L'odyssée d'un Normand à St Domingue au dix-huitième siècle

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Conseil général de la Martinique


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VICТОR

ADVIELLE

L'ODYSSÉE D'UN

NORMAND A St DOMINGUE AU

dix-huitième Siècle.

PARIS LIBRAIRIE

CHALLAMEL

17, RUE J A C O B , 1 7 1901

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Conseil général de la Martinique



V I C T O R

A D V I E L L E

L'ODYSSテ右 D'UN

NORMAND A St DOMUNGUE AU

dix-huitiティme Siティcle.

PARIS LIBRAIRIE

CHALLAMEL

17, RUE JACOB, 17

1901

136726


PROPRIÉTÉ

Tous

DE

droits

L'AUTEUR

réservés.


A

LE

MONSIEUR

GÉNÉRAL

LÉGITIME

A n c i e n P r é s i d e n t de la R é p u b l i q u e

d'Haïti.

H O M M A G E

ET AFFECTUEUX

VICTOR 28, Passage

SOUVENIR

ADVIELLE Dauphine,

à

Paris.


LE DERNIER JOUR D E JANVIER M DCLXXVI SUR CETTE PAROISSE DE ST SEVERIN EST

MORT

RUE

DES

MAÇONS-SORBONNE

BERTRAND OGERON SIEUR D E LA BOUÈRE

EN-JAI.LAIS

QUI, DE M DCLXIV A M DCLXXV, JETA

LES

FONDEMENS

D'UNE

SOCIETE

CIVILE ET RELIGIEUSE, AU MILIEU DES FLIBUSTIERS

ET

BOUCANIERS

DES

ILES

D E LA TORTUE ET DE ST DOMINGUE. IL PREPARA AINSI PAR LES VOIES MYSTERIEUSES DE LA PROVIDENCE LES DESTINEES DE LA REPUBLIQUE D'HAÏTI.

R . I.

PLAQUE DE

P.

MARBRE

dans l'Église S a i n t - S é v e r i n , à P a r i s . H. 0,80 c. L. 0,55 c.


Les graves événements qui, depuis un siècle, agité la République d'Haïti, appellent sur ce pays méditations de l'historien et du philanthrope.

ont les

La période de transition que les Haïtiens ont eu à traverser avant d'être constitués en Nation, ne doit pas leur faire oublier que les Français, par une meilleure organisation des services publics, ont préparé l'avenir jusqu'alors incertain de la Colonie. Ce livre que nous publions est une page intéressante de l'histoire administrative d'Haïti à la fin du dix-huitième siècle. Outre le récit de l'utile entreprise des eaux- de la Grande-Rivière Sac,gui vera

a fait la fortune

en grand

les intérêts

étaient

à combattre citoyens et par

Cul-deon

des renseignements

à cette encore

la routine

distribution du

de Port-au-Prince,

nombre

sur la vie haïtienne

de la

et plame

époque opposés,

pour

et le développement

de formation, où l'autorité

assurer du pays

où avait

la sécurité par le

trouintimes

des

commerce

l'industrie.

Impartial jusque dans ses moindres détails, ce livre s'adresse à tous ceux qui forment des vœux pour la prospérité de la République d'Haïti.



L'ODYSSÉE D'UN

N O R M A N D A ST D O M I N G U E Au dix-huitième

siècle

I I7:12. N a i s s a n c e d e P i e r r e —

Ce f r a n c , à Q u i b o u , p r è s S a i n t - L ô .

1 7 5 5 . Il é p o u s e M a r i e D r a n c y , se fixe à P a r i s c o m m e A r c h i ­

tecte-expert et devient 1756.

Entrepreneur

des b â t i m e n t s du R o i . —

Il t r a v a i l l e p o u r le c o m t e d e la M a r c h e , le p r i n c e d e T u -

r e n n e , L'évoque d e C a r c a s s o n n e , la M a n u f a c t u r e d e

porcelaine

d e S c e a u x . — I7.Ï7. N a i s s a n c e d e s o n fils E t i e u n e - P a s c a l .

A la fin du d i x - h u i t i è m e siècle, u n architecte français, n o m m é Lefranc, alla en Haïti p r e n d r e p a r t aux t r a v a u x de distribution des e a u x de la G r a n d e Rivière et plaine du C u l - d e - S a c . Mêlé a u x a g e n t s du p o u v o i r , à l'élément militaire, à la population i n d i g è n e , occupant u n certain n o m ­ b r e d'esclaves, il eut à l u t t e r à p r o p o s de s o n e n t r e ­ prise, contre des difficultés de tout g e n r e , d o n t sa -correspondance qui n o u s est p a r v e n u e , g a r d e le s o u venir.


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10

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C'est cette période de tâtonnements et de rivali­ tés que n o u s allons faire connaître à l'aide de n o m ­ b r e u x documents inédits. La famille Lefranc, de laquelle est issu Lefranc de Saint-Haulde (1), tire son origine du village de Quibou (2), près Saint-Lô, en Basse-Normandie. Au dix-septième siècle, il y avait dans ce p a y s un laboureur n o m m é P i e r r e Lefranc qui eut de son m a r i a g e avec Michelle Hélie, deux enfants mâles. L ' a î n é vint au monde en 1689, fut appelé Pierre et s u r n o m m é les Lauriers, (3) et mourut à Quibou le 3 juillet 1756 (4) ; il avait épousé Jacqueline Groualle, dont il eut Barnabé-Pierre-Jacques Lefranc, n é à Quibou, le 4 août 1740. Le cadet Isaac, sur lequel on n'a aucun r e n s e i ­ g n e m e n t , fut architecte. On sait seulement qu'il a v a i t épousé Anne Duval, qui lui donna un fils, P i e r r e L E ­ FRANC, qui, p a r la suite, se fera appeler DE S A I N T H A U L D E , du n o m d'une propriété qu'il aura a c q u i s e . P i e r r e L E F R A N C dont il s'agit, naquit à S a i n t R e m y , b o u r g de Quibou, le 25 novembre 1732 (5), e t se m a r i a le 28 avril 1755, à Marie Claude D r a n c y , qui, le 28 n o v e m b r e 1757, le rendit père d ' u n fils qui reçut au baptême (6) les prénoms de Étienne Pascal. Dès 1756, P i e r r e Lefranc était fixé à P a r i s c o m m e


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11 -

a r c h i t e c t e - e x p e r t (7) et e n t r e p r e n e u r de b â t i m e n t s , c a r le 25 août de cette a n n é e , on lui écrivait (8) d e Melun : « Vous pouvez Monsieur, faire la distribution d e s a p p a r t e m e n t s de notre maison, nouvellement c o n s t r u i t e , et faire les cloisonnages, comme n o u s l ' a v o n s projetté à nostre dernier voyage. La présente l e t t r e vous servira de pouvoir. » « Nous avons l'honneur d'estre tres parfaitement Monsieur, vos tres humbles et tres obéissans servi­ teurs. « G u é r i n de Sercilly, G u é r i n de Vaux, Guérin Veuve Berthier, Lefebvre. » L ' a n n é e suivante, ces mêmes p e r s o n n e s lui don­ n a i e n t pouvoir pour r é g l e r les travaux qu'il avait d i r i g é s d a n s cette même maison qui fait l'angle du quai et de la r u e des G r a n d s Augustins, à Paris. Voici le texte du pouvoir (9) : « N o u s , soussignés, Marguerite Louise Guérin, veuve de Monsieur Louis Berthier, avocat au p a r l e ­ ment, doyen de Messieurs les Officiers de l'Election de Melun, et subdélégué de M. l'Intendant et Louis Etienne Guérin de Vaux, Conseiller du R o y , R e c e ­ veur des Tailles de Melun, tous p r o p r i é t a i r e s , chacun pour un q u a r t d'une maison sise à P a r i s , quai et r u e des G r a n d s Augustins, et nous faisant et p o r t a n t fort de M. Lefebvre-Provost de Melun, p r o p r i é t a i r e ,


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12 —

p o u r le q u a t r i è m e quart de ladite maison, représenté p a r la dame son épouse, donnons, conjointement, plein pouvoir au sieur Lefranc, n o t r e architecte et e n t r e p r e n e u r , de r é g l e r et vérifier, estimer tous les o u v r a g e s qui ont été par lui faits, et sous ses ordres et conduite, en notre susdite maison, savoir : charpente c o u v e r t u r e , menuiserie, s e r r u r e r i e , c a r r e l a g e , pavé, plomberie, peinture, vitrerie, sculpture, m a r b r e r i e et v i d a n g e , promettant d'en passer p a r le règlement qui en sera fait par ledit sieur Lefranc comme p a r a r r ê t de Cour souveraine. « Fait à P a r i s , ce quatre F é v r i e r mil sept cent cinquante-sept. « Le présent Pouvoir a été a p p r o u v é p a r n o u s , soussignés, et promettons d'y souscrire dans les t e r m e s y portés, les dits j o u r et an que dessus et avons signé : « Guérin, veuve Berthier, Guerin de Sercilly, Guerin de Vaux, Guérin Lefebvre, G a r n i e r , De la H a y e , J.-J. Robe, Savey, Pauly, H e r s a n t , B o u l a n g e r , Heurta ut. » P i e r r e Lefranc avait épousé à P a r i s , le 28 avril 1755, Marie Claude Drancy ; le 9 m a r s 1758, il s'obligea p a r d e v a n t Me Girault, n o t a i r e , de la s o m m e de 1800 livres au profit de sa belle s œ u r Marie Nicolle Drancy, veuve de Robert L a u r e n t R e n a r d , m a r c h a n d plâtrier, à Paris, d e m e u r a n t à la H a u t e -


— 13 — Courtille. Cet acte fut u n e source d'ennuis pour Lefranc; il donna lieu notamment, en 1771, à u n e sentence de condamnation, s u r le principal et les i n t é r ê t s ; et, p a r la suite, cette créance dut être cédée à Me G r a n g e r , huissier à cheval au Châtelet, r u e Trousse-Vache, qui en poursuivit le r e c o u v r e ­ ment, montant alors à 2061 liv., 10 sols, 9 d e n i e r s . La clientèle de P i e r r e Lefranc s'était étendue et bonifiée p e n d a n t les années 1756 à 1765; mais, si les t r a v a u x étaient devenus plus importants, les paiements laissaient à désirer. On commandait, on pressait m ê m e l'architecte, mais on le payait quand on pouvait et, peut être, quand on voulait. Or, comme il était fournisseur, en même temps qu'architecte, tout r e t a r d de payement lui était préjudiciable, car il obtenait difficilement des délais de ceux qui lui avaient procuré les m a t é r i a u x . Nous avons en mains la minute d'une supplique qu'il adressa en 1763, à « Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Comte de la Marche, Prince du Sang. » Il lui disait (10) : « Monseigneur, P i e r r e Lefranc, expert, e n t r e p r e ­ n e u r des Bâtiments de Votre Altesse Sérénissime, lui représente très humblement que suivant le devis et m a r c h é du 11 Juin 1761, les g r o s o u v r a g e s du p r e m i e r Bâtiment qui ne dévoient être finis qu'au


14

15 octobre, l'ont été au mois de septembre de la m ê m e a n n é e , p a r la diligence qu'il y a apporté. « Suivant le même devis ledit Bâtiment et la tota­ lité des Ecuries devoient être finis au mois de j u i n 1762 ; elles ne l'ont été qu'au mois d'Aoust, ce qui a fait un retard de deux mois par la raison qu'on a mis le suppliant dans le cas de n'en faire q u ' u n e partie à la fois, ce qu'il auroit pu faire d a n s le m ê m e tems si l'on n'avoit pas conservé partie des dites Ecuries pendant qu'on lui faisoit construire l'autre ; et que, d'ailleurs,' depuis ce tems il y a toujours eu des augmentations imprévues et des c h a n g e m e n s aux dits Bâtimens et accessoires, ce qui a b e a u c o u p a r r i é r é et empêché le suppliant de fournir le second mémoire des dits o u v r a g e s . « Le même devis porte que le tiers du prix de l a totalité des dits ouvrages sera payé d a n s le c o u r a n t d'iceux, le second tiers à la fin et réception desdits o u v r a g e s , laquelle réception, si l'on avoit mis le suppliant en état de suivre ses opérations, auroit pu ê t r e faite au mois d'Octobre d e r n i e r ; et le d e r n i e r tiers un an après la réception, de m a n i è r e qu'il y a deux tiers d'échus. « Le suppliant a fourny un p r e m i e r m é m o i r e dès le mois de Septembre, montant suivant les p r i x et conditions du devis à 44,240 livres et des sols ; le second qu'il vient de fournir le 27 du présent m o i s


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15 —

d e Mars, monte, suivant le m ê m e devis, à la s o m m e de 22,342 livres et des sols. En sorte que le total de s e s o u v r a g e s monte à la somme de 66,583 livres, 2 sols, 1 denier. « Il reste encore u n petit mémoire à fournir de réparations faites au corps de l'Hôtel, p e n d a n t les a n n é e s 1761-1762, et j u s q u ' à p r é s e n t , qui p o u r r a m o n t e r environ à 2,000 livres. « Donc, les deux tiers des deux g r a n d s m é m o i r e s sont de 44,388 livres et des sols, s u r quoi il n ' a reçu q u e 36,905 livres, 10 sols. « Ainsi, il s'en faut de 7,483 livres, qu'il n'ait touché ce qui seroit échu suivant le devis, si on l'avoit mis en état de produire ces deux mémoires et de les faire a r r ê t e r . « IL ne prétend cependant pas se plaindre des payements qui lui ont été faits de la p a r t de Votre Altesse Sérénissime ; il y a nombre de personnes p o u r lesquelles le suppliant a travaillé, et qui lui doivent des sommes considérables, sur la rentrée desquelles il comptait pour faire h o n n e u r à des e n g a g e m e n s qui ne peuvent se r e m e t t r e , desquelles il ne peut rien toucher, ayant obtenu pour partie des lettres de s u r s é a n c e , et pour les a u t r e s des sauf-con­ duit ; ce qui met le suppliant d a n s la d e r n i è r e des peine et e m b a r r a s , qui le p e r d e n t de réputation d a n s sa profession et son c o m m e r c e .


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16 —

« Pourquoi il supplie très humblement Votre Altesse Sérénissime, de d o n n e r ses o r d r e s pour q u e M. Boulard lui paye une somme de 4,000 livres s u r ses o u v r a g e s , pour satisfaire à ses e n g a g e m e n t ; et au moyen de cette g r â c e il attendra pour le s u r p l u s tout le tems qui lui sera prescrit ; et il continuera ses vœux pour la conservation des j o u r s précieux d e Votre Altesse Sérénissime. » On voit p a r cette pièce que les exigences de l ' a r ­ chitecte Pierre Lefranc n'étaient point excessives ; en ne réclamant qu'une partie de ce qui lui était d û , en laissant le règlement du surplus à la g é n é r o s i t é du Comte de la Marche, il prouvait qu'il avait à c œ u r de satisfaire ses clients les moins diligents. En cette année 1763, Pierre Lefranc fut en r e l a ­ tions avec un autre client de m a r q u e . Voici, en effet, ce que l'Evêque de C a r c a s s o n n e , Mgr Armand Bazin de Bezons (11), lui écrivait (12) : « Aux Missions E t r a n g è r e s , ce 12 février 1 7 6 3 . « J e suis depuis quelque tems à P a r i s , M o n s i e u r ; j e serois fort aise d'avoir le plaisir de vous v o i r , et souhaiterois fort avoir votre avis sur un dessein q u e j ' a y apporté avec moy, pour la porte d ' e n t r é e d e l'évèché, à laquelle on va travailler. Je ne sors g u è r e avant les dix h e u r e s du matin ; et, de p l u s , j e s e r a y s a n s sortir Dimanche, Lundy et Mardy. J e vous p r i e


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17

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d ' ê t r e p e r s u a d é de tous les sentimens avec lesquels j e s u i s , Monsieur, votre très humble serviteur. « f A r m a n d , E. de Carcassonne. » E n 1764, il correspondit avec Jullien et J a c q u e s , D i r e c t e u r s de la célèbre manufacture de porcelaine d e Sceaux ; et p a r lettres datées des 22 j u i n et 3 oc­ t o b r e , ceux-ci lui parlent de divers t r a v a u x et n o ­ t a m m e n t d'essais qu'ils avaient faits, à sa d e m a n d e , p o u r le Prince de Turenne, mais qui n'avaient point r é u s s i , et qu'ils voulaient r e c o m m e n c e r , si on leur e n laissait le temps. L'année suivante, 1765, nous le trouvons p a r m i l e s soumissionnaires des t r a v a u x du Palais Bourbon. Il échoua ; mais il obtint, en cette circonstance, l'ap­ p u i de h a u t s protecteurs. Gougenot, notamment, (13) l'un des secrétaires du Prince de Condé, écrivit à s o n sujet au P r i n c e de T u r e n n e : « Ce 28 décembre 1764. « Monseigneur, « J ' a y fait lire à S. A. S. (14) la lettre que vous m ' a v e z fait l'honneur de m'écrire le 20 de ce mois. J e lui ferai voir pareillement celle q u e vous m'avez écrite hier, et j e n'oublierai rien pour faire valoir les t é m o i g n a g e s a v a n t a g e u x que vous rendez du S Lefranc : j e m'estimerois h e u r e u x , si j e pouvois ê t r e utile à quelqu'un p o u r qui vous vous inté­ ressez. r


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« Je suis avec un profond respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur. G o u ­ genot. « J'ai eu l'honneur, mon Prince, de r é p o n d r e à votre lettre du 20 de ce mois, le 22. » Quatre j o u r s après Gougenot écrivait encore a u Prince de T u r e n n e : er

« A P a r i s , ce 1 j a n v i e r 1765 « Monseigneur, « S. A. S. Monseigneur le Prince de Condé a r é ­ duit le nombre de ses E n t r e p r e n e u r s , p o u r le P a l a i s Bourbon, à deux ; et, comme ceux qui a v a i e n t fait les soumissions sur lesquelles elle a fixé les p r i x qu'elle vouloit accorder pour les O u v r a g e s de m a ­ çonnerie, ont accepté, il n'a pas été possible d'offrir aucune partie de construction au S. Lefranc a u q u e l vous vous intéressiez ; il était compris s u r la liste d e ceux qui pouvaient être a d m i s . « J'ai l'honneur d'être, etc. Gougenot. » En transmettant à Pierre Lefranc la p r e m i è r e d e s deux lettres ci-dessus, en original, comme justifica­ tion de la d é m a r c h e faite par le Prince de T u r e n n e , Gaultier (15), u n des secrétaires du p r i n c e , s a n s doute, les a c c o m p a g n a d'une note ainsi c o n ç u e : « Mille compliments à Monsieur Lefranc. J ' e s p è r e beaucoup, et lui proteste que M. G o u g e n o t a été v é -


— 19 — ritablement tourmenté à son sujet. J e n'ay pas le t e m p s de luy en dire d a v a n t a g e . Ne le verra-t-on p a s icy ces j o u r s cy ? » Le 5 janvier, il lui adressa la seconde missive p a r la lettre ci-après : « A Paris, 5 Janvier 1765. « Je joins icy, Monsieur, la lettre par laquelle M. de Gougenot a mandé au Prince que le nombre des e n t r e p r e n e u r s avoit été fixé à deux. Je suis Vérita­ blement fâché qu'il n'ait pas été porté à trois, ainsy q u ' o n l'avoit d'abord projette. Ma s œ u r m'écrit que l'amy de M. de Gougenot luy avoit dit qu'il y avoit a p p a r e n c e si les trois eussent eu lieu, que vous auriez été du nombre. Il est probable que cette en­ treprise a été donnée à deux, p o u r les e n g a g e r , par un plus g r a n d bénéfice, à observer leurs soumis­ s i o n s , eu égard à la modicité des prix auxquels ils avoient souscrits. « Une autre lois ne vous mettez pas si tard sur les r a n g s . « J'aurois été bien comblé d'avoir à vous annoncer une nouvelle agréable. Le Prince est aussy très fâché de n'avoir pu parvenir à vous obliger. En mon par­ ticulier, j ' a u r o i s été bien sensible au plaisir de vous convaincre de la sincérité de l'intérest que j e prends à ce qui vous r e g a r d e . « Ne pouvant rien ajouter aux sentiments avec


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lesquels j ' a y l'honneur d'être, Monsieur, votre t r è s humble et très obéissant serviteur. Gaultier. » L'intérêt évident que venait de témoigner le P r i n c e de Turenne ne l'ut pas stérile : dès ce moment, P i e r r e Lefranc travailla pour ce haut dignitaire, qui, d a n s les premiers mois de l'année suivante, lui fai­ sait écrire (16) : « M. le Prince de Turenne prie Monsieur Lefranc de diligenter M. Le Prince pour ses bains, étant dans la saison où il va incessamment en a v o i r besoin. « Il luy fera plaisir de luy mander dans quel t e m s il compte que ses bains seront finis. » Les bains du Prince de Turenne furent-ils p r é j u ­ diciables aux intérêts de l'architecte Lefranc ? On l e croirait, à la lecture de la lettre ci-après que le secré­ taire Gaultier lui adressait : » A Paris, ce 27 Avril 1765. « M. de la Bellangerie, Monsieur, qui était chez l e Prince, quand j e lui ay rendu compte de votre l e t t r e , et à la signature du mémoire, m'a prié de v o u s mander que Mardy il acquitterait cet a r r i é r é ; ainsy ne manquez pas d'y envoyer Mardy prochain. « Le Prince désirerait beaucoup que ses bains, fussent finis au mois de Juin, et, eh attendant, il vous prie bien dè les mettre en état de luy servir. « Je prends, j e vous assure, toute la p a r t p o s s i -


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b l e , à ce que vous me marquez avoir essuyé de d é ­ s a g r é a b l e , et souhaite de tout mon cœur que vous réussissiez dans tout ce que vous entreprendrez, p e r s o n n e n'ayant l'honneur d'être plus sincèrement, Monsieur, votre très humble et très obéissant servi­ t e u r . Gaultier. » D'ailleurs, deux autres lettres, datées de 1767 et de 1769, établissent qu'il y avait pénurie d'argent chez le Prince de Turenne ; et, par suite, expliquent les e m b a r r a s de tout g e n r e que le défaut de p a y e ­ m e n t occasionnaient à l'architecte Lefranc. Voici ces deux lettres : e

« A Paris, ce 8 -Février 1707 (17). « Monseigneur le Prince de Turenne, Monsieur, auquel j ' a y communiqué votre lettre a été très fâché de ne pouvoir faire ce que vous désiriez ; mais ce luy a été de toute impossibilité. Il attend une r e n ­ t r é e de fonds assez considérable de la Pologne, avec laquelle il compte terminer beaucoup de choses p a ­ reilles à la vôtre ; mais avant qu'il les ait reçus, il n'y a aucune apparence qu'il puisse disposer d'au­ cun a r g e n t . Vous serez dans ce temps-là u n des p r e ­ m i e r s satisfait ; mais vous n e devez pas vous en flatter avant ce remboursement. « J'ay l'honneur d'être de tout mon cœur, Mon­ sieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Gaultier. »


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22 —

« A Paris, ce 18 avril 17G9 (18). « Monseigneur le Prince de Turenne me c h a r g e , Monsieur, de vous mander qu'il est bien fâchez de ne pouvoir pas vous donnée, dans ce moment ci, ce qu'il vous doit, mais que si tôt qu'il le pourra il n e vous oublira pas. « J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre teur. Coupeaux. »

servi­

Cette lettre mal calligraphiée, n'est plus d'un secrétaire; et laisse deviner l'insolvabilité du Prince. C'est donc la gêne qui augmente toujours pour l'ar­ chitecte Lefranc. De sa vie privée, pendant ces années là, on sait peu de chose. Sa femme ne lui avait donné qu'un enfant, et cet enfant grandissait et continuait ses études (19). Quelques amis, restés fidèles, lui t é ­ moignent, dans des lettres intimes, le g r a n d attache­ ment qu'ils éprouvent pour sa personne. L'un d'eux, dont la signature est indéchiffrable (Cleret peut-être), lui écrit de Bastia, le 8 septembre 1766 : (20) « Comment, mon cher Maître, vous avez la bonté de vous ressouvenir de moi et de me m a r q u e r de l'amitié ? À ces traits je reconnois le François. J'ai véritablement besoin de t e m s à autre, pour me faire réfléchir qu'il est des honnestes gens clans le monde, de ces r e m a r q u e s , car j e suis bien éloigné de t r o u -


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v e r d a n s ce pays ce que nous avons chez nous, j e veux dire la franchise et l'amitié. Depuis près de d e u x ans j e suis confiné dans ce maudit séjour, j e n'ai pas encore vu rien qui approchât de la nature un p e u policée. Le sol, en général, est rempli de rochers arides ; les endroits bas sont des m a r a i s infects qui, dans certains temps de l'année, occa­ sionnent des maladies mortelles ; le génie des habitans est un composé de hauteur et de bassesse ; leur caractère est meurtrier, sans que pour cela ils soient braves ; leurs femmes ne sont pas agréables, il s'en faut... Telle est, en général, la description du pays que j ' h a b i t e . Jugez du plaisir que j e dois y avoir, p a r le récit que j e vous en fais. Seul, comme u n ours, j ' a t t e n d s la fin avec impatience, et je tâcherai de m e récompenser du temps perdu p a r le voyage de l'Italie, qui me sera fort agréable, si je puis le faire, car il faut, pour cela, la volonté de mes p a rens.... » Un autre lui confie ses peines les plus secrètes, et par deux lettres, écrites toutes deux à 5 heures du matin, le 27 novembre et le 2 Décembre 1767, il lui demande à emprunter une petite somme d'argent, pour remplacer celle qu'il a... empruntée à son p a ­ tron, et avec laquelle il s'est fait traiter et g u é r i r du mal de Naples. Ici la confidence est complète. C'est un j e u n e clerc, dont la « simplicité » était l'objet des


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moqueries de la bazoche, et qui a voulu p r o u v e r qu'il était homme. De toutes les personnes, dit-il à l'architecte Lefranc, que son père avait pour amis, « vous êtes celui en qui j ' a i cru devoir me confier d a v a n t a g e ». Et il le prie, avec insistance, de brûler ses deux lettres où il a déposé ses r e m o r d s . Hélas ! peines perdues ! Comme toutes les lettres qu'on r e ­ commande de brûler, celles-ci (21) seront conser­ vées ; et alors que tant d'autres documents intéres­ sants disparaîtront, on les retrouvera, un siècle p l u s tard, dans les papiers de l'architecte Lefranc, d o n t le « moindre défaut » peut être, était alors de ne p a s prêter d'argent aux e m p r u n t e u r s . Un autre encore et il s'agit ici de travaux, lui écrivit (22) en 1768 : « J'ai parlé à Monsieur C a r o n , afin que ce soit vous qui fassiez ce qui est à faire à la maison. Je serois bien aise que vous le voyiez auparavant, afin que j e puisse faire avec le p r o p r i é ­ taire, ou avec l'abbé De La Borde, son fondé de p r o ­ curation, le petit acte qui m'autorise à faire ce q u i est convenu entre nous. » Il s'agissait de t r a v a u x d e maçonnerie à exécuter p o u r . u n M. P a n i e r , rue d e s Deux-Portes, près celle de la Verrerie. On sait p a r tradition que l'architecte Pierre L e ­ franc est allé deux fois à Saint-Domingue, la p r e ­ mière fois peut-être en 1767 ou 1768, et il y a u r a i t


fait, d a n s ce cas, un court séjour ; la seconde, en 1771, et il y est resté, cette fois, près de dix a n n é e s . Les motifs du premier voyage ne sont p a s connus ; c'est le désir d'acquérir des richesses qui le déter­ mina, sans nul doute, à traverser les mers. Il n'est m ê m e p a s certain qu'il fit le premier voyage à SaintDomingue, en 1767 ou 1768. Ce q u i , en l'absence de documents, me fait adopter cette date, est u n plan, trouvé dans ses papiers, et dont voici la légende : Plan de la ville et Mole (23) de Saint-Nicolas, rôle de St-Domingue, veriffication par nous faite des Islets et Emplacemens de ladite Ville, conformément aux premières oppérations qui en avaient été faites précédemment; que nous avons arpenté et borné de nouveau conformément aux ordres du Gouvernement Général. Par nous, arpenteur du Roy, soussigné, ce 11 Juillet 1767. L E ROYER. Ce fort beau plan colorié mesure 0,55 cent de hauteur sur 0,75 de l a r g e u r . La légende ci-dessus est dans un superbe cartou­ che, a u lavis, représentant des canons, des obusiers, des boulets, des tambours, des fusils, des sabres et des d r a p e a u x . Les terrains, pour la plupart à bâtir, sont divisés en c a r r é s et losanges de mêmes dimensions, et séparés p a r des rues tirées au cordeau, déjà d é ­ nommées : rues de Condé, d'Orléans, de Bourbon, 3


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Dauphine, Royale, de Pinthièvre (24), d'Anjou, d e Bourgogne, Marchande, de la Marine, Grande, J e a n Rabel, de Bairy (Berry) et Allemande. L'esplanade est derrière le Môle. Au dessous p a s s e le grand chemin qui va du Môle Saint-Nicolas à J e a n Rabel. Enfin, le plan indique, par des lettres de r a p p e l , où sont l'Eglise, le Presbytère, le Gouvernement, le Jardin du Gouverneur, l'Hôpital des Officiers, l ' H ô ­ pital général, le Logement du Directeur de l'Hôpital, le Logement du Trésorier, le Corps de g a r d e , le bureau du Commissaire, l'Amirauté et le M a g a s i n général. Si donc, l'architecte Lefranc est allé une p r e m i è r e fois, à Saint-Domingue, en 1767, il est p r é s u m a b l e que c'était pour prendre part aux travaux du Môle Saint-Nicolas. En tout cas, dès cette époque, il y entretenait d e s relations, et se préparait à y faire une r é s i d e n c e prolongée, qui absorbera ses dernières a n n é e s . A Paris, la clientèle de Lefranc s'étendait. De c e s années là nous avons une enveloppe, sans la l e t t r e , portant cette intéressante suscription : « A Monsieur « Monsieur le Franc de St-Haulde, architecte, a u


— 27 — c h â t e a u du Veaux, chez M. le comte de Jeaucourt, p a r Avalon, en Bourgogne, « A Avalon. « Duc

DE C H O I S E U L . »

Cette pièce prouve que l'architecte Lefranc t r a ­ vaillait aussi pour le duc de Choiseul (25), à son hôtel, sans doute, dont une partie des terrains servit, en 1780 (26) à la reconstruction de l'Opéra-Comique. N o u s avons aussi un Mémoire (27) très bien fait, qui fut remis à l'architecte Lefranc, par un arche­ vêque (28), pour obtenir de lui un dessin de j a r d i n pour la ferme de Ribecourt. Voici cette pièce en son entier : « La ferme de l'Ecolâtrie (29) est située dans un t e r r a i n bas. Le terrain est dominé à gauche p a r un petit monticule et ne présente qu'un seul point de vue à peu près en face de la porte du j a r d i n . Cette situation peu avantageuse a déterminé à ne faire aucunes augmentations de Bâtimens que celles qui se sont trouvées nécessaires pour y pouvoir loger quatre ou cinq maîtres. « On a pris le parti d'abandonner au fermier toute la partie de terrain côtée 1 et 19 et de ne s'y r é s e r v e r que des commodités qu'on désire faire monter j u s ques au premier étage, pour y pouvoir communiquer du corridor d'en haut.


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28 —

« On se propose de placer la porte du jardin a u milieu de la partie de Bâtiment qui sera occupée p a r M. l'Ecolâtre, et qui sera couverte d'ardoise. O n souhaiteroit pouvoir masquer le petit bâtiment d e retour, côté 16, 17, 22, 2 3 , par une charmille élevée ou par une allée de tilleuls, vis à vis de laquelle o n en feroit une autre, de manière que la porte d u jardin fut au milieu. En lace de cette porte on v o u droit un parterre à l'angioise, à gauche un p o t a g e r , ensuite du potager un verger bien planté en q u i n quonce, de manière que les allées de ce quinconce se marient avec celles d'un joli bois qui termineroit ce terrain. « On voudrait faire dans la petite sallette de c o m ­ pagnie, une porte vitrée, à la place d'une des d e u x croisées, qu'on construira près de la cheminée, afin d'entrer tout de suite dans le jardin. En suivant ce projet il faudroit en face de ces deux croisées, u n e allée qui traverse le jardin jusques a u bout, et u n e autre, parallèle, de manière qu'on puisse faire t o u t le tour du terrain, en se promenant dans u n e belle allée de quinze à vingt pieds. A l'extrémité du t e r ­ rain côté 19, on peut terminer la g r a n d e allée p a r un petit Belvédère, ou cabinet de charmille, q u i donnera sur le grand chemin, et auquel on m o n t e r a par quelques marches de gazon. « On n'est pas fort attaché au bâtiment de r e t o u r ,


— 29 — m a i s on n'a pas trouvé d'autre endroit pour placer des b û c h e s et commodités. On est fort attaché à la con­ s e r v a t i o n des deux salles en bas et des deux cham­ b r e s en haut. Dans la première de ces deux cham­ b r e s , en haut, on tirera une cloison qui formera un corridor terminé par la seconde chambre destinée à M. l'Ecolâtre, qui pourra tirer une vue sur l'allée du jardin. « On n'est pas attaché à mettre la laverie avant la cuisine. On a éloigné cette dernière pour n'être in­ commodé ni de l'odeur de la cuisine, ni du bruit des domestiques. Au dessus de cette cuisine sera un cor­ ridor dans lequel il y aura une ou deux chambres. Or, pour élever à la hauteur de ce corridor la partie du bûtiment du fermier, destinée à son fourni, on pourra pratiquer une chambre et un petit cor­ ridor de retour qui mènera aux commodités. « L'escalier montera jusques aux mansardes, dans une partie desquelles on fera des logemens de do­ mestiques, et dans l'autre quelques petites chambres pour loger des maîtres. « On ne se propose d'autre logement que celui d'un presbytère, mais on désire un plan d e j a r d i n q u i soit joli. 11 faut que lorsqu'on r e g a r d e r a la maison du côté du j a r d i n , elle paroisse détachée de celle du fermier, de manière que la porte du j a r d i n se trouve a u milieu de la partie du bâtiment couverte d'ar-


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doise ; qu'en face, il y ait un p a r t e r r e terminé, à droite et à gauche, ou par des allées, ou par d e s charmilles, qui détachent le bâtiment. « On ne serait pas éloigné de séparer le p a r t e r r e du potager par un m u r de quatre pieds de h a u t e u r , pour profiter de la bonne exposition, auquel cas o n ne pourrait avoir ni charmille ni allée. « On désire que le potager soit d'une jolie forme, et coupé par des allées qui aboutissent à un b a s s i n qui sera au milieu, et dans lequel on fera venir l'eau par un ou deux puits à pompe, qui seront c a c h é s dans quelque coin. Ou croit qu'un seul puits suffira. On ne croit pas qu'il ait plus de vingt-cinq pieds de profondeur. Avec une pompe de bois, et des c a n a u x de bois d'aulne, on aura de l'eau à peu de frais. « On est borné à ne dépenser que 3000 livres, en bâtise ; c'est ce qui a déterminé à ne faire que le n é ­ cessaire. » Ce qui précède prouve que le Prélat qui fit ou fit faire ce projet était un homme de goût ; c'est p r e s ­ que de la coquetterie qu'il exige de son architecte. Lefranc de St-Haulde, qui ne demandait p a s mieux que de faire bien et beau s'empressa de donner satisfaction au Prélat ; car, en tète du Mé­ moire, il a mis cette annotation : « Envoyé à M g r « l'Archevêque, le plan demandé, ce 9 j u i n 1770. J'ai eu l'honneur de lui écrire le 10 en conséquence. »


— 31 Quel était cet archevêque ? A n'eu pas douter, c'est celui de Cambrai, Léopold Charles de Choiseul, qui occupa ce siège d u 2 août 1764 au 8 septembre 1774. C'était le frère du Ministre de ce nom ; et dès lors il y a lieu de supposer que c'est ce dernier qui envoya à Lefranc de Saint-Haulde, dans l'enveloppe préci­ tée, le Mémoire qu'on vient de lire. Il ne saurait en être autrement. D'abord, il n'y avait alors, et il n'y a encore en F r a n c e , que deux localités du nom de Ribécourt ; l ' u n e , qui a toujours fait partie de l'ancien diocèse d e N o y o n , aujourd'hui département de l'Oise; l'autre, p r o c h e Cambrai. La première de ces localités est trop éloignée d'une ville archiépiscopale pour qu'il y ait eu j a m a i s une FCcolâtrie. P a r conséquent, l'attribution du document précité ne peut-être douteuse, pour Ribécourt, près Cambrai. Dans le documéntée nom de localité est écrit sans accent ; on le voit aussi sans accent sur la carte de l'Etat major mais, dans le pays on prononce et l'on écrit Ribécourt avec un accent ; et comme me le fai­ sait r e m a r q u e r l'un de mes savants correspondants, —M. A. Durieux, de Cambrai,— récemment décédé, cette prononciation semble rationelle si l'on se r e ­ p o r t e à la forme ancienne du mot : Ribescut, Ribiercourt, Ribertcourt, etc.


— 32 Mais on ne connaît pas à Ribécourt de ferme p o r ­ tant u n e désignation particulière ; on n'en voit p a s sur les cartes anciennes ; et un compte de f e r m a g e s et autres, rendu à Fénelon (le seul qui soit aux a r ­ chives de Cambrai) par son receveur Thiéfry, p o u r les années 1694-1695, ne mentionne point, pour l'ar­ chevêque, de propriété à Ribécourt. On serait dès lors tenté de chercher autre p a r t l a ferme de Ribécourt, dont j e viens de parler, m a i s ce serait peine perdue : il s'agit évidemment ici d u Ribécourt, proche Cambrai. Malgré des difficultés incessantes avec ses clients, les plus titrés surtout, l'architecte Lefranc avait fait fortune. Il possédait dans Paris, rue des Gravilliers, une maison d'une certaine importance, et à la c a m ­ p a g n e , une terre dite de Saint-Haulde (30) qui lui avait permis de transformer son nom roturier d e Pierre Lefranc en celui, à allures nobilières, de Lefranc de Saint-Eaulde, qu'il finira même p a r o r t h o ­ g r a p h i e r L. F. de St-Haulde, sans pouvoir, c e p e n ­ dant, faire adopter, p a r ses correspondants, c e t t e forme qu'ils savaient de récente éclosion. Toutefois son aisance n'était qu'apparente. Il avait des propriétés, mais elles étaient g r e v é e s d'hypothèques ; il gagnait de l'argent, mais p o u r suffire à ses engagements, il avait du subir les e x i -


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g e n c e s d'usuriers ; et il allait se trouver réduit à i m p l o r e r la pitié de ses créanciers. E n 1770, nous le voyons pressuré de toutes parts : il e m p r u n t e 360 livres sur des dentelles estimées 850 livres ; il remet en g a g e à un nommé Le Bey, qui, q u e l q u e temps après était enfermé à Bicêtre, u n e c a n n e , u n e montre en or, une épée d'argent, deux p e n d u l e s , quatre couverts et une cuillière à soupe, m a r q u é e s P. L. F. ; il signe cinq billets au nom de Noël Lamorinière, qui le 15 mai en fait la déclara­ tion devant les j u g e s du Châtelet ; enfin, cherchant protection partout, il adresse à l'abbé Pommyer (31) conseiller en la grand Chambre du Parlement, un Mémoire étendu dont voici les principales parties : « Lefranc de Saint-Haulde, Architecte et entre­ p r e n e u r de Bâtiments à Paris, représente très hum­ blement à Monsieur l'abbé Pommyer, qu'accablé depuis quelques années sous le poids de procédures r u i n e u s e s , vexatoires, et qui n'ont point d'exemples parmi nous, à lui faites p a r le nommé Prunier, sans état, prête nom d'un nommé Gueudret, à présent faiseur d'affaires et usurier, connu de tout le monde d e l a police, ci-devant au service de M. Le Bas-Uuplessis, Conseiller au Parlement, qu'il a ruiné par sa cupidité et ses m a n œ u v r e s , ce qui a élevé son opu­ lence, il touche au moment de voir aussi sa ruine con­ sommée absolument, s'il n'est r e g a r d é favorable­ m e n t p a r M. l'abbé Pommyer.


— 34 « Le sr Lefranc, du fruit de ses talents s'était acquis une fortune assez considérable ; mais d e s revers l'ayant e n g a g é d'emprunter quelques s o m m e s audit Gueudret, à un intérêt de plus de c i n q u a n t e pour cent d'usure, il se trouva compris dans plus d e vingt banqueroutes pour un objet d'environ 80,000 livres, dont 18,600 livres dans celle de Boucheron, déposée chez M Brissau, notaire, à lui due par p r i ­ vilège, objet bien plus que suffisant pour acquitter led. Gueudret sous le nom promis, que le suppliant n'a jamais v u ; s'il eût voulu accepter la délégation à lui faite et n'eût préféré de le ruiner en frais d e procédure, et le déchirer dans sa réputation, c o m m e son procureur a même eu l'indécence et la passion de le faire à l'hôtel de Monsieur P o m m y e r , lors du dernier référé, pour la demoiselle Fleury, qui n ' e s t pour rien dans cette affaire, et seulement parce q u e le suppliant est son locataire et son pensionnaire ; ce dont le suppliant demande la permission de r e ­ pousser de semblables calomnies. 0

« Depuis dix-huit mois, le sieur Lefranc n'a cessé d'être immolé. Trente-cinq mille livres ne p a y e r o i e n t pas les frais qui lui ont été faits injustement. Il n ' a jamais refusé de se libérer. Il a même employé l ' i m ­ possible pour cela, puisqu'il a vendu sa m a i s o n moyennant 52,000 livres chez M° Mathon, qui ont été délégués, ce qui n'a pas empêché qu'il ne soit consommé 14,000 livres de frais.


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« Il ose assurer que son actif est endore bien plus q u e suffisant pour s'acquitter, si P r u n i e r et quelques a u t r e s encore, ameutés et excités contre lui, vouloient lui accorder un court délai, et si les officiers dont ils se servent n'avoient eux-mêmes leur intérêt en vue. « Ce n'est que pour obtenir ce court délai qu'il implora un sauf-conduit, pour au moins en profiter et s ' a r r a n g e r , ce qui ne fit q u ' a u g m e n t e r l'acharne­ m e n t de Gueudret ou Prunier, car c'est la même chose. « Ces deux particuliers l'ont harcelé, traduit dans tous les tribunaux de c e t t e capitale, l u i o n t fait s u p ­ p o r t e r tous les détours de la chicane, sans miséri­ c o r d e e t sans humanité. « Il faut être du métier et du caractère de Gueu­ d r e t pour se livrer à un semblable procédé et p r é ­ férer la chute d'un citoyen honnête et distingué dans la société, il ose dire avec quelques talents, que de toucher son dû. é

« Le n Nicolo, huissier à verge et dud. Gueudret ou P r u n i e r , se transporta, escorté de recors, avec le scandale le plus public, en la maison du suppliant à Saint-Haulde, d'abord pour un commencement de saisie de ses meubles, et ensuite en vertu d'une o r d o n n a n c e de Monsieur l'abbé Pommyer pour con­ t i n u e r cette saisie.


— 36 — « Il n'y a sortes d'incursions, d'horreurs et d'abus reprehensibles qu'ils n'aient commis, et que l e s archers établis en garnison réelle à la g a r d e d e s effets saisis, n'exercent depuis dans cette maison, en étant les maîtres, et n'y ayant personne pour l e s réprimer. « Ils s'ennyvrent du matin au soir, avec le vin d u suppliant, tuent les pigeons de son colombier, m a n ­ gent les morceaux d'un porc salé, boivent le ratafia, brûlent ce qu'ils trouvent, font venir des m a l h e u r e u x mendiants avec lesquels ils se livrent à tous ces b r i ­ g a n d a g e s , et occasionnent dans le pays toutes l e s scènes et les scandales les plus odieux, ce qui p o r t e au suppliant un dommage irréparable. « Gueudret a plus fait. Il a saisi réellement cette maison ; il est venu ensuite à Paris faire la m ê m e incursion avec le même appareil; de sorte que l e suppliant n'a d'autres moyens, pour se débarrasser^ que d'invoquer la puissance de l'autorité du m ê m e Magistrat dont ils exécutent les ordonnances a v e c tant de rigueur. « Dans ces circonstances, le suppliant, p e r s u a d é que Monsieur l'abbé Pommyer aime tous les c i t o y e n s également, et ne s'occupe qu'à réprimer la m é c h a n ­ ceté et l'injustice de ceux qui méconnaissent l'hon­ nêteté et l'humanité, le supplie très humblement d e le protéger contre de pareilles vexations ; de l u i


— 37 — a c c o r d e r u n délai de quinzaine, pour lui faciliter le m o y e n de se libérer envers Prunier et Gueudret ; é t a n t au moment de toucher u n e somme suffisante d'un ami qui l'oblige dans cette cruelle extrémité, et d ' o r d o n n e r que les gardiens réels se retireront, et, p o u r raison de leur inconduite, les punir exemplai­ r e m e n t . Cette grâce, en empêchant sa ruine, mettra un frein suffisant à ses adversaires, lui procurera leur libération, et lui fera continuer ses v œ u x pour la santé de Monsieur l'abbé Pommyer. » Il est fort probable que l'abbé Pommyer se mon­ t r a g é n é r e u x envers Lefranc de Saint-Haulde, c a r on lit le m o t « Payé », en r e g a r d du Mémoire; et, comme s'il voulait garder souvenir des misères qu'il avait e n d u r é e s , notre architecte prit soin, en outre, d'écrire en tête ces quelques mots qui peuvent se p a s s e r de commentaires : «Mémoierre(M'c) bon à con­ s e r v e r pour conoistre les bonnes qualités de Gueu­ dret et P r u n i e r . » Ce Gueudret était, ou devait devenir, u n de ses parents. Quoiqu'il en soit, la situation de fortune de L e ­ franc de Saint-Haulde allait être, p a r suite de ces machinations, sérieusement compromise. H e u r e u ­ sement, il était d'âge encore, — quarante a n s à p e i n e , — à recommencer sa carrière sur de nouveaux frais. La France n e lui avait pas été très favorable ;


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il alla demander à un pays lointain, où presque t o u t était encore à organiser, les moyens de r é p a r e r le temps perdu ; et partit pour Saint-Domingue, l a i s ­ sant à Paris sa femme et son fils, â g é de quatorze ans.


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II 1 7 7 1 . Lefranc d e S a i u t - H a u l d e va se

fixer

définitivement à

P o r t - a u - P r i n c e . S e s a m i s e t s e s p r o t e c t e u r s à la C o u r . — 1 7 7 2 . Premiers

a c h a t s d e t è t e s de

les t r a v a u x d e d i s t r i b u t i o n

n è g r e s . C o n t r a t s . Il

entreprend

de la Grande-Rivière

du Cul-de-

S a c . — 1773. 11 perd sa f e m m e qu'il a laissée à P a r i s a v e c s o n fils.

11 a un a s s o c i é . — 1 7 7 4 Il se r e m a r i e au P o r t - a u - P r i n c e . —

1 7 7 5 . C o n t i n u a t i o n d e s t r a v a u x . R e m è d e s p o u r les n è g r e s ,

C'était au commencement de l'année 1771. Un personnage du Gouvernement, pour le p r é ­ m u n i r contre certaines éventualités, lui avait adressé, à titre d'instruction, la note ci-après : « Le premier ordre de passage aura son plein effet, et ne sauroit être changé pour un autre port, où il y a un très g r a n d nombre de Passagers qui n'ont pu encore être embarqués, parceque la crainte d'une g u e r r e prochaine, a beaucoup diminué les expéditions du commerce. « Une nouvelle recommandation de ma part n'ajou­ terait rien à la première. « Il n'y a presque plus de travail pour les arpen­ t e u r s . Les entreprises de Bâtiments civils, soit pour je Boi, soit pour les particuliers, sont les seuls objets


— 40 — qui puissent présenter à M. de Saint-Haulde occupation utile.

une

« Il commencera p a r s'associer avec q u e l q u ' u n des Entrepreneurs les plus employés, ou à ê t r e à leurs g a g e s ; et quand il aura g a g n é de quoi a c q u é ­ rir, partie au comptant et partie à crédit, 5 ou 6 e s ­ claves, charpentiers et maçons, il pourra faire d e s entreprises en son propre nom. « Voilà les seuls moyens que M. de S a i n t - H a u l d e ait à mettre en usage pour tirer quelque parti de s o n passage d a n s les Colonies. » On ne pouvait donner de meilleurs conseils; m a i s il est probable que, comme tous ceux qui vont t e n t e r la fortune au l o i n , L e f r a n c de Saint-Haulde é p r o u v a des hésitations au moment du départ, car de V e r ­ sailles, d'où la première note émanait, on lui e x p é ­ dia le 22 février 1771, le petit billet ci-après : « Je vous envoie, Monsieur, à cachet volant, u n e lettre qui pourra terminer la difficulté dont v o u s m e faites part. Mais ayez l'attention de g a r d e r le p l u s profond silence sur le contenu de cette lettre. J e v o u s préviens que si elle transpire, il y aura des d é f e n s e s de vous embarquer. Il faudra fermer la lettre a v a n t de la remettre à M. Le Brun. « Je vous souhaite, Monsieur, un h e u r e u x v o y a g e . « Beudet. »


— 41 — Quelques jours après on lui remettait cette a u t r e note, qui fixait ses droits de passage : « M. Lefranc de Saint-Haulde, de P a r i s , est porté s u r le rolle d'équipage du navire Le Grand Carlos, en qualité de passager, par o r d r e de la Cour, en place de six e n g a g é s . « P o u r M. Chavigny,

Coster. »

Ce droit de passage avait dû être interprété de façon différente entre Lefranc de Saint-Haulde et l'administration, car on lui écrivit encore (32) la lettre suivante : « Monsieur, « Nous étions d'accord sans nous estre expliqué. J'ai vu en retirant mon rolle, que vous y estes porté pour 6 places ; depuis cet instant, j ' a i cessé de son­ g e r à exiger la moindre chose pour votre p a s s a g e , et j e ne compte plus que sur le fret de ce que vous jugerez à propos d'embarquer, outre votre malle. « J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très h u m ­ ble et très obéissant serviteur. L. T r i n q u a r t . « Nantes, le 27 Mars 1771. » Le j o u r même, Trinquart délivrait la quittance ci-après : « J'ai reçu de Monsieur Lefranc, soixante-trois livres pour le fret d'un tonneau de m a r c h a n d i s e s 4


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qu'il a chargé dans mon navire Le Grand Carlos à Nantes, L F, n° I, malle emballée. » Enfin l'ordre d'embarquer fut ensuite donné en ces termes : « Monsieur l'Officier commandant à bord du navire Le Grand Carlos recevra à b o r d , pour p a s s a g e r m a n g e a n t avec M. le Capitaine, Mon­ sieur F r a n c de Saint-Haulde, porteur du p r é s e n t , porté sur le rolle pour six places d ' e n g a g é s . « Nantes, le 29 m a r s 1771. « Pour M. L . T r i n q u a i t , Baschet Laurent. » Toutes difficultés étaient désormais aplanies : le navire allait lever l'ancre et faire voile pour Portau-Prince ! Le F r a n c de Saint-Haulde y arriva dans les délais ordinaires ; et, dès le mois de juillet suivant, met­ tant en pratique les conseils qui lui avaient été e n ­ voyés de Versailles, il acheta, sous les n o m s d'em­ prunt de la Société Martin, u n n è g r e de nation Cramenti, au prix de 2,500 livres ; un mulâtre n o m m é Paul, et une mulâtresse, nommée Suzanne, frère et sœur, qui avaient appartenu au P è r e Dupont, Curé des Bouquets, et que celui-ci avait payés 6,000 livres ; puis, sous son p r o p r e nom, deux esclaves qui firent l'objet de l'acte ci-après : r

« J'ay reçu du s Lefranc de Saint-Haulde, E n t r e -


— 43 — p r e n e u r de Bâtiments au Port-au-Prince, la somme de q u a t r e mille livres pour une négresse et un mu­ lâtre esclaves, à moy appartenants, que j e lui ay vendus et livrés, savoir : la négresse servante, nommée Marie Angloise, âgée de cinquante a n s , sans étempe, pour la sommé de quinze cents livres, et le n o m m é Georges, mulâtre, valet, â g é de vingtquatre a n s . pour celle de deux mille cinq cents livres, lesquelles deux dernières sommes font celle totale susdite de quatre mille livres, dont quittance. « Fait au Port-au-Prince, le dix Décembre mil sept cent soixante onze. « Approuvé l'écriture, Nolivos. » Le 14 août, il confia ses espérances d'avenir à un ami, L. Trïnquart, de Nantes, qui, le 1er Décembre, lui répondit : « Je p r e n d s toute la part possible, à l'heureuse résolution arrivée à votre état. Je vous en félicite du meilleur de mon cœur. Je souhaite de même que Vous prospériez toujours de mieux en mieux. Je suis on ne peut plus reconnaissant de l'offre g r a ­ cieuse que vous me faites de vos services ; j e suis si persuadé de votre bon cœur que si l'occasion se présente de m'en prévaloir, je prendrai,la liberté de la faire. » L'année suivante, 1772, les achats recommencè­ rent; et par plusieurs actes privés (33), portant la


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date des 18 février, 3 mars, 9, 27, 28 et 29 mai, 12 juin, 28 juillet et 5 août, Lefranc de Saint-Haulde se rendit acquéreur de 22 « tétés de n è g r e s », n é g r e s s e s , négrillons et négrittes, pour la somme totale de 54,400 livres, qu'il paya comptant, en or, ou en billets à courtes échéances sur Roberiot, Trésorier principal de la Marine, ou sur les Syndics des t r a ­ vaux, qu'il avait exécutés à la Grande Rivière du Cul-de-Sac, pour le compte du Roi. Dans les actes qui consacrent ces ventes d'escla­ ves, nous remarquons un achat de sept têtes de n è ­ g r e s , tous j e u n e s , tait le même j o u r , à la même per­ sonne, l'achat d'une négresse et de ses trois enfants, au prix, de 5,000 livres, et des cessions de nègres faits par de Pradine, Curé de Port-au-Prince et le Chevalier de Laval. Les ventes ou transports d'esclaves, se faisaient p a r actes notariés, et, le plus souvent, par actes privés, dont la formule, quelquefois imprimée, est presque toujours la même. Ces, actes indiquent le nom, le sexe, la nation, l'âge, la profession, l'étampe de chaque « tète de n è g r e » vendue, et mentionnent presque toujours que le payement a été fait c o m p ­ tant, en espèces d'or. La plupart de ces nègres étaient de nation Congo ; et, dans ce cas, étaient marqués « de leur pays, en forme de l o s a n g e s , à petits points de neuf chaque ». D'autres, même v e n u s


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de ce pays, étaient étampés sur les deux seins, de m a r q u e s diverses, indiquant souvent leur lieu d'ori­ g i n e , leur nom, ou mieux encore, celui de leur patron ou p r o p r i é t a i r e . Plusieurs des nègres, non marqués, achetés p a r Lefranc de Saint-Haulde. turent étampés de ses initiales : L-F-D-S -H. La plupart des actes sont assez sommaires; on vendait un nègre ou une n é g r e s s e à peu près comme on aurait vendu u n e botte de foin ; il suffisait donc de garantir la p r o ­ priété, p a r une indication quelconque, qui est tou­ j o u r s l'étampe. Toutefois, dans un certain nombre de cas, l'acheteur déclare avoir « vu et visité » la m a r ­ chandise et en être « satisfait » ; et, de son côté le vendeur affirme que ses esclaves ne sont atteints d'aucune maladie grave. Une fois, cependant, L e ­ franc de Saint-Haulde, acheta un nègre suspect, mais sous la condition qu'il pourrait le rendre au ven­ deur, si une maladie interne venait à se déclarer. Une a u t r e fois, il obtint, sans réclamation aucune, le remboursement de ce qu'il avait payé pour un n è g r e reconnu, après achat, épileptique. T

Les nécessités de son entreprise, dont j ' a u r a i bientôt à parler, obligèrent Lefranc de Saint-Haulde à continuer ses achats pendant les années sui­ vantes. D'un relevé que j ' a i fait de tous ses contrats, il résulte qu'en :


— 46 — 1 7 7 3 , il a c h e t a 29 têtes de n è g r e s p o u r le p r i x d e 3 2 , 6 5 0 livres 1774

17

34,70.»

»

1

_

37

60.000

»

1776

24

-

41,200

»

177 7

16

1 5 , 0 0 0 livres

7

7

5

environ.

Ainsi, en cinq années seulement Lefranc de SaintHaulde s'était rendu acquéreur, pour le prix de 250,000 livres, chiffre rond, de 140 têtes de nè­ g r e s et négresses, de tout â g e , qu'il devait héber­ ger, nourrir et habiller. Il fallait donc, malgré ses désastres financiers de Paris, qu'il put disposer de capitaux encore consi­ dérables, ou qu'il ait trouvé, à son arrivée à SaintD o m i n g u e , c e qui est plus probable, des prêteurs ayant foi en ses talents et en sa probité. En moyenne, en ce temps-là, un bon n è g r e se vendait 2000 livres à Saint-Domingue ; mais on payait davantage, le nègre qui, à la santé, joignait une industrie de rapport. Ainsi, Lefranc de SaintIlaulde payait régulièrement 3000 livres un nègre maçon, et 4000 livres, un n è g r e , né aux Indes, mais qui était « cuisinier, bon pâtissier et conliseur ». En 1775, il acheta de Dupont, curé des Bouquets, un mulâtre créole, une femme caraïbe, u n e n é g r e s s e de nation Congo, une autre, avec sa petite fille, p o u r le prix ferme de 10,900 livres, ce qui faisait 2180 livres par tète. Mais une « vieille négresse » n e valait que 400 livres.


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C'est avec ce personnel et d'autres n è g r e s et b l a n c s e n g a g é s en plus g r a n d nombre, que Lefranc de Saint-Haulde, entreprit et réalisa les importants t r a v a u x de distribution des eaux de la G r a n d e - R i ­ v i è r e du Cul-de-Sac. Quelquefois, il était déçu dans ses espérances ; ses n è g r e s le quittaient, et c'était u n e perte réelle pour lui. Il avait bien, dans ce cas, la ressource de faire sa déclaration devant les autorités ; mais le plus s o u v e n t , un n è g r e échappé était un n è g r e perdu. Il me faut parler maintenant de la Grande-liivière d u Cul-de-Sac (34) et des t r a v a u x qui y turent exé­ c u t é s à la fin du dix-huitième siècle. A l'époque où Lefranc de Saint-Haulde arriva à Port-au-Prince, la propriété de l'Ile de Saint-Domin­ g u e était partagée entre la France et l'Espagne. La partie française formait la portion occidentale d e l'île ; les Espagnols occupaient l'Orient,

partie

beaucoup plus considérable en étendue que la partie française. La partie française avait une figuration irrégulière qui partait du bord sud et du bord nord de l'île, pour c o u r i r dans l'ouest, et qui laissait entre eux une espèce d'enfoncement ou de petit golfe : c'est là qu'était Port-au-Prince. A l'extrêmité opposée de l'Ile était la Grande-Rivière, dont il s'agissait de distribuer les eaux. A droite et à g a u c h e on trouvait


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le Cap Saint-Nicolas, le Môle, le chemin de Jean Robél, menant à Port-de-Paix, en face de l'île de l a Tortue, Fort-Dauphin, et autres localités dont il v a être question. On était là dans une vaste étendue d e terres appelée la Plaine du Nord. Vers P o r t - a u Prince on rencontrait en outre, la Croix des Bouquets, Aquin. le Fond des nègres et autres l i e u x cités également dans la correspondance de Lefranc de Saint-Haulde. Ainsi, l'action de cet architecte s'exerçait du n o r d au sud de l'Ile, sur une étendue considérable. On comptait alors dans l'île entière, française e t espagnole, 520,000 individus, dont 40,000 b l a n c s , 28,000 affranchis ou descendants d'affranchis e t 452,000 esclaves ; c'est-à-dire u n e population infé­ rieure de moitié à ce qu'elle était au temps d e s Indiens. Nécessairement, la partie française était la m o i n s étendue et la moins peuplée ; mais, comme l'a d i t Moreau de Saint-Méry dans sa belle Description (35) de l'île, « de toutes les possessions de la France d a n s le Nouveau-Monde, » c'était « la plus importante » p a r les richesses qu'elle procurait à sa métropole et p a r l'influence qu'elle exerçait sur son a g r i c u l t u r e et son commerce. Voyons, ce que le dépouillement de la c o r r e s p o n ­ dance de Lefranc de Saint-Haulde va nous a p p r e n d r e .


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Elle est sans intérêt et p r e s q u e nulle pour les a n ­ n é e s 1771 et 1772 : c'est une période décisive p o u r son avenir, et on conçoit, dès lors, qu'il ait fort n é ­ gligé ses amis. Il est tout entier à ses t r a v a u x de Saint-Domingue. Au Port-au-Prince, il d e m e u r e « place de l'Intendance », d'où il peut, à son aise, les d i r i g e r et les surveiller. On ne le connaît que sous le nom de « Lefranc de Saint-Haulde » et sous les titres d'« Architecte de Paris », ou « du Roy », d'« En­ trepreneur des Bâtiments à Paris » ou d' « E n t r e ­ preneur des eaux de la Grande-Rivière du Cul-deSac ». C'est en réalité u n p e r s o n n a g e important. En janvier 1773, il a un « associé » ; cela résulte d'une note mise p a r lui en m a r g e d'une lettre qu'écrivait, le 18 de ce mois, un nommé Nardy à Vidouze, pour lui dire : « J'ay parlé à M. D'Argout (36), au sujet du p r i x que vous m'avez demandé pour chaque case à n è g r e . J e suis c h a r g é de sa part de vous proposer 900 livres p a r chaque case. Bien entendu que vous fourniriez tout j u s q u ' a u x gaulettes; que vous vous c h a r g e r e z des charrois, et que vous nourrirez vos n è g r e s . J'ai vu hier, — ajoutait N a r d y , — après vous avoir quitté, des poteaux chez M. Geslin. Il me laissoit pour cent écus la case à n è g r e s complète, de 40 pieds ; ainsy vous voyez qu'à ce compte vous pouvez faire marché. »


— 50 — Deux devis accompagnent cette lettre; par l'un d'eux Vidouze, s'engage à livrer au P o r t - a u - P r i n c e les cages en question, au prix de 1500 livres ; l'autre entrepreneur ne peut les fournir qu'à raison de 1800 livres, argent comptant, marchandise rendue au débarcadère de la Marquise de Vaudreuil au Port-au-Prince. On devine l'usage qui devait être fait d e ces cases à nègres : elles devaient servir à les abriter, et à les enfermer, sans doute, à l'issue des t r a v a u x de la j o u r n é e , dans la vaste « plaine » de la Rivière du Cul-de-Sac. La question des Bois travaillés a préoccupé Le­ franc de Saint-Haulde pendant son séjour à SaintDomingue; la difficulté d'y trouver d e bons ouvriers charpentiers et menuisiers, le porta donc à faire à ce sujet au Gouvernement local les propositions suivantes : 1" On donnera une permission exclusive pour l'in­ troduction des bâtiments é t r a n g e r s c h a r g é s de bois pour le Roi, suivant l'état qui en sera fourni, savoir : bois équarri de pichepin, planches et essences de Chypre semblables à celles du Missisipi ; 2" Il sera fait un marché avec le roi pour la four­ niture des bois ci-dessus, laquelle sera réalisée aux prix suivants, s a v o i r : le bois équarri à 225 livres, les planches à 250 livres et les essences à 120 livres le millier.


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3° Il sera fait encore par le roi, une avance aux e n t r e p r e n e u r s de la somme de 20,000 livres, dont ils souscriront leur reconnaissance, avec obligation d e taire la fourniture des bois ci-dessus, suivant l'état qui leur aura été donné, à commencer de 4 à 5 mois de la date de leur engagement, et à continuer leur livraison à chaque mois. 4e Le Roi s'engagera, dans le marché, de payer exactement le montant de chaque livraison aussitôt qu'elle sera faite. 5e Si le Roi a besoin de bois dans les autres ports d e la colonie, les entrepreneurs s'obligeront d'en faire la fourniture aux mêmes conditions,- p o u r v u qu'ils en soient prévenus, afin qu'ils puissent donner leurs ordres à leurs correspondants. » Les cases à nègres, dont il a été parlé plus haut, étaient prêtes à livrer ; par lettre du 3 mai 1773, Loménie en dopne avis à « M. Vidouze, chez M. Berquin » en ces termes aimables : « ... Le bateau de M. Samadet que l'on vous a dit être saisi, est actuellement à c h a r g e r trois milliers d e m é r i n s p o u r moi, à l'embarcadère de la G r a n d e R i v i è r e des Baradaires; aussitôt qu'il a u r a pris ces trois milliers de mérins, il ira c h a r g e r les cases à n è g r e s , que vous et M. Lefranc m'avez demandées. J e compte qu'il sera prêt à partir pour le P o r t - a u P r i n c e sous dix à douze j o u r s . Si vous souhaitez,


— 52 — Monsieur, venir aux Baradaires, à peu près dans ce temps, chez Monsieur Laurens, mon voisin, où j e réside, vous pouvez vous embarquer dans ledit b a ­ teau pour vous r e n d r e au Port-au-Prince. Permettez que vos dames trouvent icy l'assurance de mon r e s ­ pect... » De son côté, Vidouze, probablement associé d e Lefranc de Saint-Haulde, écrit à ce dernier, le 20 mai, de Nipes, où il était alors, la lettre d'excuse qu'on va lire : « Monsieur et bon amy, j e ne doute pas que m o n retard ne vous inquiète autant qu'il me donne d e peine, par les corvées que je suis obligé de faire pour ces cases à n è g r e s que, malgré tout, je n ' a y pu avoir qu'à présent, qu'on les c h a r g e . Elles s e r o n t donc rendues, sans faute, au commencement de la prochaine semaine, ainsi que moi, comptant p a r t i r Lundy ou Mardy au plus tard. « Je ne vous cache pas que votre silence m ' i n ­ quiète ; depuis que je suis icy j e n'ay pas eu le plaisir de recevoir une de vos lettres ; je ne puis savoir ce qui me prive de cet avantage. Je souhaite que cela ne soit pas cause de maladie. Je pourrai disposer d'une vingtaine de n è g r e s ; mais cela ne sera q u ' a u commencement de l'année... » Il lui écrit encore le 25 du même mois : « Malgré toutes les diligences que j ' a i pu faire


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a v e c M. Loménie, il ne m'a pas été possible de p o u ­ voir obtenir les cases à n è g r e s ; depuis Lundi je suis chez M. Pascal, avec qui j ' a i passé et comptois me r e t o u r n e r . J'ai encore envoyé, y étant, un exprès à M. Loménie : ci-joint sa réponse. Et l'on m'a dit que le bateau dans lequel il compte les c h a r g e r est con­ fisqué au Port-au-Prince, ce qui m'a déterminé, au lieu de m'embarquer, d'aller chez lui, dont j e n e sortirai que quand elles seront embarquées... J'ai eu bien de la peine à me déterminer de rester ; la seule crainte que vous m'auriez blâmé m'y e n g a g e , car je vois que nous n'aurions pas ces malheureuses cages peut-être de six mois. « J'ai assez bien réussi dans mon voyage, excepté de l'argent que j e n'ai pu avoir, et que j e n'aurai qu'aux premiers indigos ; pourquoi, je vous serais obligé de parler à Messieurs Saint-Macary et Dupin, à qui j ' a v o i s promis d'en donner, mais ce qu'il me sera impossible de faire plus tôt que dans ce t e m p s . Si mes n è g r e s manquaient d'argent pour vivre, j e vous serais obligé de leur en donner. Si rien n ' a r ­ rive cette semaine, j e serai, sans faute, la prochaine au Port-au-Prince. En attendant le plaisir de vous voir, je suis pour la vie le plus attaché de vos amis. » La réponse de Loménie à Lefranc de Saint-Haulde, q u e Vidouze avait jointe à sa lettre, était datée du 5 Mai ; elle ne se compose que de ces quelques li-


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g n e s : « Les six cases à n è g r e s que vous m'avez demandées sont faites, et vont partir incessamment pour le P o r t - a u - P r i n c e ; vous les eussiez reçues déjà, si j ' a v a i s trouvé plus tôt une occasion. » Mais, au 25 mai suivant, Loménie écrit à Vidouze, « de présent au Petit-Trou » : « J'ay reçu un peu trop tard la lettre que vous m'avez écrite, au sujetde vos cases à n è g r e s . Je suis convenu avec M. Lefranc à cent écus la case, pris à mon embarcadère. Si vous ne m'aviez pas demandé de si gros bois, vous n'auriez pas tant payé de fret. J e dis que j ' a y reçu votre lettre trop tard. Le bateau a chargé et compte faire voile demain, ou après d e ­ main, pour le Port-au-Prince. J'ay beaucoup e n g a g é le patron à aller voir Monsieur Lefranc, ou vous, afin de vous a r r a n g e r pour le fret de ses cases ; sui­ vant toute apparence, vous ne les recevrez qu'au prochain voyage de ce même bateau. Faites en sorte de voir le patron et engagez-le à les p r e n d r e à son prochain voyage : les occasions ici sont r a r e s . » Ce ne fut qu'au mois de Juillet suivant, c'est-à-dire deux mois plus tard, que les cases à n è g r e s i n d i s ­ pensables à Lefranc de Saint-Haulde, pour a s s u r e r son entreprise, purent être enfin expédiées à desti­ nation. Voici un extrait de la quittance de fret qui en fut donné le 27 juillet 1773 :


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« J e soussigné Antoine Le Blanc, navigateur, r e ­ c o n n a i s avoir reçu de Monsieur Lefranc de SaintH a u l d e , entrepreneur de bâtiments au P o r t - a u P r i n c e , la somme de douze cents livres pour fret de six cases à n è g r e s , que je lui ai conduit du débarca­ d è r e en ce port ; lesquelles m'ont été livrées p a r le sieur Loménie, André, et ce, en conformité du marché passé entre le sieur de Saint-Haulde, Vidouze et moy, qui est resté en mes mains, et que j e promets leur r e m e t t r e à leur première réquisition, m'ayant payé le montant ; en observant pourtant qu'il manque la quantité de soixante-six poteaux et cinq cents g a u l e s que j ' a u r a i s amenés au même prix, s'ils m'a­ vaient été livrés p a r ledit sieur Loménie... » Le 14 août 1773, Ballereaud, du P o r t - a u - P r i n c e , donnait quittance à Vidouze, des fournitures ciaprès : 32 poteaux, à 7 liv. 10 s. pièce.

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240 liv.

8 26

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. .

44 143

Total.

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427 livres.

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à 5 — 10 s. à 5 — 10 s.

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Enfin, le 23 du même mois, Loménie donnait, de son côté, cette quittance finale : « J'ay reçu de Monsieur Lefranc de Saint-Haulde, la somme de treize cent soixante ettreize livres, pour solde de dix cases à n è g r e s , que j e luy ai fournies et


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livrées, et annale par la présente quittance la r e ­ connaissance qu'il en a fait sur l'état qui luy en a été présenté p a r le S Le Blanc, dont du tout je l'acquitte. » Parmi les personnes engagées dans les travaux de Lefranc de Saint-Haulde, se trouvait un j e u n e h o m m e , qui se montra toujours rempli de reconnoissance envers lui. Comme ce j e u n e homme avait fait, à cet égard, ses confidences à sa m è r e , celle-ci. en femme éduquée, écrivit à « Lefranc, architecte » : « A Charoux (37), ce premier Julies 1775. « Monssieur, come mon fils ma m a r q u e r dans quielque ehune de ses leitre quil a ehu le bonheur de tombeir cheis eheun Monssieur auxssi reispectable que ce que vous leiste, qui a toute les bonté pos­ sible pour luy, ge me suis fait dès r e proche gusque aux momant de pouvoir vous assurer de mon respec et vous san marquer ma reconneissance la plus vive, p a r ti qulier niant et donts ge me fait lehonneur par la preizante de vouloir bien vou priez de luy conti­ nuée vostr bien veilliansse, einssy que ge xorte moncheir fils a la mériter p a r des satimants dots net home et de religion, que iose me flater quil n'a pas chouxbliez, et qui ne fras que sy fortifier et aler aux devants de tout ce qui peux vous soblihés ; il mobligera moin mein m e . r

« Gay lehonneur deistre, etc. « La Loge, veuve Lacombe. »


— 57 — Cette lettre pêche beaucoup au r e g a r d de l'ortho­ g r a p h e ; mais les sentiments qui y sont exprimés h o n o r e n t autant l'architecte Lefranc de Saint-Haulde que l'honnête femme qui les transcrivit du mieux qu'elle put. On était à une époque où les travaux, commencés depuis deux ans, devaient, dans l'intérêt même de l'entrepreneur, être poussés avec activité. A la date du 5 août 1773, d'Aulnay écrit à Lefranc de Saint-Haulde : « Pour répondre à l'honneur de la vôtre du 25 juillet, et que je n'ay reçue qu'hier, à mon retour de la m o n t a g n e , j e serai charmé que vous pussiés faire notre opération de suite et le plus tôt possible ; mais il est un préalable à remplir, c'est la visite de M. Merlin pour le changement du canal d a n s une lon­ g u e u r de trois ou quatre cents p a s , pour porter l'eau à notre plus g r a n d e hauteur : il serait donc à propos, avant tout, que M. Merlin se transportât sur les lieux, donnât u n coup de niveau et fit tracer ce canal au bout duquel doit se trouver le bassin de subdivision, entre l'habitation Tulot et nous. » Lefranc de Saint-Haulde avait, dès 1773, des n è ­ gres en suffisante quantité pour ses t r a v a u x ; mais il lui fallait des mulets pour effectuer les t r a n s p o r t s . En septembre, il entre en négociations à ce sujet, avec un nommé de Larinois, qui lui écrit le 19 : -

5


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« Des mulets de la côte ne vous conviendraient point, puisque c'est pour les employer à l'instant; cependant l'envie que j ' a v a i s de vous être utile dans cette occasion fait que je me suis adressé à M. Firmin, résidant dans le b o u r g d'Aquin, que j e savais avoir cinquante beaux mulets à vendre, domptés au cabrouet, de l'âge que vous les demandez ; ils lui ont. été remis par un sucrier de ce quartier, à qui il les avait vendus, et qui a dû les lui r e n d r e faute de payement, après un an de service ; ils sont une g r a n d e partie mulets créoles. « Voicy, Monsieur, ce qu'il m'a chargé de vous proposer : il vous donnera le choix de vingt mulets sur trente, pris et livrés à Acquin, où l'argent luy sera compté. Vous les ferez conduire au Port-auPrince à vos frais. Le tout à 600 livres pièce... » Lefranc de Saint-Haulde, qui était p r e s s é , accepta ces conditions ; et p a r lettre du 28 du même mois, informa Firmin qu'il était preneur de vingt mu­ lets à 600 livres pièce. Firmin Fayel, — c'est ainsi qu'il s i g n e , — lui re­ pondit le 4 octobre : « Sur quarante mulets que j ' a i à v e n d r e , et pas un de rebut, vous pouvez être assuré que vous en trouverez vingt à votre satisfaction. Je vous a t t e n d s le plus tôt possible... » Le 2 novembre, Lefranc de Saint Haulde lui lit


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savoir que le 13 ou le 14, il se rendrait au b o u r g d'Acquin et prendrait livraison des vingt mulets, qu'il payerait comptant. Il s'y rendit, en effet, au jour indiqué, et le 14 dé­ c e m b r e suivant, Fayel lui donna quittance du prix de ces vingt mulets, et d'un cheval acheté par la m ê m e occasion et payé aussi comptant. C'était donc u n e grosse affaire finie à la satisfac­ tion de l'entrepreneur de la Grande-Rivière du Culde-Sac. Voici pour cette période des travaux un d o c u ­ ment qui a son intérêt : « J e prie Monsieur Lefranc de Saint-Haulde, de p a y e r à Monsieur Boyer, procureur, ou à son ordre, la somme de neuf cents livres p o u r le montant des charrois de bois faits chez Monsieur d'Argout, m a ­ réchal des camps et armées du Roy, dont j e le tiens quitte et déchargé, en me rapportant la présente quittance. « Au Port-au-Prince, le 11 Octobre 1773. Boissonnier de Nallieux (?) » Les quittances sont au dos de la pièce. Ainsi, en ces trois années, Lefranc de Saint-Haulde avait toujours fait face à ses e n g a g e m e n t s , si lourds qu'ils fussent : c'est que, dans son entreprise, la tortune lui souriait.


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Il n'était pas aussi heureux du côté de sa famille. Sa femme, qu'il avait laissée à Paris, y mourut, le 22 octobre 1773. Moreau de Saint-Méry, qui avait été en situation de bien j u g e r l'étal d'esprit des nouveaux débar­ qués, a dit excellemment : « Les Européens qui viennent à Saint-Domingue, ont communément une rude épreuve à supportera l'époque de leur débarquement. Lorsqu'on a quitte son pays avec l'espoir d'une fortune qui semble pla­ cée sur le rivage américain, et qu'on s'y trouve isolé et sans ressource, on voudrait partir le pied en ar­ rière ; mais il n'est plus temps. Des besoins diffi­ ciles à satisfaire parce que tout est coûteux, se mul­ tiplient ; l'avenir prend une forme hideuse, le sang s'aigrit, la fièvre ardente de ces climats brûlant? arrive, et la mort est souvent le terme de projets aussi courts qu'insensés... » Il n'en sera pas tout à fait ainsi pour Lefranc de Saint-Haulde. Rencontrer « un pays » en voyage, est toujours une agréable surprise. Lefranc de S a i n t - H a u l d e l'éprouva en cette année 1773. Il avait, dans la ré­ gion qu'il habitait, un homonyme, un p a r e n t , peutêtre (1), qui à la date du 24 décembre, lui écrivit du « Fond des blancs » :


-61 — « Monsieur et cher Pays. J*ay reçu la lettre que v o u s m'avés fait l'honneur de m'écrire de SaintMichel. Je suis on ne peut plus sensible aux marques d'amitié que vous voulés bien m'y donner et à tout ce qu'elle contient d'obligeant sur mon compte. J'aurois été bien charmé que vos affaires vous eussent permis de venir sur l'habitation et de faire connoissance avec nous. Si par la suite un hasard plus heureux peut vous amener de nos côtés, vous nous ferés un vray plaisir de venir prendre gite chez nous, et de nous procurer l'occasion de vous être bon à quelque chose. « J'ai l'honneur d'être avec un sincère attache­ ment, etc. l e Franc » (38). La suscription est à « Monsieur Le Franc » tout c o u r t ; le « pays », qui avait connu Pierre Lefranc, jeune homme, dans une condition modeste, sans doute, n'était pas habitué à l'appeler « de SaintHaulde ». Mais il a ajouté à sa lettre ce-post-scrip­ tum qui nous laisse perplexe : « Permettés que Ma­ demoiselle votre sœur trouve icy les assurances de mon respect. » Qui pouvait bien, au mois de décem­ bre 1773, avoir pris place au foyer de l'architecte, sous le nom supposé d'une sœur ? Nous le saurons plus tard. Nous voici en 1774. Les travaux de la G r a n d e -


— 62 Rivière marchent régulièrement. Le nombre d e s nègres a augmenté.Un « cousin » à Lefranc de SaintHaulde, nommé Depain, fixé lui-même à Saint-Do­ mingue, lui écrit le 18 mars : « ... Je crois que v o u s êtes fâché ; mais moy je suis plus embarrassé q u e vous, et vous en diray les raisons quand j e seray plus à moy, car je souffre beaucoup. » Ceci n ' e s t peut être qu'un incident sans importance de son entreprise, qui ne pouvait pas être exempte de diffi­ cultés. Le 8 mai suivant, par devant les notaires e n la Sénéchaussée royale du Port-au-Prince, Ile et Cote françaises Saint-Domingue, Lefranc de Saint-Haulde prend à bail du sieur Jean-Pierre W e u v e , un n è g r e nommé La ramée, â g é d'environ 36 ans, et u n e né­ gresse nommée Bibianne, âgée d'environ 32 a n s , tous deux de la Cote d'Or et étampés W D, pour u n e durée de cinq années consécutives, à dater dudit jour, moyennant le prix annuel de soixante livres par chaque tête de n è g r e . Conformément aux usages locaux, le p r e n e u r s'engageait à payer les droits du roi imposés s u r ces sortes de contrats, à vêtir, nourrir et m é d i c a m e n t e r . en cas de maladie, les nègres dont il louait les s e r ­ vices, à les traiter humainement et en bon p è r e de famille et à répondre, en outre, de la mortalité, m a rouage et estropiement des dits n è g r e et n é g r e s s e ,


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à r a i s o n de 1,500 livres, par chaque tête, ainsi qu'ils a v a i e n t été amiablement estimés entre les parties. Mais Lefranc de Saint-Haulde n'utilisa pas long­ t e m p s les services de ces deux nègres ; p a r acte privé du 23 novembre 1774, la famille de Chav a n n e s , pour des raisons qui n o u s échappent, accepta la résiliation de l'acte ci-dessus. Veuf depuis moins d'un an Lefranc de SaintH a u l d e épousa le 17 septembre 1774, à Port-auP r i n c e (voir à l'Appendice), demoiselle Marguerite F l e u r y , fille d'un marchand gazonnier des Menus plaisirs du Roi, qu'il avait fait venir de Paris et qu'il devait p e r d r e trois ans après. Alors, il pensa à son fils qui continuait ses études à Paris. Le 20 de ce mois il lui adressa donc par MmeAudiger, chez Mlle Mauger, à P a r i s , sa gouvernante, sans doute : 1° u n habit g r i s de fer complet, doublé de soie b l a n c h e , et deux culottes, le tout galonné en or plein ; 2° u n habit complet de prusienne doré,

doublé

de taffetas j a u n e , et une culotte de peau de daim, de poste. 3° une veste et une culotte de nankin j a u n e ; 4° u n e vieille veste du matin. Ces vêtements étaient les « habits de France » de l'architecte. Il priait M Mauger de les remettre à 11e


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son fils ; et lui conseillait d'ôter le galon de l'habit pour payer, disait-il, autre chose « que le j e u n e « homme pourrait avoir besoin ». De Paris, son « ami » Encrenat lui écrivit le 30 septembre 1774 (39), une longue et intéressante lettre, d'où j ' e x t r a i s ce qui suit : « J'ay appris par voie indirecte que vous j o u i s ­ siez d'une parfaite santé et que vous aviez les plus heureux succès dans vos entreprises. Vous ne s a u ­ riez croire combien cette nouvelle m'a causé de la joie, puisque personne ne s'intéresse plus que moi à votre conservation, e t a u rétablissement de votre for­ tune. Je vous en souhaite la continuation, et j e m'es­ timerais fort heureux si j e puis l'apprendre p a r vous-même. Il n'en est pas de môme de moi. Avant votre départ, je ressentois le poids de l ' i n f o r t u n e ; mais depuis votre éloignement je gémis sous l e j o u g de la plus affreuse misère. L'entreprise que j ' a v a i s faite de la fourniture des bois pour les ponts n ' a p a s eu lieu. L'exploitation des bois que j ' a v a i s fait laire en Auvergne sous la direction de deux de mes associés est tombée en pure perte pour moi. Ils m'ont dé­ pensé quatre mille livres et plus. Les bois que j ' a v a i s fait venir à Paris, ont été vendus par autorité de justice, et n'ont pas produit, à beaucoup près, la moitié des droits et des frais de voiture pour les­ quels j'avois fait un emprunt. Après les frais de


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vente prélevés, ceux qui se sont trouvés coupés en Auvergne ne sont pas suffisans pour acquitter les emprunts que l'on a faits pour l'exploitation. Enfin, cette seule affaire me coûte dix mille livres. Joint à ce malheur, j ' a i perdu le procès de Ville-Naux, et, nonobstant la perte de trois années de la ferme, j e suis obligé de payer les frais de la partie adverse, et ceux de M. Regley qui a occupé pour moy dans cette affaire. Je n'ay pas été plus heureux dans le trans­ port que vous m'avez fait à p r e n d r e mille livres sur la direction de Baucheron. Une foule de vos créan­ ciers ont formé des oppositions. M. Begley, sans doute d'intelligence avec un autre notaire qui a ac­ quis l'office de M. Brisseau, ne finissent rien. Ils font bienassembler les créanciers, mais c'est pour, d'après leur délibération, avoir u n consentement de prendre de l'argent sur les fonds déposés ez-mains du notaire, pour frais et vacations qu'ils multiplient à l'infini, de façon à tout consommer. Pour pouvoir subsister, j ' a i vendu linges, meubles, habits, et ce que j'avois de meilleur a servi de nantissement pour les loyers... Je suis même obligé de me cacher pour éviter la contrainte par corps... Dans cette fâcheuse circons­ tance, quoique séparés par les mers, j e crois que mon souvenir est g r a v é dans votre c œ u r . Je connois vos sentiments, votre g r a n d e u r d'âme, votre générosité, et que la bienfaisance est votre carac­ t è r e . . . Donnez-moy, j e vous en supplie, quelque s e -


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cours..., ou procurez-moi un emploi dans votre colo­ nie :,j'irai vous rejoindre... » L'année 1775 fournit peu de pièces pour la b i o ­ graphie de Lefranc de Saint-Haulde. Nous voyons seulement qu'il prend encore à bail quatre n è g r e s , maçons et charpentier, et que, pour la première fois, un sieur Laigneau Delaris, chevalier de Saint-Louis, lui t'ait signifierun j u g e m e n t qui lui prescrit de payer 7,000 livres qu'il doit à ce dernier. Tout n'avait pas été bénéfice dans la g r a n d e e n ­ treprise de la Rivière du Cul-de-Sac, et Lefranc de Saint-Haulde en était môme réduit à faire lui-même cette douloureuse constation, que du 13 septembre 1773 au 4 août 1775, il avait perdu dans ses t r a v a u x , 40 n è g r e s , qui lui avaient coûté 80,000 livres, et 29 négresses ou négrillons. Éloigné des g r a n d s centres, privé souvent des se­ cours médicaux les plus élémentaires, Lefranc de Saint-Haulde, dont les intérêls, étaient compromis, avait demandé autour de lui et expérimenté sur ses nègres et sur lui-même certaines recettes locales, et avait pris soin de les transcrire dans un cahier (41) qui a pour titre : Recueille et note de diferents remédes dont je me sert pour les nègres, les chevaux et mulets de SaintDomingue. Lesquels sont certains ; ou il n'y a rien à


— 67 — espérer après avoir administré cet remèdes avec pour les maladies dont je parle. 1775.

ordre,

L ' o r t h o g r a p h e de ce titre, que j ' a i scrupuleuse­ ment respectée, ne fait pas honneur à Lefranc de Saint-Haulde : tout le reste du cahier, écrit entière­ ment de sa main, prouve aussi qu'il était absolument d é p o u r v u d'instruction. Il n'en remplit pas moins ses obligations, comme Architecte et Entrepreneur avec beaucoup de ponctualité. D'ailleurs, ce cahier, tout imparfait qu'il soit dans la forme, témoigne de la variété de ses aptitudes et de ses qualités d'admi­ nistrateur. Voici la liste des principaux remèdes qui y sont transcrits : P o u r le. flux de s a n g . — P o u r le cours de ventre et flux de s a n g (ce remède est certain).— Pour p u r g e r les n è g r e s (tisane de feu M. Bauduit, du Cul-de-Sac). Pour la diarrhée la plus invétérée. — Pour les mains et les pieds enflés. — Pour les dartres fari­ neuses (remède souverain). — Pour les coliques. — Pour les vers solitaires et autres. — Contre la bile d'estomac. — Emploi de la salsepareille pour les c r a b e s , dartres, etc. (cures qui tiennent du prodige). Contre la gravelle. — Pour les hémorroïdes. — Contrepoison pour les blancs et n è g r e s empoi­ s o n n é s . — P u r g a t i o n . — P o u r faire de bonnes liqueurs.


— 68 — — P o u r le farcin aux mulets.— Pour la guérison des coliques et tranchées aux chevaux et mulets. — Etc. Lefranc de Saint-Haulde nous dit, et on peut l'en croire, qu'il avait expérimenté ces remèdes et q u e la plupart étaient souverains : la mort ne fit p a s moins de larges vides dans les r a n g s de son person­ nel, au point de compromettre sa fortune.


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III 1776. Lefranc

d e S a i n l - H a u l d e se r a p p e l l e

au s o u v e n i r du

Curé d e Q u i b o u et d e ses a m i s d e F r a n c e . Difficultés dans

son

entreprise. Ses relations

les a u t o r i t é s Seignoret.

avec

l o c a l e s . — 1777. C o r r e s p o n d a n c e

Arrivée

de son

fils. 11 p e r d

nouvelles

le G o u v e r n e m e n t e t avec s o n

sa s e c o n d e

ami

femme.

P r o j e t d ' u n i o n a v e c sa b e l l e s œ u r .

Malgré la mortalité qui frappait ses n è g r e s , Lefranc de Saint-Haulde, devenu ambitieux, pensait au temps où il pourrait rentrer dans son pays d'ori­ gine, et y vivre en châtelain, dans quelque g r a n d e terre seigneuriale. Gela n o u s est révélé par u n e lettre que le Curé de Quibou lui écrivit le 24 février 1776 (42) et qui ne parvint à la Grande-Rivière que le 13 mai suivant, après 2 mois 13 j o u r s de traver­ sée (43). Cette lettre est on ne peut plus intéressante pour la biographie de notre architecte ; aussi, la reproduisons nous en entier. « Monsieur et cher amy, j ' a i été charmé d'appren­ dre des nouvelles de votre santé, et quel pays vous habités. J'avois bien entendu le triste récit de vos malheurs à Paris, mais j e ne sçavois pas sur quel pied vous vous étiés tourné pour les r é p a r e r . H e u -


— 70 — reux ont été ces m a l h e u r s , puisqu'ils vous procurent un plus g r a n d bonheur. J e ne crains que pour votre s a n t é ; ainsi, si vous m'en croyés, lorsque vous vous trouveres en état de pouvoir vous faire un honele revenu, vous vous retirerés pour j a m a i s tranquille­ ment du fruit de vos t r a v a u x . « Je me suis informé de t e r r e seigneuriale à vendre ; j e n'en trouve point pour le présent. On m'avait dit que le marquisat de Gratot, près Coutances, étoit à vendre ; mais cela ne s'est pas trouvé vray. Cela poura se trouver lorsque vous vous reti­ r e r é s . En faisant passer ici vos fonds avec v o u s , l'occasion se présentera plus facilement. « Il ny a pas absolument bien du nouveau d a n s le pays ; cependant des trois curés (44) que vous avés vû à Quibou j e suis le seul que vous conoissiés. M. Hélie et M. Clément sont morts tous les deux l'an dernier. Je suis avec deux n o u v e a u x . Celuy de Vaultier se nomme M. Le Planquais, de Muneville-leB i n g a r d . e t celuy de Boisheroult, se n o m m e M. Corbin, du pays d'Auge. M. des Courcamps est mort aussi. « Vos parents se portent bien, votre belle m è r e , votre frère et vos s œ u r s . Il ni a plus que trois de vos s œ u r s à marier. Ils vous font tous des compliments. Je me suis informé de votre fils, par ceux d'ici qui


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vont à Paris. Les u n s disent qu'il est encor dans des t r o u p e s , les autres disent qu'il y est mort (45). « Mon cher amy, vous me donnés une joye p a r fa itte lorsque vous me ditte que votre intention est de r e v e n i r d a n s le sein de votre patrie, avec vos a n c i e n s camarades ; c'est là où n o u s nous amuserons a g r é a b l e m e n t et repasserons les tours de notre j e u ­ n e s s e . Mandés moy des nouvelles de votre pays ; j e suis assés curieux de ce qui se passe dans vos isles, ce q u e l'on y fait, comme l'on y vit, et quel est le c o m m e r c e le plus considérable. Et surtout, quand vous reviendrés, faitte provision de caffé et de su­ cre ; n o u s en prendrons quelques tasses ensembles, et du bon tabac pour votre route ; et faitte en sorte, si vous le pouvés quil vous en reste quelques prises pour q u a n d vous seres ici. « Adieu, mon cher amy, j e vous embrasse de tout mon c œ u r et suis et seray toute ma vie votre tres humble et obeissant serviteur. « PASLAT (46), Curé du Val, à Quibou. « 24 février 1776. » Lefranc de Saint-Haulde dut être sensible à cette aimable missive; mais il ne s'empressa g u è r e cepen­ d a n t d'y r é p o n d r e , car il a pris soin d'indiquer luim ê m e en m a r g e qu'il avait « écrit le 29 juillet 1777 »,


- 72 — et envoyé le même jour, par le H a v r e , au Curé de Quibou (47), « soixante livres de pois de caffé. » C'était en tout cas s'assurer qu'à l'arrivée du ballot on trinquerait à sa santé. L'année 1777 fut décisive pour Lefranc de Saintllaulde ; en cette année là, il acheta encore des nè­ g r e s , treize notamment, en une seule fois ; mais les travaux de la Grande-Rivière touchaient à leur terme. Le Franc de Saint-Haulde avait momentanément employé à ces t r a v a u x , un nommé Bachelette, Gre­ nadier de la Compagnie de M. de Fierville, plus tard de celle de M. le chevalier de Saint-Simon, ouvrier habile, et qu'il aurait bien désiré conserver. Dès le mois de janvier, il en avait fait la d e m a n d e expres­ sément au Lieutenant de Roi. Le 2 9 , Constard lui répondit : « Je ne peux prendre sur moy d'accorder à Bachelette la permission d'aller travailler pour vous. Je viens de faire part de votre désir à Monsieur de Lilleaucourt..., et pour vous le r e n d r e plus favo­ rable... j e lui ai fait observer que vous emploierez Bachelette à des t r a v a u x publics, ceux de la GrandeRivière... » C'était habile ; aussi Bachelette fut il au­ torisé à se mettre à la disposition de Lefranc de Saint-Haulde. Nous avons sous les yeux, l'état des sommes qui lui furent payéées du le m a r s 1777 j u s q u e compris le 8 avril suivant, neuf heures du matin, que r


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le grenadier-ouvrier demanda à se r e t i r e r , « pour se r e n d r e (sans doute) à la garnison.» Cet état s'élève à à la somme totale de 473 livres, 14 sols, 8 d e n i e r s . A l'origine, Bachelette, ou Bachelet comme on l'ap­ pelait, avait été cédé à Lefranc de Saint-Haulde, pour trois ou quatre mois, à raison de 200 francs p a r mois. Il se trouvait donc que, d'après l'état précité, il avait touché plus que son dû, — 20 liv., 7 s., 5 d., et on lui réclamait, les bons comptes font les bons amis, le remboursement de ces avances. Quant a u x cinquante écus de gratification, p r o m i s par Lefranc de Saint-Haulde, on s'en rapportait à cet égard à la « prudence » du Lieutenant de Roi (48) et du Capitaine, tout en faisant observer que Bache­ let n'avait point rempli son temps et ses e n g a g e ­ ments. D'une longue lettre

écrite p a r l'architecte a u

Lieutenant de Roi, s u r ses démêlés avec Bachelet, j'extrais ce qui suit : « J'ai l'honneur de vous r e n d r e compte de la con­ duite tenue envers moi, ce matin (8 avril 1777) à huit heures, p a r le S Bachelet... Un particulier, aussi machoquet de son état, dont le nom n e m'est pas connu, est venu le voir. J'ai su qu'il avait été ou était encore soldat, et qu'il travaillait chez le char­ ron a u p a s s a g e d u g r a n d chemin d e la G r a n d e îtivière. Ces deux hommes se sont attablés à d é r

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— 74 — j e û n e r dans ma forge, et ont envoyé mes n è g r e s p r e n d r e des têtes de cannes dans mes cabrouets p o u r donner au cheval de ce particulier. Sur le refus qu'ont fait les n è g r e s d'en donner, ils les ont prises d'autorité, et, de suite, le S Bachelet s'est r e n d u à m a case ; où étant, s'est r é p a n d u en invectives, plus grossières les unes que les a u t r e s , . . . en p r é s e n c e de plusieurs personnes, me menaçant qu'il ne voulait plus travailler, et qu'il allait se retirer sur le champ. Ma santé ne me permettant pas de lui répondre comme il l'aurait mérité, j e lui ai seulement dit qu'il pouvait partir de suite, et je lui ai fait son décompte, qui lui fut porté à la forge p a r mon c o m m i s . . . A ce moment Bachelet vendait aux n è g r e s ses v i v r e s , son petit salé, etc., pour partir.. .Quand il vit qu'il était mon débiteur d e 2 0 liv.,7 s., 5 d., il ne voulut plus partir, à moins que je lui dise par écrit que c'était m o i qui le renvoyais ; ce que j e n'ai j a m a i s eu l'intention.E n même temps il renouvela ses menaces d e toute espèce, ainsi que le particulier qui l'accompagnait, et qui alla jusqu'à dire qu'il me retrouverait, et qu'il m e brûlerait la cervelle si j ' é t a i s assez h a r d i pouf sortir à vingt pas de ma b a r r i è r e . » r

On le voit, la situation (49) n'était p a s toujours agréable pour Lefranc de Saint-Haulde, qui, oblige d'employer des « g e n s sans aveu » dans u n quartier désert, était exposé chaque j o u r à des m e n a c e s qui


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p o u v a i e n t , à tout instant, être mises à exécution. A u s s i , suppliait-il le Lieutenant de Roi de rappeler de s u i t e le S Bachelet, dont il ne pouvait plus, cela se conçoit, utiliser les services, et qui d'ailleurs, en­ g a g é s u r t o u t pour montrer aux n è g r e s « la trempe et à s o u d e r l'acier avec le fer », s'était borné à en­ s e i g n e r son industrie « à un vaille que vaille », ne v o u l a n t , disait-il, « montrer les dernières trempes que sur les dernières semaines de son départ. » r

P a r m i les correspondants de Lefranc de SaintH a u l d e , il en est un, dont les explications vont nous aider à savoir mieux encore si le séjour de SaintD o m i n g u e avait été favorable ou défavorable aux intérêts de l'architecte; c'est Seignoret (50), fils d'un avocat de P a r i s (51). Seignoret venait de faire la t r a v e r s é e de Saint-Domingue à Nantes. A peine arrivé d a n s cette ville, il écrivit, le 30 juillet 1776, à son « c h e r compatriote », pour lui parler de diffé­ rentes affaires, en termes un peu énigmatiques pour n o u s , et le féliciter d'avoir échappé aux d a n g e r s qui pouvaient résulter de la chute d'un contrevent qu'il avait r e ç u sur la tête. Puis il lui dit : c M. le Général (52) est donc parti pour le Cap, avec les intentions de s'embarquer dans quinzaine p o u r F r a n c e . Je ne sais pas trop qu'en penser, le Roi l'ayant prié de rester encore un a n , et ses prières sont des o r d r e s .


— 76 — « L'adieu qu'il a été vous faire est sans doute une protestation solennelle de ce qu'il a pu dire aupara­ vant. Quant au toisé qu'il vous a forcé de signer quelques heures a u p a r a v a n t , il est aisé de protester contre de semblables s i g n a t u r e s . » 11 lui parle encore des Pères Bara et Grena qui ont fait, lui semble-t-il, « u n e bien g r a n d e sottise »: de leurs amis c o m m u n s , M. et M Barion, M. Du Crabon, de son état de santé qui est toujours in­ quiétant, d'un réglement de compte qu'il a fait avec M. de W e m b e r c h e m , et des autres affaires dont il s'est c h a r g é , et pour lesquelles il va pouvoir bientôt lui dire de quelle somme pour solde il r e s t e son débiteur. me

Seignoret promet encore à Lefranc de SaintHaulde de lui écrire dès qu'il sera en r o u t e p o u r leur « bonne ville (53) de Paris, et de p a r l e r de sot « affaire à tous les intéressés, la pièce à la main» dès qu'il y sera a r r i v é . En attendant il lui recommande particulièrement de lui dire comment vont les choses à Saint-De m i n g u e , quelles sont les nouvelles difficultés qu'on lui suscite, en u n mot de le m e t t r e « toujours au p a i r » de sa « besogne », afin qu'il puisse, « dans tous les instants en parler à tous et contre tous, avec sagacité... » Deux autres lettres suivirent.


— 77 e r

Le l mars 1777, en accusant réception, à son « b o n ami Seignoret » (57) des trois lettres dont il s'agit, Lefranc de Saint-Haulde lui disait, en réponse à la troisième : « ... J e vous remercie de la communication que vous avez donnée à M. Beudet de toutes les pièces dont j e vous ai c h a r g é . Suivant ma procuration, vous voudrez bien n'en faire d'autre usage que ce qu'elle prescrit... Je désire que M. Beudet ait fait l'examen dont il est susceptible de toutes ces pièces, après quoi j e n'aurai pas lieu de douter qu'il soit porté à s'occuper de me.faire r e n d r e la justice qui m'est d u e . Je n e demande, d'ailleurs, aucune grâce, mais la justice comme on me donne de l'OR icy, or qui n e m'est donné qu'avec les plus grandes diffi­ cultés. Il pourra se faire que la justice que j e de­ mande me soit rendue de même ; mais, au reste, le Ministre est équitable, et notre Maître à tous, qui habite le Château de Versailles, ne verra point les infâmies (55) que l'on m'a faites et qu'on me fait journellement, d'un œil serein. Je me r é s e r v e de l'en instruire au besoin. J e ne négligerai rien pour que Sa Majesté et son sage Conseil voient d a n s u n tableau d'un seul coup d'oeil ce qui s'est authentiquement passé. » Ces déclarations, si fermes, laissent entrevoir d e sérieuses difficultés dans l'entreprise de la GrandeRivière.


- 7 8 Il lui dit encore, et ici la plainte s'accentue : « Si M. Beudet voulait, et que son teins et sa santé lui permettent de s'occuper sérieusement d'un objet aussi intéressant, il reconnaîtrait aisément ce dont partie de MM. les habitans du Cul-de-Sac sont suceptibles ; il reconnaîtrait également l'instrument dont ils se servent pour me persécuter, pour déshonorer leur mémoire, et pour les induire d a n s des erreurs les plus caractérisées, e r r e u r s qui leur coûteront plus de huit cent mille livres, et, au moins dix-huit mois de retard, et à moi plus de deux cent mille livres de pertes en nègres seulement, par la lon­ g u e u r du travail à des fouilles et des coupemens de montagnes immenses absolument inutiles, excepté pour faire avoir un canonicat, à cet instrument Mer­ lin, de trente mille livres par année : c'est ainsi où l'aveuglement de leur ostentation est porté. » En terminant, il lui annonce l'envoi sous u n mois, d'un mémoire détaillé et de plans qui justifieront ses réclamations ; puis, il le prie de dire mille chose* aimables de sa part et de celle de M Lefranc de Saint-Haulde, en les embrassant, à M. et M de Méry (56). me

me

Le 11 du même mois de m a r s 1777, Seignoret, qui est définitivement rentré à P a r i s , écrit une lettre de huit pages à son « cher Lefranc. » Il lui parle d'abord de son fils, Etienne-Pascal Le-


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f r a n c de Saint-Haulde, et lui annonce en ces t e r m e s i e d é p a r t du jeune homme pour Saint-Domingue : « L e Ciel propice à nos v œ u x , a donc permis q u e j e p u i s s e vous r e n d r e un fils digne de vous. J u g e z d u p l a i s i r que j e goûte à vous r e n d r e un second v o u s - m ê m e , un j e u n e homme d'une bonne santé, fort, et de la meilleure volonté, en un mot, quel­ q u ' u n susceptible de vous représenter, de vous sou­ l a g e r dans vos travaux multipliés, de mériter v o t r e confiance, par conséquent de prolonger vos j o u r s en d i m i n u a n t vos fatigues. « Votre fils a servi et le tems qu'il a passé d a n s s o n c o r p s , loin d'être r e g a r d é comme perdu, doit, a u c o n t r a i r e , passer p o u r bien employé, car p o u r p e u q u ' o n réfléchisse, on v e r r a que c'est une très b o n n e école ; et, au dire de tous ceux qui avoient c o n n u votre fils avant, il est changé en bien du tout a u tout. « N e serez-vous pas vous même c h a r m é , quand vous lui direz de monter à cheval, de le lui voir faire a v e c a d r e s s e . Stil faut qu'il soit en faction pour sui­ v r e les t r a v a u x des n è g r e s , il y est accoutumé ; s'il faut c o m m a n d e r u n atelier, il doit avoir une juste idée d e la fermeté raisonnée qui doit entrer dans les o r d r e s qu'on veut donner. « J ' e s p è r e donc, mon bon ami, qu'en oubliant les é c a r t s de sa jeunesse qui, bien considérés, p e u t - ê t r e


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n'en sont pas, et quand il serait reconnu que sa vie en a été parsemée, vous vous direz : qui de nous n ' e n a pas fait? Tous les hommes sont h o m m e s ; la seule expérience leur apprend, plus ou moins, à leurs dépens, suivant les circonstances, à être r a i ­ sonnables. » On n e saurait être plus g é n é r e u x . Seignoret, d'ailleurs, comptait que Lefranc de Saint-Haulde rendrait la tendresse paternelle tout entière à l'en­ fant prodigue repentant, qui était « de plus en plus disposé à la mériter » ; et pour le convaincre davan­ t a g e , il lui disait encore, que s'il avait eu du plaisir à réussir le d é g a g e m e n t du j e u n e militaire (57), s'il en éprouvait un nouveau à a p p r e n d r e qu'il est rendu bien portant aux côtés de son p è r e , sa satisfaction « serait à son comble de savoir qu'il a joui de tous les droits que la n a t u r e lui a assigné. » Ce petit tableau d'intérieur a son c h a r m e . Il res­ pire un parfum de bonne compagnie qui fait bien au c œ u r . C'est du Florian des meilleurs j o u r s ! Pour écrire et pour a g i r ainsi, Seignoret devait aimer passionnément l'humanité !... Le congé du fils de Lefranc de Saint-Haulde avait été obtenu du Colonel Comte de Machault, au prix fort débattu, de 600 livres ; mais enfin, le j e u n e h o m m e était libre et s'apprêtait à passer à Nantes,


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p o u r s'y embarquer le 1 j a n v i e r 1778 à destination de Saint-Domingue. Seignoret, toujours empressé à être agréable à son c h e r Lefranc, avait vu aussi sa belle-sœur de Bruxelles, M Fleury, et avait sondé ses intentions ; mais celle-ci, quoique libre de sa personne, ne se m o n t r a pas disposée à aller rejoindre sa famille à Saint-Domingue. Un « tel voyage » l'effrayait; et, d'ailleurs, dans ce môme moment, il était question pour elle d'un parti fort a v a n t a g e u x , en B r e t a g n e , et c'est d a n s ce but qu'elle traversait Paris pour aller p a s s e r un mois à Nantes, qui pour l'instant l'intéressait davantage que Port-au-Prince. 11e

Q u a n t à Seignoret, dont la santé s'améliorait de j o u r en j o u r , il se disposait à retourner bientôt à Saint-Domingue, pour y r e p r e n d r e , s'il était possible, une des Procurations qui y deviendraient vacantes. C'est un sage conseiller que Lefranc de SaintH a u l d e a u r a à ses côtés, mais... pour peu de temps : il y a u r a scission entre les deux amis. E n m a r s , en avril et en mai, les e m b a r r a s finan­ ciers de Lefranc de Saint-Haulde paraissent avoir été t r è s g r a n d s . Il devait une s o m m e importante à L a g n e a u , Officier-Ingénieur, qui, au moment de quitter l'île, par suite de sa mise à la retraite, en réclamait avec instance (58) le payement. Notre a r -


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chitecte avait à toucher, et Lagneau le lui rappelait, ce qui lui était dû pour la maçonnerie et la charpente neuve de l'Intendance et quelques autres articles ; mais Roberjot, Trésorier, continuait à en refuser le payement. Sur ces entrefaites, Lefranc de SaintHaulde tomba malade. C'était un a r r ê t nouveau. Le 24 avril, Lagneau lui écrit : « J'ay été touché, Mon­ sieur, de vos peines. C'est sans doute votre maladie qui vous a empêché d'effectuer votre parole. De g r â c e , tirez-moi d'embarras... » Lefranc de SaintHaulde devait, à Lagneau, 6,000 livres, dont 500 pour 2 mois de loyer de la maison qu'il occupait à Port-au-Prince : en mai, grâce à des ordonnances qui lui furent enfin délivrées et que l'on convertit de suite en argent, cette dette était soldée en son entier. En ce même mois de mai Lefranc de Saint-Haulde reprit sa correspondance avec le Lieutenant de Roi à propos du grenadier Bachelet ; mais il est probable que les relations entre eux s'étaient améliorées c a r notre architecte consent, non seulement sur les conseils de Coutard (59), à lui a b a n d o n n e r les201iv., 7 s., 5 d., qu'il redevait, mais même à lui allouer, spontanément, la moitié de la gratification promise et à laquelle il n'avait pas droit, soit 150 livres, étant d a n s son « caractère », dit-il, de tout faire pour q u e c e u x « qu'il emploie, de telle espèce que ce soit », ne puissent se plaindre de lui « a j u s t e titre ».


— 83 — Le 25 mai 1777, son ami Seignoret lui écrit d e R o u e n , où il se trouvait momentanément pour ses p r o p r e s affaires, une huitième et probablement.dern i è r e lettre, avant son départ de F r a n c e . Il lui résume ses conseils antérieurs en ces quel­ q u e s lignes : « M. Beudet, le bras droit de tous les habitans du Cul-de-Sac, est parfaitement instruit de tout ce qui c o n c e r n e l'entreprise dont vous êtes c h a r g é , et a t t e n d , avec une vive impatience, les nouveaux ren­ s e i g n e m e n t s , plans, etc., et tout ce qui pourra, enfin, le rapprocher des lieux et lui faire toucher au d o i g t et à l'œil votre conduite et celle que tous les h a b i t a n t s tiennent à votre égard. « S u r t o u t , n'oubliez pas de lui dire véridiquement e t de b o n n e foi, ce que vous pensez de la besogne q u e vous faites, j e veux dire de la solidité de votre t r a v a i l , et du niveau, choses qui l'intéressent plus particulièrement que tout autre, ce que vous savez m i e u x que personne. « Je suis même étonné que vous soyez encore à avoir écrit tout cela à M. Beudet, après ce que j e Y O U S ai mandé précédemment ; il ne suffit pas de compter sur un ami, il faut encore l'aider de son c ô t é , et faire de suite ce qu'il nous dit pour nos p r o ­ p r e s intérêts. Loin de là, vous semblez toujours r e ­ c u l e r . Faites y attention, et correspondez à l'avenir


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avec M. Beudet, d'une façon suivie, claire et précise, car il aime qu'on lui peigne les choses comme il les voit, clairement. Ainsi, ne correspondez plus avec moi, mais avec M. Beudet et mon père (60) dans le cabinet duquel sont tous vos papiers dans un carton qui vous est particulier. Vous avez en lui l'homme de France le plus susceptible de l'Ordre ; vos papiers sont comme et mieux que chez v o u s . . . Enfin, j e n e dois pas oublier de vous dire qu'il sera ion, utile et nécessaire d'associer M. du Crabon, autant que faire se p o u r r a , à votre correspondance avec M. Beudet, qui a en lui une confiance entière. Cette association de correspondance ne peut donner que plus de force. Ne vous écartez en rien de tous mes conseils ; ils sont ceux de l'amitié clairvoyante. » Puis, il lui envoie ce souvenir qui dût toucher l e cœur sensible de notre architecte : rae

« M. et M Mery vous aiment de plus en plus et ne verront j a m a i s arriver assez tôt l'instant de v o u s rapprocher d'eux. Ils vous disent tout ce que p e u ­ vent penser d'anciens et vrais amis. » On lit d a n s les Discours politiques et de de la Noue (Basle, 1591, in-8, p. 159) :

militaires

« L'expérience nous fait voir tous les iours q u e quand un Escuyer veut p r e n d r e peine, il dresse e t accommode en un an, voire un g r o s cheval de c h a r ­ rette, en telle sorte qu'Ole fera paroistre avec quel-


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q u e gaillardise, et le rend utile à servir en certaines c h o s e s . Doit-on moins espérer d'un enfant?... » Cette remarque s'applique très bien au cas du fils de-Lefranc de Saint-Haulde. Son p è r e avait pu déjà a p p r é c i e r ce qu'il obtiendrait de lui, p o u r son exploi­ t a t i o n de la Grande-Rivière ; mais, avait-il prêté suffisamment l'oreille à ce que lui écrivait, le 11 m a r s 1777, le « clairvoyant » Seignoret? « Souf­ frez, — disait Seignoret, que j e vous donne un con­ seil ; il ne peut que contribuer à la tranquillité, à la satisfaction et à l'émulation de celui dont j e vous plaide la cause. Si vous remerciez M. La Combe, p o u r donner la place à votre fils, ne pourriez-vous p a s lui assigner les mêmes appointements, dont il ferait tout ce qu'il voudrait ? Qu'en résulterait-il ? Le voici : que de tems à autre votre fils se donnerait en é c h a n g e un cheval qui lui fera plaisir et qu'il a i m e r a mieux monter qu'un mulet peut être, enfin, tout ce qu'il voudra. Il demeure toujours certain que s'il se donne un cheval, il m é n a g e r a les vôtres ; que s'il s'habille, vous n'aurez pas besoin de le faire, et v o u s savez combien l'esprit de propriété a d'empire s u r l'âme ; on a plus de plaisir à dire mon cheval, m a canne, mon épée, que de dire le cheval, la canne ou l'épée de mon père. Après tout cela revient à peu p r è s au même, avec cette différence cependant qu'un j e u n e homme apprend à compter avec lui-même, à


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connaître la valeur de l'argent, et qu'enfin, vous lui éviterez la nécessité de demander, ce qui, à un cer­ tain â g e , nous coûte beaucoup. » Quoiqu'il en soit, un matin Lefranc de S a i n t Haulde reçut à sa case du Cul-de-Sac, la lettre sui­ vante à laquelle il ne s'attendait certainement pas : « Comme j ' a y esté prévenu depuis deux mois e n ­ viron que vous aviez c h a r g é un de vos amis au P o r t au-Prince pour vous procurer un j e u n e homme en ma place, j ' a y l'honneur de vous prévenir a u j o u r d'huy, Monsieur, que j e ne puis rester chez vous que j u s q u ' à Dimanche prochain, si toutefois vous avez besoin de moi et que cela vous fasse plaisir. « J'ai l'honneur de vous prévenir aussy que Rous­ seau a envie de venir avec moy, disant pour raison qu'il ne se trouve pas en état de conduire votre ma çonnerie Lacombe. « Grande-Rivière du Cul-de-Sac, ce 7 octobre .1777. » C'était u n coup droit porté à Lefranc de SaintHaulde, presque une vengeance, en tout cas u n e riposte habile et méritée. Il voulait remplacer La­ combe ; celui-ci l'avait su ; et en bon calculateur, qui s'était m é n a g é u n e sortie honorable, il prenait les devants, et laissait son patron dans l'embarras, en lui enlevant même l'un de ses principaux ouvriers. Il est probable que Lefranc de Saint-Haulde, en


— 87 — cette circonstance, dût taire contre mauvaise fortune b o n cœur-, en tout cas,.nous le voyons hâter le r è ­ g l e m e n t de ses comptes, vaquer à ses obligations, et p o u r s u i v r e , sans relâche, la g r a n d e entreprise du Cul-de-Sac qui, à elle seule, suffisait à absorber tous ses i n s t a n t s . J'ai dit, précédemment, que Lefranc de SaintH a u l d e avait attendu quatorze mois pour r é p o n d r e à la lettre, on ne peut plus grâcieuse, du Curé de Quibou. Une note, datée du 28 juillet 1777, n o u s a p p r e n d qu'il lui envoya, à cette date, p a r le capi­ taine Vieillard, du H â v r e , dont le navire devait par­ tir le vendredi 1er août pour ce port, « un quart de café » ; le même navire emportait aussi u n e égale quantité de café pour ses bons et fidèles amis « les Méry ». A la d e r n i è r e heure, Lefranc de Saint-Haulde fit u n e seconde lettre au Curé Pasla, de Quibou, pour lui e n v o y e r : 1° copie de la donation (61) qu'il avait faite à la paroisse du P o r t - a u - P r i n c e pour prier pour le repos de l'âme de feu M Fleury, sa « chère épouse » en secondes noces ; 2° la « relation de son « assassinat » et de sa « maladie ». elle

Ainsi, presque en même temps, Lefranc de SaintHaulde venait de p e r d r e sa seconde femme, d'être assassiné et d'être malade. S u r ces divers événements, qui tinrent nécessai-


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rement une g r a n d e place dans sa vie, nous sommes absolument privés de détails : n o u s ne savons, à cet é g a r d , que ce qu'il nous apprend lui-même, dans u n e note sommaire. Le café expédié au Curé de Quibou, arriva avant les lettres ; cela résulte de la missive que ce dernier lui écrivit le 7 Décembre suivant (62) : « Monsieur, cher amy et compatriote, « J'ai l'honneur de vous adresser celle-ci pour vous faire mille remerciements du g é n é r e u x présent que vous m'avez fait du baril de café que j ' a i reçu Dimanche dernier du Havre. Je l'ai fait transporter à Grandville,aux Messieurs le chevalier de Marigny, négociants, qui me l'ont apporté j u s q u e chez moi sans vouloir u n sol de port depuis Grand ville ici. Pour toute chose, il ne m'en a coûté que 3 livres, 5 sols, pour embarquer et débarquer ; ce n'est rien. Hier, lendemain de son arrivée, j ' a v a i s un des s e i ­ g n e u r s de cette paroisse à dîner ; c'est M. l'abbé Hullot, m o n chanoine. Nous en avons goûté ; nous l'avons trouvé très excellent ; j e lui ai lu votre lettre ; il vous félicite et vous exhorte avec moi à ne pas perdre courage dans vos peines. Je suis charmé que votre fils vous soit arrivé. Sous les auspices du père, c'est un ami de plus dans le pays que vous habitez. Travaillant au sucre, il pourra se faire u n état floris­ sant. Si j e pouvais vous faire passer des fonds, j e


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v o u s p r i e r a i s de m'en envoyer une petite provision, c a r il est fort cher ici ; mais c'est trop importuner u n a m i respectable. « J ' a i présenté vos compliments à mes confrères ; e t ils m ' o n t chargé de vous en m a r q u e r toute la r e ­ c o n n a i s s a n c e possible. Tous vos parents se sont i n f o r m é s de vous et vous font mille compliments, e n t r e a u t r e votre s œ u r Charlotte, mariée à Canisy (63), qui est venue hier chez moi demander de v o s n o u v e l l e s , et qui m'a priée de vous m a r q u e r la j o i e q u ' e l l e a que vous vous portiez bien, et le désir a r d e n t qu'elle a de vous revoir. J'espère, comme elle, ce précieux moment où nous réunissant, n o u s n o u s e n t r e t i e n d r o n s ensemble de nos différentes a v e n t u r e s et de nos j e u n e s ans. « D e s nouvelles dans ce pays, j e n'en sais point qui m é r i t e n t vous dire. Tout s'y passe à peu près c o m m e lorsque vous y étiez. Vous savez, sans doute, que v o u s n'avez plus que deux s œ u r s à marier, qui sont C a t h e r i n e et Aimée, qui demeurent avec leur m è r e a u village Laisné. Ils ont tous bien de la peine à faire venir l'argent de la succession de votre oncle c o m m u n ; j e orois que le notaire et le procureur en g a r d e n t la plus g r a n d e partie. Ecrivez moi, j e vous p r i e , d e temps en temps ; rien ne me fait plus de plaisir q u e de recevoir de vos nouvelles. P a r là il m e semble voir renaître ces h e u r e u x jours où n o u s c o n v e r s i o n s si familièrement. 7


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« Mille choses obligeantes de ma part, je vous p r i e , à Madame de Saint-Haulde (64), votre épouse, et bien des compliments à Monsieur votre fils, et soyez p e r s u a d é , mon cher ami, que s'il y a quelque chose ici qui put vous faire plaisir, et où je pusse vous être utile, vous ne devez pas m ' é p a r g n e r . C'est la grâce que je vous demande. » E n m a r g e de cette lettre Lefranc de Saint-Haulde a écrit : « Fait réponse, en date du 1er mai 1778, datée de la Grande-Rivière du Cul-de-Sac, et lui disant entre autres choses que j e c h a r g e mon cor­ respondant du Havre de lui envoyer six pains de sucre, blanc et beau ; et mes m a l h e u r s , le détail de mes pertes et de mon assassinat. » Un décompte de ce que Lefranc de Saint-Haulde devait à Ducorneau, pour le temps qu'il avait tra­ vaillé chez lui du 15 octobre 1777 au 3 février 177s. à raison de 3,000 livres p a r a n , nous renseigne sur la condition des n è g r e s : à l'hôpital, on payai; p o u r eux 3 livres 15 sols p a r semaine, et on leur fournissait un pain d'un escalin, et environ trois quarts de viande par j o u r . Lefranc de Saint-Haulde avait perdu sa seconde femme, M Marguerite Fleury, cadette, le 17 no­ vembre 1777. En en donnant avis le l ° février 1778 (65) à sa belle-soeur de Bruxelles, qu'il avait tenté déjà vainement d'attirer à Saint-Domingue, il lui disait : lle

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— 91 — « La mort l'a arrachée à mes pleurs et à mes soins. Ce coup a porté mes m a l h e u r s et mes cha­ grins à leur comble, et j e ne sais p a s comment j ' a i encore la force de t'en faire part. J'ai perdu celle que j e chérissais de toute mon âme, ce qui, p a r le plaisir de la voir et de l'aimer, me soutenait dans une c a r r i è r e aussi laborieuse et aussi traversée de revers q u e celle que j e mène à Saint-Domingue. J e n'ai plus de consolations que dans les larmes que le souvenir de cette bonne amie me fait verser conti­ nuellement. Si j'étais assez heureux pour te déter­ miner à p a r t a g e r mon affliction, j ' a i prié M. Vieil­ lard, m o n ami, capitaine de navire, résidant au Hâvre, qui p a r t i r a d'ici le 4 du mois prochain, de te recevoir chez lui. C'est un homme marié, duquel j e ne puis te dire assez de bien... P a r s donc de Bruxelles, ma c h è r e sœeur... (66) Ta présence calmera l'excès de m e s peines et de mes chagrins ; et, dans trois ans au plus tard nous abandonnerons ce malheu­ reux climat où il faut être lié, comme j e le suis, pour y rester... » Un p a r e n t n o m m é Dessaint ajouta ces mots à la lettre de l'architecte : « J ' i g n o r e , ma chère cousine, quelle est votre position et si vous êtes heureuse. Je dois vous enga­ ger p a r l'amitié que je vous porte à vous r e n d r e a u x sollicitations de M. Lefranc dont les sentiments pour


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vous n'ont jamais varié. Je ne puis rien ajouter à ce qu'il vous marque au sujet de votre belle-sœur qui existerait peut être encore, si elle avait bien su con­ naître son bonheur. Venez donc jouir du bien être qui se p r é s e n t é e vous. Croyez qu'il est d'autant plus réel que votre sort dépendra de vous. La seule sa­ tisfaction de vous posséder ici est le vrai moyen de vous conserver un frère qui doit vous être cher, que je respecte, et que j ' e s t i m e autant que je vous aime. » C'était une demande en m a r i a g e , en règle, mais qui ne devait pas aboutir. D'ailleurs, Dessaint, qui s'était entremis si affec­ tueusement dans cette affaire, ne laissait pas de dire à son cher cousin (67), en forme de reproches : « ... Toutes vos réflexions sont j u s t e s , mais que vous avez tort de vous y livrer ! Vous avez des tra­ verses ; mais qui n'en a pas ? Celui à qui il reste des ressources n'est pas le plus à plaindre. Le temps amène toute chose à point. Espérons, toujours, et ne nous abandonnons point à des inquiétudes qui ne font que nous tourmenter sans apporter aucun sou­ lagement à nos peines... Tâchez de p r e n d r e sur votre raison ; vers le seul parti qui vous reste puisque la justice et la bonne foi vous sont refusées. Les choses changeront peut être de face avant peu... Un moment de bonheur nous fait oublier dix années de


— 93 — c h a g r i n . . . Je vous prêche une morale que j e n'exé­ c u t e g u è r e ; mais il est de m o n caractère d'être sen­ s i b l e . . . et d'avoir trop bon c œ u r . . . » Il lui dit encore : « J'attends au mois prochain q u e la f e r m e des postes soit adjugée pour savoir le parti q u e j e prendrai. J e ne suis pas en état de rester oisif, m a i s j e désire beaucoup u n autre g e n r e d e t r a v a i l dont j e suis cruellement rassasié... Ces lignes indiquent l'état d'esprit de Lefranc d e S a i n t - H a u l d e et aussi l'état de ses affaires, q u i , toutes brillantes qu'elles fussent, n'en étaient p a s moins grosses de préoccupations. Quelque temps après la mort de sa seconde fem­ me, n o t r e architecte avait fait, en cas de vol, u n e note descriptive des trois montres qu'il p o s s é d a i t Il y avait d'abord celle de sa femme (68), m a r q u é e sur le t a m b o u r Berthoud à Paris, n° 596. La boîte était e n or de P a r i s , frappée de trois poinçons, et guillochée à trois r a n g s . P u i s , les siennes, aussi en or de Paris et poinçon­ n é e s d e même. P l u s tard, 31 juillet 1779, Lefranc de Saint-Haulde acheta à Michel, ancien imprimeur au P o r t - a u Prince, une quatrième m o n t r e en or, guillochée et à répétition, marquée London, 1069, et u n e a u t r e , p e t i t e , marquée au boitier, près de la charnière ; ce


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qui indique, malgré ses plaintes continuelles, qu'il pouvait encore se donner quelques satisfactions. Nous n'avons qu'un seul brouillon des lettres que Lefranc de Saint-Haulde écrivit à son ami le Curé d e Q u i b o u ; celle-ci est datée de Port-au-Prince, le 25 mai 1778 (69), et il lui en envoya un duplicata le 20 juillet suivant. Comme elle nous renseigne com­ plètement sur l'existence de l'architecte, en ces an­ nées troublées, nous la reproduisons presque en entier : « J'ai reçu votre chère dernière, datée de Quibou, le 9 Décembre 1777, à trois mois de sa date. Hélas! mon cher et bon ami, j e n'ai pu prendre sur moi d'y répondre plus tôt. Mille fois, j e crois, j ' a i essayé de vous a p p r e n d r e tous mes m a l h e u r s , et mille fois j ' a i baigné mon papier de larmes de s a n g . Je ne peux encore prendre sur moi aujourd'hui de vous les détailler. Je vous en ai envoyé le détail écrit par un ami qui demeure avec moi, et qui a tout quitté pour ne pas m'abandonner... J'ai p e r d u ce que j ' a v a i s de plus cher au monde, ma chère et tendre épouse. Dieu m'avait rendu heureux, il lui a plu en disposer autrement le 17 novembre 1777, j o u r fatal pour moi. Oui, mon ami, j e vous le j u r e sur ce que j ' a i de plus s a c r é ; j e donnerais si cela se pouvait acheter au poids de l'or, quatre cent mille livres, ce qui est toute ma fortune, et que Dieu me la rende :


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j e s e r a i s trop heureux de la voir, quand j e devrais r e d e v e n i r maçon et tailleur de pierres à la j o u r n é e . Ce n ' e s t p a s parce qu'elle m'appartenait que j ' e n fais t a n t de l o u a n g e s ; mais c'est parce qu'elle était j u s t e , honnête, qu'elle avait des sentiments g r a n d s et g é n é r e u x et aimait à faire le bien, et qu'elle était p i e u s e et économe à la fois. Vous voyez, mon ami, q u ' u n e femme avec cela aimable de ligure et de ca­ r a c t è r e , doit être regrettée à j a m a i s . Aussi, c'est m o n d e r n i e r mot : ce jour fatal de sa perte a consterné tous les honnêtes citoyens de notre ville... Il ne me r e s t e p o u r société qu'un ami que j ' e s t i m e j u s t e et s i n c è r e , et qui restera avec moi j u s q u ' à la fin de mes t r a v a u x , si Dieu me fait la grâce d'en voir le bout ; c a r j ' e x i s t e au milieu de sauvages, de brigands, d'as­ s a s s i n s , d e voleurs, de toutes couleurs, blancs et n o i r s , et s a u v a g e s ; des procès avec le Gouverne­ m e n t , p o u r me faire payer. Voilà mon é t a t ; et j e s u i s à la veille d'envoyer toute cette affaire au Con­ seil d'Etat du roi de France p o u r me faire rendre la justice qui m'est due. Cela ne me fait cependant pas d é s e s p é r e r de vous revoir, et de vous embrasser de tout m o n c œ u r . Si le poison et les balles ne font pas p l u s d'effet sur moi à l'avenir que par le passé, j e r i s q u e g r o s de vivre ; mais Dieu et la bienheureuse s a i n t e Geneviève à qui ma pauvre chère et tendre é p o u s e et moi avons toujours eu confiance, m ' e n


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p r é s e r v e r a , s'il lui plaît. Je l'en supplie tous les jours... « Je vous remercie du compliment que vous me faites s u r mon fils. J e l'ai mis a p p r e n t i sucrier ; cela n e lui plaît pas t r o p . Il aimerait bien jouir de mes s u e u r s de près de q u a r a n t e ans et se divertir ; mais j ' y mettrai o r d r e , sous peu de j o u r s , de manière que s'il veut briller et faire l'homme de conséquence, il n ' a u r a qu'à faire comme j ' a i fait : il n ' a u r a d'obliga­ tion à p e r s o n n e . Il me coûte à présent plus de trente mille livres, sur ma parole, et il est au p r e m i e r point. Voilà les Parisiens ! P a r e s s e u x , libertins, d é ­ pensiers, e t c . . « Si vous avez occasion de voir n o t r e S e i g n e u r , j e vous prie de lui présenter l'assurance de m o n res­ pect. À l'égard du sucre que vous m e demandez, croyez qu'on n e le fabrique qu'en brut ; on le fait en blanc en F r a n c e . Mais j ' a i écrit à mes c o r r e s p o n ­ d a n t s du Hâvre de vous en faire p a r v e n i r six pains d u plus beau qu'ils pourront a v o i r . . . Et une a u t r e fois, mon c h e r c a m a r a d e , oubliez avec moi le mot de p a y e r . . . J e me trouverai c h è r e m e n t p a y é en m é ­ ritant la continuation de votre amitié et celle de t o u s n o s honorables compatriotes, que j e r e v e r r a i s a v e c bien du plaisir; m a i s il y a 2,500 lieues entre n o u s et bien liquides ! A la volonté de l'Eternel !... « Vous trouverez ci-joint, mon b o n ami, u n e r e ­ lation des m a l h e u r s que j ' a i é p r o u v é s d a n s cette


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Colonie ; vous verrez qu'il n'est p a s de roses s a n s épines. Comme vous voyez de mes p a r e n t s , j e leur souhaite à tous bien des b o n n e s et b o n n e s santés ; mais j a m a i s il n'y a eu p e r s o n n e d'entre e u x et moi qui ait eu tant de bien et tant de mal à la fois. J e finis p a r les estimer plus h e u r e u x que moi, et le l'ait est v r a i : j e crois que celui qui n ' a j a m a i s connu que s o n m a n o i r , éloigné de la ville et de la Cour, est le plus h e u r e u x des h o m m e s . Sous sa c h a u m i è r e , il finit sa vie, comme ses p è r e s . Que faut-il de plus à l ' h o m m e ? Le roi et le b e r g e r d a n s l'autre m o n d e sont é g a u x . . . » Il y a u r a i t bien des réflexions à f a i r e - s u r cette longue lettre, qui accuse un certain trouble d'esprit ; mais j e n e m ' a r r ê t e r a i qu'au p a s s a g e où Lefranc de S a i n t - H a u l d e donne le chiffre exact de sa for­ tune. Q u a t r e cent mille francs, en ce temps-là, était une s o m m e considérable et avec laquelle, certaine­ ment, on pouvait p r é t e n d r e devenir p r o p r i é t a i r e d'une t e r r e seigneuriale ; mais, avait-il réellement amassé cette fortune de 1771 à 1778, c'est-à-dire en moins de huit années ? J'en doute p r e s q u e ; et, à cet é g a r d , j e le crois à demi, q u a n d j e me rappelle cer­ taine lettre (70) dans laquelle Lefranc de SaintH a u l d e , pour mieux écarter u n solliciteur de Paris, rappelle qu'en 1770, plus d'un a n a v a n t son d é p a r t p o u r S a i n t - D o m i n g u e , il avait a b a n d o n n é à ses c r é a n c i e r s le prix de sa maison de la r u e des G r a -


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villiers, estimée 60,000 livres, et en outre une créance, p a r privilège, sur les mains et biens de feu B o u c h e r o n j i P a r i s , montant à quelques mille francs. Il est vrai que ne devant alors que trente-six mille livres, il aurait dû lui revenir, tous les créanciers soldés, une trentaine de mille francs. Mais, comme d'autre part, on avait saisi aussi sa propriété de Saint-Haulde, il est fort présumable-qu'au moment de son départ, Lefranc de S a i n t - H a u l d e avait juste de quoi faire face aux frais de son installation dans la Colonie. Les q u a t r e cent mille livres qu'il dit avoir amassées, a u r a i e n t donc été g a g n é e s pendant son séjour à Saint-Domingue, ce qui eût été un t r è s joli denier, pour u n architecte d'ordre secondaire. Il n'est pas hors de propos de faire encore r e ­ m a r q u e r , à cet é g a r d , que Lefranc de Saint-Haulde a pris soin de n o t e r lui-même s u r son recueil de re­ m è d e s , que, pendant la d u r é e de son e n t r e p r i s e , il perdit j u s q u ' a u 10 n o v e m b r e 1778, quatre-vingtq u a t r e n è g r e s , m o r t s tous à la Rivière (71), ce qui r e p r é s e n t e une diminution de fortune appréciable. A cette date du 10 n o v e m b r e , il venait de perdre l'un de ses « meilleurs n è g r e s », n o m m é Moïse, qui était « bon maçon et bon c h a r p e n t i e r , » et dont il fixait la v a l e u r effective à 6,000 livres. Il faut, ditil, « se r é s o u d r e à la volonté de Dieu » ; et, p a r a ­ p h r a s a n t u n e parole célèbre, il ajoute : « Il me l'avait donné, il me l'a ôté, j ' y souscris ! »


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IV 1 7 7 8 . A v a n c e m e n t d e s t r a v a u x d e la G r a n d e - R i v i è r e . — 1 7 8 0 . Disette dans

la Colonie. Aggravation des difficultés d e l'entre­

p r i s e . — ( 7 8 1 . Retour en France de Lefranc d e

Saint-Haulde.

— 1 7 8 2 . Il m e u r t ù S o i s y - s o u s - ELioIIes, o ù il s'était r e t i r é c h e z s o n b o n a m i Q u é r e l d e Me'ry.— 1783. S o n fils d e v i e n t l e g e n d r e d e l'architecte Couture.

L e s t r a v a u x de la G r a n d e - R i v i è r e du Cul-de-Sac a v a n ç a i e n t . Lefranc de Saint-Haulde n e les d i r i ­ g e a i t p l u s g u è r e que de sa maison de P o r t - a u - P r i n c e . A la d a t e du 14 n o v e m b r e 1778, un nommé Glandaz, q u i était s a n s doute à son service, lui en parle e n ces t e r m e s : « M. H e s s e est venu hier, ainsi qu'on vous l'avait a n n o n c é , et a d e m a n d é où vous étiez et pourquoi vous ne vous trouviez pas ici... Les t r a v a u x de l'Ouest ont été visités, et après beaucoup de discus­ sions et d'allégations de la part de Merlin, il a, enfin, été résolu que rien n'empêchait que le toisé d e s c r é p i s , enduits, etc., fut fait. « On a beaucoup a r g u m e n t é de ce que vous n'avez p a s fait faire des encastrements a u x m o n t a n t s d e s é c l u s e s du Bassin n° 1, et à ce défaut M. Hesse ne


— 100 — p e u t en conscience les recevoir, et exige des mon­ t a n t s avec encastrements : c'est tout dire. « Je l'ai prié de p a s s e r au canal Est, ce qu'il a fait ; et a p r è s e x a m e n de ce qui est fouillé, ne vou­ lant p r o n o n c e r sur ce qui est fouillé, il a été dit que l'on ferait des m u r s de r e v ê t e m e n t depuis l'angle r e n t r a n t au-dessous de l'ancien sentier à n è g r e s , t r a v e r s a n t la s a v a n n e D u m é e , j u s q u ' a u devant du sable où l'on fouille actuellement ; sans doute qu'on o r d o n n e r a enfin les revêtements de la partie sui­ v a n t e , à m e s u r e qu'elle se d é c o u v r i r a . « Je vais aller chez Merlin à l'instant p o u r y com­ p a r e r le toisé que vous m'avez laissé, avec celui qu'il dit avoir fait; si nous s o m m e s d'accord, n o u s s i g n e r o n s : autrement, j e me r e t i r e r a i . « R i e n de nouveau ici, tant a u c h a n t i e r qu'à la case. Nous écrirons ce soir la c h a u x fournie cette semaine, et demain matin, après avoir d o n n é l'ar­ g e n t et les vivres aux n è g r e s , je partirai en m e promenant. » L'année 1779 fut une a n n é e de r è g l e m e n t d e comptes. Lefranc de S a i n t - H a u l d e cessa ses a c h a t s de n è g r e s , ceux qui lui restaient suffisant à l'achève­ ment de son e n t r e p r i s e . Il acquitta p l u s i e u r s n o t e s du c h i r u r g i e n A n g l a d e et, le j o u r m ê m e de la d e ­ m a n d e (72), 66 livres que lui réclamait Le R o y , m a î t r e e n c h i r u r g i e , pour « l'accouchement c o n t r e


— 101 — nature » d'une négresse dont il avait a s s u r é « l'heu­ reuse délivrance. » Entre lui et son a m i S c i g n o r e t , il y avait u n vieux compte ouvert (73) depuis d e u x ans : 2,712 liv. 15 sols turent absorbés et a u delà par 2,887 liv. 12 sols, de d é p e n s e s - d a n s lesquelles étaient comprises l'argent donné a u fils Lefranc à son départ pour Saint-Domingue et les frais d e son congé : n o t r e architecte paya la différence, et c'en fut fait de ce qui était devenu le passé. On a vu Langlade et Le R o y appelés a u m ê m e titre à s o i g n e r les n è g r e s de la G r a n d e - R i v i è r e . Il paraît qu'à u n certain m o m e n t Langlade avait eu une d i s c u s s i o n avec Lefranc d e Saint-Haulde, et q u e celui-ci avait s o n g é à le remplacer, p a r le maître en c h i r u r g i e Le R o y ; m a i s Le R o y , soit délica­ tesse, soit simple intérêt, avait décliné, a v a n t m ê m e d'être consulté, toutes offres à ce sujet, p a r une lettre fort d i g n e (74), dont voici u n extrait : «... Je vous suis, Monsieur, très obligé de la m a r q u e de confiance q u e vous me donnez ; mais comme je ne suppose p a s q u e vous ayez a u c u n grief bien fondé contre M. L a n g l a d e , j ' e s p è r e q u e vous le con­ serverez. Il possède son é t a t ; et il m é r i t e votre confiance. Notre a r t est plein d'épines, et ceux qui le savent le mieux sont bien aise quelquefois d'être aidés d'un confrère, et il serait injuste de l e u r faire un c r i m e de ce qui ne mérite q u e d e s é l o g e s . . . »


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On a r e t r o u v é d a n s quelques pièces de la succes­ sion de Lefranc de Saint-Haulde (75), deux Plans d ' u n e Case à moulin qu'il lit construire à la GrandeRivière pour u n particulier. Ces plans, très bien faits et coloriés, m e s u r e n t 50 cent, de hauteur sur 76 cent, de largeur. Ils sont datés de Port-au-Prince le 11 septembre 1779. On lit au dos de l'un d'eux : « Signé et p a r a p h é au désir de l'acte contenant de­ vis et m a r c h é s estimatif passés devant M" de Grandp r é et son confrère, notaires au Port-au-Prince... Signé ; L. F . de Saint-Haulde, du Crabon, Michel et De G r a n p r é . » J'ai en m a i n s , u n e convention privée, passée à la date du 16 de ce mois, e n t r e P i e r r e Bedoit et n o t r e architecte à propos de cette Case à moulin. P a r cet acte Bedoit s ' e n g a g e a i t à fourmi « toute la roche, ou pierre de galets nécessaire pour la construction d'une case à moulin, avec sa cave, son aqueduc, sa taille vanne, et de tous a u t r e s ou­ v r a g e s de maçonnerie que l'architecte Lefranc avait à faire sur l'habitation Beudet, sise au Petit Bois, quartier du Cul-de-Sac, pour le p r i x de 120 livres p a r chaque toise de 216 pieds cubes (75). J'ai indiqué, à plusieurs r e p r i s e s , les luttes sourdes qui existaient entre le G o u v e r n e u r et Lefranc de Saint-Haulde, à propos des t r a v a u x de la G r a n d e Rivière. J e trouve d a n s ses papiers trois lettres q u e d'Argout lui écrivit au cours de l'année 1779.


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D a n s la p r e m i è r e , on ne peut plus g r a c i e u s e , d a t é e d u 4 janvier 1779,— ce n'étaient peut être q u e des s o u h a i t s de bonne année ! — il lui disait : « J e reçois, Monsieur, avec b e a u c o u p de r e c o n ­ n a i s s a n c e l'assurance des v œ u x q u e vous formés p o u r m o i , et je vous en fais m e s sincères r e m e r c i e m e n s . J e vous souhaite tout le b o n h e u r que v o u s m é r i t é s , et comme j e n e désires rien tant que d'y c o n t r i b u e r , j e vous prie de m ' e n fournir les occa­ sions ; j e les saisiray avec u n véritable e m p r e s s e ­ m e n t et s e r a y fort aise de concourir à tout ce qui p o u r r a v o u s être a v a n t a g e u x . » La d e u x i è m e , datée du Cap (76), le 13 du m ê m e m o i s d e j a n v i e r , est une lettre d'affaires : « J e vois, Monsieur, p a r la lettre que vous m'avez fait l ' h o n n e u r de m'écrire le 5 de ce mois, que les 1546 l i v r e s q u e v o u s doit mon habitation est p o u r de la c h a u x que vous y avez fournie ; ce qui m e sur­ p r e n d d ' a u t a n t plus que je me suis depuis longtemps a r r a n g é avec un fournisseur q u e j e p a y e tous les a n s . Cette s o m m e n'en est pas m o i n s d u e ; vous pou­ vez la d e m a n d e r à M. N a r d y , à qui j ' é c r i r a i de v o u s la p a y e r . « Q u a n t aux r e p r é s e n t a t i o n s que v o u s m e faites t o u c h a n t vos t r a v a u x , elles p e u v e n t être j u s t e s , m a i s ce n ' e s t p a s à moi seul qu'elles doivent s'adresser,


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mais, en c o m m u n , avec l'Intendant à qui vous devés. c o m m e à moi, un compte de v o t r e conduite. Ainsi, c'est à vous à nous p r é s e n t e r u n e requête où vous d é d u i r é s vos griefs, et sur l'objet de laquelle il sera statué ce qu'il a p p a r t i e n d r a . » A la suite de cette r é p o n s e , i r r é p r o c h a b l e au point d e v u e administratif, Lefranc de Saint-Haulde écri­ vit a u g é n é r a l d'Argout, le 27, p o u r obtenir qu'il fut payé « s a n s délai », des 1546 livres qu'on lui de­ vait. D ' A r g o u t r é p o n d i t le 3 F é v r i e r : « Quand j e vous ai écrit, Monsieur, que j e donnerois o r d r e à M. N a r d y de vous p a y e r les Bons que vous avez sur mon habitation, m o n intention étoit qu'il v o u s p a y â t en d e n r é e s ou a u x p r e m i e r s sucres qu'il v e n d r a , comme j ' a i toujours p a y é la chaux et a u t r e s f o u r n i t u r e s ; vous pouvés, en conséquence, c o m m u n i q u e r m a lettre à M. N a r d y , et il s'y con­ formera. « Q u a n t a votre Requête, elle vous s e r a renvoyée de l'Intendance, répondue de notre O r d o n n a n c e . » Ce d e r n i e r point était l'essentiel. Un peu d'irritation s e fait r e m a r q u e r d a n s les der­ nières c o r r e s p o n d a n c e s de Lefranc de Saint-Haulde. C'est que sa santé laissait à désirer depuis quelque t e m p s . Au mois de Mai 1779, il avait dû faire déjà u n e c u r e de lait ; u n e d a m e Greffin, de ses a m i s , lui avait, à cet effet, envoyé de son d o m a i n e de la


— 105 — G r a n d e - P l a i n e , l'une de ses « meilleures » vaches l a i t i è r e s , en lui disant que son m a r i et elle seront t r o p p a y é s , s'il veut bien l'accepter, p a r le plaisir d ' a v o i r contribué a u rétablissement de sa s a n t é . Le 12 n o v e m b r e suivant, sa s a n t é était assez c o m p r o ­ m i s e p o u r que l'apothicaire Gavaillier, de P o r t - a u P r i n c e , lui prescrivit, p a r o r d o n n a n c e écrite, u n r é ­ g i m e qu'il devait suivre p e n d a n t trois mois accom­ plis. Ce r é g i m e consistait à p r e n d r e , matin et soir, c e r t a i n e pilule, et dans la j o u r n é e , des bouillies, a u lait et à la farine de Sajou, et des lavements d'infu­ sion d e g o m b e a u . C'est à peu près ce que l'on d o n ­ nait a u x n è g r e s atteints de dyssenterie. P i g o n n e l l e , Lieutenant de police, s'intéressa aussi à s a s a n t é , et lui envoya le 12 avril 1779, la note s u i v a n t e « p o u r l'obliger », ce dont, dit-il, il lui était « s i n c è r e m e n t reconnaissant » : « P t i s a n n e t r è s b o n n e pour les g e n s épuisés p a r le travail

du corps et de l'esprit, etc., ou atta­

q u é s d u t h e n e r m e ou d i a r r h é e , dissenterie, etc., savoir : « Six neuds de canne à sucre, u n peu grossier. « Q u a t r e pattes racquette e s p a g n o l l e , qu'on fait u n p e u b o u c a n n e r pour enlever la p r e m i è r e p e a u , et la j e t t e r . « Quinze ou vingt feuilles de g o m b e a u . « Mettre le tout d a n s six bouteilles d'eau q u ' o n 8


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fera bouillir à r é d u i r e à trois bouteilles ; après être bouillie on la laissera u n q u a r t d ' h e u r e à refroidir; ensuite la p a s s e r dans u n e serviette, et en noire p o u r toute boisson l'espace de v i n g t à vingt-cinq jours. « N'oubliez pas de p r e n d r e du vin cuit, diminué . moitié, et une rôtie de pain, suivant l'appétit, pendant d e u x ou quatre j o u r s . « Le malade rétablira sa santé totalement. « Lavement qu'il faudra p r e n d r e de tems en teins, soir et matin, p e n d a n t le r é g i m e ci-dessus. Compos savoir : La racine de m a n g l e du bord de la m e r , quatre onces ; u n e poignée de g o m b e a u (point de feuilles) ; u n e once de suif qui n'ait pas été fondue. On fera bouillir le tout dix minutes. Le p r e n d r e froid ou dé­ gourdi u n peu. » Malgré le délabrement de sa s a n t é , Lefranc de Saint-Haulde désirait toujours se r e m a r i e r et continuait à j e t e r les y e u x sur sa b e l l e - s œ u r de Bruxelles. Mais le sort en avait décidé a u t r e m e n t . De Bordeaux, un n o m m é Michel lui a d r e s s a i t , l e 18 Décembre 1779, cet extrait d'une lettre qu'il venait de recevoir de M. de Méry, de P a r i s , avec p r i è r e de la lui c o m m u n i q u e r : « J'ai une nouvelle bien affligeante à lui a p p r e n ­ d r e ; la perte de M Fleury, sa b e l l e - s œ u r , qui est 1le


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I morte d a n s ma c a m p a g n e le 18 du mois passé, où elle était arrivée depuis environ six mois de C h â tellerault. J'avais passé plus d'un a n à la recherche l de sa d e m e u r e , et à la réquisition de notre ami, qui m'avoit en même tems c h a r g é de la déterminer à la faire p a s s e r a u p r è s de lui ; à quoi elle avait consenti, | se t r o u v a n t réduite à la d e r n i è r e d e s m i s è r e s , p a r | le p r o c é d é indigne d'une autre s œ u r à Bruxelles, ; qui lui a enlevé tout ce qu'elle possédait au m o n d e . J'avois c o m m e n c é à lui faire p a s s e r à Châtellerault l'argent qui lui était nécessaire p o u r y p a y e r quel­ ques d e t t e s , et l'aider à y vivre j u s q u ' à la p a i x . Mais v o y a n t que cela pourroit porter à conséquence pour n o t r e ami Lefranc, qui m'a d o n n é carte blan­ che à cet é g a r d , j ' a i cru plus p r u d e n t de lui d o n n e r le conseil de venir vivre chez moi comme l'amie de ma femme et la m i e n n e . Enfin, cette d i g n e et trop malheureuse fille et amie n'a pu survivre, m a l g r é toute la consolation et les secours en tout g e n r e qu'elle a t r o u v é s en nous à la perfidie de sa s œ u r : elle a succombé sous le poids de la douleur. Nous ne cesserons d e la p l e u r e r ; toutes les p e r s o n n e s qui l'ont c o n n u e chez moi l'ont pleurée ; elle s'était a c ­ quise l'estime et l'amitié de tous nos a m i s . . . » Et il ajoutait : t J'ai b e a u c o u p d'espoir q u e vous recevrez cette lettre, d o n t j e c h a r g e M / P i t a r , C o m m a n d a n t l ' E m -


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pereur, qui est de ma connoissance et ami de M. rIE voire. J e vous écris, quoique cela, p a r duplicata QUE j e mets d a n s un autre n a v i r e , qui sont, j é crois,leles deux d e r n i e r s de ce port destinés pour le et conv considérable qui s'assemble depuis trois mois devan l'isle d'Aix-, qui, dit-on, sera bien escorté,etdon partir sous peu de j o u r s . . . J e suis si content d'être en F r a n c e , que j e ne voudrois pas être encore Saint-Domingue pour un million : tâchez de me sur vre bientôt ! »

Cette lettre arriva à destination le 8 mai178;a p a r le retour du convoi, qui eut lieu le 10, Lefran de Saint-Haulde en accusa réception à M. de Y. en le priant de ne faire « a u c u n e sorted'avancea de prest » à son fils, de ne point le « recevoir cher lui », et en l'informant q u ' à bref délai il lui fera passer son testament.

Le chirurgien Le Roy, dont il a été parlé préce demment, était bien a p p a r e n t é à Versailles.Unen ses cousins n o m m é Hennin, lui écrivit de cette ville le 12 j a n v i e r 1780 :

« Ce q u e vous me dites de la Colonie me pars qu'on y souffre actuellement une assez grande sette. On est occupé ici d'y r e m é d i e r , et je suppos q u ' u n e lettre ne vous p a r v i e n d r a q u ' a v e c un convo J'aurois été très aise de vous voir, mais les circone tances pouvant vous mettre à portée de servir utile


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ment le R o i , j e n'ai g a r d e de v o u s déconseiller d'attendre le retour d e la Paix p o u r effectuer votre projet. < J e m e suis servi de la voie de MM. G i r a r d e a u et Hallen, b a n q u i e r s de P a r i s , p o u r découvrir, s'il était possible, les papiers qui ont été pris à M. d e SaintHaulde. et les lui faire r e c o u v r e r . Ces Messieurs viennent d e m e faire savoir que leurs a m i s d'Angle­ terre c r o y e n t être s u r le point de r e t r o u v e r ces p a ­ piers, e t d e m e p r o m e t t r e qu'ils employeront t o u s leurs s o i n s à les recouvrer. J e vous prie de d o n n e r cette nouvelle à M. de S a i n t - H a u l d e , c o m m e u n e preuve d u désir q u e j ' a i de l'obliger, plutôt q u ' u n e probabilité du succès de m e s soins... » Ceci est u n e révélation. L'état de g u e r r e rendait les c o m m u n i c a t i o n s maritimes fort difficiles ; et tout indique q u e les p a p i e r s de Lefranc de Saint-Haulde, ceux p e u t ê t r e qu'il devait adresser au Conseil d'Etat, furent saisis d a n s u n n a v i r e pris p a r l'en­ nemi. Pierre-Michel H e n n i n , dont il vient d'être q u e s ­ tion, n a q u i t à Magny-en-Vexin, le 30 août 1728 et mourut à P a r i s , le 5 juillet 1807. E n t r é fort j e u n e dans les b u r e a u x des Affaires E t r a n g è r e s , il accom­ p a g n a l e Comte de Broglie dans son a m b a s s a d e de P o l o g n e et fut u n d e s a g e n t s les plus actifs de la diplomatie secrète de Louis X V . N o m m é le 25 avril


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1763 résident du Roi à Varsovie, il y resta jusqu'en juillet 1764. Après un court séjour à Vienne, où:il d e m e u r a du 29 juillet au 17 octobre 1764, sans dé ployer aucun caractère officiel, Hennin fut nommé le 9 décembre 1765 résident à Genève. Devenu pre­ m i e r commis des Affaires é t r a n g è r e s , il remplit cet emploi j u s q u ' à l'entrée de Dumouriez au ministère (17 m a r s 1792). N o m m é deux a n s a p r è s membre de la Commission administrative, il ne tarda pas à être relevé de ses fonctions comme suspect, et finit sa vie dans la retraite (77). »

On trouve d a n s la Correspondance inédite du Comte de Caylus, avec le P. Paciaudi, publiée |par M. Charles N+isard, un passage où il exprime l'avis que la bibliothèque La Vallière n e devait pas être ê v e n d u e à l'étranger. L'un de ses parents éloigné, Belland, fut attaché à son b u r e a u , devint Secrétaire d'ambassade en 1786, r e n t r a en France eu 1786, épousa la fille unique de Michel Lesseps, principal commis d'un des deux b u r e a u x politiques, obtint lui-même un emploi dans les b u r e a u x des Affaires E t r a n g è r e s , et fut des­ titué p a r Dumouriez, en 1792. Les mois de F é v r i e r , Mars et Avril 1780 furent remplis entièrement p a r des débats irritants. Lefranc de Saint-Haulde avait traité avec Bedouet p o u r char­ rier, avec huit cabrouets (78), la r o c h e fouillée


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r a m a s s é e dans les galets de la Grande-Rivière, a u d r o i t des habitations P e r n i e r et B a u d u y . A u n c e r ­ t a i n m o m e n t , Bedouet se refusa de r e m p l i r ses e n g a ­ g e m e n t s , d'où sommation, p a r voie d'huissier, et c o n s t a t a t i o n que les chemins étaient « praticables » et allaient être « très bons », la pluie cessant. O n n'est pas peu surpris de r e t r o u v e r en cette affaire l'ami Seignoret d'autrefois. Q u e s'était il passé, depuis sa r e n t r é e à Saint-Do­ m i n g u e , entre lui et Lefranc de Saint-Haulde ? Ce d e r n i e r n'avait-il pu l'employer dans son e n t r e p r i s e d e la G r a n d e - R i v i è r e d'une façon d i g n e de ses m é ­ r i t e s et de ses services ? Y avait-il eu e n t r e eux u n e brouille à p r o p o s du fils qui, on l'a vu, n'avait p a s tout à fait r é p o n d u aux espérances du père ? En tout c a s , ils n'étaient plus bons amis comme j a d i s . Seigno'ret, fils d'avocat parisien et à demi avocat l u i m ê m e , était certainement un h o m m e habile, très s u p é r i e u r à Lefranc de S a i n t - H a u l d e c o m m e instruct i o n ; m a i s , pour des motifs qui nous sont i n c o n n u s , ils se tenaient vis à vis l'un de l ' a u t r e , au m o i n s à l'état de paix a r m é e ; et si la r u p t u r e n'était p a s c o m p l è t e , il y avait, depuis l o n g t e m p s peut ê t r e , sé­ p a r a t i o n absolue entre les d e u x a m i s . Enfin, u n j o u r , — 17 avril 1780 — Lefranc de S a i n t - H a u l d e se d é c i d a à lui écrire ce laconique billet : « J ' a i l'honneur de p r é s e n t e r le bonjour à Mon-


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sieur Seignoret, et le prie de me dire dans u n mot. a u bas du présent, si les cabrouettiers ont repris leurs c h a r r o i s , et le j o u r , et s'ils continuent. Il obli­ g e r a son très humble et t r è s obéissant serviteur. » Seignoret qui d e m e u r a i t à l'habitation Carbon, ne d a i g n a pas r é p o n d r e à son ancien a m i , qui, désolé, sans doute, d'une attitude aussi différente de celle d'autrefois, consigna a u - d e s s o u s de son billet, les quelques mots ci-après, à titre de s o u v e n i r : « M. Seignoret a r é p o n d u à François qu'il n'avoit point de réponse à me faire ; q u e Bedouet étoit son ami, qu'il mangeoit sa soupe, et qu'il n e vouloit point donner d ' a r m e s contre lui. » C'était r i g o u r e u s e m e n t i r r é p r o c h a b l e . Mais tout s'était a r r a n g é ; Bedouet avait repris ses charrois, et dès le 30 avril, il priait m ê m e Lefranc de Saint-Haulde « de continuer à entoiser » leur roche, ce qui indique u n e continuation des t r a v a u x . Avec Bedouet la paix paraissait faite ! Le 4 mai 1780, un p e r s o n n a g e qui n'a pas signe sa lettre, écrivit de Paris (79) à Lefranc de SaintHaulde, les intéressants détails ci-après : « Aussitôt que j ' a i été informé du d é p a r t prochain de M. R a v a u t d'Arzilier, j ' a i cru devoir en prévenir M. de Méry, afin qu'il profitât de cette occasion s û r e p o u r vous écrire, dans le cas surtout où il aurait quelque chose d'intéressant à vous c o m m u n i q u e r .


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J'allai d o n c chez lui le 28 du mois d e r n i e r pour cet effet ; et comme j ' a v o i s été quelque t e m s sans le voir, j e n ' a i appris qu'alors l'agréable nouvelle qu'il étoit enfin parvenu, à force de soins et de peines, à r e c o u v r e r celle de vos boites qui contenoit la partie essentielle de vos papiers ; et qu'il avoit le plus g r a n d e s p o i r p o u r r e t r o u v e r aussi l'autre. J e n e vous e n d i r a y pas d a v a n t a g e , M. de Méry, qui m ' a fait l ' h o n n e u r de me venir voir h i e r , m ' a y a n t a s s u r é que v o u s trouveriez d a n s sa lettre u n détail t r è s cir­ c o n s t a n c i é à ce sujet. « V o u s pouvez vous flatter, Monsieur, d'avoir en la p e r s o n n e de M. d e Méry l'ami le plus sincère, l e plus zelé et" le plus attaché à vos intérêts, ainsi q u e M a d a m e s o n épouse. Vous devriez, le plus tôt qu'il vous s e r a possible, faire les plus g r a n d s sacrifices pour v e n i r les j o i n d r e et vous j e t e r dans les b r a s de l'amitié : ils le désirent avec la plus vive a r d e u r . Un a u t r e motif, plus puissant encore, doit vous y e n g a ­ g e r ; c'est votre tranquillité, et principalement votre s a n t é , d o n t v o u s ne jouirez j a m a i s tant que vous serez à Saint-Domingue. « J e suis étonné que vous n'ayez pas écrit à M. d e M é r y , p a r le convoi qui est arrivé à bon port en F r a n c e , le mois d e r n i e r : j e désirois a p p r e n d r e de vos n o u v e l l e s , et scavoir ce que la Commission avoit j u g é d a n s votre affaire. J'aurois été d'autant plus


— 114 — c h a r m é que vous eussiez profité de cette occasion, que dans quelques mois, j e ne serai plus à portée d'en être instruit, attendu que je compte partir d'ici avant la fin de l'été, pour me r e n d r e chez moi, en Allemagne, où des affaires de famille m'appellent, et où je resterai quelque tems, peut-être même tout à fait. « Faites, j e vous prie, mes complimens à M. Des­ saint, et dites-lui qu'à mon arrivée j ' a i vu son frère à l'Hôtel des F e r m e s , qui ne paroît pas disposé à vouloir l'obliger en aucun cas ; il m ' a dit qu'il n'avoit pas assez de crédit p o u r obtenir u n e place p o u r qui que ce fut; qu'elles étoient toutes d e m a n d é e s d'avance p a r les Princes ou Princesses ; qu'il étoit, d'ailleurs, peut-être lui-même à la veille de p e r d r e son emploi, ou de souffrir une g r a n d e diminution d a n s ses appointemens, par les réductions que faisoit journelle­ ment M. Necker dans toutes les parties de la Fi­ nance II a ajouté qu'il n'avoit encore pu faire au­ cune é p a r g n e , ayant beaucoup sacrifié pour sa famille, dont il avoit toujours eu et avoit encore une partie à sa c h a r g e . Il a fini par me dire q u e si j ' é c r i v o i s à son frère, j e devois lui conseiller de rester à S a i n t - D o m i n g u e et de n e pas r e p a s s e r en F r a n c e , quoique sa santé l'exigeât, ainsi q u e j e le lui avois a s s u r é . » Ce mois de mai fut d é s a s t r e u x p o u r Lefranc de


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Saint-Haulde. Les embarras recommencèrent avec B e d o u e t qui, le 4, lui écrivit : « Glaumet m'a communiqué votre lettre. Je vois a u style que vous n'avez plus besoin de n o u s ; j e me r a p p e l l e vous avoir entendu dire que quand on avait d e s e n g a g e m e n s il falloit les remplir. J e vois que v o t r e morale est bonne, mais que vous en perdez la p r a t i q u e . D'ailleurs, il ne sera pas dit qu'un homme c o m m e vous ait pu demander du tems aux cabrouett i e r s comme nous. Non, Monsieur, c'est de l'argent q u ' i l me faut. Nous avons un m a r c h é ; il faut qu'il s'exécute, et j e vous préviens qu'une dizaine de s a i s i e s - a r r ê t s vont me faire raison de votre m a u ­ v a i s e volonté et que je trouverai le secret de vous en faire coûter un peu plus que le capital. Voyez, M o n s i e u r , si vous voulez entoiser la roche et me c o m p t e r ce que vous me devés. Je vous préviens q u e demain nous commencerons le procès ; j e n'at­ t e n d s que votre réponse. » Déjà précédemment, — 30 avril. — Bedouet avait dit à Lefranc de Saint-Haulde, qu'il le priait de con­ t i n u e r à entoiser la roche, afin qu'il y eut moins de difficultés entre eux. C'était, évidemment, une p r é ­ t e n t i o n justifiée, et à laquelle il paraît que l'archi­ tecte avait négligé de se conformer. D'où le procès d o n t il était menacé. Il prit, du reste, d'assez mauvaise grâce les -in-


— 116 — jonctions de Bedouet, derrière lesquelles il voyait, sans doute, les conseils de son ancien ami Seigno­ r e t ; aussi, se borna-t-il à écrire en m a r g e : « Reçu le 4 m a r s , p a r le mulâtre de M, Bedouet, et lui ai dit que j e n'avois point de réponse à faire à des sot­ tises et à des menaces. » Mais Bedouet ne se contenta pas de cette r é p o n s e ; et, dès le 6, il fit notifier à Lefranc de Saint-Haulde d'avoir d'abord à lui payer 2400 livres qu'il lui d e ­ vait, et pour en assurer le recouvrement, il fit saisir chez Lelavois et Delafond, les fonds qui s'y t r o u ­ vaient au nom de l'architecte ; puis introduisit, le m ê m e j o u r , devant le Sénéchal du Siège royal d u Port-au-Prince, une instance, à l'effet de faire con­ damner Lefranc d e Saint-Haulde au payement de l a s o m m e précitée, et, à défaut de payement, d'obtenir la résiliation du m a r c h é du 16 septembre 1779. Il y eut sentence le 18 et elle était inévitable con­ t r e Lefranc de Saint-Haulde, m a l g r é les explica­ tions qu'il fournit à Boyer, p r o c u r e u r , dès le 13 (80), et dans lesquelles il lui disait : « ... J'ai toujours payé M. Bedouet d'avance j u s q u ' à présent... Son but est de faire le mal pour le plaisir de le faire... » Vers ce temps-là il fut décidé que le fils de Lefranc de Saint-Haulde retournerait à P a r i s ; et on le char­ gea de remettre une certaine somme, valeur en compte, à M. Quéret de Méry, Lieutenant des G a r d e s


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d e la porte de Monsieur, frère.du roi, et fourrier de s e s logis, demeurant rue Neuve-Saint-Eustache. Les difficultés financières a u g m e n t è r e n t en cette a n n é e 1780. Nous avons plusieurs lettres de de Greffin, b e a u f r è r e du Comte d'Antichamp, banquier, et Comman­ d a n t pour le Roi dans la partie Ouest de Saint-Do­ m i n g u e (81), où il n'est question que de saisies de n è g r e s et de payement d'argent. Greffln sollicite des d é l a i s que Lefranc de Saint-Haulde ne veut ou ne p e u t accorder ; en. Décembre, il répond même caté­ g o r i q u e m e n t : « Pour toute solution mon d e r n i e r m o t est que j e ne peux attendre plus longtemps », m a l g r é les supplications de De Greffin, qui lui d i ­ s a i t : « L'on a toujours tort quand on doit de ne pas p a y e r ; mais j ' a i toujours cru que vous étiez trop h o n n ê t e et trop j u s t e pour ne pas compatir à la gêne o ù j e me trouve dans un temps aussi critique. » De Greffin devait 4433 livres, 15 sols ; poussé à bout, il offrait en payement un j e u n e n è g r e créole qui me­ n a i t , très proprement, une chaise. Mais Lefranc r e ­ fusait tout accommodement et voulait de l'argent. A l o r s , intervint le Comte d'Antichamp qui promit de fournir à l'acquit de De Greffin, des lettres de c h a n g e s u r Nantes et Bordeaux. Que fallait-il faire ? De Greffin confirmait le 21 février 1781, qu'il n'avait « point d'argent à donner » à Lefranc de S a i n t -


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Haulde, en ce moment ; que le sucre blanc qu'il avait en magasin n'était point encore bon pour être pilé ; qu'il valait donc mieux patienter quelques jours e n ­ core q u e d'accumuler les frais. Mais tout cela n ' a r ­ rangeait p a s les affaires de Lefranc de Saint-Haulde qui n e pouvant faire mieux, écrivait à l'un et à l'au­ tre : « J'ai eu malheureusement beaucoup d'affaires injustes et désagréables ; j e n'en ai j a m a i s conservé de fiel... Les a r r a n g e m e n t s que me propose M. l e Comte d'Antichamp ne peuvent satisfaire mes créan­ ciers, j ' a i les bras liés. Mais vous me demandez huit ou dix j o u r s , j e vous prie d'en p r e n d r e vingt. » De Greilin fut sensible a u x attentions d e Lefranc d e Saint-Haulde, et de suite, il lui en m a r q u e sa recon­ naissance en l'assurant que d'Antichamp et lui fai­ saient tous leurs efforts pour qu'il fut soldé a v a n t l'expiration du délai si gracieusement accordé. Au 11 m a r s 1781 (82), Lefranc de Saint-Haulde attendait toujours avec patience le payement de cette

somme. Tout indique que les travaux de la Grande-Rivière étaient presque terminés, car Lefranc de SaintHaulde presse le recouvrement de ce qui lui est d u , et convertit en a r g e n t les valeurs désormais impro­ ductives. C'est ainsi qu'il vendit et livra, le 13 février 1781, à De Lamardel, Procureur général du Conseil supérieur du Port-au-Prince, seize mulets, quatre


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c a b r o u e t s roulants, une paire de roues ferrées, et douze bricots pour atteler trois cabrouets, au prix de 12,833 livres, 6 sols, 8 deniers. C e p e n d a n t , il acheta encore, le 13 j u i n suivant, au p r i x de 2,000 livres, une négresse de nation mond o n g u e , nommée J e a n n e , â g é e d'environ vingt-six a n s : ce fut son dernier achat. L ' é p o q u e du retour en France de Lefranc de SaintH a u l d e n'est pas connue ; mais on peut la fixer aux d e r n i e r s mois de l'année 1781, ou mieux aux p r e ­ m i e r s mois d e l'année suivante. En tout cas, cet architecte ne jouit pas longtemps du fruit de ses t r a v a u x , car il alla mourir, le 12 octobre 1782 (83), à Soisy-sous-Etiolles, près Corbeil, où il s'était retiré p o u r s o i g n e r sa santé, compromise p a r le climat m e u r t r i e r de Saint-Domingue : il n'était â g é que de cinquante ans. La famille Quéret de Méry reçut son dernier

sou­

pir. P a r son testament, Lefranc de Saint-Haulde ins­ titua d e u x rosières dans la paroisse de Quibou (81), où il était né ; affranchit deux de ses n è g r e s ; et l a i s s a u n diamant valeur de 20,000 francs à son meilleur ami. Sa fortune, dit-on, se montait alors à près d'un million, ce qui était une somme considérable pour le t e m p s ; mais divers créanciers réclamèrent, et on d u t p r o c é d e r à une liquidation de l'héritage.


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Quatre mois après, 18 février 1783, son fils unique. Etienne-Pascal, aussi architecte, épousait une toute j e u n e fille, Victoire-Euphrasie Couture, et devenait ainsi le gendre du g r a n d architecte Couture. Etienne-Pascal Lefranc de Saint-Haulde poursui­ vait alors sa réception, qui n e devait pas tarder, comme maître de la maîtrise particulière des Eaux et Forêts de Provins, où il alla demeurer rue aus Aulx. En 1790, il était l'un des trois Administra­ teurs du service forestier en cette ville, avec Pelet Guérin, et Christophe Opoix, conventionnel, poëte, historien. Il fut aussi Commandant de la garde nationale de cette ville, et, en cette qualité, assista à la fête de la Fédération, à Paris. A la suite d'une question quej'ai posée dans l'In termédiaire, mon savant confrère M. Th. Lhuillier, de Melun, répondit le 15 septembre 1900 : « . . . J'ai entre les mains l'expédition d'un acte reçu par Me Chaudot, notaire à P a r i s , le 6 décembre 1782, p a r lequel Etienne-Pascal Lefranc de SaintHaulde, fait délivrance d'un legs d'une n a t u r e par­ ticulière, résultant des testaments et codicilles de son père, passés devant notaires au Port-au-Prinee et à Soisy-sous-Etiolles, les i l novembre 1781 et 9 octobre 1782. « Lefranc de Saint-Haulde père, avait légué à M. Quéret de Méry et à sa femme, Georges-Marie


— 121 — A t h i s , son nègre, né à Sainte-Marie-Malgache, bap­ t i s é à Saint-Malo, à condition que ce n è g r e reste à l e u r service, mais libre et affranchi. » N é à Paris en 1757, Etienne-Pascal Lefranc de S a i n t - H a u l d e y mourut en 1843. Il a laissé u n e d e s ­ c e n d a n c e dont partie est fixée depuis longtemps au Port-au-Prince.

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V A p e r ç u g é n é r a l sur les travaux de la G r a n d e - R i v i è r e du C u l d e - S a c e t s u r l a s i t u a t i o n d e la C o l o n i e à c e l t e é p o q u e .

La p o s s e s s i o n de la partie devenue française de l'ile d e S a i n t - D o m i n g u e était due aux flibustiers et boucaniers (85) qui de l'ile de la Tortue, s'étaient fixés définitivement sur la g r a n d e île vers l'année 1694. La F r a n c e n'avait cessé de leur fournir des armes, d e s chefs, et c'est ainsi qu'enfin cette partie fut c o n q u i s e s u r les Espagnols. A l ' é p o q u e où Lefranc de Saint-Haulde arriva au P o r t - a u - P r i n c e , n o t r e Gouvernement s'occupait encore d e d é t e r m i n e r les limites entre les posses­ sions française et espagnole. Le 19 septembre 1771, notamment, le Ministre des Affaires é t r a n g è r e s écri­ vit a u vicomte de La F e r r o n a y s que l'intention de sa Majesté était qu'il usât de tous les moyens pos­ sibles p o u r m a i n t e n i r la paix entre les deux cou­ ronnes, s a n s cependant négliger les intérêts de ses sujets. Le 31 octobre suivant, il fut dressé u n plan et u n procès-verbal de visite des habitations situées dans les h a u t e u r s de la rivière du Cul-de-Sac ; ce


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procès-verbal indique tous les titres constata:, propriété des dits t e r r a i n s , le plan d'origine, les habitations, le corps de g a r d e français et l'empla­ cement du corps de g a r d e espagnol nouvellement construit (86). La plaine du Cul-de-Sac, qui est près de Port-auP r i n c e , a plus de huit lieues d'étendue de l'est à l'ouest, sur une l a r g e u r du nord au sud qui varie de deux lieues et demie j u s q u ' à q u a t r e . On c : mença à y planter la canne en 1724; la sécheres habituelle qui y r è g n e obligea deux ans après à re­ courir à l'arrosement de cette plante. C'est de 1à que datent les premiers t r a v a u x d'aménagement des eaux. E n 1744 et en 1749, deux O r d o n n a n c e s aval décidé qu'il serait fait la visite et l ' e x a m e n des eaux des environs du Port-au-Prince, qui pourraient être a m e n é s dans cette ville p o u r son utilité et aménag e m e n t . Dupont, a r p e n t e u r , dont l'expérience « connue », fut commis à cet effet, pour en faire M nivellements, plans et devis n é c e s s a i r e s ; mais ces Ordonnances restèrent lettre m o r t e , et. elles étaient même si complètement oubliées, qu'on disait souvent d a n s les conversations : « Comment a-t-on pu établir une ville sans eau ? » IL en était encore ainsi en 1773. A cette époque le Général et l'Intendant voulant améliorer le servi.


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des e a u x d u P o r t - a u - P r i n c e firent remettre en vi­ g u e u r l ' O r d o n n a n c e de 1749, qui, préoccupée du « m a l h e u r e u x état ou étoit cette ville », lui avait « fixé e t a n n e x é une source et deux rivières t r è s « a b o n d a n t e s , dont la première plus que suffisante à « s o n u t i l i t é » n'en était éloignée que de 2700 toises. M a i s d e s intérêts privés se trouvaient confondus en c e t t e question avec l'intérêt g é n é r a l ; aussi, fai­ s a i t - o n a p p e l au patriotisme de tous pour réaliser enfin u n e e n t r e p r i s e qu'on déclarait «. d i g n e de l'im­ mortalité. » L e s t r a v a u x d'aménagement des eaux de la GrandeR i v i è r e d u Cul-de-Sac, participaient de ces projets g r a n d i o s e s d e « distribution des eaux a u n o m d u Roy », à « tous les citoyens et cultivateurs » de la Colonie. U n M é m o i r e administratif du temps (87) n o u s r e n ­ s e i g n e s u r les t r a v a u x projetés à la Grande-Rivière; il y e s t dit : « N o u s a v o n s trouvé dans notre projet de distri­ b u t i o n s d e la Grande-Rivière, qui a été homologué et o r d o n n é p a r MM. le Général et Intendant, le 22 m a y 1772, et qui s'exécute actuellement, que la r i v i è r e d o n n e r o i t p a r chaque c a r r e a u de t e r r e , vingtneuf p o u c e s d'eau ; mais ayant supposé alors qu'il y a u r o i t u n pied de h a u t e u r d'eau d a n s le bassin g é ­ n é r a l , c'est trop pour les temps ordinaires et ce sera


— 126 encore beaucoup de la supposer à huit ou neuf p o u c e s ; on a u r a donc avec bien plus d'exactitude: vingt-deux pouces pour ce que fournira cette rivière p a r chaque c a r r e a u de t e r r e . . . » Les papiers personnels de Lefranc de SaintHaulde, ne nous ont pas suffisamment renseigné sur l'importance des t r a v a u x exécutés dans la plaine du Cul-de-Sac. 11 faut donc r e c o u r i r encore à Moreau de Saint-Méry (88) qui, ayant eu en mains les dossiers de l'entreprise, fut on ne peut mieux informé. Il nous apprend d'abord que les p r e m i e r s Fran­ çais, qui, de l'ile de la Tortue, s'établirent au-delà du Cap Saint-Nicolas, appelaient du mot générique de Cul-de-Sac, tout ce qui forme le golfe de l'Ouest c'est-à-dire l'intervale compris entre le Môle, d'une part, et Tiburon, de l'autre. Ce territoire, successivement réduit comme appel­ lation, a fini par être a n n e x é à P o r t - a u - P r i n c e , de sorte que depuis l'établissement de cette ville il n'y a plus de quartier du Cul-de-Sac. En 1703, la paroisse du Cul-de-Sac avait 3097 nè­ g r e s ; en 1739, 530 blancs, 02 affranchis et 8024

nègres. Partout, le sol épuisé p a r l'indigo, était consi . comme impropre à la culture des c a n n e s . Mais on touchait « au moment à j a m a i s h e u r e u x , où un moyen puissant devait c h a n g e r la face et le sort de cette plaine. »


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C e moyen puissant consistait à faire servir les e a u x d e plusieurs rivières qui la p a r c o u r e n t = la G r a n d e - R i v i è r e , la Rivière-Blanche, la R i v i è r e C r e u s e , e t c . , = à la féconder p a r de continuels a r r o sements. L a G r a n d e - R i v i è r e , dont il vient d'être question, p r e n d s a source d a n s la m o n t a g n e de la Selle, à un p o i n t qui se trouve correspondre p r e s q u e au sud de la ville de P o r t - a u - P r i n c e . Elle parcourt, en d é c r i ­ v a n t u n e g r a n d e courbe dont la convexité est t o u r n é e v e r s l'Est, u n long espace d a n s les m o r n e s , où elle e s t t r è s encaissée. A environ u n e demi-lieue a u d e s s u s d u point où elle atteint la plaine, et a p r è s a v o i r été cachée sous t e r r e , elle reparaît entre des r o c h e r s p a r une cascade divisée en trois p a r t i e s , et elle s e m o n t r e d a n s la plaine au-dessus des habita­ t i o n s P e r n i e r et Dumée, qu'elle sépare. De là, elle se d i r i g e v e r s la plaine m ê m e , à l'ouest, j u s q u ' à la m e r . D u r a n t les pluies, c'est un torrent impétueux qui s u r m o n t e ses rives et p o r t e le r a v a g e au loin. Telle est la description que Moreau de Saint-Méry n o u s a laissée de la G r a n d e - R i v i è r e du Cul-de-Sac. E n 1730, ajoute-t-il, Joseph Ricord, qui s'était si v a i l l a m m e n t occupé d'améliorer la plaine de l'Artib o n i t e , ouvrit un canal à la Grande-Rivière et con­ d u i s i t l'eau p a r u n e écluse sous u n e voûte, p o u r a r r o s e r u n e habitation p r e s q u e en face du v i e u x


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b o u r g . Cet exemple fût bientôt suivi par d'autres riverains ; mais le 12 avril 1758, les Administrateurs exprimèrent le v œ u qu'il fut fait u n e « distribution g é n é r a l e » de ces eaux. Ici, nous laissons la parole à Moreau de SaintMéry, qui a fait u n historique des plus précis de la question. « Dans une autre assemblée des habitants, dit-il, qui eut lieu en présence des Administrateurs le 22 mai, l'on n o m m a les Syndics pour cette distri­ bution. M. L a n g r e n é , architecte et arpenteur, fut admis à présenter un projet, et M.Duport, arpenteur, pour m e s u r e r les t e r r a i n s . Il fut a r r ê t é qu'on met­ trait provisoirement à chaque rive u n bassin général de distribution ; que celui de la rive droite serait subdivisé en trois canaux, et que celui de la rive g a u c h e n'en aurait qu'un seul ; qu'enfin, il y aurait des g a r d i e n s de ces canaux qui seraient n o m m é s par les Syndics. « Ces préliminaires exécutés et les projets dressés, les Administrateurs les firent vérifier p a r l'Ingénieur en chef, et, d'après son rapport, les intéressés déci­ dèrent le 22 j u i n , que les prises d'eau des deux rives seraient l'une en face de l'autre ; que le projet de M. L a n g r e n é serait soumis à MM. de S a i n t - R o m e s et Bompar et r a p p o r t é le 12 juillet, époque où, sur les observations de ces deux I n g é n i e u r s , l'on fixa le


— 129 — lieu d e la prise d'eau ; l'on convînt d'une distribution p r o v i s o i r e , et le projet général exigeant une d é p e n s e d e t r o i s millions, on en renvoya l'exécution à u n autre temps. « L e Ministre instruit de la h a u t e i m p o r t a n c e d ' a s s u r e r la j u s t e distribution de l'eau de la G r a n d e R i v i è r e , écrivit aux Administrateurs le 4 avril 1760, q u e l e Roi entendait qu'ils fussent les seuls j u g e s d e s contestations relatives à cet objet, et que M . D u m o u l c e a u , I n g é n i e u r , fut p r é p o s é pour toutes les opérations. « L e s circonstances de la g u e r r e empêchant de s ' o c c u p e r de cet objet majeur, on ne vit p a r a î t r e q u e le 2 3 j a n v i e r 1764, l'Ordonnance des Administra­ t e u r s , qui n o m m a M . Dumoulceau p o u r j a u g e r la G r a n d e - R i v i è r e , et faire le plan de sa distribution, et M. R o g e r , a r p e n t e u r à Léogane, pour l'aider d a n s les o p é r a t i o n s d ' a r p e n t a g e . « Ce n e fut cependant que le 11 j a n v i e r 1 7 7 1 , q u e le T r i b u n a l - t e r r i e r , créé en 1766 et j u g e de cette m a t i è r e , adopta le projet de M . Dumoulceau qui rît, en c o n s é q u e n c e , le 6 m a r s 1772, les opérations rela­ t i v e s à la distribution et que les A d m i n i s t r a t e u r s a p p r o u v è r e n t le 22 mai. De nouvelles difficultés firent o r d o n n e r , le 28 m a r s 1773, u n e assemblée d e s h a b i t a n t s . Ce fut alors qu'ils choisirent M . L E F R A N C D E S A I N T - H A U L D E , architecte j u r é et e n t r e p r e n e u r


— 130 — de bâtiments à Paris, pour e n t r e p r e n e u r de la distri­ bution, et qu'ils le c h a r g è r e n t de fournir les maté­ riaux et la m a i n - d ' œ u v r e , et que M. Merlin reçut d'eux le titre de Directeur des travaux, que des Syndics furent c h a r g é s de surveiller. Ils s'imposè­ rent en outre, à raison de vingt-cinq livres par car­ reau de terre arosable, p o u r former la première masse de fonds. Le 20 Avril, le m a r c h é futpassépar devant notaires, entre les Syndics et M. le Franc, qui s'obligea de terminer e n 1775, et qui déclara qu'il choisissait le tribunal des Administrateurs, s'il s'élevait des contestations entre lui et les intéressés; on lui donna cent vingt mille livres, imputables sur les derniers payements de l'entreprise ; les Adminis­ t r a t e u r s homologuèrent tout. « L'ouvrage fut commencé au mois de novembre 1773. Bientôt après il fut quitté, r e p r i s , puis aban­ d o n n é , et j u s q u ' à la fin de 1774, l ' e n t r e p r e n e u r ne cessa de se plaindre du Directeur. « Le Ministre écrivit aux A d m i n i s t r a t e u r s , le !" septembre 1774, de presser ces t r a v a u x , de charger le Commandant du P o r t - a u - P r i n c e de les surveiller et môme de c h a n g e r l ' e n t r e p r e n e u r ; en u n mot, de tout employer pour faire t e r m i n e r cet objet en 1775. « Le 18 février 1775, M. le F r a n c d e m a n d a un toisé de ses o u v r a g e s . Le 13 juillet, les Administra­ teurs c h a r g è r e n t M. Plesse, I n g é n i e u r , de le faire en


— 131 p r é s e n c e de l'entrepreneur et du Directeur. S o n p r o c è s - v e r b a l le porta à 237, 126 livres ; il fut adopté p a r l e s intéressés, et rejeté p a r M. le F r a n c , comme b a s é s u r des certificats du Directeur. « A l o r s arriva M. le comte d'Ennery, g o u v e r n e u r g é n é r a l , qui chercha à concilier toutes les parties, et o n fit a l'entrepreneur, d'après u n e Ordonnance d e s A d m i n i s t r a t e u r s d u 17 octobre, u n e nouvelle avance. « C e t e n t r e p r e n e u r ayant désiré ensuite qu'on le d é c h a r g e â t d e s Canaux des bassins de divisions et d e s u b d i v i s i o n s , les intéressés, assemblés le 17 d é ­ c e m b r e , y consentirent, et cette dérogation au m a r ­ c h é fut homologuée le 26 j a n v i e r 1770. « Dans le même temps, les intéressés obtinrent q u e M. d ' E n n e r y c h a r g e â t M. d e Boisforest, I n g é ­ n i e u r en chef, d'une nouvelle vérification. M. de Boisforest la finit en décembre 1775, et le toisé m o n t a à 311,000 livres. M. le Franc, qui avait reçu p l u s q u e cette somme, se pourvût dans les tribunaux o r d i n a i r e s contre ce qui s'était fait, mais u n arrêt d u Conseil du Port-au-Prince, le repoussa le 23 juin 1777. « Cette décision fut suivie de nouvelles difficultés. M . l e F r a n c a b a n d o n n a les t r a v a u x du canal d e l'est o u r i v e g a u c h e qui était presque a r r i v é à la perfec­ t i o n , et s'occupa d'une fouille dans celui de l'ouest.


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-

C e p e n d a n t la rive g a u c h e n ' a y a n t que huit bassins de subdivisions, p o u r a r r o s e r treize habitations, et la rive droite vingt c a n a u x pour a r r o s e r quarante-deux habitations, il était n a t u r e l que la rive gauche ou portion ouest se trouvât distribuée, lorsque celle de l'est n ' a u r a i t q u ' u n e troisième p a r t i e de son travail fait. D'ailleurs, M. Dumoulceau d a n s son projet, adopté p a r les A d m i n i s t r a t e u r s , avait trouvé j u s t e q u e cette petite partie fut t e r m i n é e la première, pour q u e les t r a v a u x pussent être portés ensuite tout e n ­ tiers s u r l'autre rive. « M. d'Argout vint p r e n d r e le Gouvernement g é ­ n é r a l et désirant la terminaison de cette entreprise, il pria, conjointement avec M. de Vaivre, M. Du­ moulceau, devenu D i r e c t e u r - g é n é r a l des fortifica­ tions, de leur faire connaître le véritable état des choses. Le même zèle et le m ê m e a m o u r du bien public, qui avait dirigé cet officier g é n é r a l autrefois, le déterminèrent encore, et il d o n n a le 22 octobre 1777, u n mémoire contenant le tableau des choses faites, son avis sur ce qui restait à faire, et un coup d'œil s u r les points où son projet primitif avait été inexécuté, et sur les moyens d'y r e v e n i r . Il alla j u s q u ' à établir que les t r a v a u x du côté est pouvaient être achevés au mois de février suivant, et ceux de ouest en décembre 1778. Ce n o u v e a u g u i d e fut .adopté p a r les A d m i n i s t r a t e u r s le 10 n o v e m b r e 1777.


— 133 — « L'entrepreneur,

qui avait déjà t o u c h é 776.516

l i v r e s , 18 sols, 9 d e n i e r s , a p r è s a v o i r p r o p o s é , le 11 j a n v i e r 1778, de r e n o n c e r à l ' e n t r e p r i s e , en lui r e m b o u r s a n t ses dépenses et lui p a y a n t le tiers d u bénéfice sur lequel il avait compté, d o n n a le 5 m a r s u n toisé montant à 1,265,950 l i v r e s , 7 sols, 1 d e n i e r , q u e M. Dumoulceau réduisit à 877,361 l i v r e s , 2 sols, 5 d e n i e r s . Cette diminution reçut le 24 m a i la s a n c ­ t i o n des A d m i n i s t r a t e u r s . « L e peu de succès de t a n t de soins et de déci­ s i o n s , a d o n n é lieu le 7 octobre de la m ê m e

année

1 7 7 8 , à un Arrêt du Conseil des Dépêches, qui établit a u P o r t - a u - P r i n c e une commission p o u r j u g e r

en

d e r n i e r ressort toutes les contestations relatives à la d i s t r i b u t i o n des e a u x de la G r a n d e - R i v i è r e .

Cette

c o m m i s s i o n est composée du G o u v e r n e u r - g - é n é r a l , d e l ' I n t e n d a n t et du P r é s i d e n t du Conseil s u p é r i e u r , q u i s o n t suppléés, en cas d'absence, p a r ceux qui les remplacent

d a n s ces fonctions au P o r t - a u - P r i n c e .

Le P r o c u r e u r - g e n é r a l du Conseil l'est aussi de cette c o m m i s s i o n , qui a le Greffier de l'Intendance pour greffier, et qui j u g e s o m m a i r e m e n t , s a n s m i n i s t è r e d ' a v o c a t s et de p r o c u r e u r s . Elle s'est assemblée la p r e m i è r e fois le 8 juin 1779, et le 9 juillet elle a d é c i d é que le Président ou le Conseiller qui le s u p ­ plée, sera constamment rapporteur. « La p r e m i è r e chose qui eut lieu e n s u i t e , fut

un


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toisé général des t r a v a u x , que fit encore M. Dumoulceau, aidé de M. Hesse, lorsque M. le Franc eut fini le canal de l'est. Cet e n t r e p r e n e u r termina ensuite celui de l'ouest et passa en F r a n c e , où il mourut, laissant à son fils des réclamations que celui-ci a terminées à l'amiable avec les intéressés. « Il n e restait donc plus que les t r a v a u x de subdi­ visions dont M. le F r a n c s'était fait décharger en 1776 ; plusieurs p e r s o n n e s en e n t r e p r i r e n t des por­ tions et particulièrement M. Baqué, et en 1784, tout était p a r v e n u à u n e terminaison désirée depuis bien des années. « ... Depuis 1797, tout ce qui peut a s s u r e r la dis­ tribution des eaux de la G r a n d e - R i v i è r e , est a r r i v é à la perfection, et l'arrosement de 7,988 c a r r e a u x dépendant de 58 sucreries, est d é s o r m a i s a s s u r é , avec 3,130 pouces c o u r a n t s d'eau p a r seconde ; ce qui donne environ 4 lignes 2/3 p a r c a r r e a u , avec une vitesse considérable. « On estime que cette g r a n d e e n t r e p r i s e a causé une dépense de plus de trois millions ; m a i s aussi combien de millions elle assure ! » Tel est l'historique précis de la question si capi­ tale pour P o r t - a u - P r i n c e et sa banlieue, de la dis­ tribution des eaux de la Grande-Rivière du Cul-deSac, entreprise au dix-huitième siècle (89) ; cet historique complète ce que n o u s avaient appris.


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m a i s a v e c beaucoup moins de détails, les p a p i e r s p r i v é s d e Lefranc de Saint-Haulde. J ' e m p r u n t e encore à Moreau de Sairit-Méry cet i n t é r e s s a n t passage (II, p . 10) : « L e Cul-de-Sac est de toute la Colonie le lieu où l'on remarque, le plus d ' é n e r g i e , le plus d'activité, d a n s l e r è g n e animal et d a n s le r è g n e v é g é t a l . L'es­ pèce h u m a i n e elle-même y est p l u s forte ; elle y a des f o r m e s plus développées, u n e constitution plus | ferme ; l e s l é g u m e s , les fruits y acquièrent des d i mensions et u n e m a t u r i t é q u ' o n chercherait v a i n e ­ m e n t a i l l e u r s . La n a t u r e est donc là d a n s u n travail ]lus g r a n d , plus continuel? Elle y a donc des m o y e n s p a r t i c u l i e r s ? Elle y p r é p a r e ou y combine donc des s u b s t a n c e s dont la destination entière peut n e n o u s être p a s c o n n u e ? Que de raisons p o u r tenir les ob­ s e r v a t e u r s éveillés et p o u r faire d é s i r e r des r é s u l ­ tats q u ' o n puisse enfin substituer a u x conjectures ! H e u r e u x , s'ils faisaient taire cette voix déchirante qui c r i e a u x habitants du Cul-de-Sac, q u e la m o r t est s o u s l e u r s pas, et q u ' u n e effroyable calamité doit l e s confondre tous d a n s u n seul t o m b e a u ». Q u e l q u e s notes inédites t i r é e s des archives de l'Etat v o n t ajouter leur intérêt rétrospectif à tout ce qui p r é c è d e . D a n s u n r a p p o r t de visite du Môle Saint-Nicolas, a d r e s s é p a r d ' E n n e r y à de S a r t i n e , le 3 s e p t e m b r e 1775, o n lit ce qui suit :


— 136 — « Il y a au Môle 368 têtes d'esclaves appartenant a u Roi, qui sont employés aux t r a v a u x . Il y a encore environ 80 autres esclaves a p p a r t e n a n t au Roi dans la Colonie qui sont employés a u x travaux du Portau-Prince, ou dans les m a g a s i n s du Roi. Il y a peu d'abus d a n s l'emploi de ces esclaves, et le peu qu'il y en a nous n o u s proposons, M. l'Intendant et moi. de les réformer r i g o u r e u s e m e n t . J'ai vu ces esclaves; ils sont en bon état et bien p o r t a n t s . « Le Môle est u n port superbe et il y a de l'es­ pace suffisamment pour y m e t t r e en sûreté et à l'abri du vent toutes les Escadres de l'Europe ; l'en­ t r é e du port est difficile à cause des vents généraux qui y r é g n e n t . Pour y a t t r a p e r le mouillage, il tau! ordinairement courir beaucoup de bordées ; cepen­ dant, quand les vents sont de la partie de l'Ouest, y entre vent arrière, mais ils sont r a r e s , et n'ont g u è r e lieu dans ce p a r a g e que d a n s les mois de juillet, août et septembre, qui n'est pas la saison des expéditions. » Dans un autre r a p p o r t a d r e s s é à de V e r g e n n e s , en 1783, sur la police intérieure de Saint-Domingue, il est dit que les ordonnances successivement rendues n ' a v a i e n t pu encore contenir la passion effrénée du j e u et q u ' o n j o u a i t plus que j a m a i s , tant à la ville q u ' à la p l a i n e . C'est de F r a n c e que venaient ceux qui tenaient ces maisons de jeu ; a p r è s quelques


— 137 — a n n é e s de ce n é g o c e ils se retiraient avec des for­ t u n e s considérables, pour faire place à d'autres en­ t r e p r e n e u r s . Des particuliers r u i n a i e n t l e u r s familles, p o u r p a r t i c i p e r à ces j e u x ; des pacotilles, des c a r ­ g a i s o n s m ê m e y étaient dissipées, et l'on était i m ­ p u i s s a n t à combattre le mal. L e l u x e était déjà p a r t o u t excessif. Les femmes de c o u l e u r d o n n a i e n t en ceci l'exemple le plus funeste, et t o u j o u r s elles luttaient a v a n t a g e u s e m e n t avec les f e m m e s blanches, très l u x u e u s e s aussi. L e s r é g l e m e n t s défendaient a u x esclaves d'aller s e u l f a i r e du commerce d a n s la plaine, afin qu'ils ne p u s s e n t c o m m u n i q u e r entre eux ; mais on ne voyait q u e c o n t r a v e n t i o n s à cette règle. L e s p o s s e s s i o n s françaises d a n s la plaine étaient e n t r e c o u p é e s de vastes t e r r a i n s incultes ; c'est là que s ' é t a b l i s s a i e n t de préférence les cabarets, et on sa­ vait q u ' i l s étaient les receleurs naturels des n è g r e s , v o l e u r s et p i r a t e s p a r instinct ; mais on était impuis­ s a n t à r é a g i r contre eux. On aurait voulu forcer ces i n d u s t r i e l s à r é s i d e r d a n s les villes et d a n s les b o u r g s ; m a i s la loi restait lettre m o r t e . Tout s'obte­ nait à prix d'argent. O n a v a i t depuis quelque t e m p s p o r t é la taxe des l i b e r t é s « fort a u - d e s s u s de l ' O r d o n n a n c e » ; m a i s c ' é t a i t encore insuffisant p o u r contenir les abus ; a u s s i é c r i v a i t - o n que « l a liberté, prix d u l i b e r t i n a g e e t r é c o m p e n s e du vice », devrait se p a y e r très c h e r . 10


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L'insolence des n è g r e s , suivant un rapport offi­ ciel, a u g m e n t a i t c h a q a e a n n é e . Ainsi M de Bellecombe, quêtant le j o u r de P â q u e s à Miglin du Cap et ayant d e m a n d é la quête à u n e mulâtresse, celle-ci se r e t o u r n a vers son n è g r e et lui dit : « Donnez une g o u r d e à Madame ! » me

La sécurité ne pouvait naître qu'avec des chemins praticables ; or il est établi p a r des rapports du t e m p s , que partout les routes étaient détectueuses. Quant a u x t r o u p e s de la Colonie, les rapports officiels sont u n a n i m e s à constater que les mala­ dies étaient fréquentes p a r m i elles. Cela tenait, disait-on, à l'intempérance des soldats, qui se li­ vraient, les nouveaux venus s u r t o u t , à toutes sortes d'excès. Alors le vin coulait « à g r a n d s flots dans les cabarets » et on n'entendait « p a r t o u t que des chants d'allégresse. » Aussi, au l e n d e m a i n des débarque­ m e n t s , les rues étaient-elles « j o n c h é e s d'ivrognes. » Le libertinage était excessif aussi p a r m i nos troupes. Les soldats se livraient m ê m e « e n t r e eux à des d é s o r d r e s secrets » d'autant plus dangereux pour leur santé, qu'en raison du climat ils pou­ vaient « les r é p é t e r à leur g r é ». Des appels fré­ quents p e n d a n t le j o u r , des r o n d e s vigilantes pen­ d a n t la nuit, étaient les seuls m o y e n s qu'on eut t r o u v é p o u r diminuer la fréquence de ce vice, qui était, paraît il, g é n é r a l p a r m i les é t r a n g e r s .


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139 -

L a fréquentation des femmes, qui a u r a i t d û i n s ­ p i r e r l e dégoût, en raison de leur « m a l h e u r e u s e f a c i l i t é à se livrer », était encore combattue a u t a n t q u ' o n l e pouvait, p a r des r e v u e s particulières qui s e u l e s a v a i e n t le pouvoir de tenir les soldats en haleine. L e h a u t prix d e s d e n r é e s coloniales avait fait m e t t r e e n culture le plus de terrain possible. S u r les h a b i t a t i o n s on avait diminué les s a v a n n e s , ainsi q u e les p l a c e s à vivres des n è g r e s . Les a n i m a u x , r é ­ d u i t s a u n o m b r e absolument nécessaire, étaient e x ­ c é d é s d e travail et périssaient. Les n è g r e s m a n ­ q u a i e n t d e v i v r e s , a u moindre sec : n'osant souvent p o i n t d e m a n d e r , ils souffraient, dépérissaient et ne se é t a b l i s s a i e n t plus. Le « détail des h o r r e u r s sur cet a r t i c l e ferait p r e s q u e u n volume », dit Lilan,-ourt d a n s u n Mémoire a u Ministre V e r g e n n e s , daté d u 14 s e p t e m b r e 1783. E t il ajoute : « La Colonie de Saint-Domingue est dans la plus grande dépendance des Espagnols pour les a n i m a u x de boucherie et de travail. Il serait facile p e u t - ê t r e d e diminuer cette servitude, si l'on n e peut e n t i è r e m e n t s'en affranchir ; pourquoi n e p a s obliger les s u c r e r i e s à .avoir u n e quantité de v a c h e s rela­ tives à l e u r étendue ? Pourquoi n e p a s e n g a g e r les h a b i t a n t s des m o n t a g n e s p r e s q u e épuisées, depuis le h a u t d u Massacre j u s q u ' à la M a r m e l a d e , à en


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140 —

é l e v e r ? Les Espagnols en voyant ces mesures met­ t r a i e n t s û r e m e n t moins d'entraves à cette branche de commerce, et nous conserverions partie du numé­ r a i r e qu'ils n o u s enlèvent chaque année ». Il disait encore : « Les incursions des nègres m a r r o n s de Nissan se poussent aujourd'hui jusqu'à Jacmel. On pourrait, au moins, les a r r ê t e r en for­ m a n t une chaîne du Sale-Trou a u Cul-de-Sac. En r e c h e r c h a n t les mulâtres et n è g r e s dont la liberté n ' e s t pas ratifiée, et en n ' a c c o r d a n t plus désormais q u ' e n faveur du service qu'ils feraient d a n s c s postes, l'on trouverait le m o y e n de se pousser avec le temps j u s q u ' a u x anses à Pître, que n o u s avons maladroitement reconnues pour limites fixées à la N e i b e , j u s q u ' à ce m o m e n t , p a r les plus anciens titres. » Les propriétaires, pour la plupart, abandonnaient l e u r s cultures à des raffineurs, j e u n e s et robustes. Or, que faisaient ceux-ci? Se t r o u v a n t d a n s « l'âg « des passions, ils commençaient par p r e n d r e une « n é g r e s s e de l'atelier p o u r satisfaire les siennes. » Toute la famille de la favorite prenait alors une considération m a r q u é e s u r les a u t r e s , et faisait exercer ses inimitiés et ses v e n g e a n c e s p a r celui qui aurait dû au moins d o n n e r l'exemple. Le goût c h a n g e a n t avec la satiété, ce même raffin e u r prenait une autre famille ; et alors recommen-


ç a i e n t de nouvelles geances.

141

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rivalités,

de nouvelles

ven­

D e sorte que, tandis que les cases des familles f a v o r i s é e s étaient souvent visitées, celles des a u t r e s n e l ' é t a i e n t j a m a i s ; et c'est là q u e se réfugiaient « l e s n è g r e s m a r r o n s , les scélérats m ê m e ». L e s n è g r e s travaillaient le j o u r et passaient la n u i t e n libertinage. Ils ne pouvaient franchir les b o r n e s de l'habitation s a n s billet ; mais lorsque les m a î t r e s étaient d e h o r s , ils étaient e u x - m ê m e s bien l o g é s , b i e n vêtus, et avaient de bonnes t e r r e s p o u r leurs vivres. Q u a n t a u x n é g r e s s e s enceintes et les n o u r r i c e s , e l l e s n e faisaient q u e d e s t r a v a u x d o u x , et on p r e ­ n a i t l e u r s enfants à la case du propriétaire dès qu'ils étaient sevrés. V o i l à ce q u e disent les r a p p o r t s officiels. Si n o u s e x a m i n o n s m a i n t e n a n t les cartes m a n u s c r i t e s , é g a l e m e n t officielles, qui a c c o m p a g n e n t c e s rapports,

q u e c o n s t a t o n s - n o u s ? Que la plaine du

C u l - d e - S a c avait été c o n s t a m m e n t p a r t a g é e

entre

d ' o p u l e n t e s m a i s o n s françaises, telles q u e celles d u d u c d e C h a r t r e s , de la Rochefoucauld,

de B o u l a i n -

v i l l i e r s , de Noailles, de Luynes, d'Antichamp, S c e p e a u x , e t c . Rien d ' é t o n n a n t dès lors

de

à ce q u e

les n è g r e s , c h a s s é s des cases de la côte, et refoulés a u l o i n , se livrassent à tous les excès qui n a i s s e n t


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142 —

de la servitude. On s'explique, en outre, comment, p a r de tels moyens, ces m a i s o n s avaient pu s'enri­ chir d é m e s u r é m e n t . Leurs r e p r é s e n t a n t s en ces pa­ r a g e s , n'étaient e u x - m ê m e s , à p r o p r e m e n t parler, q u e des flibustiers et des b o u c a n i e r s . M. Turpin de Sanzay, directeur du j o u r n a l Le Sauveteur, m o r t ces années-ci, m e racontait un j o u r la visite qu'il avait r e ç u e du g é n é r a l Salomon, Président d e l a République d'Haïti. « Retirez-vous », lui aurait-il dit d a n s u n m o u v e m e n t de colère ; « vous occupez la propriété de mes ancêtres, et je ne « peux souffrir ici votre présence » ; ce à quoi Salo­ mon, sans se déconcerter, a u r a i t immédiatement r é p o n d u : « Votre ancêtre était un flibustier ; je suis rentré chez moi, je n'ai donc aucune excuse à votis faire » En cette circonstance, S a l o m o n avait raison. On trouve aux archives du Ministère des Affaires E t r a n g è r e s , de France, la lettre c i - a p r è s , datée du 30 j u i n 1775, adressée à S a r t i n e s , p a r le comte d'Aranda : « J'ai l'honneur d'informer votre Excellence, par o r d r e du Roy, mon Maître, que les habitans françois de l'Isle de Saint-Domingue continuent tou­ j o u r s leurs infractions, en e n s e m e n ç a n t du caffé, et en bâtissant des maisons pour y d e m e u r e r , d a n s des t e r r a i n s qu'ils nous ont u s u r p é et qu'ils doivent


— 143 — a b a n d o n n e r . On a été bien s u r p r i s à ma Cour de re­ c e v o i r de pareilles nouvelles, et beaucoup plus e n ­ c o r e d'entendre que le C o m m a n d a n t françois, m a l ­ g r é les protestations et réclamations du G o u v e r n e u r e s p a g n o l , n'a pas voulu y r e m é d i e r , surtout comme il s a i t que les d e u x Cours s'occupent d'un a r r a n g e ­ m e n t p o u r établir la b o n n e h a r m o n i e entre l e u r s r è g l e m e n t s respectifs. » C'est le cas de répéter avec E d o u a r d (14 m a r s 1895) :

Drumont

« Il est difficile d'exprimer le d e g r é de férocité a u q u e l en a r r i v e n t tous ceux qui s'occupent des œ u v r e s de civilisation, et qui p r é t e n d e n t a m é l i o r e r les s a u v a g e s dans u n but h u m a n i t a i r e . On a tou­ j o u r s d e s é t o n n e m e n t s n o u v e a u x , m ê m e lorsqu'on a vu J a m e s o n , le lieutenant de Stanley, acheter u n e p e t i t e n é g r e s s e et la livrer aux Cannibales pour la m a n g e r afin d'avoir un joli sujet d'aquarelle. On ne p a r l e j a m a i s dans ces histoires-là que de fusiller, d ' é g o r g e r ou de traiter les g e n s comme des bêtes d e somme. » M a i s il est incontestable, c e p e n d a n t , que l'occupa­ tion française a été favorable a u p a y s : les chefs mi­ l i t a i r e s et les fonctionnaires qu'y envoya le g o u v e r ­ n e m e n t r o y a l c r é è r e n t un ensemble de m e s u r e s dont o n n e p e u t méconnaître l'importance, et d o n t on doit g a r d e r le souvenir.


— 144 — J'ai m o n t r é , à l'aide de documents inédits, cé qu'était la Colonie de Saint-Domingue au temps de Lefranc de Saint-Haulde. En 1789, tandis que la partie espagnole ne comp­ tait qu'environ 125,000 â m e s , a p r è s avoir été ré­ duite à 6,000 en 1737, la partie française en comp­ tait plus de 600,000 de toutes classes. Aussi, dit Ardouin (Géographie nel'iled'Haïti), « à cette épo« que de sa plus g r a n d e splendeur, rien n'offrait un « spectable plus magnifique que l'état des cultures « de cette Reine des A nulles ! » Et il ajoute, en forme de conclusion : « La n a t u r e semblait sourire a u x efforts laborieux d'une population active, a r r a c h a n t du sol le plus fertile les immenses richesses qui sont devenues un besoin indispensable par les peuples civilisés ; mais la philanthropie gémissait de cette p r o s p é r i t é rapide qui n'était due qu'à l'oubli des droits les plus pré­ cieux de l'homme, En vain, elle prédisait a u x or­ gueilleux colons les m a l h e u r s qui devaient infailli­ blement survenir, si u n adoucissement n'était porté a u sort des victimes de leur cupidité ; en vain, elle leur conseillait de se r e n d r e aux v œ u x de la philo­ sophie qui répandait des flots de lumières sur la n a t u r e du pacte idéal : les richesses que leur pro­ curaient ces êtres asservis, humiliés, tremblants devant u n e poignée de m a î t r e s , en entretenant


— 145 p a r m i e u x un luxe asiatique, avaient endurci l e u r s c œ u r s : ils s'étaient insensiblement habitués à se c o n s i d é r e r supérieurs à ceux qu'ils appelaient l e u r s esclaves ; ils ne pouvaient croire q u e ces h o m m e s , en a p p a r e n c e si timides, nourrissaient en secret le désir d e b r i s e r l e u r s fers ; et, se confiants à u n e fragile s é c u r i t é , ils s'endormaient s u r le c r a t è r e du volcan p r è s d e s'ouvrir pour les d é v o r e r . . . » C ' e s t ce qu'avait dit déjà, u n siècle a u p a r a v a n t , M o r e a u de Saint-Méry (11-771) : « La n a t u r e semblait avoir fait Haïti p o u r d e s h o m m e s d o u x , sobres, contents de ses bienfaits ; tels é t a i e n t ces êtres paisibles, simples d a n s leurs désirs, c o m m e d a n s leurs pensées, qu'une nation policée est v e n u e détruire... » L ' a r c h i t e c t e Lefranc de Saint-Haulde, dont j ' a i r e t r a c é e n ces p a g e s sincères l'intéressante biogra­ p h i e , é c h a p p e a u x reproches qu'on peut a d r e s s e r à p l u s i e u r s d e s e s contemporains. Laborieux et hu­ m a i n , s e s t r a v a u x si utiles d'édilité publique ont aidé à f a i r e a i m e r le nom français en Haïti et dès lorS il a d r o i t a u x r e g a r d s bienveillants de la postérité.



— 147 —

VI Etat-civil gés

de

miltaires

Contrat

la

famille Lefranc

de Etienne-Pascal

d e mariage du m ê m e

de Saint-Haulde. -

Con­

Lefranc de Saint-Haulde. — avec Victoire-Euphrasie

t u r e . — G é n e ' a l o g i e de la f a m i l l e

Lefranc

Cou­

de Saint-Haulde e t

d e s e s alliés. I . — E t a t - c i v i l d e la F a m i l l e L e f r a n c d e S a i n t - H a u l d e .

3 j u i l l e t 1756. Décés de P i e r r e Lefranc. P i e r r e le franc, dit les lauriers,

l a b o u r e u r , fils d e

P i e r r e , a u s s i laboureur, et de Michelle Hélie, s o n é p o u s e , â g é de 77 a n s ou environ, décédé le 3, a été i n h u m é l e 4 juillet 1756 d a n s le cimetière de cette é g l i s e , p a r n o u s , Charles françois Clement, curé de V a u l t i e r , s o u s s i g n é , e n présence d'Isaac le franc, f r è r e d u d . feu Pierre, de T h o m a s Fontaine et de S a m s o n Helie, soussignés, S. Helie, I, LEFRANC, T . F o n t a i n e , Ch. F . Clément (Actes de catholicité de Quibôu). 2S novembre Lefranc.

1757. Baptême

d'Etienne-Pascal

L e 29 n o v e m b r e 1757, a été Baptisé p a r n o u s , p r ê t r e , Docteur en Théologie de la Maison et S o ­ c i é t é d e Sorbonne, Curé de cette Eglise, s o u s s i g n é ,


— 148 — r

Etienne Pascal, n é d'hier, fils de s P i e r r e Lefranc, expert, e n t r e p r e n e u r de Bâtimens, et de De Marie Claude Drancy, son épouse, d e m e u r a n t rue d e s Gravilliers, le p a r r e i n M Pascal F a u v e de Beaufort, Conseiller médecin ordinaire du Roy, servant p a r q u a r t i e r , d e m e u r a n t r u e Neuve des Petits Champs, Paroisse Saint Roch ; la m a r r e i n e Dr Marie Anne Etienne R a i m e , fille de M Joseph Raime, Secrétaire du Roy, Maison, C o u r o n n e de France et de ses Finances, d e m e u r a n t e r u e des Fossez Mont­ m a r t r e , p a r o i s s e St E u s t a c h e ; lesquels ont signé. [Paroisse Saint Nicolas des Champs, de Paris). re

re

17 septembre 1774. Mariage de P i e r r e avec M a r g u e r i t e F l e u r y .

Lefranc

Ce j o u r d ' h u i , après la publication de trois bans faite p e n d a n t trois j o u r s de D i m a n c h e , ou fête con­ sécutive, à l'issue du prône des m e s s e s paroissiales, n e s'étant t r o u v é aucun e m p ê c h e m e n t civil ni c a n o ­ n i q u e , j ' a i conjoint en légitime m a r i a g e , en face d e notre sainte mère l'église, selon la forme prescrite p a r le Saint Concile de Trente, et en présence des témoins soussignés, M P i e r r e Lefranc de St Aude (sic), architecte, ancien J u r é expert, e n t r e p r e n e u r de Bâtimens, au Châtelet de P a r i s , d e m e u r a n t e n cette ville, y domicilié, veuve (sic) en p r e m i è r e s noces de Marie Claude De R a n c i , décédé (sic) à P a r i s , p a r o i s s e St L a u r e n t , usant de ses droits, s t i r


-

149

-

p u l a n t p o u r lui et en son n o m , majeur d'âge, fils d ' I s a a c Lefranc, architecte du Roy, en légitime ma­ r i a g e , e t d e demoiselle Duval, son épouse, ses père et m è r e , t o u s deux décédé (sic), d'une p a r t ; et d e ­ m o i s e l l e M a r g u e r i t e Fleuri, majeur (sic) d'âge, n é e e n l é g i t i m e m a r i a g e de feu sieur Dion Fleuri, m a r ­ c h a n d g a s o n n i e r des Menus plaisirs du Roy, vivant, demeurant

à P a r i s , et de J e a n n e Godaille,

son

é p o u s e , s e s p è r e et mère, décédés à P a r i s , paroisse St L a u r e n t et Saint Nicolas des C h a m p s ; ladite d e ­ m o i s e l l e Lefranc (sic) usante de ses d r o i t s , stipulante p o u r e l l e , e n son nom, d'autre p a r t . J e l e u r ai d o n n é la bénédiction

r

en présence de M François de la

T o i s o n d e s V a r e u x , habitant du Cul de sac ; de J e a n Vidal,

m a r c h a n d en ville ; de Maître Philippe Guil­

l a u m e le F r a n c , habitant au Port au Prince ; et de 1

M C h a r l e s Denis de St Simon, capitaine au r é g i ­ m e n t d u P o r t a u P r i n c e , témoins p o u r ce r e q u i s , qui o n t s i g n é avec moi, l'époux et l'épouse, et autres p a r e n t s et a m i s . Ainsi signé : M a r g u e r i t e Fleury, St S i m o n , Lefranc de St Haulde, Vidal Lefranc, de la T o i s o n des V a r r e u x , Lefranc, Audigé, Daunon, P e y r a n i b e , Dessain, L e s p i n a s , le Levain, et T. Laf a u r i e , D e s s e r v a n t . (Paroisse de

Port-au-Prince).

1 8 n o v e m b r e 1777. Décès de M a r g u e r i t e F l e u r y . L e dix huit novembre mil sept cent soixante dix s e p t , a été e n t e r r é d a n s le cimetière de cette p a r o i s s e ,


— 150 — le corps de Margueritte Fleury, native de P a n s , paroisse Notre Dame de Bonne-Nouvelle, â g é e de q u a r e n t e q u a t r e a n s , épouse de Monsieur Pierre Lefranc de St Aule, (sic) architecque (sic) entrepre­ n e u r des baptiment. E n foy de quoi, j ' a i signé : Moreau, C u r é . (Paroisse du Port-au-Prince). 18 n o v e m b r e 1779. Décès de Geneviève F l e u r y . L'an 1779, le 19 n o v e m b r e , a été i n h u m é e dans le cimetière de cette p a r o i s s e , le corps de D Gene­ viève Fleury, fille majeure de Dion Fleury, et de J e a n n e Godalier, décédée d'hier en la maison de M Queret de Méry, Ecuyer, fourier des logis ordi­ n a i r e s du Corps et de la Maison de Monsieur, bour­ geois en ce lieu, â g é e de 51 a n s , m u n i e des S a c r e ­ ments. E n présence de M. Mariette, Vicaire, de M. Queret de Méry, des c h a n t r e s de cette E g l i s e , et a u t r e s qui ont signé avec n o u s le p r é s e n t acte. (Paroisse de Notre-Dame de Soisy-sous-Etiolles). elle

r

12 octobre 1782.

Décès de

Pierre

Lefranc

de

St Haulde. L'an mil sept cent q u a t r e v i n g t - d e u x , le treize octobre, a été i n h u m é d a n s le cimetière de cette paroisse le corps de M. P i e r r e Lefranc de St Haulde, ancien Architecte j u r é expert au Châtelet de P a r i s , E n t r e p r e n e u r g é n é r a l des T r a v a u x du Roi et de la Distribution des E a u x de la G r a n d e rivière et plaine du Cul de Sac, au Port au Prince, veuf en p r e m i è r e s


— 151 — n o c e s d e Dlle Marie-Claude d e R a n c y (sic : Drancy) e t e n s e c o n d e s noces de M a r g u e r i t e F l e u r y , décédé ' hier, en la maison de M. Quéret de Méry, son a m i , Ecuyer fourrier des logis o r d i n a i r e s d u Corps de la Maison militaire de Monsieur, frère d u R o i , bour­ g e o i s en ce lieu, m u n i d e s s a c r e m e n t s , â g é d ' e n v i ­ ron cinquante a n s . L'inhumation faite en p r é s e n c e d'Etienne Paschal Lefranc de St H a u l d e , s o n fils, Joseph Abel Couture, architecte d e s Domaines d u Roi, paroisse de la Madeleine l'Evéque, à P a r i s , Me Michel Paul C i n g n a r d , Avocat et P r o c u r e u r a u Parlement, paroisse St A n d r é - d e s - A r t s , à P a r i s , Jean François Quéret de Méry, E c u y e r fourrier o r ­ donnance d e s logis du corps de la Maison militaire de Monsieur, frère du R o i , lesquels ont signé avec nous le p r é s e n t acte, les j o u r et a n que d e s s u s . Signé De G h e n d t , De St Haulde, C i n g n a r d , J. A. 3 Couture, Q u e r e t de Méry, Menet c u r é . (Paroisse de N o t r e - D a m e de Sôisy-sous-Etiolles). 5 mars 176G. — Baptême de Victoire E u p h r a s i e Couture. L'an mil sept cent soixante six, le cinq m a r s , a été baptisée Victoire E u p h r a s i e , n é e d'hier, fille d e Joseph Habelle (sic : Abel) Couture, architecte, et d e Geneviève Monique Mory, son é p o u s e , r u e Saint E l o y ; l e p a r a i n P i e r r e Lefranc, a r c h i t e c t e ; la m a raine M a r g u e r i t e F l e u r y , fille m a j e u r e ; le p è r e


— 152 — a b s e n t ; et ont signé au r e g i s t r e , avec Merlier, vicaire de la ditte paroisse. (Paroisse Saint-Andredes-Arcs, de Paris.) 15 février 1789. Décès de Joseph-Abel Couture. Le lundi, seize février, mil sept cent quatre vingt neuf, a été inhumé d a n s le cimetierre, J o s e p h Abel Couture, architecte d u Domaine du Roi, et inspec­ t e u r de ses Bâtiments, époux de demoiselle Gene­ viève Monique Mauris (sic : Mory), décédé de la veille, r u e de Savoie, de cette paroisse, â g é de soixante d e u x a n s , en présence d'Etienne Pascal Lefranc de St Hauldes (sic : Haulde), Conseiller du Roi, Maître particulier des E a u x et forests de P r o v i n s , son gen­ d r e , et de Me Martin Catalin, avocat a u Parlement de P a r i s , ami du défunt, qui ont s i g n é . (Paroisse SaintAndré des Arcs, de Paris). 21 j u i n 1843. Décès de Etienne-Pascal Le Franc de St H a u l d e . L'an 1843, le 21 j u i n , à u n e h e u r e et demie du soir, devant nous, Officier de l'état-civil du 9e arron­ dissement. Sont c o m p a r u s : MM. Vital Marie Cout a n , Chef d'escadron en r e t r a i t e , â g é de 66 ans, d e m e u r a n t rue Beautreillis, n° 18, g e n d r e du défunt, — et Joseph-Philippe J a c q u e t , bachelier-ès-lettres, â g é de 39 ans, d e m e u r a n t rue des Nonainsdières, (Nonnains-d'Fères) n° 20. Lesquels nous ont déclai que ce matin à trois h e u r e s et demie, est décédé- en


— 153 — s o n domicile, sieur E t i e n n e - P a s c a l Lefranc d e S H a u l d e , â g é de 85 a n s et sept mois, n é à P a r i s , y d e m e u r a n t a u p r e m i e r domicile d é s i g n é , veuf de d a m e Victoire E u p h r a s i e C o u t u r e . [Mairie du IXe arrondissement de Paris). II. — I

E R

octobre 1776. Congés de Etienne-Pascal Lefranc.

DRAGONS.

Congé

limité.

RÉGIMENT D E L A N G U E D O C

.

(90).

N o u s s o u s s i g n é s , certifions à tous ceux qu'il a p ­ p a r t i e n d r a avoir d o n n é C o n g é p o u r aller à P a r i s j u s q u ' a u , p r e m i e r avril p r o c h a i n , a u n o m m é Etienne p a s c a l Lefranc, dit Le F r a n c , D r a g o n de la C o m p a ­ g n i e d u L i e u t e n a n t Colonel a u R é g i m e n t de L a n g u e ­ d o c . D r a g o n natif de P a r i s , en la P r o v i n c e de l'Isle d e F r a n c e , juridiction de P a r i s , â g é de dix-neuf a n s , d e l a taille de cinq pieds q u a t r e pouces, c h e ­ v e u x e t sourci (l) s châtain clair, yeux roux, nez l o n g , b o u c h e o r d i n a i r e , v i s a g e oval (e), m a r q u é de petite v é r o l l e . F a i t à N o g e n t s u r Seine, le premier jour du mois d ' O c t o b r e mil sept cent soixante seize. r

Le C h de B a r a s t r e . V u par

n o u s COMMANDANT

dudit régiment, CT

E

DE

MACHAULT.

A p p r o u v é p a r nous mées d u Roi,

C e r t i f i é p a r n o u s MAJOR dudit LE

MARÉCHAL

CHR.

régiment, DE

BRIOURE.

d e s c a m p s et a r ­

DE RAY.

11


— 154 — Vu p a r n o u s , Conseiller d'Etat, Lieutenant Géné­ ral de police de la ville, Prévôté et Vicomte de Pa­ r i s , le 13 octobre 1776. LENOIR. Le 25 j a n v i e r 1777, il fut délivré à Castelnaudary. à Etienne Pascal Lefranc, u n Congé militaire dit Congé absolu dont le texte est identique au pré dent. III.

23 janvier 1783. Contrat

de m a r i a g e de

Lefranc de Saint-Haulde, avec D

e l l e

Etienne-Pascal

Victoire-Euphrasie

Cou­

ture.

P a r devant les Conseillers du Roy, notaires au Châtelet de P a r i s , soussignés, F u r e n t p r é s e n t s M Etienne-Pascal Lefranc de S a i n t - H a u l d e , poursuivant la réception en l'état et office de Conseiller du Roy, m a î t r e de la maîtrise particulière des eaux et forêts de P r o v i n s , fils majeur d e deffunts sieur P i e r r e Lefranc de Saint-Haulde, architecte, ancien j u r é expert, e n t r e p r e n e u r de bâti­ m e n t s au Châtelet de P a r i s , et de Marie Claude Drancy, son épouse, d e m e u r a n t le dit sieur à Paris, r u e et p a r o i s s e de la Madeleine de la Ville-L'Evêque. stipulant p o u r luy et en son n o m , d'une p a r t ; e

r

M Joseph-Abel Couture, architecte des Domaines du Roy, et d a m e Genevièvre Monique Mauris, son é p o u s e , qu'il autorise à l'effet des p r é s e n t e s , demeu­ r a n t s à P a r i s , susdittes r u e et paroisse de la Made-


— 155 elle

leine la Ville-L'Evêque, stipulants pour D VictoireEuphrasie Couture, leur fille m i n e u r e , d e m e u r a n t e avec eux, à ce présente, procédante, sous l'autorité et assistance d e s susdits p è r e et m è r e , de son con­ sentement, stipulante aussy p o u r elle et en s o n nom, d ' a u t r e part. Lesquels, a v a n t d e p a s s e r a u x cérémonies du m a ­ riage arrêté entre mondit sieur Etienne Pascal L e ­ franc de Saint-Haulde, et m a ditte D Victoire-Euphrasie C o u t u r e , dont la célébration doit être i n c e s ­ samment faite en face l'Eglise, sont convenus d'en régler les conventions civiles ainsy qu'il suit, en l a présence de l e u r s p a r e n t s et a m i s cy après nommés : elle

De M o n s e i g n e u r le Duc de Montmorency-Laval, de Monseigneur Joly de Fleury, ministre des F i ­ nances, d e Monsieur Etienne-François Daligre (sic : d'Aligre), p r e m i e r Président ; De Monsieur Omer Joly de F l e u r y , Président, de Monsieur J o l y de Fleury, P r o c u r e u r Général, de Monsieur l ' a b b é P o m m y e r , Conseiller a u P a r l e m e n t , de Monsieur J e a n - L o u i s Moreau de Beaumont, Con­ seiller d ' E t a t ; De M e s s i e u r s Grimod de Beaumont, Guibeville Desforges, d e Bonnaire Desforges, Mre L o u i s - F r a n ­ çois D u v a u c e l , Chevalier, Conseiller du R o y en s e s C o n s e i l s , g r a n d m a î t r e d e s Eaux et Forêts d e F r a n c e au d é p a r t e m e n t de P a r i s , Me J o s e p h Sollier, E c u y e r ,


- 156 — ancien Député du Tiers Etat de Provence, Me PierreJ o s e p h Vialatte, Secrétaire du R o y et Marie-Anne Blanchard, son épouse, Mr Athanaze-Jacques-PierreVialatte de Malachelle, Chevalier, Conseiller en la Cour des Aydes, M Le Ber, Curé de la Madelaine de la Ville-L'Eveque, M. Jean-François Quéret de Méry. Ecuyer, Lieutenant des Gardes de la p o r t e , et autres, qui ont signé audit contrat. r

Article p r e m i e r . — L e sieur futur époux et la Delle future épouse seront c o m m u n s en tous biens -meubles et conquets immeubles, suivant la coutume de Paris, au désir de laquelle l e u r c o m m u n a u t é sera r é g i e , administrée et p a r t a g é e , encore que dans la suite ils passent leur d e m e u r e ou des acquisitions p a y s , d e loix, coutumes, u s a g e s et dispositions con­ t r a i r e s , auxquels il est e x p r e s s é m e n t d é r o g é et re­ noncé. Article 2. — Ne seront n é a n m o i n s les futurs époux tenus des dettes et hypothèques l'un de l'autre anté­ rieurs au j o u r de la célébration dudit m a r i a g e ; au contraire, s'il y en a, elles s e r o n t payées et acquit­ tées p a r celuy qui en sera débiteur et sur ses biens, s a n s que l'autre, ses biens ni c e u x de la ditte com­ m u n a u t é en soient a u c u n e m e n t t e n u s . Article 3 . — Ledit sieur futur époux se marie avec les biens et droits à luy a p p a r t e n a n t s de la succession de sieur P i e r r e Lefranc de S a i n t - H a u l d e , son


— 157 — p è r e , r é s u l t a n t tant de l'inventaire fait a p r è s son d é c è s p a r Me Chaudot, l'un des notaires soussignés, q u i e n a la minutte, étant lors à Soizy-sous-Etiolles, e n p r é s e n c e de témoins, le q u a t r e n o v e m b r e d e r n i e r , q u e d u compteàrendre par M QuéretdeMéry,Ecuyer, f o u r i e r o r d i n a i r e des logis du corps de la Maison d e M o n s i e u r , de l'exécution qui l u y a été déférée des t e s t a m e n s et codiciles du dit deffunt sieur Le F r a n c d e S a i n t H a u l d e , duquel le dit sieur futur é p o u x , son fils, e s t s e u l héritier, à c h a r g e de substitution en f a v e u r d e ses enfants à naître en légitime m a r i a g e , s a u f l a distraction de sa légitime dont il est s u r le p o i n t d e f o r m e r la d e m a n d e en justice. e

A r t i c l e 4 . — La ditte D - future épouse apporte a u d . m a r i a g e la s o m m e de Trente mille livres, en d e n i e r s c o m p t a n t s , dont elle est légataire du dit def­ f u n t s i e u r Lefranc de Saint Haulde, p è r e , et dont la d é l i v r a n c e l u y a été faitte p a r ledit sieur futur époux p a r a c t e p a s s é devant M Chaudot, qui en a la m i ­ n u t t e e t s o n confrère, le vingt-un j a n v i e r mil sept c e n t q u a t r e v i n g t trois, laquelle somme luy est elle

e

encore

düe.

P l u s , e n faveur et considération dudit m a r i a g e les s i e u r e t d a m e , père et m è r e de la ditte De future é p o u s e l u y constituent en dot la s o m m e de huit mille l i v r e s , t a n t en deniers comptants q u ' e n m e u b l e s , m e u b l e s m e u b l a n t s , h a b i t s , l i n g e s et b a r d e s , à l ' a 1le


— 158 — sage de lad. D°"° future Epouse, à laquelle et au dit sieur futur Epoux les p è r e et mère d'elle, s'obligent r e m e t t r e le tout la veille du j o u r de la célébration dud. m a r i a g e . Article 5. — Il est convenu e n t r e les parties que les huit mille livres de dot cy dessus constituées la ditte future Epouse seront entièrement imputées sur la succession du p r e m i e r m o u r a n t desd. s. etd., p è r e et m è r e de la future Epouse, en faisant obser­ v e r le semblable p a r leurs a u t r e s enfants en les mariant ou égalant. Article 6. — Des biens et droits des futurs époux, il en e n t r e r a de part et d'autre en c o m m u n a u t é , jusques à concurrence de huit mille livres, le surplus et tout ce qui p o u r r a leur r e v e n i r et écheoir à quel­ que titre que ce soit, tant en meubles q u ' e n immeu­ bles, p a r successions, donations, legs ou autrement, sera et demeurera p r o p r e à chacun d'eux et aux leurs de côté et ligne. Article 7. — Ledit sieur futur E p o u x a Doué et Doue la future Epouse de q u a t r e mille livres de rentes v i a g è r e de Douaire préflx, exempté de la retenue des impositions Royalles, p r é s e n t e s et futures, qu'elle a u r a et p r e n d r a si tost qu'il aura lieu s u r tous les biens dudit futur E p o u x , sans être tenu p a r elle future Epouse, d'en former la d e m a n d e en justice, le fond duquel Douaire, s u r le pied du denier


-

159 —

vingrt, s e r a propre aux enfants qui naîtront dudit mariage. Article 8. — I l est expressément convenu que tous les b i e n s dudit sieur futur Epoux, meubles et i m m e u ­ bles p r é s e n t s et futurs, seront et demeureront libres et a f f r a n c h i s dudit Douaire, e n faisant p a r luy e m ploy d ' u n e s o m m e suffisante, pour produire ses dittes q u a t r e mille livres de rente de Douaire, s a n s retenue, en acquisitions de maisons, t e r r e s ou rentes sur les r e v e n u s du Roy, les pays d'Etats, ou le Clergé, q u i d e m e u r e r o n t u n i q u e m e n t et limitativement affectés à la g a r a n t i e dudit Douaire, lequel employ se fera en présence de la ditte D future é p o u s e , a v e c les déclarations nécessaires pour en indiquer l'objet. elle

Au m o y e n duquel employ tous les autres biens dudit s i e u r futur Epoux seront libres et affranchis dudit D o u a i r e , ainsy qu'il est dit cy dessus. Vrticle 9 . — Le survivant des futurs Epoux a u r a et p r e n d r a p o u r precipul et avant p a r t a g e faire d e s biens m e u b l e s de laditte c o m m u n a u t é , tels d'iceux qu'il v o u d r a choisir, suivant la prisée de l'inven­ taire q u i e n sera lorsfaitte et sans crue j u s q u ' à con­ currence d e la somme de dix mille livres, en laditte somme, en d e n i e r s comptants, a u choix et option dudit s u r v i v a n t . A r t i c l e 10. — E n outre d u preciput cy d e s s u s , le


— 160 — survivant p r e n d r a , a u m ê m e titre de préciput, et par a u g m e n t a t i o n d'iceluy, savoir : ledit sieur futur Epoux, si c'est l u y q u i survit, s e s habits, linges, h a r d e s , dentelles (91), ses livres, son cheval et ustensils d'iceluy, et si c'est l a d . De future Epouse, ses habits, linge, h a r d e s , dentelles, sa toillette et ustancils d'icelle, le tout j u s q u e à concurrence de cinq mille livres, si à tant se m o n t e n t lesd. objets, aussy suivant la prisée de l'inventaire, et sans crue ou en deniers c o m p t a n t s . lle

Article 1 1 . — Le remploy d e s p r o p r e s , aliénés de part et d ' a u t r e , se fera suivant la coutume de Pa­ r i s ; et si, au j o u r de la dissolution de laditte com­ m u n a u t é , les dits remploys n e se trouvoient pas faits, l'action p o u r les effectuer sera p r o p r e et de na­ t u r e immobilière à celuy desd. S. et D futurs E p o u x qui a u r a droit de l'exercer et a u x siens de son côté et ligne. llle

Article 12. — Lad.Dellefuture E p o u s e et les en­ fants qui naîtront dudit m a r i a g e , a u r o n t la faculté de renoncer à laditte c o m m u n a u t é ; ce faisant ils reprendront tout ce q u e laditte future Epouse ap­ porte audit m a r i a g e , avec ce q u e p e n d a n t sa durée luy sera avenu et échu à tel titre q u e ce soit, tant en meubles qu'immeubles, p a r successions, d o n a ­ tions, l e g s , ou a u t r e m e n t , m ê m e laditte D future E p o u s e , si c'est elle qui fait l a d . renonciation, reelle


— 161 —

p r e n d r a en outre ses Douaire et preciput cy dessus s t i p u l é s , le tout franc et quitte d e s dettes et h y p o ­ t h è q u e s d e laditte C o m m u n a u t é , encore qu'elle y e u t p a r t i e , s'y fut obligée ou y e u t été c o n d a m n é e , d o n t e n ce cas elle et ses dits enfants seront acquit­ t é s , g a r a n t i s et indemnisés p a r l e s héritiers dudit s i e u r futur E p o u x , et s u r ses biens, p o u r raison d e l a q u e l l e i n d e m n i t é , ainsy q u e pour l'exécution d e s a u t r e s c h a r g e s , clauses et conditions dudit c o n t r a t d e m a r i a g e , il y a u r a h y p o t h è q u e , à compter d ' a u jourd'huy. olle

A r t i c l e 13. — Les dits sieur et D futurs E p o u x , Jad. De assistée et autorisée d e s dits sieur et d a m e , s e s p è r e et m è r e , se font Donation entre vifs, l'un à l ' a u t r e , et a u survivant d'eux, ce acceptant r e s ­ p e c t i v e m e n t p o u r ledit survivant, de tous et chacun, Jes b i e n s m e u b l e s , immeubles, acquêts, conquêts, p r o p r e s et a u t r e s , qui se trouveront a p p a r t e n i r a u p r e m i e r m o u r a n t d'eux, a u j o u r de son décès, e n t e l s l i e u x et endroits qu'ils soient scitués, et à telles s o m m e s qu'ils puissent m o n t e r , pour, p a r ledit sur­ v i v a n t , s a v o i r si c'est ledit futur Epoux, j o u i r du tout e n u s u f r u i t , seulement p e n d a n t sa v i e , qu'il y ait d e s e n f a n t s d u d . m a r i a g e , ou qu'il n ' y en ait p a s ; et si c ' e s t l a d . D future Epouse, aussy en usufruit s e u l e m e n t , s'il y a des enfants, et s'il n ' y en a p a s , laditte D future E p o u s e , j o u i r a et d i s p o s e r a d e t o u s l e s biens dudit sieur futur E p o u x e n toute p r o lle

elle

elle


— 162 — priété ; et m ê m e si a u j o u r du décès dudit sieur futur Epoux, il y a des enfans du p r é s e n t m a r i a g e , et q u ' e n s u i t e ils viennent à décéder, faire profession en religion ou a u t r e m e n t , sans avoir valablement dis­ posé, alors validité, donation cy dessus faite à la­ ditte demoiselle future Epouse en propriété repren­ d r a sa force et vertu, et a u r a u n effet rétroactif au j o u r du décès dudit sieur futur Epoux comme s'il n'y avoit point eu d'enfants dudit m a r i a g e ; De laditte Donation en propriété cy dessus faite p a r ledit sieur futur Epoux à lad. Delle future Epouse, d e m e u r e , néanmoins, exceptée la s o m m e de cin­ quante mille livres, de laquelle ledit sieur futin Epoux se réserve la libre et entière disposition, en faveur et au profit de qui bon luy semblera, p a r do­ nation, testament ou a u t r e m e n t , et si ledit sieur futur E p o u x décède sans avoir, disposé du tout ou partie de laditte somme de cinquante mille livres, ce dont ledit sieur futur Epoux n ' a u r a pas disposé sera au surplus compris dans laditte Donation en propriété. Fait et p a s s é à P a r i s , en la d e m e u r e susditte des­ dits sieur et dame Couture, le v i n g t - t r o i s i è m e jour de j a n v i e r a v a n t midy, l'an mil sept cent quatre vingt trois : et ont signé la m i n u t e des présentes d e m e u r é e en la possession de ME Chaudot, l'un des Conseillers du Roy, notaires au Châtelet de Paris, soussignés MOREAU. CHAUDOT.


— 163 —

I V . — G é n é a l o g i e d e la F a m i l l e L e f r a u c , d r e s s é e s u r t i t r e s .

L i e u d ' o r i g i n e : QUIBOU, près Saint-Lô. p i e r r e L E F R A N C , l a b o u r e u r , époux de Michelle HÉLIE.

I . — P i e r r e Lefranc, dit les Lauriers, laboureur, n é e t m o r t à Quibou (1689, + 3 juillet 1756. Epoux) d e J a c q u e l i n e Groualle. B a r n a b é - P i e r r e - J a c q u e s Lefranc, né à Quibou le 4 a o û t 1740, m o r t à (Quibou ?), vers 1775. II. — I s a a c Lefranc, architecte (né à Quibou ? le , m o r t à ... le ...) Epoux de Anne Duval. I . U n fils s u r lequel on n'a aucun r e n s e i g n e m e n t . 2 . Q u a t r e filles vivant à Quibou en 1776, à l'état d e c é l i b a t a i r e s . En 1777, Charlotte était mariée à C a n i s y . C a t h e r i n e et Anne d e m e u r a i e n t avec l e u r m è r e a u village de Laisné. La q u a t r i è m e avait r e ­ j o i n t s o n frère à S a i n t - D o m i n g u e . 3 . P i e r r e Lefranc, dit de S a i n t - H a u l d e , né à SaintR é m y , d u b o u r g de Quibou, le 25 n o v e m b r e 1732, a r c h i t e c t e des bâtiments du roi à P a r i s et à SaintD o m i n g u e , mort à Soisy-sous-Etiolles (Sl-et-O.), le 1 2 o c t . 1782:


164

Marié : 1° le 28 avril 1755 (par. S. Laurent, d e Paris) à Marie-Claude Drancy, t à Paris le 22 oct. 1773, et i n h u m é e dans le cimetière de ladite p a ­ roisse ; 2° le 17 sept. 1774, à Port-au-Prince, à Mar­ g u e r i t e Fleury, née à Quibou, fille de Dion Fleury, et de J e a n n e Godaille, t à P o r t - a u - P r i n c e le 17 nov. 1777. Du p r e m i e r lit : Etienne-Pascal Lefranc de S a i n t - H a u l d e , A d m i ­ n i s t r a t e u r des E a u x et F o r ê t s , à P r o v i n s , né à P a r i s , le 28 nov. 1757, mort d a n s cette ville, r u e B e a u treillis, 18, (aujourd'hui 22), le 21 j u i n 1843. ( V . l'acte de décès). Marié le 18 fév. 1783, (par. de la Madeleine de la Ville l'Evêque) à Victoire-Euphrasie C O U T U R E (V. ci-après à ce n o m ) , suivant contrat du 23 j a n v . précédent, ladite n é e et m o r t e à P a r i s (4 m a r s 4766 1 1 6 avril 1832, r u e Beautreillis, 14). 1. Adelaïde-Amédée-Renée Lefranc de St Haulde, n é e à P r o v i n s , le 12 déc. 1786, + à P a r i s , le 4 mars1837. Mariée en juillet 1816 à Vital-Marie COUTAN, Chef d'escadrons de cavalerie, Off. de la Légion d ' h o n n e u r , n é à Paris, (par. S Marguerite), le 19 oct. 1776, f à P a r i s en m a r s 1864. te

Descendance reprise

ci-après sous le n o m

de

COUTAN.

2. E t i e n n e - L o u i s Lefranc de St H a u l d e , n é à P r o ­ v i n s , le 27 j a n v . 1790, mort à l ' a r m é e d ' E s p a g n e .


— 165 — 3 . Aline-Sidonie Lefranc d e St H a u l d e , (dite tante Julio), n é e à Provins le 28 oct. 1792, f célibataire à C o m p i è g n e , le 20 mai 1850. 4 . Aglaée Lefranc de St Haulde, née à P r o v i n s le 2 2 g e r m . a n VI, (11 avril 1798), t à P a r i s le 7 m a i 1 8 7 3 . Mariée d e u x fois. Descendance r e p r i s e cia p r è s , sous les noms M I R E T et D A N G E R . 5 . P a u l i n e , n é e à P r o v i n s , le l + 1 5 octobre 1806. Branche

o r

février 1805,

COUTURE.

C o u t u r e , Guillaume, époux de Catherine P e r r a y , e u t : C o u t u r e , Jean-Baptiste, charpentier, époux d e C a r p e n t i e r , Marie-Anne (fille de Carpentier, F r a n ­ ç o i s , é p o u x de Marie Gallois), mariés à R o u e n , p a ­ r o i s s e Saint-Maclou, le 19 j a n v i e r 1726. 1 . C o u t u r e , J e a n - F r a n ç o i s , né le 27 n o v e m b r e 1726. 2 . C o u t u r e , Joseph-Abel, architecte, néle 3 mars 1 7 2 8 , m o r t à P a r i s , le 15 février 1789, époux de G e n e v i è v e - M o n i q u e Mauris (A). 3 . C o u t u r e , Marie-Anne-Catherine, n é e le 7 j u i n 1729. 4 . C o u t u r e , Jean-Baptiste-Marie-Joseph, n é le 13 m a i 1730. 5 . C o u t u r e , Guillaume-Martin, n é le 22 s e p t e m b r e 1 7 3 1 , m o r t le 29 avril 1797.


— 166

-

6. Couture, Marie-Anne-Marthe, née le 28 n o ­ vembre 1732. 7. Couture, Joachim-Louis, n é le 14 décembre 1733. 8. Couture, Jean-Baptiste, n é le 14 février 1735. 9. Couture, Marie-Anne, née le 16 mai 1736, morte à N a n t e r r e , le l février 1823. 10. Couture, Marie-Anne-Françoise, née le 15 juillet 1737, morte célibataire rentière au même lieu, le 4 décembre 1819. 11. Couture, enfant ondoyé le 16 octobre 1738. Ces onze enfants sont n é s s u r la paroisse SaintMaclou à R o u e n . o r

A.

COUTURE-MAURIS

(Descendance.)

1. Couture, Victoire-Euphrasie, n é e à P a r i s le 4 m a r s 1766, morte dans la m ê m e ville, le 16 avril 1832, épouse de Etienne-Pascal Lefranc de SaintHaulde. A. Lefranc de Saint-Haulde, Adelaïde, dite Adèle, épouse Marie-Vital Coutan. — D'où Coutan, Adèle, épouse du docteur Maubec. B. Lefranc de Saint-Haulde, A g l a é e , épouse Miray, en premières noces, et D a n g e r , en second. — D'où Miray, Clémence, épouse Adam ; D a n g e r ; Danger. 2. Couture, J a c q u e s - J o s e p h , b a r o n du p r e m i e r Empire, Maréchal de c a m p , a y a n t sous la R e s t a u r a -


— 167 t i o n c o m m a n d é en Corse ; é p o u x de Elisabeth C o u ­ t u r e . — D'où Couture, J o s é p h i n e , épouse de J u l e s D e l p h a . — D'où Jules Delpha, d é c é d é . 3 . C o u t u r e de Préfontaine, Abel-Louis, n é g o c i a n t , né à , m o r t le 27 juillet 1838 ; époux de AnneJ o s é p h i n e Coutan, s œ u r de Marie-Vital Coutan. — D'où : A - C o u t u r e , H e n r y , mort célibataire. B . C o u t u r e , Victor, dit Vital, mort sans enfants, à P a r i s , en 1846. C . C o u t u r e , Constance-Esther, mariée à P a r i s , à F o u r n i e r . — D'où J e a n n e F o u r n i e r et Marie F o u r n i e r (famille fixée depuis l o n g t e m p s à N e w - Y o r c k ) . 4 . C o u t u r e , Joseph-Victor, dit Vital, décédé céli­ bataire. 5 . C o u t u r e , Victoire-Antoinette, épouse de J e a n P i e r r e D u m o n t i e r , m o r t e s a n s enfants. (Ont adopté u n e fille). 6.

C o u t u r e , Adelaïde, née à P a r i s , paroisse de la

M a d e l e i n e , le 5 septembre 1 7 8 3 , veuve de J e a n B a p t i s t e Guilbert ; m a r i é s à R o u e n le 8 février 1812, o ù e l l e est décédée le 15 octobre 1866. — D'où Guil­ b e r t E u g è n e , né à R o u e n le 7 février 1813, h o m m e de loi. B r a n c h e COUTAN. C h a r l e s Coutan, époux d'Elisabeth Martel. — D'où P i e r r e - G r é g o i r e Coutan, né à Lihus (Oise), le 13 fé-


— 168 — v r i e r 1748, m o r t le 20 j a n v i e r 1833, ancien manu­ facturier du duc d'Orléans, associé du duc de Larochefoucault, inventeur du tricot à mailles fixes. Son métier est au Conservatoire des Arts et Métiers de P a r i s . Epoux de Marie-Louise Tourneur, née et m o r t e à Paris (21 m a r s 1755 + 6 m a i 1833), fille de Christophe T o u r n e u r , menuisier, et Marie-Madeleine G u e u d r é . — D'où : 1. Coutan (l'ainé), sans r e n s e i g n e m e n t s . 2. Alexandre Coutan, né à P a r i s , en 1777, mort à Villers-Cotterêts, le l e février 1832, célibataire, mi­ litaire blessé. r

3 . Vital-Marie Coutan, né à P a r i s , le 29 octobre 1776, mort à P a r i s , en m a r s 1864, chef d'escadrons de cavalerie mis en retraite le 25 s e p t e m b r e 1834, offi­ cier de la Légion d'honneur, E p o u x de AdelaïdeAmélie-Renée Lefranc de Saint-Haulde. — D'où Adelaïde Coutan, née à P a r i s , le 18 octobre 1818, épouse de René-Georges-Marie Maubec, n é à Paris, le 26 novembre 1845. 4. Anne-Joséphine Coutan, m a r i é e à Vital Cou­ ture (Voir à ce nom). 5. Félicité Coutan, épouse de Jacques-Louis Guichenot. D'où : Guichenot ( — ), m a r c h a n d de soieries en g r o s , rue des Fossés-Montmartre, aujourd'hui rue d'Aboukir,


— 169 — à P a r i s ; E s t h e r , institutrice ; F a n n y , Félicité, J e n n y , V i r g i n i e , Alfred. Tous m o r t s célibataires. C. — Branches

MIRET

et

DANGER.

A g d a é e Lefranc de Saint-Haulde, née à P r o v i n s , l e 1 1 a v r i l 1798, morte à P a r i s , le 17 mai 1873. Ma­ riée : E n p r e m i è r e s noces à P a r i s (IX a r r o n d i s s e ­ m e n t ) , l e 11 m a i 1818, suivant contrat du 7, à P i e r r e F r a n ç o i s Miret, né à P a r i s , le 20 février 1773, m o r t à C o m p i è g n e en 1827, a g e n t comptable des subsis­ t a n c e s militaires. D'où : e

1 . F r a n ç o i s e - J o s é p h i n e - E l i s a Miret, née à P a r i s , le 9 o c t o b r e 1819, morte en 1833. 2 . P i e r r e - H e n r i Miret, né à P a r i s , le 10 n o v . 1820, m o r t à E c u e l l e s , le 11 août 1875, chef de b u r e a u au M i n i s t è r e de l'Agriculture et du Commerce. Marié le 30 m a r s 1848, à P a r i s , à Marie-Julia-Ehsa Scipion, née à P o n d i c h é r y , le 11 j u i n 1828 (A). 3 . F r a n ç o i s e - A l e x a n d r i n e - M a r i e - C l é m e n c e Miret, née à S a i n t - M i h i e l le 17 février 1822, morte à P a r i s le 2 1 a v r i l 1872. Epouse Adam Jules-Charles, n é à P a r i s , e n 1816. — D ' o ù : Marie-Michel Adam, n é à B i e n v i l l e , le 16 septembre 1847, m o r t célibataire, à P a r i s , l e 28 a o û t 1873. 4 . F r a n ç o i s - T h é o d o s e Miret, né à Compiègne le 19 f é v r i e r 1826, mort à P a r i s , m a r i é à M V e u v e , m o r t e s a n s postérité. m e

12


— 170 —

E n deuxièmes noces à Compiègne, le 20 août 1829. à E u g è n e - P h i l i p p e , baron Danger, n é à Metz, Lieu­ t e n a n t colonel de cavalerie, m o r t à Saint-Mandé, le 17 septembre 1836. — D'où : Alexandre-EugèneP h i l i p p e , baron D a n g e r , n é à Compiègne le 6 juillet 1830, m o r t célibataire à P a r i s . (A).

MIRET-SCIPION

(Descendance).

1. Julien-Alexandre Miret, n é à P a r i s , le 11 avril 1849. 2. Marie-Gabrielle-Henriette Miret, n é e à Paris, le 12 décembre 1852, mariée à P a r i s , le 6 mai 1873, à Alexandre-Pierre Durville, n é à Breteau (Loiret), ta 2 8 j u i n 1844, architecte.—D'où : Pierre-Henri-Gastet. Durville, né à P a r i s , le 13 m a r s 1874 ; Marie-Hen­ riette-Suzanne Durville, née à P a r i s , le 30 avril 1875. 3 . Marie-Philippe-Georges Miret, n é à Paris, le 11 septembre 1869. Famille

MAUBEC.

I. — Jacques Barthélemy Maubec, épousa AgnèsA n n e H é r i a u x de la Bisnaye, domiciliée à Guipry (llle-et-Vilaine), mort au m ê m e lieu. D'où : J u l i e n - P r u d e n t Maubec, p h a r m a c i e n à Bacqueville; n é à Guipry, époux de Marie-Adelaïde Langlois, fille unique, n é e à Cany (Seine-Inférieure), fille de Robert-Marie-Franeois Langlois, R e c e v e u r des Con-


— 171 — t r i b u t i o n s directes, à Cany, et de Marie Lemonnier d e la H a î t r a i e , — Ce Maubec eut dix-sept s œ u r s , d o n t l ' u n e , m a r i é e à de Challangé, l'a allaité. U n e a u t r e d e ses s œ u r s , M a r i e - A n n e - J e a n n e , épousa A n t o i n e - D o m i n i q u e Lavenu, p h a r m a c i e n à Cany. 1. P r u d e n t Maubec. 2. N a r c i s s e - A m é d é e Maubec, n é en octobre 1813, à B a c q u e v i l l e , docteur en médecine, décédé à P a r i s , l e 1 8 j u i n 1857, victime de son dévouement. 3 . A d é l a ï d e Maubec, Epouse C o u d r a y ,

pharma­

c i e n à C a n y . — D'où : Coudray, E r n e s t et C o u d r a y Emile. 4. C é l i n e Maubec, décédée célibataire. II.

A d e l a ï d e Coutan, n é e à P a r i s , le 18 octobre

1818, é p o u s e de René-Georges-Marie Maubec, n é à P a r i s , l e 26 n o v e m b r e 1845. Sœurs dudit Maubec : 1. A m é l i e - A d e l a ï d e - M a r i e - J e a n n e Maubec, n é e à P a r i s , le 2 5 octobre 1844. 2. Marie-Céline Maubec, née à P a r i s , le 7 février 1856, m a r i é e à Igoville (Eure), le 21 septembre 1873, à A u g u s t i n L a m y , né à B r u n e h a m e l (Aisne), le 22 a o û t 1840, Inspecteur p r i m a i r e en r e t r a i t e , n é g o ­ c i a n t à Elbeuf.— D'où : Pierre-Amédée-Marie Lamy, n é à I g o v i l l e , le 28 juillet 1874 ; Louis-Marie L a m y , n é à N . - D . du Vaudreuil (Eure), le 3 j a n v i e r 1880.


— 172 — Frère dudit

Lamy

:

L a m y , Magloire-Virgile, né à Brunehamel, le 16 m a r s 1848, professeur au Lycée de Douai, décédé d a n s cette ville le avril 1888. Epoux de Marie Sénéchal, de B r u n e h a m e l . — D'où : Lucien Lamy, n é à Douai, décédé ; a u t r e Lucien Lamy.


— 173

-

N O T E S (1) L ' a r c h i t e c t e Lefranc, de S a i n t H a u l d e , a été o u b l i é par t o u s l e s b i o g r a p h e s , n o t a m m e n t par L a n c e , B a u c h a r d et D u s s i e u x . L a n c e c i t e d e u x architectes de ce nom : G u i l l a u m e Lefranc, q u i , e n 1 5 9 2 , v i s i t a l a m a ç o n n e r i e d u P a l a i s de j u s t i c e de R o u e n , p a r o r d r e d e s E c h e v i n s de cette v i l l e ; et un autre Lefranc, qui r e c o n s ­ t r u i s i t d e 1 7 4 2 à 1748, l e beffroi de l'hôtel d e v i l l e d ' A m i e n s . U n L e f r a n c ( J e a n - B a p t i s t e - A n t o i n e ) , a u s s i architecte, figura d a n s le p r o c è s d e Babeuf. (2) V i l l a g e de 1200 h a b i t a n t s , à douze k i l o m è t r e s do S a i n t - L ô . L e s o u v e n i r d e l'architecte Lefranc de S a i n t - H a u l d e ne s'y e s t p a s conservé. (3) S u r n o m q u ' o n rencontre s o u v e n t d a n s l e s Contrôles d e s a n ­ c i e n s r é g i m e n t s . V o i r Intermédiaire, 1899, col. 580 et 842. U n e f a m i l l e Des Lauriers habitait P a r i s a u x X V I I I e et XIXe s i è c l e s . Des Lauriers, c o m é d i e n C h a m p e n o i s , est l'auteur du recueil f a c é ­ t i e u x c o n n u s o u s le titre de : Les Fantaisies de Bruscambillc, dont l a p r e m i è r e é d i t i o n est de Paris, 1612. (4) D ' a p r è s le registre de catholicité, il fut i n h u m é le 4, par le c u r é d e V a u l t i e r , en p r é s e n c e d'Isaac Lefranc, s o n frère. V o i r à l ' A p p e n d i c e s o n acte de décès. (5) S u i v a n t u n e note do f a m i l l e , car l e s registres de catholicité d e Q u i b o u n ' e x i s t e n t p l u s p o u r l e s a n n é e s 1730 à 1750. (6) L e s p a r r a i n et m a r r a i n e s o n t de condition on ne p e u t p l u s honorable. (7) L e s E x p e r t s - J u r é s a v a i e n t été créés par l'Edit de Mai 1690, p o u r f a i r e l e s r a p p o r t s , v i s i t e s , p r i s é e s , e s t i m a t i o n s de tout ce q u i c o n c e r n e l e s b â t i m e n t s ; e n s e m b l e les l i c i t a t i o n s , s e r v i t u d e s , a l i g n e ­ m e n t s , c o u r s d'eau, c h a u s s é e s , a r p e n t a g e s , c o m m e a u s s i de tout c e qui a r a p p o r t a u x bâtiments, tels que maçonnerie, charpente, m e ­ n u i s e r i e e t t o u s autres travaux a n a l o g u e s . L e s A r c h i t e c t e s - e x p e r t s d e s b â t i m e n t s se d i v i s a i e n t e n A r c h i t e c ­ t e s - e x p e r t s b o u r g e o i s , en E x p e r t s - e n t r e p r e n e u r s et en Greffiers d u b â t i m e n t , p o u r recevoir l e s r a p p o r t s d e s e x p e r t s . Leur b u r e a u était rue d e l a Verrerie, à Paris.


— 174 — Beffroy de Reigny, dans son Dictionnaire néologique, parlant de l'architecte B a l l a j o u x , dit qu'il n'était p a s s a n s talent, m a i s que « s i cela d u r e , il y aura p l u s d e b â t i s s e u r s q u e de m a i s o n s à bâtir.» (8) A u d o s : « A Monsieur Lefranc, entrepreneur des bâtiments, rue a u x O u r s , a u Mortier d'Or, à P a r i s . (9) D e l a m a i n de Pierre Lefranc. Je reproduis ce pouvoir en o r t h o g r a p h e m o d e r n e ; il fourmille de fautes d a n s l'original. (10) A u d o s l'architecte a écrit : « S e s i c o n c e r n a n t l e contte de « l a Marche, pour lequelle a e u l'honneur de travailler Lefranc de « St H a u l d e . » — La s u p p l i q u e e s t de la m a i n d'un calligraphe. (11) N é à P a r i s le 30 m a r s 1701, sacré l e 16 j a n v i e r 1731. (12) Lettre s i g n é e . Cachet a u x a r m e s d u prélat. L a suscription de la lettre fermée porte : « A M o n s i e u r M o n s i e u r Lefranc, archi« tecte, r u e d e s G r a v i l l i e r s , à P a r i s . » D e ce temps-là, n o u s a v o n s a u s s i , le petit p l a n d'une verrière, s a n s indication d e lieu, s u r l e q u e l Pierre L e f r a n c a é c r i t : « Cette « distribution est pour d o n n e r l a facilité d e distribuer l e s carreaux « d u fond de l a niche ; et, e n l e s u i v a n t , l'on opérera j u s t e . » (13) P a r e n t peut-être de l'abbé L o u i s G o u g e n o t , p a r i s i e n (17191767), Membre de l'Académie de p e i n t u r e e t de s c u l p t u r e , ami de Greuze et de P i g a l l e , et célèbre a m a t e u r . (14) L e Prince d e C o n d é . (15) O n ne trouve a u c u n e m e n t i o n s u r c e p e r s o n n a g e dans les b i o g r a p h i e s . I l en est de m ê m e pour G o u g e n o t . (16) Au d o s : « M o n s i e u r Monsieur Le F r a n c , Entrepreneur des « B â t i m e n t s , rue d e s G r a v i l l i e r s , à P a r i s . » (17) A u d o s : « M o n s i e u r , Monsieur Lefranc. architecte, entre« preneur de Bâtiments, rue d e s G r a v i l l i e r s , à P a r i s . » (18) Même a d r e s s e . (19) Quoiqu'habitant le quartier d u T e m p l e , l'architecte Lefranc dut faire élever s o u fils d a n s l ' u n d e s b o n s é t a b l i s s e m e n t s d'ins­ truction d e l a capitale, peut être à l a p e n s i o n a c a d é m i q u e du fau­ bourg S a i n t - H o n o r o , qui préparait a u x é c o l e s m i l i t a i r e s . J'ai p u ­ b l i é l e registre de cet é t a b l i s s e m e n t a l l a n t de 1773 à 1783, sous ce titre : Journal professionnel d'un maître de pension de Paris au X V l l I e siècle. Pont l'Evêque,1868, in-12. M a i s j e n'y v o i s p a s figurer l e nom d e Lefranc parmi c e u x , d'ailleurs e n petit n o m b r e , d e s élèves de cette p e n s i o n . (20) Au d o s : « A M o n s i e u r , M o n s i e u r L e f r a n c , r ü e d e s Gravilliers, a u Marais, à P a r i s . »— Cachet a u x a r m e s . — T i m b r e p o s t a l : Armée de Corse.


— 175 — ( 2 1 ) L a p r e m i è r e lettre est cachetée, e n cire rouge, a v e c le cachet d ' e m p r u n t d'un évêque. ( 2 2 ) A u d o s : « A Monsieur Le F r a n c , architecte entrepreneur, à Paris. » ( 2 3 ) M ô l e : o u v r a g e de maçonnerie construit à l'entrée d'un port o u d ' u n e r a d e , à l a tête d'une jetée, p o u r briser l'impétuosité d e s v a g u e s e t m e t t r e les v a i s s e a u x en sûreté (Larousse). V o i r d a n s l a Revue historique de la Révolution française (l'Liv. de février 1884, p . 683), un travail de M. Moulin, intitulé : Dernier épisode de l'insurrection de Saint-Domingue. I l y est dit : « D a n s t o u t e l ' î l e , il n e r e s t a i t p l u s a u x F r a n ç a i s que le Cap et le Môle de S a i n t - N i c o l a s , o ù c o m m a n d a i e n t R o c h a m b e a u et le g é n é r a l L o u i s . d e X o a i l l e s . » — Voir a u s s i : La Question du Mâle Saint-Nicolas, par Joseph Justin. Paris, 1893, br. in-8. ( 2 4 ) O n é c r i t ici ce nom c o m m e il se prononçait p r e s q u e partout. ( 2 3 ) E t i e n n e F r a n ç o i s , duc de C h o i s e u l , célèbre h o m m e d'Etat, né e n 1 7 1 9 , m o r t e n 1783. ( 2 6 ) V o i r , s u r cette question qui d o n n a lieu à d e s difficultés entre l e s h é r i t i e r s d e C h o i s e u l et le D o m a i n e , l'Evénement du 2 J u i l l e t 1887. ( 2 7 ) Mémoire pour servir d'instruction à celuy qui voudra bien prendre la peine de faire un dessein de jardin à la ferme de Ribecourt, 3 pages in-4. ( 2 8 ) E n 1789, il y avait en F r a n c e d i x - h u i t a r c h e v ê q u e s dont l a c i r c o n s c r i p t i o n représentait a s s e z bien celle des p r o v i n c e s r o m a i n e s d e l a G a u l e : Ain;, A i x , A l b i , A r l e s , A u c h , B e s a n ç o n , B o r d e a u x . B o u r g e s , C a m b r a i , Embrun, Lyon, Narbonne, Reims, Rouen, Sens. T o u l o u s e , T o u r s et V i e n n e . (29) L ' E c o l â t r e était u n professeur de t h é o l o g i e et d'histoire a t t a ché à une c a t h é d r a l e ; et e n c o r e un c h a n o i n e p r é b e n d i e r q u i e n s e i ­ g n a i t g r a t u i t e m e n t la p h i l o s o p h i e et les humunités a s e s confrères f t a u x é c o l i e r s i n d i g e n t s . Aujourd'hui c'est un c h a n o i n e charge de l ' i n s p e c t i o n d e s é c o l e s du d i o c è s e (Larousse). L ' E c o l â t r i e , dit l'abbé P r o m p s a u l t , n'a été c o n s e r v é e en France q u e d a n s l e s c h a p i t r e s d'Arras, de C h â l o n s et d ' O r l é a n s . Cependant e l l e y est e x e r c é e p r e s q u e partout s o u s d'autres n o m s . ( 3 0 ) J ' i g n o r e la s i t u a t i o n de ce fiet. 11 y a d a n s l ' a r r o n d i s s e m e n t du M e a u x , c a n t o n de La F e r t é - s o u s - J o u a r r e , u n e petite c o m m u n e de Sainte-Aulde S e i g n e u r i e du m o n a s t è r e de S a i n t - R e u i l , p r è s la Forte, m a i s q u i n e se rattache e n rien a u n o m d e l ' a r c h i t e c t e . A E t i o l l e s , près S o i s y , o ù il est m o r t , il y a a u s s i l e c h â t e a u d e s Hauldres, m a i s ce n o m est é g a l e m e n t s a n s intérêt pour nous.


— 176 — (31) Je ne trouve a u c u n e indication b i o g r a p h i q u e sur cet abbé P o m m y e r , qui fut C o n s e i l l e r a u P a r l e m e n t . V . p. 155. (32) A u d o s : « A Monsieur Monsieur F r a n c , à N a n t e s . » (33) T o u s ces actes et c e u x d e s a n n é e s s u i v a n t e s sont s i g n é s par l u i : Lefranc De Saint-Haulde. (34) J'ai fait i n s é r e r , en 1890, d a n s l e s nos 12, 13 et 14 du Jourr.al La Paix d'Haïti, u n e n o t e pour p r i e r l e s p e r s o n n e s qui auraient d e s r e n s e i g n e m e n t s sur l'architecte Lefranc de S a i n t - H a u l d e et sur l e s t r a v a u x de distribution des e a u x de la Grande R i v i è r e du Culd e - s a c , d e v o u l o i r b i e n m e l e s c o m m u n i q u e r . Cette note m'a v a l u l a v i s i t e , un p e u m y s t é r i e u s e , d'un haïtien fixé à P a r i s , et une lettre, datée de Saint-Marc, le 2 j u i n de cette m ô m e année, par l a q u e l l e on m e d o n n a i t q u e l q u e s r e n s e i g n e m e n t s sur la d e s c e n ­ d a n c e de l'architecte fixée en H a ï t i . (35) Description de la partie française de l'Ile de Saint-Domingue. Philadelphie, 1797. Je p o s s è d e les Mémoires, 2 vol. i n - 4 , manus­ crits et i m p r i m é s , des p r o c é s p l a i d e s par Moreau de St-Méry, pen­ dant s o n séjour au Cap, o ù il fut a v o c a t , p u i s conseiller (1780 à 1783), p r è s le C o n s e i l s u p é r i e u r . Ce C o n s e i l créé par èdit de juin 1701, fut s u p p r i m é par édit de j a n v i e r 1787 et réuni à celui de Portau-Prince p o u r ne former qu'une s e u l e Cour s o u s le titre de Conseil supérieur d e S a i n t - D o m i n g u e . — V o i r ci-après à la Bibliographie. (36) M a r é c h a l des Camps et a r m é e s (Almanach Royal).

du

R o i , à Port-au-Prince

(37) 11 y a deux localités du n o m d e Charroux d a n s l'Allier, l'autre d a n s l a V i e n n e .

en F r a n c e ; l'une

(38) Maître P h i l i p p e G u i l l a u m e le F r a n c , h a b i t a n t au P o r t - a u P n n c e . Il fut t é m o i n en 1714, a u s e c o n d m a r i a g e de l'architecte. (39) Cette lettre n e fut reçue à S a i n t - D o m i n g u e que le 16 janvier 177o, — On y lit e n p o s t - s c r i p t u m : « M o n a d r e s s e à M. Bertholet au b u r e a u g é n é r a l de l'école royale m i l i t a i r e , rue Montmartre, pour remettre à M. Encrenat. » — E n c r e n a t , qui devait être à p e u près u n illettré, à en j u g e r par s a s i g n a t u r e , a s i g n é s e u l e m e n t cette im­ portante lettre qui pourrait b i e n a v o i r été écrite par Bertholet. Quel est ce Bertholet ? U n m e m b r e p e u t - ê t r e de la famille d u cé­ lèbre c h i m i s t e fondateur de l'Ecole p o l y t e c h n i q u e , C.-L. Bertholet (1748-1822). (40) Ceci précise bien l'état o ù Lefranc de S a i n t - H a u l d e avait l a i s s é s e s aflaires en F r a n c e . (41) On lit en m a r g e : « Le Manuel des Dames de Charité, o u for­ m u l e s de m é d i c a m e n t s faciles à préparer. 5e é d i t i o n . Chez Debure, libraire, à P a r i s , 1765. V o i r a u s s i le l i v r e de M. T i s s o t . »


— 177 — V e r s c e t t e é p o q u e parurent l e s o u v r a g e s s u i v a n t s : Histoire des maladies de Saint-Domingue, par Desportes Paris, 1 7 7 1 , 3 v o l . in-12; Observations sur les maladies des nègres, leurs causes et leurs traitemens, p a r d'Azille, 1777; Essai sur les maladies des Européens dans les pays chauds, par J. Lind, 1785 ; Observations sur les lois concernant la médecine et la chirurgie dans la colonie de Saint-Domingue. Cap Français, 1 7 9 1 . — « C'est u n e m a n i e g é n é r a l e de tous l e s n è g r e s , — d i t M o r e a u d e Saint-Méry, d'aimer à s e droguer. I l e s t m ê m e r e ç u p a r m i e u x qu'un médecin e s t s a n s talent lorsqu'il n e d o n n e p a s b e a u c o u p d e r e m è d e s A u s s i , e n r e ç o i v e n t - i l s de p l u s i e u r s m a i n s , p a r c e q u e s e l o n e u x l a médecine d e s b l a n c s fait périr le p l u s g r a n d n o m b r e p a r l a diète. » I l d i s a i t e n c o r e qu'une particularité d u C u l - d e - S a e , était l'usage g é n é r a l e t l ' é n o r m e c o n s o m m a t i o n qu'on faisait d e s p o u d r e s d ' A i l h a u d , q u ' o n regardait comme u n e espèce de spécifique. M o r e a u a j o u t e qu'en 175!, u n e épizootie fit périr 2,000 c h e v a u x d a n s l a p l a i n e d u Cul de S a c ; aucun d e s autres a n i m a u x n'en fut a t t e i n t . L a m o r v e parut aussi p l u s i e u r s fois d a n s cette région ; e t en m a l a d i e v e r m i n e u s e y fit périr b e a u c o u p d ' a n i m a u x . u

n

e

( 4 2 ) C e l t e lettre, c o m m e toutes c e l l e s que j'ai déjà c i t é e s , l a i s s e à d é s i r e r s o u s l e rapport de l'orthographe. E n ce t e m p s - l à , o n n e s ' i n q u i é t a i t n i do l a p o n c t u a t i o n , ni d e l'accentuation, ni de d i f f é ­ r e n t e s r è g l e s s a n s l e s q u e l l e s c e p e n d a n t il n'est p a s d e rédaction p o s s i b l e . O n écrivait à p e u p r è s c o m m e o n parlait. (43) A u j o u r d ' h u i l a traversée e s t d e o n z e o u douze j o u r s et il y a u n d é p a r t à peu près chaque semaine. (44) A v a n t l a R é v o l u t i o n , il y a v a i t trois curés à Q u i b o u , pour les c u r e s d u B o i s H é r o n , d u Val et l a cure e n Gislot. T o u s trois é m i g r è r e n t D e p u i s l o r s , cette p a r o i s s e e s t a d m i n i s t r é e par un seul e m i g r e t i o n qui a u c o m m e n c e m e n t d u siècle était de 2000 habitants a beaucoup diminué depuis 1870 ; elle n'est plus que de 1265. C'était une erreur. Le fils de l'architecte n'est mort qu'en 1 8 4 3 , à l ' â g e d e 85 a n s . (46) J o s e p h P a s l a t était vicaire de Q u i b o u , dès 1758, p o u r l a p o r tion du v a l . Le 2 3 m a i 1760, i l d e v i n t curé de Quibou, pour l a p o r n d u V a l , p a r l a résignation de J o s e p h F o s s a r d , curé, q u i s e r é s e r v a l e l o g e m e n t a u p r e s b y t è r e , d e u x j a r d i n s p l a n t é s de p o m miers e t 250 l i v r e s d e rente. A c a u s e d e s e s t a l e n t s et de sa v e r t u é p r o u v é e , i l était e n m ê m e t e m p s d o y e n rural d u D o y e n n é d e S a i n t - L o . E n f a n t d u p a y s il m o u r u t à Quibou, o ù l'on v o i t encore s a t o m b e d a n s l e cimetière c o m m u n a l . E n v o i c i l'inscription f u n é raire : « C y g i s t Me J o s e p h Paslat, prêtre d e Q u i b o u , natif dudit t


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178

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l i e u , d o y e n de S a i n t - L ô , â g é de 47 a n s , mort le 13 mai 1779. Le p u b l i c le p l e u r e , l a religion le regrette. P r i e z D i e u pour le repos de s o n â m e . » (47) N o t r e architecte, qui avait o u b l i é l'orthographe du nom de s o n v i l l a g e , a m i s Qibou et Quiboul au lieu de Quibou. (48) L e Cardinal de R i c h e l i e u avait établi d e s Lieutenants du Roy dans t o u t e s l e s p l a c e s . (49) I l parut en cette a n n é e u n o u v r a g e intitulé : Considérations sur l'état présent de la Colonie Française de Saint-Domingue. Paris. Prault, 1777, 2 vol. i n - 8 . Cet o u v r a g e fut s u p p r i m é par Arrêt d u C o n s e i l d'Etat, du 17 dé­ cembre 1777, c o m m e renfermant d e s i m p u t a t i o n s g r a v e s contraires à l a vérité, c o m m e attaquant l'administration d e s Chefs de S a i n t D o m i n g u e , et, n o t a m m e n t , l a m é m o i r e du comte d'Ennery. G o u ­ verneur, qui avait « mérité l'estime et les regrets » de tous les habitants. On y attaquait aussi l'Intendant de V a i v r e , alors en exercice, qui r e m p l i s s a i t s e s fonctions avec •4 a u t a n t de zèle que de probité. » (50 11 y a en France des familles d u n o m de Seignoret, Signoret et Seigneuret.— En 1747. S e i g n o r e t , a v o c a t a u x C o n s e i l s du roi, d e m e u r a i t rue N e u v e - S a i n t - R o c h , v i s - à - v i s l a rue d'Argenteuil. Voir : Les Avocats aux Conseils du Roi. Etude sur l'ancien régime judiciaire de la France, par E. Bos. Paris, 1881, in-8. — PierreMario Seignoret, fabuliste, né à B a r g e m o n ( V a n , en 1815, employé d e l a C a i s s e des Dépôts et C o n s i g n a t i o n s , est m o r t e n 1872. — Un n o m m é Seignoret figure pour u n e s o m m e de 50 francs sur une liste de s e c o u r s accordés en 1835 a u x a n c i e n s c o l o n s de S a i n t - D o m i n g u e . (51) L e s a r c h i v e s a n c i e n n e s de l'Ordre des A v o c a t s de Paris ont péri, en 1871, d a n s l'incendie du P a l a i s de j u s t i c e . Chargé en 1880 de rééditer le tab e a u de l'Ordre, M. A. G o s s e t , a trouvé aux A r ­ chives n a t i o n a l e s la liste des p r o v i s i o n s d'office d é l i v r é e s aux A v o ­ cats a u x Conseils du roi, ce qui lui a p e r m i s d e r e c o n s t i t u e r depuis 1738, la série des titulaires n o m m é s . D a n s cette série figure Antoine-Marie S e i g n o r e t , précédemment' avocat au P a r l e m e n t . I l reçut des lettres de p r o v i s i o n d'office d'A­ vocat a u x Conseils du roi à l a date d u 2 j u i n 1745, à titre de s u c ­ c e s s e u r de Cyprien Benezet, avocat a u x C o n s e i l s d e p u i s 1714 II eut c o m m e s u c c e s s e u r Claude Collin, dont l e s lettres de provision portent la date d u l 14 mai 1783. M a l g r é s e s trente-huit a n s d ' e x e r ­ cice, S e i g n o r e t n'a rempli a u c u u e fonction d a n s l'Ordre, à titre de Greffier (aujourd'hui le secrétaire) o u de S y n d i c . Le D o y e n , les quatre S y n d i c s et le Greffier étaient n o m m é s par le C h a n c e l i e r , sur u n e liste des c a n d i d a t s é l u s par l'Ordre. Ce fait doit faire p r é s u m e r


— 179 — q u e S e i g n o r e t n'était pas bien v u de ses confrères, ou qu'il était m a l e n C o u r : l e s élections étaient g é n é r a l e m e n t , p o u r ne p a s dire t o u j o u r s , ratifiées par le Chancelier (Communication de Me A. Gosset.) ( 5 2 ) S u i v a n t M o r e a u d e Saint-Méry, c'est l'expression dont o n s e s e r v a i t l e p l u s communément pour désigner le Gouverneur Général d e l a C o l o n i e ; on l'appelait m ê m e de ce nom en lui p a r l a n t . ( 5 3 ) C e t t e appellation nous fait s o u v e n i r que De La N o u e a dit d a n s s e s Discouru politiques et militaires (édition de 1391, p. 787) : « L a C o u r e t P a r i s , sont les doux g r a n d s L u m i n a i r e s de l a F r a n c e , l ' u n e r e p r é s e n t a n t le Soleil et l'autre la Lune. S u j e t s toutefois à s'éclipser. » ( 5 4 ) a M o n s e i g n e u r Seignoret, chez M. s o n père, a v o c a t au Conseil, à Paris. » (55) V o i l à u n b i e n gros mot ! ( 0 6 ) M . et Mme Quéret de Méry étaient de r i c h e s c o m m e r ç a n t s d e P a r i s r e t i r é s des affaires. Seignoret dit d'eux d a n s u n e lettre : « Leur m a i s o n e s t t r è s bien montée ; et c e s h o n n ê t e s g e n s j o u i s s e n t de l a p l u s g r a n d e a i s a n c e . Il n'est pas d'honnêteté q u e par r a p p o r t a v o u s , j e n ' e n r e ç o i v e . » Ils restèrent l e s a m i s d é v o u é s de Lefranc de S a i n t - H a u l d e qui mourut d a n s l e u r m a i s o n de S o i s y - s o u s - E t i o l l e s . ( 5 7 ) V o i r c i - a p r è s les congés du j e u n e militaire. ( 5 8 ) L e t t r e a d r e s s é e le 15 mars 1777, « à Monsieur L e f r a n c de S a i n t — H a u l d e , en s a maison au Port-au-Prince ». ( 5 9 ) L e t t r e du 9 mai 1 7 7 7 . — U n e note de l'architecte L e f r a n c s e m b l e i n d i q u e r que le Lieutenant de Roi Coutard était intéressé d a n s l e s . t r a v a u x de distribution des e a u x de la G r a n d e - R i v i è r e d u Cul-de-Sac. . (60) S e i g n o r e t dit d a n s cette lettre, à propos de d i v e r s e s affaires que l ' a r c h i t e c t e lui avait confiées : « Pardonnez moi m o n p e u de é u s s i t e : m e s facultés sont si bornées, m o n père ne v o u l a n t rien f a i r e p o u r m o i . M o n s i e u r votre fils a v u ma p o s i t i o n vis-à-vis de m o n p è r e ; il a p u v o u s en dire q u e l q u e c h o s e » ( 6 1 ) C e t a c t e n e s'est pas retrouvé à S a i n t - D o m i n g u e et à P a r i s . L e s a r c h i v e s de l'Etat, e u H a ï t i , n'ont guère de d o c u m e n t s a n - c i e n s ; m a i s on en trouve u n certain n o m b r e à l'Evêché de P o r t a u - P r i n c e . — La R é p u b l i q u e d'Haïti ayant c o n q u i s s o n i n d é p e n ­ d a n c e e n 1804, l e s a r c h i v e s de S a i n t - D o m i n g u e furent e x p é d i é e s à V e r s a i l l e s , et de là transportées à P a r i s , au d é p a r t e m e n t de l a M a r i n e e t d e s C o l o n i e s , où n o u s a v o n s p u l e s consulter en partie E n 1 7 7 7 , il n'y avait p a s d ' E v ê q u e à S a i n t - D o m i n g u e , la c o l o n i e ne r e l e v a i t d'aucun d i o c è s e . C h a c u n des d e u x o r d r e s r e l i g i e u x


— 180 — c h a r g é s de l a d e s s e r v i r avait u n Préfet apostolique qui tenait l e s p o u v o i r s a p o s t o l i q u e s i m m é d i a t e m e n t du S a i n t - S i è g e , et les exer­ çait e n v e r t u de lettres d'attache d u roi (Archives du Ministère des Affaires Etrangères). L'Evêque actuel e s t u n ancien Curé de SaintA n t o i n e (Isère). E n 1773, o n a v a i t refusé l e s S a c r e m e n t s à u n e Comédienne [Archives du Ministère de la Marine). E n 1785, F r a n ç o i s de N e u f c h à t e a u , C o n s e i l l e r au Cap, fit rendre u n arrêt s u r les s é p u l t u r e s d a n s les é g l i s e s et l e s cimetières. (62) Je la r e p r o d u i s en orthographe m o d e r n e . (63) V i l l a g e v o i s i n de Q u i b o u . (64) Le b r a v e curé de Q u i b o u , flatté des petits cadeaux qu'on lui faisait, a p p e l a i t déjà s o n c a m a r a d e Lefranc, M o n s i e u r de S u i n t Baulde. (65) E n m ê m e t e m p s partirent des l e t t r e s p o u r M. et M Méry, et l a Supérieure de l a V i s i t a t i o n de Meaux. (66) Le capitaine était chargé de p a y e r t o u s l e s frais de v o y a g e ; et o n r e c o m m a n d a i t à M F l o u r y de n e p a s se préoccuper de s e s a j u s t e m e n t s , puisqu'elle devait trouver intacte à l'arrivée la garderobe de s a s œ u r . (67) Lettre d u 15 m a i 1778, a d r e s s é e à Lefranc de S a i n t - H a u l d e , à la G r a n d e - R i v i è r e , e n p l a i n e . — D e s s a i n t était cousin de l a b e l l e s œ u r de l'architecte. Moreau de S a i n t - M é r y parlant des f e m m e s d u p a y s , dit ceci : « D a n s toute l'étendue de Tiburon et de D a l m a r i e , Larnage n e trouva en 1742 que quatre f e m m e s m a r i é e s , et s e u l e m e n t trois filles à m a r i e r , d'où ce Gouverneur général c o n c l u a i t qu'il fallait créer d a n s la Colonie des m o y e n s d'éducation, afin d'y former et d'v r e ­ tenir l e s créoles, qu'il trouvait qu'on é p o u s a i t a v e c déjà trop d'em­ pressement en France. » E n u n autre endroit de son livre il a r a p p o r t é ce peu galant p r o ­ v e r b e local : « A m i b e de f e m m e s , de l'eau d a n s un panier » m e

11e

(68) Ici encore il parle de s a s e c o n d e f e m m e , m a i s j a m a i s de la première. J

(69) Ce b r o u i l l o n , tout entier de l a m a i n de l'architecte, fait p e i n e à v o i r , tant 1 orthographe y e s t défigurée. Il écrit beigné pour b a i ­ gne, sanc pour sang, époux p o u r épouse, voiere pour voir, manoiere p o u r manoir, etc. (70) Lettre à l'un de s e s c r é a n c i e r s de P a r i s , datée de R i v i è r e d u Cul-de-Sac, le 15 juin 1777. I l dit qu'il a d é l é g a t i o n particulière à c h a c u n d'eux p o u r être p a y é ; o n t accru l e s difficultés en p l a i d a n t l e s u n s contre

la G r a n d e donné u n e m a i s qu'ils les autres.


— 181 — «à q u i s e r a i t le p r e m i e r payé », q u o i q u ' i l s d e v a i e n t l'être tous, au f u r e t à m e s u r e d e s rentrées. Par cette lettre, il a n n o n ç a i t qu'il e s p é r a i t a l l e r en France d a n s dix-huit m o i s , et qu'il prendrait a l o r s c o n n a i s s a n c e de cette affaire (71 ) L e m é d e c i n de l'entreprise était un n o m m é A n g l a d e . a u q u e l L e f r a n c d e S a i n t - H a u l d e allouait 1,200 l i v r e s par an p o u r visiter Les o g r e s . N o u s a v o n s s o n r è g l e m e n t de compte du 1er s e p t e m b r e 1 7 7 8 a u 1er avril 1779. ( 7 2 ) « vous m'obligerez d'autant p l u s , — disait Le R o v — q u e je s u i s s a n s le sol. n 20 j u i n 1779. ( 7 3 ) A c e c o m p t e figurent c e s d é p e n s e s : 1.055 l i v . a u x r e l i g i e u s e s d e M e a u x ; 63 l i v . p o u r d e u x paires de b o t t e s ; 60 l i v r e s p o u r 12 p a i r e s d e s o u l i e r s ; 16 liv, pour é v e n t a i l s ; 33 liv. p o u r frais d ' e m ­ b a l l a g e e t d'expédition du portrait (de Lefranc d e S a i n t - H a u l d e , s a n s d o u t e ) ; 1 liv. p o u r un r e s s o u v e n i r — Ce compte fut acquitté p a r S e i g n o r e t l e 19 d é c e m b r e 1779. ( 7 4 ) D a t é e d u C u l - d e - S a c , le 3 avril 1779. ( 7 5 ) P a r m i ces d o c u m e n t s se trouve aussi le Plan d'une Citadelle e n t o u r é e d'un cours d'eau, joli d e s s i n colorié de 55 cent. H., s u r 7 6 c e n t . L . Il est probable q u e Lefranc de S a i n t - H a u l d e , p e n d a n t l e s d e r n i è r e s a n n é e s de s o n séjour à. S a i n t - D o m i n g u e , avait p r i s p a r t â c e s t r a v a u x de défense. ( 7 6 ) L e C a p (Cap F r a n ç a i s , Cap Haïtien), chef-lieu de la province d u n o r d . Cette v i l l e , m i e u x bâtie q u e P o r t - a u - P r i n c e , d e v i n t e n 1 7 1 1 l e chef-lieu de la Colonie F r a n ç a i s e de S a i n t - D o m i n g u e . S e s a r s e n a u x o n t été c o n s t r u i t s s o u s L o u i s X I V , d o n t on voit e n c o r e l e s i n i t i a l e s g r a v é e s s u r les p o r t e s et l e s c r o i s é e s . ( L a r o u s s e . ) L e G o u v e r n e m e n t de L o u i s X I V tenait à ce q u e l e s a r m e s d u Roi figurassent a u frontispice de tous les b â t i m e n t s qui a p p a r t e ­ n a i e n t à l a F r a n c e d a n s l e s p a y s é t r a n g e r s . (La première institution de l'Académie de France à Mome, par M. A u g u s t e C a s t a n . 1 8 8 9 , p. 8 7 ) . ( 7 7 ) Inventaire analytique des archives du Ministère des Affaires Etrangères. Papiers de Barthélémy, Ambassadeur de France en Suisse, 1792-1797. P u b l i é s par M. J e a n K a u l e k . P a r i s , 1SS6, t o m e I, PP. 14 et 15, en notes ( 7 8 ) Cabrouet. Grande brouette ou charrette à d e u x r o u e s , qu'on e m p l o i e d a n s l e s c o l o n i e s , p o u r transporter les c a n n e s à s u c r e et a u t r e s m a t i è r e s d e s s u c r e r i e s . — Cabrouétier. Conducteur d'un c a ­ brouet. (Larousse.) ( 7 9 ) Cette lettre fut reçue au P o r t - a u - P r i n c e , le 30 j a n v i e r 1781, p a r l ' i n t e r m é d i a i r e de R a v e a u x d'Argillière.


— 182 — (80) Lettre autographe, datée de la Grande-Rivière du C u l de-Sac. (81) I l s'agit ici de A n t o i n e - J o s e p h E u l a l i e , comte d'Antichamp, n é en 1744, mort en 1822, qui servit en A m é r i q u e s o u s Lafayette, fut c o m m a n d a n t en s e c o n d de l a partie s u d de Saint-Domingue, et qui, après avoir, s o u s l a R é v o l u t i o n , pris d u service dans l'armée de Condé, tut n o m m é g o u v e r n e u r d u château de Saint-Germain. (82) A cette date, il y avait au P o r t - a u - P r i n c e u n Procureur du nom d e Le F r a n c ; c'était, s a n s doute, l e compatriote qui s'était abouché autrefois avec l'architecte. (811) Voir s o n acte de d é c è s . (84) Ce fait est ignoré aujourd'hui à Q u i b o u . (85) V o i r : Histoire, des aventuriers flibustiers qui se sont signalés dans les Indes, contenant ce qu'ils y ont fait de remarquable, avec la vie, les mœurs et les coutumes des boucaniers,par Oexmelin .Lyon, 1774, 4 tomes in-12. (86) A r c h i v e s du Ministère d e s Affaires é t r a n g è r e s . (87) Mémoire sur les eaux qui avoisinenl le Port-au-Prince, pour servir à dresser le projet d'y conduire un volume suffisant pour tous les besoins en général de la ville, par de Moulçeau. Port-au-Prince, le 24 m a r s 1774. En 1774 et 1775, M M . d e V a l l i è r e , de R e y n a u d et d'Ennery étaient Gouverneurs Généraux et de Montarcher et de V a i v r è , Intendants. (88) T o m e I I , p p . 271 à 276. (89) On peut consulter sur cette é p o q u e l'intéressant opuscule que M. H . Castanet a publié s o u s le titre de -. L'Ile de Saint-Domingue au dix-huitième siècle. Nantes, 1884, b r in-8 Voir aussi • Notes sur Saint-Domingue, tirées des papiers d'un armateur du Bâvre, par Ch. B r é a r d . Rouen, 1893, i n - 4 de 23 p a g e s . (90) Ce texte est d a n s u n fort joli e n c a d r e m e n t gravé, qui diffère pour l e Congé L u m i t é et l e Congé m i l i t a i r e . (91) O n r e m a r q u e r a qu'il est q u e s t i o n de d e n t e l l e s d a n s l'apport du futur; c'étaient, s a n s doute, l e s d e n t e l l e s de s a m è r e , dont la seconde femme de s o n père avait ou l'usage.

e

ERRATUM.—Page 132, 3 l i g n e , il faut :

Saint-Pierre-des-Arcis.


LE

NORD

DE LA FRANCE

à Saint-Domingue.

Le c l i m a t d'Haïti, m e u r t r i e r pour les E u r o p é e n s , ne paraît p a s avoir attiré beaucoup d e n o s compa­ triotes, au moins notables ; c a r c'est à peine si l'on trouve encore quelques traces de l'un d'eux, Michel de Calais, qui fut envoyé là p o u r é v a n g é l i s e r les Caraïbes et la population mêlée des villes. Michel de Calais, Prêtre, Capucin indigne, d e s ­ servit l'église de la paroisse d e la Petite-Anse, a u quartier d u C a p . Moreau de Saint-Méry, d a n s sa Description de la partie françoise de Saint-Domingue (1797. I, 283), analyse le procès-verbal de visite q u i fut fait de cette église, en assez m a u v a i s état, l e 3 m a i 1688, et au b a s duquel le capucin Michel mit son attestation. Ce procès-verbal est r e ­ laté e n entier à la p a g e 593 d u même tome. On s a i t q u e les premiers F r a n ç a i s qui de l'île de la T o r t u e allèrent se fixer d a n s la plaine du Cap, n'étaient qu'au n o m b r e de douze ; d'autres les rejoignirent en c e t e n d r o i t et formèrent avec eux la p r e m i è r e paroisse de l ' î l e , sous l'invocation d u p r i n c e d e s A p ô t r e s , p a t r o n de P i e r r e Lelong, l'un des douze b o u c a n i e r s .


-

184 —

En 1788, un n a v i r e d u n k e r q u o i s périt corps et biens par u n nauf rage sur les îles Caïques. Dans la partie Sud de l'Ile, est la paroisse d'Acquin, dont dépendent sept c a n t o n s ; l'un de ces cantons est appelé les Flamands, et possède une baie qui est nécessairement dénommée la haie des Flamands. C'était au temps de Moreau de Saint-Méry, un pays désolé, d é g a r n i d'habitations importantes, et qui manquait souvent d'eau. Cet historien, recherchant l'origine du nom s'est b o r n é à dire (II, 621) : « On trouve des Flamands s u r la côte de cette paroisse, et c'est sans doute de ces oiseaux que la baie qui porte leur nom l'a e m p r u n t é . » Et il ajoute : «. On pêche la sardine au Cayeux sur la côte d'Acquin, depuis les côtes de F e r j u s q u ' a u x F l a m a n d s . Le Petit-Salé, le mouillage à Fouquet, la Calebassière, les Grands-Halliers et les Flamands sont les lieux où elle abonde le p l u s . Les crabes sont aussi une ressource pour les n è g r e s des cantons des Grands-Halliers et des F l a m a n d s . . . . » Cette baie des F l a m a n d s (1) qui a 220 toises d'ou­ v e r t u r e et 2,400 toises d'enfoncement, se dirige à peu près du S.-O. 1/4 S., au N . - E . 1/4 N . Une bat­ terie mise s u r la pointe à Poulain la protégeait j a d i s . (1) Il y a l a Fosse des Flamands, à B e l l e v i l l e - P a r i s ; le port des Flamands, à Cherbourg, etc. — P r è s d ' E s p a l i o n ( A v e y r o n ) une fontaine est a p p e l é e le fond des Picards.


— 185 — U n des plus importants projets d'amélioration qui a i e n t été conçus et en partie exécutés en Haïti, a u s i è c l e d e r n i e r , consiste d a n s l'arrosement de la P l a i n e de l'Artibonite. D è s 1 7 4 4 , on s'était mis à l ' œ u v r e , a u moins p a r d e s é t u d e s ; enfin, en 1749, Joseph Ricord, capitaine de p o r t , d r e s s a le plan de cet a r r o s e m e n t tel qu'il le comprenait, et bientôt entreprit les t r a v a u x . Mais en 1 7 5 0 , de g r a v e s difficultés qui s u r g i r e n t entre les g o u v e r n e u r s des provinces firent s u s p e n d r e les t r a ­ vauxD a n s c e m o m e n t là, de Verville, b r i g a d i e r des a r m é e s d u r o i , étant a r r i v é à Saint-Domingue en q u a l i t é d e Directeur g é n é r a l des fortifications, fut e n v o y é à l'Artibonite p a r les Administrateurs p o u r r é g l e r les différends entre Ricord et les habitants ; mais à son tour, il rencontra des difficultés, les h a ­ bitants é t a n t d'opinions contraires s u r ce que l'on d e v a i t f a i r e , et ce n e fut q u ' à g r a n d peine qu'il p a r ­ vint à faire résilier le contrat existant. De V e r v i l l e avait été longtemps I n g é n i e u r à l'IleR o y a l e , puis Directeur à Lille ; il avait parcouru toute la F l a n d r e et toute la Hollande, et avait m ê m e eu part t r a v a u x h y d r a u l i q u e s de Bélidor. C'était d o n c u n I n g é n i e u r distingué. E n b o n a d m i ­ nistrateur il tenta de satisfaire tout le m o n d e , e n proposant u n plan d ' a r r o s e m e n t qui comprenait l'Ara

u

x

13


— 186 — tibonite et les Gonaïves. Mais « cet officier d'un rare m é r i t e », dit Moreau de Saint-Méry, mourut peu a p r è s , et les habitants t r o u v è r e n t ses idées chimé­ riques. Il voulait en effet, d'écluses à mi-écore p a r le moyen de ces des ponts construits

a s s u r e r l'arrosement au moyen de c h a q u e côté ; la navigation vannes ; les communications par sur ces piles.

P u i s q u e ces détails n o u s rappellent la Flandre, citons encore cette anecdote toujours empruntée à Moreau de Saint-Méry (1-59) : « P o u r u n e négresse, u n e chemise, une j u p e et puis u n mouchoir qui couvre la tête, voilà le vêtement o r d i n a i r e . Mais de combien de n u a n c e s il est susceptible, depuis là g r o s s e toile de Vitré en B r e t a g n e , le Porin et le Ginga, jusqu'à la toile de F l a n d r e et labaptiste !...» P l u s i e u r s des Mémoires de Moreau de Saint-Méry, sortis de l'Imprimerie royale du Cap, et qui vont ê t r e analysés, sont relatifs à un p r o c è s que Pierre Chapuset, sang mêle, .mais voulant se faire passer pour blanc, soutenait contre divers habitants du p a y s , qui lui contestaient toute p a r e n t é avec la fa­ mille noble des Chapuizet de Guériné, originaires d'Issoudun, en Berry, qui eux aussi, avaient des intérêts dans l'Ile de S a i n t - D o m i n g u e . L'un de ces Mémoires a p o u r titre : Mémoire pour les sieurs Robillard, Habitant à la Plaine-du-Nord;


— 187 — M a u z a i s i n , Habitant à la Petite-Anse; Bayovn de Lïbertat;... contrete nommé Pierre Chapuzet... Imp. roy. du Cap, 1779, 70 p a g . in-4. O n y ut. à la p a g e 6 3 , u n extrait des minutes d e M D u r o c h e r , n o t a i r e au Cap, constatant que le 2 4 m a r s 1709, le sieur Jean Lacorne, natif de la ville de Mont-Didier en Picardie, avait épousé Marie T h é r è s e H é b e r t , fille de feu R e n é H é b e r t et de vivante M a r i e P r a n t o u t , veuve Hébert, Habitante, d e m e u r a n t à Limonade. e

P a r c e t acte la dite veuve H é b e r t s'engageait à n o u r r i r , l o g e r , coucher et e n t r e t e n i r les futurs époux et à l e u r p a y e r chaque a n n é e la s o m m e de 200 livres en a r g e n t . D e s o n côté, J e a n Lacorne promettait de g é r e r i ' H a b i t a t i o n de ladite Dame H é b e r t , sa b e l l e - m è r e , et d e f a i r e travailler les N è g r e s , « tout comme s'il etoit e n q u a l i t é de C o m m a n d e u r . » N o t r e p i c a r d J e a n Lacorne m o u r u t j e u n e ; c a r n o u s v o y o n s p a r u n a u t r e acte que Marie T h é r è s e H é b e r t , s a v e u v e , se r e m a r i a , le 26 avril 1719, avec Louis Briant. E l l e d é c é d a à son tour, au T r o u , le 7 j u i n 1732, à l'âge d e 45 ans. L ' a c t e de dècès la désigne comme Mulâtresse Libre; c ' e s t , en partie, la base du p r o c è s . Il se r é ­ s u m e e n effet, en les considérations suivantes que n o u s t i r o n s d ' u n a u t r e Mémoire.


— 188 — Une N é g r e s s e n o m m é e Marie, épousa à SaintChristophe, u n Blanc n o m m é J a c q u e s Prentout. De ce m a r i a g e est née à Saint-Christophe une Mulâtresse nommée Marie Prentout. Cette Mulâtresse a épousé à Saint-Christophe ni Blanc n o m m é R e n é H é b e r t . De ce m a r i a g e sont nées à Saint-Christophe trois filles Q u a r t e r o n e s , savoir : Marie Chicot, Thérèse H é b e r t et Elisabeth Hébert. Thérèse Hébert s'est m a r i é e en premières noces à un Blanc n o m m é J e a n La Corne : c'est n o t r e picard. De ce m a r i a g e est née Marie Thérèse La Corne, M É T I V E , mariée à un Blanc n o m m é François Gre­ nier. Thérèse Hébert, veuve de J e a n La Corne, s'est m a r i é e en secondes noces à u n Blanc n o m m é Louis Briant. De ce second m a r i a g e sont n é s d e u x garçons Métifs qui sont les Briant, frères. Or, c'est sur cette question d'état, de Blancs ou de Métifs, que roule tout le procès ; et l'on concluait, remontant à l'origine des familles, à ce qu'il fut décidé que Marie P r e n t o u t était Indienne, et non Mulâtresse, et sa descendance « p u r e , franche et ingénue. » P r e s q u e tout un volume des Mémoires de Moreau de Saint-Méry est consacré à cette question d'étatcivil.


— 189

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N o u s voici encore à Saint-Domingue, avec les C o r n u , d e Beauvais. I l s f o n t l'objet, dans les œ u v r e s de Moreau de S a i n t - M é r y , d'un assez g r o s travail intitulé : Mémoire signifié. Pour la veuve et les héritiers Cornu, Négocians à Beauvais, représentés en cette Colonie par les Sieurs de Blanchardon et Bellot, Négocians au Cap, fondés de leur procuration. Contre Dame Marie-Marthe Sauvage, épouse du sieur Quentin Charpentier, et ledit sieur Charpentier, ci-devant Négociant au Cap. Au Cap, chez Bonnet, Imprimeur du Roi par intérim, 1774, 45 p a g . i n - 4 . Q u e n t i n Charpentier, négociant au Cap, recevait à s o n a d r e s s e toutes sortes de m a r c h a n d i s e s , les v e n ­ d a i t p a r commission, et se c h a r g e a i t d'en r e c o u v r e r le p r o d u i t . C o r n u , n é g o c i a n t à Beauvais, lui avait fait u n e n v o i d e m a r c h a n d i s e s , qu'on ne spécifie p a s ; la v e n t e e t l e s r e c o u v r e m e n t s avaient été faits ; m a i s C h a r p e n t i e r n é g l i g e a de p a y e r un reliquat qui s'éle­ v a i t à l a s o m m e de 30,000 livres, dont on prit c o n d a m n a t i o n en justice. JJ p a r a î t q u e Charpentier avait l'habitude de r é ­ g l e r t a r d i v e m e n t ses comptes, afin de tirer profit d u p l a c e m e n t des capitaux qui, en ce temps-là, à SaintD o m i n g u e , pouvaient r a p p o r t e r j u s q u ' à 15 p o u r cent. A u b e s o i n , q u a n d on le pressait t r o p , il payait u n


— 190 — intérêt de r e t a r d de 5 pour cent, et il lui restait ainsi 10 p o u r cent de bénéfice sur les capitaux dont il n'était en définitive q u e le dépositaire. E n 1765, Charpentier s'adressa aux fondés de procuration des Cornu, de B e a u v a i s , comme il s'était adressé déjà à ses autres créanciers, pour obtenir u n e surséance de p o u r s u i t e s , prétextant qu'il était e n g a g é d a n s des procès difficiles, qu'il n'avait pu réaliser encore les biens de sa femme, enfin qu'il se trouvait dans l'impossibilité de faire h o n n e u r à ses affaires, comme il le désirait. De Blanchardon et Bellot exposèrent la situation à leurs commettants, qui se relâchèrent de leurs droits, mais exigèrent que Charpentier fit trois bil­ lets à l'ordre de la veuve et des héritiers Cornu, payables à longues échéances. On ne pouvait être plus conciliant. Charpentier, — un picard peut-être aussi, — paya quelques billets, puis suspendit les payements et dans l'intervalle vendit femme.

ses biens et ceux de sa

C'est a l o r s , — 1771 — q u ' i n t e r v i n r e n t de nouveau la veuve et les héritiers C o r n u , puis les sieurs de Brissac et fils, Négociants à Saint-Quentin, et d'au­ tres créanciers de C h a r p e n t i e r r e p r é s e n t é s par le sieur de la P e r r i è r e . Charpentier p o u r mieux

dissimuler ses larcins


— 191 — a v a i t e x a g é r é les biens de sa femme, et sollicité u n e s é p a r a t i o n de biens ; mais les créanciers d e m a n ­ d a i e n t précisément qu'en raison du « concert frau­ d u l e u x » qu'ils démasquaient, la communauté fut c o n t i n u é e , afin de r e n t r e r d a n s leurs créances effec­ tives. T e l e s t l'objet du procès et du Mémoire. O u t r e les détails de p r o c é d u r e que fournit ce Mé­ m o i r e , il p r é s e n t e un intérêt exceptionnel, en raison d e l a c a u s e elle m ê m e . Le J u g e du Gap appelé à sta­ t u e r s u r la séparation, avait j u g é u n peu c o m m e les J u g e s d e Rabelais, c'est-à-dire à coups de dès ; en d ' a u t r e s t e r m e s , il avait j u g é sans lire et sans e n ­ t e n d r e ; a u s s i , les avocats c h a r g é s de défendre les i n t é r ê t s des c r é a n c i e r s demandaient-ils que la sépa­ r a t i o n p r o n o n c é e entre les sieur et dame C h a r p e n ­ t i e r , p a r s e n t e n c e du 3 octobre 1772, fut a n é a n t i e , a t t e n d u qu'elle était « informe, volontaire et frau­ duleuse. » A j o u t o n s q u e ce Mémoire, inconnu des bibliophiles p i c a r d s , et r a r e comme toutes les impressions du C a p , d u siècle d e r n i e r , n'existe probablement plus q u ' à c e seul e x e m p l a i r e . J ' a v a i s e s p é r é reconstituer la b i o g r a p h i e du P . M i c h e l d e Calais, qui est cité a u début de ce c h a ­ p i t r e . A cet effet, j e m'étais a d r e s s é a u x P P . C a p u -


— 192 — cins de la r u e de la Santé, à P a r i s , dont plusieurs m e m b r e s sont a d o n n é s a u x études historiques. Voici ce q u e m'a r é p o n d u le F . Hilaire : « Malgré m e s r e c h e r c h e s , j e n ' a i pu trouver au­ cune note sur le P. Michel de Calais. Nos archives sont assez p a u v r e s , attendu qu'elles ont été détruites p e n d a n t la Révolution. Ce que n o u s avons a été tiré p o u r la plupart des bibliothèques publiques ; et dans les extraits q u e nous p o s s é d o n s on n e parle pas de Michel de Calais. »


U N VOYAGE A St DOMINGUE en 1802.

Premier Voyage du Brigantin LA GÉRÉS, de Nantes, destiné à Saint-Domingue, armé à Nantespattes citoyens Bourcard, fils et Cie, et sous mon commandement, ayant... hommes d'Equipage, y compris un Chirurgien, ledit Battiment du port de 171 Tonneaux, tirant d'eau vide 5 pieds, et lors de son départ de Paimbœuf pour le présent Voyage, 9 pieds 8 (pouces) par devent et d'arrière. Parti de Paimbœuf le 14 thermidor an Dix de la République française, une

et indivisible.

BLLI

LOEDIG- (1).

T e l e s t l e titre qu'on lit a u p r e m i e r feuillet d ' u n J o u r n a l d e b o r d (2) q u e nous allons analyser. L e 1 4 t h e r m i d e r a n X , les vents étant de la partie d u N . - E . , petit frais, les vivres, l'équipage et les b a g a g e s d e s p a s s a g e r s étant à bord, le capitaine o r d o n n a à Joseph B e r n a r d , pilote (3), à qui il avait ( 1 ) U n e f a m i l l e Leydig a p o u r r e p r é s e n t a n t actuel d a n s l ' a r r o n ­ d i s s e m e n t de P a i m b e u f , M. Lacroix, notaire à B e r n e r i e . ( 2 ) I n - 4 . 92 feuillets, m o i n s 14-19, 32-41, 6 8 , 8 1 , 90 et l a fin. Le m i l i e u d e s p r e m i e r s feuillets a été atteint par le feu. — B i b l i o t h è q u e d ' A r r a s . M a n u s c r i t s : Fonds Victor Adviclle, N° 296. ( 3 ) C e P i l o t e appartenait s a n s doute à l a f a m i l l e Bernard, de S a i n t - N a z a i r e , q u i a e n c o r e , e n cette v i l l e , p l u s i e u r s r e p r é s e n t a n t s .


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confié la direction du bâtiment j u s q u ' à la sortie de la rivière, de se p r é p a r e r à appareiller p o u r la marée. En conséquence, à 9 h e u r e s d u matin on désafourcha. A ce moment le bâtiment tirait 9 pieds 8 pouces, « ligne la plus a v a n t a g e u s e qui lui con­ vienne pour bien n a v i g u e r . » A 3 heures, le capitaine se rendit à bord avec ses p a s s a g e r s , et vers 4 h e u r e s , on partit. A 7 heures, on mouilla près d'un bâtiment qu'on présuma sortir d'un port de France ; mais on sut vers 9 h e u r e s , par son capitaine Parois, que ce n a v i r e venait du Cap français ; qu'il se nommait Le Nécessaire et avait fait la traversée en 36 j o u r s ; que la situation politique de la Colonie s'améliorait et que la maladie qui y régnait perdait chaque j o u r des effets de sa mali­ gnité ; enfin que les quatorze p e r s o n n e s qui compo­ saient son équipage étaient bien p o r t a n t e s . Le 15, à 4 h e u r e s du matin, la Cérès appareilla de nouveau. La brise était assez fraîche; on mit toutes voiles dessus, allant contre m a r é e ; à 5 h e u r e s , les écueils étant évités, le capitaine congédia le pilote, et g o u v e r n a au S . - O . 1/4 0 . e t S . - O . En r o u t e , on n a v i g u a de c o m p a g n i e avec la cor­ vette de la République Le Colibri, commandée p a r le Lieutenant de vaisseau J o u r d a n , qui allait d a n s la Méditerranée.


— 195 — L e 16, l'équipage fut occupé toute la j o u r n é e à m e t t r e le bâtiment en état de p r e n d r e la haute m e r . P e n d a n t ce temps le capitaine releva le clocher de l ' I l e e t v e r s 3 h. 1/2, la pointe Sud de Belle-Isle, d i s ­ t a n t e d e 8 à 9 lieues. L e 1 7 , le temps est indiqué comme étant toujours b e a u . L a m e r aussi est belle ; mais u n e forte l a m e du O . - N . - O . , se fait sentir par intervalles. Le vent, frais, d i m i n u e insensiblement, au point de devenir calme p l a t . A 7 h e u r e s , le navire ne g o u v e r n e p l u s ; la g r o s s e l a m e fait t a n g u e r le n a v i r e . Alors le capitaine o r d o n n e de c a r g u e r les p e r r o q u e t s , la m i s a i n e , et d ' a m e n e r les bonnettes, ce qui maintint le n a v i r e en • c a l m e j u s q u ' à 10 h., q u ' u n vent violent le fit de n o u ­ v e a u t a n g u e r une partie de la nuit. L e 18, le vent est e x t r ê m e m e n t faible ; la g r o s s e l a m e frappe-toujours le navire. On aperçoit d e u x g r a n d s n a v i r e s à trois mâts qui semblent v o y a g e r de c o m p a g n i e , et g o u v e r n e n t vers l'O. L e 1 9 , le temps est beau, le vent faible et la m e r b e l l e . C e p e n d a n t une lame du 0 . - N . - 0 . au N . - 0 . , fait s o u v e n t t a n g u e r le n a v i r e et le fatigue. L e 20, la m e r , singulièrement houleuse, ce qui est s u r p r e n a n t d a n s u n e saison aussi belle, occasionne t o u j o u r s de violents t a n g a g e s au n a v i r e , q u i , n é a n ­ m o i n s , toutes voiles d e h o r s , continue de n a v i g u e r m i e u x q u e les deux g r a n d s t r a n s p o r t s qu'on aperçoit


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encore à quelque distance, et qui probablement vont aux Colonies. Les 21 et 22, p a r u n e assez belle mer, quoique u n peu houleuse, et p a r pluie, le navire continue sa route sans incidents. On aperçoit au point du j o u r du 2 1 , huit navires c o u r a n t diverses bordées. Le 2 3 , le mauvais temps, p a r g r a i n s qui sont de­ v e n u s venteux, oblige de diminuer de voiles pour les laisser passer. La m e r est t r è s g r o s s e , les g r a i n s sont plus violents, le navire à la fin, singulièrement fatigué, a un peu d'eau à la p o m p e . Il aurait pu en avoir d a v a n t a g e , vu la violence e x t r ê m e du t a n g a g e . Il a fallu faire de la voile, c a r depuis huit j o u r s q u e le n a v i r e est à la m e r , il n'a fait q u e « t r è s p e u d e chemin ». Le 2 1 , deux bâtiments sont en v u e . L'un d'eux, u n slop, s'approche, à p o r t é e de la voix, et dit venir du Cap français, être p a r t i depuis 42 j o u r s , se n o m m e r le Passe partout, et le capitaine I n g è r e , allant à Bordeaux et appartenant à M. G r a n s o n . Le 2 5 , le temps est r e d e v e n u beau et la m e r est belle. Dans la soirée le vent souffle p a r raffales, et la m e r s'est élevée. Le navire fatigue au point qu'on pompe u n e fois p a r c h a q u e q u a r t . Le 26, les lames ont e m b a r q u é souvent. On p o m p e deux fois p a r q u a r t . Mer toujours c o n s t a m m e n t grosse.


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[ I c i , u n e lacune.; les feuillets 14 à 19 inclus, m a n ­ quent.] 3 f r u c t i d o r . Vent e x t r ê m e m e n t faible, m e r belle. 4 . M e r belle, très forte lame se fait sentir du N.-E. P l u i e a b o n d a n t e , sans vent. 5 . V e n t beaucoup plus frais, temps parfaitement b e a u . Ce qu'il y a d'étonnant, dit le capitaine, c'est « q u e la nuit qui deveroit être plus fraîche est le m o m e n t le plus calme ; c'est u n e contrariété des plus g r a n d e q u e n o u s éprouvons depuis notre sortie de l a r i v i è r e . J'espère cependant que plus a u Sud nous a u r o n s des brises plus constantes et plus r é g u ­ lières. » IL fait e n outre, cotte intéressante r e m a r q u e : « A onze h e u r e s , vu passer en couple de bord u n a n i m a l m a r i n qui a paru d'une substance m o l l e , c o m m e celle d e s Margouille, d'une forme longue de 1 2 à 1 5 pieds, et d'une couleur r o u g e écarlate, se m o u v a n t avec lenteur. C'est le p r e m i e r animal de ce g e n r e que j'aie vu. » 6 . T e m p s parfaitement beau, m e r belle. 7 . M e r belle encore, temps des plus beaux. De m i n u i t à 4 h . du matin, a fait g o u v e r n e r à 0 . - N . - 0 . d u c o m p a s , n e voulant p a s , pendant la nuit, couper l a l a t i t u d e d e s roches à fleur d'eau qui se t r o u v e n t a u N . d e Porto-Santo et desquelles on estimait p a s s e r à l ' 0 . 1 / 4 N . - O . , à la distance de 25 lieues.


— 198 — 8. Toujours temps parfaitement beau, mer belle, et vent joli frais. A 6 h . , on gouverne de l ' 0 . 1 / 4 N-Odu c o m p a s , afin de n e p a s emporter la latitude dePortoSanto p e n d a n t la nuit. A 9 h. du soir, « u n e pièce de bois, ou corps entre deux eaux, est passé sous le n a v i r e et a occasionné u n bruit sourd comme si on eut roulé u n e b a r r i q u e et ce d a n s toute la longueur du bâtiment, sans qu'il eût éprouvé aucune résis­ tance. » 9. Temps à g r a i n s , m e r belle, vent variable. 10. Beau t e m p s , m e r parfaitement belle. Le J o u r n a l de bord contient cette observation : « J'ai éprouvé 8 minutes plus a u Sud p a r m a hauteur q u e m o n estime n e m ' a donné. J'attribue cela aux c o u r a n t s qui g é n é r a l e m e n t d a n s les p a r a g e s où nous sommes portent a u S . et S.-E. ; et p e n d a n t toute la j o u r n é e d'hier, vu p a s s e r d e s r a s d e m a r é e assez sensibles pour se faire r e m a r q u e r . On a v u depuis plusieurs jours des poissons volants et d e s bon­ nettes. » 1 1 . Mer belle, vent e x t r ê m e n t faible, qui n ' a fait qu'aller en diminuant. Le capitaine consigne cette autre observation : « Dans les d e r n i è r e s v i n g t q u a t r e h e u r e s , j ' a i encore éprouvé u n e différence d e 10 m i ­ nutes plus a u S. q u e m o n estime. Malgré que j ' e u s s e a u g m e n t é le chemin qui était p o r t é au casernet, a y a n t r e m a r q u é q u e le n a v i r e n e faisait p a s moins


— 199 — d e 2 n œ u d s 1/2 p a r h e u r e , m a i s , m a l g r é cela, il y a u n e ( a u t r e ) cause q u e cela, qui n o u s a porté au S. C ' e s t l a m ê m e que celle à laquelle j ' a t t r i b u a i s hier la d i f f é r e n c e que j ' é p r o u v a i s . » 1 2 . T e m p s parfaitement b e a u , m e r belle, v e n t p r e s q u e calme. « Chose inconcevable, dit le capi­ t a i n e , d e p u i s 28 j o u r s que n o u s sommes sortis, n o u s n ' a v o n s pu avoir plusieurs v i n g t - q u a t r e h e u r e s d e v e n t f a v o r a b l e à nous foère (faire) faire du chemin e n r o u t e directe. » 1 3 . Vent petit frais, m e r un peu houleuse, t e m p s p a r f a i t e m e n t beau, et qui a d u r é tel p e n d a n t 24 heures. 1 4 . L e navire est toujours sous toutes voiles pos­ s i b l e s . Vent faible et variable, du N . - O . à O.-N.-O. e t N . - N . - O , m e r un peu houleuse, temps t r è s b e a u . V u p l u s i e u r s Dorades et Dauphins. Vu aussi u n b r i g - a n t i n c o u r a n t à g r a n d e distance au S. ou S.-S.-E. A 8 h on voit p a s s e r , « d e r r i è r e n o u s , j o i g n a n t le n a v i r e , u n e très g r a n d e caisse emballée p r o v e n a n t s a n s d o u t e de quelque jet fait à la m ê r ou de n a v i r e n a u f r a g é . » Le J o u r n a l consigne cette observation : « J ' a i é p r o u v é u n e différence de 19' m . plus a u S. q u e j e ne l'estimais. Une e r r e u r aussi considérable n e p e u t g u è r e être attribuée q u ' a u x c o u r a n t s . » [Ici encore une lacune, qui va du 15 t i d o r inclus].

au

24

fruc


— 200 — Au 25 fructidor, le J o u r n a l de bord accuse un temps très beau, u n vent bon frais, et u n e m e r houleuse du N . - E . , ce qui occasionna de violents roulis. La hau­ teur du t h e r m o m è t r e à midi était de 81 degrés. A cette date on trouve la mention astronomique sui­ vante : « La Lune a p a r u éclipsée d a n s la partie de son bord inférieur ; elle l'était déjà de plus de deux d o i g t s . Les n u a g e s n o u s avaient empêché de la voir plus tôt. La plus g r a n d e l a r g e u r a été à 7 h. 45', et son bord supérieur se trouvait seulement trois doigts de moins, ou qu'elle le fut totalement. A 9 heures, 9 minutes 3 " , l'Eclipsé était e n t i è r e m e n t finie. Je r e g r e t t e infiniment de n'avoir pu me procurer une Connoissance des Tems de la p r é s e n t e a n n é e , car à son moyen, j ' a u r o i s pu avec certaine précision, dé­ t e r m i n e r m a longitude. » Au 26, m ê m e temps, avec roulis. Le 27, le vent souffle i n é g a l e m e n t du S.-E. au N . - E . ; le temps est à g r a i n s , m a i s la m e r est belle. La nuit, un g r a i n violent est tombé à b o r d et à dé­ chiré les p e r r o q u e t s . A p r è s , la brise s'est fixée à l'E. L e 28, temps beau, m a i s à g r a i n s , mer belle, vent petit frais, gros n u a g e s à l'horizon, qui empêchent de distinguer la route que suit u n n a v i r e qu'on aper­ çoit à g r a n d e distance. On lit en cet endroit : « Dif­ férence de l'estime à la h a u t e u r , 20' plus S. p a r cette p r e m i è r e que la h a u t e u r ne m e l'a d o n n é . J e n e sais à quoi attribuer cette différence qui est é n o r m e . »


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L e 2 9 , vent joli frais, m e r un peu houleuse, t e m p s g r o s à l'horizon, vents v a r i a n t de l'E. à E.-S.-E. et m ê m e S.-E. Le capitaine o r d o n n e de « d o n n e r ses é l a n s sur babord, afin de pouvoir compter sur l a r o u t é , vu que les d e r n i e r s 24 h e u r e s n o u s a v o n s é p r o u v é , dit-il, u n e différence conséquente ». M a l g r é c e l a , ajoute-t-il, « j ' a i encore éprouvé 6 m i n u t e s plus a u S. p a r l'estime que la h a u t e u r n e me la d o n n e . » L e 30, m ê m e situation. A 10 h e u r e s du soir, on e n t e n d i t a u t o u r du n a v i r e , les cris d'oiseaux de m e r , q u ' o n n e put découvrir ni r e c o n n a î t r e . L e s a m e d i , p r e m i e r j o u r complémentaire de l'an 10, l e t e m p s fut e x t r ê m e m e n t b r u m e u x à l'horizon, à tel p o i n t q u ' o n aperçut à-peine à la courte distance de d e u x l i e u e s , deux n a v i r e s courant au N . et au S., q u ' o n s o u p ç o n n a l'un venir des Antilles, l ' a u t r e être a m é r i c a i n . De 8 h . du matin à midi, le Ciel s'est c h a r g é d e toutes p a r t s , le vent est devenu plus vio­ l e n t , d e sorte que le temps d o n n a n t des i n q u i é t u d e s , t la m e r s'étant élevée, le capitaine fit serrer les b o n n e t t e s b a s s e s , d é g r é e r les p e r r o q u e t s , p r é p a r e r p a r t o u t p o u r soutenir u n coup de vent. Et comme on é t a i t p r è s de l'Equinoxe, il n e crut pas devoir courir p l u s a u S., à cause des îles S o m b r e r e et la N é g a d e , « q u i sont e x t r ê m e m e n t basses et aussi N o r d que P o r t o - R i c o , et ne peuvent être q u e fort d a n g e r e u s e s à a l l e r c h e r c h e r », tandis que la latitude qu'il a v a i t e

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— 202 — observée à midi lui permettait « de faire route sans autant de d a n g e r s . » A ce m o m e n t le capitaine esti­ mait être à 105 lieues de Porto-Rico et à 48 lieues au N . de la Barboule. e

Le 2 j o u r , le vent est très violent, la mer grosse, l'horizon c h a r g é de toutes p a r t s , l a vue extrêmement courte, tout annonçant beaucoup de mauvais temps. Le capitaine r e s t e toute la nuit sous la misaine à observer. Au soleil levant, l'horizon se désembrunit u n p e u . A midi le t e m p s était plus beau et la mer moins g r o s s e . e

Le 3 j o u r , le temps est toujours très g r o s et la m e r g r o s s e . Le t h e r m o m è t r e m a r q u e à midi 84 deg r è s . On rencontre une quantité assez considérable d'oiseaux pêcheurs, frégates et a u t r e s , qui entourent le n a v i r e . Puis le temps se met au fixe. e

Le 4 j o u r , le temps est r e d e v e n u « parfaitement b e a u . » On voit passer de l'herbe à t o r t u e , et des oiseaux à tête blanche, n o m m é s fous, ce qui présage la proximité de la rive. Enfin à 10 h e u r e s on vit le Cap S a m a n a , c'est-à-dire toute l'île, « n o u s restant d u S . - O . 1/4 0 . à O.-S.-O. du c o m p a s ». A midi 20 minutes, on relevait le Cap S a m a n a distant de 8 à 9 lieues. Le pavillon national est arboré au na­ vire, à la vue d'un bâtiment qu'on aperçoit au loin, et qui l u i - m ê m e met le sien, qu'on reconnaît être aussi national.


— 203 — L e 5° j o u r , la t e r r e fut e x t r ê m e m e n t c h a r g é e j u s q u ' à 8 h e u r e s du soir, et annonçait un violent g r a i n , qui vînt à 9 h e u r e s , et souffla g r a n d , puis petit f r a i s . A 4 h e u r e s du matin le t e m p s étant r e d e v e n u p a r f a i t e m e n t beau on mit toutes voiles dessus, et on c i n g l a l e l o n g de t e r r e , s a n s c h a n g e r d'un instant l a r o u t e . A 6 h e u r e s , on releva les t e r r e s ci-après : l e V i e u x Gap, dont on se trouvait à 6 lieues 1/3 de d i s t a n c e , le Gap la R o c h e , la Montagne du C a s R o u g e , le t o u t au compas. A midi, on releva le Cap l a R o c h e , s u r u n a u t r e point, la pointe des Macoury, l a M o n t a g n e des Cas-Rouge, la pointe Isabélique. e r

L e j e u d i , l V e n d é m i a i r e a n onze, à midi, on r e ­ l e v a l e s pointes E. et 0 . de la Tortue et le Morne P i c o l e t . La brise était bon frais, et le n a v i r e courait le l o n g d e la t e r r e , et en côtoyait les pointes les plus s a i l l a n t e s , à la distance de 3 à 4 lieues. A 4 h e u r e s a p r è s - m i d i , on releva la pointe de Porte-Coraille et le m i l i e u de la pointe Isabélique, au S. 1/3 E., dont o n é t a i t éloigné de 3 à 4 lieues ; et à 5 11. 3/4, la M o n t a g n e d e la G r a n d e , à la distance de 8 lieues environ. de 5 h e u r e s à 11 h e u r e s , le t e m p s fut très o r a g e u x à t e r r e ; il y eut des éclairs et du t o n n e r r e ; mais la f o r c e d e l a brise d'E. en g a r a n t i t le n a v i r e . A 1 0 h e u r e s , on avait a p e r ç u u n « feu assez con­ s é q u e n t » d a n s le S . - O . 1/4 0 . , qui d u r a u n e b o n n e


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demi-heure, et qu'on supposa s'être déclaré dans la plaine du Fort-Dauphin, au Jacquesy. Et au j o u r , vers 6 h e u r e s , trois bâtiments, dont une goélette, vers laquelle le capitaine avait fait g o u v e r n e r ; il apprit qu'elle avait nom Le Fox, capitaine B e r n a r d ; qu'elle venait de Nev-London. Etats-Unis d'Amérique, qu'elle allait au Cap, chargée de planches et bois de construction, a y a n t 15 jours de départ. Le capitaine dit en son J o u r n a l : « Ayant dès le principe fait e r r e u r d a n s mon calcul de hauteur, j'avois cru devoir rejeter ma latitude, mais l'ayant repassée, j ' a i vu au contraire qu'elle répondait par­ faitement avec le relevé de m i d i . . . Ni m a latitude estime ni ma longitude a r r i v é e n e c a d r e avec le relèvement de midi qui me place p a r la latitude 20°12', par la longitude 74°50', « qui est très bon, ou il ne peut y avoir que deux ou trois m i n u t e s d'erreur dans la latitude, car nous ne s o m m e s pas au-delà de trois lieues au Nord de la T o r t u e , ce qui ferait alors 20°10' » Le 2, le capitaine fit encore plusieurs relevés, cotoya l'Ile de la Tortue, à environ d e u x lieues de distance, p a r mer très belle, puis la p r e s q u e ile du Môle à environ une lieue et demi, a y a n t rencontré en r o u t e plusieurs bâtiments qui venaient du golfe des Gonaïves. Ici, ce N. B. : « J ' a i r e m a r q u é hier, en


— 205 c ô t o y a n t l a Tortue, que si j ' a v a i s fait tenir ma r o u t e à O . d u c o m p a s , du moment que j ' é t a i s N. et S. de l a G r a n g e , que j ' a u r a i s passé à trois lieues de cette î l e , r o u t e qu'il convient de tenir. » L e 3 , o n continue à relever des terres ; on cotoye l a p r e s q u e île, suivant ses contours à une lieue e n ­ v i r o n d e distance ; à l'ouverture de la baie du Môle, o n a p e r ç o i t trois bâtiments, d o n t un n a v i r e de g u e r r e f r a n ç a i s , qui y sont mouillés ; et u n peu plus loin u n e g o é l e t t e , marchant à toutes voiles, mais de la­ q u e l l e o n a p p r e n d cependant qu'elle vient de P o r t a u - P r i n c e , et qu'on pouvait y aller « en t o u t e s û ­ reté. » L e 4 , p e n d a n t que le navire g o u v e r n e s u r l ' A r t i b o n i t e , u n o r a g e éclate, et il continue sa r o u t e v e r s l e s î l o t s d e s Arcadiens. L e 5, n o u v e l o r a g e venant de t e r r e , a c c o m p a g n é d e b e a u c o u p de pluie. Une goélette, sortant du Porta u - P r i n c e et allant au Cap, annonce que la ville est t r a n q u i l l e , q u e malheureusement les environs n e l ' é t a i e n t p a s , et que la maladie avait cessé ses r a ­ vages. L e 6 , o n oriente au plus p r è s du vent. Stestimant t r è s p r è s d e s Arcadiens, le capitaine, qui continue t o u j o u r s à relever des t e r r e s , fait sonder et t r o u v e p a r d o u z e b r a s s e s d'eau, u n fond de sable blanc et g r o s g r a v i e r . Aussitôt, il fait v i r e r de bord et c o u r i r


— 206 — sur la Gonave. Temps e x t r ê m e m e n t o r a g e u x . Plus loin il trouve, p a r 25 b r a s s e s d'eau, un fond de craie et de p i e r r e , puis, dans la petite Gonave u n fond assez semblable. On aperçoit bientôt, droit devant, l'îlot des Arcadiens, et la r e n c o n t r e des n a v i r e s est plus fréquente. Enfin, le soir du 6 Vendémiaire, le navire la Cérès mouillait sur la g r a n d e r a d e du P o r t - a u - P r i n c e , près des frégates La Poursuivante, capitaine Willaumez, et La Franchise. Le capitaine de la Cérès étant allé à b o r d de la Poursuivante, apprit « l'état affreux où se trouve la Colonie, tant p a r la maladie terrible qui r a v a g e et détruit tous les blancs venant d ' E u r o p e , q u ' u n e nou­ velle insurrection des n è g r e s qui incendient tout. » A. la nuit le feu a été mis à plus de vingt habitations du Môme de l'Hôpital, faisant face à la ville. Le retour eut lieu à la fin de F r i m a i r e , en com­ pagnie, vu le d a n g e r de n a v i g u e r seul, d ' u n autre n a v i r e de Bordeaux, du m ê m e n o m de Cérès, qu'on dut le 29, a b a n d o n n e r , ce n a v i r e d é r i v a n t beaucoup, et ne tenant pas le vent. L'état de la m e r est toujours mauvais. Le 30, après-midi, le vent étant encore d e s plus violent, et la m e r t r è s g r o s s e , le capitaine Loedig se décida à faire route sous la t e r r e et à c h e r c h e r de n o u v e a u l'abri de la plate-forme sous la quelle il était


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l e s o i r . On louvoya donc toute la nuit, et à la p o i n t e du j o u r , il fit faire de la voile, afin d'éprouver de n o u v e a u le t e m p s . On resta quelques instants sous l e C a p à Fouy, puis, la brise s'étant levée, on reprit la m e r . e r

L e 1 nivôse, le vent était toujours très g r a n d f r a i s , et la m e r assez belle, quoique s'élevant comme l e v e n t ; le n a v i r e fatiguait beaucoup, au point d'obli­ g e r à p o m p e r deux fois p a r q u a r t . A minuit on vira d e b o r d et courut sur S a i n t - D o m i n g u e , p a r u n e m e r t o u j o u r s g r o s s e , et des vents violents et variables. A 1 0 h e u r e s du matin on était en vue de la pointe d e s P a i l l e s , à la distance d'environ u n e demi-lieue. L e 2, à midi, le capitaine fit c a r g u e r ses basses v o i l e s et m e t t r e en p a n n e sous les h u n i e r s , n e v o u ­ l a n t p a s faire r o u t e a v a n t le soleil couchant. Le t e m p s était des plus b e a u x , la m e r belle, le vent v e ­ n a n t d e dessus la t e r r e . Il resta là, pour n e pas d é r i v e r a u l a r g e , et se tenant m o m e n t a n é m e n t s u r l ' a c c o r d d u fond. Après avoir fait environ seize l i e u x e n mer, on aperçut à trois lieues de distance d e u x n a v i r e s qu'on s u p p o s a être les Brothers de L o n d r e s q u ' o n avait p r é c é d e m m e n t rencontrés, et la Cérès de B o r d e a u x , qu'on avait d û a b a n d o n n e r . U n p e u p l u s loin, on vit l'Ile-au-Châteaw, où on accosta ; p u i s , le temps étant t r è s b e a u , on ht g r a n d e r o u t e a v e c q u a t r e b â t i m e n t s , dont d e u x a m é r i c a i n s .


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Ici, cette recommandation : « La route q u e j ' a i t e n u e , en partant d'Inogue est u n peu trop Ouest. Il convient de n e gouverner q u ' a u N.-O. 1/4 N., et l'on viendra chercher d i r e c ­ tement l'Ile a u Château, e n observant de ne v e n i r au N.-N.-O. q u e lorsqu'on a u r a fait 16 à 17 lieues, et a u N. 1/4 N.-O., et enfin a u N.. comme c i dessus. Se conduisant ainsi, o n naviguera sans courir le plus petit d a n g e r , et a y a n t soin de faire toujours de 4 à 5 n œ u d s , p a r c e q u ' à cette vitesse, il n'est p a s présumable que les courants qui peuvent exister dans les débouquements puissent influer votre r o u t e . « J e n e crois pas p r u d e n t d e suivre la route du N.-N.-O., indiquée p a r divers Traités sur les débou­ q u e m e n t s . En p a r t a n t d'Inogue, o n se perdroit i n ­ failliblement s u r les îles des Horties q u e j e crois plus S. qu'elles n e sont portées s u r les cartes. Elles sont trop dangereuses pour être approchées de p r è s , et l'expérience que j ' a i s u r cela m e fera toujours tenir à la dernière route q u e j ' i n d i q u e de N.-O. 1/4

N. » Le 3 , le navire passa à u n q u a r t de lieue de la pointe 0 . d e la baie de l'Ile de la F o r t u n e ; cette partie de l'île était extrêmement saine, mais n'offrait aucun mouillage. De là on g o u v e r n a vers l'Ilot d u Débouquement, et on arriva vers 5 h e u r e s du soir,


— 209 — p r è s d e la pointe de Crooked, sur lequel les A n g l a i s a v a i e n t bâti un fort d'où l'on hissa pavillon à la v u e du n a v i r e qui répondit p a r le sien. Toute cette île, est-il d i t au J o u r n a l , « depuis sa partie qui joint l'île de l a F o r t u n e , en c o n t o u r n a n t toute la baie q u e f o r m e cette p r e m i è r e île, est habitée et couverte d e m a i s o n s , tant au bord de la m e r que d a n s l'inté­ r i e u r . » Et on ajoute : « Comme elles sont toutes M a n c h i e s , cela fait le plus joli coup d'œil possible. » L e J o u r n a l donne encore ces utiles indications : « D e l a pointe du N . - O . de l'Ilot du Débouquement à celle d u N.-E., il s'étend u n e chaîne de récits qui p o r t e l o i n au l a r g e et s u r lesquels la m e r b r i s e , q u o i q u e belle. Il convient donc de courir ou de tenir la r o u t e du N . 1/4 N . - E . , si les vents sont bons, pen­ dant d e u x lieues, et ensuite faire la route le plus à l'E. q u ' o n p o u r r a , c'est-à-dire j u s q u ' a u N . - E . , r a p ­ port à l'île S a m a n a . » L ' î l e d e W a l t i n , qu'on aperçoit à 3 o u 4 lieues, fut r e l e v é e à l'E., ainsi que d ' a u t r e s t e r r e s . L e 4 , le temps est parfaitement beau, mais la m e r est h o u l e u s e , et il fait g r a n d frais. La Cérès côtoie, d a n s t o u t e son étendue, l'île de W a l t i n , dont le capi­ t a i n e fait ainsi la description : « L ' I l e de Waltin possède plusieurs belles h a b i t a ­ t i o n s , d a n s la partie du N . , qui a p p a r t i e n n e n t a u x A n g l a i s . Tout cela s'est lait depuis 1794, é p o q u e à


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laquelle j e côtoyais cette île, comme je fais aujour­ d'hui, m a i s sans y avoir vu aucuns établissements. » Au soleil couchant on releva pour la dernière fois cette île au S.-O. 1/4 0 . , du compas, à la distance de 5 à 6 lieues, et on reprit la mer, qui, grosse, « met­ tait à bord à c h a q u e instant. » Le 5 , sous l'action de la m e r qui est grosse et le vent qui est fort, le n a v i r e fatigue beaucoup, et re­ çoit beaucoup d'eau s u r le pont. Le capitaine fait cette constatation : « J'ai é p r o u v é 25 minutes plus a u N . que mon estime, et j e ne doute point que la proximité où n o u s n o u s t r o u v o n s du Canal de la Pro­ vidence et Bahama, ne nous fassent é p r o u v e r les c o u r a n t s qui portent au N. » Le 6, la m e r , plus agitée encore de toutes parts, tombe à bord à chaque instant. On p o m p e toutes les h e u r e s , afin d'éviter les a v a r i e s que les violents t a n g u a g e s et roulis que le n a v i r e é p r o u v e font redouter. he 7, la mer est moins m a u v a i s e , le temps est assez beau, et le vent m o d é r é . Le n a v i r e fatigue moins. Le 8, la j o u r n é e s'annonce bien ; la m e r est assez belle, quoique houleuse e n c o r e . Mais à diverses re­ prises, le vent et la m e r s'élèvent, et à l'horizon le ciel fort c h a r g é fait c r a i n d r e la tempête. Le 9, la m e r est houleuse, le t e m p s est à grains,


— 211 — s a n s v e n t s , l'horizon b r u m e u x . De 3 à 6 h e u r e s , le n a v i r e n e gouverne pas : il y a calme. Le vent, i n é g a l d a n s s o n souffle, gêne la navigation. L e 1 0 , temps b r u m e u x , vents variables, mer hou­ l e u s e , g r a i n s violents. L e 1 1 , le vent fraîchit et tire v e r s le N . , pluie p a r g r a i n s . Au jour, le temps étant plus beau, la m e r g r o s s e et le vent du N . - N . - E . au N . - E . , le capitaine fît d é g r é e r la v e r g u e et le mât du g r a n d p e r r o q u e t , a t t e n d u la saison r i g o u r e u s e et le peu d ' é q u i p a g e q u ' i l a v a i t . Il mentionne ceci : « J'ai éprouvé u n e e r r e u r t r è s conséquente d a n s m o n estime, qui diffère d e 22 m i n u t e s moins S., q u e la h a u t e u r , et q u e j e ne s a i s à q u o i attribuer ; j ' a i cependant porté m a r o u t e p l u s S . q u e le casernet n e d o n n e ; mais ceci était f o n d é s u r ce que j ' a i observé que toujours le bâtiment s e j e t t a i t au S. de la r o u t e donnée. » L e 12, il fait g r a n d frais d u N . - E . , la mer est t r è s h o u l e u s e , tant de cette partie que du S.-E.; toute la n u i t l e t e m p s fut extrêmement b r u m e u x et pluvieux ; l e n a v i r e t a n g u e beaucoup. Ce n'est que tard q u e l a m e r s'embellit et que le vent se calma. L e 1 3 , temps b e a u , avec m e r u n peu houleuse ; le n a v i r e t a n g u e de temps à a u t r e , assez d u r e m e n t , s o u s l'action de la lame du S.-E. à E.-S.-E. qui se f a i t e n c o r e sentir. Toute la nuit le vent a souflé avec f o r c e . H est tombé « considérablement du serin (sic : s e r e i n ) , qui a mouillé c o m m e u n e pluie douce. »


— 212 — Le 14, v e n t s variables, m e r belle. Le capitaine écrit qu'il é p r o u v e au S., depuis trois 24 heures, u n e différence considérable, qu'il ne peut attribuer qu'à des c o u r a n t s ou à u n défaut de gouvernail. Le 15, temps violent, m e r très grosse, vent g r a n d frais. On t r o u v e à cette date la mention d'un décès ; « A sept h e u r e s du soir, le Cen Jean Cogné, fils de — , de la c o m m u n e de Jallais (1), â g é de —, est décédé à bord, à la suite d'une fièvre ardente qui lui a p r i s il y a sept j o u r s . Aucuns soins ni secours n'ont été é p a r g n é s pour le c o n s e r v e r à la vie ; mais tout a été en vain. Il paroît qu'il avoit p r i s le g e r m e de cette maladie a u P o r t - a u - P r i n c e , où il n'avoit résidé que 8 ou 10 j o u r s , v e n a n t de F r a n c e , sur le navire La Félicité, de N a n t e s , et s'étoit ensuite embarqué p a s s a g e r , m a n g e a n t sur le pont. » Le 16, g r a n d frais, m e r très g r o s s e , mais beau temps à la fin de la j o u r n é e , avec m e r toujours hou­ leuse. Vu p a r continuation, p a s s e r beaucoup de raisins dits du Tropique. Le 17, temps très beau, avec g r a i n s et m e r g r o s s e du S.-E. à E., qui fatigue b e a u c o u p le n a v i r e . Vu encore beaucoup de raisins dits d u Tropique. Le 19, temps beau, vent b o n frais, m e r belle, m a i s toujours forte l a m e de l'E. à E.-S.-E. Vu beaucoup (1) En Anjou,


— 213 — d e r a i s i n s , dits du Tropique et quelques poissons v o l a n t s , d e même que des m a r s o u i n s . L e 2 0 , vent grand frais, m e r g r o s s e , le n a v i r e f a t i g u a n t beaucoup et faisant de l'eau. Dans u n g r a i n l e s v e n t s ont sauté au N . - O . , bon frais. A m i d i , l ' é p a i s s e u r des n u a g e s empêche le soleil de p a r a î t r e . L e 2 1 , vent grand frais, p a r g r a i n s violents, la m e r g r o s s e , le temps pris de. toutes p a r t s . Un v e n t v i o l e n t oblige à serrer le petit h u n i e r . T e m p s tou­ j o u r s e x t r ê m e m e n t noir. A 7 h. 1/2 du soir, le t e m p s s e d é c l a r e mauvais, s a n s o r a g e c e p e n d a n t . L e 2 2 , temps très b e a u , vent bon frais, m e r belle. L e 2 3 , temps parfaitement beau, m e r assez belle, v e n t p e t i t frais p a r risée. Le capitaine é c r i t : « A 9 h e u r e s du matin, j ' a i fait mettre en p a n n e , bâbord a u v e n t , afin de faire visiter au dehors du n a v i r e , de c e c ô t é , p o u r découvrir ce qui p o u r r a i t nous d o n n e r d e l ' e a u , lorsque le n a v i r e est à tribord a r r i è r e , lors­ q u ' i l i n c l i n e beaucoup et t a n g u e ; le charpentier a d é c o u v e r t d a n s la j o u e u n éclat, lequel se trouvoit v i d e , d e m ê m e q u ' u n e très longue g e r c e . Le tout a é t é b i e n calfeutré, et rien a u t r e chose n ' a p a r u . » L e 2 4 , t emp s parfaitement beau, m e r belle, v e n t f a i b l e , p r e s q u e calme. Mis toutes voiles. L e 2 6 , vent calme, t e m p s parfaitement b e a u , t o u t e s voiles c a r g u é e s , a u début de la j o u r n é e . A i n s i , dit le J o u r n a l , « n o u s t r o u v a n t e n v i r o n n é


— 214 — de b a n c s de raisins, dits du Tropique, il nous est v e n u le long des bords un banc considérable de Do­ r a d e s ; n o u s n ' a v o n s pu en p r e n d r e que deux, dont l'une avoit q u a t r e p i e d s , six pouces de l o n g . Ces poissons sont restés avec n o u s environ deux heures, au bout duquel temps ils se sont éloignés pour d o n n e r la chasse à u n b a n c de poissons, comme des h a r e n g s . Cette rencontre n ' a p a s été heureuse pour n o u s , c a r nous ne les avons p a s vu revenir. » Le temps o r a g e u x , et la m e r houleuse de l'aprèsmidi, fait rouler beaucoup le n a v i r e . Le J o u r n a l de bord de la Cérès s'arrête en cet endroit. La fin m a n q u e . Le c a r t o n n a g e du temps, qui recouvre le manuscrit, a été b r û l é , ainsi que les p r e m i e r s feuillets, p a r le feu d ' u n boulet. Tout im­ parfait qu'il soit, ce document n o u s r e n s e i g n e sur les circonstances et la d u r é e d'un v o y a g e de Paimbeuf à StDomingue en l'an X . Le navire, parti le 14 t h e r m i d o r a n X , n'était a r r i v é à destination que le 6 v e n d é m i a i r e an X I , soit a p r è s cinquante sept j o u r s de t r a v e r s é e , n o n exempts de d a n g e r s . On a pu r e m a r q u e r que le 8 fructidor a n X , le n a v i r e r e n c o n t r a u n animal m a r i n dont le capitaine n e p u t d é t e r m i n e r l'espèce. Consulté à cet é g a r d , M. M i l n e - E d w a r d s , Directeur


— 215 — d u M u s é u m d'histoire n a t u r e l l e , voulut bien m ' h o n o r e r d e la réponse c i - a p r è s : « L ' a n i m a l r e n c o n t r é e n t r e N a n t e s et P o r t - a u P r i n c e , devait être un g r a n d P y r ô s o m e , spécimen du g e n r e des Mollusques-Acéphales de la Classe des T u n i c i e r s Coloniaux N a g e u r s . « M o u s comme les Ascidies, ils se r é u n i s s e n t en m a s s e à certaines époques et semblent, alors, v i v r e d ' u n e existence commune. Leurs branchies consti­ t u e n t u n e sorte de sac, au fond duquel s'ouvre leur bouche. « L e s P y r ô s o m e s , dont Le Travailleur et le Talisman o n t r a p p o r t é u n e x e m p l a i r e au Muséum, r é p a n ­ d e n t à l a surface de l'Océan, u n e l u e u r d'un r o u g e p h o s p h o r e s c e n t , qui leur a fait d o n n e r le nom qu'ils p o r t e n t , et qui signifie Corps de feu. » Q u e l q u e temps a p r è s , M. Ludovic Gratiolet, atta­ ché a u M u s é u m , compléta ces indications au seul p o i n t d e v u e historique, et m'écrivait : « L e g e n r e P y r ô s o m e a été c r é é , au commence­ m e n t d e ce siècle, p a r F r a n ç o i s P é r o n et p a r L e s u e u r , a t t a c h é s comme zoologistes à l'expédition de B a u d i n a u x T e r r e s Australes (1800-1804), pour u n g r o u p e d'Ascidiens a g r é g é s , gélatineux, p r e s q u e d i a p h a n e s , formant u n cylindre c r e u x , fermé à u n e e x t r é m i t é , t r o n q u é et ouvert à l ' a u t r e , et hérissé en d e h o r s p a r u n e multitude de t u b e r c u l e s disposés soit en a n n e a u x , soit i r r é g u l i è r e m e n t .


— 216 — Ces a n i m a u x habitent les m e r s des pays chauds. L e u r nom indique qu'ils sont essentiellement phos­ p h o r e s c e n t s , et, p e n d a n t la nuit, ils se révèlent aux r e g a r d s des n a v i g a t e u r s émerveillés sous la forme d e masses de feu dont la couleur varie beaucoup et dont l'éclat est a d m i r a b l e . « On les prit, tout d'abord, p o u r des animaux sim­ ples, et Bory de Saint-Vincent leur donna le nom de Monophores ; mais Lesueur p r o u v a que les diffé­ r e n t s tubercules des cylindres étaient autant d'in­ dividus distincts, et qu'à certaines époques ils se séparaient. Savigny d é m o n t r a p a r la suite qu'ils pos­ sédaient une organisation semblable à celle des Botrylles. On en connaît trois espèces. Les plus grandes habitent les m e r s c h a u d e s ; la plus petite se rencon­ t r e dans la Méditerranée. « N o u s possédons au Muséum u n exemplaire du Pyrôsoma-Gigantea, r a p p o r t é p a r le Talisman. » Le j o u r n a l de bord de la Cérès fait aujourd'hui partie des manuscrits de la bibliothèque d'Arras, à laquelle j e l'ai donné ; il y est inscrit sous le n° 296 du Fonds qui porte mon n o m .


ODE

A

BONAPARTE

S u r les Massacres de St Domingue.

H é r o s en qui la F r a n c e h o n o r e S o n chef et son libérateur, E n t e n d s une voix qui t'implore A v e c l'accent de la douleur. C'en est fait ; cette Isle féconde, Cette Reine du N o u v e a u m o n d e P é r i t sous le poids des forfaits p E t ses champs, j a d i s si fertiles, S o n t c h a n g é s en tombeaux stériles, T o u s couverts d'ossemens français. S i de cette t e r r e proscrite T u ne p a r t a g e s pas le deuil, T r e m b l e , la plume de Tacite T ' a t t e n d au-delà d u cercueil ; Dira-t-elle que ton E m p i r e , M a l g r é la crainte qu'il inspire Devient l'azile d'un p e r v e r s ? Verra-t-on de lâches rebelles, F l é t r i r les palmes immortelles Q u e te décerne l'univers ? 15


— 218 — Loin de moi la foule importune Qui n ' a d m i r a n t que ta valeur Te fait moins g r a n d que ta fortune, Plus c o n q u é r a n t que protecteur. Ta gloire est celle ,de la F r a n c e ; D'un peuple immolé sans défense Tu dois v e n g e r le souvenir, Tu r é p o n d s de sa destinée, A la tienne elle est e n c h a î n é e . Et ton j u g e c'est l'avenir. Quand Octave, m a î t r e du m o n d e , Et v a i n q u e u r de cent Nations Disait dans sa d o u l e u r profonde : « Varus, r e n d s - m o i m e s légions ! » Octave c r a i g n a i t pour sa gloire, Il voyait la main de l'Histoire Tracer la honte des R o m a i n s , Et d'une allégresse c o m m u n e Les ennemis de sa fortune Douter de ses h e u r e u x d e s t i n s . Encor l'es illustres victimes, De la faveur d'Arminius N ' a v a i e n t point terni p a r des crimes L e u r s mâles et nobles v e r t u s ; Des chiens exercés au c a r n a g e N'avaient pas secondé la r a g e


— 219 — D e l e u r s trop crédules soldats. A l t é r é s d'or, de s a n g , de larmes, I l s n'avaient point souillé leurs a r m e s P a r de lâches a s s a s s i n a t s . N o u v e a u Varus, p a r ta défaite, P a r tes crimes n o u v e a u Pison, J ' é p a r g n e à ma m u s e discrète L a douleur de t r a c e r ton nom. S u r u n e tête o c t o g é n a i r e , J e vois les l a u r i e r s de ton père Stincliner d e v e r s son tombeau. L a gloire t'y v e r r a descendre, E t n e confondra p a s sa cendre A v e c la cendre d'un b o u r r e a u . P o u r braver leur j u s t e v e n g e a n c e , M e u r t r i e r de nos citoyens, P e u x - t u faire h o m m a g e à la F r a n c e D u s a n g qu'ont r é p a n d u tes mains ? D e F e d o n , la tête s a n g l a n t e E s t - e l l e la m a r q u e éclatante D e la justice de tes loix ? T e s soldats livrés s a n s ôtages A la foi des m o n s t r e s s a u v a g e s Attesteront-ils tes exploits ? T u d o i s périr, si la Justice P r o t è g e encor le n o m F r a n ç a i s ;


— 220 —

T'absoudre, c'est être complice De tes exécrables forfaits : Le Héros que le Ciel appelle A fonder la gloire éternelle D'un peuple g r a n d et r e d o u t é , Touché des pleurs de tes victimes, Ne consacrera p a s tes crimes, E n souffrant leur impunité. Oui, c'est sous ta loi criminelle Qu'un m o n s t r e (1) immola d a n s mes b r a s , L'esclave innocent et fidèle Qui m'avait sauvé du t r é p a s ; C'est sur ton exemple homicide Que le b a r b a r e qui les g u i d e , Modela de nouveaux t y r a n s . P o u r v e n g e r celui q u e j e p l e u r e C'est lui qui brûla m a d e m e u r e Et fit périr tous mes enfans. A mes m a u x si j ' a i pu s u r v i v r e , Stils n'ont pas t e r m i n é m o n sort, C'est le besoin de te p o u r s u i v r e . Tigre, qui repoussa la m o r t . S a n s fils, s a n s appui, s a n s patrie, T r a î n a n t ma vieillesse flétrie

(1) D e s s a l i n e s .


— 221

-

D a n s la misère et les douleurs, J ' a t t e n d s l'heure de ton supplice, P o u r rappeller la m o r t propice Qui seule peut t a r i r mes pleurs. Déjà d'un g u e r r i e r m a g n a n i m e . J ' a p p r e n d s les exploits glorieux ; Si sa défense est légitime, T a fuite est u n crime odieux. P o u r s a u v e r l'honneur de nos a r m e s , F e r r a n d d é d a i g n a les a l a r m e s Q u ' i n s p i r e un a s s a s s i n v a i n q u e u r ; S o n n o m . si la v e r t u succombe, S a n s tâche c o u v r i r a sa t o m b e ; L e tien est u n signal d ' h o r r e u r . E c h a p p é des fers du c a r n a g e , N a p o l é o n , c'est devant toi, Q u e j e dépose avec c o u r a g e C e t a b l e a u de s a n g et d'effroi ; L e s cris des m è r e s é g o r g é e s , P r è s de l e u r s vierges o u t r a g é e s , D o i v e n t r e t e n t i r d a n s ton c œ u r ; L e u r infortune d a n s l'histoire D u r e r a i t bien plus que ta gloire Si tu n'étais p a s l e u r v e n g e u r ! P a r u n F r a n ç a i s expatrié

CHAUDRON.



S

T

DOMINGUE DE 1 7 9 2 A 1 8 0 4

A Son Excellence Monseigneur Guerre, Comte Dupont (1).

le Ministre

de la

MONSEIGNEUR,

L a paix, si a r d e m m e n t désirée, vient enfin de c o m b l e r les v œ u x de la F r a n c e et ceux de l'Europe e n t i è r e . Tout annonce q u e notre P a t r i e va p a r v e n i r à u n d e g r é de p r o s p é r i t é qu'elle n'avait j a m a i s con­ n u e . Le m o n a r q u e chéri dont la s a g e s s e et la bonté n o u s p r é s a g e n t un si doux avenir, n e se contente p a s d ' a s s u r e r la tranquillité de ses peuples d u c o n ­ t i n e n t , il veut encore é t e n d r e sa sollicitude p a t e r (1) D u p o n t (Pierre), dit D u p o n t de l'Etang, G é n é r a l de D i v i s i o n . Comte. N é le 4 juillet 1765, à C h a t e n o i s (Charente), fils d'Isaac et de Claire Benoit. O f f i c i e r d'artillerie a u s e r v i c e de l a H o l l a n d e , de 1787 à 1790. C o m m e n ç a â servir s o u s l e n o m de « D u p o n t - C h a u m o n t . » L i e u t e n a n t effectif de l'artillerie, 29 octobre 1791. D i r e c t e u r d u C a b i n e t d e topographie et histoire m i l i t a i r e d u D i r e c t o i r e , en 1797. G é n é r a l d e D i v i s i o n , le 2 mai 1797. E m p l o y é a u C a m p de S a i n t - O m e r , 16 n o v e m b r e 1803. C o m m a n d a n t la 1re D i v i s i o n d u c a m p de M o n t r e u i l , l e 12 d é c e m b r e s u i v a n t . C o m m i s s a i r e c h a r g é p r o v i s o i r e m e n t d u M i n i s t è r e de la Guerre, 3 a v r i l 1814. M e m b r e d u Conseil de l a G u e r r e , 6 m a i 1814. M i n i s t r e d e l a G u e r r e , 13 d u m ê m e m o i s . G o u ­ v e r n e u r de la 22e D i v i s i o n militaire, 6 D é c e m b r e 1814. Ministre d ' E t a t et M e m b r e d u Conseil p r i v é , 19 s e p t e m b r e 1815. Retraité, 7 m a r s 1840. D o t a t i o n s : D u c h é de V a r s o v i e , 192 fr.; G r a n d - L i v r e , 5 8 8 2 fr.; H a n o v r e , 19,000 fr. Mort le 7 m a r s 1850 (Archives du Mi-

nistère de la Guerre.)


— 224 —

nelle sur ceux de l'autre m o n d e , afin que son r e t o u r d a n s ses Etats soit l'époque du b o n h e u r de l'uni­ v e r s . Malgré les soins divers qui l'occupent et dont tout a u t r e q u e lui serait accablé, il porte déjà ses r e g a r d s s u r nos colonies et particulièrement sur Saint-Domingue, qui depuis vingt-quatre ans appelle en vain les secours de la F r a n c e , p o u r la délivrer de sa t y r a n n i e et des fureurs de ses esclaves révol­ tés. Avant d'exposer à Votre Excellence mes idées sur la r é g é n é r a t i o n de cette île, la plus importante de n o s possessions m a r i t i m e s , j e crois devoir mettre sous ses yeux les circonstances qui m'ont fourni l'occasion de la connaître. Le Traité d'Amiens ayant donné la paix à l'Eu­ rope, u n e expédition pour S a i n t - D o m i n g u e fut p r é ­ parée d a n s différents ports ; u n bataillon du r é g i ­ m e n t auquel j ' a p p a r t e n a i s (90e de ligne) fut destiné à en faire partie. Je n e balançai pas à offrir à un officier de ce bataillon qui craignait la m e r , de p a r ­ tir à sa place, quoique d'ailleurs ma famille et mon colonel s'y opposassent, et q u e l'on assurât que les E u r o p é e n s avaient à y s u p p o r t e r u n e maladie cruelle. Mais le désir d'acquérir des connaissances et de la gloire d a n s un p a y s n o u v e a u p o u r moi, l'emporta s u r ces c o n s i d é r a t i o n s . Le Lieutenant g é n é r a l Le Clerc, n o m m é Capitaine


— 225 —

général, avait sous ses o r d r e s toutes les t r o u p e s d e terre. La division dont j e faisais partie, c o m m a n d é e par l e Lieutenant g é n é r a l Boudet, effectua son d é ­ b a r q u e m e n t au Port-au-Prince avec tout le succès possible, d a n s la nuit du 16 au 17 pluviôse. L e s affaires qui suivirent n e furent p a s moins h e u ­

reuses. A l ' a r r i v é e du Capitaine g é n é r a l a u P o r t - a u Prince, j e lui fus attaché, d ' a p r è s u n r a p p o r t a v a n ­ tageux q u e le h a s a r d lui fit p r é s e n t e r s u r m o n compte. Employé d a n s différentes expéditions j e visitai plusieurs parties de l'île d a n s les plus g r a n d s détails et avec tous les soins possibles. J e m ' a t t a ­ chai s u r t o u t dans les missions qui m e t u r e n t c o n ­ fiées à é t u d i e r les m œ u r s et le caractère des g é n é ­ raux, officiers et m ê m e soldats n è g r e s ; ce qui m e fut d ' a u t a n t plus aisé q u e j e p a r l a i s le créole et m ê m e l'écrivais avec beaucoup de facilité. Le d é s i r d e p r o u v e r à m o n A u g u s t e Souverain, dans les circonstances p r é s e n t e s , m o n inviolable a t ­ tachement, m'a e n g a g é à r é u n i r m e s idées s u r ce su­ j e t , d a n s le m é m o i r e que j ' a i l ' h o n n e u r de p r é s e n t e r à Votre Excellence. J e suis loin de croire q u e les m o y e n s q u e j e propose doivent tous ê t r e a d o p t é s ; l e s c o n n a i s s a n c e s et la sagacité qui vous distinguent et qui o n t fixé s u r vous le choix de Sa Majesté, p o u r u n des plus i m p o r t a n s m i n i s t è r e s , v o u s feront discer-


— 226 — n e r facilement ce qu'il y a de j u s t e dans les obser­ vations que j e vous soumets. H e u r e u x , Monseigneur, si j ' a i p u par m o n travail v o u s convaincre de m o n sincère dévouement à votre p e r s o n n e ; c'est le voeu de Votre très humble et t r è s respectueux subor­ donné. Bon P O R E L

D E MORVAN,

Maréchal de camp, major Nancy, 4 septembre 1814.

(1)

aux Chs royaux.

D é t a i l s s u c c i n c t s d e ce q u i s'est p a s s é à S a i n t - D o m i n g u e d e ­ puis 1 7 9 2 j u s q u ' e n

1 8 0 4 ; suivis des m o y e n s à e m p l o y e r pour

p a c i f i e r c e l t e C o l o n i e . (2)

Un peu avant notre fatale Révolution, dans le mo­ m e n t où n o s Colonies étaient d a n s l'état le plus flo­ rissant, il s'éleva u n e opinion q u i eut u n certain n o m b r e de partisans à cause de sa h a r d i e s s e et de sa n o u v e a u t é . « Votre richesse est d a n s votre sol, « disaient les prétendus r é f o r m a t e u r s , v o s colonies « vous sont nuisibles, abandonnez-les à elles-mêmes; « qu'elles forment des Etats i n d é p e n d a n s a v e c les« quels vous commercerez. » L'expérience a prouvé l'absurdité d'un système dont les conséquences étaient faciles à p r é v o i r . E n effet, n o u s ne pouvons (1) V o i r u n e notice s u r l e b a r o n Poret de Morvan, à l a s u i t e de son Mémoire. (2) M a n u s c r i t i n - 4 ° , inédit. B i b l i o t h è q u e d'Arras. M a n u s c r i t s : F o n d s V i c t o r A d v i e l l e , n° 4 0 5 ,


— 227 — n o u s p a s s e r des d e n r é e s coloniales ; d a n s la s u p p o ­ s i t i o n précédente, n o u s serions obligés de les a c h e ­ t e r à ces Etats i n d é p e n d a n s ; mais toutes les n a t i o n s c o m m e r ç a n t e s auraient aussi bien que n o u s le droit d ' a c h e t e r ; ce concours ferait nécessairement h a u s ­ s e r l e p r i x des d e n r é e s , et il sortirait de F r a n c e u n e g r a n d e quantité de n u m é r a i r e . D'un a u t r e côté, t o u t e s les nations commerçantes p o r t e r a i e n t à ces E t a t s les m a r c h a n d i s e s d'Europe dont ils ont besoin ; il s e r a i t très possible qu'on préférât celles d'un a u t r e peuple a u x nôtres ; il ne r e n t r e r a i t donc que p e u d ' a r g e n t , tandis qu'il en sortirait b e a u c o u p . A i n s i c h a q u e année le n u m é r a i r e diminuerait en F r a n c e et finirait p a r y devenir très r a r e ; état de c h o s e s dont tout le monde connaît les inconvéniens n o m b r e u x ; mais q u a n d un négociant fait des affaires a v e c u n colon, l ' a r g e n t n e sort pas plus de F r a n c e q u e si l'un habite D u n k e r q u e et l'autre Toulon. D ' a i l l e u r s , il est prouvé que les Colonies tirent de la m é t r o p o l e en m a r c h a n d i s e s d'Europe, à peu p r è s la v a l e u r des denrées qu'elles lui envoyent ; conséq u e m m e n t le bénéfice résultant de l'importation r e s t e r é e l l e m e n t à la F r a n c e . O b s e r v o n s ensuite que sans Colonies, il n o u s est i m p o s s i b l e de rétablir n o t r e m a r i n e ; n o u s avons des v a i s s e a u x , n o u s pouvons en c o n s t r u i r e ; il n e n o u s m a n q u e que des m a r i n s . Ce n'est pas en faisant m a -


— 228 —

nceuvrer n o s e s c a d r e s dans nos ports qu'on en for­ m e r a , c'est p a r des v o y a g e s de l o n g cours. Or, a u c u n n é g o c i a n t ne v o u d r a i t en faire, s'il n'est a s s u r é de v e n d r e les m a r c h a n d i s e s qu'il e m b a r q u e à u n prix raisonnable et d'en r a p p o r t e r sur lesquelles il ait un bénéfice considérable ; il ne peut avoir cette a s s u ­ r a n c e que q u a n d il les t r a n s p o r t e d a n s u n p a y s a p p a r t e n a n t à la m è r e patrie, où il est sûr de n'avoir à r e d o u t e r la c o n c u r r e n c e d ' a u c u n m a r c h a n d d'une autre nation. Au reste l'expérience de tous les siècles a confirmé cette vérité : tous les peuples qui se sont r e n d u s célèbres p a r leur m a r i n e ont fondé des colo­ nies, et ce n'est m ê m e que depuis l'instant qu'ils donnent p a r ce m o y e n u n e nouvelle activité à l e u r c o m m e r c e que l'on voit leurs forces s'accroître avec u n e rapidité incroyable. D'après cela si n o u s n'avions point de colonies et que n o u s voulussions former p r o m p t e m e n t u n e m a r i n e p u i s s a n t e , il faudrait son­ g e r à n o u s en p r o c u r e r p a r des m o y e n s quel­ conques. Les partisans du systême anti-colonial n e pouvant r é p o n d r e à ces r a i s o n s , ni d é m e n t i r ces faits, t r a n ­ chèrent la difficulté en e n c h é r i s s a n t encore leurs p r e m i è r e s idées. Ils p r o s c r i v i r e n t d o n c et les colo­ nies et la m a r i n e et le commerce e x t é r i e u r , comme inutiles et m ê m e d a n g e r e u x à la société et à l'Etat. P o u r d é t r u i r e de tels p a r a d o x e s , il suffit de c o m p a r e r


— 229 — u n e ville commerçante à celle qui n'est q u ' a g r i c o l e . D a n s l a p r e m i è r e tout est a n i m é , tout le m o n d e t r a ­ v a i l l e ; aussi y voit-on fort peu de m a l h e u r e u x ; les h a b i t a n s y sont polis, complaisans et enclins à r e n d r e s e r v i c e ; tous les individus enfin y jouissent d ' u n e a i s a n c e convenable ; j u s t e récompense de leur acti­ v i t é e t d e leur industrie. Dans l'autre au c o n t r a i r e , t o u t e s t triste et p a u v r e ; la r a r e t é de l ' a r g e n t y pro­ d u i t l ' a v a r i c e et l'insensibilité. Les habitans y sont m o i n s sociables parce qu'ils reçoivent moins d'étran­ g e r s ; g a g n a n t à peine de quoi se n o u r r i r e u x et leurs f a m i l l e s , ils sont toujours vêtus d'habillements g r o s ­ s i e r s qui annoncent leur m i s è r e . P o u r sentir la vérité d e m o n observation, qu'on examine N a n t e s et Tou­ l o u s e et l'on v e r r a si l'habitant de la p r e m i è r e ville n ' e s t p a s Cent fois plus h e u r e u x que celui de la s e ­ c o n d e , quoique celle-ci ait autour d'elle u n sol b e a u ­ c o u p p l u s favorisé de la n a t u r e . Q u ' i l s vous disent ces écrivains qui p r é t e n d e n t q u e l e commerce est inutile à l'Etat, comment V e ­ n i s e p u t résister aux plus puissans m o n a r q u e s d e l ' E u r o p e ligués contr'elle ; par quels m o y e n s la H o l l a n d e , p r e s q u e accablée p a r Louis X I V , p a r v i n t à s e r e l e v e r . N'est-ce pas au c o m m e r c e , qui l e u r p r o c u r a des r e s s o u r c e s p r o d i g i e u s e s , a u t a n t q u ' à l e u r é n e r g i e et à leur constance, q u e ces d e u x E t a t s d u r e n t alors leur salut ? P u i s q u e n o u s les avons v u s


— 230 — devenir p r e s q u e sans résistance la proie du pre­ mier qui se présentait, dès qu'ils furent privés de ce soutien. Leur décadence, elle-même, confirme encore mon opinion. Tant qu'ils conservent une forte m a r i n e , ils sont riches et redoutables ; d è s qu'ils la perdent, le p r e m i e r p a r u n e circonstance qui c h a n g e a toutes les relations commerciales (la découverte d'une nouvelle route des Indes), le second p a r sa négli­ gence et les efforts s a v a m m e n t dirigés d'une puis­ sance rivale, ils voyent s'écrouler le brillant édifice de leur prospérité que leur c o m m e r c e et leur acti­ vité avaient élevé. J e sais q u e la perte de la m a r i n e n'est p a s suivie du même résultat dans u n r o y a u m e étendu, riche et puissant et q u ' à la r i g u e u r il peut se soutenir sans elle ; mais pourquoi ne joindrait-il p a s à ses autres a v a n t a g e s , les ressources qu'elle p r o c u r e , lorsque son heureuse position semble l'inviter à en profiter? On n e m'objectera p a s sans doute q u ' u n peuple ne peut être à la fois a g r i c u l t e u r et c o m m e r ç a n t ; l'exemple de l'Angleterre et s u r t o u t des Etats-Unis d'Amérique prouve évidemment le c o n t r a i r e . Si u n e g u e r r e maritime était p r é s u m a b l e , j e r a p ­ pellerai ici les d a n g e r s auxquels la F r a n c e serait exposée en n é g l i g e a n t de rétablir la m a r i n e : l'en­ nemi insulterait toutes nos côtes ; n o u s serions ré­ duits à u n e honteuse défensive, s a n s pouvoir n o u s


— 231 — v e n g e r en l'attaquant dans ses p r o p r e s foyers ; il p o u r r a i t prolonger la lutte aussi longterus qu'il le v o u d r a i t , parce qu'il n e courrait aucun d a n g e r et n e l a t e r m i n e r a i t qu'au m o m e n t où il trouverait s o n a v a n t a g e . Mais nous s o m m e s r a s s u r é s à ce sujet. L e s d e u x puissances si l o n g t e m p s rivales sont u n i e s , j ' o s e l'espérer, p a r des liens désormais i n d i s s o ­ lubles. N o t r e Monarque, fortement p é n é t r é des a v a n t a g e s d u c o m m e r c e , a donné ses p r e m i e r s soins a u r é t a ­ b l i s s e m e n t de la m a r i n e ; u n e g r a n d e activité r è g n e d a n s n o s ports, les m e r s vont être couvertes de n o s v a i s s e a u x , les Français d i r i g e r o n t v e r s des s p é c u ­ l a t i o n s utiles cet esprit inquiet qui les t o u r m e n t e d e p u i s v i n g t - q u a t r e a n s et qui les a conduits de m a l h e u r s en m a l h e u r s , j u s q u ' à ce qu'ils se soient ré­ f u g i é s s o u s l'égide tutélaire de leur S o u v e r a i n l é g i ­ t i m e . N o s manufactures a y a n t de n o u v e a u x débou­ c h é s e m p l o y e r o n t un plus g r a n d n o m b r e d ' o u v r i e r s ; l a c i r c u l a t i o n du n u m é r a i r e étant p a r cette raison p l u s r a p i d e , a u g m e n t e r a l'aisance des particuliers et l a r i c h e s s e de l'Etat ; enfin l'agriculture elle-même r e c e v r a u n e nouvelle vie, parce q u e le cultivateur, c e r t a i n qu'il p o u r r a toujours v e n d r e ses d e n r é e s q u e l l e q u ' e n soit la q u a n t i t é , cherchera à tirer de la t e r r e le plus qu'il lui sera possible. J e n e m e serais point p e r m i s cette digression, si


— 232 — j e n'avais pas entendu u n certain nombre de per­ sonnes soutenir qu'il ne fallait pas penser à SaintD o m i n g u e , sous prétexte qu'il sera trop difficile d'y rétablir l'ordre. L'utilité des Colonies n ' é t a n t pas douteuse, puisque le commerce et la marine en dé­ pendent, comme nous l'avons dit plus haut, com­ ment ose-t-on p r o p o s e r d ' a b a n d o n n e r la plus im­ portante de toutes et qui était annuellement l'objet d'un mouvement d'environ sept cent millions ? Parce que l'on prévoit quelques difficultés, on se priverait des a v a n t a g e s incalculables qui en seront sûrement la suite, tandis que souvent on s'épuise d'hommes et d ' a r g e n t p o u r des entreprises dont l'issue est incer­ taine et qui ne donnent qu'un résultat médiocre, même lorsqu'elles réussissent complètement. N'est-il pas digne d'ailleurs de la g r a n d e u r et de la bonté du R o i , de s'occuper du sort de tant de m a l h e u r e u x co­ lons qui languissent depuis v i n g t - q u a t r e a n s et qui ont vu le retour du plus v e r t u e u x des m o n a r q u e s , comme la fin de leurs m a u x ? Au reste, c'est une e r r e u r de croire qu'il soit im­ possible de faire r e n a î t r e le calme à Saint-Do­ mingue. Avant d'entrer dans le détail des moyens qui me semblent les plus convenables p o u r p a r v e n i r à ce but, j ' e x p o s e r a i succinctement les é v é n e m e n s qui s'y sont passés et les fautes qui y ont été commises.


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S a i n t - D o m i n g u e jouissait de la plus g r a n d e t r a n ­ q u i l l i t é , quand le feu qui dévorait la F r a n c e vint a u s s i e m b r a s e r cette riche contrée. Les têtes y étaient d é j à e n fermentation, lorsqu'on y publia u n décret d e l ' A s s e m b l é e législative, du 4 avril 1792, qui con­ s a c r a i t l'égalité politique entre les blancs et les h o m m e s libres de couleur. Ce décret n e satisfit a u ­ c u n d e s d e u x partis. Les blancs ne voulaient p a s p a r t a g e r des droits dont ils jouissaient exclusive­ m e n t e t les n è g r e s demandaient q u e l e s p r é r o g a ­ t i v e s d e la liberté leur fussent accordés à tous indis­ t i n c t e m e n t . Ainsi ce décret loin de calmer l'effer­ v e s c e n c e , ne servit q u ' à a u g m e n t e r les troubles, d ' a u t a n t plus q u e les Commissaires dont l'intention s e c r è t e était de d é t r u i r e la race blanche attisaient e u x - m ê m e s le feu de l'insurrection. Chassés d u Cap p a r l e s colons qui avaient pris les a r m e s p o u r r é t a ­ b l i r l ' o r d r e , ils appellent les révoltés à l e u r s e c o u r s , a s s i è g e n t la ville, s'en e m p a r e n t , et a u milieu du p i l l a g e , d u m e u r t r e et de l'incendie, ils font publier u n e p r o c l a m a t i o n qui affranchissait tous les n è g r e s . D è s l o r s le soulèvement devint g é n é r a l , et l a licence n ' e û t p l u s de b o r n e s . Les chefs réunissent les insur­ g é s e t m a r c h e n t à leur tête, b r û l a n t tout s u r leur p a s s a g e , afin d'ôter à l e u r s complices la possibilité d e r e t o u r n e r chez leurs m a î t r e s , s'ils en avaient j a ­ m a i s l a p e n s é e . Les blancs qui p e u v e n t é c h a p p e r a u 16


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fer des brigands~s'embarquent pour le continent de l'Amérique ; tout le Nord est réduit en c e n d r e s , et les n è g r e s dominent s u r ses restes fumants. Quelque temps a p r è s , Toussaint, le plus célèbre de l e u r s chefs-, obligea le Commissaire français Santhonax à p a r t i r , et resta seul maître de celte partie de l'île, à laquelle il joignit ensuite celle de l'Ouest. Dans le d é p a r t e m e n t du Sud les suites de la révolte ne furent pas si terribles, parce q u e les mulâtres qui y étaient n o m b r e u x et intéressés au maintien de l'ordre, s'étant donné pour chef R i g a u d , h o m m e de leur couleur, p a r v i n r e n t à r é p r i m e r les esclaves. Cependant la F r a n c e , que l'expérience avait éclairée sur ses véritables i n t é r ê t s , résolut de réta­ blir les anciennes relations de cette Colonie avec la métropole. Le général Hédouville fut c h a r g é de cette mission. L'indiscrétion des colons qui publièrent que l'ancien systême allait être rétabli sans modifica­ t i o n s ; l'ambition de Toussaint et des autres chefs, qui ne p u r e n t se r é s o u d r e à se voir privés de leur pouvoir et de leurs richesses ; les craintes des n è g r e s , qui se c r u r e n t à la veille de p e r d r e leur li­ berté, d o n t ils n'avaient encore senti que les dou­ ceurs ; enfin l'impuissance ou le g é n é r a l Hédouville se t r o u v a d'appuyer ses négociations p a r la force, firent échouer cette e n t r e p r i s e , qui ne c h a n g e a en rien le sort de la colonie.


— 235 — A v a n t son départ, le g é n é r a l français avait s u s ­ c i t é c o n t r e Toussaint le mulâtre R i g a u d , g o u v e r ­ n e u r d u S u d . Celui-ci a r m e les hommes de sa cou­ l e u r , q u i n e pouvaient voir sans jalousie les n è g r e s j o u i r d e s plus g r a n d s a v a n t a g e s . L e chef des Afri­ c a i n s m a r c h e contre lui, le défait et le force à quitter Saint-Domingue. T o u s s a i n t s'étant ainsi r e n d u maître de l'île en­ t i è r e , s ' e n fait déclarer Souverain, et songe à c o n ­ s o l i d e r s a puissance. P o u r p a r v e n i r à ce b u t , il lui f a l l a i t d e l ' a r g e n t , et le seul moyen de s'en p r o c u r e r é t a i t d e r a n i m e r la culture. Il distribue donc les p l a n t a t i o n s a u x chefs qui l'ont secondé, se r é s e r v a n t s u r c h a c u n e u n r e v e n u considérable. Les n è g r e s , e x c e p t é u n certain n o m b r e qui restent a r m é s , sont f o r c é s d ' y r e t o u r n e r . Leurs n o u v e a u x maîtres p o u r s a t i s f a i r e l e u r insatiable cupidité, exigent de leurs e s c l a v e s l e m ê m e travail q u ' a u p a r a v a n t , quoiqu'ils f u s s e n t d i m i n u é s de p r è s de moitié ; plusieurs p é ­ r i s s e n t s o u s le fardeau d e s fatigues dont ils sont a c c a b l é s , o u sous la main s a n g l a n t e de leurs b a r ­ b a r e s i n s p e c t e u r s , r e g r e t t a n t la domination douce et p a t e r n e l l e des blancs. Toussaint p a r ces m o y e n s v i o l e n t s rétablit e n partie la colonie ; et le c o m m e r c e q u ' i l o u v r i t avec les Anglais et surtout avec l e s A n g l o - A m é r i c a i n s , lui p r o c u r a des sommes immen­ ses d o n t il fît enfouir u n e partie d a n s les m o r n e s ; le


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surplus lui servit à maintenir son gouvernement, et à solder environ 20,000 hommes qui composaient toutes ses torces. Les choses étaient d a n s cet état, lorsque la France en 1802, p r é p a r a une nouvelle expédition pour SaintDomingue. Le général Le Clerc, qui la commandait, arriva devant l'île, avec environ 12,000 hommes, d a n s le moment que Toussaint était d a n s la partie espagnole, où il avait fait une incursion. Il partagea son a r m é e en trois divisions, afin d'attaquer en m ê m e tems trois points i m p o r t a n s : l e Cap, le Fort Dauphin et le Port-au-Prince. Toutes les villes furent prises ; mais les n è g r e s mirent le feu a u x d e u x pre­ mières, avant de les quitter, et s'ils n'incendièrent p a s de m ê m e le P o r t - a u - P r i n c e , c'est qu'un mulâtre, n o m m é Bardet, qui commandait le fort Bizoton, se rendit sans la plus petite résistance et joignit ses t r o u p e s aux nôtres. Elles a t t a q u è r e n t la ville avec tant de vivacité, que les n è g r e s n ' e u r e n t q u e le tems de se soustraire à la m o r t p a r u n e p r o m p t e fuite. E n g é n é r a l , d a n s les p a r t i e s d u N o r d et de l'Ouest, tous les quartiers que l'ennemi ne put défendre furent incendiés ; ceux dont les c o m m a n d a n s aban­ d o n n è r e n t le parti de Toussaint furent seuls pré­ servés. Quant à la partie du Sud, elle demeura toute entière intacte. Le g é n é r a l n è g r e Laplume qui la commandait, a y a n t a p p r i s l ' a r r i v é e des Français,


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r a s s e m b l a ses soldats, leur lut la proclamation du C a p i t a i n e g é n é r a l , qui assurait leurs droits et les e n g a g e a à se soumettre. Tous prêtèrent aussitôt ser­ m e n t de fidélité avec le plus g r a n d e m p r e s s e m e n t . I l é t a b l i t de suite s u r les frontières de son d é p a r t e ­ m e n t u n cordon d e t r o u p e s qui p a r v i n r e n t à r e ­ p o u s s e r toutes les a t t a q u e s des n è g r e s . Sa s o u m i s ­ s i o n n o u s p r o c u r a e n c o r e u n a u t r e a v a n t a g e ; elle e n t r a î n a celle de plusieurs a u t r e s chefs, qui se j o i ­ g n i r e n t à nous avec l e u r s soldats, et n o u s furent t r è s utiles p e n d a n t la c a m p a g n e . A p r è s plusieurs tentatives inutiles a u p r è s de T o u s s a i n t p o u r l ' e n g a g e r à mettre b a s les a r m e s , le C a p i t a i n e g é n é r a l eut recours à la force p o u r l'y c o n t r a i n d r e ; ayant reçu des renforts assez consi­ d é r a b l e s de F r a n c e , il fit ses dispositions, et com­ m e n ç a la c a m p a g n e . Toutes les fois q u e les F r a n ç a i s e n v i n r e n t a u x m a i n s , ils furent v a i n q u e u r s , m a l g r é l a r é s i s t a n c e opiniâtre de quelques chefs. Mais les t r o u p e s n è g r e s battues n'étaient p a s détruites ; les s o l d a t s se dispersaient d a n s les m o r n e s , où il était i m p o s s i b l e a u x F r a n ç a i s de les atteindre et ensuite s e r a l l i a n t à la voix de leurs chefs, ils continuaient d ' é t e n d r e p a r t o u t le r a v a g e et l'incendie. N o u s p e r ­ d i o n s beaucoup de m o n d e en détail, et n o u s n o u s v o y i o n s menacés de n e pouvoir d e l o n g t e m s rétablir l e c a l m e d a n s l'île, l o r s q u e Christophe, qui corn-


— 238 mandait les n è g r e s dans le Nord, se rendit. Sa sou­ mission fut suivie de celle de Toussaint ; peu après Dessalines imita leur exemple. Il fut convenu que Toussaint enverrait a u Gap, tous les militaires atta­ chés à sa p e r s o n n e . Toutes les troupes entraient au service de F r a n c e , les officiers étaient maintenus d a n s leurs g r a d e s , et les soldats mis sur le même pied que les n ô t r e s . Christophe dans le N o r d et Dessalines d a n s l'Ouest étaient c h a r g é s d'opérer le d é s a r m e m e n t général dans les c a m p a g n e s , et de faire r e n t r e r les n è g r e s cultivateurs sur leurs habi­ tations. L'île entière paraissait soumise et le g é n é r a l Le Clerc s'occupait de l'administration, lorsque d e s co­ lons rapportèrent q u e Toussaint, r e t i r é alors dans u n e de ses habitations, excitait les n è g r e s à la ré­ volte et faisait des a m a s d ' a r m e s . E n conséquence, il fut a r r ê t é et conduit à bord d'une frégate qui fit aussitôt voile pour l'Europe. Les g é n é r a u x n è g r e s et de couleur, officiers et soldats, criaient à l'injus­ tice, accusaient les colons blancs qui n'avaient encore p u s'emparer de l'esprit d u g é n é r a l Le Clerc, d'y être enfin p a r v e n u s . C'est alors que la conduite du Capitaine général c h a n g e a entièrement. A u n e d o u c e u r qui quelque fois avait été appelée faiblesse, succéda u n e rigueur inouïe ; l'existence d ' u n n è g r e ou h o m m e de cou-


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l e u r d é p e n d a i t de la plus petite dénonciation ; sous l e p l u s léger soupçon, on le faisait a r r ê t e r , fusiller o u n o y e r . Je n'oserais dire le n o m b r e des victimes q u i p é r i r e n t ainsi. ; ma plume se refuse à tracer de p a r e i l l e s h o r r e u r s . Que devaient p e n s e r les n è g r e s , qui s o n t g é n é r a l e m e n t s u p e r s t i t i e u x , lorsqu'ils v o y a i e n t sur les bords de la mer, les c a d a v r e s de l e u r s c a m a r a d e s , qui y avaient été a p p o r t é s p a r les flots? Ils demandent v e n g e a n c e , disaient-ils! Les c r u a u t é s particulières de quelques c o m m a n d a n s por­ t è r e n t l'indignation à son comble. C r o i r a - t - o n q u ' u n o f f i c i e r supérieur, ait eu la b a r b a r i e de faire d é v o ­ r e r u n de ces m a l h e u r e u x p a r ses chiens ? Mais d é ­ t o u r n o n s la Vue de tant de crimes ; q u ' u n silence é t e r n e l les ensevelisse dans l'oubli, et qu'ils n e se r e n o u v e l l e n t j a m a i s sur ces infortunés r i v a g e s . L e s nouvelles qu'on reçut de la Guadeloupe et de l a M a r t i n i q u e , où tout, disait-on, avait été remis sur l ' a n c i e n pied, a u g m e n t è r e n t encore la défiance et la c r a i n t e des n è g r e s . Malheureusement dans le m ê m e t e m s , la maladie à laquelle tout E u r o p é e n est sou­ m i s l a p r e m i è r e a n n é e de son séjour d a n s l'île faisait d e t e l s r a v a g e s , qu'il ne restait plus q u ' u n petit n o m b r e de soldats en état de faire le service. Les c h e f s n è g r e s , redoutant le sort de Toussaint, ou de t a n t d ' a u t r e s , profitèrent habilement des c i r c o n s ­ t a n c e s critiques où n o u s étions et de la disposition


— 240 — des esprits, que notre conduite avait indignés, p o u r exciter secrètement des révoltes en conservant toutes les a p p a r e n c e s de la fidélité ; et lorsque l'insurrec­ tion fut devenue g é n é r a l e , ils se mirent ouvertement à la tête des rebelles, s ' e m p a r è r e n t de plusieurs villes importantes d a n s le N o r d et dans l'Ouest et s'ap­ p r o c h è r e n t du Gap. S u r ces entrefaites m o u r u t le Capitaine général ; il eut p o u r successeur le général R o c h a m b e a u . Les secours q u e ce dernier reçut de F r a n c e , n e furent p a s assez considérables p o u r le m e t t r e en état de rétablir les affaires du Nord et de l'Ouest : il ne restait donc que la partie du Sud, que le b r a v e g é n é r a l Laplume, toujours fidèle à ses serm e n s , avait conservée. On la perdit p a r des r i g u e u r s plus odieuses encore que celles qui n o u s avaient déjà été si nuisibles. Le mulâtre Bardet, qui nous avait r e n d u le fort Bizoton, et p a r là sauvé le Portau-Prince, qui commandait alors la g e n d a r m e r i e des Cayes, qui n o u s avait toujours servi avec la plus g r a n d e fidélité, est subitement a r r ê t é et noyé dans la m ê m e nuit, p a r l'ordre d ' u n g é n é r a l français, sans qu'on ait su quel était son crime. Peu de t e m s après, la plus g r a n d e partie de la g e n d a r m e r i e subit le m ê m e sort et les habitans les plus r i c h e s et les plus connus p a r leur dévouement p o u r n o u s sont fusillés. Ces h o r r e u r s révoltent les m u l â t r e s ; ils se joignent a u x n è g r e s i n s u r g é s qu'ils v i e n n e n t de combattre,


— 241 — a i m a n t mieux incendier e u x - m ê m e s leurs h a b i t a ­ t i o n s , que de rester plus longtems unis à des h o m m e s q u i p a y a i e n t leurs services avec la plus n o i r e i n g r a ­ t i t u d e . Dès lors tout fut en combustion et la g u e r r e a y a n t éclaté de n o u v e a u entre la F r a n c e et l'Angle­ t e r r e , on perdit tout espoir de secours et on évacua l ' î l e e n t i è r e en 1804. A u j o u r d ' h u i que n o u s connaissons les fautes qui f u r e n t alors commises et q u e n o u s n ' a v o n s plus à r e d o u t e r les èvénemens é t r a n g e r s qui s'y j o i g n i r e n t p o u r faire m a n q u e r l'expédition, le succès va d é ­ p e n d r e en g r a n d e p a r t i e du Capitaine g é n é r a l . Aux t a l e n s militaires et administratifs, il doit j o i n d r e u n e g r a n d e politique, beaucoup de d e x t é r i t é , u n e p r o b i t é reconnue, u n e réputation intacte, u n c a r a c ­ t è r e inaccessible à toute flatterie et assez ferme pour l u i faire tenir u n e balance é g a l e entre des g e n s dont l e s p r é t e n t i o n s et les intérêts sont souvent opposés, s a n s q u e cette fermeté cependant d é g é n è r e j a m a i s e n u n e trop g r a n d e sévérité. Obligé de faire des p r o m e s s e s , p o u r r a m e n e r les plus défians des h o m m e s , il faudra q u e son habileté leur fasse o u ­ b l i e r le passé et q u e sa bonne foi les r a s s u r e s u r l ' a v e n i r ; ses belles qualités l'auront devancé à la C o l o n i e , et les m a l h e u r e u x ployés sous le j o u g le p l u s cruel, aspireront à voir a r r i v e r leur libéra­ t e u r . Combien il est donc i m p o r t a n t q u ' a u c u n e


— 242 — prévention n'existe contre lui, afin que son nom cité avec éloge, sa bonté et ses a u t r e s vertus, p r é p a r e n t toutes les classes d'habitans à le recevoir c o m m e leur p r o t e c t e u r , comme l'envoyé de ce v e r t u e u x Monarque, dont le retour au Trône de ses pères n ' a été m a r q u é que p a r des bienfaits et dont l'unique but est d'assurer leur bonheur. H e u r e u x pour la Colonie en g é n é r a l que le chef de cette expédition y arrivât pour la première fois, étant sans haine, sans préjugés, sans aucune liaison dans le pays, il concilierait plus facilement tous les partis et administrerait avec plus d'impartialité. Dans le cas contraire, les chefs n è g r e s connaissant ses moyens et son côté faible, n e m a n q u e r a i e n t p a s de s'en prévaloir, de r a p p e l e r d'anciens griefs, de les exagérer, et d'indisposer les esprits contre lui ; mais s'il était possible que la majeure partie des g é ­ n é r a u x , officiers et soldats qui ont déjà habité ce pays, participassent à cette expédition, le succès n ' e n serait que plus certain. Les p r e m i e r s p o u r r a i e n t donner au Capitaine g é n é r a l quelques r e n s e i g n e mens dont il aurait besoin, soit s u r les localités, soit même sur le caractère des habitans. Il existe encore un g r a n d n o m b r e de ces militaires qui ont été des différentes expéditions ; le désir d e p r o u v e r au Roi, combien ils lui sont dévoués et m ê m e l'espérance d'obtenir u n a v a n c e m e n t plus r a -


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p i d e , doivent leur faire offrir volontairement l e u r s s e r v i c e s . Mais s'ils n e se p r é s e n t a i e n t p a s , p o u r q u o i n e seraient-ils pas a p p e l é s ? J e sais q u e b e a u c o u p r e d o u t e n t d a n s ce p a y s l'influence du climat : cette c o n s i d é r a t i o n devrait elle a r r ê t e r des militaires f r a n ç a i s ? Si elle en était capable, mériteraient-ils que l e S o u v e r a i n s'intéressât à leur s o r t ? Celui qui craint d e s'exposer p o u r servir son Roi et sa P a t r i e est i n d i g n e de leurs bienfaits. Il ne faudrait cependant p a s les accepter tous i n d i s t i n c t e m e n t : q u e l q u e s - u n s seraient u n fléau p o u r la Colonie. Les concussions qui les ont d é s h o ­ n o r é s , les c r u a u t é s qu'ils ont commises, y ont r e n d u l e u r n o m j u s t e m e n t odieux ; et s'ils y allaient de n o u v e a u , leur présence ne pourrait q u ' ê t r e c o n t r a i r e a u x intentions du Monarque et a u x i n t é r ê t s du Gou­ v e r n e m e n t . P o u r u n e semblable expédition, il n e f a u t q u e des h o m m e s probes, qui sachent se faire a i m e r et estimer, qui mettent au n o m b r e de l e u r s d e v o i r s les plus sacrés celui de contribuer à la p a ­ c i f i c a t i o n de la Colonie et au b o n h e u r de tous s e s habitans. Des raisons semblables font désirer d'avoir le plus q u ' o n p o u r r a de sous-officiers et soldats, p o u r l e s ­ q u e l s l'île ne soit pas u n p a y s n o u v e a u . Outre q u e l a m a l a d i e est bien moins d a n g e r e u s e p o u r e u x , ils i n d i q u e r o n t à leurs c a m a r a d e s la m a n i è r e et les p r é -


— 244 — cautions qu'il faut p r e n d r e p o u r que les g r a n d e s chaleurs, les liqueurs spiritueuses, les fruits et s o u ­ vent les plaisirs i m m o d é r é s , leur soient moins n u i ­ sibles. Dès qu'on a u r a lait connaître que les s o u s officiers et soldats reçoivent u n e haute paye à Saint-Domingue, il s'en p r é s e n t e r a beaucoup, qui accoutumés à vivre dans les c a m p s , aimeront m i e u x courir les h a s a r d s d'une expédition qui leur d o n n e des espérances, q u e de s ' e n n u y e r d a n s l'oisiveté d'une garnison ; surtout si on a soin de leur faire sentir que la maladie n'est pas toujours aussi t e r ­ rible qu'elle l'a été en 1802 ; que ses r a v a g e s o n t été dûs en partie à des causes accidentelles, qui ont été prévues et qui n'existeront plus ; enfin, si on leur p r o m e t que le tems de leur service sera d é t e r m i n é et beaucoup moins long qu'en F r a n c e , et q u e l o r s ­ qu'ils auront leur c o n g é , ils t r o u v e r o n t aux Antilles, s'ils veulent y rester, des a v a n t a g e s qu'ils n ' a u r a i e n t point dans leur pays. Afin d'éviter les privations que n o u s avons éprou­ vées d a n s la d e r n i è r e expédition, il serait n é c e s ­ saire d ' e m b a r q u e r des provisions de toutes e s p è c e s . Cet article est important, si on se rappelle qu'il n o u s en a été fournies qui étaient p r e s q u e toutes a v a ­ riées, et que la farine s u r t o u t , échauffée et d ' u n e t r è s m a u v a i s e qualité, n'a pas p e u contribué à a u g ­ m e n t e r les m a l a d i e s . Le riz et le vin sont deux.


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c h o s e s dont on ne peut se p a s s e r . Le p r e m i e r c o r r i g e l e s propriétés nuisibles des fruits et l é g u m e s fari­ n e u x , dont les soldats m a n g e n t t o u j o u r s à satiété, à cause de leur g o û t agréable et qui d o n n e n t la d y ­ s e n t e r i e . Le vin sert à r é p a r e r les forces d a n s u n p a y s ou la g r a n d e chaleur en fait p e r d r e b e a u c o u p . C o m m e on ne p o u r r a i t p r i v e r la t r o u p e de viande fraîche sans de g r a v e s i n c o n v é n i e n s , il sera facile d e passer des m a r c h é s avec les Etats-Unis d'Amé­ r i q u e , pour nous fournir du bétail ; on p o u r r a i t é g a ­ l e m e n t en tirer de la partie e s p a g n o l e , qui en était autrefois a b o n d a m m e n t p o u r v u e , si les circonstances n ' o n t pas c h a n g é son état. Il serait u r g e n t que les p r o p r i é t a i r e s d'habitations s ' e m b a r q u a s s e n t avec les t r o u p e s , ou du m o i n s e n ­ v o y a s s e n t des fondés de pouvoirs qui a m è n e r a i e n t a v e c e u x u n certain n o m b r e d ' o u v r i e r s . Les p r e ­ m i e r s , personnellement intéressés au rétablissement d e la Colonie, feraient avec zèle tout ce qu'on p o u r ­ r a i t désirer d'eux pour p a r v e n i r à ce but. Leur qua­ lité d'anciens p r o p r i é t a i r e s , les bontés qu'ils ont eues p o u r leurs esclaves, et que ceux-ci n'ont pas e n c o r e oubliées, leur d o n n e r a i e n t la facilité de s ' a b o u c h e r a v e c quelques u n s d'entre eux et de s o n d e r l e u r s dispositions. Ceux a u x q u e l s on en trouverait de fa­ v o r a b l e s pour n o u s , on les c h a r g e r a i t de r a m e n e r l e s autres, en leur faisant le récit des a v a n t a g e s dont


- 246 — ils jouissent eux-mêmes et de la m a n i è r e douce a v e c laquelle on les t r a i t e . Les ouvriers venus de F r a n c e , outre qu'ils concourraient p a r leur travail a u r é t a ­ blissement d e s habitations et à l a culture, p o u r r a i e n t encore former a u besoin, p a r q u a r t i e r , des c o m p a ­ gnies pour m a i n t e n i r le bon o r d r e . L'on sait q u e le t e m s le plus favorable pour l'em­ b a r q u e m e n t d e s troupes est le mois de s e p t e m b r e , m ê m e le commencement d ' o c t o b r e l e s soldats o n t alors 4 ou 5 mois pour s'acclimater a v a n t les g r a n d e s chaleurs, et dans ces intervalles, ils n ' é p r o u v e n t aucun effet de la maladie. Avant de p a r l e r de la conduite à tenir en a r r i v a n t d a n s la Colonie, j e ferai quelques observations qui ne seront p a s inutiles. L'île est habitée p a r p l u s i e u r s classes d'hommes dont les intérêts sont bien différ e n s . Les mulâtres et anciens libres p o s s e s s e u r s d'habitations a v a n t la Révolution, a s p i r e n t à v o i r finir la tyrannie des chefs n è g r e s d o n t ils ont sou­ vent senti les funestes effets, p a r t i c u l i è r e m e n t sous Toussaint, Dessalines, et s û r e m e n t sous ceux qui leur ont succédé. Ils ont sans cesse devant les y e u x les d a n g e r s qu'ils courent a u milieu d'une p o p u l a ­ tion dix fois plus n o m b r e u s e q u ' e u x et qui peut à tout m o m e n t leur ravir l'existence, pour leur enlever le p e u qu'ils ont pu conserver : ils savent que leur situation serait bien différente et plus stable, si l'an-


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c i e n o r d r e de choses était rétabli, p u i s q u ' a l o r s ils a u r a i e n t des lois s a g e s p o u r soutien. On a v u d a n s l ' e x p é d i t i o n du g é n é r a l Le Clerc, avec quel e m p r e s ­ s e m e n t ils se j o i g n i r e n t à n o u s , avec quel zèle ils n o u s servirent. Il a fallu les c r u a u t é s inouïes qu'on e x e r ç a contr'eux p o u r qu'ils se réunissent a u x i n s u r ­ g é s . Mais n o u s p o u v o n s encore compter s u r ces b r a v e s g e n s . L'intérêt si p u i s s a n t sur tous les h o m m e s e t p a r t i c u l i è r e m e n t sur ceux là, l e u r jalousie m ê m e p o u r les n è g r e s , autrefois esclaves, à p r é s e n t l e u r s é g a u x , les p o r t e r o n t à n o u s seconder. Il faudra donc c h e r c h e r à n o u s a s s u r e r u n e alliance si utile ; il fau­ d r a l e s bien p e r s u a d e r q u e l'intention du Roi est d e l e s faire jouir des m ê m e s droits q u ' a n t é r i e u r e m e n t , d e m a n i è r e qu'un blanc et un h o m m e libre de c o u ­ l e u r soient é g a u x devant la loi. Contens de la c e r t i ­ t u d e qu'ils a u r o n t de j o u i r des m ê m e s droits que les a u t r e s colons, les mulâtres feront l e u r s efforts p o u r r é t a b l i r u n o r d r e de choses qui leur sera désormais a u s s i a v a n t a g e u x qu'à n o u s . O n peut p a r t a g e r les n è g r e s en deux classes : c e u x qui sont e n r é g i m e n t é s et les cultivateurs ; les d e r n i e r s ne furent j a m a i s a r m é s q u e m o m e n t a n é ­ m e n t , dans les instans de crise ou les t y r a n s a v a i e n t b e s o i n de leurs secours p o u r soutenir leur d o m i n a ­ t i o n . L e nom seul de la liberté l e u r est connu ; car i l s s o n t traités beaucoup plus d u r e m e n t que q u a n d


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ils étaient esclaves. Tout le m o n d e sait que s'ils t o m ­ baient m a l a d e s , on les soignait avec bonté, l e u r s maîtres y avaient le plus g r a n d intérêt. Les v i e i l l a r d s , les infirmes, avaient u n e existence assurée ; a u j o u r ­ d'hui comment sont-ils ? Je l ' i g n o r e , mais c o n n a i s ­ sant le caractère de leurs chefs, j e ne doute p o i n t qu'on les a b a n d o n n e , comme on le dit, dès qu'ils n e peuvent plus travailler, et qu'on n e leur refuse m ê m e la n o u r r i t u r e . La peine que les chefs prononcent le plus c o m m u ­ n é m e n t est la m o r t : ils l'infligent pour la faute la plus l é g è r e ; souvent ils exécutent eux-mêmes l e u r s a r r ê t s . On connaît les b a r b a r i e s de Toussaint, l o r s ­ qu'il cacha ses immenses t r é s o r s d a n s les m o r n e s d u G r a n d Cahos. Il faisait m a s s a c r e r à leur r e t o u r c e u x qui les avaient enfouis. Ses successeurs l'ont imité et quelques u n s l'ont m ê m e d é p a s s é . Croit-on que des hommes ainsi traités t i e n n e n t beaucoup à leur liberté ? Dans le c o m m e n c e m e n t ils ont bien p u être entraînés à la révolte p a r les idées séduisantes que les chefs l e u r p r é s e n t a i e n t , mais ils ont eu tous le t e m s d'en sentir l'illusion. A u lieu de biens qu'on leur promettait, ils n'ont t r o u v é que des fatigues, des p r i v a t i o n s et des m a u x de toutes espèces. Lors des p r e m i è r e s expéditions, le feu de l'insurrection était d a n s toute sa force, les n è g r e s ne pouvaient pas encore être d é s a b u s é s , m a i s


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a u j o u r d ' h u i tout ce p r e s t i g e de bonheur est détruit ; l'effervescence a eu son cours et les têtes sont c a l ­ m é e s . Je suis donc p e r s u a d é que les c u l t i v a t e u r s r e p r e n d r o n t volontiers leur ancien état, si on a soin d ' a d o u c i r les c h a î n e s de leur esclavage p a r des r é g l e m e n s , à la rédaction desquels c o n c o u r r a i e n t é g a l e m e n t , et les colons et les chefs de couleur, qui e n l a i s s a n t au m a î t r e u n e j u s t e autorité s u r ses n è g r e s , a s s u r e n t à ceux-ci u n refuge contre lui, s'il o s a i t j a m a i s en a b u s e r ; si surtout, on leur fixe un s a l a i r e a n n u e l p o u r leur travail ; quelque médiocre q u ' i l soit, ils se t r o u v e r o n t h e u r e u x de j o u i r d'un a v a n t a g e qu'ils n'ont j a m a i s eu. O n n e t r o u v e r a donc d'obstacles réels q u e d a n s l e s n è g r e s e n r é g i m e n t é s . Je sais que quelques personnes croyant qu'on ne peut rétablir la Colonie s a n s u n e réaction e n t i è r e , absolue et sans modifica­ t i o n s , p r é t e n d e n t qu'il faut faire r e n t r e r tous les n è g r e s indistinctement dans l'esclavage. Ils n e con­ s i d è r e n t pas les d a n g e r s d'une telle m e s u r e . Les n è g r e s e n r é g i m e n t é s , accoutumés depuis l o n g t e m p s à l'oisiveté et à la licence, voudront-ils r e p r e n d r e la h o u e ? Ils se croiraient avilis, s'ils se voyaient c o n ­ f o n d u s avec les cultivateurs, qu'ils sont habitués à r e g a r d e r comme b e a u c o u p au dessous d'eux. Il fau­ d r a i t a v o i r r e c o u r s à la force pour les c o n t r a i n d r e à r e n t r e r dans l'esclavage, et encore j e n e sais si on y 17


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parviendrait p a r ce moyen. Nos troupes, j e n ' e n doute p a s , battront toujours les n è g r e s , m a i s ceuxci se soutiendront d a n s les m o n t a g n e s , où il n o u s sera impossible de les atteindre. Dans u n a u t r e p a y s , la faim les forcerait d'en d e s c e n d r e , et de s'aban­ d o n n e r à la discrétion du v a i n q u e u r ; dans celui-ci, ils trouvent s u r les m o r n e s les plus élevés u n e n o u r r i t u r e qui leur suffit ; ainsi ils y resteront, tant que le d a n g e r d u r e r a , et q u a n d ils verront la plaine d é g a r n i e de troupes, ils la r a v a g e r o n t et l'incendie­ ront. On ne peut p a s s o n g e r n o n plus à les exporter pour servir d a n s u n autre p a y s ; outre que ce projet" p r é s e n t e d'abord les m ê m e s difficultés q u e le p r e ­ mier, puisque les n è g r e s n e p o u r r o n t m a n q u e r de le connaître, et qu'aussitôt ils se s a u v e r o n t dans les m o r n e s , d'où il sera impossible d e les t i r e r , il aurait encore des suites e x t r ê m e m e n t d a n g e r e u s e s , si j a ­ m a i s on l'exécutait. Les t r a n s p o r t e r en F r a n c e , ce serait faire u n bien funeste p r é s e n t à la P a t r i e . Ils s'y marieraient, a u r a i e n t d e s concubines, le s a n g se m é l a n g e r a i t et n o u s a u r i o n s d a n s peu d e s mulâtres et toutes espèces d ' h o m m e s d e couleur. Quiconque y réfléchira t r o u v e r a que ce serait payer trop cher le bien qu'une telle m e s u r e p r o c u r e r a i t à la Colonie. Les faire passer d a n s u n e île telle q u e la Guadeloupe, la Martinique et a u t r e s , ce serait vouloir d o n n e r a u x


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n è g r e s qui les cultivent des idées de liberté et d'in­ d é p e n d a n c e , incompatibles avec la tranquillité d u p a y s ; le travail leur deviendrait odieux, ils v o u ­ d r a i e n t s'en affranchir et à l'exemple de leurs compa­ t r i o t e s ils en saisiraient l'occasion dès qu'elle se p r é s e n t e r a i t . P o u r q u o i r é p a n d r e des semences de t r o u b l e s d a n s ces contrées paisibles ? Ne serait-ce p a s i m i t e r la folie d'un h o m m e qui voyant sa m a i s o n d é v o r é e p a r le feu, en a r r a c h e r a i t les débris enflam­ m é s , p o u r les lancer s u r u n e autre de ses p r o p r i é ­ tés ? L a crainte de p e r d r e la liberté dont ils j o u i s s e n t , s u f f i r a i t p o u r retenir les n è g r e s e n r é g i m e n t é s sous l e s d r a p e a u x de leurs chefs. Le seul moyen de les a t t i r e r dans notre parti est de la leur confirmer. M o n avis serait qu'on formât des r é g i m e n s n è g r e s a u s e r v i c e de la F r a n c e , qu'on les mit exactement s u r l e m ê m e pied que nos troupes, et qu'on déclarât q u e c e u x qui s'y enrôleraient seraient libres et q u ' a p r è s u n certain laps de tems déterminé d'un bon s e r v i c e , ils recevraient des congés qui les affranchi­ r a i e n t entièrement ; mais que tous ceux p r i s les a r m e s à la m a i n d e v i e n d r a i e n t esclaves et s e r a i e n t mis à l a g ê n e . On m e dira peut être qu'il faudrait plutôt les con­ d a m n e r à m o r t p o u r é p o u v a n t e r les a u t r e s . Que l e s b l a n c s se g a r d e n t bien d'en v e n i r à ces extrémités ;


— 252 — n o n seulement elles seraient nuisibles à la Colonie, en la privant de ses cultivateurs ; mais encore elle les ferait a b h o r r e r et les n è g r e s n'ayant devant eux que la perspective d'une mort certaine, s'ils se lais­ saient p r e n d r e , combattraient avec plus d ' a c h a r n e ­ m e n t et aimeraient mieux se faire tous massacrer que de se r e n d r e . L'uniforme qu'on d o n n e r a à ces r é g i m e n s de­ m a n d e quelque attention ; s'il est brillant et orné de clinquans, il séduira ces h o m m e s qui ont une vanité extraordinaire, et le désir de le p o r t e r en attirera beaucoup. Il ne sera pas m ê m e inutile de faire peindre des soldats ainsi équipés, en désignant le n o m du régiment, le lieu qu'il devra occuper, et la liberté qu'auront les n è g r e s de s'y e n g a g e r indis­ tinctement. Ces moyens tout faibles qu'ils paraissent, donneront d'avantageux résultats. Toutes les per­ sonnes qui ont déjà été à S a i n t - D o m i n g u e , savent de quelle utilité sont des r é g i m e n s de cette espèce. Il faudrait y mettre un c a d r e d'officiers et sous-offi­ ciers blancs pour le pouvoir, p a r r a n g d'ancienneté, et faisant en sorte cependant comme il y a u r a i t un c a d r e d'officiers et sous-officiers de couleur, qu'en suivant cet a r r a n g e m e n t , la principale autorite de­ m e u r â t entre les mains d'officiers français, sans blesser l'amour p r o p r e des officiers n è g r e s . Dans c h a q u e compagnie, j e ferais tenir la comptabilité par


— 253 — l e c a p i t a i n e de couleur, s'il en était capable, ou p a r s o n lieutenant, afin que les soldats s'ils se croyaient l é s é s , n'accusent pas l e u r p r e m i e r chef et m ê m e p u i s s e n t y avoir r e c o u r s . Les officiers ainsi e m ­ p l o y é s dans ces r é g i m e n s devront tous être doués d e s c o n n a i s s a n c e s de leur état, et laisser aux chefs n è g r e s le soin de faire exécuter les m e s u r e s de r i ­ g u e u r , ce qui ne contribuera pas peu à les faire d é ­ t e s t e r . P o u r p r o u v e r a u x sous-officiers et soldats de c o u l e u r combien on s'occupe de leurs intérêts, u n C o n s e i l d'administration p a r bataillon d e v r a s'assem­ b l e r tous les quinze j o u r s , p o u r recevoir toutes les r é c l a m a t i o n s et les t r a n s m e t t r a au Conseil du r é g i ­ m e n t qui devra être réuni à cet effet tous les mois, , p o u r taire droit à toutes les d e m a n d e s , si elles sont d e s a compétence, ou les adresser au Capitaine g é ­ néral. C e s r é g i m e n s , composés d'hommes qui c o n n a i s ­ s e n t Je pays et qui sont accoutumés à g r a v i r les m o r n e s les plus élevés, seront bien plus p r o p r e s que n o s t r o u p e s à découvrir les dépôts d ' a r m e s , et à r a ­ m e n e r les n è g r e s qui refuseraient de r e t o u r n e r à l e u r travail ; ils n e seront que plus zélés, si p o u r c h a q u e m a r r o n et les a r m e s qu'ils livreront, on l e u r d o n n e des p r i m e s comme p a r le passé. O n p o u r r a i t m ê m e accorder u n e décoration quel­ c o n q u e à ceux qui se d i s t i n g u e r a i e n t p a r leur cou-


— 234 — r a g e et leur bonne conduite ; la fleur de lys p a r exemple, ou la croix de la Légion, en flattant ex­ t r ê m e m e n t ceux qui la recevraient, les a t t a c h e r a i t plus fortement à notre parti, et le désir de l'obtenir, en excitant l'émulation des a u t r e s , leur ferait b r a v e r tous les d a n g e r s pour n o u s servir. R e s t e ensuite à savoir la conduite que l'on t i e n d r a à l'égard des chefs. Ici la sévérité serait encore u n e fausse m e s u r e ; elle pousserait à la dernière extré­ mité des hommes que leur désespoir r e n d r a i t r e d o u ­ tables, et porterait u n t r è s g r a n d préjudice a u x intérêts de la Colonie. Ne vaudrait-il pas m i e u x avoir recours à la douceur ? C o m m e ils ont u n p o u ­ voir presque sans b o r n e s sur leurs t r o u p e s et qu'ils les font a g i r à leur g r é , si quelques u n s e m b r a s s e n t n o t r e parti, on peut être a s s u r é q u e tous leurs sol­ dats les suivront et ceux qui combattaient contre n o u s serviront alors avec zèle p o u r a r r i v e r à ce but. Il ne s'agit que de les confirmer d a n s leurs g r a d e s et de promettre a u x principaux qu'ils auront des inspections, les plus p u i s s a n s s u r les t r o u p e s de leur couleur, et les a u t r e s sur les cultivateurs ; que m ê m e ils percevront des r e v e n u s annuels sur quel­ ques habitations. Les b o n s t r a i t e m e n s qu'ils rece­ v r o n t , les é g a r d s qu'on a u r a p o u r eux, les distinc­ tions flatteuses dont on les h o n o r e r a , porteront la majeure partie à imiter l'exemple de ceux que la


— 255 — r a i s o n aurait éclairés ; d'autant qu'ils c r a i n d r o n t d e n e j a m a i s participer aux m ê m e s a v a n t a g e s , s'ils ne s e h â t e n t de les accepter, et qu'ils verront que n o s f o r c e s sont telles qu'il l e u r d e v i e n d r a tôt ou t a r d i m p o s s i b l e de p r o l o n g e r leur résistance. Je suis m ô m e p e r s u a d é que Pétion ne sera pas difficile à g a g n e r : sa haine p o u r Christophe, contre lequel il s o u t i e n t depuis l o n g t e m s u n e g u e r r e d é s a v a n t a ­ g e u s e , et le désir de se v e n g e r d'un rival plus p u i s ­ s a n t q u e lui, le décideront facilement en notre fa­ v e u r . La réduction de Christophe p r é s e n t e r a p e u t ê t r e plus de difficultés ; ce ne sera sans doute que m a l g r é lui qu'il se r é s o u d r a à quitter le sceptre qu'il a u s u r p é ; mais a b a n d o n n é de ses p r i n c i p a u x sou­ t i e n s , c r a i g n a n t m ê m e d'être livré p a r les siens, si s a t ê t e était mise à p r i x , et bien convaincu que la F r a n c e fera tous ses efforts p o u r le r é d u i r e , il n ' o s e r a p a s e n t r e p r e n d r e u n e lutte qui finirait p a r sa r u i n e t o t a l e ; ou s'il était assez insensé pour la préférer, il n e t a r d e r a i t pas à voir toutes ses r e s s o u r c e s a n é a n ­ t i e s et à être obligé de s'exiler ou de se r e m e t t r e à n o t r e discrétion. Il doit avoir p r é s e n t dans la m é ­ m o i r e ce qui est a r r i v é à Toussaint en 1802. Ce chef a v a i t sous ses o r d r e s e n v i r o n 20,000 h o m m e s de t r o u p e s r é g l é e s ; il avait m ê m e a r m é beaucoup de c u l t i v a t e u r s , moins a g u e r r i s à la vérité, m a i s qui f a i s a i e n t nombre ; les Anglais lui fournissaient d e s


— 256 — a r m e s et des munitions a u t a n t qu'il en désirait, et cependant q u a t r e mois de c a m p a g n e le réduisirent au point de r e n o n c e r à toute autorité, et sans les h o r r e u r s auxquelles on se p o r t a ensuite, les effets de la cruelle m a l a d i e , la déclaration de g u e r r e de l'An­ g l e t e r r e , la tranquillité était rétablie. Comment donc Christophe qui n ' a q u ' u n d é p a r t e m e n t , u n e a r m é e bien moins n o m b r e u s e , qui ne trouvera pas les m ê m e s ressources pour se p r o c u r e r des a r m e s , qui sera s û r e m e n t a b a n d o n n é d ' u n e partie de ses g é n é ­ r a u x et de ses soldats, pourrait-il faire u n e longue résistance, dans le m o m e n t q u e la F r a n c e , en paix avec l'Europe entière, peut disposer de toutes ses forces, et en faire passer a u t a n t qu'elle v o u d r a à Saint-Domingue? Tous les chefs seraient-ils m ê m e parfaitement d'accord, ce qui est impossible, la con­ quête de l'île ne pourrait e x i g e r q u e fort p e u de „ tems. Dès que l'escadre a r r i v e r a s u r les côtes, j e croi­ rais qu'elle devrait se diviser, afin de se p r é s e n t e r en m ê m e temps devant le Cap, le F o r t - D a u p h i n , Saint-Marc, le Port-au-Prince et les Cayes. Il est probable que n o u s serons reçus d a n s deux ou trois de ces villes ; s'il en était a u t r e m e n t , il serait aisé de d é b a r q u e r sur les p l a g e s v o i s i n e s , au moyen de r a d e a u x , et de p r e n d r e des positions qui mettraient l'ennemi d a n s l'impossibilité de s'échapper ; afin q u e


— 257 — s e voyant cernés, ils n'osent p a s incendier la ville q u ' i l s occuperaient. Le Cap p r é s e n t e r a i t plus de diffi­ c u l t é s , si Christophe rejettait les propositions qui l u i seraient faites, l'entrée de la r a d e étant défendue p a r u n fort, et très d a n g e r e u s e p a r la quantité de r é c i f s qui l'environnent ; au surplus il n e faudrait c o m m e n c e r les hostilités qu'à la d e r n i è r e extrémité, a f i n d e bien p e r s u a d e r a u x n è g r e s q u e le Roi veut u s e r e n v e r s eux de toute la douceur possible. L e d é b a r q u e m e n t t e r m i n é et les m a g a s i n s établis d a n s les principales villes, il sera indispensable d'en t e n i r le soldat éloigné ; le r e p o s dont ils j o u i r a i e n t , l e s excès en tous g e n r e s auxquels ils se livreraient, j o i n t s à la chaleur et à la corruption de l'air ne p e u ­ v e n t qu'être infiniment nuisibles à la santé. Ce q u i lui convient le m i e u x pour l'acclimater, est le s é j o u r des c a m p s , qu'on doit avoir le soin de placer s u r des lieux élevés, où l'air est plus p u r et plus vif. Il y t r o u v e r a facilement du bois pour c o n s t r u i r e s e s b a r a q u e s ; et les feuilles de b a n a n i e r s , p a l m i e r s et a u t r e s a r b r e s semblables, lui serviront à les couvrir. C e t t e m é t h o d e , o u t r e qu'elle lui p r o c u r e r a u n abri p e n d a n t les h e u r e s les plus chaudes de la j o u r n é e , offrira encore un a u t r e a v a n t a g e , c'est que les t r o u p e s é t a n t toujours c a m p é e s , c h a n g e a n t souvent de p o s i ­ t i o n , seront e n t r e t e n u e s p a r des occupations favo­ r a b l e s à leur santé et p o u r r o n t aussi se porter p l u s


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vite par tout où leur présence sera nécessaire ; et que les n è g r e s i n s u r g é s n'oseront j a m a i s se h a s a r d e r d a n s les plaines, tant qu'ils sauront que nous occu­ p e r o n s les h a u t e u r s et que nos t r o u p e s sont toujours e n mouvement. J'observerai à ce sujet, q u ' à Saint-Domingue il n'y a rien de plus funeste que le r e p o s . Le s a n g s'en­ gourdit, se coagule, la lymphe s'épaissit, les maux, de tête suivent et enfin arrive cette fièvre cruelle, qui dans peu de j o u r s vous e n t r a î n e au tombeau. On a r e m a r q u é qu'elle était presque toujours mortelle pour les hommes forts, qui p r e n a i e n t peu d'exercice, dormaient souvent, faisaient u s a g e de beaucoup de liqueurs spiritueuses et m a n g e a i e n t avec excès des fruits exquis de ce pays. J'en ai m o i - m ê m e été atta­ qué, mais pas aussi violemment que beaucoup d'autres, ce que j e dus à ma sobriété et à mon acti­ vité. De tous les soldats qui m ' a c c o m p a g n a i e n t , fort peu en sont morts ; aussi étions-nous toujours en mouvement, tantôt p a r c o u r a n t les m o r n è s et visitant les habitations et ateliers. Le d é s a r m e m e n t est l'opération la plus i m p o r ­ tante a p r è s la soumission du p a y s . Ici les inspec­ t e u r s g é n é r a u x et les autres chefs p o u r r o n t être utilement employés ; p e r s o n n e n ' é t a n t plus capables qu'eux d'obliger les n è g r e s qui seraient encore a r ­ més à r e n t r e r dans leurs habitations. Il ne faudrait


— 259 — p a s cependant s'en fier e n t i è r e m e n t a u x r e n s e i g n e m e n s qu'ils donneraient s u r la quantité d ' a r m e s et d e munitions et sur les endroits où elles s e r a i e n t c a c h é e s , m a l g r é toutes les protestations qu'ils fe­ r a i e n t de leur sincérité. Une e s p é r a n c e v a g u e de p o u v o i r r e c o m m e n c e r la g u e r r e d a n s u n t e m s plus f a v o r a b l e les porterait s û r e m e n t à n e point remplir e x a c t e m e n t à cet é g a r d les v u e s du Capitaine g é n é ­ r a l - Les simples soldats lui fourniront des informa­ t i o n s plus s û r e s . Promettez-leur u n e r é c o m p e n s e , i l s v o u s indiqueront tous les dépôts qu'ils c o n n a i s ­ s e n t , ils vous a p p o r t e r o n t m ê m e l e u r s p r o p r e s a r m e s ; il n'est rien qu'on ne puisse obtenir d'eux p a r l'appât de la plus petite somme. P e n d a n t ce t e m s , on fera p a r c o u r i r à nos troupes successive­ m e n t tous les quartiers, sans cependant les fatiguer t r o p ; leur p r é s e n c e , les dispositions militaires que l ' o n a u r a toujours l'attention de p r e n d r e , intimide­ r o n t les mutins et feront r e n t r e r d a n s le devoir les p l u s turbulens. U n e observation que j e ne dois point passer sous •silence, c'est de ne j a m a i s infliger à aucun individu u n e punition qui serait d u ressort d'un Conseil, sans l u i avoir fait son procès et l'avoir convaincu. Dès q u e la justice est livrée à l'arbitraire et que l'exis­ t e n c e d'un h o m m e dépend d'une dénonciation qu'on n e se donne pas la peine d'approfondir, l'innocent


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lui-même n e se croit plus en sûreté, puisqu'il p e u t être à tout m o m e n t la victime d'une calomnie. U n h o m m e d a n s cette position devient bientôt criminel, si l'occasion s'en p r é s e n t e . On n ' a u r a pas la m ê m e crainte en établissant des Conseils de g u e r r e com­ posés d'officiers s u p é r i e u r s blancs et de couleur i n ­ distinctement, et présidés p a r des délégués du Ca­ pitaine g é n é r a l ; ils j u g e r o n t en d e r n i e r ressort tous les délits, quelque soit le g r a d e et la couleur de l'accusé et ils r e c e v r o n t toutes les plaintes. Les chefs noirs étant naturellement j a l o u x et e n n e m i s les u n s des a u t r e s , n e m a n q u e r o n t pas de profiter de l'oc­ casion p o u r satisfaire l e u r haine particulière en se dénonçant r é c i p r o q u e m e n t . Les blancs auront m ê m e l'attention de nourrir secrètement cette inimitié. Si le Conseil condamne l'accusé à la déportation, ou m ê m e à la mort, la sentence mise à exécution n'excitera aucuns m u r m u r e s ; puisque son crime sera bien prouvé, qu'il a u r a été jugé p a r les h o m m e s de sa couleur et qu'on v e r r a que les F r a n ç a i s , m e m b r e s d u Conseil, ont émis un avis favorable a u coupable ; ce qu'ils n e m a n q u e r o n t p a s de faire, lorsqu'ils v e r ­ ront la majorité voter pour sa c o n d a m n a t i o n . Ainsi, on se défera successivement et sans éclat des princi­ p a u x chefs. Il ne serait pas m ê m e étonnant, que d e ­ v e n u s odieux à leurs semblables, p r i v é s de l e u r a n c i e n n e autorité, pouvant être à tout instant a c c u -


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s e s , n'ayant plus l'espérance de ressaisir leur pou­ v o i r , plusieurs n e se décidassent à aller jouir ailleurs d e s avantages qu'on leur a u r a faits. Lorsque l'ordre sera parfaitement rétabli, peut ê t r e trouvera-t-on trop n o m b r e u x les n è g r e s e n r é ­ g i m e n t é s ; on accordera alors des congés à ceux qui a u r o n t bien servi, et dont le caractère n e l a i s s e r a a u c u n doute sur leur conduite future. Ce qui restera a r m é n'étant plus redoutable, et a y a n t l'esprit de n o t r e discipline p o u r r a être organisé suivant les cir­ constances. On e n g a g e r a peut-être le Capitaine g é n é r a l à se f o r m e r u n Conseil. Ce projet présente d'un côté q u e l q u e utilité, mais il est à craindre, si on le c o m ­ p o s e exclusivement de colons, que ceux-ci n e se l a i s s e n t guider p a r leurs intérêts particuliers, et que l e s n è g r e s ne s'imaginent qu'ils veulent l e u r r a v i r l e s avantages qu'ils auraient obtenus. Evitons de l e u r d o n n e r la moindre défiance ; persuadons-les b i e n a u contraire qu'ils n'ont nullement à r e d o u t e r d e nous voir enfreindre nos promesses. J e suis loin d e p e n s e r cependant qu'on ne doive point avoir é g a r d à leurs avis ; il est plusieurs occasions où ils s e r o n t très nécessaires ; mais il faudrait éviter de l e u r laisser p r e n d r e u n e trop g r a n d e p r é p o n d é r a n c e . Si on croit q u ' u n Conseil est indispensable, qu'il soit c o m p o s é de colons et d'hommes de couleur i n d i s -


— 262 — tinctement, afin que les n è g r e s sachent que près du chef de la Colonie il y a des p e r s o n n e s intéressées à soutenir leur cause. Je ne m'étendrai point sur le sort des Colons. Ils commencent à respirer ; après tant de m a u x , ils ont encore la douce espérance que le Gouvernement les m e t t r a en état de rétablir p r o m p t e m e n t leurs h a b i ­ tations en leur faisant les avances dont ils n e p e u ­ vent se p a s s e r . Avec quelle joie ils vont r e t o u r n e r s u r cette t e r r e , dont ils se croyaient exilés p o u r toujours ! Avec quelle a r d e u r ils vont s'occuper d e la culture et de l'amélioration de l e u r s p l a n t a t i o n s ! La Colonie va bientôt sortir de ses r u i n e s et elle d e ­ viendra plus florissante que j a m a i s sous u n Roi qui veille sur les parties les plus éloignées de ses É t a t s , auquel rien n'échappe de ce qui peut a u g m e n t e r la prospérité de la France, et qui veut être le père d e tous ses sujets. On trouve a u x Archives administratives du Minis­ tère d e l a G u e r r e , le document c i - a p r è s : ARMÉE DE St DOMINGUE. LIBERTÉ

ÉGALITÉ

Au Quartier Général du Cap, le 15 B r u m a i r e an I I de la République française. P.

- Générai de Brigade,

e

BOYER,

chef de l'Etat

Major

Général.


— 263 — D ' a p r è s les dispositions du Général en chef, et c o n f o r m é m e n t à l'ordre du Capitaine Général (par intérim). L e citoyen Poret est n o m m é Lieutenant d a n s la l C o m p a g n i e des Grenadiers de la G a r d e du Général e n chef. Il j o u i r a à compter d u 23 vendémiaire d e r n i e r , des h o n n e u r s et émolumens attribués à ce g r a d e . L a présente nomination sera a d r e s s é e au Ministre d e la G u e r r e , pour être soumise à l'approbation du 1 Consul. Le Général de Brigade, Chef de l'Etat Major général, r e

e r

BOYER.

L e j e u n e officier dont il est ici question est P a u l J e a n - B a p t i s t e Poret, n é à Saint-Etienne, canton de V e r n o n (Eure), le 15 avril 1777, fils de Paul et de M a r i e Vavasseur. E n t r é au service à la 23° Compagnie des Canoniers d e P a r i s , le 14 août 1792, il passa a u x Chasseurs à c h e v a l de la Vendée, le 4 g e r m i n a l a n 3 ; fut p r o m u a u g r a d e de b r i g a d i e r fourrier, le 14 floréal a n 4, e t c o n g é d i é le 4 g e r m i n a l an 5. Ses états de service s e c o n t i n u e n t ainsi : F o u r r i e r de g r e n a d i e r au b a ­ t a i l l o n auxiliaire du R h ô n e le 5 fructidor an 7 ; a d j u d a n t le 7 frimaire an 8 ; p a s s é en cette qualité à l a 78° Brigade le l e pluviôse a n 8 ; p r o m u au g r a d e r


— 264 —

do Sous-Lieutenant, p a r ordonnance du g é n é r a l e n chef Masséna, pour s'être particulièrement d i s t i n g u é à l'affaire du 25 germinal a n 8, près Cacello, le 18 fructidor a n 8 ; congédié, d'après sa d e m a n d e , et p a r suite de l'organisation des demi-brigades à d e u x Bataillons, le 30 vendémiaire a n 9 ; rappelé p a r o r d r e du Ministre de la Guerre p o u r être employé à la 90e Brigade, le l ventôse a n 9 ; passé à la g a r d e d u Général en chef Leclerc, comme Sous-Lieutenant, le l g e r m i n a l a n 10e ; n o m m é Lieutenant p a r ledit Général en chef le l vendémiaire a n 11e. e r

e r

er

Il avait fait alors les c a m p a g n e s , à l'armée d e s P y r é n é e s Occidentales, de 1792, 1793 et a n 2 ; e n Vendée, celles de l ' a n 3 à l'an 5 ; en Italie, celles d e s ans 7 et 8 et 9 ; et à St Domingue celles de l'an 10e et partie de l'an 11e. e

Il avait été blessé à l'affaire qui e u t lieu a u C a p le 23 vendémiaire an 11e, contre les B r i g a n d s . — C ' e s t ainsi que les archives de la G u e r r e qualifient les Haïtiens. R e n t r é en France Poret obtint la confirmation p a r le premier Consul du g r a d e de Lieutenant qui lui avait été conféré à l'armée de St D o m i n g u e , et p a r lettre du 20 ventôse a n X I , il fut informé qu'il p r e n ­ drait r a n g dans ce g r a d e à dater du 2 3 v e n d é m i a i r e précédent (an XI). Je vous salue : telle était la finale des lettres signées alors p a r le Ministre de la G u e r r e Berthier.


— 265 — P o r e t fut admis à la Garde des Consuls. e r

Après avoir fait partie d u 1 escadron de l'anmée révolutionnaire (un certificat honorable, en cette q u a l i t é , daté de Commune — Affranchie le 19 g e r ­ m i n a l an II, existe à son dossier), le citoyen P o r e t d e v î n t g é n é r a l de b r i g a d e d a n s la G a r d e , e n 1814. Il avait été accusé d'avoir tenté de soulever l'exO a r d e contre le Roi, à la r e n t r é e des Bourbons, p a s s a e n conseil de g u e r r e , mais fut amnistié. S o n c o n g é de réforme (an IX), belle pièce g r a v é e p a r Beugnet, est à son dossier. P a r suite de son m a r i a g e , contracté le 31 octobre 1 8 0 4 , avec Mlle Marie-Anne-Antoinette Morvan de M a r n e (née en 1778), P o r e t se fit appeler P o r e t de M o r v a n ; il avait, d'ailleurs, été autorisé en 1813 à p o r t e r ce nom de de Morvan. Il devînt m ê m e B a r o n d e l'Empire. Il m o u r u t à Chartres, le 17 février 1834, Com­ m a n d e u r de la Légion d ' h o n n e u r , c o m m a n d a n t le d é p a r t e m e n t d'Eure-et-Loir, laissant u n e veuve et u n fils, auditeur a u Conseil d'Etat, M. Abel Poret de Morvan.

18



LES MANUSCRITS DE MOREAU DE SAINT-MÉRY

J ' a i acheté vers 1875, chez u n libraire étalagiste d e la r u e Colbert, à P a r i s , six volumes petit i n - 4 \ q u i constituent une intéressante série des œ u v r e s r e s t é e s manuscrites du célèbre historien de St Do­ m i n g u e . J e les ai r é c e m m e n t donnés à la Bibliothèque d ' A r r a s , m a ville natale, où on p o u r r a les consulter. I l s y sont inscrits sous les Nos 186 à 191 de m o n Fonds. "Voici l'analyse de ces six volumes : ТОМЕ I ( m a n u s c r i t s . ) 1. P l a i d o y e r p o u r le sieur Le J e u n e , p è r e , appell a n t contre le sieur Guimberteau, intimé. 50 p a g e s . — A u sujet d'une vente que fit le 31 m a r s 1770, A n d r é Brun, maçon, e n t r e p r e n e u r de bâtiments (à P o r t - a u - P r i n c e ) , d'un n è g r e de nation Congo, n o m m é E t i e n n e , et d'une n é g r e s s e de nation Mina. 2 . Extrait des R e g i s t r e s du Conseil s u p é r i e u r du C a p , d u 10 juillet 1775, sur cette affaire. 2 p a g e s . 3 . Consultation. Bail à ferme par un Curé d'un t e r r a i n dépendant de sa c u r e , avec l ' a g r é m e n t du


— 268

Préfet apostolique. Est-il valable ? Du 2 2 septembre 1775. 11 p a g e s . 4. Plaidoyer pour la nommée Ahyssa, dite C o ­ lombe de Gorée, et Me Bourg, ancien P r o c u r e u r è s Cours du Gap, son curateur, appelants, contre M. Du Commun, c u r a t e u r aux successions vacantes du r e s ­ sort de la juridiction du Cap, et notamment à celle de feu sieur Cassarouy, intimé. 54 p a g e s . 5. Plaidoyer pour d a m e Marthe Adelaïde Boré, épouse de M. Polomy, médecin au Cap français, contre son m a r i . 206 p a g e s . — Sur les brutalites dont m a d a m e Boré, mariée à treize ans, fut l'objet. 6° Réplique pour la dame Polomy contre son 97 p a g e s . ТОМЕ I I

marу.

(manuscrits.)

1. Requête d'atténuation, et pièces y relatives, s u r la plainte portée p a r un Général (Comte de Sab r a n , brigadier des a r m é e s du R o y , Lieutenant Colonel du Régiment du Cap), contre un Médecin, en 1777 (Arthaud, Chirurgien major de ce r é g i m e n t , dont l'ordonnance avait été c o n n u e ) . 70 p a g e s . 2. Plaidoyer, pour le sieur Duférette, appellant, contre Déronville, ainé, intimé. 2 p a g e s . 3. Plaidoyer pour le sieur Oudart, Lieutenant des Milices et habitant au Piment, d é p e n d a n t de Plai­ sance, intimé, contre le sieur J o u b e r t , aussi habitant


-

269 —

d e Piment, et le sieur Balmaud, son économe, tous l e s deux appellans. 73 p a g e s . 4. Plaidoyer pour la d a m e Brard contre son m a r y e t contre la demoiselle Colomb. Brard. 91 p a g e s . 5 . Plaidoyer pour le Commandant d u Bataillon des Milices, contre le sieur Chapuzet de Lacause, les s i e u r s Robillard, Boyon de Libertat Mauvilin, B a r r a u d , et H a r r a u d , Officiers des Milices du q u a r t i e r d e la Plaine d u N o r d . 18 p a g e s . 6. Plaidoyer p o u r les sieur et demoiselle C h a m ­ p i o n , contre le sieur Lefebvre. 61 p a g e s . 7. Mémoire suplétif pour le R e c e v e u r des Aubaines d u Cap françois. 28 p a g e s . 8. Mémoire a d r e s s é à S. A. S. Monseigneur l'Ami­ r a l , p a r les huissiers d e l'Amirauté du C a p . Mars 1781. 9 pages. T O M E III ( m a n u s c r i t s . )

1. Mémoire à consulter (pour le sieur Chabot, ha­ b i t a n t au Petit Saint-Louis, dépendance du P o r t - d e P a i x ) , originaire de La Rochelle. 44 p a g e s . — Made­ moiselle Chabot accablait son p è r e d ' o u t r a g e s . 2 . Décision de l'Ordre d e s Avocats du Cap, s u r la p r é s é a n c e d'entre Me Moreau de St Méry et l ' a r c h e ­ v ê q u e Thibaud, des 17 m a i et 8 n o v e m b r e 1781. 3 pages. 3 . Mémoire p o u r M. l'Archevesque Thibaud, Avocat


— 270 — en Parlement et a u Conseil s u p é r i e u r du Cap, s u r la Présidence qu'il prétend contre M. Moreau d e St Méry, aussi Avocat en P a r l e m e n t et a u Conseil s u p é r i e u r d u Cap. Juin 1781. 8 p a g e s . 4. Mémoire responsif pour M. Moreau de St Méry, contre M. l'Archevesque Thibaud. Juillet 1 7 8 1 . 12 p a g e s . 5. Réplique pour M. l'Archevesque Thibaud c o n t r e M. Moreau de St Méry. Août et Octobre 1781. 24 pages. 6. Mémoire pour M. Tabary G a r n i e r , contre M. de P a r o y . Octobre 1781. 23 p a g e s . 7. Mémoire au Ministre s u r l'affaire du capitaine Landolphe. Octobre 1781. 10 p a g e s . 8. Duplique pour M° Moreau de St Méry, contre M. l'Archevesque Thibaud. Novembre 1781. 2 p a g e s . 9. Mémoire justifflcatif pour le sieur B o n n a r d Lavaud, négociant au Cap françois. Décembre 1781. 22 p a g e s . 10. Mémoire a u Ministre s u r u n e succession r é ­ clamée comme Aubaine. Janvier 1 7 8 2 . 1 1 pages. 11. Plaidoyer pour la d a m e Faulac, contre s b n m a r i . 18 Février 1782. P r e m i è r e audience. 62 p a g e s . 12. Mémoire de M. Desapt, avocat a u Conseil d u Cap, s u r sa difficulté avec M. Moreau de St Méry. 25 Février 1782. 20 pages.


— 271 — 13. Mémoire pour les A m é r i q u a i n s , touchant l'achat des syrops et taffias a u x Colonies. 27 m a r s 1782, 4 p a g e s . 14. Mémoire touchant les chasses des N è g r e s marons. 1782. 6 p a g e s . TOME IV

(imprimés.)

1. Mémoire p o u r Me Louis-Nicolas Dumesnil, Con­ seiller du Roi, Substitut de M. le P r o c u r e u r G é n é r a l a u Siège royal et en celui de l ' A m i r a u t é du Cap, appellant de sentence r e n d u e le 4 août 1770. Contre D a m e Marie J e a n n e T r e v a n , son é p o u s e . Au C a p , chez Guillot, I m p r . , 1771. 61 p a g e s . 2. Mémoire p o u r Dame T r e v a n . . . contre Me D u ­ mesnil. Ibid., 117 p a g e s . 3 . Mémoire à consulter... s u r la question i n t é r e s ­ s a n t e de savoir si u n e esclave substituée peut-être affranchie p a r l'héritier institué... Délibéré à P a r i s , l e 26 octobre 1772. Albert L e g r o s . P a r i s , Quillau, I m p r . , 1772. 47 p a g e s . — N o m b r e u s e s soulignures d e la main de Moreau de St Méry. 4. Mémoire pour le sieur Lejeune, ancien F e r m i e r G é n é r a l des Boucheries de cette ville... Contre le s i e u r Eustache Guimberteau, habitant a u x Gonaïves... De l'Impr. du Cap. 1775. 36 p a g e s . — En tête, cette n o t e manuscrite : « J u g é le 10 juillet 1775, plaidant Moreau de Saint-Méry, assisté de Dougy et L a borie. »


— 272 — 5. A r r ê t du Conseil du Cap (sur l'affaire A r t h a u d ) . I m p r . roy. du Cap. 1777. 4 p a g e s . 6. Mémoire à consulter et consultation p o u r Me A r t h a u d , Docteur en Médecine et le sieur Giroud, Me en Chirurgie (accusé d'avoir entretenu p e n d a n t cinq mois u n e maladie qui pouvait se guérir en cinq j o u r s ) . Délibéré au Cap, l e 2 9 juin 1777... Moreau d e Méry. Impr. roy. du Cap, 1777. 43 p a g e s . 7. Consultation médico-légale (pour les m ê m e s ) , délibérée à P a r i s , en 1777. S. I. n. d., 19 p a g e s . St

8. Précis pour les héritiers C h a r i t t e . . . , contre l a Marquise de Virieux... Impr. r o y du Cap, 1777. 52 p a g e s . 9. Mémoire pour le sieur Le Clavier d e Miniac, Capitaine de Milices à Limonade et Me Michel, n o ­ taire du Roi, contre le sieur Avalle, fondé de p r o c u ­ ration du sieur Le Gentil de P a r o y et le sieur Guy Le Gentil de P a r o y , Me Moreau de Saint-Méry, avocat. I m p r . roy du Cap, 1777. 115 p a g e s . 10. Mémoire p o u r le sieur de P a r o y . . . contre le sieur de Miniac... I m p . roy. du Cap, 1777. 55 p a g e s . 1 1 . Réplique pour le sieur Le Clavier de Miniac, contre le sieur Avalle... Me Moreau de St Méry, avocat. I m p . roy. du Cap. J a n v i e r 1778. 32 p a g e s . 12. Pour le sieur Avialle, contre les sieurs L e Clavier de Miniac et Michel. I m p . r o y . du Cap. 1778. 8 pages.


— 273

-

13. Extrait des Registres du Conseil s u p é r i e u r du C a p (sur cette affaire). I m p . roy. du Cap, 1778. 8 pages. TOME

V (imprimés.)

1. Mémoire pour le sieur P a s c a u d , I n t e r p r è t e de l ' A m i r a u t é au Cap F r a n ç a i s , Isle et Côte de St D o ­ m i n g u e . S. l. n. d., 12 p a g e s . 2. Mémoire p o u r la veuve Cornu, n é g o c i a n s à B e a u v a i s , r e p r é s e n t é s en cette Colonie p a r les sieurs d e Blanchardon et Bellot, Négocians au Cap, fondés d e leur procuration, contre Dame Marie Marthe Sau­ v a g e , épouse du sieur Quentin Charpentier, et ledit s i e u r Charpentier, ci-devant Négociant au Cap. Au C a p , Dumet, Impr. du Roi par intérim, 1774. 45 pages. 3 . A Monsieur le Sénéchal du P o r t - d e - P a i x (signé : Collas de Magnet, Capitaine...). I m p . d u Cap, 1777. 28 p a g e s . 4. Précis pour Collas de Magnet... contre Vital et d e L a m o n g e r i e . 1778. 3 p a g e s . 0

5. Mémoire pour M Collet, avocat, contre Collas d e Magnet... Id., 1778. 61 p a g e s . 6. Notes préliminaires (même affaire). Id., 1778. 52 pages. r

7. Supplément pour le s Collas, contre Brossier

et Collet. Id., 1778. 24 pages.


— 274

-

8. Extrait des R e g i s t r e s . . . (môme affaire). 11 pages. 9. Mémoire à consulter (pour de la Moissonnière, contre Colas). Id., 1778. 18 p a g e s . 10. Mémoire à consulter (pour Collas...). 1778. 32 p a g e s .

Id.,

11. E x t r a i t . 8 p a g e s . 12. Mémoire pour Tifaugin... Maignet. Id., 1780. 58 pages.

contre Collas de

13. Supplément signifié pour Tifaugin... Id., 1780, 8 pages. 14. Mémoire pour Collas... Me Moreau de St Méry, avocat. Id., février 1780. 72 p a g e s . 15. Pour les héritiers de feu M. Hirel... contre J e a n n e , n é g r e s s e libre, et J o s e p h , m u l â t r e . . . Id., février 1778. 8 p a g e s . 16. Plaidoyer pour Joubert... et B a l m a n d . . . contre Oudart... Id., 18 m a r s 1779. 36 p a g e s . 17. Mémoire pour Quentin Charpentier,

contre

Etienne Richard, Docteur. Id., 1779. 27 p a g e s . 18. Précis pour Dutour, é c u y e r . . . contre Charpen­ tier. Moreau de St Méry, avocat. Id., 1779. 8 p a g e s . 19. Plaidoyer pour Ruotte, contre Marin..., r e ­ p r é s e n t é en cette Colonie p a r le sieur de la B a r r e , capitaine du corps royal d'artillerie, d e m e u r a n t a u C a p . . . Id., 1779. 70 pages.


- 275 20. Mémoire p o u r J e a n Claude d ' A u v e r g n e . . . c o n t r e le P r o c u r e u r Général du Roi... Id., 1779. 24 pages. 2 1 . Réfutation pour les sieurs Michel contre d'Au­ v e r g n e . . . Me Moreau de St Méry, avocat. Id., 1779. 14 pages. 22. Extrait (Michel et Bonval), 1780. 11 p a g e s . TOME VI ( i m p r i m é s . ) 1. Mémoire pour le sieur Champion, Avocat en P a r l e m e n t contre Lefebvre, négociant au Cap. Imp. r o y . du Cap. 1779. 59 p a g e s . 2. Réponse pour Lefebvre... contre C h a m p i o n . . . M o r e a u de St Méry, avocat. Id., 1780. 16 p a g e s . 3. Réplique pour Champion... Moreau de St Méry, avocat. Id., 1780. 16 p a g e s . 4. Mémoire pour Robillard, Mauvaisin, B e r a u d . . . c o n t r e Chapuset (natif d'Issoudun, en Berry).

Id.

79 pages. 5. Mémoire pour Chapuizet de G u é r i n é . . .

contre

R a y o n de Libertat... Id., 1779. 61 p a g e s et X X X pa­ g e s de pièces justificatives. 6. Mémoire pour Bertin, veuve Chapuizet... et les s i e u r s Bayon... Id., 1779. 33 p a g e s . 7. Réplique pour Bayon... 48 p a g e s . 8: Conclusions p o u r Robillard... 5 p a g e s . 9. Réflexions s o m m a i r e s , . . 1779. 10 p a g e s .


— 276 —

10. P o u r

la famille Chapuizet contre

Bayon...

20 p a g e s . 11. Questions proposées p a r Chapuizet... 10 p a g e s . 12. Précis pour Lafont de Ladebat contre P o n s . . . 23 p a g e s . 13. Mémoire pour P o n s ; . , contre Lafont... 1778. 22 p a g e s . 14. Mémoire pour Laffon... contre P o n s . . . M e Mo­ r e a u de St Méry, avocat. Id., Février 1780,14 p a g e s . 15. Précis p o u r Dias-Pereyra et G a u g e t . . .

contre

Bullet... Id., 1780. 32 p a g e s . 16. Précis p o u r Bullet...

Moreau

de St M é r y ,

avocat. Avril 1780. 16 p a g e s . Ces six volumes, que Moreau de St Méry avait fait relier, p o r t e n t au dos ce titre : ŒUVRES MANUS­ CRITES DE M. M. DE S. M. L'historien de Saint-Domingue, Moreau de S a i n t Méry (Médéric Louis-Elie), est né le 13 j a n v i e r 1750, au Fort-Royal (île de la Martinique), d'une

famille

originaire du Poitou, et qui depuis l o n g t e m p s é t a i t fixée à la Martinique. Il vint à Paris à 19 a n s , fit son droit, et partit trois a n s a p r è s exercer sa profession d'avocat a u Gap français. Libre de sa personne, a y a n t p e r d u déjà ses père et m è r e , m a i s peu fortuné, il parvint en h u i t années à


— 277 — u n e honnête aisance et fut à ce m o m e n t n o m m é Conseiller supérieur de S a i n t - D o m i n g u e . Louis XVI, informé des recherches q u e Moreau de Saint-Méry faisait dans les archives, l'appela à P a r i s (17S8) pour lui faciliter la mise en œ u v r e de ses tra­ vaux. P r e s q u e dès son arrivée il fonda le Musée de Paris, r u e Dauphine. Puis la Révolution éclata et Moreau de Saint-Méry e n p a r t a g e a les g é n é r e u s e s illusions. C'est Moreau, dit Robiquet (Le Personnel municipal de Paris, p . 115) qui contribua principalement à faire n o m m e r La F a y e t t e , C o m m a n d a n t g é n é r a l de l a Garde b o u r g e o i s e (15 juillet 1789), qui devînt le lendemain la Garde nationale. Moreau de Saint-Méry était Président des Elec­ t e u r s lors de la réunion de l'Assemblée des Electeurs de Paris, le 14 juillet 1789. Il faut lire d a n s Robiquet (p. 22), le récit de cette j o u r n é e , pour avoir u n e idée de la g r a n d e valeur de cet h o m m e , qui n a g u è r e était p o u r P a r i s u n inconnu ; et ainsi s'explique le choix qui fut fait de lui. « A peine, — dit Robiquet — Moreau de SaintMéry, président des E l e c t e u r s , a-t-il p u r a s s e m b l e r q u e l q u e s - u n s de ses collègues a u milieu des flots h u m a i n s qui ont brisé l'enceinte des planches d u b u r e a u , qu'on reçut la nouvelle du m e u r t r e de F i e s selles. Les Electeurs e n furent a t t e r r é s . . . »


— 278

-

« P e n d a n t la soirée du 14 et la nuit du 14 au 1 5 , Moreau de Saint-Méry resta en p e r m a n e n c e , assisté de quelques Electeurs et d'Elie, se multipliant p o u r empêcher de nouveau m a l h e u r s , apaiser le peuple et donnant, si l'on en croit son t é m o i g n a g e , j u s q u ' à trois mille ordres ! » Dans la nuit du 16 au 17, douze m e m b r e s de l'As­ semblée nationale se r e n d i r e n t à l'Assemblée d e s Electeurs pour annoncer officiellement la visite d u roi. Chose curieuse ! — dit encore Robiquet -, on r e ­ présenta pour la circonstance l'ancien corps de ville, échevins, p r o c u r e u r du roi et de la ville, greffier, conseillers et quartiniers, et on lui adjoignit 25 Elec­ t e u r s pour aller au-devant de Louis X V I . Les m e m ­ bres de l'ancien corps municipal réclamèrent « le droit d'être séparés des Electeurs et de se p r é s e n t e r au roi en costume municipal ». Moreau de SaintMéry répondit « que le comité municipal était le maître de s'honorer d'une telle distinction s'il n'y voyait aucun d a n g e r » ; mais q u a n d on d e m a n d a si la députation entière devait se m e t t r e à g e n o u x , les Electeurs « réclamèrent, à leur tour, le droit d'être séparés du corps municipal. » Le roi vint à Paris le 17. Quand il descendit de voiture, « Bailly (maire de Paris) lui p r é s e n t a , au bas du perron de l'Hôtel de ville, une cocarde aux c o u -


— 279 — l e u r s de la Ville, » que le Souverain « mit s a n s h é ­ sitation à son c h a p e a u ». Ce fut Moreau de Saint-Méry qui, en cette occa­ sion mémorable, h a r a n g u a le Roi. « A côté, — dit Robiquet, — des banalités de la r h é t o r i q u e officielle, ce discours contenait quelques accents dont l'ancien r é g i m e n'eût pas toléré l'auda­ cieuse indépendance. » En effet, on y trouve cette p h r a s e : « Votre n a i s ­ s a n c e , Sire, vous avait destiné la c o u r o n n e ; m a i s aujourd'hui vous n e la devez qu'à vos v e r t u s . » Et celle-ci : « Le voilà, Sire, ce peuple qu'on a osé calomnier. Des ministres impies vous ont dit que le b o n h e u r des nations n'était p a s n é c e s s a i r e au b o n ­ h e u r des Rois ; que les princes n e devaient avoir a u p r è s d'eux que des apôtres du despotisme... » En cette j o u r n é e , Louis XVI approuva la n o m i n a ­ tion de Bailly, en qualité de Maire, et celle de Lafayette, en qualité de C o m m a n d a n t g é n é r a l , ajou­ tant, dit encore Robiquet, « que la meilleure m a ­ n i è r e de lui p r o u v e r l'attachement du peuple était de rétablir l'ordre et de r e m e t t r e les malfaiteurs entre les mains de la justice ordinaire. » Le soir, tout Paris illumina. C'est a u temps de la présidence de Moreau de Saint-Méry qu'eut lieu aussi à l'Hôtel de ville, m a l g r é l e s efforts de Bailly et La F a y e t t e , les déplorables


— 280 — s c è n e s q u i s e t e r m i n è r e n t p a r la m o r t d u C o n s e i l l e r d'Etat F o u l l o n et d e B e r t i e r d e S a u v i g n y , s o n g e n d r e . Dès le 2 3 , Mirabeau contesta

les p o u v o i r s des

E l e c t e u r s ; il n e v o u l a i t p l u s v o i r e n e u x q u e « d e simples fiance

particuliers,

sans

délégation,

sans

con-

» et d o n t l e p o u v o i r a v a i t c e s s é . Il n'était p l u s

q u e s t i o n a l o r s q u e d e faire é l i r e p a r l e s Districts d e s Députés a v e c mission d e tracer le plan d'une cipalité.

Malgré tout l'Assemblée

se prorogea

q u ' a u 3 0 j u i l l e t , et c e j o u r , M o r e a u qui

la p r é s i d a i t

encore,

reçut

munijus-

de Saint-Méry

à l'Hôtel

de

ville

N e c k e r , et s a f e m m e et Mme d e S t a ë l , a p r è s la visite que c e u x - c i avaient rendu d'abord a u x 120 Députés d e s Districts r é c e m m e n t é l u s . En présentant à Necker les cocardes a u x couleurs d e la v i l l e , M o r e a u d e S a i n t - M é r y

lui dit : « C e s .

couleurs v o u s sont chères » . Ce à quoi (voir

Robi-

q u e t , p . 3 0 , p o u r l e s d é t a i l s ) , l e Ministre r é p o n d i t : « A u n o m de Dieu, Messieurs, plus d e j u g e m e n t s , de proscriptions, plus d e scènes sanglantes. » L e s d i s c o u r s p r o n o n c é s e n cette c i r c o n s t a n c e f u r e n t d e s a p p e l s à la m o d é r a t i o n et à la c o n c o r d e . A p r è s le départ

de Necker, Duveyrier prononça

la c l ô t u r e d e l ' A s s e m b l é e et p r o p o s a a u x frais

d e s Electeurs

l ' H ô t e l d e ville l e s b u s t e s

dans

d e faire placer

la g r a n d e

de Necker

salle d e

et d e B a i l l y .

Cette m o t i o n fut a d o p t é e , ainsi q u e c e l l e

d e d e La


-

281 —

P o i z e , tendant à faire f r a p p e r « u n e m é d a i l l e r e p r é s e n t a n t d ' u n c ô t é , l'effigie d e M o r e a u d e S a i n t - M é r y , Je p l u s a s s i d u d e s P r é s i d e n t s d e l ' A s s e m b l é e , et d e l ' a u t r e , un e m b l è m e relatif à la R é v o l u t i o n . » Le lendemain, 30, Moreau de Saint-Méry remettait e n t r e l e s m a i n s d e s 120 l e s p o u v o i r s d e s E l e c t e u r s , et l e s Electeurs s e c o n f o n d i r e n t , p e n d a n t l e reste d e cette s é a n c e , a v e c l e s n o u v e a u x r e p r é s e n tants d e la Commune

provisoire,

qui dura jusqu'au

8 octobre 1790. M o r e a u d e Saint-Méry

figure

e n c o r e d a n s la liste

d e s trois c e n t s r e p r é s e n t a n t s c o n v o q u é s l e 18 s e p t e m b r e 1 7 8 9 , p a r B a i l l y , à l'hôtel de la Mairie, Neuve des C a p u c i n e s ; mais

rue

suivant, une note de démissionna,

quoi

q n ' a y a n t é t é é l u P r é s i d e n t , et fut r e m p l a c é

par

l'Edit

des

Procès-

Verbaux,

il

Giraud, avocat au Parlement. M o r e a u d e S a i n t - M é r y , avait été élu p a r l e district d e S a i n t - E u s t a c h e . Il d e m e u r a i t a l o r s r u e P l â t r i è r e , n° 1 2 . Et q u a n d l e 8 o c t o b r e , o n n o m m e u n A d m i n i s trateur p a r district, il est d é s i g n é à c e titre p a r l e district d e Saint-Eustache ; m a i s il s'en retire b i e n t ô t et est r e m p l a c é le 9, p a r A v r i l , n é g o c i a n t . E n 1 7 9 0 , M o r e a u d e S a i n t - M é r y fut é l u D é p u t é d e la Martinique à l ' A s s e m b l é e

Constituante.

Arrêté,

é v a d é , puis m e n a c é d ' u n e n o u v e l l e a r r e s t a t i o n , il 19


— 282 —

s'embarqua précipitamment au H a v r e , en 1793, p o u r l'Amérique, emmenant avec lui, sa femme et deux enfants en bas â g e , et emportant pour toute fortune ses manuscrits. A New-York, il vécut misérablement. A Philadelphie, il fonda une librairie, puis uneimprimerie, et c'est là qu'il publia sa célèbre Description de Saint-Domingue et un livre sur la Danse. Rentré en France en 1798, il devint historiographedu Ministère de la Marine, fut chargé de préparer le Code pénal maritime, fut nommé (1800) Conseiller d'Etat et Commandeur de la Légion d'honneur, puisenvoyé à P a r m e , en qualité de Résident de- France,, chargé de l'administration générale du gouverne­ ment des Etats de P a r m e ; on lui reprocha trop dedouceur pour les révoltés et fut disgracié. Rentré à Paris, réduit à la misère, obligé, dit R o biquet, de vendre son argenterie et sa montre, il ne vécut que d'une modique pension et des secours quelui accordait Joséphine, dont il était parent. En 1817, Louis XVIII qui l'avait connu, lui accorda une somme de 15,000 fr. pour payer ses dettes. Robiquet dit encore que Moreau de Saint-Méry « occupa ses dernières années à écrire les souvenirsde sa vie, qui sont restés manuscrits. » L'historien de Saint-Domingue était Membre e t correspondant de nombreuses sociétés savantes. L e


— 283 —

10 juillet 1786, la Société littéraire d'Arras, l'admit exceptionnellement au nombre de ses membres ho­ noraires, « en faveur de son mérite particulier et des places distinguées qu'il occupe. » Il mourut à Paris, le 28 j a n v i e r 1819, â g é de 69 ans. Voici, à titre de document, son acte de décès, tel qu'il existe aux archives de l'Etat civil reconstitué de Paris : « Ce jourd'hui, 28 janvier 1819, à 5 heures du matin, est décédé en son domicile, r u e St-Guillaume, n° 26, M. Médéric-Louis-Eloi Moreau de Saint-Méry, â g é de soixante-neuf ans, ancien Conseiller d'Etat et Commandeur de l'ordre de la Légion d'honneur, marié à Dame Louise-Catherine Milhet. « Constaté p a r m o i , A n t o i n e - H e n r y - A i m a b l e Trutat, adjoint au Maire du X° arrondissement de Paris, Chevalier dudit o r d r e de la Légion d'honneur, sur la déclaration de M. François Fournier de Percay, demeurant rue susdite, Chevalier du même o r d r e , et Docteur en médecine, et de M. J a c q u e s Charles Chesne, demeurant r u e Cassette, 8, em­ ployé à la Légion d'honneur. « Lesquels ont signé avec moi après lecture. » Quand donc les Haïtiens élèveront-ils une statue à Moreau de Saint-Méry ? 19*



NOTES

BIBLIOGRAPHIQUES

sur Saint-Domingue.

— Moreau de St Méry est auteur, notamment, de l'important ouvrage ci-après : Description de la partie française de Saint-Domingue. Paris, 17971798, 2 volumes in-4°. Cet ouvrage a été réédité en 1875, à Paris, par MM. L. Rouzier et Léon Laforesterie, Ingénieur en chef du Gouvernement d'Haïti. (Paris, Morgand, 2 volumes in-8), avec Notice, p a r M. Léon Guérin, historiographe honoraire de la Marine. — « Carte h y d r o g r a p h i q u e de la Mappemonde portant la mention suivante : Vesconte di Majiolo cujus Janue composug in Neapoly de anno 1511 die XX January. » In-folio. Reproduction fac-simile de la plus ancienne carte italienne manuscrite r e p r é ­ sentant les parties boréales du Nouveau-Monde. On y trouve la Terra de los Ingres, la Terra de Lavoradore, la Terra de Cortereale, l'Archipel des Antilles (Cuba, St Domingue, etc), la Terra trovata por Colombo, la Terra de Brazille, etc. Cette carte faisait partie d'un Portulan manuscrit qui est aujour­ d'hui en Amérique. — La Bibliothèque de Besançon possède (ne 446


-

286

-

du Catalogue des manuscrits), un recueil contenant une Carte de la baie du Môle de Saint-Nicolas, et soixante-treize aquarelles représentant des plantes de Saint-Domingue peintes de 1774 à 1778 par Mareschal d'Audeux, capitaine d'artillerie au régiment de Metz. — J'ai réuni les papiers de Lefranc de St Haulde en un volume in-folio auquel j ' a i donné ce titre : « Correspondance de Pierre Lefranc de St Haulde, Architecte des bâtiments du Roi, à Paris et à St Domingue. 1756-1782. » Ce recueil fait partie, à la Bibliothèque d'Arras, du Fonds de manuscrits qui porte mon nom ; il y est inscrit sous le n° 5 1 . Là aussi se trouvent les Détails et le Voyage à St Domingue, que j ' a i reproduits dans ce livre. — Lettre du comte Auguste de La Rochejacquelin à M. Leclerc. Saint-Aubin, 23 thermidor an X. — Il lui doit déjà le bonheur de n'avoir point été banni à . jamais de sa patrie ; il lui demande de lui faire obtenir un passeport pour aller rejoindre son père à Saint-Domingue. — Lettre de Moreau de St Méry à u n Ministre. Philadelphie, 24 m a r s 1796, 3 p a g . g r . in-fol. — Il demande des encouragements et des souscriptions pour sa Description de Saint-Domingue. — Lettre de Lazare Carnot, conventionnel, à MM. Varrot et Soulchy. Paris, 28 j a n v i e r 1815. — Il


— 287 — déclare qu'il est partisan du principe de l'abolition de la traite des nègres, mais* qu'il faut examiner si l'on peut mettre ce principe en pratique sans tomber dans des inconvénients plus g r a v e s encore, comme il est arrivé en rendant trop précipitamment la liberté aux esclaves de St Domingue. — Lettre de Savary, duc de Rovigo, au baron Bignon. Rome, 6 février 1830.—Il se défend d'avoir connu les rapports de Talleyrand avec Pitte en 1811 ; il ne croit pas que Bonaparte ait conçu la c a m p a g n e de Saint-Domingue dans l'idée de se d é b a r r a s s e r des généraux républicains, amis de Moreau. — On trouve au Mercure de France du mois d'août 1746, un chant dont les paroles sont de M. de la Sorinière, d'Anjou, et la musique de M. Boran, de St Domingue. Le couplet suivant, récit de basse, y est r e p r o d u i t avec la musique : Qui sçait s'inquielter sur un sort incertain, Est un mortel qu'un vain remord accable ; Pour moi qui n'eus jamais d'autres objets à table, Que ceux qui rou....lent sur le vin, Je tiens que ce jus délectable, Quand on le boit sans eau, Stil ne peut nous sauver de la nuit du tombeau, Il écarte, il écarte, il écar...te du moins ce penser [effroyable !


— 288 — Il est passé en v e n t e , c e s a n n é e s - c i , à P a r i s , u n c e r t a i n n o m b r e d e d o c u m e n t s m a n u s c r i t s sur Haïti, dont c e u x ci-après : — M a n d e m e n t d u P a r l e m e n t d e P a r i s , du 19 a o û t 1643,

en

faveur

de

Nicolas Pourceaugnac, né à

S a i n t - D o m i n g u e . P i è c e sur v é l i n , i n - 8 o b i . , c a c h e t . — Essais sur la c o c h e n i l l e é l e v é e et r é c o l t é e sur la partie

française

de

St

Domingue,

en 1 6 8 8 ,

par

B r u l l e y , C o n s e i l l e r d u r o i , a n c i e n substitut du P r o c u r e u r G é n é r a l à l ' a n c i e n C o n s e i l s u p é r i e u r du C a p f r a n ç a i s . I n - f o l i o , 13 p a g e s . — D u c a s s e ( J e a n - B a p t i s t e ) , g o u v e r n e u r d e St D o mingue en Anglais.

1691 ; fit s u b i r d e g r a n d e s p e r t e s a u x

M o r t en

1 7 1 5 . Lettre s i g n é e ,

datée de

L é o g a n e , le 28 j u i l l e t 1697 ; 3 p a g e s i n - 4 . — A u sujet de l'attaque d e la C o l o n i e , la p r i s e d e p l u s i e u r s vaisseaux, etc. — Lot d ' e n v i r o n 150 lettres et p i è c e s m a n u s c r i t e s , on f r a n ç a i s , d a t é e s de 1784 à 1 7 9 2 , et f o r m a n t e n v i r o n 3 0 0 p a g e s i n - f o l . et in-4. — Intéressante c o r r e s p o n d a n c e relative a u x p r o p r i é t é s d e M. B o u t i n , à St D o m i n g u e ; elle c o n t i e n t en o u t r e

d e c u r i e u x détails

sur les é v é n e m e n t s d e l ' é p o q u e r é v o l u t i o n n a i r e . — L e t t r e a u t o g r a p h e s i g n é e , du p o è t e G. Fr. D u c i s , d a t é e d e P a r i s , 2 3 j u i n 1 7 9 2 . — Il prie le destinataire d e l'aider à c o r r e s p o n d r e a v e c s o n frère qui habite St D o m i n g u e .

« L e s m a l h e u r s , — dit-il — qui

ont


-

289

-

désolé les habitations des Cayes Saint-Louis (par la révolte des noirs), n ' a p a s é p a r g n é la sienne. » — A r m é e de St D o m i n g u e . 346 lettres et pièces a d r e s s é e s au citoyen Dat, r é g i s s e u r g é n é r a l des s e r ­ vices r é u n i s des a r m é e s de t e r r e et de m e r . An X L — I m p o r t a n t dossier p o u r l'histoire de l'administration de la g u e r r e à St Domingue en 1802. On y r e m a r q u e des a u t o g r a p h e s des g é n é r a u x G. Boyé, P . Boyer, Brunet (qui s ' e m p a r a de Toussaint L o u v e r t u r e ) , P . Lacroix, comte Michel (tué à W a t e r l o o ) , Quantin, R o c h a m b e a u , etc. — L e t t r e de R o c h a m b e a u a u Ministre de la G u e r r e . An IV. — Il d e m a n d e de l'avancement p o u r ses aides-de-camp. — Lettre de Diannyère. littérateur, à G a r r a n de Coulon. Moulins, an V. — S u r l'affranchissement des n è g r e s à St D o m i n g u e . « Les g r a n d s blancs,—dit-il,— les petits blancs, la p l u p a r t des m u l â t r e s riches, sont la plus vile canaille qui existe s u r le globe. » De n o m b r e u x p a p i e r s de S a n t h o n a x ont passé en vente à P a r i s ces a n n é é s - c i . Il s'y trouvait n o t a m m e n t des lettres accusatrices de Toussaint L o u v e r t u r e . La r e c h e r c h e en serait facile, en p a r c o u r a n t les catalo­ gues des libraires G h a r a v a y , Voisin, etc. Ces docu­ m e n t s sont de n a t u r e à compléter la b i o g r a p h i e des deux p e r s o n n a g e s .


-

290

-

P a r m i les m a n u s c r i t s mis en vente é g a l e m e n t au cours de ces d e r n i è r e s a n n é e s , j e p e u x citer : Administration de MM. de Vallier et de Vaivre, 1775. Administration du comte d ' E n n e r y , de Lilancourt, du comte d ' A r g o u t . Suite de l'administration du Comte d'Argout et de Vaivre, g é n é r a l et inten­ d a n t , 1777 à 1780. Avec tables d e s m a t i è r e s et de n o m s . 3 volumes in-folio. Mémoire sur Saint-Domingue et les Antilles fran­ çaises. A u t o g r a p h e de de C a m p s , avec corrections a u t o g r a p h e s de Mirabeau. In-4, 29 p a g e s à mi-marge. Mémoires s u r Saint-Domingue, c o n t e n a n t l'indica­ tion de l'origine des m a l h e u r s de cette colonie, l'exposé des causes principales du peu de succès de l'expédition c o m m a n d é e p a r le g é n é r a l Leclerc, etc.» p a r G. Mauviel, é v ê q u e . P a r i s , 1804, i n - 4 . — Manus­ crit a u t o g r a p h e , inédit. 238 p a g e s .


TABLE H o m m a g e à M. le G é n é r a l L é g i t i m e , a n c i e n P r é s i d e n t d e la R é p u b l i q u e d'Haïti Plaque

de

marbre

5 à la

mémoire

d'Ogeron,

dans

l'église

S a i n t - S é v e r i n , à Paris I. —

1732.

Saint-LÔ. comme

Naissance

6 de

1755. 11 é p o u s e

Architecte-expert

Pierre

Lefranc,

.Marie

Drancy,

et devient

à

Quibou,

se

fixe

près

à

Paris

Entrepreneur des

Bâti­

m e n t s du R o i . — 1 7 5 6 . Il t r a v a i l l e p o u r le c o m t e d e la M a r c h e , le prince de T u r e n n e , l'évêque de Carcassoune, la Manufacture d e p o r c e l a i n e d e S c e a u x . — 1757. N a i s s a n c e d e s o n fils E t i e n n e Pascal

9

II. — 1 7 7 1 . L e f r a n c d e S a i n t - H a u l d e

va s e

fixer

définitive­

m e n t au P o r t - a u - P r i n c e . S e s a m i s e t s e s p r o t e c t e u r s à la C o u r . — 1 7 7 2 . P r e m i e r s a c h a t s d e t ê t e s d e n è g r e s . C o n t r a t s . 11 e n t r e ­ p r e n d l e s t r a v a u x d e d i s t r i b u t i o n d e s e a u x d e la G r a n d e - R i v i è r e d u C u l - d e - S a c . — 1 7 7 3 . Il p e r d s a f e m m e qu'il a l a i s s é e à Paris a v e c s o n fils. Il a u n a s s o c i é . — 1 7 7 4 . Il s e r e m a r i e a u P o r t - a u Prince. — 1775. C o n t i n u a t i o n

des travaux. R e m è d e s pour les

nègres

39

III. — 1 7 7 6 . L e f r a n c d e S a i n t - H a u l d e s e r a p p e l l e au s o u v e n i r du Curé de Quibou et de ses a m i s

d e F r a n c e . Difficultés n o u ­

v e l l e s d a n s s o n e n t r e p r i s e . S e s r e l a t i o n s a v e c le G o u v e r n e m e n t et les autorités locales. — 1777. C o r r e s p o n d a n c e avec son

ami

S e i g n o r e t . A r r i v é e d e s o n fils. Il p e r d sa s e c o n d e f e m m e . P r o j e t d ' u n i o n a v e c sa b e l l e s œ u r

69


-

292 —

IV. — 1 7 7 8 . A v a n c e m e n t d e s t r a v a u x d e la G r a n d e - R i v i è r e . — 1 7 8 0 . D i s e t t e d a n s la C o l o n i e . A g g r a v a t i o n l'entreprise. — 1781. Retour en France Haulde. —

des difficultés

de

de Lefranc de S a i n t -

1 7 8 2 . 11 m e u r t à S o i s y - s o u s - E t i o l l e s , o ù

il

s'était

r e t i r é c h e z s o n bon a m i Q u é r e t d e M é r y . — 1 7 8 3 . S o n fils d e v i e n t le g e n d r e de l'architecte Couture

99

V. — A p e r ç u g é n é r a l s u r l e s t r a v a u x d e la G r a n d e - R i v i è r e e t s u r la s i t u a t i o n d e la C o l o n i e à c e t t e é p o q u e

.

.

.

.

123

VI. — Etat-Civil e t G é n é a l o g i e d e l a f a m i l l e L e f r a n c d e S a i n t Haulde

147

Le N o r d d e la F r a n c e à S a i n t - D o m i n g u e

183

U n V o y a g e à S a i n t - D o m i n g u e , e n 1802

193

Ode à Bonaparte sur les massacres de S a i n t - D o m i n g u e .

217

S a i n t - D o m i n g u e d e 1792 à. 180.4

223

Les Manuscrits de Moreau de S a i n t - M é r y

267

Notes bibliographiques sur Saint-Domingue

.

.

.

,

285

BIBLIOTHEQUE SCHOELCHER 8

0078604

A r r a s . — I m p . S c h o u t h e e r F r è r e s , rue des T r o i s - V i s a g e s , 53.


13672e







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