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ENVOI

« Li sa, sé chenn i ké ba pawol ou » Prophétie d’un bouc-cabrit

ENVOI

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Il laissa derrière ses talons le sol humide et rugueux, parce que antidérapant de la salle de bain : Georges-Antoine Zozime, dit Gros Gaz, sentit s’allumer une flammèche de plaisir au contact de l’épaisse moquette. Le torse ceint d’une grande serviette, il en utilisa une autre, plus petite, pour éponger ses membres. Il insista particulièrement sur les plis et replis, tout partout où, en vertu d’un droit coutumier, pouvait camper, faussement blasées, les troupes assassines préposées aux infections microbiennes. Quand il était en voyage, son corps, mis à l’épreuve par l’absorption sans ménagement des fuseaux horaires, finissait par perdre quelques-uns de ses repères et ne savait plus comment résister aux gerçures purulentes des mycoses scélérates. S’il ne voulait pas avoir l’attache des orteils fissurée, la raie des fesses enflammée et l’aine charcutée, en ses deux versants, à chaque frottement de l’ourlet du slip, il fallait prendre les devants, et GeorgesAntoine s’y employait précautionneusement. Il était maintenant aussi nu que sec, vaguant un regard nonchalant sur son image reflétée dans le miroir. Saufla partie découpée par l’encastrement d’une table-bureau, ce miroir occupait toute la surface d’un des murs de la chambre d’hôtel. Tout à coup, Georges-Antoine ramassa la serviette dont il s’était quelques instants auparavant dévêtu. Il la referma autour de ses parties intimes tout en lançant un oeil mauvais et

soupçonneux à l’observateur que son imagination ou ses dons de double vue plaçaient outre le miroir. Comme si ce dernier eût été sans tain, et que de la sorte il cédait passage aux indiscrétions qui ne s’étaient que trop longtemps repues de sa nudité. Mais il eut aussitôt l’idée de se raviser et de feindre le retour à l’innocence de la posture précédente, quand le sanctuaire de sa vie privée ne lui paraissait pas encore menacé par la lame de ce regard étranger. Il fallait endormir la vigilance de l’Autre, quel qu’il fût. C’est pourquoi GeorgesAntoine se dénuda de nouveau. Imitant alors quelqu’un qui se saurait protégé par quatre murs opaques, il se mit à tâter d’une forte grippe de la main la ceinture replète de son abdomen, avec l’air entendu de celui qui prend la résolution de maigrir à cet endroit. Il étala comique à souhait sa dentition devant le grand miroir mural et inspecta le cati et le décati de son visage qu’il gratifia, à plusieurs reprises, de ce genre de sourires qui peuplent le temps matinal des ablutions. Il n’ignorait pas ce que ces attitudes successives avait de loufoque. Il avait cependant l’intuition qu’une clause de prudence lui commandait de soumettre sa vanité et le culte de son image personnelle aux nécessités d’une bonne stratégie. Ainsi donc, contrairement à son habitude d’enfiler ses vêtements dujour avant de se livrer à la séance d’écriture qu’il s’imposait tous les matins, même quand il était en déplacement, il s’assit à sa table de travail. Garder son naturel ne fut pas facile, mais il y réussit un certain temps sans trop de peine en se disant que toute nouvelle incongruité apparaîtrait comme une bizarrerie de plus. Mais il avait beau pencher hypocrite la tête sur son cahier, il n’arrivait à rien produire, obsédé qu’il était par l’enjeu du moment.

Adonc, au bout d’un quart d’heure de macaqueries, GrosGaz décida de rechercher dans son porte document le formulaire d’enquête que lui avait remis la veille, dans la rue, quelque étudiant désargenté en mal de petits boulots. (« Une fois que vous l’aurez rempli,vous n’aurez qu’à l’envoyer dans cette enveloppe déjà timbrée »). Ce geste de bonne volonté ne lui avait-il pas valu, quelques mois auparavant, de gagner une location de voiture pour quinze jours, kilomètres illimités, et qu’il utilisa pendant son dernier séjour à Paris ? Le seul inconvénient avait été la hantise de devoir garer le véhicule pendant la journée dans les environs de son hôtel. Le quartier des Gobelins, de ce point de vue, n’était pas de tout repos. Mais finalement, le bilan avait été positif s’il y comptait toutes les drives qu’il avait pu faire seul ou accompagné (et, sans mentir, bien accompagné !) en Ile-de-France, et même ailleurs. Mais, au fait, tirage au sort et anonymat de l’enquête, ça ne va pas ensemble ! Cette remarque, qui ne le tracassait pas outre mesure, participait des ruses par lesquelles il parvenait à se donner la contenance qui, à cette heure, était en train d’endormir chez l’Autre, le soupçon d’être découvert juste là, maintenant, en ce moment même, à longueviller un client, un bon client en plus. Oui ! bon, peut-être, mais certainement pas client bonbon ni client gâteau! Parce que ça, non, il ne le l’accepterait pas ! Il n’allait pas rester cent ans à sa table, tout nu comme une tête chauve sans chapeau-bakoua. Il répondrait plus tard à l’enquête, dont le questionnaire, assez complexe, supposait une certaine concentration. Il espérait qu’une fois de plus il serait un des heureux gagnants, ainsi récompensés du temps précieux passé à remplir ce document élaboré par des gens

sans doute consciencieux mais ennuyeux comme des pains rassis. Il était maintenant sûr d’avoir, en fin de compte, sauvé la situation. Logiquement, aucun obstacle particulier ne devrait être interposé pour l’empêcher d’inspecter la chambre voisine. Il fallait absolument qu’il y entre pour y découvrir de quoi asseoir son intuition. Cette intuition-là, Gros-Gaz le savait bien, n’avait dans la réalité absolument aucun fondement concret qui puisse, le moment venu, l’affranchir, à ses propres yeux, du diagnostique d’une grave paranoïa. Mais pour l’heure, il restait là comme un concombre sans graine. Quittant alors l’hôtel pour se rendre à ses divers rendez-vous de la journée, il comprit qu’il ne pourrait pas, d’un revers de main, chasser au loin cette sorte et qualité de mouche dont le vonvonnement vibrait jusqu’au fin fond des écales de son crâne.