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ENVOI

occupait toute la surface d’un des murs de la chambre d’hôtel. Tout à coup, Georges-Antoine ramassa la serviette dont il s’était quelques instants auparavant dévêtu. Il la referma autour de ses parties intimes tout en lançant un oeil mauvais et soupçonneux à l’observateur que son imagination ou ses dons de double vue plaçaient outre le miroir. Comme si ce dernier eût été sans tain, et que de la sorte il cédait passage aux indiscrétions qui ne s’étaient que trop longtemps repues de sa nudité. Mais son idée lui dit aussitôt de se raviser et de feindre le retour à l’innocence de la posture précédente, quand le sanctuaire de sa vie privée ne lui paraissait pas encore menacé par la lame de ce regard étranger. Il fallait endormir la vigilance de l’Autre, quel qu’il fût. C’est pourquoi GeorgesAntoine se dénuda de nouveau. Imitant alors quelqu’un qui se saurait protégé par quatre murs opaques, il se mit à tâter d’une forte grippe de la main la ceinture replète de son abdomen, avec l’air entendu de celui qui prend la résolution de maigrir à cet endroit. Il étala comique à souhait sa dentition devant le grand miroir mural et inspecta le cati et le décati de son visage qu’il gratifia, à plusieurs reprises, de ce genre de sourires qui peuplent le temps matinal des ablutions. Il n’ignorait pas que le contraste de ces attitudes successives était de nature à lui valoir les stigmates d’une loufoquerie sans appel. Il avait cependant l’intuition qu’une clause de prudence lui commandait de soumettre sa vanité et le culte de son image personnelle aux nécessités d’une bonne stratégie. Contrairement donc à son habitude d’enfiler ses vêtements dujour avant de se livrer à la séance d’écriture qu’il s’imposait tous les matins (même quand il était en déplacement), il s’assit à sa table de travail. Garder son naturel

ne fut pas facile, mais il y réussit un certain temps sans trop de peine en se disant que toute incongruité serait désormais mise sur le compte de cette bizarrerie dont il venait de donner des signes. Il avait beau pencher hypocrite la tête sur son cahier, il n’arrivait à rien produire, obsédé qu’il était par l’enjeu du moment. Adonc, au bout d’un quart d’heure de macaqueries, GrosGaz décida de rechercher dans son porte document le formulaire d’enquête qui lui avait été remis la veille, dans la rue, par quelque étudiant désargenté en mal de petits boulots. (« Une fois que vous l’aurez rempli,vous n’aurez qu’à l’envoyer dans cette enveloppe déjà timbrée », lui avait-on dit). Ce geste de bonne volonté (après tout, c’était comme se rendre à la station de transfusion sanguine !) ne lui avait-il pas valu, quelques mois auparavant, de gagner une location de voiture pour quinze jours, kilomètres illimités, et qu’il utilisa pendant son dernier séjour à Paris ? Le seul inconvénient avait été la hantise de devoir garer le véhicule pendant la journée dans les environs de son hôtel. Le quartier des Gobelins, de ce point de vue, n’était pas de tout repos. Mais finalement, le bilan avait été positif s’il y comptait toutes les drives qu’il avait pu faire seul ou accompagné (et, sans mentir, bien accompagné !) en Ile de France, et même ailleurs. Mais, au fait, tirage au sort et anonymat de l’enquête, ça ne va pas ensemble ! Cette remarque, qui ne le tracassait pas outre mesure, participait des ruses par lesquelles il parvenait à se donner la contenance qui, à cette heure, était en train d’endormir méchant chez FAutre, le soupçon d’être découvert juste là, maintenant, en ce moment même, à longueviller un client, un bon client en plus. Oui ! bon, peut-être, mais

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certainement pas client bonbon ni client gâteau! Parce que ça, non, il ne le prendrait pas ! Il n’allait pas rester cent ans à sa table, tout nu comme une tête chauve sans chapeau-bakoua. Il répondrait plus tard à l’enquête, dont le questionnaire, assez complexe, supposait une certaine concentration. Il espérait qu’une fois de plus il serait un des heureux gagnants, ainsi récompensés du temps précieux passé à remplir ce document élaboré par des gens sans doute consciencieux mais ennuyeux comme des pains rassis. Il était maintenant sûr d’avoir sauvé in extremis la situation. Aucun obstacle particulier ne devrait être interposé pour l’empêcher d’inspecter la chambre voisine. Il fallait absolument qu’il y entre pour y découvrir de quoi asseoir son intuition. Mais, cette intuition-là, comme il n’était pas complètement tèbè, il se rendait parfaitement compte qu’elle n’avait, dans la réalité, absolument aucun fondement concret qui puisse, le moment venu, l’affranchir, à ses propres yeux, du diagnostique d’une grave paranoïa. A ce poker-là, il fallait qu’il joue, même s’il n’avait rien d’un joueur invétéré. « Banco ! Tiens bon la rampe, ça va tanguer rude ! », se dit-il. Il partit vers ses divers rendez-vous de lajournée.

Chapitre 1

Danses et contredanses

Quelques jours avant le bal traditionnel du campus, certains étudiants se sont mis en quête de musique antillaise. Sollicité de ci, de là, tu as été d’une bien piètre contribution par les quelques titres que, pris de court, tu es parvenu à extirper de ta mémoire peu aguerrie à la discographie des divers morceaux créoles même les plus en vogue. Ta surprise a été d’autant plus vive devant le grand nombre et la diversité des CD récoltés ainsi que leur teneur en zouks, biguines, mérengués, cadences, calypsos et autres compas. Elsie, a été ta première cavalière. Mais ton esprit était loin, très loin. Quant à ton corps, il était là sans être là, tu le sentais tout flòkò tout autour de toi. Tu t’éprouvais, pantin plus désarticulé qu’un bois-bois de carnaval, livré aux automatismes des rythmes syncopés. Une mazouk dansée avec Margaret, une autre avec Vanina, amenées par la deuxième ou peut-être la troisième vague des arrivants (même moi, je ne m’en souviens pas très bien ), ne parvenait pas non plus à lester ton corps du moindre poids de conviction, à susciter dans ton âme la moindre complicité fomenteuse de joie. Sandia, sympathique africaine américaine, par le caractère théâtral de son arrivée, aura plus d’effet sur ton humeur : surgissant d’un seul bond sur la piste, elle s’est instituée avec ostentation ta partenaire à un moment où, le rythme aidant, la proximité de chaque couple était à ce point distendue que personne ne savait plus qui danse avec qui.