Pétition à MM. Les Membres de la Chambre des Députés. Abolition de l'esclavage, division des terres

Page 1

PÉTITION A MM. LES M E M B R E S DE LA C H A M B R E DES

DÉPUTÉS.

ABOLITION

DE L'ESCLAVAGE, DIVISION

DES

TERRES,

INDEMNITÉ; PAR UN PROPRIÉTAIRE D'ESCLAVES. L'abolition de l'esclavage doit avoir pour but d'asseoir les colonies sur une base solide et de les conserver à la France. Revue des Colonies, p. 67, 2e annéé, mois d'août 1835, n° 2.

PARIS, C H E Z L. LIBRAIRE

DE

HACHETTE,

L'UNIVERSITÉ

RUE

ROTALE

PIERRE-SARRAZIN, №

DE

FRANCE.

12.

1856.

manioc.org Réseau des bibliothèques

Ville de

Pointe-à-Pitre


manioc.org Réseau des bibliothèques

Ville de

Pointe-à-Pitre


PÉTITION A MESSIEURS

LES MEMBRES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

manioc.org Réseau des bibliothèques

Ville de

Pointe-à-Pitre


IMPRIMERIE DE J . GRATIOT, Rue du Foin Saint-Jacques, Maison de la Reine Blanche

manioc.org Réseau des bibliothèques

Ville de

Pomte-à-Pitre


PÉTITION A MM. LES MEMBRES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

ABOLITION

DE L'ESCLAVAGE, DIVISION

DES

TERRES,

INDEMNITÉ; P A R UN P R O P R I É T A I R E D'ESCLAVES.

L ' a b o l i t i o n de l'esclavage doit avoir pour b u t d'asseoir

l e s c o l o n i e s s u r u n e base s o l i d e e t d e

l e s c o n s e r v e r à la F r a n c e . Revue des Colonies,

p . 6 7 , 2 a n n é e , mois

d'août 1835, n. 2.

PARIS, CHEZ L I B R A I R E

DE

L.

HACHETTE,

L ' U N I V E R S I T É

RUE

ROYALE

PIERRE-SARRAZIN, №

DE

FRANCE,

12.

1836.

manioc.org Réseau des bibliothèques

Ville d e

Pointe-à-Pitre



HABITATION

LA

SALUBRE, e r

Quartier du Lamentin, île Martinique, le 1 juin 1836

MESSIEURS,

LOUIS VITALIS, propriétaire planteur, quartier du Lamentin, île Martinique, a l'honneur de vous soumettre les considérations qui suivent, et vous supplie de faire droit à ses conclusions, s'il y a lieu. Lorsque des hommes généreux, cédant aumoble enthousiasme dont leur âme est remplie, ont souvent fait retentir votre enceinte du cri de l'humanité, et sollicité en son nom l'abolition de l'esclavage dans nos colonies, votre raison, qui les approuve par sympathie, mûrissant néanmoins avec calme et réflexion les conséquences d'ensemble de cette grande et honorable conception, d u t , à regret sans doute, en ajourner l'accomplissement. Mais le temps marche vite dans le siècle où nous vivons !... Et vous n'entendrez peut-être pas sans quelque surprise , la voix d'un planteur blanc appeler votre attention en faveur de cette mesure. Oui, Messieurs, l'émancipation des esclaves, déjà promulguée par l'Angleterre, n'est que reculée en France. C'est un fait avéré même parmi nos nègres En vain, le gouvernement


semble-t-il vouloir donner le change sur ses intentions à cet égard, en nous dotant d'une législature nouvelle qui paraîtrait promettre encore quelques années de vie à l'ancien état des choses. Entraîné lui-même par les plus graves inconvénients, il ne sera bientôt plus le maître d'assurer le maintien des institutions qui nous régissent, en présence des hauts intérêts politiques et privés qui nous menacent... E t , ce n'est pour ainsi dire qu'en promettant indirectement l'abolition de l'esclavage , qu'il a pu calmer momentanément les élans de cette philanthropie qui a pénétré toutes les classes de la société sans distinction d'opinion, et qui réclame impérieusement cette mesure pour nos possessions d'outre-mer, comme la conséquence forcée de la prohibition de la traite des noirs. L'on doit donc regarder comme une vérité démontrée, que, dans l'état actuel de la civilisation européenne, les colonies ne pourraient supporter quelque temps encore leur constitution barbare et surannée , qu'en supprimant toute communication avec le reste du monde ; o r , cette suppression est impraticable... D'accord, quant au principe ; on ne paraît plus hésiter que sur les moyens de consommer équitablement ce grand œuvre. C'est effectivement là qu'est toute la difficulté, puisqu'au mode à adopter pour résoudre ce problème d'humanité et d'ordre social, est attaché le succès ou la déconvenue d'une mesure qui va décider d'un seul coup du sort d'une population tout entière, de l'avenir de notre commerce maritime, et peutêtre de notre position navale dans l'échelle politique de l'Europe et du monde. Cependant, la question qui nous occupe est arrivée, par les efforts multipliés de la presse qui n'est ici que l'écho de la raison publique, à ce degré de maturité qu'il y aurait péril à reculer encore sa solution. L'attente est aujourd'hui le pis de tous les maux pour les colons de toutes les conditions ; elle plonge ici les esprits dans une anxiété décourageante qui paralyse les transactions, achève de détruire la confiance , frappe la propriété de non valeur et ruine les colonies par anticipation. Des faits aussi patents parlent assez haut pour être entendus, et déterminer enfin le gouvernement à se prononcer malgré l'opposition intéressée des partisans du


—7— bon vieux temps, qui se roidissent systématiquement contre toute idée d'émancipation. Pressés de s'inscrire les premiers dans les fastes de l'humanité , nos voisins ont pris la capitation des esclaves pour base unique du rachat, sans égard pour l'avenir de la production dans leurs colonies occidentales. Mais cette ornière, creusée après coup par la France pour sécher les larmes des colons échappés aux massacres d'Haïti, ne satisfait pas les bons esprits ; elle ne résout qu'imparfaitement un seul point de la question. Subjugués cependant par un fatal entraînement, plusieurs paraissent conduits à en suivre la pente pour ainsi dire malgré eux, comme s'ils manquaient de données assez positives sur la matière pour choisir une voie neuve, large, et mieux appropriée à tous les besoins. Nous croyons donc remplir un devoir, Messieurs, en soumettant à voire haute sagesse, le projet d'application de l'abolition de l'esclavage aux colonies françaises, le plus rationnel qui nous ait apparu pour concilier, autant que possible, tous les intérêts avec les droits sacrés de la sainte humanité. Heureux, si ce faible essai d'un homme peu expérimenté dans l'art de formuler ses idées, est jugé digne, par l'importance de son but, de provoquer parmi vous cette discussion approfondie et consciencieuse qui répand toujours une si vive lumière sur toutes les propositions" qu'elle embrasse ! Le sentiment prédominant du philanthrope est de mettre l'homme en liberté. C'est sans doute le premier, le plus grand de tous les biens. Mais personne ne sait mieux que vous, Messieurs, que ce don du ciel qu'il n'aurait jamais dû perdre, a besoin, pour être mis en harmonie avec l'état social, des modifications que l'ordre lui impose, et que, moins les hommes sont avancés dans la civilisation , plus le législateur appelé à la tâche difficile de les rendre heureux, doit veiller à l'accord de ces deux principes. Cependant, il faut Je dire, la pensée de l'émancipation coloniale ne vous a encore été présentée que comme une belle hypothèse, environnée de toutes les éventualités d'une utopie, et sans plan déterminé dans ses moyens d'application. Placés entre les récriminations de la classe intermédiaire qui souffre,


et les exigences de celle qui commande en souveraine, il a d û en effet vous paraître difficile d'adopter un parti à l'égard du misérable ilote dont le sort est d'obéir en silence et de gémir sous toutes les volontés !... Vous avez, p o u r ainsi dire, été forcés quant à ce , de vous retrancher derrière la maxime du sage : « Dans le doute , abstiens-toi. » De là , l'ajournement indéfini et les demi-mesures, conséquences souvent funestes, mais toujours inséparables de l'indécision. Serait-il vrai que nos possessions d'outre-mer fussent encore, dans certains cas, aussi loin de la France par la connaissance de leurs m œ u r s , de leur véritable esprit et de leurs plus impérieux besoins, qu'elles le sont par l'espace qui les en sépare? Cependant les créoles abondent à Paris ; on en voit dans les écoles , flans le monde , dans l'administration , dans l ' a r m é e , dans la magistrature, e t c . , et. partout l'on vante avec raison leur u r b a n i t é , la délicatesse de leurs manières, la douceur de leur langage... Mais ce n'est pas là qu'il faut les étudier. C'est dans leur propre p a y s , au milieu de leurs esclaves, le panama sur la t ê t e , la rigoise ou le coutelas à la m a i n . . . E h bien ! n'envoie-t-on pas de temps à autre des commissaires spéciaux dans les colonies pour éclairer le gouvernement sur tout ce qui les concerne. Certes, ce n'est ni le zèle ni le talent qui leur manquent pour faire d'excellents rapports. Mais c'est le temps, sans lequel il n'y a pas de bonnes observations possibles; c'est la faculté de voir sans être vu, de se glissera volonté dans tous les rangs de la société pour en analyser l'esprit avec une froide impartialité, de n'entrer enfin dans la pensée des hommes par la brèche qu'y laissent toujours leurs actions, que comme si l'on n'avait à soi ni opinion faite d'avance , ni instructions supérieures à suivre , ni ménagements à garder pour qui que ce soit au monde... Nous sommes également loin d'élever le moindre doute sur la loyauté des documents fournis par les hauts fonctionnaires des diverses colonies. Mais quelque habileté qu'ils mettent à se garer des influences locales, il leur est impossible de les éviter complétement ; leur position relative est trop élevée pour qu'ils ne soient pas forcés malgré eux de voir beaucoup de choses par les yeux des autres. E t c'est là la porte secrète par laquelle la coterie du privilége qui


— 9—— bloque étroitement toutes les issues du pouvoir, fait arriver officiellement au ministère les erreurs qu'il lui convient d'accréditer... Il a fallu un événement comme la révolution de juillet pour permettre aux justes plaintes de la classe libre de parvenir jusqu'à l'oreille du gouvernement. Un pas de plus et le tour des esclaves était peut-être venu... Mais une fois la bourrasque passée , l'aristocratie coloniale reprenant ses positions a tout arrêté par ses sourdes menées... Elle seule aujourd'hui est légalement représentée en France et tout se fait par elle au dedans... Puissiez-vous, Messieurs, au milieu de ce dédale d'incertitudes, reconnaître enfin les utiles vérités qu'un obscur citoyen vient déposer à vos pieds ! Guidé par un sentiment de pure équité, soutenu par l'expérience , fruit tardif d'une longue et scrupuleuse observation, nulles passions, nulles préventions personnelles n'altèrent dans sa pensée ni les faits qu'il vous soumet, ni les conséquences qu'il ose en déduire. S'il se trompe ce sera l'erreur de son jugement et le vôtre saura la rectifier. Vous le savez, Messieurs, les plaintes des colons vous l'ont appris de reste : la lime du temps a rongé les fers de nos esclaves, ils ne tiennent plus qu'à un fil ; le plus léger effort de leur part peut les briser... Mais ce qu'ils se garderont bien de vous dire, c'est qu'il est impossible de les river de nouveau et qu'il n'y a plus d'avenir pour les colonies que par la liberté... C'est donc vers une sage application de cette liberté à nos malheureux noirs, que doivent tendre maintenant tous les efforts de la mère-patrie que vous représentez ; car, toutes les fois que la somme du bien qui peut résulter d'un nouvel ordre de choses, s'étend plus particulièrement sur la masse des citoyens, la balance du législateur doit incliner de ce côté. Sans doute il pourra se trouver quelques intérêts froissés, c'est la suite naturelle de toute mesure générale. Mais où sera le m a l , s'il doit y en avoir pour quelqu'un ? Du côté des riches et de la bien petite minorité; encore ce petit mal n'a-t-il d'autre but que de leur en éviter un plus grand... Donc, c'est un bien relatif pour ceux-là même qui auront à le supporter. Les colonies, véritables satellites de leur métropole dans


l'ordre administratif , ont obéi paisiblement à l'impulsion qu'elles en recevaient, tant que les attractions morales qui les entraînaient sont demeurées les mêmes. Mais la révolution des idées qui a suivi celle des hommes et des choses dans notre France, a dû produire et a produit une perturbation dans ces causes d'harmonie , et le premier effet de la loi des résistances a été la séparation des colonies de leur puissance dominatrice. Saint-Domingue, assez forte pour se créer un centre de rotation indépendant, est restée en dehors du mouvement commun. Les autres points, trop faibles pour jouir du même privilége, sont rentrés dans l'obéissance matérielle après une courte interruption ; c'est de là que date ce pénible tiraillement qui les rend si difficiles à gouverner, parce que les sympathies sont rompues, les intérêts d'opinions cessant d'être les mêmes dès que les prédominances européennes ont pris une tendance prononcée pour l'abolition de l'esclavage, tandis que celles des colons influents sont demeurées fermes pour le statu quo, quand la généralité du peuple , répondant aux acclamations de la mère-patrie, appelle la liberté de tous ses vœux. Il y a défiance, inimitié entre le créole blanc et l'européen ; et tous les subterfuges de la ruse et du mensonge, seules armes du faible contre le fort, sont employés par le parti qui veut à tout prix conserver ses esclaves et ses prérogatives. Mais lorsqu'on vient à penser que ce parti ne représente pas la dixième portion de la population coloniale, il est permis d'envisager sérieusement le seul remède curatif en pareil cas. Les bases sur lesquelles nous concevons l'émancipation des esclaves doivent être larges, et renfermer, autant que possible, les germes d'un bel avenir. Dès lors, il devient indispensable de purger le corps social des éléments immiscibles qu'il contient aujourd'hui, parce qu'il est démontré que, dans la campagne surtout, ils sont et seront toujours incompatibles avec le régime de la liberté générale. N'est-il pas temps que les bourdons quittent la ruche, et laissent un peu de miel aux abeilles ouvrières?... Mais, pour être contraires à l'égalité sociale et à la juste pondération de la propriété dans les colonies, les droits acquis des anciens colons ne seront point méconnus dans notre hypothèse, et la liberté ne saurait être violée à leur égard au moment o ù ,


— 11 —

déployant ses ailes protectrices jusque sur leurs esclaves, elle fera luire pour tous l'auréole de la régénération. Le but que nous nous proposons par l'abolition de l'esclavage, est de conserver. Or, pour qu'elle soit un véritable bienfait , c'est sous la bannière de l'ordre qu'elle doit marcher, et non pas au bruit des fanfares... Profitons du calme qui nous environne pour ajouter celte belle pierre à l'édifice de la civilisation. Demain il sera peut-être trop tard... et la France aura perdu la gloire d'y inscrire son nom. Si déjà l'Angleterre a pris l'honneur de l'initiative dans la solution de cette grande question, elle nous a laissé du moins celui de faire mieux. Tâchons de l'obtenir... C'est une noble émulation entre deux nations puissantes, que celle qui tourne ainsi au profil de l'humanité. Il faut pourtant convenir que, même en faisant un acte de philanthropie, les gouvernements manqueraient essentiellement à leurs hautes attributions, s'ils lui sacrifiaient inconsidérément et leur politique et leurs intérêts commerciaux. Aussi reconnaît-on dans l'émancipation pure et simple des colonies de la Grande-Bretagne, d'un côté l'influence de sa compagnie des Indes, qui veut frapper de nullité les produits qui lui font concurrence sur les marchés européens, et de l'autre, des vues profondes qui peuvent faire pressentir l'arrière persée du monopole futur des denrées coloniales, que ses vastes établissements d'Orient lui permettront tôt ou lard d'exercer exclusivement, si l'émancipation que rien ne peut plus arrêter nulle part, avait partout les mêmes résultats... Il suit de la, jusqu'à présent néanmoins, que le commerce particulier de l'Angleterre, qui subit déjà l'avant goût de ce monopole, se plaint amèrement ; que les colons anglais, irrités d'une mesure qui les immole à la rivalité des Grandes-Indes, sont près, sur plusieurs points, à secouer le joug de leur métropole, et que la philanthropie n'a pas atteint complétement son but à l'égard des esclaves, puisqu'en les rachetant de la domination des hommes, l'on n'a fait que les replacer sous celle de la nécessité. (Voir note première , à la fin.) D'autres besoins, des combinaisons différentes et des intérêts contraires semblent devoir appeler la France à faire des concessions plus étendues à la cause de l'humanité. Par


— 12 — exemple, le partage des terres aux nouveaux affranchis nous paraît être le corollaire obligé de l'abolition de l'esclavage dans nos possessions d'outre-mer ; car, si la liberté générale y augmente le nombre des citoyens, ce n'est que par la propriété qu'ils acquièrent un intérêt direct à la conservation du pays, et peuvent donner, sous cet important rapport, les garanties nécessaires à la métropole ; c'est par elle encore que cette liberté cessera d'être pour eux une vaine illusion, et pour notre commerce une ruine; c'est elle qui leur servira d'égide contre la hideuse misère , vaincra leur paresse naturelle par l'appât du gain, leur donnera l'amour de l'ordre, sans lequel il n'est point de félicité possible pour les sociétés, et nous sauvera du monopole étranger en conservant aux colonies leur faculté productive ; c'est par elle enfin qu'on en fera des hommes, tandis que la liberté toute seule n'en ferait que des gueux toujours prêts à la révolte et au pillage. Nous dirons bientôt comment il nous semblerait possible d'opérer ce partage progressivement, sans blesser l'équité à l'égard des anciens propriétaires, ni surcharger le trésor. Éclairons d'abord le développement de notre opinion par un coupd'œil rapide sur la manière dont les esclaves entendent la libc té et leur aptitude à cet état, la disposition d'esprit des créoles en général sur ce point, particulièrement à la Martinique, et les résultats de ce qui a été fait jusqu'ici pour changer ou modifier quelques-unes de leurs institutions dans celle colonie. Le nègre est essentiellement paresseux; il se nourrit d'aliments grossiers que l'a terre lui donne à si peu de frais, que le travail de deux jours lui suffit le plus souvent pour vivre une décade. Cela est vrai à la lettre, et personne n'en doute. Mais ce qui ne l'est pas moins, c'est qu'autant son estomac est facile à satisfaire, autant sa vanité l'est peu. Tout ce qu'il peut prendre, obtenir ou gagner y passe; car, pour l u i , tous les moyens sont bons ; c'est encore une des tristes conséquences de sa misérable condition. Et, si l'on voulait apprécier l'aisance des esclaves par ce qu'ils font vendre aux marchands, l'on serait tenté de les croire beaucoup plus riches que les blancs. Cette vanité qui, prise individuellement, est au moins un tra-


— 13 — vers, tourne cependant tout entière au profit de la société : 1° en ce qu'elle agit puissamment contre un vice pernicieux, et les force à s'occuper ; 2° en ce qu'elle est favorable au commerce et à l'industrie, parce qu'elle étend la consommation. En effet, il importe peu au fond de la question que les nègres travaillent pour manger ou pour se chamarrer d'ornements et de bijoux, se vêtir de beaux habits, etc.; dès qu'ils ne demeurent pas oisifs, le but est rempli. Et l'argument de ceux qui soutiennent que la paresse naturelle des esclaves est un obstacle à leur prospérité dans l'état de liberté, reste sans force , du moment qu'on est contraint par le fait à reconnaître, dans leur caractère même, un moteur assez puissant pour les attacher au travail sans le secours de la chaîne et du fouet. Il y a plus, c'est que l'amour du nègre pour la liberté peut être considéré comme un effet de son extrême vanité, que l'esclavage humilie sans cesse. Son corps s'endurcit aux coups; il méprise la douleur, et fatigue, par sa froide impassibilité, le bourreau qui s'étonne de ne pouvoir lui arracher une larme, un cri, par le plus cruel châtiment. Mais sa fierté se révolte intérieurement ; il concentre sa fureur, médite sa vengeance, et son silence est la leçon de ses tyrans ! !... C'est encore la vanité qui l'empêche généralement de se louer au planteur pour cultiver la terre en atelier, dès qu'il est porteur de son titre de manumission ; il veut jouir de son indépendance jusque dans le travail; il en a soif; il en est fier et jaloux comme d'une maîtresse ; il a besoin de la retrouver partout, et même de la montrer aux passants... ; il bêche, s'assied, se lève, dort ou mange sans l'ordre d'un chef. Il est son maître enfin... O h , que son sort serait beau s'il pouvait avoir en propre seulement un arpent de terre!.... C'est là pour le moment son unique ambition.Tout commence par un... L'esclave ignore que le droit romain le définit comme ne pouvant rien posséder en propre. Mais un instinct secret semble l'en avertir, et la possession n'a tant de charmes pour l u i , que parce qu'elle est à ses yeux le type matériel de l'état après lequel il soupire, et flatte ainsi doublement sa vanité ; il est fait homme par la liberté, en rentrant dans le droit naturel, ci citoyen par la propriété. C'est dans ce sens qu'il entend


—14— ê t r e l i b r e . Q u ' e s t - c e , après t o u t , que la liberté sans la p r o p r i é t é ou son équivalent ? U n bien d o n t l'usufruit a p p a r t i e n t a u x r i c h e s , et q u e le pauvre p e r d avec la vie sans en avoir j o u i dans ce m o n d e . . . L a p h i l a n t h r o p i e n ' a u r a donc fait q u e la m o i t i é de son œ u vre à l'égard des esclaves, tant qu'elle ne l e u r aura procuré q u e la nue-propriété de la l i b e r t é , à l'instar d u bill a n g l a i s , o u , comme cela se p r a t i q u e m a i n t e n a n t dans nos colonies , en vertu de l'ordonnance d u 12 juillet 1 8 3 2 . N é a n m o i n s , ce dernier m o d e d'affranchissement p a r t i e l , d'ailleurs très é c o n o m i q u e , a d û séduire a u p r e m i e r aperçu ; il a m ê m e son utilité en cela q u ' i l tend à r é d u i r e le n o m b r e des esclaves p r o p r e m e n t dits à son chiffre réel. Mais , si l'on veut bien ne pas p e r d r e de vue q u e , dans les colonies, l'esclave n'est q u ' u n e chose, et q u e cette chose a nécessairement cela de c o m m u n avec toutes celles q u i peuvent faire l'objet de spéc u l a t i o n s , qu'elle augmente de p r i x en raison directe de sa rareté et d u besoin q u ' o n en a , l'on conviendra q u e le sort de l'ordonnance précitée est de p e r d r e toute sa v e r t u , aussitôt la disparition des causes q u i l u i ont valu les étonnants résultats q u ' e l l e a p u p r é s e n t e r au m o m e n t de sa p r o m u l g a t i o n ; résultats q u i , depuis l o r s , ont toujours d é c r u , et sont p r e s q u e n u i s m a i n t e n a n t . O r , tous les colons savent q u e ces causes ont été la conséquence n a t u r e l l e des rigueurs d u système a n t é r i e u r q u i , refusant de reconnaître l'affranchissement l é gal , m ê m e les libertés étrangères , et j u s q u ' à celles d o n n é e s , a u n o m de la F r a n c e , p a r les généraux de la r é p u b l i q u e , forçait ainsi les m a î t r e s à r e c o u r i r au patronage de leurs a m i s en faveur des sujets q u ' i l s désiraient r e n d r e libres , soit q u ' i l s craignissent d'être s u r p r i s p a r la m o r t ou p a r l e u r s h é r i t i e r s , etc. Cela d u r a i t d e p u i s l o n g - t e m p s , et a d û p r o d u i r e l ' e n c o m b r e m e n t q u i n o u s a valu tout d ' u n c o u p cette é n o r m e q u a n t i t é de libertés officielles, q u i ne s ' a p p l i q u e n t , p o u r la p l u p a r t , q u ' à des libres de fait ( voir les listes publiées p a r le J o u r n a l officiel de la M a r t i n i q u e ) , q u e l'on n o m m a i t i m p r o p r e m e n t libres de savane. Mais ce torrent, grossi p a r les obstacles, q u i nous a inondés dès q u ' o n a r o m p u ses digues , est r e n t r é dans son l i t , et serait bientôt t a r i , s'il n'était


— 15 — alimenté p a r u n e source i m p u r e , véritable origine des t r i b u lations q u ' é p r o u v e n t a u j o u r d ' h u i les colonies à esclaves. L e s e x e , l'âge et les teintes variées de la p r e s q u e totalité de ces affranchis e x p l i q u e n t assez les causes de tant de libérations , dans u n t e m p s où tous les h a b i t a n t s m a n q u e n t de bras. Ce ne sont pas des nègres fidèles , l a b o r i e u x , bons cultivateurs, que l'on propose à l'affranchissement; n o n , M e s s i e u r s , l'on a t r o p grand besoin d ' e u x ; ce sont de misérables c o n c u b i n e s , des enfants du hasard, ou q u e l q u e s i m p o t e n t s devenus à charg e , etc. (Voir note 2 ) , tandis que le pauvre nègre de h o u e reste enchaîné dans l'atelier p o u r p r i x de son travail et de son utilité I R i e n n'est changé p o u r lui ; le t e r m e de sa captivité est toujours indéfini. L e bienfait de la l o i , q u i tend à favoriserbes affranchissements, paralysé p a r la volonté arbitraire d u m a î t r e q u ' e n r i c h i t sa s u e u r , ne l'atteindra jamais ! !... Voilà donc u n e m e s u r e d o n t le b u t paraît m a n q u é . C'est q u e la question q u i n o u s occupe n'est pas de celles q u i p e u vent se résoudre p a r u n mezzo-termine... Sera-t-on p l u s h e u r e u x dans l'application d u système représentatif a u x colonies ? Son action naturelle semblerait devoir être l à , c o m m e en F r a n c e , l'aptitude p o u r tous , sans distinction, à jouir des faveurs q u e dispense l ' u r n e électorale, à la seule condition d u cens d'éligibilité. E h b i e n I cherchez u n seul h o m m e de couleur p a r m i les conseillers coloniaux , à la M a r t i n i q u e , p a r exemple ; vous n ' e n trouverez p a s , vous n'en verrez j a m a i s , tant q u e l'aristocratie coloniale y fera les honn e u r s d u b a n q u e t c o n s t i t u t i o n n e l . . . E h I c o m m e n t cela seraitil a u t r e m e n t ? Ne s'empare-t-elle pas de tout ? N'est- elle pas en possession d u p o u v o i r ? Ne jouit-elle pas exclusivement de toutes les préférences depuis u n t e m p s i m m é m o r i a l ? Ne saitelle pas a n n i h i l e r a u b e s o i n , p a r sa force d ' i n e r t i e , les meilleures institutions, q u a n d elles ne s'accordent pas avec ses principes de d é c e p t i o n , e t faire t o u r n e r à son profit celles q u i p e u v e n t a u g m e n t e r sa puissance et son crédit ? L e m o y e n d ' e m p ê c h e r la majorité de ressortir d ' u n e m i n o r i t é aussi compacte. Après cela , balancez, si vous le p o u v e z , le vote général, de m a n i è r e à ce q u ' i l devienne l'expression d u vœu p u b l i c . . . N o u s oserions p r e s q u e vous en défier avec les éléments qui com-


— 16 — posent le corps social aux colonies. L a participation de la c o u l e u r é t o n n é e de son ovation , encore et p o u r l o n g - t e m p s h u m b l e et soumise en présence de ses altiers s e i g n e u r s , n ' e s t , en r é a l i t é , q u ' u n e ingénieuse fiction. Ce n'est pas q u e cette classe m a n q u e de gens q u i possèdent le cens électoral et d ' é l i g i b i l i t é , joint à l ' i n s t r u c t i o n nécessaire p o u r faire des conseillers coloniaux de la force de t a n t d ' a u t r e s . . . M a i s elle n'a ni assez de poids dans les colléges p o u r t r i o m p h e r de l'opposition systématique de ses a n t a g o n i s t e s , n i assez de caractère et d'assurance p o u r d é jouer l e u r s i n t r i g u e s . C'est u n e b a r r e de fer d o u x q u i reste ployée sous le poids q u i la c o m p r i m e , m a i s d o n t la réaction p e u t devenir terrible , si jamais elle est t r e m p é e dans le s a n g . . . A i n s i , notre vieille aristocratie c h a m p ê t r e , q u i se c r u t m o r t e et e n t e r r é e p a r la p r o m u l g a t i o n d e la loi o r g a n i q u e , du 2 4 avril 1 8 3 3 , est sortie de ses cendres p l u s forte q u e jamais ; e t cette l o i , protectrice des d r o i t s de t o u s , est d e v e n u e , e n t r e ses m a i n s , le p a l l a d i u m de la coterie privilégiée. Qu'est-ce d o n c , enfin , q u e cette p h a l a n g e m a l e n c o n t r e u s e q u i se place toujours e n t r e le pays et, le b i e n q u ' o n veut l u i faire ; d o n t les i n t é r ê t s , les p r é j u g é s et les animosités p e r s o n nelles passent a v a n t t o u t ; q u i s u b j u g u e , m é p r i s e et avilit t o u t ce q u i n ' e s t pas e l l e ? . . . E s t - c e à sa force n u m é r i q u e q u ' e l l e doit sa p r é p o n d é r a n c e ? m a i s elle e s t , dans celte î l e , avec le reste de la p o p u l a t i o n , dans le r a p p o r t de u n à d i x . Ce sera , sans d o u t e , à la noblesse de son origine ? la p r e u v e n ' e n est pas toujours facile, m a l g r é l'éclat des n o m s . . . A sa vaste fort u n e ? il ne l u i en restera guère q u e le souvenir après ses c o m p t e s r é g l é s . . . R i e n de t o u t c e l a , M e s s i e u r s ; c'est à la b l a n c h e u r d e sa p e a u ! . . . Vous ne vous en seriez p e u t - ê t r e pas d o u t é s I Cette p e a u , q u i ne saurait rien ajouter a u m é r i t e d e q u i q u e ce soit en F r a n c e , q u e l q u e belle q u ' e l l e y puisse être d ' a i l l e u r s , a c q u i e r t , a u x colonies , la puissance d ' u n talisman p o u r q u i c o n q u e en est revêtu. E t , ce q u ' i l y a de p l u s r e m a r q u a b l e encore , c'est q u e , b i e n q u ' e l l e s'altère p l u s o u m o i n s sous les t r o p i q u e s , soit p a r le s o l e i l , soit p a r certains accidents q u e cet astre n'éclaire pas t o u j o u r s . . . , p l u s cette précieuse enveloppe date de loin à M a d i a n a , dans la ligne fém i n i n e , s ' e n t e n d , p l u s elle donne de considération au p o r t e u r ,


I

-

17

——

fût-elle tannée en basanne. O r , ce sont toutes ces peaux p r i vilégiées , dont la plupart pourraient bien se comparer à des outres pleines de v e n t , qui font ici le calme , tant qu'on les flatte, ou la tempête, dès qu'on les pique ; cousues, pour ainsi d i r e , les unes aux autres, elles constituent le personnel de l'aristocratie coloniale, ou , ce qui revient au m ê m e , l'aristocratie de la peau ! ! Quelque dénomination, quelques combinaisons que l'on donne à la législature coloniale, cet élément y surnagera toujours, tant qu'il subsistera dans les colonies. Partant, nul espoir d'y rien améliorer, en fait, dans la condition des libres et des esclaves sans son extraction ; parce qu'il est de son essence de n'exploiter le pouvoir qu'au profit de ses préjugés, dont l'habitude a fait pour lui une seconde nature. A Dieu ne plaise q u e , tout en signalant un abus que le long usage a , pour ainsi d i r e , transformé en d r o i t , nous prétendions manquer au respect dû à l'opinion vis-à-vis ces nobles seigneurs. Nous serions, au contraire, disposés à accueillir, comme une sorte d'héroisme de leur p a r t , ce qui ne nous paraît encore qu'une funeste opiniâtreté , s i , ne pouvant absolument changer de principes, l'aristocratie cutanée se déterminait au moins à changer de lieux... C a r , si nous blâmons de toutes nos forces le plus absurde des préjugés, nous plaignons sincèrement ceux qui en sont atteints. Mais aux grands maux les grands remèdes ; ceci est une maladie morale , endémique pour les colons blancs , devenue incurable par la chronicité ; une véritable aberration sociale, qu'il faut détruire à tout p r i x , pour sauver les colonies. Si l'on veut considérer l'influence pernicieuse de l'aristocratie blanche par rapport à ses effets sur les destinées du pays, cette assertion prend une nouvelle force ; car l'on voit qu'une malheureuse fatalité semble l'avoir constamment poussée vers sa r u i n e , par sa résistance opiniâtre à toutes les mesures d'amélioration, proposées par la métropole. Un seul fait, dont la cause est toute personnelle et la portée immense, suffira pour asseoir l'opinion à cet égard. Pourquoi la saisie réelle a-t-elle été rejetée du code civil par la ci-devant cour s u p r ê m e , devenue conseil souverain, 2


-

18 —

p u i s conseil s u p é r i e u r , puis a u j o u r d ' h u i cour royale de la M a r t i n i q u e ? C'est que les membres de ce parlement au petit p i e d , étant tous créoles, propriétaires et plus ou moins end e t t é s , craignirent, avec raison , de donner contre eux-mêmes des armes à leurs créanciers Qu'est-il advenu de là? C'est que le commerce , principal créancier de la propriété r u r a l e , dont ces messieurs étaient les p r i n c i p a u x d é t e n t e u r s , se voyant privé du seul moyen efficace qu'il p û t avoir p o u r rentrer dans ses fonds, fit v a l o i r , comme u n e conséquence forcée de ce rejet, toute l'injustice qu'il y aurait eue à admettre le code de commerce avec toutes ses r i g u e u r s , contre des négociants auxquels il n'était pas possible de se faire payer , m ê m e de leurs juges, et le code de commerce fut rejeté !! Q u e s'ensuivit-il? C'est que les h a b i t a n t s , loin de payer leurs d e t t e s , ne songèrent plus qu'à les a u g m e n t e r . . . Q u e les négociants , embarrassés dans leurs affaires, menacés d'une r u i n e certaine p a r ce système de démoralisation, suivirent le t o r r e n t , et se firent habitants p o u r se soustraire à leur t o u r a u x poursuites de leurs propres c r é d i t e u r s , auxquels ils ne pouvaient plus offrir en paiement q u e les obligations sans valeurs qu'ils avaient reçues en échange de leurs avances en argent et marchandises. L e u r discrédit m ê m e devint p o u r eux u n moyen d'opérer ces transactions désastreuses, et ils p u r e n t les imposer de leur manoir étroit, parce que l'habitation est restée inexpugnable à la justice... Quelles sont les conséquences de t o u t cela? C'est que la dette coloniale est devenue m o n s t r u e u s e , c'est que le crédit est m o r t avec la confiance , et q u e la misère p u b l i q u e est presque aussi réelle que la mauvaise foi. C'est que c'est que si les bonnes lois font les bonnes m œ u r s , ce sont les bonnes m œ u r s q u i font o u accueillent les bonnes lois. Voilà p o u r q u o i le conseil sup é r i e u r n'a pas accueilli la saisie réelle... Ces graves inconvénients ont été entrevus par le gouvernem e n t m é t r o p o l i t a i n , q u i v o u l u t y porter remède lorsqu'il était encore temps , et négligea probablement de remonter à l e u r cause, car il n'y avait q u ' u n moyen p o u r cela : c'était, lors de l'organisation des cours royales, d'envoyer aux colonies des


— 19 — juges européens, qui, n'y ayant ni propriétés ni parents, n'auraient eu rien à craindre de l'expropriation pour eux ou pour les leurs , et eussent agi en toute liberté de conscience. Mais il fallait nettoyer à fond les écuries d'Augias... et l'on a trouvé plus commode de laisser les créoles en place , et de leur octroyer u n traitement que l'on eût p u donner à des juges éclairés et sans passions... De sorte qu'il n'y a eu de changé que les dénominations. O r , les mêmes causes devant nécessairement produire des effets semblables, ces messieurs, persistant dans leurs principes, sont parvenus à se soustraire, par l'ajournement, à la saisie réelle qu'on voulait imposer au p a y s , lequel est enfin réduit maintenant à un tel état de pauvreté , que l'argument le plus positif à opposer en fait contre l'expropriation , serait l'impossibilité de se procurer des acheteurs au comptant. Tels sont les fruits de la profonde sagesse de ces hauts et puissants seigneurs, qui se vantaient jadis avec tant d'orgueil de faire gratis les affaires d u pays ! ! ! U n mot sur la fusion. Certes si quelque chose a dû paraître propre à l'amener naturellement, c'est sans contredit l'application aux colonies du système électoral ; e t , l'on ne saurait méconnaître à cet égard l'intention des hommes de bien auxquels nous devons cette excellente institution. Mais hélas! tout porte à croire que l'on n'atteindra jamais ce résultat. Deux causes inhérentes aux localités, incessantes, indestructibles en elles - m ê m e s , lui opposeront toujours une barrière insurmontable : nous voulons dire le préjugé des blancs contre la couleur , et la haine réciproque qu'il établit entre ces deux castes. La loi donne bien m a i n t e n a n t , aux gens de c o u l e u r , les droits civils, civiques et p o l i t i q u e s , et par conséquent l'égalité de droit avec les blancs. Mais elle s'arrête là. Il est hors de son pouvoir de leur accorder celle de fait. Le temps seul pourrait l'amener, si le temps pouvait quelque chose sur l'obstination des têtes créoles ( note 3 ). C'est cependant celle-là qu'ils veulent, parce qu'elle seule p e u t flatter leur amour-propre autant qu'elle blesserait celui des Colons blancs ; e t , comme les vanités sont égales de part et d'autre, elles s'irritent et se choquent mutuellement dans ce contact inaccoutumé. Mais l'arro2.


—20— gance du blanc repousse les avances du pauvre m u l â t r e avec le plus insultant m é p r i s , et ne néglige rien p o u r lui faire sentir, dans toutes les occasions, sa prétendue infériorité. Ce sont des offenses orales ou tacites de tous les jours de tous les insl a n l s , dont il est constamment a b r e u v é , et q u i lui sont présentées sous toutes les formes... De là les rixes et les collisions ( note 4 ) . Des balles s'échangent de temps à autre , du sang est versé p o u r venger des affronts toujours renaissants. Mais peut-il y en avoir jamais assez pour assouvir ces éternelles et profondes inimitiés !! Ne cherchons point ailleurs la cause des soulèvements et des désordres qui affligent si souvent ce m a l h e u r e u x p a y s , et qui ne sont au surplus q u e le prélude du massacre des blancs que leur minorité fera tôt ou tard succomb e r sous le nombre de leurs ennemis dès qu'ils voudront se compter et a t t a q u e r sérieusement. D ' u n autre c ô t é , si la classe de couleur est séparée de celle des esclaves par la liberté , l'on ne saurait disconvenir qu'elle s'y rattache fortement p a r les liens d u s a n g , les sympathies d ' o p i n i o n s , de caractère et d ' h a b i t u d e s ; et que ses démêlés avec les blancs semblent propres à l'en rapprocher de p l u s en p l u s . 11 ne faudrait q u ' u n mot du gouvernement p o u r opérer la fusion la plus complète entre ces deux classes déjà si près l'une de l'autre. Ce mot tant désiré ferait j a i l l i r , dans toutes les colonies françaises, plus de deux cent mille citoyens dont la liberté doublerait l'activité, ferait éclore l ' i n d u s t r i e , et tournerait ainsi au profit du commerce et de la production. Mais quel serait le rôle des blancs dans cette occurrence? S'il est d é m o n t r é que leur fusion avec la c o u l e u r , m ê m e telle qu'elle est a u j o u r d ' h u i , est reconnue i m p r a t i c a b l e , où en serions-nous s'il fallait la faire avec l'émancipation? Chagrins, a u milieu de ce concert de joie et d ' u n i o n , pourraient-ils m ê m e demeurer étrangers à cette grande p é r i p é t i e , et surm o n t e r la funeste tentation d'une inutile et coupable résist a n c e ? . . . Écrasés sous le poids de leur énorme d e t t e , seuls vis-à-vis de tous, embarrassés de propriétés qui leur resteraient en p u r e perte , faute de moyens p o u r les faire v a l o i r , ils deviendraient plus que jamais incommodes à la communauté et insuffisants pour eux-mêmes. La place ne serait plus tenable


— 21 — p o u r les anciens habitants; car aussi b i e n cette masse d'affranchis ne saurait d e m e u r e r oisive sans le p l u s grand danger p o u r le corps social d o n t elle serait appelée à faire p a r t i e . I l l u i faut du travail à t o u t p r i x , et la terre seule p e u t lui en d o n n e r . . Mais avant t o u t il faut lui d o n n e r la t e r r e . O r , toutes les terres de p r o d u i t sont au p o u v o i r des p r o p r i é t a i r e s actuels. I r a i t - o n p e r c h e r ces n o u v e a u x sujets sur les p l a t e a u x des îles encore à concéder? L à , le sol h u m i d e et froid, c o n s t a m m e n t lessivé p a r d'éternelles p l u i e s , est t e l l e m e n t a p p a u v r i q u ' i l n'y croît rien p o u r la n o u r r i t u r e de l ' h o m m e . A d m e t t o n s néanmoins q u ' à force de travail, ils p a r v i e n n e n t à y naturaliser quelques vivres grossiers et qu'ils s'y t r o u v e n t bien p a r la liberté q u i console de t o u t . . . O ù prendra-t-on des bras p o u r e x p l o i t e r les h a b i t a tions d u littoral déjà toutes formées ? les sucreries p a r e x e m p l e q u i en exigent t a n t ? . . . car il faut repousser c o m m e u n m a u vais rêve la pensée de se recruter en E u r o p e , q u o i q u ' o n aient dit Bernardin de Saint-Pierre et tant d'autres après l u i . T e l l e est d u moins la seule conviction q u i nous soit restée de toutes les tentatives de ce genre faites j u s q u ' i c i . Distinguons bien q u e nous n ' e n t e n d o n s p a r l e r ici q u e des terres et usines rurales , et p a r conséquent des h a b i t a n t s de la campagne exclusivement. Parce q u ' e u x s e u l s , ainsi q u e n o u s l'avons déjà d i t , n o u s paraissent u n obstacle à la prospérité de nos colonies dans l'état de liberté ; n o n seulement p a r les motifs déduits, mais encore parce q u e , dans cette conjoncture, l e u r impuissance à faire valoir l ' i m m e n s e p r o p r i é t é territoriale d o n t ils sont d é t e n t e u r s , frapperait le sol de s t é r i l i t é , r é d u i r a i t la population à la misère , et c o m p r o m e t t r a i t la t r a n q u i l l i t é d u p a y s . C'est donc en q u e l q u e sorte u n déplacement p o u r cause d'utilité p u b l i q u e , q u e nous proposerions à l e u r égard ; avec cette différence q u ' i l l e u r serait accordé u n t e m p s m o r a l p o u r réclamer d ' e u x - m ê m e s , jusqu'à l ' é p o q u e fixée, le b é n é fice de la mesure. Les h a b i t a n t s des villes et b o u r g s au contraire , exerçant p r e s q u e tous p a r eux-mêmes u n e modeste industrie ou u n comm e r c e lucratif, mais vivifiant p o u r tout le corps social, r e m plissent u t i l e m e n t l'espace qu'exige le cercle de leurs o p é r a t i o n s , et ne sauraient être remplacés p a r des h o m m e s q u i


— 22 — n ' o n t ni capitaux , ni expérience dans les affaires. Ils font u n e exception d'autant plus tranchée dans l'hypothèse que nous s o u t e n o n s , q u e , loin d'avoir aucun dommage à redouter de l'émancipation telle que nous l ' e n t e n d o n s , elle ne peut que leur être profitable p a r l'augmentation des consommateurs aisés qui en doit être la conséquence naturelle. D ' u n autre côté , l'appréciation de leurs propriétés urbaines restant la m ê m e , ou à peu près, ils ne peuvent entrer en ligne de compte dans l'indemnité, que p o u r la valeur de leurs esclaves citadins. Mais il n ' e n est pas de m ê m e des domaines r u r a u x , d o n t l'évaluation, toute subordonnée à l'importance n u m é r i q u e des ateliers d'esclaves q u i les exploitent, devient complétement nulle dès qu'ils sont privés de ceux-ci. Q u e l parti prendre alors p o u r utiliser ces vastes étendues de terres, abandonnées aux reptiles faute de bras p o u r les e x p l o i t e r , et servant néanmoins de prétexte à l'aristocratie blanche p o u r intervertir, par son droit de propriété, la faculté productive du p a y s ? . . . Forcera-t-on des h o m m e s libres à continuer le travail des esclaves m o y e n n a n t u n salaire? mais ils le mettront à u n taux qui ne laissera que de la perte au planteur. Osera-t-on donner un m a x i m u m au prix de leur journée? mais il faudra toujours qu'on les paie exactement, autrement ils déserteront... O r , c'est ici la plus grave de toutes les objections... Avec quoi des habitants sans crédit, ruinés p o u r la p l u p a r t , et q u i déclarent n'avoir jamais rien devant e u x , pendant qu'ils recueillent gratis depuis longues années tout le travail de leurs esclaves...; avec q u o i , disons-nous, pourront-ils faire à la terre les avances dont elle a besoin p o u r produire , lorsqu'il faudra joindre les frais de main d'œuvre aux éventualités et aux dépenses accoutumées de la faisance v a l o i r , auxquelles ils ne peuvent déjà plus suffire disent-ils?... Il est telle colonie où il ne restera pas u n propriétaire en position de soutenir u n pareil état de choses après la retraite du p e t i t n o m b r e de ceux fortune liq u i d e , que l'émancipation, quelle que soit sa forme, ne manquera pas d'amener. S u r t o u t si l'on observe avec raison q u ' e n supposant la moyenne du p r i x de la journée à 1 fr. 25 c. sec, qui serait le taux le plus bas possible, le fabricant ne ferait pas même le pair, quelque économie qu'il mette dans son administra-


— 25 — tion. L e p l u s s i m p l e calcul p e u t d é m o n t r e r celte assertion. (Voir n o t e 5 , A p e r ç u d u b u d g e t d ' u n e h a b i t a t i o n de 4 0 j o u r naliers n è g r e s , au p r i x m o y e n ci-dessus). L e pays d e m e u r e r a i t d o n c inculte et les ouvriers cultivateurs sans t r a v a i l , parce q u e les d é t e n t e u r s de la p r o p r i é t é sont sans a r g e n t , o u q u ' i l s n e t r o u v e r a i e n t pas l e u r c o m p t e à l ' e x p l o i tation ! ! . . U n e pareille p r o p o s i t i o n n'est pas soutenable. N e n o u s lassons d o n c p o i n t de le r é p é t e r . L ' e m p l o i d u sol est suffisamment i n d i q u é p a r l'impossibilité où. se trouveraient les blancs d'en t i r e r p a r t i , p a r l ' i n t é r ê t b i e n e n t e n d u des colonies et de l e u r m é t r o p o l e ; il dérive n a t u r e l l e m e n t d u p r i n c i p e m ê m e q u i n o u s c o n d u i t à l ' é m a n c i p a t i o n . Il faut q u e , légal e m e n t r é p a r t i e n t r e les affranchis , il devienne dans l e u r s m a i n s u n e garantie d'ordre et de p r o s p é r i t é p o u r le n o u v e a u régime colonial, ou q u ' i l s finissent tôt ou tard p a r l'envahir d e vive force et l è g u e n t ainsi au g o u v e r n e m e n t q u i aurait r e c u l é devant l ' a d o p t i o n d ' u n e m e s u r e de sage p r é v o y a n c e , la solid a r i t é des désastres t o u j o u r s inséparables d ' u n e levée de b o u cliers q u i e n t r a î n e r a i t i n d u b i t a b l e m e n t , e n t r ' a u t r e s calamités, l'incendie et la d e s t r u c t i o n des b â t i m e n t s et usines des fabriques à s u c r e , etc. , e t c . . O r , ce sont ces établissements q u i font la richesse p r o d u c tive de nos c o l o n i e s , p u i s q u e sans e u x o n serait r é d u i t à n ' y cultiver q u e q u e l q u e s vivres q u i ne sauraient devenir u n objet de s p é c u l a t i o n a u d e h o r s , o u des cafés q u e le sol refuse depuis, long-temps. L ' e x e m p l e d ' H a ï t i p r o u v e assez q u ' u n e fois dét r u i t s ils n e s e r o n t jamais rétablis p a r les n è g r e s , n e fût-ce q u ' à cause des s o m m e s prodigieuses qu'ils c o û t e n t à c o n s t r u i r e . C'est d o n c à l e u r conservation , q u i ne p a r a î t être d ' a b o r d q u e d ' u n e i m p o r t a n c e secondaire, q u e n o u s s e m b l e attaché l'avenir des colonies émancipées. Car c'est a u t o u r de ces usines q u e la m a i n d ' u n e a d m i n i s t r a t i o n p a t e r n e l l e p o u r r a g r o u p e r sans effort des sociétés de cultivateurs nègres p o u r e x p l o i t e r en p a r t i c i p a t i o n u n genre de c u l t u r e et de fabrication q u ' e u x seuls p e u v e n t o p é r e r m a n u e l l e m e n t sous ces a r d e n t s climats , et d o n t la F r a n c e ne p e u t p l u s se passer. Les é l é m e n t s de, ces nouvelles sociétés a g r o n o m i q u e s ne sont-ils pas là tout trouvés dans les ateliers déjà fixés sur les


— 24 — habitations ; car ici, c o m m e p a r t o u t , les h o m m e s tiennent à leurs h a b i t u d e s et au lieu q u i les a vu n a î t r e . Q u ' e n brisant le joug de fer q u i les y t i e n t enchaînés m a i n t e n a n t , l'on attache l e u r volonté p a r le double lien de la famille et de la p r o p r i é t é , ils n ' a b a n d o n n e r o n t p o i n t ces h a m e a u x , ces grands villages q u e forme la r é u n i o n de leurs cases et q u i recèlent leurs p l u s douces affections, p o u r se r é p a n d r e dans le pays et y semer le désordre. C h a q u e famille cultivera paisiblement son c h a m p et ne s'occupera q u e des espérances de la récolte prochaine. Q u ' i l nous soit p e r m i s , à cette occasion, de vous soumettre l'ébauche imparfaite du p l a n d'association q u e nous aurions projeté p o u r n o t r e p r o p r e h a b i t a t i o n le cas échéant. R i e n de p l u s simple à p r a t i q u e r ; le voici :

MODE D'ASSOCIATION POUR LES NÈGRES DES HABITATIONS SUCRERIES.

CHEF DE L'ÉTABLISSEMENT. L e titre et les fonctions de directeur de la société seraient déférés de droit au c o m m a n d e u r sur c h a q u e habitation ; à son refus, l ' e m p l o i serait d o n n é à u n h o m m e l i b r e , agréé p a r l'atelier. Ce chef aurait qualité p o u r représenter la société, stip u l e r au besoin en son n o m selon ses statuts , etc. D a n s les t e m p s ordinaires, ses a t t r i b u t i o n s se b o r n e r o n t ù t e n i r les clefs des b â t i m e n t s , veiller à l e u r p r o p r e t é et entret i e n locatif de m ê m e q u ' à celui des u s i n e s , m a c h i n e s , instrum e n t s de fabrication et a r a t o i r e s , q u ' i l serait en outre tenu de faire r é p a r e r u t i l e m e n t ; c o m m e à faire pacager, panser et soigner les a n i m a u x de travail, en santé de m ê m e q u ' e n maladie. L e t o u t à ses frais et r i s q u e s . A l'époque de la récolte, tout é t a n t p r é p a r é par ses soins,


— 25 — il dirigerait les roulaisons , i n d i q u e r a i t les cannes à couper , placerait c h a c u n à son p o s t e , et assurerait toutes les p a r t i e s d u service p o u r q u e r i e n ne souffre. I l p o u r v o i r a i t à son c o m p t e à toutes les m e n u e s dépenses de f a b r i c a t i o n , telles qu'éclair a g e , s u i f , c h a u x v i v e , etc. D a n s le cas o ù il deviendrait nécessaire de r e c o n s t r u i r e tout o u partie d ' u n corps de b â t i m e n t s ou usines telles q u e m o u l i n , équipage , etc. ; ou de r e m p l a c e r des a n i m a u x , i n s t r u m e n t s d ' e x p l o i t a t i o n , fabrication, e t c . , le directeur de r é t a b l i s s e m e n t en p r é v i e n d r a i t ses coassociés, et les convoquerait en assemblée p o u r aviser au moyen d'y p o u r v o i r en c o m m u n ; soit p a r c o n t r i b u t i o n , soit a u t r e m e n t . L e directeur doit son t e m p s à l ' a d m i n i s t r a t i o n des intérêts de la société q u i l u i sont confiés, toutes les fois q u e le besoin l'exige. E n r é c o m p e n s e , il l u i serait accordé p o u r tout, salaire, u n tiers des sucres et sirops fabriqués sur l ' h a b i t a t i o n ; l e q u e l serait prélevé en n a t u r e et l u i serait l i v r é , n o n o b s t a n t toutes o p p o s i t i o n s , avant la sortie desdites denrées de la p u r g e r i e , h o r m i s c e p e n d a n t c e u x p r o v e n a n t des p l a n t a t i o n s existantes lors de l'entrée en j o u i s s a n c e , sur lesquels il n ' a u r a d r o i t q u ' a u c i n q u i è m e , ainsi q u ' i l sera e x p l i q u é p l u s bas. S'il y avait malversation de la p a r t d u d i r e c t e u r , o u simplem e n t négligence préjudiciable à la société, dans l'accomplissem e n t de ses d e v o i r s , la compagnie p o u r r a i t le d e s t i t u e r et p r o céder à son r e m p l a c e m e n t . D a n s le p r e m i e r c a s , sa p o r t i o n de t e r r e e t ses p l a n t a t i o n s r é p o n d r o n t d u d o m m a g e et l'affaire devra être vidée p a r les t r i b u n a u x ordinaires ; dans le s e c o n d , l ' e x - d i r e c t e u r deviendra s i m p l e a c t i o n n a i r e p a r la seule vol o n t é de ses coassociés, e x p r i m é e à la p l u r a l i t é des voix : la m o i t i é p l u s u n e l ' é t a b l i r a . Ce q u i au s u r p l u s n e p o u r r a se faire sans l'avis p r é a l a b l e de l ' i n s p e c t e u r de c u l t u r e d o n t il est p a r l é ci-après. L e d i r e c t e u r h a b i t e r a i t la grand'case t a n t q u ' i l serait m a i n t e n u dans ses fonctions. E n cas de décès d ' u n d i r e c t e u r d ' h a b i t a t i o n , le gouvernem e n t local p o u r v o i r a i t i m m é d i a t e m e n t à son r e m p l a c e m e n t , s'il n'y était statué u t i l e m e n t p a r la société ; toujours avec le concours d u d i t i n s p e c t e u r .


— 26 — R É P A R T I T I O N DU

FONDS

Les b â t i m e n t s et usines restent indivis et a p p a r t i e n n e n t à la société en corps collectif ainsi q u e les terres ci-après désignées. Ils ne peuvent être affectés q u ' à la fabrication des sucres de la c o m m u n a u t é . P r é l è v e m e n t fait 1° de l e u r e m p l a c e m e n t , y c o m p r i s le rayon d'enceinte p o u r la liberté de l ' e x p l o i t a t i o n , 2° d ' u n e q u a n t i t é de savanes p r o p o r t i o n n é e a u n o m b r e et à l'espèce des a n i m a u x nécessaires p o u r le service d u d o m a i n e , dans le r a p p o r t d ' u n hectare au p l u s p a r tête de bête ; les terres de c h a q u e habitation délaissée seront partagées, p a r égales p o r t i o n s , e n t r e tous les esclaves p r é s e n t s figurant sur l e u r d é n o m b r e m e n t , sans distinction d'âge ni de sexe , dans l e r a p p o r t d ' u n hectare p a r sujet, selon la p r o p o r t i o n existante entre l e u r n o m b r e et la surface du sol. S'il y a insuffisance ou excédant de t e r r e , il sera u l t é r i e u r e m e n t s t a t u é s u r la différence. L e d i r e c t e u r sera i n c o n t i n e n t m i s en possession des b â t i m e n t s et u s i n e s , au n o m et p o u r c o m p t e de la société, ainsi q u e de la g r a n d ' c a s e , de ses s e r v i t u d e s , des savanes, etc. C h a q u e nouvel affranchi sera également établi s u r son l o t , q u i sera sa p r o p r i é t é t a n t q u ' i l r e m p l i r a les conditions voulues. T o u t e s ces parcelles sont m u t u e l l e m e n t grevées les unes visà-vis des a u t r e s , des servitudes obligées p a r r a p p o r t à l'usine c o m m u n e , a u x c h e m i n s de sortie, à l'eau, etc. BESTIAUX ET MATÉRIEL

D'EXPLOITATION.

Ici n o t r e nouvelle société va se t r o u v e r forcée de faire c o m m e t a n t d ' a u t r e s , cela est inévitable. I l faut s'endetter en début a n t . . . car elle ne p e u t se passer de b œ u f s , de m u l e t s , cabrouets, i n s t r u m e n t s de f a b r i c a t i o n , e t c . ; et certes il est p e r m i s de p e n s e r qu'elle n'a pas le p r e m i e r sou p o u r faire toutes ces acquisitions. C e p e n d a n t , le p r o p r i é t a i r e cédant, q u i est souvent m u n i en excès de toutes ces c h o s e s , q u ' e n fera-t-il? S'il les m e t à l'encan , elles s e r o n t données à vil p r i x , b e a u c o u p m ê m e


— 27 — ne trouveront pas d'acquéreurs. Ne serait-il pas aussi avantageux pour l u i , de les vendre de gré à gré aux preneurs, qu'il pourrait l'être à ceux-ci de les lui acheter? Sans doute. Mais avec quoi les payer ? E h bien ! messieurs , accordez-vous sur le prix et nous allons tâcher de vous tirer d'embarras. Pour qu'il ne reste pas au moins une ou deux récoltes passables à faire sur l'habitation au moment de sa cession , ne fût-ce qu'en rejetons, il faudrait que l'ancien planteur eût poussé le désir de nuire à ses successeurs, jusqu'à se faire tort à l u i - m ê m e , pendant les dernières années de son administration , supposition insoutenable du moment que l'abandon a lieu volontairement, mais à laquelle la loi pourvoira néanmoins. Ainsi l'on ne peut refuser d'admettre que les concessionnaires trouveront là de quoi payer , souvent dès la première année , tous les accessoires indispensables à leur établissement. Cela posé, il ne reste plus aux intéressés qu'à dresser à l'amiable leur inventaire estimatif et à s'entendre sur les termes et conditions du paiement. La voie la plus commode, selon n o u s , pour le créancier comme pour le d é b i t e u r , et sans doute celle à laquelle on s'arrêtera , serait le versement en n a t u r e , au fur et à mesure de leur fabrication, des sucres et sirops provenant des plantations laissées sur l'habitation, à concurrence des trois cinquièmes jusqu'à final paiement; avec droit au créancier d'avoir un agent sur l'habitation pendant la récolte , si mieux il n'aime y rester lui-même, pour s'assurer de l'exactitude de ses débiteurs , peser , jauger et recevoir les denrées à l'embarcadère au prix du cours , selon leur qualité , en donner quittance , etc. Il fera l'avance des boucauds et en retiendra le coût sur les prix de vente. CULTURE. Les plantations délaissées par le cédant, et qui répondent des engagements contractés envers l u i , seront cultivées en commun par tous les membres de la société, sous la conduite du directeur, jusqu'à parfait paiement. Après q u o i , chaque actionnaire dont le sol serait encore occupé, en tout ou en p a r t i e , par les rejetons provenant desdites plantations, aura


— 28 — la faculté do les entretenir si b o n l u i semble, et de les r é c o l t e r p o u r son p r o p r e c o m p t e , c o m m e s'il les avait m i s en t e r r e . T o u t actionnaire est tenu de cultiver son l o t , au m o i n s m o i t i é en cannes bien entretenues , et le s u r p l u s en vivres. I l doit en o u t r e alterner sa c u l t u r e a u t a n t q u e p o s s i b l e , p a r la s u i t e , de m a n i è r e à ce q u e sa terre à vivres soit à son t o u r mise en c a n n e s , et vice versa. L e s portions de m i n e u r s incapables seront cultivées c o m m e dessus p a r les soins de leurs t u t e u r s , q u i seront responsables à l e u r égard. E n cas de refus ou d'impuissance de ces derniers, lesdits lots seront affermés p a r le directeur p o u r c o m p t e des m i n e u r s s u s d i t s , jusqu'à l e u r majorité o u émancipation. L ' a b a n d o n en jachère d ' u n e parcelle concédée, quelle qu'elle soit, ou le refus d'y p l a n t e r des cannes , e n t r a î n e r a , au b o u t de d e u x a n s , la déshérence contre son p r o p r i é t a i r e , de la m ê m e façon q u e p o u r celui q u i viendrait à décéder sans héritiers. Les cultivateurs ont conservé leurs h o u e s et coutelas et doivent s'en f o u r n i r dorénavant. FABRICATION. A la M a r t i n i q u e , la récolte c o m m e n c e dès le mois de nov e m b r e , dans certains q u a r t i e r s , attend j u s q u ' e n février dans d'autres et finit généralement p a r t o u t en août. C o m m e n ç o n s p a r celle des plantations de l'ancien p r o p r i é taire , car elles o n t u n e destination q u e n o u s ne devons jamais oublier. Les cases à bagasse sont p l e i n e s , le m o u l i n graissé, l ' é q u i page est en é t a t , les cabrouets et les h a r n a i s des bêtes de s o m m e sont p r é p a r é s , e t c . T o u t a été p r é v u p a r le d i r e c t e u r ; il i n d i q u e le j o u r et la pièce de cannes o ù l'on doit c o m m e n c e r , désigne et m e t à l'ouvrage les c o u p e u r s et a m a r r e u r s , donne l'élan a u x chefs cabrouétiers et m u l e t i e r s , c o m m a n d e les gens de q u a r t p o u r le m o u l i n , les chaudières et le fourneau. A sa voix tout s ' a n i m e , t o u t m a r c h e . I l a d é p o s é p o u r toujours son t e r r i b l e fouet et son bâton f o u r c h u , m a i s il est accoutumé à c o m m a n d e r c o m m e les autres le sont à obéir ; et, son p o u v o i r s u r eux,


-

29 —

p o u r n'être que m o r a l , n'a rien p e r d u de son é n e r g i e , parce q u e le sentiment de l'intérêt privé à remplacé celui de la doul e u r p h y s i q u e à laquelle on s'était endurci. Déjà l'eau c a p tive dans son étroit c o n d u i t , s'élance impétueusement et r e t o m b e en cascade. L a roue s ' é b r a n l e , le m o u l i n t o u r n e et le roseau sucré s'écrase en pétillant. Bientôt le bac est plein de son suc écumeux ; le feu va s'allumer et consommer l'œuvre de la saccharification. L e m o u v e m e n t est partout en m ê m e t e m p s et p a r t o u t il est coordonné p a r celui sur lequel pivote l'ensemble de l'opération. S'il en est autrement, le b u t est m a n q u é , et l'on p e u t , dans quelques jours d ' u n travail forcé , p e r d r e non seulement son temps et sa p e i n e , mais encore le fruit du labeur d'une année q u a n d les choses vont par t r o p m a l , p a r défaut d'ensemble. L'obéissance passive est donc aussi indispensable là que dans u n e action stratégique. Vienne m a i n t e n a n t le tour de la fabrication des p l a n t a tions particulières des divers m e m b r e s de la société. L'opération sera faite de la même m a n i è r e , toujours p a r le concours de tous. N ' y eût il q u e la parcelle d ' u n seul à récolter , si son t e m p s est venu il faut la couper. Celui q u i refuserait de donner la m a i n à la fabrication des cannes de ses coassociés, p e r d r a i t le droit d'exiger d'eux le m ê m e service, et serait exposé à voir p é r i r sa récolte sur pied. Les cas de maladie constatée, ou d'absence indispensable suffisamment motivée , p o u r r o n t seuls autoriser l'exemption de participer à u n e roulaison. Dans les quartiers h u m i d e s , où la bagasse n'est pas toujours suffisante p o u r cuire le s u c r e , tout le m o n d e doit se prêter à faire de la paille ou des b a m b o u s p o u r y suppléer ; parce q u e sans chauffage, il n'y a p o i n t de fabrication possible. 11 en sera de m ê m e p o u r l'entretien ou l'ouverture des chemins d'exploitation , également indispensable. Les sucres seront m i s à l'égout dans la purgerie à mesure q u ' i l s seront fabriqués ; chacun reconnaîtra ceux provenant de sa terre, et fournira des fûts p o u r loger sa portion lors de l'enlèvement, aussi bien que des sirops.


— 30 — PARTAGES ET

CHARROIS.

L e s trois c i n q u i è m e s des sucres et sirops p r o v e n a n t des cannes d e P e x - p l a n t e u r , l u i s e r o n t l i v r é s , c o m m e il a été di p l u s h a u t , en e x t i n c t i o n de son d û , j u s q u ' à parfait p a i e m e n t , et d e v r o n t ê t r e t r a n s p o r t é s à l ' e m b a r c a d è r e a u s s i t ô t l'égoutage, p a r les soins de la société, q u i f o u r n i r a , à t o u r d e r ô l e , p o u r ce t r a v a i l , d e u x h o m m e s p a r c a b r o u e t , sans e x c e p t i o n d'âge n i d e sexe. U n cinquième appartiendra au directeur. E n f i n le d e r n i e r c i n q u i è m e , sera p a r t a g é en n a t u r e e n t r e t o n s les m e m b r e s de la société , h o r s le d i r e c t e u r . Les parts des m i n e u r s s e r o n t versées a u x p è r e , m è r e , t u t e u r o u t u trice , etc. Q u a n t a u x p r o d u i t s en sucres et sirops des cannes cultivées p a r les p l a n t e u r s , il r e v i e n d r o n t , p o u r les d e u x tiers, à ceux-ci q u i les e n l è v e r o n t de m ê m e a p r è s l'égout et les t r a n s p o r t e r o n t , soit p a r e u x - m ê m e s , soit à leurs frais , a u b o u r g ou à l ' e m b a r c a d è r e , avec les c a b r o u e t s , b œ u f s o u m u l e t s , p i r o gues , e t c . , de l ' h a b i t a t i o n , p o u r en disposer c o m m e b o n l e u r semblera. L ' a u t r e tiers a p p a r t i e n d r a au d i r e c t e u r de l ' é t a b l i s s e m e n t , et c o n s t i t u e r a son t r a i t e m e n t , ainsi q u e n o u s l'avons d i t ; il a u r a , p o u r les m o y e n s de t r a n s p o r t le m ê m e privilége q u e ses coassociés, et sera c o m m e e u x t e n u de loger sa p a r t .

L e s a t t r i b u t i o n s , les droits et les devoirs de c h a c u n é t a n t ainsi réglés p a r l'acte de société q u i serait dressé a u m o m e n t d e la r é p a r t i t i o n et de la prise d e possession des terres et usines de c h a q u e h a b i t a t i o n , l'on p o u r r a i t , en toute sûreté , s'en r e m e t t r e à l ' i n t é r ê t p a r t i c u l i e r d u soin de faire p r o s p é r e r la c o m m u n a u t é . E t le succès de ces associations serait d ' a u t a n t p l u s a s s u r é , q u ' e l l e s laissent c h a c u n dans ses h a b i t u d e s et sa spécialité. C a r ce sont les m ê m e s h o m m e s q u i f a b r i q u e n t le s u c r e , le r h u m , c o n d u i s e n t et e x é c u t e n t les t r a v a u x de la cul-


— 51 — t u r e , pendant que le b l a n c , paresseux , indolent, ennemi de tout p r o g r è s , se balance nonchalamment dans son hamac. Il est tel habitant qui se vante de faire du sucre superbe, du r h u m excellent, etc., q u i , s'il venait à perdre son commandeur, son raffineur et son rhumier, sans pouvoir les remplacer par d'autres nègres, serait hors d'état de tirer parti par luimême de sa récolte. Q u e font donc ces prétendus agriculteurs dans les colonies? Ils font battre à tort et à travers p o u r accélérer la besogne, dont le produit leur revient sans partage, ou pour gagner leurs appointements; ils font... beaucoup de choses que l'on n'ose pas dire... Ce qu'il y a de certain, c'est qu'une fois le régime c h a n g é , le pays n'a pas besoin d'eux p o u r produire. Q u e les concessions soient faites progressivement, avec ordre, et sous l'influence de l'autorité ; que le gouvernement accorde ensuite à ces sortes d'entreprises la protection et les encouragements nécessaires à des compagnies naissantes, l'on ne tardera pas à s'apercevoir, par l'augmentation des produits, combien une industrie libre, dont les bénéfices profitent à tous, est supérieure dans tous les pays à celle qui n'enrichit qu'un h o m m e de la sueur de plusieurs. N'est il pas démontré par l'expérience que le nègre ne travaille jamais plus que lorsqu'il est à ses pièces et sur sa propriété. O r , s'il valait deux et demi ou trois milliers de sucre à son maître, étant esclave ou journalier (c'est le taux moyen auquel on évalue le travail d'un esclave sucrier), il est bien prouvé qu'il s'en donnera au moins quatre, une fois libre et propriétaire, et qu'il trouvera encore le temps de cultiver des vivres pour lui et sa famille (note 6). Dès lors, il y a gain pour celui-là qui n'a pas de fausses dépenses, là où l'autre n'aurait que perte (voyez la note 5). Ajoutez à cela que les parts de mineurs devant être cultivées comme les a u t r e s , la production générale y gagnera tout ce que ces jeunes b r a s , encore inutiles dans l'état actuel des choses, feraient réellement s'ils étaient capables de travail. Plus la coopération d'une portion considérable des esclaves des villes et b o u r g s , nouvellement affranchis, des patronés et des anciens libres sans é t a t , que l'absence de tous moyens d'existence et l'appât de la p r o priété ramèneraient insensiblement vers la culture, et naturelle-


— 32m e n t du côté de celle de la canne à sucre, la p l u s lucrative de t o u t e s ; vous n'aurez encore q u ' u n e idée imparfaite de la vaste et rapide extension q u e p e u t a c q u é r i r l'industrie agricole dans les colonies, et de l'accroissement de sa p r o d u c t i o n p a r l ' a p p l i cation bien e n t e n d u e de n o t r e p r o p o s i t i o n . Mais les effets et les causes s'enchaînent r é c i p r o q u e m e n t . O r , de ce d é v e l o p p e m e n t de la faculté productive d u s o l , naîtrait encore p o u r le f o n d s , u n e a u g m e n t a t i o n de valeur, q u i p a r t o u t est le signe irrévocable de la fortune p u b l i q u e , la base de la confiance et la garantie des transactions. L e rare voyageur q u ' a t t i r e la p h i l a n t h r o p i e dans ces régions lointaines y reconnaît à peine l ' h o m m e q u ' o n l u i p r é s e n t e sous forme d'esclave ; son œil attristé ne voit en lui q u e misère et dégradation. S'il interroge les actes de naissance et de décès d e ces infortunés et les c o m p a r e avec ceux des libres de la m ê m e r a c e , il r e m a r q u e chez les p r e m i e r s u n décroissement effrayant, tandis q u e les autres se m u l t i p l i e n t d ' u n e m a n i è r e sensible. Est-ce la nature outragée q u i voudrait effacer ainsi cette tache h o n t e u s e du code des h u m a i n s ? . . . E l l e le serait sans d o u t e ici depuis long-temps p a r ce seul f a i t , si la hideuse traite n ' e û t p r i s soin de combler le déficit à m e s u r e . Mais a u j o u r d ' h u i q u ' e l l e est enfin condamnée à l'inaction, n'est-ce q u e p a r l'extinction lente et douloureuse d u p e u q u i n o u s reste de t a n t de m a l h e u r e u x sacrifiés à la c u p i d i t é , q u e l'ère de la liberté doit s'ouvrir dans les colonies? Mais à q u i profiterait-elle a l o r s ? . . . et de quelle u t i l i t é p o u r r a i t jamais être à la F r a n c e u n sol d o n t elle aurait favorisé la d é p o p u l a t i o n p a r le m a i n tien d'un système q u ' e l l e - m ê m e à déjà c o n d a m n é à p é r i r faute d ' a l i m e n t , en a d m e t t a n t la suppression de la traite? Q u e l a u t r e m o y e n lui reste-t-il encore après cela de recueillir les fruits de ce bel acte d ' h u m a n i t é , et d'en assurer l'exécution sans être forcée de r e c o u r i r à la p e i n e de m o r t contre ceux q u e l ' a p p â t d u gain p o r t e r a toujours à profiter d u m o i n d r e relâchement de surveillance p o u r enfreindre la p r o h i b i t i o n , t a n t qu'ils apercevront des chances de p l a c e m e n t sur n ' i m p o r t e quel coin d u g l o b e ; si ce n'est la destruction absolue de la cause de cet infâme trafic, nonobstant les perfides doléances q u i ne servent q u ' à m a s q u e r le c r i m i n e l espoir q u e nourrissent toujours cer-


— 55 — tains colons anti-abolitionnistes, de le voir se raviver u n jour par la contrebande ; car, sans ce motif, il faudrait avoir perdu la raison pour ne pas apercevoir l'inévitable et complète r u i n e des colonies, dans le maintien du vieux système, isolé de t o u t moyen de recrutement. Mère adoptive des n o i r s , orphelins d'état social et de patrie , q u ' u n sort cruel a mis en son pouvoir, la métropole a tout à gagner en en faisant des hommes et des sujets, puisque c'est par eux seuls que ses terres tropicales peuvent conserver la fécondité qu'elles leur doivent déjà. Tandis que le mince parti qui réclame contre cette mesure salutaire , ne leur offre p o u r toute perspective qu'abandon et stérilité, dès qu'il sera privé de ces indispensables auxiliaires. Ce n'est pas la concurrence des sucres de betterave q u i tuera les colonies, comme semble l'appréhender le corps d u commerce ( voir la note 7 ) ; c'est le maintien de l'esclavage, dans les conditions où elles sont actuellement placées, qui tend évidemment à les r u i n e r de fond en comble par la dépopulation. L a Martinique compte déjà plus de quarante sucreries complétement abandonnées faute de b r a s ; le chiffre de la p r o duction, qui suit l'effectif des esclaves cultivateurs, s'y trouve réduit d'un sixième depuis que la contrebande sur la chair h u maine ne s'y fait p l u s , ce qui ne date pas de bien loin..., et chaque jour l'émigration nous appauvrit de quelques sujets, etc., etc. I l ne faut donc pas être doué d'une bien grande sagacité p o u r prédire qu'avant quinze ans les îles à sucre ne figureront plus au budget de la métropole, que p o u r l'énorme dépense de leur entretien, parce q u e , s'il est constant que la traite est aux colonies, sous certains rapports, ce que le recrutement est à l'armée, supprimez l'un, vous anéantirez l'autre. Sauver les débris en conservant la destination, voilà ce qu'il reste à faire dans l'état actuel de la question coloniale, p o u r être conséquent avec les précédents. T e l est aussi le b u t u n i q u e de notre proposition. Q u a n t aux moyens, nous les croyons efficaces, et c'est dans cette conviction q u e nous venons vous les soumettre. O h ! t o u t nous dit que le régime de l'esclavage touche à sa fin; et, si nos vœux sont entendus, les voies indiquées p o u r assurer l'aisance et le bien-être de nos futurs prolétaires, contribueront nécessairement à favoriser la procréation 5


— 34 — p a r m i e u x : car, si l ' a m o u r et le p l a i s i r , ces d o u x enfants de la l i b e r t é , sont les agents de la P r o v i d e n c e p o u r m u l t i p l i e r les générations sur la t e r r e , c'est à la sagesse des lois à p r o t é g e r la vie des sociétés en y fixant le b o n h e u r , p a r la constante a p p l i c a t i o n de cet a x i o m e si c o n n u : « R é p a r t i r s u r le p l u s g r a n d n o m b r e la p l u s g r a n d e s o m m e possible de félicité. » M a l g r é les p r i n c i p e s d ' é q u i t é , a u x q u e l s celte délicate quest i o n de l'abolition de l'esclavage d e m e u r e soumise dans cet é c r i t , n o u s n e n o u s d i s s i m u l o n s pas q u ' e l l e n o u s vaudra p l u s d ' u n c o n t r a d i c t e u r p a r m i messieurs les c r é o l e s , p o u r lesquels elle a toujours u n aspect é p o u v a n t a b l e , p a r c e q u ' e l l e n e se présente g é n é r a l e m e n t à l e u r e s p r i t q u ' a c c o m p a g n é e d u souvenir d e toutes les h o r r e u r s de S a i n t - D o m i n g u e et de la crainte d ' u n e r u i n e c o m p l è t e . M a l h e u r e u s e m e n t , les précédents ne justifient q u e t r o p cette triste p r é v e n t i o n . Aussi n e p r é t e n d o n s - n o u s p o i n t à l ' h o n n e u r de les ranger d ' a b o r d de n o t r e avis. Q u o i q u ' i l en s o i t , nous a u r o n s le courage de p o u r s u i v r e le d é v e l o p p e m e n t de n o t r e p r o p o s i t i o n , parce q u ' e l l e est la s i n cère expression de nos convictions. O u i , Messieurs, l ' é m a n c i p a t i o n des esclaves de la F r a n c e u l t r a m a r i n e , est c o m m a n d é e p a r la force des choses ; il n e reste p l u s à briser q u e le l i e n p h y s i q u e p o u r en venir là. N o u s n e craignons pas de le redire : car le p r e m i e r a n n e a u de la chaîne q u i r e t i e n t l ' h o m m e d a n s l'esclavage de son s e m b l a b l e , n e s'appuie q u e sur le m o r a l ; c'est l u i q u i étouffe le s e n t i m e n t de son i n d é p e n d a n c e et comp r i m e sa volonté a u p o i n t de l u i faire tolérer sa c o n d i t i o n , en s u b s t i t u a n t i n s e n s i b l e m e n t dans son â m e , la loi de l ' h a b i l u d e à celle de la n a t u r e . M a i s q u e la v o i x de la l i b e r t é retentisse u n e fois à son o r e i l l e , il sortira b i e n t ô t de sa t r i s t e l é t h a r g i e c o m m e d ' u n p é n i b l e c a u c h e m a r , et vous le verrez s'agiter en t o u s sens, p o u r se débarrasser d ' u n poids q u i l ' o p p r i m e et l'assujettit m a l g r é l u i . . . E h b i e n ! M e s s i e u r s , cette voix b r û l a n t e s'est fait e n t e n d r e , le prestige a d i s p a r u . C'en est fait : la chaîne d e nos esclaves est r o m p u e dans sa b a s e , dès q u e le pressent i m e n t de l e u r i n d é p e n d a n c e future n e l e u r p e r m e t p l u s d e v o i r dans l e u r s m a î t r e s q u e de détestables t y r a n s , dans l e u r s devoirs q u ' u n e i n s u p p o r t a b l e c o n t r a i n t e . O r , si la p h i l a n t h r o p i e , en faisant l u i r e à l e u r s y e u x son t a l i s m a n consola-


— 35 — teur, n'avait ni le d r o i t , ni la force de réaliser les espérances qu'elle leur a données, elle aurait semé gratuitement le t r o u b l e et la désolation, là où régnait du moins la résignation , avant l'émission de ses doctrines. Telle ne saurait être sa mission sur la terre, fût-elle p a r t o u t en dehors des g o u v e r n e m e n t s , ce q u e nous sommes loin de supposer. E n obtenant l'abolition de la traite des n o i r s , elle a proclamé implicitement celle de l'esclavage. Soutenus p a r sa h a u t e p r o t e c t i o n , nos affranchis ont pris rang p a r m i les citoyens des colonies. E l l e en fait ouvertement ses auxiliaires auprès de ceux de leurs frères qu'elle n'a p u arracher encore à la servitude. L e cri de liberté qu'ils ne cessent de faire e n tendre est devenu partout leur m o t de ralliement. Il en résulte u n développement évident dans la faculté pensante d u nègre , et u n dégoût p l u s remarquable que jamais p o u r sa condition actuelle. E n f i n , la route parcourue dans le sens de l'émancipation est immense, et rend à jamais impossible, dans les colonies, t o u t retour vers u n passé dont les h i d e u x souvenirs o n t stigmatisé le présent. Cependant l'avenir déroule progressivement l'étendard de la liberté, sur lequel on aperçoit déjà cette inévitable sentence écrite en lettres d'or : Par la raison ou par la force ( note 8 ) , mais flottant dans l'horison entre l'ascendant d u siècle et l'intérêt d u j o u r . . . T e l u n vaisseau t o u r m e n t é par les v e n t s ; il cinglera t r i o m p h a n t vers ses hautes destinées, ou doit p é r i r sur les écueils dont il est e n v i r o n n é , s'il n'est dirigé p a r u n e m a i n habile et ferme... Ayons confiance au pilote et à la P r o vidence... Q u o i q u ' i l en soit, u n parti lutte encore avec persévérance contre le p o t de fer... Il a recours à toutes les ressources de l'intrigue p o u r persuader au gouvernement q u ' i l est possible de m a i n t e n i r encore l'esclavage dans les colonies. Il n'est pas j u s q u ' a u x gouverneurs e u x - m ê m e s , q u i , trompés p a r ses adroites m e n é e s , ne viennent parfois confirmer les assertions de la h a u t e aristocratie q u i les entoure, les o b s è d e , et met tous ses soins à éloigner d'eux tout ce q u i pourrait leur m o n t r e r sous son véritable aspect ce qu'elle a intérêt de cacher. Est-ce donc en faisant ce qu'on appelle administrativement u n e t o u r n é e , 5.


— 36 — en d î n a n t chez u n conseiller, u n c o m m a n d a n t de q u a r t i e r , ou t o u t e a u t r e notabilité des c a m p a g n e s , q u ' u n r e p r é s e n t a n t d u R o i p e u t s'assurer si en effet « les c h â t i m e n t s t o m b e n t en d é » s u é t u d e , si les m a î t r e s o n t l'affection de l e u r s esclaves, et si » ces derniers sont contents de leur sort ? e t c . , etc. (note 9 ) . Ils sont contents de leur sort!.... E t cependant l'émigration c o n t i n u e toujours, m a l g r é la surveillance des b â t i m e n t s garde-côtes et les ordonnances tardives de l ' a u t o r i t é anglaise (note 1 0 ) , b i e n q u ' i l soit n o t o i r e p o u r t o u s , q u ' i l y p é r i t p l u s d ' u n tiers des m a l h e u r e u x q u i osent la t e n t e r . . . P o u r q u o i d o n c a l o r s s'exposer à u n e m o r t p r e s q u e certaine, a b a n d o n n e r p a t r i e , f e m m e , enfants, famille, p o u r aller t r a î n e r s u r u n sol étranger u n e l i b e r t é contestée, m e n d i a n t e et v a g a b o n d e . . . ? Ils sont contents de leur sort!... I l est b i e n vrai q u e les m a î t r e s n'osent p l u s les faire p e n d r e de l e u r a u t o r i t é p r i v é e , l e u r c o u p e r les jarrets p o u r les e m p ê c h e r de c o u r i r m a r r o n s , n i les m u t i l e r à m e r c i ! ! . . . M a i s en revanche, ils tiennent ferme s u r le trois piquets, et font à l e u r gré a p p l i q u e r les 29 coups de fouet aussi souvent q u e b o n l e u r semble p o u r la p l u s légère f a u t e . . . Le carcan, les jambières, le collier ou le corset de force au cachot, sont les seuls m o y e n s disciplinaires q u i l e u r r e s t e n t ; on p e u t m ê m e ajouter q u ' i l s c o n t i n u e n t à en user selon l e u r bon plaisir dans l e u r i n t é r i e u r , p u i s q u e l ' a d m i n i s t r a t i o n n ' a encore i m a giné a u c u n m o y e n de contrôle p o u r y p é n é t r e r , éclairer et censurer enfin cette police a r b i t r a i r e et privée des h a b i t a t i o n s , q u e les créoles s'efforcent de justifier en p r o t e s t a n t de l e u r m a n s u é t u d e , en m ê m e t e m p s q u ' i l s s o u t i e n n e n t q u e , sans ces auxiliaires de l e u r a u t o r i t é paternelle sur l e u r s esclaves, ils n e p o u r r a i e n t venir à b o u t de les c o n t e n i r dans le d e v o i r . . . Ils sont contents de leur sort, à p e u près c o m m e on p o u r r a i t le d i r e dans u n r a p p o r t sur les prisons et les b a g n e s , de ceux q u i y sont d é t e n u s ; ce n'est q u ' u n e façon de p a r l e r relative e t figurée. M a i s la vieille cabale c o l o n i a l e , q u i n e sait c o m m e n t replât r e r son système d é c r é p i t , s'empare avidement de tout ce q u i p e u t l u i p a r a î t r e f a v o r a b l e , en découd les phrases au besoin , e t les colle à sa m a r o t t e . H o m m e s de p a r t i , si vous n'êtes à la fois frappés d ' a v e u g l e m e n t et de s u r d i t é , rendez-vous à


— 37 — l'évidence des faits, o u , p o u r mieux d i r e , cessez de m e n t i r a votre conscience ! N'apercevez-vous pas que l'état actuel de la civilisation repousse de toutes ses forces le régime barbare que vous préconisez, et que , sapé dans ses bases , circonscrit de toutes parts , il menace vos têtes des éclats de ses chaînes ? Ce m u r m u r e s o u r d , qui vous préoccupe si vivement à chaque renouvellement d'année, ne vous avertit donc pas que les idées libérales vous débordent de plus en p l u s , et v o n t , à votre insu, électriser l'âme de vos esclaves, malgré les vaines précautions dont vous vous entourez ?... D u moment qu'il est hors de votre pouvoir de les empêcher de triompher tôt ou tard , convenez au moins qu'il vaudrait mieux pour vous que leur succès parût être le résultat d'une prudente concession de votre p a r t , que de devenir, u n j o u r , la conséquence forcée d'une catastrophe à laquelle votre patrie ne saurait échapper, si vous continuez à prendre ou à donner le change sur sa véritable position morale. Votre cause est bonne , dites-vous. E h ! vous tremblez, dès qu'on parle de la discuter !!... C'est que c'est une question p a l p i t a n t e , dont le retentissement peut avoir les conséquences les plus funestes chez les esclaves. Mais les écrits libéraux q u i circulent dans les colonies , en dépit de la censure qu'on y exerce sur leurs j o u r n a u x , ne sont-ils pas mille fois plus dangereux, sous ce r a p p o r t , que les discours pleins de sagesse , q u i peuvent être prononcés à la tribune des D é p u t é s ? . . . Ce prétexte est v a i n , et vous compromettez vos droits en gardant le silence ; car, si vos arguments sont b o n s , ils renverseront indubitablement ceux de vos adversaires; vous resterez maîtres du champ dans cette lutte d'intelligence, et vous fermerez la bouche à l'opposition qui vous poursuit d'autant plus activement que vous fuyez plus fort devant elle. Vaincus , au contraire, par la toute puissance du raisonnement soutenu par les faits, sachons marcher franchement avec notre siècle, dont la haute philosophie mine et détruit insensiblement tout ce qui tend à rappeler la barbarie des temps passés. E t , Français avant t o u t , ne soyons plus colons que p o u r indiquer unanimement à la mère-patrie l'étroit sentier qui peut la conduire, sans de trop graves inconvénients, à l'ac-


— 38 — complissement de ses généreux desseins ; dût-il nous en coûter u n e partie de nos fortunes et le sacrifice de nos plus chères habitudes P o u r n o u s , qui ressentons vivement les effets de la grâce et q u i voulons professer h a u t e m e n t notre foi, nous abjurons sans r e g r e t , comme fausses et e r r o n é e s , toutes idées contraires à la présente déclaration, que nous aurions p u é m e t t r e , sous l'influence de l'intérêt privé, en notre qualité de propriétaires d'esclaves, p o u r donner u n libre essor à la manifestation de nos principes en faveur de l'émancipation ; et nous signalons avec joie notre premier pas officiel dans cette honorable résolution par l'abandon de nos propriétés et de notre patrie a d o p t i v e , d'où nous n'ignorons point que la démarche que nous faisons auj o u r d ' h u i nous exclut à j a m a i s , autant que le parti que nous osons attaquer en face conservera sa prépondérance. M a i s , q u e l q u e dommage qu'il en puisse résulter p o u r nos i n t é r ê t s , et peut-être p o u r notre sûreté personnelle , nous ne saurions , sans h o n t e , transiger p l u s long-temps avec notre conscience. Si donc il nous était p e r m i s , Messieurs, d'invoquer devant vous notre p r o p r e expérience, à l'appui des faits rapportés et de nos o p i n i o n s , nous dirions, en ce q u i touche la forme de l ' a b o l i t i o n , q u ' u n séjour de quinze années d'activité à la M a r t i n i q u e , d u r a n t lequel notre position sociale nous a mis à m ê m e de voir et d'observer, sans passions comme sans illusions, les h o m m e s et les choses , nous autoriserait à soutenir que le seul moyen p r o p r e à atteindre radicalement l'émancipation des esclaves, sans compromettre à la fois le présent et l'avenir des colonies, serait le rachat des propriétés rurales p a r le gouvernement, progressivement et sur libre volonté des détenteurs actuels, pendant u n laps de temps déterminé , et la répartition immédiate du sol et des usines, au fur et à mesure, entre les esclaves libérés, à charge par ceux-ci de c o n t i n u e r , p o u r leur c o m p t e , l'exploitation des sucreries de la manière sus indiquée. Mais ce n'est point à titre onéreux p o u r le gouvernement q u e nous entendons ce remboursement ; nous pensons au contraire qu'il se b o r n e r a i t , de sa p a r t , à une simple avance de fonds, laquelle trouverait sa garantie dans le sol et les usines,.


- 39 — dont il deviendrait, en droit, le véritable propriétaire par le rachat, tandis que l'intérêt lui en serait servi par les nouveaux affranchis, détenteurs du fonds, au moyen d'une redevance annuelle sur les parcelles qui leur auraient été concédées avec la liberté. Seulement, il aurait à supporter sa part du sacrifice que nous faisons tous à l'humanité , en n'exigeant ce tribut qu'après quatre ou cinq ans de jouissance, attendu que les esclaves libérés n'ayant en général rien, absolument rien par devers e u x , et devant se monter de tout, ils seraient hors d'état de payer, avant de s'être un peu remis de leur misère, et que l'on aurait à craindre de les décourager, en les surchargeant trop dès le commencement. Au surplus, cette redevance pourrait être préalablement déterminée, en grevant chaque hectare de terre en baillette d'un impôt annuel de 5 pour ° / du prix moyen général de l'affranchissement par tête, y compris la dot augmentée de la somme du rachat des sujets non dotés, répartie sur les terres concédées. Ainsi, d'après notre aperçu général (page 80) , ce prix étant de 1,181 fr. 31 cent., le nombre des sujets à libérer s'élevant à 2 1 1 , 0 0 0 , et celui des hectares à concéder ne montant qu'à 1 7 1 , 0 7 1 , il devrait s'ensuivre que l'hectare, au lieu de payer 5 pour °/ sur 1,181 fr. 31 cent. , les devrait sur 1,457 fr. 03 cent. Ce qui reviendrait, en d'autres termes, à substituer des mesures de terre à des têtes d'hommes, pour asseoir le capital du remboursement des possesseurs d'esclaves. L'époque viendra plus tard , où ces mêmes hommes se trouveront en position d'amortir ces redevances qui ne leur rappelleront leurs maux passés qu'avec le souvenir de l'ineffable bienfait de la mère-patrie. Alors, il sera temps de statuer sur la forme et les moyens de l'opérer selon les circonstances , et la rentrée sera d'autant plus certaine que le gage aura acquis plus de valeur. Car ce n'est point par des théories que se démontrent aujourd'hui les avantages du parcellement territorial ; c'est par des faits. Voyez à quel degré de prospérité vénale et productive sont arrivées les terres des grands domaines de l'ancienne noblesse et du clergé de France, depuis leur morcellement entre les industrieux prolétaires que le travail et l'économie élèvent, chaque j o u r , à la condition d'élee0

0


— 4 0 teurs, etc., etc. Pourquoi la même cause ne produirait-elle pas le même effet parmi les citoyens de la zone torride ? Nous avons déjà fait voir que l'esclave ou le journalier, bien employés, ne donnaient guère annuellement au maître qu'une moyenne de deux à trois milliers de sucre b r u t , et que l'homme libre, travaillant à ses pièces, s'en procurerait au moins quatre. Ne les calculons qu'au minimum de 20 fr. le cent, quittes de frais, ci 800 fr. 00 Supposons qu'ils ne rendront en mélasse que 440 galons, au prix moyen de 70 cent, le galon, ci 98 00 Le revenu brut sera de dont il faut déduire, 4° pour le tiers du directeur, ci 299 fr. 55 c 2° Pour les éventualités à la 389 charge des planteurs, 15 p . °/ sur le reste, ci 89 80

898

00

13

Partant. Le revenu (espèces ) d'une parcelle d'un hectare sera net de 508 87 non compris les vivres qu'on y peut recueillir, et qui servent à la nourriture du planteur et de sa famille. Ce résultat qui n'a rien d'exagéré pour qui connaît la fécondité du sol des colonies, réduit à cinq cents francs pour arrondir le chiffre, éleverait donc la valeur de l'hectare de terre à sucre, y compris le bénéfice de son droit aux usines, à deux mille cinq cents francs, produisant l'énorme taux de 20 p . % de revenu net à son exploitateur, une fois sa redevance éteinte. E t , il est également prouvé que les terres affectées aux autres cultures ne donneraient pas moins de trois cents francs par hectare, étant travaillées par des mains libres ; ce qui les porterait encore au capital de deux mille francs, rapportant 45 pour °/ d'intérêt. O r , il est manifeste que le chiffre qui exprime, dans notre aperçu précité, le nombre des sujets à libérer et celui des hectares à concéder, é t a n t inférieur à la réalité, il y aura, en définitif; diminution dans la quotité que nous proposons 0


— 41 — comme maximum du rachat. Mais ce prix restât-il intact contre toute probabilité, que l'amortissement, sur ce pied , offrirait encore un avantage considérable au tenancier. C'est ainsi que le sol des tropiques, fécondé par la liberté , paiera la rançon des captifs dont le sang et les larmes l'ont trop long-temps abreuvé, et deviendra pour eux et leurs nombreux descendants une source inépuisable de prospérité. La France a fait des sacrifices pour l'indépendance des Grecs, pour celle des Polonais, etc. ; certes, elle n'en espérait pas les avantages qu'elle peut se promettre de la modique concession que nous osons lui demander pour l'affranchissement de ses propres esclaves. Sans doute, nous devons penser que les charges du trésor public peuvent être telles qu'il est bien permis aux honorables membres de la représentation nationale d'hésiter chaque fois qu'il paraît s'agir de les aggraver. Mais nous serions heureux de pouvoir rassurer ici la question de finance contre les exigences apparentes de celle d'équité en parvenant à démontrer qu'une partie des capitaux versés, chaque année, par l'impôt sur les denrées coloniales, suffirait, en moins de cinq ans, à la satisfaction de cette dernière. Commençons par donner à la Martinique, qui est notre point de départ, une appréciation quelconque, et si nous partons de ce principe, que les choses vénales ne représentent en fait que l'argent ou les valeurs réelles contre lesquelles on peut les échanger, nous aurons une belle marge pour le rabais. Néanmoins nous estimerons en âme et conscience , eu égard aux circonstances, sans oublier que c'est pour du comptant, et q u e , nous devons supporter une partie du sacrifice que s'imposerait la mère-patrie en traitant avec nous quand elle pourrait ordonner... ÉTAT APPROXIMATIF du S o l , des Établissements ruraux et des Esclaves d e la Martinique, avec leur appréciation, pour servir de prix de base

maximumaurachat

qui pourrait

être exercé par le gouvernement.

SOL. Il

resulte

du

dernier travail fourni

par

MM. les o f f i c i e r s

du

génie,


— 42 — à la Martinique , que Ja surface de cette île est évaluée à 75,379 hectares , divises comme suit : SAVOIR :

Terres cultivées.. Savanes ou prairies naturelles Bois Terres sans valeur.

21,380h. Terres arables.... 58,571 h. 17,191 19,997 16,811

Dont il n'y a d'habité qu'environ...

6,000

É g a l e . 75,379h. Dont remboursable. 44,571 h., à 300 Donneraient Environ

13,371,30O

f

f

BATIMENTS ET USINES. 407 Établissements sucreries, dont nous classerons la valeur des usines d'après leur importance, et particulièrement le nombre et la nature des moulins, parce que c'est de là que dépend tout le reste. Ainsi, la première classe comprendra les habitations ayant moulin à vapeur ou moulin hydraulique ou à vent, avec annexe à manège ou autre ; la deuxième, celles n'ayant qu'un moulin mu par l'eau , l'air ou la force des animaux, pourvu que ce dernier soit en charpente et couvert; enfin, la troisième et dernière classe sera composée des établissements qui ne comptent qu'un tourniquet ou moulin à manége découvert, avec ou sans trottoir. En donnant à chacune de ces classes l'appréciation qu'elle nous paraît mériter. Nous aurons, re

Pour la 1 , envir. 100 établissements, à 45,000f, ci Pour la 2 , envir. 200 établissements à 50,000 , ci Pour la 3 , envir. 107 établissements à 15,000 , ci

4,500,000

f

e

f

6,000,000

f

1,605,000

e

Usines à sucre, ci 12,105,000 A reporter 13,371,300'


— 45 — Report 407 Report 12,105,000 \13,371,300' Environ 1,100 Habitations où l'on cultive le café, le coton, le cacao, etc., dont nous croyons raisonnable de compter les usines au prix moyen de 1,400 fr. l'une, attendu leur peu d'impor1,540,000 15,666,000 f tance (1), ci Environ 7 Établissements chaufourneries dont on ne peut guère estimer les usines à moins de 3,000 chacune 21,000 f

f

T o t a l . . . 1,514 Établissements ruraux estimes ensemble 13,666,000, ESCLAVES. Environ 66,000 de un à soixante ans, an prix moyen et unique, pour toutes les colonies françaises, de 800 par tête, sans distinction d'âge ni de sexe, ci 52,800,OOO f

f

Montant du remboursement présumé pour la Martinique. 79,837.300f Avant d'entrer dans la discussion de l ' i n d e m n i t é , il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer quelques-uns des p r é cédents adoptés chez nos voisins, et qu'il nous importe le plus d'éviter. Il paraîtrait que les Anglais auraient pris pour base de leur indemnité le rapport du produit de chaque colonie (1) Il est bon d'observer que sur ces 1 , 1 0 0 établissements du second ordre, il s'en trouvera plusieurs à retrancher de l'indemnité pour leurs usines, attendu que le droit local de capitation, qui ne pèse ici que sur les vivreries, etc., a fait classer comme caférics, pour l'éviter, un grand nombre d'habitations qui ne cultivent pas de café. Il faudra donc, pour sefixerà cet égard , prendre pour règle la surface du sol, qui est la base de l'importance des établissements, et dire que toute propriété qui ne comptera pas 8 hectares de terre au moins, sera réputée vivrerie, hate, etc., et n'aura pas droit au rachat des usines. De môme que les détenteurs de celles au-dessous de 3 hectares, pourront se réserver leur terre et proposer isolément leurs esclaves au rachat. Cela peuts'appliqueràtouteslescolonies.


—44—, comparé au n o m b r e de ses esclaves. Mais n o u s croyons ce m o d e d'évaluation i m p a r f a i t , car le chiffre d u p r o d u i t tient p l u s encore à la q u a l i t é d u sol q u ' a u n o m b r e de bras employés à son exploitation , et cela est si v r a i , d u p e t i t a u g r a n d , q u ' i l est telle habitation dans cette colonie q u i , avec cinquante nègres de h o u e , donne d e u x cents b a r r i q u e s de sucre b r u t , tandis que telle ou telle a u t r e n ' a t t e i n t pas ce chiffre avec cent esclaves au jardin , à m é r i t e égal d'ailleurs dans l ' a d m i n i s t r a tion. Les nègres de la p r e m i è r e seraient done payés d e u x fois p l u s cher q u e ceux des autres p u i s q u e , avec u n e fois m o i n s , elle recevrait la m ê m e s o m m e . T r a n s p o r t e z cette échelle d e colonie à colonie et vous vous expliquerez la différence q u i existe de l ' u n e à l ' a u t r e dans la q u o t i t é d u p r i x alloué p a r tête de nègre chez nos voisins. Mais ce q u ' i l y a de p l u s c h o q u a n t , dans l ' i n d e m n i t é p a r capitation , c'est q u e , le cafeyer , le cotonnier , etc. , d o n t les plus grandes usines n e passent guère trois o u q u a t r e m i l l e lianes d e p r e m i è r e mise ; le v i v r i e r , le p â t r e , q u i n'a p o u r toute usine q u ' u n e p l a t i n e à m a n i o c , reçoivent la m ê m e s o m m e , r e l a t i v e m e n t au n o m b r e de l e u r s esclaves, q u e le sucrier, d o n t la vaste m a n u f a c t u r e a souvent coûté p l u s de cent m i l l e francs à c o n s t r u i r e et l u i reste p o u r t a n t en p u r e p e r t e . D e semblables inconvénients n ' é c h a p p e n t p o i n t a u x local i s t c s , e t nous croyons bien faire en vous les signalant , Messieurs. Dans l'état a p p r o x i m a t i f q u i p r é c è d e , n o u s n o u s s o m m e s en o u t r e efforcés d ' i n d i q u e r p a r a p p l i c a t i o n , la seule voie q u i n o u s paraisse susceptible de les éviter. E n faisant p o r t e r l ' i n d e m n i t é c o m m e r e m b o u r s e m e n t , s u r le s o l , les usines et la c a p i t a t i o n , n o u s m e t t o n s à votre disposition tous les m a t é r i a u x dont le r e m a n i e m e n t est nécessité p a r l'abolition de la base s u r laquelle s'est a p p u y é e jusqu'ici t o u t e l'organisation coloniale : n o u s v o u l o n s d i r e l'esclavage ; e t n o u s vous offrons u n moyen de r é p a r t i r l ' i n d e m n i t é é q u i t a b l e m e n t e n t r e les intéressés, en la p r o p o r t i o n n a n t a u x p e r t e s q u ' i l s o n t à essuyer r e s p e c t i v e m e n t , e u égard a u x capit a u x employés dans les divers genres d'industrie agricole q u ' i l s exploitent. Quoiqu'il

en s o i t , vous remarquerez, M e s s i e u r s , q u e le


— 45 — trésor français n'aura point à souffrir de la méthode sur l a quelle nous osons appeler votre attention ; puisque indépendamment de l'avantage de ne servir l'avance du rachat que par cinquième d'année en a n n é e , vous verrez bientôt que les plus grandes probabilités , militent en faveur d'une réduction des trois cinquièmes sur le total général du remboursement. E t nos convictions sont telles à cet égard , que nous n'hésitons point à raisonner dans ce sens ; en nous appuyant sur les motifs dans le détail desquels nous allons entrer pour vous mettre à même d'en apprécier la valeur. A la M a r t i n i q u e , et probablement ailleurs, la dette colon i a l e , ce cancer dévorant, à jamais incurable, triste résultat de la mauvaise organisation de notre système judiciaire, s'offre d'elle-même comme cause efficiente de cette réduction et de l'atermoiement du remboursement. E n effet, la campagne seule, dans cette î l e , doit plus de cent millions , c'est chose positive, quelque soin qu'on mette à s'en cacher. Il ne faut, pour s'en convaincre, que feuilleter les registres des hypothèques, et y ajouter les obligations qui n'y sont pas portées……Certes, dans les conjonctures actuelles , le pays entier ne trouverait pas preneur à ce p r i x , bien qu'il puisse valoir réellement davantage ; il est d o n c , par le fait, en état de déconfiture. Mais sa débâcle serait des plus désastreuses, pour ses nombreux créanciers aussi bien que pour leurs débiteurs, qu'elle ruinerait sans les acquitter , si l'émancipation , quelle que soit sa forme, venait à être brusquement décrétée. C a r , elle ôterait à ceux qui doivent plus qu'ils n'auraient à toucher, la faculté de se libérer, et il y en aurait beaucoup dans ce cas!!, et condamnerait les autres à se contenter d'une faible partie de leur d û , quand ils pourraient préten dre à mieux avec un peu de temps. Qu'on leur laisse au moins l'espérance ! ! Ainsi, dans ce conflit d'intérêts divers, l'équité demande grâce pour quelques années à la p h i l a n t h r o p i e , en faveur des débiteurs et de leurs créanciers. Mais l'humanité demande impérieusement à son tour pour les colons dégrevés, le p r o m p t rachat et la dot de leurs esclaves ; parce que rien ne s opposera plus à ce que cette satisfaction lui soit donnée, dès qu on aura trouvé le moyen d'y faire concourir la volonté des


4k

— 46 — maîtres. O r , ce m o y e n , nous l'indiquons : c'est l'intérêt privé... Des motifs aussi graves semblent de nature à exiger u n sursis de cinq a n s , p e n d a n t lequel les demandes en remboursem e n t p o u r r a i e n t être accueillies, comme il sera dit plus b a s , afin q u e le p l u s grand n o m b r e possible puisse profiter d u bénéfice de la m e s u r e . Après q u o i , il serait statué sur le sort des retardataires et passé o u t r e , dès maintenant, à l'émancipation définitive des esclaves restant encore à libérer à l'expiration de la cinquième année. I l suit p o u r n o u s , de ce qui vient d'être d i t , la nécessité de p o r t e r encore le scalpel sur ce corps social, dussions-nous blesser de nouveau les susceptibilités de quelques-uns de ses m e m bres. Nous le diviserons donc, p o u r la M a r t i n i q u e , en cinq sections ou catégories. La p r e m i è r e comprendra les colons déjà fixés en F r a n c e dont les propriétés coloniales sont libres de tout engagement, et ceux q u i , dans la m ê m e position d'indépendance, n'aspirent q u ' à revoir la mère-patrie p o u r ne la p l u s q u i t t e r . L ' o n doit s'attendre qu'elle assiégera les avenues du b u r e a u des fonds dès q u e la porte l u i en aura été ouverte p a r le rachat. Mais ne vous effrayez p a s , Messieurs, sa cohorte ne sera pas n o m brense. Dans la seconde, figureront ceux q u i ne doivent q u e m é diocrement et qui veulent de bonne foi se libérer à t o u t p r i x . Ce n'est p o i n t encore celle-là q u i donnera le plus de travail au caissier. D'ailleurs elle ne se présentera q u e l e n t e m e n t et successivement, ayant intérêt à satisfaire ses créanciers p l u t ô t p a r ses revenus q u e sur son capital. L a troisième sera l'expression des débiteurs q u i doivent tout ce qu'ils estiment posséder ou peu s'en f a u t , et souvent au delà. Ici viennent se grouper de g r a n d e s , de moyennes et de petites p r o p r i é t é s , formant en bloc les trois cinquièmes au moins de la fortune du pays. L ' o n se persuade aisément q u e les colons, placés dans cette m a l h e u r e u s e position , ayant tout à p e r d r e p a r le r a c h a t , p u i s q u e leurs créanciers ne m a n q u e r a i e n t pas de venir se partager au m a r c le franc l'intégralité de leur remb o u r s e m e n t , préféreront la continuation d'une jouissance,


— 47 orageuse, il est vrai, mais qui leur donnera de quoi pourvoir aux besoins de leurs familles, et même à leurs plaisirs, en dépit des huissiers qu'ils bravent, etc... Ceux-là, disons-nous, ne se de'saisiront jamais volontairement des biens dont ils sont détenteurs ; ils y tiennent comme u n avare à son trésor, par la crainte de les voir changer de m a i n s , et notre proposition leur en assure la possession au moins pour u n temps, sauf les poursuites judiciaires qui ne sont redoutables aux colonies que p o u r ceux qui veulent payer ; ce qui fait que tant de gens s'en m o q u e n t !... D ' u n autre côté, les créanciers ayant devant eux cinq ans pour se reconnaître, prendre des arrangements et se faire donner des à compte sur les revenus, ne pourront pas se plaindre d'avoir été pris au dépourvu. Au s u r p l u s , les choses en sont au point que leur situation ne peut guère empirer. Ils sont depuis long-temps préparés à t o u t , et moins perdre, pour eux , c'est gagner.... O r , de toutes les hypothèses possibles, avec la politique actuelle des gouvernements à l'égard des colonies à esclaves, la nôtre est peut-être celle qui leur offre le moins de p e r t e . La quatrième division embrassera les petits blancs. On appelle ainsi les créoles de la campagne qui unissent la qualité de blancs à l'éducation des nègres. Ils sont vivriers, pâtres, etc., et possèdent peu de terres et d'esclaves; mais ils sont nombreux. Leurs fortunes exiguës, d'ailleurs plus ou moins engagées , réduiraient pour la plupart le remboursement à rien. Ils n'auraient donc nul intérêt à se prévaloir du rachat et peu d'entr'eux se décideraient à le demander. Au s u r p l u s , il suffit de connaître leur m œ u r s , leurs habitudes et surtout cet indolent caraïbisme q u i , pour e u x , comme p o u r tant d ' a u t r e s , transforme l'existence en une espèce de végétation , p o u r demeurer convaincu, qu'ils ne peuvent vivre que sur le sol où ils ont pris racine. Nous touchons à la cinquième et dernière catégorie , celle que l'on désigne encore, par h a b i t u d e , sous la dénomination de classe de couleur. Elle est en possession, avec la précéd e n t e , d'un cinquième environ des biens r u r a u x de l ' î l e , subdivisé en une infinité de parcelles. Hors quelques éducations


—48

e t q u e l q u e s fortunes m é d i o c r e s , t o u t ce q u e nous avons dit de la q u a t r i è m e division l u i est applicable moins la qualité de blancs q u i n'est pas toujours u n e règle s û r e . . . Nous ajouterons s e u l e m e n t à l'égard de cette classe, p o u r nous renfermer dans n o t r e sujet, q u e l'espèce d'abjection légale qu'elle subissait avant la reconnaissance de ses droits civils e t p o l i t i q u e s et d o n t elle se ressentira toujours en f a i t , si rien ne change dans le système colonial, prouve qu'elle tient par-dessus t o u t à la p r o p r i é t é et au pays , p u i s q u ' e l l e a eu le courage d'y rester m a l gré les a m e r t u m e s d o n t elle fut si l o n g - t e m p s et est encore souvent abreuvée. C o m m e n t y renoncerait-elle a u j o u r d ' h u i , q u e t o u t conspire à l u i en assurer l'entière et paisible jouissance ? N o n . L e r e m b o u r s e m e n t de ses domaines r u r a u x à la condition de ne pouvoir vendre les esclaves q u i y sont attachés sans les t e r r e s , ne saurait lui convenir généralement parlant. Les h o m m e s de c o u l e u r , propriétaires , regretteront sans d o u t e d'être des derniers à posséder des esclaves , e u x q u i se m o n t r e n t si jaloux de l ' é m a n c i p a t i o n . Mais ils s'en consoler o n t en voyant c h a q u e jour a p p r o c h e r le terme de la captivité de leurs m a l h e u r e u x frères! Mais ils sauront attendre patiemm e n t en présence de cet h e u r e u x a v e n i r , parce q u e l'intérêt que les attache au sol l e u r en fait u n e l o i , p u i s q u ' i l s n ' o n t , dans notre h y p o t h è s e , q u e ce moyen p o u r conserver le peu q u ' i l s en possèdent. Au s u r p l u s , l'exception q u e nous allons bientôt établir en faveur de la petite p r o p r i é t é , est de n a t u r e à m e t t r e b e a u c o u p de gens à l'aise sous ce r a p p o r t de conscience. 11 nous reste à parler des propriétaires d'esclaves de v i l l e s , c'est-à-dire de ceux q u i , é t a n t détachés de la terre sur le d é n o m b r e m e n t de l e u r s m a î t r e s , se t r o u v e n t mobilisés p a r ce fait. I l est encore facile de prévoir q u e la majeure p a r t i e de ces p r o p r i é t a i r e s ne se p r é s e n t e r o n t q u e le plus tard possible p o u r j o u i r d u rachat : tels, p a r e x e m p l e q u e les possesseurs de b a t e a u x gros bois et a u t r e s , de canots de poste et de quelques usines u r b a i n e s , etc. ; ces esclaves l e u r étant nécessaires p o u r faire valoir l e u r m a t é r i e l , etc. II dérive de cette c o u r t e , mais fidèle a n a l y s e , q u e les d e u x


—49— premières sections, formant ensemble le cinquième au plus de la propriété rurale , réclameront indubitablement le bénéfice du r a c h a t , ne fût-ce que p a r la crainte de pis en fin de compte ; et, qu'en ajoutant la valeur des esclaves isolés, dont le remboursement pourra être requis u t i l e m e n t , au petit nomb r e des intéressés de la troisième division qui parviendront à se mettre en état d'en profiter, il serait raisonnable de compter sur un autre cinquième à satisfaire. Q u a n t aux petites habitations de trois hectares et au-dessous, appartenant en général à des gens de couleur ou à des blancs pauvres , il convient de les mettre d'avance en dehors du rachat p o u r leurs terres ; de m ê m e que celles de h u i t hectares et au-dessous doivent l'être, p o u r les usines dès qu'il est constant qu'elles en sont dépourvues. Il faudra donc d é d u i r e , p o u r toutes ces parcelles, u n cinquième de la p r o p r i é t é i m m o b i l i è r e , car le n o m b r e en est g r a n d , ce qui réduit à deux cinquièmes e n v i r o n , la p o r tion sur laquelle il restera à statuer à l'expiration du d é l a i , laquelle ne présentera guère que des habitations en r u i n e , presque abandonnées, et dont les usines, tombant en lambeaux, seront pour la plupart inservables. A u surplus nous fournirons , s'il en est besoin à cette é p o q u e , le complément ou la seconde partie de notre travail sur l'indemnité. Q u ' i l nous suffise, p o u r le m o m e n t , de savoir que les demandes présumables en r a c h a t , ne peuvent dépasser les deux cinquièmes de la p r o priété agraire des colonies, esclaves compris. E t , si l'on p o u vait encore appréhender , contre toute vraisemblance, que ces demandes se multipliassent au delà de nos prévisions, surtout vers l'expiration d u terme fatal ; une disposition dans la loi qui se rapporterait à l'article 10 § 1 du p r o j e t , nous paraîtrait p r o p r e à obvier complètement à cet embarras financier, puisqu'elle tendrait essentiellement à rendre nulles, faute de fonds alloués, la presque totalité des réclamations t r o p tardives. O r , p o u r avoir u n e somme r o n d e , nous établirons notre évaluation, p o u r la M a r t i n i q u e , à quatre-vingt millions. L ' o n aurait donc à p a y e r , dans cette île , au p l u s trente-deux mil l i o n s , q u i , divisés en cinq termes é g a u x , d'année en a n n é e , donneraient ouverture à u n crédit supplémentaire de six mil4


— 50 — lions quatre cent mille francs p a r an , pendant cette courte période. Nous m a n q u o n s , et cela n'a rien d'étonnant dans notre p o sition, de renseignements officiels p o u r établir rigoureusement le calcul des revenus annuels que peut tirer la métropole de cette c o l o n i e , défalcation faite de ce qu'elle lui coûte en frais de représentation, administration, etc., etc. Mais nous voyons, par le relevé des registres l o c a u x , que la moyenne de nos p r o duits et p a r conséquent de nos importations en s u c r e , est généralement d'environ trente millions de kilogrammes ; nous savons, et p o u r cause, que les droits perçus à l'arrivée en F r a n c e , sont de 4 5 francs p a r °/ , d'où il est t o u t simple d'inférer q u e leur p r o d u i t , sur cette denrée s e u l e m e n t , doit être d'environ treize millions 5 0 0 , 0 0 0 francs. L a perception des douanes du continent sur les cafés , cacao et autres provenances , n e s'élevât-elle q u ' à u n million p o u r cette î l e , nous nous croirions fondés à conclure qu'ajoutée au décime p o u r franc sur le t o u t , elle couvrirait plus de six fois les frais coloniaux et autres à la charge de la m é t r o p o l e , au moins en ce q u i nous touche. Dès lors, il faut tenir comme certain q u ' u n e somme de six m i l lions 4 0 0 , 0 0 0 francs à prélever sur ce q u e nous rendons à la m è r e - p a t r i e , et cela dans le b u t u n i q u e d'assurer, et m ê m e d'augmenter p a r la suite son revenu de ce côté , ne saurait paraître u n e prétention déraisonnable, q u a n d m ê m e on voudrait n'envisager la question que sous son p o i n t de vue fiscal. 0

Mais ce n'est pas de la M a r t i n i q u e seulement q u ' i l s'agit dans notre hypothèse ; c'est de toutes les colonies à esclaves q u e possède la F r a n c e . Si nous avons affecté de paraître jusqu'ici nous occuper p l u s particulièrement de la première , c'est q u ' i l nous fallait u n point de d é p a r t , u n t e r m e de comparaison , et q u ' i l était naturel que ce fût le pays q u e nous habitons. Déclinant donc m a i n t e n a n t toute spécialité , en ce q u i touche l'émancipation et l'indemnité , et voulant généraliser l'application de notre r a i s o n n e m e n t , nous vous p r i e r o n s , M e s s i e u r s , de jeter les yeux sur l'aperçu résumé q u i t e r m i n e cet é c r i t , vous y verrez (page 80) que toutes nos colonies, évaluées sur u n e échelle d'appréciation c o m m u n e , ne s'élèveraient,


— 51 — en somme, qu'au total d'environ deux cent cinquante millions. O r , comme il demeure constant, pour nous, qu'à bien peu d'exceptions près, elles se trouvent toutes plus ou moins rapprochées de la situation de la Martinique, tant sous le rapport de la dette que sous celui des autres motifs, qui nous font regarder comme impossible que les demandes en remboursement puissent généralement excéder les deux cinquièmes de la valeur que nous donnons à leurs propriétés rurales, esclaves compris; nous persisterons, dans notre conviction, à soutenir qu'un crédit annuel de vingt millions de francs pendant cinq ans, serait au moins suffisant pour y faire face. S'il fallait démontrer que ce sacrifice apparent est loin d'outrepasser les ressources du trésor métropolitain, e t , qu'au résumé, il ne serait supporté que par les colons eux-mêmes, nous reprendrions, en les étendant à toutes nos colonies à esclaves, les approximations déjà très-favorables au gouvernement , que nous avons présentées tout à l'heure isolément pour le produit fiscal de la Martinique. E t m ê m e , en les réduisant de beaucoup au-dessous de la vérité , nous ne doutons point que nos chiffres ne soient d'une évidence parlante en faveur de cette assertion. Ainsi nous dirions : POUR LA MARTINIQUE, La moyenne de ses importations annuelles en France, n'est que de 27,000,000 kilog. sucre brut au lieu de 30,000,000, au droit de 45 fr. par 100 comme brut autre que blanc, c i . . . . 12,150,000 f. Les droits sur les cafés, cotons, cacao, etc., ne produisent à la métropole que 1,000,000 Décime pour franc à ajouter sur 13,150,000 f r . . . 1,315,000 TOTAL

14,465,000, f.

GUADELOUPE ET DÉPENDANCES. Elle n'importera que 52,000,000 de kilog. de sucre brut, à 45 fr. pour 100, ci 14,400,000 f. Café, 1,500,000 kil., à 60 f., ci 900,000 Coton, 300,000 kil., à 5 f., ci.. 15,000 A reporter

15,315,000 f.

14,465,000 f. 4.


—52

Report.... 15,315,000 f. Cacao, 30,000 kil., à 40 f., ci. 12,000 TOTAL....

Decime en sus

15,527,000 f. 1,552,700

14,465,000 f.

16,859,700

CAYENNE ET DÉPENDANCES. Sucre brut, 2,000,000 kil., à 45 f. par 100, ci 900,000 f. Cafe , 150,000 kil., à 60 p. 100, ci 90,000 Coton, 2,000,000 kil., à 5 p. 100, ci 10,000 Cacao, 70,000 kil., à 40 p. 100, ci 28,000 Rocou, 1,000,000 kil., à 10 p.100, ci 100,000 Girofle, 450,000 kil., à 60 p. 100, . ci 270,000 Poivre, 5,000 kil., à 20 p. 100, ci 600 Cannelle, 9,000 kil., à 65 p. 100, ci 5,850 MUscade, 2,500kil., à 100p. 100, ci 2,500 TOTAL

Décime pour franc.

1,406,950 f.

140,695

1,547,645

ILE BOURBON. Sucre brut, 5,000,000 kilog., à 38 f. 50 c. p. 100 1,925,000 f. Café, 1,500,000 kil., à 60 p. 100, ci 900,000 Girofle, 200,000kil., à 50 p. 100, ci 100,000 Cacao, 6,000 kil., à 40 p. 100, ci. 2,400 Coton, 20,000 kil., à 5 p. 100, ci. 1,000 A reporter....

2,928,400 f.

52,872,545 f.


— 53 — Report.... 2,928,400 f. Muscade, 500kil., à 100 p. 100, ci 500 TOTAL

Decime pour franc.

52,872,545 f.

2,928,900 f.

292,890

J

3,221,790

Ce qui porte la recette brute de la douane de France, sur ces quatre colonies, à 36,094,135 Que les frais qu'elles coûtent au gouvernement s'élèvent à 7,000,000 f., c'est tout au plus, ci 7,000,000 f. En y ajoutant comme supplément temporaire le crédit demandé pour 27,000,000 couvrir le remboursement prémentionné, ci 20,000,000 Le fisc resterait encore en possession, sur leurs seuls produits agricoles , d'un excédant de recettes de 9,094,135 f. M a i n t e n a n t , si l'on persistait à soutenir, contre l'évidence, q u e les colonies sont onéreuses à la F r a n c e , ainsi q u e cela a été avancé à la tribune , il n'en faudrait accuser que l'imperfection des lois sur les s u c r e s , q u i feraient sortir, par la p r i m e accordée à l'expédition des raffinés , plus q u ' i l ne serait perçu, à l ' e n t r é e , sur les moscowades ; et c e l a , entr'autres , p a r u n e suite naturelle de la fraude q u i doit résulter des différences de droits sur les provenances étrangères, celles de nos possessions et la franchise absolue dont ont joui jusqu'ici nos produits saccharoïdes regnicoles. S'il est reconnu q u e ce grave inconvénient soit inhérent à l'industrie du raffinage, q u i ne p o u r r a i t soutenir la concurrence de l'étranger sur les marchés e x t é r i e u r s , q u ' à l'aide de cet énorme sacrifice de la p a r t du trésor qui supporterait seul, de la s o r t e , les pertes de notre commerce , et cela g r a t u i t e m e n t , sans q u ' i l soit possible de prévoir le terme d'un pareil état de choses, ce système de primes serait u n mal r é e l , u n e véritable calamité. Il y faudrait renoncer. — S i , au contraire , les raffineurs peuvent se tirer d'affaire sans draw-back, au moyen d'un abaissement raisonné sur le b r u t e x o t i q u e , et d'un droit


— 54 — sur l'indigène, qui balance à peu près la perception actuelle sur les moscowades, servant d'aliment à nos raffineries, y eût-il m ê m e d i m i n u t i o n sur les recettes du fisc; il est encore m a n i feste que la p r i m e , telle qu'elle e s t , est u n abus qu'il importe de r é p r i m e r le p l u s tôt possible. L'industrie d u raffinage e l l e - m ê m e , n'a rien à craindre de cette proposition; c a r , en n'accordant la faveur de la balance q u ' a u x sucres de Bourbon exclusivement, elle opèrerait enc o r e , p o u r la consommation intérieure s e u l e m e n t , sur u n e quantité de cent cinquante mille b o u c a u d s , p r o d u i t moyen des îles M a r t i n i q u e , Guadeloupe et C a y e n n e , joint à celui de la F r a n c e , en sucre de betteraves, q u i , avec les cinq millions de k i l o , provenant de Bourbon, seraient encore au-dessous des cent soixante-seize mille b o u c a u d s , auxquels on évalue cette consommation , et laisserait place à l'introduction de seize mille boucauds de provenance étrangère p o u r compléter l'approvisionnement d u dedans. O r , comme dans u n pays où les probabilités d u commerce sont bien calculées, t o u t est b é n é fice dans les opérations d ' é c h a n g e , lorsqu'il y peut faire entrer ses productions naturelles et industrielles, c o m m e n o u s , p l u s le fret de ses navires, p o u r n ' a p p o r t e r de l'étranger q u e la matière b r u t e , l'assimilation de ces moscowades a u x n ô t r e s , q u a n t au d r o i t , q u i , dans ce cas, serait u n i q u e , p o u r r a i t ouvrir à l'industrie intérieure et au commerce de F r a n c e à l'étranger des chances de succès q u ' a u c u n e combinaison politique de nos concurrents ne serait capable de r e n v e r s e r , et c e l a , sans n u i r e a u x colonies françaises, bien qu'elles restassent astreintes à ne consommer q u e nos p r o d u i t s , et à ne vendre les leurs q u ' à n o u s , comme p a r le passé ; attendu q u e cette obligation , loin d'être u n e charge p o u r elles, leur est favorable au contraire , p u i s q u ' i l est positif qu'aucune nation ne p o u r r a i t payer l e u r s productions u n plus h a u t p r i x q u e celui qu'elles obtiendraient alors de notre c o m m e r c e , ni les approvisionner à meilleur m a r c h é ; sauf quelques salaisons, le bois et quelques barils de f a r i n e , q u i leur sont fournis par les États-Unis en échange de l'excédant de leurs sirops ; les bœufs et les chevaux de Porto-Ricco, et les mulets de la Côte F e r m e , q u i déjà commencent à céder le pas à ceux de F r a n c e . Mais ces


— 55 — relations de localités pourraient toujours continuer sur le même pied. Il est donc clair, d'après l'exposé qui précède, que les colonies produisent annuellement au moins trente millions de francs à l'État. Comme il serait juste de dire q u e , s i , par une prédilection toute spéciale, ce produit est uniquement affecté au bénéfice des raffineries, au préjudice même du trésor, il n'y aurait pas trop d'exigence, de la part des amis de l'human i t é , à en demander les deux tiers à titre d'avance pendant cinq ans seulement, pour l'émancipation des esclaves dont le sang et la sueur alimentent, depuis tant d'années, ce revenu fictif pour le gouvernement. Car, la restitution des droits en entier pourrait, à certains y e u x , ne paraître qu'un acte d'équité, dès qu'elle aurait pour objet un aussi noble motif. Remarquez bien q u e , dans ce cas , en admettant, contre toute vraisemblance , que le remboursement fût exigé par tous les détenteurs du foncier, il ne faudrait pas neuf ans pour racheter le capital de toutes nos colonies avec leur propre i m p ô t , au taux modeste où nous les estimons. Mais ce n'est pas là notre affaire pour le moment. Nous n'avons plus qu'un mot à dire à l'occasion de l'estimation des propriétés, qui paraîtra probablement trop faible aux colons, e t , peut-être, un peu forte à la métropole.C'est q u e , s'il pouvait planer quelques doutes sur la loyauté de notre appréciation, comme partie intéressée, nous nous flatterions de les dissiper, Messieurs, par le simple énoncé de ee que nous connaissons des dernières évaluations fournies par les colons eux-mêmes sous l'influence accoutumée de l'intérêt privé ; lesquelles ont été publiées, en 1 8 3 0 , sur les renseignements donnés dans les bureaux du ministère de la marine. (Voir le Manuel géographique, historique et statistique des départements de la France; par Lallemant.) Comparez et jugez.


—56­ ÉVALUATION selon le

selon

PARTI CRÉOLE.

lle Martinique Ile Guadeloupe et dépendances... Cayenne Ile Bourbon ( nous manquons de renseignements) Sénégal et dépendances (idem)....

TOTAUX

310,000,000 390,000,000 25,000,000 Mémoire. Idem. »

f

l'équité. 79,837,300r 98,830,000 13,217,600 54,480,000 2,892,000 249,256,900

NOTA. Voir le d é t a i l , pour la Martinique , p a g e 4 1 et s u i v a n t e s , et pour les autres c o l o n i e s , voir le tableau g é n é r a l , p a g e 8 0 .

M a i s , dans quel b u t ces Messieurs se mettent-ils à un si haut prix ? C'est q u ' a p p a r e m m e n t , dans leur pensée, cela pourrait du moins servir à embarrasser l'émancipation par la difficulté du remboursement... Quelle prévoyance 1 Comment une appréciation aussi éloignée de la vérité a-t-elle p u se maintenir ? Cela ne peut s'expliquer que par u n fait qui pourrait paraître étrange au premier a b o r d , mais qui n'en est pas moins positif et parfaitement dans les mœurs créoles. C'est q u e les colons les plus endettés s o n t , en général, les plus influents dans le pays, parce que la considération, à la faveur de laquelle ils sont parvenus à englober impunément l'argent des autres dans leurs inexpugnables propriétés, loin de rien perdre dans l ' o p i n i o n , semble s'accroître, au contraire, avec les apparences de leur richesse, leur état de maison et leurs airs de grands seigneurs. De cette position, on voit naître le besoin dedonner le change sur le véritable état de sa fortune, et la nécessité où se trouvent ces honnêtes débiteurs de consoler leurs créanciers par l'actif de leur bilan qui est toujours des mieux nourri et ne rentre jamais, comme on le pense bien... Ils sont de tous les p a r t a g e s , de toutes les estimations qu'ils gonflent partout,


— 57 à qui mieux m i e u x , pour être conséquents avec eux-mêmes et multiplier les termes de comparaison. La vanité créole trouve son compte à cet aunage, et chacun de se récrier sur la profonde sagacité de ces équitables appréciations qui f o n t , d'un trait de plume , une succession riche de cent mille francs, lorsque , en définitive, elle est réellement en débet du double, quand vient le temps de fondre la cloche... C'est avec de pareils inventaires, où une chaise de paille figure souvent pour cinquante francs, bien qu'elle n'ait q u ' u n barreau de cassé et le reste à l'avenant, que l'on marie ses filles à la Martinique ; et c'est sur eux encore que l'on a évidemment établi les évaluations , absurdement enflées, dont nous venons de produire le chiffre. O n conçoit qu'avec un système comme celui-là, soutenu par la ligue de l'intérêt p r i v é , ce ne sera jamais par voie d'arbitrage, quelques précautions que l'on y apporte , que le gouvernement pourra connaître la valeur réelle des propriétés coloniales. O n a trop de propension à l'exagération, et l'occasion serait trop belle p o u r n'en pas profiter... Cette conviction nous a conduit à adopter un mode d'évaluation général, à base u n i q u e , indépendant de toute expertise, et que la commission de liquidation puisse, de Paris é t a n t , contrôler et rectifier, au besoin , tout à son aise , au moyen d'états des lieux eu bonne forme, bien explicatifs, de plans , etc. , à l'appui des procès verbaux de délaissement et des dénombrements, etc. Résumons. Nous croyons avoir démontré plus haut la nécessité de trancher enfin, la question de l'émancipation des esclaves, de ne faire p l u s , en fait, qu'une classe d'habitants dans les colonies , et d'attacher à l'ordre , par la prosperite, les affranchis agriculteurs. Nous avons été conduits aussi à indiquer l'impossibilité d'y amalgamer les colons b l a n c s , surtout dans les campagnes , et, par suite , l'obligation d'offrir à ceux-ci un moyen de retraite honorable p o u r les engager à céder d'eux-mêmes à la force des circonstances qui les m a î t r i sent de toutes parts. Enfin, nous avons fait voir que le séjour des villes, les ressources de leur commerce et de leur industrie resteraient intacts à leurs habitants, sans distinction de


— 58 — couleur, sous la protection du gouvernement métropolitain et des autorités locales. E n ce q u i touche l'ajournement de cinq a n s , auquel nous croyons utile de remettre graduellement la complète émancipation , nous avons également dit sur q u o i nous fondons cette opinion , que nous corroborerions , au besoin , vis-à-vis ceux qui nous allègueraient le prétendu danger q u ' i l p o u r r a i t y avoir à proclamer la liberté avec des restrictions qui ne permettraient q u ' à u n petit n o m b r e d'en jouir i m m é d i a t e m e n t , en nous étayant sur l'exemple de ce q u i se passe dans les colo nies anglaises. Or, s'il est démontré q u e les esclaves de ces contrées, voisines des n ô t r e s , subissent patiemment la période de probation q u i doit les conduire à la liberté définitive sous le titre d'apprentis à divers degrés de t e m p s ( n o t e 1 1 ) , il n'y a pas de motif p o u r penser q u e ceux de nos esclaves qui seraient des derniers libérés, n'attendissent aussi tranquillement q u e les nègres anglais, cette heure désirée, dès q u e la loi en aura posé le chiffre irrémissible. E t cela, d'autant mieux q u e , celte libération n ' é t a n t p l u s subordonnée alors qu'à la volonté des m a î t r e s , pendant ce laps de temps , c'est de l'activité au t r a v a i l et de la bonne conduite des esclaves , q u e p o u r r a d é p e n d r e , pour b e a u c o u p , l'abréviation de leur captivité. Mais, Messieurs , le bienfait de la loi dont nous allons soum e t t r e l'aperçu à votre examen, ne pouvant arriver aux noirs que successivement et p o u r ainsi dire goutte à g o u t t e , il nous semblerait juste q u e , dès son apparition , elle produisît au m o i n s u n e amélioration dans le régime disciplinaire des h a b i t a t i o n s et la situation de ceux q u i ne seraient appelés q u e p l u s ou moins tardivement à jouir de tous les avantages qu'elle leur p r o m e t . Cependant, fidèles à nos principes d'équité, nous voudrions que les immunités ne soient pas t r o p onéreuses a u x m a î t r e s , attendu q u ' i l est naturel de croire que ce seront les moins aisés q u i reculeront le plus long-temps devant le bénéfice du rachat. E n conséquence, nous inclinerions à proposer une gratification hebdomadaire en temps auxdits esclaves , parce q u ' i l serait impossible à des hommes ruinés et endettés, de r e m p l i r à leur égard toute autre obligation.


— 59 — Il est encore un objet capital sur lequel nous croyons devoir appeler toute votre attention , Messieurs ; c'est l'enseignement public étendu aux captifs (voir note 12). L'ignorance est favorable au régime de la servitude. Les maîtres n'ont que trop bien compris ici cette affligeante vérité, et l'ont tellement préconisée parmi leurs esclaves, qu'elle a rejailli jusque sur e u x . . . C'est elle aujourd'hui qui semble le mieux servir leur triste cause , et oppose le principal obstacle à l'émancipation spontanée ; vous avez entendu leurs organes en tirer un moyen de défense à votre t r i b u n e . . . E h bien ! que la période quinquennale que nous proposons pour consommer le grand œuvre de la régénération coloniale, soit convenablement employée au développement de l'intelligence des esclaves faits et de leurs enfants, vous verrez s'évanouir d'elles-mêmes les prédictions intéressées du parti qui soutient qu'ils ne sont pas mûrs pour la liberté. Il ne f a u t , pour assurer ce nouveau t r i o m p h e , à la logique des faits, que mettre à profit Yavis de nos adversaires, en hâtant cette maturité par des lois q u i ne permettent plus de l'entraver... Il ne nous appartenait pas de rien préjuger sur les mesures à prendre ultérieuremement, relativement aux colons retardataires, lors de l'expiration du terme de rigueur sus énoncé, parce que cela reste en dehors du cercle que nous nous sommes tracé. C'est au gouvernement à adopter plus tard, en toute connaissance de cause, celles qu'il jugera convenables aux hommes et aux choses d'alors. Si nous obtenons que le terme de l'abolition absolue de l'esclavage, dans nos colonies, soit irrévocablement fixé à cinq ans au plus, notre but sera rempli. Sans doute nous n'osons point nous flatter d'avoir répondu d'avance à toutes les objections que fera probablement surgir cette pâle esquisse d'un système qui ne peut acquérir quelque consistance, qu'autant qu'il sera fécondé par l'éloquence et les talents des hommes de bien qui se sont voués à la défense de la cause de l'humanité. Nous sentons trop vivement toutes les difficultés de cette grave question, à laquelle se rattachent trop d'intérêts généraux et particuliers, et nous ne nous faisons point illusion à cet égard. Quoiqu'il en soit, si l'on nous refusait de regarder comme certain que la reconnaissance du


— 60 — principe de L'émancipation et son application i m m é d i a t e , p a ralyseraient la commotion, déjà bien sentie i c i , de l'abolition de l'esclavage dans les colonies anglaises, qui n'agira sur les nôtres de toute son énergie q u ' a u m o m e n t o ù la liberté de fait viendra m o n t r e r à leurs esclaves toute la puissance de celle de d r o i t , q u i n'est encore q u ' u n e fiction p o u r e u x ; peut-être nous accordera-t-on que le partage des terres atteindrait d'autant plus complètement le b u t d ' u n e saine p h i l a n t h r o p i e , q u e , d'une main le législateur assurerait l'avenir des nouveaux citoyens qu'il aurait arrachés à la servitude, tandis que, de l'autre, il étoufferait la guerre civile dans son g e r m e , en opérant à la fois la seule fusion possible a u x colonies p a r l'extraction de l'aristocratie de la p e a u , cette h y d r e toujours renaissante, implacable ennemie de la liberté des noirs. De cette u n i o n d'une population n o m b r e u s e , homogène, désormais intéressée p a r la propriété à la conservation du pays, naîtraient en o u t r e , p o u r la m é t r o p o l e , de nouvelles et sûres garanties contre toute attaque d u d e h o r s ; et ses îles occidentales, véritables sentinelles avancées de ses relations avec les républiques de la côte f e r m e , seraient enfin mises à l'abri d ' u n coup de main p a r leurs propres h a b i t a n t s , q u i , tant de fois sont tombés au pouvoir de l ' e n n e m i , soit p a r la faiblesse n u m é r i q u e , le défaut d'ensemble o u la trahison de quelques-uns de ceux q u i se prétendaient jadis exclusivement appelés à l ' h o n n e u r de les défendre (voyez note 13). E n ce q u i touche l'économie intérieure, non seulement les colonies n'auraient plus à demander à la métropole des allocations de f o n d s , motivées sur la n é cessité d ' a u g m e n t e r leurs g a r n i s o n s , afin de pouvoir se défendre contre elles-mêmes des dangers d o n t les menace audedans leur mauvaise constitution... Triste aveu de la faiblesse des oppresseurs et de la force des o p p r i m é s ! Mais e n c o r e , et avant q u ' i l soit l o n g - t e m p s , les garnisons actuelles, et avec elles la dépense qu'elles e n t r a î n e n t , pourraient être d i m i nuées de m o i t i é , sans le moindre inconvénient, p a r l'effet t o u t naturel de la juste pondération q u e notre hypothèse tendrait à établir entre les éléments de la société dans ces contrées lointaines. L e rang élevé q u e vous occupez, Messieurs, dans l'ordre


— 61 — social et p o l i t i q u e , vous p e r m e t p l u s q u ' à tout autre d'apercevoir, à de vastes distances, tout ce q u i regarde les hauts inrêts de la n a t i o n sous ce double r a p p o r t . I l nous siérait donc m a l d'insister devant vous sur l'importance de nos colonies, considérées comme positions n a v a l e s , protectrices de n o t r e commerce m a r i t i m e , etc. N o u s nous tairons également sur la p a r t q u e peut avoir l ' h o n n e u r d u pavillon français dans toutes les m e r s , à la conservation de ces intéressants points de relâche et de r a v i t a i l l e m e n t ; vous n'avez conseil à p r e n d r e , à cet égard, q u e de vos nobles sentiments patriotiques. Mais il est d'autres considérations q u i , p o u r être d'un ordre secondaire à côté de ces grandes questions, n ' e n sont pas moins dignes de votre sollicit u d e : les colonies à esclaves ne p e u v e n t se c o m p a r e r mainten o n t qu'à u n e m i n e prête à sauter à la p r e m i è r e étincelle, on n e saurait se le dissimuler plus long-temps. N'est-ce donc rien q u e d'éviter l'effusion d u sang et la dévastation dans u n e pareille conjoncture ? Q u e d'obtenir sans secousse, sans frais, p a r u n e transition douce et insensible , la m u t a t i o n de la propriété d e trois ou q u a t r e mille familles m é c o n t e n t e s , en faveur de p l u s de d e u x cent m i l l e individus dont on aura des h o m m e s , des citoyens, q u ' u n e reconnaissance sans bornes attachera éternellement à la métropole ; q u a n d , p a r cette voie de m a n s u é t u d e p o u r les u n s e t d'équité envers les autres , on a la certitude q u e , loin de courir le m o i n d r e risque , la production ne p e u t q u e gagner et s'accroître ? Q u e l s scrupules peuvent encore alimenter l'hésitation en présence d ' u n e semblable persp e c t i v e ? . . . Il y a p l u s : l'entier succès de la mesure fût-il dout e u x , q u ' i l serait encore p r u d e n t de l'adopter c o m m e la p l u s j u s t e , la p l u s h u m a i n e , la p l u s féconde en bons r é s u l t a t s , et la moins hasardeuse de toutes celles q u i p o u r r a i e n t conduire à la liberté générale des esclaves de la F r a n c e . A ceux q u i nous opposeraient q u e ce r e m b o u r s e m e n t , q u e l q u e r é d u i t qu'il paraisse, serait encore onéreux à la F r a n c e ; q u e l'origine d'un i m p ô t ne justifie p o i n t son application à l'objet q u i l'a p r o d u i t ; q u ' e n u n m o t , la fortune p u b l i q u e se constitue de toutes les sommes q u i rentrent p a r la loi dans les coffres d u trésor, et q u e le g o u v e r n e m e n t , q u i n'est q u e le t u t e u r de la n a t i o n , n'a pas le droit d'être généreux à ses


— 62 — d é p e n s , etc. Nous répondrions que ce n'est point u n e aliénation gratuite que nous proposons, mais bien au contraire u n placement de fonds fructifiable et solide; car la conséquence nécessaire du parcellement étant par tous pays d'augmenter la valeur du s o l , en mettant la propriété à la portée de tous et en multipliant l'aisance des prolétaires, il est indubitable qu'avant p e u , chaque lot de terre vaudrait à lui seul le p r i x de son remboursement, y compris le rachat du concessionnaire, et le dépasserait m ê m e de beaucoup, comme cela est démontré page 41.Nouveau Guillaume P e n n , l ' É t a t , dans notre h y p o thèse , rachetterait à leurs anciens propriétaires le sol de ses colonies, p o u r le distribuer à des mains accoutumées à le faire valoir. Mais renoncerait-il, par celte œuvre d'équité p h i l a n thropique, à se faire un jour rembourser de ses avances à son t o u r ? Perdrait-il son droit de premier bailleur de fonds sur ce sol dont il aurait su rendre les habitants libres et h e u r e u x ? Ne serait-il pas toujours le maître d'assurer la rentrée de ses cap i t a u x avec intérêts par les voies les plus énergiques, si, contre toute a t t e n t e , cela devenait nécessaire? Car il ne s'agit ici que d'une cession conditionnelle, puisqu'on y attache l'obligation d'entretenir et faire valoir selon la destination des usines. Nier cette triple conséquence, serait admettre avec nous que la propriécé territoriale perd tout son p r i x par la retraite de ses esclaves, et à bien plus forte raison q u a n t à ses détenteurs actuels ; ce q u i ne ferait, au r é s u m é , que confirmer la nécessité de la comprendre dans le remboursement, puisque, par le c o n t r a i r e , on avouerait ouvertement tout ce qu'a de dérisoire l'allégation banale dont s'étaie l'indemnité p a r capitation. Votre propriété vous reste !... N'est-il pas évident que, dans notre hypothèse, la créance est garantie par le sol, tandis q u e , dans l'autre cas, le déboursé du gouvernement serait en p u r e perte p o u r l u i , sans fruit pour les esclaves rachetés, et r u i n e u x p o u r la production comme p o u r le commerce. Mais cette réponse amère et cruelle , q u i condamne le colon dépouillé à rester enchaîné sur son triste rocher, ne lui sera point faite par sa mère-patrie. Cette belle France si loyale, si généreuse dans ses sentiments , tressaillira de joie sans d o u t e , en apprenant enfin la reconnaissance d'un principe qu'elle sol-


— 63 — licite depuis si l o n g - t e m p s et p a r de si vives instances; mais elle rougirait de la devoir à u n e injustice. E t , si quelque chose pouvait la consoler de n'avoir pas été la p r e m i è r e à la p r o clamer officiellement, c'est la conviction q u e ses honorables mandataires n ' o n t reculé de q u e l q u e s années ce grand acte d ' h u m a n i t é , q u e p o u r le m e t t r e en h a r m o n i e avec les idées d'ordre et de saine équité q u i président à leurs sages délibérations , sous l'influence d u m o n a r q u e c h é r i , d o n t le c œ u r p a ternel a p p l a u d i t avec a m o u r à de si nobles travaux. A ces causes, l'exposant conclut à ce q u ' i l vous p l a i s e , Messieurs, si m i e u x n ' a i m e le gouvernement p r e n d r e l'initiative, proposer , vu l'urgence , u n e loi dans le sens des bases ci-après : P r o c l a m e r i m m é d i a t e m e n t l'abolition de l'esclavage poulies enfants à n a î t r e . R e s t r e i n d r e «à cinq ans au p l u s le t e r m e définitif de son application générale et absolue dans toutes les colonies françaises. Provoquer d'ici là l'émancipation p a r t i e l l e , a u moyen de l ' i n d e m n i t é offerte, et d u silence de la loi sur l'avenir des retardataires. F i x e r à mesure le sort des affranchis agriculteurs. Utiliser ce délai p o u r p r é p a r e r les esclaves à la liberté. Améliorer l e u r c o n d i t i o n , en a t t e n d a n t , p a r l'adoucissement du régime d i s c i p l i n a i r e , et la gratification d ' u n jour p a r semaine. O u v r i r u n crédit de vingt millions par a n , p e n d a n t celte période s e u l e m e n t , p o u r le rachat des esclaves , du sol et des usines rurales de q u i voudra se désintéresser u t i l e m e n t , a u t a u x q u i sera déterminé d'après le n o m b r e de têtes au 31 d é cembre 1836 , la surface d u sol habité , et la classification des u s i n e s ; lequel ne p o u r r a , dans tous les c a s , dépasser le maxim u m de 800 francs p a r sujet de u n à soixante ans ; 500 francs p a r hectare ; 4 5 , 30 et 15 m i l l e francs p a r usine à sucre de p r e m i è r e , deuxième et troisième classe ; 3,000 francs p o u r celles des chaufourneries , et 1,400 francs p o u r les usines des autres habitations excédant h u i t hectares de surface territoriale ; n i porter le dividende du r e m b o u r s e m e n t général a u delà de deux cent cinquante millions. R é p a r t i r ce sol et ces usines entre les nouveaux affranchis ,


— 64 — au f u r e t à m e s u r e de l e u r libération , à raison d ' u n hectare p a r individu ; à charge d'entretenir et faire valoir p o u r l e u r c o m p t e . Les constituer en sociétés particulières par h a b i t a t i o n s , dans les sucreries seulement. L e gouvernement ne fait qu'avancer a u x colons le p r i x d u r a c h a t , son capital devant l u i être r e m b o u r s é p l u s t a r d p a r les affranchis, a u moyen de l'amortissement de la redevance à établir sur les terres et usines ainsi rachetées et concédées. Cette redevance , calculée sur le pied de 5 p . °/ de l'avance fournie , ne serait exigible q u ' a p r è s cinq ans de jouissance, ce q u i r é d u i r a i t le sacrifice d u trésor à la p r i v a t i o n des intérêts d u r a n t ce t e m p s . L e rachat ne concerne q u e les biens r u r a u x , et ne p o u r r a s ' a p p l i q u e r a u x propriétés urbaines , excepté les esclaves. 0

E t a b l i r u n inspecteur de c u l t u r e p a r c o m m u n e y résidant. E t a b l i r u n e école m u t u e l l e gratis dans la m ê m e p r o p o r t i o n , p o u r les libres et les esclaves Modifier la loi d u 24 avril 4 8 3 5 , en ce q u i touche les élections. É t a b l i r de suite le régime m u n i c i p a l dans le sens de cette modification. R e m a n i e r la composition d u p e r s o n n e l de la magistrature coloniale.

P o u r achever de fixer notre pensée sur l'ensemble et les détails d u p r o j e t , nous essaierons de f o r m u l e r ces bases c o m m e il suit ; er

§ I . e r

ARTICLE 1 . L ' é m a n c i p a t i o n des esclaves est proclamée e n p r i n c i p e dans toutes les colonies françaises. ARTICLE 2 . L e terme définitif de son application générale et a b s o l u e , demeure fixé à cinq ans d u jour de la p r o m u l g a t i o n de la l o i ,


— 65 — dans chaque colonie, hors les enfants à naître qui seront libres de droit à partir dudit jour. ( Voir l'article 42 ci-après, § 3.) ARTICLE 3.

T o u t propriétaire d'esclaves , terres et usines r u r a l e s , possédant plus de trois hectares de terre , aura , pendant ce laps de temps, la faculté d'en reclamer le r e m b o u r s e m e n t , q u i lui sera octroyé aux clauses et conditions suivantes. ARTICLE 4.

Pendant le cours de la période susdite, le gouvernement métropolitain remboursera à ceux des propriétaires qui en feront la demande officielle , conformément à l'art. 7 ci-après, ou dans la forme qui serait ultérieurement d é t e r m i n é e , l'intégralité de leurs esclaves, terres et usines ( hors l'exception spécifiée aux art. 30 et 35 ) , sur les prix de base qui résulteront : 1° pour les esclaves, du n o m b r e de têtes de u n à soixante ans , d'après le relevé général des dénombrements de toutes nos colonies, au 3 1 décembre de la présente année 1 8 3 6 , pris comme diviseur de cent soixante-neuf millions. 2° P o u r le s o l , de la quantité d'hectares concédée et habituée en toutes cultures , énoncée comme telle dans les derniers travaux de relèvements topographiques des ingénieurs du gouvernement attachés au service des colonies, et comparée aux déclarations exprimées par les dénombrements ; laquelle surface sera prise p o u r diviseur de cinquante-un millions 500,000 fr. 3° Enfin, p o u r les bâtiments et usines, d'après leur relevé n u m é r i q u e , également fourni par les rapports des gouverneurs et les dénomb r e m e n t s , par nature de culture et leur classification suivant le mode proposé page 24 du présent travail; de m a n i è r e , toutefois, à ce que leur évaluation ne puisse excéder vingt-neuf millions 500,000 fr. Le dividende du remboursement général ne devant, dans aucun c a s , dépasser le m a x i m u m de deux cent cinquante millions. ( Voir la note au dos de l'aperçu général. ) ARTICLE 5.

Ces paiements seront faits à Paris en espèces ou coupons de


— 66 — rentes 3 o u 5 p , °/o, selon q u ' i l conviendra à l ' É t a t de les effectuer. ARTICLE 6 .

I l sera é t a b l i , près le ministère de la m a r i n e et des colonies, u n e commission de l i q u i d a t i o n q u i sera spécialement chargée d'apurer les comptes relatifs a u x r e m b o u r s e m e n t s et rachats e n question, de vérifier et constater la validité des titres et réclam a t i o n s , et de fournir s u r le trésor les m a n d a t s m o t i v é s , s u r lesquels seront opérés les divers p a i e m e n t s , après l ' e x p i r a t i o n des délais de r i g u e u r accordés a u x tiers intéressés p o u r l ' o p position. ARTICLE 7 .

L e s d e m a n d e s e n remboursement seront adressées directem e n t à la commission sus m e n t i o n n é e p a r t o u t colon résidant en F r a n c e , et a u x g o u v e r n e u r s , dans c h a q u e c o l o n i e , p a r c e u x q u i y d e m e u r e n t . Elles d e v r o n t spécifier : 4 ° la n a t u r e de l'établissement et l e lieu où il est s i t u é ; 2° le n o m b r e des esclaves de u n à soixante ans q u e c o n t i e n t l ' h a b i t a t i o n , et la q u a n t i t é de t e r r e e x p r i m é e en hectares ; 5° p o u r les s u c r e r i e s , le d é t a i l b i e n circonstancié des b â t i m e n t s et usines servant à l e u r e x p l o i t a t i o n . L e t o u t , a p p u y é des actes de p r o p r i é t é et d u d é n o m b r e m e n t de c h a q u e habitation et , a u t a n t q u e possible , d ' u n p l a n linéaire. ARTICLE 8 .

L a commission statuera s u r la quotité des r e m b o u r s e m e n t s , d'après le procès verbal constatant l'abandon et la remise d e c h a q u e d o m a i n e , lequel précisera : 1° l'état des b â t i m e n t s et usines et l e u r importance ; 2° l'état de la c u l t u r e ; 3° la q u a n tité des esclaves trouvés lors de la remise e t le n o m b r e d'hectares d e terre c u l t i v a b l e . ARTICLE 9 .

N u l n e p o u r r a percevoir le m o n t a n t de sa l i q u i d a t i o n , q u ' e n f o u r n i s s a n t , à l ' a p p u i , u n certificat de non inscription délivré par le conservateur des h y p o t h è q u e s de sa c o l o n i e , o u u n e


— 67 — déclaration de radiation en bonne forme, dûment légalisée, etc., nonobstant le délai fixé par l'article 1 1 ci-après. ARTICLE 1 0 .

Les demandes en remboursement ne seront accueillies par la commission, q u ' a u prorata d u crédit ouvert chaque année p o u r cet objet, et le montant n'en pourra être réglé et soldé que dans ce rapport et suivant l'ordre de date des déclarations. T o u t excédant sera renvoyé à l'exercice suivant s'il y a lieu. ARTICLE 1 1 .

T o u s créanciers, porteurs de titres réguliers, seront admis à intervenir , par voie d'opposition , sur les prix de r a c h a t , même des esclaves isolés. Il leur sera accordé, à cet effet, u n délai d'un a n , à dater du jour de la liquidation, p o u r les colonies occidentales , et de deux ans p o u r celles des GrandesIndes. | ARTICLE 1 2 .

E n ce qui touche spécialement les sucreries, les demandes en remboursement ne seront accueillies p o u r la classe qu'elles concernent, art. 4 , qu'autant qu'il sera justifié p a r le procèsverbal prescrit par l'art. 8 , que les bâtiments et usines de l'habitation sont en état de fonctionner au moment de la livraison , et que ses terres sont plantées et entretenues selon la force de son atelier. A u t r e m e n t , l'établissement de première classe n'aura droit q u ' a u prix de la seconde, celle-ci à celui de la troisième, et cette dernière enfin subira une réduction des deux tiers de la valeur de ses usines. ARTICLE 1 3 .

I l sera ouvert u n crédit de vingt millions par an, pendant la période sus mentionnée , p o u r faire face aux demandes présumées p o u r toutes nos colonies à esclaves. ARTICLE 1 4 .

Les propriétés u r b a i n e s , composant les villes, bourgs et vil-


68

larges, chefs-lieux de c o m m u n e s , ne p e u v e n t , en aucune man i è r e , participer au bénéfice du r a c h a t , qui n'est applicable q u ' a u x biens r u r a u x , à l'exception des esclaves, conformém e n t à l'article 1 0 ci-après. Elles restent garanties à leurs possesseurs sans distinction de couleur ou de castes. L'industrie et le commerce y demeurent sous la protection et les encouragements du gouvernement métropolitain et des autorités locales. §

N .

ARTICLE 1 5 .

Les esclaves rachetés seront déclarés libres sur-le-champ. S'ils dépendent de terres ou usines r u r a l e s , celles-ci leur seront immédiatement livrées et distribuées dans la proportion fixée par l'article 1 9 , et deviendront l e u r p r o p r i é t é , soit à titre de b a i l l e t t e , soit a u t r e m e n t , sous la condition expresse d'en acquitter les c h a r g e s , d'en c o n t i n u e r l'exploitation pour leur c o m p t e , selon la destination des u s i n e s , et d'entretenir celles-ci. ARTICLE 1 6 .

L'affranchissement des esclaves isolés d u sol, tels q u e d o mestiques, o u v r i e r s , ou autres , ne figurant pas sur u n dénomb r e m e n t t e r r i e n , les m a r i n s , etc. , continuera d'être soumis, quant à la forme , à l'ordonnance royale d u 12 juillet 1832 , sans préjudice de leur remboursement a u taux c o m m u n . ARTICLE 1 7 .

L a division du sol sera faite , comme il va être d i t , en présence du procureur du r o i , ou d'un commissaire spécial, désigné par l'autorité locale, dans chaque juridiction coloniale , par u n a r p e n t e u r appelé à cet effet, le p r o p r i é t a i r e , son fondé de p o u v o i r s , ou le gérant présent. Les frais de parcellement seront supportés p a r le cédant ; le gouvernement en fera l'avance et les r e t i e n d r a , avant t o u t , sur le m o n t a n t de la l i q u i dation .


— 69 — ARTICLE 1 8 .

L'acte de partage , descriptif des l i e u x , établira l'association des nègres e n t r ' e u x , et règlera les droits et les obligations respectifs de chacun p o u r les habitations sucreries, selon ce qui a été d i t , page 24 et suivantes , au mode d'association. ARTICLE 1 9 .

L a répartition sera faite par parts égales , d'un hectare chac u n e , entre tous les esclaves portés au dénombrement de l'hab i t a t i o n , sans distinction d'âge ni de sexe, moins toutefois, dans les sucreries s e u l e m e n t , l'emplacement des bâtiments et usines, le rayon de terrain nécessaire à leur service , et la quantité de savanes jugée utile pour la n o u r r i t u r e des animaux de t r a v a i l , dans le rapport d'environ u n hectare par tête : toute cette partie du fonds devant rester indivise dans la société. ARTICLE.

20.

Les lots seront, autant que possible, disposés par familles ; ils jouiront ou seront grevés des servitudes établies par la loi selon leurs étages, par r a p p o r t a u x usines communes, à l'eau, aux chemins de sortie, etc. ARTICLE 2 1 .

Chaque hectare , concédé après rachat, sera passible d'une redevance annuelle envers le gouvernement, calculée sur le pied de 5 p . % de sa valeur m o y e n n e , laquelle sera le q u o tient de la division de deux cent cinquante m i l l i o n s , p a r la surface des terres habitées de toutes les colonies à esclaves, exprimée en hectares, comme il est dit à l'article 4. ARTICLE 2 2 .

Le mode de perception de cette redevance sera ultérieurement déterminé. Dans tous les c a s , elle ne pourra être exigée qu'après cinq ans de jouissance.


— 70 — ARTICLE 2 3 .

Il sera loisible aux concessionnaires ou ayant-droit de s'affranchir de la redevance par voie d'amortissement. Les formes et la quotité en seront également fixées utilement. ARTICLE 2 4 .

Les parcelles, dévolues aux enfants m i n e u r s , seront cultivées par les soins de leurs p è r e , m è r e , t u t e u r ou tutrice , de la m ê m e façon que les autres. ARTICLE 2 5 ,

L e régime des tutelles et curatelles sera r é g i , à l'égard des m i n e u r s , par le code c i v i l , ainsi que cela se pratique maintenant p o u r les autres libres et affranchis. Les tuteurs des orphelins seront nommés d'office, lors des p a r t a g e s , p o u r abréger. ARTICLE 2 6 .

Il en sera de même pour celui des successions, sauf l'exception de l'article 29 ci-après. ARTICLE 2 7 .

A chaque lot ou portion de l o t , dépendant d'un établissem e n t exploité en c o m m u n a u t é , reste toujours attachée l'obligation de cultiver selon la destination des u s i n e s , principalem e n t p o u r les sucreries ; quelles que soient, d'ailleurs, les mutations qu'ils puissent éprouver par la suite. ARTICLE 2 8 .

F a u t e par les concessionnaires ou leurs ayant-cause de cultiver ou faire c u l t i v e r , ainsi qu'il vient d'être d i t , et conformément aux statuts établis dans les sociétés auxquelles ils se trouvent agrégés, et de payer les redevances exigées, ils seront considérés comme renonçant au bénéfice de leur concession ,


— 74 — et pourront en être évincés dès la seconde année de contraven tion à la présente l o i , p o u r lesdits lots ou portions d'iceux , être v e n d u s , comme déshérence , dans les formes accoutumées, et leur produit rentrer dans les coffres du trésor. ARTICLE

29.

A défaut d'héritiers reconnus par la l o i , dans le m ê m e délai et dans les cas prévus ci-dessus, le ministère public requerra la vente aux enchères dans la forme ordinaire, sur la mise à prix qui sera établie d'après les bases de l'article 21 ; et les parcelles , ainsi adjugées , seront livrées aux acquéreurs, franches de redevances. ARTICLE 3 0 .

Excepté les habitations de trois hectares de surface et audessous , dont les détenteurs auront la faculté de présenter isolément leurs esclaves au rachat p o u r être colloqué sur les autres habitations ayant u n excédant de t e r r e s , et particulièrem e n t sur les sucreries ; les terres et usines r u r a l e s , auxquelles seront attachés, par u n dénombrement quelconque, les esclaves proposés pour le r e m b o u r s e m e n t , ne p o u r r o n t être séparées de ceux-ci sous aucun prétexte. Dès que l'esclave appartient à la t e r r e , celle-ci et tout ce qui y t i e n t , devient sa propriété par le seul fait de son affranchissement, a u x conditions sus établies, et dans le rapport fixé par l'article 19. ARTICLE

51.

Les terres et usines des sucreries entièrement dépeuplées pourront être concédées aux anciens libres q u i en feront la d e m a n d e , a u x conditions de l'article 15 et suivants du p r é sent p a r a g r a p h e , en justifiant toutefois de leurs moyens d'exp l o i t a t i o n , soit par leur n o m b r e , soit par leurs c a p i t a u x , ou à ceux désignés aux articles 32 et 33 ci-après. ARTICLE

32.

Celles qui ne le seront qu'en partie pourront être mises au


— 72 complet par des affranchis de sucreries où il y aura excédant, ou tous a u t r e s , même des villes, auxquels il sera fait offre de s'y agréger, si bon leur semble, pourvu qu'ils soient en âge et en état de travailler. ARTICLE 3 3 .

P o u r les sucreries dont la population surpasserait le rapport d'un sujet p a r hectare de t e r r e , le surplus des terres sera réparti sur celles où cette proportion serait inverse, en ayant é g a r d , autant que faire se pourra , dans ces sortes d'agrégat i o n s , a u x préférences des intéressés. ARTICLE 3 4 .

Les plantations de cannes, existant sur les habitations au m o m e n t de la répartition territoriale, seront fabriquées en c o m m u n par tous les actionnaires, et leur produit sera partagé, ainsi qu'il est dit à l'article Bestiaux et Matériel d'exploitation, page 2 6 ( m o d e d'association). ARTICLE 3 5 .

T o u t ce qui vient d'être d i t , sans spécification p o u r les sucreries, s'applique à toutes autres espèces d'habitations, avec cette différence que les plantations de celles-ci seront toujours divisées p a r parts égales, lors des partages de t e r r a i n , sans prélèvement de savanes, etc. ; qu'il sera loisible à chacun d'en fabriquer séparément les produits aux usines communes ; que l'association n'est point obligatoire entre les concessionnaires , et que les détenteurs des propriétés de h u i t hectares de surface et au-dessous n'auront pas droit au remboursement des bâtiments et usines.

§ III. ARTICLE 3 6 .

E n ce q u i touche les esclaves dont l'affranchissement suivra de plus ou moins près la promulgation de la présente l o i , et jusqu'à ce qu'il plaise à leur maître de leur en octroyer le bé-


— T5 — néfice durant le cours de la période fixée, ils ne devront dorénavant auxdits maîtres que cinq jours par semaine , et neuf heures de travail par jour. ARTICLE

37.

Ils auront droit néanmoins à l'ordinaire a c c o u t u m é , si mieux ils n'aiment u n jour en s u s , dans les. habitations où l'usage est de leur accorder le samedi en remplacement des vivres en nature ; ce qui réduirait a l o r s , pour le m a î t r e , leur travail à quatre j o u r s , soit 56 heures par semaine. ARTICLE

58.

La peine du trois-piquets ou de l'échelle, celle de la souche, du collier de force , des jambières, etc., sont et demeurent à jamais abolies dans toutes les colonies françaises. ARTICLE

59.

Le maximum des châtiments laissés à la discrétion des m a î t r e s , reste fixé à cinq coups de fouet. Il ne peut être infligé qu'à la seconde ou troisième récidive, et ne d o i t , dans aucun cas, être appliqué plus d'une fois au coupable , pour la m ê m e faute. ARTICLE 4 0 .

T o u t délit susceptible d'une plus forte correction, sera déféré à la connaissance du juge de p a i x , qui pourra ordonner jusqu'à dix jours de prison sur l'habitation ou à la geôle. Les peines au-dessus rentreront dans la compétence des t r i b u n a u x ordinaires, selon la nature des délits. Dans tous les c a s , la décision ou le jugement seront rendus contradictoirement entre le maître et l'esclave, et ouï le rapport spécial de l'inspecteur de culture dont il est parlé ci-après, § 4 , lequel représentera toujours le dernier aux d é b a t s , sous l'assistance de l'avocat qui devra chaque fois être n o m m é d'office p o u r défendre l'esclave accusé ou plaignant.


ARTICLE

41.

T o u t e négresse esclave qui s'est déclarée et fait reconnaître enceinte , est exempte de la peine du fouet, sous quelque prétexte q u e ce puisse être. ARTICLE 4 2 .

Les enfants qui naîtront de parents esclaves s e r o n t , à dater de la promulgation de la présenté l o i , déclarés libres de droit, conformément à l'art. 2 du § 1 , et inscrits comme tels sur les registres de l'état civil. Les maîtres n'en seront pas moins tenus de pourvoir à leur n o u r r i t u r e et entretien comme par le passé, jusqu'à leur libération de fait, et ne pourront prétendre à aucune indemnité p o u r iceux, soit qu'ils attendent l'expi­ ration des cinq années ou qu'ils se fassent rembourser avant. Ces enfants auront droit au partage. ER

§ iv. ARTICLE 4 3 .

I l sera é t a b l i , dans chaque quartier de toutes les colonies, u n officier spécial ayant le titre d'inspecteur de c u l t u r e , aux appointements de deux à quatre mille francs p a r an , suivant l'importance de ses travaux. Cet emploi pourra se cumuler avec celui de maire ou d'adjoint à la mairie. ARTICLE 4 4 .

Ces employés seront commissionnés par le ministre de la marine et des colonies, sur la présentation des gouverneurs ; ils seront assermentés, et choisis, autant q u e possible , p a r m i des gens de couleur suffisamment i n s t r u i t s , ou p a r m i des blancs européens d'une impartialité reconnue; ils relèveront directement des procureurs d u r o i , avec lesquels ils correspondront dans chaque arrondissement de juridiction.


ARTICLE 4 5 .

L e u r surveillance s'étendra aux habitations exploitées par les nouveaux affranchis, comme à celles administrées par les maîtres ou leurs représentants. Dans les p r e m i è r e s , ils constateront par des procès verbaux les infractions ou inobservances des cultivateurs aux obligations qui leur sont imposées par la loi ou les statuts de leur société ; ils en indiqueront les causes p o u r chaque établissement, et les consigneront dans leurs r a p ports, aussi bien que les améliorations qui leur paraîtront praticables. Dans les secondes, ils scruteront avec soin le régime de leur police intérieure, en signaleront les abus, et tiendront la main à la ponctuelle exécution des articles contenus au § 3 ci-dessus , et aux articles 5 4 , 5 6 et 5 7 du § 5 . Ils connaîtront en premier degré de tous les différents entre les maîtres et leurs esclaves, dont ils recueilleront les griefs réciproques. S'ils ne parviennent pas à les concilier par toutes les voies de persuasion qu'il leur est enjoint d'employer préalablement, ils introduiront p o u r les esclaves et les défendront en personne devant le juge de p a i x , soit qu'ils se portent plaignants o u simplement, défendeurs ; dresseront un exposé p o u r chaque affaire où ils présenteront les faits avec exactitude et impartialité. Ils soutiendront également devant les t r i b u n a u x ordinaires la plainte ou la défense, dans le cas et la forme prévus p a r l'article 40 d u § 3, ainsi q u ' i l y est dit. Lesdits procès v e r b a u x , r a p p o r t s , et toutes les pièces éman a n t de leur ministère, seront par eux inscrites sur u n registre ad hoc, et transmises mois par mois au procureur d u r o i , auquel ils fourniront en outre u n rapport général, récognitif de tous les faits et actes concernant leurs fonctions , p o u r être transmis au gouverneur, e t , par celui-ci, au ministère de la marine et des colonies. ARTICLE 4 6 .

Ils seront tenus de faire au moins une tournée par mois s u r toutes les habitations de leur quartier, et devront en enregistrer sommairement le résultat sur un journal ouvert à cet effet.


ARTICLE 4 7 .

E n cas de refus des habitants de laisser les inspecteurs de culture exercer librement leurs fonctions, ceux-ci auront le droit de requérir la force armée et de se faire ouvrir les cases à nègres, h ô p i t a u x , prisons, cachots, et tous les bâtiments qu'ils présumeraient servir à exercer des supplices ou châtiments illégaux envers les esclaves ou qui que ce puisse être ; et ce, m ê m e par bris de pontes, en se faisant assister du juge de paix.

§ v. ARTICLE 4 8 .

T o u t directeur d'établissement comptant au moins vingt individus exploitant, sera électeur de droit. ARTICLE 4 9 .

Les conseils coloniaux seront dorénavant composés par moitié en hommes de la elasse dite de couleur, réunissant les capacités d'éligibilité exigées par la loi ou nommés par iceux. A l'effet, de quoi le travail des colléges électoraux sera divisé en deux sections séparées ; l'une p o u r la classe dite b l a n c h e , l'autre p o u r celle réputée de couleur, et chacune nommera ses conseillers. ARTICLE 5 0 .

Chaque gués, dont elle. P o u r d o u b l e , et

colonie sera représentée en F r a n c e par deux déléu n de la classe réputée de couleur, ou n o m m é par q u o i , l'opération du conseil sera comme dessus, séparée p o u r cet objet seulement. ARTICLE 5 1 .

L e régime communal sera immédiatement établi dans toutes les colonies. ARTICLE 5 2 .

Dans les communes où les maires sont éligibles, par les ad-


—77— m i n i s t r é s , les blancs et la couleur nommeront séparément leurs candidats au scrutin. Celui des deux qui réunira le plus de voix sera l'élu. E n cas d'égalité, il y aura ballotage, et si le résultat est le même, on tirera au sort en présence de tous p o u r fixer l'élection. ARTICLE

53.

T o u t créole exerçant maintenant les fonctions de juge de paix ou de première instance , d'assesseur, auditeur ou j u g e , etc., près la cour royale ; greffier, procureur du roi ou substitut, etc., sera remplacé par des officiers de même r a n g , soit européens, soit de c o u l e u r ; de m ê m e q u e tout magistrat allié à des familles créoles de la colonie où il exerce ses fonctions. ARTICLE

54.

Il sera ouvert dans chaque commune u n e école primaire gratuite p o u r l'enseignement m u t u e l , principalement p o u r les libres et les esclaves des deux sexes. Les commumes fourniront le local et pourvoiront au traitement des professeurs et a u x dépenses desdits établissements au moyen d'une taxe locale qui sera fixée et répartie par l'administration municipale. ARTICLE

55.

L e traitement des inspecteurs de l'enseignement public, qui seront envoyés de F r a n c e , sera pris sur les fonds généraux des diverses colonies. Cette dépense ne pourra , sous aucun prét e x t e , être rejetée par les conseils coloniaux. ARTICLE

56.

I l est défendu aux maîtres d'entraver le développement intellectuel de leurs esclaves, soit en les empêchant de suivre les écoles communales sur le temps dont ils ont la disposition , soit autrement. Ils seront tenus, en outre, d'y envoyer chaque jour régulièrement tous les enfants depuis l'âge où ils sont en état de marcher pour s'y rendre jusqu'à 1 4 ans. ARTICLE

57.

Les professeurs tiendront registre des habitants qui se con-


— 78 — formeront à l'article ci-dessus, en indiquant le n o m b r e d'élèves par h a b i t a t i o n , et signaleront chaque mois à l'inspecteur de culture ceux qui s'y refuseraient, afin qu'il soit pris par ce d e r n i e r , devant les tribunaux , telles conclusions q u e de d r o i t , pour faire prononcer l'amende contre qui il a p partiendra. ARTICLE

58.

I l est également enjoint auxdits maîtres d'encourager et faciliter de tout leur pouvoir l'éducation chrétienne de leurs esclaves. §

VI.

ARTICLE

59.

L e lendemain d u jour de l'expiration de la cinquième a n n é e , à partir de la promulgation de la présente loi dans chaque colonie, tous les esclaves restant encore dans les p o s sessions françaises se réveilleront libres de droit et de f a i t , et sujets français. ARTICLE

60.

Q u a n t à la quotité et au mode d'indemnité à accorder, s'il y a lieu, aux colons q u i n'auraient point profité utilement du bénéfice du rachat qui l e u r est offert p a r le § 1 de la p r é sente, le gouvernement se réserve d'adopter, à cet égard, telles dispositions qu'il appartiendra en temps et lieu. e r

ARTICLE 6 1 .

E n a t t e n d a n t , toutes les lois coloniales maintenant en exécution conserveront leur plein et entier effet , en tout ce q u i n'est pas contraire aux dispositions de la présente, p o u r , à l'expiration du terme fixé, perdre à jamais toute force et vigueur, et être remplacées par u n code spécial, approprié au nouvel état des choses.

Messieurs, après avoir usé, et peut-être abusé t r o p longuement de votre a t t e n t i o n , l'exposant n'ose qu'avec c r a i n t e , hasarder devant vous quelques mots relatifs à lui-même. Mais


— 79 — il est aussi propriétaire d'une sucrerie à la M a r t i n i q u e , et p r e n d , en cette q u a l i t é , sa place dans l'une des catégories qu'il indiquait tout à l'heure ; son intérêt privé ne le sépare point des autres colons, bien que ses opinions semblent l'en éloigner. Jaloux de vous donner u n témoignage authentique de son intime conviction , il sollicite comme u n e grâce qu'il lui soit fait immédiatement application d u système qu'il a eu l'honneur de vous exposer plus haut, soit p a r forme provisoire, dans le cas où son adoption ne serait qu'ajournée, soit par u n e disposition exceptionnelle et à titre d'essai, si elle venait à être écartée. N'ayant p o u r toute fortune q u e l'habitation d'où ces notes sont datées, il n'est malheureusement pas assez riche p o u r donner gratuitement la liberté à ses esclaves, q u i d'ailleurs sont la dot de sa fille. Pressé néanmoins par le dégoût que lui inspirait ce genre de p r o p r i é t é , il la vendit en 1 8 2 4 ; mais ne pouvant réussir à s'en faire payer, force lui fut de la reprendre p o u r ne pas tout perdre. Redevenu h a b i t a n t malgré l u i , l'exposant vient avec confiance, invoquer devant v o u s , Messieurs, les honorables s y m p a t h i e s , qui seules peuvent désormais le soustraire, comme tant d ' a u t r e s , à la désolante alternative de rester propriétaire de chair h u m a i n e , ou d'ôter le pain de ses enfants pour cesser de l'être. Il n'ignore p o i n t , non plus que sa f a m i l l e , q u e , m ê m e évalué sur le maximum des bases proposées, son domaine n'atteindra pas les deux cinquièmes du prix auquel il avait été estimé et vendu... Mais nous n'aurons plus d'esclaves, et nous aurons fait des neureux I Satisfaits dans notre médiocrité, nous serions fiers d'avoir p u contribuer par notre exemple , bien plus que par nos faibles conceptions, à fournir le dernier atome qui doit tôt ou tard faire déverser sur tous le vase d'élection q u e tant d'âmes généreuses et d'esprits sublimes, ont si laborieusement et si complètement rempli. Je suis avec respect, Messieurs, Votre très h u m b l e et très obéissant serviteur, VITALIS.


— 80 — APERÇU GÉNÉRAL de la valeur vénale des Colonies à Esclaves et du maximum des prix moyens par tête, auxquels pourrait claves, le Sol et les Usines. PRIX moyens revenant au gouvernent., par tête d'esclaves.

fr. 1,209

c. 65

NOMBRE d'esclaves

INDICATION D E S L I E U X ,

rembourser dans chaque colonie.

ET DÉTAIL SOMMAIRE DES DIVERSES

ILE 66,000

ÉVALUATIONS.

MARTINIQUE.

Voir p o u r l e d é t a i l , p a g e 4 1 GUADELOUPE E T

DÉPENDANCES.

E n v i r o n 8 0 , 0 0 0 hectares terres a r a b l e s , à 3 0 0 fr. l ' h e c t a r e . E n v i r o n 2 0 6 s u c r e r i e s , d o n t 1 0 0 à u s i n e s d e 1re c l a s s e , é v a l u é e s 4 5 , 0 0 0 fr. l ' u n e , c i 4 , 5 0 0 , 0 0 0 f. E n v i r o n 1 0 6 , dites d e 2e c l a s s e , é v a l u é e s 3 0 , 0 0 0 f r . l ' u n e , ci 3,180,000 E n v i r o n 2 , 2 5 0 habitations caféries et a u t r e s , à 1 , 4 1 0 fr. par u s i n e s , ci TOTAL.

1,235

37

80,000

Ou e n v i r o n , à 8 0 0 fr. l ' u n , ci

12,000

8 , 0 0 0 h e c t a r e s terres c u l t i v é e s , à 3 0 0 fr. l'un E n v i r o n 1 8 s u c r e r i e s , u s i n e s d e 2e c l a s s e , à ci Environ 4 8 4 établissements à c a f é , coton , g i ­ rofle, p o i v r e , c a n n e l l e , m u s c a d e , c a c a o , e t c . a 1 , 4 0 0 f r . l ' u n , ci Ou e n v i r o n , à 800 fr. l'un

G U Y A N E , CAYENNE E T D É P E N D A N C E S .

l,101

16

, ci 30,000 fr., 5 4 0 , 0 0 0 f.

677,600

ILE BOURBON. 3 7 , 0 0 0 h e c t . terres arables c u l t i v é e s , à 3 0 0 fr. l ' h e c t . , c i . E n v i r o n 8 0 sucreries a u prix m o y e n d e 5 0 , 0 0 0 fr. par

1,089

60

50,000

u s i n e , ci 2 , 4 0 0 , 0 0 0 f. Environ 7 0 0 établissements à c a f é , cacao, c o t o n , girofle, muscade, e t c . , à 1 , 4 0 0 f r . pour leurs u s i n e s s e u l e m e n t , ci 980,000 Ou e n v i r o n , au prix c o m m u n d e 8 0 0 fr. par t ê t e SÉNÉGAL E T D É P E N D A N C E S , ILES SAINT-LOUIS L'exploitation a g r i c o l e étant p r e s q u e n u l l e d a n s c e t t e c o u ­ v o n s g u è r e é v a l u e r sa surface c u l t i v é e qu'a u n e c i n q u a n par é t a b l i s s e m e n t , c e q u i d o n n e r a i t e n v i r o n 1,500 ci L'on y c o m p t e e n v i r o n 3 0 é t a b l i s s e m e n t s o ù se c u l t i v e n t l ' i n d i g o , le c o t o n , le n o p a l , e t c . , à 1 , 4 0 0 fr. p o u r l e s u s i n e s s e u l e m e n t , ci

964 »

3,000

Ou e n v i r o n , à 8 0 0 fr. l'un , ci TOTAUX

TOTAL

général..

211 ,000 E s c l a v e s d e 1 à 6 0 a n s , r e v e n a n t , a u prix m o y e n g é n é r a l

(Voir

les observations

à la note d'autre

part)


de la France , estimées sur les prix de base proposés page 41, revenir le rachat des propriétés rurales, en y comprenant les EsMONTANT, PAR COLONIE,

TOTAL

de chaque DU SOL.

DES USINES.

DES ESCLAVES.

COLONIE.

fr. 15,371,300

fr. 15,666,000

fr. 52,800,000

fr. 79,837,300

24,000,000

10,850,000

64,000,000

98,830,000

2,400,000

1,217,600

9,600,000

13,217,600

11,100,000

5,380,000

40,000,000

54,480,000

450,000

42,000

2,400,000

2,892,000

168,800,000

249,256,900

fr. 24,000,000 7,680,000 3,150,000 10,830,000 64,000,000 2,400,000 1,217,600 9,600,000 11,100,000 3,380,000 40,000,000 1:T GORÉE. trée nous ne poulaine d'hectares hectares à 300 f., 450,000 42,000 2,400,000 51,521,500 1 29,155,600 de 1,181 f 31e 490m par tête,ci

249,256,900

249,256,900

6


— 82 — NOTA.

Notre p o s i t i o n

ne

nous

p e r m e t t a n t pas de d o n n e r à nos

l'exactitude rigoureuse q u e l'administration l'aide des r e n s e i g n e m e n t s d o n t e l l e est

chiffres

s e u l e est e n état d e p r é s e n t e r , à

e n t o u r é e , nous nous sommes bornés à

n o u s rapprocher de la v é r i t é , a u t a n t qu'il n o u s a é t é possible, d a n s le c o u r s de c e t a p e r ç u , d o n t le b u t principal est d'offrir à l'œil le m a x i m u m d e la s o m m e t o t a l e à r e m b o u r s e r par le g o u v e r n e m e n t ,

r é d u i t à la plus

basse expression

q u ' i l puisse a t t e i n d r e sans i n j u s t i c e . A u s s i , l a i s s o n s - n o u s , d a n s l'art. 4 , § 1

e r

,

d u p r o j e t , t o u t e la l a t i t u d e désirable pour y a c c o m m o d e r l e s prix d e base , q u e n o u s n'avons m i s e n l i g n e q u e p o u r la f o r m e , et sauf les r é d u c t i o n s q u e p o u r ­ r o n t n é c e s s i t e r la s i t u a t i o n r é e l l e d e la p o p u l a t i o n e s c l a v e et d e la s u r f a c e d u sol r e m b o u r s a b l e , d e m ê m e q u e le n o m b r e et la classification

des b â t i m e n t s

et

usines. Il suit d e là , q u ' e n a d m e t t a n t , par e x e m p l e , q u ' a u l i e u d e 2 1 1 , 0 0 0 e s c l a v e s q u e n o u s c o m p t o n s , il y e n ait e n c o r e 2 7 8 , 0 0 0 , c o m m e l'a a v a n c é M. M a u g u i n , d a n s son d i s c o u r s d u . . . , e n r é p o n s e à M. I s a m b e r t , à propos d ' u n e n o u v e l l e a l ­ l o c a t i o n d e f o n d s , d e m a n d é e par le ministre d e la m a r i n e p o u r renforcer

les

g a r n i s o n s des c o l o n i e s , e t c . ; il n ' e n faudra plus c o m p t e r le r e m b o u r s e m e n t a u x c o l o n s q u e sur le pied d ' e n v i r o n 608 fr. par t ô l e . V e u t - o n , c o n t r e t o u t e v r a i s e m b l a n c e , q u e les terres r e m b o u r s a b l e s a t t e i g n e n t le chiffre é n o r m e d e 2 5 0 , 0 0 0 h e c t a r e s , a u l i e u d e 1 7 1 , 0 7 1 q u i n o u s s e m b l e r é ­ s u l t e r d u travail des i n g é n i e u r s , fourni e n 1 8 2 7 .

E h b i e n ! il faudra se

con­

t e n t e r d e 206 f r . , o u e n v i r o n , par h e c t a r e . L'on s u b i r a i t d e m ê m e

s'il le f a l l a i t , d a n s le m ê m e s e n s , u n e r é d u c t i o n sur

l e s b â t i m e n t s et u s i n e s . Q u e la répartition d u r e m b o u r s e m e n t ,

quel q u ' i l s o i t , ait l i e u p r o p o r t i o n n e l ­

l e m e n t à la p e r t e de c h a c u n ; qu'il y ail j u s t i c e d i s t r i b u t i v e , en u n m o t ,

dans

c e t t e g r a v e o p é r a t i o n , e t q u e l e s c o l o n i e s florissent e n s u i t e p o u r la m é t r o p o l e , c o m m e pour e l l e s - m ê m e s , s o u s la b a n n i è r e d e la l i b e r t é , il n e n o u s restera p l u s d e v œ u x à f o r m e r à leur é g a r d . N o u s a j o u t e r o n s s e u l e m e n t , p o u r c o m p l é t e r c e t t e n o t e , q u e , le taux d u prix m o y e n r e v e n a n t a u g o u v e r n e m e n t par tête d'esclave , y c o m p r i s la d o t ,

dimi­

n u a n t en raison directe d u n o m b r e d e s a f f r a n c h i s s e m e n t s à o c t r o y e r , s e r é d u i ­ r a i t , dans l'hypothèse

d'une

augmentation semblable à celle

prementionnée,

a u m i n i m u m d ' e n v i r o n 8 9 9 f r . , d o t c o m p r i s e , par i n d i v i d u à l i b é r e r , sans sortir d u chiffre étroit de deux c e n t c i n q u a n t e m i l l i o n s d e f r a n c s , s o m m e r o n d e , c o n ­ sidérée c o m m e

maximum

m o i n s . Pour q u o i , nous

du r e m b o u r s e m e n t

général,

a v o n s pris l e s d i v i d e n d e s

qui

et p e u t - ê t r e m ê m e figurent

à

à l'art. 4 d u

p r o j e t , c o m m e m o y e n n e g é n é r a l e e n t r e la v a l e u r totale et le n o m b r e des u n i t é s q u i d o i v e n t leur s e r v i r d e d i v i s e u r s . M a i s , c e d e r n i e r t e r m e n o u s é t a n t i n c o n n u , e t l e m i n i m u m q u e n o u s lui r a t i o n n e l inférieur

supposons, donnant pour quotient un m a x i m u m

aux p r é t e n t i o n s

devons penser que ce

élevées

jusqu'ici

par les i n t é r e s s é s ,

m o d e , q u i l e u r est n é a n m o i n s p l u s favorable q u e

nous tout

a u t r e , bien qu'il l a i s s e , à leur p r é j u d i c e , la r é d u c t i o n p r é s u m a b l e des prix d e base p r o p o s é s , p e u t d ' a u t a n t

m i e u x ê t r e a c c u e i l l i par le g o u v e r n e m e n t ,

qu'il

n'est s u s c e p t i b l e d ' a u c u n e s v a r i a t i o n s croissantes d a n s le chiffre de ses a v a n c e s d e f o n d s , et lui p r é s e n t e ,

a u c o n t r a i r e , la p e r s p e c t i v e d ' u n e forte

s u r cet o b j e t , s e l o n c e qui a été d é j à d i t .

économie


NOTES.



N O T E S .

NOTE

1

(PAGE 11 ).

Déjà des réserves improbatives ont été faites au nom de S. M. B . , touchant les colonies de la couronne, et déclarées officiellement au salon de la trésorerie , le 29 juillet 1835, par le chancelier de l'échiquier, qui a dit, à l'occasion de l'emprunt de quinze millions sterling destiné au paiement de l'indemnité : « Quant aux sommes pour les Barbades, c'est une » affaire distincte : l'acte pour cette colonie ayant été déclaré par le » roi, en son conseil, peu satisfaisant et mal calculé. » (Voir les journaux de l'époque). NOTE

2

(PAGE

15).

Sur les 25,272 affranchissements accordes dans toutes les colonies, depuis la fin de 1830 jusqu'à celle de 1834-, la Martinique seule est comprise pour 14,919 individus, qui se composent ainsi qu'il suit : ci 5,710 femmes et. 6,361 enfants. Il n'y a donc place que pour 2,84-8 hommes. Égale

14,919

Encore faut-il compter plus de la moitié en vieillards et infirmes parmi ces derniers. Quant aux esclaves valides du sexe masculin , ils se paient presque tous à leurs maîtres, et souvent exorbitamment cher. NOTE

5 (PAGE

19).

Nous chercherions en vain un seul fait qui pût montrer même le plus léger progrès chez les créoles, touchant la possibilité de les amener à fraterniser avec la couleur, et nous en voyons mille au contraire qui 6.


- 86 — prouvent leur invincible répugnance à cet égard. Nous ne parlerons pas des bancs de la batterie d'Hainault à Saint-Pierre, qui furent enlevés et brûlés en 1830, parce que des mulâtres s'y étaient assis; des scènes scandaleuses du Cirque de la même ville, parce que des personnes de couleur y étaient entrées pour leur argent ; ni de la fermeture de ce spectacle , et plus tard de celui du Fort-Royal, de même que de celle des cafés de ces deux villes, toujours à cause des mulâtres, et seulement parce que les blancs suffoquent à la seule idée de respirer le même air qu'eux ou d'en éprouver le plus léger contact... Tandis que, par la plus étrange contradiction , la chronique prétend qu'ils ne se trouvent jamais mal auprès des mulâtresses ou même des négresses, pourvu que ce ne soit pas en public. Nous ne dirons rien du renvoi en France de tous les magistrats européens, qui n'ont voulu voir que des hommes dans les gens de couleur, ni de ce secrétaire archiviste qui, en 1832, fut repoussé du conseil privé par les gros béqués ; puis honni, conspué, poursuivi par les petits dans les rues du Fort-Royal, et ne dut son salut, et peutêtre la vie, qu'à une prompte fuite à l'étranger ; le tout pour avoir dîné tranquillement avec d'honnêtes citoyens de couleur. Tout cela, et tant d'autres choses, est ou doit être connu en France. Mais voici une anecdote qui ne l'est pas : Un Européen de nos amis s'est marié, il y a vingt ans, à une habitante de la Martinique, jouissant d'une fortune passable, parfaitement bien élevée, remplie de mérite et de vertu, susceptible, en un mot, de faire le bonheur d'un honnête homme sous tous les rapports. Elle était si blanche, si différente par ses mœurs, son maintien décent et réservé des autres femmes de son pays, qu'il ne pouvait pas venir à l'esprit de son futur que le monstre aveugle et sourd qui règne en despote sur ces contrées, l'avait déjà frappée de son sceptre de plomb. Au surplus , il l'eût su, qu'elle n'en fût devenue que plus intéressante à ses yeux. Ce n'est qu'aux formalités de la publication qu'un commissaire commandant, idiot et fanatique adorateur de cette hideuse idole, le lui apprit en refusant net son ministère d'officier civil, attendu que la future était, disait-il, réputée de couleur ! !... Mais elle compte trois filiations récentes et successives en légitime mariage de blancs européens parmi ses auteurs ; ses papiers l'attestent. N'importe; sa trisaïeule avait épousé un homme de couleur, c'en est assez pour que toute sa race soit à jamais réprouvée! !... Enfin, après bien des chicanes, l'autorité du gouverneur l'emporta, et force fut de célébrer le mariage. Seulement, la qualification de demoiselle fut obstinément refusée à la fiancée, mais on s'abstint de lui donner celle de fille de couleur. L'on pense peut-être que l'impure sanie du préjugé s'arrêta là. Oh bien oui! Le mari, auquel on ne pouvait pas ôter, en droit, sa qualité de blanc, la perdit, en fait. On voulut le


— 87 — faire simple fusilier clans une compagnie de couleur, dans un temps où ce seul fait constituait l'état d'un citoyen , et ce ne fut qu'une infirmité qui le garantit de cette honorable persécution , en le dispensant du service des milices. Repoussé de la société des blancs créoles , il devint le paria de son quartier. Aucunes de ces nuances de procédés qui expriment si cruellement le mépris des hommes, dans les mille et mille circonstances de la vie qui les mettent forcément en rapport les uns avec les autres, ne lui fuient épargnées. Son existence enfin eût été tissue d'amertume dans une telle situation s'il n'eût été doué d'une grande force d'âme, et n'eût assez bien jugé ceux qui le vouaient à de pareilles tribulations, pour comprendre qu'il ne pouvait que s'en enorgueillir. Mais, dira-t-on , tout cela date d'une époque où le progrès du siècle ne s'était pas encore fait sentir à la Martinique. Eh bien ! ce colon y est revenu après plusieurs années d'absence, depuis la restauration de juillet, accompagné d'une famille délicieuse. Oubliant le passe, il remit quelques cartes de visite, e t c . . Vous croyez peut-être qu'on les lui a du moins rendues, ne fût-ce que par civilité. Pas du tout; il est encore la brebis galeuse de son quartier comme devant. C'est à ce point qu'à l'occasion d'un bal qui fut donné pour Pâques 1835 par le cercle du Lamentin, un médecin européen, surpris de n'y pas voir la famille du paria, qu'il avait occasion de visiter quelquefois, et connaissait sous les rapports honorables qui la distinguent, sans pouvoir soupçonner sa position dans l'opinion coloniale, en demanda la cause au commissaire chargé des invitations : « J'aurais été honni de tout le quartier, » lui répondit celui-ci, qui est créole et connaît bien l'esprit de sa caste... Puis il apprit le grand grief, et n'en eut que plus de respect pour cette estimable famille. Un jeune docteur médecin , M. Brouck, de cette île, avait cru au progrès, lui aussi. L'aimant de la patrie l'avait attiré à la Martinique. Il lui était permis de penser que la considération attachée à son état, l'élégance de ses manières et son mérite personnel lui permettraient d'exercer sa profession ici, d'une façon agréable. Pauvre jeune homme !... A peine s'est-il montre que l'on s'est vite rappelé son origine par son nom , car il n'y paraît plus sur sa figure. Il fallait voir alors les mains se reployer sur elles-mêmes comme la sensitive à l'approche de la sienne... Impossible d'y tenir. Force lui a été de repartir presque immédiatement. L'Européen qui arrive ici pour y exercer une industrie , et que l'on voit donner la main à un homme de couleur, est encore perdu de réputation parmi les blancs, tout comme il y a 25 ans. On se le dit à l'oreille; il est signalé, et c'en est l'ait de son avenir. Personne ne l'emploiera. Il


— 88 — ne lui reste plus qu'à mourir de faim ou à quitter la colonie, si quelqu'un de la couleur ne vient à son secours... Mais c'est assez citer, car nous n'en finirions pas s'il fallait tout dire. Faites donc de la fusion avec de pareils êtres ! !... C'est vouloir forcer des enrages à s'embrasser sans se mordre. N O T E 4 (PAGE

20).

N'est-ce pas le duel propose au sieur Lasserre par un homme de couleur fatigué de ses vexations , qui a produit le soulèvement de la GrandeAnse du 25 décembre 1832, lequel pouvait amener une catastrophe générale, si la traînée eût pris feu par tout au même instant?... (Voir l'instruction de la procédure, à laquelle cette échauffourée a donné lieu). N O T E 5 (PAGES 25—31 ).

Aperçu du Budget d'une Habitation de 40 Journaliers au prix moyen de 1 fr. 25 c. sec par jour.

nègres,

RECETTE.

DÉPENSE.

Des 40 journaliers ci-dessus, il en faut retrancher 4 du jardin pour les détournements indispensables ; savoir : A la gardes des mulets 1 A celle des bœufs 1 A la surveillance des bâtiments et usines 1 Au service de la grand'case.. 1 Partant il n'en reste que 36 à l'effectif des travailleurs au jardin. Le maximum du produit moyen par nègre cultivateur étant d'environ 3,000 liv. sucre brut, les 36 ne donneront guère qu'un revenu brut moyen de 108 boucauts d'un millier net chacun, ce qui, au prix net de 200 fr. le mille ne produirait que 21,600f

En ne comptant que 300 jours de travail par an , à cause des fêtes et dimanches , chaque journalier revient à 575 fr. Partant, ce sera, pour les 4 0 , ci 15,000f 108 boucauts à 10f pièce, pour loger la récolte, ci 1,080 Entretien et réparations des bâtiments et usines, dito et remplacement des machines, i nstruments aratoires et de fabrication , animaux de travail, etc., déperdition par usage, éventualité de la faisance valoir et intérêt du fonds représenté par le matériel bâti , construit et vivant,

A reporter 21,600

f

A reporter 16,080f


— 89 — f

Report 16,080 Report 21,600 que nous n'évaluons, pour Les 108 bouc de sucre la sucrerie en question , peuvent donner en sirop qu'à la modique somme ou mélasse , à raison de de 50,000 fr. à 10 p. 100 40 galons par bouc., enl'an, ci 5,000 viron 4,520 galons au Frais de gestion ou éco2,160 prix moyen de 50 nomat 5,000 Dépenses imprévues et TOTAL des revenus bruts 23,760 menus frais de fabrication, A quoi il faut ajouter, ci 500 pour balancer les dépenses ci-contre 820 T O T A L . . . 24,580 Égale 24,580f f

e

f

Partant, le déficit réel est de

820

f

f

N O T E 6 (PAGE 31 ). Ce mode d'association serait d'autant mieux apprécié des affranchis, qu'il n'est pas nouveau pour le pays ; la plupart des habitants qui manquent de bras, s'étant mis depuis long-temps dans l'usage d'avoir des planteurs partiaires à moitié. L'auteur de ces notes en compte cinq pour sa part, qui exploitent de la sorte une partie de sa propriété : entre autres, un nègre libre, nommé Alidor, qui cultive seul, à ces conditions, près d'un hectare de cannes, dont le produit atteint six milliers de sucre par an, sans qu'il néglige pour cela les vivres de sa petite habitation , sur laquelle il trouve encore le moyen de vendre un peu de superflu. N O T E 7 (PAGE 33). Dans son travail sur le nouveau tarif pour les sucres, le conseil de commerce reconnaît que le développement de la production de ceux de betteraves est remarquable, tandis qu'il y a diminution sensible sur le sucre de cannes. Et il en conclut a que ce résultat, dans la marche in» verse des deux produits, est une conséquence forcée de la législation » qui chargerait le sucré colonial d'un droit de 49 francs 50 cent, par » 100 kilo, et laisserait jouir l'indigène d'une immunité complète, etc. » Cette conséquence peut être exacte quant au dernier ; mais elle est évidemment erronée en ce qui touche les sucres de cannes : et les rigueurs


— 90 — du larii'sonl si loin d'être la véritable cause de leur diminution sur nosmarches, que le droit, fût-il réduit de moitié, la décroissance observée n'en continuerait pas moins, avec la réduction progressive des bras qui iont produire le sol des colonies. Les faits eux-mêmes viennent au secours de cette assertion. Par exemple, la douane a-t-elle jamais opéré quelque saisie de sucres embarqués clandestinement pour l'étranger? Non. C'est le contraire qui est arrivé il y a quelques années à la Martinique. Les habitants ont-ils tourné leur industrie agricole vers une autre culture que celle de la canne, pour compenser les pertes éprouvées sur leurs sucres, et diminuer ainsi la production de cette denrée? Pas davantage. Mais qu'on suppute le nombre des nègres importés chaque année de la côte d'Afrique aux colonies, lorsque la traite était permise, et même après qu'elle a été défendue, pour balancer simplement leur consommation en esclaves cultivateurs , et l'on aura la clef de leur décadence depuis l'entière abolition de ce hideux trafic, base unique et monstrueuse de nos produits d'outre-mer, sans laquelle le système de l'esclavage et les colonies qui n'en veulent pas démordre, doivent forcément périr d'épuisement après une agonie plus ou moins prolongée. N O T E 8 (PAGE

35).

C'est l'exergue des doublons de quelques-unes des républiques de la cote ferme. N O T E 9 (PAGE 3 6 ) . Rapport de M. le vice-amiral Halgan au ministre de la marine, en date du 21 mai 1834, c'est-à-dire deux mois après son entrée en fonctions comme gouverneur de la Martinique. N O T E 10 (PAGE 3 6 ) .

Ordonnance du gouverneur de Sainte-Lucie, du 29 janvier 1 8 3 5 , qui condamne aux travaux forcés pendant six ans, tout esclave évadé des colonies étrangères, qui se réfugierait dans cette île, etc., etc. N O T E 11 (PAGE 5 8 ) .

Le bill d'émancipation, du 15 août 1833, l'établit de 4 à 6 ans, articles 4 , 5 et 6. Les premiers seront définitivement libres en 1838, et les seconds en 1840


NOTE

1 2 (PAGE

59).

On sait que l'enseignement mutuel est à peu près supprimé dans les villes de Saint-Pierre et de Fort-Royal, seuls points où il avait été possible de l'établir après bien des tracasseries de la part des créoles blancs, qui ont abreuvé de dégoûts le respectable professeur Valin , envoyé de France en 1830 pour organiser des écoles primaires, et l'ont forcé par là à repasser en Europe, où il est mort de chagrin. L'un des premiers actes du nouveau conseil colonial a été de supprimer le traitement de ce fonctionnaire. (Voir l'extrait de la séance du 23 avril 1834-, inséré au n° 66 du journal officiel de la Martinique Y. Le traitement de l'inspecteur de l'enseignement public est supprimé sous prétexte d'économie, et l'on nous fait payer, par compensation, 6,500 francs pour un rédacteur et un sous rédacteur chargés de la difficile tâche de tirer au clair les idées de ces messieurs ! C'est un peu cher, quand même ils y réussiraient... Si cela servait encore à instruire le public de ce qui se dit dans ce conseil... Mais on ne lui a fait part de quelques extraits de ses délibérations que la première année; depuis lors, motus; et pour cause... Ces Messieurs se passent pourtant 2,500 fr. de frais d'impression dans leur petit budget de 15,000 fr. Que de sottises on pourrait imprimer et publier pour cette somme! !... NOTE

1 3 (PAGE

60).

En 1762, lors de la guerre de sept ans, les chefs de la milice blanche capitulèrent honteusement à l'insu du gouverneur, qui, se voyant abandonné, fut forcé de capituler aussi. Sa lettre au commodore anglais, à cette occasion, est consignée dans les annales du conseil souverain de la Martinique, t. 2, pages 135 et 136. En 1794, en 1809, la Martinique fut encore prise ou livrée sans coup férir, et faillit l'être de nouveau en 1815 , sous le gouvernement de M. de Vaugiraud; cela n'a tenu qu'au succès des alliés à Waterloo. La Guadeloupe, prise et reprise sans combat en 1759,1794 et 1810, est encore offerte en 1816 au général Leith , qui n'en a pas voulu. Voyez l'adresse des blancs de cette colonie à cet officier supérieur, en date du 16 janvier de la même année, et la noble réponse à laquelle elle a donné lieu... Il est vrai que dépuis le bill d'émancipation des Anglais, leurs partisans sont un peu désenchantés à l e u r égard ! Mais ils n'en sont pas devenus meilleurs Français pour cela ; et, tout récemment encore, nous


— 92 — avons entendu, à la Martinique, des voix agitant préalablement la question de savoir s'il conviendrait mieux aux cotons blancs d'appartenir aux Américains ou à leurs alliés de Saint-Pétersbourg, montrer pour ces derniers des sympathies non équivoques. Le motif s'en comprend aisément ! Mais nous aimons à convenir, pour l'honneur du commerce des villes de cette colonie, qu'il est loin de partager cette honteuse aberration de principes, et, qu'en général, il n'a jamais cessé de mériter, sous cet honorable rapport, la sollicitude de la mère-patrie. Un article du Moniteur du commerce, du 16 février dernier, s'efforce de justifier cette étrange facilité à subir le joug du premier conquérant venu , « par les difficultés que présente en pareil cas une popu» lation esclave à nourrir; » l'on pourrait ajouter et à contenir. Mais nous sommes entièrement de son avis sur ce point; seulement, nous différons quant à la conséquence à déduire d'un fait aussi patent, en ce que nous soutenons , nous , qu'il prouve la nécessité d'abandonner un système si complétement mauvais, que ses propres défenseurs sont entraînés malgré eux à le dénigrer, tout en voulant plaider sa cause.


— 82 — de l'Europe et qu'on ait, par tous les moyens possibles, fait des vœux et concouru à porter les empereurs de Russie à Constantinople, comme les libérateurs et les régénérateurs de la belle Grèce. Illusion trompeuse! erreur funeste! Les nations meurent comme les individus et ne ressuscitent pas. Le beau idéal du siècle de Périclès et du règne d'Auguste vit en nous seuls, Européens, éclairés et guidés dès notre enfance par les grands maîtres de ces temps à jamáis célèbres. Profitons de leurs sages leçons pour le bien de l'humanité, et évitons leurs fautes, leurs erreurs, leurs vices, leurs excès. Le génie du mal nous a conduits au bord de l'abîme; arrêtons-nous. Plus nous réfléchirons sur notre position, sur les piéges qui nous sont tendus, et sur les dangers qui nous pressent de toutes parts, mieux nous reconnaîtrons nos amis et nos ennemis, pour conserver notre indépendance et notre bien-être. C'est vers ce but que doivent tendre tous nos efforts. Les mots barbarie et civilisation n'expriment que des qualifications relatives. Aussi chaque nation peut-elle l'appliquer, et l'applique-t-elle en effet, avec une assurance quelquefois très piquante, à ceux de ses voisins dont elle ne connaît pas bien l'état social, et qui n'ont pas



Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.