Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce T. 4 (2) (1713-1796)

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322 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE Ses mœurs étoient trop austères. L'égalisé a laquelle ils étoient réduits & dont il leur étoit impossible de fe tirer , éloignoit entre eus toute forte d'émulation. Un Guaranis n'avoit aucun motif de surpasser un Guaranis. Il avoit fait allez bien, fi l'on ne pouvoit ni l'accuser, ni le punir d'avoir mal fait. - La privation de toute propriété n'influoit-elle pas fur feS liaifons les plus douces ? Ce n'est pas allez pour le bonheur de l'homme d'avoir ce qu'il lui suffit ; il lui faut encore de quoi donner. Un Guaranis ne pouvoit être le bienfaiteur, ni de fa femme, ni de fes enfans, ni de fes parens , ni de fes amis , ni de fes compatriotes ; & aucun de ceux-ci ne pouvoit être le lien. Son cœur ne sentoit aucun befoin. S'il étoit fans vice , il étoit aussi fans vertu. Il n'aimoit point , il n'étoit point aimé. Un Guaranis passionné auroit été l'être le plus malheureux ; & l'homme fans paillon n'existe, ni dans le fond d'un bois , ni dans la société, ni dans une cellule. Je ne connois que l'amour, qui s'irrite & s'accroît par la gêne, qui pût y gagner. Mais croira-t-on qu'il ne reliât rien aux Guaranis du fentiment de leur liberté fauvage? Mais négligez tout ce qui précède ,


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& ne pefez que le peu de lignes que je vais ajouter. Le Guaranis n'eut jamais que des idées très-confufes de ce qu'il devoit aux foins de fes législateurs, & il en avoit vivement , continuellement fenti le despotisme. Il fe persuada fans peine au moment de leur expulsion, qu'il feroit affranchi, & qu'il n'en seroit pas moins heureux. Toute autorité est plus ou moins odieufe ; & c'est la raifon pour laquelle tous les maîtres, fans exception, ne font que des ingrats. Lorsqu'en 1768 les mi/lions du Paraguay fortirent des mains des Jésuites, elles étoient arrivées à un point de civilisation, le plus grand peut-être où on puisse conduire les nations nouvelles , & certainement fort supérieur à tout ce qui existoit dans le reste du nouvel hémisphère. On y observoit les loix. Il y régnoit une police exacte. Les mœurs

y étoient pures. Une heureufe fraternité y unissoit les cœurs. Tous les arts de nécessité y étoient perfectionnés, & on y en connoiffoit quelques-uns d'agréables. L'abondance

y étoit universelle, & rien ne manquoit dans les dépôts publics. Le nombre des bêtes à sortie s'y élevoit à fept cens soixante-neuf X 2

XVIII.

Mesures préliminaires prifes par la cour d'Espagne pour le gouvernement de ces misfions.


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mille trois cens cinquante-trois ; celui des mulets ou des chevaux , à quatre-vingt" quatorze mille neuf cens quatre-vingt-trois; celui des moutons , à deux cens vingt-un mille cinq cens trente-fept ; fans compter quelques autres animaux domestiques. Les pouvoirs, concentrés jusqu'alors dans les mêmes mains , furent partagés. Un chef, auquel on donna trois lieutenans, fut chargé de gouverner la contrée. On confia ce qui étoit du ressort de la religion à des moines de S. Dominique , de S. François & de la Merci. C'est le seul changement qui ait été fait jusqu'ici aux dispositions anciennes. La cour de Madrid a voulu examiner , fans doute, fi l'ordre établi devoit être maintenu ou réformé. On cherche à lui perfuader de retirer les Guaranis d'une région peu salubre & trop peu fertile, pour en peupler les bords inhabités de Rio-Plata, depuis Buenos-Aires jufqu'à l'Assomption. Si ce plan est adopté & que les peuples refufent de quitter les tombeaux de leurs pères , ils feront réduits à fe difperfer ; s'ils fe prêtent aux vues de l'Espagne, ils céderont de former une nation.


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Quoi qu'il arrive , le plus bel édifice qui ait été élevé dans le Nouveau-Monde fera renverfé. Mais voilà assez, & peut - être trop de détails, fur les révolutions plus ou moins importantes qui ont agité l'Amérique Efpagnole pendant trois liècles. Il est tems de remonter aux principes qui dirigèrent la fondation de ce grand empire ; & de tracer, fans malignité comme fans flatterie, les fuites d'un systême dont l'antiquité n'avoit ni laissé, ni pu laiflér de modèle. Nous commencerons par faire" connoître les différentes efpeces d'hommes qui fe trouvent aujourd'hui réunis dans cette immense région. On ne rangera point parmi les habitans du nouvel hémisphère les commandans chargés de lui donner des loix, les troupes destinées à le contenir ouu à le défendre, les négocians employés pour fon approvisionnement. Ces différentes classes d'hommes ne fe fixent point en Amérique, & reviennent toutes en Europe après' un féjour plus ou moins borné. Parmi les perfonnes envoyées par l'autorité publique, il n'y a guère que quelques magistrats, quelques administrateurs fubalternes qui s'inX 3

XIX. Peuples qui habitent l'Amérique Espagnole , & premièrement les chapetons.


326 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE corporent à ces régions éloignées. La lot défend à tout citoyen d'y aller fans l'aveu du gouvernement : mais les gens connus en obtiennent assez aisément la permission , & ceux qui font obscurs y passent très-fréquemment en fraude. On est vivement pouffé à cette émigration par l'espoir d'une fortune considérable & quelquefois aussi par la certitude de trouver une considération dont on n'auroit pas joui dans le lieu de fon origine. Il suffit d'être né en Efpagne pour obtenir des égards marqués: mais cet avantage ne fe transmet pas. Les enfans qui ont reçu le jour dans cet autre monde ne portent plus le nom de chapetons qui honoroit leurs pères : ils XX. Les créoles.

deviennent simplement moles. C'est ainsi qu'on appelle ceux qui font iffus du fang Efpagnol dans le nouvel hémisphère. Plusieurs descendent des premiers conquérans ou de ceux qui les fuivirent ; d'autres ont eu d'illustres ancêtres. La plupart ont acheté ou obtenu des titres distingués : mais peu d'entre eux ont manié les grands refforts du gouvernement. Soit que la cour les crût incapables d'application, foit qu'elle craignit qu'ils ne préférâffent les intérêts de


DES DEUX INDES. 327 leur pays à ceux de la métropole , elle les éloigna de bonne heure des places de confiance & s'écarta rarement de ce systême bien ou mal conçu. Ce mépris ou cette défiance les découragèrent. Ils achevèrent de perdre dans les vices qui naissent de l'oisiveté, de la chaleur du climat, de l'abondance de toutes, choses, cette élévation dont il leur avoit été laissé de fi grands exemples. Un luxe barbare , des plaisirs honteux, une fuperstition stupide , des intrigues romanesques, achevèrent la dégradation de leur caractère* Une porte restoit ouverte à l'ambition de ces colons profcrits , en quelque forte, fur leur terre natale. La cour, les armées , les tribunaux, l'église font en Efpagne des carrières plus ou moins brillantes qu'il leur eft libre de parcourir. Il n'y en eft cependant entré qu'un très-petit nombre, ou parce que leur ame eft entièrement flétrie , ou parce que les distances en rendent l'accès trop difficile. Quelques-uns , d'une naissance moins distinguée , ont tourné , dans l'Amérique même , leur activité , leur intelligence vers les grandes opérations du commerce ; & ceuxlà ont été les plus sages & les plus utiles. X 4


328 XXI. Les métis .

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La supériorité que les chapetons affectent fur les créoles , ceux-ci la prennent fur les métis. C'eft la race provenant d'un Européen avec une Indienne. Les Efpagnols qui, dans les premières époques de la découverte, abordèrent au Nouveau-Monde n'avoient point de femmes avec eux. Quelques-uns des plus considérables attendirent qu'il en vînt d'Europe. La plupart donnèrent leur foi aux Elles du pays les plus distinguées ou les plus agréables. Souvent même , fans les époufer, en les rendit mères. La loi fit jouir ces enfans , légitimes ou illégitimes, des prérogatives de leur père : mais le préjugé les plaça plus bas. Ce n'est guère qu'après trois générations, c'est-à-dire lorfque leur couleur ne diffère en rien de celle des blancs, tous très-basanés, que dans le cours ordinaire de la vie civile, ils font traités comme les autres créoles. Avant d'arriver à une égalité fi flatteuse , ces métis , par-tout très-nombreux & dont l'espèce fe renouvelle fans interruption, s'occupoient la plupart des arts méchaniques & des moindres détails du commerce. Après avoir acquis plus de dignité , ils font encore réduits à continuer les mêmes travaux jufqu'à


329 ce qu'une alliance heureufe ou quelque circonstance particulière les mette en état de couler des jours inutiles dans les plaisirs & DES

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dans la mollesse. A peine le Nouveau-Monde eut été découvert , qu'en 1503 , on y porta quelques noirs. Huit ans après , il y en fut introduit un plus grand nombre, parce que l'expérience avoit prouvé qu'ils étoient infiniment plus propres à tous les travaux que les naturels du pays. Bientôt l'autorité les profcrivit, dans la crainte qu'ils ne corrompissent les Américains & qu'ils ne les poussâssent a la révolte. Las-Cafas , auquel il manquoit des notions justes fur les droits de l'homme, mais qui s'occupoit fans cesse du foulagement de fes chers Indiens, obtint la révocation d'une loi qu'il croyoit nuisible à leur confervation. Charles-Quint permit en 1517 que quatre mille de ces efclaves fussent conduits dans les colonies Efpagnoles ; & le courtifan Flamand qui avoit obtenu cette faveur, vendit aux Génois l'exercice de fon privilège. A l'expiration de l'octroi, ce vil commerce cessa prefque entièrement, mais les Portugais devenus fujets de la cour de Madrid le rani-

XXII. Les nègras.


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mèrent. Il retomba encore après que ce peuple eut fecoué le joug qu'il portoit fi impatiemment , & ne reprit quelque vigueur que lorfque les deux nations fe furent rapprochées. Enfin les sujets de la cour de Lisbonne s'engagèrent, en 1696, à fournir dans cinq ans vingt-cinq mille noirs à leurs anciens tyrans ; & ils remplirent cette obligation avec le fecours de leur fouverain qui avança les deux tiers des fonds qu'exigeoit une entreprife alors fi confidérable. Les François , qui venoient de donner un roi à l'Efpagne , fe mirent trop légèrement à la place des Portugais en 1702. Manquant d'établissemens à la côte d'Afrique , encore peu instruits dans les opérations maritimes, malheureux durant le cours d'une longue guerre, ils ne firent rien de ce qu'ils avoient promis fi hardiment. La paix d'Utrecht fit passer ce contract à l'Angleterre. La compagnie du Sud , à laquelle le ministère Britannique l'abandonna, fe chargea de livrer, chacune des trente années que devoit durer fon privilège, quatre mille huit cens Africains aux établissemens Efpagnols. On la borna à ce nombre pour


331 DES DEUX INDES. les cinq derniers ans de ion octroi : mais , tout le relie du tems , il lui étoit permis d'en introduire autant qu'elle en pourroit vendre* Elle s'obligea à payer trente-trois piastres & un tiers ou 180 livres pour chacun des quatre mille premiers noirs. Les huit cens fuivans furent déchargés de ce tribut onéreux en dédommagement d'un prêt de 1,080,000 liv. avancées à la cour de Madrid, & qui ne dévoient être remboursées que dans l' espace de dix ans. Ce tribut étoit réduit a la moitié pour tous les esclaves que le contract n exigeoit point. Philippe V le dédommagea de ce sacrifice en se réservant la quatrième partie des bénéfices que feroit la fociété. L'exécution du traité ne fut interrompue que par les hostilités qui, en 1739, divisèrent les deux couronnes. La pacification de 1748 rétablit celle d'Angleterre dans tous fes droits : mais la compagnie qui la repréfentoit fut déterminée , par un dédommagement qu'on lui offrit, à céder les courts relies d'un octroi dont elle prévoyoit qu'on ne la laisseroit pas jouir fans de grandes gênes. Robert Mayne , négociant de Londres , Succéda fous un nom Espagnol, a l' asso-


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ciation du Sud. L'infidélité ou la négligence des agens qu'il avoit établis à Buenos-Aires, devenu l'entrepôt de ce commerce , furent telles , qu'en 1752 il se trouva ruiné , qu'il fe vit force d abandonner une entreprise qui , plus sagement dirigée ou mieux surveillée, dev.oit donner des profits très-considérables. On prit alors le parti de recevoir à PortoRico des efclaves qui devoient au fisc 216 liv. par tête , & qui après avoir payé cette taxe rigoureufe étoient introduits librement fur le continent & dans les isles. Les Anglois qui avoient traité avec le gouverneur de Cuba remplissoient fidellement leurs engagemens ; lorfque la cour de Madrid jugea convenable à fes intérêts de changer de systême. Il fut formé en 1765, une fociété de quelques maifons de commerce Efpagnoles , Françoifes & Génoifes établies à Cadix. Cette compagnie, mal fervie par fes fadeurs & tres-obérée , alloit fe dissoudre, lorfqu'en 1773 le ministère jugea qu'il étoit de fa sagesse & de fa justice d'accorder des adoucissemens aux conditions qu'il avoit d'abord imposées. On prolongea le privilège, on diminua les charges ; & depuis cette époque, l'impor-


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tation des efclaves a pris une nouvelle activité. Ils font achetés indifféremment dans tous les lieux où l'on peut s'en procurer avec le plus d'avantage. Féroces Européens, d'abord vous doutâtes si les habitans des contrées que vous veniez de découvrir n'étoient pas des animaux qu'on pouvoit égorger fans remords , parce qu'ils étoient noirs & que vous étiez blancs. Peu s'en fallut que vous ne leur enviassiez la connoiffance de Dieu votre père commun, chofe horrible à penser ! Mais quand vous leur eûtes permis de lever aussi leurs regards & leurs mains vers le ciel ; quand vous les eûtes initiés aux cérémonies & aux mystères ; associés aux prières , aux offrandes & aux efpérances à venir d'une religion commune ; quand vous les eûtes avoués pour frères ; l'horreur ne redoubla-t-elle pas, lorfqu'on Vous vit fouler aux pieds le lien de cette consanguinité facrée ? Vous les avez rapprochés de vous ; & vous allez au loin les acheter ! & vous les vendez ! & vous les revendez comme un vil troupeau de bêtes ! pour repeupler une partie du globe que vous avez dévastée, vous en corrompez & dépeuplez


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une autre. Si la mort est préférable à la fer» vitude, n'êtes-vous pas encore plus inhumains fur les côtes d'Afrique que vous ne l'avez été dans les régions de l'Amérique ? Anglois , François , Espagnols, Hollandois, Portugais, je suppose que je m'entretienne avec un d'entre vous d'un traité conclu entre deux nations civilisées, & que je lui demande quelle est la forte de compenfation qu'elles ont stipulée, dans l'échange qu'elles ont fait ? Qu'imaginera-t-il ? De l'or , des denrées , des privilèges , une ville, une province ; & c'est un nombre plus ou moins grand de leurs femblables que l'on abandonne à l'autre pour en difpofer à fon gré? Mais telle est l'infamie de ce pade dénaturé , qu'il ne fe préfente pas même à la penfée de ceux qui l'ont contracté. Tout annonce que la cour d'Efpagne vafortir de la dépendance où elle étoit des nations étrangères pour des efclaves. C'est l'unique but qu'elle a pu fe propofer en exigeant , en 1778, du Portugal la ceffion de deux de fes isles fur les côtes d'Afrique. Des cultures difficiles , quelques mines d'un genre particulier, ont occupé une partie des efclaves introduits dans le continent


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Espagnol du Nouveau-Monde. Le fervice domestique des gens riches a été la destination du plus grand nombre. Ils n'ont pas tardé à devenir les considens des plaisirs de leurs maîtres ; & ce honteux ministère les a conduits à la liberté. Leurs defcendans fe font alliés, tantôt avec les Européens, tantôt avec les Mexicains, & ont formé la race nombreufe & vigoureufe des mulâtres qui, comme celle des métis, mais deux ou trois générations plus tard, parvient à la couleur & à la considération des blancs. Ceux même d'entre eux qui font encore dans les fers ont pris Un empire décidé fur le malheureux indigène. Us ont dû cette fupériorité à la faveur déplacée que leur accordoit le gouvernement. Par cette raison, les Africains, qui, dans les établissemens des autres nations font les ennemis des blancs, en font devenus les défenseurs dans les Indes Efpagnoles. Mais pourquoi la faveur du gouvernement tomba-t-elle fur l'esclave acheté de préférence à l'esclave conquis ? C'est que l'injure faite à celui-ci étoit plus ancienne & plus grande que l'injure faite au premier ; que Celui-là étoit accoutumé au joug; qu'il falloit


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y accoutumer celui-ci, & que l'esclave d'un maître dont la politique Fa rendu maître d'un esclave, eft entraîné par cette distinction à faire cause avec le tyran commun. Si l'Africain , le défenfeur des blancs dans les Indes Espagnoles, fut par-tout ailleurs leur ennemi ; c'eft que par-tout ailleurs il obéissoit toujours & qu'il ne commandoit jamais ; c'est qu'il n'étoit point confolé de fon rôle par le fpectacle d'un rôle plus malheureux que le lien. Aux Indes Efpagnoles, l'Africain eft alternativement efclave & maître : dans les établisse-

XXIII. Ancienne condition des Indiens, & leur état actuel.

mens des autres nations, il eft efclave du matin au foir. Les Indiens forment la dernière clafte des habitans dans une région qui appartenoit toute entière à leurs ancêtres. L'infortune de ces peuples commença à l'époque même de la découverte. Colomb diftribua d'abord des terres à ceux qui l'accompagnoient & y attacha des naturels du pays en 1499. Cette disposition ne fut pas approuvée par la cour qui, trois ans après, envoya Ovando à SaintDomingue , avec ordre de rendre ces malheureux à la liberté. Ce nouveau commandant , tout barbare qu'il étoit, fe conforma à la


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ta volonté de fes souverains : mais l'indolence des Américains & les murmures des Efpagnols le déterminèrent bientôt à faire rentrer dans les fers ceux qui en étoient fortis & à y en mettre un beaucoup plus grand, nombre* Seulement, il décida que ces efclaves tireroient quelque fruit de leur travail, foit qu'ils fussent employés à la culture des terres -, foit qu'ils le fussent à l'exploitation des mines* Ferdinand & Isabelle confirmèrent, en 1504 , cet. arrangement avec la clause que le falaire feroit réglé par le gouvernement. Les Dominicains, qui venoient de passer dans la colonie -, s'indignèrent d'un ordre de choses qui renversoit tous les principes. Ils réfutèrent, dans le tribunal de la pénitence;, l'absolution aux particuliers qui follicitoient ou même acceptoient ces dons qu'on appelloit indifféremment répartitions ou commanderies ; ils accabloient d'anathêmes, dans la chaire , les ministres ou les promoteurs de ces injustices. Les Cris de ces moines, alors très-révérés, retentirent jufqu'en Europe, où l'usage , qu'ils attaquoient avec tant d'amertume , fut examiné de nouveau, en 1510, & de nouveau confirmé. Tome IF. Y


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Les Indiens trouvèrent, en 1516, dans Las-Cafas un défenfeur plus vif, plus intrépide & plus adif que ceux qui l'avoient précédé. Ses follicitations déterminèrent Ximenès, qui conduisoit alors la monarchie avec tant d'éclat, a faire passer en Amérique trois religieux hiéronimites pour juger une cause deux fois jugée. Les arrêts qu'ils prononcèrent ne furent pas ceux que leur profession faifoit préfumer. Ils fe décidèrent pour les répartitions : mais ils en déclarèrent déchus tous ceux des courtifans & des favoris qui ne résidoient pas dans le Nouveau-Monde. Las-Cafas, que le ministère lui-même avoit déclaré protecteur des Indiens & qui, revêtu de ce titre honorable, avoit accompagné les furintendans , revola en Efpagne pour y vouer à l'indignation publique des hommes d'un état pieux qu'il accufoit d'avoir sacrifié l'humanité à la politique. Il parvint à les faire rappeller, & on leur substitua Figueroa. Ce magistrat prit le parti de réunir dans deux gros villages un allez grand nombre d'Indiens qu'il laissa seuls arbitres de leurs adiohs. L'expérience ne leur fut pas favorable. Le gouvernement conclut de leur stupidité, de


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leur indolence , que les Américains étoient des enfans incapables de fe conduire euxmêmes , & leur condition ne fut pas changée. Cependant, il s'élevoit de toutes parts des voix respectables contre ces dispositions. Les états de Castille eux-mêmes demandèrent, en 1523 , qu'on les annullât. Charles-Quint fe rendit à tant de vœux. Il défendit à Cortès, qui venoit de conquérir le Mexique, de donner des commanderies, & lui enjoignit de les révoquer s'il y en avoit déjà d accordées. Lorsque ces ordres arrivèrent dans la Nouvelle-Espagne, les répartitions y étoient déjà établies comme dans les autres colonies, & les volontés du monarque ne furent pas exécutées. De cette région, de toutes les régions soumises à la Castille, on marquoit fans cesse que jamais il ne s'opéreroit de vrais travaux, des travaux utiles dans le Nouveau-Monde, h les peuples assujettis cessoient d'être un moment à la disposition de leurs vainqueurs. La crainte d'avoir découvé/'- fans fruit un si riche hémifphère faifoit une grande impression fur le ministère : mais aussi n'avoir envahi «ne moitié du globe que pour en jetter les Y 2


HISTOIRE PHILOSOPHIQUE nations dans la servitude , étoit un autre point de vue qui ne laissoit pas d'alarmer quelquefois le gouvernement. Dans cette incertitude, on permettoit, on défendoit au hafard les commanderies. En 1536, l'autorité prit enfin un parti mitoyen qui fut de les autorifer pour deux générations. Quoique accordées feulement pour deux ans, jufqu'à cette époque, elles étoient réellement perpétuelles, parce qu'il étoit fans exemple que ces concessions n'eussent pas été renouvellées. Le roi continua à fe réferver tous les Indiens établis dans les ports ou fixés dans les villes principales. Le protecteur de ces malheureux s'indigne de ces ordonnances. Il parle, il agit, il cite fa nation au tribunal de l'univers entier, il fait frémir d'horreur les deux hémisphères. O Las-Casas ! tu fus plus grand par ton humanité que tous tes compatriotes ensemble par leurs conquêtes. S'il arrivoit, dans les siècles à venir, que les infortunées contrées qu'ils ont envahies fe repeuplâssent & qu'il y eût des loix , des mœurs, de la justice, de la liberté, la première statue qu'on y élèveroit feroit la tienne. On te verroit t'inter340


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pofer entre l'Américain & l'Espagnol, & présenter , pour fauver l'un, ta poitrine au poignard de l'autre. On liroit fur le pied de ce monument : DANS UN SIÈCLE DE FÉROCITÉ , LAS-CASAS , QUE TU VOIS, FUT UN HOMME BIENFAISANT. En attendant, ton nom reliera gravé dans toutes les ames sensibles ; & lorsque tes compatriotes rougiront de la barbarie de leurs prétendus héros, ils fe glorifieront de tes vertus. Puissent ces tems heureux «'être pas aussi éloignés que je l'appréhende ! Charles-Quint , éclairé par fes propres réflexions ou entraîné par l'éloquence impétueuse de Las-Casas, ordonne, en 1542,que toutes les commanderies qui viendront à Vaquer foient indistinctement réunies à la couronne. Ce statut est fans force au Mexique & dans le Pérou, il allume une guerre sanglante & opiniâtre. On est réduit à l'annuller trois ans après : mais l'autorité fe trouve assez folidement établie, en 1549, pour oser braver les murmures, pour n'être plus arrêtée par la crainte des soulèvemens. A cette époque, la loi décharge les Indiens, de tout fervice perfonnel, & règle le tribut qu'ils feront obligés de payer à leurs cornY 3


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mandeurs. Elle défend à ces maîtres , jufqu' alors fi oppresseurs, de résider dans l'étendue de leur jurisdiction & d'y coucher plus d'une nuit. Elle leur défend d'y- avoir une habitation & d'y lai (Ter leur famille. Elle leur défend d'y posséder des terres, d'y faire élever des troupeaux, d'y former des atteliers. Elle leur défend de fe mêler des mariages de leurs vassaux & d'en prendre aucun à leur fervice. L'homme chargé de percevoir leurs droits doit avoir l' attache du magistrat & donner caution pour les vexations qu'il fe pourroit permettre. La taxe imposée aux naturels du pays pour faire subsister les conquérans avec quelque dignité, n'est pas même une faveur purement gratuite. Ces maîtres orgueilleux font obligés de réunir leurs fujets dans une bourgade , de leur bâtir une églife , de payer le ministre chargé de leur instruction. Ils font obligés d'établir leur domicile dans la ville principale de la province où est située leur répartition, & d avoir toujours des chevaux & des armes en état de repousser l'ennemi, foit étranger, foit domestique. Il ne leur est permis de s'absenter qu'après s'être fait remplacer par un foldat agréé du gouvernement.


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Ces réglemens n'éprouvèrent aucune altération remarquable jufqu'en 1568. Alors on décida que les commanderies , qui depuis trente-deux ans étoient concédées pour deux vies , continueroient à être données de la même manière ; mais que celles dont le revenu excéderait 10,800 livres feraient grévées de pendons. Toutes devoient, à l'avenir, être affichées lorfqu elles deviendraient vacantes &, a mérite égal, être distribuées de préférence aux héritiers des conquérans, & enfuite aux descendans des premiers colons. La cour s'appercevant que la faveur décidoit plus fouvent de ces récompenfes que les talens ou l'ancienneté , voulut , en 1608 , qu'elles fussent nulles, fi elle ne confirmoit dans fix ans pour le Pérou & dans cinq ans pour le reste de l'Amérique les grâces accordées par les vices-rois. Cependant le commandeur ^entrait en jouissance aussi-tôt qu'il étoit nommé. On exigeoit feulement qu'il assurât la restitution des Tommes qu'il auroit touchées , fi le choix qu'on avoit fait de lui n'étoit pas ratifié dans le tems prescrit par les ordonnances. Au commencement du dernier siècle, le Y 4


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gouvernement s'appropria le tiers du revenu des commanderies. Peu après, il le prit entier dans la première année , & ne tarda pas a défendre à fes délégués de remplir celles qui deviendroient vacantes. Elles furent enfin toutes fupprimées , en 1720 , à l'exception de celles qu'on avoit données à perpétuité àCortès & à quelques hôpitaux ou communautés religieuses. A cette époque fi remarquable dans les annales du Nouveau-Monde, les Indiens ne furent plus dépendans que de la couronne. Cette administration fut-elle la meilleure qu'il fût possible d'adopter pour l'intérêt del'Efpagne &le bonheur de l'autre hémifphère ? Qui le fait ? Dans la solution d'un problême où fe compliquent les droits de la justice ; le sentiment de l'humanité; les vues particulières des ministres ; l'empire de la circonstance; l'ambition des grands; la rapacité des favoris ; les fpéculations des hommes a projets ; l'autorité du facerdoce ; l'impulsion des mœurs & des préjugés ; le caractère des sujets éloignés ; la nature du climat, du fol & des travaux; la distance des lieux ; la lenteur & le mépris des ordres fouverains; la tyrannie-


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des gouverneurs ; l'impunité des forfaits ; l'incertitude & des relations & des délations, & de tant d'autres élémens divers : doit-onêtre furpris de la longue perplexité de la cour de Madrid ; lorsqu'au centre des nations Européennes, aux pieds des trônes, fous les yeux des administrateurs de l'état, les abus subsistent & s'accroissent souvent par des opérations abfurdes ? Alors on prit l' homme, dont on étoit entouré , pour le modèle de l'homme lointain , & l' on imagina que la législation qui convenoit a l' un convenoit également à l'autre. Dans.des tems antérieurs, & peut-être même encore aujourd'hui, confondons-nous deux êtres fépares par des différences immentes, l'homme fauvage & l' homme policé ; l'homme né dans les bras de la liberté & l'homme né dans les langes de l'esclavage. L'aversion de l'homme fauvage pour nos cites n'ait de la mal-adresse avec laquelle nous sommes entrés dans la forêt. Maintenant, les Indiens qu'on n'a pas fixés dans les villes, font tous reunis dans des bourgades qu'il ne leur est pas permis de quitter, & où ils forment des assemblées municipales, présidées par leur cacique. A chacun de ces.


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villages est attaché un territoire plus ou moinsétendu, selon la nature du fol & le nombre (des habitans. Une partie est cultivée en commun pour les befoins publics , & le refte diftribué aux familles pour leurs nécessités particulières. La loi a voulu que ce domaine fût inaliénable. Elle permet cependant de tems en tems d'en détacher quelques portions en faveur des Espagnols , mais toujours avec l'obligation d'une redevance annuelle dirigée au profit des vendeurs fous l'inspection du gouvernement. Aucune institution n'empêche les Indiens d'avoir des champs en propre : mais rarement ont-ils le pouvoir ou la volonté de faire des acquifitions. Comme l'opprobre brife tous les reftorts de l'ame, un des principes de cette pauvreté, de ce découragement, doit être l'obligation impofée à ces malheureux de . faire seuls par corvée les travaux publics. Sont-ils payés de ce travail humiliant ? La loi l'ordonne. De quelle diftance peut-on les tirer ? combien de tems peut-on les retenir? cela dépend du gouvernement local. Un autre devoir des Indiens, c'eft d'être à la difpofition de tous les citoyens : mais


347 DES deux INDES. uniquement pour les atteliers& les cultures de nécessité première : mais à tour de rôle : mais pour dix-huit jours de suite feulement : mais pour un salaire prefcrit par les. ordonnances. Une obligation plus onéreuse encore, c'est celle d'exploiter les minés. Les administrateurs en étoient originairement les seuls arbitres. Des statuts qui varièrent fouvent, la réglèrent dans la fuite. Au tems où nous écrivons , on n'appelle aux mines , à l'exception de celles de Guanca-Velica & de Potosi qui ont des privilèges particuliers, que les Indiens qui ne font pas éloignés de plus de trente milles ; on leur donne quatre réaux ou cinquante-quatre sols par jour ; on ne les retient que six mois , & l'on n'y occupe que la feptième partie d'une peuplade au Pérou, & la vingt-cinquième au Mexique. Souvent même, il y en a un moindre nombre ; parce que le libertinage , la cupidité, l'espoir du vol, d'autres motifs peut-être, y attirent librement un grand nombre de métis , de mulâtres & d'indigènes. Un tribut que les Indiens mâles , depuis dix-huit jusqu'à cinquante ans, doivent au gouvernement, met le comble à tant de


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calamités. Cette taxe, qui s'acquittoit originairement en denrées , n'est point par-tout la même. Elle eft de 8, de 1 5 , de 20, de 30, même de 40 livres, selon les époques où , à la demande des contribuables , elle fut convertie en métaux. L'usage où étoit le fisc d'exiger toujours en argent la valeur des productions , dont le prix varioit avec les lieux & avec les tems , introduisit ces difproportions plus grandes & par conféquent plus destructives dans l'Amérique Méridionale que dans la Septentrionale, où la capitation eft aftez généralement de 9 réaux ou de 6 livres I sol 6 deniers. Le quart de cette imposition eft distribué au pafteur , au cacique , à l'Efpagnol chargé dans chaque province d'empêcher l'oppression des Indiens, ou mis en réferve pour fecourir la communauté dans fes revers. Telle eft la condition légale des Indiens : mais qui pourroit dire ce que les injustices particulières doivent ajouter de poids à un fardeau déjà trop pefant ? Celle de ces vexations qui a le plus fixé l'attention du gouvernement, eft venue de ce qu'on appelle alcade au" Mexique & corrégidor au Pérou,


INDES. 349 chargé, fous l'inspection C'est un magistrat du vice-roi ou des tribunaux, de la justice, de la finance, de la guerre , de la police DES

DEUX

de tout ce qui peut intéresser l'ordre public dans un efpace de trente , de quarante , de cinquante lieues. Quoique la loi lui défendît , comme aux autres dépositaires de l'autorité , d'entreprendre aucun commerce , il s'empara, dès les premiers tems, de tout celui qu'il étoit possible, de faire avec les Indiens fournis à fa jurisdiction. Comme fa commission ne devoit durer que cinq ans , il livroit prefqu'en arrivant les marchandifes qu'il avoit à vendre , & employoit aux recouvremens le reste de fon exercice. L'oppression devint générale. Les malheureux indigènes furent toujours écrafés par l'énortnité des prix , & fouvent par l'obligation de prendre des effets qui leur étoient inutiles , mais que le tyran avoit été lui-même quelquefois réduit à recevoir des négocians qui lui accordoient un crédit long & dangereux. On refufoit tout ou prefque tout aux pauvres, & l'on furchargeoit ceux qui jouisfoient de quelque aifance. Aux échéances, les paiemens étoient exigés avec une sévérité


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HISTOIRE PHILOSOPHIQUE

barbare par un créancier, à la fois juge & partie ; & les peines les plus graves décernées contre les débiteurs qui manquoient aux engagemens libres ou forcés qu'ils avoient pris. Ces atrocités , plus criantes & plus communes dans l'Amérique Méridionale que dans la Septentrionale, affligeoient vivement les chefs humains & justes. Ils croyoient pourtant devoir les tolérer, dans la persuasion où l'on étoit généralement que si la chaîne qui existoit étoit une fois rompue , des peuples indolens & fans prévoyance ma'nqueroient de vêtemens , d'instrumens d'agriculture , de bestiaux nécessaires pour tous les travaux , & tomberoient, fans délai , dans une inaction & une misère extrêmes. Quelques hommes fages travaillèrent à rapprocher des intérêts fi oppofés. Aucune de leurs idées ne fut jugée praticable. Un moyen sûr de diminuer le désordre auroit été d'accorder un meilleur traitement aux magistrats qui alloient chercher dans l'autre hémifphère une fortune que leur pays natal leur refufoit : mais le ministère fe refufa toujours à cette augmentation de dépense. Depuis 1751, les


DEUX INDES, 351 font corrégidors obligés d'affialcades & les cher dans le lieu de leur résidence , les marchandilés qu'ils ont à vendre , & le prix qu'ils y veulent mettre. S'ils s'écartent de ce tarif, approuvé par leurs fupérieurs , ils doivent perdre leur place & restituer le quadruple de ce qu'ils ont volé. Ce règlement, qui s'obferve assez exactement, a un peu diminué les déprédations. Il falloit un gouvernement aux différens XXIV. Gouvernepeuples dont nous venons de parler. La ment civil cour de Madrid donna la préférence au plus établi par l'Espagne abfolu. Les monarques Efpagnols concen- dans le trèrent dans leurs mains tous les droits, tous Nouveaules pouvoirs , & en confièrent l'exercice a Monde. deux délégués , qui, fous le nom de vicerois , devoient jouir, tout le teins de leur commission, des prérogatives de la souveraineté. On les entoura même dans leurs fonctions publiques & jufque dans leur vie privée , d'une repréfentation qui parut propre à augmenter le respect & la terreur que le commandement devoit infpirer. Le nombre de ces places éminentes fut doublé depuis , fans qu'il arrivât jamais la moindre altération dans leur dignité. Cependant leur DES


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Conduite , comme celle de tous les agens inférieurs , fut foumife à la cenfure du conSeil des Indes, tribunal érigé en Europe pour régir , fous l'inspection du monarque , les provinces conquifes dans le Nouveau-Monde. Dans ces contrées éloignées furent fuccessivement établies dix cours de justice , chargées d'assurer la tranquillité des citoyens & de terminer les différends qui s'élèveroient entre eux. . Ces tribunaux , connus fous le nom d'audiences , prononcèrent définitivement fur les matières criminelles : mais les procès purement civils qui s'élevoient audessus de 10,156 piastres ou de 54,843 liv; pouvoient être portés, par appel , au confeil des Indes. La prérogative accordée à ces grands corps de faire des remontrances aux dépositaires de l'autorité royale , & la prérogative plus considérable encore attribuée à ceux des capitales, de remplir les fonctions des vice-royautés lorsqu'elles étoient vacantes : ces droits les élevèrent tous à un degré d'importance qu'ils n'auroient pas obtenu comme magistrats. XXV. Le régime ecclésiastique paroiffoit plus Quel est difficile à régler. A l'époque où le Nouveaule régime Monde


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■Monde fut découvert , un voile, tissu ou épaissi par les préjugés que la cour de Rome n'avoit jamais celle de semer, tantôt ouvertement & tantôt avec adresse , couvroit de ténèbres l'Europe entière. Ces superstitions étoient plus profondes & plus générales en Espagne, où, depuis fi long-tems , on haïssoit, on combattoit les infidèles. Les souvetains de cette nation devoient naturellement établir au-delà dès mers les mauvais principes des pontifes qui leur donnoient un autre hémisphère. Il n'en, fut pas ainsi Ces princes plus éclairés , ce semble, que leur siècle ne le comportoit , arrachèrent au chef de la chrétienté la collation de tous les bénéfices, les dixmes même que les prêtres avoient partout envahies. Malheureusement, la sagesse qui avoit dicté leur systême ne passa pas à leurs successeurs. Ils fondèrent ou permirent qu'on fondât trop d'évêchés. Des temples fans nombre s'élevèrent. Les couvens des deux fexes fe multiplièrent au-delà de tous les excès» Le célibat devint la passion dominante dans un pays désert. Des métaux qui devoient féconder la terre fe perdirent dans les églifes. Malgré fa corruption & fon ignoZ Tome IF«

ecclésiastique suivi en Amérique î


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HISTOIRE PHILOSOPHIQUE

rance, le clergé fe fit rendre la plus grande partie de ces tyranniques dixmes qui avoient été arrachées à son avarice. L'Amérique paroissoit n'avoir été conquife que pour lui. Cependant les pasteurs subalternes, ces curés, ailleurs fi tendres & fi respectables , ne fe trouvoient pas assez opulens. L'Indien qu'ils étoient chargés d'instruire & de confoler, n'osoit fe préfenter à eux fans quelque préfent. Ils lui laissoient celles de fes anciennes superstitions qui lui étoient utiles , comme la coutume de porter beaucoup de vivres fur le tombeau des morts. Ils mettoient un prix exorbitant à leurs fonctions, & avoient toujours des inventions pieuses qui leur donnoient occafion d'exercer de nouveaux droits. Une pareille conduite avoit rendu leurs dogmes généralement odieux. Ces peuples alloient à la messe comme à la corvée , détestant les barbares étrangers qui entassoient fur leurs corps & fur leurs ames des fardeaux également pefans. Le fcandale étoit public & presque général. Le clergé féculier & régulier , qui, l'un & l'autre rémplissoient le même ministère , s'accufoient mutuellement de ces vexations. *


355 Les premiers peignoient leurs rivaux comme des vagabonds qui s'étoient dérobes a la furveillance de leurs supérieurs, pour être impunément libertins. Les féconds vouloient que les autres manquâssènt de lumières ou d'activité, & ne fussent occupés que de l'élévation de leur famille. Nous avouerons avec répugnance , mais nous avouerons, que des deux côtés les reproches étoient fondés. La cour fut long-tems agitée par les intrigues fans cesse renaissantes des deux cabales. Enfin elle arrêta, en 1757, que les moines mourroient dans les bénéfices qu'ils occupoient, mais qu'ils ne feroient pas remplacés par des hommes de leur état. Cette décifion qui fait rentrer les chofes dans leur ordre naturel, aura vraisemblablement des fuites favorables. C'étoit beaucoup d'avoir monté , dès les XXVI. fait premiers tems, tous.les grands ressorts de la Partage au tems de nouvelle domination. Il restoit à régler le la conquête fort de ceux qui devoient y vivre. Le fou- des terres du Nouverain , qui fe croyoit maître légitime de veau-Montoutes les terres de l'Amérique, & par droit de. Comment on les de conquête & par la concession des papes, acquiert en fit d'abord distribuer à ceux de fes soldats maintenant. Z 2 DES

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qui avoient combattu dans ce Nouveau* Monde. Le fantassin reçut cent pieds de long SE cinquante de large pour fes bâtimens ; mille huit cens quatre-vingt-cinq toifes pour fou jardin ; fept mille cinq cens quarante-trois pour fon verger; quatre-vingt-quatorze mille deux cens quatre-vingt-huit pour la culture des grains d'Europe, & neuf mille quatre cens vingt-huit pour celle du bled d'inde; toute l'étendue qu'il falloit pour élever dix porcs , vingt chèvres , cent moutons, vingt bêtes à corne & cinq chevaux. La loi donnoit au cavalier un double efpace pour fes bâtimens , & le quintuple pour tout le reste. Bientôt on construisit des villes. Ces établissemens ne furent pas abandonnés au caprice de ceux qui vouloient les peupler. Les ordonnances exigeoient un site agréable • un air falubre , un fol fertile , des eaux abondantes. Elles régloient la polition des temples , la direction des rues , l'étendue des places publiques. C'étoit ordinairement un particulier riche & actif qui fe chargeoit de ces entreprifes , après qu'elles avoient obtenu la fanction du gouvernement. Si tout


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n'étoit pas fini au tems convenu, il perdoit fes avances , & devoit encore au fifc 5400 1. Ses autres devoirs étoient de trouver un pasteur pour son église, & de lui fournir ce qu'exigeoit la décence d'un culte régulier^ de réunir au moins trente habitans Espagnols, dont chacun auroit dix vaches, quatre bœufs, une jument , une truie , vingt brebis, un coq & six poules. Lorfque ces conditions étoient remplies, on lui accordoit la jurisdiction civile & criminelle en première inftance pour deux générations, la nomination des officiers municipaux, & quatre lieues quarrées de terrein. L'emplacement de la cité, les communes, l'entrepreneur abforboient une portion de ce vaste efpace. Le relie étoit partagé en portions égales qu'on droit au fort & dont aucune ne pouvoit être aliénée qu'après cinq ans d'exploitation. Chaque citoyen devoit avoir autant de lots qu'il auroit de maifons : mais fa propriété ne pouvoit jamais excéder ce que Ferdinand avoit originairement accordé dans Saint-Domingue pour trois cavaliers. Par la loi, ceux qui avoient des possessions dans les villes déjà fondées, étoient exclus Z %


358 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE des nouveaux établissemens : mais cette rigueur ne s'étendoit pas jufqu'à leurs enfans. Il étoit permis à tous les Indiens qui n'étoient pas retenus ailleurs par des liens indissolubles, de s'y fixer comme domestiques, comme artifàns ou comme laboureurs. Indépendamment des terres que des conventions arrêtées avec la cour assuroient aux troupes & aux fondateurs des villes, les chefs des diverfes colonies étoient autorifés à en distribuer aux Efpagnols qui voudroient fe fixer dans le nouvel hémisphère. Cette grande prérogative leur fut ôtée en 1591. Philippe II, que fon ambition engageoit dans des guerres continuelles & que fon opiniâtreté rendoit interminables , ne pouvoit suffire à tant de dépenfes. La vente des champs d'Amérique, qui avoient été donnés jufqu'à cette époque, fut une des ressources qu'il imagina. Sa loi eut même un effet en quelque forte rétroactif, puifqu'elle ordonnoit la confifcation de tout ce qui feroit possedé fans titre légitime , à moins que les ufurpateurs ne consentîssent à fe racheter. Une disposition fi utile , réellement ou en apparence , au fisc, ne souffrit de modification


DES deux INDES. 359 dans aucune période , & n'en éprouve pas encore. Mais il étoit plus aifé d'accorder gratuitement ou de céder à vil prix des terreins à quelques aventuriers, que de les engager à en folliciter la fertilité. Ce genre de travail fut méprifé par les premiers Efpagnols que leur avidité conduisit aux Indes. La voie lente, pénible & dispendieuse de la culture ne pouvoit guère tenter des hommes à qui l'espoir d'une fortune facile , brillante & rapide faifoit braver les vagues d'un océan inconnu , les dangers de tous les genres qui les attendoient fur des côtes mal-faines & barbares. Ils étoient pressés de jouir, & le plus court moyen d'y parvenir étoit de fe jetter fur les métaux. Un gouvernement éclairé auroit travaillé à rectifier les idées de ses fujets , & à donner, autant qu'il eût été possible , une autre pente à leur ambition. Ce fut tout le contraire qui arriva. L'erreur des particuliers devint la politique du ministère. Il fut allez aveugle pour préférer des tréfors de pure convention, dont la quantité ne pouvoit pas manquer de diminuer & qui chaque jour devoient perdre de leur prix Z 4


XXVII. Réglemens faits à diverses époques , pour l'exploitation des mines.

360 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE imaginaire, à des richesses fans cesse renaisfantes & dont la valeur devoir augmentes graduellement dans tous les tems. Cette illusion des conquérans & des monarques jetta l'état hors des routes de fa profpérité , & forma les mœurs en Amérique. On n'y fit cas que de l'or , que de l'argent accumulés par la rapine, par l'oppression & par l'exploitation des mines. Dans les premiers tems de la conquête , il fut décidé que les mines appartiendroient à celui qui les découvriroit, pourvu qu'il les fît enregistrer au tribunal le plus voisin. Le gouvernement eut d'abord l'imprudence de faire fouiller pour fon compte la portion de ce riche terrein qu'il s'étoit réfervé : mais il ne tarda pas à revenir d'une erreur fi ruineufe , & il contraria l'habitude de la céder au maître du reste pour une somme infiniment modique. Si, ce qui n'arriva presque jamais, ces tréfors fe trouvoient dans des campagnes, cultivées , l'entrepreneur devoit acheter l'espace dont il avoit befoin ou donner le centième des métaux. Sur d'arides montagnes, le propriétaire étoit plus que suffisamment dédommagé du très-petit tort qu'on fui faisoit,


INDES. 361 qu'une activité nouvelle par la valeur donnoit aux produirions récoltées dans le voisinage. De toute antiquité les mines, de quelque nature qu'elles fussent, livroient au fisc, en Efpagne , le cinquième de leur produit. Cet ufage fut porté au Nouveau-Monde : mais avec le tems, le gouvernement fut obligé de fe réduire au dixième pour l'or, & même en 1735 pour l'argent au Pérou. Il lui fallut aussi bailler généralement le prix du mercure. Jufqu'en 1761, cet agent nécessaire avoit été vendu 432 livres le quintal. A cette époque, il ne coûta plus que 324 livres ou même 216 livres pour les mines peu abondantes ou d'une exploitation trop difpendieufe. Tout porte à penfer que la cour d'Efpagne fera obligée , un peu plutôt , un peu plus tard, à de nouveaux sacrifices. A mesure que les métaux fe multiplient dans le commerce , ils ont moins de valeur, ils repréfentent moins de marchandises. Cet avilissement doit faire un jour négliger les meilleures mines comme il a fait abandonner successivement les médiocres, à moins qu'on n'allège encore le fardeau de ceux qui les exploitent, DES

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XXVIII. Impôts établis dans l'Amérique Espagnole.

362 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE Le tems n'est peut-être pas éloigné où il faudra que le ministère Efpagnol fe contente des deux réaux ou I 1. 7 s. qu'il perçoit par tnarc pour la marque ou pour la fabrication. Ce qui pourroit donner un grand poids à ces conjectures, c'est qu'il n'y a plus guère que des hommes dont les affaires font douteufes ou délabrées qui entrent dans la carrière des mines. S'il arrive quelquefois qu'une avidité fans bornes y pouffe un riche négociant , c'est toujours fous le voile d'un my ftère impénétrable. Ce hardi fpéculateur peut bien confentir à expofer fa fortune, mais jamais fon nom. Il n'ignore pas que st fes engagemens étoient connus, fa réputation & fon crédit seroient perdus fans reffource. Ce n'est que lorfque le fuccès le plus éclatant a couronné fa témérité , qu'il ofe avouer les rifques qu'il avoit courus. Lorfque le gouvernement fera forcé de renoncer à ce qu'il perçoit encore de droits fur les métaux , il lui reftera de grandes reffources pour fes dépenfes de fouveraineté. La principale auroit dû être la dixme que Ferdinand s'étoit fût céder par la cour de Rome : mais Charles-Quint, par des motifs


363 s'en dépouilla qu'il n'est pas aile de deviner, chapitres , pour pour les pour les évêques, les curés, pour les hôpitaux, pour la conftruction des temples, pour des hommes & des établissemens déjà trop riches ou qui ne tardèrent pas à le devenir. A peine ce prince en transmit-il la neuvième partie à les fuccesseurs. Il fallut qu'un tribut arraché aux Indiens remplît un vuide fait fi inconsidérément au tréfor public. Les classes fupérieures de la fociété ne furent pas plus ménagées. Tout le Nouveau-Monde fut assujetti à l'alDES

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cavala. C'est un droit levé feulement fur tout ce qui fe vend en gros & qui ne s'étend pas aux confommations journalières. Il vient originairement des Maures. Les Efpagnols l'adoptèrent en 1341 & l'établirent à raifon de cinq pour cent. Il fut porté dans la fuite à' dix & pouffé même à quatorze : mais en 1750, il fut fait des arrangemens qui le ramenèrent à ce qu'il avoit été dans les premiers tems. Philippe II, après le désastre de cette flotte fi connue fous le titre fastueux d'invincible , fut déterminé, en 1591 , par fes befoins , à exiger ce fecours de toutes fes


364 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE possessions d'Amérique. Il ne fut d'abord que de deux pour cent. En 1627 , il monta à quatre. Le papier timbré , ce moyen sagement imaginé pour assurer la fortune des citoyens & qui est devenu par-tout un des principes de leur ruine dans les mains du fisc, le papier timbré fut introduit en 1641 dans toutes les provinces Efpagnoles du Nouveau-Monde. Le monopole du tabac commença à affliger le Pérou en 1752, le Mexique en 1754, & dans l'intervalle de ces deux époques toutes les parties de l'autre hémisphère dépendantes de la Castille. Dans des tems divers, la couronne s'appropria , dans le Nouveau-Monde comme dans l'ancien, le monopole de la poudre , du plomb & des cartes. Cependant le plus étrange des impôts est la croifade. Il prit naissance dans les siècles de folie & de fanatifme où des millions d'Européens alloient fe faire assommer dans l'orient pour le recouvrement de la Palestine. La cour de Rome le ressuscita en faveur de Ferdinand qui, en 1509, vouloit faire la guerre aux Maures d'Afrique, Il existe encore


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en Espagne où il n'eft jamais au-dessous de 12 fols 6 deniers, ni au-dessus de 4 livres. On le pai'e plus chèrement dans le Nouveau, Monde , où il n'est perçu que tous les deux ans & où il s'élève depuis 35 f. jusqu'à 13 1. félon le rang & la fortune des citoyens. Pour cet argent, les peuples obtiennent la liberté de fe faire abfoudre par leurs confesseurs des crimes réfervés au pape & aux évêques ; le droit d'ufer dans les jours d'abstinence de quelques nourritures prohibées ; une foule d'indulgence pour des péchés déjà commis ou pour ceux qu'on pourrait commettre. Le gouvernement n'oblige pas strictement fes fujets à prendre cette bulle : mais les prêtres refuferoient les consolations de la religion à ceux qui la négligeraient ou la dédaigneroient ; & il n'y a pas peut-être dans toute l'Amérique Efpagnole un homme affez hardi ou assez éclairé pour braver cette cenfure ecclésiastique. Je ne m'adresserai donc pas à des peuples imbécilles qu'on exhorterait inutilement à fecouer le double joug fous lequel ils fe tiennent courbés ; & je ne leur dirai point : Quoi ! vous ne concevez pas que la provi-


366 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE dence qui veille à votre confervation , en vous préfentant des alimens qui vous font propres & en perpétuant fans interruption le befoin que vous en avez, vous en permet un libre ufage : que fi le ciel fe courrouçoit lorfque vous en mangez dans un tems prohibé , il n'y a fur la terre aucune autorité qui put vous difpenfer de lui obéir : qu'on abufe de votre stupide crédulité, &que par un trafic infâme , un être qui n'efi: pas plus que vous, une créature qui n'est rien aux yeux de fon maître & du vôtre , s'arroge le droit de vous commander en fon nom ou de vous affranchir de fes ordres pour une pièce d'argent. Cette pièce d'argent , la prend-il pour lui ou la donne-t-il à fon Dieu? Son Dieu est-il indigent ? Vit-il de ressources ? Thésaurise-t-il ? Que s'il est dans une autre vie un juge rémunérateur des vertus & vengeur des crimes, ni l'or que vous avez donné , ni les pardons que vous aurez acquis avec cet or ne feront pas incliner fa balance.Que fi fa justice vénale fe laissoit corrompre, il seroit aussi vil, auffi méprisable que ceux qui fiègent dans vos tribunaux. Que fi fon repréfentant avoit pour lui-même le pouvoir qu'il vous a perfuadé


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«qu'il avoit pour vous , il feroit impunément le plus méchant des hommes, puisqu'il n'yauroit aucun forfait dont il ne possédât l'abfolution. Je ne m'adresserai pas non plus aux minières subalternes de ce chef orgueilleux, parce qu'ils ont un intérêt commun avec lui, & qu'au lieu de me répondre, ils allumeroient un bûcher fous mes pieds. Mais je m'adrefferai à ce chef & à tout le corps qu'il préside, & je lui dirai : Renoncez, il en est tems, renoncez à cet indigne monopole qui vous dégrade & qui déshonore & le dieu que vous prêchez, & le culte que vous professez. Simplifiez votre doctrine. Purgez-la d'abfurdités. Abandonnez de bonne grâce tous ces polies où vous ferez forcés. Le monde est trop éclairé pour fe repaître plus long-tems d'incompréhensibilités qui répugnent à la raison, ou pour donner dans des menfonges merveilleux qui, communs à toutes les religions , ne prouvent pour aucune. Revenez à une morale praticable & fociale. Passez de la réforme de votre théologie à celle de vos moeurs. Puifque vous jouissez des prérogatives de la fociété , partagez-en le fardeau. N'objectez plus vos


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immunités aux tentatives d'un ministère équitable qui fe propoferoit de vous ramener à la condition générale des citoyens. Votre intolérance & les voies odieufes par lesquelles vous avez acquis & vous entassez encore richesse fur richeffe , ont fait plus de mal à vos opinions que tous les raifonnemens de l'incrédulité. Si vous eussiez été les pacificateurs des troubles publics & domestiques, les avocats du pauvre, les appuis du perfécuté , les médiateurs entre l'époux & répoule, entre les pères & les enfans , entre les citoyens, les organes de la loi, les amis du trône , les coopérateurs du magistrat: quelque abfurdes qu'enflent été vos dogmes» on fe feroit tu. Personne n'eût ofé attaquer une claffe d'hommes fi utiles & fi respectables. Vous avez divifé l'Europe pour des futilités. Toutes les contrées ont fumé de fang , & pourquoi ? On rougit à préfent d'y penser. Voulez-vous restituer à votre ministère fa dignité ? Soyez humbles , foyez indulgens » soyez même pauvres, s'il le faut. Votre fondateur le fut. Ses apôtres, fes difciples » les difciples de ceux-ci qui convertirent tout le monde connu , le furent aussi. Ne soyez,


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soyez, ni charlatans, ni hypocrites, ni simoniaques ou marchands de chofes que vous donnez pour faintes. Tâchez de redevenir prêtres , c'est-à-dire les envoyés du TrèsHaut , pour prêcher aux hommes les vertus, & pour leur en montrer des exemples. Et Vous, pontife de Rome, ne vous appeliez plus le serviteur des ferviteurs de Dieu , ou soyez-le. Songez que le siècle de vos bulles » de vos indulgences, de vos pardons, de vos dispenses est passé. C'est inutilement que vous Voudriez vendre le Saint-Esprit, fi Ton ne veut plus l'acheter. Votre revenu fpirituel va toujours en diminuant; il faut qu'un peu plutôt, un peu plus tard il fe réduife à rien. Quels que foient les subsides , les nations qui les paient, tendent naturellement à s'en délivrer. Le prétexte le plus léger leur suffit. Puifque de pêcheur, vous vous êtes fait prince temporel, devenez comme tous les bons fouverains le promoteur de l'agriculture , des arts, des manufactures , du commerce , de la population. Alors, vous n'aurez plus befoin d'un trafic qui fcàndalife. Vous restituerez aux travaux de l'homme les jours précieux que vous leur dérobez, & vous & a TOME IV.


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recouvrerez notre vénération que vous avez perdue. Les finances du continent Efpagnol de l'autre hémisphère furent long-tems & trèslong-tems une énigme pour le ministère même. Ce cahos fut un peu débrouillé par M. de la Enfenada. Chacune des 'douze années de fort heureufe adminiftration , la couronne retira de ces régions , ou des droits qu'elle percevoit au départ & au retour des flottes, 17,719,448 livres 12 fols. Depuis, cette ressource du gouvernement s'est beaucoup accrue , & par l'importance des nouvelles taxes, & par la févérité qui a été employée dans la perception des anciennes. Aujourd'hui le revenu public du Mexique s'élève à 54,000,0001. ; celui du Pérou à 27,000,000 1. celui du Guatimala, du nouveau royaume, du Chili & du Paraguay à 9,100,000 livres. C'est en tout 90,100,000 liv. Les dépenfes locales abforbent 56,700,000 livres. Il reste donc pour le fisc 34,500,000 liv. Ajoutez à cette somme 20,584,450 liv. qu'il perçoit en Europe même fur tous les objets envoyés aux colonies ou qui en arrivent ; & vous trouverez que la cour de Madrid tire annuel-


371 lement 55,084,450 liv. de fes provinces du Nouveau-Monde. Cependant toutes ces richesses n'entrent pas dans les caiffes royales de la métropole. Une partie est employée dans les idesEfpagnoles de l'Amérique, pour des dépenfes de fouveraineté , & pour la construction des vaisseaux ou pour l'achat du DES

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tabac. A peine l'Efpagne avoit découvert cet autre hémisphère , qu'elle eut l'idée d'un systême inconnu aux peuples de l'antiquité, & que les nations modernes ont depuis adopté, celui de s'assurer de toutes les produirions de fes colonies & de leur approvisionnement entier. Dans cette vue , on ne le contenta pas d'interdire à ces nouveaux établiffemens , fous des peines capitales, toute liaifon étrangère ; le gouvernement pouffa la rigueur jufqu'à rendre toute communication entre eux impraticable, jufqu'à leur défendre d'envoyer aucun de leurs navires dans le lieu de leur origine. Cet esprit de jalousie fe manifesta dans la métropole même. Il y fut d'abord permis , à la vérité, de partir de différons ports : mais les retours devoient tous fe faire à Séville. Les richesses que cette Aa 2

XXIX. Principes destructeurs fur lesquels l'Efpagne fonda d'abord ses liaifons avec le NouveauMonde.


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préférence accumula dans le fein de cette ville , la mirent bientôt en état d'obtenir que les bâtimens feroient expédiés de fa rade, comme ils devoient y revenir. La rivière qui baigne fes murs ne fe trouvant pas suffisante dans la fuite pour recevoir des vaisseaux qui, peu-à-peu , avoient acquis de la grandeur, ce fut la presqu'isle de Cadix qui devint l'entrepôt général. Il fut défendu à tous les négocians étrangers , fixés dans ce port devenu célèbre , de prendre part directement à un commerce fi lucratif. En vain ils repréfentèrent que, consommant les denrées du royaume , payant les impofitions , encourageant l'agriculture, l'industrie , la navigation, ils devoient être regardés comme citoyens. Ces raifons ne furent jamais fendes dans une cour où la coutume étoit la loi suprême. Il fallut toujours que ces hommes riches, actifs, éclairés, qui foutinrent seuls pendant long-tems les liaifons de l'ancien & du Nouveau-Monde , couvrissent, avec plus de dégoûts & d'embarras qu'on ne le croiroit, leurs moindres opérations d'un nom Efpagnol. La liberté de faire des expéditions pour


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les grands établissemens qui fe formoient de toutes parts dans l'autre hémisphère , fut très" limitée pour les naturels du pays eux-mêmes" Le gouvernement prit le parti de régler tous les ans le nombre des bâtimens qu'il conVenoit d'envoyer, & le tems de leur départ. Il entra dans fa politique de rendre ces voyages rares, & la permission d'équiper un navire devint une faveur très-signalée. Pour l'arracher , on remplissoit d'intrigues la capitale de l'empire , & on entretenoit la corruption dans tous les bureaux. Sous prétexte de prévenir les fraudes, d'établir un ordre invariable , de procurer une fureté entière à des vaisseaux richement chargés, on multiplia tellement les lenteurs, les visites , les inquisitions , les équipages ? les formalités de tous les genres, en Europe & en Amérique, que les faux-frais doublèrent la valeur de quelques marchandifes , & augmentèrent beaucoup la valeur de toutes. L'oppression des douanes acheva de tout perdre. Les objets exportés pour l'autre hémisphère , furent assujettis à des droits tels, qu'il n'en avoit jamais existé dans aucun, siècle, ni fur aucune partie du globe. Le Aa 3


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prix même qu'on en avoit retiré fut imposé. L or en retour devoit quatre pour cent, & l'argent en devoit neuf. XXX. Mais comment la cour de Madrid avoitComment la pu fe tromper fi grossiérement fur fes cour de Ma- elle drid persé- intérêts ? comment, fur-tout, pouvoit-elle véra-t-elle perfévérer dans fon erreur ? Essayons , s'il dans fou fe peut, de démêler les califes de cet aveumauvais ' systême ? glement étrange. L empire des Espagnols fur le NouveauMonde s établit dans un siècle d'ignorance & de barbarie. Tous les principes de gouvernement étoient alors oubliés; & l'on ne s'étonnera pas, fans doute, que dans l'ivresse de leurs triomphes, des conquérans fuperb.es 11 aient pas ramené la lumière, bannie depuis dix ou douze Siècles de l'Europe entière. A cette époque d'un aveuglement universel , la cour de Madrid ne devina pas que les établissemens qu'elle formoit fous un autre hémifphère, ne feroient utiles qu'autant qu'ils deviendroient un encouragement pour fon agriculture , fon industrie & fa navigation. Loin de Subordonner les colonies à la métropole , ce fut, en quelque forte, la métropole qui fut Subordonnée aux colonies. Toute


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économie politique fut ou négligée ou dédaignée ; & l'on ne vit la grandeur de la monarchie que dans l'or & dans l'argent de l'Amérique. Les peuples avoient la même ambition. Us abandonnoient en foule leurpays natal pour courir après des métaux. Ces émigrations immenses & continuelles laiffoient dans la population de la patrie principale un vuide qui n'étoit pas rempli par les étrangers que l'orgueil & l'intolérance ne ceffoient de repouffer. L'Efpagne fut affermie, par des fuccès assez long-tems soutenus, dans les fauffes routes qu'elle s'étoit d'abord tracées. Un ascendant qu'elle devoit uniquement aux circonstances, lui parut une conféquence néceffaire de fon administration & de fes maximes. Les calamités qui, dans la fuite , l'assaillirent de toutes parts , pouvoient l'éclairer. Une chaîne rarement interrompue de guerres plus funestes les unes que les autres, la priva de la tranquillité qu'il lui auroit fallu pour approfondir les vices d'un systême fuivi avec la plus grande fécurité fans interruption. Les lumières acquises ou répandues fuccessivement par les autres peuples étoient Aa 4


376 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE bien propres à combattre, à dissiper les erreurs de l'Espagne. Soit orgueil, foit jalousie, cette nation repouffa opiniâtrément les connoifsances qui lui venoient de fes rivaux ou de fes voisins. Au défaut de secours. étrangers , l'Espagnol, né avec Esprit de méditation, avec une fagacité ardente, pouvoit découvrir des vérités importantes à fa profpérité. Ce génie propre à tout fe porta, fe fixa malheureufement fur des contemplations qui ne pourvoient que l'égarer davantage. Pour comble de malheur, la cour de Madrid s'étoit fait de bonne heure une'loi de foutenir les partis qu'elle avoit pris, pour qu'on ne pût pas la foupçonner de s'être légèrement déterminée. Les événemens , tout fâcheux qu'ils étoient, ne la dégoûtèrent pas de cette politique dans fes rapports avec l'Amérique; & elle y fut affermie par les fuffrages combinés ou féparés d'une multitude d'agens séduits ou infidèles, qui affuroient leur fortune particulière par la continuité d'un défordre XXXI. ' Suites que les funestes

universel. Cependant le mal ne fe fit pas sentir dans les premiers tems , quoique des écrivains


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célèbres l'aient avancé avec confiance. Dans leur opinion, l'Efpagne fe voyant la maîtresse de l'Amérique , renonça d'elle-même aux manufactures , à l'agriculture. Cette idée extravagante n'entra jamais dans le systême d'aucun peuple. A l'époque où l'autre hémisphère fut découvert, Séville étoit célèbre par fes fabriques de foie ; les draps de Ségovie passoient pour les plus beaux de l'Europe, & les étoffes de Catalogne trouvoient un débit avantageux dans l'Italie & dans le Levant. De nouveaux débouchés donnèrent une activité nouvelle à cette industrie & a l' exploitation des terres qui en est inféparable. S il en eût été autrement, comment cette monarchie auroit-elle pu envahir tant de provinces ; foutenir tant de guerres longues &fanglantes; foudoyer tant d'armées étrangères & nationales ; équiper des flottes fi nombreufes & fi redoutables ; entretenir la divifion dans les états voifins & y acheter des traîtres ; bouleverfer les nations par fes intrigues ; donner le branle à tous les événemens politiques ? Comment auroit-elle pu être la première & prefque la feule puissance de l'univers ? Mais tous ces efforts occafionnèrent une

combinaifons du ministère Espagnol eurent dans la métropole même.


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consommation immense d'hommes : mais il en passa beaucoup dans le Nouveau-Monde : mais cet autre hémisphère, plus riche & plus peuplé, demanda plus de marchandées : mais les bras manquèrent pour tous les travaux. Alors, ce furent les nations étrangères, où le numéraire étoit encore rare & par conséquent la main-d'œuvre à un prix modique, qui fournirent des subsistances à l'Espagne , qui fournirent le vêtement à fes colonies. En vain des réglemens févères les excluoient de ce trafic. Amies ou ennemies , elles le firent fans interruption & avec succès fous le nom des Efpagnols eux-mêmes , dont la bonne-foi mérita toujours les plus grands éloges. Le gouvernement crut remédier à ce qu'il croyoit un défordre & qui n'étoit qu'une fuite naturelle de l'état des choses, en renouvellant l'ancienne défenfe de toute exportation d'or, de toute exportation d'argent. A Séville & enfuite à Cadix, des braves appellés Metedores portoient au rempart des lingots qu'ils jettoient à d'autres Metedores chargés de les délivrer à des chaloupes qui s'étoient approchées pour les recevoir. Jamais ce versement clandestin ne fut troublé par


379 DES DEUX Indes. des commis ou par des gardes qui étoient tous payés pour ne rien voir. Plus de févérité n'auroit fait que hausser le prix des marchandifes par une plus grande difficulté d'en retirer la valeur. Si, conformément à la rigueur des ordonnances, on eût faifi, jugé & condamné à mort quelque, contrevenant & qu'on eût confisqué fes biens : cette atrocité, loin d'empêcher la fortie des métaux, l'auroit augmentée , parce que ceux qui s'étoient contentés jufqu'alors d'une gratification médiocre, exigeant un falaire proportionné au danger qu'ils dévoient courir, eussent multiplié leurs profits par leurs risques ; & fait fortir beaucoup d'argent , pour en avoir eux-mêmes davantage. . Tel étoit l'état de l'Efpagne , lorsqu'ellemême aggrava volontairement les calamités par l'expulsion des Maures. Cette nation avoit long-tems régné fur la péninfule prefque entière. De poste en poste, elle fe vit successivement poussée jufqu'à Grenade, où, après dix ans de fanglans combats , on la réduisit encore, en 1492, à fubir le joug. Par fa capitulation, il lui étoit permis de profeffer fan culte : mais bientôt, fous


380 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE divers prétextes , le vainqueur voulut la dépouiller de ce droit facré ; & elle prit les armes pour le maintenir. La fortune fe déclara contre ces infortunés mufulmans. Un grand nombre périrent par le glaive. On vendit à quelques-uns le droit de fe réfugier en Afrique. Le relie fut condamné à paroître chrétien. Cette démonstration , dont Ferdinand & Charles avoient voulu fe contenter, bleffa Philippe II. Ce prince inquisiteur voulut que les infidèles fussent réellement de fa religion. Dans l'espérance de les y amener plus sûrement & en moins de tems , il ordonna, en 1568, que ces peuples renonçâssent à leur idiome , à leurs noms , à leurs vêtemens , à leurs bains , à leurs ufages , à tout ce qui pouvoit les distinguer de ses autres fujets. Le despotisme fut pouffé au point de leur défendre de changer de domicile fans l'aveu du magistrat, de fe marier fans la permission de l'évêque , de porter ou même de pofféder des armes fous aucun prétexte. Une résistance vive devoit être la fuite de cette aveugle tyrannie. Malheureufement des hommes qui manquoient de chefs , de difcipline , de moyens de guerre, ne purent faire que des


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efforts impuissans contre des armées nombreufes , accoutumées au carnage & commandées par des généraux expérimentés. Les habitans des villes & des campagnes, qui étoient entrés dans la rébellion, furent prefque généralement exterminés. La fervitude devint le partage de tous les prifonniers des deux fexes. Ceux même des Maures , qui étoient reliés paisiblement dans leurs foyers, furent transportés dans les provinces intérieures du royaume, où ils ne trouvèrent que des infultes & de l'opprobre. Cette dispersion , cette humiliation ne produisirent pas l'effet qu'on en attendoit. Les cruautés, qu'un tribunal de fang renouvelloit fans ceffe, ne furent pas plus efficaces. Il parut au clergé qu'il ne restoit de parti à prendre que celui de chaffer de la monarchie tous ces ennemis opiniâtres de fa doctrine ; & fon vœu fut exaucé , en 1610 , malgré l'opposition de quelques hommes d'état, malgré la réclamation plus vive encore des grands qui comptoient dans leurs palais ou fur leur domaine beaucoup d'efclaves de la nation que pourfuivoit la superstition. On trouve par-tout que cette profcription


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coûta à l'Efpagne un million de les habitans. Des pièces authentiques , recueillies par Bleda, auteur fage & contemporain, démontrent qu'il faut réduire ce nombre à quatre cens vingt-neuf mille trois cens quatorze. Ce n'étoit pas tout ce qui,avoit échappé de Maures à l'animofité des guerres , au fanatisme des vainqueurs, à des émigrations quelquefois tolérées & plus fouvent furtives. Le gouvernement retint les femmes mariées à d'anciens chrétiens , ceux dont la foi n'étoit pas suspecte aux évêques , & tous les enfans au-dessous de fept ans. Cependant l'état perdoit la vingtième partie de fa population , & la partie la plus laborieufe , comme l'ont, toujours été , comme le feront toujours les sectes profcrites ou perfécutées. Quelles que fussent les occupations de ce peuple ; que fes bras nerveux s'exerçâssent dans les champs, dans les atteliers, ou dans les plus vils offices de la société, il fe fit un grand vuide dans les travaux ; il s'en fit un grand dans les tributs. Le fardeau qu'avoient porté les infidèles, fut principalement jette fur les tifferands. Cette furcharge en fit passer beaucoup en Flandre, beaucoup


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en Italie ; & les autres, fans sortir d'Espagne, renoncèrent à leur profession. Les foies de Valence, les belles lainesd'Andalousie & de Castille , ceffèrent d'être travaillées par les mains des Efpagnoîs. Le fifc n'ayant plus de manufactures à opprimer , opprima les cultivateurs. Les impôts qu'on en exigea, furent également vicieux par leur nature, par leur multiplicité & par leurs excès. Aux importions générales, fe joignirent ce qu'on appelle en finance affaires extraordinaires, qui est une manière de lever de l'argent fur une claffe particulière de citoyens : imposition qui, fans aider l'état, ruine les contribuables , pour enrichir le traitant qui l'a imaginée. Ces reffources ne fe trouvant pas suffisantes pour les befoins urgens du gouvernement , on exigea des financiers des avances considérables. A cette époque , ils devinrent les maîtres de l'état : ils furent autorifés à sous-affermer les diverfes parties de leur bail. Les commis, les gênes & les vexations, fe multiplièrent avec ce défordre. Les loix que ces hommes avides curent la liberté de faire, ne furent que des pièges tendus à la bonne-foi. Avec le tems ,


384 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE ils usurpèrent l'autorité souveraine, & parvinrent à décliner les tribunaux du prince, à fe choisir des juges particuliers , & à les payer. Les propriétaires des terres, écrafés par cette tyrannie , ou renoncèrent à leurs possessions , ou en abandonnèrent la culture. Bientôt cette fertile péninsule , qui, malgré les fréquentes sécheresses qu'elle éprouve * nourrissoit treize à quatorze millions d'habitans avant la découverte du NouveauMonde , & qui avoit été plus anciennement le grenier de Rome & de l'Italie , fe vit couVerte de ronces. On contracta la funeste habitude de fixer le prix des grains ; on imagina de former dans chaque communauté des greniers publics, qui étoient nécessairement dirigés fans intelligence, fans zèle, fans probité. D'ailleurs , que peut-on attendre de ces perfides ressources ? Qui jamais imagina de s'oppofer au bon prix des bleds , pour les multiplier ; de grossir les frais des subsistances, pour les rendre moins chères ; de faciliter le monopole , pour l'écarter ? Quand la décadence d'un état a commencé, il est rare qu'elle s'arrête. La perte de la population,


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population, des manufactures, du commerce , de l'agriculture , fut fuivie des plus grands maux. Tandis que l'Europe s'éclairoit rapidement , & qu'une industrie nouvelle animoit tous les peuples ; l'Efpagne tomboit dans l'inaction & la barbarie. Les droits des anciennes douanes , qu'on avoit laiffé subsister dans le passage d'une province à l'autre , furent pouffés à l'excès , & interrompirent entre elles toute communication. Il ne fut pas permis de porter l'argent de l'une à l'autre. Bientôt on n'apperçut pas la trace d'un chemin public. Les voyageurs fe trouvoient arrêtés au paffage des rivières , où il n'y avoit ni pont, ni bateaux. Il n'y eut pas un feul canal, pas un seul fleuve navigable. Le peuple de l'univers , que la superstition condamne le plus à faire maigre , laiffa tomber fes pêcheries , & acheta tous les ans pour douze millions de poiffon. Hors un petit nombre de bâtimens mal armés, qui étoient destinés pour fes colonies, il n'y eut pas un feul navire national dans fes ports. Les côtes furent en proie à l'avidité, à l'animosité, à la férocité des Barbarefques. Pour éviter de tomber dans leurs mains , on fut obligé de Bb Tome IV,


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fréter de l'étranger jufqu'aux avisos qu'on envoyoit aux Canaries & en Amérique. Philippe IV, avec toutes les riches mines de l'Amérique, vit tout-à-coup l'on.or changé en cuivre, & fut réduit à donner aux monnoies de ce vil métal , un prix presqu'aussi fort qu'à l'argent. Ces défordres n'étoient pas les plus grands de la monarchie. L'Efpagne , remplie d'une vénération stupide & superstitieuse pour le siècle de fes conquêtes, rejettoit avec dédain tout ce qui n'avoit pas été pratiqué dans ces tems brillans. Elle voyoit les autres peuples s'éclairer , s'élever , fe fortifier , fans vouloir rien emprunter d'eux. Un mépris décidé pour les lumières & les mœurs de fes voisins, formoit la bafe de fon caractère. L'inquisition, cet effroyable tribunal, établi d'abord pour arrêter les progrès du judaïsme & de l'alcoran, avoit dénaturé le caractère des peuples. Il les avoit formés à la réserve, à la défiance , à la jalousie. Et comment en fût-il arrivé autrement ? Lorfqu'un fils put acculer fon père , une mère fon fils & fon époux, un ami fon ami, un citoyen fon concitoyen ; lorfque toutes les passions devinrent


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également délatrices , également écoutées ; lorfqu'au milieu de vos enfans, la nuit, le jour, les mains des fatellites vous saisirent & vous jettèrent dans robfcurité des cachots; lorsqu'on vous cela le crime dont vous étiez acculé; lorfqu'on vous contraignit à vous défendre vous-même, & qu'emprifonné pour une faute que vous n'aviez pas commife , vous fûtes détenu & jugé fur une faute fecrète que vous aviez avouée ; lorsque l'instruction de votre procès secommença, fe pourfuivit, s'acheva fans aucune confrontation avec les témoins ; lorfqu'on entendit la lecture de fa fentence fans avoir eu la liberté de fe défendre? Alors les yeux fe familiarifèrent avec le sang, par les spectacles les plus atroces. Alors les ames fe remplirent de ce fanatifme qui fe déploya si cruellement dans les deux hémisphères. L'Efpagne ne fut, il est vrai, ni troublée , ni dévastée par les querelles de religion ; mais elle resta stupide dans une profonde ignorance. L'objet de ces disputes, quoique toujours misérable & ridicule, exerce au moins l'efprit. On lit, on médite. On remonte aux fources primitives. On étudie l'histoire, les langues anciennes. La critique Bb 2


388 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE naît. On prend un goût folide. Bientôt le sujet qui échauffoit les efprits , tombe dans le mépris. Les livres de controverfe paffent , mais l'érudition reste. Les matières de religion reffemblent à ces parties actives, qui existent dans tous les corps propres à la fermentation: elles troublent d'abord la limpidité de la liqueur ; mais elles agitent bientôt toute la masse. Dans ce mouvement elles fe dissipent ou fe précipitent. Le moment de la dépuration arrive, il fumage un fluide doux agréable & vigoureux, qui fert à la nutrition de l'homme. Mais dans la fermentation générale des difputes théologiques , toute la lie de ces matières resta en Efpagne. La superstition y avoit abruti les esprits, au point que l'état s'applaudissoit de fon aveuglement. Au lieu d'une énergie nécessaire pour porter la vie dans toutes les parties d'une domination trop étendue & trop difperfée , s'établit une lenteur qui ruinoit toutes les affaires. Les formalités, les précautions, les conseils, qu'on avoit multipliés à l'infini pour n'être pas trompé , empêchoient feulement d'agir. La guerre n'étoit pas mieux conduite que la politique, line population, qui suffisoit


DES deux INDES. 389 à peine pour les nombreuses garnisons qu'on entretenoit en Italie , dans les Pays-Bas, en Afrique , & dans les Indes , ne laissoit nuls moyens de mettre des armées en campagne. Aux premières hostilités , il falloit recourir à des étrangers. Loin que le petit nombre d'Espagnols qu'on faifoit combattre avec ces troupes mercenaires pussent les contenir, leur fidélité étoit souvent altérée par ce commerce. On les vit fe révolter plufieurs fois de concert, & ravager ensemble les provinces commifes à leur défense. Une solde régulière auroit infailliblement prévenu , ou bientôt dissipé cet efprit de Sédition. Mais pour payer des armées, & les. tenir dans cette dépendance & cette Subordination nécessaires à la bonne difcipline ; il auroit fallu Supprimer cette foule d'officiers inutiles , qui , par leurs appointemens & leurs brigandages, abSorboient la plus grande partie des revenus publics ; ne pas aliéner à vil prix , ou ne pas laisser envahir les droits les plus anciens de la couronne; ne pas dissiper ses trésors à entretenir des espions, à acheter des traîtres dans tous les états. Il auroit fallu fur-tout ne pas faire consister la grandeur du Bb 3


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prince, à accorder des pensions & des grâces à tous ceux qui n'avoient d'autres titres pour les obtenir , que l'audace de les demander. Cette noble & criminelle mendicité étoit devenue une mode générale. L'Efpagnol né généreux , & devenu fier , dédaignant les occupations ordinaires de la vie , ne refpiroit qu'après les gouvernemens , les prélatures , les principaux emplois de la magistrature. Ceux qui ne pouvoient parvenir à ces emplois brillans , fe glorifiant d'une superbe oifiveté , gardoient le ton de la cour, & mettoient autant de gravité dans leur ennui public , que les minifixes clans les fonctions du gouvernement. Le peuple même auroit cru fouiller fes mains victorieuses , en les employant à la plupart des travaux utiles. Il fe portoit nonchalamment à ceux même qui étoient le plus en honneur & fe repofoit pour tous les autres fur des étrangers qui rapportoient dans leur patrie un argent qui la fertilifcit ou l'enrichissoit. Les hommes nés fans propriété , préférant bassement une servitude oisive à une liberté laborieufe , briguoient de grossir ces légions


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de domestiques que les grands traînoient à leur fuite , avec ce faite qui étale magnifiquement l'orgueil de la condition la plus inutile , & la dégradation de la classe la plus nécessaire. Ceux qui, par un relie de vanité, ne vouloient pas vivre fans quelque considération, fe précipitoient en foule dans les cloîtres, où la superstition avoit préparé depuis longtems un asyle commode à leur paresse , & où l'imbécillité alloit jusqu'à leur prodiguer des distinctions. Les Efpagnols même qui avoient dans le monde un bien honnête, languissoient dans le célibat , aimant mieux renoncer à leur postérité., que de s'occuper à l'établir. Si quelques-uns , entraînés par l'amour & la vertu , s'engageoient dans le mariage , à l'exemple des grands , ils consioient d'abord leurs enfans à l'éducation superstitieuse des collèges , & dès l'âge de quinze ans , les livraient à des courtisannes. Le corps & l'efprit de ces jeunes gens vieillis de bonne heure, s'épuisoient également dans ce commerce infâme, qui fe perpétuoit même parmi ceux qui avoient contracté des nœuds légitimes, Bb 4


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C'est parmi ces hommes abrutis, qu'étoient pris ceux que la faveur destinoit à tenir les rênes du gouvernement. Leur administration rappelloit à chaque instant l'école d'oisiveté & de corruption d'où ils fortoient. Rien n'étoit fi rare que de leur voir des sentimens de vertu, quelques principes d'équité, le plus léger defir de faire le bonheur de leurs semblables. Ils n'étoient occupés qu'à piller les provinces confiées à leurs foins , pour aller dissiper à Madrid , dans le fein de la volupté le fruit de leurs rapines. Cette conduite étoit toujours impunie ; quoiqu'elle occasionnât fouvent des séditions, des révoltes, des confpirations , quelquefois même des révolutions. Pour comble de malheur, les états unis par des mariages ou par des conquêtes à la Castille, confommoient fa ruine. Les PaysBas ne donnoient pas de quoi payer les garnifons qui les défendoient. On ne tiroit rien de la Franche-Comté. La Sardaigne, la Sicile & le Milanois étoient à charge. Naples & le Portugal voyoienr leurs tributs engagés à des étrangers. L'Aragon, Valence, la Catalogne , le Roussillon , les isles Baléares &


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la Navarre, prétendoient ne devoir à la monarchie qu'un don gratuit que leurs députés régloient toujours , mais rarement au gré d'une cour avide & épuisée par ses folles largeffes. Pendant que la métropole dépérissoit , il n'étoit pas possible que les colonies profpérâffent. Si les Espagnols eussent connu leurs vrais intérêts , peut-être à la découverte de l'Amérique fe fussent-ils contentés de former avec les Indiens des noeuds honnêtes, qui auroient établi entre les deux nations une dépendance & un profit réciproques. Les productions des atteliers de l'ancien-monde, euffent été échangées contre celles des mines du nouveau ; & le fer ouvragé eût été payé, à poids égal, par de l'argent brut. Une union fiable, fuite néceffaire d'un commerce paisible , fe feroit formée fans répandre du sang, fans dévaster des empires. L'Efpagne n'en feroit pas moins devenue maîtresse du Mexique & du Pérou ; parce que tout peuple qui cultive les arts , fans en communiquer les procédés & la pratique, aura une fupériorité réelle fur ceux auxquels il en vend les productions.

XXXII. Calamités que l'aveuglement de la cour d'Espagne accumula fur les colonies.


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On ne raifonna pas ainsi. La facilité qu'oit avoit trouvée à fubjuguer les Indiens; l'ascendant que prit l'Espagne fur l'Europe entière ; l'orgueil fi ordinaire aux conquérans ; l' ignorance des vrais principes du commerce : ces raisons, & plusieurs autres, empêchèrent d établir dans le Nouveau-Monde une administration fondée fur de bons principes. La dépopulation de l'Amérique fut le déplorable effet de cette confusion. Les premiers pas des conquérans furent marqués par des ruisseaux de fang. Aussi étonnés de leurs victoires, que le vaincu l'étoit de fa défaite, ils prirent dans l'ivresse de leurs succès, le parti d'exterminer ceux qu'ils avoient dépouillés. Des peuples innombrables difparurent de la terre à l'arrivée de ces barbares ; & c est la foif de l'or , c'est le fanatifme qu on accusoit de tant de cruautés abominables. Mais la férocité naturelle de l'homme , qui n étoit enchaînée ni par la frayeur des châtimens, ni par aucune efpèce de honte , ni par la préfence de témoins policés, ne déroboit-elle pas aux yeux des Espagnols, l'image d'une organifation femblable à la leur , base


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primitive de la morale ; & ne les portoit-elle pas à traiter fans remords leurs frères nouvellement découverts , comme ils traitoient les bêtes fauvages de l'ancien hémifphère ? La cruauté de l'esprit militaire ne s'accroîtelle pas à raifon des périls qu'on a courus, de ceux qu'on court, & de ceux qui relient à courir ? Le foldat n'est-il pas plus fanguinaire à une grande distance , que fur les frontières de fa patrie ? Le fentiment de l'humanité ne s'affoiblit-il pas à mesure qu'on s'éloigne de fon pays ? Pris dans les premiers momens pourdes dieux, les Efpagnols ne craignirent-ils pas d'être démasqués, d'être massacrés ? Ne fe défièrent-ils pas des démonstrations de bienveillance qu'on leur prodiguoit ? La première goutte de fang verfée , ne crurent-ils pas que leur fécurité exigeoit qu'on le répandit à Ilots ? Cette poignée d'hommes enveloppée d'une multitude innombrable d'indigènes , dont elle n'entendoit pas la langue, & dont les mœurs & les ufages lui étoient inconnus , ne fut-elle pas saisie d'alarmes & de terreurs bien ou mal fondées ? Semblable aux Visigots , dont ils étoient les defcendans ou les esclaves, les Efpagnols


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partagèrent entre eux les terres désertes & les hommes qui avoient échappé à leur épée. La plupart de ces miférables victimes ne furvécurent pas long-tems au carnage , dans un état d'efclavage pire que la mort. Les loix faites de tems en tems pour modérer la dureté de cette lervitude , ne produisirent que peu de foulagement. La férocité, l'orgueil, l'avidité fe jouoient également des ordres d'un monarque trop éloigné , & des larmes des malheureux Indiens. Les mines furent encore une plus grande caufe de destruction. Depuis la découverte du Nouveau-Monde, ce genre de richesse abforboit tous les fentimens des Espagnols. Inutilement quelques hommes plus éclairés que leur siècle , leur crioient : laissez l'or, si la furface de la terre qui le couvre peut produire un épi dont vous fassiez du pain, un brin d'herbe que vos brebis puissent paître. Le seul métal dont vous ayez vraiment besoin, c'est le fer. Construisez-en vos fcies, vos marteaux, les focs de vos charrues ; mais ne les transformez pas en outils meurtriers. La quantité d'or nécessaire aux échanges des nations est si petite ; pourquoi donc la mul-


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tiplier fans fin ? Quelle importance y a-t-il à repréfenter cent aunes de toile ou de drap , par une livre ou par vingt livres d'or ? Les Efpagnols firent comme le chien de la fable ; qui lâcha l'aliment qu'il portoit à fa gueule, pour fe jetter fur fon image qu'il voyoit au fond des eaux , où il fe noya. Malheureufement les Indiens devinrent les victimes de cette erreur funeste. Précipités dans des abîmes profonds , où ils étoient privés de la lumière du jour , du bonheur de refpirer un air doux & sain, de la confolation de mêler leurs pleurs avec les larmes de leurs proches & de leurs amis , ces infortunés creufoient leur tombeau fous des voûtes ténébreufes qui recèlent aujourd'hui plus de cendres de morts que de poufiière ou de grains d'or. Comme toutes les nations de l'univers étoient révoltées de ces barbaries , les écrivains Efpagnols essayèrent de prouver que le travail des mines n'avoit rien de dangereux : mais on en croyoit aux démonstrations physiques. On n'ignoroit point que l'on n'habite pas les entrailles obfcures de la terre, fans inconvénient pour les yeux ; qu'on ne refpire pas des vapeurs mercurielles, fulfureufes ,


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arfenicales , toutes pestilentielles , fans inconvénient pour la poitrine ; qu'on ne reçoit pas par les pores de la peau , qu'on n'avale pas par la bouche des eaux mal-faines, fans inconvénient pour l'estomac & pour les humeurs du corps. On voyoit fortir de nos mines la mort fous toutes les formes, avec la toux cruelle , avec l'hideufe atrophie , avec le noir marafme , avec les convulsions, le raccourcissement, les distorsions des membres. On voyoit aux mineurs les rides, la foiblesse, le tremblement, la caducité, à l'âge de la fanté vigoureufe ; & loin d'accorder quelque créance au récit des Efpagnols , on s'indignoit de leur mauvaife foi, lorfqu'on ne fe moquoit pas de leur ignorance. Pour fe dérober à ces tombeaux & aux autres actes de la tyrannie Européenne, beaucoup d'Américains fe réfugièrent dans des forêts , dans des montagnes inaccessibles. Dans ces climats âpres & fauvages , ils contractoient un caractère féroce qui coûta fouvent des larmes & du fang à leurs impitoyables oppresseurs. Dans quelques cantons, le défefpoir fut porté fi loin, que , pour ne pas laisser des


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héritiers de leur infortune , les hommes réfolurent unanimement de. n'avoir aucun commerce avec les femmes. Cette triste conjuration contre la nature & contre le plus doux de fes plaisirs, l'unique événement de cette espèce, que l'histoire nous ait tranfmis , semble avoir été réfervée à l'époque de la découverte du Nouveau-Monde, pour caractériser à jamais la tyrannie Efpagnole. Que pouvoient oppofer les Américains à la soif de détruire, que l'horrible vœu de ne le reproduire jamais ? Ainsi la terre fut doublement fouillée ; du fang des pères, & du germe des enfans. Dès-lors, cette terre fut comme maudite pour fes barbares conquérans. L'empire qu'ils avoient fondé s'écroula bientôt de toutes parts. Les progrès du défordre & du crime furent rapides. Les forteresses les plus importantes tombèrent en ruine. Il n'y eut dans le pays ni armes, ni magasins. Le foldat qui n'étoit ni exercé, ni nourri, ni vêtu, devint mendiant ou voleur. On oublia jufqu'aux élémens de la guerre & de la navigation , jufqu'au nom des instrumens propres à ces deux arts fi nécessaires.


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Le commerce ne fut que l'art de tromper; L'or & l'argent, qui dévoient entrer dans les coffres du souverain, furent continuellement diminués par la fraude, & réduits au quart de ce qu'ils dévoient être. Tous les ordres corrompus par l'avarice , fe donnoient la main pour empêcher la vérité d'arriver au pied du trône, ou pour sauver les prévaricateurs que la loi avoit proscrits.Les premiers & les derniers magistrats -agirent toujours de concert pour appuyer leurs injustices réciproques. Le cahos où ces brigandages plongèrent les affaires, amena le funeste expédient de tous les états mal administrés ; des importions fans nombre. On paroissoit s'être propofé la double fin d'arrêter toute industrie, & de multiplier les vexations. L'ignorance marchoit de front avec l'injustice. L'Europe étoit alors peu éclairée. La lumière même qui commençoit à s'y répandre , étoit repoussée par l'Efpagne. Cependant un voile plus épais encore couvrait l'Amérique. Les notions les plus fimples fur les objets les plus importans, y étoient entièrement effacées. Comme


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DEUX

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domine l'aveuglement est toujours favorable à la superstition, les minières de la religion un peu moins aveuglés que les colons, prirent fur lui un afcendant décidé dans toutes les affaires. Plus affurés de l'impunité , ils furent toujours plus hardis à violer tout principe d'équité , toute règle de mœurs & de décence. Les moins corrompus faifoient le commerce ; les autrés abufoient de leur ministère & de la terreur des armes ecclésiastiques , pour arracher aux Indiens . tout ce qu'ils avoient. La haine qui fe mit entre les Espagnols nés dans le pays, & ceux qui arrivoient d'Europe, acheva de tout perdre. La cour avoit imprudemment jetté les semences de cette division malheureufe. De faux rapports lui peignirent les créoles comme des demi-barbares , presque comme des Indiens. Elle ne crut pas pouvoir compter fur leur intelligence , fur leur courage , fur leur attachement ; & elle prit le parti de les éloigner de tous les postes utiles ou honorables. • Cette réfolution injurieufe les aigrit. Loin de travailler à les appaiser, les dépositaires de l'autorité fe firent un art d'envenimer leur chagrin par des parTOME IV.

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tialités humiliantes. Il s'établit entre les deux classes, dont l'une étoit accablée de faveurs & l'autre de refus, une aversion infurmontable. Elle fe manifesta par des éclats, qui, plus d'une fois, ébranlèrent l'empire de la métropole dans' le'Nouveau-Monde. Ce levain étoit fomenté par le clergé créole & le clergé Européen , qui avoient aussi contracté la contagion de ces difcordes. Il nous est doux de pouvoir penser, de pouvoir écrire que la condition de l'Efpagne devient tous les jours meilleure. La noblesse n'affecte plus ces airs d'indépendance qui embarrassoient quelquefois le gouvernement. On a vu arriver des hommes nouveaux, mais habiles , au maniement des affaires publiques qui furent trop long-tems l'apanage de la naissance feule. Les campagnes , mieux peuplées & mieux cultivées, offrent moins de ronces & plus de récoltes. Il fort des atteliers de Grenade , de Malaga , de Séville, de Priego, de Tolède, de Talavera, & fur-tout de Valence, des foieries qui ont de la réputation & qui la méritent. Ceux de SaintIldephonse donnent de très-belles glaces ; ceux de Guadalaxara & d'Escaray des draps 1

XXXIII. L'Efpagne commence à fortir de fa léthargie.

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DES DEUX INDES. 403 fins & des écarlates ; ceux de Madrid des chapeaux, des rubans, des tapisseries, de la porcelaine. La Catalogne entière est couverte de manufactures d'armes & de quincaillerie $ de bas & de mouchoirs de foie , de toiles peintes de coton, de lainages communs , de galons & de dentelles. Des communications de la capitale avec les provinces commencent à s'ouvrir,.&ces magnifiques voies font plantées d'arbres utiles ou agréables^ On creufe des canaux d'arrosement ou de navigation, dont le projet, conçu par des étrangers , avoit fi long-tems révolté l'orgueil dit miniftère & celui des peuples. D'excellentes fabriques de papier ; des imprimeries de trèsbon goût ; des foçiétés confacrées aux beauxarts , aux arts utiles & aux sciences, étoufferont tôt ou tard les préjugés & l'ignorance* Ces fages établissemens feront fécondés par les jeunes gens que le miniftère fait inftruire dans les contrées dont les connoissances ont étendu la gloire ou les profpérités. Le vice des tributs, fi difficile à corriger, a déjà fubi des réformes très-avantageufes. Le revenu national, anciennement fi borné, s'eft élevé, dit-on,.à 140,400,000 liv. Si le cadastre, Ce 2


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dont la confection occupe la cour de Madrid depuis 1749, est fait fur de bons principes^ & qu'il foit exécuté , le fisc verra encore croître fes ressources, & les contribuables feront foulagés. A la mort de Charles-Quint, le tréfor public étoit fi obéré , qu'on mit en délibération , s'il ne convenoit pas d'annuller tant d'engagemens funestes. Ils furent portés à un milliard, ou peut-être plus , fous le règne inquiet & orageux de fon fils Philippe. L'intérêt des avances faites au gouvernement absorboit , en 1688 , tout le produit des impositions ; & ce fut alors une nécessité de faire une banqueroute entière. Les événemens qui fuivirent cette grande crife furent tous fi malheureux, que les finances retombèrent fubitement dans le cahos, d'où une réfolution extrême, mais nécessaire, les avoit tirées. Une administration plus éclairée mit au commencement du siècle un ordre dans les recouvremens , une règle dans les dépenfes qui auroient libéré l'état, fans les révolutions qui s'y fuccédèrent avec une rapidité qu'on a peine à fuivre. Cependant la couronne ne devoit, en 1759 , que 160,000,000 de


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405 livres que Ferdinand laisoit dans fes coffres. Son successeur employa la moitié de cette somme à la liquidation de quelques dettes. Le reste fut consommé par la guerre de Portugal , par F augmentation de la marine, par mille dépenfes néceffaires pour tirer la monarchie de la langueur où deux siècles d'ignorance & d'inertie l'avoient plongée. La vigilance du nouveau gouvernement ne s'est pas bornée à réprimer une partie «les défordres qui ruinoient fes possessions d'Europe. Il a été porté un œil attentif fur quelques-uns des abus qui arrêtoient la profpérité de ses. colonies. Leurs chefs ont été choilis avec plus de foin & mieux surveillés. On a réformé quelques-uns des vices qui s'étoient gliffés dans les tribunaux. Toutes DES

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les branches d'administration ont été améliorées. Le fort même des Indiens est devenu moins malheureux. Ces premiers pas vers le bien, doivent faire efpérer au ministère Efpagnol qu'il arrivera à une bonne administration , lorsqu'il aura saisi les vrais principes , & qu'il emploiera les moyens convenables. Le caractère de la nation n'oppose pas des obstacles Ce 3

XXXIV. Moyens qu'il conviendrait à l'Espagne d'employer pour accélérer ses


406 prospérités en Europe & en Amérique,

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insurmontables a ce changement, comme oui le croit trop communément. Son indolence ne lui est pas aussi, naturelle qu'on le pense. Pour peu qu'on veuille remonter au tems ou ce préjugé défavorable s'établissoit, on verra que cet engourdissement ne s'étendoit pas a tout ; & que fi l'Espagne étoit dans l'inaction au-dedans, elle portoit fou inquiétude chez fes voisins, dont elle troubloit fans cesse la tranquillité. Son oisiveté ne vient en partie que d'un fol orgueil. Parce que la noblesse ne faisoit rien , on a cru qu'il n'y avoit rien de fi noble que de ne rien faire. Le peuple entier a voulu jouir de cette prérogative ; & l'Espagnol décharné, demi- nud, nonchalamment assis à terre , regarde avec pitié fes voifins , qui , bien nourris , bien vêtus, travaillent & rient de fa folie. L'un méprife par orgueil, ce que les autres recherchent par vanité ; les commodités de la vie. Le climat avoit rendu l'Efpagnol fobre, & il l'est encore devenu par indigence. L'efprit monacal , qui le gouverne depuis long-tems , lui fait une vertu de cette même pauvreté qu'il doit à fes vices. Comme il n'a rien, il ne defire rien : mais il méprife;


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êncore moins les richesses qu'il ne hait le travail. De fon ancien caractère , il n'est resté à ce peuple , pauvre & fuperbe , qu'un penchant démefuré pour tout ce qui a l'air de l'élévation. Il lui faut de grandes chimères, une immense perfpecrive de gloire. La fatisfaction qu'il a de ne plus relever que du trône depuis l'abaissement des grands, lui fait recevoir tout ce qui vient de la cour avec respect & avec confiance. Qu'on dirige à fon bonheur ce puissant ressort : qu'on cherche les moyens , plus aifés qu'on ne croit , de lui faire trouver le travail honorable ; & l'on verra la nation redevenir ce qu'elle étoit avant la découverte du Nouveau-Monde, dans ces tems brillans, où, fans fecours étrangers , elle menaçoit la liberté de l'Europe. Après avoir guéri l'imagination des peuples, après les avoir fait rougir de leur inaction orgueilleufe , il faudra fonder d'autres plaies. Celle qui affecte le plus la -masse de l'état, c'est le défaut dépopulation. Le propre des colonies bien administrées , est d'augmenter la population de la métropole, qui, par les débouchés avantageux qu'elle fournit Cc 4


408 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE à leurs productions , augmente réciproque^ ment la leur. C'est fous ce point de vue, intéressant à la fois pour l'humanité & pour la politique , que les nations éclairées de l'ancien hémisphère ont envifagés leurs établissemens du nouveau. Le succès a par-tout couronné un fi noble & fi fage dessein. Il n'y a que l'Espagne, qui avoit formé son systême avant que la lumière fut répandue, qui ait vu fa population diminuer en Europe , à mefure que fes possessions augmentaient en Amérique. Lorfque la difproportion entre un territoire & fes habitans n'est pas extrême , l'activité, l'économie, une grande faveur accordée aux mariages , une longue paix peuvent, avec le tems , rétablir l'équilibre. L'Efpagne , qui par le récensement très-exact de 1768 n'a que neuf millions 'trois cens fept mille huit cens quatre habitans de tout âge & de tout sexe, & qui ne compte pas dans fes colonies la dixième partie des bras qu'exigeroient leur exploitation, ne peut ni fe peupler, ni les peupler fans, des efforts extraordinaires & nouveaux. Il faut, pour augmenter les classes laborieuses du peuple, qu'elle diminue fon


409 DES deux INDES. clergé qui énerve & dévore également l'état. Il faut qu'elle renvoie aux arts les deux tiers de les foldats, que l'amitié de la France & la foiblesse du Portugal lui rendent inutiles. Il faut qu'elle s'occupe du soulagement des peuples, aussi-tôt que les possessions de l'ancien S& du Nouveau-Monde auront été tirées du cahos où deux siècles d'inertie , d ignorance & de tyrannie les avoient plongées. Il faut, avant tout, qu'elle abolisse l' infâme tribunal de l'inquisition. La superstition, qu'elle qu'en foit la cause, eft répandue chez tous les peuples sauvages, ou policés. Elle est nee fans doute de la crainte du mal, & de l'ignorance de fes caufes, & de fes remèdes. C'en eft assez- du moins pour l'enraciner dans l'efprit de tous les hommes. Les fléaux de la nature, les contagions, les maladies, les accidens imprévus, les phénomènes destructeurs, toutes les caufes cachées de la douleur & de la mort, font fi univerfelles fur la terre , qu'il feroit bien étonnant que l'homme n'en eût pas été, dans tous les tems & dans tous les pays , vivement affecté. Mais cette crainte naturelle aura toujours


410 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE subsisté ou grossi., à proportion de l'ignorance & de la sensibilité. Elle aura enfanté le culte des élémens qui font les grands ravages fur la terre, tels que font les déluges, les incendies , les pelles ; le culte des animaux foit venimeux , foit voraces , mais toujours nuisibles; le culte des hommes qui ont fait les plus grands maux à l'homme, des conquérans, des heureux fourbes, des faifeurs de prodiges apparens, bons ou mauvais ; le culte des êtres invisibles , que l'imagination fuppofe cachés dans tous les instrumens du mal. L'étude de la nature & la méditation auront insensiblement diminué le nombre de ces êtres , & l'efprit humain fe fera élevé de l'idolâtrie au théisme : mais cette dernière idée simple & fublime , fera toujours reliée informe dans les efprits grossiers , & mêlée d'une foule d'erreurs & de fantômes, La révélation perfectionnoit la doctrine d'un être unique ; & il alloit s'établir peut-être line religion plus épurée, fi les barbares du Nord , qui innondèrent les provinces de l'empire Romain , n'eussent apporté des préjugés facrés qu'an ne pouvoit chasser que par d'autres fables, Le christianisme vint le


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préfenter malheureufement à des esprits intapables de le bien entendre. Ils ne le reçurent qu'avec cet appareil merveilleux, dont l'ignorance est toujours avide. L'intérêt le chargea, le défigura de plus en plus, & fit imaginer chaque jour des dogmes & des prodiges d'autant plus révérés qu'ils étoient moins croyables. Les peuples occupés durant douze siècles à fe partages, à se disputer les provinces de la monarchie universelle, qu'une feule nation avoit formée en moins de deux cens ans , admirent fans examen toutes les erreurs que les prêtres , après bien des chicanes , étoient convenus entre eux d'enfeigner à la multitude. Mais le clergé, trop nombreux pour s'accorder , avoit entretenu dans fon fein un germe de division, qui devoit, tôt ou tard, fe communiquer au peuple. Le moment vint où l'efprit d'ambition & de cupidité qui dévoroit toute l'église, heurta avec beaucoup d'éclat & d'animosité , un grand nombre de superstitions le plus généralement reçues. Comme c'étoit l'habitude qui avoit fait adopter les puérilités dont on s'étoit laissé bercer, & qu'on n'y étoit attaché pat'


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principe de raifonnement , ni par efprit dé parti ; ceux qui avoient le plus d'intérêt à les foutenir , fe trouvèrent hors d'état de les défendre , lorfqu'elles furent attaquées avec un courage propre à fixer l'attention publique. Mais rien n'avança les progrès de la réformation de Luther & de Calvin , comme la liberté qu'elle accordoit à chaque particulier de juger souverainement des principes religieux qu'il avoit reçus. Quoique la multitude fût incapable d'entreprendre cette discussion , elle fe fentit fière d'avoir à balancer de fit. grands, de fi. chers intérêts. L'ébranlement étoit fi général, qu'on peut conjecturer que les nouvelles opinions auroient par-tout triomphé des anciennes , fi le magistrat ne s'étoit cru intéressé à arrêter le torrent. Il avoit befoin , ainfi que la religion , d'une obéissance implicite, fur laquelle fdn autorité étoit principalement fondée ; & il craignit qu'après avoir renverfé les fondemens antiques & profonds de la hiérarchie Romaine, on n'examinât fes propres titres. L'efprit républicain qui s'établissoit naturellement parmi les réformés, augmentoit encore cette défiance»


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Les rois d'Efpagne, plus jaloux de leurs usurpations que les autres souverains, voulurent leur donner de nouveaux appuis, dans des superstitions plus uniformes. Ils ne virent pas que les systêmes des hommes ne peuvent pas être les mêmes fur un être inconnu. En vain la raifon crioit à ces imbécilles monarques, que nulle puissance n'est en droit de prefcrire aux hommes ce qu'ils doivent penser; que la fociété n'a pas besoin, pour fe soutenir , d'ôter aux ames toute efpèce de liberté ; & qu'exiger par la force une formule de foi, c'est imposer un faux ferment qui rend un homme traître à fa conscience, pour en faire un fujet fidèle ; que la politique doit préférer tout citoyen qui fert la patrie, à celui qui est inutilement orthodoxe. Ces principes éternels & incontestables, ne furent pas écoutés. Leur voix étoit étouffée par l'apparence d'un grand intérêt , & encore plus par les cris furieux d'une foule de prêtres fanatiques, qui ne tardèrent pas à s'empâter de l'autorité. Le prince devenu leur efclave • fut forcé d'abandonner fes fujets à leurs caprices, de les laisser opprimer, d'être fpectateur oisif des cruautés qu'on exerçoit contre


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eux. Dès-lors des mœurs superstitieuses, utiles feulement au sacerdoce , devinrent nuisibles à la fociété. Des peuples ainsi corrompus & dégénérés, furent les plus cruels des peuples. Leur obéissance pour le monarque , fut subordonnée à la volonté du prêtre. Il opprima tous les pouvoirs ; il fut le vrai souverain de l'état. L'inaction fut la fuite nécessaire d'une superstition qui énervoit toutes les facultés de l'ame. Le projet que les Romains formèrent dès leur enfance de devenir les maîtres du monde, le manifesta jufque dans leur religion. C'étoit la Victoire; Bellone, la Fortune, le Génie du peuple Romain, Rome même, qui étoient leurs dieux. Une nation qui afpiroit à marcher fur leurs traces , & qui fongeoit à devenir conquérante , adopta un gouvernement monacal, qui a détruit tous les ressorts, qui les empêchera de fe rétablir en Efpagne & en'Amérique, s'il n'est renverfé lui-même avec toute l'horreur qu'il doit inspirer. L'abolition de l'inquisition doit hâter ce grand changement. Il est doux d'efpérer que si la cour de Madrid ne fe détermine pas à cet acte nécessaire , elle y fera quelque


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415 par vainqueur un Jour réduite humain , qui, dans un traité de paix, dictera pour première condition ; que les auto-da-fé feront abolis dans toutes les possefions Espagnoles de l'ancien & du Nouveau-Monde. Ce moyen , tout nécessaire qu'il est au rétablissement de la monarchie , n'est pas suffisant. Quoique l'Espagne ait mis à cacher fa foiblesse plus d'art peut-être qu'il n'en auroit fallu pour acquérir des forces , on connoît fes plaies. Elles font fi profondes & si invétérées, qu'il lui faut des fecours étrangers pour les guérir. Qu'elle ne les refufe pas , & elle verra fes provinces de l'un & l'autre hémisphère, remplies de nouveaux habitans , qui leur donneront mille branches d'industrie. Les peuplés du Nord & ceux du Midi , possédés de l'ambition des richesses qui caradérife notre siècle , iront en foule dans des contrées ouvertes à leur émulation. La fortune publique fuivra les fortunes particulières. Celles des étrangers deviendront elles-mêmes une richesse nationale, fi ceux qui les auront élevées en peuvent jouir avec assez de fureté , d'agrément & de distinction, pour perdre le souvenir de leur pays natal.


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L'Efpagne verroit bientôt arriver fa population au point où elle doit la desirer, fi elle n'ouvroit pas feulement fon sein aux peuples de fa communion , mais indistinctement à toutes les sectes. Elle le pourroit fans blesser les principes de la religion, fans s'écarter des maxime^ de la politique. Les bons gouvernemens ne font pas troublés par la diversité des opinions, & un christianisme bien entendu ne profcrit pas la liberté de confcience. Ces vérités ont été portées à un tel degré d'évidence , qu'elles ne doivent pas tarder de fervir de règle à toutes les nations un peu éclairées. Lorfque l'Espagne aura acquis des bras, elle les occupera de la manière qui lui fera la plus avantageufe. Le chagrin qu'elle avoit de voir les tréfors du Nouveau-Monde palier chez fes rivaux & fes ennemis, lui a fait croire qu'il n'y avoit que le rétablissement de fes manufactures qui pût la mettre en état d'en retenir une partie. Ceux de ces écrivains économiques qui ont le plus appuyé ce systême, nous paroissent dans l'erreur. Tant que les peuples qui font en possession de fabriquer des marchandifes qui fervent à l'approvisionnement


DES DEUX INDES.417 l'approviSionnement de l'Amérique , s'occuperont du foin de conferver leurs manufactures , celles qu'on voudra créer ailleurs en foutiendront difficilement la concurrence» Elles pourront peut-être obtenir à auffi bon marché les matières premières & la maind'œuvre : mais il faudra des siècles pour les élever à la même célérité dans le travail, à la même perfection dans l'ouvrage. Une révolution qui transporteroit en Efpagne les meilleurs ouvriers, les plus habiles artistes étrangers , pourroit feule procurer ce grand changement. Jusques à cette époque, qui ne paroît pas prochaine , les tentatives qu'on hafardera auront une issue funeste. Nous irons plus loin, & nous ne craindrons pas d'avancer, que quand l'Efpagne pourroit fe procurer la supériorité dans les manufactures de luxe, elle ne devroit pas le vouloir. Un fuccès momentané feroit fuivi d'une ruine entière. Qu'on fuppofe que cette monarchie tire de fon foin toutes les marchandées nécessaires pour l'approvisionnement de fos colonies , les tréfors immenses, qui feront le produit de ce commerce , concentrés dans fa circulation intérieure, y aviliront bientôt Tome IV. Dd


418 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE le numéraire. La cherté des productions de fa terre, du falaire de fes ouvriers, fera une fuite infaillible de cette abondance de métaux. Il n'y aura plus aucune proportion entre elle & les peuples voisins. Ceux-ci, dès-lors en état de donner leurs marchandifes à plus bas prix, la forceront à les recevoir, parce qu'un bénéfice exorbitant furmonte tous les obstacles. Ses habitans, fans occupation, feront réduits à en aller chercher ailleurs ; & elle perdra en même tems fon industrie & sa-population. Puisqu'il est impossible à l'Espagne de retenir le produit entier des mines du NouveauMonde , & qu'elle le doit partager nécessairement avec le reste de l'Europe, toute fa politique doit tendre à en conferver la meilleure part, à faire pencher la balance de fon côté , & à ne pas rendre fes avantages excessifs , afin de les rendre permanens. La pratique des arts de première nécessité, l'abondance & l'excellente qualité de fes productions naturelles , lui assureront cette supériorité. Le ministère Espagnol, qui a entrevu cette vérité, s'est mépris, en ce qu'il a regardé les


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manufactures comme le seul mobile de l'agriculture. C'est une vérité incontestable , que les manufactures favorifent la culture des terres. Elles font même nécessaires par-tout où les frais de tranfport arrêtant la circulation & la consommation des denrées , le cultivateur fe trouve découragé par le défaut de vente. Mais dans tout autre cas, il peut fe passer de l'encouragement que donnent des manufactures. S'il a le débouché de fes productions , peu lui importe que ce foit par une consommation locale ou par l'exportation qu'en fait le commerce ; il fe livrera au travail. L'Efpagne vend tous les ans à l'étranger en laine, en foie , en huile , en vin, en fer, en soude, en fruits, pour plus de 80,000,000 de livres. Ces exportations , dont la plupart ne peuvent être remplacées par aucun fol de l'Europe , font susceptibles d'une augmentation immenfe. Elles suffiront, indépendamment des Indes, pour payer tout ce que l'état pourra confommer de marchandises étrangères. Il est vrai qu'en livrant ainsi aux autres nations fes productions brutes, elle augmentera leur population , leurs richesses & leur Dd2


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puissance : mais elles entretiendront, elles étendront dans son fein un genre d'industrie bien plus fur, bien plus avantageux. Son existence politique ne tardera pas à devenir relativement fupérieure ; & le peuple cultivateur remportera fur les peuples manufacturiers. L'Amérique ajoutera beaucoup à ces avantages. Elle deviendra utile à l'Espagne par fes métaux & par fes denrées. On n'a que des notions vagues fur la quantité de métaux , fur la quantité de denrées que l'ancien monde recevoit du nouveau, dans les premiers tems qui fuivirent la conquête. Les lumières augmentent, à mesure qu'on approche de notre âge. Actuellement l'Efpagne tire tous les ans du continent de l'Amérique 89,095,052 livres en or ou en argent, & 34,653,902 livres en productions. En tout 123,748,954 livres. En prenant ce calcul pour règle , il fe trouveroit que la métropole a reçu de fes colonies , dans l'espace de deux cens quatre-vingt-fept années, 35,515,949,798 livres. On ne peut dissimuler qu'autrefois il arrivoit moins de productions qu'il n'en vient


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aujourd'hui : mais alors les mines étoient plus abondantes. Voulez-vous vous en tenir à la multiplication des métaux feulement ? l'Espagne n'aura reçu que 25,570,279,924 1. Nous compterons pour rien les 9,945,669,874 1. de productions. Il feroit possible d'augmenter la masse des métaux & des denrées. Pour atteindre .le premier but, il suffiroit que le gouvernement fît passer des gens plus habiles dans la métallurgie & qu'il fe relâchât fur les conditions auxquelles on permet d'ouvrir des mines. Mais ce succès ne feroit jamais que passager. La raison en est sensible. L'or & l'argent ne font pas des richesses ; ils repréfentent feulement des richeffes. Ces signes font trèsdurables , comme il convient à leur destination. Plus ils fe multiplient, & plus ils perdent de leur valeur, parce qu'ils repréfentent moins de chofes. A mesure qu'ils font devenus communs, depuis la découverte de l'Amérique, tout a doublé, triplé, quadruplé de prix. Il est arrivé que ce qu'on a tiré des mines , a toujours moins valu , & que ce qu'il en a coûté pour les exploiter, a toujours valu davantage. La balance , qui penche Dd 3


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toujours de plus en plus du coté de la dépense, peut rompre l'équilibre, au point qu'il faudra renoncer à cette source d'opulence. Mais ce fcroit toujours un grand bien que de simplifier ces opérations , & d'employer toutes les ressources de la physique à rendre ce travail moins destructeur qu'il ne l'a été. Il eft un autre moyen de profpérité pour l'Espagne , qui, loin de s'affoiblir, acquerra tous les jours de nouvelles forces. C'eft le travail des terres. Tel est le but important auquel la cour de Madrid doit tendre. Si, plaçant les métaux dans l'ordre inférieur qui leur convient, elle fe détermine à fonder spécialement la félicité publique fur les produirions d'un fol fécond & vafte , le nouvel hémifphère sortira du néant où on l'a trouvé , où on l'a laifle. Le foleil qui n'a lui jufqu'ici que fur des déserts en friche, y fécondera tout par fon influence. Au nombre des denrées que fes rayons, fécondés par le travail & l'intelligence de l'homme , y feront éclorre, l'on comptera les denrées qui enrichiflent actuellement les isles du Nouveau-Monde , dont la c'onfommation augmente de jour en jour, & qui,


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après avoir été long-tems des objets de luxe, commencent à être placées parmi les objets d'une nécessité indifpenfable. Il est possible qu'on fasse profpérer les aromates, les épiceries de l'Alie , qui font annuellement fortir dix ou douze millions de la monarchie. Cet efpoir est plus particulièrement fondé pour la cannelle. Elle croît naturellement dans quelques-unes des vallées des Cordelières. En la cultivant, on lui donneroit peut-être quelques-unes des qualités qui lui manquent. Plusieurs provinces du Mexique récoltoient autrefois d'excellentes foies que les manufactures d'Efpagne employoient avec succès. Cette richesse s'eft perdue par les contrariétés fans nombre qu'elle a essuyées. Rien n'eft plus aifé que de la ressusciter & de l'étendre. La laine de vigogner eft recherchée par toutes les nations. Ce qu'on leur en fournit n'est rien en comparaifon de ce qu'elles en demandent. Le plus fur moyen de multiplier ces toifons précieufes ne seroit-il pas de laisser vivre l'animal qui les donne, après l'en avoir dépouillé ? Dd 4


424 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE Qui pourroit nommer les produirions que des régions fi vastes , des climats fi variés des terreins fi différens pourroient voir éclorre ? Dans tant d'efpèces de culture ne s'en trouveroit-il pas quelqu'une du goût des Indiens ? Quelqu'une ne fixeroit-elle pas de petites nations toujours errantes? Distribuées avec intelligence , ces peuplades ne serviroient-elles pas à établir des communications entre des colonies , maintenant féparées par des efpaces immenfes & inhabités ? Les loix , qui font toujours fans force parmi des hommes trop éloignés les uns des autres & du magistrat , ne seroient-elles pas obfervées ? Le commerce, continuellement interrompu par l'impossibilité de faire arriver les marchandifes à leur destination, ne seroit-il pas plus animé ? En cas de guerre, ne feroit-on pas averti à tems du danger, & ne fe donneroit-on pas des fecours prompts & efficaces ? Il faut reconnoître que le nouveau systême ne s'établira pas fans difficulté. L'habitude de l'oisiveté, le climat, les préjugés contrarieront ces vues falutaires : mais des lumières fagement répandues,des encouragemensbien, ménagés, des marques de considération pla-


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cées à propos, surmonteront, avec le tems , tous les obstacles. On accéléreroit beaucoup le progrès des cultures, en supprimant la pratique devenue générale des majorats ou successions perpétuelles , qui engourdit tant de bras dans la métropole , & qui fait encore plus de mal dans les colonies. Les premiers conquérans & ceux qui marchoient fur leurs traces, usurpèrent ou fe firent donner de vastes contrées. Ils en formèrent un héritage indivisible pour l'aîné de leurs enfans ; & les cadets fe virent, en quelque forte, voués au célibat, au cloître ou au facerdoce. Ces énormes possessions font reliées en friche & y relieront jusqu'à ce qu'une main vigoureufe & fage en permette ou en ordonne la division. Alors le nombre des propriétaires, aujourd'hui fi borné, malgré l'étendue des terres, fe multipliera, & les productions fe multiplieront avec les propriétés. Les travaux avanceraient plus rapidement s'il étoit permis aux étrangers d'y prendre part. Le chemin des Indes Efpagnoles leur fut indistinctement fermé à tous , à l'époque même de la découverte. Les loix prescrivoient


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formellement de renvoyer en Europe ceux qui y auroient pénétré de quelque manière que ce pût être. Pressé par fes besoins, Philippe II autorifa, en 1596, fes délégués à naturalifer le peu qui s'y étoient glissés, pourvu qu'ils payâssent cette adoption au prix qu'on leur fixeroit. Cette efpèce de marché a été renouvellé à plusieurs reprises, mais plutôt pour des artistes nécessairement utiles au pays, que pour des marchands qu'on fuppofoit devoir un jour fe retirer avec les richesses qu'ils auroient acquifes. Cependant le nombre des uns & des autres a toujours été excessivement borné, parce qu'il est défendu d'en embarquer aucun dans la métropole , & que les colonies elles-mêmes, foit défiance , foit jalousie , les répondent. Le progrès des lumières autorise à penfer que cette infociabilité aura un terme. Le gouvernement comprendra enfin ce que c'est qu'un homme de vingt-cinq & trente ans, filin, vigoureux; quel dommage il caufe au pays dont il s'expatrie, & quel préfent il fait à la nation étrangère chez laquelle il porte fes bras & fon industrie ; l'étrange stupidité qu'il y auroit à faire payer le droit de l'hofpitalité


DES deux INDES, 427 à celui qui viendrait multiplier -par fes travaux utiles , ou les productions du fol, ou les ouvrages des manufactures ; la profondeur de la politique d'un peuple qui inviterait, foit à fe fixer dans fes villes, dans fes campagnes , foit à traverfer fes provinces , les habitans des contrées adjacentes ; quel tribut il impoferait fur les nations qui lui fourniraient , & des ouvriers, & des cultivateurs, & des consommateurs; combien l'intolérance qui exile est funeste ; quel fonds de richesse on appelle chez foi par la tolérance ; & combien il est indifférent à la valeur des denrées qu'elles doivent leur naiffance à des mains orthodoxes ou à des mains hérétiques , à des mains Efpagnoles ou à des mains Hollandoifes. Mais les plus grands encouragemens au travail des terres, mais toutes les faveurs qu'il feroit possible d'y ajouter ne produiraient rien , fans l'affurance d'un débouché facile & avantageux pour leurs productions. M. de la Enfenada comprit le premier que l'extraction en feroit impraticable , tout le tems que le commerce du Nouveau-Monde feroit conduit comme il l'avoit été. Aussi, malgré les obstacles qu'on lui opposa, malgré


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les préjugés qu'il falloit vaincre, substitua-t-il, en 1740, des vaifleaux détachés, à l'appareil fi antique & fi révéré des galions & des flottes. Il méditoit des changemens plus avantageux encore, lorfqu'une difgrace imprévue l'arrêta au milieu de fa brillante carrière. La moitié du bien qu'avoit fait ce ministre hardi & habile fut annullé, en 1756, par le rétablissement des flottes : mais le mal fut en partie réparé huit ans après par l'établissement des paquebots qui, de la Corogne , devoient porter tous les mois à la Havanne les lettres destinées pour les colonies septentrionales, & tous les deux mois à Buenos-Aires pour les colonies méridionales. On autorifa ces bâtimens, aflez considérables, à fe charger à leur départ de marchandifes d'Europe, & a leur retour de denrées d'Amérique. La fortie des métaux étoit prohibée fous des peines capitales. On fe jouoit de cette défenfe absurde, parce qu'il falloit bien que le commerce étranger retirât la valeur des marchandifes qu'il avoit fournies. Les gouvernemens anciens, qui avoient pour les loix le respect qu'elles méritent, n'auroient pas manqué d'en abroger une dont l'obfervation


INDES. 429 chimérique. Dans nos aurait été démontrée empires les font où modernes, plutôt tems conduits par les caprices des administrateurs que par des principes raifonnés, l'Efpagne fe contenta, en 1748, de permettre l'extraction de l'or & de l'argent, pourvu qu'on payât au fisc un droit de trois pour cent. Cette redevance fut portée vingt ans après à quatre, quoique des fraudes continuelles avertirent fans ceffe le gouvernement qu'il étoit de fon DES

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intérêt de la diminuer. L'an 1774 fut l'époque d'une autre innovation heureufe. Jusqu'alors toute liaifon entre les différentes parties du continent Américain avoit été sévérement profcrite. Le Mexique, Guatimala, le Pérou, le nouveau royaume : ces régions étoient forcément étrangères l'une à l'autre. Cette action, cette réaction qui les auraient toutes fait jouir des avantages que la nature leur avoit partagés, étoient placées au rang des crimes , & trèsfévérement punies. Mais pourquoi n'avoit-on pas étendu la profcription d'une ville à une autre ville ; d'une habitation à l'habitation voisine, dans le même canton ; d'une famille à une autre famille, dans la même cité ? Le


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doigt de la nature a-t-il tracé furie fol qu'habitent les hommes , quelque ligne de démarcation ? Comment fous la même domination un lieu placé à égale distance entre deux autres lieux peut-il exercer librement à l'Orient un privilège qui lui est interdit a l'Occident ? Un pareil édit, bien interprété, ne signifie-t-il pas : défendons à chaque contrée de cultiver au-delà de fa propre consommation, & à chacun de leurs habitans d'avoir befoin d'autre chofe que des productions de fon fol. Une communication libre fut enfin ouverte à ces provinces ; & on leur permit de fe croire concitoyens, de fe traiter en frères. Une loi du mois de février 1778 autorise tous les ports d'Espagne à faire des expéditions pour Buenos-Aires , à en faire pour la mer du Sud. Au mois d'octobre de la même année , cette liberté a été accordée pour le relie du continent, excepté pour le Mexique qui ne doit pas tarder à jouir du même avantage. Ce fera un grand pas de fait : mais il ne fera pas suffisant, comme on s'en flatte, pour interrompre le commerce interlope , 1'objet • de tant de déclamations,


DES DEUX Indes. 431 Tous les peuples , que leurs possessions mettaient à portée des établissemens Efpagnols, cherchèrent toujours à s'en approprier frauduleusement les tréfors & les denrées. Les Portugais tournèrent leurs vues vers la rivière de la Plata. Les François, les Danois, les Hollandois fur la côte de Caraque , de Carthagène & de Porto-Belo. Les. Anglois , qui connoissoient & qui pratiquoient ces voies, trouvèrent dans les cessions qui furent faites à leur nation par les traités, des routes nouvelles pour fe procurer une part plus considérable à cette riche dépouille. Les uns &les autres atteignirent leur but en trompant ou en corrompant les garde-côtes , & quelquefois aussi en les combattant. Loin de remédier au défordre , les chefs l'encourageoient le plus qu'il étoit possible. Plusieurs avoient acheté leur polie. La plupart étaient pressés d'élever leur fortune, & vouloient être payés des dangers qu'ils avoient courus en changeant de climat. Il n'y avoit pas un moment à perdre, parce qu'il étoit rare qu'on fut continué au-delà de trois ou de cinq ans dans les places. Entre les moyens de s'enrichir, le moins dangereux


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étoit de favoriser la contrebande ou de la faire foi-même. Personne, en Amérique, ne réclamoit contre une conduite favorable à tous. Si les cris de quelques négocians Européens arrivoient jusqu'à la cour, ils étoient aisément étouffés par des largeffes verfées à propos fur les maîtresses , fur les confesseurs ou les favoris. Le coupable ne fe mettoit pas feulement à l'abri de la punition, il étoit encore récompenfé. Rien n'étoit fi bien établi, fi généralement connu que cet ufage. Un Efpagnol qui revenoit du Nouveau-Monde où il avoit rempli un emploi important, fe plaignoit à quelqu'un des bruits qu'il trouvoit semés contre l'honnêteté de fon administration. «Si l'on vous calomnie, lui dit fon ami, m vous êtes perdu fans ressource : mais fi l'on » n'exagère pas vos brigandages , vous en » ferez quitte pour en sacrifier une partie ; » vous jouirez paisiblement & même glorieu» sement du reste ». Le commerce frauduleux continuera jufqu'à ce qu'on l'ait mis dans l'impossibilité de foutenir les frais qu'il exige, de braver les dangers auxquels il expose; & jamais on y parviendra que par la diminution des droits, dont


DES deux INDES. 433 Sont on a successivement furchargé celui qui fe fait par les rades Efpagnoles. Depuis même les sacrifices faits par le gouvernement, dans les arrangemens de 1778, le navigateur interlope a foixante-quatre pour cent d'avantage fur les liaisons autorifées. La révolution, qu'une politique judicieufe ordonne, formera un vuide & un grand vuide dans le tréfor public : mais l'embarras qui en réfultera ne fera que momentané. Combien de richesses couleront un jour, de cet ordre de chofes si long-tems attendu ! Dans le nouveau systême, l'Efpagne , qui n'a fourni jufqu'ici annuellement que mille fept cens quarante-un tonneaux de vin ou d'eau-de-vie , dont le cultivateur n'a pas retiré 1,000,000 de livres, y en enverroit dix ou douze fois davantage. Cette exportation fertiliferoit un terrein en friche, & dégoûteroit le Mexique , ainsi que quelques autres provinces du Nouveau-Monde, des mauvaifes boissons que la cherté de celles qui ont passé les mers leur fait confommer. Les manufactures , que l'impossibilité de payer celles qui venoient de l'ancien hémifphère a fait établir, ne fe foutiendroient pas. Tome IF.

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C'eût été le comble de la tyrannie de les détruire par autorité , comme quelques ministres inconsidérés, corrompus ou despotes n'ont pas craint dé le proposer; mais rien ne ferait plus raifonnable que d'en dégoûter ceux qui s'en habillent, en leur offrant à un prix proportionné à leurs facultés des toiles & des étoffes qui flatteroient leur goût ou leur vanité. Alors la confommation des marchandifes d'Europe , qui ne paffe pas tous les ans six mille six cens douze tonneaux, s'élèveroit au double , & , avec le tems, beaucoup davantage. Les bras , que les métiers occupent, fe porteraient à l'agriculture. Elle est actuellement très-bornée. Cependant les ports de toutes les nations font librement ouverts à fes denrées. Peut-être plusieurs peuples s'opposeroient-ils à ce que l'Efpagne mît fes isles en valeur , parce qu'une semblable amélioration porterait nécessairement un préjudice notable à leurs colonies : mais tous défirent qu'elle multiplie dans le commerce les productions de fou continent, qui, la plupart, font néceffaires & ne peuvent pas être remplacées.


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Ce nouvel arrangement ferait également Favorable aux mines. On r'ouvrirait celles qui , ne pouvant pas soutenir le prix du mercure & des autres marchandées, ont été abandonnées. Celles dont l'exploitation n'a pas été interrompue seraient suivies avec de plus grands moyens & plus de vivacité. L'abondance des métaux ouvrirait à l'industrie des débouchés que les plus habiles ne soupçonnent pas. Les Américains , plus riches & plus heureux , fe défieraient moins du gouvernement* Ils consentiroient fans peine à payer des impositions , dont la nature & la perception ne peuvent être fagement réglées que fur les lieux même, & après une étude réfléchie du caractère, des usages des peuples. Ces tributs, quelque foibles qu'on les luppofe, feroient plus que remplir le vuide qu'aurait opéré dans les cailles publiques la modération des douanes. La couronne $ jouissant d'un revenu plus considérable , n'abandonnerait plus fes provinces à la rapacité de fes agens. Elle en diminuerait le nombre, paierait convenablement ceux qu'elle aurait conservés , & les Ec x


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forceroit à respecter les droits des peuples, les intérêts du gouvernement. C'est mal connoître les ressources d'une autorité bien dirigée , que de croire impossible de faire régner cet efprit de justice.Campilloy réussit pendant fon austère ministère, quoi qu'alors les administrateurs de l'Amérique eussent contracté l'habitude du brigandage , & qu'ils n'eussent pas des appointemens suffisans à la représentation que paroissoit exiger leur rang. Il ne faut pas dissimuler que la liberté du commerce de toute l'Efpagne avec l'Amérique a passé pour une chimère. Les ports de cette péninsule font, a-t-on dit, fi pauvres que., quoi qu'on fasse, celui de Cadix reliera seul en possession de ce monopole. Sans doute , qu'il en arriveroit ainsi ,' si l'on ne s'écartoit qu'en ce point de l'ancien systême: mais qu'on dirige le nouveau plan fur les principes déjà établis, déjà pratiqués chez les nations commerçantes; & il fe trouvera, dans la plupart des rades du royaume , des fonds suffisans pour faire des expéditions. Bientôt même les armemens fe multiplieront, parce que la modicité du fret & des droits permettra d'envoyer des marchandifes corn-


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mimes, de recevoir en retour des denrées peu précieufes. Avec le tems, la navigation de la métropole avec fes colonies du continent qui n'occupe maintenant que trente à trente-deux navires chaque année, prendra des accroissemens dont les fpéculateurs les plus hardis n'oseroient fixer le terme. On a prétendu, avec plus de fondement, qu'aussi-tôt que l'Amérique feroit ouverte à tous les ports de la monarchie & qu'il n'exifteroit plus aucun genre d'oppression dans les douanes, le commerce, débarrassé de fes entraves, exciteroit une émulation fans bornes. L'avidité , l'imprudence des négocians doivent préparer à ce défordre. Peut-être sera-ce un bien.Les colons, encouragés par le bon marché à des jouissances qu'ils n'avoient jamais été à portée de fe procurer , fe feront de nouveaux besoins, & fe livreront par conféquent à de nouveaux travaux. Quand même l'excès de la concurrence pourroit être un mal , il ne feroit jamais que momentané. Chercher à détourner cet orage par des loix destructives de tout bien, c'est vouloir prévenir une révolution heureufe par une oppression continuelle. Ee 3


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Enfin, l' objection qui a le plus occupé la cour de Madrid , a été , à ce qu'il paroît, que toutes les nations de l'Europe verroient augmenter, par ces arrangemens, leur activité. C'est une vérité incontestable. Mais l' industrie Efpagnole ne seroit-elle pas également encouragée , puifque débarrassée de l'impôt que les marchandises étrangères continueraient de payer a l' entrée du royaume, elle conserveroit tous fes avantages ? Mais le gouvernement ne percevrait-il pas toujours les droits qu'il aurait cru devoir laisser subsister fur ces productions ? mais fes navigateurs ne gagneraient-ils pas toujours leur fret ? mais fes négocians ne seroient-ils pas les agens de ce commerce ? mais fes fujets du Nouveau-Monde n'obtiendraient-ils pas a meilleur marché tout ce qu'on leur porte ? II est peut-être heureux pour cette puissance d'être obligée de partager avec les autres peuples l'approvisionnement de fes possessions d'Amérique. S'il en étoit autrement , les puissances maritimes feraient les plus grands efforts pour l'en dépouiller, Y réussiroit-on ? C'est ce qui reste à examiner.


439 les premiers qui Les Hollandois furent armes contre le Pérou. leurs tourner ©furent Us y envoyèrent, en 1643 , une foible escadre qui s'empara fans peine de Valdivia , le seul port fortifié du Chili & la clef de ces mers paisibles. Leurs navigateurs dévoroient dans leur cœur les tréfors de ces riches contrées, lorfque la difette & les maladies ébranlèrent leur efpoir. La mort d'un chef accrédité augmenta leurs inquiétudes , & les forces qu'on envoya de Callao contre eux achevèrent de les déconcerter. Leur courage mollit dans cet éloignement de leur patrie , & la crainte de tomber dans les fers d'une nation dont ils avoient fi fouvent éprouvé la haine , les détermina à fe rembarquer. Avec plus de confiance , fis fe feroient maintenus vraisemblablement dans leurs conquêtes jusqu'a l'arrivée des fecours qui feroient partis de Zuiderzée , lorfqu'on y auroit appris leurs premiers succès; Ainfi le penfoient ceux des François qui, en 1595, unirent leurs fortunes & leur audace pour aller piller les côtes du Pérou & pour former, à ce qu'on croit, un établissement dans la partie du Chili, négligée par les Ee 4 DES

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XXXV". La domination Efpagnole at-elle une base solide dans le NouveauMonde ?


440 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE Espagnols. Ce plan eut l'approbation de Louis XIV, qui, pour en faciliter l'exécution, accorda fix vaiffeaux de guerre. L'efcadre vogua très-heureusement, fous les ordres du brave de Gènes , jufques vers le milieu du détroit de Magellan. On croyoit toucher au fuccès * lorfque les navigateurs , opiniâtrément repouffés par les vents contraires & affaillis de toutes les calamités possibles, fe virent réduits à reprendre la route de l'Europe. Ces aventuriers, toujours avides de périls & de richeffes , s'occupoient à former une nouvelle affociation : mais les événemens donnèrent aux deux couronnes les mêmes intérêts. L'Angleterre avoit, avant les autres peuples , jetté des regards avides fur cette région. Ses mines la tentèrent dès 1624 : mais la foibleffe du prince, qui tenoit alors les rênes de l'empire , fit (Moudre une affociation puiffante qu'un fi grand intérêt avoit formée. Charles II reprit cette idée brillante. Il fit partir Norboroug pour obferver ces parages peu connus & pour effayer d'ouvrir quelque communication avec les fauvages du Chili. Ce monarque étoit fi impatient d'apprendre


441 DES deux INDES. expédition, qu'averti que le fuccès de cette retour aux étoit dè Dunes, il fon confident fe jetta dans fa berge , & alla au-devant de lui jufqu'à Gravefend. Quoique cette tentative n'eût rien produit d'utile, le ministère Britannique ne fe découragea point. L'élévation du duc d'Anjou au trône d'Efpagne alluma un incendie univerfel. L'Angleterre , qui s'étoit mise à la tête de la confédération formée pour dépouiller ce prince , vit par-tout profpérer fes armes, mais cette gloire lui fut chèrement vendue. La nation gémissoit fous le poids des taxes, & cependant le fisc avoit contracté des engagemens immenfes. Il paroissoit difficile de les remplir & de continuer la guerre, lorfqu'on eut l'idée d'une association qui auroit exclusivement la liberté de naviguer vers la mer du Sud & d'y former des établissemens, mais à condition qu'elle fe chargeroit de liquider la dette publique. Telle étoit l'opinion qu'on avoit alors des richeffes du Pérou & des grandes fortunes qu'il feroit aifé d'y faire, que les régnicoles & les étrangers versèrent avec enthousiasme leurs capitaux dans cette entreprife. L'administration en fut confiée


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au grand tréforier Oxford , auteur du projet, & il employa aux dépenfes de l'état des fonds destinés pour tout autre ufage. Alors, les actions de la nouvelle société tombèrent dans le plus grand avilissement : mais elles ne tardèrent pas à fe relever. A la paix, la cour de Londres obtint de celle de Madrid que la compagnie du Sud pourroit enfin remplir fa destination. Le commerce du Pérou lui fut solemnellement livré. Elle s'enrichissoit tranquillement, lorfqu'une guerre fanglante changea la situation des chofes. Une escadre commandée par Anfon, remplaça ces négoçians avides. Il est vraisemblable qu'elle auroit exécuté les terribles opérations dont elle étoit chargée , fans les malheurs qu'elle éprouva pour avoir été forcée par des arrange mens vicieux à doubler le cap de Horn dans une faifon où il n'est pas. praticable. Depuis la dernière paix, les François ont entrepris, en 1764, & les Anglois en 1766 de former un établissement, non loin de la côte des Patagons , ou à cinquante & un degrés trente minutes de latitude australe, dans trois isles que les uns ont appellées Malouines & les autres Falkland, L'Espagne


DES DEUX Indes. 443 alarmée de voir des nations'étrangères dans ces parages , a obtenu aisément de la cour de Versailles le sacrifice de fa foible colonie : mais les plus vives instances n'ont rien produit à celle de Londres qui n'avoit pas les mêmes motifs de ménagement & de complaifance. Les efprits fe font aigris. Le port d'Egmont , nouvellement occupé , a été inopinément attaqué & pris fans résistance. On alloit encore voir les deux hémisphères inondés de sang, fi l'agresseur ne fe fût enfin déterminé à restituer un polie dont il n'auroit pas du s'emparer dans un tems où l'on avcit ouvert dès négociations pour leclairciffement des droits réciproques. L'Angleterre s'est depuis engagée , par une convention verbale du 22 janvier 1771 , à laiffer tomber peu-à-peu ce foible , inutile & dispendieux établissement. Il n'y restoit plus, en effet, que vingt-cinq hommes, lorfqu'on l''évacua, au mois de,mai 1774, en y laiffant une inscription qui attestât aux siècles à venir que ces isles avoient appartenu & n'avoient pas ceffé d'appartenir à la Grande-Bretagne. En s'éloignant , ces navigateurs , occupés de la dignité de leur nation , insultent à la puiffance rivale. C'est


444 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE par condescendance & non par crainte qu'ils veulent bien fe désister de leurs droits. Lorsqu'ils promettent à leur empire une durée éternelle , ils oublient que leur grandeur peut s'évanouir aussi rapidement qu'elle s'est élevée. De toutes les nations modernes, qu'estce qui reliera dans les annales du monde ? Les noms de quelques illustres personnages, les noms d'un Christophe Colomb , d'un Descartes, d'un Newton. Combien de petits états, avec la prétention ridicule aux grandes destinées de Rome ! . Sans le fecours de cet entrepôt ni d'aucun autre, Anfon croyoit voir des moyens pour attaquer avec avantage l'empire Espagnol dans l'Océan Pacifique. Dans le plan de ce fameux navigateur, douze vaisseaux de guerre partis d'Europe avec quatre ou cinq mille hommes de débarquement, tourneroient leurs voiles vers la mer du Sud. Ils trouveroient des rafraîchissemens à Bahia, à Rio-Janeiro , à Sainte-Catherine , dans tout le Brésil qui desire avec passion l'abaissement des Efpagnols. Les réparations , qui pourroient devenir nécessaires dans la fuite, fe feraient avec fureté fur la côte inhabitée & inhabitable


DES DEUX Indes. 445 des Patagons , dans le port Déliré, ou dans celui de Saint-Julien. L'escadre doublerait le cap de Horn ou le détroit de Magellan , fuivant les faifons. En cas de séparation, on le réuniroit à Tille déferte de Socoro , & Ton se porteroit en force sur Valdivia. Cette fortification, la feule qui couvre le Chili, emportée par une attaque brufque & impétueuse, que pourroient, pour la défenfe du pays , des bourgeois amollis & inexpérimentés contre des hommes vieillis dans les exercices de la guerre & de là discipline ? Que pourroient-ils contre les Arauques & les autres fauvages , toujours difpofés à renouveller leurs cruautés & leurs ravages ? Les .cotes du Pérou feroient encore moins de résistance. Elles ne font protégées que par Callao, où une mauvaife garnifon de six cens hommes ne tarderoit pas à capituler. La prife de ce port célèbre ouvriroit le chemin de Lima, qui n'en eft éloigné que de deux lieues & qui est abfolument sans défenfe. Les foibles fecours qui pourroient venir aux deux villes de l'intérieur des terres, où il' n'y a pas un soldat, ne les fauveroit pas ; & l'escadre intercepteroit aisément tous ceux


446 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE que Panama pourroit leur envoyer par mer. Panama lui-même , qui n'a qu'un mur fans folié & fans ouvrages extérieurs, feroit obligé de fe rendre. Sa garnifon , continuellement affoiblie par les détachemens qu'elle envoie à Châgre, à Porto-Belo, à d'autres poffes, feroit hors d'état de repouffer le moindre affaillant. Anson ne penfoit pas que les côtes , une fois soumises, le reste de l'empire pût balancer à fe foumettre. Il fondoit fon opinion fur la mollesse, fur la lâcheté, fur l'ignorance des peuples dans le maniement des armes. Selon lés lumières, un ennemi audacieux ne devoit avoir guère moins d'avantage fur les Espagnols qu'ils en eurent eux-mêmes fur les Américains , à l'époque de la découverte. Telles étoient, il y a trente ans , les idées d'un des plus grands hommes de mer qu'ait eu l'Angleterre. Tiendroit-il aujourd'hui le même langage ? Nous ne le penfons point. La cour de Madrid , réveillée par les humiliations & les malheurs de la dernière guerre, a fait paffer au Pérou des troupes aguerries. Elle y a confié l'es places à des commandans expérimentés. L'efprit des milices est entié-


DES DEUX INDE S. 447 rement changé dans cette partie du NouveauMonde. Ce qui peut-être étoit possible ne l'est plus. Une invation deviendroit fur-tout chimérique, fi dans cette région éloignée, les forces de terre étoient appuyées par des forces maritimes proportionnées. On ne craindra pas même d'affiner que la réunion de ces deux moyens en écarteroit infailliblement le pavillon de toutes les nations. Les opérations de l'escadre ne devraient pas fe borner à combattre ou à éloigner l'ennemi. Les vaisseaux , qui la compoferoient, feraient utilement employés à faire naître ou à recueillir fur ces côtes des denrées qui n'y croissent pas ou qui s'y perdent par la difficulté des exportations. Ces facilités tireraient vraisemblablement les colons d'une léthargie qui dure depuis trois siècles. Affinés que le produit de leurs cultures arriveroit fans frais à Panama & y ferait embarqué finie Châgre pour paffer en Europe avec des frais médiocres , ils aimeraient des travaux dont la récompense ne ferait plus douteufe. L'activité augmenterait, fi la cour de Madrid fe déterminoit à creuser un canal de cinq lieues qui achèverait la communication des


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deux mers, déjà fi avancée par un fleuve navigable. Le bien général des nations , l'utilité du commerce exigent que l'isthme de Panama, que l'isthme de Suez , ouverts»à la navigation, rapprochent les limites du monde. Depuis trop long-tems, le defpotifme oriental , l'indolence Efpagnole privent le globe d'un fi grand avantage. Si de la mer du Sud nous passons dans celle du Nord , nous trouverons que l'empire Espagnol s'y prolonge depuis le Mississipi jusqu'à l'Orenoque. On voit dans cet efpace immense beaucoup de plages inaccessibles, & un plus grand nombre encore où un débarquement ne ferviroit de rien. Tous les postes regardés comme importuns : VeraCrux , Châgre , Porto-Belo , Carthagène , Puerto-Cabello font fortifiés , & quelquesuns le font dans les bons principes. L'expérience a cependant prouvé qu'aucune de ces places n'étoit inexpugnable. Elles pourroient donc être forcées de nouveau : mais qu'opéreroient ces succès ? Les vainqueurs, auxquels il seroit impossible de pénétrer dans l'intérieur des terres, fe verroient confinés dans des forteresses , où un air dangereux dans


DES DEUX INDES. 449 Bans toutes les faifons & mortel durant fix mois de l'année pour des hommes accoutumés à un ciel tempéré , creuferoit plus ou moins rapidement leur tombeau. Quand même , contre toute probabilité, la conquête feroit achevée, peut-on penfer que les Efpagnols Américains , idolâtres par goût, par paresse , par ignorance, par habitude , par orgueil, de leur religion & de leurs loix, ne rompraient pas , un peu plutôt un peu plus tard, les fers dont on les aurait chargés ? Que fi, pour prévenir la révolution , on fe déterminoit à les exterminer, ce cruel expédient ne feroit pas moins insensé en politique qu'horrible en morale ? Le peuple qui fe feroit porté à cet excès de barbarie ne pourrait tirer parti de fes nouvelles possessions qu en leur sacrifiant fa population, fon activité , fon industrie , & avec le tems toute fa puiflance. Tant d obstacles à l'envahissement de l'Amérique Efpagnole avoient, dit-on , fait naître en Angleterre durant les dernières hostilités, Un systême étonnant pour le vulgaire. Le projet de cette puiflance , alors maîtresse de toutes les mers , étoit de s'emparer de la Tome IF, ... .F f


450 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE Vera-Crux, & de s'y fortifier d'une manière redoutable. On n'auroit pas propofé au Mexique un joug étranger, pour lequel on lui connoissoit trop d'éloignement. Le plan étoit de le détacher de fa métropole , de le rendre arbitre de fon fort, & de le laisser le maître de fe choisir un fouverain ou de fe former en république. Comme il n'y avoit point de troupes dans le pays, la révolution étoit assurée ; & elle fe feroit également faite dans toutes les provinces de ce vaste continent qui avoient les mêmes motifs de la desirer , les mêmes facilités pour l'exécuter. Les efforts de la cour de Madrid pour recouvrer fes droits devoient être impuissans ; parce que la Grande-Bretagne fe chargeoit de les repousser , à condition que les nouveaux états lui accorderoient un commerce exclusif, mais infiniment moins défavorable que celui fous lequel ils avoient fi long-tems gémi. S'il étoit vrai que de pareilles idées eussent jamais occupé férieufement le cabinet de Londres , il doit avoir renoncé à ces vues ambitieufes depuis que la cour de Madrid a pris le parti d'entretenir des troupes régu-


INDES. 451 Tes possessions du Hères & Européennes dans forces Ces contiendront Nouveau-Monde. les peuples , elles repousseront l'ennemi, appuyées comme elles le font maintenant par une marine respectable. Les Efpagnols eurent à peine découvertun autre hémifphère , qu'ils fongèrent à s'en approprier toutes les parties. Pour donner de l'éclat à leur administration, les chefs des grands établissemens déjà formés , tentoient tous les jours de nouvelles entreprises ; & les particuliers , passionnés pour la même renommée, suivoient généralement ces traces brillantes. Les calamités inféparables d'une carrière fi peu connue n'avoient pas encore altéré ce courage actif & infatigable ; lorfque des navigateurs hardis & entreprenans ofèrent tourner leurs voiles vers des régions interdites à toute autre nation qu'à celle qui les avoit conquifes. Les fuccès qui couronnèrent cette audace firent juger à Philippe II qu'il étoit tems de mettre des bornes à fon ambition ; & il renonça à des acquifitions qui pouvoient expofer fes armes ou fes escadres à des infultes. Cette politique timide ou feulement prudente eut des fuites plus Ff 2 DES

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452 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE

considérables qu'on ne l'ayoit prévu. L'enthousiasme s'éteignit ; l'inaction lui fuccéda. Il fe forma dans les Indes une nouvelle race d'hommes. Les peuples fe plongèrent dans une molleffe superbe, & ceux qui les gouvernoient ne s'occupèrent plus qu'à accumuler des tréfors dont on acheta les distinctions autrefois réfervées aux talens, au zèle, aux fervices. A cette époque s'arrêta la navigation en Amérique ; à cette époque, elle s'arrêta en Europe, Il ne fortit plus des ports de la métropole que peu de vaiffeaux mal construits , mal armés , mal équipés , mal commandés. Les coups terribles que lui portoient fes ennemis , les vexations ruineufes qu'elle éprouvoit de la part de fes alliés : rien ne tiroit l'Efpagne de fa léthargie. Enfin , après deux siècles d'un fommeil profond, les chantiers fe font ranimés. La marine Efpagnole a acquis une vraie force. Soixante-huit vaisseaux, depuis cent quatorze jufqu'à foixante canons, dont cinq font en construction ; quatre-vingt-huit bâtimens , depuis cinquante-six jufqu'à douze canons , la forment au tems où nous écrivons. Elle,


453 DES deux INDES. Compte fur fes registres cinquante mille matelots. Un grand nombre d'entre eux fervent dans les armemens que le gouvernement ordonne. La navigation marchande de la Bifcaye , de Majorque , de la Catalogne en occupent beaucoup aussi. Il en faut pour une centaine de petits navires destinés régulièrement pour les isles d'Amérique qui en voyoient fi peu autrefois. Ils fe multiplieront encore, lorfque les expéditions au continent de l'autre hémifphère fe feront avec toute la liberté qu'annoncent de premiers arrangemens. Les mers, qui féparent les deux mondes, fe couvriront d'hommes robustes , actifs , intelligens, qui deviendront les défenfeurs des droits de leur patrie , & rendront fes flottes redoutables. Monarques Efpagnols , vous êtes chargés des félicités des plus brillantes parties des deux hémisphères. Montrez-vous dignes d'une fi haute destinée. En remplissant ce devoir auguste & sacré, vous réparerez le crime de vos prédécefieurs & de leurs sujets. Ils ont dépeuplé un monde qu'ils avoient découvert ; ils ont donné la mort à des millions d'hommes ; ils ont fait pis, ils les ont


454 HISTOIRE PHILOSOPHIQUE , &c. enchaînés ; ils ont fait pis encore, ils ont abruti ceux que leur glaive avoit épargnés. Ceux qu'ils ont tués n'ont souffert qu'un moment ; les malheureux qu'ils ont laissé vivre ont dû cent fois envier le fort de ceux qu'on avoit égorgés. L'avenir ne vous pardonnera que quand les moissons germeront de tant de fang innocent dont vous avez arrofé les campagnes , & qu'il verra les efpaces immenses que vous avez dévastés couverts d'habitans heureux & libres. Voulez-vous favoir l'époque a laquelle vous ferez peut-être abfous de tous vos forfaits ? C'est lorfque ressuscitant par la penfée quelqu'un des anciens monarques du Mexique & du Pérou, & le replaçant au centre de fes possessions, vous pourrez lui dire : Vois L'ÉTAT ACTUEL DE TON PAYS ET DE TES SUJETS ;

INTERROGE-LES ,

JUGE NOUS.

Fin du huitième Livre.

ET


TABLE ALPHABÉTIQUE

DES MATIERES CONTENUES

DANS

CE

VOLUME,

À BSTINENCE , réflexions fur les abstinences, ordonnées par l'Eglife. 365. Alcannizas , l'une des dernières maisons des Souverains, du Pérou , fortié du mariage de la fille du dernier des Incas & de Loyola. 71. Àlmagro. Lés chefs du pirti de Pizarre & les siens en viennent aux mains : Almagro est décapité. Pizarre est ensuite massacré par le parti d'Almagro , son fils est revetu de l'autorité. Alvarès ( Pedro ) , commandant dii parti de Pizarre , après fa mort. y3. Anglais, tentés par l'attrait des mines dix Pérou-, ils essayent de s'y établir en 1624. & ne font pas heureux. 440. ils réussissent en 1766. 442. Le ministère consent en 1771 à laisser tomber fon établissement. 443. Arancos , peuples du Chili ennemis irréconciliables des Espagnols. Leur manière de faire la guerre, 255. Arequipa. Ville du Pérou qui a 4° mille habitans. 173• Atabaliba , fils DE/ l'Empereur Huyana-Capac Souverain du Pérou. Démêlés qu'il a avec Huafcar fon frère Consanguin. 19. ayant appris que Huafcar offrait plus d'or aux Efpagnols , qu'il n'en promettoit pouf

Tome IV,

Gg


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TABLE

fa rançon , il le fait étrangler. 24. mais après avoir partagé fon or , on lui fit fou procès & il fut livré à la mort 25. Auto-da-fe , cérémonie barbare qui s'oppofe à l'agrandissement des Etats où l'inquisition l'a établie. 415. B

SALBOA , chef des Castillansà la conquête du Pérou, 8. cruautés qu'il exerce fur les peuples du Darien. ïo. au milieu des fuccès les plus grands il efi: privé de fora commandement. Pedrarias lui succède & lui fait trancher la tête. 12.. Benalcazar , commandant Espagnol à Quito , qui attaque Bogota en 1526. 123. Blasco Nunnez- Vêla , envoyé en 1544. au Pérou en qualité de Vice-Roi. Ordres de la Cour d'Espagne dont il efi porteur. 59. vices dans la manière dont il s'y prit pour les faire exécuter ; troubles qui s'enfuivirent. 61. il est mis aux fers. 64. il est tiré de fon exil, mais fon parti est défait, & lui-même massacré.65. Bogota, nom que portoit le pays auquel les Efpagnols ont donné celui de nouveau royaume de Grenade. 123. Buenos-Aires. Province formée du démembrement du Paraguay par les Efpagnols , fa position est agréable, 284. nombre des troupes qui la défendent, commodité & fureté de fon port. 286. C

£ACAOYER , Description de cet arbre qui a très-bien réussi dans Venezuela , contrée du Nouveau-Monde, Defcription des fleurs & du fruit. 90. nature de terrein qui lui efi propre. 92, Caraque , contrée du Nouveau-Monde où croît le meilleur cacao, La Compagnie des Indes Efpagnole en obtient le commerce exclusif. 97. & suiv. Carthagene, province de l'Amérique voifine de Panama. Sa defcription géographique , climat & productions


DES

MATIERES.

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de cette contrée. 7$. Bastidas est le premier Européen qui y aborda en 1502 ; plusieurs autres y abordèrent depuis & furent contraints de fe retirer. Enfin Pedro de Heridia s'y établit en 1527, & bâtit Cartbagene. Elle est pillée par des corfaires françois en I544,brûlée par les Anglois en 1584, prife par Pointis amiral de Louis XIV en 1697 , & assiégée inutilement par les anglois en 1741, 76. 77. influence du climat fur les habitans , maladie singulière qu'on y éprouve, 78. remède qu'on y employé utilement félon Godin. Conjectures fur un autre remède qu'on pourroit employer. 79. malgré ces dangers , Carthagene est très-peuplée. 82. balance du commerce qui s'y fait. 84. Carvajal , confident de Pizarre,rebelle dans le Pérou est écartelé , férocité de fon caractère , qualités qui auroient pu en faire un grand homme 68. Castro ( Vaca de ) Licencié envoyé d'Efpagne pciuc juger les meurtriers du vieux Almagro. 584 Chaco , très-grande contrée du Paraguay dont les Espagnols viennent à bout, après bien des peines , de former trois grandes provinces. 280. Chaglas, nom d'un osier du Pérou , dont on fe sert pour lier les Uns aux autres les poteaux dont on construit les maison à Lima. 220. Chapetons , nom donné aux Èfpagnols Européens qui passent en Amérique , leurs enfans font appelés Créoles* 326. Chica , forte de boisson du Pérou , manière dont on la fait. 178. Chili. Description géographique de cette possession Espagnole. Les Incas essayent de s'y établir, mais les Espagnols font plus heureux. 251. dangers qu'ils furmontent sous la conduite d'Almagro.252.état des troupes que les espagnols entretiennent dans toutes les villes de cet empire. 263. 264. il a toujours eu des liaisons avec le Pérou & le Paraguay. Les Sauvages lui fournissent le Poncha , objet de commerce qu'il fournit au Pérou. 26p. objets de fon commerce avec le Paraguay, ce qu'il reçoit en échange. 270. voie par G g 2,

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laquelle cette communication pourra s'étendre, 270 combinaifons fausses qui privèrent longtems cet empite de toute liaifon directe avec l'Efpagne. 271. Chimboraco , l'une des Cordelières est élevée de 3220 toifes au-deffus du niveau de la mer. 151. Christianisme , manière horrible avec laquelle les Espagnols, ayant à leur tête un Dominicain , le prêchèrent dans le Pérou. 21. Coca , arbriffeau du Pérou dont les Péruviens mâchent la feuille avec plaisir ; fi ceux qui travaillent aux mines n'en avoient pas , rien ne pourroit les contraindre au travail. 178. 179. Colomb , conduite qu'il tient dans Ces voyages , pour découvrir un océan qu'il soupçonnoit devoir aboutir aux Indes Orientales. 3. Colonie» , réflexions philosophiques fur le droit que les hommes s'arrogent de fonder des Colonies où il leur plaît. 246. & suiv. Compagnie des Indes Espagnole, on lui accorde la province de Venezuela en 1728. 94, différentes modifications apportées depuis ce tems au commerce de cette province, privilèges accordés à la compagnie. 96. Nouveaux arrangemens faits en 1776. Divers établifsemens de la compagnie dans ces parages. 97. Lorfque cette compagnie s'établit en Efpagne la confiance n'y fut d'abord pas grande. Adresse par laquelle elle gagna peu-à-peu cette confiance, JOZ. Conception (la). Ville du Chili, bâtie par les Espagnols en 15 50, détruite & rebâtie plusieurs fois. 259. Conquêtes. Réflexions Phiiofophiques fur les cruautés qui' accompagnèrent la conquête du Nouveau-Monde. 1. Conquimbo ou la Serena , ville du Chili élevée en 1544. par les Espagnols. 257. Cordelières , montagnes du Pérou. Leur defcription y élévation de Chimboraco l'une d'elles ; plaines où elles' font situées. 151. Nature de leur terrein & leurs différente*productions. 152. 153. Maladies particulière» aux habitans de ces montagnes, félon qu'ils font plu» ou moins élevés. 153. 154.


DES MATIERES.

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Cour de Rome. Réflexions fur la prétention qu'elle s'arrogeoit de disposer de la propriété des empires , & nommément des conquêtes à faire dans le NouveauMonde. 6. Créoles, on appelle ainsi les enfans nés en Amérique des Efpagnols qui y font passés d'Europe. 326. Croisade , forte d'impôt qui a lieu en Espagne , ce que c'est. 364. Cumana , côte d'Amérique , découverte par Colomb en 1498. Les cruautés qu'on y commit par la fuite furent arrêtées par Las Cafas. 105. Cusco , ville du haut Pérou , bâtie par le premier des Incas. 174.

D , golfe qui joint l'Amérique Septentrionale à la Méridionale ; ufages singuliers qui s'y observoient lorsque les Efpagnols en firent la conquête ; efpèce singulière de Sauvages qui s'y trouvèrent. 8 &suiv. Defcription géographique de cette langue de terre abandonnée par les Efpagnols : douze cent Ecosfois s'y rendent en 1698, & tâchent de foulever les Sauvages originaires contre les Efpagnols. 72. cette entreprife déplaît à toutes les puissances de l'Europe. Suites de cette affaire. 74. Diaz de Solis, capitaine Castillan qui découvrit en 1515 le fleuve Paraguay ; il est massacré avec les siens par les Sauvages. 274. Diego d'Almagro , compagnon de Pizarre dans la conquête du Pérou ; qualités de cet homme. 14. Dividi, nom d'un bénéfice que fait la compagnie des Indes Espagnole à Venezuela en Amérique. 100. D ARIEN

E On a longtems cru qu'elles nous venaient des grandes Indes. On fait maintenant que ce

EMÉRAUDES.

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font les provinces du Popayan & du Choco , dans fa nouvelle Grenade , qui les fournisseur. 125. Ensenada (M. de la). Ministre célèbre d'Espagne qui par des vues fages y rétablit le commerce. 47a. Espagne. Lorsqu'en 1492 les Maures furent contraints de fubir le joug espagnol , les manufactures furent anéanties , & cette couronne commença à décliner, 38a. 383. L'inquisition y occasionne de très-grands maux. 386. La guerre & la politique y font mal administrées. 3.88, Vices de toute elpèce qui hâtent fa ruine. 392. Tous ces maux influent fur les colonies efpagnoles. 393. La découverte des mines du Nouveau Monde , fut pour elle une grande caufe de deftruction. 396. Le commerce ne fut plus en Efpagne que l'art de tromper publiquement. 400. Les affaires y ont depuis quelque tems pris un meilleur train. L es arts , les manufadures y font en vigueur ; l'agriculture y est encouragée. 402. Etat d'épuifement où fe trouva ce Royaume à la mort de Charles-Quint. 404, Moyens dont il peut fe servir pour fe relever. 405. Et par lefquels on peut y augmenter la population. 416, L'augmentation des manufactures de luxe lui feroit meurtrière ; raifons qui appuyent cette assertion. 417. Balance de (on commerce actuel de laines. Produit des mines du Pérou. 419. feroit avantageux pour elle de permettre aux étrangers l'entrée deses colonies. 426. On a levé en 1774 l'interdidion de communication qui jusqu'alors avoit été établie entre différentes colonies Efpagnoles. 419, Confeils à cette puissance fur fon agrandissement. 432- & suiv- Le commerce des colonies en concurrence avec d'autres nations seroit-il avantageux ou nuiuble à l'Efpagne ? 438. Tentatives des Hollandois , des François & des Anglois fur fes, colonies. 439. Confédérations qui pourroient déterminer les puissances à s'y établir. 44-,. Motifs de tranquillité pour l'Efpagne. 449. Voie qu'elle doit suivre pour réparer les cruautés de fes conquérans barbares. 453» Espagnols. Leur fort est d'être par - tout un fang mêlé , m Europe avec tes Maures , en Amérique avec les


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Indiens, 277. Les deux chefs Pizarre & Almagro , après la conquête du Pérou en viennent aux mains pour le commandement. Almagro est pris & décapité. 55.

F FEMMES , condition où elles sont réduites chez un peuple sauvage & guerrier , chez un peuple pasteur. 112, 113. & chez un peuple policé, 115. Fernand de Luques, compagnon de Pizarre dans la conquête du Pérou ; il étoit prêtre & s'étoit enrichi par la superstition. 15. François, encouragés par la spéculation des richesses du Nouveau-Monde, ils tentent en 1595 d'y pénétrer; Louis XIV, encourage de pareilles tentatives , l'une & l'autre ne sont pas heureuses. 439. ils ont repris le même chemin en 1764, mais la cour de Versailles » fait le sacrifice de sa colonie. 442.

G GORGONE, isle du Pérou où Pizarre & quelques uns de ses compagnons passent six mois à lutter contre la faim & le climat. 17. Grenade , ( nouveau royaume de) très - grande contrée d'Amérique. Sa description géographique. Conjectures sur son origine. Il s'appeloit anciennement Bogota. Il fut attaqué & pris en 1526, 122. Merveilles qu'on en a racontées. Son état actuel. 124. Guanaco , espece de Lama sauvage plus fort que les Lamas domestiques ; on leur fait la chasse pour avoir leur toison. 184. Guanca Velica, pays où se trouve la seule mine de mercure qu'il soit permis d'exploiter au Pérou, 210. Guaranis , peuple du Paraguay forcé par le gouvernement des Jésuites à quitter la vie sauvage. 307 & suiv. Guayaquil, contrée du Pérou où se trouvent les lima-

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çons qui donnent la couleur pourpre qu'on avoit crue perdue ; objet du commerce immense qui s'y fait, 169. Désagrément du climat & maladies qui y règnent. 172. Guerres civiles, réflexions sur leurs effets , selon qu'elles proviennent de la tyrannie ou de l'anarchie. 54-62,

H HERRADA, ( JEAN D') conseil & guide du jeune Almagro , gouverneur du Pérou, 58. Hollandois, encouragés par la prospérité de l'Espagne, ils tentent de pénétrer au Pérou en 1643, 439. Horn (cap de) doublé en 1616 par des navigateurs Hollandois, & pratiqué depuis, fait négliger le détroit de Magellan. 240. Huascar, frère consanguin d'Atabaliba, roi du Pérou ; démêlés que ces deux frères ont ensemble pour l'empire.20. Huyana-Capac, onzième empereur du Pérou, après avoir détrôné le roi de Quito, épouse l'héritière du trône pour légitimer son usurpation; il a pour fils Atabaliba. 19.

I INDIENS , ils sont la dernière classe dans un pays qui appartenait a leurs ancêtres. 326. Changemens successifs qui furent apportés dans leur condition, 327 & suiv. Etat ou ils sont actuellement. 346. Ingratitude, anecdote presque incroyable qui prouve où peut être porté l'homme par l'ingratitude. 206. Inquisition , anecdote qui prouve l'injustice & le despotisme de ce tribunal Espagnol. 270. Ce tribunal fut d'abord établi en Espagne pour arrêter les progrès du Judaïsme & de l'Alcoran ; il y occasionne des maux sans nombre. 386. Ivrognerie , réflexions philosophiques sur les suites de ce défaut. 268.


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JÉSUITES ,

moyens qu'ils employèrent au Paraguay pour en civiliser les sauvages. 298 & suiv. Causes qui s'opposèrent à la multiplication des hommes dans ces contrées. 304 & suiv. Eloge de la manière dont ils se sont servis. 308. Véritables causes qui se sont opposées à la population qu'on devoit attendre de leur conduite au Paraguay. 311 & suiv. Soupçons qui se sont élevés sur leur genre de gouvernement. 318. Lorsqu'ils furent chassés du Paraguay en 1768,ce pays étoit trèsabondant. L'exercice de la religion fut confié aux Jacobins , aux Franciscains & aux moines de la Merci. 323-324. Jussieu ( M. Joseph de) , Botaniste célèbre qui, par goût pour son art, a voyagé toute sa vie; éloge de ce savant ; sa fin malheureuse. 140. Il a voulu enseigner aux Péruviens à perfectionner la cochenille sylvestre mais ils s'y sont refusés. 141. L

L

AMA , animal du Pérou, avec la laine duquel les Péruviens font leurs habits ; sa description. 180. Usage domestique qu'on en tire ; mœurs douces de cet animal. 182. Fête que les Péruviens sont à cet animal avant de le destiner au travail. 183. Las Casas, homme célèbre dans les annales du NouveauMonde; singularité de la conduite qu'il y tient. 105. 107. Peu de réussite de son entreprise. 108. Il est envoyé dans le Nouveau-Monde pour juger de l'état qu'on devoit assigner aux Indiens originaires ; ses vues de bienfaisance ne sont pas écoutées; éloge de ce grand homme. 338 & suiv. Lima, ville capitale du Pérou, qui renferme cinquantequatre mille habitans. 173. Cette ville a été bâtie en 1535, par François Pizarre ; climat & productions de ses environs. 215. Elle a été renversée par un tremblement de terre arrivé en Octobre 1746 ; elle a été


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rebatie avec plus de solidité ; moyens qu'on y a employés. 218.

M MAGELLAN (détroit de), découvert par Magellan en 1520, à l'extrémité méridionale de l'Amérique. 238. Il a été long-tems négligé à cause des dangers de sa navigation ; l'Espagne prend des mesures pour défendre ses possessions contre le passage des Pirates par ce détroit, 239. Majorats, on appelle ainsi en Espagne des terres données à titre de succession perpétuelle, & qui s'opposent au progrès de l'agriculture. 424. Marna-Ocello, femme de Manco Capac, premier Inca du Pérou. 29. Manco Capac, premier Inca du Pérou ; conjectures sur son origine. 29. Mantas, monstre marin , auquel les pêcheurs d'huitres sont obligés de faire la guerre pour n'en être pas étouffés, 229. Manufactures , en quoi elles consistent au Pérou. 187. Maures. Cette nation qui avoit long-tems régné sur l'Espagne entière , est repoussée jusqu'à Grenade & contrainte, en 1492, de subir le joug Espagnol. Philippe Il établit une inquisition pour s'assurer de la foi de ces peuples. 379.380. Ils sont chassés entièrement en 1610, 381. Les ouvriers des manufactures surchargés des tributs qu'on levoit auparavant sur les Infidèles, se réfugient en Flandres ; les cultivateurs sont vexés. 382 & 383. Mendosa , capitaine Espagnol , aborde sur le fleuve Paraguay & y fonde la ville de Buenos-Aires. 276. Mercure. Avant 1571, les mines du Pérou étoient exploitées par le moyen du feu , on lui substitua le mercure. 208. Il y en a de deux sortes ; le mercure vierge & celui qu'on tire du cinabre; les seules mines qu'il y ait en Europe sont à Ydria dans la Carniole , si ce n'est celles qu'on a découvertes sous la ville de Mont-


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pellier même. 208. Le cinabre se trouve en beaucoup d'endroits. 209. Métis, peuple provenu des races mêlées d'Espagnols avec les Indiens très-commun dans l'Amérique méridionale. 277. C'est aussi le nom qu'on donne aux enfans nés d'un Européen avec une Indienne. 328. Mines. Tableau des maladies dont les ouvriers qu'on y emploie sont la proie. 397. Montagnes du Pérou. Description des Cordilières ; réflexions sur la formation des montagnes. 143. Analyse des divers systêmes. 145 & suiv,

N NEGRES. C'est en 1503 , peu de tems après la découverte du Nouveau-Monde, qu'on y porta quelques Noirs. 329. Toutes les nations d'Europe , à mesure qu'elles y ont eu des possessions , y en ont porté. 330. réflexions philosophiques sur le commerce des Nègres. ,

333. Nicuessa. Voyez Ojeda. Nouveau-Monde , nature du gouvernement qui y a été introduit. 351. Administration de la justice ; régime ecclesiastique.352. Scandale universel ; vices du clergé. 354. Les terres sont partagées à tous les soldats qui en avoient partagé la conquête. 356. Réglemens pour l'exploitation des mines. 360. Impôts. 362. L'usage du papier timbré y est introduit en 1641 , le monopole du tabac en 1752 & 1754; celui de la poudre, du plomb & des cartes; celui de la croisade. 364. Etat de foiblesse ou furent long-tems les finances de ce pays; réforme que M. de la Ensenada y a introduite ; augmentation qui en a été le fruit.370. Entrâves qui furent mises au commerce à la découverte du Nouveau-Monde. 371. Causes qui ont perpétué cette faute. 374. Suite funeste que ces entrâves eurent pour le commerce de la métropole. 377. Excès de désespoir auquel se livrèrent les Indiens forcés de s'enterrer dans les mines. 398.


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TABLE O

OJEDA & NICUESSA, Navigateurs Espagnols qui con-

çurent, en l509, le projet de former des établissemens en Amérique ; avantages que leur accorde Ferdinand, roi de Castille. 5, Or (mines d'). Ce n'est que dans les lieux très-froids & élevés du Pérou qu'elles sont abondantes. 199. Enumération de celles qu'on y a successivement exploitées 200. Orellana, gouverneur du Pérou , qui bâtit en 1537 une ville près du golfe de Guayaquil. 168. Orenoque, grand fleuve d'Amérique qui tire sa source des Cordelières ; phénomènes particuliers à ce fleuve. 109, Conjectures propres à les expliquer. 110. Ceux qui en entreprennent la navigation font, dans certains endroits, obligés de porter leurs bateaux & leurs marchandises. 111. Condition des femmes dans cette contrée, 112. Réponse d'une femme de ce pays à un Jésuite qui lui reprochoit d'avoir causé la mort de sa fille par un usage meurtrier adopté dans cette contrée. 117 & suiv. Les Espagnols ne pouvant conserver toutes leurs conquêtes, quittent l'Orenoque ; ils ne s'y établissent de nouveau qu'en 1535 ; état actuel des établissemens formés dans cette contrée depuis 1771, 120 & suiv. Oropeza, l'une des dernières maisons des souverains du Pérou, sorties du mariage de la fille du dernier des Incas & de Loyola. 71. Ortis de Zarate ( Jean ) , Commandant Espagnol, qui , sur les ordres de la cour d'Espagne , rétablit, en 1581, Buenos-Aires au Paraguay. 279.

P PACO, animal domestique du Pérou, sa description.180. 182. Utilité qu'on en tire ; manière dont on le nourrit ; fête que les Péruviens leur font avant de les destiner au service. 183.


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Panama, golfe qui sépare l'Amérique méridionale de la septentrionale ; il prit ce nom lorsque Pedrarias y eut transféré la colonie auparavant établie à Ste. Marie. 13. Ville du Pérou où se fait la pêche des perles ; comment elle se fait. 229. Ce commerce a contribué à la célébrité de Panama ; mais son commerce en est la plus grande cause. 230. Paraguay , vaste région entre les terres Magellaniques , le Brésil , le Chili & le Pérou , qui doit fon nom à un grand fleuve appelé de même. 272. Mœurs & usages des originaires du pays. 273. Province de ce nom formée par les Espagnols dans le pays appelé du même nom , & qu'ils divisèrent en trois provinces. 282. Objets de commerce que fournit cette contrée aux autres contrées du Nouveau-Monde. 291. Manière dont on s'y procure les cuirs de bœufs sauvages dont le commerce est devenu considérable. 295. Montant du produit de cette colonie pour l'Espagne. 296. Paraguay , fleuve du pays de même nom, découvert en 1515, par Diaz de Solis , pilote Castillan. 274. Paraguay ( herbe du ). On nomme ainsi la feuille d'un arbre qui croît au Paraguay ; il s'en fait un grand commerce. 283. On s'en sert comme du thé. 290. Pedrarias, successeur de Balboa au gouvernement du Pérou , lui fait trancher la tête ; il transfère la colonie de Ste Marie dans un lieu qu'on nomme Panama 13. Los-Rios lui succède. 16. Pedro de la Casca, vieux prêtre Espagnol, envoyé au Pérou pour pacifier les troubles qui s'y étoient élevés; il combat le rebelle Gonzale Pizarre, qui est pris & décapité.67,68. Pérou , à quelle occasion cette contrée fut découverte ; cette expédition a été commencée le premier Septembre 1513, 10. Manière dont Balboa en prit possession ; sa conquête fut commencée pas trois Espagnols au mois de Novembre 1524 ; cette tentative n'est pas heureuse. 16. La cour de Madrid leur accorde des secours ; ils s'embarquent en 1531. Cette entreprise leur réussit ; raisons qui en furent cause. 17 & 18.


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T A B

L E

Cruautés exercées contre l'empereur, qui venoit se rendre chez Pizarre, commandant Espagnol, à la sollicitation d'un moine; fanatisme dont ce moine couvre son attentat. 21. La nature de ce pays sembloit le mettre à couvert de l'invasion. 27. Cet empire a été fondé par Manco - Capac , & par Marna Ocello sa femme; conjectures sur l'origine de ces deux personages. 29. Religion de ses premiers habitans. 31. Sagesse de leur législation.33. Moyens par lesquels ils consacroient les actions d'éclat ; on y représentoit des comédies & des tragédies; devoirs des magistrats. 35. Gouvernement politique des Incas. 37. Enfance où les arts étoient réduits. 40. Doutes sur les merveilles qu'on a racontées de ce pays. 42 & suiv, Point de vérité auquel il faut réduire tout ce qu'on a raconté de merveilleux de la perfection des arts chez les Péruviens. 50. Les chefs, Pizarre & Almagro en viennent aux mains ; celui-ci est pris & décapité ; les mécontens de son parti se rassemblent à Lima. 55. Pizarre est massacré ainsi que les chefs de son parti ; troubles qui suivirent. 56. Après bien des horreurs, des cruautés & des guerres sanglantes , sa conquête fut consommée vers l'an 1560, 71. Température qui y règne ; phénomènes singuliers qu'on y observe. 160. Il est aujourd'hui désert. 163 & 164. Causes de cette dépopulation. 165. Ce qui reste de Péruviens est tombé dans l'abrutissement. 166. Les Espagnols y font en grand nombre , pourquoi ; état actuel du Pérou. 167. L'empire des moines y est universel. 221. Les femmes y font charmantes ; le concubinage y est universel. 224. La musique est la passion dominante à Lima. 226. Etat actuel de cette contrée ; balance de ses produits depuis 1748 jusqu'en 1753. 243. Péruviennes. Graces naturelles & beauté de ces femmes. 224. Petite vérole , portée au Pérou en 1588 ; l'inoculation a été introduite à Lima il y a deux ans. 156. Philipillo , interprête d'Atabaliba , & qui avoit un commerce criminel avec uns de ses femmes, contribue à


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déterminer les Espagnols à faire mourir ce Prince, 25. Pizarre, l'un des trois Espagnols qui entreprennent la conquête du Pérou sans aucun secours du gouvernement ; bassesse de son extraction ; il s'associe Diego d'Almagro & Fernand de Luques ; convention de leur association. 14. Impiété par laquelle ils la scellerent ; leur tentative n'est pas heureuse ; ils sont obligés de retourner à Panama, 15. Trahison dont il se fouille dans la personne d'Atabaliba, prince Péruvien. 23. Dans le tems où il étoit repassé en Europe il s'étoit fait donner la supériorité sur Almagro les deux partis en viennent aux mains , & Almagro est pris & décapité. 55. Ses partisans se Concertent & massacrent Pizarre ; on fait mourir tous ceux qu'on croyoit disposés à le venger ; troubles qui en font la suite. 56. Pedro Alvarès se met à la tête de son parti après sa mort. 58. Pizarre (Gonzale), successeur de Pizarre, chef de parti contre Almagro ; il s'empare de l'autorité à la détention de Nunnez ; son parti est vainqueur. 64. Honneurs qu'il reçoit ; cruautés auxquelles il se livre ; un Commandant envoyé d'Europe. propose un pardon général. 66. Pizarre livre le combat, est pris & décapité. 67 & 68. Plata , nom donné par Cabot, capitaine Espagnol, au fleuve Paraguay ; raison du nom qu'il lui donna. 275. Platine, substance métalliquç découverte depuis peu au Pérou ; sentimens des meilleurs Chymistes sur sa nature, 191 & suiv. Opérations par lesquelles on la sépare de l'or, du fer & du sable magnétique qu'elle contient. 194. Propriétés de la Platine , usages auxquels on pourroit l'employer. 197. Poncho , étoffe de laine qui sert de vêtement aux habitans du Chili, & que les sauvages leur fournissent. 264. Porto-bello, ville du Pérou près de Panama, nommée tombeau des Espagnols ; température & climat du pays. 231. Il s'y tenoit une foire considérable , la confiance y étoit sans bornes. 233 & 234. La prise de la Jamaïque a changé la face des affaires dans cette contrée. 235.


470

TABLE

Potosi, histoire de la découverte des mines de cette contrée du Pérou. 203. Produit qu'a rapporté à l'Espagne, depuis la découverte jusqu'en 1763 , le qui rit qu'elle le réserve sur toutes les productions du Nouveau-Monde. 204. Pouvoir spirituel, excès où le fanatisme allumé par les persécutions , le porta lorsque les guerres des peuples du Nord contre les chrétiens attaquèrent la domination romaine. 318.

Q QUESADA , commandant Espagnol qui attaqua Bogota en 1526, 123. Quinquina , description de l'arbre qui produit ce remède. 137. Il y en a de trois espèces. 138. Epoque à laquelle il fut introduit en Europe. M. de Jussieu a enseigné l'art d'en tirer l'extrait; éloge de ce fameux Botaniste. 139. Quipos , registres de cordes où des nœuds variés & des couleurs diverses tenoient, à ce qu'on dit, chez les Péruviens, lieu d'écriture ; ces histoires mises au rang des fables. 48. Quito , province de l'Amérique méridionale ; singularités qu'on y.remarque. 131. Le printems y est éternel : les moissons s'y succèdent sans cesse ; la population y est immense. 133. Les manufactures y ont été longtems en vigueur ; cependant le bon marché des produits des manufactures d'Europe a altéré les richesses de ce pays; le quinquina est la seule denrée qui en constitue le commerce 136. passage philosophique de Cassiodore fus les moyens d'acquérir de l'or. 150.

RICHESSES ,

S SAINT-LAZARE ,

en Amérique. 77.

citadelle de la ville de Carthagène Sainte


DES MATIÈRES.

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Sainte Marthe , province d'Amérique , voisine de Carthagène : cruautés que les Espagnols y commirent ; foible commerce qui s'y fait actuellement. 85 & 86. Superstition qui y règne. 87. Salcedo , découvre en 1660 la mine de Laya-cota, généralité avec laquelle il partage le produit avec le premier venu ; cruauté qui en fut la recompense. 206. Santa-fé, capitale du nouveau royaume de Grenade Etat où elle se trouvoit en 1774. 130. Sant-Yago, ville du Chili au pouvoir des Espagnols bâtie en 1541. Détruite en 1730 par un tremblement de terre , & retablie aussitôt ; population de cette ville ; gouvernement & administration de cette capitale de. l'empire du Chili. 260. Elle possède du cuivre & de l'or ; sommes que le fisc en a retirées depuis 1750. jusqu'en 1771. 262. Superstition. Cette reine de toute la domination Espagnole tient deux sceptres au Pérou ; l'un d'or l'autre de fer. 221. Causes qui lui ont donné naissance & qui la perpétuent. 409. Quelles ont été ces causes chez les Romains. 414.

T TREMBLEMENS DE TERRE, très-communs au Pérou ; leurs avantcoureurs ; les oiseaux volent par élancement & vont s'écraser contre les édifices; les chiens heurlent ; tous les animaux en ressentent l'approche. 156 & suiv. Tuxillo, ville du Pérou qui a neuf mille habitans. 173. Tucuman, l'une des trois provinces formées au Paraguay par les Espagnols ; ses productions ; sa population. 281. Tumbez, bourgade assez considérable du Pérou , d'où Pizarre s'embarque pour retourner à Panama en 1527.17.

V VALDIVIA , commandant Espagnol à la conquête du Chili en 1541 : singulière défense que lui opposa H h Tome IV.


472.

TABLE DES MATIÈRES.

un capitaine Indien. 252. Il est vaincu; les Indiens lui versent de l'or fondu dans la bouche. 154. Valdivia , ville du Chili au pouvoir des Efpagnols. 259. Valparaiso , anciennement amas de cabanes , maintenant ville florissante du Chili. 258. Valverde ( Vincent ) , moine dominicain , qui , le crucifix & l'Evangile à la main, commande la 'trahison la plus noire contre un prince Péruvien. 21. Et encourage les Efpagnols au massacre des fujets du malheureux monarque. 23. Vasco-Nugnès de Balboa. Voyez Balboa. 8. Venezuela , petite contrée de l'Amérique découverte par Alphonfe Ojeda ; pourquoi elle fut ainfi nommée ; caufes politiques qui contribuèrent à fon agrandissement. 88. Ce pays est devenu fertile en cacao. 90. Il est mis fous le joug de la compagnie des Indes Espagnole en 1728 ; divers changemens opérés depuis ce tems dans le monopole. 93 & suiv. Accroissement que la Compagnie y a procuré. 100. Balance du commerce de cette compagnie. loi & fuiv. Vigognes , efpèce fauvage de Pacos qui fe trouvent fur les Cordelières ; elles ne peuvent vivre que dans le plus grand froid ; manière dont on leur fait la chasse -, c'est leur toifon qu'on recherche surtout. 184 & 185. Volcans, divers aspects fous lesquels un observateur célairé les a considérés. 158. Fin de la Table des Matières du quatrième volume,








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