Réplique à J. P. Brissot, Député de Paris, sur les troubles de Saint-Domingue

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REPLIQUE A

J. P.

BRISSOT,

Député de Paris,

PAR

CHARLES

TARBÉ,

Député du Département de la Seine-Inférieure, SUR

DE

LES

TROUBLES

SAINT-DOMINGUE ;

Prononcée à l'Assemblée Nationale, le 22 Novembre 1792.

MESSIEURS, Chargé par votre comité colonial de vous faire le récit des troubles de Saint-Domingute, je m'étois particulièrement attaché à écarter de mon rapport tout ce qui pouvoit porter le caractère de la partialité ; j'avois espéré, ainsi que votre comité, Colonies, K. A MANIOC.org Médiathèque Michel-Crépeau

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( 2 ) neutraliser les haines, les vengeances et les factions, en évitant des personnalités indignes de figurer dans une affaire aussi importante, et en appelant toute l'attention de l'Assemblée nationale sur le seul objet qui doive l'occuper véritablement, le salut de la colonie. M. Brissot , qui s'est trompé s'il a pris ma modération pour de la foiblesse , s'est permis hier une sortie outrageante contre moi , et vous a dénoncé mon travail comme inexact,, partial et infidèle. Que mon Rapport n'ait pu lui plaire, cela se conçoit aisément ; il devoit être gênant pour lui de lire le démenti formel , quoiqu'indirect , de plusieurs de ses assertions : mais étoit-il prudent à lui d'engager de nouveau le combat ? Je ne le crois pas. Au surplus , puisqu'il m'y contraint, je lui dirai la vérité toute entière ; je la lui dirai sans ménagement. Je n'ai pas eu le temps d'être court (1) ; mais j'ai tâché d'être simple et clair. Je suivrai pas-à-pas M. Brissot. Il m'attaque par des allégations , par des conjectures , par des suppositions : je lui répondrai par des faits, par des lois, par des preuves incontestables. En relisant l'opinion de M. Brissot, j'ai reconnu de nouveau ce que j'avois éprouvé quand il nous (1) Je n'ai eu que 24 heures pour faire cette réplique.

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( 3 ) en a fait la lecture : c'est que son véritable but étoit de rentrer dans la discussion au fond. Et certes , M. Brissot ne doit point se plaindre de n'avoir pas émis son vœu sur cette question ; car, à l'exception de M. Garran de Coulon , qui a parlé dans le même sens que lui, il est le seul jusqu'à présent qui ait été admis à traiter au fond cette question importante. Il est vrai que , malgré sa prodigieuse fécondité , il n'a fait que répéter hier ce qu'il avoit dit déjà dans ses trois précédens discours : il faut en excepter cependant ses assertions sur les prétendues inexactitudes de mon rapport ; et c'est-là , Messieurs , ce dont j'ai à vous entretenir. La tâche ne sera pas pénible ; car ce qui étoit l'objet apparent du discours , n'en étoit véritablement que le prétexte ; et les faits contestés n'en occupent que le moindre espace. M. Brissot nie que les hommes de couleur ayent gâté leur cause par des actes de violence condamnables. Eh ! quel nom donnera-t-il donc aux cruautés sans nombre que les mulâtres ont exercées dans toutes les parties de la colonie ? Qu'il cite un outrage fait aux hommes de couleur de la province de l'Ouest, avant l'insurrection du 31 août dernier , avant la prise d'armes , avant le concordat du 7 septembre , terminé par ces mots exécrables, dont il a osé faire l'éloge : autreA 2 MANIOC.org Médiathèque Michel-Crépeau

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(4) ment la guerre civile ! Qu'il cite un outrage fait aux hommes de couleur dans la province du nord, avant la réunion de quelques-uns d'entre eux aux nègres révoltés de la partie de l'est , où ils ont commis des actes d'une férocité inouie ! Qu'il cite un seul outrage fait aux hommes de couleur dans la province du Sud ;... et cependant les hommes de couleur y ont empalé des citoyens paisibles , éventré des femmes enceintes , et forcé les pères à en dévorer les fruits ! On ne peut s'étonner assez de voir un Français , un représentant de la Nation , approuver , justifier de pareils excès, dont gémissoient, dans la colonie , des hommes de couleur même , et que s'efforçoient à réprimer avec un dévouement vraiment généreux, les sieurs Laforet l'aîné et Rouan' nésfils, citoyens de couleur, propriétaires au Cap. Des pages entières sont consacrées , dans le discours de M. Brissot , à faire l'éloge d'Ogé (1) , de ses complices , et des autres mulâtres sous le fer (1) M. Guadet aussi s'attendrit sur le supplice d'OgéM. Guadet s'étonne de ce que le rapporteur du comité colonial parle en termes peu mesurés , de l'honnête , du vertueux Ogé. Que ces Messieurs lisent donc l'instruction du procès criminel d'Ogé ; qu'ils effacent donc des annales de Saint-Domingue les forfaits qu'il y a commis; et qu'ils nous disent depuis quand le vol , l'incendie et le meurtre sont devenus des titres à l'apothéose !

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( 5 ) desquels ont péri des milliers de blancs. Par quel hasard les sieurs Rouannes fils et la Forêt l'aîné n'obtierinent-ils pas même une mention honorable dans les volumineuses dissertations de M. Brissot? Ne nous en étonnons pas : le panégyrique d'Ogé et de ses complices auroit contrasté défavorablement pour le systême de M. Brissot, avec l'esprit pacificateur , avec l'ame sensible et bienfaisante des Vertueux. Rouannès fils , et Laforet l'alné. M. Brissot se plaint de ce que j'ai peint les hommes de couleur comme coalisés avec l'aristocratie. J'ai dû dire la vérité ; je vais la répéter , puisque M. Brissot l'ignore , ou feint de l'ignorer. Il est démontré que tous les mouvemens des hommes de couleur dans la province de l'Ouest, ont été concertés , machinés avec les ennemis les plus cruels de la révolution. On sait que la révolution à SaintDomingue n'avoit éprouvé de résistance que de la part des ci-devant nobles et des plus riches propriétaires : eh bien ! ce sont de ci - devant nobles , les sieurs Hanus de Jumécourt, d'Aulnay de Chitry, Pinard de la Rosière , Petit de Villers , Hamon de Vaujoyeux, le chevalier de Russy , le Baron de Montalembert, etc. , qui sont les conseils , les agens , les co-opérateurs des hommes de couleur. — La révolte avoit éclaté dans le nord le 23 août ; et ; dès le 31 du même mois , le sieur de Jumécourt A 3


( 6 ) tramoit ayec les hommes de couleur de la Croixdes-Bouqnets , le projet de leur insurrection. — Le 7 septembre, il rédigeoit avec eux le concordat provisoire de la Croix - de - Bouquets. — Le 30 septembre et le 12 octobre , il écrivoit deux longs factum en faveur des hommes de couleur révoltés.—Le 13 octobre, il écrivoit à M. Pinchinat , mulâtre , ces paroles remarquables : J'ai le projet de former un plan de concordat actuel, qui laissera subsister l'ancien ; et de ne faire qu' ajouter le développement des change mens successifs que la position actuelle doit amener. Le rétablissement du pouvoir exécutif en la personne de M. Coutard , l'embarquement des bataillons ( de Normandie et d'Artois ) , l'exil des membres de l'assemblée provinciale et de la municipalité, l'établissement d'une garnison de 1200 hommes au moins dans le Por t - au-Prince ; un service pour M. Mandait , le jour ou le lendemain du Te Deum , et de la prise de possession : tels sont les objets sur lesquels il importe de connoltre la façon de penser de l'armée. Personne de vous , Messieurs , n'ignore que le colonel Mauduit fut, dans la colonie de SaintDomingue, le plus ferme appui de l'ancien régime ; on sçait que l'armée combinée des citoyens blancs et de couleur de la partie de l'ouest, a pour chefs actuels deux mulâtres , les Sieurs Pinchinat et


( 7 ) Beauvais ; et deux blancs, les Sieurs Hanus de Jumécourt, et Daulnay de Chitry ; ce dernier, oncle du colonel Mauduit : peut-on douter dès lors des principes des chefs des hommes de couleur ? Ce sont ces mêmes chefs qui ont rédigé le récit de l'événement du Port-au-Prince , récit qui respire la haine, la fureur et la vengeance ; ce sont eux qui qualifient la garde-nationale , les corps populaires et les membres du club du Port-au-Prince de scélérats, d'enragés , de factieux , de brigands, etc. ; ce sont eux qui ont rédigé cette adresse aux commissaires civils , dans laquelle ils jurent d'obéir à la loi, et refusent d'en reconnoître les organes ; dans laquelle ils demandent l'exécution de la loi, et protestent qu'ils ne déposeront pas les armes,que la loi leur ordonne de déposer. Enfin, lorsque dans toutes les circonstances , lorsque dans tous les actes , on voit les chefs des hommes de couleur accolés aux chefs de l'aristocratie coloniale , pcuton raisonnablement douter que les hommes de couleur soient influencés par le parti aristocratique de la colonie , qu'ils soient égarés par la suggestion des ennemis du bien public? Oui, Messieurs , je l'ai dit, parce que cela est vrai, parce que cela est démontré : les hommes de couleur sont coalisés avec leparti ennemi de la Constitution, qui abuse de leur manque de lumières, pour les entraîner dans les mesures violentes et atroces par A 4


( 8 ) lesquelles ils ont souillé la défense de leur cause. M. Brissot qui trouve moins gênant d'embrasser la défense de l'aristocratie, que d'avouer une coalition qui dérange son systême , me fait un reproche « d'être tombé durement sur les aristocrates » , dont il vante d'ailleurs la sagesse, la modération , l'attachement à la métropole. Jusques-là peut-être , il pouvoit se flatter d'être cru, sur sa parole , par quelques personnes de l'Assemblée ; mais à qui a-t-il cru en imposer, en assurant que ces aristocrates coalisés avec les hommes de couleur, n'ont point conservé dans les concordats et autres actes publics , des titres proscrits par la Constitution ; lorsque les pièces justificatives qui sont sous les yeux de l'Assemblée entière, attestent évidemment le contraire ; lorsque le concordat du 11 septembre , lorsque l'adresse des citoyens blancs et de couleur campés à la CroixdesBouquets, sont souscrits du chevalier de Bussy, du baron de Montalembert , et du comte de la Fitte ? Et quelle confiance croit-il inspirer pour ses autres assertions , quand on le voit nier des faits aussi évidemment, aussi positivement démontrés ?

M. Brissot reproduit encore ses reproches à rassemblée coloniale , d'avoir cherché à se rendre indépendante et d'avoir conspiré pour enlever la colonie à la métropole ; il ne pardonne pas


( 9 ) comité colonial d'avoir affirmé que ces accusations n' étoient pas appuyées d'une seule pièce justificative. Que fait cependant M. Brissot pour prouver qu'il n'a pas calomnié l'assemblée coloniale ? Comment justifie-t il ses gratuites inculpations contre tous les fonctionnaires publics de Saint-Domingue ? Qu'oppose-t-il à la dénégation formelle du Comité ? On s'attend à le voir produire en foule des pièces authentiques , des preuves victorieuses. On pense qu'il va démontrer jusqu'à l'évidence, qu'il ne s'est pas légèrement revêtu du caractère d'accusateur Erreur !...M. Brissot ne produit rien,ne prouve rien , absolument rien : seulement, il paroît surpris qu'on ne l'ait pas cru sur sa parole. J'ai cependant, dit-il un peu plus loin, cité une foule de faits à l'appui de ma dénouciation ! Mais, Ces faits, sur quoi sont ils appuyés? ...Encore sur l'assertion de M. Brissot ! et c'est toujours sur cette base que M. Brissot établit son projet de décret d'accusation contre deux cents magistrats qui ont été investis de leur autorité par le vœu et la confiance de la colonie!..*.. N'est-ce pas abuser du droit nécessaire qu'ont les représentans de la Nation d'émettre librement leur opinion , que de hasarder aussi légèrement des accusations de crime capital ? Je pourrois me dispenser de rappeler à M, Réplique à J. P. Brissot. A 5


( 10 ) Brissot les faits dont il s'agit, et dont il connoît sans doute le peu de fondement; mais je dois à l'Assemblée, au comité colonial, et à moi même, de les discuter succinctement. Premier fait. Il s'agit de discours d'indépendance et de révolte, que M. Brissot prétend avoir été tenus dans l'assemblée coloniale. Je lui observe d'abord, et j'atteste à l'Assemblée, qu'il n'existe, dans les pièces officielles remises au comité, aucune trace de ces prétendus discours. J'ignore où M. Brissot a puisé ces bases d'une accusation du crime de lèse-nation. Dans quelques journaux peut-être! (1) Mais, outre que les papiers-nouvelles ne méritent pas une grande confiance , outre qu'il reste douteux que ces prétendus discours ayent été prononcés, je dis que, même en supposait qu'ils l'ayent été, il seroit absurde d'ac-

(10) Pavois pressenti quelle étoit la source où M. Brissot avoit puisé les élémens de sa dénonciation : c'est justement dans des journaux, que M. Brissot a l'ingénuité^ la bonhommie d'appeler des pièces authentiques. M. Brissot demande que ce» journaux soient pris en grande considération ! M. Brissot seroit bien surpris si , dans ces mêmes journaux , on trouvoit des inculpations contre les amis des noirs, contre le martyr Ogé , contre l'apôtre Grégoire ! Faudroit-il aussi regarder ces preuves comme authentiques ?


( 11 ) cuser l'Assemblée coloniale de projets de révolte et d'indépendance, parce que deux de ses membres auroient proféré à la tribune des principes peu constitutionnels. Certes , Messieurs , il seroit étrange de rendre une assemblée responsable des opinions de quelques individus qui en font partie : accuser l'Assemblée coloniale sur un pareil motif, ce seroit, pour ainsi dire , justifier les inculpations que vos ennemis vous font sans cesse sur les mouvemens qui accompagnent vos discussions , sur les discours qui précèdent vos décrets. La liberté des opinions vous fait un devoir d'en entendre beaucoup que vous n'approuvez pas ; elles ne vous appartiennent que quand vous les adoptez en les consacrant par votre suffrage (1). C'est par sa majorité qu'une assemblée se prononce , puisque c'est toujours la majorité qui exprime la volonté générale. L'Assemblée coloniale ne peut donc être jugée que sur le résultat de ses délibérations. Deuxième fait. M. Brissot cite, comme preuve

(1) M. Brissot est trop généreux sans doute, pour vouloir l'Assemblée nationale soit responsable de certaines propositions extravagantes , dangereuses , et même peu constitutionnelles, qu'il peut se rappeler avoir été prononcées , soit à la tribune , soit à la barre.


( 12 ) de projets d'indépendance de l'assemblée coloniale , sa translation au Cap , qu'il assure avoir été faite au mépris de la loi du premier février 1792. Que M. Brissot lise cette loi attentivement : il verra qu'elle renvoie à la loi du 12 octobre 1790 , qui ordonne de se conformer à l'instruction du 28 mars précédent ; et cette instruction laisse à l'assemblée coloniale l'option du lieu de sa résidence. Qu'il consulte ensuite mon rapport du 10 décembre (pag. 34 ): il verra les motifs qui ont déterminé l'assemblée coloniale à se fixer au Cap. Troisième fait. M. Brissot trouve suspects les soins qui furent pris pour fortifier la ville du Cap. Ses soupçons sont faciles à dissiper. Ces fortifications sont de deux sortes : —celles du côté de la mer ; elles étoient achevées avant la formation de l'assemblée coloniale , qu'elles ne peuvent dès-lors regarder : —celles du côté des terres ; elles ont été commencées aussitôt après la révolte des nègres ; et M. Brissot n'auroit pas conseillé sans doute de laisser la ville ouverte aux brigands qui dévastaient la campagne. Quatrième fait. C'est celui des cocardes noires, dont il ne donne pas d'autres preuves que sa première assertion, qui a essuyé le démenti le plus formel. N'est-il pas étonnant, au surplus , de voir M. Brissot faire grand bruit de cette cocarde noire,


( 13 ) qui paroit n avoir pas été portée, et garder le plus profond silence sur la cocarde blanche arborée ouvertement par les hommes de couleur? Enfin , M. Brissot s'étonne et se plaint de nouveau de ce que rassemblée coloniale a demandé des secours à la Jamaïque et aux Anglo-Américains : et c'est dans la séance même où vous appreniez que les premiers secours expédiés de France ne sont parvenus que le 25 Janvier dernier, c'est dans cette séance , dis-je , qu'il reproduit ce reproche avec amertume ! Falloit il donc exposer 500 mille habitans à mourir de faim, plutôt que de recourir a des moyens de secours que l'on avoit sous sa main ? Falloit-il s'exposer à attendre cinq mois, de la métropole , des subsistances que l'on pouvoit se procurer ailleurs en quinze jours , en un mois? Ou plutôt, l'assemblée coloniale 11e seroit-elle pas véritablement repréhensible, ne seroit elle pas réellement coupable , si elle eût négligé aucun moyen d'arrêter les progrès de l'incendie qui menaçoit d'embraser toute la colonie ? Mais , dit M. Brissot : et cet ambassadeur envoyé à Philadelphie !.. Comme les doutes et les soupçons de M. Brissot ne sont accompagnés d'aucun indice , d'aucune preuve nouvelle, je me bornerai à lui répéter ce passage de mon second rapport : ( pag. 14 ) La lettre de créance de M. Roustan , envoyé à Philadelphie , le charge oit.


( 14 ) expressément de remettre au congrès uns expédition de l'acte constitutionnel de l'assemblée coloniale de Saint-Domingue ; cet acte porte textuellement que Saint-Dominguefait partie de l'Empire Français, et qu'à l'Assemblée nationale seule appartient irrévocablement le droit de prononcer sur les rapports commerciaux et politiques de Saint-Domingue. Donc le sieur Rouslan ne pouvoit être admis, et ne pouvoir traiter que comme commissaire d'une partie intégrante de l'Empire Français. Je pourrons répondre de même au reste des assertions de M. Brissot : mais , je me trompe , il en est auxquelles je ne dois point de réponse : ce sont celles que M. Brissot avoue ingénuement être extraites de journaux et papiers publics. Je sais trop , et il le s'ait bien lui-même , que, dans les temps de révolution sur tout, les journaux méritent peu de confiance , parce que toujours ils respirent l'esprit de parti ; et dès-lors ils ne peuvent servir de base aux délibérations des représentant d'un grand peuple. Et, quelles exclamations n'eût pas faites M. Brissot, si, m'en rapportant à la foule immense des journaux qui nous mondent, j'avois consigné dans mes rapports les mille et un reproches faits aux amis des noirs ; si, sur le certificat isolé d'un juge du conseil-supérieur du Cap, j'avois annoncé


( 15 ) que l'on avoit trouvé, dans les papiers du mulâtre Ogé, une correspondance de l'abbé Grégoire, etc. ! Je regrette que M. Brissot se soit embarqué dans cette récrimination dénuée de tout fondement, et qui ne peut que lui être défavorable; mais, puisqu'en me jetant le gant , il m'a forcé de rentrer dans l'arêne, j'ai bien le droit, je crois , de relever quelques assertions erronées qui lui sont échappées dans son nouveau discours ; et je vais en user. On ne sauroit assez s'étonner de l'affectation de M. Brissot à dire et répéter que les blancs ne répondaient aux pétitions des hommes de couleur que par des échafauds ; lorsqu'il est notoire que rassemblée coloniale, par ses arrêtés des 2.0 août, 5, 6, 14, 20 , 25 , 27, 28 septembre, 7 et 13 octobre, imprimés parmi les pièces justificatives , a autorisé et même invité les hommes de couleur à former des pétitions, et à émettre leur vœu pour l'amélioration de leur condition. Mais,"ce qu'on ne sauroit bien concevoir, c'est 1 étrange définition que M. Brissot fait des mots aristocrate et patriote ; c'est l incroyable application qu'il fait de ces dénominations, dont le sens pourtant est si bien connu. A l'entendre,


( 16 ) MM. Hanus de Jumecourt, d'Aulnay de Chitry, Pinard de la Rosière , Hamon de Vajoyeux, le chevalier de Russy , le comte de la Fitte, le baron de Montalembert, tout ce qu'il y a de ci-devant nobles, de riches et puissans propriétaires à St.-Domingue , voilà les vrais patriotes, voilà les vrais amis de la révolution : — les propriétaires moins riches , le commercé , les artisans , la garde nationale , le club , les corps populaires , les troupes patriotiques , les troupes de ligne et les matelots de la station, selon lui, voilà les aristocrates. Quel délire ! Il étoit réservé à M. Brisset seul,de proférer une pareille opinion sans provoquer les plus violens murmures. Au surplus , l'assertion est si absurde, si extravagante , que je trouverois , je l'avoue , peu de générosité à la combattre. Je l'abandonne à l'oubli qu'elle mérite. M. Brissot ne voit que son systême , toujours Son système ; et, comme déja il taxe d'aristocratie les gardes nationales , les troupes de ligne et les équipages de marine , je m'attends, s'il prononce un cinquième discours , qu'il proposera aussi de les mettre en état d'accusation, et qu'il l'étendra ensuite contre toute la race blanche de la colonie , àl'exception toutefois de ses patriotes affectionnés, Messieurs Hanus de Jumecourt , d'Aulnay de


( 17 ) Chitry, le chevalier de Russy, le comte de la Fitte , et le baron de Montalembert. M. Brissot confond perpétuellement les effets avec les causes ; le droit de réclamer, avec celui d'incendier, de voler, d'assassiner j et les actes d'aggression et de barbarie les plus atroces , avec ceux d'une juste et légitime défense. M. Brissot oublie constamment, et les besoins de tout genre que doivent éprouver les infortunés habitans de St.-Domingue, et les millions de matelots , d'artisans , de manufacturiers qui ne vivent que du commerce des colonies ,et la famille immense des consommateurs de la métropole, qui payent à des prix excessifs toutes les denrées coloniales, et la métropole elle-même, qui voit •se tarir pour long - temps , peut - être pour toujors , une des premières sources de la prospérité nationale. Faudra-t-il

donc toujours que l'ambition ou l'amour-propre de quelques hommes décident du sort des empires ? Le sang des malheureux mortels devra-t il donc couler éternellement pour expier ou satisfaire des haines, des erreurs , des préventions et des ressentimens particuliers ?


( 18 ) ne qui s'attendoit point peut être Brissot « M. aux effets sanglans des discussions polémiques sur la question des colonies , voudroit se dissimuler aujourd'hui quelle responsabilité morale ont attirée sur leurs têtes , tous ceux qui, par ces discussions imprudentes , ont allumé le flambeau de la discorde dans les colonies ; il attribue au décret du 24 septembre ce qu'il sait bien être attribué, par mille autres , au décret du 15 mai ; il ne semble attaquer que pour n'être pas dans le cas de se défendre. Mais de pareilles considérations sont elles dignes d'un représentant de la Nation ? et l'intérêt public ne doit-il pas toujours être là pour provoquer, pour diriger ses déterminations ? L'intérêt public , Messieurs, n'est pas de provoquer la vengeance des lois contre des crimes imaginaires, et d'immoler à la puissance d'un parti les malheureux qui ont échappé au fer des assassins , à la torche des incendiaires ; l'intérêt public n'est pas de bouleverser l'organisation de nos colonies d'Asie , d'Afrique et d'Amérique, pour rétablir l'union entre deux partis qui agitent St.Domingue ; l'intérêt public n'est pas de régler , pour la quatrième fois, en deux ans, le régime et la législation des colonies. Ici, Messieurs, l'intérêt public est d'accord avec les principes; et vous manqueriez le but que vous devez vous pro-


( 19 ) poser , si vous pouviez oublier un instant que la stabilité des lois doit être un des premiers bienfaits de la liberté ; que le remède doit être local quand le mal est partiel ; que les échafauds sont un mauvais moyen pour rétablir la paix après de longues convulsions, et que l'on doit être lent, je ne dis pas seulement à juger , mais même à accuser des citoyens, des propriétaires , des pères de famille, que leurs lumières et leur civisme ont fait revêtir du titre honorable de magistrats du peuple. Je ne pousserai pas plus loin , Messieurs, mes observations sur le discours de M. Brissot, qui n'ajoute rien , absolument rien , aux faits et aux raisonnemens délayés dans ses précédons discours. Je n'examinerai pas de nouveau non-plus la question de droit ; je ne pourrois que répéter ce que je vous ai dit au nom de votre comité : mais j'obéis à ma conscience, en. représentant à l'Assemblée , que , dans la position actuelle de la colonie de St.-Domingue , elle ne peut, sans se compromettre, différer plus long-temps à prononcer sur cette importante affaire, et que tout délai dans l' envoi des secours, seroit un véritable délit, une véritable abnégation de ses devoirs.

A PARIS , DE L'IMPRIMERIE NATIONALE.




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