Du typhus d'amérique, ou fièvre jaune

Page 1

( 310 ) Un exemple bien frappant servira à confir­ m e r q u e , dans la zone t o r r i d e , il 'n'y a pas de suspension réelle. Celte fièvre cessa entièrement à la Dominique au commencement de novembre, et l'on supposa que ce calme procédait du r e ­ froidissement de la température : mais l'arrivée de quelques vaisseaux américains, environ six se­ maines après, convainquit que ce court i n t e r ­ règne était plutôt dû à l'absence des sujets qu'au changement de saison ; car, en peu de temps, tous ceux qui n'avaient pas été précédemment dans les Indes occidentales furent saisis de ce mal . 1

« On ne connaît aussi, à la V e r a - C r u z , que deux espèces de saisons : celle des tempêtes du nord qui se font plus ou moins sentir depuis l'équinoxe d'automne jusqu'cà celui du prin­ t e m p s , et celle des brises ou vents du sud-est qui soufflent assez régulièrement depuis le mois de mars jusqu'au mois de septembre. Le mois de janvier est le plus froid de l'année, parce qu'il est le plus éloigné des deux époques auxquelles le soleil passe p a r l e zénith de la Vera-Cruz, le 16 mai et le 27 juillet. Le vomito ne commence gé­ néralement à sévir dans cette ville, que lorsque la température moyenne du mois atteint 24° du 1

Clark, p. 4.


( 311

)

thermomètre centigrade. E n d é c e m b r e , janvier et février, les chaleurs restent au-dessous de cette limite : aussi est-il infiniment rare que la fièvre jaune ne disparaisse pas dans cette saison, où l'on éprouve souvent un froid assez sensible. Les fortes chaleurs commencent dans le mois de m a r s , et avec elles le fléau épidémique. Q u o i q u e mai soit plus chaud que septembre et o c t o b r e , c'est néanmoins dans ces deux derniers mois que le vomito fait le plus de ravages ; car, dans les épidémies, il faut un temps p o u r que le germe développe toute son énergie ; et les pluies, qui d u r e n t depuis le mois de juin jusqu'au mois de s e p t e m b r e , influent ensuite sur la production des miasmes qui se forment dans les environs de la V e r a - C r u z . » 1

A D é m é r a r y , plus r a p p r o c h é de la. ligne é q u i n o x i a l e , on compte dans l'année quatre p é r i o d e s , désignées par une saison c o u r t e , pluvieuse, et une longue saison également p l u ­ vieuse ; une saison courte et sèche, et une longue

1

M. de H u m b o l d t , p.

264,

in-4.°,

C. x i i .

Malgré

l'assertion de M. de H u m b o l d t , je reste convaincu que le typhus a régné souvent à la Vera-Cruz dans le mois de janvier. Il ne faut, pour l'y renouveler alors, que l'affluence des étrangers.


( 312 ) et sèche. La longue saison pluvieuse c o m ­ mence en avril et finit en août ; la longue saison sèche dure depuis le mois d'août jusqu'en d é ­ cembre ; la courte humide commence vers la fin de février, et le mois suivant donne la courte saison sèche. L'une et l'autre ne durent qu'une quinzaine. Mais hors des tropiques, les saisons se compo­ sent de quatre époques bien distinctes, dont deux influent sur la génération du t y p h u s , et deux sur sa disparition totale. L'été, en introduisant dans le corps une m o ­ dification toute particulière, met les causes o c ­ casionnelles dans la puissance d'agir, et donne la plus grande prise aux miasmes délétères, soit parce qu'il affaiblit les solides, soit parce qu'il diminue la force de cohésion des fluides, soit par tout autre procédé qui nous est inconnu. Il assimile en outre la chaleur à celle des régions équatoriales, condition nécessaire au dévelop­ pement de la fièvre jaune. L ' a u t o m n e , participant de l'été et des brumes de l'hiver, renforce encore cette première dis­ position, par l'inconstance de la température et l'accroissement de l'humidité ; et si les exhalai­ sons des corps sont également nécessaires à la génération de la maladie, c'est encore dans ces


( 313 )

deux divisions de l'année q u e cette nouvelle cause peut se rencontrer. L'hiver, à son t o u r , élève le ton des organes à ce p o i n t , qu'il les r e n d inaptes à contracter ce genre de typhus ; ou peut-être n'agit-il effi­ cacement que sur le miasme lui-même : il le comprime tellement qu'il le neutralise, et chasse la fièvre jaune alors même qu'elle est dans son plus haut degré . 1

Quelquefois, sur la fin de l'été et au c o m ­ mencement de l ' a u t o m n e , la température se rafraîchit au point d'affaiblir l'épidémie, ainsi qu'il arriva à Charleston en 1745. L'air était devenu si froid le 21 s e p t e m b r e , à huit heures du matin, que le m e r c u r e descendit à 58° F a h r . ; la nuit précédente avait encore été plus âpre. Ce même jour, Moultrie, visitant les malades confiés à son p è r e , s'aperçut que les symptômes étaient calmés ; et par la suite personne ne fut frappé de m o r t , p a r c e que le froid ne cessa point . 2

Les observations faites en Espagne ne diffè­ rent point de celles des Etats-Unis et des autres 1

Glaciale

frigus,

vel etiam aer frigidus, huic morbo

sœvienti, finem nunquam Bald., T. I , p. 165. —

non imponit. 2

Ibid.

Moultrie,

Diss.,


( 314 ) régions tempérées. En effet, M. Vicente T e r r e r o dit que la constitution de l'hiver finit par étein­ d r e l'épidémie, comme celle de l'été la r e n o u ­ velle. Il ajoute que les malades étaient moins n o m b r e u x et mouraient en moins g r a n d nombre, lorsqu'une température froide se faisait sentir pendant quatre ou cinq jours Ainsi le froid continuel et surtout la gelée sont les ennemis les plus redoutables de la fièvre j a u n e , qu'ils domptent infailliblement. Il me reste actuellement à considérer les sai­ sons et les constitutions comme portant leur influence particulière sur tel ou tel organe. Nous avons déjà vu q u e , pendant la saison catarrhale de S a i n t - D o m i n g u e , la poitrine parais­ sait plus spécialement lésée que dans les mois précédens. Jackson affirme aussi que la tête est plus affectée pendant les fortes sécheresses ; et Hillary a noté qu'en 1753 il v e u t à la Barbade un afflux extraordinaire de sang vers le cerveau, après une saison chaude et sèche. ART. II. De la chaleur. La chaleur, si favo­ rable à la végétation dans la zone t o r r i d e , est 2

P. 16. Si cette observation n'est pas absolument

conforme à celle de R u s h , p. 3 4 , elle l'est au moins au plus grand nombre des faits, et à la raison fondée sur l'expérience.


( 315 ) souvent funeste à l'homme : ce soleil, qui vivifie ces climats, en y versant des torrens de lumière et de feu, porte les germes de la destruction dans les sources de la vie. Malheur à l'habitant du nord qui préfère les régions enflammées aux b r u m e s mélancoliques de son pays ! la nature le punit bientôt de sa désertion et de son i n g r a ­ titude. Mais s'il peut surmonter les premiers obstacles ; si l'effervescence qui saisit son corps peut se c a l m e r , alors il vit h e u r e u x dans des régions dont l'uniformité flatte les g o û t s , et dont la d o u c e u r favorise la mollesse. Serait-il vrai, c o m m e l'ont avancé quelques écrivains, que la chaleur intérieure acquît, chez les étrangers nouvellement arrivés sous la zone t o r r i d e , des degrés de plus que chez l'indigène ? Cette o b s e r v a t i o n , difficile à c o n s t a t e r , n'est point encore fondée sur d'assez nombreuses ex­ périences, et celles que je vais r a p p o r t e r t e n ­ draient à p r o u v e r que la différence, si elle existe, n'est pas considérable. En effet, lorsque, en E u r o p e , nous plaçons le t h e r m o m è t r e sous l'aisselle ou dans la b o u c h e , il s'élève de 28 à 29°, échelle de Réaumur, ou 96 à 98° F a h r . ; et si la boule est introduite dans l ' a n u s , on a s ­ sure que le m e r c u r e se dilate de 2° R. de plus. O r , les recherches faites par Chisolm à D é m é -


( 316) e

r a r y , sous le 6 degré 3 0 , paraissent établir que la chaleur est à peu près la même pour tous les individus, ainsi qu'on le peut voir dans les tableaux suivans : 1

D O U Z E

A N G L A I S

D O U Z E

B L A N C S

I ou I r l a n d a i s r é D O U Z E N È G R E S en s a n t é , r é s i ­ cemment arrivés robustes, arri­ d a n t sous les pour l a p r e m i è r e vés d e p u i s 4 à tropiques d e ­ fois, â g é s de 1 6 à 20 a n s . p u i s 4 à 20 a n s . S 28 ans.

1,

chal.

chal.

pouls.

78°

94°

88

75

96

pouls,

99°

1.

2 98

chal.

N È G .

R O B U S T E S

nés à l a C ô t e d ' O r , arrivés seulement d e ­ p u i s 15 jours.

pouls.

chal.

pouls.

99°

100

98

80

96

78

97

70

90

68

94

78

98

84

75

94

74

96

92

97

06

94

76

98

68

98

90

99

96

6. 93

72

93

54

95

60

98

92

7. 98

108

97

74

97

68

96

104

8. 98

92

96

74

98

92

96

92

97

64

97

108

98

112

97

72

96

108

97

72

98

64

96

86

98

112

99

64

98

80

98

80

96°

96°5'

82

97° 5'

88

3.

98

4.

98

5.

9.

94

72

10.

99

88

11.

98

92

12. 99

88

ch.

moy.

96°

p.

moy.

82°

Le thermomètre fut soigneusement placé sous l'aisselle.


(

317

)

DOUZE NEGRES créoles,

OBSERVATIONS

robustes

faites sur différens âges

et

et différens sexes.

âge's de 16 à 3o ans,

chal. 1

98°

2

99

n . ° âges.

pouls.

couleur.

70

Blanc...

1

Idem..

.

2

Idem..

.

3 4

42

66

chal. semaines

99

15

mois. .

98

30

mois. .

98

6

3

98

4

98

80

Noir. . .

5

98

100

Mulâtre,

5

41/2a n s . .

6

98

92

Métis . .

6

5

Noir. ..

7

80

84

7

98

102

8

98

78

9

98

88

10

97

100

11

98

90

12

98

80

mois..

98

.

97

a n s . . . .

98

ans...

98

Chaleur moyenne.

98°

ch. moyenne, p. moy. 08° 85

Ces expériences nous p r o u v e n t , i ° que les E u r o p é e n s identifiés ou non avec les climats des t r o p i q u e s , ont en moins un degré et demi de chaleur ( F a h r . ) que dans leur contrée natale, et près de deux degrés de moins que les nègres ; 2° que les nègres d'Afrique et ceux d'Amérique créoles, nés sous les mêmes parallèles, possèdent


( 318 ) presque le même degré de chaleur; 3° q u e les nègres d'Afrique, acclimatés dans l'Amérique équinoxiale, ne diffèrent presque en rien des Européens également acclimatés, mais qu'ils o n t un degré de moins que les nègres d'Afrique récemment a r r i v é s , et un degré et demi de moins q u e les nègres créoles de l'Amérique d u sud ; 4° queles circonstances des deux extrêmes de l'âge n'établissent pas une différence de tem­ pérature chez les individus qui vivent dans les climats des tropiques ; 5 ° que la chaleur moyenne de 6 7 personnes de c o n t r é e , couleur, climat, tempérament é t a g e différens, est d e 9 7 ° , ce qui est la chaleur moyenne des Européens. Quoique Makittrickt ait vu q u e le t h e r m o ­ m è t r e marquait, chez les étrangers et les n o u ­ veaux d é b a r q u é s , la chaleur de trois ou quatre degrés F a h r . de plus que chez les anciens habit a n s , nous adoptons de préférence les résultats de Chisolm, comme obtenus par des calculs faits avec plus de s o i n , de m é t h o d e , et expri­ més moins vaguement. Il est vrai que l'action plus soutenue des rayons du soleil doit p r o d u i r e à la longue une excitation particulière sur l'organe cutané ; nous en acquîmes la preuve dès que le navire qui nous portait à Saint-Domingue eut atteint les tropi-


( 319 ) ques ; car alors chacun se vit en peu de temps couvert d'une espèce de boutons qui imitaient ceux de la gale ; les femmes et les enfans en furent plus particulièrement incommodés : heu­ r e u x si nous n'eussions éprouvé que ce faible travail ! mais la chaleur r a y o n n a n t e , après s'être exercée sur les surfaces, ne tarde pas à i m ­ p r i m e r ses pernicieux effets sur l'estomac et les organes adjacens, sans toutefois a u g m e n t e r les foyers du c a l o r i q u e , p a r c e que la vie s'op­ pose à cette accumulation vicieuse, et veille à une répartition égale. Les Européens o n t , pendant leurs é t é s , des jours aussi chauds que les habitans des Antilles ; alors on voit aussi paraître des éruptions à la p e a u , des fièvres bilieuses, des cholera-morb u s , e t c . , q u i , du r e s t e , n'ont pas un carac­ tère aussi insidieux q u e dans les régions é q u a toriales ; et si ces mêmes chaleurs se r a p p r o ­ chent par leur persévérance de celles de la zone t o r r i d e , elles préparent le corps à des affections analogues. Telle est la position des provinces méridionales de l ' E u r o p e , qu'en raison de leur analogie avec les précédentes, le corps vivant se trouve disposé aux mêmes maladies; et cette ressemblance est encore plus funeste aux états de l'union américaine, parce que le soleil y est


( 320 ) plus b r û l a n t , plus insupportable pendant p l u ­ sieurs mois. A Paris et à Pétersbourg le thermomètre monte quelquefois à 29 et 30° R . ; c'est son maximum à Saint-Domingue, lors même que le soleil, arrivé au tropique du C a n c e r , darde sur le sol ses rayons verticaux. Au C a p , mes thermomètres ne se sont jamais élevés au-dessus de 29°R. ; la liqueur se soutenait plus ordinai­ rement de 24 à 28° pendant l'été, et de 16 à 24 pendant l'hivernage. Lorsque le mercure tombe à 16°, on se plaint d'un froid glacial. Dans un mémoire que m'avait adressé M. Dec o u t , estimable médecin des C a y e s , je trouve q u e , le 8 août 1 8 0 2 , son thermomètre marquait 31° et demi ; et q u e , dans le mois de décembre de la même année, il t o m b a , un matin sur les deux heures, à 12° et demi. Ce docteur considère ces deux extrêmes comme extraordinaires, et ajoute q u e , dans les mois c h a u d s , le m e r c u r e s'élève de 2 5 à 29°. A Saint-Pierre et au F o r t de France ( M a r t i n i q u e ) , les oscillations de la liqueur ont lieu, à l'ombre, du 19 au 2 5 et demi, et au soleil, du 32 au 3 8 . En 1797, la 1

e

e 2

1

Il s'est élevé à 3o° [ en 1753 clans notre c a p i t a l e ,

et à 3 1 °

en 1802. —

3

Savarésy, p. 141.


( 321 ) plus grande élévation lut de 27°, et de 25 § en 1798, selon Chisolm. A la Grenade, le ther­ momètre indiqua 25° en 1 7 8 4 , 26 en 1785, 26 en 1786, 26 en 1793. Nous devons aux re­ cherches de Cossigny, faites à Pondichéry, à l'Ile-de-France, aux îles du Cap-Vert, de savoir que le mercure s'élève rarement au-dessus de 28° R. D . Jorge Juan et D. Antonio Ulloa ont v u , pendant sept années de suite, dans l'Amé­ rique équatoriale, que le thermomètre n'a pas passé 29° R. On a donc mal interprété le lan­ gage de mon savant collègue Gilbert, lorsqu'il dit que l'instrument indique 20 à 25° de bru­ maire à ventôse, 25 à 30 de ventôse à floréal, 30 à 35 de prairial à vendémiaire, et qu'il l'a vu à 37 et 3 8 , le 22 prairial, au Cap-Français . 1

Ce calcul est tellement contraire à tout ce qui est connu, qu'il faut ajouter, ce me semble, ou que l'instrument était placé au soleil, ou qu'il était question du thermomètre centigrade. A la Vera-Cruz, un des foyers principaux de la fièvre jaune, le thermomètre se soutient habituellement à 24°. R. Les environs de cette ville située parles 19°. 11 ' 52" de latitude nord, sont d'une aridité affreuse ; l'excessive chaleur 1

P. 13.

21


( 322 ) est augmentée par les collines de sables mouvans, qui ont jusqu'à quinze mètres de hauteur. L e thermomètre centigrade, plongé dans ces sables, p a r M. de Humboldt, s'élevait à 48 et 50°.; tandis q u e le même instrument, à l'air libre, se soutient à 5o°. Ces régions fertiles, que les indigènes n o m ­ ment Tierras callentes, produisent du s u c r e , de l'indigo, du coton et des bananes en a b o n ­ dance ; mais quand les E u r o p é e n s , non accli­ matés, les fréquentent pendant long-temps ; quand ils s'y réunissent dans les villes p o p u ­ leuses, ces mêmes contrées deviennent le site de la fièvre jaune. Les vallées de Papagayo et du Pérégrino appartiennent aux endroits de la terre où l'air est constamment le plus chaud et le plus malsain En 1803 et 1804, Williams F r o s t , qui observait à S t a b r o e c k , avait placé son t h e r m o ­ mètre dans une chambre basse, d'où les rayons du soleil étaient exclus la plus grande partie du jour : o r , dans la saison la plus chaude et la plus sèche, le mercure marquait de 85 à 93°. F . Il ne l'a jamais vu au-dessus de ce n o m b r e , ni audessous de 8o°. 1

M. de Humboldt, T . I , p.

286,

in-8.°.


( 323 ) A Philadelphie, la température moyenne est de52°1/2F., et le maximum est de 90 OU 28 de R. Celle de New-York, à dater de 1794 jusqu'en 1798, a varié pour le maximum depuis 6 0 ° jusqu'à 80, pendant les mois de juillet, août et septembre. En examinant quelques observations météo­ rologiques faites en Espagne, on se convaincra qu'il n'y a pas une grande différence entre le plus haut degré de chaleur et celui de l'A­ mérique. En 1789, elle fut à Cadix de 87°. 07" ; en 1790, de 90°; en 1791, de 86°; en 1792, de 86° ; en 1794, de 85 ; en 1793, de 82° 07" ; en 1800, de 87° 07"; en 1803, de 89°. Ces détails, recueillis sur un observatoire élevé, ne donnent pas la mesure exacte de la chaleur des villes qui, d'ailleurs, est plus con­ sidérable dans la plupart de celles de la Médi­ terranée qu'à Cadix ; ainsi l'on peut présumer que, dans cette dernière, elle fut, en 1790, de 95°; ce qui est à peu près le maximum des tro­ piques. Ceci doit être une source inépuisable de réflexions pour ceux qui font jouer un trop grand rôle au calorique dans la production d e la fièvre jaune, puisqu'à celte dernière époque, la chaleur fut bien plus forte que dans les années 1800 et 1803, quoique la santé des 21

*


( 324 ) habitans ne reçût aucune altération extraor­ dinaire. En étudiant avec attention l'histoire des épidémies de fièvre j a u n e , on retrouve à chaque instant ces différences, et l'on se voit forcé d'admettre d'autres agens qui c o o p è r e n t , avec les rayons d'un soleil brûlant, au développement de ces calamités. Jusqu'ici nous avons considéré spécialement la chaleur dans son action sur les habitans des plages maritimes. Dans ces basses régions, le calorique, réfléchi par la surface de la t e r r e , est abondant et tout employé à accroître la température : mais il est loin d'agir avec la même énergie dans les latitudes de profil. « O n sait que le climat physique d'un pays ne dépend pas seulement de sa distance au p ô l e , mais aussi de son élévation au-dessus du niveau de la m e r ; de la proximité de l'Océan, de la configuration du terrain et d'un grand n o m b r e de circons­ tances locales ; par ces mêmes causes, de 36,ooo lieues carrées situées sous la zone t o r r i d e , plus des trois-cinquièmes jouissent d'un climat qui est plus froid et tempéré que brûlant. T o u t l'inté­ rieur du Mexique, surtout des pays compris 1

M. de H u m b o l d t , T . I , p. 264, in-8.°.


( 325 ) sous les anciennes dénominations d'Anahuac et Méchoacan, vraisemblablement aussi toute la nouvelle Biscaye, forment un plateau i m m e n s e , élevé de 2 0 0 0 à 2 5 0 0 mètres au-dessus du n i ­ veau des mers voisines. » Ce genre de latitude perpendiculaire produit des différences q u e je noterai c o m m e d é p e n ­ dantes des degrés d'élévation. A 500 toises ou à 1 0 0 0 m è t r e s , la chaleur m o y e n n e étant, dans les régions équatoriales, d e 20° R . ou 2 5 ° C . , il me paraît p r o b a b l e q u e , généralement p a r ­ l a n t , le typhus occidental ne s'élève pas a u dessus de ce n i v e a u , à moins de circonstances locales, comme ces Quebradas dont ont parlé Ulloa et C a r l y , qui concentrent de grandes masses de chaleur et ne laissent qu'un accès limité aux courans d'air ; alors, de 1000 à 2 0 0 0 mètres où la température moyenne est encore, dans les Andes du Pérou, de 1 7 ° R. ou 2 1 ° et C., il peut exisler des causes particulières capables de d é ­ velopper les germes de la fièvre jaune ; mais elle n'y doit avoir qu'une courte durée : e t , lorsque le thermomètre centigrade descend à 1 2 ° , elle s'éteint infailliblement, parce qu'une 1

1

Mémoires philosophiques, historiques, e t c . , c o n ­

cernant l'Amérique.


( 326

)

semblable condensation en est le destructeur le plus infaillible. Il est donc en quelque sorte démontré que de o à 1 0 0 0 m è t r e s , c'est la température ordinaire de la zone t o r r i d e , celle par conséquent qui convient à la maladie, et où elle établit sans interruption son sceptre de fer ; que de 1 0 0 0 à 2 0 0 0 mètres, on trouve la température va­ riable des Etats-Unis et de l'Espagne ; c'est la région de la fièvre j a u n e , pendant des époques déterminées et limitées ; mais qu'au-dessus de cette latitude, si l'on s'élève à 1 0 0 0 ou 1 2 0 0 toises, là, il n'est plus de typhus ictérode ; l à , finit son redoutable empire. Il paraîtrait, d'après ces d o n n é e s , que les agens de la fièvre jaune peuvent supporter une température de 15 à 1 6 ° R., et il est p r o b a b l e que si l'on pouvait concevoir, sous la zone t o r ­ r i d e , une chute du mercure vers les 12° qui dura plusieurs jours, la maladie s'éteindrait r a ­ pidement, et même tout-à-coup, si le thermomètre marquait zéro. Nous ne pouvons admettre, comme fondée sur des preuves suffisantes, l'opinion du docteur G. Davidson qui soutient qu'à partir de 86° F . en s'élevant, la malignité et la contagion des m a ­ ladies s'exhalent au point de former la peste.


( 327 ) Si cette conjecture était vraie, la fièvre jaune existerait constamment dans les régions b r û ­ lantes d'Afrique, où on ne l'a peut-être jamais observée ; elle dominerait sans i n t e r r u p t i o n , ainsi que la p e s t e , dans les plaines basses de l'in­ térieur de l'Amérique équatoriale, où on ne les a pas encore r e m a r q u é e s , et où il fait constam­ ment plus chaud que sur le littoral, M. de Humboldt cite l'Indoustan, la province de Cumana, la côte de Coro et les plaines de Caracas, o ù cette maladie est inconnue. Dans les pays t r è s chauds, mais secs en même t e m p s , l'espèce h u ­ maine jouit d'une longévité p e u t - être plus grande que celle que nous observons dans les zones t e m p é r é e s , et partout où le climat est extrêmement variable. 1

2

Vainement on se torture l'imagination p o u r faire considérer la chaleur comme pouvant seule d o n n e r naissance à la fièvre jaune : l'his­ toire de quelques épidémies, où ce fléau a cessé lorsque la chaleur était parvenue à son plus haut d e g r é , et de celles où il a p a r u , tandis 1

La description de la maladie qui accompagnait l e s

plaies d'armes à l'eu en E g y p t e , et qu'a donnée M. Larrey, n'est point celle d'une fièvre jaune. 2

T. I , p. 3 3 3 , in-4.°.


( 328

)

que la température était bien inférieure, place cette opinion parmi les hypothèses que le plus léger examen détruit à l'instant. O n rapporte, par exemple, qu'en 1752, l'été fut des plus sains à C h a r l e s t o n , quoique le thermomètre d e Fahr., placé sous l'aisselle, baissât de plusieurs degrés. On n'apercevait pas le plus léger b a ­ lancement clans l'air ; les animaux étaient l a n guissans, et les oiseaux pouvaient à peine se soutenir. Le thermomètre s'éleva à 100° ; un été à peu près semblable se fit sentir à P h i ­ ladelphie en 1804, sans qu'il y eût plus de m a ­ lades qu'à l'ordinaire. La fièvre pestilentielle s'éteignit à la G r e n a d e vers le milieu de s e p ­ tembre 1893, pendant que le thermomètre s'élevait à 9 2 ° , maximum de cette année . W a r r e n avait également observé q u e , durant plusieurs années d'une chaleur étouffante, d'une intolérable sécheresse, ou de saisons de tem­ p ê t e s , unies à toutes les causes qui ailleurs auraient donné une épidémie maligne, on n'a­ perçut pas à la Barbade la plus légère trace de cette fièvre ; et il note qu'a l'époque de son 1

2

3

1

Chalmers, account of the Weather

south Carolina, 2

T. I , p. 2 2 .

Chisolm, T. I, p. 2 9 4 . —

3

P. 8 .

and diseuses

of


( 329 ) r è g n e , la chaleur sèche et étouffante, loin d'aggraver le m a l , paraissait le réprimer et l'assoupir. Il importe également de se p r é m u n i r contre certains préjugés introduits sur les changemens de t e m p é r a t u r e , qu'on suppose plus fréquens qu'autrefois. Plusieurs auteurs estimés ont fondé sur de pareilles idées des systèmes tout-à-fait inadmissibles. J e lis dans l'ouvrage de M. Valenlin qu'en 1802, il y eut à Saint-Domingue u n e g r a n d e irrégularité dans la direction de la brise du jour ; des personnes qui ont habité la ville du Cap, pendant plus de vingt-cinq ans, lui ont assuré que la chaleur avait a u g m e n t é , parce que des vents d'ouest y avaient presque c o n s ­ tamment soufflé pendant le j o u r , au lieu des vents accoutumés de nord-est qui rafraîchissent l'atmosphère. J'en demande p a r d o n à mon es­ timable confrère ; mais il m'a semblé qu'il ac­ cordait plus de confiance qu'il n'est p e r m i s , à ces assertions imaginées par la crédule igno­ r a n c e , et accréditées par l'opinion, qui se grossit dans le lointain. J e puis assurer que l'ordre des choses n'a point été interverti, et que je n'ai vu qu'une régularité parfaite dans la distribution de la chaleur ou dans la succession des vents périodiques que j'observais chaque j o u r , et


( 330 )

qu'en outre personne ne se plaignait d'un chan­ gement extraordinaire. Ajoutons q u e , dans l'hivernage de 1802 à 1803, beaucoup d'Européens arrivés lors de la saison qui leur est le plus favorable, et n'ayant pu éprouver les mauvais effets de la précédente, tombèrent néanmoins très-promptement m a ­ lades, le plus g r a n d n o m b r e après quelques jours de débarquement. Il est donc bien utile de n'assigner à la c h a ­ leur que le rang qui lui appartient, et de ne point nous laisser séduire par des apparences trompeuses ; elle n'est qu'une condition, qu'une des causes nécessaires, parce qu'elle paraît in­ t r o d u i r e dans l'économie vivante la disposition la plus favorable au développement du typhus occidental ; elle est encore une condition indis­ p e n s a b l e , en ce qu'elle donne une nouvelle ac­ tivité aux effluves pestilentiels q u i , sans e l l e , se neutralisent, s'éteignent ou se perdent. Peut-être aussi serait-il possible que l'exces­ sive chaleur de certaines contrées brûlantes et t r o p sèches de l'Afrique fût un obstacle à la naissance de celte maladie, soit en produisant une évaporation trop p r o m p t e , une trop grande dilatation et volatilisation des miasmes, soit en­ core en les brûlant. Mais je ne donne ceci q u e


( 331 )

comme des conjectures, ainsi qu'on doit le faire p o u r tous les mystères de la n a t u r e , dont nous ne pouvons expliquer le m o d e d'action par des faits n o m b r e u x et positifs. ART. III. Du climat. Q u o i q u e les climats ne se composent pas seulement de la l a t i t u d e , et qu'ils dépendent encore de la t e m p é r a t u r e , des courans d ' a i r , des sites, de l'exposition, du voisinage des rivières et des m e r s , etc., j'en parlerai dans cet article, spécialement sous le r a p p o r t de la distance à l'équateur, ou des la­ titudes de profil : renvoyant au chapitre des précautions p o u r de plus longs développemens, il m e suffira de les diviser en trois principaux, dans la discussion des causes du typhus occidental. 1

Dans le premier climat , que je suppose formé par les 26 ou 28 premiers d e g r é s , à partir de l'équateur, la fièvre jaune peut r é g n e r sans interruption pendant une ou plusieurs années: dans le second, qui comprend l'espace de 22 de­ g r é s , et q u i , par conséquent, se prolonge vers le 48. , et peut-être quelques degrés de m o i n s , elle ne peut paraître qu'en automne ou dans le e

1

C e t t e division n'est n u l l e m e n t c o n f o r m e à celle des

géographes

sable

et des a s t r o n o m e s ,

mais

e l l e est

indispen­

au plan de prophylactique que j'ai proposé.


( 332 ) courant de l'été ; quant au troisième, formé de tous les degrés qui sont au-dessus de cette d e r ­ nière latitude, elle y est i n c o n n u e , et son exis­ tence y paraît impossible. 1. climat. Nous avons déjà vu queles hommes de toute c o u l e u r , nés sous cette première z o n e , sont à l'abri de ce danger, pourvu qu'ils ne sé­ journent pas de longues années hors des t r o ­ p i q u e s , parce qu'alors ils s'y dépouillent de cette armure qui les rend invulnérables. Cepen­ d a n t , outre les exceptions citées, nous savons du père Labat qu'un jeune créole mourut à la Martinique, atteint du vomissement n o i r , a c ­ cident unique en ce genre depuis sept ans que la maladie y régnait. R o u p e assure que les I n ­ diens qui se livrent aux excès des boissons ou à l'abus des plaisirs v é n é r i e n s , y sont exposés. Davidson, qui pratiquait en 1793 à Kings-Town dans le même temps que Clark à la Dominique, c i t e , dans une lettre datée du 18 avril 1798, des faits semblables à ceux que ce dernier avait aussi observés. Il dit que le mal se répandit d'abord parmi les Européens récemment arrivés, mais qu'ensuite il attaqua les vieux colons : les émigrés français, débarqués au mois de juin, souffrirent encore p l u s , quoiqu'ils fussent tous acclimatés ; ce qui fut également observé à Saint-Christophe, er


( 333 ) dans la m ê m e a n n é e , p a r M. Noble. Griffith Hughes prétend aussi qu'en 1796, une grande partie des habitans de la Barbade m o u r u r e n t de la fièvre jaune ; W a r r e n avait déjà dit qu'elle s'emparait quelquefois, quoique r a r e m e n t , des naturels dans cette île, et qu'il en avait eu q u e l q u e s - u n s à traiter ; et M. Pugnet pense qu'elle n'attaque les colons q u e lorsque des causes extraordinaires d'insalubrité se mani­ festent dans leurs contrées ; on p o u r r a i t ajouter que de g r a n d s m a l h e u r s , de profondes affec­ tions m o r a l e s , peuvent les disposer, ainsi qu'il est arrivé dans l'année fatale où la révolte géné­ rale des Antilles réduisit les malheureux colons au dernier degré de désespoir. 1

A quelques exceptions p r è s , il est prouvé q u e , pour p e r d r e la susceptibilité à contracter la fièvre jaune, il faut qu'un étranger vive long­ temps dans le premier climat. C'est de tous les moyens de s'en garantir le meilleur, quand on peut supporter la périlleuse épreuve. Les a n ­ ciens habitans de S a i n t - D o m i n g u e voyaient autour d'eux les morts et les mourans entassés, sans que le fléau les atteignît ; les nègres africains étaient également en s û r e t é , parce qu'ils étaient 1

P. 331.


( 334 ) nés dans une latitude qui appartient à ce p r e ­ mier climat ; et cette influence est telle, que les troupes qui passèrent à Saint-Domingue après avoir habité l'Egypte , furent moins maltraitées que celles qui venaient directement d'Europe : il est même présumable qu'elles auraient p e r d u un n o m b r e bien moins considérable d'individus, si, du D e l t a , elles eussent fait directement le trajet en Amérique. 1

C'est un phénomène bien frappant, dit M. de H u m b o l d t , q u e , dans les régions équinoxiales, à la Véra-Cruz, à Porto-Cabello, à la Havane, les indigènes n'aient pas à craindre le fléau de la fièvre j a u n e , tandis que les habitans de la zone tempérée sont aussi exposés dans leur lieu de naissance que les étrangers. Il a été question, p. 324, d'une nouvelle espèce de climat dépendante des latitudes de profil, qui a servi à assigner la ligne de démarcation du typhus ; il reste à dire que ceux q u i , du sommet des Andes, descendent au niveau de la m e r , sont peut-être plus promptement saisis que ceux qui viennent du nord de l'Amérique. Quoique vivant sous la zone t o r r i d e , ils sont de vrais habitans des zones tempérées, et leur 1

La partie septentrionale de l'Egypte ne s'élève pas au-dessus du 32. degré. e


( 335 )

élévation les p l a c e , en quelque s o r t e , hors de leur latitude. Ce n'est pas seulement aux mon­ tagnards des Andes que ceci s'applique, mais à tous ceux qui vivent sur des hauteurs et des sites très-aérés. C'était une fatalité p o u r nos sol­ dats de descendre dans la ville du Cap, du plateau de Plaisance, où ils c a m p a i e n t , et surtout d'y passer la n u i t , parce qu'ils en repartaient avec les germes du typhus. Les détachemens placés sur les mornes de la petite île de la T o r t u e , parurent invulnérables tant qu'ils ne s ' a p p r o ­ chèrent pas du rivage ; mais une fois c h a n g é s , et rentrés au C a p , ou dirigés sur d'autres points maritimes, ils partagèrent p r o m p t e m e n t la fâ­ cheuse destinée de ceux qu'ils relevaient dans les positions militaires. Les habitans du milieu de l'île avaient également des risques à courir dans les mêmes circonstances, s'ils n'étaient pas d'anciens colons ; c'est ainsi que M. Alonzo L o p e z , fixé depuis trois ans à S a n t - Y a g o , au centre de la partie espagnole de S a i n t - D o ­ m i n g u e , m o u r u t au Cap le 4 janvier 1803, après y avoir d é b a r q u é le 28 décembre. Ceux qui sont nés dans le n o r d ou sur les plateaux élevés des tropiques, ont besoin, lors­ qu'ils visitent les régions ardentes, de r e t r e m p e r leur constitution sous l'influence du nouveau


( 336 ) climat, pour cesser d'être disposés au vomisse­ ment noir. Nous ne savons pas le temps qu'il faut p o u r s'acclimater ; il se mesure plutôt par une révolution sensible, qu'occasionne une ma­ ladie qu'on essuie, que par la longueur du séjour. Les uns ont une simple dyssenterie qui dure plusieurs mois ; d'autres, une fièvre rémit­ tente grave ; plusieurs, de faibles accès fébriles ; mais plus le désordre de l'économie a présenté de symptômes effrayants, mieux il semble qu'on se soit mis en harmonie avec la nouvelle région qu'on habite. 1

Nous ignorons aussi quel genre de change­ ment s'opère dans l'économie vivante; mais nous pouvons, en quelque sorte, le juger par les effets. Les riches couleurs se p e r d e n t ; on p r e n d un teint b l ê m e , qu'on désigne à SaintDomingue sous le nom de patate, et que les habitans ont presque tous. Les Européens r é ­ cemment arrivés forment, p a r leurs couleurs 1

M. N o b l e , clans son rapport à M. Chisolm, nous e

apprend que les soldats du 9.

régiment, qui depuis

1786 avaient joui d'une bonne santé à Saint-Christophe, virent répandre parmi eux la fièvre jaune en 1793 ; ce qui fait sept ans de séjour. Mais il faut se souvenir qu'à cette é p o q u e , le fléau a franchi toutes les bornes et exercé ses ravages avec une sévérité jusque-là inconnue.


( 337 ) enluminées et les roses répandues sur leurs joues, un contraste frappant avec l'état blême, blafard, ou d'un jaune o b s c u r , des anciens babitans. Il ne sera pas oiseux de prévenir qu'on n'en­ tend parler que de la zone t o r r i d e américaine, et non de celle qui traverse l'Afrique et l'Asie. Rien ne p r o u v e e n c o r e , malgré l'assertion de M M . V a l e n t i n , Ffirth et P u g n e t , que la fièvre jaune soit connue dans ces deux parties du monde. M. Savaresy a jugé nécessaire de réfuter cette c r o y a n c e , et d'assimiler les fièvres malignes des Indes orientales, ainsi q u e celles du S é n é g a l , de la C ô t e - d ' O r , de la rivière de G a m b i e , aux fièvres rémittentes des Indes OCCI dentales. E n effet, elles sont assez voisines de notre typhus p o u r que beaucoup d'auteurs les aient confondues ; mais elles ne sont pas de m ê m e nature. C'est, au s u r p l u s , une question q u e je crois inutile d'approfondir, et que de bonnes descriptions p o u r r o n t seules décider. 1

2

E

2. climat. T o u t h o m m e né sous la zone tor­ r i d e , ou qui y a vécu l o n g - t e m p s , s'il la quitte 1

Ce médecin écrivait de Calcuta, le 13 octobre 1805,

que le vomissement noir de l'Asie et de l'Afrique était le même qne celui de l'Amérique. Medical

repository,

août 1806. 2

P . 330.

32


( 338 ) pour s'établir dans le deuxième climat, n'a point à craindre la fièvre jaune ; il peut i m p u ­ nément braver la contagion. C'est ce que nous savons déjà p a r les colons des Antilles qui a r r i ­ vèrent à Philadelphie en 1793, et dont aucun ne fut malade. Ils se servirent même de cet a r ­ g u m e n t , quelque spécieux qu'il fût, p o u r réfuter ceux qui les accusaient d'avoir semé parmi eux les germes de la contagion. Ce qu'il y a de bien singulier, c'est q u e , dans ce deuxième climat, les hommes de couleur sont moins en sûreté que dans la première zone, puisqu'ils y sont plus souvent victimes du typhus. Sous cette latitude, on aperçoit une diffé­ rence frappante avec la p r e m i è r e , qui tend à prouver que la fièvre jaune est bien la fille de la zone torride ; c'est qu'elle a des époques dé­ terminées p o u r son apparition et son dévelop­ pement, comme elle en a p o u r sa terminaison, et que ces époques, pour être favorables aux causes de cette affection, doivent assimiler la température à celle des régions équatoriales. Dans le premier climat, on ne saurait assigner do limites à son existence ; dans le s e c o n d , on est assuré de l'époque où elle finit. Ainsi on la voit paraître dans celui-ci vers le mois de


( 339 ) juillet ou d'août, et disparaître infailliblement pendant le cours du mois de décembre. Par une circonstance e x t r a o r d i n a i r e , qui n'est qu'une exception, la population de los Barrios eut cinq malades pendant les huit premiers jours de janvier. E n sortant des tropiques, voici ce qu'on re­ marque. Les habitans sont tous sujets à c o n ­ tracter le typhus ; mais ce danger est en raison directe du rapprochement des pôles pour le lieu de la naissance. Les naturels des États-Unis le sont moins que les Espagnols et les Italiens ; ceux-ci, moins que les F r a n ç a i s , q u i , à leur tour, lesont moins que les Suédois et les Russes. Il est bien étrange q u ' u n auteur ait avancé une assertion c o n t r a i r e , en disant qu'aux EtatsUnis ce mal frappe principalement sur ceux qui y sont nés ; c'est une erreur que les faits ne permettent pas d'admettre. Les habitans des Etats de l'Union, et surtout ceux du S u d , étaient aussi plus en sûreté à Cadix q u e les Espagnols eux-mêmes . 1

Déjà ces nuances m'avaient frappé à Saint-, 1

Aréjula, p. 183. J'ai traité le même sujet à la p. 269,

mais en ne le considérant que sous le rapport de la m o r ­ talité. Ici je cherche à indiquer la susceptibilité relative des divers peuples.

22 *


( 340 ) D o m i n g u e , où les soldats nés dans le midi de la F r a n c e , ont moins souffert que ceux qui bordent le R h i n , l'Escaut et la Manche. M. Savaresy fait observer, à ce sujet, que le sang du midi a la prépondérance dans les Antilles fran­ çaises, et surtout à la Martinique . l

Tous les avantages qui s'acquièrent par un long séjour dans les Antilles, se perdent par l'éloignement du premier climat. Un magistrat vertueux, M. de M..., ex-grand juge à SaintDomingue, m'a raconté que sa belle-mère, née en Canada, habita trente ans une des Antilles, et que s'étant absentée pendant deux ans p o u r aller dans le N o r d , elle mourut à son retour dans la c o ­ l o n i e , le 7 . jour d'une fièvre jaune et à l'âge de cinquante-quatre ans. Tout son corps fut couvert de plaques noires, jaunes et violettes. Jackson a donc dit avec vérité que les Créoles et les Africains, qui ont voyagé en E u r o p e ou dans les hautes latitudes de l'Amérique, ne sont point exempts de ce fléau, lorsqu'ils reviennent dans les Indes Occidentales .On assure même qu'ac­ tuellement les anciens réfugiés de S a i n t - D o e

2

1

P. 2 6 0 . —

2

P. 2 5 0 , l. c. Williams Frost et plu­

sieurs autres écrivains ont embrassé la même opinion. Med.

repos.,

novembre 1 8 0 8 , p. 224.


( 341 ) mingue aux Etats-Unis y ont contracté la sus­ ceptibilité des autres habitans, et que plusieurs ont péri du vomissement noir. e

3 . climat. Assujétie aux lois que lui a impo­ sées la n a t u r e , on n'a point vu la fièvre jaune franchir encore le 46. degré de latitude ; cette l o i , observée depuis plus de trois siècles, peut être considérée comme invariable . Il est m ê m e à présumer q u e , dans le S u d , il n e faut pas arriver jusqu'à un semblable degré p o u r r e n c o n t r e r les barrières insurmontables, puisqu'au-delà du tropique méridional ou du c a p r i c o r n e , le froid est plus intense à la­ titude é g a l e , qu'en-deçà du tropique septen­ trional. e

1

Il y a un r a p p r o c h e m e n t à faire et que le lecteur n'aura pas laissé échapper ; l'homme du 3 . climat est plus disposé à la fièvre jaune que celui du I , et néanmoins il n'en est jamais a t ­ teint dans son pays natal : nouvelle preuve que cette maladie a besoin, pour son explosion, d'un concours de circonstances dont la réunion est si nécessaire que l'absence d'une seule neutralise e

e r

1

Des personnes qui nomment tout fièvre j a u n e , v o u ­

draient faire croire qu'elle s'est manifestée dans quelques parties de l'Angleterre et de la Hollande


( 342 ) absolument toutes les autres. Sans cette loi, tracée par la Sagesse éternelle le Nord serait infailliblement dépeuplé depuis les découvertes de Colomb. ART. IV. Des effluves marécageux et de l'humidité. Médicalement parlant, l'Amérique peut être considérée comme sortant de dessous les eaux ; elle en est d'ailleurs enveloppée de toute p a r t , puisqu'elle est une grande presqu'île : des fleuves immenses l'arrosent et l'inondent dans leurs débordemens ; des lacs d'une grande surface, des marécages sans fin et sans n o m b r e , des forêts d'une étendue incommensurable, la couvrent presque partout. La main des hommes, en abattant les forêts, diminuera les masses d'eau renfermées dans les fleuves, auxquelles d'ailleurs elle imposera des limites, en r é t r é ­ cissant leurs lits. Le défrichement des t e r r e s , la construction des quais, les conquêtes que l'a­ griculture obtiendra lentement sur les rivages en les desséchant, sont autant de causes qui fini­ ront par assainir ces belles régions. La côte maritime, qui n'est pas défrichée, est malsaine ; elle l'est encore plus au moment ou l'on exploite le terrain pour la première fois. Alors s'il, est h u m i d e , s'il a été long-temps s u b ­ m e r g é , il s'exhale de la terre remuée des éma-


( 343 ) nations composées du detritus des corps autre­ fois organisés. O n a vu des villages entiers anéantis, parce qu'on remuait une t e r r e vierge dans leur voisinage : chaque c o u p de hoyau, en déchirant son sein, ouvrait une issue fatale aux effluves pestifères. Les fièvres intermittentes, les r é m i t t e n t e s , les fièvres pernicieuses, les t y p h u s , sont les ma­ ladies les plus c o m m u n e s du nouveau m o n d e , et elles tiennent aux circonstances qui viennent d'être é n u m é r é e s , les mêmes q u i , dans tous les pays, produisent ces espèces de maladies ; mais ces causes ne sont pas suffisantes p o u r l e u r i m ­ primer le caractère spécifique de la fièvre jaune, puisqu'elles existent à un degré éminent sur beaucoup de contrées, et n o t a m m e n t sur Acapulco q u i , au r a p p o r t de M. de H u m b o l d t , est le lieu le plus malsain de la t e r r e , et où c e ­ pendant cette maladie est inconnue. Toutefois on ne saurait mer l'influence plus ou moins directe que l'humidité et les éma­ nations des marécages peuvent avoir sur le r e ­ t o u r plus fréquent du typhus occidental, sans être essentiellement nécessaires. Il est r e m a r q u a b l e , en effet, que partout ou il vient le plus habituel­ l e m e n t , et Là surtout où il a pris sa s o u r c e , on p e u t soupçonner le concours de ces causes.


( 344 ) Ainsi N e w - Y o r k est placé sur deux rivières soumises aux flux et reflux de la mer ; les égoûts de la ville et les ordures aboutissent à ces petits et n o m b r e u x bassins qui servent aux mouvemens des bâtimens de commerce ; lorsqu'à la marée descendante l'eau se retire, le sol, laissé à découvert, exhale une c d e u r infecte de ma­ récages et de putréfaction ; il en est de même de la ville de Philadelphie également assise entre deux rivières, et où la rue de W a t e r Street est surtout construite de manière à déve­ l o p p e r des causes infinies de maladies ; son sol est presque au niveau de la Delaware; ses maisons ont toutes des jetées, qui forment autant de pe­ tites cales désignées sous le nom de warfs, entre lesquelles on place les navires ; quand la marée se r e t i r e , il se répand dans cette p*artie de la ville, surtout en é t é , des émanations puantes . 1

1

D e v è z e , l. c. O n fait, dans les livres, un étalage

un peu excessif de cet ordre de causes, et on leur at­ tribue une influence souvent imaginaire. Mais on aurait cru laisser un vide considérable, si l'on n'avait relaté ici quelques-uns de ces agens dont le pouvoir peut étre contesté, et dont on a fait de [si fausses applications. Chacun connaît les maladies que produisent les maré­ cages ; pourquoi

quelques w a r f s ,

moins

malfaisans


( 345 ) Au fond de la baie de la Chésapeack, la ville de Baltimore ne m'a pas paru offrir les mêmes causes d'insalubrité. Cependant le typhus y exerce souvent ses ravages ; mais comme les matelots le p r o p a g e n t , en arrivant des lieux où il r è g n e , sa première apparition se fait ordinai­ rement au lieu de leur d é b a r q u e m e n t , dans le faubourg n o m m é Point, q u i est j o l i , p r o p r e , et que sa situation entre le Patapsco et la baie devrait r e n d r e aussi sain qu'il est a é r é , si la contagion ne changeait quelquefois cet o r d r e naturel. La p l u p a r t des causes d'insalubrité se r e p r o ­ duisent avec plus ou moins d'énergie à N o r ­ folk, à Alexandrie, à Charleston, et en général sur toute la côte des Etats-Unis, dont l'abais­ sement permet l'accès des marées et la for­ mation des marécages. La basse Louisiane est un des pays les plus humides que l'on connaisse 5 et les maisons de la nouvelle O r l é a n s , où la fièvre jaune fait de fréquentes apparitions, sont construites à plus de huit pieds au-dessous du niveau du

qu'on ne veut le faire c r o i r e , changeraient-ils l'ordre accoutumé des choses?


( 346 ) Mississipi q u i , tous les a n s , aux mois de mai et de juin, menace de les engloutir. En parcourant ainsi tout le rivage oriental de l ' A m é r i q u e , nous verrons toute la côte mexicaine assujétie aux inconvéniens d'une humidité excessive et à l'infection des eaux stagnantes. Selon M. de Humboldt, la quantité de pluie tombée en un an à la V e r a - C r u z , est de 1 mètre 62 centimètres, tandis qu'en F r a n c e elle est à peine de 0,20 centimètres. Dans le seul mois de juillet de l'année 1803, M. de Costanzo, colonel du corps des ingénieurs, en recueillit plus de 380 millimètres, ce qui n'est qu'un tiers de moins que la quantité totale tombée à Londres pendant une année entière. Lors des équinoxes, la ville de S t a b r o e c k , située sur le b o r d oriental de la rivière de D é m é r a r y , est fréquemment couverte parles m a ­ r é e s , à un tel point que les habitans sont obligés d'avoir recours à des bateaux p o u r se trans­ porter d'une maison à l'autre. Q u a t r e canaux, traversent la ville, et l'eau y reste dans un état de stagnation, pendant des mois entiers. Chisolm estime la quantité moyenne de pluie qui tombe sur la côte de Démérary à 79 pouces anglais. Si nous jetons un coup d'œil sur les Antilles,


( 347 ) il sera facile de se convaincre que les mêmes causes partout répandues doivent y p r o ­ duire les mêmes effets. La côte de SaintDomingue est infectée de marécages plus ou moins étendus. 11 y a au Cap un marais qui commence dans l'intérieur de la ville, vers la barrière de la F o s s e t t e , et qui se prolonge jus­ qu'à la petite anse. C'est le refuge de ces m o u s ­ tiques i n c o m m o d e s , et de cette quantité prodi­ gieuse d'insectes, dont la décomposition exhale, avec le detritus des végétaux, des myriades d'é­ manations délétères (selon le langage de M. Gil­ b e r t ) , source inépuisable de maladies de m a u ­ vaise nature. Cet espace est couvert de mangliers et de quelques autres a r b r i s s e a u x , q u i , à la marée m o n t a n t e , se chargent de c r a b e s , d ' h u î t r e s , et d'autres coquillages et insectes qu'on y voit suspendus quand la mer se retire. Quelle source inépuisable d'infection, quand un soleil brûlant et une atmosphère toujours h u ­ mide viennent encore ajouter deux nouvelles causes de putréfaction î Mon séjour à la Jamaïque m'a mis à portée de voir qu'indépendamment des sources de ma­ ladies propres aux Antilles, un vaste m a r a i s , partant du voisinage de Kings-town, s'étendait


( 348 ) au loin sur la belle route de Spanish-Town. Ce marais concourt sans doute à augmenter l'insalubrité de celte première v i l l e , q u i , d'ailleurs, est un p o r t de m e r ; tandis que S p a n i s h - T o w n , situé à plus de six milles du r i ­ vage, et à une distance considérable des eaux stagnantes, voit souvent la fièvre jaune dépeu­ pler ses environs, sans qu'elle pénètre dans son enceinte. La H a v a n e , avec son magnifique port et l'enceinte demi-circulaire de sa rade qui s'en­ fonce dans l'intérieur des t e r r e s , n'a ni m a r é ­ cages ni warfs ou jetées semblables à celles de Kings-Town ou des États-Unis ; les quais en sont très-beaux, comme la plupart de ceux des Espagnols qui n'ont point adopté l'usage des petites cales ; néanmoins le typhus y fait de fré­ quentes apparitions, ce qu'il faut attribuer aux rapports multipliés entre cette place et la VeraC r u z , qui ajoutent la contagion à quelques autres causes communes aux Antilles. Ce n'est pas seulement la Havane à l'île de C u b a , ou le môle Saint-Nicolas à Saint-Domingue, qui sont dépourvus de marais, et cependant infec­ t é s , quand l'affluence des étrangers fournit des alimens au typhus. W a r r e n s'extasiait sur


( 349 ) 1

la salubrité de l'air à la Barbade ; et Chisolm a transmis la topographie d'une foule d'îles dans les Antilles, d o n t la p u r e t é de l'atmos­ p h è r e , la fraîcheur délicieuse de l'air sur­ passent tout ce qui est le plus justement r e n o m m é en ce genre . Nous n'étendrons pas plus loin ces recherches; il suffit d'avoir démontré q u e , dans presque toute l ' A m é r i q u e , on peut soupçonner l'action des effluves marécageux ou d e l'humidité. N o u s pourrions ajouter q u ' o n a r e c o n n u , dans les An­ tilles, une évaporation qui sature l'atmosphère à un point e x t r ê m e , et qui manifeste son activité en oxidant rapidement les fers exposés à l'air ; une nuit suffit p o u r leur faire subir une m é t a ­ m o r p h o s e sensible ; la rosée est quelquefois si forte qu'elle t o m b e à grosses g o u t t e s , et avec le bruit de la pluie. O n élève ses regards vers le ciel, on le voit p u r et serein ; on les abaisse vers la t e r r e , sa surface paraît couverte d'eau. Les principes que je me suis imposés de tou­ jours c o m p a r e r les divers points de discussion et d'opposer l'Amérique à l ' E u r o p e , me font un devoir de chercher les points d'analogie, ou d'é­ tablir les différences q u e peuvent présenter les 2

1

P. 7. —

2

Voyez

ci-dessus, p. 61.


( 350 ) contrées de cette dernière partie du monde qui ont subi le joug de la fièvre jaune. Les principales sont : Cordoue, la Carlotta, Ecija, C a r m o n a , Séville, San-Lucar de B a r r a m e d a , X e r è s , Cadix, la Isla de L é o n , Chi­ china, Médina-Sidonia, los Barrios, Algésiras, Gibraltar, Malaga, Vélez, Alhama, Antéquerra, C a r t h a g è n e , Alicante, Valence, Barcelone en E s p a g n e , et dans l'Italie, Livourne. Quelques-unes de ces villes, telles que S é ­ ville, S a n - L u c a r , Algésiras, G i b r a l t a r , Malaga, C a r t h a g è n e , sont dans des lieux h u m i d e s , comme assises sur les bords de la m e r , des grands fleuves, ou comme environnées de m a ­ récages. Mais la plupart des autres sont dans des positions très-salubres. En A m é r i q u e , on s'est peu occupé du soin d'assainir le voisinage des villes ; en E u r o p e , on y a travaillé avec succès ; et si la maladie s'est propagée dans la péninsule e u r o p é e n n e , ce ne peut être par l'effet des mêmes causes. Il est digne d'observation que chaque ville a cru pouvoir trouver des causes locales de la maladie. O r , comme toutes ces causes different entre elles, il est présumable qu'aucune n'a eu un pouvoir exclusif, ou même réel. A Séville, le Guadalquivir s'était débordé à la suite de


( 351 ) pluies c o n s i d é r a b l e s , et les chaleurs furent excessives ; à Ecija, même événement ; le Xénil se déborda sur la fin du printemps de 1800, et l'été fut très-chaud, ainsi qu'en 1804 ; à Malaga, il y e u t , sur la fin de 1 8 0 2 , une grande i n o n ­ dation du Gual-Médina, torrent c o m m u n é m e n t à sec. O n a parlé à Carthagène de la chaleur de 1 8 0 4 , parce qu'on n'y a point trouvé de fleuve à faire d é b o r d e r ; et à A n t é q u e r r a , des pluies du printemps de la même année ; l ' e a u , dit-on, était restée en mares dans les rues de la ville, d'où s'exhalaient des odeurs infectes. Mais p o u r les villes situées sur les hautes mon­ t a g n e s , comme on n'a pu recourir à ce g e n r e de causes, on a accusé les vents, dont la direction a varié selon l'assiette des endroits. 1

J'ai esquissé la position de quelques villes d ' E s p a g n e , afin qu'on pût établir des points de comparaison avec celles d'Amérique : on verra q u e l'insalubrité apparente des premières ne r é p o n d pas exactement à l'idée qu'on s'est for1

En accusant ainsi le ciel et la t e r r e , chacun à s o n

tour, il est difficile d'éprouver de l'embarras dans les explications, et l'on se prépare des moyens évasifs pour résoudre toutes les difficultés ou pour expliquer tous les phénomènes. C'est ainsi que les prêtres des faux dieux rendaient leurs oracles.


( 352 ) mée des secondes. Il était donc bien important d'observer les deux pays, afin de soumettre au lecteur et le fruit de ses comparaisons et le tribut de ses recherches. C'est juger par des vues étroites les grandes épidémies, que de les assujétir aux simples calculs des maladies o r d i ­ naires. La nature vivante n'éprouve pas des s e ­ cousses semblables à celles de la peste occiden­ tale, sans une cause particulière qui donne à chacune de ces lésions une t e i n t e , une physio­ nomie qui leur appartiennent. Ainsi on p o u r r a dire que le voisinage des marais dispose aux fièvres intermittentes, dans les pays froids et dans les zones tempérées ; mais, sous la zone t o r r i d e , cette disposition les fait p r o m p t e m e n t dégénérer en rémittentes, en su­ bintrantes, en ataxiques. Arrivées à ce p o i n t , un concours n o m b r e u x d'autres circonstances déjà énumérées ou pressenties peut les aggraver, et en faire peut-être des fièvres jaunes épidémiques; et si elles sont renforcées par un miasme que l'on s o u p ç o n n e , mais dont on ne connaît pas le mode d'action, elles se transforment alors en fièvres jaunes épidémiques, mais contagieuses. O r donc les émanations marécageuses peuvent favoriser le typhus occidental ; mais nous ne les croyons pas indispensables puisqu'elles n'existent


( 353 ) 1

pas au môle Saint-Nicolas , ni dans un si g r a n d n o m b r e de places qui vont être citées dans l'ar­ ticle suivant. ART. v. Des localités. Il serait surperflu de répéter tous les préceptes tracés par Hippocrate et ses successeurs, sur les localités ; notre objet étant l'investigation des causes d'une seule m a l a d i e , toute r e c h e r c h e doit tendre aux mêmes lins. C'est un des caractères généraux de la fièvre jaune d'atteindre de préférence les cités p o p u ­ leuses, surtout celles qui sont situées sur les côtes maritimes ; mais ce n'est point un caractère essentiel, puisqu'on a o b s e r v é , en E s p a g n e , qu'elle dépeuplait les villages et les h a m e a u x , même ceux qui étaient loin de la mer. Il paraîtrait donc que M. Dalmas n'a pas été exacte­ ment informé, lorsqu'il a dit qu'un des p h é ­ nomènes essentiels, inséparables et distinctifs de cette maladie, est d'être circonscrite, p o u r les zones tempérées, à l'enceinte des grandes villes ; et en soutenant ailleurs qu'il est sans exemple qu'elle se soit répandue dans les campagnes, il a jugé cette particularité à une é p o q u e où 2

3

1

D. Lean. Disease

2

p. 4. —

3

of the army in St. Domingo,

p. 61.

23

p. 25.


( 354 ) l'on n e pouvait e n c o r e c o m p a r e r l'histoire des épidémies d e l ' A m é r i q u e , avec celles de l ' E s ­ pagne. C e p e n d a n t des relations, consignées d a n s les gazettes de l'Union et d a n s les j o u r n a u x de m é d e c i n e , laisseraient c r o i r e q u e ce fléau a dévasté des villages dans l'intérieur du c o n t i nent. J e ne sais quel d e g r é de confiance il faut a c c o r d e r à ces r a p p o r t s faits p a r des v o y a g e u r s q u i souvent n e sont pas m é d e c i n s ; mais de n o m ­ b r e u x et d é p l o r a b l e s e x e m p l e s o n t r e n d u cette vérité incontestable en E s p a g n e . J ' a i p a r ­ c o u r u les lieux q u e le vomissement noir avait r e m p l i s de deuil et m ê m e changés en s o l i t u d e , et j'ai été à p o r t é e de j u g e r d e ses effets au m i ­ lieu des petites populations. P a l o , h a m e a u f o r m é d e cabanes à trois q u a r t s de lieue d e M a l a g a , et B o r g e , a six lieues de cette ville, où la p o ­ pulation est m o i n s considérable q u e celle d ' A l a u r i n é j o , ne furent p o i n t é p a r g n é s . Au r e s t e , nous c i t e r o n s ailleurs les villages frappés p a r ces é p i d é m i e s q u i se sont p r o p a g é e s , au m o y e n des f u y a r d s , jusqu'à soixante lieues dans l'intér i e u r d e s t e r r e s , et sur plus de cent lieues d e cotes. S i , dans le M e x i q u e , le vomito ne se fait sentir qu'à dix lieues d u rivage d e la V e r a -


( 355 ) 1

C r u z , c'est q u e , là, des limites insurmontables. dépendantes de l'élévation du sol, lui sont o p ­ posées. Nous ne savons point d'ailleurs si le matlazahuatl n'est pas la même maladie. Il faut que l'activité de la contagion soit prodi­ gieuse p o u r vaincre quelquefois tous les obstacles qui s'opposent ordinairement à son i n t r o d u c ­ tion dans des villes où la fièvre jaune paraîtrait ne devoir jamais pénétrer. D e quel é t o n n e m e n t ne fûmes-nous pas frappés, lorsque nous gravîmes la montagne de Médina-Sidonia : l à , nous allions suivre les traces de cette maladie ; e t , p o u r y parvenir, il fallut monter plusieurs centaines de toises, sur un terrain a r i d e , s e c , n u , étranger à toutes les causes d'humidité. L e souffle violent de B o r é e , ralentissant nos pas tar­ difs, nous annonçait qu'il avait établi son trône sur ce séjour des tempêtes; et, quand nous pé­ nétrâmes dans la ville, nous dûmes encore g r i m p e r à tout instant p o u r en p a r c o u r i r les r u e s , dont q u e l q u e s - u n e s sont perpendicu­ laires. Il est vrai qu'elles sont resserrées et sales ; mais la ventilation y, est éternelle. L a Carlotta est bâtie sur un plateau, et n'est 1

M. de Humboldt, p. 780,

in-4.°.

23*


( 356 ) infectée p a r aucun marais ; ses r u e s , tirées au c o r d e a u , sont arrosées et n é t o y é e s par de belles e a u x q u e fournissent, sans i n t e r r u p t i o n , des fontaines a b o n d a n t e s . L e X é n i l ainsi q u e le G u a d a l q u i v i r en sont éloignés d e cinq l i e u e s , et la p o p u l a t i o n n'est que de 700 ames. C a r m o n a , située sur u n r o c h e r fort a r i d e , n ' é p r o u v a q u e peu d'accidens; ce q u ' o n doit a t t r i b u e r à son excellente p o s i t i o n , ou à des mesures prises à t e m p s . Q u o i q u e C a d i x soit au milieu d e la m e r , cette ville n'est pas m o i n s , d a n s la plus g r a n d e p a r t i e de son é t e n d u e , fort élevée au-dessus de son n i v e a u , p a r une espèce d e r o c h e r sur lequel elle est assise; c'est u n e des plus p r o p r e s e t des plus jolies villes du m o n d e . X é r è s , e n c o r e plus é l e v é e , est dans u n e situation fort saine. L a Isla de L é o n et C h i c l a n a , où les riches habitans d e Cadix vont r e s p i r e r un air p u r p o u r r é t a b l i r leur s a n t é , se r e c o m m a n d e n t e n c o r e par leur heureux emplacement. N o u s ne r e t r o u v o n s p a s t o u j o u r s , en A m é ­ r i q u e , les p r e u v e s sensibles d ' u n e aussi g r a n d e activité dans la c o n t a g i o n . P e n d a n t l'épidémie d e S a i n t - D o m i n g u e , le mal n'a p o i n t p é n é t r é dans l'intérieur. S a n - Y a g o , à q u a r a n t e lieues du p o r t de M o n t é - C h r i s t , n'a pas fourni u n


( 357 ) seul exemple de t y p h u s , de m ê m e q u e cette petite place de Monté-Christ q u i , cependant, était le point de communication entre la partie française et la partie espagnole de l'île. Il est évident, d'après ce qui p r é c è d e , que la fièvre jaune est un protée q u i p r e n d mille formes, et qui se joue des spéculations humaines. T a n t ô t elle n'afflige q u e les villes maritimes, et c'est le plus souvent ; tantôt elle s'élève sur les monts : i c i , elle p a r d o n n e aux b o u r g a d e s ; l à , elle y p r o m è n e sa faulx m e u r t r i è r e . Il im­ p o r t e d o n c , p o u r la bien j u g e r , de c o m p a r e r un grand n o m b r e d'épidémies, et de ne point s'abandonner au goût de tirer trop p r o m p t e m e n t des corollaires de quelques faits isolés. C o m m e ce mal n'a é p a r g n é jusqu'ici aucun g e n r e d'exposition, nous ignorons si l'inclinai­ son du t e r r a i n , suivant qu'il est dirigé vers l'équateur ou les pôles, facilite sa p r o p a g a t i o n , et nous devons supposer cette influence nulle. ART. VI. Influence de l'air des vaisseaux et de celui de la mer. J e ne pense pas que la fièvre jaune se soit jamais développée sponta­ nément sur un vaisseau ; ces e x e m p l e s , que l'on cite si fastueusement, laissent toujours q u e l ­ ques doutes. T a n t ô t les relations nous sont transmises par des observateurs qui ne méritent


( 358 ) ucune confiance ; d'autres fois, les navires ont touché le sol américain et y ont pris les germes ; ailleurs, ces mêmes bâtimens transportent des marchandises infectées ; ici, c'est la fièvre des vaisseaux qu'on a confondue avec le typhus oc­ cidental ; là, c'est un navire sur lequel il paraît de nouveau, après y avoir exercé des ravages long-temps auparavant ; ce dont on néglige de s'enquérir. Chisolm cite un fait semblable. Loin donc d'adopter l'opinion que l'air de la mer favorise la fièvre jaune chez les naviga­ t e u r s , je pense le c o n t r a i r e , appuyé sur de nombreuses observations. L'escadre de SaintD o m i n g u e nous fournissait très-peu de m a ­ lades, en proportion de l'immense quantité q u e l'armée de terre envoyait chaque jour dans les hôpitaux; nous sommes même fondés à croire que ceux qui n'auraient jamais couché à t e r r e , ni communiqué avec leurs camarades alités, n'auraient éprouvé aucune altération dans leur santé. Cependant les vaisseaux ancres près des marais de la petite anse, paraissaient p e r d r e plus de matelots que les autres, ce q u i dépend de causes différentes. Nous savons de Lind que les marins du P h é ­ n i x , vaisseau de g u e r r e , ayant a b o r d é à l'île S a i n t - T h o m a s en 1 7 6 G , tombaient malades


( 359 ) s'ils passaient la nuit à t e r r e , et ne couraient aucun risque s'ils retournaient en mer sans s'exposer à l'action des vapeurs terrestres et de la chaleur. E n 1 7 6 4 , le Twed, vaisseau de g u e r r e , mouilla dans la baie de Cadix pendant l'épidémie : plusieurs hommes de l'équipage furent très-incommodés p o u r avoir d é b a r q u é ; mais ils se rétablirent quand on les eut portés à b o r d . Il ne se d é c l a r a , dans la r a d e , ni vo­ missement n o i r , ni aucun autre symptôme dangereux . Un autre exemple très-frappant de celle nature est raconté par M. Valentin, qui atteste que les matelots français des bàtimens de g u e r r e stationnés à Norfolk en 1795, n'étaient nullement atteints du typhus s'ils cou­ chaient constamment à b o r d . O n a aussi o b ­ servé depuis à Carthagène et Alicante, que les marins pouvaient impunément p a r c o u r i r les rues de la ville s'ils n'y restaient pas la nuit. Rouppe , J o h n Hunter , T r o t t e r , avaient déjà publié de semblables observations. Ces faits, quoique positifs, ne sont pas sans e x c e p t i o n , ainsi que le prouve l'histoire mé­ dicale des navigateurs. La contagion est quel1

2

3

1

4

T. I, p. 174. —

4 On the diseases

2

5

P. 95. —

of Jamaica.

3

5

De morb. navig. — Medicina

nautica.


( 360 ) quelois si active qu'elle pénètre dans les navires et y exerce autant de ravages que dans les cités, ainsi qu'il arriva à King'stown ( S a i n t - V i n c e n t ) en 1793, et ainsi qu'on peut le voir dans la partie historique de cet ouvrage. A R T . VII. Influence des vents généraux. Il faut bien distinguer l'effet d'un froid vif qui opère un changement brusque dans l'action des organes, de celui des courans d'air considérés dans la production de la maladie en général. C'est sous ce dernier r a p p o r t que nous allons les examiner. Les Européens qui craignent le vomissement noir à la V e r a - C r u z , considèrent comme t r è s heureuses les années où le vent du n o r d souffle avec force jusqu'au mois de m a r s , et où il se fait déjà sentir depuis le mois de septembre . Les époques auxquelles règnent à la Vera-Cruz le vomissement noir et les tempêtes du n o r d , ne coïncident pas : par conséquent, l'Européen qui arrive au M e x i q u e , et le Mexicain qui des­ cend des montagnes p o u r s ' e m b a r q u e r , ont tous deux à choisir entre le danger de la na­ vigation et celui d'une maladie mortelle . A la Guiane hollandaise, les v e n t s , dans la 1

2

1

M. de H u m b o l d t , T . IV, p. 5 1 3 , in-8.°. —

2

Idem.


( 361 ) saison pluvieuse, viennent la n u i t , du sud-est, et passent sur ces immenses marécages et forêts qui couvrent le sol ; ils rendent l'air excessi­ vement humide et froid, et ils le vicient en y transportant les miasmes des lieux malsains. Aux Antilles, et en général sur le b o r d oriental de l'Amérique, l'est est un vent r é g u ­ lier, agréable et rafraîchissant, qui souffle tous les jours. Il part à une centaine de lieues de l'Afrique, traverse l'Océan atlantique avec une vitesse de huit lieues p a r h e u r e , et paraît dé­ p e n d r e de la raréfaction journalière q u ' o c c a ­ sionne le soleil. Lorsqu'il ne passe pas sur des marais ou sur des terres e m b r a s é e s , il est sa­ lutaire; p o u r arriver au C a p , il conserve toutes ses b o n n e s qualités. Mais son antagoniste, qui est l'effet de la réaction ou du balancement de l ' a t m o s p h è r e , et qui vient sur les dix heures du s o i r , y est malfaisant, soit par la chaleur étouffante qu'il p r o d u i t , soit parce qu'il passe sur un sol infect. Ce dernier a pu c o n t r i b u e r , en se chargeant d'émanations malfaisantes ou p a r un autre m é c a n i s m e , à r e n d r e si d a n g e ­ r e u x le séjour de l'armée dans cette capitale de la colonie. S i , aux E t a t s - U n i s , les p h é n o m è n e s m é t é o ­ rologiques contribuent à faire naître la fièvre


( 362 ) j a u n e , ce ne peut être assurément par les mêmes moyens qu'à Saint-Domingue. En effet, j'y ai o b s e r v é , avec tous ceux qui ont voyagé dans ces régions, une telle variété clans la d i ­ rection des c o u r a n s , qu'ils passent f r é q u e m ­ ment et rapidement d'un point de l'horizon à l'autre ; ce qui est bien opposé à la constante monotonie des régions équinoxiales. Le nordouest dominant aux états de l'Union est froid, élastique, violent, et souffle plus fréquemment l'hiver que l'été. Q u a n d il continue pendant quelques jours en d é c e m b r e , le vomissement noir s'enfuit ; c'est alors le génie bienfaisant qui étend ses ailes protectrices sur des contrées remplies de deuil. En E s p a g n e , où l'on a attaché tant d'im­ portance à l'action des v e n t s , il n'y a pas d'alizés, et les formes de la péninsule repous­ sent toute espèce de qualité générale dans les balancemens de l'atmosphère : il y a aussi sur le littoral des différences sensibles qu'il i m ­ p o r t e de faire connaître et qui sont s u b o r ­ données à la variété des expositions. A C a d i x , le vent d'est est sec et étouffant, p a r c e q u e , p o u r y arriver, il passe sur les terres embrasées de l'Andalousie et du royaume de G r e n a d e : c'est lui q u i , en 1800, souffla p e n d a n t q u a -


( 363 ) rante j o u r s , et que des personnes un peu trop crédules accusèrent d'avoir introduit la fièvre jaune. La séparation du royaume de G r e n a d e en deux parties distinctes par de hautes mon­ t a g n e s , fait que Malaga et ses environs é p r o u ­ vent peu les effets du vent du n o r d , tandis que celui du midi y p o r t e une g r a n d e chaleur ; mais l'est y est plus frais, p a r c e qu'il passe sur la Méditerranée p o u r arriver à cette ville. SanL u c a r et X é r è s sont protégés des vents du sud p a r la chaîne de la Sierra de X é r è s ; et G r e ­ nade l'est de ceux du sud-ouest par celle qu'on n o m m e Sierra-Morena. M u r c i e , qui a été aussi le siége de la fièvre j a u n e , se trouve au milieu d'un territoire sec et m o n t u e u x , sur lequel les vents n'exercent qu'un empire s e c o n d a i r e , puisque leurs courans sont brisés par les iné­ galités du sol. Le climat de cette province est tellement a g r é a b l e , qu'elle en a reçu le n o m d e serenissimo regno. Q u o i q u e le nord ne domine pas sur la côte depuis Cadix jusqu'à Alicante, cependant il y r è g n e quelquefois, et il est sec et p i q u a n t , p a r c e qu'il ne traverse pas de g r a n d e s masses d'eau p o u r y parvenir. Ces données générales suffiront p o u r d é ­ m o n t r e r qu'il n'y a pas eu en Espagne u a


( 364 ) o r d r e particulier de vents qu'on puisse r a i ­ sonnablement accuser de p r o v o q u e r la fièvre jaune. L'inégalité du s o l , les c o u p u r e s , les vallées, les montagnes, la différence des deux m e r s , les courans des fleuves, des r i v i è r e s , des t o r r e n s , les expositions diverses, tout s'op­ pose à ce qu'on a d m e t t e , dans cette p é n i n s u l e , une cause locale et unique assez étendue p o u r multiplier ce fléau sur une aussi g r a n d e surface. Au s u r p l u s , il ne sera pas inutile de faire ressortir les contradictions des auteurs qui su­ b o r d o n n e n t les maladies générales à une seule cause, et surtout à l'influence atmosphérique. P a r m i ceux qui nient la c o n t a g i o n , les uns attribuent le typhus de Cadix à ce que le vent d'est fût sec et étouffant, et d'autres à ce qu'il fût chaud et humide. 1

SECTION

Des causes

II.

occasionnelles.

Les pathologistes sont d'accord sur ce point que la cause occasionnelle est ce qui met en 1

Reflexiones

y pueblos amante

sobre la epidemia

circumvecinos del bien

publico.

a fines

padecida

en

del año 1800. Por

Cadiz un


( 365 ) jeu la prédisposition. Un h o m m e peut posséder toute sa vie l ' o p p o r t u n i t é , sans avoir la fièvre j a u n e , si une cause quelconque ne vient ré­ veiller ce premier état, et s'y joindre pour constituer ce que l'on nomme m a l a d i e ; voilà le principe. J'ai dû d i r e , à la section des causes p r é d i s ­ posantes, que la même peut ê t r e c o n s i d é r é e , dans certains cas, et comme prédisposante et comme occasionnelle ; elle produit le premier effet, lorsqu'elle agit avec l e n t e u r , et le second lorsque son impression est b r u s q u e . C'est de cette manière qu'il faut considérer l'action du froid qui ne devient cause occasionnelle q u e dans les circonstances où il produit une im­ pression vive, subite et passagère sur la peau. ARTICLE PREMIER. Des affections morales. Au n o m b r e des causes les plus énergiques nous placerons la tristesse, la nostalgie, les chagrins, la t e r r e u r , e t , en général tous les mouvemens insolites de l'ame, toutes les s e ­ cousses extraordinaires qu'elle éprouve. Dans la production des maladies, les affec­ tions morales doivent être aussi considérées sous le double r a p p o r t de prédisposantes et d'occasionnelles, selon leur m o d e d'action. Les unes opèrent sourdement en affaiblissant le


( 366 ) genre n e r v e u x , les autres mettent brusque­ ment en jeu la prédisposition . O n sait que, pendant le règne des grandes épi­ démies, la t e r r e u r est le véhicule des maladies et de la contagion ; c'est une vérité prouvée par l'histoire des longs siéges, et des défaites dans les armées : vérité bien plus applicable à la fièvre jaune qu'à aucune autre lésion. E n effet, j'ai fréquemment observé au Gap que le lendemain de chaque alerte voyait a u g ­ menter le n o m b r e des malades. l

Nous avons v u , page 7 8 , qu'à l'arrivée des troupes françaises au C a p , elles trouvèrent la ville en flammes, et qu'il n'y eut, p o u r le soldat comme p o u r l'officier, ni l o g e m e n s , ni hôpi­ taux ; première source de tristesse. Q u a n d on est à dix-huit cents lieues de sa p a t r i e , on est fort disposé à la mélancolie, surtout lorsqu'on d é b a r q u e sur un monceau de cendres. Bientôt le signal des combats fit taire les premières réflexions ; e t , tant qu'on eut des succès, l'en­ thousiasme produisit une excitation favorable, qui neutralisa les premiers g e r m e s du désordre physique.

1

Multi

tilentialem

ex solo timore et imaginatione inciderunt.

Nic

massa.

in febrem

pes~


( 367 )

Au bruit des armes succéda une sombre p a i x , plus effrayante peut-être que les d é c h i remens de la g u e r r e . Une soumission plâtrée permit quelques instans de repos : mais m a l ­ heureusement l'armée vie orieuse étant rentrée dans la ville, le feu pestilentiel parut tout-àc o u p , et l'embrasement devint universel. L a révolte des nègres vint de nouveau aggraver notre fâcheuse situation en augmentant nos inquiétudes. L'effroi se multiplia, en p r o ­ p o r t i o n du p é r i l , et chaque nuit il fallut que chacun eût les armes à la main p o u r assurer son repos. O n soupirait après la p a t r i e , et la langueur accablait toutes les ames. L'influence de ces causes ne se b o r n a pas seulement à l'ar­ m é e ; elle s'étendit sur les particuliers qui nous avaient suivis dans l'espérance de s'enrichir : c e u x - c i , loin d'augmenter leur fortune, dissi­ p è r e n t leurs capitaux, et furent contraints de partager nos dangers : de là ces idées sombres et mélancoliques. Inde mali labes. Alors la nostalgie qui affaiblit si activement la vitalité, v i n t , comme un mal é p i d é m i q u e , sur ajouter à nos maux ; et ce délire qui r e ­ pousse toute consolation, se repaissait de la vue de l ' O c é a n , et de la crainte de n'en plus traverser l'étendue p o u r revoir la douce patrie


( 368 )

ART. II. Du froid. L'impression vive, subite et passagère du froid met en jeu les causes pré­ disposantes, soit en refoulant la transpiration, soit p a r d'autres procédés qui nous sont i n ­ connus. Ainsi, dans les régions équatoriales, il y a toujours du danger à s'exposer aux courans d ' a i r , parce que la peau y est habituellement dans un état de moiteur. Ayant gravi le mont Picolet près du C a p , avec deux de mes amis, nous arrivâmes au s o m m e t , baignés de sueur : une brise de N. E . , aussi rapide que fraîche, soufflait vivement sur cette montagne : nous dévorions le plaisir i m p r u d e n t de cette venti­ l a t i o n , dont le résultat fut une affection grave qui saisit mes c o m p a g n o n s , et m'épargna seul, parce que j'avais été acclimaté r é c e m m e n t par la fièvre jaune que je venais d'essuyer. M. Desgenettes a également vu que la peste semble plus particulièrement attaquer ceux qui sont exposés à des transitions subites du chaud au froid, et r é c i p r o q u e m e n t , tels que les b o u ­ langers, les cuisiniers, etc. L'expérience a consacré aux Antilles l'ha­ bitude salutaire de se retirer au soleil couchant, parce qu'on y craint le froid humide du soir, 1

P. 248.


( 369 ) Ceux qui, pendant les plus belles nuits, dorment sur un tillac, sont tout étonnés de se réveiller le matin avec un froid pénétrant, et ayant leu rs couvertures trempées d'humidité. C'étaient les mêmes causes qui coopéraient aux accidens des soldats bivouaqués sur les hauteurs envi­ ronnant la ville. Après une chaleur brûlante du jour, le thermomètre y baisse brusquement la nuit, de plusieurs degrés, indépendamment de ce que les courans d'air y sont très-rapides. Les mêmes phénomènes sont observés dans les régions basses du Mexique, où la suppression subite de l'excrétion cutanée est une des prin­ cipales causes occasionnelles des fièvres gas­ triques et bilieuses, et surtout du coléramorbus. Dans certaines parties, le thermomètre qui, dans le jour, s'était élevé à 30° centigrades, s'abaisse dans la nuit vers le 1 7 ou le 18 . Ce changement brusque fait les plus vives impres­ sions sur les organes. Ces variations ont lieu dans presque toute l'Amérique équinoxiale, et elles causent des suppressions très-dangereuses pour les étrangers. Parmi les causes excitantes de la fièvre jaune, M. Valentin n'en connaît pas de plus puissante que le refoulement de cette utile excrétion ; et il ajoute aussi qu'après le coucher du soleil, la maladie frappe plus promptement o

o

24


( 370 ) ceux q u i , ayant éprouvé une chaleur étouf­ fante pendant le j o u r , négligent de se vêtir c o n v e n a b l e m e n t , et de se garantir des vapeurs fraîches et extrêmement humides de la nnit . 1

C'est sans doute en s'appuyant sur de sem­ blables observations, que M. Balme a considéré le premier stade de la contagion comme ayant lieu lorsque le système exhalant est d i m i n u é , et que le système absorbant est augmenté et domine. Alors toutes les causes qui refoulent les mouvemens à l'intérieur, deviennent des causes excitantes de fièvre jaune. 2

Ceci me conduit naturellement à r a p p o r t e r une observation singulière recueillie par M. de H u m b o l d t . Une p e r s o n n e avec laquelle il avait eu des liaisons d'amitié p e n d a n t son séjour à M e x i c o , n'avait passé que très-peu de temps à la V e r a - C r u z , lors de son p r e m i e r voyage d ' E u r o p e en Amérique. Elle arriva à X a l a p a , sans éprouver aucun sentiment qui pût lui faire connaître le danger dans lequel elle se trouverait bientôt. « Vous aurez le vomito ce soir, dit g r a ­ vement un b a r b i e r indien en lui savonnant le visage : le savon sèche à mesure que je l'ap­ plique ; c'est un signe qui ne t r o m p e jamais, 3

1

P. 141. —

2

P. 79. —

3

P. 7 7 4 , in-4.°.


( 371 ) et voilà vingt ans que je rase les chapetons qui passent par cette ville en remontant à Mexico ; sur cinq il en m e u r t trois ». Cette s e n ­ tence de m o r t fit une forte impression sur l'es­ p r i t du voyageur; il représenta vainement à l'Indien que son calcul était e x a g é r é , et qu'une g r a n d e a r d e u r de la peau ne p r o u v e pas l'in­ fection ; le barbier persista dans son pronostic : en effet, la maladie se déclara peu d'heures après ; et le v o y a g e u r , déjà en r o u t e p o u r P é r o t e , fut obligé de se faire transporter à X a l a p a , où il faillit succomber. Q u o i q u ' o n ne puisse s'étayer d'une observa­ tion semblable p o u r tirer des conséquences utiles, c e p e n d a n t il ne faut pas p e r d r e de vue que les barbiers espagnols exercent tous un peu de chirurgie et m ê m e de m é d e c i n e , et qu'un h o m m e q u i , depuis vingt ans, faisait les mêmes r e m a r q u e s , pouvait bien avoir acquis u n e espèce d'expérience qui le dirigeait dans ses jugemens. ART. III. De la suppression des évacuations tant naturelles qu'artificielles. Nous venons d e voir ce que peut la suppression d'une évacua­ tion naturelle, telle que la sueur; on peut juger, 1

On appelle ainsi les étrangers nouvellement arrivés 24 *


(

372

)

par a p p r o x i m a t i o n , ce qu'on a à craindre q u a n d les autres sécrétions ne se font pas convena­ blement. O n avait cru l o n g - t e m p s , dans les colonies, que les maladies cutanées, les ulcères et les écoulemens p a r les m e m b r a n e s muqueuses, ga­ rantissaient des atteintes du typhus d'Amérique. Cette idée hypothétique fut répétée sur parole ; elle avait m ê m e séduit quelques médecins es­ pagnols ; mais rien n'est plus contraire à la vérité. Des observations positives m'ont prouvé que le vomissement noir atteint ceux qui ont des cautères c o m m e ceux qui ont des affec­ tions vénériennes et le p r o b l è m e a été résolu p a r la négative. Il est, d'une autre p a r t , indubitable q u e la suppression subite des émonctoires artificiels ne soit des plus pernicieuses ; car on a vu des malades avoir des nausées dès le jour où la source de la matière était tarie, et présenter

1

Voyez

la troisième histoire, p. 105 et 108. M. le

docteur François a même

temps

traité un militaire qui avait en

la g a l e , la petite vérole et un bubon

vénérien. Quoique ce fait soit étranger à notre sujet, il appartient à l'histoire des contagions, et mérite d'être cité.


( 373 ) d e suite les premiers symptômes de la

fièvre

jaune. ART. IV. De l'action vive du soleil sur l'organe cérébral. L'action rapide du soleil sur l'en­ céphale peut développer t o u t - à - c o u p les causes prédisposantes jusqu'ici restées inertes, e t p r o d u i r e p r o m p t e m e n t les symptômes de la fièvre jaune . Aussi est-il d'une g r a n d e i m p r u ­ d e n c e , aux Antilles, de se p r o m e n e r en plein m i d i , parce q u e le soleil y lance des torrens d e feu q u e les indigènes e u x - m ê m e s ne sau­ raient soutenir sans d a n g e r : instruits par l'ex­ p é r i e n c e , ils prennent la précaution d e se renfermer à cette é p o q u e , tandis que les étran­ gers s'exposent à ce péril sans en apprécier l'étendue. M. Savaresy a vu q u e l'action du soleil est telle, et son effet si p r o m p t , qu'après avoir d e m e u r é un certain temps à l'ardeur de ses r a y o n s , les Européens sont immédiatement a c ­ cablés de fièvre j a u n e , et succombent tout d'un c o u p , c o m m e frappés de la foudre . D e pareils exemples ont été connus à S a i n t - D o m i n g u e . 1

2

3

Cette influence que le soleil exerce sur l'éco­ n o m i e , pendant toute l'année, dans les régions 1

2

Makittrick, p. 115. Moultrie, l. c., p. 170. Voyez

ma 2 4 . observ., p. 159. — e

3

P. 235.


( 374 ) équinoxiales, se p e r d aux Etats-Unis et en Es­ p a g n e p e n d a n t plusieurs mois, et se renouvelle surtout dans la saison de l'été : on sait qu'alors la chaleur est souvent plus forte à Philadel­ p h i e , à N e w - Y o r k , à Baltimore et à Charlest o n , q u ' a u x Antilles, parce qu'elle n'y est pas t e m p é r é e par les brises rafraîchissantes et régu­ lières de la zone torride. M. Devèze a o b s e r v é , avec tous les colons français, que la chaleur de Philadelphie est plus accablante et plus d é b i ­ litante q u e celle de S a i n t - D o m i n g u e . M. Rush pense q u e les rayons du soleil sont une cause excitante fort ordinaire du vomissement noir ; et il ajoute que les feux des maisons devenaient les agens de la contagion : p a r - l à , il explique la plus grande mortalité parmi les boulangers, les forgerons et les chapeliers. 1

2

ART. v. Des effets de la pluie sur le corps, L a saison des pluies, quoique salutaire aux Antilles et dans toutes les régions équinoxiales p o u r rafraîchir l'air et r e n d r e supportable l'at­ m o s p h è r e , fut néanmoins fatale à b e a u c o u p de gens lors de l'épidémie de 1802; c'est ainsi q u e , les jours de grands orages, plusieurs sol­ d a t s , fortement trempés par la p l u i e , tombaient 1

P . 22. —

2

P . 30.


( 375 ) malades, et que le lendemain il en entrait dans nos hôpitaux un plus grand n o m b r e qu'à l'ordi­ naire. C'étaient principalement ceux q u i , de g a r d e la n u i t , avaient reçu toute la chute d'eau sans pouvoir changer de vêtemens. A R T . VI. Des courses violentes et des fatigues excessives. Il est d a n g e r e u x , dans les pays c h a u d s , de se livrer à des courses violentes, à des voyages de longue haleine, ou à des t r a ­ vaux pénibles : les mouvemens forcés épuisent le corps en p r o v o q u a n t une t r o p grande sécré­ tion par l'organe cutané. Ce d a n g e r , que l'expé­ rience a p p r e n d à connaître, justifie l'indolence naturelle des h a b i t a n s , et peut-être le besoin q u ' o n a en Amérique d'une race fortement or­ ganisée p o u r cultiver les terres. Il annonce au moins aux étrangers qu'ils d o i v e n t , dans les premiers t e m p s , ne se livrer qu'à des travaux modérés. ART. VII. Cohabitation. L'acte destiné à la propagation de l'espèce est précisément celui qui, dans les colonies, cause la destruction d'un g r a n d n o m b r e d'Européens : c'est de toutes les causes affaiblissantes la plus dangereuse. Lors­ qu'il ne détermine pas une chute r a p i d e , il y prédispose fortement ; mais, dans le cas où l ' o p ­ portunité a dejà été introduite par des causes


( 376 ) antérieures, il devient un des agens les plus énergiques de l'invasion du mal. Combien d'in­ dividus n'avons-nous pas v u s , saisis par le fris­ s o n , en sortant des bras de la V o l u p t é , ter­ miner leur carrière en peu d e jours ! Combien aussi n'en a v o n s - n o u s pas c o n n u qui avaient été victimes d'une simple pollution nocturne ! A R T . VIII. Des excès dans les boissons et les alimens. En arrivant dans les pays c h a u d s , les Européens doivent redouter l'abus des boissons alcoholiques ; on les croit indispensables p o u r soutenir les forces : mais c'est une de ces fausses idées qu'entretiennent les p r é j u g é s , et plus encore un certain soulagement momentané qu'on éprouve à l'instant d e la p r e m i è r e i m ­ pression qu'elles font sur l'estomac. Leur effet positif est d'irriter le g e n r e n e r v e u x , et d'ac­ tiver t r o p fortement la circulation. Elles p r o voquent en outre la transpiration déjà trop considérable, et p e u t - ê t r e finissent-elles par occasionner des congestions cérébrales ou des phlogoses chroniques dans les m e m b r a n e s de l'estomac.

Il est vrai que le besoin des boissons se fait souvent sentir. Les habitans de S a i n t - D o m i n ­ g u e , guidés p a r l'expérience, faisaient un g r a n d usage de l'eau mêlée avec le vin, et en offraient de


( 377 ) suite à ceux qui les visitaient. Cette boisson est la plus salutaire ; mais les E u r o p é e n s trouvent fort agréable de stimuler l'estomac e n g o u r d i , en buvant du r h u m , du wiski, du r a c k , toutes liqueurs brûlantes qui viennent de la fermen­ tation du sucre ou de la distillation des grains. Ils périssent infailliblement lorsqu'ils se plon­ gent dans l'ivresse, et c'est fréquemment à la suite d'une orgie qu'a lieu l'invasion du typhus ; ce qui place les boissons stimulantes au rang des causes prédisposantes lorsqu'elles ont une i n ­ fluence progressive, et des causes occasionnelles lorsqu'elles agissent b r u s q u e m e n t sur un corps en mauvais état.

Ce qui p r é c è d e est d'autant plus a p p l i c a b l e aux alimens, q u e la s u r c h a r g e de l'estomac et les altérations de sa faculté digestive facilitent aussi l'action des miasmes, et qu'il est fort or­ dinaire de voir une indigestion être le prélude de la fièvre jaune. Les règles de l'hygiène méritent tellement d'être respectées aux Antilles, qu'en y arrivant, les étrangers reçoivent des impressions tontes nouvelles, et que leur estomac n'est point a c ­ coutumé aux alimens qu'il est destiné à digérer. O n fait, à S a i n t - D o m i n g u e , à cause de l'ar­ deur du climat, un fort grand usage des fruits


( 378 ) ou autres végétaux débilitans, tels que la figue ba­ nane la banane ; le g o m b o ; l'igname ; la patate ; le corrosol ; l'orange ; la sapotille ; la goyave ; l'avocat ; l'ananas ; la p o m m e cannelle ; la caimite ; la papaye ; les mangues ; la noix d'acajou ; la g r e n a dille ; la noix de coco et le petit lait qu'elle renferme ; l'abricot ; productions agréables, puisqu'elles flattent le goût et qu'elles rafraî­ chissent ; utiles, parce qu'elles ont des qualités correctives: mais qui détruisent les forces de l'estomac, si l'on en fait un usage i m m o d é r é : d'autres alimens, indispensables aux Antilles, viennent du d e h o r s , et p e r d e n t quelques-unes d e leurs qualités salutaires ou en acquièrent de mauvaises pendant la traversée. Ainsi la farine y arrive souvent gâtée ; les fruits du n o r d , tels 1 ;

2

5

3

6

9

4

7

1 0

8

11

13

13

14

l 5

16

17

18

19

1

2

Musa paradisiaca, L. — Musa sapientium L. — Hibiscus esculentus, L. — Dioscorea villosa, L. — Convolvulus batatas, L. — Anona muricata, L.— Citrus aurantium, L. — Achras sapota, L. — P s i dium montanum, Swartz. — Laurus persea, L. — Bromelia ananas, L. — Anona squamosa, L. — Chrysophyllum glabrum, L. — Carica papaya, L. — Mangifera sativa, L. — Anacardium occiden­ tale, L. — Passiflora maliformis, L. — Cocos nucifera, L. — Mammea americana, L. }

3

4

5

6

7

8

9

1 0

11

1 2

1 3

14

l 5

16

17

1 8

19


( 379 ) que les p o m m e s , perdent leur partie aqueuse dans la traversée, deviennent friables, etc. ; et, d'une autre p a r t , les viandes sont généralement d'une faible qualité. D ' o ù l'on conclura que dans les premiers temps du séjour aux Antilles, il faut vivre avec une sobriété extrême, s'imposer des privations, sortir de table avec appétit, et se garder de fa­ tiguer son estomac, déjà tourmenté par l'action d'un soleil a r d e n t , d'une n o u r r i t u r e peu forti­ fiante. A R T . IX. Du séjour dans les hôpitaux. Pen­ dant une épidémie de fièvre j a u n e , les hommes entassés dans les hôpitaux en vicient tellement l'air, que les personnes qui n'y vivent pas ha­ bituellement, é c h a p p e n t r a r e m e n t au danger qui les m e n a c e , si elles séjournent t r o p long­ temps au milieu de ces enceintes de douleurs. J e suis bien convaincu q u e , dans ceux du C a p , des militaires, atteints d'abord d'une affection l é g è r e , y étaient exposés, la même nuit, à une dégénération fâcheuse que d'autres éprouvaient plus tard ; et je puis assurer q u e , dans les en­ droits circonscrits où il y a une grande réunion d'hommes, elle est plus grave qu'ailleurs. Voyez l'obs. 3, p . 1 0 8 . C'est aussi là que nos malheureux


( 380 ) officiers de santé puisèrent ce poison qui en consuma un si g r a n d n o m b r e , que la seule énumération glace d'épouvante. U n e fois atteint du t y p h u s , je ne crois pas que la fuite à la campagne puisse être un r e m è d e s o u v e r a i n , mais elle l'atténue ; de même que le passage d'un lieu sain dans les hôpitaux l'aggrave. P o u r concilier les opinions divergentes des praticiens, quelques personnes ont pensé que la fièvre jaune ne devenait contagieuse que par sa complication avec le typhus des hôpitaux ; idée plus séduisante que vraie. Le vomissement noir peut devenir p a r lui-même tout aussi con­ tagieux que la peste, à laquelle on veut aussi, depuis quelque t e m p s , ravir une partie de ses attributs ; son histoire et ce que nous r a p p o r ­ terons dans le chapitre suivant ne laissent aucun doute sur son caractère contagieux, indépendant de l'influence de l'air des hôpitaux. Si même on observait b i e n , on verrait peut - être q u e , pendant le r è g n e de cette fièvre celle d'hôpital ne se présente pas, ou au moins rarement. L e Cloaque, n o m m é hôpital de la P r o v i d e n c e , ne nous a presque jamais présenté le typhus de nos armées d ' E u r o p e , p a r c e que celui d'Amérique }


( 381 ) envahissait t o u t , et laissait paraître peu de ma­ ladies aiguës, sans les faire r e n t r e r dans son domaine et les a p p r o p r i e r à sa constitution. O n ne saurait trop se persuader du danger qu'il y a de se déplacer p e n d a n t le règne de cette maladie ; il ne faut le faire que p o u r la fuir entièrement. Celui qui a vécu constamment dans un lazaret, au milieu de l'infection, ne tar­ d e r a pas à en être la p r o i e , s'il quitte ce séjour p o u r r e n t r e r dans la ville lorsqu'elle n'est pas entièrement délivrée ; tant la force de l'habitude émousse l'action des miasmes. O n cite, à l'appui de cette assertion, de n o m b r e u x exemples tirés des m o i n e s , des prêtres ou des garde-malades, qui n'ont d û la mort qu'à l'imprudence d'avoir a b a n d o n n é trop tôt les hospices p o u r r e n t r e r dans leurs foyers encore peu assainis. J'ai déjà rapporté l'histoire de ce jeune militaire q u i , après avoir rempli pendant l o n g - t e m p s les fonctions d'infirmier dans l'hôpital des P è r e s , passa à m o n service dans la ville, et fut p r o m p tement atteint de la fièvre jaune ; des servans du lazaret d'Alicante, et quelques ecclésiastiques destinés à y administrer les secours de la religion, avaient été constamment au milieu de l'infection. Ils entrèrent trop tôt à la ville, les uns p o u r se reposer d e leurs longues fatigues, les autres


( 382 ) parce que leurs fonctions avaient cessé, et p l u ­ sieurs furent victimes de cette précipitation. Bobadilla, dans sa 279.° observ., cite D. F r a n ­ cisco Salsa, âgé de quarante a n s , qui avait, en soixante-deux jours, assisté, sans p r e n d r e aucune espèce de p r é c a u t i o n , plus de cent malades dans le lazaret de los Barrios; mais l'ayant quitté p o u r p r o d i g u e r ses secours au médecin B o ­ badilla, à un père chapelain, et à une de ses cousines, il fut saisi du vomissement noir le 8 janvier, avec les symptômes les plus violens. Il fut le dernier exemple de cette é p i d é m i e , et sa guérison eut lieu, au moyen de la méthode que nous exposerons. SECTION

Aperçu

III.

théorique sur la cause

essentielle.

P o u r apprécier convenablement cette cause, il importe de s'éclairer du flambeau de l'obser­ vation et de s'étayer des faits les plus c o n n u s , comme des symptômes les plus saillans. O r , tout ce que nous savons des nombreuses épidémies de fièvre j a u n e , porterait à croire que la cause es­ sentielle est le produit de la lésion des organes ou des systèmes d'organes les plus essentiels à la vie.


( 383 ) La combinaison des causes prédisposantes et occasionnelles, lorsqu'elles ont agi à un degré suffisant, donne un résultat qui ne ressemble plus à ces premières causes, de m ê m e que l'association d'un acide avec une base alkaline forme un tout bien différent de ses élémens constitutifs. Si le miasme, dont nous concevons la possibilité et dont nous jugeons l'existence par les effets, vient ensuite c o o p é r e r avec ces mêmes causes, alors cette combinaison nouvelle d o n n e à la maladie une forme particulière, qui est celle de la fièvre jaune et lui i m p r i m e peutêtre le caractère contagieux q u e , dans d'autres circonstances, elle n'aurait pas eu. Il se pourrait aussi, que sans cette addition d'un miasme spéci­ fique, elle n'eût été q u ' u n e rémittente ordinaire, attendu q u e les causes prédisposantes et occa­ sionnelles dont nous avons fait m e n t i o n , sont à p e u près les mêmes p o u r toutes les maladies aiguës de l'Amérique. Il n'est pas aisé d'assigner au miasme le rang qui lui convient dans la maladie, de p r o n o n c e r sur sa n a t u r e , ni de juger son m o d e d'action ; mais je pense qu'il ne peut rien sans le concours des autres causes, et que c'est lui qui détermine la nature spécifique du mal. J e ne sais m ê m e s'il peut exister réellement une fièvre jaune sans lui ;


( 384 ) j'oserais au moins affirmer qu'il n'en est point de contagieuse. O n le suppose e n g e n d r é spontanément en Amérique ; quelquefois, dans l'atmosphère ; d'autres fois, dans le corps des malades qui le reproduisent en a b o n d a n c e . Son action est nulle sur les vieux habitans des tropiques , soit parce qu'ils sont familiarisés avec l u i , soit aussi parce qu'ils le sont avec les causes prédis­ posantes les plus graves. 1

E n r é s u m é , voici ce q u e l'analyse a p p r e n d de plus positif sur la cause essentielle, matérielle ou prochaine. 1.° O n aperçoit u n e affection c é ­ r é b r a l e bien p r o n o n c é e ; 2.° une lésion du système de la circulation sanguine ; 3.° un d é ­ sordre plus ou moins grave des fonctions digestives et des organes qui y coopèrent. O n p o u r r a i t , en quelque s o r t e , attribuer ces deux dernières lésions au ravage qui se fait p r o m p t e m e n t dans les centres n e r v e u x , et conclure que la cause essentielle consiste dans un trouble particulier de la vitalité, dont on ne peut définir la n a t u r e , mais dont l'origine r e m o n t e probablement à un état morbifique des 1

A moins de circonstances rares, fort extraordi-

naires, et d'un changement de localités.


( 385 ) organes cérébral et spinal : alors les mouvemens tumultueux et tous les symptômes extérieurs ne seraient que secondaires. Considérée sous ce point de vue, cette cause paraît avoir quelque analogie avec celle des fièvres ataxiques, et surtout avec celles q u i s o n t contagieuses. En effet, il n'y a pas une très-grande distance entre elles ; la combinaison seule d'une cause primordiale et spécifique l e u r donne une apparence différente, ou des formes qui ne sont pas identiques. Ainsi, dans la p e s t e , le miasme, tout en frappant les centres nerveux, i m p r i m e ses effets sur le système lymphatique ; tandis que celui de la fièvre jaune, particulier au sol de l'Amérique, agit de même sur les r é ­ servoirs de la sensibilité, et plus spécialement ensuite sur les fonctions digestives et biliaires. C'est p e u t - ê t r e là ce qui forme la ligne de démarcation entre ces deux grandes maladies, d'ailleurs tellement ressemblantes, sous b e a u ­ coup de r a p p o r t s , q u e plusieurs a u t e u r s , et entre antres W a r r e n et Chisolm, les ont c o n ­ fondues. Beaucoup d'écrivains se sont exercés à fixer la nature de ce typhus ou à rechercher sa cause matérielle. Makittrick s'est noyé dans de longues h y p o t h è s e s , p o u r p r o u v e r qu'il est d'abord 25


( 386 ) inflammatoire et qu'il passe rapidement à l'état putride ; ajoutant même que souvent l'instant du passage est indivisible . Moultrie fait résider la cause prochaine dans l'acrimonie des fluides . H u n i e r ne c o n s i d è r e , dans tout cet appareil de symptômes g r a v e s , qu'une fièvre bilieuse renforcée . R u s h , en s'emparant de son i d é e , représente en même temps la maladie c o m m e hautement inflammatoire, selon l'opinion de Moseley. Plusieurs ne voient en elle q u ' u n e fièvre putride ; quelques-uns, q u ' u n e affection m a l i g n e , et un g r a n d n o m b r e d'autres p r é ­ tendent qu'elle participe de ces deux caractères à la fois. Jackson, en faisant trois espèces, paraît avoir eu en vue les causes essentielles qu'il admettait dans cette maladie. 1

2

3

1

Vid.

passim.

2

L. c . , p. 169. —

3

L. c. (note).


CHAPITRE

VIII.

De la Contagion. On demande chaque jour si la fièvre jaune est contagieuse, si elle est susceptible d'importa­ t i o n , ou si elle peut naître spontanément dans les climats chauds de l'Europe ? Ce p r o b l è m e , qui nous intéresse si fortement, est un de ceux d o n t la médecine ne peut d o n n e r une solution sans réplique. Cependant l'histoire de l'inva­ s i o n , des p r o g r è s et de la marche des épidé­ mies d ' E s p a g n e , paraît r é p a n d r e un nouveau jour sur la question, et même p o r t e r la démons­ tration jusqu'à l'évidence, p o u r tous ceux qui envisagent le sujet sans prévention. Il ne faut point oublier une leçon terrible q u e l'esprit de mauvaise observation et les misé­ rables conflits de l'amour p r o p r e nous ont donnée dans le siècle dernier. Les contestations sur la peste de Marseille favorisèrent son extension, en faisant négliger les moyens p r o ­ phylactiques les plus indispensables, pour se livrer à une vaine logomachie et à des disputes scandaleuses. Si l'on s'était e n t e n d u , des mesures promptes auraient pu arrêter, les r a v a g e s d'un

25 *


( 388 ) t o r r e n t qui détruisait tout, p a r c e q u ' o n ne lui opposait pas les digues nécessaires. Q u e d'exem­ ples m a l h e u r e u x ne p o u r r a i t - o n pas entasser à côté de celui-ci? e t , sans nous r e p o r t e r à des temps reculés, n'en puiserions - nous pas de très-remarquables dans les annales du 19. siècle plus r a p p r o c h é de nous? L e souvenir du fléau é p i d é m i q u e , dans la péninsule e u r o p é e n n e , laisse apercevoir des traits inouis de vacillations, d ' i n c e r t i t u d e , de discussions vaines, d'opinions soutenues à o u t r a n c e , de d é n o n c i a t i o n s , d'exils p r o v o q u é s p a r l'orgueil ou la mauvaise foi ;.... mais tirons le rideau sur ces faits h o n t e u x . e

SECTION

Vues

PREMIÈRE.

théoriques.

Les médecins n'étant pas parfaitement d'ac­ c o r d sur ce q u ' o n e n t e n d p a r c o n t a g i o n , il ne saurait être oiseux d ' e x p l i q u e r , avec q u e l q u e é t e n d u e , le sens q u e j'y a t t a c h e , p a r c e q u e je d o n n e à ce m o t u n e acception moins limitée qu'on ne le fait c o m m u n é m e n t . Cette expres­ sion renferme toujours p o u r moi l'idée d ' u n e émanation animale qui s'applique à un être vivant, favorablement disposé p o u r la r e c e v o i r , et qui développe en lui un nouvel état, ou, dans quelques-uns de ses organes, un nouveau m o d e


( 389 ) d'action, quel que soit l'agent intermédiaire qui a servi au transport de la matière infectante ou de moyen de communication. P e u t - ê t r e , p o u r jouir de toutes leurs p r o p r i é t é s , ces émanations veulent-elles partir d'un corps actuellement doué de la v i e , et non dans l'état de cadavre. Bien différentes, en ces divers p o i n t s , du miasme des marais, formé du detritus des subs­ tances végétales et de quelques insectes pourris ; miasme q u i , n'étant point, dans sa totalité, de la nature du p r e m i e r , occasionne des maladies différentes, telles que les fièvres endémiques et d'accès ; miasme qui ne peut agir q u e dans sa sphère d'activité, b o r n é e absolument aux lieux d'où il s'exhale ou à leur voisinage ; miasme qui n'est point transmissible à des distances éloi­ gnées, ou par le moyen d'étoffes et d'autres substances inertes. On a soutenu que la fièvre jaune était q u e l ­ quefois intermittente, et alors elle pourrait avoir pris sa source dans les marais ; mais rien n'est constant à cet égard : il est même p r o b a b l e q u e l'on a confondu des maladies différentes, et seu­ lement marquées par quelques traits du typhus dominant. Aussi son caractère continu doit-il ê t r e considéré comme une nouvelle preuve d'une origine bien indépendante des gaz des marais.


( 390 ) Q u a n t a u x maladies é p i d é m i q u e s , tout p o r t e à croire qu'elles reconnaissent p o u r causes les variations d e l'atmosphère. Serait-il contraire à l'analogie qu'elles pussent devenir contagieuses p a r la multiplicité des exhalaisons animales occasionnées chez les fébricitans, p a r l'activité qu'elles i m p r i m e n t aux o r g a n e s , p a r l'énergie ou le mauvais caractère de la p y r e x i e , enfin p a r l'entassement des individus? et l'histoire de ces fatales é p o q u e s q u i ont désolé les cités et les nations, n'est-elle pas remplie de faits a u t h e n ­ tiques qui d é m o n t r e n t que la complication con­ tagieuse est fréquente dans les épidémies? p e u t ê t r e m ê m e est-elle inséparable de leur existence. Selon les p r é c e p t e s d ' H y p p o c r a t e , de S y d e n h a m et des plus g r a n d s o b s e r v a t e u r s , on doit c h e r c h e r la cause des épidémies dans les i n t e m ­ péries des saisons, et dans ces c h a n g e m e n s b r u s q u e s dont la p l u p a r t sont antérieurs à l'exis­ t e n c e de l'épidémie e l l e - m ê m e . C'est par cette succession soutenue de variations q u i i m p r i ­ m e n t l e n t e m e n t leurs effets sur l'économie v i ­ v a n t e , q u e les habitans d'une c o n t r é e finissent p a r être en masse la p r o i e d'une maladie g é n é rale, p a r c e qu'ils o n t été soumis également à J'influence des m ê m e s causes, p a r c e qu'ils o n t constamment respiré le même air, p a r c e qu'enfin


( 391 ) leurs organes, affaiblis par l'action continue des mouvemens irréguliers de l'atmosphère, a c ­ quièrent la susceptibilité nécessaire et une dis­ position c o m m u n e à des lésions semblables. Ces idées, qui ne sont point nouvelles, auraient du faire réfléchir ceux qui soutiennent que le typhus occidental n'est qu'épidémique ; ce qui n'est nullement d'accord ni avec cette e x p r e s ­ sion, ni avec le génie de ce mal. En effet, dans une é p i d é m i e , il n'y a c o m m u n é m e n t que les indigènes ou les habitans d'un pays qui sont malades, tandis que les étrangers nouvellement arrivés ne le sont presque jamais. O r c'est a b ­ solument le contraire dans la fièvre j a u n e , ainsi qu'on a p u le voir. Les personnes qui jettent les hauts cris sur l'admission de son ca­ ractère contagieux, ont toutes éludé cette objection qui est une des plus puissantes qu'on puisse leur opposer. Toutefois, j'avouerai q u e nous ne connaissons encore que d'une manière imparfaite les limites de l'épidémie et de la contagion ; et je n'oserais assurer qu'il a existé une seule maladie générale qui n'ait pas m o n t r é un caractère plus ou moins contagieux. Un ture, pour corps

miasme délétère, quelle que soit sa na­ doit d o n c , ainsi que je viens de le d i r e , p r o d u i r e un résultat, s'appliquer sur un animé ; et ce résultat sera une affection


( 392 ) morbifique toujours en h a r m o n i e avec l'essence ou l'organisation de ce m ê m e gaz : i n a p p r é ­ ciable jusqu'ici par nos sens et par nos instrumens qui ne peuvent le saisir, nous ne le connais­ sons q u e p a r ses effets ; la science s'arrête là. H i l d e n b r a n d a émis l'idée q u e celui du t y p h u s contagieux p o u r r a i t être é l e c t r i q u e , ce qui n ' a p p r e n d rien ; nous savons seulement qu'il a besoin de certaines conditions p o u r agir avec toute son énergie ; o n p o u r r a i t p e u t - ê t r e se p e r m e t t r e de penser que le miasme de la fièvre jaune a été originairement végéto-animal, c'està-dire le p r o d u i t des exhalaisons d'un sol h u m i d e et m a r é c a g e u x , combinées avec des é m a n a ­ tions animales d'une nature particulière. Il fau­ drait alors attribuer à cette d o u b l e association le type rémittent insidieux qu'on a cru obser­ ver quelquefois, ou cette espèce de repos q u i constitue la deuxième p é r i o d e , et qui lui d o n n e en quelque sorte la forme d'une pernicieuse i n t e r m i t t e n t e , entée sur u n e continue ataxique. M. de H u m b o l d t dit q u e ces miasmes p o u r r a i e n t bien être des combinaisons ternaires ou q u a t e r ­ naires ; c'est peut-être aussi ce mélange s p é c i ­ fique, qui c o n c o u r t à établir les différences essentielles e n t r e la peste et la fièvre jaune ; mais ce ne sont là q u e des conjectures. Il s e m b l e , au surplus, q u e l'application des


( 393 ) miasmes de la peste occidentale doit se faire de trois manières : ou immédiatement de l'homme malade à l'homme sain qui se trouve dans la sphère de la contagion ; ou par un h o m m e sain qui s'en empare et les tran met à un a u t r e , sans en être affecte lui-même . Dans cette deuxième classe rentre aussi la contagion qui a lieu par le moyen d'instrumens inertes, tels que les c o t o n s , les poils, les laines, les étoffes, etc.; enfin l'atmosphère saturée d'éma­ nations malfaisantes constitue le troisième mode de propagation. 1

L e premier m o d e paraît le plus actif et devoir être le plus p r o m p t ; il suffit, en effet, de t o u ­ cher un malade dans le troisième d e g r é , p o u r être rapidement infecté ; à moins que l'habitude de vivre au milieu de la c o n t a g i o n , n'en émousse les effets, comme il arrive à quelques médecins et à quelques servans d'hôpitaux. Il règne aussi autour du m a l a d e , et à une distance dont nous ne saurions assigner les limites, une sphère d'infection dans laquelle il est dangereux de se plonger. O n court les risques de la contagion, l o r s q u e , sans le t o u c h e r , on se trouve à portée de sentir l'odeur qu'il exhale, de respirer le 1

Pestem fugiens

alios inficit.

peste corripitur,

Camerarius

et non infectas

eâ,

sylloges memor. Méd. centar. 7.


( 394 ) c o u r a n t d'air infect et mélangé q u i sort de sa p o i t r i n e , ou p e u t - ê t r e d'avaler des alimens im­ p r é g n é s de miasmes. L e 2 . m o d e est plus r a r e , peut-être m ê m e plus difficile à concevoir ; mais il n'en est pas moins c e r t a i n , ainsi que l'exposition des faits le p r o u v e r a . C'est p a r ce m o y e n q u ' o n se fait u n e idée de la p r o p a g a t i o n d ' u n e ville à l ' a u t r e , d'une contrée à une contrée voisine, et de l'im­ p o r t a t i o n du typhus de l'Amérique en E u r o p e . C'est aussi à ce m o d e de p r o p a g a t i o n q u e se rattache la nécessité des q u a r a n t a i n e s , m a l h e u ­ r e u s e m e n t t r o p négligées p a r les Espagnols. L o i n de m o i l'idée de soutenir q u e les éma­ nations de la fièvre jaune soient aussi pesantes et aussi susceptibles d'importation q u e celles de l a p e s t e ! J e pense, c o n t r e l'opinion de M. Balme , qu'elles sont plus volatiles q u e ces d e r n i è r e s , et p a r conséquent plus susceptibles d'altérations et de destruction. Elles ne résistent q u e r a r e m e n t à une foule d e c a u s e s , et n o t a m m e n t aux chang e m e n s a t m o s p h é r i q u e s , qui font moins d ' i m ­ pression sur les miasmes pestilentiels. C'est là précisément ce qui explique p o u r q u o i l'impor­ tation de la maladie d'occident est si difficile, et p o u r q u o i elle n'a pas r é g n é c o n s t a m m e n t e

1

1

De œthiologia

generali

contagii,

p. 45.


( 395 ) sur les côtes de l'Espagne depuis les voyages de Colomb. Enfin cette volatilité des exhalaisons et leurs qualités éminemment malfaisantes et c o r r u p ­ trices nous ont porté à croire qu'elles pouvaient vicier l'atmosphère, mais à des distances limitées. Sans cette conviction, il est une foule de p h é ­ nomènes dont on ne pourrait se r e n d r e compte. P e u t - ê t r e éprouverait-on le même embarras à l'égard de la peste, si l'on s'obstinait à croire qu'elle ne peut se c o m m u n i q u e r que par le contact ; mais plusieurs écrivains, et entre autres M. Savaresy , reconnaissent dans l'air la faculté de la transmettre. 1

Supposons d'abord la fièvre jaune actuelle­ m e n t existante dans un lieu mal aéré, c o m m e une prison, un hôpital, une caserne, etc ; un individu y p é n è t r e , il ne touche personne, il passe même à une certaine distance des lits, et cependant il est p r o m p t e m e n t atteint de la maladie. De pa­ reils exemples ont été recueillis dans toutes les époques où elle a été observée ; il y a donc eu infection au moyen de l'atmosphère. Si l'air des hôpitaux est susceptible de se vicier, on concevra que celui des villes peut 1

Memoria

sulla peste,

p. 127. Si je ne m e trompe,

c'est aussi l'opinion de M, Desgenettes.


( 396 ) participer jusqu'à un certain point à ce g e n r e d'altération, et que la c o r r u p t i o n peut s'étendre de p r o c h e en p r o c h e . Q u o i q u e cette assertion semble d'abord p a r a d o x a l e , l e x p é r i e n c e et le r a p p r o c h e m e n t des faits la r e n d e n t vraisem­ blable. Dans quelques villes, abstraction faite de toute m a l a d i e , il r è g n e u n e p u a n t e u r éternelle ; dans d ' a u t r e s , la mauvaise o d e u r ne s'y fait sentir qu'au moyen de certaines dispositions a t m o s ­ p h é r i q u e s , et dans certains q u a r t i e r s , q u o i q u e très-propres d'ailleurs. Il y a des villes et de vastes plaines qui sont p e r p é t u e l l e m e n t infectées p a r des exhalaisons marécageuses ; voyager au m i ­ lieu de ces plaines, m ê m e au g r a n d a i r , c'est s'exposer à p r e n d r e des fièvres intermittentes. Ignore-t-on le sort des voyageurs qui s'endorment en traversant les marais p o n t i n s ? E t s'il faut des exemples plus r a p p r o c h é s de n o t r e s u j e t , n'avons-nous pas reconnu dans la fièvre jaune un caractère de p u a n t e u r qui, selon quelques obser­ v a t e u r s , se fait m ê m e r e m a r q u e r dans les rues? N ' a - t - o n pas p r é t e n d u q u e ce caractère était si p r o n o n c é , qu'il s'apercevait e n c o r e plusieurs mois après que la maladie avait cessé ? D'ailleurs, si l'on admet c o m m e incontestable q u e les gaz des marécages peuvent vicier l ' a t m o s p h è r e , m a l g r é son balancement c o n t i n u e l , p o u r q u o i


( 397 ) refuserait-on le même privilége aux gaz émanés des corps malades, gaz infiniment plus é n e r ­ giques que les premiers ? A ces p r e u v e s , je puis ajouter d'autres faits : c'est ainsi que Rush a o b s e r v é , après le 12 sep­ t e m b r e 1793, que l'atmosphère des rues était entièrement c o r r o m p u e , et qu'il y avait peu de p e r s o n n e s , quoique avec une apparence de b o n n e santé, qui ne présentassent une ou p l u ­ sieurs marques d'infection sur leur corps . O n pourrait r a p p o r t e r aux mêmes moyens de c o n ­ tagion l'exemple de ceux q u i , d é b a r q u a n t à la V e r a - C r u z , ne s'y arrêtent point, et prennent le typhus, quoiqu'ils se font transporter p r o m p t e m e n t hors de la région de la fièvre jaune , si cet exemple n'appartenait pas plutôt à la contagion par contact. M. Savaresy a compté une vingtaine de personnes qui étaient saisies dès leur première descente à t e r r e , et qui mouraient en deux ou trois jours ; ce qui était également arrivé du temps d u p è r e L a b a t et de Thibault d e Chanvalon. 1

2

Mon o p i n i o n , indépendamment de ces preuves et des autorités qui l'appuient, acquiert un degré de vraisemblance encore plus positif, lorsqu'on se souvient q u e , partout où existe la fièvre j a u n e , on est plus exposé dans l'INTÉRIEUR 1

V.

107. —

2

Voyez

ci-après, même chap.,

s e c t . III


( 398 ) des villes q u e dans les villages, et m ê m e q u e dans les faubourgs peu éloignés, c o m m e il arriva à Carthagène. Ainsi, en admettant q u e l'atmosphère subit certaines a l t é r a t i o n s , ou plutôt qu'elle tient en suspension des agens é t r a n g e r s , m a l g r é son b a ­ lancement c o n t i n u e l , nous serons conduits à penser que le miasme peut s'attacher aux parois des maisons et aux murailles e x t é r i e u r e s , d'où il s'échappe dans le réservoir c o m m u n ; il doit pareillement s'y i n t r o d u i r e en se r é g é n é r a n t sans cesse p a r la r e s p i r a t i o n , les exhalaisons et les excrétions ; enfin sa p e s a n t e u r spécifique, qui nous est i n c o n n u e , p o u r r a i t également lui faire o c c u p e r une certaine h a u t e u r et le faire résister au d é p l a c e m e n t des autres gaz. Il est p r o b a b l e aussi qu'il s ' a c c o m m o d e mieux d e l'air des villes q u e de celui des c a m p a g n e s , qui est plus p u r , plus frais, plus élastique et plus agité. S'il faut des conditions p o u r q u e l'individu subisse une m a l a d i e , il en faut aussi au miasme p o u r conserver sa force et son énergie. Cette pensée a été t r è s - b i e n interprétée p a r le d o c t e u r P a l l o n i , lorsqu'il dit que le m o d e d'infection de cette fièvre est t e l , qu'un air p u r et sans cesse renouvelé d é c o m p o s e Je levain morbifique à très-peu de distance du malade ; qu'au c o n -


( 399 ) traire, un air stagnant et vicié par des exhalaisons animales en devient aisément le véhicule Soutenir que les miasmes ont de l'affinité pour tels ou tels corps, de préférence à d'autres, seraitce hasarder une opinion dépourvue de vraisem­ blance ? et si, après s'être cramponnés quelque part, ils trouvent un être avec lequel ils aient plus d'attraction ou de s y m p a t h i e , ne p o u r r a i t - o n croire qu'ils se détachent du premier p o u r voler au second ? Cette idée paraîtra étrange : c e p e n ­ dant c'est ainsi que les sels cristallisent ; c'est ainsi que les parties vivantes se choisissent p o u r l'ho­ m o g é n é i t é ; c'est ainsi q u e tout se p r é p a r e et se lait dans la nature ! On sait déjà qu'ils ont moins d'affinité p o u r les enveloppes inorganiques ou m o r t e s , que p o u r les corps qui jouissent de la v i e , vers les­ quels ils paraissent sans cesse attirés. Lorsqu'ils agissent sur les corps animés, cette opération se fait de deux manières : ou ils se fixent sur la p e a u , ou ils s'introduisent dans les organes in­ ternes déjà frappés d'un affaiblissement relatif; dans le p r e m i e r c a s , leur effet est plus lent ; ils peuvent m ê m e être neutralisés, ce qui justifie la m é t h o d e des b a i n s , des frictions, e t c . , comme préservatifs. Mais dans la 2. h y p o t h è s e , leur e

1

P. 39.


( 400 ) effet doit être plus p r o m p t : toutefois il faut supposer q u e , p o u r o p é r e r un d é s o r d r e avec r a p i d i t é , ces mêmes émanations délétères se trouvent appliquées sur l'organe qui est le plus en r a p p o r t avec leur m o d e d'action ; car, p o u r a g i r , elles ont besoin d'un foyer c o n v e n a b l e , c o m m e les vers p o u r éclore. T o u t e grossière q u e peut paraître cette c o m p a r a i s o n , elle fait sentir q u e , dans l'économie de l ' h o m m e , rien ne se fait sans une o p p o r t u n i t é particulière q u i p r é c è d e tous les c h a n g e m e n t , tous les p h é n o ­ mènes maladifs . l

N o u s ne faisons que s o u p ç o n n e r le m o d e et les voies de communication de ces a g e n s , mais rien ne nous est d é m o n t r é à cet égard. Il est à p r é s u m e r néanmoins q u e les désordres se d é v e l o p p e n t avec d'autant plus de facilité, q u e les émanations délétères sont appliquées plus p r è s de l'endroit où elles doivent établir leur siège, et p r o d u i r e leurs p r i n c i p a u x ravages. Ainsi le venin de la v i p è r e , lorsqu'il est avalé, ne laisse apercevoir aucune trace de sa v i r u ­ lence ; il en est p e u t - ê t r e de m ê m e du virus vaccin. P a r une raison c o n t r a i r e , celui de la fièvre jaune p o u r r a i t bien avoir plus d'affinité avec les organes g a s t r i q u e s , et s'introduire 1

Voyez m o n Mémoire sur la c o n t a g i o n . Paris, 1810.


( 401 ) plutôt par la salive ou les alimens ; tandis q u e celui de la p e s t e , qui m e paraît affecter de préférence le système l y m p h a t i q u e , p é ­ nètre plus facilement et occasionne des ravages plus rapides, lorsqu'il est appliqué sur la peau. Tout ce qui précède reçoit une nouvelle c o n ­ firmation, lorsqu'on réfléchit q u e les miasmes d e m e u r e n t souvent stationnaires, et ne jouis­ sent d'aucune puissance, quoique attachés à un corps vivant. Sans cet état d'inertie, c o m ­ m e n t p o u r r a i t - o n concevoir q u ' u n h o m m e put rester plongé dans l'atmosphère i m p u r e des hôpitaux et n'y point contracter la peste ou la fièvre jaune? I n d é p e n d a m m e n t du défaut de susceptibilité q u ' o n t les o r g a n e s , on ne doit pas oublier le privilége de la force vitale q u i réagit sans cesse contre les agens p e r n i ­ cieux : ôtez la vigilance qu'elle e x e r c e , et nous ne p o u r r o n s nous soustraire à leur action ; et si cette puissance vitale est affaiblie dans ses é l é m e n s , ou dans les forces radicales d'un o r g a n e , c'est là que les causes maladives exercent leur empire d e p r é f é r e n c e , et c'est p a r là qu'elles commencent à troubler l'har­ monie des fonctions. P r e n o n s un e x e m p l e , et supposons que la p e a u jouisse de toute sa force expansive l o r s -

26


( 402 ) q u ' u n e émanation malfaisante s'y applique : celle-ci ne p r o d u i r a aucun effet ; mais s i , p a r une circonstance q u e l c o n q u e , sa faculté a b ­ sorbante est a u g m e n t é e , alors l'énergie du miasme a u g m e n t e dans les m ê m e s p r o p o r t i o n s . I n d é p e n d a m m e n t de toutes ces c o n d i t i o n s , sans lesquelles ces corps é t r a n g e r s ne p e u v e n t a g i r , il en est d'autres qui a p p a r t i e n n e n t spécialement à leur m a n i è r e d'être. Il f a u t , par c o n s é q u e n t , qu'ils s'échappent des corps malades à une é p o q u e f a v o r a b l e , et qu'ils ne soient altérés p a r aucune c i r c o n s t a n c e , telle q u e celle de l'exposition à un t r o p g r a n d d e g r é de c h a l e u r , à un froid c o n s i d é r a b l e , ou à un air t r o p élastique qui puisse diminuer leur énergie ; en un m o t , il faut q u e les corpuscules ne se désorganisent point avant d e s'appliquer sur u n individu. Ce q u e nous avons d i t , à l'article des causes, d é m o n t r e q u e les é m a ­ nations d e la fièvre j a u n e sont t o u t - à - f a i t n u l l e s , si elles ne sont favorisées par quinze ou vingt d e g r é s de chaleur ; tandis qu'il p a ­ r a î t r a i t , p a r quelques e x e m p l e s , que celui d e la peste peut e x e r c e r ses ravages au milieu des glaces de l'hiver. C'est également une vérité très-connue p o u r le typhus des hôpitaux. Il est étrange de voir la légèreté avec la-


( 403 ) quelle on a p r o n o n c é sur le caractère non contagieux de la maladie que nous décrivons ; on a rassemblé dans quelques livres une foule de lieux communs qu'on a pris pour des preuves irréfragables, sans s'apercevoir de la faiblesse des argumens. L e plus grand n o m b r e m ê m e porte un cachet différent de celui qu'on leur a attribué : je m'étais occupé de rassembler ce qu'on avait avancé sur cette question, et j'avais cru que toutes les p r o p o ­ sitions des adversaires se détruisaient avec une facilité prodigieuse, ou même qu'elles servaient à la cause contraire : j'en aurais fait un tableau p o u r le joindre ici ; mais déjà la longueur de ce travail m'effraie : j'engage seulement à peser les preuves qu'on d o n n e pour détruire toute idée de c o n t a g i o n , et j'assure qu'on n'en trou­ vera pas une qui soutienne l'examen. U n des plus grands vices de quelques o u v r a g e s , c'est l'infidélité dans les récits. Les efforts qu'on a faits p o u r accommoder des observations tronquées, à l'opinion qu'on veut faire valoir,ne sontpas moins blâmables; d'autres écrivains n'ont recueilli des documens que dans une seule contrée et à la hâte ; mais uneépidémie n'apprend point assez, d'autant q u ' à certaines époques et dans certains endroits, la fièvre jaune se comporte à la manière des 26 *


( 404 ) fièvres é p i d é m i q u e s , et dans d'autres à la m a ­ nière des contagieuses. A moins d'une obstination a v e u g l e , on ne saurait nier q u e , dans t o u t e l'Espagne et à SaintD o m i n g u e en 1 8 0 2 , elle ne se soit a n n o n c é e avec tous les caractères d e la contagion Ceci est p r o u v é p a r u n e multiplicité infinie d e faits tellement a u t h e n t i q u e s , q u e le sceptique le plus o u t r é n'oserait les r é v o q u e r en d o u t e . D'ailleurs, la différence qui existe en E s p a g n e e n t r e les localités, les expositions, la t e m p é r a t u r e , les c o u r a n s d ' a i r , la s é c h e r e s s e , l ' h u m i d i t é , et m ê m e les variations a t m o s p h é r i q u e s , atteste q u e cette maladie n'a pu se p r o p a g e r si universelle­ m e n t sur les côtes et dans l'intérieur à des distances c o n s i d é r a b l e s , q u e p a r des m o y e n s différens des causes é p i d é m i q u e s ; et q u e si celles-ci o n t aidé la p r o p a g a t i o n , ce ne p e u t ê t r e q u ' e n prédisposant les c o r p s . Cette diffé­ r e n c e est e n c o r e u n e objection à laquelle on ne 1

Mes fonctions de m é d e c i n en chef, la crainte d'ins-

pirer la terreur aux malades e t le découragement parmi les officiers de s a n t é , m e rendirent très-circonspect à cette époque. Je devais me taire sur la contagion ; e t , dans un travail que je publiai a l o r s , je balançai les deux o p i n i o n s , sans m e permettre de me p r o n o n c e r hautement.


( 405 ) saurait r é p o n d r e ; e t , chaque fois qu'on affir­ m e r a q u e telle circonstance a p r o p a g é la fièvre jaune dans une c o n t r é e , nous r é p o n d r o n s : mais cette cause manquait dans d'autres régions, où le mal a exercé sa plus g r a n d e fureur ! L ' a r g u m e n t tiré de ce qu'elle ne se transmet pas à tous les i n d i v i d u s , dans tous les lieux et dans toutes les occasions, est plus spécieux q u e solide, cette maladie n'étant, ainsi q u e toutes les autres, comme nous l'avons r é p é t é souvent, susceptible de se disséminer q u e p a r un c o n ­ cours de circonstances qui favorisent sa p r o ­ pagation. Les opinions contradictoires sont évidemment le produit d'observations p a r t i ­ culières, d'où il résulte q u e , dans quelques épidémies, le vomissement noir a eu la faculté de se transmettre, tandis que dans d'autres il en était dépourvu. Cet a r g u m e n t p e u t , outre cela, être facilement r é t o r q u é , en disant q u e la maladie ne d é p e n d jamais des exhalaisons du sol, ni des variations de l'atmosphère, p u i s ­ q u e tous ceux qui vivent sous l'influence des mêmes causes, ne la p r e n n e n t pas toujours. Nous trouverons encore des preuves de toutes ces vérités, en comparant les autres affections morbifiques avec celle qui nous occupe. Il n'y a peut-être pas d'aimée où le typhus des


( 406 ) hôpitaux ne s'aperçoive dans c h a q u e maison consacrée à recueillir les m a l a d e s , et cependant il ne se p r o p a g e pas dans les villes et les b o u r g s c o m m e il le fit, en 1799, à N i c e , à G r e n o b l e , à T o u l o n et dans le voisinage, ou c o m m e il a fait à A u x e r r e et à Dijon en 1812 ; e t , sans nous r e p o r t e r loin de n o u s , p o u v o n s - n o u s nier q u e le typhus é m i n e m m e n t c o n t a g i e u x , dont nous venons d'essuyer les atteintes, ne s'est point r é ­ pandu dans la c a p i t a l e , q u o i q u e b e a u c o u p d'officiers et de soldats qui en étaient infectés fussent soignés chez les particuliers. Moi-même l'en ai traité u n assez g r a n d n o m b r e dans la ville, et j'ai à peine a p e r ç u un cas ou d e u x d e communication. C e p e n d a n t toutes les causes prédisposantes existaient alors ; la t e r r e u r , les c h a g r i n s , etc. ; mais il manquait u n e condition r é p a n d u e universellement au milieu du p e u p l e d e Paris : c'est à son absence q u e nous dûmes n o t r e salut. Quelle est cette condition q u i a m a n q u é ? je l'ignore. Il ne se passe p e u t - ê t r e pas aussi d'année où il n'y ait quelques exemples d e peste à Constantinople, sans qu'elle p é n è t r e dans tous les quartiers de la ville Il en est de 1

Les m é d e c i n s que l'impératrice de Russie e n v o y a à

Moscou pendant la peste de 1771 ; ceux qui p r é c é d e m ­ ment

avaient reçu ordre d'aller à M a r s e i l l e , pendant


( 407 ) m ê m e des maladies qui se donnent par inocu­ lation, telles que la syphilis, la variole, ou la vaccine; combien de gens ne les contractentils jamais, quoique s'y exposant sans m é n a ­ gement ! E n conclurons-nous que ces maladies ne sont pas contagieuses, parce qu'elles sont soumises à des exceptions ? E t ne serons-nous pas plutôt portés à penser q u e , de m ê m e qu'il faut une prédisposition individuelle p o u r p r e n d r e une maladie, de m ê m e aussi il faut une opportunité universelle p o u r q u e cette maladie s'étende généralement dans une c o n ­ trée. O r , cette opportunité est liée à bien des causes qui d é p e n d e n t du c l i m a t , des i n t e m ­ péries des saisons, des variations de l'at­ m o s p h è r e , de sa mixtion ou de ses qualités i n t é r i e u r e s , des latitudes, du d e g r é de chaleur et de différentes circonstances locales. celle de 1 7 2 0 , ne furent pas atteints de la maladie. O n a vu des armées entières vivre en sûreté au milieu des épidémies pestilentielles, ainsi qu'il arriva en Italie dans des temps reculés. L'armée

française en E g y p t e peut

citer des exceptions nombreuses et parmi les soldats dans les hôpitaux et parmi les médecins qui conser­ vèrent leur santé en soignant sans réserve les pestiférés. Or, dans le langage des Sceptiques, ces exceptions équi­ vaudraient à une négation absolue de contagion.


( 408 ) L'exposition des causes a p r o u v é suffisam­ m e n t cette p r o p o s i t i o n , et je pourrais seulement ajouter qu'il faut une telle p r o p o r t i o n dans ces m ê m e s agens q u e , selon des m é d e c i n s , u n d e g r é excessif de chaleur e m p ê c h e le dévelop­ p e m e n t de quelques maladies : les faits c o n cluans, cités à l'article de la chaleur, p . 327 et 328, ne laissent aucun doute à ce sujet. Dans toutes les maladies susceptibles de d e ­ venir contagieuses ou é p i d é m i q u e s , il y a des intervalles plus ou moins longs où elles ne pa­ raissent q u e s p o r a d i q u e m e n t ; et alors elles sont dépouillées d'une p a r t i e d e leurs c a r a c ­ t è r e s , et elles n'acquièrent l e u r férocité o r d i ­ naire q u e lorsqu'elles sont renforcées p a r les circonstances d o n t il vient d'être fait mention. Q u o i q u e l'humidité de l'air ou du sol puisse favoriser la naissance de cette fièvre, cepen­ dant elle n'est pas indispensable, c o m m e l'a cru M. Balme : tout ce q u e n o u s avons dit de l ' E s ­ p a g n e et de la situation de M é d i n a - S i d o n i a , et de tant d'autres villes ou c o n t r é e s , confirme cette opinion ; mais elle reçoit un nouveau d e g r é de confiance lorsque l'on c o n s i d è r e , par o p p o ­ sition, q u e des villes q u i , rassemblent tous les agens capables d ' e n g e n d r e r la fièvre j a u n e , et


( 409 ) reconnus comme suffisans p a r ceux qui nient la contagion, n'en ont jamais été atteintes. Aux États-Unis on a tour à tour accusé le voisinage de la m e r , des g r a n d s fleuves, des marais ; les variations fréquentes d e l'atmos­ p h è r e , les las d'huîtres pourries ou de café avarié, l'humidité des habitations, les o r d u r e s des rues, les infiltrations des rivières, une grande multiplicité d'insectes, et tout ce qui a pu venir à l'idée m ê m e de plus invraisemblable. O r , s'il est p r o u v é que la maladie a p u survenir quel­ q u e part sans toutes ces causes ou m ê m e sans aucune d'elles, on ne saurait les a d m e t t r e c o m m e indispensables ou nécessaires. O n a émis quelque part l'idée que des p a r ­ ticuliers niaient la contagion p o u r faciliter le c o m m e r c e , et celte idée a été reproduite p a r la société médicale de L y o n , dans le r a p p o r t fait sur le Mémoire de M. Balme. Il faut avouer qu'on la doit à la faiblesse des p r e u v e s , au mau­ vais choix des faits et à l'opiniâtreté avec l a ­ quelle on soutient une opinion insoutenable. Q u o i qu'il en soit, on ose à peine s o u p ç o n n e r 1

1

Si je ne me t r o m p e , l e rapporteur était M. Sainte-

M a r i e , un des médecins les plus distingués et les plus savans de la ville de L y o n .


( 410 ) qu'un vil intérêt p o r t e à exposer des nations entières aux ravages d'un fléau pestilentiel ; niais on doit savoir g r é à une société savante et res­ p e c t a b l e , d'avoir c o u r a g e u s e m e n t p r o v o q u é l'attention sur une matière aussi i m p o r t a n t e , afin de m e t t r e les nations en g a r d e contre l'es­ p r i t mercantile de quelques étrangers qui n e craindraient p e u t - ê t r e pas de sacrifier l ' E u r o p e » au désir de c o m m e r c e r sans a u c u n e espèce d'entraves. La fièvre jaune paraît e n d é m i q u e en A m é ­ r i q u e o ù elle a pris naissance, c o m m e la peste en É g y p t e . Q u a n d cette p r e m i è r e , d o n t le foyer est dans le nouveau m o n d e qui en r e p r o d u i t sans cesse les miasmes g é n é r a t e u r s , afflige un g r a n d n o m b r e d'individus, elle devient t r è s - s u s c e p t i b l e de c o m m u n i c a t i o n , p a r c e q u e les exhalaisons se renforcent de t o u t ce que la décomposition du corps h u m a i n p e u t d o n n e r d'activité. C'est q u a n d elle est p a r v e n u e à sa troisième p é r i o d e , qu'elle a le plus d'é­ n e r g i e : Clark p a r t a g e cette opinion. L a fièvre jaune a cette affinité avec la peste et avec toutes les autres maladies contagieuses. Elle est b i e n moins à c r a i n d r e dans la p r e m i è r e p é r i o d e ; 1

1

Savaresy, Memoria

sulla

peste.


( 411 ) mais sur la fin, lorsque la peau se trouve cou­ verte de taches, d'éruptions, de plaques ; quand elle s'ouvre p o u r donner passage au sang, et. que les excrétions exhalent une odeur infecte, alors l e danger est imminent. Si donc, au milieu d'une grande épidémie contagieuse,et lorsque la mortalité est parvenue à son plus haut degré, un vaisseau part p o u r l'Europe, et e m p o r t e des individus atteints des germes du m a l , ou des effets qui soient chargés des mêmes émanations, l'incendie s'allumera quelques jours après l'arrivée du navire dans un p o r t é t r a n g e r , p o u r v u que les circonstances indispensables q u e nous avons m e n t i o n n é e s , fournissent un aliment à la combustion . Les maladies contagieuses s o n t , c o m m e tous les autres effets physiques de la nature, assujéties à des limites. Depuis 1804 jusqu'à 1 8 1 1 on n'a point aperçu de fièvre jaune en E s p a g n e , et en­ core cette dernière est-elle fort incertaine, ou du moins la fièvre a-t-elle été peu violente. Si elle avait continué comme dans les quatre p r e 1

1

Quelques circonstances tendraient à faire croire que

le miasme de la fièvre jaune acquiert une énergie toute particulière, lorsqu'il est renfermé un certain temps ou déplacé. Cette idée voudrait être appuyée par beaucoup de faits concluans.


(

4l2

mières années de ce siècle, la population des côtes aurait disparu. Mais il faut c r o i r e , 1.° q u e les germes ont m a n q u é d ' a l i m e n t , parce q u e la suceptibilité, d ' a b o r d i n h é r e n t e aux h a b i t a n s , avait été détruite p o u r un t e m p s d o n t nous n e saurions assigner le t e r m e , a t t e n d u d'ailleurs que la plus g r a n d e partie des côtes m é r i d i o ­ nales et orientales avaient été ravagées ; 2.° on ne p e u t m é c o n n a î t r e que l'activité des miasmes ne s'use p a r le t e m p s ; 3.° l'expérience p r o u v e que la latitude septentrionale et l'éloignement des b o r d s de la m e r les affaiblissent. E n d é m i q u e dans des pays c o n s t a m m e n t c h a u d s , la fièvre jaune a p u se transplanter sous des zones dif­ férentes; mais là son action est b o r n é e , et l'ab­ sence du c a l o r i q u e , l i b r e m e n t et a b o n d a m m e n t r é p a n d u , lui est absolument c o n t r a i r e ; 4 . ° enfin, certaines saisons t u e n t les g e r m e s , qu'on m e passe cette e x p r e s s i o n , p u i s q u e je les considère, p o u r r e n d r e m o n idée p l u s s e n s i b l e , c o m m e des êtres q u i , q u o i q u e invisibles p o u r n o u s , jouissent d'une organisation vitale qui nous est i n c o n n u e , mais qui seule fait a p p r é c i e r les va­ riétés q u ' o n observe dans l e u r action. Ce sont des s e m e n c e s , des g r a i n e s , des œ u f s , si l'on v e u t , mus particulièrement p a r le calorique : ces semences, ainsi q u e j'ai dû le d i r e , déve-


(

413

)

loppent des maladies conformes à leur nature intime. Cette manière de voir explique p a r ­ faitement la durée de certaines épidémies c o n ­ tagieuses, pendant plusieurs années, quand la t e m p é r a t u r e est favorable, et leur extinction lorsque les hivers sont r i g o u r e u x . Ainsi tout annonce qu'il faut r e c o n n a î t r e dans les effets de la contagion q u i , je le r é p è t e , n'a pas toujours lieu dans chaque apparition de fièvre j a u n e , qu'il faut reconnaître des diffé­ rences qui sont s u b o r d o n n é e s aux localités, aux exhalaisons marécageuses, à la t e m p é r a ­ t u r e , à l'humidité, et enfin à toutes les causes qui président au développement de la maladie ; et, fort de ces p r i n c i p e s , je ne serais p a s étonné q u e le miasme de la fièvre jaune ne fût n e u t r a ­ lisé dans certaines régions de l'Afrique où celui de la peste m o n t r e une si grande énergie. Il y a, p o u r les maladies générales, de grandes é p o q u e s , comme p o u r les r é v o l u t i o n s , que le temps et une multitude inconcevable de cir­ constances p r é p a r e n t avec lenteur. Q u a n d l ' e x ­ plosion a lieu, on ne s'attache, p o u r en expliquer l'origine, qu'aux causes actuelles, et l'on ne con­ sidère point que tout s'était m û r i par des d i s ­ positions successives, sans lesquelles l'influence des miasmes contagieux serait absolument nulle.


( 414 )

C'est p a r l'absence de ces dispositions qu'il faut expliquer p o u r q u o i l'Amérique n'infecte pas tous les jours l ' E u r o p e , et p o u r q u o i l'A­ frique n'y vomit pas sans cesse la peste. E n effet, imaginer q u e des émanations si subtiles sont toujours arrêtées p a r nos p r é c a u t i o n s , serait pousser l'aveuglement un p e u loin : il nous semble plus raisonnable de supposer q u e les germes qui se glissent p a r m i n o u s , m a l g r é nos faibles b a r r i è r e s , ne fécondent p o i n t de leur maligne influence les lieux où ils p é n è t r e n t , p a r c e qu'ils n'y trouvent aucun aliment p o u r s'y fortifier. C'est là p r o b a b l e m e n t une des g r a n d e s lois de l'importation des maladies pes­ tilentielles ; en ne la p e r d a n t pas de v u e , on se r e n d r a c o m p t e d'une foule de p h é n o m è n e s i n téressans, q u i é c h a p p e n t à ceux q u i veulent tout e x p l i q u e r p a r des règles r é t r é c i e s , et assujétir l a n a t u r e à u n e m a r c h e compassée q u i ne lui convient nullement. Il est possible q u e les fièvres pestilentielles ayant des é p o q u e s où elles r e d o u b l e n t de f é r o c i t é , en aient également où elles s'affaiblissent, et où elles restent des siècles sans p o u v o i r être portées dans d'autres régions. D e n o m b r e u x exemples parlent en faveur de cette hypothèse. R e m a r q u o n s que p r e s q u e toutes les affections


( 415 ) aiguës peuvent revêtir les formes contagieuses quand elles sont escortées des circonstances p r o p r e s à leur i m p r i m e r ce caractère ; ceci est particulièrement applicable aux climats brûl a n s , où les causes qui précipitent les maladies vers la dégénérescence sont si multipliées . 1

1

D'autre p a r t , pense-t-on qu'une maladie qui ne paraît pas susceptible de se c o m m u n i q u e r dans une c o n t r é e , ne puisse le devenir dans une autre ? ou qu'importée par contagion elle 3

1

2

Fordyce, Dissertation Contagion

was very evident

nor was the fever patients

less infections

lay in large

Clark, Observations in those 3

on simple fever,

p. 1 1 3 et 114.

in the fever at Calcuta,

of Bengal were

; the

rooms. in the diseases,

in the last indies,

etc.,

particularly

T . I , p. l 5 3 .

O n serait porté à croire que des miasmes ou des

exhalaisons qui jouissent faiblement de la faculté conta­ g i e u s e , l'acquièrent à un très-haut d e g r é , après avoir passé par un nouveau corps vivant. C'est de ce dernier que partent alors ces effluves q u i , n o u v e l l e m e n t r e ­ trempés, deviennent si a c r e s , si caustiques, si propa­ gateurs. Cette p e n s é e , que font naître quelques observations, expliquerait pourquoi les maladies essentiellement c o n ­ tagieuses ne se propagent pas toujours : elles r e s t e n t , e n effet, dans un état d'inertie tant que les semences d'in­ fection ne trouvent point le sol qui leur convient pour


( 416 ) ne soit susceptible de perdre cette faculté, et devenir simplement endémique ? J'ignore si de pareils changemens sont possibles, mais je m e doute que ces transplantations doivent augmenter ou diminuer la férocité d'un fléau pestilentiel, selon qu'elle se fait dans un lieu qui le favorise ou le repousse. Q u a n d on dirait qu'en A m é r i q u e , la fièvre jaune ne s'est jamais m o n ­ trée comme contagieuse, serait-on autorisé à soutenir qu'elle ne l'a jamais été en E u r o p e ? e t , ne pût-on citer qu'un seul exemple où elle aurait m a r q u é ce c a r a c t è r e , quelle réserve ne devrait-on pas avoir p o u r embrasser une opi­ nion opposée qui peut être suivie des résultats contracter une nouvelle vigueur. Cette conjecture nous autorise à en proposer une autre qui n'en diffère que parce q u e l l e est plus généralisée. A i n s i , une maladie endémique contagieuse, qui se déplace ou qui émigre d'une région dans une autre d'une température opposée, imprime une plus grande énergie à la force d'infection, qu'elle n'en avait dans la contrée où elle avait pris nais­ s a n c e , et où elle avait en quelque sorte accoutumé les êtres vivans à ses impressions. La peste de M a r s e i l l e , celles de M o s c o u , d'Italie et de différentes parties de l ' A n g l e t e r r e , la petite vérole parmi les Indiens d'Amé­ r i q u e , la fièvre jaune en E s p a g n e , la syphillis quand elle parut en Europe, sont autant de preuves de cette nouvelle assertion.


( 417 ) si fâcheux ? Q u e quelques médecins des États de l'Union soutiennent que la fièvre jaune n'est point contagieuse, leur p a t r i e , où elle est en­ d é m i q u e , n'a rien à r e d o u t e r de leur obstina­ tion. Mais à quels reproches ne s'exposeraient pas ceux de nos contrées si, p a r vanité ou p o u r avoir mal étudié le génie de ce t y p h u s , ils fai­ saient négliger les précautions p r o p r e s à nous en g a r a n t i r , et le voyaient un jour naturalisé chez n o u s , ou ravageant nos provinces méridionales. L o r s q u ' o n réfléchit que de d e u x maladies absolument les m ê m e s , l'une dévaste une c o n ­ t r é e où elle paraît endémique depuis des siècles, tandis que l'autre se présente assez tard dans u n e région où elle était absolument i n c o n n u e , et où elle ne semble s'impatroniser qu'acciden­ tellement p a r suite des relations nombreuses q u ' u n peuple conserve avec d'autres, il est difficile de nier raisonnablement l'importation. Après les faits qui parlent si victorieusement, je croirais que cet a r g u m e n t est un des plus décisifs qu'on puisse employer. C a r si cette fièvre dépendait des causes locales, ne devraiton pas supposer qu'elle aurait été c o n n u e et éprouvée de temps i m m é m o r i a l , dans la p é ­ n i n s u l e , par les P h é n i c i e n s , les Carthaginois, les R o m a i n s , les G o t h s , les Maures et les Es27


( 418 ) pagnols ? Si l'histoire fait mention de maladies affreuses qui l'ont désolée, les annales de la médecine ne Lussent apercevoir nulle p a r t les traces de ce typhus. D'ailleurs, que de singularités, q u e de con­ tradictions frappantes parmi les juges de cette question ! Q u o i , on ne nie point que la faculté contagieuse soit inhérente aux fièvres des h ô ­ p i t a u x , des prisons ! on l'accordera à quelques c a t a r r h e s , à des phthisies ! on n'osera nier entièrement que quelques fièvres intermittentes en soient douées ! on aurait enfin du doute 1

2

1

Sims avance que l'angine, qui n'est pas naturelle­

ment contagieuse, acquiert cependant la propriété de se c o m m u n i q u e r , lorsque la constitution de l'air devient trop humide. M. é p i d . , p. 6 0 . 2

U n e dame arrive à Paris avec une fièvre intermit­

tente qu'elle avait contractée à la campagne dans un site marécageux.

Cette

fièvre était accompagnée de v o -

missemens violens et d'autres symptômes graves qui se prononçaient à chaque a c c è s , et qui me forcèrent donner

le

quinquina.

à

Elle fut à peine g u é r i e , que

son m a r i , qui n'avait pas quitté P a r i s , mais qui avait eu l'imprudence

de ne point se séparer d'elle

pen­

dant sa m a l a d i e , fut frappé des mêmes symptômes et d'une manière tout-à-fait semblable. « Amelung a observé plusieurs cas dans lesquels la fièvre intermittente avait paru contagieuse. Cette contagion peut avoir lieu lorsque le corps est atteint d'accidens rhumatis-


( 419 ) sur b e a u c o u p d'affections fébriles fort légères ! et l'on tranchera hardiment la difficulté sur un m a u x , de douleur et de gonflement des m e m b r e s , d e diarrhée ou de débilité des organes digestifs. O n peut le voir surtout, ainsi que l'expérience m e l'a

confirmé,

dans les hôpitaux militaires, chez un malade qui serait c o u c h é avec un fébricitant ou à côté de lui. Dans les villes sud de l ' A m é r i q u e , les fièvres intermittentes se répandent

fréquemment par

contagion,

lorsque les

miasmes m a r é c a g e u x , qui pénètrent dans l ' a t m o s p h è r e , o n t préparé les corps à la recevoir. Schâfer ( nisch,

Practische

Biblioth.

für Arzte

und

Medici-

Wundarzte,

B. I, st. I , p. 1 1 ) dit que des expériences n o n é q u i ­ voques apprennent que l'on contracte facilement la c o n t a g i o n , si l'on c o u c h e dans u n lit imprégné de la sueur d'un fébricitant. Trnka omnis œvi observat.

( Histor.

febr.

intermitt.

) cite un grand nombre d'écrivains

qui prouvent que la fièvre intermittente peut être q u e l ­ quefois contagieuse. W i l s o n ( über Erkenntniss der Fieber,

Leipsick,

1804,

und cur

p. 157 ) dit que les fièvres

i n t e r m i t t e n t e s , produites par c o n t a g i o n , ont le c a r a c ­ tère du typhus. Styx st. auss.

(Pfaffs

Nordisch.

Archiv.

B.

I,

I V ) a vu des fièvres i n t e r m i t t e n t e s , aupara­

vant régulières, dans une constitution f r o i d e ,

humide

et a u t o m n a l e , quoique dans le p r i n t e m p s , prendre u n caractère larvé, devenir contagieuses, et paraître avec des défaillances, des crampes, des paralysies, des accidens épileptiques, des phrénésies, etc. » Je dois ces r e ­ cherches à l'obligeance de M. G a s c , traducteur de Hildenbrand. 27 *


( 420 ) fléau m e u r t r i e r , qui ne respecte r i e n , qui porte l'épouvante et la mort partout où il p é n è t r e , qui entasse des monceaux de c a d a v r e s , qui fait disparaître les générations ; sur un fléau q u i présente de si n o m b r e u x points de ressemblance avec la peste : affinité qui n'est point imaginaire, et qui devrait au moins inspirer un peu de c i r ­ conspection aux athlètes de la cause opposée î Nous avons vu que la production des m a ­ ladies populaires demandait une grande i n é ­ galité dans les saisons ou dans les variations de l'atmosphère : et c'est à ces causes que des auteurs fort estimables attribuent la source de la fièvre jaune des États-Unis. Mais d ' a b o r d elle y était moins fréquente autrefois qu'elle ne l'est a u ­ j o u r d ' h u i , et cependant ces causes n'ont pas changé ; leur intensité a même diminué par les défrichemens. Ensuite, p o u r assigner des causes à une maladie, il faut qu'elles soient applicables à tous les climats ; o r , beaucoup de celles-ci n'ont pas le plus léger r a p p o r t avec celles des Antilles, ni de l'Espagne, dont les saisons offrent tant de régularité. Il existe même, dans le froid intense de l'hiver des E t a t s - U n i s , une cause d'extinction de la fièvre jaune ; et des germes n'y auraient pas résisté, si les relations fréquentes des peuples,


( 421 ) n e les eussent sans cesse renouvelés ou a l i ­ mentés. Si les épidémies reconnaissent p o u r cause des influences antérieures à leur apparition, on n e les trouve pas en E s p a g n e , en examinant tout ce qui a précédé l'époque de 1800. L ' e m ­ barras redouble lorsqu'on les cherche dans les saisons où la maladie débutait ; et nous avons déjà fait ressortir les différences qui eurent lieu dans la température et la nature des v e n t s , selon les villes qui furent le siége de ses ravages. Il faut au moins qu'on s'accorde lorsqu'on soutient u n e o p i n i o n , et qu'on ne soit pas sans cesse en contradiction avec les p h é n o m è n e s de la nature. N e soyons pas surpris q u e la fièvre jaune c o m m e n c e toujours sur les p o r t s , puisque c'est là que d é b a r q u e n t d'abord ceux qui l'importent, et qu'on entasse les marchandises imprégnées des miasmes . C'est d o n c une supposition toutà-fait gratuite q u e celle qui considère l'humidité ou les exhalaisons des ports comme constituant sa cause principale : si cela était, elle y bornerait 1

2

2

C'est ainsi que la peste d'Athènes attaqua d'abord

les habitans du P y r é e , et gagna ensuite la H a u t e - V i l l e , T h u c y d i d e , Liv. II. 2

A Ximenes

de la Frontera,

c'est dans la rue de la


( 422 ) ses effets, et les quartiers supérieurs des villes en seraient exempts ; si elle dépendait de l'atmos­ p h è r e , toutes les parties seraient attaquées en m ê m e temps. Mais elle suit une marche bien dif­ férente ; elle est portée dans le p o r t , aux environs d u q u e l elle se fixe d ' a b o r d , jusqu'à ce que les communications des individus dans l'intérieur de la ville l'aient propagée. C'est ce q u i est arrivé dans toutes les villes d'Espagne qui sont sur la m e r , et ce qui a lieu clans celles d ' A m é ­ r i q u e , ainsi que nous allons nous en convaincre. Les faits qui sont rassemblés dans la section sui­ v a n t e , et ceux qui se trouvent dans la partie h i s t o r i q u e , en jetant un grand jour sur le sujet qui nous o c c u p e , renforceront les raisonnemens qui p r é c è d e n t , et ne laisseront, je l ' e s p è r e , aucun doute sur le caractère contagieux de la fièvre jaune ; car il n'y a rien à opposer à des Loba

et ses environs que l'on aperçut les premiers acci-

dens. Ce sont néanmoins les parages les plus élevés du l i e u , et l'atmosphère y est continuellement battue par des vents impétueux, Lafuente, p. 24. La citation est e x a c t e , mais je soupçonne que Lafuente a c o m m i s une erreur de nom. La ville de Murcie, située à onze lieues de la m e r , baignée seulement par la Segura, petite rivière trèsr a p i d e , est une des villes les plus saines du m o n d e , et n'a

pas été épargnée.


( 423 ) preuves puisées dans la nature des des événemens authentiques. SECTION

choses et dans

II.

Preuves de la contagion par les

faits.

Il est permis de soutenir avec fermeté u n e opinion q u e l'on a embrassée ; mais on ne doit pas résister à la conviction q u e commandent et les exemples les plus n o m b r e u x et les o b s e r ­ vations les plus frappantes. P o u r nous qui ne pouvons nous refuser à l'évidence, et qui avons flotté dans l'incertitude jusqu'à ce q u e nous fussions éclairés par des recherches nombreuses, p a r le r a p p r o c h e m e n t des f its et par de longues méditations, nous ne conservons aucun d o u t e , et nous disons avec les uns : la fièvre jaune est contagieuse ; et avec d'autres, elle est q u e l q u e ­ fois dépouillée de ce caractère. Nous passons sur les premières époques d e cette maladie p o u r nous arrêter à celles de 1647 et 1688 ; tous les auteurs de ces temps assurent q u e l l e avait été importée aux Antilles par quel­ ques n a v i r e s , et à la Martinique par un b â ­ timent q u i avait touché au Brésil . E t ce q u i l

1

Voyez les époques, p. 3 0 , 31 et 32.


( 424 ) d o n n e une espèce de sanction à leur décision, c'est qu'antérieurement ce fléau y était i n c o n n u , ainsi que nous l'apprend le père D u t e r t r e . Dans les premières années du 18. siècle, on s'aperçut à Cadix q u ' u n vaisseau d'Amérique y avait p o r t é le vomissement noir. Le docteur F e r n a n d e z Navarete attribue la m ê m e origine à celui de 1730, qu'on soupçonnerait même, sans ce t é m o i g n a g e , p a r sa coïncidence avec le typhus q u i , à la m ê m e é p o q u e , parut aux A n ­ tilles et à Carthagène des Indes. Nous avons déjà vu qu'en 1 7 4 0 , des galions le transplantèrent à G u a y a q u i l , et q u e , l'année suivante, quelques étrangers le communiquèrent à Malaga , en y introduisant des marchandises. L e docteur Barca, témoin oculaire, assure que si cette ville avait souffert d'autres fois un pareil fléau, ce fut toujours p a r la mauvaise adminis­ tration du p o r t . O n croit qu'en 1 7 4 1 , une malle de vêtemens usés le répandit à Philadelphie. L a même cala­ mité fut d u e , en 1762 , à un marin qui venait de la Havane ; e t , en 1798, à un navire qui, parti e

1

2

3

1

P. 45 et 46. —

2

Conversations malagaignes et

épidémiologie de D . Joachim Villalva. 3

Piguillem, Memoria

p. 29.

sobre la calentura

amarilla,


( 425 ) de S a i n t - D o m i n g u e , perdit plusieurs matelots dans la traversée. Les mêmes causes produisirent les mêmes effets à Cadix en 1764. Voici quelques circonstances rapportées p a r R u s h , dont la plupart appartiennent à l'épidémie d e 1790. Mistriss Leaming ayant visité sa s œ u r mistriss Bradfort, alors alitée, ne douta point d'avoir pris la fièvre auprès d'elle, parce qu'elle se souvenait d e l'impression désagréable qu'elle reçut p a r l'effet d'une o d e u r particulière et différente de ce qu'elle avait senti à côté des autres malades Plusieurs personnes qui fermèrent leurs portes et leurs fenêtres de toute p a r t , et qui e u r e n t le soin de ne pas s o r t i r , é c h a p p è r e n t à la maladie . Les servantes souffrirent beau­ c o u p : ce q u e Rush attribue a u x fatigues qu'elles é p r o u v a i e n t , et ensuite à ce qu'elles se saturaient d'une g r a n d e quantité de miasmes contagieux . U n coffre rempli de linge infecté, qui a p p a r ­ tenait à M. J a m e s B i n g h a m , m o r t de la fièvre jaune dans une des Antilles, fut, plusieurs mois après que ces effets eurent été r e ç u s , ouvert p a r un jeune h o m m e dans la famille de son 2

3

1

P . 12. —

3

P. 101. —

3

P. 98.


( 426 ) frère. Le jeune h o m m e m o u r u t p r o m p t e m e n t ; mais personne autre ne fut infecté . Rush prétend qu'il y eut pendant plusieurs semaines deux sortes d'infections : les exhalai­ sons et la contagion. Les exhalaisons la p o r ­ taient à la distance de cent cinquante à deux cents toises, pendant que la contagion attei­ gnait dans les rues : plus elles étaient étroites, plus facilement elle avait lieu; il était difficile d'échapper quand on passait dans les ruelles ou dans les allées . Il y avait une grande mortalité dans toutes les familles qui vivaient dans les maisons de bois : p o u r r a i t - o n croire que la contagion s y accumulait davantage en s'attachant au bois plutôt qu'aux parois de b r i q u e ou de p i e r r e ? N o u s ne rappellerons point ici ce que nous avons déjà dit sur les époques de la fièvre jaune en 1 93. On y trouve plusieurs circons­ tances de contagion, et entre autres celle du schooner Fanfan, qui l'introduisit à la Guiane. Il est manifeste que ce furent les malheurs des colons français et leur émigration des diverses Antilles qui rendirent la maladie si g é n é r a l e , quoique peu d'entre eux l'aient essuyée. 1

2

3

1

P . l 4 2 . Ce trait d'infection paraît de beaucoup a n -

térieur à 1793. IL appartient probablement à l'année 1741. —

2

P. 1 0 4 . —

3

P.

99.


( 427 ) Q u a n d on considère la manière dont Clark décrit l'histoire de sa propagation dans la Domi­ nique, il est bien difficile de se refuser à la croyance d'un caractère contagieux au suprême d e g r é . Il nous a p p r e n d que, p a r la prodigieuse affluence des émigrés de l'île de la Martinique qui arrivèrent dans la ville de R o s e a u , vers le 10 juin 1793, les rues et les maisons étaient e n c o m b r é e s . Peu de jours après leur a r r i v é e , c'est-à-dire vers le 15 de j u i n , cette fièvre fit explosion; et la p r e m i è r e victime fut un marin anglais, âgé d'environ quarante a n s , qui était seulement depuis quinze jours dans l'île, et voyait p o u r la p r e m i è r e fois les Indes O c c i ­ dentales. V e u t - o n un autre exemple de c o n ­ tagion? qu'on examine la p r o p a g a t i o n de la maladie dans presque toute l'Amérique en 1793 et 1794. E t quel moyen de soutenir raisonna­ b l e m e n t que l'influence des saisons, de la cha­ leur ou des exhalaisons du sol ait pu la déve­ l o p p e r en m ê m e temps à la M a r t i n i q u e , la G u a d e l o u p e , la Dominique, S a i n t - D o m i n g u e , la J a m a ï q u e , les îles espagnoles, n o t a m m e n t la H a v a n e , et jusque dans les îles B e r m u d e s dont la p u r e t é de l'air ne peut être p r o b l é m a 1

2

1

P. 1 et 2. —

2

Gillespie, p . 8.


( 428 ) t i q u e , sur toute la côte orientale du continent, depuis le fleuve St.-Laurent jusqu'au Brésil ? Comment nier cette épouvantable et trop manifeste contagion dans les armées de terre et de m e r ? comment fermer les yeux sur cette propagation si évidente par le moyen des relations commerciales ou des émigrations? Mais poursuivons : les premiers qui furent atteints à New-York, lorsque, le 17 juillet 1802, cette maladie se d é c l a r a , fuient ceux qui d e ­ meuraient près des w a r f s , où étaient les paquebots. Elle se répandit dans les environs vers le mois d'août, et sur la fin elle gagna Market-Street. C o m m e on négligea les moyens d'en arrêter les p r o g r è s , elle pénétra dans les quartiers les plus avancés, et finit par occuper toute la ville O n a déjà pu apprécier la m a r c h e évidente de la contagion en Espagne : on a vu c o m ­ ment la maladie se propageait en 1800, de p r o c h e en p r o c h e , sans faire de grands sauts; comment elle accompagnait les fuyards qui la communiquaient p a r t o u t ; comment ceux qui avaient eu le soin de s'isoler s'en garantis­ saient : nul doute à cet égard. Il me reste 1

Evening

Post,

5 octobre.


( 429 ) à c o m m u n i q u e r quelques traits qui renforcent l'opinion déjà émise. E t d'abord je dirai que le développement de la fièvre de Cadix coïncide parfaitement avec celle qui se déclara à la V e r a - C r u z , où elle régna tous les ans depuis 1794 jusqu'en 1804. L a mortalité fut surtout très-grande en 1799, où le vice-roi, marquis de Branciforre, c r a i ­ gnant de la part des Anglais un d é b a r q u e m e n t sur les côtes orientales, fit cantonner ses troupes à A r r o y o - M o r e n o , distant de deux lieues et demie de la V e r a - C r u z . Il est à peu prèscertain que les communications perpétuelles e n t r e la V e r a - C r u z et la H a v a n e , et e n t r e c e l l e - c i et la m é t r o p o l e , y allumèrent ce funeste incendie. P a r un o r d r e royal du 1. fé­ vrier 1800, il était défendu d'obliger à q u a ­ rantaine les batimens qui venaient des E t a t s U n i s , et il en entrait continuellement à Cadix. er

Dans les rues Sopranis et B o q u e t a , d ' a b o r d infectées, les premiers malades furent p r é c i ­ sément ceux qui avaient c o m m u n i q u é avec la corvette le Dauphin. O n mit à bord d e ce navire deux gardes que le vomito saisit rapidement. Les visiteurs de la d o u a n e , le garde de la p o r t e de m e r et le greffier du bureau de santé, qui avaient eu des relations avec l'équipage, p é -


( 430 ) rirent en peu de jours. Le lieutenant visiteur D. Francisco de Paulo Carrion se rendit é g a ­ lement sur ce bâtiment ; e t , atteint de la c o n ­ t a g i o n , il l'inocula dans toute sa famille. B o r n é d'abord au faubourg Sainte-Marie, voisin du p o r t , le mal fut quelque temps stationnaire avant de se r é p a n d r e dans l'intérieur de la ville : preuve incontestable qu'il ne provenait pas de l'influence atmosphérique. On s'aperçut ensuite qu'il se p r o p a g e a i t de maison en maison, qu'il suivait toute la longueur d'une r u e , qu'il s'arrêtait là où il y avait de grandes séparations, p o u r ne franchir l'espace q u e plus t a r d , et toujours en s'avançant pas à pas : s'il paraissait dans un quartier é l o i g n é , on remontait à la s o u r c e , et l'on découvrait que quelqu'un y était venu du port ou du faubourg Sainte-Marie. C'est ainsi que le chanoine D. Christoval S a n c h e z , déjà c i t é , prit la contagion dans ce f a u b o u r g , et la porta à une autre extrémité de la ville. U n e compagnie de militaires, qui vint de Ceuta et qui ne séjourna que deux ou trois jours à C a d i x , fut entièrement infectée, et l'officier échappa seul à la mort. Effrayés du n o m b r e des victimes, plusieurs

des habitans de Cadix s'enfuirent à la c a m -


( 431 ) p a g n e ou dans les villes environnantes, et ce furent à ces émigrations que X é r è s , L é o n , le P o r t - R o y a l , Chiclana, le p o r t Sainte-Marie, S a n - L u c a r , R o t a , et plus l o i n , la C a r l o t t a , Ecija, C o r d o u e , plus ou moins distans de Séville, durent les calamités qui les affligèrent. O n observa que les fugitifs infectaient d ' a b o r d les a u b e r g e s , d'où le mal s'étendait dans l'inté­ rieur. Ceux qui eurent le sens de s'isoler, d u r e n t leur salut à cette précaution ; le régi­ m e n t de Marie-Louise campait dans le c e n t r e des foyers, entre l'île de L é o n , le P o r t - R o y a l et X é r è s ; mais le c o m m a n d a n t fut assez sage p o u r défendre toute relation avec les habitans; et c o m m e il fît exécuter ses o r d r e s avec r i ­ g u e u r , le régiment fut entièrement p r é s e r v é . Il est constant q u e , dans l'intérieur de la ville, des familles entières furent sauvées en s'interd i s a n t t o u t contact avec d'autres personnes. Au fond sud-est de la baie de Cadix est l'arsenal militaire, n o m m é la C a r a q u e , q u i resta intact tant que personne ne s'y introduisit ; m a i s , dès qu'une frégate ayant des malades à b o r d y fut e n t r é e , l'infection s'y manifesta. A C o r d o u e , on eut l'attention d'isoler dans l'hospice les personnessuspectes et la ville fut garantie. Les habitans de S c i p i o n a , ceux de Veger et


( 432 ) de Conil, voisins des populations dévastées, interrompirent tout r a p p o r t avec elles, et furent sauvés. M. Berthe parle d'un b o u r g des environs de Cadix, dans une rue duquel la ma­ ladie se montra. Aussitôt on m u r a cette r u e des deux côtés, et l'on fit, au moyen d'une grille, passer aux particuliers les objets de p r e m i è r e nécessité ; elle ne franchit pas les barrières. Il cite aussi le fait suivant : Les habitans d'Utrera n'avaient é p r o u v é , vers la fin de l'été et au commencement de l'automne 1800, q u e des fièvres bilieuses simples rémittentes ou inter­ mittentes, de type t i e r c e , lorsque le régiment d'Ibernia, venant de Cadix, y laissa plusieurs soldats malades logés chez les particuliers. Ils c o m m u n i q u è r e n t bientôt la contagion qui se répandit assez rapidement. O n attribue le typhus de Séville, et p r o b a ­ blement avec raison, à l'équipage d'un navire venu d ' A m é r i q u e , qui remonta par le Guadalquivir. Ce navire avait perdu plusieurs indi­ vidus dans sa traversée ; ce soupçon est tout aussi fondé que l'accusation intentée contre l'intendant venu de la Havane sur la corvette américaine, et qui passa p r o m p t e m e n t de Cadix 1

1

P. 2 2 1 .


( 433 ) à Séville. Nous avons vu quelle faute firent les habitans de cette cité, en n'interceptant pas les communications avec le faubourg de Triana, où le typhus séjourna long-temps sans a b o r d e r chez eux : rien ne parle plus en faveur de la conta­ g i o n , q u e cet état stationnaire d'une maladie dans un quartier avant de passer ailleurs ; et s'il faut renforcer ce raisonnement, nous dirons q u ' u n g r a n d n o m b r e de bateliers vécurent i s o ­ lés et séquestrés sur leurs b a r q u e s , sans é p r o u ­ v e r le m o i n d r e accident ; cependant le danger les enveloppait de toute part. Sur q u a r a n t e - s e p t prêtres français réfugiés à Séville, q u a r a n t e - d e u x ont péri victimes de leur d é v o u e m e n t , p a r c e qu'ils assistaient nuit et jour les mourans . 1

Enclavée au milieu des foyers de l'infection, accueillant chaque jour des fugitifs, et recevant sans cesse des marchandises qui venaient de C a d i x , la ville de Médina - S i d o n i a , qui se trouvait sur la route de Cadix à Algésiras, au c a m p de Saint-Roch et à Gibraltar, ne pouvait m a n q u e r de recevoir les germes de la conta­ gion : ils ne produisirent cependant leurs effets qu'au retour des chaleurs de l'année suivante. 1

M. B e r t h e , p.

375. 28


( 434 ) Quelle autre cause aurait p u occasionner de p a r e i l l e s infortunes dans une ville ainsi exposée? Serait-il permis de douter que sa situation et la pureté de l'air n'eussent retardé p o u r un instanl l'explosion du mal sans étouffer totale­ m e n t ses semences? Les voisins des premières rues infectées, qui s'enfuirent à temps à la campagne p o u r s'isoler dans les métairies, durent leur salut à celte sage mesure ; mais on fit la r e m a r q u e que ceux qui venaient à leurs maisons, ou q u i , sans y e n t r e r , communiquaient simplement avec les m a l a d e s , étaient tout-à-coup saisis par le typhus. O n s'aperçut aussi q u e ceux qui demeuraient dans les c h a m p s , couraient des dangers é g a u x , s i , sans paraître à la ville, ils établissaient des rela­ tions avec ceux qui en. sortaient; de sorte que la plupart des métairies devinrent des foyers de c o n t a g i o n , et qu'il n'y eut de préservé que celles où l'on ne se permit aucune relation avec le voisinage. Les religieuses récolètes de deux couvens situés l'un en haut de la ville et l'autre en b a s , semblent avoir suivi u n e conduite toute o p p o s é e , p o u r r e n d r e plus facile la solution du p r o b l è m e qui nous intéresse. E n effet, celles d'en haut ne voulurent souffrir aucune relation avec les


( 435 ) h a b i t a n s , et celles d'en bas ne changèrent point leurs anciennes habitudes. Les premières n'é­ p r o u v è r e n t aucun accident ; les secondes virent le poison p r o d u i r e les plus grandes calamités p a r m i el!es. Ces faits parlans d é m o n t r e n t , et tous les médecins de Médina c o n v i e n n e n t , q u e si l'on n'avait enveloppé à temps cette ville p o u r e m p ê c h e r toute c o m m u n i c a t i o n , de nouveaux malheurs allaient planer sur les habitans d e l'Andalousie. J e ne devrais pas avoir besoin d e dire que le succès obtenu dans cette c i r c o n s ­ t a n c e , est une nouvelle p r e u v e que cette m a ­ ladie n'était pas s u b o r d o n n é e aux p h é n o m è n e s météorologiques. L o r s de l'épidémie de Philadelphie, en 1802, les docteurs Cathral et C u r r i e , après avoir i n u ­ tilement r e c h e r c h é ses causes dans les effets des exhalaisons locales, ou des variations a t m o s p h é ­ r i q u e s , a p p r i r e n t qu'un de ces navires appelés Paquets était arrivé du Cap ; et ils t r o u v è r e n t q u e les premières victimes lurent les marins de ce b â t i m e n t , ainsi que les individus q u i avaient établi des relations avec e u x , tel que le charpentier du brigantin l'Espérance. Serait-ce, dans le fait, bien étrange qu'un typhus q u i , dans ces m o m e n s , nous enlevait plus de 20,000 soldats, se répandît dans d'autres régions ?

28 *


( 436 ) J'ai tracé dans l'historique la marche osten­ siblement contagieuse qu'il suivit en 1803 et 1804 à Malaga, ainsi q u e dans quelques villes environnantes ; je vais relater d'autres traits recueillis à Malaga, ou dans des populations q u e je n'ai point encore citées. M. Aréjula atteste qu'à M a l a g a , en 1803, le lundi était le jour où il tombait le plus de malades ; le n o m b r e en paraissait diminuer progressivement jusqu'au samedi ; toutefois le lundi était le jour où il y avait le moins de m o r t a l i t é , parce q u e , le d i m a n c h e , on se r a s ­ semblait p o u r entendre l'office; l'infection étant c o m m u n i q u é e ce jour-là, et déclarée le lende­ m a i n , il mourait plus d'individus depuis le vendredi jusqu'au d i m a n c h e , attendu que la durée de la fièvre était de cinq ou de sept jours . T o u s les documens d é m o n t r e n t , au reste, que les réunions étaient infiniment dangereuses. Les habitar.s d ' A n t é q u e r r a , étant sortis en p r o c e s ­ sion, sur le soir du 12 octobre 1804, p o u r p r o ­ mener l'image deNotre-Dame du Rosaire jusqu'à trois heures du matin, au lieu de trente morts il V en eut quatre-vingts, toutes les vingt-quatre heures, dès le 4. jour de cette funeste cérémonie. 1

e

1

P. 3 2 4 . Si ces remarques ne sont pas u n peu s u b ­

tiles, elles sont bien concluantes.


( 437 ) L e développement de l'épidémie dans cette ville, rend encore plus évident son caractère contagieux. J o s e p h D e l g a d o , âgé de vingtd e u x ans, s'enfuit de Malaga, le 23 juillet, chez son p è r e , habitant d ' A n t é q u e r r a , rue des C o ­ médies. Il y tomba malade le 27 juillet, et m o u r u t le 2 août. Sa m è r e expira le 24 ; son p è r e , le 2 s e p t e m b r e . G é r ô m e et A n t o n i o , ses frères, m o u r u r e n t , l'un le 21 a o û t , l'autre le 4 s e p ­ t e m b r e ; et F r a n c i s c o , son troisième f r è r e , fut guéri le 20 août. L e u r s deux s œ u r s , Maria et J u a n a , furent malades le 18 a o û t ; la p r e m i è r e entra en convalescence le 2 5 , et la seconde s u c c o m b a le 22. O n observa e n c o r e la m ê m e m a r c h e dans les entourages des émigrés de Malaga qui a r r i ­ vèrent à A n t é q u e r r a ; leurs p a r e n s , leurs a m i s , furent toujours les premiers alités. L e 20 a o û t , é p o q u e de la foire d'Antéquerra qui a lieu habituellement dans la rue d'Estepa, l'affluence des habitans de Malaga y p o r t a tel­ lement la c o n t a g i o n , q u e , dès ce j o u r , elle devint universelle dans cette rue ; e t , le 28 s e p t e m b r e , on n'y apercevait p a s un seul m a l a d e , parce q u e tous l'avaient été ou avaient fui ce malheureux quartier. A n t é q u e r r a , à douze lieues de la m e r , offre


( 438 ) un nouvel exemple de l'existence du vomis­ sement noir dans l'intérieur des terres et loin des grands fleuves. Le 6 n o v e m b r e , l'épidémie disparut. Les médecins de la Rambla r a p p o r t e n t que le premier malade qu'ils e u r e n t , fut Alphonso N i e t o , âgé de dix-huit a n s , q u i , étant allé à Malaga p o u r chercher du b l é , toucha les chariots destinés à transporter les morts ; quelques jours après son r e t o u r , il fut saisi par la fièvre le 22 août. Alphonso de Castro son cousin g e r m a i n , demeurant dans la maison voisine, fut atteint le g s e p t e m b r e , et m o u r u t le 1 6 . L e u r c o u s i n e , Maria Marina de D o b l a s , âgée de vingt-deux a n s , et qui demeurait dans une maison adossée à celle de C a s t r o , fut sou­ mise à une semblable destinée. Cristobal de D o b l a s , qui demeurait avec e l l e , m o u r u t le 19 s e p t e m b r e . Marcos Garcia de L u q u e , faisant de fréquentes visites à Marina qu'il voulait é p o u s e r , m o u r u t le 17 s e p t e m b r e ; e t , quelque temps a p r è s , sa m è r e p a r t a g e a son sort. Le 22 s e p t e m b r e , Maria Rafaela C r e s p o , femme du médecin Xavier G o m e z , fut ma­ l a d e , et m o u r u t le 29. Sa maison était aussi adossée à celle d'Alphonso de Castro. Sa t a n t e , tombée le 2 4 , succomba le 1. o c t o b r e . er


( 439 ) L e poison p a r u t en quelque sorte b o r n e r ses effets aux rues de L u c e n a , de O l i v a s , de Espiritu S a n t o , et à la place Haute. Ce qui. fut dû à l'attention q u ' o n eut d'isoler ceux q u i étaient infectés. Manuel Molina, moine franciscain de M a ­ laga, arriva à Montilla le 1 1 août 1804, et logea dans la maison de son beau-frère Miguel G o m e z , r u e de Palomas ; il m o u r u t cinq jours après. Son f r è r e , saisi le 15 a o û t , m o u r u t le 27, ainsi q u e la femme de G o m e z , sœur du reli­ gieux Saint-André de Castro qui habitait u n e maison contiguë à celle de G o m e z et qu'il fré­ quentait beaucoup. Un muletier, arrivé de Ma­ l a g a , expira le 28 août dans l'auberge d e la place. Un a u t r e muletier, parti de la m ê m e v i l l e , m o u r u t le 4 s e p t e m b r e dans la rue d'Aguilar ; près du lieu où il avait trépassé ; trois personnes essuyèrent le m ê m e sort le 16 s e p t e m b r e , et un de leurs enfans le 1 7 . L e médecin F e r n a n d e z , son é p o u s e , et b e a u c o u p d'autres p e r s o n n e s , périrent successivement dans cette m ê m e rue ; peu à peu l'épidémie pénétra dans les autres q u a r t i e r s , et elle finit le 29 n o ­ vembre. U n exemple très - frappant de la contagion


( 440 ) eut lieu à E s p é j o , où Jean C o r d o b a , muletier, arriva : plein de scrupules sur sa situation, il fit venir sa femme avant d'entrer parmi ses c o n c i t o y e n s , et lui dit qu'il avait la peste de Malaga et qu'il fallait lui construire une baraque en d e h o r s , parce qu'il ne voulait pas infecter les habitans. Mais sa femme le força d'entrer, et le cacha dans sa m a i s o n , où il mourut le 2 7 août. U n m é d e c i n , appelé seulement ce dernier j o u r , conçut aussitôt des soupçons sur son é t a t , et en fit part à d'autres p e r ­ sonnes. C o m m e ce muletier apportait toujours de Malaga divers comestibles p o u r v e n d r e , ses voisins allèrent en acheter chez lui. Voici les noms et les époques de la chute de p l u ­ sieurs de ceux qui c o m m u n i q u è r e n t avec lui ou firent emplette de ses marchandises : Maria S. Pablo Chaves, malade le 1. s e p ­ t e m b r e . Francisco R e d o n d o et sa f e m m e , le 4 , idem. B e r n a r d o G a r c i a , le 6, idem. Gonzalo G a r c i a , le 7 , idem. Josefa de C o r d o b a , femme de Gonzalo et m è r e de B e r n a r d , le 8, idem. Leurs trois autres enfans le furent du 1 1 au 1 2 , et m o u r u r e n t le 15. er

Maria E s c o v a r , atteinte le 9 , dernier soupir le 1 2 .

rendit le


( 441 ) La femme du muletier qui avait introduit la contagion, m o u r u t en quatre j o u r s , et sa fille fut presque aussitôt infectée. Vers le 21 s e p t e m b r e , le typhus s'était étendu dans les environs de la maison de J e a n C o r d o b a , et même à quelques distances, toujours p a r le moyen de ceux qui avaient c o m m u n i q u é avec les précédens. La rue de Valenzuela où était la maison de C o r d o b a , ainsi que deux autres rues adja­ c e n t e s , furent séparées, un mois après ces événemens, des autres quartiers de la ville, et néanmoins on eut le temps d'arrêter la conta­ gion qui n'avait fait q u e des p r o g r è s très-lents, et qui n'avait m o n t r é de l'activité q u e dans cette p r e m i è r e partie de la population. L e 25 no­ v e m b r e , l'épidémie cessa. A R o n d a , on perdit u n e cinquantaine de personnes. L e c o r r é g i d o r , h o m m e de t ê t e , faisait cerner les m a i s o n s , et séparer ceux d o n t la santé inspirait des soupçons : p a r ce m o y e n , le mal fut b o r n é en très-peu de t e m p s , et n'atteignit q u e ceux qui venaient de Malaga, ou qui avaient c o m m u n i q u é avec eux. D o ñ a Maria S a r d e t , femme de Léon M a r i n , second commandant de m a r i n e , et sa fille, ar­ rivèrent à V e r a le 1 7 s e p t e m b r e , venant de


(

442 )

Carthagène : la première fut alitée le 20 s e p ­ t e m b r e ; un de leurs domestiques m o u r u t le 5 octobre. Le 11 du même m o i s , D o ñ a Ana M a r t i n e z , mère de Léon M a r i n , vit terminer ses jours ; en même temps leurs deux enfans eurent la fièvre, mais guérirent. Toutes les maisons qui faisaient partie de l ' î l e , où était située celle de Léon M a r i n , furent p r o m p t e ment in ferlées. O n prit les plus grands soins p o u r isoler les personnes suspectes, et les ravages de l'épidémie furent peu considérables Les babitans de Churiana et d'Alaurinéjo furent moins m a l h e u r e u x que les p r é c é d e n s , parce qu'ils eurent soin de séparer les malades et de les placer dans des lieux très-aérés : à Ghuriana s e u l e m e n t , la fièvre fut c o m m u ­ niquée à la femme d'un b o u l a n g e r qui la lui avait apportée de Malaga. O n a attribué généralement l'épidémie de C a d i x , en 1804, à une foire qui se tint au P o r t Sainte - M a r i e , et où a b o r d è r e n t b e a u c o u p d'étrangers et d'habitans de Malaga. D'autres pensent que le docteur A s s a e z , obligé de s'exiler de cette dernière ville, p a r c e qu'il y 1

Voyez Aréjula, p. 270 et suiv.


( 443 ) avait annoncé le r e t o u r de la fièvre j a u n e , se retira à C a d i x , dans la maison du d o c t e u r A r é j u l a , où il éprouva de grands accidens. L a p r e m i è r e opinion me paraît plus p r o b a b l e , q u o i q u e celle-ci ne soit pas d é p o u r v u e de vrai­ semblance. Il a été aussi facile de suivre les traces de l'infec­ tion dans le b o u r g de los Barrios, voisin d'Algésiras. D a n s les petits endroits rien n ' é c h a p p e , et les renseignemens qu'on reçoit ont quelque chose d e plus authentique que ceux qui p a r ­ viennent des g r a n d e s c i t é s , où les masses de p o p u l a t i o n engloutissent les faits les plus p r é ­ cieux. Nous avons eu dans ce b o u r g une c o n ­ férence avec le médecin B o b a d i l l a , et les d o c u m e n s q u e nous en avons recueillis s'ac­ c o r d e n t avec les détails bien circonstanciés que j ' e m p r u n t e de l'ouvrage de M. Lafuente. S u r le soir du 11 septembre 1804» Manuel R u i s , soldat de cavalerie du régiment de S a n I a g o , logea dans l'auberge de los Barrios : sa m o r t , survenue le matin du 13, inspira des soupçons à don Joachim Bobadilla. Huit heures a p r è s , la peau était entièrement de couleur jaune t r è s - f o n c é e , parsemée d e pétéchies ou taches b r u n e s et n o i r e s , m a r q u é e , par intervalles, de g r a n d e s plaques b r u n e s . L e sang avait coulé a b o n d a m m e n t par la b o u c h e .


( 444 ) Avec ce cavalier étaient venus douze autres soldais qui escortaient un convoi d'argent, et qui déjà avaient laissé deux malades à Cadixet à Médma-Sidonia. Arrivés au camp de St.-Roch, ils perdirent encore un de leurs compagnons. L a junte de santé prit aussitôt des mesures, mais elle ne fut point rassurée, parce que les relations de ces militaires avec les citoyens avaient été multipliées Quinze à seize jours a p r è s , six autres victimes donnèrent l'alarme. Elles habitaient quatre maisons diffé­ r e n t e s , mais qui toutes environnaient la porte de l ' a u b e r g e , en face et à ses c ô t é s , dans une espèce de petite place. S u r ces q u a t r e maisons, trois avaient eu une communication plus i m ­ médiate avec les douze soldats. Voici la manière dont M. Lafuenle fait connaître les traces de son invasion : G.

G.

i).

A.

С.

E.

G

G.

G.

F.

G.

B.


( 445 ) A, indique l'auberge où le soldat m o u r u t ; B, C, D, E, les quatre maisons des m a ­ lades cités ; G, G, G, G, les maisons d'où les h a b i t a n s s'enfuirent à l'instant; B, maison du deuxième m o r t q u i , cinq jours après, fut suivi d'un a u t r e , et ensuite de la m a ­ ladie de deux individus qui restaient e n c o r e ; C, maison du troisième m o r t ( a v e c vomis­ sement n o i r ) , qui fut a c c o m p a g n é ou suivi de la maladie des cinq personnes qui composaient le reste de la famille. U n seul individu se p r é ­ serva de tout d a n g e r , en p r e n a n t demi-once de quinquina p a r j o u r , p e n d a n t la d u r é e de la contagion ; D, maison du quatrième m o r t , suivi bientôt d'un autre. T o u s les m e m b r e s de la famille ont été malades ; E, maison du p h a r m a c i e n , dont tous les in­ dividus furent aussi malades, mais sans a u c u n fâcheux résultat ; F, maison du cinquième ( c a c h é jusqu'au temps où il expira avec le vomissement n o i r ) : toute la famille, composée de sept personnes, fut atteinte a p r è s , et il en m o u r u t e n c o r e trois. O n ne connaissait, à cette maison, d'autre c o m -


( 446 ) munication que sa contiguité avec la basse-cour de celle marquée par la lettre B. Au milieu de cette immense contrebande qui se fait entre Malaga et G i b r a l t a r , on ne devait pas tarder à faire un échange fatal à cette der­ nière place ; tel fut au moins le résultat de notre conférence. On n'y doutait nullement que la fièvre jaune n'y eût été a p p o r t é e d'Algésiras, ville avec laquelle tous les habitans de Gibraltar entretiennent un commerce interlope aussi soutenu q u e lucratif ; l'opinion de la con­ tagion était aussi répandue à Algésiras sur les victimes que cette ville eut dans ses murs. Ce fut de Gibraltar que partit le juif qui alla à Livourne inoculer le typhus d'une ma­ nière si manifeste. Q u a n t aux circonstances particulières, Palloni assure que ceux qui n'eu­ rent point de contact avec les personnes infec­ tées ; ceux qui ne pénétraient point dans les quartiers où la fièvre s'était déjà développée, en furent garantis . 1

Lorsqu'on voit des exemples de cette n a t u r e , peut-on encore affecter l'incrédulité et le pyrrhonisme? Par quel hasard L i v o u r n e , qui n'eut jamais de maladie semblable, l'éprouve-t-elle, 1

L.

c.


( 447 ) q u a n d toute la M é d i t e r r a n é e espagnole en est dévastée ? On est sans cesse tenté de d e m a n d e r p o u r q u o i cette ressemblance parfaite e n t r e d e u x épidémies pestilentielles, et dans des r é ­ gions si éloignées? O n a également saisi les premières traces d e la fièvre jaune de Garthagène. Après avoir frappé une fille du consul suédois qui introduisit chez lui des marchandises d'un bâtiment sorti d e M a l a g a , qui n'avait pas achevé sa q u a r a n t a i n e , elle se m o n t r a dans un couvent de religieuses situé sur le p o r t , près de la maison du consul. U n e s œ u r de ce c o u v e n t , p a r e n t e du d o c t e u r M a r t o r e l l , de qui je tiens ces détails, travaillant à des m o u c h o i r s d é b a r q u é s en fraude de ce n a v i r e , fut frappée d e la maladie et m o u r u t . S e p t autres religieuses furent p r o m p t e m e n t p r é ­ cipitées au tombeau et le reste s'enfuit p o u r aller p é r i r ailleurs. Bientôt la maladie s'étend le long de la g r a n d e r u e , du sud au n o r d ; elle passe d ' u n e maison à l ' a u t r e , d'un ami à un a m i , et s'accroît ainsi avec tous les caractères de la contagion. S a i n t - A n t o i n e , faubourg au n o r d de la ville, qui en est séparé p a r une longue p r o m e n a d e ; Quitta-Pelleco, à l'ouest, qui l'est seulement p a r le r e m p a r t et le fossé ; et S a i n t e - L u c i e , contiguë


( 448 ) au r e m p a r t , furent promptement incendiés, quoique hors de l'enceinte ; mais le calme s'y rétablit bien v i t e , et ces quartiers servirent en­ suite d'asile aux fugitifs. Si Carthagène infecta peu les environs , il n'en fut pas de même d'Alicante, dont presque toutes les populations voisines éprouvèrent les influences de l'importation des miasmes. L e 11 août 1804, on porta à l'hôpital d'A­ licante cinq malades du brigantin Saint-Joseph et de la goëlette Carmen. Ces deux bâtimens gardes-côtes venaient de Malaga, et l'un d'eux fut repoussé plusieurs fois du p o r t où il finit par entrer. D e u x des cinq malades moururent. D . Salvio Hilla, médecin de l'hôpital, en avertit à l'instant, et la junte envoya d'autres médecins p o u r s'assurer du fait. D'un c o m m u n a c c o r d , ils déclarèrent que c'était la fièvre jaune que l'un d'eux ne tarda pas à prendre. 1

Au commencement de s e p t e m b r e , elle se déclara d'une manière plus manifeste dans la grande r u e , près du café où se rendent les marins, et, se répandant en peu de jours dans la ville, elle s'étendit aux faubourgs Saint-An­ toine et Sainte-Marie, situés hors des remparts. 1

Excepté Murcie qui probablement dut le fléau au voisinage de cette ville.


( 449 ) C'est une observation bien digne d'être notée, qu'Alicante, e n t o u r é d'une double m u r a i l l e , avait, entre les d e u x , des maisons isolées qui n ' é p r o u v è r e n t rien. Il en fut de même de celles q u i , hors des enceintes, se trouvèrent séparées des f a u b o u r g s , quoiqu'à peu de dis­ tance. D e ce n o m b r e , ont été la fabrique de c i g a r r e s , et le palais de l'évêque voisin d u f a u b o u r g Saint-Antoine. Les habitans de la petite île de T a b a r c a , à q u a t r e lieues de la ville d'où ils tirent toute leur subsistance, étant forcés de c o m m u n i q u e r , r e ç u r e n t la contagion ; tandis qu'à Villa— F r a n q u e s a , autrement P a l a m o , où se lave le linge d ' A l i c a n t e , il n'y eut aucun accident ; et néanmoins, au c o m m e n c e m e n t de l'épidémie, on n e cessa pas ce g e n r e de travail. S a n t a - F a z , à une demi-lieue de la ville, ne r e ç u t point l'infection ; mais le contraire eut lieu à S a n J u a n , qui n'en est qu'à cinq quarts de lieue. T o u t près de S a n - J u a n , Mucha-Miel n'éprouva a u c u n e calamité; tandis que P e ñ a - S e r a d a , séparée de Mucha-Miel par un seul c h e m i n , r e ç u t les atteintes du mal. D e telle sorte q u e M u c h a - M i e l , e n t r e ces d e u x villages, ainsi q u e S a n t a - F a z , entre la ville et les villages, n e participèrent point au désastre. L e s méde29


( 450 ) cins d'Alicante nous ont assuré que les habi­ tans de Mucha-Miel défendirent leurs approches à coups de fusil. O n s'est également convaincu, pendant cette é p i d é m i e , qu'on pouvait soupçonner d'avance les individus qui tomberaient m a l a d e s , en connaissant ceux qui avaient assisté des m o u rans. Dans les c o u v e n s , les tourières ont tou­ jours été frappées avant les autres religieuses ; e t , de même qu'à C a r t h a g è n e , les marins p u r e n t venir impunément dans la cité pendant le jour. L e lazaret, placé hors des r e m p a r t s , offrit aussi quelques particularités r e m a r ­ quables. Q u a t o r z e capucins y étaient à d e ­ m e u r e , p o u r administrer les secours divins ; leur cuisinier seul succomba ; mais les m é d e ­ cins et les infirmiers n'échappèrent point au d a n g e r ; et ceux qui n'avaient rien contracté dans le lazaret, furent atteints par la contagion aussitôt qu'ils entrèrent dans la ville p o u r se reposer de leurs fatigues. 1

Nous sommes redevables à M. de H u m b o l d t d'une observation aussi curieuse que concluante dans la cause que je défends, quoiqu'il en ait tiré une conclusion diamétralement opposée. 1

P. 531, in-8.°.


( 451 ) Des voyageurs qui partent de l'intérieur du Mexique pour l ' E u r o p e , et quelques-uns de ceux q u i , arrivant d'Europe, vont à Xalapa ou à Mexico, se font transporter très p r o m p t e m e n t , et la nuit, hors de la Vera-Cruz, dans des litières qui les mettent à l'abri de l'influence de l'atmosphère, de la chaleur et des fatigues. Cependant ces mêmes individus, qui ont pris tant de précautions contre le vomito, en sont souvent saisis, quoiqu'ils n'aient pas séjourné à la Vera-Cruz. Il semblerait qu'attribuer ce phénomène à l'influence atmosphérique, serait une interprétation f o r c é e , lorsque celle du contact des effets ou des individus infectés soufifremieux l'examen et explique parfaitement cette singularité. Pendant la redoutable maladie des années 1082 et 1803 à Saint-Domingue, j'observai que tous ceux qui avaient soigné leurs amis ou leurs parens tombèrent malades immédiate­ ment après eux. Lorsque je fus saisi du typhus, plusieurs officiers de santé, nouvellement dé­ barqués, me prodiguèrent les soins les plus empressés, et j'eus le malheur, aussitôt après ma convalescence, de voir ces courageux amis payer le fatal tribut, en se succédant au lit sans interruption. 29 *


( 452 ) Un chirurgien avait constamment résisté depuis plusieurs mois, lorsque son ami intime prit la fièvre jaune; il lui prodigua les secours les plus tendres; c'était lui qui le portail, dans ses bras, l'as­ sistait seul à l'époque même où le typhus, dans sa troisieme période, laissait tout à craindre. Après sa m o r t , son and le suivit de trés-près. Il est à présumer qu'il s'était saturé de miasmes, par un contact aussi continu que prolongé. Dans la maison que j'habitais hors de la ville, je fus le triste témoin d'une infinité de malheurs de cette n a t u r e , et c'est là que j'ai vu périr un grand n o m b r e d'officiers de santé, victimes d é ­ plorables de leur dévouement à l'amitié et de leur courage. O n donne quelquefois p o u r preuve de l'absence de la c o n t a g i o n , le peu de m o r ­ talité des médecins et des servans dans les ho­ pitaux. J'ignore combien de ces derniers ont p é r i à Saint-Domingue ; mais ce que je puis affirmer, c'est qu'au 1. septembre 1803, il était mort à Saint-Domingue deux cent huit officiers de santé, à dater du 20 avril 1802. Il faut renoncer à toute croyance et adopter un scepticisme aveugle, si ce nombre ne porte pas la conviction et ne met pas en évidence le génie contagieux. C'est là un des traits les plus fraper


( 453 ) pans qui aient jamais été r a p p o r t é s dans les fastes de la médecine ; le suivant, qui offre q u e l q u e analogie, ne sera cité que p o u r faire o m b r e à ce tableau épouvantable. L a mortalité q u i , selon Gillespie, s'était r é p a n d u e au milieu des chirurgiens de la flotte, clans la station des îles d u V e n t , p e n d a n t les années 1794 et l795, est fort r e m a r q u a b l e : il en m o u r u t p r o p o r ­ tionnellement un bien plus g r a n d n o m b r e q u e dans aucune autre classe d'officiers. L a m ê m e observation fut faite p o u r ceux d e l'armée. C'est l à , ajoute ce p r a t i c i e n , u n e p r e u v e de la nature contagieuse des maladies é p i d é m i q u e s qui régnaient . E t ailleurs, l'infection pouvait, dans un g r a n d n o m b r e de c a s , ê t r e t r a c é e , et paraissait agir aussi bien p a r le m o y e n de la t e r r e u r que p a r celui des effluves émanés des couvertures et des malades eux-mêmes . P e u de faits particuliers parlent avec autant d'éloquence q u e celui qui est consigné dans l'écrit de M. Palloni. Vivement t o u r m e n t é p a r u n e d o u l e u r de d e n t , ce médecin y portait fréquemment le d o i g t , et sans p r é c a u t i o n , m ê m e immédiatement après avoir p a l p é ses 1

2

1

P . 19. —

2

P. 48.


( 454 ) malades. Bientôt il éprouva tous les symptômes d e l'affection régnante, avec cela de particulier qu'il sentit tout-à-coup un sentiment de c h a ­ leur dans toute la g o r g e , aux gencives et à la face interne des joues, accompagné d'un engor­ g o n e n douloureux des glandes sous-maxillaires. Cet état de phlogose amena promptement l'ulcé­ ration de ces mêmes parties . Ainsi la nature p a r u t , dans ce cas remarquable, manifester ostensiblement ses moyens d'infection : ainsi elle sembla vouloir c o m b a t t r e , en déployant ses moyens é n e r g i q u e s , l'incrédulité et les p r é ­ ventions d e ceux qui nient que le contact soit une voie assurée de propagation. Une r e m a r q u e plus générale du même auteur confirmera les soupçons qu'on a eus sur le c a ­ ractère que déploya cette maladie à Livourne : il assure qu'au commencement de n o v e m b r e , elle était parvenue à son plus haut d e g r é , et qu'elle menaçait de se répandre dans les divers quartiers de la ville, lorsque la police médicale réussit à en arrêter les p r o g r è s , et qu'on la v i t , en p e u de t e m p s , diminuer d'une manière apparente . 1

2

Il me reste à renforcer les preuves multi2

P. 20. —

3

P.

39.


( 455 ) pliées qui p r é c è d e n t , en ajoutant quelques observations c o n c l u a n t e s , e m p r u n t é e s princi­ palement de la navigation. Un vaisseau i s o l é , surveillé sans i n t e r r u p t i o n , n'est pas tellement é t e n d u , qu'on ne puisse, dans le plus g r a n d n o m b r e de c a s , a p p r é c i e r avec précision l ' é p o q u e où la contagion s'y introduit. C'est p e u t - ê t r e là qu'il faut étudier p r i n c i p a l e m e n t l'histoire de l'infection. Au Cap-Français, b e a u c o u p de nos vaisseaux de g u e r r e et de navires marchands n ' e u r e n t pas à souffrir, tant qu'ils ne c o m m u n i q u è r e n t p o i n t avec nous ; le n o m b r e des malades atteints du typhus américain était p r e s q u e toujours en raison de la fréquence des relations avec la t e r r e . Un trait fort singulier de ce g e n r e se passa sur le D u g a y - T r o u i n , d o n t l'équipage jouit d'une santé parfaite, p e n d a n t les huit p r e m i e r s mois de sa station dans la rade : m a i s , peu après q u e le contre-amiral L a t o u c h e - T r é v i l l e l'eut choisi p o u r être le vaisseau a m i r a l , n o u s ne tardâmes pas à recevoir un g r a n d n o m b r e de matelots de son é q u i p a g e , atteints de l'affection 1

1

Ce vaisseau avait une des meilleures positions de la

r a d e , se trouvant plutôt d u côté des rescifs que du

côté des

marais de la Petite Anse.


( 456 ) dominante. Ce changement vint de ee que la présence du c o m m a n d a n t del'escadre nécessita des relations très-multipliées avec la terre. L'escadre anglaise qui nous bloquait au C a p , jouit d'une santé parfaite, pendant toute n o t r e résistance qui fut de sept mois. La navigation dût être p é n i b l e , car les Anglais ne nous per­ dirent jamais de v u e , malgré les tempêtes et les ouragans. O n aurait peine à se former une idée des précautions qui furent prises p o u r ne point laisser c o m m u n i q u e r avec n o u s , et p a r là prévenir l'infection : ils les poussèrent si loin, qu'après la reddition du C a p , le navire la Justine, qui m'avait été accordé p o u r le trans­ p o r t des officiers malades et d'un g r a n d n o m ­ b r e d'officiers de santé bien p o r t a n s , étant sorti le p r e m i e r , les Anglais n'osèrent jamais l ' a m a r i n e r , et nous laissèrent libres de nos vo­ lontés jusqu'à la J a m a ï q u e où nous les suivîmes. Mais la flotte e n n e m i e , si bien c o n s e r v é e , ayant distribué à b o r d de chaque vaisseau une foule immense de nos compagnons d'infortune, et ayant p o r t é une partie de ses équipages sur nos p r o p r e s navires vit, dans le cours de la t r a v e r s é e , de n o m b r e u x exemples du typhus d'Amérique parmi ses matelots p r é c é d e m ­ m e n t intacts. Il en fut de même de la division


( 457 ) q u i avait reçu l'ordre de c o n d u i r e à Kings-Town les bâtimens du P o r t - a u - P r i n c e : l'infection y fit encore des p r o g r è s plus r a p i d e s , q u o i q u e p r é c é d e m m e n t on n'eût aperçu a u c u n e trace de sa présence chez les matelots anglais. O n était convaincu, dans la colonie, que le m ô l e Saint-Nicolas était un des points les plus salubres de l ' î l e , et cette opinion engagea le conseil de santé à y faire de g r a n d s établissemens p o u r les malades et les convalescens. E n c o n s é q u e n c e , après avoir obtenu une déci­ sion du capitaine général et du préfet c o l o n i a l , on y fit transporter douze cents m a l a d e s , dans un m o m e n t où la fièvre jaune avait acquis un c a r a c t è r e particulier de férocité. Les b â t i m e n s , destinés à ces t r a n s p o r t s , furent tous infectés, m ê m e ceux qui ne l'avaient pas été auparavant. O n c i t a , entre a u t r e s , une frégate q u i , sta­ t i o n n é e depuis long-temps au m ô l e S a i n t N i c o l a s , y faisait jouir son équipage d'une santé dont on a peu d'exemples. M a i s , dès qu'elle eut servi à ce malheureux t r a n s p o r t ; dès que, par ce moyeu, les miasmes contagieux e u r e n t été disséminés parmi les m a r i n s , une t r è s - g r a n d e partie d'entre e u x furent p r o m p t e m e n t m a l a d e s , et b e a u c o u p m o u r u r e n t avec tous les symptômes de la fièvre du C a p .


( 458 ) A la G u a d e l o u p e , on a attribué l'introduction d u typhus à la frégate la Clorinde qui y d é ­ b a r q u a d e u x cents h o m m e s venant du Cap ; on avait pu r e m a r q u e r , en effet, qu'il n'y existait pas avant l'arrivée de ce bâtiment. L e docteur Blane m'a r a c o n t é , à L o n d r e s , un de ces faits qui laissent peu de doute sur la na­ t u r e d'une maladie. Le 16 mai 1795, la Thetis et le Hussard p r i r e n t , sur la côte d ' A m é r i q u e , d e u x navires français venant de la G u a d e l o u p e . L ' u n d'eux avait quelques h o m m e s atteints de la fièvre j a u n e , et ils infectèrent rapidement les quatorze personnes chargées de g a r d e r les prises ; neuf m o u r u r e n t avant d'arriver à Hali­ fax, le 28 du m ê m e m o i s , et les c i n q autres furent mises à l'hôpital, tourmentées de la m ê m e affection morbifique. U n e partie des prisonniers furent envoyés à b o r d du Hussard, et la fièvre s'y répandit si activement q u e près d u tiers de l'équipage fut plus ou moins g r a v e ­ m e n t atteint . 1

E n 1810, je publiai un m é m o i r e qui contient 1

J'ai, depuis cette conversation, lu ces faits dans les

ouvrages que je dus à l'obligeance de c e m é d e c i n , e t qu'il me prêta pendant

l. c.,

p. 389.

mon

séjour en

Angleterre,


( 459 ) la p l u p a r t des observations que je viens de rac o n t e r , et qui renferme l'expression de mes idées sur la contagion ; j'y r e t r o u v e les faits suivans qui me paraissent mériter une m e n t i o n toute particulière. La frégate la Comète, d o n t l'équipage était bien p o r t a n t au Cap-Français, envoya ses calfats à un navire infecté ; l'un d'eux r e v i n t , le soir, m o u r a n t . Cette frégate souffrit peu, jusqu'à l'ins­ tant où elle fut destinée à p o r t e r des troupes à l'île de la T o r t u e . Dans ce court t r a j e t , six personnes furent atteintes du mal c o n t a g i e u x , et dès cet instant il se r é p a n d i t à b o r d . M. C h a p e l , chirurgien-major de la Didon, r a p p o r t e que sept h o m m e s des îles des Saintes, o ù la maladie n'existait p a s , allèrent à la basset e r r e ( G u a d e l o u p e ) où elle régnait dans toute sa force ; ils revinrent le soir tous les sept avec la m ê m e fièvre qu'ils c o m m u n i q u è r e n t a u x autres E u r o p é e n s . On dit aussi que le g é n é r a i E r n o u f f e n v o y a , dans ces trois petites îles d é ­ p e n d a n t e s de son g o u v e r n e m e n t , la 26. demib r i g a d e , q u i , en garnison à la b a s s e - t e r r e , y 1

e

1

N o t i c e sur la fièvre j a u n e , imprimée en l'an 1 1 ,

par M. Caillot, médecin distingué de la m a r i n e , et m o n condisciple.


( 460 ) avait p e r d u une quantité prodigieuse de soldats. C e u x - c i , arrivés aux petites î l e s , y r é p a n d i r e n t p r o m p t e m e n t le typhus qui y fit b e a u c o u p de ravages. Un e m p l o y é des douanes de B r e s t , mis sur u n bâtiment qui venait d'y e n t r e r , se coucha sur des effets arrivant du C a p , et y contracta u n e fièvre dont les s y m p t ô m e s a p p a r t e n a n t au typhus q u e nous t r a i t o n s , l ' e m p o r t è r e n t en q u a r a n t e - h u i t heures . 1

SECTION

III.

Opinions de quelques praticiens

sur la

contagion.

Quelle q u e soit l'origine q u e le d o c t e u r W a r r e n ait attribuée à la fièvre jaune de la B a r b a r i e , il ne la reconnaît pas moins c o m m e susceptible de se c o m m u n i q u e r ; et s'il c o n ç u t l'opinion qu'elle provenait de la peste de Mar­ seille i m p o r t é e en 1721 à la M a r t i n i q u e , c'est qu'il fut entraîné par le caractère é m i n e m m e n t contagieux qu'elle d é p l o y a ; il désigne m ê m e l'individu qui infecta la B a r b a d e en 1 7 3 3 . Ce fut, dit-il, un chirurgien anglais qui m o u r u t 1

Voyez

m o n M é m o i r e cité pag. 5 1 .


( 461 ) p e u de jours a p r è s son arrivée de la M a r t i ­ n i q u e . Nous avons vu aussi q u e le d o c t e u r L i n i n g avait la m ê m e opinion sur celle d e C h a r lestun en 1748, et qu'il la croyait i m p o r t é e d e s Antilles. Sans a d m e t t r e la contagion c o m m e t o u j o u r s i n h é r e n t e à ce t y p h u s , Hillary p e n s e qu'elle l'est par c i r c o n s t a n c e lorsqu'il p a r ­ vient à son état le plus p u t r i d e de m a l i g n i t é , o u aussitôt après la m o r t , si la saison est t r è s c h a u d e , o u si la fièvre est a c c o m p a g n é e d e s y m p t ô m e s ou de q u e l q u e a u t r e fièvre m a l i g n e , c o m m e il arriva u n e fois à A n t i g u a , et une o u d e u x a la B a r b a d e , etc. 1

T e l l e est aussi la pensée d e M a k i t t r i e k q u i a d m e t la c o n t a g i o n d a n s les d e u x é p i d é m i e s d o n t il est ici question . 3

L i n d s u p p o s e s a g e m e n t q u e la fièvre j a u n e est quelquefois b é n i g n e , et q u e dans d ' a u t r e s cas elle est d e n a t u r e différente et s o u v e n t contagieuse. P o u p p é e - D e s p o r t e s , en la c a r a c t é ­ risant c o m m e p u t r i d e , maligne et pestilentielle, voulait c e r t a i n e m e n t signaler les facultés qu'elle a d e se t r a n s m e t t r e . Il a t t r i b u a , en p a r t i e , la cause d e celle qu'il essuya, à l ' o u v e r t u r e d e q u e l q u e s c a d a v r e s , à la dissection desquels ii 1

P. 4. –

2

P. 44. —

2

L. c.,

p.

101.


( 462 ) 1

avaitmis les mains ; il reconnaissait, d'ailleurs, l'importation à la Martinique p a r le vaisseau l'Oriflamme. Moultrie s'est e x p r i m é avec la p l u s g r a n d e réserve sur la contagion q u e cepen­ d a n t il admet d'individu à individu, et non de p r o v i n c e à p r o v i n c e . T o u s les h o m m e s , dit ce p r a t i c i e n , sont sans d o u t e exposés à cette maladie lorsqu'elle r è g n e , p o u r v u qu'ils soient enveloppés par le m ê m e air et qu'ils le respi­ r e n t : il sort continuellement des c o r p s des exhalaisons acres et d e m i - p u t r i d e s , et l'air du lieu dans lequel se trouve le fébricitant en est bientôt r e m p l i ; de sorte q u e les m a l a d e s , ainsi que les assistans, ne le respirent pas sans d a n g e r . A p r è s un pareil l a n g a g e , je laisse à j u g e r si, c o m m e on l'a a v a n c é , Moultrie nie l'infection p a r contact ; c'est à tort aussi qu'on a p r ê t é la m ê m e opinion à C l a r k , lui qui étend cette p r o p r i é t é m ê m e aux pyrexies intermittentes. Les fièvres, assure-t-il, possèdent plus ou moins le pouvoir contagieux selon les différentes modifi­ cations de leurs causes éloignées. Ainsi les inter­ mittentes régulières, d o n t l'origine dérive des gaz m a r é c a g e u x , sont seulement contagieuses à un faible d e g r é , p e n d a n t q u e les r é m i t t e n t e s , qui tirent la leur des exhalaisons c o r r o m p u e s , après 2

1

T . I , p. 191 et 217. —

2

P . 1 7 2 , Coll. Bald.


( 463 ) des étés chauds o u dans des climats b r û l a n s , sont t r è s - c o n t a g i e u s e s , et elles e m p r u n t e n t s o u v e n t d e ces causes u n e forme c o n t i n u e . Quand cela a r r i v e , ces r é m i t t e n t e s ne different e n a u c u n e m a n i è r e d e cette variété d e fièvre con­ tinue q u i est p r o p a g é e dans les c a m p s , les p r i s o n s , les h ô p i t a u x , les vaisseaux La con­ t a g i o n était évidente dans la fièvre du B e n g a l , et elle n e l'était pas moins à Calcutta où les m a ­ lades c o u c h a i e n t dans d e g r a n d s a p p a r t e m e n s . Ailleurs ce p r a t i c i e n , en p a r l a n t de la fièvre d e la D o m i n i q u e , dit positivement qu'il n e nie p o i n t qu'elle n'ait acquis une force c o n t a ­ gieuse d a n s q u e l q u e s villes, vaisseaux ou a u t r e s places en p r o p o r t i o n d u d e g r é de c o n c e n t r a t i o n d e l'air vicié . 1

2

G i l l e s p i e , q u i a o b s e r v é la fièvre jaune d a n t d o u z e a n s , tant sur les vaisseaux q u e les A n t i l l e s , se p r o n o n c e p o s i t i v e m e n t l'affirmative ; et W o l f i n g , q u i avait 3

1

Observations

voyages

on the diseases

to hot climates,

2

A treatise

3

And

in some

instances,

which

prevail

in

long

T . I , p. 1 5 3 .

on the yellow fever,

have been the means Boyne,

etc.,

pen­ dans pour aussi

p. 23.

infection

of propagation,

was supposed

as happened

in

to the

p . 8 . V o y , aussi p . 6 2 et les passages que n o u s

a v o n s déjà cités.


( 464 ) exercé son années, est des régions se changer

art dans les Antilles pendant sept du même avis, surtout pour celle septentrionales q u i , selon l u i , peut en typhus contagieux . 1

Un habitant des Etats-Unis qui signait a Dispassionate Philadelphian, a proposé, dans l'Evening Post, du 22 o c t o b r e , des a r g u m e n s qui méritent une attention particulière. Il c o m ­ pare d'abord l'état de Philadelphie, avant 1795, avec celui de cette ville depuis cette époque, « Après l'apparition de la fièvre jaune, en 1762 et 6 5 , beaucoup de rues de Philadel­ phie restèrent sans être pavées, et dans les sai­ sons pluvieuses elles étaient remplies d'eau et de boue. L e grand canal, appelé le Dock, con­ tenait des amas de matières animales et v é g é taies en putréfaction : exposé au reflux de la m e r , échauffé par les rayons du soleil, il déga­ geait sans interruption des gaz nuisibles. O n ne s'opposait point à l'entassement des ordures dans les rues ni les allées, et celles qui b o r ­ daient la rivière étaient un cloaque dégoûtant de corruption et d'infection . 2

1

Dissert,

Batavorum, 2

inaug.

de febre

omericanâ

flavâ.

Lugduni

1803.

Alors toutes les causes auxquelles o n attribue c e


( 465 ) » D e p u i s l o r s les rues o n t été p a v é e s , m ê m e celle de W a t e r - S t r e e t , les warfs n é t o y é s . le g r a n d canal r e c o u v e r t et mis à l'abri du soleil ; les autres c a n a u x o n t été creusés et disposés d e m a n i è r e à être toujours remplis d ' e a u , m ê m e dans les plus basses m a r é e s . Aussi les maladies e n d é m i q u e s , q u i étaient a u p a r a v a n t d o m i n a n t e s , diminuèrent considérablement a p r è s q u ' o n eut tari tant d e s o u r c e s d'infection. 1

» Si cette peste a été occasionnée dans l'été d e 1 7 9 8 , c o m m e o n l'a d i t , par les e x h a l a i ­ sons des matières animales et végétales en p u t r é ­ faction dans les c a n a u x , les égoûts, les g o u t t i è r e s et les r u e l l e s , à q u o i a t t r i b u e r a - t - o n celle q u i se déclara sur la h a u t e u r et le r i v a g e sec d e B e l i n g t o n , dans les rues les plus p r o p r e s , les plus aérées d e P h i l a d e l p h i e , sur le t e r r a i n élevé et d o m i n a n t d e W i l m i n t o n , dans les hautes rues d e N e w - Y o r k exposées à la purification p a r les brises de m e r , et sur le rivage s a b l o n n e u x de g e n r e d ' é p i d é m i e , existaient r é e l l e m e n t , et c e p e n d a n t elle n e reparut pas avant 1793. 1

Il

n'est p o i n t inutile de faire observer ici

c'est s e u l e m e n t depuis c e s réparations q u e

que

la fièvre

jaune a e x e r c é tant de ravages à P h i l a d e l p h i e . Ceux qui o n t s o u t e n u une o p i n i o n contraire à la n ô t r e , n'ont pas tenu c o m p t e de ces différences r e m a r q u a b l e s .

30


466 )

(

Boston, lavé tous les jours par les hautes marées »? L ' a u t e u r de ces réflexions s'étend e n c o r e l o n g u e m e n t sur d'autres considérations i m p o r ­ tantes ; il assure ensuite q u e la maladie ne p é ­ n é t r a point dans l'hôpital de Pensilvanie, dans les prisons, dans la maison des p a u v r e s , p a r c e q u ' o n n'y admit aucune p e r s o n n e suspecte : il réfute aussi l'opinion de ceux, qui assimilent le vomissement noir aux rémittentes bilieuses, e t , e n t r e autres a r g u m e n s , il p r o u v e leur diffé­ r e n c e r é e l l e , en disant que le traitement de ces d e r n i è r e s ne guérit pas la fièvre j a u n e , etc.... Celle qui affligea N e w - Y o r k en 1 7 9 1 , se r é p a n d i t p a r contagion, selon Addams, q u o i q u e n é e de la putréfaction des végétaux . Hales a v o u e que la fièvre jaune r é m i t t e n t e p e u t , p a r d e s circonstances p a r t i c u l i è r e s , d é g é n é r e r en vrais typhus ictérodes c o n t a g i e u x , et p r e n d r e la nature et la forme pestilentielles. E t W i l l i a m s Batt, embarrassé p o u r expliquer les p h é n o m è n e s contradictoires de cette p y r e x i e , l'a divisée en t y p h u s i c t é r o d e , qu'il reconnaît p o u r c o n t a gieux, et en fièvre j a u n e rémittente qui ne l'est pas. 1

1

Inaugural

prevailed sept.,

dissertation

in New-York

and oct.

on the malignant

During

1 7 9 1 , p . 7.

the Months

fever

which

of

august,


( 467 ) C'est la même i n c e r t i t u d e q u i a c o n d u i t M. Savaresy à dire q u e la fièvre d e L i v o u r n e , réelle­ ment c o n t a g i e u s e , différait en cela d e la vraie fièvre jaune ; d'autre p a r t , q u o i q u e o p p o s é à l'idée d e la c o n t a g i o n , il est forcé d e l ' a d m e t t r e comme p o s s i b l e , et même c o m m e v r a i s e m b l a b l e , dans les lieux peu aérés et étroits. Il est facile d e p r o u v e r que p e r s o n n e n'a osé nier d ' u n e m a ­ n i è r e absolue qu'elle fut susceptible d ' e m ­ p r u n t e r ce c a r a c t è r e . En e f f e t , M. V a l e n t i n c o n v i e n t q u e , parla r é u n i o n d'un g r a n d n o m b r e d'individus dans un espace c i r c o n s c r i t , le v o ­ missement n o i r p o u r r a i t a c q u é r i r la p r o p r i é t é c o n t a g i e u s e . J e ne veux a u t r e c h o s e q u e cet aveu a r r a c h é p a r la conviction q u i d é c o u l e des faits. M. D a l m a s diffère p e u , en ce sens, d e M. V a l e n t i n , lorsqu'il veut r e n d r e raison d e l'énergie p r o d i g i e u s e e x e r c é e p a r le t y p h u s s u r les p e r s o n n e s p l o n g é e s dans la s p h è r e d'activité. Il a même jugé c o n v e n a b l e de c r é e r le m o t d e fièvre é p i d é m i - c o n t a g i e u s e : ce q u i , dans sa m a n i è r e de v o i r , semblerait dire fièvre c o n t a ­ gieuse q u i n e l'est pas. L e d o c t e u r P a s c a l i s , m é d e c i n de P h i l a d e l p h i e , n'a pu s ' e m p ê c h e r d ' a d m e t t r e u n e contagion qu'il n o m m e négative ; et si j'ai bien c o m p r i s ce qu'il e n t e n d p a r c e t t e e x p r e s s i o n , il p a r a î t r a i t q u e les exhalaisons d u 30 *


( 468 ) corps peuvent infecter u n e a t m o s p h è r e r e s ­ s e r r é e , dans laquelle on serait exposé à p r e n d r e la maladie J'ai lu avec surprise, dans plusieurs ouvrages, q u ' o n attribuait à m o n collègue G i l b e r t d'avoir soutenu q u e la fièvre du Cap n'était pas c o n t a ­ gieuse. M M . Devèze, Savaresy, Tomassini, et plusieurs a u t r e s , ont publié cette opinion qui m e semble une e r r e u r palpable. V o y o n s s'ils sont fondés : Dans sa 11. observation, M G i l b e r t s'exprime ainsi : la contagion ne tarda pas à se r é p a n d r e , bien q u ' o n se p r é m u n î t c o n t r e elle de tous les secours q u e la chimie m o d e r n e a fait c o n n a î t r e . Elle s'attacha aux individus q u i a p p r o c h a i e n t les malades d ' é c o n o m e de l'hôpital des P è r e s succomba... P r e s q u e tous les pharma­ ciens eurent la maladie, et la moitié d'entre e u x furent enlevés... T o u s les chirurgiens p a y è r e n t é g a l e m e n t le t r i b u t ; il fut m o r t e l p o u r la p l u ­ p a r t ; et a i l l e u r s , en parlant du général en chef, je tremblais de le voir p a r c o u r i r tous nos h ô p i t a u x , se précipiter au sein de la contagion... L e s causes locales qui r e n d e n t en ce m o m e n t la fièvre jaune si funeste au C a p , et q u i lui i m ­ p r i m e n t un caractère contagieux et presque e

1

P a s e a l i s , Lettre aux rédacteurs du Med.

rep.


( 469 ) p e s t i l e n t i e l , sont en g r a n d n o m b r e Ce­ p e n d a n t o n ne p e u t se dissimuler q u ' u n e maladie aussi g r a v e et d ' u n caractère p u t r i d e et g a n g r e n e u x ne puisse se p o r t e r , p a r c o m m u ­ nication de l'air r e s p i r é o u par le c o n t a c t des effets i m p r é g n é s d e ces miasmes, sur les h o m m e s q u i , p a r état ou p a r d é v o u e m e n t , s'exposent à tous les instans du j o u r à l'action des causes q u i la font naître et q u i l ' e n t r e t i e n n e n t . C e l a n g a g e est c l a i r , ce m e s e m b l e , et n é a n m o i n s o n e n fait t e n i r un tout c o n t r a i r e à M . G i l b e r t . C e m é d e c i n , h o m m e d'esprit, connaît t r o p la valeur des t e r m e s p o u r s'être e x p r i m é d e la s o r t e , s'il avait eu le plus l é g e r d o u t e . 1

Il resterait à t r a n s m e t t r e ici l'opinion d ' u n g r a n d n o m b r e d'autres m é d e c i n s , qui o n t p r a ­ t i q u é en A m é r i q u e , tels q u e P u g n e t , L e b l o n d , Siris , C h i s o l m , les m e m b r e s du collége d e Phi­ l a d e l p h i e , R u s h , C u r r i e , et de c e u x qui o n t vu la fièvre d e L i v o u r n e , tels q u e Dufour, T h i b a u l t , P a l l o n i ; des m é d e c i n s espagnols, P i g u i l l e m , T e r ­ r e r o , M a r t o r e l l , A r é j u l a , S o u c r a m p e , Padillas, L a f u e n t e , S a l a m a n c a , Poujol, Parrias, F e r r a n d , 1

c., p. 5 5 , 6 1 , 70 et 95.

1

L.

2

D i s s e r t a t i o n sur la maladie observée au C a p . P a r i s ,

an XI ( 1 8 0 3 ) .


( 470 ) Ant. V e r d e , P a y r a S a r r a v i a , C i b a t , L l o r e t , A l c a r a s , C a r a s c o , Castilla et l'académie de M a d r i d ; des médecins français, Broussais et M o q u o t qui disent que c'est une maladie é m i n e m m e n t contagieuse ; du médecin français Martel et de tant d'autres que nous ne citons p o i n t , mais que nous avons consultés en E s ­ p a g n e , et q u i pour la p l u p a r t avaient vu la m a ­ ladie dans les deux m o n d e s ; il suffit de savoir q u ' a u c u n d'eux ne jette du d o u t e sur la n a t u r e contagieuse de la fièvre jaune. 1

N o u s prierons actuellement nos lecteurs d ' o p p o s e r cette masse de faits et l'autorité de q u e l q u e s milliers de praticiens , à la simple dénégation d'une d e m i - d o u z a i n e d'écrivains de b o n n e foi, et d'autant d'autres qui défendent la 2

1

P . 2 3 . Lettre à MM. les c h i r u r g i e n s - m a j o r s

des

r é g i m e n s , a X é r è s d e la F r o n t é r a , 1 8 1 1 . 2

M. Pinkard m'a assuré, à L o n d r e s , que Rush s'était

rétracté avant de mourir ; cette assertion est m ê m e c o n ­ signée dans l'ouvrage de M. Bancroft. Cela est possible ; mais si le fait est v r a i , cette abjuration ressemblerait u n p e u à celle qui fut exigée de Galilée et de F é n é l o n . La première n'a pas e m p ê c h é le globe terrestre de se mouvoir dans l'orbite qui lui est assigné autour s o l e i l , et la deuxième n'a

rien

ravi à la pureté et

la sublimité de la morale de l'illustre prélat.

du

à


(

471

)

cause c o n t r a i r e , soit p a r esprit de p a r t i , soit p o u r v e n g e r leur p a t r i e d ' u n e i m p u t a t i o n n u i ­ sible ; alors ils s e r o n t convaincus d ' u n e v é r i t é d o n t l'oubli serait fatale au m o n d e , et s p é c i a l e ­ m e n t à la F r a n c e m é r i d i o n a l e .


CHAPITRE

Du

IX.

Traitement.

LE but de toute m é d e c i n e , d e toute discussion médicale, c'est le t r a i t e m e n t ; dans les cas o r d i n a i r e s , on p e u t en quelque sorte l'assujétir à des règles fixes ; mais, p o u r les maladies qui frappent la vitalité dans sa s o u r c e , le praticien t â t o n n e ; et s'il est de b o n n e foi, il avoue q u e son art est infiniment limité. Rien ne p r o u v e mieux la vérité de cette a s ­ sertion q u e l'incertitude où l'on est sur la nature d e la fièvre jaune ; que la variété des méthodes c u r a t i v e s , et la multiplicité des médicamens employés p o u r la c o m b a t t r e . Ici le m e r c u r e , là le quinquina ; ailleurs ce sont les acides ; b e a u ­ c o u p vantent les purgatifs ; d'autres les vésicatoires et les frictions ; chacun a son spécifique ; chacun publie des merveilles sur sa panacée ; et, au milieu de ce conflit d'opinions, 1 observateur se trouve égaré c o m m e un v o y a g e u r pendant u n e nuit obscure et orageuse.


(473 ) P o u r concilier les divers systèmes et p o u r j u s ­ tifier les oppositions sans n o m b r e des praticiens, je me propose de rechercher d'abord si la mé­ decine e x p e c t a n t e , fondée sur les efforts de la n a t u r e , est admissible dans quelques circons­ tances, je m'efforcerai ensuite d e débrouiller le chaos de la polypharmacie employée sans choix contre ce g e n r e d'affection. J e passerai de là au traitement de quelques symptômes d a n g e r e u x : enfin je m'occuperai de celui qui est applicable à la maladie considérée dans ses diverses périodes, SECTION

Evaluation

PREMIÈRE.

des moyens de la

nature.

D u r a n t l'épidémie de S a i n t - D o m i n g u e , j'ai étudié avec une attention scrupuleuse les voies que préférait la nature p o u r se d é g a g e r de l ' e n ­ n e m i qui l'opprimait. J'ai déjà fait apercevoir combien les crises étaient rares. C e p e n d a n t il est permis de croire que plusieurs malades sauvés l'ont du aux efforts de la vitalité plutôt qu'aux faibles moyens de la médecine Des flux d'urines jaunes, abondantes et l o n g - t e m p s con­ tinuées, ont dissipé les accidens chez certains 1

W a r r e n , p. 26.


( 474 ) sujets ; chez d ' a u t r e s , les selles de différentes c o u l e u r s , depuis le jaune jusqu'au noir le plus f o n c é , ont produit le même effet. Il importait donc de favoriser ces évacuations, q u a n d la nature paraissait s'en servir c o m m e d'un moyen de soulagement ; nous donnions à cet effet des limonades cuites ; des tisanes laites avec les oranges amères du pays, avec le corossol, avec le tartrite acidule de potasse ; on aiguisait la p l u p a r t de ces boissons avec le nitrate et l'a­ cétate de potasse, dans le dessein de p r o v o q u e r la sécrétion des urines. P o u r a u g m e n t e r les excrétions alvines, nous ajoutions aux moyens p r é c é d e n s les tamarins et parfois l'huile de palma-christi : on se sert beau­ c o u p à S a i n t - D o m i n g u e d e ces d e u x laxatifs, et s u r t o u t des tamarins frais, dont on fait une boisson d'autant plus agréable qu'elle est a c i d e , et p a r là m ê m e plus a p p r o p r i é e à l'état bilieux qui p r é d o m i n e c o m m u n é m e n t dans les maladies des pays chauds. Il fallait aussi p r e s c r i r e des lavemens laxatifs ; mais tous ces m o y e n s devaient être s u b o r d o n n é s aux forces de la n a t u r e , et il fallait c r a i n d r e de p r o c u r e r plus de deux selles p a r j o u r , si l'on ne voulait pas p r o v o q u e r l'é­ puisement. Effets des sueurs. Les m o u v e m e n s critiques


( 475 ) vers la peau furent rares en 1802 et 1803 ; et, quoique le climat dût les favoriser, nous n ' o b ­ servâmes rien d'assez positif p o u r en tirer une conclusion générale. Cependant quelques faits particuliers nous d é m o n t r è r e n t q u e , dans les premiers jours de l'invasion, les fortes sueurs furent avantageuses quand elles coulèrent avec uniformité par tout le corps et sans laisser u n e impression de froid ; c'est à une excrétion de celte nature qu'un officier de s a n t é , confié à mes soins, dut évidemment son salut ; la t r a n s ­ piration se fit avec une a b o n d a n c e é t o n n a n t e , dès le début de la maladie. J'observai le m ê m e résultat sur plusieurs a u t r e s , ainsi qu'on a pu le voir dans les histoires particulières. D'autre p a r t , quelques - unes de ces mêmes histoires d é m o n t r e n t que des s u e u r s , e x t r ê m e m e n t abon­ dantes et venues de b o n n e h e u r e , n'ont p u prévenir la mort. № . 14 et 17. O n peut présumer q u e ces sueurs ne sont pas le produit d'une coction réelle ; il semble que le soulagement qu'elles p r o c u r e n t d é p e n d de ce qu'elles évacuent une matière d é l é t è r e , ou de ce qu'elles intervertissent les tendances vicieuses de la cause morbifique, en les r e p o r t a n t de l'in­ térieur à la p é r i p h é r i e ; mais je laisse a u x a d e p t e s le soin de décider cette question théorique.


( 476 ) O n a p u voir que ce typhus n'observait pas u n e m a r c h e toujours uniforme clans toutes les é p i d é m i e s , et l'on s'en convaincra encore en lisant les observations des auteurs sur les termi­ naisons critiques. C e p e n d a n t je ferai r e m a r q u e r qu'il faut se défier un peu de l'esprit d ' e x a g é r a ­ tion qui a dirigé quelques écrivains, et qui les a plongés dans des contradictions évidentes. Ainsi Rush s'est convaincu q u e , dans l'épidémie de 1793, la fièvre était souvent g u é r i e , vers les 1 . et 2 . jours, par mie sueur copieuse ; et p a r o p p o s i t i o n , M. Devèze a é p r o u v é clans le m ê m e t e m p s que la terminaison par les sueurs a été souvent funeste. Il se gardait bien en c o n s é ­ q u e n c e d'administrer les s u d o r i f i q u e s , dont l'action est m o m e n t a n é m e n t irritante et tonique, mais qui est bientôt suivie d'un épuisement r a ­ dical des forces . e r

e

1

2

M. Gonzalez, médecin de Cadix, favorisait les sueurs dans l'épidémie de 1804. Voici c o m m e n t il s'exprime dans le manuscrit q u e je liens de lui : « Les cas les plus heureux de cette maladie sont ceux q u e les sueurs terminent ; elle a eu aussi une issue favorable par les évacuations alvines, c p o i q u e plus lentement et m o i n s fré1

P . 282. —

2

P . 64, Voyez

aussi M. B a n c r o f t , p. 73.


( 477 ) quemment. La sueur est d o n c la p r e m i è r e évacuation qu'on doit p r o v o q u e r , en faisant attention q u e , dans le c o m m e n c e m e n t , la diathèse inflammatoire domine toujours plus ou m o i n s , et qu'il faut se g a r d e r des remèdes chauds et des sudorifiques actifs. L a pratique c o m m u n é m e n t suivie à C a d i x , consistait à faire coucher les individus dès la p r e m i è r e atteinte du m a l , et de leur d o n n e r de suite des lavemens avec la m a n n e , le s e l , l'huile et le vinaigre ; on leur faisait ensuite quelques frictions sur les r e i n s , l'épine du dos et les articulations, avec parties égales d'huile d'amandes douces et de vin blanc ; ensuite on appliquait des sinapismes légers p o u r réveiller les forces toniques de la peau ; enfin, p o u r b o i s ­ son o r d i n a i r e , on prescrivait la l i m o n a d e , l ' o x y c r a t , une décoction d'orge acidulée avec l'oxymel s i m p l e , et à l'heure d u sommeil une limonade t i è d e , ou une infusion de fleurs c o r ­ diales. » Cette m é t h o d e excitait sans d o u t e u n e diaphorèse favorable, lorsque la nature avait u n e tendance à diriger son action sur le système d e r m o ï d e . C'est p r o b a b l e m e n t aussi d'après de semblables vues que M. Martorell de Carthagène administrait les bains lièdes q u i , selon l u i ,


( 478 ) t e m p é r a i e n t les douleurs avec plus d'efficacité q u e tout autre m é d i c a m e n t , et qu'il aidait leur action par de fréquentes frictions, avec un mé­ l a n g e d'eau-de-vie et dé vinaigre. D . J. J u a n de la m ê m e ville s'écartait peu de cette f o r m u l e , à laquelle il ajoutait un mélange d'opium et d'éther sulfurique à l'intérieur, médicament destiné principalement à appaiser le hoquet et le vomisses e m e n t , mais qu'on doit considérer c o m m e un puissant sudorifique. M. P o u j o l , médecin de C a d i x , m'a avoué qu'il n'avait point de m é t h o d e fixe, et qu'il prenait conseil des circonstances : il avait cependant l'habitude d'user de quelques légers sudorifiques dès le principe. O n d o i t , au reste, étudier avec attention ces m o u v e m e n s critiques vers la p e a u , q u e l q u e rares qu'ils soient ; en observant que la p r e m i è r e p é r i o d e étant un stade d'irritation, il y aurait d u d a n g e r à stimuler t r o p vivement l'estomac p a r des moyens t r o p actifs. C e p e n d a n t , s'il est u n e circonstance qui p e r m e t t e de favoriser d o u c e m e n t la s u e u r , c'est celle où un refoule­ m e n t de l'excrétion cutanée est la cause d é t e r ­ minante du typhus. D'ailleurs, c o m m e nous reconnaissons la possibilité d'un miasme c o n t a ­ g i e u x , il est plus raisonnable de l'attaquer dès le c o m m e n c e m e n t et de l'expulser avec p r o m p -


( 479 ) titucle. Palloni dut son salut à une évacuation abondante de sueurs et à des selles copieuses . 1

U n p r o c é d é qui me paraîtrait convenable serait celui q u i , sans aggraver l'irritation in­ flammatoire, favoriserait les mouvemens vers la périphérie du c o r p s , p a r des frictions, soit sèches, soit avec différentes substances que nous i n d i q u e r o n s , et par des bains simples ou m é d i ­ camenteux ; tièdes d ' a b o r d , ensuite froids et chauds alternativement. Ce traitement aurait sur tous les autres l'avantage de ne point a g ­ graver l'état de l'estomac q u i , c o m m u n é m e n t , ne p e u t rien s u p p o r t e r ; et celui de déplacer les spasmes intérieurs qui fatiguent si cruelle­ ment. C'est ainsi qu'à Saint-Domingue nous avons sauvé un petit n o m b r e d'individus. Au r e s t e , la nature affecte quelquefois cette d i r e c ­ t i o n , sans y être forcée par le traitement, ainsi q u e les observations n.° 3 et 5 en fournissent des exemples r e m a r q u a b l e s . Enfin, p o u r terminer ce que nous avons à dire de la médecine imitative, nous ajouterons qu'il i m p o r t e de suivre les mouvemens de la nature dans toutes les p é r i o d e s , et de les favoriser, mais qu'il faut avoir peu de confiance dans ses 1

P. 2 1 .


( 480 ) efforts presque toujours impuissans. E n parlant des mouvemens spontanés de la n a t u r e , je ne dois point passer sous silence la r e m a r q u e suivante de W a r r e n : ce praticien avait observé q u e des m a l a d e s , dans un imminent danger, étaient, tout-à-coup et d'une manière inattendue, délivrés p a r une a b o n d a n t e éruption critique d'ulcères o u de petits abcès sur t o u t le c o r p s . 1

SECTION

Moyens

II.

avoués par la médecine

dogmatique.

ARTICLE PREMIER. Vomissemens spontanés ; emploi des émétiques. Les vomissemens, si fréq u e n s dans cette fièvre, n'ont jamais été q u e symptomatiques : on ne saurait les considérer c o m m e c r i t i q u e s , puisque les nausées c o n t i nuelles et les évacuations de l'estomac c o n s tituent un des principaux obstacles de la guérison. Il y aurait d o n c d e l'imprudence à les favoriser.

J'avoue de b o n n e foi q u e l'emploi des vomitifs m'a fort r a r e m e n t réussi. U n e langue b l a n c h â t r e , une b o u c h e p â t e u s e , des nausées, des éructations fréquentes, des vomissemens, des douleurs d'estomac, semblaient caractériser 1

P. 17. Mes observations 4 , p. 1 0 9 , et 1 2 , p. 1 2 5 ,

fournissent des exemples tout à-fait semblables.


( 481 ) parfaitement ce qu'on n o m m e turgescence supé­ r i e u r e ; mais ces signes étaient tellement t r o m ­ p e u r s , q u ' u n e fâcheuse expérience m'avertit bientôt du d a n g e r de se livrer à ces fausses apparences. Ainsi, la secousse imprimée à l'estomac par les vomitifs, au lieu de disséminer les spasmes sur toute la surlace du c o r p s , selon la théorie o r d i n a i r e de l'action des émétiques, ne sert qu'à les c o n c e n t r e r , à développer une nouvelle irri­ tation sur la région épigastrique, et à p r o v o ­ q u e r les dispositions au vomissement. Cette augmentation vicieuse est d'autant plus à redou­ t e r , qu'au lieu de régulariser les fonctions de l'estomac, le désordre a u g m e n t e , et qu'alors l'administration des médicaniens est de nul effet, puisqu'ils ne peuvent séjourner dans cet organe. Il est de plus à craindre qu'il ne survienne des contractions violentes, une fatigue e x t r ê m e , des vomissemens de sang suivis d'un épuisement total et d'une p r o m p t e mort. Dans d'autres cas, les émétiques produisent un flux dyssentérique fâcheux; tels furent les résultats d e nos obser­ vations. S i l'on avait néanmoins la faculté de t e m p o riser;sil'on pouvait, comme dans les autres mala31


( 482 ) dies, affaiblir, p a r des médicamens a p p r o p r i é s , l'irritation qui d o m i n e , on se permettrait l'ipécacuanha Je d e u x i è m e ou troisième j o u r , avec l'attention d'administrer un p a r é g o r i q u e i m m é ­ diatement après son effet : ce fut la m é t h o d e q u e j'employai dans un petit n o m b r e de cas choisis, p a r m i lesquels la rémission bien c a r a c ­ t é r i s é e , l'absence de la d o u l e u r à l'orifice c a r ­ diaque et celle des vomissemens, étaient les meilleurs indices. Au t o t a l , ce p r o c é d é était si d a n g e r e u x , malgré ces p r é c a u t i o n s , qu'il était préférable de l ' a b a n d o n n e r . Il paraît que, dans les autres parties de l'Amé­ r i q u e , les praticiens n'ont pas eu davantage à s e louer des émétiques. Moultrie ainsi q u e M a k i t t r i c k les redoutaient. W a r r e n fait u n e p e i n t u r e effrayante de leurs effets ; et, malgré les préjugés d'Hillary sur la présence des h u m e u r s bilieuses p u t r i d e s , cet écrivain a n n o n c e qu'il craignait les vomitifs, m ê m e les plus d o u x , p a r c e qu'ils rendaient les vomissemens o p i ­ niâtres . J a c k s o n atteste qu'à la Jamaïque on les évitait soigneusement . M. Valentin affirme qu'ils sont en général t r è s - d a n g e r e u x ; c e p e n 1

2

3

4

1

P. 182. —

cautiously

2

P . 36. —

avoided,

3

p. 267.

P . 159. —

4

Emetics

were


( 483 ) dant il distingue les nuances que cette maladie présente dans son invasion : « ou elle s'offre d i t - i l , avec des rémissions et des intermissions semblables aux fièvres des marais, ou elle ne d o n n e aucun relâche pendant les d e u x ou trois premiers jours, et la rémission ou intermis­ sion y est imparfaite Cette distinction est séduisante ; il ne resterait plus qu'à constater, d ' u n e manière positive, si elle est fondée sur la nature des choses, et si la fièvre jaune peut ê t r e quelquefois une fièvre intermittente ; ce que j'ai peine à croire. M. Deveze a eu r a r e m e n t l'occasion de placer les émétiques pendant l'épidémie de 1793. C h i s o l m , convaincu que le poison des causes éloignées s'introduisait par l'estomac et les intes­ tins, et qu'il fallait débarrasser ces viscères des matières â c r e s , employait toujours un é m é t o calhartique dès le commencement ; mais W i l ­ liams Frost a fait de nombreuses expériences qui toutes lui en ont d é m o n t r é les inconvéniens. Ces observations sont étayées par l'autorité de H u m e , de H u n t e r , de Moseley, de H o l l i d a y , de Bancroft, qui ont aussi connu les mauvais effets de ce médicament dans les régions équatoriales. 1

P. 2 0 1 .

31 *


( 484 ) L ' e x p é r i e n c e , qui est le meilleur des guides, enseigna depuis aux Espagnols qu'il fallait s'en servir avec la plus grande modération. C e p e n ­ dant MM. A m e l l e r , Mendoza et S a l a m a n c a , donnaient dès l'invasion, un léger vomitif; ce dernier l'administrait m ê m e d'une manière aussi p e r t u r b a t r i c e q u ' e m p i r i q u e , lorsqu'il y avait du délire, et q u e la langue n'était pas c h a r ­ g é e ; mais l'autorité de ces médecins n'est pas assez imposante p o u r balancer celle de la m a j o ­ rité des praticiens espagnols qui ont embrassé u n e opinion contraire. P a r m i c e u x - c i , je citerai MM. P u j o l , C a p m a s , M a r t o r e l l , J o s e p h J u a n , G o n z a l e z , Diego S e r r a n o , D e l o n , etc. Aréjula a vu q u e si l'on administrait les vomitifs passé les vingt-quatre premières h e u r e s , ou m ê m e dès l e p r e m i e r jour de l'invasion, si les matières d u vomissement étaient b r u n â t r e s , ou si les forces étaient affaiblies, on mettait les malades e n d a n g e r C'est d o n c avec é t o n n e m e n t q u e nous avons vu Palloni a d m e t t r e un moyen p r e s q u e généralement proscrit et par la raison et p a r l ' e x p é r i e n c e ; il cite avec complaisance le d o c t e u r H o d g e , qui en a fait usage avec tant d e succès dans la p r e m i è r e p é r i o d e de cette 1

P. 1 8 1 .


( 485 ) fièvre et après une légère saignée, q u e sur soixante-dix malades il n'en a vu p é r i r que trois Si c'est là son autorité ; si la connaissance de ce fait a influencé son opinion, je plains sa crédu­ lité sans cesser d'admirer son talent ; p o u r moi je ne crois pas si facilement aux miracles de ce genre. A R T . II. Des purgatifs. Parmi les moyens q u e la médecine conseille, les laxatifs sont peutêtre les mieux i n d i q u é s , soit parce que le t u b e intestinal paraît être un des siéges principaux de la maladie, soit parce que l'expérience a d é m o n t r é q u ' u n e diarrhée soutenue produisait souvent des effets salutaires. Mais abuser de leur e m p l o i , c o m m e l'ont fait Rush et ses partisans, c'est d o n n e r dans un extrême pernicieux. L e praticien de P h i l a ­ delphie ne considérait la fièvre jaune que c o m m e une affection bilieuse susceptible d'un haut d e g r é de c o n t a g i o n , et cette p r e m i è r e idée sur la nature de la maladie semble avoir d o ­ m i n é son opinion sur les moyens cura tifs. « J e donnais, dit ce médecin, un purgatif chaque jour pendant que la fièvre continuait ; je me servais de l'huile de r i c i n , des sels, de la 1

P . 18.


( 486 ) c r ê m e de tartre et de la r h u b a r b e ( après q u e les purgatifs mercuriels avaient a g i ) , selon la disposition des malades, dans les cas où les intestins étaient facilement excités; mais dans ceux où cette excitation était plus difficile, je faisais p r e n d r e chaque jour une seule dose d e calomel et de jalap. Q u e l q u e fort qu'on puisse supposer ce purgatif, il était souvent inefficace, surtout après le 20 s e p t e m b r e , lorsque les intestins devinrent plus obstinément constipés. P o u r aider le calomel, j'ajoutais quelquefois la g o m m e - g u l t e ; deux grains et demi de chaque, mis en p i l u l e , étaient donnés toutes les six heures jusqu'à ce qu'ils procurassent quatre o u cinq selles. » S a méthode o r d i n a i r e consistait dans l ' a d m i lustration d e quinze grains de jalap et de dix grains de calomel donnés toutes les six h e u r e s , p o u r obtenir le m ê m e résultat. I then issued three doses, each consisting offifteen grains of jalap, and ten of calomel : one to be given every six hours until they procured four or five large evacuations . 1

Après de mûres réflexions et d e nombreuses r e c h e r c h e s , il se décida à a d o p t e r ce p r o c é d é . 1

P . 201.


( 487 ) F r a n c k l i n , quelque temps avant de m o u r i r , lui avait laissé un manuscrit sur la fièvre jaune r é p a n d u e dans la Virginie en 1 7 4 1 ; il y lut que les purgatifs sont plus nécessaires dans celte ma­ ladie q u e dans la plupart des autres fièvres ; l'au­ torité de C l a r k , de J o h n P r i n g l e , de Cleghorn et de Balfour, acheva de le convaincre, et il se détermina p o u r la m é t h o d e que je viens de rela­ ter. Selon l u i , ce r e m è d e détachait la bile et le mucus qui enduisaient les intestins ; il agissait p r o b a b l e m e n t d'une manière spéciale sur les conduits biliaires, et il était rapide dans ses opérations : une dose produisait quelquefois l'effet désiré ; il fallait r a r e m e n t en employer plus de six. 1

L a publication du livre de M. R u s h , en 1 7 9 4 , d o n n a heaucoup de crédit à cette m é ­ t h o d e , et lui fit de n o m b r e u x partisans; mais l'expérience et le t e m p s , ces grands et inexo­ rables maîtres, ont un peu diminué l ' e n t h o u ­ siasme e t f a i t p e r d r e de leur vogue aux drastiques. O n doit croire, puisque beaucoup de praticiens distingués les ont mis en usage, qu'ils peuvent ê t r e favorables dans un petit n o m b r e de circons­ tances; et il serait aussi injuste de les rejeter 1

P. 245.


( 488 ) e n t i è r e m e n t , q u e dangereux de les a p p l i q u e r à tous les cas. Nous élèverons seulement quelques doutes sur les succès inouis q n e l'auteur p r é t e n d en avoir obtenus : il a n n o n c e en effet, avec une emphase peu persuasive que sur cent personnes il en guérissait plus d e q u a t r e - vingtdix, p a r m i celles qui l'appelaient le p r e m i e r jour de la maladie : non moins de six m i l l e , affirme2

t-ilailleurs , d u r e n t leur vie aux purgatifs et aux saignées P a r m i les médecins qui o n t adopté une m é t h o d e analogue à celle de R u s h , on doit dist i n g u e r C l a r k , qui assure q u e les forts p u r gatifs de calomel et de jalap sont avantageux dans le principe de la maladie. C h i s o l m , qui r e c o m m a n d a i t les m e r e u r i e l s , les laxatifs, les antiphlogistiques. C u r r i e , qui considérait c o m m e surtout utiles les purgatifs m e r c u r i e l s , l'air frais et les boissons rafraîchissantes. G r a n t , qui combinait un gros de jalap avec vingt-quatre grains de calomel p o u r vingt pilules, dont on donnait q u a t r e chaque d e m i - h e u r e , jusqu'à ce qu'il eût o b t e n u un effet suffisant . Charles-Caldwell qui, dans l'épidémie de Philadelphie en 1 8 0 5 , employait de préférence les purgatifs. 3

1

P. З 0 8 . —

2

P . З19. —

3

p . 41.


(489) Les essais q u e je fis à Saint-Domingue en 1802 et 1803, sur le calomel uni au jalap, ne furent rien moins que satisfaisans : ils me p a r u ­ rent augmenter les angoisses et affaiblir le pouls ; circonstance absolument opposée à l'opinion de Rush. Mes confrères ne furent pas plus h e u r e u x que moi ; e t , sur la fin de l'épidémie, ce moyen était entièrement abandonné. N o u s le remplaçâmes p a r un p r o c é d é qui vient d'être exposé dans l'article p r é c é d e n t , et qui paraît mieux e n t e n d u , puisqu'il est fondé sur les mouvemens salutaires de la n a t u r e ; p r o ­ cédé qui avait déjà été suivi par m o n prédéces­ seur M. Gilbert. T o u t en s'élevant contre la m é t h o d e anodine et r e l â c h a n t e , M. Savaresy est forcé de c o n ­ venir qu'au premier et au deuxième j o u r , l'ad­ ministration des lavemens anodins, mucilagineux et laxatifs, est nécessaire, surtout si la météorisation et la tension de l'hypogastre sont fortement prononcées. Ils sont d'autant plus utiles que, l'estomac ne supportant rien, on peut administrer, p a r cette v o i e , le c a m p h r e et te quinquina à fortes doses ; je les donnais aussi quelquefois avec une assez grande quantité de 1

1

P. 302.


( 490 ) v i n a i g r e , surtout si la décomposition faisait des p r o g r è s rapides. Les praticiens les plus exercés o n t fait un g r a n d usage des lavemens ; ces f o ­ mentations i n t e r n e s , a p p r o p r i é e s à l'état domi­ n a n t , sont bien indiquées à cause des angoisses, des coliques et des souffrances abdominales. N o u s r é p é t e r o n s qu'il fallait se m e t t r e e n g a r d e c o n t r e les évacuations t r o p abondantes ; et s i , dans un cas de prostration existante ou à c r a i n d r e , on jugeait à p r o p o s de p u r g e r , il convenait d'associer les purgatifs au q u i n q u i n a , et d'arrêter les évacuations de b o n n e h e u r e p a r quelques gouttes de l a u d a n u m dans u n e tasse d'eau aromatisée ; la thériaque était aussi u n moyen efficace c o n t r e la superpurgation. Au r e s t e , s'il faut en croire H i l l a r y , les purgatifs, q u o i q u e violens, n'enlèvent jamais les malades, et il faut bien plutôt attribuer ce fâcheux r é ­ sultat à l'inflammation des intestins et à la fièvre. C e praticien, m a l g r é ses idées théoriques sur la nature d e cette fièvre, ne donnait que des laxatifs d o u x , et ne s'est jamais avisé d'avoir r e ­ c o u r s aux drastiques, p a r c e qu'il redoutait trop l'inflammation et la g a n g r è n e . F r o s t se louait des purgatifs qu'il faisait suivre p a r l'usage du quinquina d o n n é p e n d a n t un o u d e u x j o u r s , dans d u vin de M a d è r e , p o u r com-


( 491 ) pléter la cure. Gillespie prétendait que les d o u x purgatifs commandaient les plus grandes p r é ­ cautions après que la maladie avait passé le troi­ sième ou quatrième jour . J a c k s o n , qui avait adopté une méthode curative toute p a r t i c u l i è r e , considérait le temps consacré aux purgatifs c o m m e perdu . T o u t e opinion exagérée est d a n g e r e u s e , et c e l l e - c i a ses inconvéniens. J a c k s o n était fondé lorsqu'il s'occupait à chan­ g e r le génie et les tendances vicieuses de celte maladie ; mais était-ce un motif p o u r exclure les laxatifs q u i , dans le b e s o i n , peuvent servir aussi comme ayant une action p e r t u r b a t r i c e selon les vues de cet a u t e u r , et q u i , dans c e r ­ taines circonstances, ne sauraient être suppléés p a r aucun autre m o y e n ? Rien ne s'opposait, d'ailleurs, à ce q u ' o n employât des remèdes différens, aussitôt que l'effet des purgatifs était achevé ; et nous avons m ê m e , dans un grand n o m b r e de c a s , combiné ces médicamens avec le quinquina, le c a m p h r e , la serpentaire de V i r g i n i e , la thériaque et l'opium. Ajoutons q u e les laxatifs sont d'autant mieux indiqués, q u e le mouvement anti-péristaltique est t r o p p r o ­ n o n c é , et qu'ils peuvent le c o m b a t t r e avec avantage. 1

2

1

P.

73. —

2

P. 2 6 8 .


( 492 ) En E u r o p e , les médecins espagnols se sont p r e s q u e tous accordés sur l'emploi des laxatifs. L ' e x p é r i e n c e leur en fît connaître la nécessité, et il paraît que le plus g r a n d n o m b r e d'entre e u x on t écouté sa voix. Ils faisaient usage de préférence des moyens d o u x et reléchans ; q u e l q u e s - u n s , n é a n m o i n s , o n t , à l'imitation des Anglo-améri­ c a i n s , préféré les sels mercuriels et le jalap. C'est au tartrite acidule de potasse, aux t a m a ­ rins et à la manne qu'avait r e c o u r s M. Gonzalez p o u r aider la nature dans ces dispositions a u x excrétions alvines ; mais il ne perdait pas de vue cette tendance à la diapborèse qu'il r e ­ c o m m a n d a i t si particulièrement de fortifier. MM. D e l o n , D . J. J u a n , D . Diego S e r r a n o donnaient les sels n e u t r e s , et surtout la c r ê m e de tartre. Ce dernier avait u n e g r a n d e confiance dans les tamarins. Il i m p o r t e de faire u n e r e m a r q u e , à laquelle les historiens de la fièvre jaune n'ont pas a c ­ c o r d é toute l'importance qu'elle mérite. Dans cette m a l a d i e , de m ê m e q u e dans toutes les a u t r e s , on doit considérer le génie épidémique qui fait ressortir plus ou moins l a p r é d o m i ­ nance de l'affection gastrique ou de l'élément nerveux, Celui qui méconnaîtra cette loi de la n a t u r e , s'exposera à des e r r e u r s graves : cette


( 493 ) maladie a ses variétés, ses anomalies ; et il serait injuste ou imprudent de c o n d a m n e r une m é ­ thode curative employée dans une épidémie différente, sous le prétexte qu'elle n'est point applicable à celle que nous observons. ART. III. De la saignée. D e fausses e x p r e s ­ sions sur l'état du sang des E u r o p é e n s dans les pays chauds ; une mauvaise manière d'observer ; de vieilles routines ; de faibles ressources dans l'imagination, peuvent faire tenir à une m é ­ t h o d e exclusive qui souvent n'est pas la b o n n e . Ce langage est particulièrement applicable à la saignée dont l'emploi soumis en général à l'a­ veugle e m p i r i s m e , a été la source de maux infinis dans le traitement de la fièvre jaune. A S a i n t - D o m i n g u e , des médecins ouvraient la veine dès le d é b u t de toute m a l a d i e , parce que c'était une habitude consacrée ; et souvent tel praticien prescrivait de tirer du s a n g , p a r c e qu'il ne savait q u ' o r d o n n e r . A t t e n d e z , lui dir a i - j e , ne vous pressez p a s , la n a t u r e est un g r a n d maître qui vous instruira, il vaut mieux ne rien faire que de nuire. L'emploi de la saignée doit être s u b o r d o n n é au génie de l'épidémie r é g n a n t e , et r a r e m e n t les maladies épidémiques sont inflammatoires ; il doit être s u b o r d o n n é au climat, aux localités,


( 494 ) aux saisons, à la t e m p é r a t u r e , et à la constitu­ tion individuelle ; il doit être s u b o r d o n n é à la nature réelle et non a p p a r e n t e de la fièvre. Les maladies qui attaquent une g r a n d e masse de population à la fois sont c o m m u n é m e n t dues à des causes débilitantes, et il est peu d'observations bien faites qui p r o u v e n t que l'é­ vacuation artificielle du sang ait été g é n é r a l e ­ ment utile dans ces circonstances. L o r s q u e l'armée française d é b a r q u a à SaintD o m i n g u e , elle ne trouva, c o m m e on sait, aucun asile, et il fallut de suite se livrer à une c a m p a g n e e x t r ê m e m e n t p é n i b l e , dans un pays montueux et inconnu. La g u e r r e ne saurait être considérée c o m m e une cause affaiblissante : il est r a r e , en effet, q u ' u n e a r m é e victorieuse soit frappée d'épidémie ; le c o u r a g e du soldat est élevé p a r l'amour de la gloire et la joie des succès : mais lorsqu'il est transplanté à deux mille lieues de son p a y s , dans un climat d é v o r a n t , qui excite une transpiration continuelle et e x ­ cessive; où une n o u r r i t u r e nouvelle détruit en quelque sorte les facultés digestives p a r un usage i m m o d é r é des fruits t r o p a b o n d a n s ; où les bivouacs sont mortels par l e s fraîcheurs des nuits, opposées aux chaleurs brûlantes du jour ; o ù des exhalaisons délétères frappent de stupeur


( 495 ) le genre nerveux ; où le moral est profondément affecté par les ennuis, les craintes, les souf­ frances, la mélancolie, e t c . , s'étonnera-t-on qu'il ne puisse résister à cette combinaison de causes malfaisantes, et que l'armée ait été r a ­ vagée par la fièvre jaune ? e t , lorsque l'on con­ sidère l'influence de ces agens p e r n i c i e u x , pourra-t-on croire qu'elle ait été inflammatoire? Si nous examinons s e u l e m e n t , sous le r a p ­ p o r t p h y s i q u e , l'influence de ce climat sur les é t r a n g e r s , on verra que la chaleur raréfie tous les fluides, et diminue la force de cohésion des solides, en augmentant leur laxité. L a saignée empêchera-t-elle cette raréfaction ? d o n n e r a - t - e l l e de la vigueur à la fibre ? L ' E u r o p é e n soutient mieux cette t e m p é r a ­ t u r e , q u ' o n n o m m e hivernage, que celle des autres m o i s , mais il en est encore vivement affecté : cependant s'il était une division d e l'année où l'on pût p e r m e t t r e de saigner, ce serait celle où r è g n e le plus de fraîcheur, p o u r v u q u e ce fût avec la plus grande parcimonie, dans les cas les plus pressans, et dès le d é b u t de la maladie. N'oublions pas que le tempérament de l ' i n ­ dividu transplanté à Saint-Domingue était telle­ ment modifié p a r les causes énoncées ci-dessus,


( 496 ) que la plus légère e r r e u r précipitait les h o m m e s les plus robustes dans des maladies graves q u i , la p l u p a r t , dépendaient de l'affection du s y s ­ tème digestif. Si la maladie de 1802, aux Antilles françaises, dût son origine à tant de causes d é b i l i t a n t e s , c o m m e on n'en saurait d o u t e r , il ne serait pas facile de p r o u v e r qu'elle fût sténique. Il fallait d o n c se défier de cette exaltation a p p a r e n t e des symptômes du début. Les p r e m i e r s essais q u e je fis m'ayant mal réussi, je me hâtai de suivre une autre direction ; mais les praticiens routiniers du pays m o n t r è r e n t la plus g r a n d e obstination à cet égard ; et j'observai assez constamment q u e ceux qu'ils faisaient s a i g n e r , mouraient d e u x jours plus tôt que les a u t r e s , c'est-à-dire vers le cinquième au lieu du septième. Des r e ­ p r o c h e s semblables avaient déjà été adressés p a r Clark aux chirurgiens français qui p r a t i ­ quaient à la D o m i n i q u e . Il n'y eut pas une seule circonstance d'un émigré q u i se rétablît après l'émission artificielle du sang. C e p e n d a n t cet auteur distingua des cas où elle p û t convenir ; mais ce fut p a r m i les nouveaux arrivés d ' E u ­ r o p e , qui étaient forts, r o b u s t e s , jeunes et s a n ­ guins . Hillary avait aussi établi quelques règles 1

2

P.

24.


( 497 ) p o u r la saignée, et il recommandait de consulter l'âge, la f o r c e , le d e g r é de p l é t h o r e , la plus g r a n d e ou la m o i n d r e élasticité des solides, la plénitude du p o u l s , la violence de la fièvre et de ses symptômes . Elle paraissait un moyen si puissant à David G r a n t , qu'il a p r o p o s é n a ­ g u è r e d'ouvrir la veine jugulaire et l'artère temporale . Et Moseley tranche la question d'une manière plus violente, en conseillant de r é p é t e r la saignée toutes les six ou huit h e u r e s , et m ê m e de la faire usque ad animi deliquium, si les violens symptômes n'étaient pas calmés après trente-six ou quarante-huit heures . M. Savaresy, qui pratiquait aux Antilles dans le m ê m e temps que moi et dans les mêmes cir­ constances, s'était aperçu qu'on avait fait de très-grandes pertes dans l'hôpital du F o r t de F r a n c e à la M a r t i n i q u e , p a r c e q u e la saignée formait le principal r e m è d e dans le traitement de celte maladie . Il nous annonce qu'en 1 7 9 1 , lorsque le générai Beagues aborda à la M a r t i ­ nique avec un corps de troupes c o n s i d é r a b l e , il mourut, à l'hôpital du F o r t - R o y a l , sept cents vingt-deux hommes de la fièvre j a u n e , dans l'espace de vingt j o u r s , à la fin de mars et au 1

2

3

4

1

P . 157. —

2

P. 39. —

3

P. 445. —

4

p . 44.

32


( 498 ) c o m m e n c e m e n t d'avril. L e t r a i t e m e n t consistait d a n s les s a i g n é e s , les é m é t i q u e s et les purgatifs . Il p a r a î t aussi q u e les m é d e c i n s d u r e n t les plus g r a n d s r e v e r s à l'émission du s a n g , l o r s de l'in­ vasion des Antilles, en 1796, p a r les A n g l a i s , sous les o r d r e s d u g é n é r a l A b e r c o m b r i e . O n la c o n s i d è r e a u j o u r d ' h u i , à la V e r a - C r u z , c o m m e d a n g e r e u s e ; elle fut e m p l o y é e f r é q u e m m e n t , en 1762, p a r les d o c t e u r s mexicains q u i n ' e u r e n t q u ' à se r e p e n t i r de ses effets . 1

2

J o h n H u n t e r à la J a m a ï q u e , Gillespie à la M a r t i n i q u e et s u r les e s c a d r e s , M . P u g n e t à S a i n t e - L u c i e , M. Cassan dans la m ê m e île, m o n c o l l è g u e G i l b e r t à S a i n t - D o m i n g u e , M. V a l e n l i n d a n s la m ê m e colonie et dans la p a r t i e m é r i d i o ­ n a l e des É t a t s - U n i s , en o n t r e c o n n u les d a n g e r s , e t p r o s c r i t l ' u s a g e , ainsi q u e l'avait déjà fait W a r r e n à la B a r b a d e . Chisolm l'a c o n d a m n é e ; R o b e r t s o n a p e r ç u t ses mauvais effets à la B a r ­ b a d e en 1793 et 1794 ; et l'on fit la m ê m e r e ­ m a r q u e d a n s l ' é p i d é m i e d e 1795 à N e w - Y o r k . M a k i t t r i c k m o n t r a i t u n e sagesse i n f i n i e , q u o i ­ q u e p e r s u a d é q u e la p r e m i è r e p é r i o d e était i n 3

P . 133. —

B a y l e y , p . 113. Account

prevailed

2

M . de H u m b o l d t , p. 7 8 1 , i n - 4 . ° .

1

3

of the e p i d e m i c fever

in the city of New-York

s u m m e r and fall

of 1795.

during

part

which of

the


( 499 ) flammatoire, lorsqu'il recommandait de tirer du sang avec la plus grande réserve, et d'ex­ plorer le pouls pendant sa sortie, afin de fermer subitement la veine, s'il s'affaiblissait M. Blane se défiait de la saignée, et ne la permettait que dans les douze premières heures, si le pouls était dur et vibrant. Moultrie ne la croit in­ diquée que lorsque la fièvre est très-violente. Charles Caldwell a émis une opinion à peu près analogue, Mais, d'une autre part, si l'on réfléchit que le typhus d'Amérique s'annonce par des symp­ tômes d'une vigueur prodigieuse, caractérisant un état angio-ténique bien prononcé, on verra que les forces sont exposées à tomber tout-àcoup dans la débilité indirecte (qu'on me passe celte expression), tandis que si l'on avait mis des bornes à cet excès de ton, en rétablissant l'équilibre par de faibles saignées, on aurait prévenu un collapsus aussi funeste. Il faut bien qu'une idée semblable et des circonstances particulières aient dirigé les praticiens qui ont employé ce moyen curatif ; parmi ceux-ci nous citerons, outre les précédens, Tbwne qui exer­ çait à la Barbade ; Pouppée-Desportes, à Saint1

P . 135.

32 *


( 500 ) D o m i n g u e ; Rush et D e v è z e , à P h i l a d e l p h i e ; L e b l o n d , F r o s t et Bajon, à la G u i a n e ; P a l l o n i , à L i v o u r n e ; W o l f i n g M e r g i n g e r , à la B a r b a d e et à la M a r t i n i q u e ; et Griffith q u i , atteint l u i - m ê m e d e cette m a l a d i e , fut saigné sept fois en c i n q j o u r s . A q u e l q u e s légères e x c e p t i o n s p r è s , t o u s ces m é d e c i n s n ' e m p l o y a i e n t ce p r o c é d é q u e d a n s la p r e m i è r e p é r i o d e , et s u r t o u t dans les p r e m i e r s instans de l'invasion. R u s h fut un d e s partisans les plus décidés ; sa d o c t r i n e fit d ' a b o r d b e a u c o u p de p r o s é l y t e s ; c o m b a t t u e déjà e n 1 7 9 3 , d e nouvelles épidémies o n t p r o u v é qu'elle n'était pas la b o n n e . R e n c h é r i s s a n t sur ces d e r n i e r s , et m a l g r é l ' a u t o r i t é d'un g r a n d n o m b r e d ' o p p o s a n s , B a n c r o f t , q u i s'était fait u n e idée systématique sur l e p r e m i e r t e m p s de cette fièvre et sur le d é s o r d r e l o c a l , pensait q u e la s a i g n é e , p o u r ê t r e a v a n ­ t a g e u s e , devait ê t r e a b o n d a n t e et faite p a r u n e l a r g e o u v e r t u r e aussitôt q u e l'action i n f l a m m a ­ t o i r e était r e c o n n u e ; étant suffisamment p r o u v é q u ' u n pareil état est plus p r o m p t e m e n t et plus c o m p l é t e m e n t d o m p t é , p a r la soustraction d ' u n e g r a n d e q u a n t i t é de s a n g à la fois, q u e p a r u n e p l u s a b o n d a n t e évacuation en plusieurs t e m p s . 1

1

P. 5 5 .


( 501 ) Il est à craindre q u e , dans toute l'exposition de sa d o c t r i n e , l'auteur, avec un g r a n d talent, ait laissé parler plus son imagination que son expé­ rience. T o u t son ouvrage porte ce c a c h e t , et cette opinion est partagée par plusieurs m é d e ­ cins anglais avec qui j'ai eu des conférences à Londres. Nous redirons ici que les maladies générales n'exigent pas toujours les mêmes vues t h é r a ­ peutiques ; ajoutant, p o u r la justification du docteur Rush et de ses fauteurs, que sur le continent américain s e p t e n t r i o n a l , chez un peuple h e u r e u x comme celui de P h i l a d e l p h i e , les affections morbifiques ont peut-être un carac­ tère plus vigoureux qu'aux Antilles lorsqu'elles sévissent sur des malheureux nouvellement transplantés. 1

Jackson a aussi conseillé d'ouvrir la veine ; mais j'ai déjà fait observer qu'il distinguait trois espèces de typhus : or c'est particulièrement dans la première qu'il r e c o m m a n d e cette pra­ t i q u e , disant que la saignée hâte les p r o g r è s du mal dans la seconde. Cette division, q u o i ­ qu'elle ne soit pas f o n d é e , p r o u v e au moins qu'il avait apprécié les nuances auxquelles un 1

P.

268.


(

502

)

p r a t i c i e n doit s'attacher p o u r avoir la vraie mesure du traitement. M . P i n k a r d c o m b a t t i t , d a n s plusieurs c o n ­ férences q u e j ' e u s avec l u i , mes p r é j u g é s c o n t r e l'effusion artificielle d u s a n g ; e t , l o r s q u e j e lui objectai q u e n o u s avions e u f o r t e m e n t à n o u s en p l a i n d r e , il m e r é p o n d i t q u e nos m a u v a i s succès d é p e n d a i e n t d e n o t r e p a r c i m o n i e ; q u ' i l fallait, dès le d é b u t du m a l , s a i g n e r a m p l e m e n t et souvent. C e m é d e c i n d é f e n d ses o p i n i o n s avec b e a u c o u p d e talens. L o r s q u ' e n 1800, le vomissement n o i r vint m o i s s o n n e r les E s p a g n o l s en E u r o p e , la m a ­ j o r i t é des m é d e c i n s a b a n d o n n è r e n t la saignée. Aréjula se p r o n o n ç a v i v e m e n t c o n t r e elle M. C a p m a s en fit u s a g e , au c o m m e n c e m e n t d e l'épidémie de 1800, sur neuf malades, qui tous guérirent. Chose étrange ! Il l'abandonna e n t i è r e m e n t d a n s la suite ; e t , quoiqu'il ne m'ait p a s avoué ses m o t i f s , il est p r é s u m a b l e qu'il y fut d é t e r m i n é p a r d e mauvais résultats. M . G o n ­ zalez n'a p a s vu u n seul cas o ù elle lui p a r û t n é c e s s a i r e , et il n'avait p a s eu c o n n a i s s a n c e q u ' o n l'eût p r a t i q u é e avec succès . A l c a r a s , 2

1

P. 2

180.

Manusc. — Sanguinis

missionem

nullatenus

celebran-


( 503 ) Sebastia et P i n a , médecins d'Alicante, l'ont toujours considérée c o m m e funeste. J e n'ai trouvé en Espagne qu'un m é d e c i n , n o m m é Cabanellas, qui suivit une pratique contraire. Il avouait qu'il faisait tirer du sang usque ad animi deliquium. Ce docteur, que j'ai vu à C a r t h a g è n e , y pratiquait en 1804 et 1805 ; la r e n o m m é e publiait qu'd avait été malheureux dans sa p r a ­ tique ; elle publiait aussi qu'il s'était déclaré le délateur et le persécuteur de ses confrères qu'il faisait exiler q u a n d ils différaient d ' o p i ­ nion avec lui. Tel fut le sort réservé à Martorell qui crut voir, en 1805, u n e malade atteinte de la fièvre jaune s p o r a d i q u e , qui heureusement ne se communiqua pas. A R T . IV. Des bains tièdes. O n fait un usage fréquent des bains tièdes aux Antilles, m ê m e dans les affections fébriles. Mes essais sur leur utilité dans la fièvre jaune ont été n o m b r e u x ; des espérances d'abord conçues étaient bientôt après détruites, p a r c e que la nature se joue de toutes les spéculations, et parce que aussi il n'y dam existimamus maximi eam

nocumenti

statim

; periculo enim à nobis in principio pluribus

interemptos

fuisse

; immo aliquos

deprehendimus.

facto post

Ant.° V e r d e ,

médecin à San-Lucar de Barrameda.. Autre manuscrit envoyé à la commission.


( 504 ) a pas de p a n a c é e p o u r les maladies pestilentielles, o ù le d é s o r d r e des o r g a n e s est toujours poussé à l'extrême. L ' i r r i t a t i o n vive q u i p r é d o m i n e , les a n ­ g o i s s e s , les d o u l e u r s , le l u m b a g o , paraissaient i n d i q u e r ce m o y e n q u i , en effet, est un des meilleurs c a ï m a n s , et q u i p e u t ê t r e c o n s i d é r é c o m m e u n des puissans auxiliaires dans le t r a i ­ tement. M. le c h i r u r g i e n G a r n i e r m'a c o m m u n i q u é , p e n d a n t m o n séjour a u x E t a t s - U n i s , des vues très-saines sur l'efficacité des b a i n s , d o n t il se servait f r é q u e m m e n t à la M a r t i n i q u e . Il laissait p e n d a n t d o u z e h e u r e s le malade dans l'eau q u ' o n avait soin d ' e n t r e t e n i r tiède ; s'il s'affaiblissait, on le retirait p o u r l'y r e p l o n g e r d e n o u v e a u , lorsqu'il avait r e c o u v r é des forces suffisantes ; et, d a n s d'autres c a s , on le soutenait p a r d e légers restaurans. C e p r o c é d é m e p a r a î t bien e n t e n d u : l'action d u b a i n , en se p r o l o n g e a n t , p o u v a i t p r é v e n i r les effets d e l'inflammation des o r g a n e s , et n o ­ t a m m e n t c e u x de l'affection n e r v e u s e , en r é t a ­ blissant l ' é q u i l i b r e des f o n c t i o n s , s u r t o u t si o n les fait p r e n d r e dès l'invasion d e la p r e m i è r e p é r i o d e . A u s u r p l u s , l e u r p r e s c r i p t i o n doit ê t r e s u b o r d o n n é e a u x règles g é n é r a l e m e n t c o n n u e s ,


( 505 ) et l'on ne p e r d r a pas de vue que, p a r leur usage, on pourrait craindre les congestions sur la p o i ­ t r i n e , si la nature avait des tendances vers les organes de cette capacité. Makittrick et Gillespie les on t r e c o m m a n d é s . Dalrymple les a employés avec avantage à l a Jamaïque. M. de H u m b o l d t dit q u ' a u M e x i q u e , dans la première période du v o m i t o , o n p r é ­ fère les b a i n s , l'eau à la g l a c e , l'usage des sor­ bets et les minoralifs . O n s'en sert p e u aux Etas-Unis ; et, dans mon voyage d ' E s p a g n e , je n ' a i rien appris de satisfaisant sur c e g e n r e de traitement. Quelques personnes les p r e s c r i vaient, au c o m m e n c e m e n t , comme un m o y e n auxiliaire sur lequel o n n'a pas fondé de grandes espérances. 1

2

Les difficultés qu'on éprouvait à faire passer les remèdes i n t e r n e s , auraient d û inspirer l'i­ dée d'essayer les bains médicamenteux et la m é t h o d e iatraleptique : cependant nous n'avons que de faibles données sur ce point de doctrine. L e docteur François a consigné, dans le journal de S a i n t - D o m i n g u e , d e u x observations p r é ­ cieuses qui méritaient d'être connues à cause 1

2

Makittrick, p. 142. Gillespie, p. 73 et 77. P . 781, in-8.°.


( 506 ) d e l'efficacité des bains d e q u i n q u i n a , et je les ai r a p p o r t é e s dans le c o m m e n c e m e n t de cet o u ­ v r a g e . J e p r o p o s e r a i s d e r é p é t e r de s e m b l a b l e s e x p é r i e n c e s q u i n e sauraient ê t r e suivies q u e d e p r é c i e u x résultats. O n ferait b a i g n e r dans u n e d é c o c t i o n de q u i n q u i n a , de s e r p e n t a i r e d e V i r ­ g i n i e , dans des dissolutions a l c o h o l i q u e s d e c a m p h r e . Il serait a v a n t a g e u x , si la débilité était c o n s i d é r a b l e , de p l o n g e r les m a l a d e s dans d e l'alcohol plus ou m o i n s é t e n d u d ' e a u : o n se t r o u v e r a i t à m e r v e i l l e des b a i n s d e v i n a i g r e ou d e suc d e c i t r o n , l o r s q u ' i l y a u n e t e n d a n c e r a p i d e vers la d é c o m p o s i t i o n ; on p o u r r a i t r o u l e n les m a l a d e s dans des d r a p s i m b i b é s d'alc o h o l ou d'acides v é g é t a u x , selon le p r o c é d é d e H u m e et d e R u s h ; p r o c é d é q u i r e m o n t e fort l o i n , p u i s q u ' o n r a c o n t e , si m a m é m o i r e n'est p a s infidèle, q u e C h a r l e s - l e - M a u v a i s se faisait c o u d r e d a n s un d r a p c h a r g é d'esprit d e v i n , et q u e son d o m e s t i q u e , p o u r c o u p e r le f i l , se servit d e la flamme d ' u n e b o u g i e qui m i t s u b i t e m e n t le feu à l ' a l c o h o l , et fit p é r i r c e prince. A R T . v. Bains de vapeur. E n 180З, le d o c ­ t e u r J o s e p h B r o w n e fit a u x E t a t s - U n i s q u e l q u e s essais sur les bains d e v a p e u r . Les c o m m u ­ nications q u i f u r e n t , à cette é p o q u e , faites


( 507 ) nu comité de s a n t é , indiqueraient que sa méthode fut couronnée de quelques succès, et méritent d'être r e c o m m a n d é e s aux méditations des praticiens. ART. VI. Des bains froids et de la glace. J e me souvenais que, pendant la peste de Moscow, on avait employé avec succès la glace en frictions, et q u e , dans des fièvres adynamiques avec un caractère de putridité effrayante, les aspersions d'eau froide avaient t r i o m p h é de la gravité des causes. Ces réminiscences me d é t e r m i n è r e n t à tenter des moyens analogues dans l'épidémie de Saint-Domingue. J e fis d ' a b o r d p r e n d r e quelques bains froids à des militaires de l'hôpital de la Providence ; de faibles succès m'encouragèrent faiblement : il faut convenir q u ' u n e maison d é p o u r v u e de tout, n'est pas un lieu favorable à de pareilles expériences ; à la sortie du bain, le malade devrait être placé chaudement dans un bon lit. Mais cet hospice était le cloaque de toutes les infections et la sentine de toutes les misères. Malgré ces i n c o n v é n i e n s , je guéris quelques m a l a d e s , et MM. François et R o u x en sauvèrent quatre par le m ê m e procédé. Poussant plus loin mes r e c h e r c h e s , je fis p l o n g e r dans l'eau froide, à la sortie du bain


( 508 ) c h a u d ; sur q u a t r e p e r s o n n e s soumises à ce t r a i t e m e n t , u n e seule guérit ; et les difficultés d ' o b t e n i r ce q u i c o n v e n a i t , p o r t è r e n t un tel d é c o u r a g e m e n t dans m o n a m e , q u e je r e n o n ç a i définitivement à u n e m é t h o d e q u i p o u v a i t être u t i l e , mais q u i n'était pas s a n c t i o n n é e p a r u n e l o n g u e o b s e r v a t i o n et des faits positifs. L e d o c ­ t e u r O l e y n , m é d e c i n d e l ' a r m é e , croyait avoir t r o u v é un spécifique et un préservatif dans les bains froids. T r o i s fois p a r j o u r il se p l o n g e a i t dans l ' e a u , et il m o u r u t de la fièvre j a u n e , au milieu d e ses e x p é r i e n c e s . L e d o c t e u r D a v i d s o n , de S a i n t - V i n c e n t , p a r a î t ê t r e le praticien des I n d e s occidentales q u i ait é p r o u v é l'efficacité des bains f r o i d s , d a n s les p é r i o d e s c o m m e n ç a n t e s d u t y p h u s d ' A m é r i q u e . Selon l u i , le p r o c é d é le p l u s c o n ­ v e n a b l e consistait à p r o d u i r e une succession d e secousses a u g m e n t é e s p a r l'interposition d e l'eau c h a u d e : ainsi le m a l a d e , p l a c é d a n s u n e b a i g n o i r e , était lavé avec u n e eau c o n v e n a ­ b l e m e n t échauffée ; et, p e n d a n t q u e la sensation d e c h a l e u r p e r s é v é r a i t e n c o r e , u n ou d e u x b a ­ q u e t s d'eau très-froide étaient versés s u r la t ê t e et les épaules d ' u n e h a u t e u r c o n v e n a b l e , p o u r a u g m e n t e r le stimulus au plus h a u t d e g r é p o s ­ sible. O n r e c o m m e n ç a i t quelquefois la m ê m e


( 509 ) opération pour p r o d u i r e de nouvelles secousses; e t , pendant l'alternative de relâchement et de stimulus, les moyens éyacuans étaient employés avec avantage. L'emploi du bain froid, avec l'intention d'augmenter la force et le ton d u système et de faciliter l'action du m e r c u r e , fut ori­ ginairement inspiré par l'inefficacité totale du q u i n q u i n a , du vin et des autres toniques, pendant que la disposition gangréneuse s'app r o c h a n t avec r a p i d i t é , donnait p e u d ' e s p é pérance d'une terminaison heureuse sans sa­ livation A m s t r o n g , de Saint-Kitt, donnait le m e r c u r e jusqu'à l'excitation du ptyalisme ; et si l'on soupçonnait que cet effet ne pût être p r o d u i t , il fallait avoir recours immédiatement à l'eau froide plusieurs fois le jour ; après l ' o p é r a t i o n , on lui donnait un verre de vin épicé . Jackson est un des praticiens qui r e c o m ­ m a n d e n t le plus l'eau froide ; il faisait un t r è s g r a n d cas de la méthode p e r t u r b a t r i c e , et il l'employait dans les trois variétés de fièvres jaunes qu'il admettait. Ce serait t r o p l o n g de r a p p o r t e r son p r o c é d é q u i , d'ailleurs, res2

1

Chisolm, T . I , p. 386 et ss. —

2

Ibid.


( 510 ) s e m b l e , à b e a u c o u p d ' é g a r d s , à celui que je viens de tracer . L e docteur L é a r n considère c o m m e avanta­ geuse la pratique de verser de l'eau froide avant q u e la fièvre ait établi son m o d e p a r t i c u ­ lier d'action ; et Gillespie vante aussi les réfrigérans appliqués sur la tête . W r i g h t assure qu'au c o m m e n c e m e n t de la fièvre j a u n e , le bain froid sert a d m i r a b l e m e n t , mais q u e dans les périodes avancées il exige b e a u c o u p de réserve . Quelle différence d ' o ­ pinion avec G r a n t qui ne l'approuve q u e p o u r le stade du m i l i e u , le croyant d a n g e r e u x au commencement ! Nous devons au docteur C u r r i e , de Liverpool, d'excellentes règles sur l'administration de l'eau froide dans cette maladie. Rush y eut recours en 1793 : il la faisait appliquer sur la tête au moyen d e serviettes, ou bien il la donnait en lavemens. Elle a p p o r t a i t , dans ces d e u x cas, le m ê m e soulagement que l'opium dans la d o u l e u r q u i naît d'autres causes ; quelquefois il baignait la face, les m a i n s , et souvent les pieds ; c'était, ajoute-t-il, le r e m è d e le plus agréable et le plus 1

2

3

4

1

L. c.,

p. 2 6 9 , 278 et 283. —

2

médical de L o n d r e s , 1786, p . 1 1 . —

P . 73. — J o u r n a l 4

P. 56.


( 511 ) puissant ; il r e c o m m a n d e aussi les bains froids p o u r les cas o ù l e u r s effets sédatifs p e u v e n t l ' e m p o r t e r sur leurs effets stimulans. C'est en faisant rester le c o r p s p e n d a n t q u e l q u e temps dans un lit i m b i b é d'eau f r o i d e , q u e les h a b i tans d e l'île d e Massuah guérissent les fièvres bilieuses les plus violentes . M . B a n c r o f t , partisan d e l'eau froide et d e la g l a c e , veut q u ' o n s'en serve l o r s q u e la c h a l e u r d u c o r p s est au-dessus de celle de la santé . L e s M e x i c a i n s , ayant à la V e r a - C r u z les plus g r a n d e s facilités p o u r se p r o c u r e r d e la g l a c e , en font une forte c o n s o m m a t i o n dans le vomito prieto. Q u o i q u e l ' e x p é r i e n c e n'ait e n c o r e r i e n p r o n o n c é sur ce m o y e n , c e p e n d a n t c'est u n m é d i c a m e n t d e plus q u ' o n p e u t avoir sans beau­ c o u p de frais dans u n e g r a n d e p a r t i e de l ' E s ­ p a g n e m é r i d i o n a l e , et d o n t je ne sache pas q u ' o n ait fait usage avec m é t h o d e et p e r s é ­ vérance. 1

2

J e croirais q u e la glace p o u r r a i t ê t r e a p p l i ­ q u é e avec succès sur la t ê t e , si on l ' e m p l o y a i t , c o m m e nous le faisons quelquefois à P a r i s , dans les cas d e fièvre c é r é b r a l e . Les Antilles q u i , p a r l e u r t e m p é r a t u r e et aussi p a r le p e u 1

V o y a g e de Bruce. —

2

P . 60.


( 512 ) d'élévation des s o m m e t s , en sont privées, p a r ticiperaient aujourd'hui à ce bienfait, au moyen de la belle découverte de Leslie. O n s'est servi, en Espagne, des liquides froids, et les avantages en ont été balancés. M. Gonzalez faisait, sur la tête et l'épigastre, des fomentations avec le verjus et le vinaigre, et o r d o n n a i t des lavemens de vinaigre affaibli ou d'eau de mer. Ce p r o c é d é était une imitation de celui du doc­ teur N o b l e , de Saint-Christophe, qui se servait de la solution de muriate ammoniacal, ou de nitrate de potasse appliquée sur l'épigastre, et qui faisait g r a n d cas des lavemens d'eau froide o u d'eau salée; il faisait aussi des lotions sur les pieds avec l'eau froide ; ce qui produisait l'a­ g r é a b l e effet de soulager la t ê t e , de diminuer les spasmes de la région p r é c o r d i a l e et la chaleur générale. M. Cabanellas proposait des bains froids, p e n d a n t l'épidémie de C a r t h a g è n e ; mais il y ajoutait du sulfate d'alumine. Au p o r t S a i n t e - M a r i e , on a fait quelques essais sur la glace administrée tant en frictions qu'en boissons ; chez quelques individus, les effets ont r é p o n d u aux espérances. Le d o c t e u r E x é a , de C a r t h a g è n e , h o m m e d'une constitution t r è s sèche et d'un t e m p é r a m e n t i r r i t a b l e , m'a assuré qu'atteint de la lièvre j a u n e , il ne fit


( 513 ) u s a g e , p e n d a n t les trois p r e m i e r s j o u r s , q u e des bains froids et des lotions avec le vinaigre, A y a n t é p r o u v é le troisième j o u r un violent vo­ missement d e s a n g , il fut g u é r i à d a t e r de cette é p o q u e . Ce fait d é m o n t r e q u ' u n e h é m o r r a g i e s e m b l a b l e p e u t être c o n s i d é r é e c o m m e c r i t i q u e : mais il tendrait aussi à p r o u v e r q u e les c o r p s froids p o u v a n t d i r i g e r le s a n g vers les o r g a n e s internes, ne s a u r a i e n t être administrés e m p i r i ­ quement, SECTION

III.

Exposé des moyens propres à combattre quelques symptômes des plus dangereux.

E n faisant c o n n a î t r e les m é t h o d e s e m p l o y é e s , e t en les c o m p a r a n t e n t r e elles, j'ai dit qu'il y avait des m é d e c i n s o c c u p é s s e u l e m e n t à d é ­ t r u i r e tel ou tel accident. Mais o n ne devrait a d o p t e r ce g e n r e b o r n é de m é d e c i n e q u e d ' u n e m a n i è r e accessoire, sans p e r d r e d e vue le trai­ t e m e n t p r i n c i p a l qui doit être f o n d é s u r les causes et la n a t u r e a p p a r e n t e de l'affection. L o r s q u e M. P i m m , l'un des m é d e c i n s d e la g a r n i s o n de G i b r a l t a r , posait un vésicatoire sur le front de ses malades p o u r appaiser la c é p h a -

33


( 514 ) lalgie, il ne combattait qu'un symptôme s u ­ b o r d o n n é à la maladie p r i n c i p a l e , et qui devait résister, malgré toutes ces fausses attaques, tant q u e celle-ci conserverait son intensité. Les n é ­ gresses de S a i n t - D o m i n g u e réussissaient aussi b i e n , peut-être m i e u x , en appliquant sur la région frontale des feuilles de palma - christi trempées dans le vinaigre. C'est p r o b a b l e m e n t dans des vues moins étroites que Makittrick a conseillé le vinaigre tiède sur la t ê t e , les t e m p e s et les m a i n s , lors des fortes céphalalgies avec délire C e p e n d a n t le délire et les affections c o m a ­ teuses qui annoncent des complications graves, m é r i t e n t u n e attention p a r t i c u l i è r e , et je m e suis attaché quelquefois à les c o m b a t t r e par des rubéfians aux e x t r é m i t é s , et par des pédiluves sinapisés q u e je crois d'une t r è s - g r a n d e utilité p e n d a n t la p r e m i è r e p é r i o d e , p o u r e m p ê c h e r l'afflux d u sang vers la t ê t e , et p o u r déplacer l'excitation t r o p vive q u i tendait à se fixer sur cet o r g a n e . Les pédiluves, avec le v i n a i g r e , étaient fortement r e c o m m a n d é s p a r G r a n t , dans les fièvres de la J a m a ï q u e . U n des symptômes qu'il i m p o r t e le plus d e 2

1

L.c.,

p . 154. —

2

P. 4 1 .


( 515 ) d é t r u i r e , c'est le v o m i s s e m e n t qui c o n t r a r i e l'effet des m é d i c a m e n s , et q u i f o r m e , sous ce r a p p o r t , le plus r e d o u t a b l e des a c c i d e n s . N o u s avons essayé de le dissiper par des applications émollientes s u r la r é g i o n é p i g a s t r i q u e ; p a r des é p i t h è m e s avec le c a m p h r e , l'assa-fœtida, l ' o p i u m , la t h é r i a q u e ; p a r des frictions avec l'éther sulfurique o u a c é t i q u e ; et à l'intérieur p a r des boissons a p p r o p r i é e s , telles q u e les e a u x d e tilleul, de feuilles d ' o ­ r a n g e r , de m e n t h e , c o m b i n é e s à l ' é t h e r , à l ' o ­ p i u m : je n'oserais p r o n o n c e r sur l'efficacité positive des applications : mais le p r e m i e r m o u ­ v e m e n t est de les e m p l o y e r , p a r c e q u ' o n sent la nécessité de s ' o p p o s e r à l'action anti-péristaltique d e ce viscère, action q u i d é t r u i t toutes les e s p é ­ r a n c e s . D'ailleurs, l'état de p h l o g o s e q u ' o n r e n ­ c o n t r e dans p r e s q u e toutes les c i r c o n s t a n c e s p r o u v e qu'on doit insister sur les fomentations h u m i d e s et c h a u d e s , l o r s q u e les malades p e u v e n t les s u p p o r t e r . J'attaquais aussi ce s y m p t ô m e d e s t r u c t e u r , ainsi q u e je viens de le d i r e , p a r un vésicatoire a p p l i q u é sur la r é g i o n é p i g a s t r i q u e : j'ai vu d e p u i s , dans l ' o u v r a g e d e J a c k s o n , q u e c e p r a t i c i e n s'en était servi à la J a m a ï q u e l o r s q u e l'anxiété était g r a n d e , le vomissement i n q u i é -

33*


( 516 ) t a n t , et qu'il en avait é p r o u v é de bons effets D'autres praticiens l'ont r e c o m m a n d é dans des occasions semblables. M a k i t t r i c k , p o u r diminuer l'inflammation et appaiser le vomis­ s e m e n t , proclame les avantages des ventouses, scarifiées ou n o n , sur la r é g i o n du foie et d e l'estomac, sur laquelle on met aussi un emplâtre épispastique Rush appuie ce p r é c e p t e de sa p r o p r e e x p é r i e n c e , et il affirme q u e le vomis­ sement était quelquefois appaisé p a r un vésicatoire placé sur la région externe de l'estomac. Chisolm a imité cet exemple ; mais il p r é t e n d qu'il n'en a jamais éprouvé de b o n s effets q u e dans un seul cas, sur un soldat d'artillerie chez lequel l'irritabilité de l'estomac fut compléte­ m e n t dissipée par ce rubéfiant . T h i o n de la C h a u m e parle des avantages d'un cataplasme de mie de pain t r e m p é dans du vin. L a potion dite de Rivière a calmé quelque­ fois les soulèvemens ; plus souvent ses effets 2

3

1

P . 270. —

2

P . 142. M. le docteur M a r c e t , m é d e c i n

aussi éclairé que modeste et s a v a n t , emploie souvent avec succès, à L o n d r e s , les vésicatoires sur les scarifica­ tions des ventouses. Je les lui ai v u prescrire dans son hôpital de Guy, e t il m'a assuré que ce procédé sujet à aucun inconvénient. 3

T . I , p. 3 6 2 .


( 517 ) o n t été nuls ; il fallait la r é i t é r e r p o u r en o b ­ tenir tous les avantages désirés. Au r e s t e , ce m é l a n g e de c a r b o n a t e d e potasse et d'acide a des succès b i e n plus assurés dans les autres m a l a d i e s , où il faut e n c h a î n e r les m o u v e m e n s vicieux de l'estomac. Savaresy affirme q u e les mixtions volatiles p o u v a i e n t seules s o u l a g e r l'état convulsif d e cet o r g a n e . Il ajoutait q u i n z e g o u t t e s d ' a m m o ­ n i a q u e à u n e p o t i o n d'eau de fleur d ' o r a n g e r , d ' é t h e r s u l f u r i q u e , d e l a u d a n u m et d e s i r o p . Mais l ' a m m o n i a q u e l i q u i d e , q u e j'ai b e a u c o u p e m p l o y é e dans ma clinique d e S a i n t - D o m i n g u e , n'a jamais calmé ce s y m p t ô m e . M o u l t r i e considérait c o m m e fort a v a n t a g e u x le m é l a n g e s u i v a n t , d o n t il d o n n a i t u n e cuil­ l e r é e à b o u c h e toutes les h e u r e s . C'était un g r o s de c a r b o n a t e d e p o t a s s e , u n e o n c e et d e m i e d e suc d ' o r a n g e , d e u x onces d'eau d e m e n t h e , t r e n t e grains d e m u r i a t e a m m o n i a c a l d a n s six o n c e s d'eau d e fontaine é d u l c o r é e s avec d u sirop. L ' o u v e r t u r e des cadavres d é m o n t r a n t p r e s ­ q u e toujours u n état de p h l o g o s e plus ou m o i n s p r o n o n c é sur la m e m b r a n e m u q u e u s e d e l'es1

1

P. 3 2 1 .


( 518 ) t o m a c , c'est au lecteur à j u g e r , d'après cette remarqué) si les potions a c r e s , stimulantes et volatiles, loin d'éloigner le d a n g e r , ne l'aug­ m e n t e n t p a s , et s'il ne serait pas préférable d ' e m p l o y e r tout simplement une décoction de pain r ô t i , avec quelques gouttes de teinture t h é b a ï q u e par verres. Il y aurait eu des inconvéniens à s u p p r i m e r les évacuations alvines, p u i s q u e , dans n o t r e épidémie de S a i n t - D o m i n g u e , n o u s les considérions c o m m e salutaires. Elles étaient néanmoins si considérables dans quelques circonstances, et elles affaiblissaient tellement les m a l a d e s , qu'on pouvait leur o p p o s e r les mélanges o p i a c é s , la racine de c o l u m b o , la cascarille, le c a c h o u , l'acide sulfurique ajouté à la serpentaire de Virginie ; ces indications se présentaient plus particulièrement lorsque la maladie se p r o l o n g e a i t , ou m ê m e dans les convalescences pénibles. Si le météorisme du ventre ne p r é c é d a i t pas un m o u v e m e n t c r i t i q u e , et s'il tenait à une débilité e x t r ê m e ou à une disposition g a n g r é ­ n e u s e , je le combattais p a r des fomentations spiritueuses et vineuses ; p a r des lavemens de q u i n q u i n a , de serpentaire de V i r g i n i e , d e c a m p h r e ; p a r l'administration intérieure de


( 519) l'extrait de q u i n q u i n a ou de sa t e i n t u r e ; p a r l'éther, et p a r le c a m p h r e . L a p l u p a r t d e ces m o y e n s , et s u r t o u t c e u x dirigés c o n t r e les c o n t r a c t i o n s vives d e l ' e s t o m a c , étaient par­ faitement indiqués c o n t r e le h o q u e t . L e s l i m o n a d e s m i n é r a l e s , les d é c o c t i o n s de q u i n q u i n a et d e s e r p e n t a i r e a c i d u l é e s , l'acétate a m m o n i a c a l , l'élixir sulfurique d e M i n s i c h t , le sulfate acidule d ' a l u m i n e , les lotions froides avec le vinaigre seul ou m ê l é à l'eau, étaient nos m o y e n s g é n é r a u x c o n t r e les h é m o r r a g i e s excessives et s y m p t o m a t i q u e s . Q u a n t à la suppression d ' u r i n e , il n'est p a s au p o u v o i r d e l'art de dissiper ce s y m p t ô m e ; il a n n o n c e la fin d e la maladie et d u m a l a d e ; il est plutôt d a n g e r e u x c o m m e p r o n o s t i c q u e p a r ses effets. Il n ' y a p o i n t d ' i n c o n v é n i e n t , au s u r p l u s , à le c o m b a t t r e p a r le c a m p h r e , le n i t r a t e d e p o t a s s e , le sirop des c i n q racines et la l i m o n a d e avec l'acide n i t r i q u e . J e ne connais a u c u n e raison q u i puisse d é t e r ­ miner à opposer quelques médicamens parti­ culiers à l ' i c t è r e , soit q u ' i l s u r v i e n n e avant le septième j o u r , soit qu'il arrive p l u s t a r d .


( 520 ) SECTION

IV.

De l'action et de l'emploi de quelques camens en particulier.

médi-

ARTICLE PREMIER. DU mercure. Il y a plus de soixante ans q u e Moultrie s'écriait : Quel est c e l u i , excepté un é l è v e , qui administrerait le calomélas dans l'inflammation ? Dans la fièvre bilieuse m a l i g n e , les mouvemens fébriles sont très-véhémens; et les solides, ainsi q u e les flui­ d e s , déjà t r o p disposés p a r e u x - m ê m e s à la dissolution, le sont encore davantage par les p r é p a r a t i o n s mercurielles . 1

Malgré cet a n a t h è m e , lancé p a r un praticien q u i méritait u n e certaine confiance, on a c o n ­ seillé ces mêmes préparations avec un zèle qui tenait en q u e l q u e sorte du délire. Il i m p o r t e de distinguer d e u x classes p a r m i ceux qui donnaient ce sel : les uns voulaient p r o v o q u e r des évacuations alvines a b o n d a n t e s et p r o m p t e s ; les autres avaient en vue de d é ­ terminer la salivation. R u s h , ainsi qu'il a été d i t , l'employait c o m m e drastique : sa m é t h o d e eut de n o m b r e u x partisans. C l a r k r e c o m ­ m a n d a le m e r c u r e d o u x , tantôt c o m m e p u r 1

P. 1 8 1 .


(

521

)

gatif, tantôt c o m m e altérant ; et, dans ce d e r n i e r c a s , il l'unissait à l ' o p i u m ou à d ' a u t r e s s u b ­ stances . L e s m é d e c i n s d e la V e r a - C r u z ont f r é q u e m m e n t imité le p r o c é d é de R u s h , mais ils o n t fini p a r l ' a b a n d o n n e r totalement . D e l ' A m é r i q u e , ce g e n r e de t r a i t e m e n t a passé en E u r o p e , et nous en avons r e t r o u v é des traces à C a r t h a g è n e . C l a u d e G a u t h i e r , m é d e c i n de cette v i l l e , soutenait qu'il était inutile et m ê m e d a n g e r e u x d ' e x c i t e r la salivation. Il nous as­ sura qu'il avait g u é r i tous ses m a l a d e s , e x c e p t é u n s e u l , en l e u r d o n n a n t le calomélas à la dose d e six ou huit g r a i n s trois fois le j o u r . Dans le c o m m e n c e m e n t , il l'associait avec u n tiers d e j a l a p , ensuite il l'administrait seul. L'as­ s u r a n c e avec laquelle parlait ce d o c t e u r , p r o u v e qu'il avait u n e h a u t e confiance en luim ê m e , ou t o u t au moins e n n o t r e c r é d u l i t é . 1

2

A la tête d e c e u x q u i p r é t e n d a i e n t g u é r i r p a r la salivation, je placerai le d o c t e u r Chisolm. Ce m é d e c i n avait p u voir q u e , dans la fièvre j a u n e , il y a souvent une salivation a b o n d a n t e : 3

1

2

3

C l a r k , p . 2 6 , 2 8 , 29 et 3 2 . M. de H u m b o l d t , p. 7 8 2 , in-4.°. Makittrick a v u , d e u x o u trois f o i s , u n e évacuation

d e salive qui fut c r i t i q u e , p . 135. Voyez tions 6 et 17.

mes observa­


( 522

)

séduit p e u t - ê t r e p a r cette a p p a r e n c e de crise, il crut devoir l'exciter et l'augmenter. Il d o n ­ nait de grandes quantités de c a l o m e l , en m ê m e t e m p s qu'il faisait frotter avec de l'onguent m e r curiel au-dessous de la mâchoire inférieure et des d e u x côtés. A cette occasion il s'élève avec force c o n t r e le traitement tonique ( depuis tant vanté p a r M. Savaresy ) , et il dit q u e , par les r e m è d e s qui le constituent, il y eut u n e g r a n d e m o r t a l i t é p a r m i les troupes de S p i k e - I s l a n d , et qu'il y m o u r u t mille quatre-vingt-dix-neuf per­ sonnes sur cinq mille, entre le c o m m e n c e m e n t d e s e p t e m b r e et la fin de janvier 1 7 9 0 et 1 7 9 6 ; tandis q u e , avec le traitement m e r c u r i e l , il m o u r u t seulement un douzième des m a l a d e s . 1

L e d o c t e u r Pascalis, médecin français, r é s i d a n t en A m é r i q u e , a, dans une lettre adressée a u x r é d a c t e u r s du Medical Repository, ap­ p r é c i é , avec autant de sagesse qu'il a discuté avec t a l e n t , les effets de la salivation artificielle d o n t il d é m o n t r e parfaitement les dangers. D e n o m b r e u x praticiens anglais et français se sont depuis élevés c o n t r e cette m é t h o d e . 2

Les Espagnols s'emparèrent aussi de l'idée 1

T . I , p. 2 0 7 . —

2

Voyez

G r a n t , p. 5 1 . Bancroft,

p . 85. H u n t e r , p. 3 2 8 , Appendice (note).


( 523 )

d e Chisolm. M a r t o r e l l conseillait le calomélas dans la vue d'exciter la salivation ; il voulait q u ' o n ne l'associât p a s au j a l a p , p a r c e q u e ce d r a s t i q u e occasionne des d i a r r h é e s c o l l i q u a tives; il nous a assuré q u e , s'il p a r v e n a i t à exciter la salivation dans les vingt-quatre h e u r e s , il était assuré du succès. L e g o u v e r n e m e n t e s p a g n o l envoya à V é l e z Malaga un médecin c h a r g é d e faire des essais sur le m e r c u r e administré en frictions. Il c o m ­ m e n ç a i t p a r saigner les m a l a d e s ; ensuite il faisait frotter avec d e fortes doses d ' o n g u e n t merc u r i e l : aucun n ' é c h a p p a p a r m i ceux q u i furent assujétis à ce t r a i t e m e n t , s'il faut en c r o i r e q u e l ­ q u e s h a b i t a n s , et les r é p o n s e s q u e m e fit le d o c ­ t e u r Castilla lors de m o n passage à V é l e z . O n m e c o m m u n i q u a , à S a i n t - D o m i n g u e , en 1805, u n e n o t e du c o l o n e l V i l l a r e t - J o y e u s e , p a r laquelle il mandait de la M a r t i n i q u e qu'il avait été g u é r i au m o y e n d u p r o c é d é suivant : dès l ' i n ­ vasion de la f i è v r e , on a p p l i q u e un vésicatoire à c h a q u e bras ; q u a n d on a enlevé l ' é p i d e r m e , o n s a u p o u d r e la plaie avec d u m e r c u r e d o u x , et l'on fait d e légères frictions avec le d o i g t p e n d a n t les trois p r e m i e r s p a n s e m e n s . Si, m a l g r é ce m o y e n , le mal d e tête se soutient avec v i o ­ l e n c e , u n vésicatoire à la n u q u e et u n e saignée


( 524 ) du bras sont nécessaires. O n assurait que celte méthode n'avait pas m a n q u é un seul de ceux qu'on y avait soumis dès l'invasion des p r e m i e r s symptômes. J e l'essayai sur q u a t r e malades d o n t un seul g u é r i t , et je n'eus pas l'occasion de pousser plus loin mes r e c h e r c h e s , ou plutôt je n'y avais q u ' u n e médiocre confiance. L e seul avantage que je reconnaisse dans ce p r o c é d é , c'est que le m e r c u r e excite des douleurs c u i ­ santes sur la plaie; q u e le cercle des vésicatoircs s'enflamme ; q u e la s u p p u r a t i o n devient t r è s - a b o n d a n t e , et q u ' o n p e u t supposer un d é ­ placement d u p r i n c i p e de l'irritation de l'in­ térieur à l'extérieur. ART. II. Des vésicatoires. L o r s q u ' u n e g r a n d e et terrible épidémie moissonne les populations et les armées ; q u a n d les s y m p t ô m e s sont si violens q u e le désordre qu'ils i m p r i m e n t est au-dessus des ressources c o n n u e s , il doit être permis d e s'écarter quelquefois d e la r o u t e o r d i n a i r e , et d'oublier un instant les documens élémentaires qu'on a reçus. S i , dans le c o m m e n c e m e n t d ' u n e maladie, il r è g n e une irritation vive, p e r s o n n e assurément n'osera conseiller les vésicatoires : telle est la règle ; mais faut-il en être esclave dans une affection m e u r t r i è r e qui p a r d o n n e r a r e ­ ment ? J e ne le pense point. T o u t s'accorde au


( 525 ) c o n t r a i r e à p r o u v e r q u e les p r i n c i p e s g é n é r a u x doivent être m é c o n n u s m o m e n t a n é m e n t . Il n'y a pas d e temps à p e r d r e dans la fièvre j a u n e ; et si l'on a l'intention d e lui o p p o s e r un r e m è d e h é r o ï q u e , c'est au c o m m e n c e m e n t qu'il doit t r o u v e r son e m p l o i . Les vésicatoires q u ' o n a p ­ p l i q u e de b o n n e h e u r e , intervertissent la direc­ tion vicieuse des m o u v e m e n s , ils les a p p e l l e n t du c e n t r e à la circonférence ; ils forcent la cause m o r b i f i q u e d ' a b a n d o n n e r les o r g a n e s essentiels d e la vie ; ils disséminent les spasmes en les d é ­ p l a ç a n t , et p r o v o q u e n t la d i a p h o r è s e si utile dans le d é b u t d e cette affection : voilà d e la t h é o r i e . V o y o n s les résultats : J'ai f r é q u e m m e n t fait usage des épispastiques, tantôt au c o m m e n c e m e n t , t a n t ô t au milieu, t a n t ô t à la fin de la m a l a d i e , et je ne s a c h e pas qu'ils aient p r o d u i t un effet sensible dans le plus g r a n d n o m b r e de cas . Q u e l l e q u e soit l'opinion q u ' o n se f o r m e à cet é g a r d , il n o u s s e m b l e q u ' o n doit se servir des vésicatoires Je plus p r è s possible d e l'invasion ; plus t a r d ils hâtent le d é v e l o p p e ­ m e n t des s y m p t ô m e s a d y n a m i q u e s , et p e u v e n t e n t r e t e n i r ou favoriser les h é m o r r a g i e s . D'ail­ l e u r s , à cette é p o q u e , le d é s o r d r e est tel qu'il 1

2

1

2

H i l l a r y se p r o n o n c e c o n t r e leur e m p l o i , p. 170. W a r r e n , p. 37.


( 526 ) est rare de pouvoir y r e m é d i e r . C'est p r o b a ­ blement sur des idées analogues q u e s'appuyait Caldwell p o u r établir que le m o m e n t c o n v e n a ­ ble était la fin de la p r e m i è r e p é r i o d e , c'est-àdire un peu avant que l'action fébrile eût entièrement cessé ; c'est aussi dès le c o m m e n c e ­ m e n t de la deuxième période q u e Gillespie s'en servait . Une troisième considération qui p e u t déterminer les partisans d'un miasme p a r t i c u ­ lier introduit dans le c o r p s , c'est qu'il i m p o r t e d e l'attaquer avec p r o m p t i t u d e p e n d a n t qu'il est flottant, c o m m e on dit dans les écoles, et avant qu'il ait p r o d u i t des ravages c o n t r e lesquels l'art devient impuissant. 1

J'ai recueilli, en E s p a g n e , très-peu de d o cumens sur l'action des épispastiques : quelques praticiens ont cru r e m a r q u e r qu'ils d é t e r m i ­ naient t r o p d'irritation, et par suite la p o u r r i t u r e des parties sur lesquelles on les posait ; alors on préféraitde s'en servir c o m m e rubéfians, si mieux on n'aimait e m p l o y e r les sinapismes : cette m é ­ t h o d e a eu ses partisans et ses succès. Palloni p r é t e n d que les vésicatoires ont plutôt d é t é ­ rioré qu'amélioré l'état des malades ; cepen­ dant appliqués sur l ' h y p o c o n d r e d r o i t , ils o n t , 2

1

P. 79. -

3

P. - 29.


( 527 ) en quelques c i r c o n s t a n c e s , p r o c u r é un a m e n d e m e n t s e n s i b l e , lors s u r t o u t q u ' o n s'était a p e r ç u d'un g o n f l e m e n t i n d o l e n t d e ce viscère . A R T . III. Du quinquina. N o u s ne saurions a c c o r d e r au q u i n q u i n a des vertus t r è s - é m i n e n t e s c o n t r e la fièvre jaune, p a r c e q u e les essais particuliers q u e nous avons faits n ' o n t p o i n t r é p o n d u à n o t r e espoir. N o u s avions m ê m e cru a p e r c e v o i r qu'il hâtait l'ictère, p r o v o q u a i t le v o m i s s e m e n t , et jetait le t r o u b l e dans les fonctions qui auraient permis d ' e s p é r e r un m o u ­ v e m e n t critique . J e ne p a r l e ici d e ce m é d i ­ c a m e n t que sous le r a p p o r t de son e m p l o i p a r la b o u c h e à larges d o s e s , car on a eu q u e l q u e ­ fois à se l o u e r de le d o n n e r en l a v e m e n s et en bains ; mais ces d e r n i e r s essais sont si i n c o m p l e t s q u ' o n ne p e u t r a i s o n n a b l e m e n t en faire des applications g é n é r a l e s à la t h é r a p e u t i q u e . M D a l m a s , voulant imiter q u e l q u e s - u n s d e ses d é v a n c i e r s , c r u t d ' a b o r d qu'il p o u r r a i t as­ similer la fièvre j a u n e a u x fièvres p e r n i c i e u s e s , et q u ' o n o b t i e n d r a i t d ' a v a n t a g e u x résultats de ce r a p p r o c h e m e n t ; ce fut sans d o u t e dans ce dessein qu'il d o n n a l'écorce du P é r o u à fortes d o s e s dès l'invasion; mais il se vit c o n t r a i n t 1

2

1

P. 31. —

2

W a r r e n , p. 6 6 .


( 528 ) d ' a b a n d o n n e r sa m é t h o d e curative. E n réfléchissant m ê m e sur d e u x de ses observations, o n voit q u e les malades e u r e n t chacun u n e vésicule charbonneuse qu'on serait tenté d'at­ t r i b u e r à l'action du q u i n q u i n a , si nous n e puisions dans l'histoire de la fièvre j a u n e d'au­ tres exemples, où ces élévations se sont mont r é e s , i n d é p e n d a m m e n t de son administration. V o i c i , au s u r p l u s , les résultats d e mes p r o ­ p r e s expériences sur ce point i m p o r t a n t de matière médicale : U n officier de s a n t é , âgé d e vingt-cinq a n s , d'une constitution m o y e n n e , t o m b a malade le 23 d é c e m b r e 1802 ; il était dans la colonie depuis trois mois. P r e m i e r j o u r , t r e m b l e m e n t d'une h e u r e ; chaleur âcre qui lui succède ; dou­ l e u r vers les orbites ; r o u g e u r et siccité des yeux; face peu animée ; impression de t e r r e u r ; langue h u m i d e sans être chargée ; nausées continuelles; constipation; urines claires; d o u l e u r s d é c h i ­ rantes des reins et des extrémités. Respiration un peu l a b o r i e u s e ; pouls fré­ q u e n t et élevé ; soupirs. Soit conviction, soit p o u r o b t e m p é r e r à ses p r o p r e s instances, je consentis à le traiter avec le quinquina sur lequel il avait fondé les plus belles espérances. J e lui en fis d o n c p r e n d r e .


( 529 )

d e u x gros en p o u d r e , dans u n e infusion d e c a m o ­ mille, toutes les trois h e u r e s : il en c o n s o m m a une once et demie dans les v i n g t - q u a t r e p r e m i è r e s h e u r e s de l'invasion; une d e s doses fut rejetée c o m p l é t e m e n t ; d e u x autres le furent en p a r t i e . Il b u t h a b i t u e l l e m e n t de la tisane d ' o r a n g e s amères. e

2 . j o u r , m ê m e s s y m p t ô m e s ; plus g r a n d e g ê n e dans la respiration ; d e u x selles fétides et b r u n â t r e s ; en o b s e r v a n t bien la c o u l e u r , on c r u t e n t r e v o i r qu'elle était d u e au q u i n ­ quina. M ê m e m é d i c a m e n t , d o n t q u e l q u e s doses furent v o m i e s , et p r e s q u e toutes p r o d u i s i r e n t des nausées. S u r le s o i r , la jaunisse c o m m e n c e sous le m e n t o n et à la conjonctive ; une d i a r r h é e s é ­ reuse se déclare et d u r e t o u t e la nuit ; le m a l a d e va sous lui. e

3 . j o u r , jaunisse g é n é r a l e : air h a g a r d , l a n g u e h u m i d e et p r o p r e s u r ses b o r d s , char­ g é e au c e n t r e d'une c o u c h e grisâtre ; nausées continuelles ; d i a r r h é e séreuse : u r i n e s t r o u b l e s ; pouls c a l m e , r é g u l i e r , mais l e n t sans ê t r e faible. Respiration l a b o r i e u s e ; s o u p i r s ; h o q u e t ; m ê m e m é d i c a m e n t , a u q u e l je fais ajouter six g o u t t e s de l a u d a n u m de S y d e n h a m p a r prise,

34


( 530 ) Vers le soir, espèce de c a l m e ; vomissemens moins fréquens ; le ventre est météorisé. 4 . jour La nuit du 3. au 4 . avait été m a u ­ vaise ; le malade jetait les hauts cris ; il voulait s'élancer h o r s de son lit. C e m a t i n , le sang sortait par la b o u c h e et l'anus; les urines étaient déjà supprimées ; il y eut quelques vomissemens b r u n â t r e s . M o r t à neuf heures du soir. D e onze soldats qui furent soumis à cette m ê m e é p r e u v e , d e u x seulement é c h a p p è r e n t ; mais l'un fut languissant, e t , au b o u t de d e u x m o i s , il revint à l'hôpital où il périt de diarrhée. I n d é p e n d a m m e n t de ces o b s e r v a t i o n s , qui r é p a n d a i e n t un grand jour sur les effets d u quinquina d o n n é c o m m e fébrifuge et en écorce, j ' e n avais déjà recueilli un assez g r a n d n o m b r e d'analogues : le mauvais succès dont mes t e n ­ tatives furent suivies, et qui fut c o m m u n aux essais que firent mes confrères, m e força bientôt à délaisser une m é t h o d e qui n'était q u e fati­ g a n t e , sans être profitable. J e m e contentai d'employer le quinquina c o m m e tonique en teinture ou en décoction ; alors je le faisais aciduler avec le suc de citron ; je l'associais p a r ­ fois au l a u d a n u m , plus souvent à l'étirer sulfur i q u e , p o u r appaiser les angoisses de l'estomac, e

e

e


(

531

)

D o n n é de cette m a n i è r e , avec m é n a g e m e n t , il a p u soutenir les forces, s u r t o u t dans la d e u x i è m e p é r i o d e , p o u r s'opposer au p r o g r è s de la t r o i ­ sième. A la m ê m e é p o q u e et dans l'une des Antilles, M. P u g n e t a d o p t a i t u n e m é t h o d e équivalente ; il unissait cette é c o r c e a u x acides v é g é t a u x , à l'acétate a m m o n i a c a l , et m ê m e a u x tamarins ; mais il appliquait les sinapismes p o u r a p p e l e r a u - d e h o r s l'irritation m o r b i f i q u e , et il e m ­ p l o y a i t l ' é t h e r , le c a m p h r e et le m u s c p o u r c o m b a t t r e la sécheresse d e la peau. D e n o m b r e u x praticiens se sont élevés p o u r ou c o n t r e l'usage d e ce m é d i c a m e n t ; mais il est aisé d e voir que la p l u p a r t d ' e n t r e e u x o n t caressé des idées c h é r i e s , des h y p o t h è s e s plus o u m o i n s p r o b a b l e s , e t qu'ils n ' o n t p a s a t t e n d u , p o u r asseoir leur o p i n i o n , d'être éclairés p a r u n e l e n t e e x p é r i e n c e . T e l l e fut la s o u r c e de tant d'idées contradictoires. Les tentatives faites à la V e r a - C r u z jusqu'en 1804, n'ont pas e n c o u r a g é c e u x q u i avaient fondé leur espoir sur cette é c o r c e . C h i s o l m n e lui a c c o r d e a u c u n e e s p è c e de confiance, et il a p p u i e ses observations sur celles d u d o c t e u r 1

1

M. de H u m b o l d t .

34 *


( 532 ) J o h n S t e w a r t , qui en a élevé la dose depuis dix jusqu'à seize o n c e s , sans aucun effet. O n l i t , dans le Medical repository, que J o h n R u l e , c h i r u r g i e n , s'est également attaché à faire r e s ­ sortir les inconvéniens qui résultent de son administration . Rush, séduit d'abord p a r le lan­ g a g e du docteur Stevens de S a i n t e - C r o i x , fit p r e n d r e ce médicament à des doses considéra­ b l e s , tant p a r la b o u c h e qu'en lavemens. Déçu d e ses e s p é r a n c e s , il e n abandonna e n t i è r e ­ m e n t l'usage . 1

2

Malgré toutes ces oppositions et d'autres q u ' o n p o u r r a i t citer e n c o r e , M. S a v a r e s y , fidèle à ses principes B r o w n i e n s , déclare que le traite­ m e n t tonique est e n c o r e le meilleur, et qu'il p é r i t moins d'individus que p a r aucun autre. Il paraît que le docteur David G r a n t en e m ­ ployait de fortes doses, ainsi q u e nous le voyons dans sa Dissertation publiée en 1801. Son p r o ­ c é d é consistait à en d o n n e r un gros chaque h e u r e , dans une forte décoction de la m ê m e s u b ­ s t a n c e , aromatisée avec la teinture de cannelle ; e n m ê m e temps il faisait p r e n d r e des lavemens c h a q u e d e u x h e u r e s , composés de d e u x gros d e p o u d r e très-fine de q u i n q u i n a , dans quatre 1

Février 1809, p. 329. — P. 195. 2


( 533 ) onces d'une forte d é c o c t i o n de fleurs de c a m o ­ mille . Gillespie en fait b e a u c o u p d e cas dans cette maladie , mais en infusion, et dans le d e u x i è m e stade. Rien n'atteste m i e u x l'influence fâcheuse de la t h é o r i e sur l'esprit des h o m m e s , q u e ces variétés d e t r a i t e m e n t s u b o r d o n n é e s à l'idée p r i n c i p a l e de c h a q u e a u t e u r : ainsi M. Bancroft r e c o m m a n d e le q u i n q u i n a p o u r ê t r e d o n n é dès la c h u t e d e ce qu'il n o m m e stade f é b r i l e , afin d e p r é v e n i r le r e t o u r du second accès . Sans d o u t e il aurait r a i s o n , si cette fièvre était u n e pernicieuse i n t e r ­ mittente. 1

2

3

O n a fait, dans la péninsule e u r o p é e n n e , des e x p é r i e n c e s qui paraîtraient c o n c l u a n t e s , si l'on n'opposait à ces espèces d e miracles u n d o u t e p h i l o s o p h i q u e q u i e m p ê c h e de se p r o ­ n o n c e r . Il est p e r m i s de p r é s u m e r q u e c e u x q u i c r o y a i e n t traiter la fièvre j a u n e dans c e r ­ tains villages, o n t p u ê t r e induits en e r r e u r p a r u n e espèce d'analogie. J e serais assez p o r t é à c r o i r e q u ' o n l'a confondue avec les rémittentes pernicieuses ; d'autant q u e , p o u r un œil p e u e x e r c é , ces maladies ont plusieurs points d e ressemblance qui e n i m p o s e n t , e t q u e , d'ail 1

P . 42. —

2

P. 80 et ss. —

3

P . 75.


( 534 ) l e u r s , q u a n d une épidémie contagieuse domine dans une c o n t r é e , toutes les autres sont mar­ quées du cachet de la constitution principale . O n est, en quelque s o r t e , fondé à faire une application directe de ce raisonnement aux fièvres de los Barrios, pays q u e nous avons visité p o u r p r e n d r e des renseignemens sur les procédés de Bobadilla, médecin du l i e u , et de T a d e o Lafuente, médecin du c a m p d e S a i n t - R o c h . Toutefois, j'exposerai le p r o c é d é de ces praticiens, parce q u e , dans des matières o b s c u r e s , il faut c h e r c h e r p a r t o u t des lumières, et n e rien taire. 1

J'avais d i t , dans un m é m o i r e i m p r i m é , en 1802, à S a i n t - D o m i n g u e , que la fièvre jaune pourrait bien être une pernicieuse r e n f o r c é e , et compliquée d'un miasme de nature particulière. Si le traitement de M. Bobadilla est le b o n , j'aurais entrevu la v é r i t é , et ce médecin aurait résolu un des p r o b l è m e s les plus dif­ ficiles et les plus i m p o r t a n s de l'art ; mais cette idée n'est qu'un beau rêve dont je suis le p r e ­ mier à faire justice. 1

Je répète encore q u e , clans d'autres parties de l'Es­

p a g n e , on a pu confondre aussi le typhus avec les fièvres d'automne.


( 535 ) E n 1804, M . Bobadilla traitait à los Barrios des malades q u ' o n croyait atteints de la fièvre jaune, et il l e u r faisait p r e n d r e , dès l'invasion, u n e t r è s - g r a n d e dose de q u i n q u i n a . Lafuente s'y t r a n s p o r t a p a r o r d r e du g é n é r a l C a s t a n o s , alors c o m m a n d a n t du c a m p d e S a i n t - R o c h , et ces d e u x m é d e c i n s a d o p t è r e n t , d'un c o m m u n a c c o r d , le p r o c é d é suivant, q u i était celui de Bobadilla. Ils d o n n a i e n t , dans les q u a r a n t e - h u i t p r e m i è r e s h e u r e s d e l'invasion, huit onces de q u i n q u i n a en p o u d r e ; et ce r e m è d e arrêtait infailliblement la f i è v r e , si l'on p o u v a i t , 1.° l e r e t e n i r dans l'estomac ; 2.° en faire usage aussitôt q u e la fièvre saisissait le malade ; 3.° si le fébricit a n t était p l a c é dans u n e é c h o p p e ou c a b a n e bien a é r é e . L e tableau suivant d o n n e r a une juste idée des succès e x t r a o r d i n a i r e s qu'ils p r é t e n d e n t , avoir o b t e n u s . S u r d e u x cent soixante-dix-neuf malades, cent soixante-sept o n t g u é r i et cent douze ont péri. Mais p e u de c e u x - c i avaient p r i s le q u i n q u i n a selon la m é t h o d e i n d i q u é e ; o r d o n c , si les cent d o u z e avaient p u ou voulu se c o n f o r m e r aux conditions ci-dessus é n o n c é e s , ils a u r a i e n t p r e s ­ q u e tous été sauvés.


( 536 ) Guéris.

1.° Malades qui ont pris le quinquina depuis six onces jusqu'à s e i z e , dans un espace de quarante-huit à c i n ­ quante h e u r e s , en commençant de puis la première jusqu'à la huitième heure 2.° Qui l'ont pris entre la huitième et la douzième heure 3.° Entre la douzième et la vingtquatrième 4.° Au deuxième jour s e u l e m e n t . . . . 3.° Au troisième ou quatrième jour. 6.° Qui n'ont pris que peu ou presque point de quinquina; qui l'ont pris fort tard ou qui l'ont vomi presque entièrement 7.° Traités sans quinquina

TOTAL.

Morts.

96

1

8

o

3 13 8

2

17

26

7 9

22

67

167

112

E n p r e n a n t les d e u x extrêmes de ce tableau comparatif, il résulte q u e de ceux qui furent soumis à la m é t h o d e dans toute sa p l é n i t u d e , il en m o u r u t un sur 97 ; et q u e p a r m i les malades traités sans q u i n q u i n a , il m o u r u t 67 sur 89. L e s 279 observations sont r a p p o r t é e s en a b r é g é dans l ' o u v r a g e , et il n'en est pas une qui soit assez détaillée p o u r d o n n e r des indices suffisans, ou p o u r faire juger du génie de cette fièvre : c'est une faute q u ' o n t faite les auteurs et


( 537 ) qui inspire n a t u r e l l e m e n t d e la défiance. Ils se sont appliqués seulement à désigner les jours de la p r e m i è r e administration du m é d i c a m e n t , sans réfléchir q u e les lecteurs qui veulent être p e r s u a d é s , i n t e r r o g e r a i e n t leurs p r o p r e s h i s ­ toires p o u r s'assurer du g e n r e de la m a l a d i e . L e c o r p s de l'ouvrage n'éclaircit pas m i e u x le p o i n t douteux puisqu'il n'est consacré q u ' à des discussions é t r a n g è r e s à la séméiotique d e l'épi­ d é m i e . Mes l o n g u e s conférences a v e c M. B o b a ­ dilla n'ont p o i n t dissipé mes d o u t e s ; et M . L a ­ fuente, qui nous p a r u t de fort b o n n e foi dans les relations q u e nous e û m e s avec lui au c a m p de S a i n t - R o c h , ne p u t nous c o n v a i n c r e qu'il eût r é e l l e m e n t traité la fièvre jaune d a n s le b o u r g de los Barrios. Aréjula paraît avoir imité la m é t h o d e p r é c é ­ d e n t e . Il donnait d e u x g r o s de q u i n q u i n a toutes les trois h e u r e s ; et, l o r s q u e l'estomac avait de la p e i n e à le s u p p o r t e r , il associait d e u x g r o s de sirop de m é c o n i u m à c h a q u e p r i s e ; il établit aussi q u e la règle g é n é r a l e est d e d o n n e r l ' o ­ p i u m , jusqu'à ce que l'estomac r e t i e n n e l'écorce du P é r o u . 1

2

D a n s le m a n u s c r i t du d o c t e u r J. S a r r a v i a , 1

P. 199. —

2

P . 200


( 538 ) médecin d'Ecija, fait le 15 novembre 1804, je trouve qu'après avoir favorisé le vomissement, il faisait avaler une once et demie de q u i n q u i n a , soit en p o u d r e , soit en électuaire, et le c o n t i ­ nuait en diminuant la dose jusqu'à l'entier réta­ blissement. Il n'eut qu'à s'en l o u e r , et ne vit m o u r i r que les personnes soumises t r o p tard à sa m é t h o d e . A la v é r i t é , on avait aperçu une espèce de rémission, et m ê m e quelquefois d'intermisiion, dans les fièvres d'Ecija, le lendemain de l'invasion. L e s médecins que je viens de citer sont à peu près les seuls en E s p a g n e qui aient insisté sur l'usage de cette é c o r c e , c o m m e m o y e n p r i n ­ cipal ; les autres ne paraissent pas avoir eu des raisons bien fondées de s'en servir, et le plus g r a n d n o m b r e d'entre eux l'abandonnèrent ou ne l'employèrent q u e comme moyen accessoire. M M . Broussais et M o c q u o t disent q u e , p e n d a n t la fièvre de l'Andalousie, une foule d'infortunés privés des secours m é d i c a u x , et qui n ' o n t pas eu les moyens de payer la p r é t e n d u e panacée universelle (le q u i n q u i n a ) , ont guéri 1

1

L e m ê m e qui s'est fait une réputation si justement

méritée par son excellente histoire des Phlegmasies ou Inflammations chroniques.


( 539 ) plus h e u r e u s e m e n t q u e les gens r i c h e s , p a r le seul secours d'un m é l a n g e d'eau et de v i n a i g r e , b u аvеc a b o n d a n c e et administré p a r la voie des lavemens . O n ne lui dut pas de g r a n d s succès à L i v o u r n e ; le d o c t e u r Palloni assure qu'il y fut nuisible , et son t é m o i g n a g e est a p p u y é de celui de p l u ­ sieurs autres médecins de cette ville ; au r e s t e , nous a v o n s , p a r tout ce q u i p r é c è d e , acquis la conviction q u e le p r o c é d é de B o b a d i l l a , d e Lafuente et de S a r r a v i a , n'est p o i n t d e l'invention de ces m é d e c i n s . A R T . IV. Boissons acides. P r e s q u e tous les a u t e u r s se sont a c c o r d é s s u r ce p o i n t , q u e les boissons aigrelettes sont indiquées dans le t y p h u s d ' A m é r i q u e , et n o u s en fîmes un g r a n d usage à S a i n t - D o m i n g u e . Elles étaient a g r é a b l e s et parfaitement a p p r o p r i é e s à sa n a t u r e . P e n d a n t la fièvre q u e j'essuyai, u n b o n vieillard, p h a r ­ macien en chef de l'hôpital de la P r o v i d e n c e , m ' a p p o r t a i t q u e l q u e cerises sèches q u i venaient d e F r a n c e : elles avaient conservé un p e u d'acide qui faisait m e s délices. C e p e n d a n t l'estomac, frappé d une irritation v i v e , exigeait d e g r a n d s m é n a g e m e n s , que 1

2

1

Lettre c i t é e , p. 30 et 3 1 . —

2

P . 28.


( 540 ) les boissons t r o p acides contribuaient à a u g ­ m e n t e r dans un g r a n d n o m b r e de cas. Il fallait alors les s u p p r i m e r ou les étendre de b e a u c o u p d'eau ; ou b i e n , selon les caprices de cet o r g a n e , d o n n e r les infusions de tilleul ou de camomille, l'eau de veau ou de poulet, u n peu aiguisées d'acides. Il est d'autant plus i m p o r t a n t d'appeler la défiance sur l'emploi o u t r é des a c i d e s , q u ' o n r e m a r q u e , sous les régions équatoriales, qu'ils p r o v o q u e n t des cardialgies dans l'état d e santé. L ' a b u s du caustique de l'ananas p r o d u i t cet effet ; et les naturels de S a i n t - D o m i n g u e qui ne l'ignoraient p a s , s'en servaient avec la plus g r a n d e circonspection. Ceci s'applique, avec plus de r a i s o n , aux acides minéraux dont l'action est bien plus à craindre. L o r s q u ' o n les p r e s c r i t , ce ne doit être qu'en les faisant étendre de b e a u c o u p d'eau. L ' é p o q u e où ils conviennent plus spécialement c'est dans la troisième p é r i o d e , lorsque la d é ­ composition menace ou est déclarée ; c'est dans des circonstances analogues que Bruce et Hillary ajoutaient l'acide sulfurique à la décoction de serpentaire de Virginie ; mais leur emploi ne doit être considéré q u e c o m m e auxiliaire; il faut m ê m e s'en abstenir si le malade é p r o u v e dans la


( 541 ) g o r g e une sensation a i g r e , a u g m e n t é e p a r les matières du vomissement. A R T . v. Frictions acides. Il est assez généralernent r e ç u à S a i n t - D o m i n g u e qu'il faut frotter les malades avec d e s t r a n c h e s de c i t r o n , dès le d é b u t d e la fièvre, sur t o u t e la surface du corps. L e s négresses se hâtent d e m e t t r e en usage ces frictions ; e t , p a r m i les m o y e n s q u e conseille l ' e m p i r i s m e , c e l u i - c i m e p a r a î t le m o i n s à d é d a i g n e r . Il inspirait sans d o u t e aussi q u e l q u e confiance à la M a r t i n i q u e , c a r Gillespie en a fait u n g r a n d usage et le p r o p o s e c o n s ­ t a m m e n t , avec r e c o m m a n d a t i o n d e l'employée plusieurs fois le j o u r Citer tous les e x e m p l e s h e u r e u x q u ' o n a dus à ce p r o c é d é , ce serait fastidieux ; il suffira d'ex­ p o s e r ici l'histoire d e la maladie d u c h i r u r g i e n J o m m a r o n , âgé d e vingt-cinq a n s , d o u é d ' u n t e m p é r a m e n t fort et v i g o u r e u x . Il était depuis environ c i n q u a n t e jours au C a p , l o r s q u e t o u t à - c o u p il é p r o u v a un t r e m b l e m e n t u n i v e r s e l , suivi d e chaleur et d e s u e u r , ensuite d'efforts convulsifs d e l'estomac t r è s - d o u l o u r e u x et avec vomissemens. L a d o u l e u r de front était i n ­ tense; les y e u x r o u g e s , gonflés e t d o u l o u r e u x ; 1

P.

73.


( 542 ) s'il prenait des boissons, elles restaient suspen­ dues dans l ' œ s o p h a g e , et il fallait plusieurs secondes p o u r qu'elles franchissent l'obstacle occasionné p a r l e spasme de l'orifice cardiaque. T o u t le corps fut frappé de douleurs horribles qui se firent principalement sentir sur les r e i n s , les mollets, les genoux et le deltoïde gauche. L e pouls était peu d é v e l o p p é , et la chaleur paraissait, au tact, médiocre et variable. J e prescrivis de le frictionner sur tout le corps avec des tranches de citron qui o c c a ­ sionnèrent un picotement aigu et général ; en m ê m e temps il fut placé dans un lit bien c o u v e r t , et on lui administra une limonade chaude : bientôt il fut saisi de douleurs intenses et d'une rétention d ' u r i n e , puis d'une sueur g é ­ nérale et a b o n d a n t e qui fut le résultat de ce traitement ; le sommeil survint après q u a t r e heures de souffrances, et le lendemain le malade p u t ê t r e considéré c o m m e convalescent. O n ne saurait nier q u e , dans ce c a s , la fièvre jaune n'ait été réellement étouffée ; son invasion s'était faite avec les symptômes les plus r e d o u ­ tables; le jeune h o m m e venait d'arriver dans la c o l o n i e ; l'épidémie dominait avec force; elle marquait toutes les affections de son redoutable c a c h e t , et J o m m a r o n aurait été victime de ce


( 543 ) f l é a u , s i , p a r un b o n h e u r i n o u i , on n'avait p r é v e n u le d é v e l o p p p e m e n t des d e u x autres périodes. N o u s avons vu à l'article des bains q u e les d o c t e u r s H u m e et R u s h faisaient avec avantage des applications d e vinaigre sur différentes parties du c o r p s , ou m ê m e sur la p e a u . M. E x e a avait é g a l e m e n t fait sur lui q u e l q u e s lotions de vinaigre . C e p r a t i c i e n , le d o c t e u r M a r t o r e l l , et le d o c t e u r Gonzalez qui employait le v e r j u s , sont à peu p r è s les seuls en E s p a g n e q u i se soient servi des acides à l'extérieur. Les d o c u m e n s q u e n o u s avons recueillis à cet é g a r d , sont d e peu d ' i m p o r t a n c e . 1

L ' é t h e r acétique m e paraîtrait u n e c o m p o ­ sition bien a d a p t é e à la n a t u r e du m a l , et on p o u r r a i t l'utiliser tant à l'intérieur qu'à l'exté­ r i e u r . J ' e n ai peu fait u s a g e , mais j'ai essayé quelquefois le vinaigre c a m p h r é avec une appa­ r e n c e de succès. N o s maîtres a u r a i e n t dit q u e les frictions acides, faites de b o n n e h e u r e , p e u v e n t a t t e i n d r e les miasmes d é l é t è r e s , e t , se c o m b i n a n t avec e u x , les neutraliser ou les e n t r a î n e r en a u g m e n ­ tant les excrétions. 1

Voyez

p. 512 et 5 1 3 .


( 544 ) L a lice fut naguère ouverte aux É t a t s - U n i s , où les savans se partagèrent sur la nature du m i a s m e , parce q u e les uns le considéraient c o m m e a c i d e , d'autres comme alkali : c'est l'opinion du docteur Mitehill qui a fini par p r é d o m i n e r ; ce médecin distingué attribue les causes de certaines maladies à un acide qu'il n o m m e septique et qu'il reconnaît éminemment dans la fièvre j a u n e , où le carbonate de soude lui paraît préférable à tout autre médicament. Il est aisé de voir q u e de pareilles i d é e s , quoique venant d'une autorité r e s p e c t a b l e , doivent leur origine à l'imagination plutôt qu'aux faits et à l'expérience. J e place de pareilles opinions à côté de ces rêves qui séduisirent dernièrement quelques têtes en E u r o p e , lorsqu'on p r é t e n d i t g u é r i r un g r a n d n o m b r e d'affections au m o y e n des acides, dont l'oxygène se développait dans l'intérieur du corps. F o r t heureusement que le délire p o u r ces nouveautés n'a pas une l o n g u e d u r é e , depuis que la médecine d'observation est en h o n n e u r p a r m i nous. Au r e s t e , l'expérience nous a p p r e n d que les acides ont la singulière p r o p r i é t é d'enrayer la dégénérescence bilieuse, dont la dominance est b i e n m a r q u é e dans la fièvre jaune ; et ils p r é 1

1

R u s h , p. 285.


( 545 ) v i e n n e n t aussi, sans q u e nous sachions c o m m e n t , la disposition a d y n a m i q u e ; considérés sous ces d e u x points d e v u e , et m ê m e c o m m e p r o v o q u a n t la d i a p h o r è s e , ils m é r i t e n t la p r é f é r e n c e sur b e a u c o u p d'autres moyens; et je les crois d'autant m i e u x indiqués en frictions, qu'ils offrent u n e r e s s o u r c e p r é c i e u s e , l o r s q u e l'estomac n e p e u t rien c o n s e r v e r et q u e les boissons q u ' o n y i n ­ t r o d u i t a u g m e n t e n t e n c o r e les angoisses. A R T . VI. De l'eau de mer. P a r m i les r e m è d e s p o p u l a i r e s q u e la c r é d u l i t é mit à la m o d e dans q u e l q u e s r é g i o n s d e l ' E s p a g n e , je ne dois pas o u b l i e r l'eau d e m e r . Alicante et C a r t h a g è n e o n t r e t e n t i des succès n o m b r e u x q u ' o n e n avait o b t e n u . Mais ces merveilles sont loin d e n o u s é b l o u i r , p a r c e qu'elles n ' o n t pas été fondées sui­ des observations assez n o m b r e u s e s e t d o n t l'au­ t h e n t i c i t é puisse c o m m a n d e r la confiance : c'est p l u t ô t un b r u i t confus q u i nous a a p p r i s q u e cette boisson avait fait q u e l q u e bien. N o u s a v o n s , p a r e x e m p l e , r e n c o n t r é à O r i h u e l a un c a p u c i n q u i , d ' a p r è s son t é m o i g n a g e , avait été g u é r i p a r le p r o c é d é suivant. Il avalait t o u s les matins u n e q u a n t i t é considérable d e cette e a u , j u s q u ' à ce q u e le vomissement fut p r o v o q u é ; elle excitait des évacuations a b o n d a n t e s tant p a r h a u t q u e p a r b a s ; sa g u é r i s o n lui ayant d o n n é 35


( 546 ) de la hardiesse, il soumit au m ê m e moyen p l u ­ sieurs personnes d'Alicante qui guérirent. A R T . VII. Des frictions huileuses. O n n'a p a s , q u e je s a c h e , e m p l o y é les frictions d'huile à S a i n t - D o m i n g u e , et je ne m ' e n suis jamais s e r v i , q u o i q u e je n'ignorasse pas q u ' o n les avait vantées p o u r la peste du Levant. M . d e H u m b o l d t p r é t e n d qu'à la V e r a - C r u z , on a eu à s'en l o u e r , et q u e leur utilité avait été r e ­ c o n n u e p a r X i m é n e z à la H a v a n e , p a r D . J u a n d'Arias à C a r t h a g è n e des I n d e s , et surtout p a r M. Keutsch, médecin distingué de Sainte-Croix L e s Espagnols des b o r d s de la M é d i t e r r a n é e et m ê m e d e l'Océan en firent un g r a n d usage e n 1804. J e vis des h o m m e s à Alicante q u i , poursuivis p a r la t e r r e u r , se frottaient tous les j o u r s avec de l ' h u i l e , et exhalaient u n e o d e u r i n s u p p o r t a b l e . Ces hommes prétendaient s'être 1

P . 5 4 9 , in-8.°, T . IV. L u z u r i a g a , T . I I , p . 218.

O n raconte à c e sujet des tours de force inouis opérés par l e docteur A r i a s , médecin de l'hôpital Saint-Charles à Carthagène des Indes. 1.° Sur soixante-dix hommes soumis à trois frictions huileuses par jour, soixante-huit g u é r i r e n t ; 2.° Quatre-vingt-treize s u j e t s ,

gravement

m a l a d e s , qu'on lui envoya dans u n e autre o c c a s i o n , furent aussi sauvés par le m ê m e procédé. Credat

doeus

Appella.

ju-


( 547 ) g a r a n t i s , dans la d e r n i è r e é p i d é m i e , p a r d e fré­ q u e n t e s frictions d'huile d'olive d o n t ils b u ­ vaient aussi u n e certaine quantité. E n 1805, M M . Alcaraz à A l i c a n t e , V e r d é à S a n - L u c a r de Barraméda, Delon à Cadix, ordonnaient en­ c o r e l'huile e n boisson c o m m e p r é s e r v a t i v e . L ' a u b e r g i s t e f r a n ç a i s , chez q u i j'ai l o g é à Vélez-Malaga, ayant g u é r i toute sa n o m b r e u s e fa­ mille en faisant p r e n d r e b e a u c o u p d'eau bouillie avec l'huile et le c i t r o n , m'a m o n t r é u n e c h a u ­ d i è r e qu'il mettait c h a q u e j o u r sur le feu p o u r p r é p a r e r la boisson d e ses e n f a n s , d e ses d o m e s ­ t i q u e s et la sienne. S u r les t r e n t e - s i x m a l a d e s atteints d e v o m i s ­ s e m e n t noir, qui e n t r è r e n t en 1804 à l'hôpital r o y a l d e la V e r a - C r u x , t r e n t e furent g u é r i s p a r d e s frictions d'huile c h a u d e . M a l g r é ces e x e m p l e s , ne nous h â t o n s p o i n t d ' a d m e t t r e les p r o p r i é t é s m é d i c a m e n t e u s e s de l'huile dans cette m a l a d i e ; il faut, sans d o u t e , bien d'autres o b ­ servations p o u r a d o p t e r u n e o p i n i o n à ce sujet. Q u o i qu'il en soit, nous pensons q u ' a p p l i q u é e à l ' e x t é r i e u r , il est possible qu'elle s'oppose à l'in­ t r o d u c t i o n des miasmes p a r la p e a u ; elle doit assouplir cet o r g a n e q u i , réagissant sur les vis­ cères i n t e r n e s , p e u t s y m p a t h i q u e m e n t en dimi­ n u e r la tension vicieuse. S o u s ce r a p p o r t , les

35*


( 548 ) bains d'huile conviendraient e n c o r e mieux. A l'intérieur, elle doit agir c o m m e laxative et cal­ mante. Sans c h e r c h e r à r é s o u d r e le p r o b l è m e de sa manière d'agir et de son efficacité, d'ailleurs fort é q u i v o q u e , disons qu'il existe d e vieilles t r a d i ­ tions qui sembleraient faire s o u p ç o n n e r q u e les m a r c h a n d s d'huile ne p r e n n e n t ni la fièvre j a u n e ni la peste : j'avoue néanmoins m o n in­ c r é d u l i t é , m e contentant d'exposer ce que j'ai a p p r i s , et d'ajouter q u e le d o c t e u r D . P a y r a Sarravia, médecin de l'hôpital d e St.-Sébastien à Écija, n'a point eu à se l o u e r de l ' h u i l e , n i c o m m e m o y e n curatif, ni c o m m e p r é s e r ­ vatif. A R T . VIII. De l'éther. Dans les potions q u e j'administrais à S a i n t - D o m i n g u e , je faisais en­ t r e r l'éther sulfurique à des doses variées, et je les augmentais progressivement l o r s q u e l'es­ t o m a c pouvait s'en a c c o m m o d e r . J e n'ose dire si ce médicament a eu un succès r é e l , et si j'en ai recueilli de grands avantages ; mais j'ai acquis la certitude q u e , dans certaines circonstances, il excitait du d é g o û t , et p a r cela m ê m e favorisait le vomissement. Dans les années 1793 et 1794, Chisolm a vu q u e l'éther sulfurique rendait à l'estomac son


(

549

)

état de t r a n q u i l l i t é , et le p r é p a r a i t à recevoir les autres m é d i c a m e n s . M . C o m o t o a o b t e n u à la V e r a - C r u z d e fort g r a n d s s u c c è s , en d o n n a n t p a r h e u r e p l u s d e c e n t gouttes d e cet é t h e r et soixante à soixante et d i x gouttes d e t e i n t u r e d ' o p i u m . Ainsi q u ' o n l'a p u v o i r , je c o m b i n a i s q u e l ­ quefois l ' o p i u m à des m é l a n g e s a p p r o p r i é s ; mais d o n n e r soixante et d i x g o u t t e s d e cette t e i n t u r e p a r h e u r e , eût été au-dessus d e mes forces. Cette q u a n t i t é p e u t être évaluée à q u a t r e o u c i n q grains d ' o p i u m , e t il faut ê t r e d ' u n e hardiesse peu c o m m u n e p o u r h a s a r d e r d e p a ­ reilles e x p é r i e n c e s . L ' é t h e r l u i - m ê m e , pris à t r o p h a u t e dose, p r o v o q u e la c h a l e u r et la p h l o gose d e l'estomac. D e s frictions d ' é t h e r sulfurique ou acétique sur l'estomac o n t s e m b l é c a l m e r parfois les m o u v e m e n s convulsifs d e cet o r g a n e . 1

2

A R T . IX. De l'opium. P o u r faire passer c e r ­ tains m é d i c a m e n s , tels q u e le q u i n q u i n a , le c a m p h r e , e t c , j'ai quelquefois e m p l o y é le l a u ­ d a n u m liquide : dans des cas d e vive irritation d e l ' e s t o m a c , je l'ai aussi associé a u x acides v é ­ g é t a u x , et cette combinaison est u n e d e celles 1

P. 369. —

2

M. de Humboldt, p. 7 8 1 , in-4.°.


( 550 ) q u i avaient le plus de succès. Dès les p r e m i e r s s y m p t ô m e s de p y r e x i e , l'opium, pris p a r quart de grain toutes les q u a t r e h e u r e s , a p u réussir à calmer les nausées, à prévenir les douleurs et à exciter la d i a p h o r è s e ; mais il fallait choisir p o u r cette administration un sujet n e r v e u x , ir­ r i t a b l e et qui fût tout-à-fait au début de l'at­ t a q u e . Engénération,sonemploi exige b e a u c o u p de circonspection; s'il calme d'une p a r t l'exci­ tabilité nerveuse, de l'autre il augmente les con­ gestions si communes dans cette m a l a d i e , et il p r o v o q u e les hémorragies. H i l l a r y , J a c k s o n , S c h o t t e , C o m o t o et Bruce en font l'éloge. Ce dernier prescrivait des lavem e n s antiseptiques et a n o d i n s , et u n e pilule composée de quatre grains d'extrait d'écorce. d u P é r o u , d'un grain de c a m p h r e et d'un grain, d'extrait t h é b a ï q u e à p r e n d r e chaque d e u x o u trois h e u r e s , jusqu'à ce que les m o u v e m e n s de l'estomac fussent un peu appaisés. N o u s venons de voir sous quelle autre forme il employait le m ê m e médicament. Mais W a r r e n , C u r r i e et Palloni en p r o s ­ crivent l'usage. W a r r e n a vu que l'opium augmentait l ' i c t è r e , affaiblissait le p o u l s , et provoquait la g a n g r è n e . C u r r i e assure qu'il accroît le vomissement.


( 551 ) A R T . x. Du camphre. Fortement recom­ mandé dans le typhus des hôpitaux et dans les fièvres adynamiques, le camphre n'a que fai­ blement soutenu sa réputation pendant notre épidémie, quoique ce soit une des substances dont on ait fait le plus d'usage, et qui peut-être est assez bien indiquée à cause de ses vertus cal­ mantes et diaphorétiques. Si le camphre obtient quelques succès dans la peste d'occident, ce ne peut être qu'en le faisant prendre à fortes doses, à moins qu'il ne soulève l'estomac, qu'il ne répugne aux m a ­ lades, ce qui n'arrive que trop souvent. J'en ai donné quelquefois un grain et demi toutes les deux heures, en l'associant à la thériaque ou à l'extrait de quinquina sous forme de pilules ; j'ai fait aussi des combinaisons avec le muriate de mercure doux, le nitrate de potasse et le j a l a p , dans la double intention de suspendre le m o u ­ vement antipéristaltique et de provoquer les évacuations alvines; mais toutes ces tentatives m'ont donné des résultats peu décisifs, et ne m'ont inspiré qu'une faible confiance, quoique M. Devèze ait assuré qu'en 1 7 9 3 , cette subs­ tance lui réussit parfaitement dans les deux pre­ mières périodes. A R T . XI.

Du

poivre. Le docteur Wright a


(

552 )

d o n n é une espèce de capsicum en pilules, avec un succès m a r q u é ; et, lors m ê m e que le vomisse­ m e n t noir existait, ce r e m è d e a sauvé les m a ­ lades . C'est p r o b a b l e m e n t d e là q u e M . Cabanellas a e m p r u n t é cette pratique qu'il nous a tant vantée à C a r t h a g è n e . Il désignait la plante qu'il d o n n a i t , sous le nom de poivre de Cayenne. Gillespie assure aussi q u ' u n e simple infusion de g i n g e m b r e était souvent r e t e n u e p a r l'es­ t o m a c , lorsqu'un autre b r e u v a g e ne pouvait être supporté . ART. XII. Ammoniaque liquide. Quelques essais sur l'ammoniaque liquide ne nous o n t rien a p p r i s ; des malades ont g u é r i avec ce m é ­ dicament. Voyez les obs. 4 , 7 , 8, 9; et beau­ c o u p d'autres sont m o r t s , quoiqu'ils en fissent usage. L'idée d'assimiler le poison de la fièvre jaune à celui de la v i p è r e , puisqu'il p r o d u i t quelques-uns de ses effets, m'avait inspiré celle d'utiliser celte préparation ; mais on ne peut rien assurer de ses effets. 1

2

SECTION

Résumé

général

du

V.

traitement.

L a n a t u r e , en partageant le cours total de la 1

Practical observations on the treatement of acute diseases of the west indies. — P . 8 3 . 2


( 553 ) fièvre jaune en trois p é r i o d e s b i e n d i s t i n c t e s , paraît avoir fait la division la plus raisonnable de la m é t h o d e t h é r a p e u t i q u e . E n effet, le p r e ­ m i e r stade est un t e m p s d'irritation inflamma­ toire ; le d e u x i è m e , un t e m p s d e s t u p e u r ; le t r o i s i è m e , un t e m p s d e d é c o m p o s i t i o n . R i e n de plus s é d u i s a n t , en a p p a r e n c e , p o u r les indica­ tions c u r a t i v e s , q u e ces formes r é g u l i è r e s ; mais b i e n t ô t l ' e x p é r i e n c e a p p r e n d q u e les causes étant aussi n o m b r e u s e s q u e c o m p l i q u é e s , et q u e les lésions b r u s q u e s des o r g a n e s et d e la vitalité étant aussi p r o f o n d e s q u e variées, les lois sur le t r a i t e m e n t n e sauraient ê t r e assujéties à des règles fixes, c o m m e d a n s les maladies q u i reconnaissent des élémens plus simples. L a p r e m i è r e é p o q u e offre bien t o u s les c a r a c ­ tères des phlegmasies i n t e r n e s : mais si, p o u r e n a r r ê t e r les p r o g r è s , on e m p l o i e les débilitans t r o p actifs, l'affaiblissement a r r i v e t o u t - à - c o u p . L a d e u x i è m e p r é s e n t e tous les c a r a c t è r e s d e la sthénie associés à ceux d e la s t u p e u r nerveuse : mais l'emploi irréfléchi des excitans p e u t a c ­ c é l é r e r l'invasion de la troisième p é r i o d e ; enfin, c e l l e - c i , t o u t e consacrée à l'abolition des p r i n ­ cipes de la v i e , à la séparation de ses forces h a r m o n i q u e s , paralyse les puissances médicales, et m è n e r a p i d e m e n t à u n e fin t r a g i q u e .


(

554

)

L a division thérapeutique de Makittrick offre plusieurs points de ressemblance avec celle que nous venons d'indiquer. Ce praticien qui c o n ­ sidérait d e u x états distincts dans le vomissement n o i r , l'inflammatoire et le p u t r i d e , a de m ê m e p r o p o s é d e u x espèces de moyens curatifs ; sa­ v o i r : ceux qui a r r ê t e n t la diathèse inflamma­ t o i r e , et ceux qui c o r r i g e n t la diathèse p u t r i d e ; de plus il a ajouté un troisième o r d r e d e m é d i ­ c a t i o n , destiné à mitiger à p r o p o s les s y m p ­ tômes les plus graves . 1

Jackson avait aussi indiqué trois espèces d e t r a i t e m e n t , fondés sur les trois espèces de fièvre qu'il admettait ; et d e r n i è r e m e n t Palloni a p r o ­ posé troisindications différentes à r e m p l i r , d o n t la p r e m i è r e est destinée à c o m b a t t r e les s y m p ­ t ô m e s d'irritation vasculaire; la s e c o n d e , les. symptômes gastriques ; et la troisième, les symp­ t ô m e s nerveux . I n d é p e n d a m m e n t d e ces divisions naturelles q u ' o n peut p r o p o s e r p o u r jeter q u e l q u e jour sur le t r a i t e m e n t , nous croyons qu'il est i m ­ p o r t a n t de signaler les analogies e n t r e cette maladie et celles q u i ont des points de c o n n e x i o n avec elle. O n t r o u v e r a , dans les moyens cura2

1

P.

135.

2

P. 16 et

174.


( 555 ) tifs d e la p e s t e , du t y p h u s des h ô p i t a u x , et m ê m e du s c o r b u t c o n f i r m é , q u e l q u e s faibles ressources c o n t r e la fièvre j a u n e ; mais, jusqu'ici, ces sortes de r a p p r o c h e m e n s n ' o n t pas p r o d u i t tout le bien q u ' o n pouvait en e s p é r e r , et m ê m e q u ' o n avait d r o i t d'en a t t e n d r e . M . V a l e n t i n est u n des p r e m i e r s q u i aient c h e r c h é à t i r e r q u e l q u e s i n d u c t i o n s des points d e contact qui existent e n t r e n o t r e maladie et le s c o r b u t . « L a fièvre j a u n e , q u i n'était pas p r o b l é m a t i q u e dans l ' é q u i p a g e d e l ' E x p é r i m e n t , dit cet é c r i v a i n , a un r a p p o r t é v i d e n t a v e c la constitution scor­ b u t i q u e , etc. » Un a u t e u r s'est a p p r o p r i é cette i d é e , sans en faire h o m m a g e au d o c t e u r V a ­ lentin d o n t l ' o u v r a g e était i m p r i m é plusieurs a n n é e s a u p a r a v a n t . Mais ce n'était pas la p e i n e d e se faire un m é r i t e d e ce r a p p r o c h e m e n t ; car les ressemblances s o n t si fugitives, m a l g r é les h é m o r r a g i e s et les taches ; elles sont liées à des causes si dissemblables et à u n e m a r c h e si o p ­ p o s é e , qu'il y aurait du d a n g e r à vouloir t r o p insister sur ces faibles analogies p o u r f o n d e r u n e m é t h o d e d e traitement. 1

première 1

P.

81.

e r

1 . Moyens à employer contre la période. Si elle est caractérisée p a r la

ARTICLE


( 556 ) sthénie et la phlegmasie des o r g a n e s , il c o n ­ viendra d'employer p r o m p t e m e n t les moyens affaiblissans mis en usage avec m é n a g e m e n t , et d e manière que leur plus ou moins d'activité soit s u b o r d o n n é e aux règles connues d e l ' a r t , et dont les principales sont les suivantes. Disons d ' a b o r d , avec tous les praticiens e x ­ périmentés, q u e les épidémies ne se ressemblent p a s , q u o i q u e les maladies qui les constituent p o r t e n t avec elles tous les caractères g é n é r a u x q u i forcent à leur d o n n e r la m ê m e d é n o m i n a t i o n , et à les r a n g e r dans la m ê m e classe. S i les praticiens n'avaient pas m é c o n n u ce p r é ­ c e p t e , et s'ils s'étaient assujétis a u x lois sévères d e l'analyse, ils auraient a p e r ç u qu'il est des épidémies de fièvre jaune où les caractères in­ flammatoires sont plus m a r q u é s , et d'autres o ù ils ne sont qu'extérieurs et p r o p r e s à en im­ poser. Dans le p r e m i e r cas, la saignée souffre de plus fréquentes applications ; dans le s e c o n d , elle est nuisible. Il ne fallait d o n c pas établir qu'elle était constamment nécessaire. N o n seu­ lement ce p r é c e p t e est applicable aux épidémies c o m p a r é e s entre e l l e s , mais il l'est e n c o r e aux cas particuliers de celle qui domine. S u p p o s o n s q u e , dans celle-ci, la saignée soit généralement funeste, et admettons qu'il se p r é s e n t e un jeune


( 557 ) homme livré aux boissons spiritueuses, d'un tempérament robuste et sanguin, ayant une cé­ phalalgie violente, les yeux très-rouges, un fort battement dans les tempes, la face a n i m é e , la bouche sèche, une soif vive, la respiration halitueuse, la chaleur brûlante, le pouls élevé, plein, d u r , fréquent ; les urines rouges et chaudes au passage ; de fortes douleurs aux m e m b r e s , avec une espèce de gonflement sur la peau; une douleur prononcée dans un or­ gane interne qui se soulève en tumeur circons­ crite et qui ne peut souffrir le tact le plus léger: ces symptômes, qui ne sont pas rares, étant donnés, pourrons-nous ne pas ouvrir la veine ? D'autre part, si le malade a, dès l'invasion, les symptômes de l'affection gastrique, tels que le contour des lèvres et des ailes du nez d'un jaune pâle; la langue humide, chargée et cou­ verte d'un enduit qui semble vouloir se dé­ tacher ; des nausées, sans efforts répétés de vomissemens, et surtout sans douleur au scrobiculum cordis; une diarrhée bilieuse; des urines jaunes ou très-chargées ; enfin s'il est dans cet état que les auteurs ont désigné sous le nom de turgescence supérieure, et que la constitution régnante prête à l'idée d'une affection gas­ t r i q u e , alors ou peut hasarder un vomitif


( 558 ) d'ipécacuanha, en ne perdant pas de vue que les moyens de ce g e n r e , donnés à c o n t r e - t e m p s , augmentent les dispositions au vomissement et les perpétuent jusqu'à la fin de la maladie. L a divergence des opinions sur l'usage du quinquina atteste q u ' o n ne s'est point e n c o r e entendu sur les circonstances q u i e x i g e n t son e m p l o i , et que p r e s q u e toujours il a été p r e s ­ crit empiriquement. Ce que nous en avons dit suffira p o u r d é t e r m i n e r les lois de son applica­ t i o n ; j'ajouterai seulement q u e , p o u r p r é v e n i r ses effets nuisibles, il convient de se former u n e idée d e l'état de la maladie avant son a d ­ ministration dans la p r e m i è r e p é r i o d e . E n sup­ posant l'irritation poussée à un t r o p haut degré, on s'en abstiendra : si les symptômes d u d é b u t a n n o n c e n t une g r a n d e d é b i l i t é , on p o u r r a in­ sister plus activement sur son emploi. D a n s le traitement de celte p r e m i è r e p é r i o d e , il est une considération de la plus h a u t e im­ p o r t a n c e qu'on ne doit p a r p e r d r e un instant de vue ; je veux parler de la p r é d o m i n a n c e de l'affeclion n e r v e u s e , qui est toujours plus o u m o i n s p r o n o n c é e : on s'en défiera chez les sujets d'une mobilité active, d'une sensibilité exquise, et q u e des causes m o r a l e s , la t e r r e u r s u r t o u t , disposent plus particulièrement aux lésions d u


( 559 ) système c é r é b r a l et sensitif. Il faut c o n v e n i r q u e les cas où cette lésion a lieu sont les plus fréq u e n s , et q u ' a l o r s il serait d a n g e r e u x d ' e m ­ p l o y e r les saignées o u les vomitifs, tandis q u e les é t h e r s , les teintures d e succin, d e c a s t o r , le m u s c , le c a m p h r e , seuls o u associés, c o n v i e n ­ nent beaucoup mieux. C e fut aussi cette p r é d o m i n a n c e d e l'action c é r é b r a l e qui m e d é t e r m i n a , en 1802, à faire u n usage f r é q u e n t des bains f r o i d s , e t , dans d ' a u t r e s c a s , des bains c h a u d s alternés avec les f r o i d s , et m ê m e d'applications d e vinaigre sur la t ê t e . Si je ne r e t i r a i p a s de cette m é t h o d e t o u t l'avantage q u e j'en e s p é r a i s , je p o u r r a i s l ' a t t r i b u e r à cette série d e circonstances fâ­ cheuses qui n o u s a c c a b l a i e n t au C a p , et qui mettaient d e n o m b r e u x obstacles à l ' e m p l o i des m o y e n s les plus r e c o m m a n d é s . A p r è s avoir r e m p l i ces p r e m i è r e s indications, il faut se h â t e r de faire p r e n d r e des boissons adou­ cissantes, mucilagineuses ou acidules selon le b e s o i n , et s u r t o u t celles q u i sont l é g è r e m e n t laxatives, sans o u b l i e r les applications et f o ­ m e n t a t i o n s émollientes sur l ' a b d o m e n . J e crois e n c o r e i m p o r t a n t d e signaler u n e r e m a r q u e p r a t i q u e d o n t l'oubli p o u r r a i t e x ­ p o s e r à de fâcheuses c o n s é q u e n c e s : c'est q u e ,


( 560 ) la maladie, tout en conservant sa m ê m e m a r c h e , son p r e m i e r t y p e , ainsi que son caractère con­ t a g i e u x , est susceptible de v a r i e r , dans le cours d'une épidémie de trois mois, de telle sorte q u e le m ê m e médicament qui a réussi dans le c o m ­ m e n c e m e n t , n e p r o d u i r a a u c u n effet à la fin, et qu'il sera m ê m e contraire. Ainsi le d o c t e u r Rush atteste q u e , p e n d a n t l'épidémie de 1793, les stimulans, le q u i n q u i n a , le v i n , les bains froids, convenaient moins dans les mois d'août et de s e p t e m b r e q u e dans les suivans, lorsque la maladie se fut dépouillée des signes extérieurs et c o m m u n s d e la diathèse inflammatoire P o u r bien juger le caractère de l'affection r é g n a n t e , il faut se souvenir des maladies q u i o n t p r é c é d é ; de la constitution a t m o s p h é r i q u e q u i a d o m i n é , et en général de toutes les causes q u i ont eu quelque influence sur la p r o d u c t i o n d e l'épidémie. L a p l u p a r t des praticiens n'ont considéré le typhus d'occident q u e dans ce qu'il était p a r l u i - m ê m e , sans s'attacher aux circons­ tances accessoires qui p r o v o q u e n t son dévelop­ p e m e n t ou modifient son génie, et sans s'occuper d e la succession de ses symptômes. O n p e u t consulter sur ce sujet le d o c t e u r Hillary qui 1

P . 283.


( 561 ) avait vu que le typhus d'Amérique est toujours plus aigu et plus inflammatoire après une saison très-chaude A R T . I I . Moyens

a opposer à la

deuxième

période. C'est à détruire l'état de stupeur d o ­ minant dans la deuxième p é r i o d e , que doivent s'appliquer toutes les ressources de l'art. Il importe d'autant plus de le combattre, et de ne pas se reposer sur Une apparence de calme, que cet état prépare sourdement le dernier temps ou celui de dissolution. Il semble que toutes les forces des causes destructives se réunissent pour attaquer les principes de la vie avec une vigueur toute nouvelle ; ce silence singulier en impose facilement à celui qui n'a pas l'habitude de ces maladies : c'est le Calme précurseur des orages ; malheur au médecin qui, trop con­ fiant, abandonne le gouvernail ! il sera brisé par la tempête avant qu'il ait le temps de le ressaisir. Lors donc que cet état se manifestait; quand les symptômes inflammatoires disparaissaient tout-à-coup, je me hâtais d'employer les toniques et les stimulans. On remarquera que plus la première période était accompagnée de symp­ tômes intenses, plus la deuxième était abrégée , et plus la troisième était violente et rapprochée 1

P . 147.

36


( 562 ) de la première. De sorte qu'il convenait d'appaiser la grande effervescence manifestée dans l'invasion, et de la réveiller dans le deuxième temps, afin que le passage d'une période à l'autre fût moins tranché, afin de les égaliser autant que possible, de les niveler, s'il est per­ mis d'employer une semblable expression. C'est ce qui justifie l'usage modéré des débilitans au début, quoique celui des toniques recommandé dans la deuxième époque paraisse impliquer contradiction L'élément nerveux et adynamique prédo­ minant ici, c'est le moment de placer le quin­ quina avec le camphre, l'éther et la serpentaire, l'extrait de quinquina et ses teintures, le vin et l'élixir sulfurique de Minsicht, etc. 2

1

O n l i t , dans l'ouvrage de C h i s o l m , T . I , p. 1 9 1 :

l'issue était d'autant plus

favorable que les

symp­

t ô m e s de la diathèse inflammatoire continuaient plus l o n g - t e m p s , pourvu que leur violence

n'augmentât

p a s progressivement. Ce p r o n o s t i c , fondé sur l'expé­ rience,

confirme

la méthode thérapeutique que j'ai

e m p l o y é e e t que je propose. 2

Je prends ici le m o t adynamique dans son accep-

t i o n r i g o u r e u s e , et je n e lui prête point l'extension donnée par M. P i n e l , quoique dans d'autres passages j'aie employé la m ê m e expression selon les idées de c e t illustre m é d e c i n .


( 563 ) J ' a p p l i q u a i s aussi des vésicatoires et des sinap i s m e s q u e je p r o m e n a i s sur la surface d u c o r p s c o m m e rubéfians; la m o u t a r d e me paraissait p r é f é r a b l e . C'est alors qu'il convenait d ' o r d o n n e r les bains d e q u i n q u i n a , d'user d e lotions froides, d e faire passer d u bain c h a u d d a n s le froid, et vise versa. Il fallait moins p r o v o q u e r les évacuations divines q u e dans la p é r i o d e p r é c é d e n t e , p a r c e qu'elles affaiblissaient et qu'elles p o u v a i e n t ac­ c é l é r e r l'invasion d u d e r n i e r s t a d e , p a r des d i a r r h é e s colliquatives o u t r o p violentes. Mais c e q u i p r o u v e r a i t q u e d e douces évacuations étaient u t i l e s , c'est q u ' o n en o b s e r v a d e n a ­ turelles qui furent critiques. Q u a n t au vomis­ s e m e n t , ce n'était plus sa p l a c e , et l ' o n se serait e x p o s é , en le mettant en usage, à voir r e n a î t r e des nausées mal éteintes qui n ' a u r a i e n t fini q u ' a v e c la m o r t . C e p e n d a n t l'administration des m é d i c a m e n s p r o p o s é s dans cette p é r i o d e , était s u b o r d o n n é e a u x règles générales et c o n n u e s ; et si l'on a p e r ­ cevait la p r é d o m i n a n c e t r o p m a r q u é e d'une complication particulière, il i m p o r t a i t d'associer s a g e m e n t les m o y e n s p r o p r e s à la c o m b a t t r e , avec ceux qui étaient r e c o n n u s efficaces c o n t r e l'état a c t u e l , en n e p e r d a n t jamais de vue les 36 *


( 564 )

contre-indications nombreuses que l'expérience faisait naître. A R T . III. Moyens

qui conviennent

dans

la

troisième période. Il serait difficile d'établir, pour cette époque, des règles fixes de traite­ ment, parce qu'elle se compose de symptômes disparates, et d'un désordre tel, que les lois de la médecine dogmatique ne trouvent plus que de vagues applications. Les sources de la vie sont épuisées ; les organes sont profon­ dément lésés, soit dans leur texture, soit dans leur constitution primordiale ; il semble que le mal ne se soit attaché qu'aux élémens et aux soutiens de l'existence ! il les a sapés, minés, dans les deux premières périodes, et il fait son explosion dans la troisième pour renverser totalement l'édifice. Le peu de succès de l'art, lorsque la maladie est parvenue à ce degré, démontre mieux que tous les raisonnemens de quel intérêt il est qu'on s'efforce de prévenir cette dégénérescence, en appliquant promptement les moyens les plus efficaces. Mais lorsque tout a été inutile, il ne faut pas encore désespérer. Nous avons dit au pronostic qu'on avait vu quelquefois des résurrections miraculeuses, parce qu'elles arrivaient chez des espèces de cadavres qui


( 565

)

paraissaient n'être plus animés que par un souffle fugitif. C'est donc ici le cas d'insister sur les remèdes recommandés pour la deuxième période, et d'en augmenter les doses ou de les réitérer. Tout ce qui est connu dans la matière médicale sous les noms de toniques, d'antiseptiques, de stimulans , appartient à ce stade de décom­ position, à moins que des idiosyncrasies par­ ticulières ne mettent des obstacles à leur administration : en même temps on attaquera les symptômes dominans et dangereux, et l'on ajoutera lessecours voulus par les circonstances accessoires, soit pour soutenir les forces, soit pour ramener vers les extrémités la chaleur qui les abandonne. Ainsi les fomentations 1

1

M o u l t r i e proscrit les a l c a l e s c e n s , l e s s p i r i t u e u x , l e s

a r o m a t i q u e s , p . 1 8 3 . Cette r è g l e nous a paru t r o p g é n é ­ rale. W a r r e n a d o n n é dans un e x c è s o p p o s é , p . 4 5 e t suiv. F i d è l e à son opinion sur l'origine p e s t i l e n t i e l l e de l a fièvre de la B a r b a d e , il supposait qu'elle devait être traitée c o m m e l a peste d ' A f r i q u e , et il proposait a v e c confiance des m é d i c a m e n s que la routine procla­ m a i t alors c o n t r e

cette

dernière. P o u r n o u s ,

c'est

e n c o r e un p r o b l è m e , si la peste doit ê t r e traitée e m p i riquement, siècles.

comme

ou

le faisait dans les

derniers


( 566 ) toniques et chaudes avec le vin aromatique, l'eau-de-vie c a m p h r é e ; les briques c h a u d e s , les flanelles placées à la vapeur des résines aro­ m a t i q u e s , p o u r envelopper les pieds qui se glacent, sont parfaitement appropriées dans cet état fâcheux. J'ajouterai q u e , tout en remplissant les p r é ­ cédentes indications, il ne faut pas négliger les complications primitives de la fièvre, ni le génie d e la constitution régnante. Si la maladie a d é b u t é avec un appareil bilieux, on c o m b i n e r a les acides dans tout le cours du t r a i t e m e n t ; si c'est l'élément m u q u e u x , on associera les substances amères, salines, la magnésie décarb o n a t é e , le c a c h o u , etc. Enfin on o r d o n n e r a i t les antispasmodiques, avec les autres médic a m e n s , si l'on avait à c o m b a t t r e les s y m p ­ tômes nerveux. Mais toutes ces subtilités de la médecine théorique sont infiniment difficiles à saisir. Oserait-on m ê m e r é p o n d r e qu'elles, fussent bien dans les vues de la nature? SECTION

Du régime

VI.

diététique.

Les formes de la fièvre j a u n e , la rapidité de sa m a r c h e , l'appareil effrayant de ses symp-


( 567 )

tomes, ne laissent aucun doute sur l'inutilité et le danger des alimens, même de la plus fa­ cile digestion, pendant qu'elle existe : si néan­ moins on croyait devoir soutenir le malade, on le ferait avec des crêmes de riz fort claires, les potages de salep, de sagou, de fécule de pomme de terre et quelques cuillerées de bon vin ; mais je dois prévenir que, pendant la durée du mal, la nourriture, quelque légère qu'elle soit, ne réussit jamais; et une chose bien digne d'attention, c'est que le bouillon gras, alors même qu'on le croit le mieux in­ diqué, augmente ou réveille les nausées d'une manière sensible, et que je ne l'ai jamais pu ad­ ministrer sans avoir eu à m'en repentir. Ceux donc qui proposent avec confiance un régime alimentaire dans une maladie violente dont la durée n'est que de cinq à sept jours, perdent abso­ lument de vue son caractère aigu et la rapidité de ses périodes; ce ne serait tout au plus qu'après le septième jour, et lorsque tout annonce une heureuse terminaison, qu'on pourrait se per­ mettre quelques fortifians ; et encore faudraitil, à une époque aussi rapprochée du danger, les rendre en quelque sorte médicamenteux, « comme en aiguisant les bouillons avec du suc de citron, etc.


( 568 ) SECTION

VII.

Convalescence. La convalescence qui arrive c o m m u n é m e n t d u 7 au 1 0 , est e n c o r e un état g r a v e ; c'est dire quels ménagemens elle exige. B e a u c o u p de malades languissent p e n d a n t plusieurs mois et m e u r e n t d'une d i a r r h é e , d'une fièvre l e n t e , d ' u n e toux consomptive ; d'autres p e r d e n t entièrement leurs facultés digestives; et lorsque les rechutes, ont l i e u , elles sont mortelles. Il existe d o n c trois grandes précautions à p r e n d r e à la suite d e ce g e n r e de typhus ; la p r e m i è r e consiste à continuer l'usage m o d é r é des m o y e n s médicaux qui ont servi à d o m p t e r ce m a l , avec l'attention d'en diminuer p r o ­ gressivement les doses : la deuxième, à éloigner p r o m p t e m e n t les convalescens des lieux où ils o n t été frappés, à les envoyer dans des q u a r ­ tiers sains p o u r respirer l'air frais des collines et des m o n t a g n e s , ou m ê m e à les e m b a r q u e r p o u r les laisser l o n g - t e m p s en m e r ; seul m o y e n d e guérir b e a u c o u p d'individus dans les A n ­ tilles, et n o t a m m e n t ceux qui sont atteints de ténesme. N o u s faisions partir les militaires du C a p , p o u r le centre de l'île de la T o r t u e , p o u r


( 569 ) M o n t e - C h r i s t , p o u r S a n - Y a g o , c o n t r é e s assez s a i n e s , dans lesquelles n o u s avions eu soin d'é­ t a b l i r des h ô p i t a u x de convalescens. L a t r o i ­ sième p r é c a u t i o n c o n c e r n e les facultés d i g e s tives qu'il i m p o r t e de m é n a g e r , et les appétits qu'il faut m o d é r e r ou d i r i g e r à p r o p o s . L e s c o n s o m m é s , les p o t a g e s dont je viens d e p a r l e r ; le c h o c o l a t a r o m a t i s é p a r la vanille o u la c a n n e l l e , et aussi p a r une cuillerée à café d'eau de fleurs d ' o r a n g e r , dans c h a q u e t a s s e , c o n v i e n n e n t à merveille. O n aide la digestion d e ces substances alimentaires p a r le vin d e B o r d e a u x , le meilleur des vins e n A m é r i q u e ; c e u x d ' E s p a g n e , l'Alicante, le M a l a g a , le X é r è s , le R o t a , sont bien i n d i q u é s ainsi q u e le café à l'eau. O n passe ensuite à une n o u r r i t u r e plus s u b s ­ tantielle, telle q u e le b l a n c d e p o u l e t , le poisson ; p u i s au m o u t o n r ô t i , au gibier à chair b l a n c h e , enfin au b œ u f , d o n t on a u g m e n t e p e u à p e u les quantités. Il vaut m i e u x , dans la convalescence, faire plusieurs petits r e p a s p e n d a n t la j o u r n é e , q u e d e s u r c h a r g e r l'estomac p a r u n seul q u i soit c o p i e u x . C'est u n e règle g é n é r a l e qui s'applique à l'état de s a n t é , c o m m e à celui de maladie. L e s forces digestives étant d a n s un état d e g r a n d e d é b i l i t é , on agira sagement en faisant,


( 570 ) les premiers m o i s , des frictions sèches et a r o ­ m a t i q u e s , sur la région abdominale ; on fa­ vorisera les g a r d e r o b e s par des demi-lavemens; ou on les m o d é r e r a , s'il est nécessaire, p a r des substances toniques et o p i a t i q u e s , administrées selon l'art. E n g é n é r a l , les amers conviennent merveil­ leusement dans la convalescence; ils augmentent les facultés digestives, corrigent la d é g é n é r e s ­ cence bilieuse, et fortifient les organes dont la faiblesse, ou primitive ou consécutive, avait déterminé la jaunisse.


CHAPITRE

De la Médecine SECTION

X.

prophylactique. PREMIÈRE.

Mesures qui paraîtraient les plus convenables pour prévenir l'introduction du typhus d'A­ mérique en Europe.

A P R È S avoir essayé de prouver que le typhus occidental peut, dans une foule de circons­ tances dont les effets ne sauraient être calcu­ lés, devenir contagieux, il nous reste à établir les moyens les plus capables d'opposer des o b ­ stacles à son inoculation parmi nous, ou à sa propagation chez des peuples qui lui sont encore étrangers. En admettant que la fièvre jaune est originaire de l'Amérique, ou simplement que son foyer est dans les régions occidentales, son introduction en Europe ne saurait se faire qu'au moyen d'un vaisseau : ce qui justifiera la division du littoral


( 572 ) en partie méridionale et en partie s e p t e n t r i o ­ nale : division i m p o r t a n t e dont il faudra d é m o n ­ t r e r la nécessité. Soit donnée une ligne imaginaire q u i , de l'est à l'ouest s'étendant sous les 46° de latitude sep­ tentrionale, passerait au n o r d de la K r i m é e , laisserait au sud la m e r N o i r e , la T u r q u i e e u r o ­ p é e n n e , la G r è c e , les îles de l'Archipel, la m e r A d r i a t i q u e , l'Italie, la M é d i t e r r a n é e , les P y r é ­ nées, en y c o m p r e n a n t P e r p i g n a n , Bayonne et Bordeaux, et irait t o m b e r sur les îles d ' O l é r o n et de R é : plus au n o r d , s'il y avait e n c o r e des ports voisins p o u r lesquels o n conçut des crain­ t e s , ou p o u r r a i t , p a r un excès de p r é c a u t i o n , la p r o l o n g e r jusqu'à l'entrée de la M a n c h e , et Brest serait alors renfermé dans la section d u sud où la fièvre jaune est susceptible de p é n é ­ t r e r T o u t ce qui serait au-dessus de cette ligne 1

Pendant les années 1802 et 1803, on a v u , dans le

port de Brest, un assez grand

n o m b r e de

malades

atteints du typhus d'Amérique; ils venaient tous des Antilles françaises : quelques personnes de la chargées de la s u r v e i l l a n c e , reçurent la

ville,

contagion;

cependant elle ne s'étendit ni dans le port ni dans la cité. Il faut attribuer c e b o n h e u r un peu à la b o n n e administration, et beaucoup à la latitude qui n'est pas favorable à l'accroissemeut de cette maladie.


( 573 )

appartiendrait à des régions inaccessibles à cette maladie. Les motifs de cette division, suffisamment établis dans les chapitres précédens, sont fondés sur ce qu'au-dessus du 46 . degré de latitude septentrionale, on n'a jamais aperçu les traces du typhus américain, qui même n'a point pé­ nétré dans le Canada, respectant l'embouchure du fleuve Saint - Laurent comme sa barrière naturelle, quoiqu'il ait souvent régné dans son voisinage avec toute la férocité dont il est sus­ ceptible. Lind dit quelque part que des malades atteints de fièvre jaune, et débarqués sans pré­ caution dans les ports de l'Angleterre, n'y ont jamais porté aucune infection. O r , en admettant le principe que la fièvre jaune, pour se propager, a besoin d'une cer­ taine condition atmosphérique renfermée dans les 46 premiers degrés, on conçoit qu'il devient inutile de prendre des précautions dans les ports de la Manche, de la mer du Nord, de la mer Baltique, et en général dans ceux qui sont au-dessus de la ligne de démarcation qui vient d'être tracée. Mais en donnant une plus grand extension à ces idées, et en supposant, contre toute vrai­ semblance, qu'elle peut atteindre une latitude e


(574)

supérieure aux limites indiquées, alors de nou­ veaux obstacles vont la refouler dans le sud : car, ainsi qu'il a été dit, une autre condition de son développement est qu'il n'ait lieu qu'en été ou en automne sous les zones tempérées. Ainsi, la sûreté de la France semblerait exiger que les navires américains n'eussent une liberté illimitée que pour les ports de la Man­ che et de la mer du Nord. Là, on leur permet­ trait d'aborder à toutes les époques de l'année, sans les assujétir aux quarantaines en hiver ni au printemps, et en ne leur imposant qu'une épreuve peu rigoureuse dans les autres saisons. Examinons maintenant ce qu'on peut faire dans le sud de la ligne qui a été tracée : Les ré­ gions que renferment ces premiers degrés étant celles que la peste américaine peut infecter, les vaisseaux n'y seraient reçus que depuis le premier décembre jusqu'au commencement de juin; passé ce terme, on ne les admettrait plus. Toutefois, si le commerce murmurait, si les intérêts des peuples et la politique des gouverriemens ne pouvaient tolérer des lois aussi rigou­ reuses, alors on les modifierait ainsi qu'il suit : les mois de juillet, août et septembre, comme les plus dangereux, formeraient la classe de ceux où l'interdiction serait absolue; et, dans


( 575 )

le cours des quatre autres, on établirait des qua­ rantaines de deux ou trois mois, lors même qu'il n'y aurait pas eu de malades dans la tra­ versée; ce qui obligerait de mouiller de pré­ férence dans les ports où les lois sanitaires ne seraient pas observées avec la même rigueur. La sévérité des quarantaines devrait être aussi proportionnée aux indices que fourniraient le lieu ou l'époque que le capitaine aurait choisis pour quitter l'Amérique. S'il était parti de la zone torride, les épreuves seraient tou­ jours fort longues; s'il avait mis à la voile sous la zone tempérée, on se réglerait sur l'époque du départ. Ainsi, en le supposant sorti de Philadelphie, pendant les mois chauds qui assimilent momentanément cette contrée à celles des tropiques, la retenue serait sévère et longue; mais beaucoup moins s'il s'était éloigné du port suspect, dans un de ces mois sous l'influence desquels la fièvre jaune ne peut jamais paraître, c'est-à-dire depuis janvier jusqu'au 3o mai. Il semble que de pareilles mesures concilient la sûreté des nations et les libertés voulues par le commerce : conformes aux intérêts du plus grand nombre, elles ne froisseront jamais les hommes qui sont pénétrés de quelque amour pour leurs semblables. L'avidité seule les repous


( 576 ) sera, mais l'égoïsme n'est susceptible d'aucun sentiment. Pour apprécier les nombreux avan­ tages de semblables réglemens, il faut une raison froide ; et, pour cela, il importe de ne point s'a­ dresser aux parties intéressées. Rien ne prouve que la peste occidentale ne soit pas maintenant naturalisée en Espagne : ses retours ont été si fréquens vers les premières années de ce siècle, qu'il y aurait de l'impru­ dence à ne pas considérer la péninsule comme appartenant aujourd'hui aux régions qui renferment les foyers de ce mal. Cependant on sait qu'il n'a paru et n'a pu s'étendre que dans les provinces du sud et du sud-est, de même aussi qu'il ne fait explosion qu'en été et en automne. Cette vérité une fois admise, il en résultera que la garantie de nos départemens limitrophes et maritimes ne réclamera les mesures proposées que depuis le mois de juillet jusqu'au mois de novembre, et seulement dans nos relations avec le sud ou l'est de l'Ibérie. Il serait en effet aussi inutile qu'injuste d'empê­ cher les habitans de la Biscaye, de la Navarre, des Castilles, de l'Arragon, de la Catalogne, de Léon, de la Galice et des Asturies d'entrer librement chez nous, et d'y introduire leurs effets, puisqu'étrangers jusqu'ici à la fièvre


( 577 ) j a u n e , tout atteste q u e p r o b a b l e m e n t ils n'en seront jamais affligés. G o m m e dans les ports d e T o u l o n et d e M a r ­ seille, des lois sanitaires t r è s - c o n n u e s sont exé­ cutées avec autant d'intelligence q u e de s c r u p u l e , il faut nécessairement i n t e r r o g e r le C o d e qui les r e n f e r m e , p o u r en connaître et a p p l i q u e r les détails qui seraient déplacés dans cet o u v r a g e . C e qu'il i m p o r t e d ' é n o n c e r , ce sont les données q u e fournit la fièvre jaune considérée dans son g é n i e , sa m a r c h e , ses a l l u r e s , et dans les c o n d i ­ tions principales d e son d é v e l o p p e m e n t . Après des méditations profondes sur ces divers sujets, o n p a r v i e n d r a à concilier les i n t é r ê t s des uns avec la sûreté de t o u s , en p r o p o s a n t une g r a n d e l i b e r t é p o u r certains p o r t s , ou p o u r certaines provinces q u i paraissent i n h a b i l e s , q u ' o n m e p a r d o n n e ce l a n g a g e , à faire g e r m e r ou éclore les miasmes contagieux. SECTION

II.

Des mesures locales lorsque le typhus quelque part.

a

pénétré

Dès q u ' o n s o u p ç o n n e son e x i s t e n c e , il faut établir des c o r d o n s de troupes q u i s'opposent 37


( 578 ) à l'émigration, et se hâter d e c o n s t r u i r e , aux avant-postes, des lazarets destinés à servir d'é­ preuves à ceux qui, sans être malades, voudraient franchir la ligne et voyager dans l'intérieur des provinces. Ce serait mal connaître la n a t u r e d e cette fièvre q u e d e resserrer les c o r d o n s de m a ­ n i è r e à e m p ê c h e r absolument toute sortie d ' u n e c o n t r é e infectée : il est au contraire p r u d e n t d e tolérer et m ê m e de r e c o m m a n d e r a u x habitans qu'ils s'éloiguent le plus p r o m p t e m e n t possible, afin qu'ils se r é p a n d e n t dans la c a m p a g n e ; c a r p l u s les individus se disséminent, moins le vo­ missement noir est d a n g e r e u x et p o u r eux et p o u r leurs voisins; d'ailleurs, ses facultés conta­ gieuses s'affaiblissent ou se p e r d e n t à mesure q u ' o n s'enfonce dans l'intérieur des terres o u q u ' o n s'isole dans les c h a m p s . O n doit seulement établir les postes assez b i e n p o u r r e n d r e impossible tout point d e contact avec les villes et les villages qui, en m ê m e t e m p s , seraient appelés à se g a r d e r e u x - m ê m e s , c o m m e firent si sagement les habitans de S c i p i o n a , d e M u c h a - M i e l et d'Estépa. Les populations exer­ çant ainsi une surveillance r é c i p r o q u e , seraient e n sûreté c o n t r e toute surprise ; et les troupes éprouveraient moins d'obstacles p o u r saisir les


( 579 ) passages, faire des patrouilles, é t e n d r e la ligne et élargir l'espace entre la cité infectée et le c o r d o n . Cet e s p a c e , si les localités le p e r m e t ­ t a i e n t , devrait être au moins de trois ou q u a t r e lieues de rayon. D a n s les lazarets placés aux a v a n t - p o s t e s , et construits soit avec des tentes, soit avec des b a r a q u e s de p l a n c h e , les médecins n ' a d m e t ­ traient q u e ceux qui seraient exempts de toute s o u i l l u r e ; et ce ne serait q u ' a p r è s leur avoir fait subir les épreuves des b a i n s , des fumiga­ t i o n s , du lavage des h a r d e s , qu'ils leur d é l i v r e ­ raient un certificat de p a s s a g e , sans lequel ils seraient traités c o m m e déserteurs. A cinquante lieues d e r a y o n , il ne devrait pas être p e r m i s de voyager sans un passeport bien légalisé, et relatant le lieu, l ' é p o q u e du d é p a r t , ainsi que les communications q u ' o n a p u avoir avec les endroits suspects. Q u a n d o n se r e t r a c e le tableau d é p l o r a b l e des ravages q u e fit la peste de P r o v e n c e , on sent la nécessité d ' e n t o u r e r les lois sanitaires d'un g r a n d a p p a r e i l , et de leur i m p r i m e r cette f o r c e , cette énergie qui seules sont capables d'en assurer l'exécution dans les d a n g e r s presans.

37*


( 580 ) SECTION

De la police intérieure

III.

d'une ville

infectée.

On doit exprimer le vœu que les villes méri­ dionales aient toujours une constitution sanitaire propre à être mise en vigueur au premier signal. Ce n'est point lorsque le danger trouble les esprits, et répand de toute part le vertige et la terreur, qu'on est capable de préparer et de mûrir suffisamment des mesures qui, pour être salutaires, doivent être mises en pratique avec autant de promptitude que d'ordre. 1.° La première disposition qu'on devrait prendre consisterait à diviser la ville par quar­ tiers, dans chacun desquels on placerait un officier civil, un officier militaire et un mé­ decin, qui n'en sortiraient point, qui en com­ poseraient le conseil de salubrité, et qui seraient chargés de prendre toutes les mesures d'ur­ gence dans leur circonscription. Ce conseil d'arrondissement ne pourrait correspondre qu'avec la mairie, ou bureau central, qui, à son tour, lui expédierait les ordres convenables. On préviendrait ainsi le tumulte, la confusion ; et les chefs de la cité se trouveraient investis de


( 581

)

tous les moyens nécessaires p o u r faire e x é c u t e r leurs réglemens avec la plus g r a n d e précision. D a n s un incendie il ne faut ni lenteur ni demi-mesure. O n exigerait q u e c h a q u e q u a r t i e r fût aussi limité que possible, et qu'il renfermât un n o m b r e suffisant de m é d e c i n s , avec défense expresse d e sortir de leurs arrondissemens respectifs. L e s médecins c o l p o r t e n t e u x - m ê m e s la c o n t a g i o n ; et leur d o n n e r u n e entière l i b e r t é , ce serait fournir à la maladie des moyens d'extension. 2 . ° E n m ê m e temps on défendra toute espèce de rassemblemens : les temples seront f e r m é s , les processions et les prières p u b l i q u e s i n t e r ­ d i t e s , p a r c e qu'on a observé q u ' à la suite de ces r é u n i o n s , la contagion r e d o u b l a i t d ' a c ­ t i v i t é , et q u e le n o m b r e des malades a u g m e n ­ tait considérablement. C'est u n e r e m a r q u e de tous les siècles, q u e nous avons e n c o r e confirmée p a r des exemples cités dans cet o u v r a g e . 3.° Les a n i m a u x errans seront p r o m p t e m e n t d é t r u i t s , car leurs poils sont des c o n d u c t e u r s d a n g e r e u x . Les c h i e n s , en fouillant dans les o r d u r e s , se c h a r g e n t d'émanations qu'ils trans­ m e t t e n t ensuite à leurs m a î t r e s , et ils inoculent le mal avec d'autant plus de s û r e t é q u ' o n s'en défie moins.


( 582 )

4.° L e s chariots destinés à e m p o r t e r les morts ne doivent rouler que la n u i t , escortés p a r des hommes qui, avec de longs bâtons, écar­ teraient les passans. Plusieurs personnes p r é ­ tendirent, en Espagne, que l'infection leur avait été c o m m u n i q u é e par les chars consacrés aux inhumations. Il n'est point facile de fixer les l i ­ mites du vrai dans cette assertion ; mais la sûreté des citoyens veut q u e les convois p a r ­ courent les rues lorsqu'ils ont moins de foule à t r a v e r s e r ; et la saine politique c o m m a n d e d e couvrir un spectacle aussi d o u l o u r e u x et aussi effrayant, des o m b r e s de l'obscurité. 5.° T o u t e personne q u i , n'ayant point m i s ­ sion p o u r l'épidémie, serait trouvée dans les rues après neuf heures du soir ou avant six heures d u m a l i n , serait a r r ê t é e ; b e a u c o u p d e gens courent aux épidémies c o m m e a u x i n c e n ­ d i e s , p o u r voler ou p o u r faire pis. 6.° Dès q u ' u n e r u e serait suspectée, on la barricaderait à l'instant p o u r i n t e r c e p t e r t o u t e relation avec le reste de la ville, et des préposés auraient soin de p o u r v o i r aux besoins des partiticuliers. P o u r r e n d r e cette disposition plus efficace, on interdirait toute communication avec la maison s o u p ç o n n é e qui serait en o u t r e m a r q u é e d'un signe, surveillée et approvisionnée


( 583 ) par les habitans du quartier intéressés à n'avoir aucune espèce de condescendance. 7.° A l'extérieur de la ville et sur les lieux les plus élevés, on établirait plusieurs lazarets ou hôpitaux, les uns pour les gens riches, qui s'y feraient soigner à leurs frais, les autres pour les pauvres. Le service y serait fait par les hommes qui viendraient de subir l'épreuve, parce qu'ils n'auraient plus aucuns risques à courir. 8.° De nombreux compartimens diviseraient ces lazarets, afin de faciliter le classement des malades . 1

9.° Il serait permis aux pesonnes aisées de construire des baraques ou d'élever des tentes particulières hors de l'enceinte de la ville ; toute­ fois il faudrait que ce fut à une distance assez rapprochée pour que l'œil des magistrats ne laissât rien échapper de ce qui serait contraire à la sûreté générale. 10.° Dans les établissemens de convalescence on ferait subir les épreuves d'usage, avant de permettre le retour dans la cité. 1

L e s sages précautions mises en pratique par Mertens,

dans l'hospice des O r p h e l i n s , lors de la peste de M o s ­ c o u , doivent servir de m o d è l e dans les circonstances analogues.


( 584 ) 11.° O n connaît la nécessité d'éloigner les cimetières, qu'il i m p o r t e d'ailleurs de placer d e telle sorte que les courans d'air ne t r a n s p o r ­ t e n t point sur la ville les exhalaisons, c o m m e a u Cap où le vent du s u d - o u e s t souillait l'atmosphère au point d e r e n d r e sensible, dans plusieurs q u a r t i e r s , la perception des o d e u r s cadavéreuses . 1 2 . ° Il serait défendu aux h o m m e s chargés d'enlever les o r d u r e s des r u e s , d'établir a u c u n e relation avec les passans. 1

SECTION

Des moyens

IV.

individuels propres la fièvre j a u n e .

à garantir

de

La b o n n e foi désavoue tous les préservatifs proposés c o n t r e les effets de la c o n t a g i o n , l o r s ­ q u ' o n vit dans son foyer. Beaucoup o n t vanté des panacées, mais leur éloge est un l e u r r e p o u r les imbécilles et les poltrons. U n charlatan a n 1

Je démontrai la nécessité de changer c e cimetière

rempli de cadavres entassés et à d e m i - c o u v e r t s , et j'ob­ tins qu'il fût placé derrière le Fort Belair, dont la m o n ­ ticule arrêtait les émanations nuisibles.


( 585 ) glais, c o m p t a n t faire une spéculation brillante sur la crédulité et l'ignorance, c o l p o r t a à G i ­ b r a l t a r une espèce de d r o g u e qu'il p r é t e n d a i t infaillible p o u r p r é v e n i r le typhus. O n i g n o r e s'il fit b e a u c o u p d e dupes p a r m i ses c o m p a ­ triotes ; mais les Espagnols démêlèrent p r o m p t e m e n t les vues intéressées de l'intrigant. Il i m p o r t e de p r é v e n i r les ames pusillanimes, afin qu'elles ne laissent pas s u r p r e n d r e leur b o n n e foi. Il n'y a point d'antidote c o n n u c o n t r e la fièvre j a u n e , je ne sais s'il y en aura jamais. Les maladies qui d é p e n d e n t d'un virus p a r t i ­ c u l i e r , toujours le m ê m e , p e u v e n t b i e n être soumises au p o u v o i r d'un spécifique ; mais, p o u r une fièvre qui est autant l'effet de l'influence a t m o s p h é r i q u e et des autres g r a n d s agens d e la nature q u e de la contagion i m m é d i a t e , nous c r o y o n s à peine q u e la science des h o m m e s p u i s s e , dans les siècles futurs les plus r e c u l é s , imaginer u n m o y e n p o u r g a r a n t i r d e ses a t ­ teintes. C e u x m ê m e q u i s'asservissent à d e minutieuses p r a t i q u e s , sont plus exposés q u e les a u t r e s , p a r c e qu'ils ont plus de pusillani­ mité. D ' a i l l e u r s , l'action de fixer sans cesse l'attention sur s o i , établit une espèce de sus­ ceptibilité nerveuse qui rend plus apte à la


( 586 ) 1

maladie ; et si c'est un médecin qui se d é s h o ­ n o r e p a r ce g e n r e de faiblesse, il d o n n e d ' u n e p a r t une misérable idée de ses t a l e n s , et il c o n t r i b u e de l'autre à i m p r i m e r plus fortement la t e r r e u r dans l'âme des malades qui étudient les actions et les gestes de celui q u i , p a r son mi­ nistère, est appelé à les rassurer. O n a conseillé les bains de m e r c o m m e p r é ­ servatifs, et l'usage du poivre à l'intérieur. Q u e l q u e s médecins o n t p r o p o s é de tirer d u sang. L e d o c t e u r Mitchell a , d i t - o n , o b t e n u quelques succès dans l'épidémie de 1741, e n p r a t i q u a n t une saignée m o d é r é e p o u r p r é v e n i r 1

U n de m e s c o n f r è r e s , l e docteur D . . . , f u t , dès s o n

d é b a r q u e m e n t au C a p , poursuivi par la terreur jusqu'à c e qu'enfin l e typhus le saisit et l'enleva. Il avait fait l e trajet avec m o i de Brest à S a i n t - D o m i n g u e , et je ne pus le rassurer par aucun m o y e n . 11 est présumable que son, état tenait à u n e disposition nerveuse très-grave, et qu'il lui était impossible de c o m m a n d e r à son imagination. T o u s mes confrères furent étonnés de la pusillanimité de c e malheureux qui traîna pendant quelques mois sa pénible existence dans les gémissemens. U n autre m é ­ d e c i n , dont l'imagination était a r d e n t e , frappé

des.

m ê m e s s y m p t ô m e s , éprouva une fin plus funeste, car il t o m b a dans la d é m e n c e et se fit égorger par les nègres au milieu desquels il s'était enfui.


( 587 ) les atteintes du mal. La m é t h o d e de C l a r k c o n ­ sistait dans u n e saignée p o u r les nouveaux a r ­ rivés d'un t e m p é r a m e n t sanguin et r o b u s t e , et dans u n purgatif rafraîchissant, le second j o u r ; il o r d o n n a i t de vivre p r i n c i p a l e m e n t de fruits et d'autres v é g é t a u x ; il donnait ensuite quelques grains d e calomel une ou d e u x fois le j o u r , jusqu'à ce q u e les gencives fussent affec­ tées T h i o n de la C h a u m e avait aussi conseillé la saignée. L e savant Hallé la croit utile chez les t e m p é r a m e n s sanguins. L'enthousiasme sur le q u i n q u i n a , considéré c o m m e s p é c i f i q u e , fut un instant p o r t é à l'excès en E s p a g n e , et ne pouvait m a n q u e r de le faire considérer c o m m e un préservatif i n ­ faillible : des expériences c o u r o n n é e s d'un succès a p p a r e n t a u g m e n t è r e n t la c o n f i a n c e , jusqu'à ce q u e la m o r t d'un de ses apôtres vint d é r a n g e r tous les a d m i r a b l e s calculs fondés sur les vertus de cette é c o r c e , et fit évanouir d e g r a n d e s espérances. Lafuente prétendait s'en être garanti d a n s les années 1800, 1801 et 1803, en p r e n a n t tous les matins une demi-once de q u i n q u i n a en u n e ou d e u x prises, et il attribuait à ce moyen la santé d o n t il jouit lors de l'épidémie d e io& 1

P. 46,


( 588 ) Barrios. Mais nous avons vu qu'il m o u r u t en 1811, tout en e m p l o y a n t son a n t i d o t e . SECTION

V.

Moyens avoués par l'expérience pour se garantir de lafièvre

et la raison jaune.

Il existe un préservatif connu et infaillible, c'est la fuite : q u i c o n q u e a b a n d o n n e la cité dès q u e la fièvre s'annonce dans q u e l q u e q u a r t i e r , trouve dans les c h a m p s un asile a s s u r é , s'il est parti avant q u e les germes du mal ne l'aient a t ­ teint : c'est ainsi que font les p r i n c i p a u x h a b i ­ tans des grandes villes d e l'union américaine. L'abus des jouissances physiques est u n e source a b o n d a n t e de maux de tout g e n r e dans les climats chauds ; nous avons déjà dit q u ' o n échappait r a r e m e n t aux peines rigoureuses d'une nature vengeresse, q u a n d on se livrait avec t r o p peu de réserve à la cohabitation. D e m ê m e q u e dans la peste et dans la p l u p a r t des maladies g r a v e s , les convalescens du typhus américain éprouvent des appétits v é n é r i e n s , devenus plus irritans et plus impérieux p a r le d é v e l o p p e m e n t de la sensibilité nerveuse ; les satisfaire, c'est p r o v o q u e r des rechutes. U n e n o u r r i t u r e d o u c e , en p r é v e n a n t les sur-


( 589 ) charges de l'estomac, ne d o n n e pas de prise aux causes et c o n c o u r t à en atténuer les effets. O n a écrit q u e l q u e p a r t q u e S o c r a t e à A t h è n e s , et Justinien à C o n s t a n t i n o p l e , se p r é servèrent de la peste par un régime sévère. O n se p e r s u a d e facilement qu'il est nécessaire, dans les régions équinoxiales, d e soutenir les forces p a r des vins g é n é r e u x et des l i q u e u r s ; il faut r e d o u t e r l'abus de ces boissons, mais il n e faut pas d o n n e r dans l'autre e x t r ê m e , qui précipiterait dans la débilité. D e l'eau vineuse déjà i n d i q u é e , de la limonade p e u c h a r g é e en acide et a g r é a b l e m e n t animée avec un peu de r h u m ou d'eau-de-vie, p o u r r o n t faire au besoin u n e boisson salutaire. L e s t e m p é r a m e n s faibles u s e r o n t avec avantage d'un p e u de vin p u r à leurs repas. C o m m e il est utile q u e la transpiration se fasse l i b r e m e n t , o n r e c o m m a n d e r a d e la p r o ­ p r e t é . Les bains l é g è r e m e n t t i è d e s , ceux de m e r , les frictions s è c h e s , le c h a n g e m e n t f r é ­ q u e n t de l i n g e , r e m p l i r o n t toutes les i n d i ­ cations voulues. G r a n t a poussé fort loin ses idées sur la t r a n s p i r a t i o n , puisqu'il conseille, p e u t - ê t r e avec r a i s o n , d e p o r t e r des gilets de flanelle . 1

1

P . 57.


( 590 ) O n pense bien qu'il faut aussi éviter toutes les autres causes connues du typhus ou celles q u i tendent simplement à l'aggraver. Ainsi, o n s'éloignera des villes, des m a r a i s , des cloaques, des cimetières, des é g o û t s , des endroits hu* mides et p u a n s , des b o r d s de la m e r , et l'on v i v r a , autant qu'il est possible, sur les lieux élevés et bien aérés. O n r e c o m m a n d e aussi d e se coucher de b o n n e h e u r e , d'éviter les b r o u i l ­ lards du s o i r , et de ne point paraître dans les c h a m p s , avant q u e le soleil ait dissipé ceux d u matin C'est là que se b o r n e toute notre puissance p o u r prévenir la fièvre jaune ; et l'on voit q u e t o u t se réduit à l'observation de quelques lois d e l'hygiène. R e n o n ç o n s d o n c à l'idée des a n t i ­ d o t e s , puisque la nature a limité nos m o y e n s d e conservation : soyons m o d é r é s , calmes et s o b r e s ; enchaînons nos passions; c o m b a t t o n s sans cesse c o n t r e n o u s , et alors nous a u r o n s 1

Diemerbroeck et M. D e s g e n e t t e s peuvent servir de

m o d è l e s aux médecins qui ont à traiter des fièvres c o n ­ tagieuses. Ces deux savans nous ont fait connaître les précautions qu'ils prenaient. Celles de l'historien de la p e s t e de N i m è g u e nous paraissent un peu compliquées ; c e que faisait M. Desgenettes était mieux entendu et plus conforme aux lois de l'hygiène et de la saine raison,


( 591 ) t r o u v é la vraie panacée qui p r o l o n g e r a n o t r e existence jusqu'au ternie assigné p a r l ' o r d r e éternel. SECTION

Des

VI.

fumigations.

Des faits multipliés sembleraient avoir acquis u n e juste réputation aux fumigations d e gaz acides p o u r désinfecter les h ô p i t a u x , les prisons et en général tous les lieux destinés à de g r a n d s rassemblemens. A p r è s q u e les expériences de M. G u y t o n - Morveau faites à Dijon en 1773 e u r e n t été a p p u y é e s de celles de CarmichaelS m i t h à W i n c h e s t e r en 1 7 8 0 , d e celles de C r u i s k h a n k dans l'hôpital de W o o l w h i c h , et sanctionnées en q u e l q u e sorte en 1791 et 92 p a r les travaux d u c é l è b r e F o u r c r o y , ce m o y e n b i e n t ô t universel fut mis à la p o r t é e de tout le m o n d e : il devint en q u e l q u e sorte l'ancre sacrée à laquelle se rattachèrent les médecins des armées p e n d a n t vingt ans de g u e r r e , d e caiamités et d e contagion. Mais l'effet a-t-il r é ­ p o n d u aux e s p é r a n c e s , et l'infection a-t-elle été réellement b o r n é e dans nos h ô p i t a u x ? C'est ce


( 592 )

que le plus i n e x o r a b l e des maîtres, le t e m p s , ne t a r d e r a pas à a p p r e n d r e . Contentons-nous, dans l'état actuel de la science, de p r o v o q u e r un doute philosophique sur u n e matière aussi d é l i c a t e , e n c o r e t r o p peu confirmée p a r des faits incon­ testables ; énonçons seulement n o t r e opinion sur ce qui c o n c e r n e la fièvre j a u n e . O n savait déjà q u e l'emploi des acides réduits en v a p e u r , n'avait pas e m p ê c h é la naissance d e la fièvre jaune sur des vaisseaux. C'est ainsi q u e la frégate le général G r e e n , r é c e m m e n t in­ fectée, le fut de nouveau p e n d a n t sa station à l ' e m b o u c h u r e du Mississipi vers le mois d e s e p t e m b r e 1799, malgré les fumigations d'acide nitrique faites avec soin p o u r p r é v e n i r ce fatal événement. Au m o m e n t des épidémies de la p é n i n s u l e , un enthousiasme général s'empara des E s p a ­ gnols qui s'engouèrent des fumigations, et l'on p u t à peine suffire à la p r é p a r a t i o n et à l'envoi des appareils. Des détails transmis officiellement annoncèrent des effets p r o d i g i e u x opérés p a r le gaz muriatique oxygéné ; mais q u a n d il fallut en venir à la g r a n d e p r e u v e , et lorsque des mil­ liers d'individus eurent p é r i , malgré les nuages épais de ces gaz qui les enveloppaient de toute p a r t , alors le c h a r m e disparut, et l'on négligea


(

593

)

un m o y e n qui ne fut réellement utile q u ' à q u e l q u e s spéculateurs. L e g o u v e r n e m e n t espagnol s'étant p r o n o n c é en faveur des gaz a c i d e s , la crainte imposa un l o n g silence à la vérité. Des agens infidèles, ignorans o u passionnés, c o n t r i b u è r e n t à l ' e n ­ t r e t e n i r dans son e r r e u r ; et c e u x qui auraient voulu le d é t r o m p e r , t r e m b l a i e n t à l'idée seule d ' é n o n c e r leurs opinions. S u r la fin de l'été de 1800, M. Cabanellas fut e n v o y é , p a r o r d r e du r o i Charles I V , à Séville où il ne c o m m e n ç a les fumigations d ' à cides minéraux q u e vers le milieu de n o v e m b r e : alors seulement il les e m p l o y a dans s o i x a n t e dix-sept maisons du f a u b o u r g S a i n t - B e r n a r d q u e les restes d'une épidémie qui s'éteignait désolaient e n c o r e . A dater de cette é p o q u e , ce d o c t e u r crut voir q u e la mortalité dimi­ n u a i t , et qu'au b o u t d e quelques j o u r s , la contagion avait cessé dans cette paroisse ; il publia aussi qu'il devait son salut au m ê m e m o y e n , d o n t il s'était également servi p o u r désinfecter un g r a n d n o m b r e de couvertures et d e d r a p s de lit, dans lesquels étaient m o r t s des malades à l'hôpital de la S a n g r e . T é m o i n et a c t e u r dans ces mêmes e x p é r i e n c e s , M. Caledonio G o n c e s eut ensuite l'occasion de les r é p é t e r à S a n - L u c a r

58


( 594 ) de Barramedar, dans l'hôpital de San-Juan de Dios : dès-lors, plus de mortalité parmi les ma­ lades, et même plus d'invasion du mal parmi les infirmiers On essaya aussi des fumigations à Cadix en 1800, mais ce fut après l'épidémie, ce qui n'apprend rien. Cependant on répétait dans toute l'Espagne que si on les eût plus tôt em­ ployées, le désordre se serait plus promptement borné. Aussi, dès son retour en 1803, se hâta-t­ on d'y avoir recours. Un pharmacien de Ma­ drid reçut le privilége exclusif de préparer, de vendre et d'expédier dans toute l'Espagne des appareils de désinfection, construits à peu près sur le modèle de ceux qu'on exécutait alors à Paris. On s'en servit à Malaga dans toutes les maisons par suite des ordres émanés du chef de l'État. La maladie s'étant reproduite l'année suivante, on répéta les mêmes opérations, et l'usage se propagea dans la plupart des villes ravagées. La mortalité de ces époques désas­ treuses démontre mieux que tous les raisonnemens ce que l'on doit attendre de ce procédé. Envoyé en 1804 à Carthagène, M. Cabanellas 1

Rapport de la commission

N y s t e n et Bally.

par M M .

Duméril,


( 595 ) y traita les malades logés hors d e la ville dans un lazaret où il m o u r u t , selon l u i , moins d'individus p r o p o r t i o n n e l l e m e n t q u e dans les h ô p i t a u x d e l'intérieur, ce qu'il a t t r i b u a n é ­ cessairement aux fumigations. A u p r i n t e m p s de l'année 1805, ce m ê m e m é ­ decin fit u n e expérience qui lui p a r u t fort d é ­ cisive : il plaça dans une maison isolée c i n q u a n t e matelas sur lesquels des malades de l'épidémie p r é c é d e n t e avaient fini leurs jours ; et, après les avoir exposés aux vapeurs du gaz acide m u riatique o x y g é n é , il y fit c o u c h e r c i n q u a n t e f o r ç a t s , et il se soumit à la m ê m e é p r e u v e , avec plusieurs p e r s o n n e s de sa famille. L'infection n e s'annonça nulle p a r t . P o u r p o r t e r un j u g e m e n t sans r é p l i q u e , il suffirait de r a p p e l e r q u e les ravages exercés par le t y p h u s o n t été plus funestes là o ù l'on a fait le plus de fumigations; mais, d ' u n e autre p a r t , les expériences précitées p é c h e n t p a r les bases es sentielles, et ne sont rien moins q u e concluantes. D ' a b o r d , la p r e m i è r e qui fut faite à Séville ne c o m m e n ç a q u e vers le milieu de n o v e m b r e , justement à l ' é p o q u e où la fièvre jaune finissait de toute p a r t : il faut convenir qu'alors les fu­ migations étaient tout au moins superflues, et q u e ce ne put être q u e p a r u n défaut de 38*


( 596 ) réflexion sur le génie de ce mal qu'on les em­ ploya ; lorsque la saison allait nécessairement le détruire. Mais les faits sur lesquels s'appuie plus p a r t i ­ culièrement l ' a u t e u r , appartiennent aux d e u x expériences qui eurent lieu à C a r t h a g è n e . Com­ m e n ç o n s par faire observer q u e le lazaret qui fut le théâtre de ses premiers essais, était formé de tentes q u ' o n avait placées hors de la ville et dans un g r a n d espace fort aéré : o r , nous avons vu de quelle influence p e u t être la ven­ tilation continuelle, et nous savons aussi q u e tous ceux qui avaient été traités en d e h o r s des r e m p a r t s de C a r t h a g è n e , souffrirent b e a u c o u p moins q u e ceux qui avaient constamment s é ­ j o u r n é dans l'intérieur, lors m ê m e qu'ils n e furent point assujétis au m ê m e p r o c é d é . Il fallait d o n c étendre les mêmes r e c h e r c h e s dans les h ô p i t a u x du d e d a n s , et juger p a r comparaison. 1

L a deuxième é p r e u v e offre d ' a b o r d q u e l q u e chose d e séduisant; mais, en la considérant d e près et en la dépouillant d e l'apparence d u 1

Si la maladie de Carthagène était due au marais qui

enveloppe cette p l a c e , elle aurait été plus dangereuse et plus grave dans les f a u b o u r g s , et généralement hors des r e m p a r t s , que dans la ville ; les malades y auraient été aussi plus exposés : ce fut le contraire.


( 597 ) prodige, elle devient b e a u c o u p moins concluante q u e les a u t r e s , parce qu'elle repose s u r l'oubli entier de la m a r c h e du typhus d'occident q u i , dans les latitudes élevées, ne se d é v e l o p p e jamais au p r i n t e m p s : toutes les puissances h u m a i n e s , tous les agens imaginables, ne sauraient le r e ­ p r o d u i r e dans cette saison. D'ailleurs, p o u r q u o i n e pas o p p o s e r la c o n t r e - é p r e u v e , en plaçant dans les m ê m e s circonstances c i n q u a n t e autres forçats p o u r lesquels on n'aurait point e m p l o y é d e fumigation? C'était là leseul m o y e n de d o n n e r une sanction véritable à ce g e n r e d'expérience. SECTION

Hygiène

VII.

militaire.

Dans le chapitre suivant je traiterai des moyens de conserver la santé du soldat dans les Antilles : la plupart des règles q u e j ' y ai p r o ­ posées, q u o i q u e p o u r u n e latitude différente de la n ô t r e , sont applicables a u x climats d ' E u ­ r o p e . O n p e u t ajouter seulement q u e si le destin conduisait de nouveau nos armées sur les b o r d s de la M é d i t e r r a n é e e s p a g n o l e , les g é n é ­ r a u x conserveraient plus facilement leurs légions dans un état sain:


( 598 ) l.° S'ils faisaient démanteler les places in­ fectées, plutôt q u e de les g a r d e r par de n o m ­ breuses garnisons ; 2 . ° S'ils laissaient leurs soldats séjourner le moins possible sur les b o r d s d e la mer ; 3.° S'ils les faisaient b a r a q u e r ou t e n t e r sur les h a u t e u r s , loin des lieux malsains ; 4.° S'ils avaient soin de les bien v ê t i r , de les bien nourrir, et de prévenir l'abus des liqueurs alcoholiques p a r les m o y e n s q u e nous avons indiqués. Au r e s t e , tout ce qui vient d'être r e c o m ­ m a n d é dans les sections précédentes est ap­ plicable à l'hygiéne militaire. SECTION

Des mesures

à prendre

VIII.

sur les

vaisseaux.

D'excellens ouvrages sur les maladies des gens de m e r et sur l'hygiène navale ont épuisé ce sujet ; ce que nous ajouterons consistera à dire que tout ce qui p r é c è d e est applicable aux m a r i n s ; qu'il faut, p o u r se garantir des funestes effets de la fièvre j a u n e , bien aérer les vaisseaux; entretenir soigneusement la p r o p r e t é sur les in­ dividus et sur les bâtimens ; forcer les matelots à


( 599 ) se tenir c h a u d e m e n t , et à se c h a n g e r a p r è s les pluies ; les faire fréquemment baigner dans la m e r ; tenir la pleine m e r , plutôt que d e sta­ t i o n n e r dans les rades ; s'éloigner le plus q u e faire se p e u t du voisinage des marais; connaître la direction des vents qui passent sur des lieux infects, et p r e n d r e des positions q u i en m e t t e n t à l ' a b r i ; ne jamais p e r m e t t r e aux m a r i n s d e c o u c h e r à t e r r e ; ne p o i n t c o m m u n i q u e r avec les lieux et les individus suspects ; e x p o s e r fré­ q u e m m e n t les effets q u ' o n e m b a r q u e et les habillemens à des courans d'air ; faire des fu­ migations et des a r r o s e m e n s d'acides ; e n t r e t e n i r la gaîté et favoriser les jeux et la danse sur les vaisseaux ; fournir des alimens frais; se g a r d e r surtout d ' e m p l o y e r aux expéditions les bàtim e n s qui sont suspects c o m m e ayant été le siége de q u e l q u e s maladies contagieuses; Chisoîm et b e a u c o u p d ' a u t r e s citent de terribles exemples occasionnés p a r l ' i m p r é v o y a n c e dans le choix des navires de t r a n s p o r t ; ne p a s t r o p e n c o m b r e r les vaisseaux dans les expéditions ; faire p r e n d r e , selon le p r é c e p t e de L i n d , d u vin de q u i n q u i n a aux matelots q u i r e m o n t e n t les rivières malsaines, ou qui descendent à terre dans des lieux marécageux. G é n é r a l e m e n t , le typhus d'Amérique se d é -


( 600 ) veloppe sur un vaisseau lorsqu'il est stationné dans les ports : p o u r le faire cesser promptem e n t et p o u r sauver l ' é q u i p a g e , il faut se hâter, si les circonstances le p e r m e t t e n t , de faire partir le n a v i r e , et de le diriger spécialement vers le le n o r d . Dès qu'il sera en pleine m e r , la fièvre diminuera de f é r o c i t é , et o n la verra s'é­ teindre à mesure qu'il a p p r o c h e r a d'une lati­ t u d e un peu élevée. Cette vérité est le résultat d'un g r a n d n o m b r e de faits, et nous l'avons confirmée à S a i n t - D o m i n g u e , lors d u d é p a r t des vaisseaux ou navires m a r c h a n d s q u i y étaient stationnés. Les r a p p o r t s qui n o u s étaient t r a n s ­ mis prouvaient t o u s , qu'arrivés à la h a u t e u r d e T e r r e - N e u v e , ils étaient incessamment lib é r é s de leur ennemi.


CHAPITRE

XL

Exposé des moyens propres à prévenir l'effrayante dévastation occasionnée par la fièvre jaune dans nos armées des Antilles. U N général qui e n t r e p r e n d r a la c o n q u ê t e d'une colonie située sous la zone t o r r i d e , n e réussira jamais q u ' i m p a r f a i t e m e n t , s'il néglige les lois d e l'hygiène qui conviennent au climat, c o n t r e lequel il y a plus à se p r é m u n i r q u e c o n t r e l'ennemi. L'incurie est, sous ce r a p p o r t , plus à r e d o u t e r q u e l'incapacité d'un chef, ou m ê m e q u e le d é c o u r a g e m e n t des t r o u p e s . C'est là le n œ u d des mauvais succès que n o u s avons é p r o u ­ vés en 1802, et q u e nous essuierons dans tous les temps. Faisons quelques efforts p o u r le d é l i e r , et p r e n o n s p o u r type d e ce q u e nous avons à d i r e , l'île de S a i n t - D o m i n g u e , ce théâtre fu­ n è b r e d e nos m a l h e u r s , sur l e q u e l nous avons puisé de grandes leçons qu'il faut enfin savoir m e t t r e à profit. L à , p o u r n o u s v a i n c r e , u n


( 602 )

ennemi acclimaté n'a pas besoin d'une résis­ tance ouverte ; il lui suffit de se disperser dans les m o n t a g n e s , dans les lieux inaccessibles, au milieu des halliers et des forêts ; de former quel­ ques pelotons; d'attaquer de nuit les postes mal g a r d é s ; de harceler nos troupes dans les m a r ­ ches et les fatiguer p e n d a n t le sommeil ; de leur dresser des e m b u s c a d e s , et de se disperser à l ' a p p r o c h e des g r a n d e s forces. L e t e m p s seul lui assurera la victoire. Mais n ' e s t - i l aucun m o y e n de c o n q u é r i r u n e colonie dans l'occident? E t des forces s u ­ p é r i e u r e s , un g r a n d c o u r a g e , la rapidité des m o u v e m e n s , ne suffiraient-ils pas p o u r a b a t t r e , terrasser et d o m p t e r l'ennemi? L'histoire d e l'armée française peut servir de réponse : à son arrivée à S a i n t - D o m i n g u e , sa m a r c h e t r i o m ­ p h a n t e p a r u t tenir du p r o d i g e ; le c o u r a g e des h é r o s qui la composaient ne connut aucun obs­ t a c l e ; ils méprisèrent le climat; ils b r a v è r e n t la faim, la soif; la gloire fut leur aliment et l e u r soutien ; ils poursuivirent l'ennemi jusque dans ses retraites les plus c a c h é e s ; ils escala­ d è r e n t , en c h a n t a n t , les plus hautes crêtes; ils terrassèrent l'hydre qui multipliait sa p r é s e n c e , et se redressait plus furieux après avoir été abattu : en moins de trois m o i s , la colonie fut


( 603 ) r é d u i t e ; Toussaint capitula, ses lieutenans se r e n d i r e n t au q u a r t i e r - g é n é r a l des F r a n ç a i s , et l'on crut tout pacifié ! Q u i ne l'eût pas pensé? C e p e n d a n t , sous les apparences de la paix et sous l e s d e h o r s d'une soumission s i n c è r e , les noirs cachaient de profonds desseins et se nourrissaient de g r a n d e s espérances. Ils a t t e n ­ daient q u ' u n climat b r û l a n t nous eût ravi la plus belle partie de nos forces, et moissonné l'élite de nos b r a v e s ; e t , lorsqu'ils virent notre a r m é e d é v o r é e p a r le t y p h u s , ils allumèrent t o u t - à - c o u p un nouvel e m b r a s e m e n t qui cou­ vrit p r o m p t e m e n t toute la colonie. Il fut alors impossible de résister à tous les m a u x qui se r é u n i r e n t p o u r nous a c c a b l e r , dans un temps o ù la d o u c e e s p é r a n c e nous était m ê m e interdite. Après d'étonnans efforts, réduits à une p o i g n é e d'individus pâles et abattus p a r les souf­ frances, affaiblis p a r le désespoir, il fallut capi­ tuler !!!! C o m m e je n'envisage une e x p é d i t i o n de c e g e n r e q u e sous le r a p p o r t de l'hygiène p u b l i ­ q u e , faisant, en quelque s o r t e , abstraction d e ce qui est politique ou opération militaire, je vais p r o p o s e r les vues q u e l'expérience de nos infortunes m'a s u g g é r é e s ; vues qui m e p a r a i s ­ sent p r o p r e s à p r é v e n i r de nouveaux malheurs,


( 604 ) si nous étions réduits à la nécessité d'essayer u n e nouvelle g u e r r e dans les Antilles, ou en général sous la zone t o r r i d e , et qui s'appliquent é g a l e ­ m e n t à la supposition d'un a c c o m m o d e m e n t qui nous livrerait Saint-Domingue . 1.° Il faudrait 1

1

Oserai-je élever ma faible voix vers les capitaines

qui c o m m a n d e n t les expéditions destinées à la G u a d e ­ l o u p e , à la Martinique et à Cayenne ? Triste témoin des maux occasionnés dans nos légions, sous la zone e m ­ brasée de l'Amérique, pourrai-je,

sans

offenser ces

guerriers, faire parler les leçons de l'expérience? P a r d o n ­ neront-ils aux élans indiscrets de m a sensibilité qui m e fait craindre qu'un crêpe funèbre n'enveloppe

encore

nos A n t i l l e s , et n e ravisse la dernière espérance

du

malheureux colon. 1

P e n s e z - v o u s , leur d i r a i - j e , faire séjourner vos légions

au F o r t - R o y a l , à S a i n t - P i e r r e , à la B a s s e - t e r r e , ou sur les plages de la G u i a n e ? demain vous pleurerez v o s c o m p a g n o n s d'armes; et vos a m i s , s'il vous e n

reste,

n e tarderont pas à faire retentir les airs de leurs aecens douloureux et à gémir sur votre propre destinée. Si vous avez un m o y e n de salut, pourquoi le repousseriezvous ? Or, je vous le donne, et il est infaillible. D é p o u i l l e z vous de cette routine q u i , depuis trois cents a n s , r e ­ poussant l ' e x p é r i e n c e , fait un charnier des plus belles régions du monde. Campez sur les hauteurs; défendez à vos s o l d a t s , sous des peines très-graves, de descendre dans les villes maritimes : vous-mêmes, n'y allez que pour des affaires impérieuses, et n'y couchez p o i n t ; n'y


( 605 ) n ' e m p l o y e r q u e les troupes q u ' o n aurait fait séjourner l o n g u e m e n t dans le midi de l ' E u r o p e , soit en E s p a g n e et sur les b o r d s de la M é d i t e r ­ r a n é e , soit dans le r o y a u m e d e N a p l e s , soit dans la G r è c e , soit dans l'île de C o r s e , ou enfin laissez pas de garnisons ; e n temps de p a i x , les c i t o y e n s n'ont pas besoin de vos légions; en temps de g u e r r e , vous serez plus redoutables sur les sites escarpés que d a n s des ports que vous n e pouvez d e f e n d r e , et que p e r s o n n e avant vous n'a jamais défendus avec

succès;

fondez une ville fortifiée dans le c e n t r e de chaque c o ­ l o n i e , et attachez votre réputation à c e genre de gloire : alors votre n o m sera béni par vos soldats que vous aurez c o n s e r v é s , par les citoyens que v o u s aurez plus efficacement,

protégés

et par votre souverain d o n t

vous

aurez parfaitement interprété les intentions. Quant à vos vaisseaux, vous devez les é l o i g n e r d e s rades pour conserver la santé des équipages. Q u e fait le matelot dans les p o r t s , p e n d a n t des années entières ? il y contracte tousles vices d e l ' h o m m e oisif, toute la l â c h e t é que d o n n e l ' i n a c t i o n , et toute l'ignorance qui naît n é ­ cessairement d u défaut de navigation pratique. Que l e s escadres soient donc toujours à la v o i l e , autour de votre île si vous e n avez b e s o i n , o u dans l e lointain s i , p o u r le m o m e n t , elles ne vous sont pas u t i l e s ; mais surtout que'les matelots ni les officiers ne d e s c e n d e n t jamais sur les rivages : les marins ne se forment qu'au milieu des écueils et des tempêtes ; il faut que la foudre éclairs sillonnent leurs fronts.

et les


( 606 )

clans les contrées les plus rapprochées de la zone t o r r i d e . L'espèce d'analogie qui existe entre ces climats et ceux des Antilles, en r e n d a n t la tran­ sition moins b r u s q u e , la r e n d r a i t aussi moins r e d o u t a b l e . Un moyen plus sûr a u j o u r d ' h u i , serait de faire de fortes expéditions à la Mar­ tinique et à la G u a d e l o u p e , p o u r acclimater les soldats sur les hauteurs de ces îles, et les envoyer d e là à S a i n t - D o m i n g u e . P o u r q u e la mesure fût plus efficace, les lé­ gions seraient e m b a r q u é e s dans ces m ê m e s ports, et l'on n e toucherait à aucun mouillage q u i serait plus au septentrion que le p o i n t de dép a r t . Ces préceptes tiennent autant à la p o l i ­ tique q u ' à la médecine ; et les Anglais paraissent attacher la plus haute i m p o r t a n c e à ce g e n r e de p r é c a u t i o n s , puisqu'ils mettent leurs troupes e n garnison à G i b r a l t a r , et depuis quelque temps au cap de Bonne-Espérance, avant de les envoyer aux Indes. 2 . ° Le d é p a r t p o u r les Antilles aurait lieu aussitôt après l'équinoxe d ' a u t o m n e , de manière à faire coïncider l'arrivée des t r o u p e s avec le c o m m e n ­ cement de l'hivernage, saison p r o p r e à les accli­ m a t e r . Si les circonstances le p e r m e t t a i e n t , on ferait une station dans les îles C a n a r i e s , ou mieux e n c o r e dans celles du C a p - V e r d : plus le séjour


( 607 ) y serait l o n g , plus facilement les t r o u p e s se façonneraient aux impressions de la zone torride. 3.° A l'arrivée des troupes d ' E u r o p e dans l'île de S a i n t - D o m i n g u e , l'ennemi fuirait, selon sa c o u t u m e , dans l'intérieur des m o n t a g n e s , et il abandonnerait les b o r d s de la mer. M a l h e u r alors au général i m p r u d e n t q u i s'emparerait des plages maritimes p o u r e n v e l o p p e r l'ennemi et le res­ s e r r e r dans le c e n t r e ! il p e r d r a t o u t , s'il ne se persuade bien q u e le rivage de la m e r est e m p o i s o n n é , et q u e ses phalanges t r o u v e r o n t u n e m o r t assurée dans les villes les plus éten­ d u e s , c o m m e le C a p , le M ô l e , le P o r t - a u P r i n c e , les C a y e s , J é r é m i e , J a c m e l , e t c . , tandis que la sûreté la plus parfaite r é g n e r a p o u r l'ennemi qui sera rejeté dans les m o r n e s : mais un chef habile, assez modeste p o u r écouter les conseils de c e u x qui ont étudié le climat, et d o u é d'un génie et d'une étendue d'esprit capa­ bles de concilier ces mêmes avis avec ses opé rations militaires, n ' a d o p t e r a plus les vieux systèmes, et en formera de nouveaux fondés sur la raison qui l'éclairera, et sur l'expérience du passé qui lui garantira les succès de l'avenir. Si nous étions admis à son conseil, nous lui dirions : P o r t e z - vous avec rapidité dans le


( 608 ) centre des t e r r e s , et n'occupez sur le littoral q u e les points les plus rigoureusement n é c e s ­ saires p o u r que vos communications ne soient pas interceptées entre votre escadre et vos troupes de terre : ne vous inquiétez pas si l ' e n ­ nemi a des moyens de fuir on des ports p o u r s'échapper. Q u o i de plus h e u r e u x q u e de Vous débarrasser, à ce p r i x , de gens qui, ayant c o n n u les douceurs de l ' i n d é p e n d a n c e , formeront tou­ jours un noyau d'insurrection et un obstacle à vos desseins ! C'est dans l'intérieur qu'il faut établir votre force militaire p o u r réduire un e n n e m i , qui n'a q u e des excursions i m p u i s s a n t e s à r e d o u t e r lors­ qu'on occupe seulement les villes toutes placées sur le cercle le plus excentrique de l'île : autre­ m e n t il vous usera par le t e m p s , puisque le temps combat p o u r lui. Faites-lui d o n c jouer le rôle q u e vous aviez adopté autrefois ; précipitez-le vers la m e r ; choisissez des emplacemens c o m m o d e s sur des h a u t e u r s , dans le voisinage des ruisseaux ou des rivières c o u r a n t e s ; tracez-y des plans d e 1

1

O n dit que Christophe a démoli le Cap et trans-

porté tous les matériaux sur une m o n t a g n e de l'intérieur, pour y faire une place forte et le centre de ses o p é r a ­ tions militaires.


( 609 ) défense, dont chacun ne sera d'abord qu'uu camp circonscrit par un large fossé palissadé, défendu aux angles par des block-houses; par lasuite, ces camps deviendront des places fortes et le centre du commerce, comme des entre­ pôts de l'intérieur ; ils feraient la sûreté des villes maritimes et des plantations, si souvent ravagées dans l'ancien système de défense, et ils assureraient à jamais la tranquillité intérieure. Qu'il me soit permis d'ajouter que cette ma­ nière de faire la guerre, outre les avantages précédens, a encore, lorsqu'on l'envisage sous le rapport des conceptions militaires, le mérite de centraliser les opérations et de forcer l'en­ nemi à occuper une ligne excentrique; ce qui est toujours désavantageux, à moins qu'il n'ait une immense supériorité de forces . 1

Si les établissemens des premiers conquérant de l'Amérique ont eu plus de stabilité que les nôtres, ce n'est pas que ceux-ci eussent plus de sagesse ni de prévoyance, mais bien parce que 1

Je

pense

qu'on

m'objectera

la

difficulté

d'ap­

provisionner la troupe : mais cette objection est n u l l e pour S a i n t - D o m i n g u e où l'on serait m a î t r e de la m e r , et où l'on aurait toujours des points de c o m m u n i c a t i o n faciles avec l'escadre.

39


( 610 ) leur ambition avait un autre cours. Ils ne c h e r ­ chaient que des métaux; et, p o u r ouvrir les mines, il fallait fonder des villes près des endroits où elles étaient et plus riches et plus abondantes. S'ils n'avaient songé qu'au c o m m e r c e , jamais ils n'auraient élevé aucun poste d u r a b l e . Les in­ digènes et les maladies en auraient assurément fait justice. Ainsi, p o u r la p r e m i è r e fois, la soif de l'or a p r o d u i t q u e l q u e bien réel. 4.° Ces emplacemens militaires seraient choi­ sis de la manière suivante. L e p r e m i e r point de défense s'élèverait vers Plaisance, le D o n d o n ou M a r m e l a d e , de manière à m e n a c e r et à p r o t é g e r toute la côte depuis le F o r t - D a u p h i n , le C a p , l ' a c u l , le p o r t de Paix au N o r d , jusqu'au m ô l e Saint-Nicolas, les Gonaives, Saint-Marc à l'ouest, et dans l'intérieur la vallée de Goava. L e deuxième devrait être assis dans les montagnes du M i r e b a l a i s , sur la rivière de l ' A r t i b o n i t e , et il surveillerait les G o n a i v e s , S a i n t - M a r c , le P o r t - a u - P r i n c e , et au besoin le c e n t r e des m o n t a g n e s , ainsi que la vallée de Banica, etc. L e troisième dans les montagnes de la S e l l e , vers la source de la grande rivière du cul-de-sac, d e celle de L é o g a n e , ou de celle de F r o u l e . E n un m o t , l'assiette serait choisie dans l'espèce d'isthme b o r n é e par le Port-au-Prince d'une


( 611 ) p a r t , et le m o r n e r o u g e ou le trou souffleur d e l'autre. Ce p o i n t militaire défendrait l'en­ t r é e de cette presqu'île ou langue de t e r r e , qui a environ 2 ° 15' de l o n g i t u d e , et q u i se t e r m i n e à l'ouest p a r les Caps D a m e - M a r i e et T i b u r o n . Dans cette presqu'île se t r o u v e n t L é o g a n e , le g r a n d et petit G o a v e , B a r a d è r e , les C a y e m i t e s , J é r é m i e , les C a y e s , J a c m e l , et u n e multiplicité infinie de b a i e s , de r i v i è r e s , d e villages, de plantations très-riches q u i se­ raient tenus e n respect p a r la g a r n i s o n de cette seule forteresse; on p o u r r a i t , si on le j u ­ geait n é c e s s a i r e , élever un q u a t r i è m e fort à O u a n a m i n t e ou à Axavon sur la rivière du M a s s a c r e , p o u r p r o t é g e r les communications e n t r e la p a r t i e espagnole et la partie fran­ ç a i s e , et surveiller le F o r t - D a u p h i n , ainsi q u e les établissemens situés à l'est du C a p . 5.° Avec d e pareilles p o s i t i o n s , soutenues par des forces imposantes qui les occuperaient et q u i c o r r e s p o n d r a i e n t e n t r e elles, toutes les semences de révolte seraient étouffées, et les soldats n'auraient rien à r e d o u t e r de la fièvre j a u n e q u i , m ê m e aux Antilles, ne s'étend q u e r a r e m e n t dans l'intérieur des plaines et ne s'élève jamais sur les montagnes. 6°.

Les villes maritimes seraient

gardées

39 *


( б12 ) par les colons façonnés au climat, p a r les c o m m e r ç a n s formés en milice et soutenus p a r de petites garnisons chargées des f o r t s , des block-houses, et de tout ce qui serait ouvrage e x t é r i e u r , avec défense de venir dans la ville, et surtout d'y c o u c h e r . F o u r que les villes fussent p r o m p t e m e n t et suffisamment p e u p l é e s , il faudrait offrir des concessions de terre à ceux q u i , en état de p o r t e r les a r m e s , arriveraient avec l'armée ou dans un t e r m e limité ; et c h a q u e p r o p r i é taire ancien serait obligé de fournir des gérans ou fondés de p o u v o i r en â g e d ' e n t r e r dans la milice. D e pareilles m e s u r e s , sans affaiblir l'arm é e , garantiraient les p o r t s , qui d'ailleurs a u raient moins à craindre q u ' a u t r e f o i s , puisque l'ennemi n'aurait ni point de r a s s e m b l e m e n s , ni m o y e n s de c o m m u n i c a t i o n s , ni ressources p o u r se c a c h e r , et qu'il ne trouverait nulle p a r t une subsistance assurée. 1

Maîtres des ports en 1 8 0 2 , nous ignorions ce qui se passait dans l ' i n t é r i e u r , où se faisaient l i b r e m e n t tous les préparatifs de l'ennemi, sans q u e nous e n pussions être prévenus : r e s 1

T o u t ce que j'ai dit dans l e cours de ce traité,

explique pourquoi il ne faut pas coucher dans les villes quand on n'est pas acclimaté.


(

613)

serrés dans des foyers d'infection pestilentielle, nous ne pouvions nous en éloigner sans les plus g r a n d s p é r i l s ; privés d'alimens frais, il fallait c o m b a t t r e p o u r en avoir; de m ê m e q u e , p o u r n o u r r i r nos c h e v a u x , nous devions chaque jour faire m a r c h e r des colonnes p o u r c o n q u é r i r quelques bottes d'herbes. M a i s , dans le système de défense q u e nous p r o p o s o n s , q u e l est le n è g r e qui serait assez audacieux p o u r se r é ­ v o l t e r , lorsqu'il aurait en face d e lui u n e milice bien a g u e r r i e , et sur ses d e r r i è r e s une force mi­ litaire r e d o u t a b l e ? L e s noirs nous menaçaient sans cesse d'un général i n d o m p t a b l e qu'ils n o m m a i e n t le bonhomme tropique, et leurs menaces ne furent pas vaines. Mais pense-t-on qu'ils auraient la m ê m e assurance si, sur la crête de l e u r s m o r n e s , ils voyaient flotter les étendards de leurs ennemis ? Ils n ' i g n o r e n t pas q u e , dans u n e pareille situa­ t i o n , ils n'auraient rien à e s p é r e r de l'influence d u climat, et tout à c r a i n d r e d u c o u r a g e et des m a n œ u v r e s de leurs adversaires. 7.° D e quelle i m p o r t a n c e n e seraient p o i n t aussi ces citadelles intérieures, si une force a i m é e venait du d e h o r s p o u r s o u m e t t r e l'île? Si elles étaient suffisamment approvisionnées, la résis­ tance seule de quelques mois suffirait p o u r le


( 614 ) forcer à a b a n d o n n e r son p r o j e t , p a r c e q u e , r é ­ sidant sur les b o r d s d e la m e r , il y trouverait incessamment tous les germes de destruction. O n sait avec quelle facilité les colonies sont p r i s e s ; il n'en serait pas de m ê m e dans un système d e défense où l'on ferait c o n c o u r i r la force d e situation, la salubrité des lieux p o u r soi, et l'in­ salubrité p o u r l'ennemi. 8.° Resterait à p a r l e r du r é g i m e diététique des soldats; mais il se trouve r e n f e r m é dans la connaissance des causes de la m a l a d i e , et dans tout ce qui a été dit au chapitre des précautions. Il suffira d'ajouter qu'on ne doit jamais, q u a n d la nécessité n'y oblige p o i n t , o r d o n n e r les mar­ ches dans le milieu du jour, ni faire c a m p e r dans le voisinage de la m e r ou des m a r a i s : il faut, q u a n d le soleil s'élève p e r p e n d i c u l a i r e m e n t sur l ' h o r i z o n , forcer les militaires à se tenir ou sous la tente, ou sous les a r b r e s , ou sous un abri q u e l ­ c o n q u e . A trois heures d u m a t i n , on p e u t c o m m e n c e r les m o u v e m e n s , les i n t e r r o m p r e à neuf ou d i x , et les r e p r e n d r e à trois ou q u a t r e . Dans les distributions de r h u m , d ' e a u - d e v i e , de tafia, il faudrait avoir la précaution d'ajouter d e u x tiers ou trois-quarts d'eau ; alors ces boissons, de pernicieuses qu'elles auraient é t é , deviennent salutaires. S u r la fin du blocus


( 615 ) du C a p , j'avais o b t e n u qu'on fit, d e u x fois la s e m a i n e , une distribution de café aux soldats : ce q u i fut exécuté avec u n e utilité m a r q u é e . Q u a n t aux m a r i n s , on aurait l'attention d e les faire stationner le plus loin possible de la t e r r e , ou mieux e n c o r e de leur faire tenir la pleine m e r , sans leur p e r m e t t r e d ' e n t r e r dans les p o r t s a u t r e m e n t q u e p o u r un service urgent. Cette mesure ajoutée à la défense e x p r e s s e , dans ce d e r n i e r c a s , de d e s c e n d r e à t e r r e ou de c o u ­ c h e r dans les v i l l e s , aurait le d o u b l e avantage d ' e x e r c e r les m a r i n s , et d ' e m p ê c h e r q u e la fièvre jaune n e p é n é t r â t dans leurs vaisseaux. J'oserais g a r a n t i r qu'avec de semblables m o y e n s , et un capitaine a c c o u t u m é à ce climat, il ne faudrait pas u n e force militaire qui excédât dix mille h o m m e s p o u r r e p r e n d r e S a i n t - D o ­ m i n g u e et s'y fixer i r r é v o c a b l e m e n t . J e suppose q u ' o n emploirait l'arme de la persuasion, c o m m e fit le g é n é r a l Clauzel : p a r sa d r o i t u r e , sa sagesse et son h a b i l e t é , il sut s'attacher un parti au milieu des n è g r e s , et jeter p a r m i eux des se­ m e n c e s de divisions, qui nous servirent jusqu'à la fin, et qui nous seraient encore fort u t i l e s , si n o u s avions des desseins sur cette colonie.


N О Т Е.

D A N S LE mois de juin

1 8 1 4 , mon ma­

nuscrit fut confié à la Faculté de m é d e c i n e , qui n o m m a MM. Pinel et D u m é r i l p o u r l'examiner et en r e n d r e c o m p t e à la sociétê établie dans son sein. L e s d e u x commissaires firent

un r a p p o r t

savans très-cir­

constancié q u e j'aurais j o i n t à m o n t r a v a i l , si les éloges qu'il contient n'avaient com­ p r i m é m o n désir. Il y a , ce m e s e m b l e , a u t a n t de vanité à p a r l e r de s o i , sur le récit des a u t r e s , qu'à c o m p o s e r sa p r o p r e apologie. C e p e n d a n t ,

q u o i q u e je doive

b e a u c o u p à l'indulgence de l'illustre com­ pagnie et aux ençouragemens

qu'elle a

v o u l u m e d o n n e r , je n e puis dissimuler la satisfaction, et p e u t - ê t r e l'orgueil q u e m'inspire son

suffrage.

rendre hommage

C'est aussi

à sa décision

pour

que

le


( 617 )

Ministre de l'intérieur a bien voulu favoriser la publication de cet écrit. 1

L a F a c u l t é regrette avec m o i que je n'aie p u faire connaître plus particulière­ m e n t l'état d u canal rachidien. L a seule o u v e r t u r e de ce genre est consignée d a n s l'observation n.° 3 6 . Les a u t r e s , assez n o m b r e u s e s , o n t été dispersées p a r les matelots a n g l a i s , lorsque je fus fait p r i ­ sonnier. Mes observations c o m p o s a i e n t m a richesse ; mais elles ne satisfirent pas la c u p i d i t é de ceux qui cherchaient d'autres trésors. Je ne sauvai que celles que je d o n n e ; et, q u o i q u e je conserve le souvenir de b e a u c o u p d ' a u t r e s , je n'ai p o i n t voulu devoir à m a m é m o i r e celles q u e je publierais. Je crois être le p r e m i e r , et p e u t - ê t r e le seul q u i , aidé de mes laborieux c o m p a ­ g n o n s , aie ouvert la colonne épinière p o u r y chercher la source des désordres aperçus dans le t y p h u s d ' A m é r i q u e ; mais t o u t e s 1

n.°

Voyez

l'extrait de son rapport dans son bulletin

VII, 1814.


( 618 )

les recherches furent infructueuses. Si nous avions découvert dans la moelle ou dans ses nerfs quelques traces de lésions orga­ niques, nous eussions tenté le moxa répété sur les vertèbres. Peut-être ferait-on bien d'y avoir recours.


TABLE DES MATIÈRES.

PRÉFACE. C H A P I T R E P R E M I E R . N o m e n c l a t u r e e t classification. SECTION P R E M I È R E , p . 1.

S e c t . I I , p . 5. CHAPITRE

I I . Époques principales

de l a

fièvre

j a u n e , p . 9. SECTION PREMIÈRE. Épidémies d e l ' a n c i e n n e G r è c e , p. 9. S e c t . II. Analyse de la peste d ' A t h è n e s , p . 14. C H A P I T R E I I I . T a b l e a u d e s époques de la fièvre jaune dans les siècles m o d e r n e s , p. 2 1 . SECTION PREMIÈRE. Quinzième

S e c t . II. Seizième

siècle.

S e c t . III. Dix-septième

siècle,

p. 2 1 .

M a t l a z a h u a t l , p. 23. siècle.

Premiers documens.

p o s i t i f s , p. 28. Sect. I V . Dix-huitième Sect. v . Dix-neuvième

siècle,

p. 3 6 .

siècle.

Maladie d e S a i n t - D o ­

m i n g u e e t d ' E u r o p e , p. 7 6 . C H A P I T R E I V . Histoires particulières empruntées d e la maladie de S a i n t - D o m i n g u e , p . 9 9 . SECTION PREMIÈRE. Malades qui o n t g u é r i , p . 99.

Sect. II. Malades qui sont m o r t s , p . 128. CHAPITRE

V.

r i q u e , p . 187.

Résultats

de l'autopsie

cadavé­


( 620 ) SECTION PREMIÈRE. Effets de la maladie sur la masse cérébrale, p. 1 8 7 . Sect. II. Sur les organes de la p o i t r i n e , p . 1 9 0 . Sect. III. Sur l ' a b d o m e n , p. 193. Sect. I V . S u r d'autres o r g a n e s , p . 2 0 0 . C H A P I T R E V I . D e s s i g n e s , p. 2 0 3 . SECTION PREMIÈRE.

Article I .

D e s signes d i a g n o s t i q u e s , p. 2 0 3

Du type, p. 2 0 5 .

e r

Art. 2 . Première p é r i o d e , p . 2 0 8 . A r t . 3. D e u x i è m e p é r i o d e , p. 2 2 5 . Art. 4. Troisième p é r i o d e , p . 2 3 2 . Art. 5 . Réflexions générales sur les périodes, p. 2 5 4 . Art. 6 . Animaux m a l a d e s , 2 5 7 . Sect. II. Signes caractéristiques, p. 2 5 8 . Caractères g é n é r a u x , p . 2 5 8 .

er

Article 1.

Art. 2 . Analyse par p é r i o d e , p . 2 5 9 . Art. 3 . L a jaunisse e t le vomissement noir sont-ils des symptômes essentiels, p . 2 6 1 . Sect. III. Parallèle entre la fièvre jaune de S a i n t D o m i n g u e e t celle d'Europe, p . 2 6 5 . Sect. I V . Signes p r o n o s t i c s , p. 2 6 8 . Article l .

e r

Pronostic tiré des causes, p . 2 6 8 .

Art. 2 . Pronostic fondé sur les s y m p t ô m e s , p. 2 7 2 . Art. 3 . Opinion sur les récidives, p. 2 8 8 . C H A P I T R E V I I . D e s causes, p. 2 9 1 . SECTION

PREMIÈRE. Causes p r é d i s p o s a n t e s , p. 2 9 1 .

P r e m i è r e classe. Disposition inhérente à la c o n s ­ titution actuelle de l ' i n d i v i d u , p . 2 9 2 . Article I .

e r

D u t e m p é r a m e n t , p. 2 9 2 .

Art. 2 . D e s e n f a n s , p . 2 9 6 . Art. 5 . D e s a d u l t e s , p . 2 9 7 .


( 621

)

Art. 4 . D e s vieillards, p. 2 9 8 . Art. 5 . D u s e x e , p. 2 9 9 . Art. 6. D e s h o m m e s b l a n c s , p. 3 0 3 . Art. 7 . D e s noirs et m u l â t r e s , p. 3 0 4 . Art. 8. D e la profession, p. 3 0 7 . D e u x i è m e classe. D e la prédisposition

introduite

l e n t e m e n t par les agens e x t é r i e u r s , p. 3 0 7 . Article 1 .

e r

D e s saisons, p . 3 0 8 .

Art. 2 . D e la c h a l e u r , p . 3 1 4 . Art. 3. D u c l i m a t , p . 3 3 1 . Art. 4 . D e s effluves

m a r é c a g e u x et

de l'humi­

dité, p. 3 4 2 . Art. 5. D e s localités, p . 3 5 3 . Art. 6. Influence de l'air des vaisseaux et de celui de la m e r , p .

357.

Art. 7 . Influence des vents g é n é r a u x , p. 3 6 o . Sect. II. D e s causes o c c a s i o n n e l l e s , p . 3 6 4 . Article 1 .

e r

D e s affections m o r a l e s , p. 3 6 5 .

Art. 2 . D u f r o i d , p . 3 6 8 . Art. 3 . D e la suppression des évacuations artifi­ c i e l l e s , p. 3 7 1 . Art. 4 . D e l'action vive du soleil sur l e

cer­

v e a u , p. 3 7 3 . Art. 5. Des effets de la pluie sur le c o r p s , p . 3 7 4 . Art. 6. D e s courses violentes et des fatigues e x ­ cessives, p.

375.

Art. 7 . D e la c o h a b i t a t i o n , p . 3 7 5 . Art. 8. D e s excès

dans les boissons et les a l i -

m e n s , p . 376. Art. 9 . D u séjour dans les h ô p i t a u x , p . 3 7 9 .


( 622 ) Sect.

III.

Aperçu

théorique

sur

la cause essen­

t i e l l e , p. З 8 2 . CHAPITRE

VIII.

D e la c o n t a g i o n , p. З 8 7 .

SECTION PREMIÈRE. Vues théoriques, 388. Sect. II. Preuves de la contagion par les faits, p. 4 2 3 . Sect. III. Opinions de quelques écrivains sur la c o n ­ t a g i o n , p. 4 6 0 . C H A P I T R E I X . D u traitement, p. 4 7 2 . SECTION PREMIÈRE. Appréciation des moyens de la n a t u r e , p. 4 7 3 . Sect. II. Moyens indiqués par la médecine dogma­ t i q u e , p. 48o. Article I .

e r

D e l'emploi des v o m i t i f s , p . 480.

Art. 2. D e s purgatifs, p. 4 8 5 . Art. 3 . D e la s a i g n é e , p. 4 9 3 . Art. 4. Des bains tièdes, p. 5o3. Art. 5 . Des bains de vapeur, p. 5 0 6 . Art. 6 . Des bains froids, et de la g l a c e , p. 5 0 7 . Sect. III. Moyens proposés pour combattre chaque symptôme des plus d a n g e r e u x , p. 513. Sect. IV. De l'action e t de l'emploi de quelques dicamens en particulier, p . 5 2 0 . Article l .

e r

D u mercure, p. 5 2 0 .

Art. 2 . Des vésicatoires, p. 5 2 4 . Art. 3 . Du quinquina, p. 5 2 7 . Art. 4 . Des boissons a c i d e s , p. 5 3 9 . Art. 5 . Des frictions acides, p. 5 4 1 . Art. 6. De Peau de m e r , p. 5 4 5 . Art. 7 . Des frictions huileuses, p. 546. Art. 8. D e l'éther, p. 548.

mé-


( 623 ) Art. 9. D e l'opium et de ses préparations, p. 5 4 9 . Art. 1 0 . D u c a m p h r e , p. 5 5 1 . Art. 1 1 . Du p o i v r e , p. 5 5 1 . Art. 1 2 . D e l'ammoniaque liquide, p. 5 5 2 . Sect. v. Résumé général d u traitement, p . 5 5 2 . Article I .

e r

Moyens à employer contre la première

p é r i o d e , p. 5 5 5 . Art. 2 . Moyens à opposer à la d e u x i è m e , p . 561. Art. 3 . Moyens

qui conviennent dans la

troi­

s i è m e , p. 5 6 4 . Sect. V I . Régime diététique, p. 5 6 6 . Sect. 7 . Convalescence, p. 568. C H A P I T R E X . D e la médecine prophylactique, p. 5 7 1 . SECTION PREMIÈRE. Mesures qui paraîtraient les plus convenables en Europe pour prévenir

l'introduc-

tion du t y p h u s , p. 5 7 1 . Sect. II. Mesures locales, lorsqu'il a pénétré quelque part, p. 5 7 7 . Sect. III. D e la police d'une ville i n f e c t é e , p . 580. Sect. IV. Des moyens individuels propres à garantir de la fièvre j a u n e , p . 5 8 4 . Sect. v. D e ceux qui sont avoués par la raison et l'ex­ p é r i e n c e , p. 5 8 8 . Sect. VI. D e s fumigations, p. 5 9 1 . Sect. VII. Hygiène militaire, p.

597.

Sect. VIII. Mesures à prendre sur les vaisseaux, p. 598. C H A P I T R E X I . Exposé des moyens propres à prévenir l'effrayante dévastation occasionnée par la fièvre jaune, dans nos armées des A n t i l l e s , p. 6 0 2 . N O T E , p. 6 1 6 . FIN.







Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.