de Caftille ; & à leur exemple Cinatlan, & d'autres lieux obeïrent auffi. L'on fonda dans Colima une peuplade, où il fut laiffé vingt-cinq chevaux & cent vingt Infants, aufquels Cortés commanda de s'eftablir & partager la t e r r e entre eux. Apres quoy Gonçale de Sandoval s'en retourna à M e x i q u e , & dit à Cortés qu'on luy avoit donné avis qu'à 10.lieuës de Colima,il y avoit une lfle fort riche, peuplée d'Amazones 5 mais quoy qu'on les euft cherl e s Caftillans trompez fur le c h é e s , elles ne parurent jamais y & l'on explique cela m o t d'Amazodu nom de Cuatlan , qui veut dire peuplade de femmes. nes. 1522.

Dans ce mefme temps Cortés eftoit fur les termes de renvoyer à Mechoacan un Capitaine avec quelques


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I I I . 283 foldats ; mais comme il avoit quelque foupçon qu'ils 1522. fe pourroient foulever, il jugea à propos de diffimuler pour quelque temps, & envoya André de Tapia avec Chriftofle d'Olid pour paffer à la M e r du S u d , portant avec eux les noms des Alcaldes & de D i r e cteurs qui dévoient refter dans la peuplade de ME- Cartes eftablit choacan , & de ceux qui dévoient paffer à la peuplade une peuplade à Mechoacan. de Zacatula , où le bois pour la fabrique des Vaiffeaux eftoit déjà coupé ; Avec ordre au Capitaine de VillaF u e r t e de demeurer avec eux ; & Chriftofle d'Olid retourna à Mexique. C e voyage fe fit par l'induftrie & le bon foin qu'y apporta André de T a p i a , parce que les Mechoacane ques n'avoient pas déjà voulu fouffrir d'y baftir une peuplade de Caftillans, dequoy les foldats n'eftoient pas fafchez, parce que ce leur eftoit un fujet de s'enrichir du butin qu'ils efperoient de faire à la première occafion de guerre qui arriveroit. Mais comme ils furent appaifez par le moyen de quelques trefors des Idoles, cela les retint & les uns & les autres ; & cependant la peuplade fe fit ; & Chriftofle d ' O l i d , & le Capitaine Villa-Fuerte pafferent à Zacatula avec quatre cents Infants & cinquante chevaux. L e Capitaine Villa-Fuerte eftant arrivé avec fes gens où il devoit prendre fon chemin , eut deffein que les foldats le requiffent de prendre la route d'une autre Province, qui tiroit vers le N o r t , dont plufieurs Capitaines avoient déjà demandé de l'aller affujettir, & que pour ne leur donner pas un fujet de mefcontentem e n t , Cortés leur avoit fait refponfe, qu'eftant de retour de P e n u c o , il vouloit luy mefme faire ce voyage ; Si bien que lors qu'il apprit que Villa-Fuerte y eftoit a l l é , il appréhenda qu'il ne vouluft fecoûer le joug de l'obeïffance, fe fervant de l'occafion du nombre de foldats qu'il avoit ; C e qui luy caufa bien de l'inquiétude. V i l l e - F u e r t e y entra fort négligemm e n t , en donnant par trop de liberté aux foldats ; c'eft pourquoy les Indiens qu'il avoit amenez de Mechoacan, s'en retournèrent chargez de butin ; & Ll

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284 1522.

H I S T O I R E

luy fortit auffi-toft d e la Province , la laiffant toute en t r o u b l e , & comme elle relevoit en partie de C a zouzin, & qu'il eftoit allé faire fes plaintes à Cortés ; il le fatisfit, & le renvoya content des torts qu'il pretendoit luy avoir efté faits, & demeurèrent toujours amis.

C H A P I T R E

XVIII,

Diego Velafquez veut aller contre Cortes. François de Garay arme pour aller à Panuco. Fernand Cortés va dans cette Province avec fon armée , & la met dans l'obeiffance.

P

D i e g o Velafq u e z à deffein d'aller contre Cortés, mais o n l'en détourne.

our revenir à Diego Velafquez, nous dirons qu'il eut un grand reffentiment du mauvais fuccés de Panfile de N a r v a e z , & ce qui luy angmentoic encore davantage fon courroux , ou pluftoft fa jaloufie, eftoient les profperitez qu'il entendoit tous les jours dire de Fernand Cortés ; joints au reffouvenir qu'il avoit d'avoir fait de fi grands frais fans en avoir tiré aucun profit. Et comme il ne manquoit pas d'amis en C o u r , qui l'animoient & encourageoient d'en avoir la raifon, il refolut d'armer encor fept N a v i r e s , avec lefquels il s'embarqua pour aller chercher à faire fortune dans la Nouvelle Efpagne. Mais d'ailleurs ayant aveque luy le licencié Parada qui eftoit une partie de fon confeil, il luy reprefentoit les inconveniens qu'il y avoit d'entreprendre ce voyage. P a r c e , luy difoit-il, qu'il eftoit tres-certain que Cortés n'abandonneroit pas la Province , & qu'il ne pourroit pas atteindre au but qu'il pretendoit, fans refpandre beaucoup de fang ; Si bien qu'il refolut de retourner à faint Iacques. Cortés euft. avis du deffein de Diego Velafquez , parce qu'il luy arrivoit beaucoup de gens de toutes les Ifles, & mefme quantité de Marchands commençoient déjà à négocier dans la Nouvelle Efpagne, par le moyen


L i V . I I I . 285 desquels il apprenoit tout ce qui fe paffoit. Il avoit 1522. auffi receu quelques provifions de l'Admiral Diego C o l o n , pour qu'il euft à luy fatisfaire de fes droits d'Admirauté , ainfi qu'il en droit de l'Efpagnolle, prétendant que cela luy appartenoit par la Déclaration qui en avoit efté expédiée au Confeil ; mais il n'y vouluft pas entendre. Incontinent après il receut François de Galettre de François de Garay , par laquelle il luy don- ray d o n n e avis à Cortés qu'il noit avis que le Roy luy avoit fait largeffe du Gou- va à Panuco. vernement de Panuco, & qu'il levoit une armée avec l'afliftance & faveur de l'Admiral, pour en aller prendre la poffeffion. Mais Cortés qui ne pouvoit fouffrir que quelqu'autre que luy euft la domination dans ces quartiers ; outre que fon intention avoit pour prét e x t e de ne permettre pas que de fon temps les rentes Royales fuffent aliénées, ny que l'Admirai y peuft prétendre. O u t r e que pour l'inconvénient qu'il y avoit Certes le prequ'il y euft deux jurifdictions dans fi peu de diftance, rient. pour les troubles & diffenfions qu'il y auroit inceffamment entre les Caftillans & les Originaires de la terre. Ioint que les peuples de la contrée de Panuco fe pourroient foûlever & refifter contre les gens de Garay , comme ils avoient déjà fait autrefois après les avoir pacifiez, parce que fans doute ils luy en deffendroient l'entrée. Il refolut de prévenir G a r a y , & d'aller en perfonne occuper & peupler la rivière, difant auffi q u e ces Indiens luy demandoient du fecours contre leurs Ennemis, & qu'il eftoit à propos de les favorifer. DES

ÏNDES

OcCIDENTALES

Cortés fe voyant donc exempt de l'inquiétude que François de Tapia luy avoit caufée , & d'autres encore , refolut d'aller en perfonne, tant pour peupler & affeurer cette t e r r e , que parce qu'il luy fembloit que fa prefence remedieroit à toute forte d'inconvénients. Apres donc qu'il eut difpofé de toutes chofes dans M e x i q u e pour fon reftabliffement, à quoy il s'occupait le plus, il fortit avec trois cens Infants & quatre vingt c h e v a u x , quelques pièces de campagne & quarante L l iij


286 HISTOIRE mille Indiens Mexiquains, luy femblant qu'il eftoit 1522. Cortés va à Pa- plus à propos de fe fervir d'eux, que d'autres , afin q u e nuco avec une la ville fut plus en feureté, avec deffein d'obéir aux armée. provifions Royales de François de G a r a y , & en fufpendre l'accompliffement jufques à ce que le Roy en fuft informé. Parce qu'il difoit que le port de cette rivière eftoit le meilleur port de toute la Nouvelle Efpagne, & qu'en cas que le négoce fe deuil faire par cet endroit, il n'eftoit pas à propos de divifer les tes Indiens luy Iurifdictions. Comme il vint à paffer par Ayotuxtetlatlivrenr bataille, lan, ceux de cette peuplade fortirent en armes pour & la perdent. luy en empefeher l'entrée , & quoy qu'ils fuilent en plus grand nombre , néanmoins leur livra bataille. Comme elle fe fit dans une campagne r a f e , où les Caftillans avoient de l'efpace pour leurs c h e v a u x , elle fut bien-toft a c h e v é e , mais il y mourut quantité d'Indiens Mexiquains, outre cinquante Caftillans d e bleffez , & quelques chevaux. Cortés demeura là quatre jours pour les faire penfer, pendant lequel temps il vint quantité de peuple de tous les vilages circonvoifins de cette ligue pour luy rendre obeiffance, avec de grands prefens. Il paffa à Chila, à cinq lieuës Les gens de Garay font défaits de la M e r , qui eftoit le lieu où les gens de François de à Chila. Garay furent mis en déroute. Il envoya des Meffagers par toute la contrée de l'autre cofté de la rivièr e , les requérant de p a i x , en leur faifant entendre le contentement qu'ils recevroient de C o r t é s , & qu'il les affectionneroit beaucoup plus que s'il les y contraignoit par la force. Mais les Indiens s'imaginant que comme ils eftoient fortifiez dans leurs lacs, perfonne ne les pourroit offenfer , & qu'ils mangeroient les gens de C o r t é s , comme ils avoient fait les a u t r e s , n e voulurent pas accepter la paix ; bien au contraire, ils tuèrent quelques Meffagers. Cortés néanmoins ne fit point de cas de c e l a , il perfifta quinze jours à tafcher de les mettre dans le devoir mais après t o u t , voyant que toutes fes pourfuites ne fervoient de rien , & qu'à caufe de leurs lacs y il ne leur pouvoit rien faire ;


DES INDES 0 C C I D E N T A L E S , Liv. III. 287 il chercha des barques , & paffa de nuit avec cent Caftillans de l'autre cofté de la rivière, & quarante chevaux mais ayant efte defcouverts à la pointe du j o u r , ils furent chargez d'un fi grand nombre d'Indiens, & avec tant de furie , que jamais les Caftillans ne fe virent attaquez fi fortement. Ils tuèrent deux chevaux & en blefferent dix ; mais avec l'aide des Indiens alliez ceux de Panuco furent mis en d é r o u t e , & pourfuivis à plus d'une lieuë de l à , dont il y en eut beaucoup de tuez, Les Caftillans repoferent cette nuit-là dans une peuplade que les habitans avoient abandonnée , & trouvèrent dans les Temples les habits 6c les armes des gens de Garay qui eftoient attachez , & les vifages avec leurs barbes qu'ils avoient écorchez, dont les peaux eftoient courroyées, & attachées contre les murailles. Ils en reconnurent quelques-uns, qui efmurcnt leurs amis à refpandre des larmes ; & il eftoit bien-aifé à connoiftre par là que les Indiens de Panuco, eftoient vaillans & cruels, ainfi que les Mexiquains les avoient dépeints, pour les avoir éprouvez à la guerre qu'ils avoient ordinairement contre eux. D e là Cortés paiTa à une grande peuplade, où les gens s'eftoient mis en armes, & en embufcade, s'imaginant déjà tenir les Caftillans en leur poffeffion ; mais les gens de cheval les ayant defcouverts, & eux d'ailleurs croyant avoir efté defcouverts, ils combattirent vaillamment. Ils tuèrent un cheval, & en blefferent vingt ; & quoy qu'ils furent mis par trois fois en d é route , ils ne laifferent de retourner autant de fois au combat, & en bon ordre. Ils faifoient des caracols, ils mettoient les genoux en terre , & tiroient leurs flèches , leurs baftons, & des pierres fans dire une feule parole, ce qui eftoit fort peu ufité parmy les Indiens ; & lors qu'ils fe virent las & fatiguez ils fe jetterent dans une rivière, & la pafferent, puis eftant de l'autre cofté, ils fe tinrent fur la rive jufques à la nuit, faifant paroiftre qu'ils avoient encore affez de courage pour fe deffendre. Cette retraite donna affez à pen-

1522. Les Indiens attaquent vaillamment les Caftillans.

Notable cruatte des Indiens de Panuco.

Les Indiens l e Panuco c o m batent avec beaucoup d'ordre.


288 HISTOIRE fer à Cortés, voyant la valeur de ces peuples. Il s'en 1522 retourna au vilage, où fes gens fouperent du cheval mort, & dormirent fous bonne garde. Le lendemain la Cavalerie fit des courfes dans la campagne, où ils trouuerent quatre vilages abandonnez. Ils y trouvèrent quantité des tinettes de vin, dont ils fe fervoient pour leur boiffon, mifes en bon ordre dans des celiers. Ils dormirent dans des terres enfemencées de Mayz pour la commodité des chevaux. Ils rodèrent encore deux jours là autour, & comme ils ne trouvèrent perfonn e , il s'en retournèrent à Chila, où eftoit l'armée. C e pendant Cortés eftoit tout eftonne de ce que perfonne ne paroiffoit de l'autre cofté de la rivière pour combattre, de pour fe tirer de cet eftonnement, il refolut pour terminer la guerre, ou par une paix, ou par la force, ou par fineffede faire paffer la rivière à la plufpart des Cavaliers & des gens de pied Caftillans, avec grand nombre de Mexiquains, lefquels attaquèrent une grande peuplade, de nuit, fur la rive d'un lac, par eau de par terre. Ils firent un fi grand defordre, que les Indiens efmerveillez de fe voir ainfi attaquez de nuit, de par eau , refolurent de fe r e n d r e , de à leur exemple en vingt-cinq jours, toute la contrée de les habitans d'autour de cette rivière fe rendirent dans l'obeïffance. Les Indiens de Là Cortés fonda la peuplade de San-Eftevan del puerto, Panuco fe rentout proche de chila, & où la rivière fe va refpandre d e n t , & l'on dans la Mer. Il y mit cent Infants de trente Cavaliers, peuple SanSftevan. & leur départit ces Provinces. Il y nomma des luges de des Directeurs, de autres Officiers de Iuftice ; & y laiffa pour fon Lieutenant Pierre de Vallejo. Il ruina Panuco, de Chila, de d'autres peuplades, pour leur rébellion de cruauté d'avoir mangé fi hardiment de la chair humaine, de pour chaftiment des cruautez qu'ilsexercèrent fur les gens de Garay ; en fuite dequoy après avoir bien eftably toutes chofes, pour refifter à Cortes s'en re- Garay, il s'en retourna à Mexique. Ce voyage coûtouna à Mexi- ta foixante mille poids , parce qu'il ne s'y fit point de que. butin, & il y eut tant de perte de chevaux, faute d e fers


DES

I N D E S O C C I D E N T A L E s , Liv.III.289

Fers pour les ferrer, que les feuls cloux fe vendoient 1522. au poids d e l'or de quinze c a r a t s , il bien que les quat r e fers & cent cloux couftoient cinquante-quatre Caftillans d e bon or ; & les chevaux valoient quinze c e n s , & jufques à d e u x mille Caftillans. D a n s ce mefm e temps il y eut un N a v i r e qui efchoùa à la Vera Cruz, qui apportoit des vivres pour l'armée ; les gens qui eftoient dedans furent p e r d u s , excepté trois hommes qui fe fauverent dans une Iflette à cinq lieues de terre-ferme , lelquels vefeurent plufreurs jours de Loupsmarins, qui fortoient de l'eau pour dormir fur l'herbe. C e a x de Tututepec du N o r t , & quantité d'autres T u t u t e p e c fe peuplades vers les confins de P a n u c o , fe fervant de rebelle, & C o r rés les va r a n l'occafion des guerres d e leurs voifins fe r e b e l l è r e n t , ger fous l'obeïf& les Seigneurs d e ces lieux brufierent & ruinèrent fance. plus de vingt peuplades d'Indiens alliez. Cortés ayant eu avis de cela , creut que fa prefence eftoit neceffaire en ce rencontre ; & il travailla beaucoup en cette guerre. Les Ennemis luy tuërent quantité d'Indiens de c e u x qui eftoient d e m e u r e z derrière. Il y e u t vingt c h e v a u x qui crevèrent du travail qu'ils faifoient dans ces m o n t a g n e s , dont on eut grande n e ceflité. Mais enfin ayant fubjugé les rebelles en u n e bataille, il fit pendre le Seigneur de T u t u t e p e c , & le Capitaine gênerai de cette guerre ; parce qu'ils avoient efté les principaux Autheurs de cette rébellion, & qu'ils d e m e u r è r e n t prifonniers en la bataille ; joint qu'ils avoient déjà efté p a r d o n n e z , & qu'ils avoient m a n q u é d e parole , & fauffé leur foy. Ils vendir e n t pour efclaves à l'encan d e u x cens d e ces I n diens pour recompenfer la p e r t e des chevaux. Par ce chaftiment, Cortés ayant donné à c e t t e terre pour Seigneur le frère du m o r t , il demeura pacifique, 6c vaffal du R o y de Caftille ; en fuite dequoy Cortés s'en r e t o u r n a à M e x i q u e par la Vera Cruz, où il e u t avis que le Capitaine Villa - F u e r t e eftoit fous fon obeïffance avec les Caftillans qu'il avoit, ce qui tira Cortés hors de l'inquietude o ù il eftoit y avoit déjà

Mm


1522. Villa-Fuerte peupla Zacatula.

290 HISTOIRE quelques jours ; & qu'avec l'aide de Simon de Cuenc a , il peuploit Zacatula , à quatre-vingt-dix lieues, peu plus ou moins de M e x i q u e , & à quarante d e Valladolid de Mechoacan , qu'ils appellent la Conception , qui eft fur la rive d'une grande rivière , a une lieuë demie de la M e r , où elle entre par deux bouches,

Fin du troifiéme

Livre.


291

HISTOIRE GENERALE ES V O Y A G E S ET CONQVESTES des Caftillans dans les Ifles & Terre- ferme des Indes Occidentales, LIVRE

Q U A T R I E S M E .

C H A P I T R E

P R E M I E R .

Les Procureurs de la nouvelle Efpagne arrivent Adores, ils perdent deux Caravelles. Le Victoire arrive en Cafiille.

à l'ifle des Navire

Es Procureurs de îa nouvelle Efpagne eftant 1522. partis de la Vera Cruz avec un temps propre, dans trois Caravelles, à peine furent-ils arrivez aux Ifles des Açores qu'ils rencontrèrent des Corfaires, qui les a t t a q u è r e n t , & en prirent deux, Les Corfaires prennent deux & la troifiéme fe fauva dans l'lfle d e fainte Àlarie,d'où Caravelles des ils donnerent avis à Seville que l'on les vinft efcorter. Procureurs de nouvelle EfLes Officiers de la maifon de Contractation dépefche- la pagne, rent auffi-toft une caravelle pour aller chercher D o n Pedro Manrique qui avoir deux Navires armez, pour aller au-devant, & en donnèrent auffi avis à laCour,qui eftoit

Mm ij


1522.

te navire Victoire part de

292 HISTOIRE alors à Burgos, où Iean Rodriguez de Fonfeque Prefi dent du Confeil des Indes drena un Acte le 25. Ianvier par lequel il ordonna ; que quant à ce que leurs Majeftez avoient efté informées de ce qu'il eftoit arrive des terres nouvellement découvertes de Culuacan des Procureurs , dont les noms eftoient Alonfe a Avila, Alonfe de Mendoza, & Antoine de Quinones , & quelques paffagers, lefquels apportaient à leurs Majeftez quelque or , & pour eux & pour d'autres perfonnes ; Et qu'il y avoit auffi beaucoup d'or qui appartenait a des Marchands. Et parce que Fernand Cortés & ceux qui eftoient avec luy dans cette terre , n'avoient pas obey aux commandemens de leurs Majeftez, qui leur avoient efté notifiez en bonne & deue forme, ny qu'ils n'eftoient point à fon fervice, & que mefme il ny avoit eu aucuns officiers Royaux en la fufdite terre pour recouvrer le quint qui appartenoit à leurs Majeftez, félon l'ordre qu'il faloit tenir en pareil cas ; & que les Marchands non plus n'avoient pas deû trafiquer avec des gens qui eftoient de fobeiffans à leur Roy & Souverain. A caufe dequoy il avoit juge à propos que tout ce qui avoit efté apporté de ces terres nouvellement découvertes, feroit faifi arrefté, jufques à ce l'on euft avéré touchant cela comme le tout s'y eftoit paffé. que pour cet effet il mandoit de la part de leurs Majeftez aux Officiers de la maifon de Contractation de Seville , qu'auffi- toft après que les Procureurs feroient arrivez ils fe faififfent de l'or, des perles, & de tous les autres biens quels qu'ils fuffent , qui feraient venus par cette voye, jufques à ce que leurs Majeftez en ordonnaient autrement, fur peine de confifcation de leurs biens, quoy que l'on n'envoyaft pas des provifions de leurfdites Majeftez ; & qu'a caufe que les Gouverneurs du Royaume eftoient dans Victoria, & que le retardement pourroit caufer de la perte : Il avoit commandé à Iean de Semano Secretaire du Confeil de figner cet Acte d e fon nom , & d e l'envoyer par un Courier exprés, à Iean de Salcedo C o u rier Major de Seville, pour le notifier aux Officiers d e la maifon de Contractation , & que les Procureurs de la nouvelle Efpagne euffent à comparoiftre au Confeil, au dedans vingt jours. Le navire Victoire partit de Tidore dans les Moluques,


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I V . 293 au commencement de cette année, avec foixante hommes , & quelques originaires de ces Ifles. Il paffa par beaucoup d'Ifles, & particulièrement dans l'une où. il y avoit du poivre long, & rond. Le long naift d'une plante femblable au l i e r r e , ou hierre , qui court & embrafîe les autres arbres ,& dont le fruit s'attache au bois ; la feüille eft femblable à celle du meurier. La plante du rond eft prefque femblable à l'autre ; mais le fruit croift en épy , comme celle du mayz, & tous les champs font remplis de ces plantes. Cette Ifle eft au huitième degré & demy de l'Equinoxial en tirant vers noftre Pôle artique. Dans celle de Timor, ils prirent du Sandal blanc. Il y a auffi du g i n g e m b r e , & beaucoup d'or. Il y avoit quantité de malades de la vérole. Il fe forma là une conteftation où il mourut quelques gens du n a v i r e , pour avoir pris trop de canelle. D e là ils allèrent proche de Zumatrà, que les anciens appelloient Taprobane, & s'engoufrerent dans la grand' mer, prenant leur chemin entre le Ponant & le Midy, laiffant le N o r t à la droite pour n'eftre point apperceus des Portugais, & la terre-ferme de Fegù, d e bengala, de Calicut, de Cananor, de Goa, de

Cambaya, le Golfe d'Ormuz & toute la cofte de la grande Inde pour paffer au Cap de Bonne Efperance. Ils pafferent vers le Pole Antartique proche du quarante-deuxième degré; & quoy que quelques-uns euffent deffein d'aller à Mofambique, les autres dirent qu'ils aimoient mieux mourir que de quitter la route de la Caftille. Ils fouffrir e n t d e grandes tourmentes 6c beaucoup de faim. Il en mourut quelques-uns ; les corps des Chreftiens morts qui furent jettez dans la mer alloient au fond le vifage tourné vers le C i e l , & ceux des Indiens au contraire eftoit tournez en embas ; & fi D i e u ne leur euft donné un meilleur temps , ils euffent tous pery de faim. Mais enfin après avoir bien fouffert n'ayant mangé pendant un long-temps que du riz , ils arrivèrent à l'Ifle de faint Iacques au Cap-Verd. Il defcendit treize hommes dans l'Efquif avec Martin M e n d e z Maiftre des Comptes du n a v i r e , pour faire aigade, achepter de la viande, du

Mm iij

1522. Tidore dans les Moluques. Du poivre l o n g & rond,& c o m m e il croift.

N a v i g a t i o n du navire Victoire.


294

1521. les Citalans l'ont maltraitez des Portugais dans l'Ifle de S. Iacques. Le navire victoire arrive à S, Lucar.

H I S T O I R E

pain , & quelques Nègres pour tirer à la pompe . parce que le Vaiffeau faifoit eau, & qu'il y avoit peu de Caftillans, qui eftoient la plupart malades. L e Capitaine Portugais qui eftoit-là les prit prifonniers, parce qu'il vouloit qu'ils payaffent en clouds ce qu'ils achetoient, pour fçavoir d'où ils l'aportoient, & prit la barque, & fit toutes les diligences pour fe faifir du navire. Mais le Capitaine Iean Sebaftien del C a n o , fit auffi-toft hauffer les voiles & arriva à S. Lucar le & de Septembre, avec fes gens fort flafques & débiles. Au refte ces hommes dirent quantité de chofes de leur navigation , & entre autres , que plufieurs fois le Soleil & la Lune leur avoit femble tourner au revers de l'Europe, ce qui eftoit véritable, parce qu'ils avoient toujours l'ombre au Sud, lors que cela leur paroiffoit ainfi, & qu'il eft tres-vray que le Soleil monte par la main droite de ceux qui viennent de trente degrez d e l'autre cofté de l'Equinoxial, en regardant le Soleil ; & pour le regarder il faut qu'ils ayent la face tournée vers noftre N o r t , ce qui fait paroiftre véritable ce qu'ils dirent. Ils tardèrent à leur voyagea aller & venir, trois a n s , moins quatorze jours, ; ils s'abuferent d'un jour de leur fuputation, ce qui fut caufe qu'ils mangèrent de la chair les Vendredis, & célébrèrent le jour de Pafque le Lundy, dont la caufe fe dira cy-apres. Ils firent dix mille lieues de chemin ; mais felon leur route ils en firent quatorze mille, parce que ceux qui vont le droit chemin, n'en font pas tant que ceux qui découvrent en tournoyant. Ils firent quantité de tours d é p a r t & d'autre , & s'égarèrent plufieurs fois, & quoy qu'ils perdirent quelquefois la veuë du N o r d , ils ne laifferent pas que de s'y régler toujours, parce qu'ils regardaient fi fixement l'aiguille eftant au quarantième degré du Sud, qu'on la regarde en la mer Méditerranée ; quoy que quelques-uns difent qu'elle perd quelque peu de fa force. Il va toujours proche du Sud , ou Pôle Antartique une petite nuée blanchaftre, & les quatre Eftoiles en C r o i x , qu'ils appellent Pied de Ç o q , ou le C r o i z é , &


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I I I . 295 trois autres tout p r o c h e , qui ont du rapport à noftre 1522. N o r t , & celles-cy font celles qu'ils tiennent pour marques de l'autre P ô l e , qu'ils appellent Sud. Véritablement ce Capitaine lean Sebaftien delCano eft digne d'un e éternelle mémoire , puis qu'il a efté le premier qui a tournoyé tout le m o n d e , n'y ayant point eu jufques alors dans toute l'antiquité, ny parmy les modernes aucun qui luy puiffe eftre comparé. Ceux du navire Q u a n t à la caufe pourquoy ceux de ce navire Victoire Victotre fe t r ô fe méprirent d'un jour en leur fupputation , quelques- pent d'un jour lins ont eu diverfes opinions fur ce fujet ; dont il y en eut dans leur calcul. u n particulierement qui affirma q u e cela eftoit arrivé parce qu'ils avoient oublié de compter le biffexte. Mais celle de Iofeph d'Acofte de la Compagnie de Iefus tient pour plus certain celuy qui dit ; Que ceux qui navigent de l'Orienta l'Occident, vont toujours anticipant furie jour, parte que le Soleil leur paroift toùiours pluftoft ; qu'à ceux qui. navigent de Levant au Ponant, il arrive tout au rebours, d'autant qu'ils vont toujours perdant le jour, en traverfant, parce que le Soleil fort plus tard ; de telle forte que quand il eft midy en Caftille, le jour commence à paraiftre dans le Pérou ; & que lors que le jour commence deçà, il eft en ce fais-la my-nuit. Ainfi les Portugais ayant fait leur navigation de Ponant à Orient,& les Caftillans, d'Orient à Ponant, lors qu'ils font venus a fe joindre qui eft aux Philippines & à Macau, les uns ont gagné douze heures paravance, & les autres ils ont perdues. Ainfi il fe prouve en un mefme point la différence de vingt-quatre heures, qui fait un iour entier, A caufe dequoy il faut neceffaiiement conclurre que les uns eftant au troifième de May, les autres ne fint qu'au deuxième & que la diverfité des Méridiens, rend le compte des iours différent. Et que comme ceux qui vont navigeant d'Orient à Ponant, vont changeant de Méridiens ,fans s'en appercevoir; & d'autre cofté ils vont pourfuivant le mefme compte ou ils fe trouvent lors qu'ils fortent ; il eft neceffaire que lors qu'ils ont fait le tour du monde, ils trouvent l'erreur d'un iour entier : Et comme ce fut le navire Victoire qui fit cette première navigation, il ne faut pas trouver eftrange s'ils ne s'appereenrent pas de ce défaut ; lequel s'eft pu mieux reconnoiftre par la longue expérience de ces navigations.


296

HISTOIRE

1522. C H A P I T R E

II

De ce qui arriva au navire de la Trinité qui eftoit reftè en l'ifle de Tidore des Moluques , pour eftre radouée. Le Roy de Gilolo fe rend vaffal Roy de Caftille.

du

Le navire de la Trinité part de Tidore.

L

E navire Victoire eftant party & ceux de celuy d e la Trinité eftant occupez à le r a d o u b e r , le Roy d e Gilolo arriva à Tidore, qui fut fort aife de le voir,& voulut apprendre la manière de combatre des Caftillans, lefquels pour luy donner ce contentement s'armèrent. Il s'offrit pour ferviteur & fujet du Roy de Caftille ; & demanda à Gonçale Gomez d'Epinofa deux pièces d'artillerie, un canonier & deux Caftillans,pour l'aider à chaftier quelques rebelles. Comme le navire fut radoubé, à quoy les Indiens de Tidore y prefterent toute l'affifiance poffible , ceux qui eftoient allé fervir le Roy d e Gilolo arrivèrent ; & parce qu'il avoit trop de charge Gonçale Gomez jugea à propos de laiffer une partie d e la charge avec quatre ou cinq Caftillans dans l'Ifle pour la garder, & pour tenir une manière de Facture pour les premiers navires qui pourroient venir de Caftille pour aborder aux Moluques. Apres donc qu'ils eurent pris congé du Roy & de faCour,ils partirent le 16. d'Avril. A 4 0 . lieues de là ils entrèrent dans une Ifle appellée Zam a f o ,quiappartenoit au Roy de T i d o r e , & qui eft au deuxième degré & demy de la ligne Equinoxiale à la bande du Nort,pour y charger des vivres. Ils y furent fort bien receus , parce que le R o y l'avoit déjà mandé à fes fujets,de forte qu'ils receurent là toute forte de contentement en troc d'autres chofes. Eftant partis de ce lieu, comme ils fe virent dans la haute m e r , ils prirent confeil entr'eux quel chemin ils prendroient, & ils jugèrent felon la rondeur du monde,& par la hauteur du Soleil,que des Moluques à la terre-ferme des Indes de Caftille, qui eftoit Panamà, il n'y avoit pas plus de deux mille lieues, & que s'ils pouvoient avoir le temps propre que c'eftoit

le


L i v . I V . 297 le plus court chemin, & le meilleur voyage qu'ils pou- 1522 voient faire félon la volonté du Roy. O r leur véritable chemin étoit la route du Levant,mais ils eurent toujours les vents contraires,à caufe de quoy ils côtoyerét la bande du N o n jufques au vingt-feptieme degré, où ils trouvèrent une Ifle, habitée de gens ruftiques qui entroient imprudemment dans le Navire. Ils en prirent un, & fuivirent toujours cette route de la bande du N o r t . Ils navigerent ainfi l'efpace de quatre mois, jufques à ce qu'ils arrivèrent au quarante-deuxième d e g r é , où ils eurent une tempefte fi afpre & firude pendant cinq jours, que le mas fe fendit en deux endroits. Ils abatirent le châ- Le navire de la teau de la proue, & ceux de la Poupe fe briferet : Bref ils Trinité fouffre furent fur le point de périr, la plufpart de leurs voiles une grade t e m pefte. tout difloquez. Mais D i e u qui ne les voulut pas perdre, écouta leurs prières, & permit que le temps s'appaifa; &c parce que les gens qui eftoient dedans devenoient tout malades, & croyant que c'eftoient des vers qui leur caufoient ces m a u x , ils ouvrirent le premier qui mourut, mais ils ne luy en trouvèrent qu'un. Dans ce mauvais temps ils avoient deffein d'entrer dans l'Ifle d'où ils avoient pris cet homme, mais comme ils n'y purent pas aborder, ils arrivèrent à une autre qui eftoit à vingt lieues de-là , avec la plus part du monde malade. Ils mirent l'Indien à terre , lequel retourna au vaiffeau avec deux autres, chargez de cannes douces, 6c d'autres regales qu'ils donnèrent aux malades. Le Capitaine commanda à deux Caftillans de defcendre à terre pour la reconnoiftre, lefquels r e t o u r n è r e n t , & dirent que l'ifle eftoit petite & aride , & qu'il n'y avoit pas plus de quarante perfonnes. Le Capitaine defcendit auffi à terre, & cherchant autour des rochers, il trouva un puits fur l e haut d'une roche , d'où ils tirerent quinze pipes de bonne eau. Il y eut en cet endroit quatre hommes du vaiffeau qui prirent la fuite, & quoy Quatre h o m qu'on les appellât en leur offrant le p a r d o n , il n'y en eut mes du navire de la Trinité fe qu'un qui revint. Il y avoit de cette Ifle à celle des M o - fauvent. iuques trois cens lieues, & ils furent un mois & demy à DES

INDES

OCCIDENTALES,

Nn


298 HISTOIRE faire ce chemin ; pendant lequel temps Il mourut vingt1522. fept hommes. O r lors qu'ils arrivèrent à la première terre à quatre lieues de Tidore) il paffa un vaiffeau qui reconnut le navire , & leur ayant demandé des nouvelles de leur voyage, ils firent réponfe, que quinze jours après que ce Navire fut party, les Portugais eftoient arrivez à T e r r e n a t e , & qu'ils bâtiffoicnt une forte reffe. Le Capitaine du Navire pria les gens de ce vaiffeau, qu'en payant ils vouluffent mener un homme à T e r r e n a t e , qu'il chargea d'une lettre adreffante à Antoine de Brito, Capitaine des Portugais, le priant & le requérant qu'il envoyait fecourir ce Navire avant qu'il s'échouât, parce qu'il n'avoit pas de monde pour lever les ancres pour retourner à T e r r e n a t e . Antoine de Brito receut la lettre , & envoya une Caravelle avec des gens & des Le navire de la vivres, lefquels furent épouvantez de voir ce peu d e T r i n i t é retourne à Terrenate. Caftillans qui eftoient reftez fi flafques & fi débiles ; mais comme les vents vinrent à s'appaifer, ils emmenèrent le Navire à T e r r e n a t e en trois jours, où ils furent bien receus ; & ils trouvèrent que les Portugais avoient pris prifonniers les quatre Caftillans qui y eftoient d e m e u r e z p o u r exercer la facture, parce qu'il y en avoit un de mort ; mais Brito les fit auffi-toft fortir. Q u a t r e jours après que les Caftillans furent arrivez à T e r r e n a te, Antoine de Brito fe faifit de tous les mémoires , des lettres, du vaiffeau, & enfin de tout ce qui eftoit dedans, & dit à Gonçale Gomez d'Efpinofa, qu'il luy livraft l'Etendard Royal de Caftille. Il luy fit réponfe , qu'il ne le vouloir pas faire, ny qu'il ne le pouvoit pas défendre non plus, puisqu'il eftoit en fa poffeffion, & fur cela l'on fit quelque acte par devant un Greffier. Les Caftillans demeurèrent-là trois mois, après cela Antoine de Brito luy donna la liberté de pafferaux Indes, en retenant toutefois le maiftre Pilote, le Greffier, le R a d o u b e u r & le Charpentier, parce qu'il dit qu'il en avoit à faire. Ifle de Bandan D e T e r r e n a t e ils allèrent à Bandan, qui eft à cent fort petite, ou fe cueille de noix lieues delà, c'eftune petite Ifle, mais fort belle, les noix mufcades s'y recueillent deux fois l ' a n n é e , 6c quelque mufcade.


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I V . 299 fois trois, d'où on les tranfporte à Malaca. D e Bandan ils pafferent à Iava , qui eft une grande Ifle, & la côtoyant ils arrivèrent à une ville appellée Agrazuè , peuplée de plus de trente mille habitans , Maures, & où il fe faifoit grand trafic de porcelines, de f o y e , & d'autres chofes de la Chine, de Burney, & de plufieurs autres lieux. Ils pafferent à Malaca qui eft à deux cens lieues de là, où eftoit pour Capitaine George d'Albuquerque, qui eft une Ville où il fe fait un très-grand trafic de toutes les terres depuis le détroit de Meca & des Royaumes d e Cambaya,

1522.

de Bengala , de charaman du Pegu qui appor?

tent des marchandées, & s en retournent chargez d'épiceries & d'autres chofes. D e Malacails allèrent à l'Inde, & furent vingt-cinq jours à aller àl'iflefie de Zeylan, parce qu'il y a trois cens lieues ; & de là ils firent encore cent lieues jufqu.es à Cochin, où ils eurent avis qu'il n'y avoit pas long-temps que les navires de Portugal eftoient partis, & que le Gouverneur alloit du cofté d'Ormuz ; à caufe dequoy ils furent obligez d'attendre un an dans Cochin pour avoir le paffage libre. Les navires Portugais chargeoient alors l'épicerie. Cette Ville a une tres- forces du Roy belle plage, où fe fabriquent des navires, des galères & de Portugal autres vaiffeaux de diverfes grandeurs. 11 y avoit-là qua- dans l'Inde. tre Elephans qui travailloient plus que mille hommes, & eftoient fi avifez, qu'il ne leur manquoit que la parole, ils avoient chacun un Nayre qui les gouvernoit,qui font des hommes Nobles : Si bien que par ce bon ménage le R o y de Portugal avoit dans l'Inde une très belle armée de Navires, de Galions, de Galeres,& d'autres vaiffeaux de plus de trois cens voiles, excepté qu'elles eftoient divifees en plufieurs endroits. Il y avoit déjà plufieurs originaires de la terre qui eftoient baptifez , & lors que l'on faifoit les Proceffions il fuivoit quelquefois plus de quinze cens femmes veftuës de drap blanc fort délié. Dans ce mefme-temps il arriva à l'Inde pour Viceroy,Dom Vafco de la G a m a , auquel les Caftillans demanderent la permiffion de s'embarquer dans les navires qui partoient pouf Portugal, mais il ne la leur voulut pas donner. Ce

N n ij


1522. Les Portugais combatent cotre les Maures,

300 HISTOIRE Viccroy mourut dans vingt-deux jours, & ils éleurene en la place Dom Enrique de Menefes, Gouverneur d e Goay. Eftant arrivé à Cochin, il dit qu'il eftoit fâché que l'on n'avoit baillé le paffage à ces pauvres Caffillans, fans les avoir fait attendre ainfi un a n , dans lequel voyage les Portugais combatirent deux fois contre les armées des Maures ; & quoy qu'il y euft deux cens contre un Portugais, ils fe bâtirent fi vaillamment qu'ils gagnèrent la victoire , & prirent quantité de navires, d'artillerie & beaucoup de butin. Les Maures affiegerent auffi la Fortereffe de Calicut pendant trois mois, qui fut défendue vaillamment par Iean de Lima qui n'avoit pas plus de trente Portugais avec luy , où ils fouffrirent de grandes necefîitez, & firent des actions fignalées. Mais enfin ils furent fecourus par les Portugais qui firent lever le fiege aux Maures ; & ruinèrent la Fortereffe, parce qu'elle ne fervoit pas de beaucoup , & que le Roy l'a voit ordonné ainfi. O r comme les Navires eftoient prefts de partir» les Caftillans ayant une bonne permiffion de Dom Enrique de Menefes ils s'embarquèrent & arrivèrent à bon port en Portugal, après cinq ans qu'ils eftoient partis de Caftille avec Fernand de Magellan.

C H A P I T R E

III.

l'Evefque de Burgos eft recufé de la fart de Fernand Cortés, la déclaration qui fefit fur la différence qu'il y avoit de luy à Diego Velafquez L'Evefque de Burgos ordo ne que l'on affig n e au Confeil las Procureuts de la nouvelle Efpagne.

Près l'acte que l'Evefque de Burgos, Prefident du Confeil des Indes, eut dreffé pour la faifie de tout ce qui arriveroit de la Nouvelle Efpagne ; il en fit encore un autre, qui contenoit la mefme chofe, avec ordre au Docteur de la Gama, qu'il le notifiât aux Officiers de la maifon de Seville,& qu'il ordonnât à Antoine Davila, à Antoine de Quinones, à Diego de O r d a s , & à Alonfe de Mendoça,qu'eftantarrivez ils euffent à comparoï-

A


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. I V .

301

tre au Confeil en dedans vingt j o u r s , en donnant c a u tion de trente mille ducats, 6c qu'à faute de c e ils fuffent mis en prifon , jufques à c e que le Roy e n o r d o n n â t autrement. E t dautant que ces Procureurs avoient déjà perdu deux navires qui leur avoient e f t é pris par des Corfaires, comme il a efté dit cy-devant, & qu'iis s'étoient fauvez dans l'Ifle de fainte Marie, d'où ils avoient mandé qu'on l e u r envoyât quelques vaiffeaux pour les efcorter jufques à Seville , à caufe de l'or 6c des autres chofes qu'ils apportoient, par Iean de R i v e r a , Secrétaire de Fernand Cortés qui eftoit arrivé dans une Caravelle Portugaife , il y fut pourveu, & l'on ordonna que trois caravelles d'armées qui fous la conduite du Capitaine Domingo Alonfo, alloient pour efcorter onze navires de flote qui venoient des Indes jufques aux Canaries, & qui de-là dévoient aller aux A ç o r e s , pour efcorter auffi les Procureurs ; Et l'on manda tout d'un temps que l'on laiffât charger librement, & paffer à la nouvelle Efpagne tous ceux qui y voudroient aller, pourveu que c e fuffent des perfonnes approuvées. O r comme les nouvelles des bons fuccés de ces quartiers-là eftoient deja parvenues à la connoiffance de quantité de g e n s , & qu'elles paffoient pour des chofes admirables , ils jugèrent tous que l'on faifoit un grand tort à Cortés, & c e u x qui tenoient fon party fe plaignoient hautement, ils racontoient fes travaux , ils exaltoient fes proüeffes, & les appuyoient de louanges. Dans de certains temps, M a r tin Cortés, pere de Fernand Cortés, alloit en Cour, & le Licencié Cefpedes, Alonfe H e r n a n d e z P u e r t o - C a r r e r o , & François de Montejo, tâchoient d'accommoder fon affaire, & n'avoient pu obtenir ce qu'ils demandoient j mais qu'au contraire il fembloit que l'Evefque de Burgos les contrarioit , & voyant que Manuel de R o jas, André de D u e r o , & Gonçale de Guzman , qui tenoient le party de Diego de Velafquez, eftoient mieux receus, non pas tant pour la qualité de leurs personnes, mais parce qu'ils donoient mieux leur fait à entendre. Le R o y étoit déjà en Caftille,& avoit débarqué à Santander, Nn

iij

1522

Rivera Secret taire de Cortés arrive à Lisbons ne.

On o r d o n n e de paffer libremêt dans la nouvelle Efpagne.

L'Evefque de Burgos eft e n nemy de C o r tés.


302 HISTOIRE le 16 de Iuillet de cette année, dont il commanda d'en 1522. donner avis par tout , qui fut caufe que l'on traita Les Procureurs de Cortés de- de l'affaire de Cortés de meilleur courage, & on r e mandent per- folut de luy en parler, & luy demander la permiffionmiffion au Roy de reeufer l'E de reeufer l'Evefque de Burgos, attendu qu'il luy vefque de Bur- eftoit ennemy & qu'il portoit le party de Diego Velafgos. quez. Et quoy que tous les honneftes-gens avoient d e l'inclination à favorifer Cortés, à caufe de la renommée de fes grandes actions, comme il a efté déjà dit cy-devant,il fembloit que ç'euft efté une chofe tout à fait extraordinaire Si diffamante, de donner à D i e go Velafquez, ce que Cortés avoir defcouvert aux defpens de fa vie Si par fon induftrie. Enfin nonobfiant les contrarierez des Partifans de l'Evefque d e Burgos , le Cardinal Adrian fe voulut méfier de cette affaire, & s'en faire inftruire avec plus de fondement, & comme il luy fembla eftre efclaircy allez amplement de l'intention de Cortés ; Quant à la recufation, il ordonna à l'Evefque de Burgos de ne fe point méfier de cette affaire, parce qu'outre les raifons que nous venons de dire, l'on allégua qu'il l'a voit appelle publiquement Traiftre , & defobeïffant à fon Il eft reeufé Supérieur, qui l'avoit eftably,& qu'il retenoit fes relations , pour en ofter la connoiffance au Confeil, Se qu'il avoit dit encore qu'ils ne fe verroient jamais d e leur vivant de bon œil ; qu'il ne donnoit pas une entière connoiffance au Roy des chofes qui touchoient fon fervice ; & qu'il avoit mandé aux Officiers de la maifon de Contractation de Seville, que l'on ne laiffaft ; paffer dans la Nouvelle Efpagne, des gens, des armes, ny des marchandifes. Les chofes eftant en l'eftat que nous venons de le dire, l'Empereur voulut prendre connoiffance de l'affairés;&il eftoit à propos qu'il le fift pour l'eftabliffement des chofes dans un meilleur ordre. Et pour ce fujet, D e s perfonnes députées pour il ordonna que les parties fuffent oüies dans une affemtraiter du diffe- blée particulière. Il nomma pour luges de ces diffei e n t cntre Velafquez & Cortés. rens le Grand Chancelier Mercurio Gatinara ; H e r -


DES

I N D E S

O C C I D E N T A L E S ,

Liv.IV.

303

n a n d de V e g a , Seigneur de Grijal, G r a n d Comman- 1522 deur de Caftille ; Monfieur de Laxao ; les Docteurs Laurens Galindez de Carvajal ; le Licencié François d e Vargas , du Confeil, Se Treforier de Caftille, & le D o c t e u r de la R o f e , Flamand ; lefquels s'affembler e n t quelquefois dans la maifon du G r a n d Chancelier. M a n u e l de Rojas , & André de D u e r o , avec leurs Advocats,qui eftoient pour Diego Velafquez,difoient : qu'en en vertu des pouvoirs que le Roy luy avoit donnez, il avoit fait Cortés fon Lieutenant , & luy avoit donne une armee qu'il avoit levée a fes defpens , & l'avoit équipée de honne forte , & qu'il l'avoit envoyé en fon nom dans des terres defcouvertes , qui luy avoient efté données far le Roy ; mais que bien efloigne de cela , il s'eftoit foulevé, & avoit nié Ce qui fe dit l'obeiffance qu'il luy devoit, qui avoit donné fujet à V e l a f - contre Cortés. quez^iïemployer le refte de fon bien à lever une autre armée four envoyer contre luy , comme defobeiffant, & qu'il avoit refiffté à l'encontre & Savait maltraitée & ; qu'il avait ufurpé la lurifaiction Royale, & fait des dépattemens, en faifant la charge de General fans en avoir aucune permiffion. il y joignirent auffi le mauvais traitement qu'il avoit fait a Chriftofle de Tapia , dequoy il fe plaignait auffi, & de l'avoir chaffé de la Nouvelle Efpagne. La mort d'Antoine de V. l l a n a n a , & avoit traité comme il avoit voulu, nonobftant les lettres de l'Evefque de Burgos , dont il eftoit porteur, ils difoient que c'eftoit un cruel ; qu'il maltraitoit les Indiens & les Caftillans qu'il avoit pris les quints du Roy ; que fous un faux donné à entendre, il avoit dit que les pouvoirs de Diego Velafquez eftoient expirez, & s'eftoit fut eflire par les Caftillans , comme par force , leur Chef, & s' eftoit formé un Confeil de fa propre authorité, avec tous les Officiers requis en pareil cas, & qu'il avoit chaftié ceux qui n'avoient pas voulu quitter le party du Roy , & celuy de Diego Velafquez.

E t Chriftofle de Tapia qui eftoit venu en Cour exprés pour fe plaindre, dit auffi ce qu'il avoit à dire. Martin C o r t é s , & le Licentié Cefpedes pour Fernand Cortés ; François de M o n t e j o , & d'autres, au nom des Communes de la Nouvelle Efpagne , auffi avec leurs Advo-


1522.

Ce qui fe dit pour la deffenfe de Cortés.

304 HISTOIRE cats & Procureurs exaltoient fes valeureufes actions & prouvoient fon obeïffance, n'ayant jamais rien fait qu'en vertu de l'authorité Royale. Ils mettoient en avant fes grands fervices , & faifoient voir le bien qu'il en eftoit arrivé pour le falut des ames des Infidèles , & à l'augmentation & gloire de la Couronne de Caftille , & qu'il n'y avoit point encore eu aucun vaffal qui eut mis un fi grand Empire fous le joug de fon Prince , fans qu'il luy euft rien coufté ; & témoignoient fur tout de luy une grande humilité. Ils dirent qu'il avoit payé le Quint ; qu'il avoit fecouru le Roy des droits Royaux , & bien d'avantage, qu'il avoit employé beaucoup de fon bien pour fon fervice ; qu'il avoit rendu compte de ce qu'il faifoit, qu'il avoit en des amis en Cour pour cet effet. Ils tefmoignerent le grand amour que les Caftillans avoient pour luy , par la bénignité qu'il avoit toujours ufé envers eux, par fi difcretion , & par fa prudence, ils exaltoient auffi fon expérience , & fon adreffe avec laquelle il gouvernoit les peuples, ce que neuf jamais pu, faire Diego Velafquez Ils pofoient encore en confideration, qu'il n'y avoit point d'homme au monde qui euft pu régir les Caftillans qu'il avoit fous luy, comme il faifoit par fon induftrie ; & qu'ils n'euffent jamais pu obéir à quelque autre que cefuft qu'a Cortés, tant ils eftoient charmez, & glorieux tout enfemble des victoires qu'ils gagnoient par fon heureufe conduites , & par fa prudence, & par les riche ffes qu'ils avoient acquifes, & par les fervices qu'ils avoient rendus avec tant de profperité dans une terre fi effrange, & parmy des gens fi barbares ; Et pour conclufion , le dommage qu'avoit apporté à la converfion des Indiens & à la pacification de la terre, l'armée que Diego Velafquez, avoit envoyée par Panfile de Narnaez, ; & encore d'autres empefchemens qu'il avoit faits contre Cortés , d'où eftoit arrivé le foulevement de Mexique, qui avoit caufé la perte de tant de trefors, & la mort de tant de braves gens. Et ils difoient encore que Cortés avoit plus fouffert par les menaces & les affronts que les Miniftres du Roy luy avoient faits , que d'avoir gagné tant de terres , & que Narnaez n'ayant pas voulu accepter aucun party, avoit offert de grandes fommes à ceux qui euffent voulu tuer Cortés:


DES INDES

OCCIDENTALES, Liv,IV.

305

Cortés : à caufe dequoy il eftoit jufte qu'il Je deffendifti & que Diego V elafquez pouvoit bien l'attaquer en luftice, fans vouloir ainfi fe fervir des voyes de fait, en mettant les affaires du Roy en fi grand perd.

Enfin les luges eftant bien informez, & après qu'ils eurent confulté plufieurs fois l'affaire entre e u x , d é clarèrent que les differens entre Diego Velafquez & Fernand Cortés fe termineroient par Iuftice, 6c que pour c e t effet ils remettoient la chofe au lugement d e ceux qui s'aifembloient pour les affaires des Indes, afin qu'ils les dépefchaffent en bref avec le Grand Chancelier ; Ainfi cette affaire fut terminée ; Q u ' a y a n t égard au refpect que l'on jugea par raifon d'Eftat, l'on d é clara tout d'un temps Fernand Cortés Capitaine General de la Nouvelle Efpagne,& luy en furent envoyées les dépefches auffi-toft ; avec deffenfe à Diego Velafquez de ne plus armer ny envoyer des gens contre luy. L'on donna avis de toutes ces chofes à l'Admirai & à l'Audience de fille Efpagnolle, & à Diego V e lafquez auffi, afin qu'il n'en pretendift pas caufe d'ignorance. Et quant aux Communes de la Nouvelle Efpagne, aux Capitaines, aux Seigneurs, & aux foldats qui y refidoient actuellement, le Roy leur efcrivit en cette forte ; Qu'eftant arrivé en Caftille à fon retour d'Allemagne , il avoit donné ordre que l'on foignaft à expédier en diligence & ponctuellement les affaires des Indes , & particulièrement les provifions de la Nouvelle Efpagne , dont il tenoit les relations que l'on luy en avoit faites pour tres-fignalées pendant fon abfence de fes Royaumes de Caftille ; Et que luy ayant femblé que le différent qui eftoit arrivé entre Addelantado Diego Velafquez & Fernand Cortés, avoit apporté beaucoup de retardement à l'eftabliffement de la Religion Catholique, & à la pacification des Provinces ; & que pour remédier A ces defordres, afin que d'orefnavant l'on agift avec plus de retenue pour la gloire de Dieu, & pour l'augmentation de la Foy, il avoit remis à la Iuftice leur différent pour en juger felon l'équité ; outre qu'il avoit mandé à Diego Velafquez, de ne plus envoyer d'armée contre Cortés.

Oo

1522.

Fin du différend d'encre Velafquez & Cortés-

Cortés eft n o m m é par le Roy Gouverneur & Capitaine g ê n e rai de la N o u velle Efpagne.

Le R o y efcrit aux Caftillans de la N o u v e l l e Efpagne.


306 1522.

HISTOIRE

Et que pour le bon récit qu'on luy avoit fait de fa perfonne, il l'avoit pourveu de la charge de Capitaine General & Gouverneur de ces Provinces, parce qu'il l' avoit trouve à propos pour leur bien, ainfi qu'ils le verroient par les provifions que l'on envoyoit ; Qu'il leur enchargeoit fur tout, & recommandait autant que faire fe pouvait de luy obéir, & faffent tous en bonne intelligence avec luy, travaillant a la pacification & reftabliffement des chofes de cette terre , ainfi qu'ils avaient déjà fait, & particulièrement en la converfion de ces peuples ; & qu'ils tinffent pour tout affuré qu'il auroit fouvenance de leurs fervices pour les en gratifier , & leur faire

faveur. Ces dépefches furent données à Valladolid le 15. d ' O d o b r e de cette année. Auffi-toft après l'on donna main-levée de ce qui avoit efté faifi, tant de l'or, de l'argent que des autres chofes qui eftoient arrivées de la Nouvelle Efpagne , auffi bien pour Martin Cortés que pour ceux des Communes, & autres particuliers. Il fut attribué une penfion à Ferdinand Cortés, & à ceux qui l'accompagnoient, ainfi. que l'on avoit de couftume de faire à ceux qui eftoient pourveus des charges de Capitaines Généraux. Et d'autant que les Officiers de l'Audience R o y a l e , qui refidoient dans la Nouvelle Efpagne , n'avoient des titres que pour yucatan, & Cozumel, l'on pourveuft pour l e Roy pour- Mexique , Rodrigue d'Albornoz , Secrétaire de l'Emvoit d'Officiers pereur de l'Office de Maiftre des Comptes ; Gonçale à Mexique. de Salazarde celuy de Fadeur ; Alonfe de Strada de celuy de T r e f o r i r ; & Pierre Almindez Cherinos de celuy de Vifiteur es Fontes. Il fut ordonné Cortés d'efclaircir les biens qui pouvoient appartenir au domaine de la Couronne, & qu'il chargeait ceux qui en avoient déjà en le foin, d'en avoir l'adminiftration. L'on pourveut à l'Office de Fondeur 8c Marqueur des Mines de la Nouvelle Efpagne, François de los Cobos Secrétaire du Roy. L'on ordonna que les cautions que François de Montejo , & Alonfe Hernandez Puerto-Carrero avoient données en l'an 1519. fuffent déchargées par les Offi-

L'on baille main-levée à ce qui avoir efté faifi qui venoir de la Nouvelle Efpagne.


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I V . 307 ciers de la maifon de Seville , & déclarées nulles ; 1522. Q u e François de Garay ne touchaft pas en aucune Déclaration d e façon que ce fut au Gouvernement de Cortés. L'on la différence accorda auffi à Manuel de Rojas la prolongation de qu'il y avoit e n tre Cortés & trois ans pour mener fa femme, & qu'il ne fuft point François de inquiété ; ny Iean Beno de Q u e x o , pour eftre venu Garay. de l'ifle F e r n a n d i n e , fans la permiffion de l'Amiral, & de l'Audience, pour foliciter les affaires de Diego V e l a f q u e z i Et que l'on payait à Chriftofle de T a p i a les gages de Gouverneur de la Nouvelle Efpagne ; depuis le jour qu'il fervit à la voile de l'Efpagnolle pour y aller fervir , en approuvant le refus qui luy avoit efté fait en ce rencontre , parce qu'il eftoit confiant que les peuples en eftoient tellement fcandalifez , lors qu'il arriva à la Nouvelle Efpagne , que s'il euft pris le Gouvernement , ils fe fuffent foulevez. L'on n'envoya pas fi-toft l'inftruction à Fernand C o r tés , afin de la faire avec plus de connoiffance de caufe , quoy qu'elle fuit donnée fort ample aux Officiers du domaine de la Couronne. Et d'autant que l'on avoit eu avis que l'Admirai D o n D i e g o Colon avoit envoyé des Officiers & des Lieutenans dans la Nouvelle Efpagne de fa part pour y percevoir les droits de l'Amirauté, & que Cortés ne les avoit pas voulu recevoir ; on luy manda qu'il avoit fort bienfait , & qu'il ne le permift pas jufques à ce que l'on eufl vu s'ils luy appartenoient. Comme Cortés fut revenu du voyage de Panuco, Cortés envoyé par la Vera Cruz, il y apprit que le Roy l'avoit fait pacifier T u t u Gouverneur de la Nouvelle Efpagne. Il envoya auffi- tepec. tofl pacifier la Province de T u t u t e p e c , qui eft entre les limites de Panuco & de Mexique à la différence de de l'antre Tututepec, qui eft de l'autre coffé de Guaxaca, comme il a efté dit cy- devant. Et parce qu'il avoit envoyé des Marchands Indiens pour parler à ceux qui eftoient vis-à-vis de soconufco, & les prier de le mettre fous l'obeïffance , il en vint d'autres de Guattmala , qui la rendirent. 0

IJ


308

HISTOIRE

1522. C H A P I T R E

IV.

fait décharger le Navire Victoire. Quelles gens eftoient dedans. Le Roy fait venir en Cour Iean Sebaftien del Cano.

L

Le Roy fait venir à la Cour Sebaftien del Cano.

'On eut avis à la Cour de l'arrivée du Navire Victoire ; & d'autant que le Docteur Sancho de M a tienço eftoit decedé, qui depuis la fondation de la Maifonde Contradation dans Seville avoit fervy de Treforier, au grand contentement des Rois Catholiques 6c de l'Empereur, & auquel en beaucoup d'autres chofes, outre cet office, ils avoient eu une confiance tres-particuliere,l'on ordonna de décharger tout ce qui eftoit dans le Navire, & qu'il fuit mis entre les mains de D o mingo d'Ochaudiano, commis de Sancho de Matienço, & qu'il exerçait l'office de Treforier jufques à ce que l'on euft avifé celuy qu'on y pourroit mettre. Quant à Sebaftien del Cano, qui avoit écrit au Roy , en luy donnant avis de fon arrivée, & qui fupplioit qu'on luy fift quelque faveur , on luy manda qu'il vinft promptement à la Cour , avec quelques gens des plus raifonnables de ceux qui eftoient venus dans le Navire, & qu'il apporraft toutes les efcritures, les relations, 6c les actes du voyage ; Et l'on ordonna par mefme moyen que l'on les veftift, & que l'on leur donnait de l'argent pour fe nourrir le long du chemin. L'on fit auffi des faveurs à tous de la quatrième partie de la vingtaine de ce qui appartenoit au R o y , de tout ce qui eftoit contenu dans les caiffes. Et la mefme chofe fut auffi donnée aux treize Caftillans & au Maiftre des Comptes qui eftoient demeurez prifonniers au Cap-Verd , lefquels furent renvoyez auffi-toit après à Lifbonne par le F a d e u r du Roy de Portugal dans un Vaiffeau qui revenoit alors de Calicut. Et le Roy les avort demandez au Roy de Portugal avec grande inftance , témoignant avoir un reffenti-


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I V .

309

ment de cette injufte prifon. il y avoit dans ce Vaiffeau que l'on déchargea cinq cent trente-trois quintaux de cloud de girofle, une quantité de canelle, des noix mufc a d e s , du fandal, & d'autres danrëes. Ceux qui eftoient venus dans le Navire partirent pour venir en Cour ; & comme c'eftoit des hommes qui avoient fait une fi longue navigation , il m'afemblé n'eftre pas hors de propos de les nommer en ce lieu , nous commencerons donc par le premier, qui eftoit Michel de Rodas Maiitre du N a v i r e , Martin d'Infaurraga P i l o t e , Michel de Rodas marinier, Nicolas Griego , lean Rodriguez, Bafco G a l l e g o , Martin de Iudicibus, lean de Santander, H e r n a n d o de Buftamante , Antonio Lombardo , Francifco Rodriguez , Antoine Fernandez , D i e g o G a l lego , lean d'Arratia , lean d'Apega , lean d ' A c u . rio , lean de Zubieta , Laurens d'Yruna , lean d ' O r t e g a , Pierre d'Indarchi Roger Carpintete, Pedro Gafc o , Alfonfe Domingo , Marinier, Diego Garcia, Pierre de Bal-punta , Ximene de Burgos, lean Martin,Martin de Magaclaves, Francifco Alvo , Roldan d'Argote, duquel la montagne qui eft dans le détroit de Magellan doit avoir pris fon nom , puis qu'on la nomme la Cam-pana de Roldan. lis entrèrent dans Seville en proceffion, nuds pieds & en chemife, chacun un cierge allumé à la main , pour rendre grâces à Dieu de ce qu'il les avoit conduits à bon port après un fi long voyage. lean del C a n o fut fort bien receu de fa Majefté , & de bonne g r â c e , le louant de ce qu'il avoit efté le premier homme qui avoit fait le tour du m o n d e , car il avoit tourné tout a u t o u r , ainfi que le Soleil le tourne par cette voye & paralele ; à commencer par le P o n a n t , & retourner par le Levant à la plage du Cap de Bonne Efperance, qui eft au 33. d e g r é , de l'autre part de I'Equinoctial. Et le chemin que fit ce N a v i r e , eft la chofe la plus admirable que jamais homme depuis la création du monde ait veuë. Quelques Indiens reftèrent en vie, lefquels defirerent voir l'Empereur, & les Royaumes de Caftille, entre lefO o iij

1522.

Les perfonnes qui vinrent dans le Navire Victoire.

Sebaftien del C a n o eft bien receu du Roy.


1522. Finefle d'un Indien du M o luques qui luy porta préjudice.

310 HISTOIRE quels il y en avoit un fi avifé , que la première qu'il voyoit ; il demandoit auffi-toft ce qu'elle fignifioit, combien il falloit de reaies pour faire un d u c a t , & combien de Maravedis pour faire une reale ; combien l'on donnoit de poivre pour un Maravedis ; & il alloit s'informanc de boutique en boutique de la valeur des Efpicenes ; mais fa trop grande curiofité fut caufe qu'il n e retourna pas à fon p a ï s , quoy que les autres y r e tournèrent,

C H A P I T R E

V.

Gilles Goncales Davila fort avec fon Armée , & découvre la mer du Sud, avec le Pilote André Nino, & demeure à Nicaragua. De ce qui fe paffa dans cette terre.

Gilles Gonçales part pour fon voyage.

Il entre dans le pais avec cent foldats.

C

Ependant que ce que nous avons dit cy-devant fe paffoit dans la nouvelle Efpagne, Gille Gonçale Davila avoit efté dans l'ifle de Tarare qui du Golfe de faint Michel, & avoit aprefté quatre Navires ; fi bien qu'ayant fouffert de grands travaux 6c de fueurs, il avoit enfin furmonté toutes ces difficultez, en quoy il fit paroiftre une grande confiance ; mais quoy que ce fort il les mit en leur perfection , & fortit avec pour faire fon voyage le vingt-unième de Ianvier de cette année avec le Pilote André Niho. Il avoit un bon nombre d'Indiens, mais peu de chevaux ; il avoit des armes, des vivres & de la mercerie. Après qu'il euft navigé cent lieues par la cofte du P o n a n t , il s'apperceut que l'eau qu'ils avoient pour boire eftoit c o r r o m p u e , & que les Vaiffeaux eftoient touchez de b r u m e , & pour y remédier il fallut les tirer à terre, & faire des Vaiffeaux avec des cercles de fer, & envoyer à Panuco pour avoir de la poix,& d'autres chofes neceffaires. Cependant Gilles Gonçales entra dans le païs avec cent hommes, après avoir donné l'ordre à André Nino que les Navires eftant racommo-


DES INDES O C C I D E N T A I E S , Liv. I V . 311 d e z , il s'en allaft le long de la code en defcendint, & 1522. qu'il Pattendift à. quatre lieues de là, & que fi luy mefme y arrivoit le premier il l'attendroit auffi. Il chemina dans cette terre quoy qu'il devinft malade ; & à caufe de quantité d'eaux qu'il rencontra il fut contraint d'arrefter dans la maifon d'un des principaux Caciques qui avoit fa peuplade dans une Ifle qui avoit dix lieues de long & fix de large ; or il plut tant pendant quinze j o u r s , que cette la maifon où font tombe maifon du Cacique fondit peu à peu fans efteindre une ils pat la p l u y e , lampe qui eftoit allumée devant une Image de la Vierge ; parce que comme elle ne tomba pas tout d'un coup, elle ne fit point d'effort qui la peuft efteindre. A la lumière de cette lampe ils fortirent en coupant le toict, & s'en allèrent mettre fur des arbres, & avec des folives ils firent des planchers où ils demeurèrent deux ou trois jours, iufques à ce que la pluye ceffaft , & avoient du feu pour fe chauffer. Et parce que de là il y avoit dix lieuès iufques à la m e r , & qu'il n'y avoit pas moyen de Ils font des ra deaux pour les faire par terre, ils firent des radeaux de quantité de paffer à la mer. folives attachées les unes aux autres avec des harres, fur Iefquels ils fe mirent , non fans grande fatigue, outre qu'ils perdirent plufieurs armes & des veftemens. Ils arrivèrent au Golfe de faint Vincent où ils trouvèrent le Pilote André Nino qui n'y faifoit que d'arriver. Il conti- Gonçales & m o fe rennua fon chemin avec fes cent hommes & quatre che- Ncontrent. vaux, & envoya le Pilote avec deux Navires pour découvrir , laiffant les autres deux dans le mefme golfe. Ayant rencontré quelques Caciques , & les trouvant dans la volonté de recevoir la foy, il arriva à la terre du Cacique Nicoya, homme puiffant, qu'il requit de paix, & il fut bien receu. Il luy déclara les points de la Foy félon l'inftruction qu'il avoit receu du Roy. Le Cacique fe Gonçales conconvertit, & fut baptifé, & en dix iours, à fon imitation vertit un Cacique & fes vaftous fes Vaffaux delirerent auffi d'eftre baptifez qui faux. eftoient plus de fix mille. Nicoya luy donna quatorze mille poids d'or de treize quarats , & fix Idoles auffi d'or, de la hauteur d'une coudée, & luy dit qu'il les emportait puis qu'il ne demeuroit plus avec eux.


312 1522. Gille Gonçales va chercher le Cacique N i c a ragua.

H I S T O I R E

Gille Gonçales luy donna quelques jolivetez de Caftille , & ayant appris qu'à cinquante lieues de l à , il y avoit un grand Seigneur appelle Nicaragua, il s'y en alla, quoy que quelques Indiens luy confeillèrent de ne le pas faire , parce qu'il eftoit fort puiffant. Il luy envoya dire qu'il defiroit eftre fon amy, & qu'il n'alloit pas-là pour luy faire aucun t o r t , mais feulement pour luy déclarer la foy de Iefus-Chrift , & le prier d'obeïr au Roy de C a ftille, & que ne le voulant pas faire il luy declareroit la guerre ; & que pour cet effet il euft à iortir le lendemain à la campagne & qu'il l'y attendroit pour le combattre. Nicaragua confiderant la manière de procéder dm ces nouveaux venus , la force de leurs épées, & la fierté de leurs chevaux, luy fit répondre par quatre Seigneurs d e fa Cour : Que pour le bien de la paix ilacceptoit fon amitié, & accepteront auffi la foy, fi elle luy fembloit bonne ; néant-

Gille Concales fan voir à N i c a r a g u a fon I d o lâtrie.

Ce que Nicarag u a répond à Gille Gonçales touchant la f o y .

D e m a n d e s de Nicaragua.

moins il receut les Caftillans , & leur donna vingt-cinq mille poids d'or bas ; Gille Gonçales luy donna une chemife de l i n , une de foye,un bonnet d ' é c a r l a t e , & d'autres jolivetez de Caftille, dont il fut fort fatisfaiti Et tout d'un temps il luy envoya un Preftre qui accompagnoit le prefent, qui luy fit entendre que la Religion qu'il tenoit eftoit une pure Idolatrie, & que pour fe fauver il faloit qu'il vécut félon la foy de Iefus-Chrift, en quittant l'yvrognerie, la gourmandife, la Sodomie, les facrifices des hommes, & de manger la chair humaine. A caufe dequoy il receut de tres-bon cœur la foy, ceux de fa maifon , fa C o u r , & neuf mille perfonnes de fon Royaume. Mais Nicaragua 6c les Seigneurs de fa Cour, çontefterent deux chofes feulement : La première,de ne point faire la g u e r r e : Et la féconde, de ceffer les danfes & les yvrogneries ; parce qu'ils difoient que par la danfe ils ne portoient préjudice à perfonne, & qu'ils ne vouloient pas quitter leurs enfeignes, leurs armes, 6c leurs pennaches, pour laiffer faire aux femmes l'office de la g u e r r e , cependant qu'ils s'amuferoient à filer , tiftre,& befcher la terre, comme elles font & les efclaves. Nicaragua demanda aux Chreftiens s'ils avaient la con-


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. I V .

313

Connoiffance du Déluge qui noya la terre, & s'il en devait arriver encore un autre ; fi la terre devait renverfer, ou fi le Ciel devoit tomber-, quand & comment le Soleil & la Lune perdroient leur lumière , & leur cours , & de quelle grandeur pouvaient eftre les eftoiles ; qui les retenait, & leur donnoit le mouvement, il demanda la caufe & l'obfcurité des nuits & du froid, blâmant la nature , de ce que la clarté & la chaleur ne duraient pas toujours, puis qu'elles eftoient meilleures: Quel honneur l'on devoit au Dieu des Chreftiens qui avoit fait les Ci eux & le Soleil ,qu'ils adoroient pour Dieux en cette terre , la mer, la terre ; l'homme qui dominait les oifeaux qui voloient, les poiffons qui nageaient, & tout ce qui eftoit dans le monde ? Où dévoient aller les ames , & ce qu'elles dévoient faire lors qu'elles fortoient du corps, puis que les hommes vivaient fi peu, & qu'elles eftoient immortelles ? Il demanda auffi fi le faint Pere de Rome Vicaire de lefus-Chrift, Dieu des Chreftiens , mourait comme les autres hommes? Si l'Empereur de Caftille de qui ils faifoient tant d'éloges eftoit mortel ? Et pourquoy fi peu d'hommes eftoient fi amateurs de l'or ? Les

Caftillans furent tout eftonnez d'entendre de telles d e mandes d'un homme moitié nud, barbare & fans aucune fcience ; parce qu'il ne s'eftoit point encore trouve d'Indien qui eût parlé de la forte aux Caftillans. Mais Gille Gonçale qui eftoit fort difcret, luy répondit & le fatisfitfi bien qu'il en demeura fort content. Et N i c a r a g u a qui avoit efté fort attentif à l'écouter , demanda à l'interprète à l'oreille, Il ces gens de Caftille, qui eftoient fi Içavans venoient du Ciel ; s'ils eftoient defcendus dans des n u é e s , ou en volant? Et il demanda auffi-toft le baptefme, & confentit que les Idoles fuffent abbatuës ; Si bien que Gille Gonçales & fes compagnons qui avoient deffein de luy parler des deux chofes dont nous avons fait m e n t i o n , ne luy en voulurent pas parler pour lors, de crainte de l'obftiner. E t ayant fait dreffer u n e grande Croix fur une eminence de t e r r e , a v e c des degrez, qui eftoit au milieu de la place de ce lieu ,il fortit en proceffion avec beaucoup de larmes, & u n e mufique. Il l'adora en montant les degrez à genoux ; ce que fit Pp.

1522

Nicaragua dem a n d e files C a ltillas font defcendus du Ciel.


1522. Nicaragua fe fait baptifer.

314 HISTOIRE auffi N i c a r a g u a , & tous les Caftillans & les Indiens avec grande dévotion. Le me fine Cacique en porta auffi une en fes mains, qu'il porta dans le Temple, & la mirent dans un monument qu'ils firent de tapis peints ; & à l'imitation de ce Cacique , il y en eut encore d'autres qui fe convertirent.

C H A P I T R E

VI.

De la découverte que fit Gille Gonçales Davila par mer & par terre.

G

ille Gonçales fe voyant félon toutes les apparences bien receu en cette t e r r e , il voulut en d é couvrir les fecrets ; & parce que l'on avoit beaucoup de Gonçales vient connoiffance de la nouvelle Efpagne, il s'imaginoit de découvrir les fe- pénétrer jufques où Fernand Cortés avoit pacifié. Il crets de la terre. chemina dans le païs , & trouva plufieurs peuplades qui n'ayant beaucoup d'étendue ne laiffoient pas d'eftre bonnes & fort peuplées. Il fortoit de ces lieux une infinité d'Indiens dans les chemins pour voir les barbes & les habits des Caftillans, dont ils eftoient tous eftonnez, & les c h e v a u x , animaux à eux inconnus. Le principal Cacique qu'ils rencontrèrent fut un nommé Diriangen, bon guerrier, qui eftoit accompagné de cinq cens hommes & de dix-fept femmes, couvertes de plaques d'or, tous en bon ordre de guerre quoy que fans armes, ils avoient dix enfeignes ,& des trompettes à leur mode. Lors qu'ils approchèrent des Caftillans, ils déployèrent leurs enfeignes, & le Cacique toucha dans la main de Gille Gonçales, & tous les cinq cens nommes firent la mefme chofe , chacun luy prefentant un poulet d ' I n d e , & quelques-uns deux. Les femmes luy donnèrent chacune vingt haches d'or de quatorze carats , qui A 4 . l - 10.f. pour pefoient dix-huit poids, * & quelques-unes davantage. Poids. Gilles Gonçales demanda au Cacique & à fa fuite où ils alloient, & ce qu'ils cherchoient ? Le Cacique fit r é -


D E S

I N D E S

O C C I D E N T A L E S , Liv.

IV.

315

p o n f e , qu'il eftoit venu voir qui ils eftoient, à caufe qu'on luy avoit dit qu'ils avoient des barbes, & qu'ils alloient fur des

animaux. Gille Gonçales luy fit des complimens, il agréa fes prefens, & luy bailla des jolivetez de Caftille. Il le pria de fe faire Chreftien, & le Cacique demanda trois jours pour le communiquer à fes femmes & aux Preftres, Mais Gonçales apprit qu'il eftoit après pour amaffer du monde pour détrouffer les Chreftiens, en méprifant leur petit nombre , & difant que Gonçales n'eftoit pas plus vaillant que luy. O r u n Preftre eftant allé prefcher avec deux de fes compagnons dans de certains vilages du voifinage, monté fur le meilleur cheval qu'ils euffent, un Samedy 17. d'Avril dans la plus grande chaleur du m o n . de, 3. ou 4 . mille Indiens vinrent attaquer les Caftillans, armez à leur mode, de pourpoins de toille de coton piquez, avec des cafques, des boucliers & des épées, des a r c s , des flèches & des dards pour lancer ; mais D i e u voulut qu'ayant efté découverts par un Indien allié, il en donna auffi-toft avis aux Caftillans, lefquels fortirent en mefme-temps à la place. Là les Indiens les attaquerent s'imaginant les vaincre pour les manger. Mais ils trouvèrent de la refiftance plus qu'ils ne fe l'eftoient imaginé. Le combat fut obftiné de part & d'autre ; il y eut fept Caftillans de bleffez, & en enlevoient un autre fans le vouloir tuer ; mais les Caftillans retournant à la charge avec les chevaux, & entrant tefte baiffée au milieu des ennemis, ils les mirent en fuite, les obligeant d'abandonner celuy qu'ils emmenoient, dont il en demeura quantité fur la p l a c e , les Caftillans reftans toujours en bon ordre, afin que fi les Indiens fuffent revenus à la c h a r g e , ils ne les trouvaffent pas au d é p o u r v e u , & que la trop grande confiance ne leur fift point de tort. Mais les ennemis ne le firent pas, pour avoir lieu de ramaffer leurs morts, & emmener leurs bleffez, parce que c'étoit l'ordre entr'eux lors qu'ils combatoient de ne laiffer perfonne dans le camp : & dans ce mefme-temps le P r ê tre & fes compagnons revinrent , & tirèrent par ce moyen les Caftillans de l'inquietude o ù ils eftoient, car P p ij

1522. D e m a n d e de Gonçales au Gacique Diriangé, & la réponfe da Cacique.

Diriangen a deffein de fe ret ter furies C a ftillans.

Bataille entre les Indiens & les Caftillans.

Les Indiens font: vaincus.


316 HISTOIRE ils croyoient que les Indiens les avoient maffacrez. 1522. Les Caftillans voyant le mauvais procédé de ces gens Les Caftillans fe retirent de barbares ,& jugeant qu'eftant fi peu de monde comme vers la mer & ils eftoient ils courroient de grands perils, ils trouverent les Indiens les à propos de fe retirer au meilleur ordre qu'ils pourroient pour fuivent. vers la mer, & comme ils vinrent à paffer par la peuplade de Nicaragua, il fortit grand nombre d'Indiens au devant d'eux pour les charger ; ils avoient laiffé deux chevaux pour l'arriere-garde, quatre arquebufiers & treize arbaleftriers, parce qu'il n'y avoit pas davantage de tireurs dans la compagnie ; & ils avoient déjà paffé des ruiffeaux & cheminoient, perfecutez par leurs Indiens , qui quittoient leurs charges & fe fauvoient. E n fin ils cheminèrent jufques à la nuit, fe battant toujours. Mais ceux de Nicaragua demandoient la p a i x , difant que ce defordre ne venoit pas d'eux, mais d'un autre Gonçales Davi- Cacique fon voifin. Sur le my-nuit quov Qu'ils fuffent la & André Ni-affligez à caufe des bleffez , & qu'ils avoient perdu gno fe rencon beaucoup de nippes & de vivres ; ils commencèrent à trent à faint Vincent, cheminer, & arriverent à faint V i n c e n t , où ils trouvèrent André Nino , qui eftoit de retour & avoit découvert trois cens cinquante lieues ; & avoient cheminé depuis le lieu où ils eftoient fortis f i x cens cinquante D u t a c de Nicaragua. lieues, jufques à eftre arrivé jufques au dix-feptiéme degré & demy. Cette peuplade de Nicaragua eftoit à trois lieues en dedans le païs de la colle du Sud: & de l'autre cofté de la peuplade tout proche des maifons, il y a une autre mer douce qu'ils ont appelle ainfi, parce qu'elle croit & diminue, qui eft le Lac de Nicaragua. Les Indiens ne voulurent pas dire d'où elle fortoit, mais les Pilotes Caftillans dirent alors, que cette eau s'alloit répandre dans la mer du N o n . Enfin Gille Gonçales Gille Gonçales trouva à propos de retourner à Panama, ayant cheminé fait baptifer grand nombre par terre le long de la cofte, & quelquefois dans le païs d'Indiens à Pa- jufques à deux cens quatre-vingt lieuës. Il baptifa ou namà. fit baptifer trente-deux mille deux cens foixante & quatre ames. Il emporta en ce voyage cent douze mille cinq cens vingt- quatre poids d'or, bas, & cent quarante- cinq


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I V . 317 poids de perles. Il coftoya la terre depuis Cabo-blanco jufques à Chorotega. Il reconnue le Golfe de Papagayos, Nicaragua,

la Poffeffion, la Baye deponfeca.

1522.

Il alloit-

là à deffein de chercher un détroit pour paffer à la mer du N o r t;parce que plufieurs Pilotes affirmoient qu'il y en avoit un pour pouvoir faire la navigation en beaucoup moins de temps aux Ifles de l'épicerie , fans aller par le chemin des Portugais. Il donna le nom à la Baye de Fonfeca, en mémoire de l'Evefque de Burgos, & appella une Ifle qui eft dans cette Baye, Petronila à l'honneur d'une fienne niece. Les Caftillans dirent de grandes merveilles de cette terre, à caufe dequoy Pedrarias Davila traita dés lors pour envoyer pleupler de Caftillans Nicaragua.

C H A P I T R E

VII

Frère Blaife d'yniefta dans le Vulcan de Maffaya. Des chofes notables de la province de Nicaragua.

C

E Lac de Nicaragua dont nous venons de parler parut aux Caftillas une chofe merveilleufe pour fa grandeur, fes peuplades, & fes Ifles ; de ce qu'il croift & diminue, & de ce que n'eftant qu'à trois ou quatre lieuës de la mer du Sud , il fe va répandre dans la mer du N o r t , qui eft à plus de cent lieues de-là ; & c'eft ce qui le fait appeller par les Caftillans Defaquedero, qui veut dire égouft. Il y en a eu qui ont efté affez curieux de defcendre par-là depuis Nicaragua , & font allez par mer à Nombre de Dios. Il y a une petite montagne , unie & ronde par le haut à trois lieuës de la ville de G r e n a d e qu'ils appellent Maffaya, où il y a un Vulcan, dont la bouche a demy lieuë de rondeur par laquelle l'ondefcend deux cens cinquante braffes. Il n'y a aucuns arbres, ny herbes, quoy que les oifeaux y faffent des petits, nonobftant les flammes qui en fortent. Il y a encore une autre bouche comme une mardelle de puits, qui a autant de largeur P p iij

Lac de Nicara— gu aoù fe répand. D u Vulcan de Maffaya,


318 1522

F. Blaife d'Yniefta dans le Valcan de Maffoya pour le reconnoiftre.

Particularitez notables de la Province de Nicaragua,

H I S T O I R E

qu'un trait d'arc. Le lieu où eft le feu eft à plus de cent cinquante toifes de profondeur, qui boult inceffamment ; & cette maffe de feu s'élève fouvent, & j e t t e une grande refplendeur, de telle forte qu'elle s'apperçoit de fort loin ; elle va de part en p a r t , & broüit de fois à autre de telle façon que cela donne de l'épouvante, & il n'en fort jamais que des flammes & de la fumée. Et d'autant que la liqueur n'y manque jamais, qui fait qu'elle ne ceffe point de boüillir, l'on s'imagina que c'eftoit de l'or qui boüilloit ainfi ; ce qui donna fujet à frère Blaife d'Yniefta de l ' O r d r e de faint D o m i n i q u e , & à d'autres Caftillans d'entrer dans la première concavité de ce lieu, guindez avec des fangles & des paniers, tenant une façon de cuiliere attachée au bout d'une chaifne fort longue, pour effayer de tirer de la braife de cette fournaife, & pour fçavoir fi c'eftoit du métail. Ils defcendirent la chaifne jufques à cent cinquante braffes de profondeur, 6c comme la cuilliere fut entrée dans le feu , elle fut fondue en fort peu de temps, & quelques chaifnons d e la chaifne, ainfi ils ne purent fçavoir ce que c'eftoit. Ils pafferent là la nuit fans avoir befoin de feu ny d'autre lumière que celle qui en fortoit, fi bien qu'ils remonterent avec leurs paniers, fort efpouvantez. La Province de Nicaragua eft. g r a n d e , plus faine & fertile que riche 5 il s'y rencontre quelques perles, & de l'or de bas aloy. Il y a quantité de bois, parce que les arbres y croiffent fort , & entr'autres ceux qu'ils appellent Zeyba , qui groffiffent de telle forte q u e quinze hommes fe tenant par la main à peine les peuvent-ils embraffer. Il y en a d'autres qui croiffent en forme de Croix , & d'autres dont les feuilles fe feichent fi quelque homme les touche ; il y a de certaine herbe qui fait crever les beftes. Il y a de certains arbres qui portent des fortes de prunes r o u g e s , dont ils font du vin 5 6c ils en font encore d'une autre forte avec des fruits. Les Caftillans le font de miel, dont il y a quantité , & le confervent dans une bonne couleur.


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I V . 3 1 9 Les citrouilles y meuriffent en quarante j o u r s , & ils 1522. en font grand trafic, parce que les voyageurs ne font aucun repas qu'ils n'en m a n g e n t , & elles y font fort bonnes à caufe qu'il ne pleut guere en cette t e r r e . Il y a de grandes C o u l e u v r e s , qu'ils prennent par la bouche , parce qu'elles ne font pas fi furieufes que celles d'Afrique. Il y a des P o r c s , qui ont le nombril fur le dos, & fi on ne le leur coupe en les tuant, ils fentent mauvais, il r o d e des baleines le long de cette cofte , & des poiffons monftrueux & tellement grands, qu'en les tirant hors de l'eau ils repouffent les N a v i r e s , & font un tel bruit , & une telle foffe dans l'eau à caufe de la groffeur de leur corps,que cela eft épouvantable. il y a d'autres poiffons dont les efcailles font Poiffons m o n comme de Bogas, felon les Indiens, qui eft un poiffon ftrueux qui fe r e n c o n t r e n t en blanc & a r g e n t é , qui grognent comme des cochons, cette Mer. lors qu'on leur tire le fang de la gorge dans la poëfle, & qui ronflent dans la Mer,& p o u r ce lu jet, les Caftillans les appellent Roncadores. C o m m e les peuplades de Nicaragua eftoient en quantité , elles n'eftoient pas g r a n d e s , mais l'ordre de leur fabrique eftoit politique. Les maifons des Seigneurs eftoient différentes des autres ; & pour les maifons du commun peuple elles eftoient toutes égales. Les Palais 6c les T e m p l e s occupoient; de grandes places, entourées des maifons des Seigneurs, & il y avoit au milieu une maifon d ' O r f é v r e r i e , qui i r a vaiiloient en o r , & en faifoient des vafes merveilleux. Il y avoit des maifons bafties fur des arbres dans Maifons b a f t i e s quelques Ifles & Rivières. Les hommes y font de fur des arbres. bonne g r a n d e u r , plus blancs que bafanez , dont les teftes eftoient en boffe, avec un trou au milieu, & les accommmodoient ainfi pour paroiftre plus b e a u x , & pour mieux affeoir la charge deflus. Ils fe rafoient à moitié fur le d e v a n t , mais les vaillants fe la racloient toute excepté le h a u t , & fommet. Ils fe perçoient les narines , les lèvres, & les oreilles, & fe veftoient prefque comme les M e x i q u a i n s , & fe peignoient les che-


320

H I S T O I R E

veux. Les femmes y portoient des gorgerettes, & des Couftumes de fouliers, & alloient dans les marchez, elles balioient Nicaragua. les maifons, & les autres chofes neceffaires. En quelques endroits, comme dans Duracay & dans Cobiores, les hommes filoient tout nuds, les bras peints ; ils attachoient leurs cheveux fur la nuque du col, 8c fur le fommet de la tefte. Ils attachoient leurs parties honteufes en dedans les cuiffes par ciuilité, difant qu'il n'y avoit que les belles qui les deuffent laiffer pendre, Ils avoient plufieurs femmes, & n'en avoient qu'une C o m m e fefoientlesl émga i- t i m e , & fe marioient en cette forte ; Le Preftre riages. prenoit le garçon & la fille par les petits doigts, & les mettoit dans une chambrette , où il y avoit du feu, & leur faifoit de certaines exhortations ; & comme le feu venoit à s'efteindre, le mariage eft oit accomply, & s'il ne la trouvoit pas pucelle, il la pouvoit répudier, & non autrement, & ainfi il l'emmenoit. Plufieurs donnoient leurs efpoufées aux Caciques avant que de la toucher, afin qu'ils les dépucelaffent. Ils ne couchoient point avec leurs femmes pendant les femailles, & les jeufnes, & ne mangeoient alors ny fel, ny a x i , qui eft le poivre de la G u i n é e , ny ne s'enyvroient point félon leur couftume, & les femmes n'entroient point dans les Temples. Ils banniffoient de leur terre ceux qui fe marioient deux fois avec cérémonie, & dondoient le bien du Marié à la première femme. Si elles Des adultères. commettoient adultère ils les repudioient , en leur rendant leur bien & leur d o t , & ne fe pouvoient plus remarier. Ils ne faifoient point mourir l'adultère , mais ils le chaftioient à coups de bafton. Les parens de ces femmes adultères en recevoient l'affront ; c'eft pourquoy il vangeoient le des honneur de celle qui alloit avec un autre ; & fon mary ne retournoit point avec elle s'il ne l'affectionnoit beaucoup , & il n'en recevoir point d'affront. Ils confentoient que d'autres hommes traitaffent leurs femmes dans de certaines feftes de l'année. Les femmes eftoient généralement p a r lant de mauvaife humeur & mefchantes avant le mariage ; 1522


DES INDES O C C I D E N T A t E s , Liv. IV. 321 riage , mais elles devenoient bonnes fi-toit, qu'elles 1522. eftoient mariées. Il y avoit des peuplades qui eftoient en commun , où les jeunes-filles choififfoient les maris entre plufieurs jeunes-hommes, & fi quelque jeunehomme forcoit une fille, fi elle s'en plaignoit il demeuroit Efclave , ou il luy payoit fa dot. L'Efclave ou le D u chaftiment Serviteur qui avoit abtife de la fille d e fon Maiftre, qui fe faifoit au ferviteur qui; l'on enterroic le garçon & la tille tout vifs. Ils avoient abufoit de la des femmes publiques, & aux lieux où il y en avoit, fille de fon on lapidoit les Sodomites. Les pauvres n e deman- Maiftre doient l'aumofne qu'aux riches, & difoient qu'ils le faifoient par neceffité ou par infirmité. Celuy qui quittoit un lieu pour aller demeurer dans un a u t r e , ne pouvoit vendre fon h é r i t a g e , il faloit qu'il le laiffaft à fon plus proche parent. Ils obfervoient la Iuftice en beaucoup de chofes, & les Miniftres portoient des chaffe-mouches en façon d'éventail de plumes, & des baguettes. Ils coupoient les cheveux au l a r r o n , & il demeuroit efclave de celuy à qui il avoit fait le larcin, jufques à ce qu'il l'euft fatisfait. Ils fe pouvoient vendre & jouer leur propre perfonne ; mais ils ne fe pouvoient pas racheter fans le confentement du Cacique, ou du Maiftre de Police ; & fi toutefois il tardoit beaucoup , il eftoit facrifié. Il n'y avoit point de peine pour celuy qui tuoit un Cacique ; difant que cela ne pouvoit pas arriver, il n ' y en avoit point auffi contre c e u x qui tuoient un efclave. L'on ne pouvoit pas faire d'affemblée, particulièrement de guerre fans y appel1er le C a c i q u e , ou le Capitaine de la Republique. Ils avoient des guerres fur les frontières, & des chaffes, & captivoient des hommes pour les facrifices. Chaque Cacique avoit une marque particulière pour fes g e n s , lors qu'ils alloient à la guerre. Les peuples libres élifoient pour Capitaine g e n e r a l , le plus adroit & le plus expérimenté qu'ils rencontroient, qui commandoit & chaftioit fans appellation à la Seigneurie. L e chaftiment du poltron, eftoit de luy ofter les armes, & le P

P


1522

Ceur de N i c a ragua grands Sorciers & Enchanteurs.

322 HISTOIRE chafferde l'armée. Chaque foldat eftoit maiftre de ce qu'il prenoit fur l'ennemy, excepté les prifonniers, parce qu'ils eftoient deftinez pour eftre facrifiez en public, & ne pouvoient eftre rachetez à peine d'eftre facrifiez eux-mefmes. ils eftoient courageux, rufez, & adroits pour prendre des hommes pour eftre facrifiez. Ils eftoient grands forciers & enchanteurs, & fe transformoient en chiens , en porcs, & en finges. Les vieilles guariffoient les malades , & mettoient les M é decines dans de petits t u y a u x , & faifoient prendre la décoction par la bouche. Ils parloient de cinq fortes de langues dans Nicaragua la Coribizi, que l'on parle fort dans Chuleteca, qui eft la langue originaire , & l'ancienne, & ceux qui troquoient ou achetoient les héritages, le Cacao, qui eft un fruit comme nos amandes, qui leur fert de monnoye, & qui eft la richeffe de la t e r r e , s'en fervoient. Les hommes y font vaillans & cruels , & fujets à leurs femmes. C e u x de Chontal font groffiers , & montagnars. La quatrième eft l'Orotina ; & la M e x i quaine eft la cinquième ; Et quoy que Mexique foit efloignée de cette Province de trois cens cinquante lieues, elle n e laiffe pas d'eftre conforme , par là langue , les veftemens & la religion. ils difent qu'anciennement il y eut une grande fechereffe dans la Nouvelle Efpagne, à caufe dequoy les peuples s'efpandirent vers la M e r Auftrale, & allèrent peupler Nicaragua. Et il eft très certain qu'ils tenoient pour lettres les figures de ceux de Culva ; & les livres de papier & de parchemin longs de douze palmes & d'une de large , pliffez comme des foufflets, où ils marquoient des deux coftez, d'azur, de r o u g e , & d'autres couleurs, les faits mémorables qui arrivoient-là. Ils y peignoient leurs loix, leurs couftumes, & leurs cérémonies avec beaucoup de rapport à ceux de M e xique ; & ce font les feuls chrorotogas qui font cela, & non pas tous ceux de la Province de Nicaragua. Les y


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. IV. 323 Sacrifices font auffi differens. Les Preftres ne fe marient p o i n t , excepté ceux qui efcoûtent les péchez d'autruy , & ceux-là donnent des pénitences félon la c o u l p e , & ne révèlent point les Conférions fur peine d'élire chaftiez. Les Feftes de l'année qui eftoient au nombre de d i x - h u i t , efcheoient felon que les mois eftoient reprefentez dans les degrez du lieu où l'on faifoit les facrifices , qui eftoient au milieu des T e m ples. Lors qu'ils tenoient le couteau avec lequel ils ouvraient le corps du facrifié, ils difoient combien il y en devoit avoir de facrifiez , & fi ce dévoient eftre des femmes ou des hommes pris en guerre , afin que tout le peuple fceuft comme l'on devoit d i r e , & quelles offrandes l'on devoit faire. Le Preftre qui faifoit l'Office , faifoit trois tours autour du captif, chantant un ton fort lugubre. Puis il luy ouvroit le fein, luy arrachoit le cœur , & luy barboüilloit d e fon p r o pre fang le vifage. En fuite dequoy il démembroit le c o r p s , il donnoit le c œ u r au fouverain Preftre, les pieds & les mains au R o y ; les cuiffes à celuy qui l'avoit pris à la guerre 5 les entrailles aux t r o m p e t t e s , & le refte du corps au p e u p l e , afin que chacun en mangeait fa part. Ils mettoient les teftes à des arbres d e ftinez pour cela, qui eftoient divifez felon les captifs de chaque Province avec laquelle ils avoient guerre. Si celuy q u e l'on facrifioit avoit eflé a c h e t é , ils enterroient les entrailles, les pieds & les mains , qu'ils mettoient dans une c a l e b a c e , & brufloient le c œ u r , & tout le refte, excepté la telle qu'ils mettoient en rang comme les autres , qui eftoient attachées aux arbres. Il eftoit permis aux pères d e vendre les enfans pour eftre facrifiez, & chaque perfonne auffi fe pouvoit vendre ; à caufe dequoy ils n e mangeoient point la chair de ces facrifiez pour eftre originaires d e la t e r r e , & de leur fang. Lors qu'ils mangeoient la chair des Eftrangers facrifiez, ils faifoient de grandes d a n ies , & de grandes fumées , & s'enyvroient. Lors que p p ij

1521. D e la Confeffion des I n d i e n s de N i c a r a g u a .

D e leurs facrifices.

Les Peres vendoient leurs e n fans pour eftre facrifiez,


1522

D e leurs facrifices & de leurs Feftes.

324 HISTOIRE le Preffre barboüilloit de fang la face du facrifié, les autres Preftres chantoient & le peupleprioit avec larmes, & grande dévotion, & auffi-toft après cheminoit la proceffion, mais non pas à toutes les Feftes ; les Preftres portoient des furplis de cotton, blancs, courts, & plufieurs fort petits. Il y en avoit d'autres en façon de Tuniques fur les épaules qui leur alloient jufques aux talons avec des bourfes pendantes, dans lefquelles eftoient les rafoirs de gets, des papiers, du charbon broyé, & de certaines herbes. Les Laïcs fuivoient par bandes ou files avec l'Idole qu'ils prifoient le plus, avec de petits facs, dans lefquels ils portoient des poudres & des poifons;les jeunes hommes portoient des arcs, des flèches,des dards & des boucliers. L'Enfeigne & principal guidon qu'ils portoient, eftoit l'image du Diable , au bout d'une lanc e , que le plus ancien portoit. Ils cheminoient tous en o r d r e , les Religieux chantant jufques au lieu de l'Idolâtrie ; où ils eftendoient des tapis contre t e r r e , & les femoient de rofes & d'autres fleurs, de crainte que le Diable ne touchaft à la terre. Auffi-toft après celuy qui portoit le guidon s'arreftoit ; le chant ceffoit , & chacun fe mettoit en prière. Puis le Prélat, ou fouverain P r e ftre frappoit des mains , & ils fe faignoient de la langue, d'autres, des oreilles ; d'autres, du membre viril, & où enfin la dévotion leur infpiroit. Ils ramaffoient le fang dans un papier , ou bien avec le doigt, & pour offrande ils en barboüilloient la face de l'Idole ; & cependant ils s'efcrimoient des mains , & les jeunes hommes danfoient à l'honneur de la Fefte. ils penfoient les bleffez avec des poudres d'herbes, ou de charbon qu'ils portoient pour cet effet. Ils beniffoient le mayz clans ces Proceffions, l'arrofant du fang de leurs parties honteufes, & le divifoient comme du pain beny, & le mangeoient,


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I V .

325

1522. C H A P I T R E

VIII.

Ce que faifoit Fernand Cortés dans la nouvelle Efpagne, cependant que l'on travailloit a fes affaires en Caftille fuivant ce qui a efté dit cy-devant.

Ortés voulut réedifier la ville de M e x i q u e , non Cortés nomme des luges & des pas tant pour la fituation & grandeur de la place, Magiftrats mais à caufe de fa réputation, & pour rétablir les Edifi- Mexique. ces qu'il avoit ruinez ; & après qu'il eut nommé des luges 6c des Maiftres de Police , il remit cette R e p u b l i q u e en fa perfection, parce qu'il créa les autres Officiers qui font neceffaires pour une fi opulente ville. Il divifa les quartiers, & donna des logemens affez amples aux victorieux. Il marqua premièrement le plan pour baftir des Eglifes , & commença la plus grande fur de certaines Idoles de pierre qui fervent de bafes & de fondemens a u x colomnes. Il donna auffi du lieu pour faire une Plac e , & autres édifices publics. Le quartier des Caftillans fut tracé à p a r t , & l'on commença la peuplade de douze cens habitans. Il fit venir quantité d'Indiens afin de baffir à moins de frais, quoy qu'il y euft de la difficulté au commencement, parce que plufieurs Seigneurs, par e n s d e Quantimoc, & d'autres prifonniers fe vouloient m u t i n e r , difant qu'il falloit tuer Cortés pour délivrer Mexiquains leur Roy, à caufe du grand amour que cette Nation a d e Les affectionnent t o u t temps porté à fes Rois ; à caufe dequoy il chercha fort leurs Rois. les inventions de les faire obferver pour tafcher de les prendre. Il donna la Seigneurie de Tezcuco a Charles Yztlixuchitl, à la fupplication de ceux de la ville par la mort d ' H e r n a n d o fon frère ; & luy ordonna d'envoyer la plupart d e fes vaffaux qu'il pourroit pour travailler aux baftimens, parce qu'ils eftoient la plupart Charpentiers, Tailleurs de pierre & Maffons. Il donna les places pour baftir, des héritages, des franchifes & exem- Cortés fait diligence à rétablir ptions aux Habitans de mexique, & à tous ceux qui y Mexique.

C

Pp iij


1522

l e crains que l'Autheur ne fe foit abufé à ce nombre.

326 HISTOIRE voudroient venir demeurer ; à caufe dequoy plufieurs s'y vinrent effablir. Il donna la liberté à x i b v a c o a qui avoit efté le Capitaine general de Quantimoc , avec la charge des Ouvriers & des édifices , & la Seigneurie d'un quartier. Il donna auffi pareille charge à Pierre Montezume, à caufe qu'il eftoit fils de Roy. Et pour contenter les Mexiquains , il bailla des Seigneuries à d'antres Gentils hommes , de certaines Ifles & ruës, afin qu'ils les peuplaffent. il leur bailla le lieu,& eux divifoient les terres & les départemens comme bon leur fembioit 5 il bien que l'on commença à baftir en diligence, & au contentement des peuples. Enfin il arriva tant de gens dans Mexique au bruit de toutes ces franchifes, que l'on ne fçavoit de quel cofté fe tourner. Et d'autant qu'ils travailloient beaucoup & mangeoient p e u , ils d e vinrent malades, & leurs maladies fe tournèrent en p e fte , dont il en mourut quantité. E t néanmoins c'eftoit un plaifir de les voir travailler, avec leurs chanfons & leur mufique,en appellant leurs Seigneurs, en leur donnant des louanges, & fe difant des mots les uns aux autres par gaillardife. Mais ils furent bien eftonnez de voir l'ufage du f e r , parce que comme ils n'en avoient point encore eu la connoiffance, ils tailloient une pierre avec d'autres pierres plus dures, Mais ils furent encore bien plus effonnez lors qu'ils virent enlever avec des engins de grandes pierres & des poutres au haut des baftimens ; parce que lors qu'ils vouloient baftir avant la venue des Caftillans, ils amaffoient quantité de terre contre les édifices, & à force de bras ils rouloient les pierres félon la hauteur qu'ils vouloient. C e qui les inquiéta beaucoup fut de n'avoir pas pu femer pendant les guerres d e M e x i q u e , & cela leur caufa une grande difette,& nonobftant tout cela ils ne laifferent pas de baftir cent mille maifons * meilleures que celles qui y eftoient auparavant, Et les Caftillans en baftirent plufieurs à leur m o d e , & bonnes. Fernand Cortés en baftit auffi une pour luy , des ruines d'une qui appartenoit à Montezume,, où l'on tient qu'il y employa fept mille poutres de


DES I N D E S O c c I D E N T A L E S , L i v . I V . 327 c e d r e , dont il y en avoit telle qui avoit fix vingts pieds 1522. de long, & douze de groffeur en quarré. Il fit baftir des Arfenaux pour la feureté des brigantins. L'on n'ouvrit pas toutes les rues d ' e a u , comme elles eftoient auparavant , mais l'on y baftit à fec ; ainfi la ville de Mexique n'eft pas tout à fait comme elle eftoit ; quoy que les rues font demeurées longues & larges. Elle eft fort bien munie de tout ce qui luy eft neceffaire à caufe de la commodité du l a c , & de la fertilité de la t e r r e , parce que d'une mine de femence de maiz , il y a des endroits où l'on en recueille quatre cens. Enfin la ville de Mexique La ville de M e xique eft m i e u x eft la plus grande & la plus peuplée qu'il y ait dans le baftie à prefent monde ; elle eff. fituée du vingt au vingtième degré & qu'elle n'eftoit demy de h a u t e u r , & eft dans une très-bonne tempéra- auparavant. ture ; parce qu'il n'y fait jamais de froidure ny de chaleur exceffive,quoy qu'elle tire beaucoup fur l'humidité à caufe du lac. P o u r mieux établir le quartier des Caftillans, Cortés fit en forte que la plupart y firent venir leurs femmes, & folicita d'autres ménages de Caftille pour y aller demeurer ; fi bien qu'il y en alla plufieurs, & entr'autres le Commandeur Leonel de C e r v a n t e s , y mena fept filles Le C o m m a n deur Cervantes qu'il avoit, qui y furent mariées richement & honefte- mené fept filles ment. Il envoya chercher dans les Ifles de Cuba, l'Ef- à Mexique, pagnolle , de San Iuan de Puerto rico, & de lamayca,

pour

avoir des vaches,des truyes, des b r e b i s , des chèvres & des jumens. Il envoya auffi chercher des cannes de fuc r e , des meuriers pour les vers à foye,du farinent pour planter des v i g n e s , & quantité d'autres plantes. 11 donna ordre que l'on y portaft de Caftille,des armes,du fer, de l'artillerie & de la poudres des ferremens, des forges pour forger le fer, & des outils pour le labourage. Il fit deux coulevrines, & trois autres pièces d'artillerie d'une autre façon, mais il n'en fit pas d a v a n t a g e , parce qu'il avoit peu de métail , encore eftoit-il bien cher. Mais il en trouva depuis une veine,& une autre de fer, fi bien qu'avec ces pièces & celles qu'il acheta de Panfile de N a r n a e z , & de Iean Ponce de Léon , il fe trouva

Cortés fait fondre des C a nons.


328 1522. Il fait chercher des mines d'or & d'argent.

l a ville de M e xique c o m m e n ce à s'annoblir.

Cortés divife les terres entre ceux qui avoiét aide à les çonquefter.

H I S T O I R E

a voir jufques à trente- cinq pièces de bronze, Se foîxante de fer de fonte. Il fit chercher des mines d'or & d'argent, & il en trouva quantité Se d e tres-riches il changea le port & dechargeoir que faifoient les Navires de la Vera Cruz, à faint lean de Vlva dans un bras de mer qui a un port pour les Vaiffeaux qui eft plus feur, & fit aplanir le chemin delà à Mexique afin que les beftes y puffent charier plus facilement. D e forte donc que moyennant toutes ces commoditez cette ville alloit augmentant d e telle forte, qu'elle multiplia beaucoup en peu de temps à caufe de la grande facilité du trafic. Il y arriva des ouvriers en foye, en draps, en verre. L'Imprimerie y fut auffi introduite. L'ony fabricade la monnoye. La feience des Lettres y fut eftablie, qui ennoblirent beaucoup cette grande ville autant qu'aucune de l'Europe quelle qu'elle foit. Cortés divifa les terres entre ceux qui l'aidèrent à les conquefter félon la couftume des Indes , tant par la confiance qu'il avoit que le Roy l'en devoit faire le diftributeur géneral, de celles au moins qu'il rangeroit fous fon obeïffance, que pour faire du bien à fes amis. Il commanda à ceux qu'il gratifioit de ces fortes de gouvernemens, d'avoir un Preftre ou Religieux dans chaque peuplade , ou ville Capitale de peuplades pour enfeigner la doctrine Chreftienne aux I n d i e n s , & travailler à leur converfion ; parce qu'il y en avoit quantité qui avoient de l'inclination pour recevoir la Foy , & qui mefme la demandoient,reconnoiffant le défaut de la leur en leurs diaboliques cérémonies Se abominations. Mais comme il ne pouvoit pas donner des partages à tous, eftant une chofe impoffible, il fe forma plufieurs plaintes qu'il pacifia du mieux qu'il p û t , en recompenfant les mal-contens d'ailleurs. Il eut un foin particulier de faire abatre les Idoles, & de deffendre par tout les facrifices d'hommes. Il fuplia avec beaucoup d'inftance qu'on luy envoyai! un Evefque Se des Preftres. E t comme les I n diens, félon leur couftume, avoient plufieurs femmes, les Religieux eftoient bien empéchez avec laquelle

chacun


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. I V .

329

chacun devoit habiter ; parce qu'avant toutes choies 1522 o n les avoit perfuadez qu'il faloit demeurer avec une feule femme felon l'ufage de l'Eglife R o m a i n e ; Et en c e l a , fi les Religieux euffent eu une entière connoif. lance de la cérémonie & ufage des Indiens, ils ne fuffent pas entrez en doute de cela , puis qu'entre e u x ils n'en avoient qu'une feule d'efpoufee, & que toutes les autres n'eftoient que des concubines. Cependant que dans la Caftille les amis d e Cortés follicitoient fes affaires auprès du R o y , & que les chofes de la Nouvelle Efpagne fe paffoient ainfi que nous le venons de d i r e , Cortés avoit en p e i n e , de ce qu'il ne recevoit point d e nouvelles de ces affaires, quoy q u e fes amis y fiffent toutes les diligences poffibles. A caufe dequoy il refolut d'envoyer au Roy une r e - Cortés e n v o y é lation [fort ample de ce qu'il s'eftoit paffé, qui félon une Relation au ROY de rout ce l'ordre qu'il avoit obfervé eftoit la troifiéme ; par la- qui fe paffe, quelle il reprefentoit les travaux & les périls qu'il avoit foufferts trois ans durant depuis qu'il effoit e n tré dans cette t e r r e , en la peuplant 6c pacifiant. C'eft pourquoy il fupplioit fa Majefté d'entendre cette Relation benignement ; & que ce n'eftoit pas un ouvrage de fes mains ny des Caftillans qui l' avoient affifté, mais de D i e u , par la faveur duquel toutes ces chofes avoient eu de il h e u r e u x fuccés. Il fe plaignoit par mefme m o y e n , que depuis qu'il avoit efcrit à fa M a jefté, à ceux de fon Confeil, & aux Officiers R o y a u x , qui avoient tous affifté à la l e c t u r e , & qu'ayant pû avifer à ce qu'il convenoit pour y pourvoir, d e ce qu'il n'en avoit eu aucune refponfe. Q u e fi par hazard cela procedoit d e ce q u e fes fervices n'eftoient pas agréables, ou pour la grande diftance de la t e r r e , ou p a r la négligence de ceux qui follicitoient fes affaires il les prioit de prendre en cela une refolution ; Et q u e cependant il leur donnoit avis par cette dernière R e lation qu'il avoit defcouvert la M é r du Sud par trois endroits ; & exaitoit beaucoup ce fervice , à caufe des grands biens qu'il efperoit en devoir arriver ;

qp


1522.

330 HISTOIRE Q u ' à quatre-vingt lieuë de M e x i q u e , il avoit o r d o n n é de faire des Navires pour aller defcouvrir par toute cette M e r Q u ' e n ce mefme lieu, de aux environs il avoit eftably des peuplades de Caftillans de de pied de de cheval ; Et qu'il fupplioit le R o y , & fon Confeil de luy faire refponfe touchant fes demandes , qui contenoient en fubftance , qu'il luy fuft permis d'avoir l'entière connoiffance de fes defcouvertes ; parce qu'il avoit eu avis que quelques Caftillans avoient beaucoup foufferts en ces Mers.

C H A P I T R E

IX.

De la rebellion des Nègres dans l'Ifle Efpagnoïle. De ce qui fe pajja dans la Caflille de l'Or-, & dans la cofte des Perles j & de quelques particularitez de cette Terre.

I

*C'eft le lieu o ù l'on fait le fucre.

L ' A d m i r a l fort p o u r aller c h e r cher les N è g r e s q u i s'eftoient foule vez.

L arriva donc en l'Ifle Efpagnolle que s'eftant trouvé quantité de Nègres efclaves enfemble, q u e l'on y avoit menez pour travailler aux engins à lucre, & autres ouvrages , à caufe que les Indiens diminuoient fort, vingt d'entre eux du T r a p i c h e * de l A d m i r a l , avec lefquels s'en joignant vingt a u t r e s , qui parloient un mefme langage , ils tuèrent quelques Chreftiens qu'ils trouvèrent à leur avantage , & s'en allèrent vers la ville d'Azua. Comme l'on eu avis de cela à faint D o m i n i q u e , par le licentié Lebron qui eftoit dans fon T r a p i c h e ; l'Admiral fortit auffi-toft après eux , a c compagné des principaux foldats de l ' I f l e s eftant arrefté le fécond jour fur le rivage de N i z g o , pour rafraifchir fes g e n s , en attendant que ceux qui eftoient allé après eux les attaigniffent ; il apprit que les N è gres avoient paffé à neuf lieues de là dans u n e ferme, appartenant à Melchior de Caftro , ou ils avoient tué un Caftillan , & pillé la maifon. Et qu'un N è g r e s'êtant auffi foulevé avec douze efclaves Indiens, avoient tué neuf Chreftiens en, un .autre endroit. Ils pâlie-


D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I V . 331 rent à Ocoa en intention de faire la mefme chofe dans le Trapiche dit, licentié Zuezo à l'aube du jour ; tuer ceux qu'ils y euffent rencontrez, & emmener tout autant de Nègres qu'ils cuffent trouvez en ces l i e u x , & fe faifir de la ville à ' A z u a , avec encore d'autres Nègres qui le dévoient joindre avec eux. Melchior de Caftro en colère du tort qu'ils luy avoient fait, fans demander la permiffion à l'Admiral , parce qu'il s'imagina qu'il ne la luy donnerait p a s , fe retira vers le rivage de N i z à o , avec deux de fes compagnons, & ayant trouvé dans la métairie le Caftillan m o r t , qui eftoit un maifon qui travailloit là&après qu'il l'euft e n t e r r é , fe joignant avec l'autre homme de cheval, il dit à l'Admirai que puis qu'ils eftoient trois Cavaliers, ils s'en alloient fuivre la pifte des N e g r e s , le fuppliant de luy envoyer quelque fecours, parce qu'il avoit deffein de les atteindre. L'Admiral luy envoya huit Cavaliers, dont l'un eftoit francifco Davila, natif de faint Dominique, & fix Infants, & tous enfemble allèrent après les Nègres , jufque où l'on a dit qu'ils eftoient. Les Negres ayant defcouvert les gens d e cheval vers l'aube du j o u r , fe mirent en ordre de c o m b a t , & attendirent les Chreftiens de pied ferme , quoy faifant de grands cris, lefquels craignant que les autres Negres fe joindraient auffi-toft avec ceux qui eftoient l à , & que le peril feroit plus grandi refolurent d'attaquer ceux-cy ; fi bien les onze Cavaliers embraifant les boucliers, & mettant les lances en arreft, coururent à toute bride fur les Negres ; lefquels les attendirent courageufement. Mais les chevaux fe faifant jour au travers, pafferent de l'autre cofté, & en renverferent quelques-uns&mais ils fe rejoignirent auffi-toft, & à fe ferrer. Les Negres faifoient de grands cris, & jettoient des pierres, & de gros bâtons bruflez par les bouts, de bois très-fort, & qui avoient des pointes aiguës. Les Chevaux firent encore une courfe au travers d ' e u x , & les mirent en d é r o u t e , fans qu'ils fe peuffent rejoindre, & fe mirent Qq ij

1522

Melchior fe fepare de l'Admiral pour aller après.

Les Nègres attendent les C a ftillans de pied ferme.

Onze Chevaux paffent au travers d'eux.


1522.

ils font pris , & la plufpart p e n dus.

François C o m panon tafche de prendre Vrraca,

HISTOIRE 332 à fuïr dans de certaines roches qui eftoient dans la c a m p a g n e , excepté fix qui furent tuez fur le champ & plufieurs de bleffez. Mais Malchior de Caftro eut un bras percé , lequel envoya après eux un V a c h e r pour appeller fon N è g r e , & les Indiens efclaves, l e s quels citant proches , Se cachez , ayant entendu la voix vinrent auffi-toft. D a n s ce mefme temps l'Admiral arriva, un peu après m i d y , qui fit diligence p o u r chercher le refte ; fi bien qu'en cinq jours ils furent p r i s , &. la plufpart pendus. 11 demeura pour Lieutenant d e Pedrarias dans l a ville de Natà le Capitaine Diego d'Albitez, bon foldat & agiffant, lequel n'ayant p u dompter le Seigneur Vrraca, refolut de faire paix aveque luy ; mais au b o u t d e quelque temps Pedarias envoya en fa place F r a n çois Companon ; lequel à caufe de la crainte qu'avoient les Caftillans & Vrraca, qui les moleftoit inceffamment, eftoit toujours dans la refolution de fe faifir de fa perfonne. Il fit diverfes courfes fur fes t e r res , & quoy qu'il fuft courageux Se vaillant, il en revenoit toujours mal-traité. Les Caftillans luy dirent qu'ils avoient trouvé plufieurs vilages entourez d e paliffades, de pieux , & qu'ils s'imaginoient qu'ils avoient fait cela pour les empefcher d'en approcher. Mais il eft pourtant vray que bien long-temps auparavant cela ces Indiens fe fervoient de ces deffénfes pour fe garantir des T y g r e s , dont il y avoit quantité en cette terre. E t Pedrarias croyant qu'il y euft beaucoup de gens dons Panama , il envoya le C a p i taine Benito H u r t a d o pour en avoir une p a r t i e , & la difperfer pour peupler un lieu dans la Province d e Chilequi. Comme ils furent arrivez, il fit appeller les originaires de cette t e r r e , lefquels vinrent fur fa parole , à fçavoir ceux d e chirequi & de Vareclas & e n f u i t e , ceux de la Province de Burica, & ceux qui habitoient fur le Golfe qu'il appelloient d'Offa , t o u t e terre fort peuplée durant plus de cent lieues, & tous ces peuples fuivant la crainte qu'ils avoient d'enten-


DES INDES O C C I D E N T A L E S , L i v . I V . 333 dre parler de la guerre que les Caftillans faifoient à 1522. Vrraca, ils obeïrent. Les Caftillans furent deux ans Les Indiens fe dans cette peuplade ; mais les Indiens ne pouvant foûlevent c o n tre les Caftilfouffrir la fervitude à laquelle ils les affujettiffoient lans. ils fe foufleverent , & en tuèrent quelques - uns ; à caufe dequoy cette peuplade fut ruinée. Le Roy Vrraca voyant cela , ne manqua pas de vifiter les Caftillans avec le plus de gens qu'il pouvoit affemb l e r , & de leur donner des traverfes, où chacun avoit affez à faire à fe deffendre. Les Caftillans fortoient fur luy , & faifoient des courfes dans fes t e r r e s , où ils faifoient tout le mal qu'ils pouvoient. Si bien qu'il fe La guerre d'Vr paiffa ainfi neuf ans à fe faire la guerre les uns aux raca dure neuf autres. O r quoy que j'aye perverty l'ordre de cette ans. Hiftoire , j'ay toutefois trouvé moins d'inconvenient de la reciter icy, que de la divifer en tant d'endroits ; mais tant y a que pendant tout ce temps-là jamais les Caftillans ne purent vaincre Vrraca ; & les Indiens qu'ils prenoient, ils les tourmentoient pour leur faire confeffer la quantité d'or que l'on difoit que poffedoit Vrraca.

Enfin François Companon voyant les traverfes continuelles qu'Vrraca luy faifoit , & la grande crainte que fes foldats avoient d'un vaillant Indien, Capitaine d'Vrraca, chercha toutes les inventions dont il fe put imaginer pour en venir aux mains avec Vrraca en perfonne, & comme il n'en put venir à bout par la force , il chercha le moyen de le faire venir fous prétexte de traiter de paix aveque luy ; & luy envoya pour cet effet plufieurs Meffagers Indiens, luy faifant de grandes offres. Vrraca les accepte, & vint trouver Companon fur fa parole s lequel ne luy permettant pas de parler , & defirant d'avoir fes trefors , luy fit des réprimandes ; & l'ayant chargé de fers, l'envoya banny à Nombre de Dios, & quoy qu'il ne le fift pas brufler, il ne luy fit pas beaucoup de bien. Vrraca eut une telle douleur de cet affront , que quelques mois après il s'échappa, & ayant affemblé grand nomQp iij

François C o m panon fait venir Vrraca fous prétexte de paix & le prend prisonnier.


334

1522.

H I S T O I R E

bre de g e n s , de ceux qui vivoient fur les rivages des d e u x Mers du N o r t & du S u d , il leur dit ; qu'il neftoit pas raifonnable que ton laiffaft en repos ce Chreftiens ; parce qu outre qu'ils luy avoient pris fes terres, fes Seigneuries , fes femmes, fes enfans, fon or, & tout ce qu'il avoit, les ayant rendus efclaves, ils ne luy avoient pas gardé la Foy qu'ils luy avoient promife, ny la paix ; Et que partant ils devoient combatre tous contre eux , & faire en forte de fe délivrer de fi importuns Ennemis , cependant qu'ils avoient des forces fuffifantes ; & qu'il valoit mieux mourir en def fendant la patrie, que de vivre dans de perpétuelles guerres

Il fe f a u v a , & le rationnement q u ' i l tint a u x autres Indiens fes voifins.

Bataille e n t r e le Gaftillans & les I n d i e n s .

Les I n d i e n s laffez de la g u e r r e fe r a n g e n t fous l'obeïllance.

& fatigues infupportables. C e difcours agrea à tous ceux qui fe trouvèrent là prefens, & s'offrirent avec beaucoup d e refolution de mourir c o m b a t a n t , tant que les forces & la vie leur dureraient , ou de vaincre ; Et dans ce mefme temps tous les Indiens qui eftoient fous la protection des Caftillans fe foûleverent, & en tuèrent cinq qu'ils trouverent à leur avantage. Auffitoft après ils allèrent attaquer fortement la ville de Natà. Les Caftillans firent une fortie fur e u x , l'on combatit vaillamment, & il en demeura quantité fur la place des deux coftez, mais particulirement des I n d i e n s , parce que les chevaux ne trouverent point d'obftacles dans la campagne les incommodoient fort ; fi bien que les ayant efcartez , ils y receurent b e a u coup de perte. Enfin la guerre dura neuf a n s , comme nous l'avons déjà d i t , pendant lequel temps il mourut quantité de Caftillans ; mais d'Indiens beaucoup plus fans comparaifon ; lefquels fe voyant chaque j o u r perfecutez fans aucun r e m è d e , & comme e x i l e z , tantoftdans les m o n t a g n e s , tantoft dans les valées, fouffrant de grands t r a v a u x , par la guerre & par la faim, tous les vilages des environs refolurent enfin de fe mettre fous la protection & obeïffance des Caftillans ; E x c e p t é le R o y Vrraca , avec les gens qui luy eftoient reftez après tant de combats, qui ne fe voulut jamais r e n d r e , & fut toujours ennemy capital des Caftillans, lamentant toute fa vie du regret qu'il avoit de n'en


DES INDES O C C I D E N T A L E S , L i v . I V . 335 pouvoir venir about. Si bien que les Caftillans refelurent de le laifFer l à , fans l'aller inquiéter d'avanta,g e , reconnoiffant qu'il n'y avoit rien à gagner aveque luy, parce qu'ils en r e v e n d e n t toujours mal-traitez ; & mourut ainfi dans fa t e r r e , & dans fa maifon avec fes gens.

C H A P I T R E

1522.

X.

Des Coufturnes des Indiens de curnana ; & des particularitez de cette terre.

L

A peuplade que l'on avoit commencé à baftir dans Cubaguk, floriffoit & profperoit b e a u c o u p , à caufe du chafteau qui la deffendoit que fit le Capitaine Caftellou fur les bords de la rivière de Cumana, où ils prenoient de l'eau ; & ou le trafic des perles eftoit grand, & de beaucoup de rapport. L'on y bâtiflbit déjà de grands édifices de pierre de taille. C e luy qui commença à y faire des maifons de pierre & de chaux , fut Pierre de Barrio-meno, O r d'autant que l'on a beaucoup traité cy-devant des Nations de la terre ferme , il n'eft, pas à propos de paffer plus avant fans dire quelque chofe des couftumes de ceux dont nous troitons ; afin d'accomplir, touchant cela, ce qui m'a elle ordonné ; quoy que j'aye envie de faire un livre touchant cette matière, ainfi qu'ont fait quelques graves Autheurs. Les gens de tette vont tout n u d s , excepté le membre viril & le refte, qu'ils mettent dans des queues de calebaces, dans des limaçons, des cannes, des tuyaux d'or, ou dans des lizieres de cottons, ou ils les attachent en les cuiffes. En temps de guerre ils fe couvrent d'une veux , & portent des pannaches. Ils fe peignent aux feftes publiques, ou ils fe barbouillent avec une certaine gomme gluante, & fe parent de quantité de plumes de différentes couleurs, qui ne leur fied pas mal. Ils fe coupent les che-

Peuplade de Cubagua dans fa fafplendeur.

Couftumes des Indiens de Cumana.


336 HISTOIRE veux autour des oreilles. Ils s'arrachent la barbe. Ils 1522. Les Indiens efti font curieux d'avoir les dents noires, & appellent ceux m e n t d'avoir les qui les ont blanches des effeminez ; & eftiment ceux dents Moires, qui portent des barbes , des animaux. Ils noirciffent leurs dents avec une certaine h e r b e , dont la couleur dure toute leur vie, & ne leur font jamais m a l , ny n e le pourriffent. La poudre de cette herbe , qu'ils pilent avec des limaçons bruflez, avec de la poudre de certains baftons qu'ils bruflent auffi ; ils la portent aux m a r c h e z , & la troquent pour de l'or , des efclaves, du c o t t o n , & d'autres mrrchandifes. Les filles vont toutes nues ; & tiennent pour beauté d'avoir les cuiffes & les jambes fort groffes, & pour ce fujet elles fe lient jambes au deffus du genouil. Elles font peu d'état de la virginité. Les femmes mariées portent des calçons ou des tabliers pour couvrir leurs parties ; Elles vivent dans l'honneur ; & fi quelques-unes commettent adultère, leurs Maris les répudient, & châtient eux-mefmes l'adultère. Les Seigneurs avoient autant de femmes qu'ils couloient , & donnoient les Les l e s cérémonies plus belles à leurs hoftes qui les venoient voir. de leurs H U M A - Gentils-hommes enfermoient leurs filles deux ans duIN. rant avant que de les marier , & dans le temps de leur mariage ils convioient aux nopces leurs parens & amis ; les femmes des conviez portoient les viandes, & les viandes, & les maris les matériaux pour baftir la maifon où ils dévoient demeurer. Les femmes danfoient & chantoient avec la mariée. Ils coupoient leurs cheveux quelque peu pardevant. Ils mangeoient & beuvoient jufques à s'enyvrer. Ils mettoient la mariée entre les mains du marié , & ainfi ils accompliffoient leurs mariages ; ce qui fe faifoit avec les femmes legitimes ; car pour les autres, les approches fe faifoient avec plus de circonfpection. Et les Preftres qu'ils tenoient pour des hommes faints & religieux ne cout e s Preftres dé- choient point avec ces femmes, mais bien avec les puceloient les avec les autres, parce qu'ils tenoient à grand honneur nouvelles m a qu'ils dépucelaffent la nouvelle mariée. Les hommes tiées.

&


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv.

IV.

337

& les femmes portoient des braffelets, des coliers & 1522. des pendants d'oreilles d'or , avec des Perles, & les pauvres les portoient de limaçons & d'os. Plusieurs mettoient des couronnes d ' o r , des guirlandes de fleurs, & des conques de Mer. Ils portoient des anneaux aux narines, & les femmes des plaques d'or à l'eftomac pour ornement. Ils courent, ils fautent, ils n a gent , ils tirent de l'arc, les femmes auffi bien que les hommes. Lorsque les femmes accouchent, elles ne fe plaignent pas beaucoup, lors que l'enfant eft n é , ils luy ferrent la tefte entre deux oreillers de cotton pour Ils ferroient la Leur eflargir la face pour paraiftre plus beaux à leur telle des enfans nouveau nez mode. Les femmes labourent la t e r r e , & ont foin de la pour leur renmaifon, & les hommes vont à la chaffe & à la pefche. dre la face latLors qu'ils n'ont point de guerre ils fe donnent du bontemps. Ils font fort vindicatifs, traiftres , & grands vanteurs. Leurs principales armes font les fléches qu'ils tirent en l'air d'arbre en arbre. Les hommes & les femmes apprennent dés leur jeuneffe à tirer au blanc avec des balles de bois 6c de terre. Ils mangent des heriffons, des belettes, des chauve-fouris,des langouftes, des araignées y des v e r s , des chenilles, des abeilles enfin ils ne pardonnent à aucune chofe vivante pour fatisfaire à leur gourmandife,quoy qu'ils ayent de bon pain, de bon vin, des fruits, du poiffon, & de la chair. L'eau de la rivière de Cumanà engendre des tayes aux y e u x , & ainfi ceux L'eau de la riqui habitent le long de les rives ne voyent guère çlair ; vière de Cumana engendre peut -eftre que ce défaut leur vient des viandes qu'ils des rayes aux mangent. Ils ferment leurs jardins avec un feul fil de yeux. cotton ou une h a r r e , dont les portes ne font pas plus hautes que la ceinture ; & ils tiennent que c'eft un péché de rompre le fil ou harre , & que quiconque l'a fait pour entrer dans le jardin d'autruy eft digne de m o r t . Les beftes qu'ils tuent ordinairement à la chaffe, font des Lions, des t y g r e s , des fangliers, & des porcs,épics, avec des flèches & des lacs ; Ils prennent auiïî un certain animal qu'ils appellent Capa, qui elf plus grand qu'un afne , fort plein de poil noir , & furieux , quoy qu'il

Sf

D e s fortes d'animaux qu'il y a à Cumana.


1522.

338 HISTOIRE fuit la prefence de l'homme; il eft fort ennemy des chiens de Caftille, il leur donne la chaffe, de en tuë quelquefois trois ou quatre enfemble ; Ils vont à la chaffe d'un autre animal appelle Aravata , grand comme un lévrier, il a une barbe comme une chèvre,& heurle fort h a u t , de ne mange point de chair. Il monte fur les arbres. Ils vont quelquefois par troupes. Ils ramaifent les flèches de les jettent à celuy qui les a tirées de bonne grâce. Ils tendent des lacs dans des chemins, de dans les lieux où il y a de l'eau pour prendre de certains chats de montagnes, qui font comme des finges, dont les petits pour eftre folaftres donnent du paffe-temps ; & les mères les portent embraffez d'arbre en arbre. Il y a un autre animal c r u e l , que les Indiens craignent, de pour s'en deffendre, ils portent de nuit des tifons ardans , parce qu'il ne paroift jamais de jour ; il crie comme un enfant, pour tromper les perfonnes ; & fi-toft que quelqu'un fort pour voir celuy qui crie, il le t u ë , & les mange, de s'il n'eft pas plus grand qu'un chien d'attache. Il y a tant de ces fortes de beftes que les Caftillans appellent yaguanœfy quelles ruinent les jardinages, & font fort afpres après les melons de Caftille. Ces Indiens font fort adroits à prendre des oyfeaux avec des lacs, des rets de des arcs. 11 y en a une infinité, de entr'autres des peroquets, des c o r b e a u x , d'autres qui ont le bec comme des aigles, qui font gros comme des oyes, & vivent de charogne, de fentent neantmoins le mufque. Les chauve -fôuris y font fort groffes, de piquent fort de fucent beaucoup 5 de un jour ne pouvant trouver la veine a un Caftillan pour luy tirer du fang, qui avoit un grand mal de cofté,une chauve-fourisle piqua une nuit, d'où il en fortit tant de fang qu'il en guérit. il y a de plufieurs fortes de ces moucherons que nous appelions coufins, dont les plus petits font les pires 5 Les Indiens pour s'en garantir fe couvrent de feuilles, o u d'herbe. Il y a de deux manières de mouches guefpes de de trois fortes d'abeilles; il y en a de deux fortes qui font de bon miel dans des ruches , les autres font petites, de font du miel fans cire dans les troux des


DES

I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.

IV.

339

arbres. Les araignées y font plus groffes que les noftres, 1522. & font de diverfes couleurs, & belles à la veuë;elles font leur toile fi forte , qu'il faut employer la force pour la rompre. Il y a des falamandres qui en mordant tuent, & caquetent de nuit comme des poules. Ils pefchent avec des a m e ç o n s , des r e t s , des flèches, du feu, à l'œil & en taftonnant. En quelques endroits on mange celuy qui pefche fans permiffion. Ils s'affemblent quantité de Différentes façons de pefcher bons nageurs pour pefcher à l'œil & en taftonnant, tant qu'ont ces I n pour le poiffon que pour les perles , & font tous fort diens. adroits à cela ; Ils fe mettent tous de fuite,& font une longue file chiflant & battant l'eau avec des baftons, ils entourent les poiffons, & les enferment comme dans une c a g e , & les attirent peu à peu vers la rive en fi grande quantité que cela eft épouvantable ; & cette pefche fe fait dans de certains temps, comme en Caftille celle des tons , des Befugos & autres poiffons. Mais il y périt beaucoup d'hommes, qui fe noyent, ou qui font éventrez par Autre façon de de grands poiffons qui fe fauvent. Ils vont auffi à la pef- pefcher , & che dans des canos avec des tifons ardans avec lefquels quels paiffons, ils éclairent fur la fuperficie de l'eau, qui fe retirent vers l'ombrage en recherchant toujours la lumière, & approchant des canos ils les dardent & les acrochent. C e u x cy font de grands poiffons, qu'ils falent, ou les fechent au Soleil, ou les rotiffant pour les mieux conferver. Ils en cuifent auffi, & les falent pour vendre le long de l'année. Ils pefchent de grandes anguilles & d'autres grands poiffons qui montent de nuit aux barques,& m e f m e dans les navires , tuent les hommes & les mangent.

C H A P I T R E Continuation

XI.

des p a r t i c u l a r i t e z de

Cumana.

L

Es femmes, comme nous l'avons dit cy-devant labourent la terre , elles fement le mayz, l'azi, qui eft le poivre , les citrouilles, & autres l é g u m e s des carot }

Sf ij


340 HISTOIRE tes & autres racines , & plantent les arbres fruitiers 1522 Q u a n t à l'herbe qui fert à noircir les dents,elles la cultivent avec beaucoup de foin. Il y a de certains arbres qui en les piquant rendent du lait, qui fe convertit e n gomme blanche & qui rend une bonne odeur ; ils s'en D e la diverfité fervoient pour encenfer leurs Idoles. Il y a u n e autre d'arbres de Cuforte d'arbre d'où coule une liqueur qui s'épaiffit MANA. comme du lait caillé , & qui eft bonne à manger. il y en a encore d'une autre forte , dont le fruit eft femblable à des meures, dont l'on fait du fyrop qui eft fort bon pour guérir le r h u m e , & le bois eftant fec l'on en fait du feu comme d'un caillou. Il y en a encore qui (ont fort odor a n s , qui font femblables au C è d r e , & font fort propres pour faire des cailles ; mais fi l'on met du pain dedans il devient amer ; mais il eft bon dans les navires, il empéche que les vers ne s'y mettent point. Ils en ont encore d'une autre forte qui produit de la gluë , dont ils fe fervent pour prendre des oifeaux , il eft grand, & ne duIL y croift de la re pas plus de dix ans. La terre y produita u f f ide la cafcaffe & des herfei mais comme les Indiens ne connoiffoient pas cette efbes odorantes. pece de fruit, ils ne s'en fervoient point. Il y a tant d e rofes dans les campagnes, & d'herbes odorantes, quelles tarifent des douleurs de telle. Mais il y a tant de langouites & autres infectes de celles dont nous avons p a r lé cy-devant, qu'elles ruinent les fruits,&cles femailles. Il y a d'un certain bois qui rend du bitume , qui brufle & dure comme ii c'eftoit d u gouldron. Le venin dont ils empoifonnent leurs flèches eft de deux fortes ; le Ample eft de fang de couleuvres qu'ils appellent Aypides, & il fe fait avec une herbe & de la gomme d'un arbre,, avec le lue des pommes dont il a déjà efté parlé. La compofition fe fait de toutes ces chofes avec des teftes d e D e la compofi- fourmis venimeufes. Pour faire cette compofition ils t i o n du poifon prennent une vieille femme , qu'ils enferment qui les des Indiens. fait cuire pendant deux ou trois jours. Si cette femme meurt en le faifant, ou quelle s'évanoüiffe ils eftiment le poifon ; mais fi au contraire elle n'a aucun m a l , ils la chaitient. C'eftoit-là le poifon dont les Caribes fe fer-


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv.IV.

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voient contre les Caftillans, où. ils ne trouvoient aucun 1522. remède pour ceux qui en eftoient bleffez & & fi par hazard quelqu'un en gueriffoit il vivoit dans des douleurs perpétuelles le refte de les jours ; en touchant une femme la playe fe rafraifchiffoit ; en beuvant ou travaillant, ils fourfroient des douleurs. Les flèches font de bois très d u r , & bruflez par le bout au feu de certains joncs ou cannes comme celles dont nous nous fervons dans la milice. Ils garniffent les pointes d'os de poifon fort durs, en- La méthode de faire la guerre chafïez. Dans les danfes & à la guerre ils jouent de la de ces Indiens, flutte , qu'ils font d'os de belles de chaffe , des hautbois qu'ils font avec de gros ballons, avec des flageolets de cannes, des tambours de bois peints, & des calebaces fort groffes. Ils font des cornets de limaçons, & des timbales de conques de grandes huiftres. Ces gens eftoient fort adroits à la guerre, & mangeoient les ennemis qu'ils prenoient en g u e r r e , & les efclaves qu'ils achetoient ; & il ils eftoient flafques & débiles ils les laiffoient engraiff e r , & les mangeoient après. Ils fe delectoient fort à la danfe & à la boiffon ; un ba- D e s réjoüiffanlet dure huit jours, & le banquet fe faifoit hors des dan- ces qu'ils font aux n o p c e s . fes ordinaires Ils s'affembloient, bien parez pour aller aux nopces , ou à des couronnemens de R o i s , ou à des feftes publiques;Les uns portoient des Couronnes, d'autres des pennaches, & d'autres avoient des plaques d'or devant l'eftomac , avec des limaçons & des conques autour des jambes e n façon de fonnettes. Ils fe barboüilloient de diverfes couleurs & figures , & dont celuy qui eftoit le plus laid, eftoit eftimé. Ils danfoient feuls ; puis Celuy qui danfe mefloient e n f e tenant des mains en rond ou entre- foit le plus eftoit mefliez. Il y en avoit d'autres & devant & derrière qui le plus eftimé. alloient fautant, & voltigeant, les uns obfervant le fil e n c e , les autres chantant ; puis ils crioient tous enfemble & fe conformoient tous au ton , tant pour le branle que le mouvement, & tout d'un temps, quoy qu'ils fuffent beaucoup. Leur chanfon commençoit par la triflefl e , & faifoient des paufes de folie & d'extravagance. Ils danfoient lix heures fans fe laffer , jufques à perte d'haS f iij


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1522.

Celuy qui beuvoit le plus eftoit tenu pour le plus vaillant.

ils adoroient le Soleil & la Lune.

H I S T O I R E

leine ; & celuy qui danfoit plus long-temps eftoit le plus eftimé. Il arrivoit dans ce rencontre plufieurs jeunes hommes , qui venoient pour régaler leur Cacique. V n peu avant que d'arriver au villageois nettoyoient le chemin , fans y laiffer un feftu ; puis ils commençoient à chanter tout b a s , & tiraient leurs arcs aux pas de l'ordonnance qu'ils obfervoient ; auffi-tofl après ils crioient tant qu'ils pouvoient, l'un chantant premièrement , & tous les autres répondant , & changeoient les phrafes de parler , comme dans les Ifles, difant, bon Seigneur avons nous ; nous avons un bon Seigneur. Celuy qui conduifoit la danfe avançoit toujours en faifant des gambades, jufques à la porte ; puis ils entroient tous, faifant mille fingeries ; les uns contrefaifant les boiteux, d'autres les pécheurs, les tifferans , & d'autres les aveugles 5 les uns. r i o i e n t , les autres pleuraient ; une autre faifoit une harangue de bon fens , dans laquelle il recitoit les faits & les geftes des predeceffeurs du Cacique ; puis ils s'affeoient tous à croupeton, & mangeoient fans dire mot ; & beuvoient jufques à tomber yvres ; celuy qui beuvoit le pluse f t i m éle plus vaillant 8c le plus eftimé du Seign e u r , qui leur donnoit à fouper. Entr'autres feftes,comme celle de Bachus , parce qu'ils s'enyvroient prefque tous, les femmes les alloient relever & les conduifoient à la maifon ; & quoy qu'ils fuffent affis en ordre,ils fe verfoient à boire l'un à l'autre, & il y avoit une femme qui leur portoit le vin. Apres avoir bien beu ils fe batoient à coups de poin, en le défiant, & s'infamant de paroles. Quantité vomiffoient pour reboire tout de nouveau. Ils beuvoient des vins de palme , d'herbes 8c de fruits. Ils prenoient par le nez la fumée d'une certaine herbe qui les efraurdiffoient. Lors que les femmes remenoient leurs maris à la maifon, elles chantoient des chanfons. Ils eftoient grands Idolatres ; & adoraient le Soleil & la Lune qu'ils tenoient pour le mary & la femme, & pour de grands D i e u x . Ils apprehendoient les éclairs & les tonneurres,&difoientque le Soleil eftoit en colère cont r ' e u x : ils jeufnoient, les eclipfes, & particulièrement


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INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. IV.

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les femmes ; & durant ce temps la les femmes s'égrati1522. gnoient & fe mal-troitoient ; & les files fe tiroient du fang des bras avec des areftes de poiffon & s'imaginoient que la Lune avoit efté bleffée par le Soleil pour quelque querelle qu'ils avoient euë enfemble. D u r a n t le temps de quelque Comete,ils faifoient grand bruit avec leurs cornets, leurs tambours Se leurs cris, s'imaginant de la faire fuir, ou quelle fe confumoit. Ils croyoient que les Cometes prefageoient de grands maux. Ils adoroient quantité d'Idoles, & entr'autres ils g a r d o i e n t une Croix comme celle de faint André dans un lieu quarré, & enferulé , traverfe en croix de coin en coin. Quanti- De l'ufage qu'ils avoient té de Religieux ont dit que c'eftoit une C r o i x , & qu'ils de la Croix. fe deffendoient avec cette Croix des fantofmes, & la mettoient fur les enfans fi toft qu'ils eftoient fortis du ventre de leur mere. L'honneur des nouvelles mariées dépendoit des Pré- tes Preftres depofifixes qu'ils appelloient Piaches ; & pour la fcience de eftoient taires de l'honguérir & de deviner, ils invoquoient le Diable, comme neur des n o u des Magiciens & des Negromanciers. Ils guériffoient les velles mariées. malades avec des herbes & des racines, cuittes & crues avec de la graille d'oifeaux, d'animaux, & de poiffons, avec des battons & d'autres chofes dont le vulgaire n'avoit pas la connoiffance, puis avec des paroles obfcures qu'eux-mefmes n'entendoient pas , ils fuçoient & l'échoient l'endroit où l'on fentoit la douleur , & en crachoient l'humeur hors de la maifon. Si le mal augmentoit ils difoient que le malade avoit des efprits, & luy paffoient la main par tout le corps difant des paroles d'enchantement ; puis ils léchoient quelques jointures Se les fuçoient, & difoient qu'ils enchaffoient les efprits. Ils prenoient le ballon d'un certain a r b r e , que perfonne excepté le Piache en fçavoit la vertu. Ils frotoient le gofier jufques au vomiffement & à jetter du fang ; puis le malade foupiroit, trembloit, trepignoit, fouffrant milles angoiffes, & fuant plus de deux heures ; Se jettoient enfin par la bouche une manière de flegme fort efpaiff e , & une petite balle dure, & noire au milieu, que ceux


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de la maifon du malade portoient dans le champ & d u foient en la jettant ; Là tu iras Diable ; Diable, tu iras-là, fi le malade gueriffoit il donnoit tout ce qu'il avoit au Médecin ,& s'il mouroit, il difoit que fon heure eftoit venue. Ces Piaches donnoient des réponfes comme des Oracles touchant la g u e r r e , l ' a b o n d a n c e , l ' a u t r e s choIls eftoient fes. Ils advertiffoient les peuples lors que les Eclypfes grands devins. & les Comètes dévoient arriver. Les Caftillans leur d e mandèrent s'il arriveroit bien-toft des Navires de Camille ; & ils dirent ponctuellement le j o u r , la quantité d e gens & de munitions qui arriverent dans une caravelle. C o m m e les Le Piache entra une nuit fort obfcure dans une cave, indiens parv i e n t au De- & avoit mené avecque luy quelques jeunes hommes mon. hardis qui eftoient d e b o u t , & le Piache eftant affis,appelloit, crioit, prioit en v e r s , il fonnoit des fouettes, & joüoit du cornet , & dans un ton fort trifte , difoit de certaines paroles en façon d'oraifon, & fi le D e m o n ne venoit, il recoinmençoit fon chant , en ufant de menaces , comme en colère ; & lors que le demon arrivoit-, ce qui fe remarquoit par le bruit qu'il faifoit, il chantoit haut & ville, & tomboit,faïfant paraiftre qu'il eftoit priFrere Pierre de sonnier du D é m o n , félonies geftes & les tours qu'il faiC o r d o u ë parle foit ; Puis il demandoit à l'un de ces jeunes hommes ce à un d e m o n i a qu'il defiroit, & il répondoit. Le Pere frère Pierre d e cle. Cordouë qui voulut fçavoir la vérité de cette affaire, lors que le Piache eftoit perfecuté du Démon , prit une C r o i x , une Eftole , & de l'eau benifte, & entra avec plufieurs Caftillans & des Indiens de la terre, il jetta fur le Piache une partie de l'Eftole ; il fit le figne de la Croix fur luy, & le conjura en Latin & en Caftillan, & le D é mon luy répondit en langue Indienne fort à propos. L e pere luy demanda où alloient les ames des Indiens , & le D é m o n luy rit réponfe qu'ils alloient en enfer ; dont le Pere demeura tout eftonné. Le Piache entendant cela, fe plaignit au D i a b l e , de ce qu'il y avoit fi long-temps l e s piadies dedevenoient riches qu'il le tourmentoit ? Ces Piaches eftoient fort riches, à force de gué- parce qu'ils prenoient beaucoup pour penfer les malarir les malades d e s & pour deviner, D a n s les banquets ils tenoient le & de deviner. haut 1522. 3


DEs

INDES

O c C i d e n t A l E S

L i v .IV.345

haut lieu , à part , & s'enyvroient auffi bien que les au- 1522 tres. Ils ne penfoient leurs parens, & perfonne ne vifitoit les malades qu'eux. Ils apprenoient cet art dés leur enfance, & pendant deux ans qu'ils eftoient enfermez dans les bois , ils ne mangeoient aucune chofe qui euft fang ; ils ne voyoient ny pere ny mere , & ne fortoient point des cabanes ou canes. Leurs Maiftres les alloient inftruire de nuit ; Puis après ils prenoient atteftation du temps qu'il y avoit qu'ils avoient gardé la folitude , & commençoient auffi-toft à penfer les malades, & a refpondre comme des Docteurs. Ils chantoient des complaintes aux m o r t s , exaltant leur valeur. Ils pleuroient beaucoup le corps nouvelle- Leur manière ment d e c e d é , & puis après le fechoient au feu, & le d'enterrer leurs morts. gardoient en la maifon. Au bout de l'an ils convioient plufieurs perfonnes, fi le mort avoit efté Seigneur, & chacun portoit fon difner ; puis la nuit approchant ils fortoient le corps ; Mais s'il eftoit enterré ils le décerroient avec beaucoup de pleurs. Ils çroifoient les pieds avec les mains ; ils mettoient leur telle entre leurs jambes, & tournoient tout au t o u r , puis ils r e tournoient fur leurs pas le mefme tour qu'ils avoient fait, & trépignoient des pieds, regardant le C i e l , f l e u r a n t , & faifant de grands cris ; en fuite dequoy ils brûloient le corps, & donnoient la telle à la plus noble & plus legitime femme qu'il avoit, afin qu'elle fe reffouvinft de luy en la gardant Ils croyoient que l'acroyoient me efloient immortelle, & qu'elle mangeoit & beuvoit Ils l'immortalité. dans un champ où elle alloit, & que l'Echo eftoit celuy qui refpondoit à celuy qui luy partait & l'appel

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C H A P I T R E

XII.

De quelques chofes à quoy l'on pourveut pour le bon Gouvernement des Indes ; Et ce que le Roy de Caftille envoya dire au Roy de Portugal par chriftofle Barrofo fon Secretaire. je foin qu'avoit le R o y de donner ordre aux chofes de la Religion eftoit grand ; & pour cet effet, afin que l'on apportait, de la diligence, pour la Prédication & converfion des I n d i e n s , il jugea qu'il eftoit neceffaire d'élire un Evefque pour les terres qui commencent depuis Nombre de Dios , jufques au Cap & pointe de Hibueras, que les Pinçones découvrir e n t ? & il fut propofé à fa fainteté de nommer le Prieur de L o r a , de l ' O r d r e de faint l e a n , qui eftoit Chapelain du Roy. Il ordonna que l'on continuaft l'aumofne de trois cens poids d'or que le Roy C a t h o l i q u e avoit ordonné par chacun an à l'Hofpital de Sancta. Maria el antiqua del Daricn ; Que l'on fatisfift aux Religieux de Cumanà , pour ce que les Indiens leur avoient pris, lors qu'ils ruinèrent le Monaftere ; Que l'on donnaft le paf D i v e r s ordres fage franc à frère le an Tecto , à frère le an a Arenalo de que l'on d o n n a l'Ordre de faint François, qui alloient aux Indes vifiter les pour le Gouvern e m e n t des I n - Religieux de leur Ordre, & les vivres & autres chofes qu'ils des. auroient befoin , & pour leurs compagnons. Ils furent charget, par mefme moyen de certains brevets, par lelequelsle Roy mandoit aux Officiers Royaux de les favorifer, & leur donner le paffage franc pour aller de lieu à autre, toutesfois & quantes qu'ils en auraient befoin. l'on renouvella a u f f i dans ce mefme temps l'ordre par lequel ceux qui ne traiteraient pas bien les Indiens qu'ils auroient à leur recommandation , ils leur fuffent oftez & que l'on ne les m i f t point en dépoft, ou autrement en quelque façon que ce fuft. il fut auffi ordonné que ceux qui peuploient & pacifioient les peuples dans la Nouvelle efpagne , pourraient amener en Efyagne les enfans qu'ils auroient eus des femmes Indiennes qu'ils


D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.IV. 3 4 7 auraient efpoufiées ; que les Efclaves qui auroient efté me1522 nez dans l'EfpAgnolle fans permiffion , fuffent déclarez pour confifquez, y & ce pour éviter les abus qui s'y commettoient ; que l'on donnaft deux voifinages de Cavalerie aux premiers qui avoient , peuplé la terre ; Que ceux qui viendraient dans les Royaumes de Caftille demander à faire des defcouvertes, des héritages & autres chofes femblables , euffent a le déclarer premièrement à l'Audience de l'Efpagnolle, afin d'avoir leur avis & confentement touchant cela ; Que les habitans de la ville de faint Dominique , toutes fois & quant en qu'ils en feroient requis par l'Audience , fiffent des affemblées pour faire au nom de fia Majefté ce qui leur feroit ordonné ; & que l'on permift que dans l'ifle de Cuba, il y peuft avoir deux Procureurs fans préjudice de la deffenfe qui en avoit efté faite Que les Officiers de Seville ne laiffaffent paffer aucune perfonne , pourveuë d'un Office Royal, fans donner premièrement caution de s'en bien acquiter ; Que les fufdits Officiers gardaffent leurs brevets , les Ordonnances, & les Inftitutions de la Maifon de Seville fous les peines y contenues, & de perte de biens & Offices , nonobfiant quelques lettres dérogatoires au contraire ; que les Officiers de la Maifon de Seville, ny les Vifiteurs de Navires , ne pourroient avoir aucuns Vaiffeaux pour voyager ny trafic quer dans la route des Indes , nyy négocier de quelque façon que ce fuft, ny par perfonnes interpofees, fur peine de confifcation des Marchandifes , & de la moitié de tous leurs biens ; Qu'il ne pourroit paffer aux Indes des Navires de moindre fort que de quatre-vingt tonneaux ; Que chaque Navire de cent tonneaux , euft quinze Mariniers ; que l'un fuft canonier, huit ferviteurs , & les autres armez de cuiraffes , de flaftrons, & autres armes , & que ceux qui ne feroient point armez de la forte n'auroient pas le paffage franc ; Qu'ils y fuffent introduits par un Capitaine homme de connoiffance , & qui fuft de condition ; que dans le fufidit Navire de cent tonneaux il y euft quatre pièces de canon , groffes , & fieze pièces de campagne, avec la quantité de baies & de poudre neceffaire, comme du plomb , des moules , des dards , des lances , des pertuifanes , & des bouchers ; fpeci3

T t ij


348

1522.

Le Roy ordonne de donnée à la Reine de Portugal toutes les perles qui viendroient dans les premiers navires,

H I S T O I R E

fiant le nombre de chaque chofe , fans que l'on en peuft vendra aucune, ny les laiffer aux Indes, & qu'ils revinrent en Caftille avec le mefme nombre de Mariniers qu'ils feroient partis. Et parce qu'après que le Regiftre eftoit donnée on avoit avis que les Maiftres des Navires prenoient encore des marchandifes jufques a faint Lucar, de forte qu'eftant plus chargeais couvoient plus grandes rifques joint que cela empéchoit la n a v i gation, & les gens de combattre, & qu'ils fortoient les armes, fans que les vifiteurs y peuffent remédier ; l'on ordonna qu'ils fujfent feverement punis , & que les charges qu'ils auroient faites depuis , fujfent confifquèes ; Que l'on prift affeurance des Maiftres des Navires , que le mefme Regiftre que l'on leur mettoit entre les mains par les Officiers de la maifon de Seville fuft delivré aux Officiers Royaux de la partie des Indes où ils alloient décharger, & qu'ils en apportaient un certificat, comme ils avoient délivre le contenu dans le Regiftre fufdit, & qu'ils portoient les armes & munitions que l'on leur avoit ordonne.

E t tout d'un temps le Roy ordonna aux Officiers de la maifon de Seville de donner à la perfonne que la R e i ne de Portugal D o n a Catalina fa foeur envoyeroit de fa part,toutes les perles, groffes & menues que l'on apporteroit pour le Roy dans les premiers Navires qui viendraient des Indes. Et parce qu'à vingt-cinq lieues du Cap de S. Vincent les Corfaires François avoient pris un Navire d'Alonfe del Algana, originaire de Seville qui apportoit beaucoup d'or, des perles, du fucre & d'autres marchandifes, lefquels ayant pris la route d e F r a n c e , ils furent rencontrez dans les Berlinges , par quatre caravelles armées du Roy de Portugal qui gardoient la coite de fon Royaume. Le Corfaire pour mieux garnir fon Navire, tira vingt François qu'il avoit mis dans le Vaiffeau Caftillan pour fa garde ; Si bien q u e les Caftillans fe voyant libres, fe joignirent avec les caravelles Portugaifes , & donnèrent tous enfemble la chaffe aux François de telle forte qu'ayant efté pris,leur Vaiffeau fut pillé. Les Portugais firent amener le Navire Çaftillan & le menèrent à Lisbonne ; à caufe dequoy fa Ma-


DES INDES O C C I D E N T A L E S , L i v . I V .

349

Catholique envoya a u Roy de Portugal Chriftofle Barro1522. fo fon Secrétaire, pour procurer la reftitution du Navire Por- Le Roy e n v o y é tugais , & les Marchandées qui eftoient dedans ; parce qu'ou- demander un navire Gaftiltre la parenté & l'amitié qu'il y avoit entre les deux Cou- lan que les Porronnes , il efloit encore jufte & équitable. Outre que le Pirate tugais avoiens e m m e n é en François qui l'avoit pris n'alloit pas avec la permiffion de Portugalfon Roy, fatfant une jufte guerre , mais en volant comme u n larron ; a infi le Roy de Portugal ne pouvait pas rien prétendre de droit , ny de Seigneurie à une chofie dérobée ; Et qu'outre cela cette prife avoit efté faite en la cofte de Portugal, enlevée avant que de la mettre en fcureté en fa terre. Ioint que le Navire devoit neceffairement paffer par les mers de Galice & de Bificaye , où les Caftillans l'euffent pu fecourir & recouvrer la prife. Outre que parce que le Cor faire François fut pris par l'armés que le Roy de Portugal avoit en f a cofte pour f a R a i f o n n e m e s ; là-deffus. garde & celle de fis amis , qui comme tels la vont reconnaitre comme Une cofte de fleuretè, l'armés du Roy principalement y eftant , & non de fies vaffaux. Ioint que d'ailleurs lors que les François l'eurent abandonné , les Caftillans demeurèrent libres dans leur Vaiffeau, avec leurs marchandées , & avoient donné la chaffe aux François conjointement avec les Portugais en s'aidant les uns les autres , & qu'après que les Caftillans furent en liberté avec la plupart de leur marchandife ils avoient eftè enlevez à Lisbonne, où en leur avait tout ofté. L'on avoit fefté

donné au Secrétaire Chriftofle Barrofo une lettre de créance pour le R o y de Portugal avec une inftruction, qui portoit en fubftance ; Que le Roy dé Portugal l'ayant p r o p o f é à fin Confeil ; il avoit fait réponfe qu'il luy avoit femblé raifionnable que le Navire & la marchandife qui eftoit dedans , dévoient eftre reflituez, mais qu'encore qu'il l'euft ordonné ainfi , cela nefiepouvait exécuter fi-toft pour de certai-

nes caufes. Et damant qUe cette reftitution tardoit trop à s'effectuer, & que les parties intereffées preffoient le Roy ; il ordonna au Commandeur lean de Zuniga fon Ambaffadeur, qui refidoit à la Cour de Portugal, de foliciter cette reftitution , & aux Officiers de la maifon de SeviL le que des hardes qui eftoient dans le Vaiffeau , ils en donnaf fient au Secrétaire chrifiofle Barrofo mille ècus, pour la peine qu'il avoit prife en cette affaire.

Réponfe du Roy de Portugal fur la reftitution du n a vire.


350

H i S T O i R E

1522

C H A P I T R E

XIII.

De l'ordre qui fut donne pour faire une autre armée en Seville, de ce qui procedoit des Avaris.

I

Ils o n t avis qu'il eftoit paffié aux Indes fix Navires,

L y avoit déjà en ce temps-là quantité de Corfaires qui rodoient dans ces mers , amorcez des richeffes qui venoient des Indes. A caufe dequoy & pour plus grande feureté des Navires qui alloient & venoient l'on donna l'ordre qui a ELLE dit cy-deffus pour eftre bien armées. Et dautant qu'il y avoit déjà huit Navires d e c h a r g e z , l'on retarda pour lors l'exécution de cet ordre ; mais que feulement il allaft pour les efcorter d e u x ou trois caravelles bien armées jufques à ce qu'ils fuffent en f e u r e t é , & qu'en s'en revenant elles paffaffent par l'Ifle de Santa Maria , & quelles amenaffent Alonfe Davila, Antonio Quinones,Diego de Ordas,& Alonfe de M e n d o ç a , & ce qu'ils apportoient ; & qu'ils priffent garde à fix Navires François dont on avoit eu avis qu'ils avoient paffé aux Indes. E t dautant qu'ils pouvoient eftre cachez dans l'IFLE de la Mona, on les avertiflbit que les Navires de flote fe tinffent fur leurs gardes ; & que l'on fift fortir s'il fe pouvoit tous les N a v i res qui leur pourraient fervir d'efcorte. Mais dautant qu'il falloit apporter un meilleur ordre pour la feureté de ces merS, l'on trouva à propos de faire une autre arm é e qui rodaft & couruft d'ordinaire toutes ces Cottes jufques aux Açores , & comme c'eftoit une chofe qui importoit beaucoup pour le trafic des Indes,l'on t r a i t a avec quelques D e p u t e z qui furent nommez ; & il fut arrefté , que la fufdite armée feroit entretenue fur l'or, les perles , & autres marchandifes qui arriveraient des Indes , & du P o n a n t , des Axores, de Canarie, de Il Ifle de Madera, de B a r barie, aux Villes de Seville , de Cadis, de Xérès , à celles du port de Sancta-Maria, de San Lucar, de Barrameda, de Rotachipiona, & aux ports del Condado de N i e b l a , de Mon-


DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I V . 351 telepe & de la Rondela ; quoy que les perles & les marchandi1522, fes qui devraient contribuer appartinffent au Roy , ou à quelques autres perfonne s privilégiées , attendu quelle fe faifoit pour la garde de tous, Et que mefme les marchandifes qui partiraient des fufdits ports pour aller en ces lieux-là, & aux dépens des Navires qui les porteraient & enleveroient , payeraient les mefmes droits. Et pour cet effet le Roy fit donner des proVifions & des dépefches , & commanda que le Maiftre des Comptes Iean Lopez de Rualdi euft l'intendance de cette affaire conjointement avec les trois Députez de la maifon de Contractation , qui eftoient L o ü i s Fernandez d'Alfaro , Pierre de Xerez & Diego d'Ocana , habitans de Seville , fous ces conditions ; que l'on fournirait & recouvreroit les deniers qui feraient neceffaires pour cette armée fur les chofes fpecifices à tant pour cent , félon & comme pour les perfonnes, qu'au nom de fa Majeftè & de la maifon de contractation ils feroient taxez & modérez. Et au cas que l'on fift difficulté de payer , que les contrevenans y feroient contraints par corps & par faifte de leurs biens. A condition que les fommes qui Q u e les deniers fe lèveraient feroient mifes dans un coffre à trois ferrures , dont desA v a r i sfe meuroient l'une feroit en la poffeffion d'une perfonne nommée par le Roy, dans un coffre & les autres deux, des Officiers de la maifon de Contra- à trois clefs. Bation ; Et que la perfonne nommée par le Roy, du confentement des deux autres pourroit eftablir des Capitaines , des Vifiteurs , des Sergens , & tous les Officiers neceffaires pour l'armée , & leur attribuer les gages , & les rechanger au cas qu'il f u f t expédient de le faire ; Que les fufnommez pourvoient fréter quelques navires que bon leur fembleroit , & obliger les Maiftres des Navires de les donner pour un jufte prix, qui feroit taxé par une perfonne nommée par le Maiftre du Navire, & une autre par les Députez, & en cas qu'ils ne fe puffent accorder , de prendre un tiers ; Que fi par hasard il y avoit plufieurs Corfaires, & qu'il f u f t neceffaire l'armée eftant partie,d'y envoyer d'autres Navires pour la fecourir, cela fe fournit faire de l'avis des Députez de la maifon de ContractaTraité t o u tion , aux dépens de ce nouveau droit ; Que les provifions ar- chant l'armée tillerie , munitions & vivres fe feroient dans la mefme forme ; des Avaris. Que toutes les prifes qui fe feroient dans cette armée fervi-


352 HISTOIRE 1522.

Le Roy d e m a n de par emprunt de l'artillerie au D u c de Medina S i d o n i a , & ar-

roient en partie pour les frais d'icelle ; comme auffi le qui. qui appartenait au Roy; Que l'on cherchaft promptement par preft quatre mille ducats pour commencer a lever l'armée, que fi l'on n'en trouvait pas à emprunter, que l'on en prift an change pour pareil effet ; qu'il f u f t pourveu d'un Greffier qui euft un livre a part de l'armée pour autant de temps que les Députez & les Miniftres du Roy le trouveraient propos ; Que l'on defarm ift lors qu'il feroit neceffiaire ; que s'il eftoit deu quelque chofe à caufe de l'armement, que l'on ne ceffaft de recevoir les Avaris jufques à ce que tout fiufl payé & fatisfait que la perfionne nommée par le Roy recevrait de gage chaque année cinquante mille maravedis , & les autres trois Députez, quarante mille chacun. Auffi-toft après l'on travailla à armer huit Navires.

E t dautant que l'on ne trouvoit pas d'artillerie ; l e R o y écrivit comme il avoit fait autrefois aux Ducs d e Medina Sidonia , d e Medina Celi & d'Arcos, au M a r quis de Tarifa, & au Comte d'Ayamonte, qu'ils en p r é talTent, & qu'il le favorifaffent en ce r e n c o n t r e , veu q u e cela ne les touchoit pas moins en particulier que les a u tres. Il écrivit auff au Prefident de Seville , aux S é n é chaux de X e r e z & de Cadiz, & à toutes les villes & lieux intereffez , afin d'y apporter toutes les diligences poffibles ; Et parce que l'on eut avis qu'il y avoit dans Cadiz toute l'artillerie d'une Carraque ou grand vaiffeau qui y avoit échoué, l'on manda au Sénéchal qu'il la prift par forme de preft à condition de la r e n d r e , ou de payer fa jufte valeur ; il bien que dés l'heure mefme Pon travailla puffamment à armer les Huit navires pour PefFet que deffus. Il y avoit quelques jours qu'un nommé Simon d'Alcaçava Sotomay , Seigneur Portugais, qui avoit quitté l e fervice du R o y de Portugal, s ' e t o i t prefenté pour rendre fervice au Roy d e Caftille , & qui promettoit de luy eftre fort utile pour la navigation des Indes des M o l u q u e , parce qu'il elfoit grand homme de mer & bon Cofniographe ; & cependant que l'on attendoit le fuccés de l'armée, de Fernand de M a g e l l a n , pour voir à quoy il aboutiroit


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv.IV.

353

quoy il aboutiroit, il ne fut rien rien refout avec luy ; Mais par l'arrivée du navire Vidoire, il fut retenu pout la maifon du Roy & luy fut attribué cinquante mille maravedis de gage, & autres cinquante mille pour luy aidera faire fa dépenfe. L'on receut auffi George R e y nel & Pierre Reynel Pilotes Portugais, hommes de r é putation.Et dans ce mefme-temps Ruyfalero eftant allé dans une ville de P o r t u g a l , d'où il eftoit originaire, pour fe faire penfer d'une certaine maladie, ils fe faifirent de fa perfonne, & luy prirent tout ce qu'il avoit, dont le R o y en receut un grand déplaifîr, & ne fe pût empêcher de le faire paroiftre ; car il en écrivit au R o y de Portugal,pour qu'il le fift mettre en liberté, & luy faire rendre fon bien ; ce qui fut exécuté auffi - toft. L'on tira auffi des prifons tout d'un temps Alvaro de la Mezquita , Capitaine du navire faint Antoine, avec ordre d'aller à la Cour, qui fe tenoit alors à Burgos.-

C H A P I T R E Des faveurs

I

1522

XIV.

que le Roy fit à Iean Sebaftien del Cano, & à fes compagnons.

Ean Sebaflien del Cano eftant arrivé en Cour avec fes compagnons, ils furent fort bien receus, mais pardonne ticulièrement Sebaftien del Cano, auquel l'Empereur 5Le0 0 Roy . ducats de donna cinq cens ducats de penfion pendant fa v i e , à penfion chaque annéeà Sebaprendre fur la maifon de Contradation de l'épicerie qui ftien del C a n o , s'établiffoit dont Chriftofle de H a r o eftoit fadeur 5 cin- & des armes quante mille maravedis auffi à Michel de Rodas maiftre pour fa maifon. du Navire V i d o i r e , & pareille fomme à François Albo pilote. Il donna pour armes à Iean Sebaftien del Cano un chafteau d'or en champ rouge à la moitié de l'Ecu tout au haut 6c l'autre moitié en champ doré femé d'épicerie, qui eftoient des bâtons de canelle, trois noix mufcades en croix de faint A n d r é , & deux cloux de girofle, & au haut de l e c u , & pour cimier un monde avec ces Vu


354

HISTOIRE

mots : Primus circum dedifti me ; l'écu foûtenu de d e u x Rois veftus depuis la ceinture enhaut de fynople , & de la ceinture en embas de drap blanc, avec chacun u n e couronne fur la tefte, & chacun un rameau en la main, l'un de cloux d e girofle & l'autre de noix mufcades, qui reprefentoient les d e u x Rois qui dominoient les Ifles d e l'épicerie. Le R o y fit auffi faveur à Martin M e n d e z T r e D e s faveurs que forier du navire Victoire natif de Seville ; & luy donna le Roy fait à pour armes un chafteau doré en champ rouge, à la moitié ceux du navire de l'Ecu , & aux d e u x coftez fix cloux de girofle, & à Victoire. l'autre cofté d e l'écu fous le chafteau trois éclats de canelle mis en o r d r e , & trois noix mufcades, & au deffus d e l'écu un heaume fermé, avec une figure du m o n d e , & au deffus ces mots p r i m m qui circumde dit me ; cet écu foûtenu de d e u x Rois comme ceux des armes de Iean Sebaftiendel Cano. P o u r Michel de Rodas, Maiftre du vaifiéau d e Seville, il fut armé Chevalier par les mains du R o y , lors qu'il fortit de fa chambre pour aller oüir Meffe dans une grande fale , dans la ville de Valladolid, le 2 0 . d'Aouft de cette a n n é e , & comme Michel de R o d a s eftoit à g e n o u x , il luy prit fon épée, & luy en toucha la tefte, & dit : Dieu te faffe bon Chevalier, & l'Apoftre faint Iacques, Se commanda au Secrétaire François de los C o bos de luy donner un certificat de cela, Se luy donna pour armes un Ecu en champ d ' a z u r , à la moitié d'en haut un m o n d e , & en l'autre moitié un navire avec une croix rouge fur le haut de la hune, Se aux deux coftez du monde d e u x chafteaux rouges en champ doré avec q u a t r e noix mufcades d ' o r , & quatre éclats de canelle de la mefme couleur, & trois cloux de girofle, & pour le d e hors de la moitié de l'écu en enhaut deux Rois avec des couronnes aux d e u x coftez de l ' é c u , veftus de certains habits en façon de moules , & ceints de drap rouge jufques aux genoux Se aux j a m b e s , tenant d'une main l'écu, & d e l'autre ces mots Primus qui circumdedit me, & e n Efpagnol , El primero que me rodeo, & de l'autre moitié d'écu en e m b a s , deux autres Rois fans couronnes, ayant à la tefte une façon de turban, veftus comme c e u x

1522.


DES

INDES O C C I D E N T A L E S

Liv. I V .

355

des autres armes ; & dans un petit circuit rond de couleurs, les Rois deffous qui tenoientl'écu des deux mains. Il donna auffi pour armes à H e r n a n d o de Buftamente natif de Merida , qui eftoit venu dans le mefme navire, un écu, en la moitié de la partie d'enhaut deux lions dorez avec des couronnes dorées s'entretenant des pâtes l'un l'autre, le champ-blanc, & dans l'autre moitié de l'écu d'azur,avec un arbre de clou qui naift dans l'Epicerie , & fix cloux & fix noix mufcades, & fix éclats de canelle , & au haut de l'écu un armet, & pour cimier un monde avec ces mots : Ferdinandus de Buftamente, qui primas circumdedit

orbem.

C H A P I T R E

XV.

Des couftumes des autres provinces de la nouvelle de leurs actions & gouvernemens,

C

1522.

Efpagne

O m m e la digreffion que j'ay cy-devant faite pour ce qui touche l'antiquité & autres chofes de quelques nations de la nouvelle Efpagne, me fembloit trop longue ; j'ay voulu laiffer ce qui manquoit de leurs coutumes & gouvernement politique pour mettre en celieu, car je ne m'en puis pas exempter. ll y avoit entr'eux trois fortes de Seigneurs, & dans quelques Provinces quatre, D e s différences manières de d o t chacun occupoit la Seigneurie & jurifdiction. O u t r e fucceder aux cela il y avoit encor d'autres Seigneurs qui eftoient infe- Seigneuries, rieurS)qu'ils apelloient Caciques,qui eft un nom qui procède de l'Efpagnole. Ceux de Mexique eftoient amis & confederez avec les Seigneurs de Tezcuco & de Tlacopan, qu'ils apellent maintenant Tlacuba, & partageoient enfemble ce qu'ils gagnolent;&ceux cy obeiffoient au Seigneur de Mexique, quant à la guerre , & avoient quelques peuplades communes qui leur écheoient par fucceffion, tant des Seigneurs que des Seigneuries 6c des biens. Dans Mexique & dans fes refforts il y avoit divers ufages & couftumes ; & ceux de Tlafcala en ufoient de V u ij


356 HISTOIRE mefme. L'on y fuccedoit félon les degrez de confangni1522. nité ; le fils aifné entroit dans les mefmes droits de fora pere , pourveu. qu'il les maintinft, ou finon le fécond fils occupoit cette place ; & s'il n'y avoit point d'enfans mâles, les neveux heritoient, & à faute de n e v e u x , l'on y procedoit par élection ; Et ils aimoient mieux laiffer un Seigneur capable pour le gouvernement, qu'un héritier. Au défaut d'enfans & de neveux , les frères fuccedoient , & cela alloit par élection entre eux. Et s'il n'y avoit point de frères ils élifoient un parent du Seigneur, & à faute de parent, l'un des principaux du lieu. L'on obfervoit la mefme chofe dans Mechoacan ; & fi le Seigneur n'avoit pas nommé lequel de fes enfans ou neveux luy devoit fucceder, eftant aux abois, on luy alloit demander. Mais le plus ordinaire eft de les nommer en pleine fanté ; & il fe faifoit une fefte particulière pour cela, avec fes cérémonies ; fi bien que dés l'heure le nouveau Seigneur eftoit reconnu pour tel. En quelques autres lieux les frères fuccedoient, & enfuite les fils du Seigneur, & celuy qui paroiffoit avoir de l'ambition pour la Seigneurie perdoit fon droit, & l'on gardoit le refpect. à celuy qui eftoit le plus vaillant. Lorsqu'il fuccedoit au Royaume,on le pottoit au Temple accompagné d'une multitude de monde qui obfervoit le filence : Puis les deux principaux luy aidoient à monter les degrez par D e s couranne- deffous les bras ; Et auffi- toft après le grand Minière luy m e n s de leurs donnoit toutes les marques Royales, & le falüoit en R o i s , & grands peu de paroles i puis ils le couvroient de deux veftes de Seigneurs. cotton, l'une d'azur & l'autre de noir, fur lesquelles eitoient peintes plufieurs teftes & os de morts, pour qu'il fe reffouvinft qu'il devoit mourir comme les autres ; & tout d'un temps le Miniftre recommençoit à luy faire une autre harangue, luy repaffanten la mémoire le fervice des Dieux, la juftice, la clémence, les affaires du Royaume, & la defence de fes vaffaux. A quoy il faifoit réponfe en acceptant toutes ces chofes de bonne grâce, & le remercioit de fes bons confeils. Puisil defcendoit dans la court, où toute lanobleffele venoit


DES

INDES

OCCIDENTALES,

LiV. I V .

357

faluer pour marque d'obeïffance & de foûmiffion ; & pour marque de cela ils luy prefentoient des joyaux & d e riches tapis. Apres quoy ils l'accompagnoient dans une chambre qui eftoit dans la mefme court, d'où il ne fortoit point pendant quatre jours, pendant lefquels il j e û noït & rendoit grâce aux Dieux, & alloit au Temple aux heures accouftumées. Au bout des quatre jours ils le portoient dans fon Palais en grande rejoüiffance , & o ù ils faifoient de grandes Feftes ; ainfi il eftoit craint & redouté de telle forte qu'à peine ofoit-on lever les yeux pour voir fa face, excepté lors qu'il fe réjoüiffoit avec quelques favoris en fecret.

1522.

D a n s Tlafcala , Guaxozingo & Chulula l'on faifoit les-

mefmes cérémonies, excepté qu'ils employoient premièrement ceux qui devoient fucceder à la Seigneurie, à quelque dignité , la plus grande qu'ils avoient entreeux ; & pour cet effet l'on faifoit de certaines cérémonies dans le Temple, & l'expofoient auffi-toft à la place ; & pour éprouver fa patience, ils luy difoient des injures & fe moquoient de luy ce qu'il fouffroit fans dire aucune parole, ny tourner le vifage fur perfonne. Tous ces peuples d'eux-mefmes eftoient fort endurans, & recevoient les affronts avec beaucoup d'attention & d'humilité , & fans aucune repartie. Celuy qui devoit fucceder à la Seigneurie, après avoir efté traite comme nous le venons de dire, ils le menoient au Temple,où il faifoit un an de penitece, & fortoit aux heures que l'on faifoit les facrifices, ils dormoit lors qu'il faloit veiller,iis le piquoient avec de gros poinçons, difant : Eveille-toy, fange qu'il faut que tu veilles, & que tu prennes garde a tes vaffaux ; la charge que tu

as acceptée ne te permet pas de dormir. Lors qu'il avoit achevé fa pénitence, l'on preparoit toutes chofes neceffaires pour la fefte,& les conviez s'apprétoient ; &le jour qu'elle fe devoit faire l'on comptoit les jours depuis fa naiffance, & ne devoient pas eftre é g a u x , mais non pairs, parce qu'ils le tenoient à mauvais augure. Les conviez eftoient, les Seigneurs, parens, amis, & voifins ; & s'il y e n avoit quelqu'un qui s'excufaft , l'on y envoyoit l'uni Vu

iij

De la façon dot ilsfefervoient pour éprouver la patience de leurs Seigneurs,


358 1522

Les Seigneurs eftant jeunes eftoient g o u vernez par des tuteur.

HISTOIRE

des principaux, & l'on apportoit fon fiege , & le mett o i e n t à l a place qu'il devoit tenir, avec les vivres qu'il devoit fournir & fon prefent, & rendoient devant ce fiege les mefmes careffes & les mefmes remerciemens que fi celuy qui eftoit convié y euft efté. Ils menoient p r e mièrement le Prince dans le Temple, où il recevoit le titre de R o y ou de Seigneur, en fuite dequoy ils alloient au b a n q u e t , où il y avoit de grandes liberalitez & prefens, & quantité d'aumofnes pour les pauvres. Le Seigneur de Chiapa, devoit paffer avant que d'entrer en poneffion de la Seigneurie , dans de moindres charges, où l'on éprouvoit s'il eftoit capable du Gouvernement, Dans Guatimala, ils avoient de couftume de faire des oraifons & des jeunes, & fe levoient plufieurs fois de nuit pour prier, & les plus devots dormoient les pieds en croix, pour s'éveiller en fe laffant, & fe lever pour prier. Lors que quelque Gentil-homme alloit rendre vifite au fuprême Seigneur pour le confoler de quelque affliction, il luy faifoit un raifonnement en bons termes, & il luy répondoit toujours en forme de remerciement. Les femmes faifoient auffi la mefme chofe envers les femmes du Seigneur, ils appelloient les fuprêmes Seigneurs, d'un Verbe,qui veut dire parler ; parce qu'il occupoit la Iurifdi&ion civile & criminelle, & tout le Gouvernement. Si lors que le Seigneur mouroit il laiffoit un fucceffeur en bas âge , l'un des plus anciens Seigneurs plus proche parent du mort & capable, gouvernoit ; & s'il ne l'effoit pas, l'on y en mettoit un autre ; & s'il n'y avoit point de parent capable, ils en élifoient un autre des plus proches amis, qui eftoit comme le tuteur du jeune Seigneur, 6c cette tutele duroit jufques à ce qu'il euft atteint l'âge de trente ans. il y avoit une autre façon de Seigneurs qui fe prevaloient de leurs prééminences ; ils eftoient comme font les Commandeurs en Caftille, qui avoient des Commanderieslesnnesmeilleuresque les autres, & ils n'en joüiffoient que pendant leur vie ; leurs maifons eftoient app e l l e s Palais, & ils avoient domination fur de certaines


DES INDES O C C I D E N T A L E S , LIV. IV, 359 gens qui eftoient deftinez & affectez à ces Palais, Les uns 1522. avoient plus de gens, les autres moins. Ils leur fourniffoient de l'eau & du bois pour leurs maifons, & leur labouroient de certaines terres. Ces Commandeurs ne tiroient aucun tribut ; mais pour la guerre il n'y en avoit point d'exempt ; & en ce cas le Seigneur devoit donner la folde , & bouche franche ; ainfi ils eftoient comme les domeftiques de fa maifon. Ces fortesd e S e i g n e u r sétoient les défenfeurs des peuples qu'ils avoient fous leur domination ; & neantmoins cette forte de Seigneurie n'eftoit point héréditaire. Il y avoit encore d'autres Seigneurs, qu'ils appelloient, Grandes patentées, & tous les héritages eftoient d'une lignée & vivoient dans une mefme quartier, Plufieurs de ceux-cy furent difperfez lors que l'on vint peupler la nouvelle Efpagne, & l'on difpofa les partages félon les lignées&Si bien qu'elles ont efté régies de la forte jufques à ce jour ; deforte donc que ces Seigneurs ne les dominoient pas en particulier, mais en commun ; & celuy qui les poffedoit ne les pouvoit aliener, quoy qu'il en joüît toute fa vie, & qu'il les laiffaft à fes en fans & héritiers ; & fi quelqu'un de la maifon finif- C o m m e les lifoit, le parent plus proche entroit en poffeffion , on les gnées fe confervoient entre les donnoit à celuy que bon luy fembloit qui en avoit be- Mexiquains, loin du mefme quartier, ou lignée, & non à autre, & fe pouvoient mefme donner en vente à ceux daine autre lignée. Celuy qui alloit demeurer dans un autre quartier ou lignée perdoit les terres qu'il labouroit, & l'on faifoit en forte que les terres propres de chaque l'ignée fe confervaffent pour le parent le plus proche ; lequel donnoic des terres à ceux qui n'en avoient point ; & celuy qui n e les labouroit pas, on l'avertiffoit de le faire, & finon qu'on les donneroit à d'autres. Celuy qui eftoit le chef dans ces quartiers , devoit eftre le plus grand d'entre eux, & le plus habile à s'en emparer, & ils l'élifoient entr'eux, & le tenoient pour leur maiftre. Il y avort encore quatre autres fortes de Seigneurs qui eftoient comme en Europe les Nobles ; & ceux-là eftoient iffus des Seigneurs fuprémes ; ils ne payoient point de tributs à caufe


360 1522

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de leur titre de Nobleffe, qu'ils eftoient gens de guerre, & qu'ils eftoient toujours occupez en divers négoces pour le fuprême Seigneur, comme Ambaffadeurs, Minilires de Iuflice & autres Officiers ; & le Seigneur leur donnoit dequoy vivre & le logement.

C H A P I T R E

XVI.

Des Coutumes des Mexiquains, & d'autres de la nouvelle Efpagne.

N

Gouvernement de M o n t e z u m e touchant l'Eftat.

D e l'adminiftration de la luftce.

Ovs avons déjà dit-cy devant que la nouvelle Efpagne eftoit gouvernée par trois Seigneurs principaux ; à fçavoir , celuy de Mexique, celuy de T e x cuco, & celuy de Tacuba ; & dans ces lieux & par toutes les terres des environs qui eftoient les plus grandes d e toute la nouvelle Efpagne , il s'y obfervoit un meilleur o r d r e , & la meilleure Iuflice que dans toutes les autres parties. Il y avoit un T r i b u n a l & des luges de chaque Province qui en dépendoient. Ces Rois avoient das leurs villes , deux luges fuprémes ; quoy que M o n t e z u m e , pour ce qui touchoit l'Eftat, gouvernoit avec quatre Confeillers. Leur falaire eftoit les terres que le Roy leur defignoit pour le labourage , & des maifons d'Indiens pour leur labourer, dont ils en avoient leur part, moyennant quoy ils fourniffoient de bois & d'eau , & ce qu'ils avoient befoin, au lieu du tribut qu'ils dévoient donner au Roy ; & comme ils venoient à décéder le luge donnoit les terres à celuy qui fuccedoit à l'Office. Il y avoit des Chambres dans le Palais du Roy où l'on decidoit les caufes, & jugeoient auffi des caufes du mariage & du divorce, quoy qu'il y en euft peu, & c les luges en ce rencontre faifoient ce qu'ils pouvoient pour mettre la paix entre les parties, en réprimandant fort le coupable. Les luges dés le matin fe mettoient en leurs fieges d'Efteras, ou de n a t t e , où les parties venoient faire leurs demand e s , & les appellations alloient pardevant douze autres luges


D E S I N D È S O C C I D E N T A L E S , Liv.IV. 361 luges qui terminoient les differens. L'onconfultoit avec 1522. le Seigneur , & chaftioient rigoureufement ceux qui ne -difoient pas la vérité. Les luges ne recevoient aucune chofe des parties , ny ne faifoient aucune exception des perfonnes, & eftoient fort feveres. Si quelque luge fe laiffoit furprendre par négligence ou autrement, ou qu'il n'agift pas felon qu'il devoit, les autres luges le reprimandoient , & s'il perfiftoit jufques à la troifiéme fois,ils le faifoient tondre , qui eftoit un grand affrontée eftoit privé de fon Office. Il arriva un jour dans Texcuco qu'un luge ayant fayorifé un Gentil-homme contre un homme du commun, & n'ayant pas fait le rapport tel qu'il le devoit faire, le Roy commanda qu'il fuft pendu ; Sévérité du Roy & le procès ayant efté mis entre les mains d'un autre de Tezcuco. l u g e qui fit gagner la caufe à l'artifan. Ils avoient leurs Greffiers , ou Peintres, & il ny avoit point de retardement dans les procès. Les douze luges d'appellation, avoient douze Sergens, pour prendre les delinquants,& d'autres pour affigner, & pour aller advenir les parties, qui agiffoient en diligence , fans attendre ny temps , ny heure. Il y avoit auffi dans les Provinces des luges ordinaires, & de quatre-vingt en quatre-vingt jours l'on faifoit une confultation avec le Roy Ils avoient des Loix pour cha- Confultation qu'ils faifoient ftier les délits. Ils lapidoient les adultères, quoy que ce avec le Roy. chaftiment fut depuis changé en celuy d'eftre pendu, quoy que quelques-uns difent que dans Mexique l'on faifoit mourir ceux qui commettoient le peché de Sodomie ; il y en a d'autres qui ont dit qu'ils n'en faifoient point de cas, pour le chaftier ; Mais il eft pourtant vray qu'entre eux l'on faifoit un affront à un homme lors qu'on l'appelloit Çuylumputl, qui veut dire-Sodomite, & là deffus il fe falloit battre avec l'épée & le bouclier, & l'on permettoit cette forte de defi Le Seigneur de Le Roy de T e z Tezcuco fit mourir un lien fils qui eut communication cuco fait m o u avec l'une de fes femmes ; & la femme mourut auffi, rir un fien fils, félon la Loy. Vn autre Seigneur de Tezcuco fit mourir à & une fienne fille , & pourdiverfes fois quatre de fes enfans pour pareil cas, & les q u o i Xx 5


362 1522.

D ' e l b r i e t é des mexiquains.-

D e leurs m a riages.

H I S T O I R E

femmes avec eux. Celuy qui entroit dans la c h a m b r e des filles eftoit coupable de mort. Et le mefme Seigneur d e Tezcuco, fît mourir par Inftice une fienne fille pour avoir feulement parlé au fils d'un Seigneur. Ils n'ofoient boire du vin fans la permiffion des Seigneurs, ou des l u ges , & ils ne donnoient cette permiffion qu'aux malades & aux vieillards, & ne pouvoient boire que trois raflées de vin à chaque repas. Leur vin n'enyvroit pas quant à fa qualité, il n'y avoit que la quantité qu'il en beuvoient qui leur oftoit le jugement. O r aux nopees & dans les Feftes publiques, l'on donnoit permiffion générale à tous ceux qui eftoient au deffus de trente a n s , d'en boire deux taffées, & lors qu'ils tailloient des pierres & du bois. Les accouchées en pouvoient boire les premiers jours de leurs couches, & non pas davantage. Les Seigneurs,,les gens de condition & de guerre* fe tenoient fcandalifez d'en boire , & beaucoup plus de s'enyvrer. O r la peine de ceux qui s'enyvroient eftoit d'eftre rafezen pleine place publiquement, & tout d'un temps l'on alloit abattre fa maifon , voulant dire par là, que qui perdoit le jugement ne meritoit pas d'eftre habitant de ce lieu ; il eftoit auffi privé de fon Office pub l i c , & demeuroit interdit de toutes chofes pour l'avenir. l'ay voulu inférer cecy particulièrement tout au l o n g , pour détromper plufieurs perfonnes qui s'imaginent que panny ces Indiens de la nouvelle Efpagne, il n'y avoit point d'ordre pour la boiffon du vin au temps de leur Idolâtrie , & qu'ils s'enyvroient la plupart,& qui ont trouvé lieu de le dire ,& de le faire croire à d'autres.. Mais depuis que l'on a fubjugué ces Royaumes, les peuples fe font tellement adonnez à en boire qu'ils s'enyvrent à tous momens, prenant la licence d ' e u x mefmes depuis que l'authorité de leurs luges naturels a ceffe, qui ne les peuvent plus chaftier librement c o m m e ils faifoient. ils avoient d e certains temps ordonnez pour faire les mariages, & d'autres qui efloient prohibez,finon pour de certaines caufes. Il y avoit des vieilles femmes qui fe


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S ,

Liv.IV.

363

mefloient de faire les mariages, & jamais les pères n e 1522 difoient le mot de oüy, pour la première fois, auffi ne contredifoient-ils pas , & cependant que l'on traitcoit du mariage, les deux prétendus mariez jeufnoient quatre jours , & dans quelques endroits vingt , & eftoient enfermez avant que d'eftre mariez. C'eftoit mal fait d'avoir des concubines , & fi quelqu'un en avoir, il le diffimuloit pour éviter un plus grand m a l , eftant tous d e u x à marier , & les filles qu'ils vouloient avoir, ils les demandoient aux Pères ; mais il y avoit de la difficulté à les avoir pour cet effet, difant qu'ils ne les demandoient que pour avoir des enfans, & fi-toft qu'il y avoit un fils, les pères prioient le jeune homme d'époufer fa fille, ou qu'il la quittait,, & s'il la renvoyoit à fon pere, ils n'avoient plus de communication enfemble. Les fujets qui pouvoient caufer la guerre , & qui eftoit une chofe légitime, c'eftoit de faire mourir un marchand,un vaffal de Roy , ou un meffager. Le Confeil, & les gens D e s fujets de guerre s'affembloient, & reprefentoient le fujet,qui qu'ils prenoient. pour faire la eftoit jufte, au cas que la chofe fut avérée ; mais fi c'e- guerre. ftoit pour quelque autre fujet, ils difoient que la caufe n'eftoit pas jufte. Et il toutefois on les affembloit d e r e c h e f , fe voyant par trop importunez , ils refpond o i e n t , que le Seigneur en fift à fa volonté. Lors que l'on refoudoit la g u e r r e , ils la declaroient de cette forte ; Ils envoyoient des boucliers, & des robbes ; Si ceux à qui on la declaroit ne la pouvoient pas fouftenir , ils amaffoient des joyaux d'or, & des plumes , puis ils fortoientfurle chemin, & prefentoient cela par forme d'obeïïïànce ôc de foûmiffion, ce qu'ils payoient en façon de tribut comme amis ; ils affiftoient en cette guerre & faifoient mourir ceux de ce party-là qui fe refugioient chez eux. Mais s'ils vouloient recevoir la g u e r r e , ils retenoient les boucliers, & renvoyoient les meffagers qui eftoient venus la déclarer. Ils avoient une Loy par laquelle ils pouvoient faire des efclaves. Il n'y avoit point entr'eux d'ufuriers. Pour X x ij

Ils faifoient des clac sefv


364

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l'elevation de leurs enfans , auffi bien des Seigneurs principaux, que du commun , foit pour les en doctriner & chaftier l'on y apportoit tous les foins imaginab l e s . Apres leur naiflanee , les mères leur donnoit du l a i t , & s'il falloit quelles priffent une nourrice elles faifoient rayer des goûtes de leur lait fur l'ongle, & s'il ne couloit point à caufe de fon épaiffeur , il eftoit D e reducation de leurs enfans. b o n . La m e r e , ou la nourrice qui allaitoit un enfant ne changeoit point de v i a n d e , mais en mangeoit toujours une femblable depuis le commencement de leur nourriture jufqu'à ce que l'enfant fuft fevré. Ils leur bailloient à tetter quatre ans d u r a n t , de elles les eflevoient avec tant d'amour que de crainte de revenir enceintes elles evitoient tant quelles pouvoient la fréquentation de leurs maris. Si elles devenoient veufuesen donnant à teller à leurs enfans , elles ne fe remarioient point qu'elles ne les euffent fevrez. Aux enfans des Seigneurs on obfervoit exactement d e ne leur d o n n e r que d'une forte de viande , & ayant atteint l'âge d e cinq a n s , ils les portoient au T e m p l e , pour y fervir, & pour y eftre inftruits. Ils efloient fort foigneux de r e commander les enfans à leurs Dieux , & faifoient des offrandes, des v œ u x , & des facrifices pour leur fanté. Ils leur mettoient autour du col des billets où eftoient peints des D é m o n s , & d'autres qu'ils tenoient pour des Saints,& autres femblables Reliques. Les filles eftoient Comme les eflevées avec beaucoup d'honneur & de retenue ; ayant mères efleatteint l'âge de quatre a n s , on les occupoit dans la vervoient leurs fil tu & dans la folitude ; & il y en avoit telles qui ne forles. toient point de la maifon d e leurs pères qu'elles ne fe mariaffent. O n les menoit rarement au T e m p l e , encore eftoit-ce pour accomplir les vœux que les m è res avoient faits en l'enfantement , ou pour des maladies Elles y alloient accompagnées de quantité d e vieilles, & elles ne hauffoient point les yeux fur qui que ce fuft , ny ne partaient point. Les hommes n e mangeoient point avec les femmes avant que d e 1522


DES I N D E S

O C C I D E N T A L E S ,

Liv.

IV.

365

fe marier. Les maifons des Seigneurs eftoient fort 1522. grandes ; il y avoit de grands jardins & des vergers; & Les maifons des l'appartement des femmes eftoit à part. Si les femmes Seigneurs efgrandes, fortoient un pas hors de la porte ils les chaftioient fe- toient & la chambre, t e r e m e n t , & lors quelles haufoient les yeux ou tour- des femmes noient la telle en arrière ; & ils les exhortoient toujours eftoit à paris-IV d'éftre fort obeïffantes aux bons confeils qu'il s-leur donnoient. Ils leur apprenoient dés leur enfance à filer, à labourer , à tiftre , & elles n'eftoient jamais oyfeufes. Ils les chaftioient lors quelles quittoient le labeur fans permiffion. A la menteufe , qu'ils tenoient pour un grand vice , ils luy fendoient un peu la lèvre , après quoy elles difoient vérité. Mais maintenant l'on tient qu'elles mentent beaucoup parce qu'on ne les chaftie plus comme L'on faifoit cy-devant. Ils avoient de bons maiftres pour apprendre à bien vivre aux enfans , & leur enfeigner les bonnes couftumes. Ils fe marioient à l'âge de vingt a n s , & demandoient permiffion à leur En quel âge fe les pere de le faire , & celuy qui ne le faifoit pas eftoit te- marioient garçons. nu pour ingrat & mal né. S'il eftoit pauvre ils l'affiftoient de ce qu'ils avoient amaffe pendant leur communauté. S'ils eftoient riches leurs pères leur donnoient des prefens au fortir de leur maifon , & au Capitaine qui avoit foin d ' e u x , & luy demandoient permiffion , outre Ils demancelle que leur donnoient leurs pères ; & ils s'abftenoient doient permit rarement de la demander, parce que celuy qui ne le fai- lion à leurs pèfoit pas eftoit tenu pour u n infame. Les pères alors fai- res & au C a p i taine pour fie foient à leurs enfans de belles exhortations à bien vi- marier. vre, de fe rendre aimables & d'obeïr à leurs fuperieurs, & ils leur répondoient avec beaucoup d'humilité & de refpect. Les Dames auffi confeilloient beaucoup de chofes à leurs-filles, leurs reprefentant qu'elles les avoient mifes au monde & élevées , qu'elles ferviffent à leurs Dieux ; qu'elles-fuffent nettes ; qu'elles gouvernaffent leur négoce avec foin, & autres chofes admirables qui ne fentoient nullement fon barbarifme

X x iij


366

HISTOIRE

1522.

C H A P I T R E Continuation

D

de la mefme

XVII. matière..

Ans la place de Mexique, qui comme nous avons dit cy-devant efloit une tres-grande, il y avoit une fort bonne maifon,qui fervoit d'Audience,où eftoient ordinairement dix ou douze luges qui decidoient les Des luges de differens qui arrivoient dans le marché, & châtioient les Police, delinquans ; & d'autres alloient vifiter les poids & les mefures, & brifoient les faunes. Il y avoit des cabanes où l'on déchargeoit les canos qui apportoient des vivres dans la ville ; il y avoit dans chaque cabane un R e c e v e u r l a mais aucun des droits & fubfides, parce que tout y venoit par eau. Prince ne s'eft fait fervir avec Il y avoit dans la place quantité de mouchars & d'Offitant de m a g n i - ciers, & des Maiftres de divers meftiers, qui attendoient ficence que qu'on les louait, pour leurs j o u r n é e s , & cette police Montezume. eftoit plus grande dans Mexique qu'en pas un autre lieu, à caufe que c'eftoit la Cour, & ou le R o y M o n t e z u m e refidoit,qui efloit férvy & refpecté felon que nous Pavons dit ç y - d e v a n t , o ù j'ay efté fort court, parce que les cérémonies q u e l'on luy faifoit eftoient fi grandes & en fi grande quantité que pas un des Soldans des T u r c s , nv pas un Prince barbare ny Chrefrien, n'en eut jamais tant ny de femblables. Les ouvriers des Arts mecaniques. ques eftoient en grand nombre ; les femmes aidoient beaucoup à leurs maris, & mefme à la g u e r r e , elles combattoient vaillamment pour les aider , parce qu'elles font courageufes & hardies. Lors qu'elles eftoient prefles d'accoucher, elles trouvoient promptement une m a t r o n e , & elles enfantoient fouvent fans elle. Si l'enfant eftoit preffé on avoit recours à la voifine,ou paren-te te, mais fi parhazard la femme avoit deux enfans d'une p o r t é e , il faloit qu'elle les nourrit tous d e u x , & fi elle n'avoit pas les douceurs ny n'eftoit pas régalée comme les autres qui font en couche, qui n'en ont fait qu'en, Si


DES INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. I V .

367

toft que les enfans eftoient venus au monde, ils l'avoient les garçons dans de l'eau froide ; & devenoient par ce moyen dés leur enfance fains fans eftre beaucoup chargez de langes, forts, difpots, alegres, prompts & légers. L'enfant eftant venu au monde , les parens le venoient

1522. Ils l'avoient les enfans à leur naiffance dans de l'eau froids.-

voir, & luy difoient : Tu es venu pour endurer, fouffre & en-

dure.Lzs pères donnoient au garçon u n e flèche & un arc, le aux filles un fufeau & une quenouille pour filer, leur lignifiât par là qu'il faloit vivre du travail de leurs mains. Les Rois ou Seigneurs fouverains tiroient tribut de Quelle force de gens payoient quatre forte de perfonnes, parmy lefquelles eftoit com- les tributs. pris le commun peuple. Les premiers eftoient les riches & qui poffedoient beaucoup ; les féconds eftoient les Seigneurs qui n'alloient pas par fucceffion, & qui ne poffedoient ce titre que par donation de R o y , pour s'eftre fignalez à la guerre à fon fervice, félon les gens qu'il avoit dans fon quartier. Les troisièmes eftoient les Marchands qui eftoient de bonne famille, parce que perfora ne ne la pouvoit eftre que de pere en fils, ou parla permifîion du Roy ou Seigneur, & ceux-là jouiffoient de certaines franchifes, à caufe qu'ils eftoient neceffaires à la Republique. Les Officiers payoient auffi le tribut d u revenu de leurs Offices ; & les Marchands ,-de leur trafic. Tous ceux-cy n'eftoient pas obligez à fervir p e r fonnellement, ny aux œuvres publics, excepté dans la neceffité, ny de faire les labourages pour les Seigneurs, parce qu'en payant le tribut cela les exemptoit. ils avoient entr'eux l'un des principaux de leur corps qui eftoit comme Conful, pour traïtter de leurs affaires avec les Seigneurs, & ceux-cy alloient dans les quartiers, parce qu'il y avoit dans chaque quartier de toute forte de gens. Ces tributs fervoient pour le bien public ; pour la Les tributs guerre, pour payer les Gouverneurs, les Miniftres de Iu- eftoient e m llice & les Capitaines, parce que toutes ces fortes de ployez pour le bien p u b l i c gens mangeoient ordinairement dans le Palais du R o y , où chacun avoit fon domicile & lieu qui luy eftoit deftiné félon fon office & qualité ; & il n'eftoit pas au pouvoir du Seigneur de difpofer de ces tributs à fa volonté , par-


368 1522. Mayeques , que c'eftoy.

ce

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c e que cela faifoit murmurer le peuple & les gens d e condition. La quatrième façon de tributaires eftoient les Laboureurs, qu'ils appellent Maycques qui occupoient les terres d'autruy ; parce que les autres d e u x façons de tributaires avoient tous des terres en propres ou en commun, dans leurs quartiers ; & ces Mayeques n e les tenoient qu'à rente. C a r dans les commencemens que l'on divifa les terres à ceux qui lès avoient gagnées, il n'écheut rien à ceux-cy, comme il arriva depuis, lors que les Chreftiens les ont conqueftées , parce qu'il echeut aux uns des t e r r e s , & aux Indiens , & à d'autres rien. Ces Mayeques ne pouvoient quitter une t e r r e pour aller à une autre, ny abandonner celles qu'ils lab o u r o i e n t , dont ils payoient la rente à ceux de qui ils tenoient félon l'accord fait entr'eux, des mefmes grains qu'ils recueilloient ; & ils ne payoient aucun tribut à erfonne qu'au Seigneur de la t e r r e , n y ils ne travailoient point aux terres qu'ils avoient en commun ; parce qu'au lieu du tribut qu'ils payoient au Roy, ils donnoient au Seigneur des terres qui labouroient, ce que nous avons déjà dit, & les tenoient & nommoient comme à eux appartenant, parce qu'ils avoient l'utilité de la t e r r e , & les Maiftres le droit, & cela s'eft fait de tout temps du confentement des Rois ;&ceux cy fervoient feulement à la g u e r r e , parce qu'il n'y avoit perfonne d'exempt ; & les Seigneurs avoient fur eux la lurifdicVion civile & criminelle. Lors que le Seigneur mouroit, & qu'il laiffoit des enfans , il pouvoit divifer fes terres patrimoniales, & laiffer les M a y e q u e s , & les terres qu'il tenoit félon fa volont é , parce que ce n'eftoit pas un droit d'aifneffe. Maintenant ces deux fortes de tributs, qui font tout d e u x d u c o m m u n , à fçavoir les Marchands & les Officiers des quartiers, o n t eux convertis en tributaires du R o y de Caftille, & de facteurs ou commis particuliers. Les Seigneurs feulement demeurent avec leurs Mayeques, & quelques particuliers aufîi qui les tenoient, & eftoient dans leurs terres patrimoniales. Il y avoient auffi des

p

terres.


DES INDES O c c i D E N T A L E S , Liv. I V . 369 terres remarquables, qui eftoient infeparables de la 1522. Seigneurie , qu'ils appelloient de Seigneurie-, & de celles-cy le Seigneur n'en pouvoit pas difpofer, mais ils les affermoient comme bon leur fembloit , & ce qu'ils en tiroient de rente, qui montoit affez haut, fe dépenfoit en la Maifon du Roy ; parce qu'outre que Les Seigneurs, tous les principaux y beuvoient & mangeoient , les les Voyageurs , & les pauvres Voyageurs & les pauvres y eftoient auffi nourris 5 à vivoient en la caufe dequoy les Roys eftoient fort honorez & obeïs ; maifon du Roy. & ce qui manquoit pour fatisfaire au refte de la dépenfe , ils y fupleoient de leur domaine. Enfin les laboureurs payoient les tributs réels & perfonels. Les Marchands & les ouvriers payoient t r i b u t , mais non perfonel, excepté en temps de guerre ; & dans ce tribut la Nobleffe n'y eftoit pas comprife, parce qu'elle fervoit actuellement à la guerre, & aux Gouvernem e n s , & administration de la Iuftice, & affiftoient en la maifon du Roy ; les autres fervoient de domefti- N o m b r e d e g é s ques, & d'efcuyers, pour l'accompagner ; les uns fer- qui affiftoient en la maifon du voient de Meffagers, & pour faire des affaires ; les au- Roy. tres pour mener les laboureurs à la campagne, ou à d'autres choies publiques, ou pour des feftes & des fervices qu'ils rendoient au Seigneur ; & pour c e t effet ils eftoient tous difperfez dans les quartiers. Il y en avoit encore d'autres qui tenoient des gens à charge, & a c compagnoient le Seigneur qui ne payoient point de tribut ; & à tous ceux-cy le Roy leur donnoit le vivre & le logement, & quelques laboureurs pour les fervir, félon les perfonnes & la qualité d'un chacun ; mais ils n'eftoient perpétuels ; parce que l'on nommoit tantoft les u n s , tantoft les autres, de forte que l'on ne rendoit jamais tribut à deux Seigneurs. Ceux-là eftoient encore exempts, qui eftoient fous la domination de leurs pères, les orphelins , les bleffez & les veufves ; & parce que ce n'eftoit pas leur faute s'ils ne pouvoient labourer la terre , on ne la leur oftoit pas p o u r cela pour les donner à d'autres. Les pauvres mendians eftoient auffi exemps de tribut. L'on obfervoit un bon Yy


370 1522

D e s chofes que l'on payoit pour tribut

Des prefens v o lontaires qui fe faifoient aux Seigneurs.

H I S T O I R E

ordre pour lever ces tributs ; & dans chaque P r o v i n c e , villes & vilages on les payoit félon la q u a l i t é , les gens & la terre qu'ils occupoient , de ce qui s'y recueilloit & qui s'y labouroit, fans qu'il fuft neceffaire de fortir de fa terre originaire, d'une terre chaude à une froid e , & d'une froide à une chaude. Le tribut commun' eftoir de m a y z , de fafeols, & de cotton , & pour c e t effet chaque vilage avoir quantité de terres & d'efclaves qui les gardoient & labouroient, & qui fourniffoient la maifon de bois, d'eau & de fervice. Les ouvriers payoient tribut de ce qui concernoit leur travail ; & jamais l'on n'a levé le tribut par tefte , mais l'on taxoit feulement le vilage ou bourg à ce qu'il d e voit d o n n e r , & chacun apportoit dans ion temps t o u r ainfi que l'on fait en F r a n c e la levée des Tailles. D a n s ce r e n c o n t r e , il arrivoirqu'un vilage donnoit le cotton, 8c d'autres le mettoient en œuvre. D'autres fournirfoient du poiffon & de la venaifon ; de l'or o ù il y en avoit , qu'ils donnoient en p o u d r e , & le recueilloient dans les rivières fans aucun travail ; fi bien que ces tributs fe levoient avec tant de facilité, que les perfonBes n'en eftoient pas prefque incommodée. Et comme il y avoit grand nombre de p e u p l e , la richeffe q u e l'on en droit eftoit grande ; d'argent il n'y en avoit point ; & tout leur trafic confiftoit en trocs de marchandifes p o u r d'autres marchandifes, qui eft le plus ancien 8c le plus affuré trafic,& plus conforme à la nature,& dont l'on t i roir beaucoup plus de tributs de ces peuples fubjuguez. Les Seigneurs qui eftoient inférieurs à d'autres, rendoient de grands tributs aux R o i s , en de certaines feftes de l'année pour marque de vaffelage. Les Marchands auffi, comme gens riches, & eftimez des Seigneurs ; ils leur faifoient des prefens volontaires, pour ces feftes ; mais ils ne les donnoient pas feparément; une feule perfonne les recueilloit & les portoit au R o y au nom de tous. Les tributs des grains fe ramaffoient dans une maifon au temps de la r é c o l t e , & de là ils les portoient au Seigneur. Les autres tributs des M a r -


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv.IV. 3 7 1 chands & des ouuriers fe délivroient de 20. en 20 jours, 1522. ,&d'autre de 80. en 80. parce qu'ils comptoient chaque mois de 20. jours ; & ils ne payoient pas tous le tribut chaque mois, mais comme il efcheoit pour leur part & portion ; Ainfi l'on portoit des tributs tout le long de l'année. La mefme chofe fe faifoit des fruits, du poiffon, & des pourcelines ; de forte que les maifons des Seigneurs eftoient fournies tout le long de l'année fans qu'il y manquait de r i e n , parce que les tributs eftoient infaillibles, & fans aucune variété ; ny il n'y avoit aucune confufion entr'eux pour leur levée , ny pour le labourage des terres ; car il y avoit des Maiftres qui eftoient deftinez pour cela. L'année où En temps de fail y avoit de la fterilité, ou de la pefte, l'on ne levoit m i n e & de pefte Rois ne lepoint de tributs, & s'il eftoit neceffaire de fecourir les les voienc point-de pauvres, les Rois leur donnoient dequoy vivre, Se des tribut. grennes pour lemer, parce que leur intention eftoit de confèrver leurs vaffaux entant qu'il le pouvoit faire. Le fervice perfonnel & ordinaire de chaque jour pour l'eau & le bois, il eftoit divifé par les journées félon les vilages & les quartiers, de forte qu'il écheoit tout au plus une ou deux fois l'année, & entre les plus proches d'entre e u x , & pour eux mefmes, ils eftoient foulagez en quelque façon par les tributs des autres. Quelquesfois il arrivoit que tout un vilage alloit porter le bois qui leur écheoit tout eu un voyage ; & le plus grand fervice qu'ils rendoient en cela, ils le faifoient faire par des efclaves, dont ils avoient grand nombre. D a n s le temps de leur G e n t i l i t é , ils travail- Les Indiens aJoient tous pour les Republiques dans leurs mefmes voient quantité d'efclaves. vilages, tant h o m m e s , femmes, qu'enfans, beuvant & mangeant à leurs heures, & faifoient ainfi leurs ouvrages en commun avec beaucoup de contentement, parce que ce font gens qui ne font pas grand chofe eftant feuls, mais accompagnez ils font des merveilles ; & toutefois fix d'entr'eux ne font pas tant de befogne qu'un Caftillan, parce que comme ils mangent p e u , auffi ne peuvent-ils pas faire beaucoup de befogne. Y y ij


1522. Les Indiens font de peu de fatigue,& pourquoy.

C o m m e ils fe gouvernoient d a n s leur travail.

372. HISTOIRE Leurs Temples & les maifons publiques des Seigneurs o n t toujours efté battis par le commun avec beaucoup de joye & de contentement. Ils fortoient de leurs maifons à la levée du Soleil, après avoir paffé le froid du matin & mangé leur fuffifance félon leur couftume, chacun travailloit comme il pouvoit, fans que l'on les preffaft, ny que l'on les maltraitait ; puis ils fortoient de la befogne avant que le froid de la nuit les furprift, auffi bien l'Efté que l ' H y v e r pour fe garantir de la mauvaife température du froid ; parce que tous en commun alloient tout nuds, ou avec fi peu de veftement que s'ils n'en euffent point eu. Si-toft qu'il tomboit quelque e a u , ils tafchoient de fe mettre à couv e r t , parce que t o m b a n t fur le d o s , fi peu que ce fut ils trembloient de froid ; & ainfi tous en commun ils eftoient bien d'accord, & fe confoloient les uns les autres. S'eftant retirez dans leurs maifons , qui pour eftre petites font à l'abry des v e n t s , qui leur fervent comme de veftement, leurs femmes ayant fait du feu & apprefté leur fouper , ils fe rejoüaient avec elles , & avec leurs enfans felon leur chetive condition. C H A P I T R E De

Matalzingo

L

XVIII.

& d'Vtlatlan, en continuant matière du Chapitre précèdent.

la mefme

E s Matalzingos avant que le pere de M o n t e z u m e Les Seigneurs leur fift la g u e r r e , avoient trois Seigneurs ; l'un n'entroient qui eftoit le plus grand , le fécond qui eftoit moindre , point immédiatement à la & le troifiéme plus petit que les deux autres. Le p r e Seigneurie a- mier venant à décéder qui portoit le nom & qualité pres la mort de de la Seigneurie qui eftoit Tlatuan, le fécond entroit leur pere. en fa place, qui s'appelloit Tlacafecatle ; 6c à la place de celuy-cy entroit le troifiéme , qui s'appelloit Tlacuxcalcatl ; à la place de ce troifiéme ils nommoient un fils ou frère du p r e m i e r , celuy qui eftoit le plus digne & le plus capable pour cette charge ; de forte que pas un d'eux n'entroit immédiatement à la place de fon


DES

INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. I V .

373

p e r e , mais ils dévoient ainfi monter de degré en de1522. g r é , & à la fin ils eflifoient celuy qui entroit. E t fi celuy du milieu manquoit, l'on mettoit en fa place un frère , ou fils du fécond , & fi le troifiéme m a n q u o i t , où ils élifoient fon fils ou fon frère pour occuper fa place ; de forte que l'on nommoit toujours à cette charge le plus digne & le plus capable. Ces Seigneurs avoient leurs vifages & leurs quartiers feparez les uns des autres qu'ils appelloient Calcules, & venoient rendre fervices à leur Seigneur qui eftoit reconnu pour tel ; & celuy-cy avoit dans chaque vilage ou Calpul, l'un des II y avoit un principaux du lieu pour Gouverneur perpétuel ; & fi Gouverneur chaque celuy l à m o u r o i t , cette Communauté élifoit un frere, dans vilage. ou le plus proche parent du mort , le plus habile & c a p a b l e , puis ils portoient l'acte de l'élection au Suprême Seigneur, afin qu'il l'approuvait, & celuy là le communiquoit aux deux autres ; & fi l'élection eftoit bien-faite , elle eftoit confirmée, ou a u t r e m e n t , ils en faifoient faire une autre. Le tribut que ces vilages ou Calcules payoient , eftoit l e s fortes d e en grains, qu'ils livroient entre les mains de ceux qui tributs de ces Indiens. les dévoient femer après avoir labouré les terres, ce qui s'effectuoit ponctuellement ; puis lorsque la récolte fe faifoit ils enfermoient le Mayz, leslesFafeols,&le Bautly, qui eft ce qui fe donne en cette valée; & de là l'on fourniffoit la maifon du Seigneur de tout ce qui eftoit neccffaire ; Et lors que les Gouverneurs ou Tequitlatos venoient à la maifon du Seigneur, ils menoient avec eux plufieurs des principaux, que le Seigneur recevoir fort bien, & leur faifoit donner à manger, & le logement tant qu'ils eftoient aveque luy,&tout ce qu'ils avoient befoin ; tout cela fe faifant par les efclaves du Seigneur , dont il en avoit bon nombre. Ils Les Seigneurs avoient toujours quantité de Mayz de referve pour les faifoient provide mayz années fterilles ; car quand la femme auroit duré qua- fton pout les années tre a n s , les Seigneurs ne demandoient aucune chofe à fteriles. leurs vaffaux ; bien au contraire, ils ordonnoient que l'on leur donnait de fes greniers du Mayz & des Fafeols Y y iij


1522.

C o m e Ce nour riffoient ceux qui g o u v e r noient.

H 1 S T O I R E 374 qui avoient efté amaffez pour les fuftanter, parce qu'il y en avoit d'ordinaire une grande provifion. Ils eftoient fi affables envers leurs domeftiques & vaffaux, qu'ils ne les traitoient que de pères, de frères,.& d'enfans félon leur âge ; & les eftimoient beaucoup , lors qu'ils faifoient leur profit ; fi bien qu'ils faifoient du mieux qu'ils pouvoient, & tafchoient de les rendre meilleurs que leurs predeceffeurs ; Parce que celuy qui fe r e n doit tyran, quoy qu'il fuft des Suprêmes, ou des autres, ils avoient une loy entre eux qui leur permettoit de les dépoffeder, & d'en élire d'autres en leur place ; Et les derniers Indiens en virent dépoffeder un pour s'eftre mal gouverné envers fes vaffaux. Ils ne payoient point le tribut des femences pour les Seigneurs fuprémes & inférieurs, qu'à l'un de leurs Receveurs qui refidoient dans Leurs vilages. Encore que chacun de ces Seigneurs avoit fes vilag e s & quartiers qui luy eftoient affectez, & leur jurifdiction, lors qu'il arrivoit quelques affaires de peu de confiderations, ils avoient recours au troifiéme ou au fécond,.& l'un d e u x , ou tous d'eux enfemble les expedioient: & fi ceftoit quelque chofe de grande confequence,ilsen faifoient part au Supréme,& tous enfemble là décidoient. Les Laboureurs de Mayz de ces vilages ou Calpules faifoient chacun leurs femailles pour e u x , o ù bon leur fembloit, & où ils trouvoient que la terre fuft meilleure, & propre pour cela, & femoient à leur v o l o n t é ce qu'ils vouloient ou pouvoient ; & fi le Gouverneur devenoit malade, ou le principal,il prioit les autres du quartier que l'on luy labouraft & femaft fa t e r r e en fa p l a c e , comme à un neceffiteux, à quoy l'on ne manquoit pas. Lors que le Suprême faifoit quelque fefte, les inférieurs prioient ceux qui agiffoient p o u r eux, d'aller à la chaffe, & ils apportoient de la venaifon, des lapins, & des infectes qu'ils mangeoient, pour les prefenter au Suprême , fans en tirer aucun intereft ny profit, qu'à fa v o l o n t é , & ils portoient & donnoient ce qu'ils avoient pris où à peu prés.


DES I N D E S O C C I D E K T A É E S , Liv.lV.

375

Dans chaque vilage ou Calpul, les trois Seigneurs 1522. Suprêmes avoient des terres en propre, lefquelles pour L'on y donnoit éftre bonnes il y avoit des Laboureurs qui les affer- des terres à moient, quoy qu'ils puffent volontairement travailler rente. à celles du commun de gré à g r é , comme il a efté dit cy-devant ; & donnoient pour ces terres ce que l'on convenoit aux Gouverneurs qui les avoient à c h a r g e , & donnoient quelques volailles, qui valoient peu en ce temps-là, ou de la venaifon, qui n'eftoit pas de grand valeur non plus dans la faifon ,& ceux qui fourniffoient ces choies nettoient pas obligez de fournir les femailles pour le tribut. Apres que Axayacazin les eut affujettis, il fie m o u rir les deux moindres Seigneurs à caufe qu'ils avoient témoigné d'eftre rebelles en quelque chofe, & prit Les fujets fe fon le voient par le pour luy leurs terres ; & quant au Seigneur principal mauvais g o u qui de fon propre nom eftoit appelle Chimaltecutlit , vernement des & Tlatoane à caufe de la dignité & Seigneurie qu'il Seigneurs,. poffedoit. Et d'autant que les vaffaux de celuy-cy fe voulurent foûlever contre luy, parce qu'il les affligeoit extraordinairement, pour fervir & agréer à celuy de Mexique , il vint une féconde fois contre eux, & leur fit la guerre. Quelques uns fortirent de leur païs nat a i , principalement ceux de Conacantepec, qui S'en allèrent à Mechoacan, qu'ils appellent aujourd huy Tlanlan, & ainfi ils demeurèrent fous la domination du Seigneur Les Matalzinde Mexique. Outre cela tous les Matlazingos faifoient gos font un laun labourage pour le Seigneur d e M e x i q u e , dont la bourage pour le terre contenoit huit cens briffes de long, & huit cens Roy de M e x i que. de large. Ils mettoient les fruits de cette terre dans leurs greniers pour eftre appliquez à la guerre & aux neceffitez de la République , & ne fe pouvoient ufer en autre chofe , & agiffoient contre le Seigneur qui Fintentoit, comme l'on a cy-devant dit que fon faifoit dans Mexique. C e t Axayacazin eftant m o r t , d'autres Rois luy fuccederent jufques à Montezume qui regnoit lors que les Caftillans entrèrent dans cette terre , lequel faifoit grand eftat des vaillans hommes,


376

1522.

H I S T O I R E

car il les aimoit, les h o n o r o i t , & leur faifoit de grandes faveurs, à caufe qu'ils eftoient voifins de ceux de Mechoacan.

Avant les Roys de Mexique , les terres eftoient communes.

Ceux de Cuatem a l a avoient des antiquitez d e plus de huit cens ans.

Avant que les Rois de Mexique empiéterent cette grande domination, toutes les terres eftoient c o m m u nes , & celuy à qui écheoit une bonne t e r r e , il la labouroit toujours, & fes fucceffeurs après luy, & fi elle n'efloit pas b o n n e , il l'abandonnoit pour en chercher une meilleure entre celles qui vaquoient ; car ceux qui eftoient en poffeffion quelques autre meilleure, on ne les leur pouvoir pas ofter ; ce qui s'obfervoit, par tous les vilages ou Calpules, excepté celles qui eftoient deftinées de toute ancienneté aux Seigneurs, & celleslà eftoient fort b o n n e s , qu'ils faifoient labourer, ou qu'ils bailloient à r e n t e , comme il a efté dit cy-devant ; & ils ne pouvoient les aliener, parce qu'elles appartenoient & dépendoient de la Seigneurie, qui eltoit c o m m e le fief noble , en appanage des Seigneurs. Dans la Province d'Vtlatan tout proche de Guatemala, l'on verifia par les peintures que les Originaires de la terre avoient gardées de leur a n t i q u i t é , de plus de huit cens ans paffez, & par les anciens du païs, que du temps de leur Gentilité y avoit toujours eu trois Seigneurs, & que le principal avoit trois tapis de plumes très-riches à fon fiege en façon de doffier, le fécond deux ; & le troifiéme un. L'ordre qu'ils obférvoiant en leur fucceffion & gouvernement eftoit qu'ils m o n toient de degré en degré à cette dignité, & celuy qu'ils élifoient eftoit toûiours pour le plus bas degré qui eftoit celuy d'un t a p i s , & cette élection fe faifoit par les principaux en la mefme forme qu'il a eflé dit cyd e v a n t d e ceux de Mexique ; & ceux de Matalzingo en ufoient de mefme, ils élifoient le frère ou le fils de celuy qui m a n q u o i t , le plus habile à fucceder ; & enfin, tout cela fe faifoit en la mefme forme qui eftoit ufitée dans la Nouvelle Efpague.

C H A P.


DES

INDES

OÇCIDEKTALES,

Liv.lV.

377 1522

C H A P I T R E

Des otemies & de

XIX.

Xilotepec. Les troupeaux beaucoup en ces terres.

L

multiplient

Es Otomies obfervoient de nommer des Gouverneurs pour maintenir les vaffaux dans leur devoir, & les élifoient eux-mefmes, , ils prenaient le fils de celuy qui decedoit ou un fien frère , le plus habile à fucceder ; & au défaut de ceux-là , le plus proche par e n t , pourveu qu'il fuft capable pour cette charge ; or ceux-cy eftoient toujours les principaux d'entre eux , & de la maifon des Seigneurs ou des parens. Les moindres donnoient ordre aux affaires qui fe prefentoient ; & fi c'eftoit affaires de mort, ou d'importance, ils le communiquoient au troifiéme. Les tributs qu'ils payoient eftoient des grains de mayz , & d'autres femences. D a n s Vtlatan il y ayoit de grands Temples, & en Des Temples d'Vtlatan,. quantité de leurs Dieux , baftis d'un merveilleux artifice. Ils en avoient encore d'autres dans les vilages circonvoifins. L e principal de ces Temples eftoit dans un vilage qu'ils appelloient Chichimala, cette peuplade d'Vtlatan eftoit tenue pour un Sanctuaire ; & ce qui le faifoit eftimer t e l , eftoit à caufe de cette diverfité de Temples fi magnifiques. Il y a une autre Province dans le détroit de Mexique, appelle Xilotepec , qui efcheut en la recommandation de Iean Xaramillo , & à Iean Perez de Boca-negra , qui eftoit peuplée la plufpart d ' O t o m i e s , que l'on tenoit avoir efté occupée par ceux de M e x i q u e , lors que les fept lignées y arrivèrent, & que les en ayant chaffez, ils fe difperfexent en plufieurs endroits de la terre. Ceux de cette tomies génération d'Otomies ont l'efprit fort lourd , font gens &Desde O leurs fans honneur, ont l'ame lafche , & font barbares , c o u f t u m e s . Zz


1522

378 H I S T O I R E & f o r t n e g l i g e n s à apprendre les bonnes coutumes ; leur

langage en Fort groffier & bref ; parce que les R e l i g i e u x ont fait tout ce qu'ils ont pu pour imprimer la doctrine Chreftienne en cette langue, de ils- n ' e n ont jamais pu venir à bout ; car une mefme chofe eftant proférée en hafte, ou pofément, haute ou baffe, à différente figniftcation. Mais nonobftant cela Iean Sanchez d'Alavis, Freffre, l'apprit parfaitement b i e n , & celle auffi des Chichimeques leurs voifins ; c'eft pourquoy il y fit un grand progrés pour la Foy. Et comme par la conquefte de Mexique plufieurs fe retiraient aux confins des C h i ckimeques y ayant efté avec eux un M a r c h a n d Indien, Otomie, appelle Conin, il fe retira avec d'autre fugitifs C o m m e ,fe pen- à un lieu où ils peuplerent un vilage a p p e l l e queretaro, pla le vilage de dans l'étendue de la terre qui eftoit écheuë en partage Queretaro. à Iean Perez de Boca-negra , lequel convenant avec Conin, il fît fi bien qu'il luy fit embraffer la Foy, de le fit b a ptifer,& par fon moyen à tous ceux du vilage,quoy q u e les Chichimeques le menaçaffent de luy jouer un mauvais party. Mais par l'induftrie de Conin, qui eftoit un homme prudent de fage, & d'un efpritilfubtil,&par la predication de Iean Sanchez d'Alavis ; joint avec la bonne converfation de Iean Perez de Boca-negra, il s'en convertit auffi beaucoup. Pour revenir aux O t o m i e s , c e u x Ceux d e X i l o t e - de Xilotepec, font fort carnaciers, ils n'aiment pas le pec font de pain de Canftille , parce qu'ils difent, que ce n'eft que du grands forciers. fruit en comparaifon de celuy de mayz. Ils font grands forciers. E n l'an 1544. qu'il y eut une grande p e f t e , ils montèrent fur un mont qui eftoit fort haut une jeune fille, de l'ouvrirent par le fein de la facrifierent ; les autres fortileges ne font que des chofes ridicules ; parce q u e lors que les femmes ouvrent la plante de Maquey, après qu'elle ont fait cuire la liqueur ; elles l'employent p r e mièrement au feu, & à en arrofer les entrées des portes, en difant, Ne me fatiguez pas mon mary. Ils font grands travailleurs, & font beaucoup plus debefogne que toutes les autres nations de la nouvelle Efpagne, quoy qu'un


D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.

IV.

379

Caftillant faffe plus de befogne en un jour que huit O t o 1522. mies. Ils ont de l'inclination à demeurer dans les lieux folitaires, pour éviter la fugetion, & pour n'eftre point réprimandez de leur yvrognerie ; car quoy que ce vice foit fort commun entre les nations de la nouvelle Efpag n e , ceux-cy furpaffent tous les autres, d'où il arrive quantité de defordres de luxure, & d'autres péchez qui donnent bien de la peine aux Religieux lefquels moyennant la langue qu'ils ont apprife font u n tres-grand profit à cette nation, qui eftoit fort adonnée aux fuperftit i o n s , & ils ont fait ce qu'ils ont pu pour les en détour- Ces Indiens fasner. Les couftumes, religion & cérémonies qu'ils obfer- foient divorce. voient eftoient femblables à celles des Mexiquains, excepté qu'après avoir contracté un mariage, fi la première nuit que les mariez couchoient enfemble ils ne fe pouvoient accorder, ils faifoient divorce, & tous les deux fe pouvoient remarier avec d'autres. Les gens de qualité D e la pentience avoient trois ou quatre femmes, mais le commun n'en des Indiens. avoit qu'une ; C e u x qui perfiftoient dans le mariage, faifoient pénitence pour leurs p e c h e z , qui eftoit d'avoir approché des femmes, & de s'eftre enyvré ; à caufe de quoy ils s'en abftenoient vingt ou trente jours ; Ils fe baignoientôcpurifioient fur le minuit dans des maifons deftinéesà cela ; Ils fe tiroient du fang des oreilles & des bras ; & les femmes faifoient cette mefme pénitence dans leurs maifons. Ils ne facrifioient que des efclaves qu'ils prenoient à la guerre, lorsqu'ils alloient fous les enfeignes des Mexiquains ; ils les tuoient & les ha- D e la p u n i t i o s choient par petites pièces, & les ayant fait cuire ils les des m a l - f a i vendoient dans les places comme une viande rare. L e s e u r s . l a r c i n , la fodomie, l'adultère & le violement eftoient punis de mort. Celuy qui eftoit defobeïffant à fon pere, ils le foüettoient avec des orties, puis ils le baignoient tout le long d'une nuit dans de l'eau froide au fercin. Les jeunes gens s'exerçoient aux armes pour la guerre, ainfi q u e faifoient les Mexiquains. Dans le détroit de Queretaro, il y a une eau coulante

zz

ij


380 HISTOIRE qui eft fi chaude qu'elle bout, & en fe rafraichiffant elle 1522. engraiffe fort les troupeaux, à caufe qu'elle eft falubre. D a n s cette mefme province de Xilotepec, au lieu appelfontaine qui coule quatre ans lé de faint lofeph d ' A t l a , i l v a une fontaine de bonne & en demeure autant fans cou- eau qui coule quatre ans durant dont le jet eft gros comler. me la cuiffe, & eft quatre autres années qui n'en coule pas une goutte, puis ces quatre amiées eft ant paffées elle recommance fon cours, & les années qu'il pleuft beaucoup elle eft feche, & dans les années feches elle coule. A cinquante pas de cette fontaine il y en a une autre d'où il fort perpetuellement un grand bras d'eau, Il y a dans cette Province plufieurs mines d ' a r g e n t , & pluileurs herbes medecinales. Il croift de toute forte d e fruits de Caftille ; Et c'eft une chofe remarquable que depuis le vilage de faint Iean , à celuy de Queretaro, q u i qui font fept lieues., & deux au delà, & autant de traverfe il y paift plus de cent mille vaches, d'eux cens mille brebis & dix mille cavales, tant la terre y eft fertile, d'où De la grande fertilité de la l'on peut confiderer combien les troupeaux qui y ont efté tranfportez de Caftille ont multiplié, parce qu'auparavant il n'y avoit aucune chofe qui apportaft du promût dans cette t e r r e .


DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. IV. 3 8 1 A N N É E .

1523

C H A P I T R E

XX,

Ruy Falero écrit à l'Empereur , & mande l'accord qui avait efté fait avec Eftienne Gomez pour aller au Nort, & chercher le deftroit, & d'autres chofes de Caftille de l'or ; Et que des Rochelois avoient tué Antoine de Quinonez & pris Alonfe Davida.

S

Vivant les nouvelles que l'on avoit receuës des Ifles de l'Epicerie par l'arrivée du navire Victoire, le R o y avoit refolu d'y envoyer une autre armée, à quoy R u y Falero qui eftoit dans Seville le follicitoit beauc o u p , difant qu'il eftoit neceffaire d'y envoyer chaque année une armée ,& qu'il en revinft une a u t r e , parce Ruy falero écrit que les uns feroient toutes preftes à partir avec leurs à l ' a m p e r e u r . charges, lors que les autres arrivoient-là, ce qui fe feroit avec moins de dépenfe, & avec plus de feureté & de profit ; Ils pourroient trafiquer dans plufieurs Ifles, & en d'autres chofes qu'en é p i c e r i e , comme en o r , en pierreries,& en tributs que quelques unes de ces Ifles pourroient contribuer chaque années ; ce qui pourroit caufer une réduction entière de toutes les Ifles fous ï'obeïffance de la couronne de Caftille. Pour donc préparer cette armée avec plus de facilité, & enbref, l'on commanda à Bernardin Melendez qui en avoit efté Bernardin M e nommé Treforier, d'aller dans la Coruna faire des pro- lendez va ramaf visions de vivres & de munirions. L'on commanda auffi à fer des vivres & D o m Antoine de la Cueva Gouverneur de Galice qu'il m u n i t i o n s pour l ' a r m é e des Me employait tous fes foins à faire cette diligence. Mais luques dans la d'autant que quelques Corfaires rodoient le long de cet- C o r u n a , t e cofte, & mefme en celle de l'Andaloufie, & qu'ils avoient pris quelques navires qui tranfportoient des bleds pour faire le bifcuit pourcette armée l'on ordonna que les Navires qui fe préparaient dans Laredo pour ce voyage,fortiffent, & donnaient la chaffe à ces Corfaires. Ruy Falero écrivit auffi au R o y , que le Roy de Portugal Z z iij


382 Histoire avoit un tel reffentiment de ce que les Caftillans avoient 1523 entré dans l'Epicerie , que l'on traitoit dans fon Confeil de dôner à fa Majefté quatre cent mille ducats,pour qu'il fe defiftaft de ce negoce ; & qu'un Seigneur Portugais Avis que Ruy falero donne au luy auoit offert de grandes faveurs au cas qu'il vouluft retourner au fervice du Roy de Portugal, mais qu'eftant Capitaine pour fa Majefté comme il eftoit il ne le feroit pas ; qu'il le vouloitfervir ; & le fupplioit de luy d o n n e r la permiffion d'armer un navire ou d e u x , pour luy à fes rifques pour paffer à l'Epicerie , & qu'il s'obligeroit d e payer la troifiéme partie de ce qu'il gagneroit, exempte de tout frais & dépenfes. D a n s ce mefme-temps fa Majefté s'eftant informée de plufieurs Cofmographes,pour fçavoir fi l'on pouvoit aller facilement pour découvrir les terres du CatayOrient O p i n i o n qu'il y tal , par quelque détroit que fon jugeoit qu'il y avoit de avoit un detroit la mer du N o r t , au Sud, dont l'un de ceux qui traitoit de de la mer du cela eftoit le Pilote Eftienne G o m e z , parce qu'il eftoit N o r t au Sud. affuré que la C h i n e & toutes fes terres confinoient à fes limites ; L'on fit armer une Caravelle du port de cinq u a n t e tonneaux, pourveuë de tout ce qui luy eftoit n e ceffaire, qui pourroit couftier quinze cens ducats , dont le R o y en devoit fournir la moitié, & certains marchands l'autre ; parce qu'il affuroit qu'allant par ce chemin au C a t a y Oriental ils trouveroient plufieurs Ifles & Provinces qui n'avoient point encore efté découvertes, & qui eftoient fort riches en or, en a r g e n t , en drogues & épiceries ; en quoy Eftienne G o m e z ne fe fourvoyoit point ; car je croy qu'il vouloit entendre parées Ifles les Philippines & la Chine. Pour donc faire ce voyage, avant toutes chofes, l'on traita avec luy, que fur tout il n'entreroit point dans les limites du R o y de Portugal, attendu que fa Majefté vouloit garder la capitulation qu'il avoit faite avec luy. L'on donna permiffion à qui vouO p i n i o n d'Edroit de charger des marchandifes dans cette C a r a v e l ftienne G o m e z , l e , à condition qu'eftant de r e t o u r , ils ne payeroient & ne l'accord que la vingtième partie de ce qu'ils auroient gagné qui q u e l'on fait avec luy. feroit employée pour la rédemption des Captifs. L'on


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INDES

OCCIDÈNTALES,

Liv.IV.

383

permit auffi qu'après avoir troqué les danrées de fa 1523 Majefté, & de ceux qui auroient chargé & armé , les Mariniers du Navire pourroient troquer leurs caiffes & leur quintalage, fans que pour cela ils fuffent obligez d'en payer aucun droit dans ces Royaumes, que la vingtième partie ; pourveu que la quantité de chacun d'eux n'excedaft pas deux cent ducats ; & que p a f f é cela ils payeroient la cinquième partie. Q u e s'il le faifoit quelque prife dans le voyage, l'on en fift trois parts ; l'une pour Eftienne G o m e z , & les gens du Navire , & les deux autres, pour le Roy , & pour ceux qui avoient fourny l'armement ; lefquels les autresfois que l'on r e tournerait à ce voyage , de ce qu'il coufteroit pour l'équipage ils contribueroient au fol la livre. Cet accord eftant conclu & arrefté , le R o y commanda de délivrer les dépefches, afin que dans la Seigneurie de Bifcaye, & quatre villes de la cofte de la mer l'on donnaft toute Faveur pour forte d'aide 6c de faveur pour l'armement de ce Navire, l'armement de afin auffi que Chriftofle de Haro facteur de la maifon d'Eftienne Garde Contradiction de l'Epicerie, donnant les fept cent diez. cinquante ducats du Roy ; & que des provifions que François Mexia & Bernardin Melendez faifoient dans la Coruna l'on donnaft ce oui feroit neceffaire fuivant l'accord , à quoy l'on travailloit inceffamment ; parce que Sebaftien Gaboto Capitaine pour le R o y , & Pilote M a j o r , lequel croyoit auffi qu'il y avoit plufieurs Ifles à découvrir proche des Moluques. Auffi-toft après Gille Gonçalez Davila retourna de la terre ferme de fa découverte, s'en alla à l'ifle Eipagnolle,fort mal content de Pedrarias,pour quelques déplaifirs qu'il en avoit receus; Si bien que par la connoiffance que Pedrarias avoit euë de ce qui s'eftoit trouvé , & de la richeffe que ceux qui avoient affifté à cette découverte promettoient de cette terre ; & fçachant d'ailleurs que Gille Gonça- Gilles Gonçalez à l'Efpeglez s'en eftoit allé en intention de retourner , & faire va nolle fe plainfon entrée par la mer du Nort ; fans perdre de temps il ite de Pedraenvoya peupler la baye de Fonieca, ordonna à ceux :ias. qui peupleroient plufieurs franchifes & prééminences ;


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H I S T O I R E

& refolut d'envoyer des Capitaines en d'autres endroits 1523. pour occuper cette terre avant que Giiie Gonçaiez r e tournaft de forte que ces gens y alloient de bon courage fous pelperance de s'enrichir , félon l'efperance que leur en avoient donné c e u x qui y avoient efté. C e edrarias en Voye peupler la fut Pedrarias qui donna le nom à cette baye , pour Iean baye de Fonfe- Rodriguez de Fonfeca, & l'Ifle qui eft d e d a n s , il la fit ça. nommer Petronila à caufe d'une fienne niece. O v i e d o envoyé G o n ç a l e Fernandez d'Oviedo vifiteur des fontes d e u n e caravalle au p o r t de C a r i a Caftille de For, envoya de Darien une caravelle qu'il gene, avoit armée à fes d é p e n s , au port de Cartagene,où les Indiens Caribes tuèrent Iean de la C o f a , & mirent en déroute le Capitaine Alonle d'Ojeda ; car c'eftoient les gens les plus farouches que l'on n'euft point encore rencontrez dans la terre ferme. Mais le Capitaine de la Caravelle les fçeuft fi bien pratiquer , qu'il confera avec e u x , & eut d'eux deux cent trente poids d'or pour des jolivetez de Caftille, & demeurèrent bons amis , & les Indiens dirent aux Caftillans qu'ils retournaffent dans trente jours & qu'ils leur donneroient davantage d'or. Mais ces Indiens s'en eftant r e t o u r n e z , ne voulur e n t pas revenir d e crainte qu'il ne vinft quelques a u tres vaiffeaux de guerre. Cependant comme il eftoit Accord fait neceffaire d'y apporter quelque remède ; Le R o y acavec G o n ç a l e s c o r d a à Gonçales Fernandez d'Oviedo permiffion de demandez d'Obaftir une fortereffe dans l'Ifle de Codego, qui eft à à emviedobouchure du p o r t , ou dans le port mefme,& luy en d o n na la Lieutenance ; à condition que pendant le terme de d e u x ans , à commencer du jour qu'Oviedo commenceroit d'armer , perfonne n'iroit trafiquer à douze lieues à la ronde ; ny mefme dans les lues de faint Bernard , que le fufdit Oviedo , ou autres par fon o r d r e , parce que l'on jugeo.it que c'eftoit-là le vray moyen d e pacifier ces Indiens , moyennant quoy il payeroit au R o v le Q u i n t de l'or qu'il avoit en troc , & que pour toute prefixion on luy donnoit l'année fuivante de 1524. pour mettre en exécution la fabrique de la fortereffe, & le refte ; moyennant quoy auffi on luy donnoit la fa culté I


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INDES

O C C I D E N T A L E S , Liv. I V .

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culte de pouvoir armer un brigantin aux dépens du 1523Quint qui appartenoit au Roy, & qu'il en armait un autre à fes frais & dépens, & qu'on lu y payait le paffage & les vivres pour cinquante hommes qu'il devoit mener de ces Royaumes pour cette peuplade ; laquelle ne put j a mais fortir à effet pour le peu de forces d'Oviedo; joint que les foldats n'alloient pas de bon courage dans u n e terre fi perilleufe. Eftienne Alonfe Davila, Antoine de Q u i n o n e s , Diego de Ordas, & Alonfe de Mendoça, D i e g o de Ord a s paffe en Efeftoient cependant dans rifle de fainte Marie des Aço- p a g n e , rei , ou ils les attendoient ; mais voyant qu'ils tardoient beaucoup , Diego de Ordas refolut de paffer en Efpagne dans un vaille au de Portugal avec d'autres paffagers, & aborda à Lifbone. D'ailleurs , le Capitaine D o minique Alonfe laiffa dans les Canaries les Navires qui alioient aux I n d e s , & s'en alla aux Açores avec les trois caravelles qu'il avoit,& repaffant en Çaftille avec Alonfe Davila, Antoine de Q u i n o n e s , & les autres paffagers qui eftoient avec eux l'or , & les autres chofes qui leur eftoient reftées à dix lieues du Cap de faint Vincent ils lurent attaquez par fix Navires Rochelois, dont le Capitaine fe nommoit Florin de la Rochelle. L'une des trois caravelles Caftillanes fe fauva en pleine mer ; les deux autres fe mirent en deffenfe, mais quoy que ceux de dedans combattirent vaillamment elles furent accrochées. Antoine de Quinones y mourut, & Alon- Antoine de fe Davila fut enlevé à la Rochelle, d'où eftoient ces N a - Q u i n o n e s eft tué, vires y il y demeura prifonnier trois ans. T o u t e la ri- Alonfe Davila chefle que Fernand Cortés envoyoit au Roy fut prefque & tout ce qu'il toute perdue , tant du prefent que du Quint qui luy ap- amenait eft e n levé à la Ropartenoit,, & un Navire qui venoit de l'lfle Efpagnolle chelle, où il y a voit foixante deux mille ducats, fix cent marcs de perles, & huit mille pefant de fucre.

A a a.


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