Relation de l'insurrection des mulâtres, arrivée au Fort-St-Pierre de la Martinique

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RELATION DE L’INSURRECTION

DES MULATRES, Arrivée au Fort St. Pierre de la Martinique, le 3 Juin 1790. que la ville de St. Pierre vient d'éprouver de la part des Mulâtres libres , intéresse trop directement la Colonie, pour que les Citoyens de St. Pierre ne s empressent pas d’en faire connoître les détails, & éclairer leur freres de la campagne sur les maux dont ils font menacés , L'INSURRECTION

Les Mulâtres du Fort avaient annoncé le dessein de porter les armes à la Procession de la Fête-Dieu, & hs avoient été soutenus dans leurs p.o,ets par quelquesuns de leurs officiers : depuis long-temps

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ils tenoient des Assemblées séditieuses & ne tendoient qu’à s’acquérir' les droits de l’égalité , à quelque prix que ce fût ; la Procession devoit être le prétexte. Mercredi , M. Dert , CommandantGénéral , reçoit une motion, qui lui est adressée par M. Guillaume Fournier, Capitaine d’une Compagnie de Mulâtres, & qui tendoit à ce que le Drapeau du Bataillon du Fort, qui étoit chez le Major, fut remis à la Municipalité , & à ce que les Gens de couleur montassent à la Procession. M. Dert en fait part à M. de Seutre, Major, qui convoque aussi-tôt chez lui tous les Officiers des Districts du Fort. Là , M. Fournier préfente fa motion; il est soutenu par M. Dufau , Officier d’une autre Compagnie de Gens de couleur : tous les autres. Officiers s’élèvent contr’eux, & décident que le Drapeau ne doit point forcir de chez le Major, & que les Gens de couleur ne monteront point à la Procession, pour laquelle il ne doit y avoir que des Détache-

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3 mens de Citoyens. MM. Fournier & Dufau soutiennent leur motion avec la plus grande chaleur , & menacent qu'elle fera exécutée , & qu’ils la soutiendront jusqu’à la derniere goutte de leur sang. En sortant de l'Assemblée, M. Dufau en va faire part aux Mulâtres qu’il réunit à la place du Fort; des dépositions certaines attellent qu’il vouloir, dès ce foir , aller chercher ceux qui lui avoient le plus résisté dans l’Assemblée, & qu’en annonçant aux Mulâtres que le Drapeau ne sortiroit point, il leur dit : qu’en tout cas , s’il arrivoit quelque chofe, ils n’avoient qu’à venir le trouver, & qu’il fe mettroit à leur tête. Jeudi matin , la procession s’est passée tranquillement, la cérémonie n’a point été interrompue ; mais pendant qu’elle se faisoit, les Mulâtres étoient en grand nombre à la place du Fort; ils ont tenu une Assemblée, à laquelle M .de Richemont, Officier d’une de leurs Compagnies , qui étoit de garde, a assisté, & l’un d’eux a dit qu’on

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4 avoit bien fait de ne ras faire sortir le Drapeau, parce qu’ils l'auroient arraché. A dix heures & demie environ , la p rocession étant finie, leNegre, tambour d’un District, passe , ayant un panache à son chapeau; un Mulâtre veut le lui faire quitter , en disant que, puisque la procession des Manans étoit finie, il ne devoit plus le porter. Un jeune homme dit au tambour de ne point le quitter ; le Mulâtre lui répond infolemment, crie: mon sabre ici! & faute au cou du jeune homme , qui se voit à l’instant entouré de trois ou quatre Mulâtres qui l’entraînent vers le Fort : il crie à l'assassin ! au secours ! & est blessé d un coup de labre» Les Mulâtres crient de leur côté : aux armes, Mulâtres ! Sept à huit Blancs accourent les premiers , & contiennent, malgré leur petit nombre, les Mulâtres qui étoient déjà multipliés. Dans l'’instant Mr. Dufau descend par la rue Castant , à la tête d’une quarantaine de Mulâtres armés; Mr. Fournier

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n'avoitpoint d’armes; il paroissoit même agir pour tâcher d’appaiser le tumulte , lorsqu'un coup de sifit tiré par le Mulâtre Germain, mais qui ne paroissoit pas dessiné pour lui , l'a étendu fur la place ; Mr. Dufau s’avaree & couche en joue; Mr. Bonnet fils se trouve vis-à-vis de lui, & lui préfente aussi ses armes, en lui disant, que faites vous Dufaut Y pensezvous, mon ami ? Le fleur Dufau répond ; « point d'ami ; nous suivons ce que nous avons arrêté » ; son susit fait fausse amorce ; alors Mr. Bonnet lâche son coup & lui fracasse le bras. Les Mulâtres font une décharge; l’un d’eux nommé Jh. Dian , s’est sur-tout signalé par son acharnement; il étoit blessé, & ajustoit encore avec un pistolet, lorsqu’un coup de fabre lui a abattu le bras, On a su qu'il étoit forti dès sept heures du matin avec ses pistolet , les autres ont pris la fuite ; la générale a battu, le tocsin a formé , & les premiers qui ont été arrêtés ont été pendus fur le champ. Pendant que l’on école encore en présence , plusieurs Citoyens de la CormpaMANIOC.org

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6 gnie des Canoniers avoient couru au Fort, pour s’emparer des canons ; M. de Richemont leur a refusé la porte , & les Mulâtres la tenoient fermée par derrière ; quelques-uns d’eux ajustoient les Blancs par-dessus les murs , lorsque la porte a été forcée ; ils ont voulu se sauver par le parapet ; l'un d’eux a été tué fur la place , les autres ont tiré fur les Canonniers , dont un a reçu trois balles dans son chapeau. Il y a eu diverses rencontres où les Mulâtres ont fait feu aussi fur les Blancs , du ont étê suivis les armes à la main , munis fortement de cartouches ; ils crioient que c' était le jour de la liberté; l'un d’eux dit à un qui expiroit : meurs tranquille , c'est ce matin pour eux, ce fera ce soir pour nous, M, le Maire a été couché en joue par un Mulâtre qu’il n’a pas pu retenir ; il auroit été terrassé si le Brigadier ne fût venu à son secours : on en a arrêté une soixantaine ; quatorze Mulâtres ont péri dans la journée , & trois Blancs, qui tous trois et oient leurs insligateurs; savoir ,


7 le fleur Fournier, tué par un Mulâtre ; le fleur Dufau , blessé d'abord , & pendu ensuite, lorsqu’on a lu qu’il étoit complice, & qui , en demandant grace, a avoué qu'il méritoit la mort; enfin M. de Richemont, qui a été trouvé caché dans une futaille , chez un Mulâtre , & qui a été sufissé. Des papiers trouvés chez le nommé Alexis René, Negre libre, prouvent les relations intimes qu’ils entretenoient avec ceux du Fort-Royal ; les Blancs y font désignés comme leurs ennemis ; ils dévoient imprimer un Mémoire que les Comités n’ont pas jugé à propos qu’ils imprimassent : ils se nourrissoient des moyens de s’élever par une faillie interprêtation des décrets de l'Assemblée nationale, qu’ils s’appliquent lors même qu’elle a décrété ne vouloir rien changer à la constitution des Colonies, & attendre ce qu’elles décideront elles-mêmes à cet égard ; leurs projets remontent évidemment à la malheureuse journée du 30 Septembre, & au fatal baiser qui a commencé tous les malheurs de ce pays ; il est évident que c’est par la force que ces fcélérats aspiroient à


8 la qualité de Citoyens, & il est affreux de penser que , malgré tous les troubles qu'a éprouvés la Colonie , le premier coup de sufit ait été tiré par un Mulâtre. Il a été établi une Chambre Prévôtale , composée deMagistrats, de cinq Gradués, de treize Commissaires nommés par tous les Districts , d’un Procureur du Roi, & un Greffier , pour juger tous ceux qui font arrêtés , sauver même , dans ce moment terrible, les innocens, s'il en est , & découvrir les horribles vérités que cet événement indique: tout annonce qu’il y avoir des projets plus étendus ; que l’éclat s’est fait plutôt qu’on ne vouloir; & il est certain que, depuis quelques jours, iis faisoient ligner des listes dont on ignore encore le contenu , mais qui doivent donner les plus forts soupçons. Ceux qui se font fauves , qui se font rendus au Fort-Royal, demandent, dit-on , vengeance; mais les yeux doivent s’ouvrir fur leur compte, & le fa ut de la Colonie dépend , dans ce moment , du p ara qu elle

prendra.


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