L'Histoire du Nouveau Monde ou description des Indes occidentales. 3

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410

DESCRIPTION

DES INDES OCCIDENTALES, LIVRE

DOVZIEME.

CHILE. CHAP.

I.

Limites du Gouuernement de Chile, qualités de l'aïr & de la terre.

E Gouuernemenr de Chile, prins vn peu largement ( comme presque Herrera le prend ) s’estend depuis les dernieres limites du Peru iusques au Destroit de Magallan; & a de long entre le Nord & le Sud, depuis le commencement de la vallee de Copiapo ou dés le XXVI degré de la latitude Australe,iusques à l'embouchcure du Destroit mesme, enuiron cinq cents lieues ; & de large entre l’Est & l’Ouest, depuis la mer Australe iusques à l’Atlantique, quatre ou cinq cents lieues où il est le plus large, & au plus estroit nonante ou vn peu plus ou moins ; entre lesquelles limites font 10 contenues plusieurs spacieuses regions & Prouinces, plusieurs desquelles n ont encore esté subiugués par les Espagnols, & beaucoup mesmes n’ont iamais esté descouuertes. Que si on le prend plus estoitement, pour cette region que les Espagnols ont dés plusieurs années commencé à habiter & tenir par quelques petites villettes, il fera contenu entre des limites beaucoup plus estroites, car il n’a de longs suiuant la coste de la mer plus de trois cents lieues, & de large seulement vingt & en quelques endroits moins : sçauoir de la coste de la mer du Sud iusques aux spacieuses montagnes des Andes, qui courent d’vue fuite presque continue le long du costé Oriental de ces regions,iusques au Destroit de Magallan & s’esleuent en cet endroit ici extremement haut tousiours couuertes de neige. Or nostre inten- 20 tion est de traiter en ce Liure de cette partie principalement,& de la Magallanique au au Liure suiuant. Augustin de Zarate dans son Histoire du Peru explique la raison de ce nom : sçauoir que Chile se dit de froid, pource qu’on n’y peut aller du Peru que par des montagnes froides & couuertes de neiges, car Chili signifie en Pernuiain froid. Or toute cette region, comme estant hors de la Zone torride & outre le Tropique du Capricorne, est suiette à diuerses temperatures d’aïr & changements de saisons, selon les diuerses distances du Pole Antarctic ou du Sud : & pource qu’elle est presque esloignee d’autant de degrés du Pole Antarctic, que l’Espagne est de l’Arctic, elle a les faisons de l’annee du tout Contraires, de forte que l’hiuer y est lors que l’esté est en Espagne & au contrai- 30 re. Car quand le Soleil a passé l’Equateur & s’auance vers le Tropique du Chancre, lors commencent les pluyes & le froid s' y fait sentir ; sçauoir depuis le mois d’Auril iusques en Septembre ; & au contraire quand le Soleil retourne vers le Tropique du Capricorne,il y a peu de pluyes, le Ciel y est le plus souuent clair & on y a des moyennes chaleurs. Cette vicissitude de faisons fait que les naturels de ces Prouinces,approchent de plus



CHILI




DESCRIPT. DES INDES OCCIDENT. LIV. XII. 411 de plus près que les autres Ameriquains, tant en naturel qu’industrie des Europeans, & qu’il s’y trouue vne plus grande similitude de grains & de fruicts. Le terroir de ces Prouinces est le long de la coste de la mer Australe, plat pour la plus grande partie, ou releué par moyennes colines, & les montagnes que nous auons dit estre appelles dans le Peru, la Serrania, sont communement à trois ou quatre lieues du riuage, par fois descendent iusques au riuage mesme & font batuës des flots de la mer, comme il sera remarqué en son lieu. Au reste c’est vne region fort belle & fertile, & non moins seconde en toutes fortes de grains que l’Espagne, abondante aussi bien en froment qu’en vin, & remplie à merueilles de pasturages : elie est aussi saine & 10 extremement bien temperee entre le chaud & le froid, iouïssant egalement de l’esté & de l’hiuer selon le changement des faisons : le printemps y commence dés Septembre, l’esté dés Decembre,1’automne dés Mars, & l'hiuer des Iuin : le plus long iour y est à la S. Luce, & le plus court à la S. Bernabé : toutesfois ils sentent plus de chaleur l’esté que de froid l’hiuer, il y a peu de tonnerres & d’esclairs. Il tombe en certains temps dans quelques vallees vne rosee si espaisse, qu’elle se congele & s’attache aux fueilles des plantes comme du sucre , laquelle est fort douce & a presque le mesme vsage que la manne. L’herbage y est presque tousiours verd a cause de la bonne humidité de la terre,& les arbres ne laissent iamais leurs fueilles dans les montagnes : les pasturages par l’ordonnance du Roi d’Espagne, y font communs a tous & à vn chacun des habitans : 20 & le droit de chasser & pescher est commun, tant en la mer qu'és riuieres, lacs & estangs : Ceux qui y voyagent font par vne coustume receus, traictés & logés pour rien dans les villes & villages. CHAP. II. Animaux, fruicts,

& plantes

de ce Gouuernement, mœurs des naturels.

N toute la contree du Peru il s’y trouue vne forte de brebis, tant domestiques que sauuages, qui approchent plus en forme des chameaux, fl ce n’est quelles n’ont point de bosse,elles font au reste plus grandes que celles de l’Europe & hautes le plus souuent d’vne aulne d’Espagne, ayans le col long & rond, la leure d’enhaut fendue, 30 par laquelle fente elles iettent,quand elles font fachees, de l'escume cotre ceux qu’elles pensent les auoir offencees ; leur chair est plus seiche que celles des brebis de l’Europe; les priuees font de couleur le plus souuent blanche ou noire, & quelquesfois cendree ; mais les sauuages & des montagnes font rougeastres ou fauues ; & font vestuës de laine longue, legere & fort luisante, qui est beaucoup plus chere que celle d’Espagne : car quand la toison d’vne brebis est vendue en Espagne vne reaile (ce font les propres mots d’vn Autheur Espagnol) celle d’vne de ces pais est estimee vn escu. De cette laine ils sont vn certain drap,qu’on dit approcher fort en lustre du camelot. Au reste ils percent les oreilles à ces brebis,& passent des cordes dans les trous, auec lesquelles ils 40 les gouuernent & conduisent comme il leur plaist ; car estant libres elles courent fort viste, principalement les sauuages, qu’on dit estre aussi legeres que les cheuaux. Mais nous en auons parlé plus amplement en la description du Peru. Richard Hawkin, fait mention d’vn certain petit animal, qui se trouue là, qu'ils nomment Chincilla,de la grosseur d’vn escurieu, de couleur brune, mais d'vn poil fort leger & poli,de forte que fa peau surpasse celle de tous autres animaux, & est en grande estime de tous dans ces regions & dans les voisines du Peru. Outre le froment,l’orge,le Mays, que la terre y produit en abondance, il y croist encore vne autre sorte de blé,qui est nommé des naturels Teca ; ses fueilles different fort peu de celles de l’orge ; le tuyau croist comme l’auoine de la hauteur d’vne demi-aulne d’Espagne, le grain est vn peu plus menu que celui du segle : les Sauuages ont cou50 stume de le moissonner auant qu’il soit du tout meur & de le seicher en espics au Soleil, puis l’ayant escous lors qu’ils en ont besoin, de le griller fous les cendres, & enfin estant rosti de le reduire en paste fur vne pierre quarree auec vne autre ronde ; laquelle paste ils portent auec eux quand ils voyagent, car elle nourrit fort, de forte qu’vne petite mesure suffit à vn homme pour huict iours ; cela leur sert de viande & de boisson ; car y mestant vn peu d’eau, c' est leur manger, & estant fort destrempee ils s’en seruent pour breuuage. Fff 2 En

E


DESCRIPTION DES INDES En outre il s’y trouue par tout vne certaine forte d' arbres sauuages depuis le XXXVI degré de la ligne vers le Sud, iusques au Destroit de Magallan, qui porte des fruicts assemblés par grapes & pendans comme les raisins, de la grosseur des pois, de la forme des grains de grenades, & de la mesme couleur: les naturels appellent cet arbre Vnni, & les Espagnols Murtilla; les fruicts font d’vn goust moyen entre le doux & l'aigre ; qui eschauffent & desseichent : la liqueur qui s'en tire, approche fort du vin, & n’est pas feulement agreable au palais, mais est aussi fort conuenable à l'estomach : car elle digere les humeurs superfluës du corps & notamment celles du cerueau ; aide l’appetit du ventricule; & est fort claire, se deschargeant naturellement de sa lie fans laide du feu ; il se fait aussi de ces fruicts de fort bon verius, qui est beaucoup plus excellent en 10 odeur & saueur, que celui qu’on fait d’aigret. Or il n’y a rien qui rende ces Prouinces plus recommandables que l’abondance d’or, qui y est si accompli, qu’il surpasse de beaucoup celui de toutes les autres Prouinces. On dit que depuis que les Espagnols y font entrés, qu’ils s’y trouue vn fi grand nombre de cheures, qu’on en tuë tous les ans plus de cinquante milliers feulement pour en auoir la peau & le suif. Le froment y est aussi grandement estimé : car i’ai vn Autheur qui dit que les grains de froment approchent de la grosseur des pinnons de pommes de pin ; d’où vient que bien souuent ils aident le Peru de viures ; ce qui est fort facile 20 aux Chilois, pource que le vent est tousiours fauorable de Chile vers le Peru. Les naturels y font de couleur blanche, mais ils ont le front petit & cheuelu, qu’on veut proceder de la trop grande humidité de l’air: anciennement ils alloyent presque nuds, mais maintenant ils se plaisent à estre vestus : ils s’employent aussi fort à nourrir des brebis, sçauent carder la laine & tistre des draps. Au reste à cause des guerres continues, que les Araucains & leurs confederés ont desia eu depuis plusieurs annees assiduellement auec les Espagnols, le pais est pour la plus grande partie mal cultiué & mal peuplé; car il n’y a nulle partie de l’Amerique qui couste plus cher aux Espagnols que Chile, & il n’y a nul endroit où ils ayent des demeures plus incertaines ; & où ils souffrent plus & de plus griefues pertes d’hommes, que là, & souffrent encore 30 tous les iours,comme nous dirons bien tost plus à plein.

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CHAP.

III.

Desert d’Atacama, des chemins qui vont de Peru à Chile, & de la premiere expedition d'Almagro dans ces Prouinces.

I

L y a vn grand defert, appelle vulgairement Atacama, qui fepare le Parlement de los Charcas ou la partie Meridionnale du Peru, des Prouinces de chile : Or de Peru au Chile, il y a deux chemins terreftres qui conduifent de l’vn à l’autre (desquels toutesfois les Efpagnols le seruent tort rarement) l’vn par ce desert, & l’autre parles montagnes. Ce defert d'Atacama a de long entre le Nord & le Sud, le long de 40 la mer Pacifique nonante ou cent lieuës, eftant coupé quafi par le milieu du Tropique du Capricorne: c’est vne region fort triste & laide à voir, grandement seiche & fterile pour la disette d’eau, & defnuee du tout d’arbres, non feulement de fruictiers, mais aufti de sauuages, la terre nuë & fans herbage, excepté en deux ou trois endroits où il croist quelque peu d’herbe & où vaquent quelques brebis de ces pais (que nous auons dit eftre appellees Guamcos) en l’hiuer le Ciel y eft fi mal plaifant, & la terre fi affreuse de neiges & de gelees, qu’on n’y peut voyager sans grand danger & par fois fans vne aflfeuree mort. Prefque au milieu passe vn torrent ou vne riuiere que les Efpagnols nomment Rio de la Sal, à XXIII degrés & XLV scrupules de la ligne vers le Sud, qui descendant des 50 montagnes lefquelles ferment ce defert vers l’Orient, coule par cette terre alteree & par vne fort profonde vallee vers l’Occident, & entre enfin dans la mer du Sud a XXII lieuës des Xaguyes ( ainfi font nommés certains puits, defquels ceux qui voyagent par ce quartier puisent leur eau, fans qu’il s’en rencontre aucun autre en toute cet espace de XXII lieues.) Or on l'appelle de la Sal, pource que les eaux d’icelle font fi falees, qu’elles fe conuertiflént aufti toft en sel dans les vaifteaux & me fines dans les


OCCIDENTALES. LIVRE XII. 413 les mains de ceux qui les puifent, & ses riuages blanchissent toufiours de force sel. Le second chemin qui va du Peru dans le Chile,pafte par les montagnes , beaucou p plus long, plus difficile & de beaucoup plus dangereux que l’autre ; car il faut trauerser auec grand peril les hautes cimes des Andes, qui font couuertes de neiges perpetuelles & si froides, que nul homme ne peut entreprendre d’y palier fans vne mort presente, si ce n’eft quelque peu de mois de l’annee. Car il y fouille ( comme Acosta asseure) vn certain vent subtil & debile, qui penetre les corps de telle forte, que les hommes tombent à l’improuiste, & meurent subitement auant qu’ils se sentent mou10 rir ; toute la chaleur vitale,comme il est à croire, eftant tout à coup esreinte par ce vent : comme nous auons entendu qu’il aduint en la premiere expedition de Diego Almagro vers lesProuinces de Chile,en laquelle plusieurs perfonnes furent esteintes par ce vent, les corps defquelles furent trouués plulieurs annees apres tous entiers, qui ne rendoyent nulle mauuaise odeur,comme les Efpagnols ont remarque : Acosta apporte plulieurs merueilleux exemples de cette chose, que nous passons en ce lieu à caufe de briefueté. Or le chemin qu’entreprint Diego Almagro fut tel: l’an de Christ cIɔ Iɔ XXXVI eftant parti auec ses troupes de la Prouince de los Charcas, il vint premierement à Topisa, qui eft vne bourgade dans la Prouince des Chicas ; de laquelle il passa vers la 20 Prouince des Sauuages appelles Xuxuyes (desquels nous traicterons ailleurs) nation belliqueufe & accouftumee à viure de chair humaine: de cette-ci il enrra dans la Prouince de chaquana ; & delà marchant plus outre à trauers des regions vaftes & defertes, (car toute la terre y eftoit raboteufe, nitreufe & du tout sterile) il arriua par vn fort difficile chemin & ennuyeux au pié des montagnes, les sommets defquelles blanchissoyent de force neiges: & n’eftant encore point lassé par les incommodités qu’ils auoyent endurees, ni eftonné de plus grandes qui sans doute le menassoyent, il marcha auec vne difficulté prefque indicible par des droits coftaux pleins de precipices ; où il perdit beaucoup d’hommes & de cheuaux, qui fubitement tomboyent roides morts par ce froid extreme & par ce vent mortel que nous auons dit : 30 neantmoins il monta iufques au hauts fommets des Andes; & delà descendit dans la vallee de Copiapo,où les Prouinces de chile commencent, par vne deuallee d’enuiron douze lieues. Enfin retournant dans le Veru, il passa par le defert d’Atacama, non fans perte d’hommes & de cheuaux. Par icelui pana auffi l’Inca Yupanqui anciennement vers les Prouinces de Chile & entra iufques à la riuiere de Maule, comme il fera dit en fon lieu. Or les Efpagnols pour les difficultés & dangers de ces deux chemins, y vont prefque toufiours par mer ; & rarement par terre le long de la coste marine, par le defert d’Atacama, renonçans tout à fait à ce dangereux des montagnes ,• excepté du costé, que nous monstrerons ci-apres. Les Efpagnols ont remarqué en outre, que depuis les XXIII degrés ou enuiron 40 de la ligne vers le Sud, iufques prefque au Destroit de Magallan, il n’y vente communement que de trois costés du monde : sçauoir du Sud-ouest au mois du printemps & de l’esté & quelque peu d’autres iours aufquels le Ciel eft clair ; du Nord au mois d’hiuer & au temps des pluyes ; enfin de l’Ouest, qui eft fort dangereux & contraire à ceux qui courent cette coste, car il excite par fois de grosses ondees de pluyes, quand les vents de Nord ceftent. La Prouince de Chile a fon Gouuerneur , qui obeït au Viceroi du Veru , & eft eftabli par icelui; Or les Bourgeois & habitans Efpagnols ont efté autresfois iufticiables du Parlement de Lima, auant qu’il y en euft vn d’establi; mais maintenant ils ont vn propre fiege Iudicial dans la ville de S. Iago : & ont en outre deux Euefchés, 50 onze villes ou bourgades habitees de leur nation , defquelles nous parlerons selon leur ordre , selon qu’elles font placees fur la mer du Sud.

Fff 3

CH A

p.


414

DESCRIPTION CHAP.

DES

INDES

IV.

Description des premieres vallees du Gouuernement de Chile,

Copiapo, Guasco & Chili.

L

A vallee de Copiapo, qui commence les Prouinces du Royaume de chile (comme on l’appelle vulgairement,) fuit les dernieres limites & defert d'Atacama,que nous auons acheué de defcrire ci-dessus. On dit que ce mot fonne en la langue des Saunages, Champ aux pierres bleues (que nous appelions communement Turquoifes) car il fe tire vn grand nombre de ces pierres d’vne certaine montagne qui eft 10 esleuee fur cette vallee, qui font bien excellentes, mais qui pour la trop grande abondance font aujourd'hui peu estimees Î & ne font pas prifees comme anciennement. Cette vallee est loüee pour eftre la plus seconde de toutes celles qui font attribuees au gouuernement de chile, car elle porte du Mays qui a les tuyaux aussi hauts que des lances , & des efpics longs de demi-aulne; de forte que la moisson surpasse la semence de trois cents fois par vn grand rapport, comme efcriuent les Efpagnols : ce qui toutesfois ne fera pas tenu pour incroyable ni esmerueillable par ceux qui sçauent la fertilité de ce grain. Cette vallee n’est pas moins fertile en d’autres fruicts tant domestiques, qu'en ceux que les Efpagnols y ont apportés. Il y a vne petite riuiere qui la coupe, laquelle defcendant du haut des monts de neige, arroufe cette vallee 10 par l’espace de vingt lieues, & enfin defcend dans vne large baye fur la mer Meridionnale, & là fait vn fort commode.& large port: elle eft distante de la ligne vers le Sud de XXVI degrés, comme dit Herrera. Lopez Vazio affeure qu’il y a en cette vallee vn petit port & aupres d’icelui vn village de Sauuages, qui font tributaires aux Efpagnols ; & qu’il y a auffi vn moulin à fucre. Du port de la vallee de Copiapo, iufques au port de la vallee de Guasco, on conte xxxv lieues. Ce port ou rade eft diftant de la ligne vers le Sud de XXIX degrés, comme efcrit Herrera : il eft dans vne baye ouuerte fur la mer du Sud, par laquelle se descharge en mer vne petite riuiere, laquelle fourd des montagnes de neige, qui 5° couurent cette vallee du cofté de l’Orient, & arroufe les champs de cette vallee de forte, quelle approche fort en fertilité & bonté de grains de la vallee de Copiapo que nous venons de defcrire. Dans cette vallee, comme prefque en toutes les autres,il y a vn nombre infini de perdrix ; & ce qui eft le principal, c’est qu’il s’y nourrit vne grande quantité de brebis dont nous auons parlé : en outre force escurieux, de couleur cendree brune, les peaux defquels font en grand vfage. Valdiuia quand il arriua premierement pour fubiuguer les Prouinces de Chile auec fon armee, plaça vne Colonie d’Efpagnols dans cette vallee de Guasco, & y baftit la ville de S. Iago de la Neuua Estremadura, comme il la nomme lui mesme, munie d’vn bon Chafteau à l’encontre l’effort des Sauuages, au territoire que les naturels ap- 40 pelloyent Mapocho, à enuiron XIV lieues de la mer du Sud, & d’vn petit port fort commode : mais cette ville fut de peu de duree, & fut transportee ailleurs, comme nous dirons au Chapitre fuiuant. Olyuier de noftre nation remarque en fes Commentaires, que le port de Guafco eft fur les XXVI II degrés & xxx fcrupules au Sud de la ligne, & que l’anchrage y eft fort commode & affeuree à l’encontre de l’iniure des vents, derriere certains rochers qui font au deuant de l’emboucheure de la baye: dans cette baye defcend vne belle petite riuiere, qui eft communement appellee du nom de la vallee, mais il eft difficile d’y prendre de l’eau : il y a peu d’arbres fur cette cofte; & les cases des Sauuages font fort loin de la mer du Sud. Apres la vallee de Guafco fuit celle de Chile, la principale de toutes les autres voifines, d’où il eft à croire qu’elle a donné nom à toute cette cofte & Prouince : il y auoit anciennement dans cette vallee des mines d’or fort celebres, qu’on nomme de Quillota, defquelles Valdiuia a tiré autresfois de grands tresors,- voila pourquoi il y auoit bafti vn Chasteau, pour garder les Mineurs de l’iniure des Sauuages. CHAP.


OCCIDENTALES. CHAP.

LIVRE

XII.

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V.

Description des Villes de la Serena & de S. Iago.

L

A premiere ville du Gouuernement de Chile, & qui eft la plus proche du Pereft appellee des Espagnols la Serena : elle fut baftie par le Gouuerneur Valdiuia l’an cIɔ Iɔ XLIV, dans la vallee de Coquimbo (d'où vient qu’elle eft souuent appellee des Efpagnols & des noftres Coquimbo du nom de la vallee) assés pres de la mer du Sud ; & à xxx degrés au Sud de la ligne selon Herrera ; par lequel 10 ie trouue qu’il a efté remarqué, que la Solftice d’efté tombe là l’onzieme de Decembre {& que le plus long iour eft de XIV heures) & l’hyuernal l'onzieme de Iuin. Elle eft diftante de la ville de S. Iago de LX lieuës vers le Nord. Elle a vn port fort grand fort commode dans vne large & spacieuse baye, qui est à enuiron deux lieues de la ville ; la ou fe defchargent les nauires. Il y a vne moyenne riuiere qui trauerfe le territoire de la ville, par laquelle plusieurs champs font arrousés, de maniere que toutes fortes de grains & de plantes y croissent fort bien : par ainsi il y a abondance de viures & vilité de froment, de vin, de chair, de poisson, & vne grande affluence de toutes choses que l’vsage de la vie requiert. Il y pleut fort rarement, à peine trois ou quatre fois l’an, neantmoins il y a de tres-beaux champs, qui rendent richement la femence. 20 Il y a dans le territoire de cette ville, beaucoup de mines d’or, & fur toutes vne haute montagne à VII lieues de la ville, de laquelle les Efpagnols ont desia de long temps tiré beaucoup d’or. Ioinct qu’il y a, comme ie l’ai apprins d’vn certain de ces païs, qui l’auoit veu, proche de la ville, vne montagne remplie de veines de cuyure. Topez Vaz escrit que la ville de la Serena contient plus de deux cents maifons : & certes il faut quelle Toit assés peuplee, veu qu’il eft narré en l’Hiftoire de cette memorable expedition Nauale de François Drac, par laquelle il nauigea autour du globe terreftre,que les Anglois eftans entrés dans le port de Coquimbo, & s’y eftoyent anchrés pour y prendre de l’eau, il fortit de la ville trois cents Caualiers & deux cents hommes de pie, qui contraignirent les Anglois de fe retirer dans leurs nauires. Toute 30 cette region a efté autresfois fort peuplee des naturels du païs, mais maintenant la plus grande partie d’iceux ( si non tous, comme quelques-vns escriuent) a efté deftruide des Efpagnols ou par labeurs intolerables aux mines, ou par vne grande cruauté, de forte qu a prefent les Citoyens ne font pas capables de chercher & trauaillef les mines par la difette d’ouuriers & font contraints d’en laisser plufîeurs d’or & de cuyure fans y toucher. En outre la principale ville de ce Gouuernement de Chile eft vulgairement appellee S. Iago situee à XXXIV degrés de la ligne vers le Sud ; & a LXXVII du Meridien de Tolede vers l’Oueft: à xv lieuës de la mer du Sud. Le Gouuerneur de toute la Prouince y a fait quelques fois sa demeure ; mais maintenant à caufe des guerres des 40> Chilois Araucains, il reside le plus fouuent dans la ville de la Conception : Il y a à present depuis quelques annees vn siege Iudicial : Il y a aussi vne Eglise Cathedrale & quelques Conuents de Iacobins & Cordeliers ; & si nous croyons Lopez Vaz, huict cents maisons de Bourgeois. Le territoire de la ville est fertile, & abondant en froment, vin & autres fruids : riche en veines d’or & fort peuplé aujourd’hui des naturels du païs, puis qu’il y a dans ce Diocefe prefque quatre vingts mille Sauuages, repartis en XXVI tributs, qui payent tribut & font feruice gratuit aux Efpagnols. Il y a fi grande quantité de chenaux, que plufîeurs vaguent fans maiftres dans les champs & forests, & font si fauuages, qu’on ne les peut pas aifement dompter. 50 Diego Fernandez dans fon Hiftoire du Peru dit, que la riuiere Daule s’eftant efforcee par des faults de montagnes & ayant passé par là, entre enfin dans la mer du Sud : ils nomment Topocalma v ne autre riuiere qui coupe la ville ou passe le long d’icelle : defcend puis apres dans le port de cette ville,nommee vulgairemét Valparayso, le meilleur & plus renommé de toute cette cofte,il eft diftant de la ligne vers le Sud de XXXII I degrés & XL scrupules, comme il a efté curieusement & exadement obserué des Anglois. Dans ce port se defchargent toutes les marchandifes qui viennent par


DESCRIPTION DES INDES par mer de Lima 8c des autres ports du Peru, & on y charge aussi tous les trefors qui s’amassent dans les Prouinces voifines 8c s’amenent là. Le valeureux Cheualier François Drac, estant entré dans ce port au deceu des Espagnols,il print vn nauire,dans lequel il trouua vingt cinq mille pezos,comme ils les appellent, d’or de Valdiuia fort parfait, 8c grande abondance de vin de Chile : 8c estant defcendu à terre,il trouua là mesme neuf ou dix maisons auec vne petite chapelle, que fes soldats pillerent 8c bruflerent. L’armee de mer des Prouinces Vnies des Pays-bas, sous la conduite de Georges Spilberguey arriuant,trouua aussi vn nauire à l’anchre, que les Espagnols bruflerent aussi tost, de peur que les nostres ne s’en seruisslent : il accourut en outre au port plusieurs 10 Caualiers & gens de pié,qui bruflerent quelques loges, de forte que nos gens n’y peurent rien faire de remarque. Enfin à quatorze lieuës de la ville passe vne riuiere, que les Sauuages nomment Chacapol. Or la vallee dans laquelle la ville de S. Iago est baflie, est voifine de la Prouince des peuples qu’on appelle d'vn nom de la nation Parmacanes, ou comme Garcillassus les appelle Purumaucas, par laquelle on va à la riuiere de Manie, & aux bourgades de Gueler & de Tata , 8c plus outre à Quilacura. 416

CHAP.

VI. 10

Description de la Ville de la Concepcion & de l'Isle de S. Marie.

A troisieme ville de ce Gouuernement dite de la Concepcion, efl: fituee fur la colle de la mer Meridionnale, sur vne baye ouuerte 8c aupres d’vn fort commode port : le territoire d’icelle a vers le Nord la riuiere de Maule,vers le Sud le fleuue Biobio; (car il n y a point de doute qu Herrera ne le soit trompe, qui lui donne pour bornes vers le Sud la riuiere Ytaten ou Itatayan, veu qu’il est tout certain que cette riuiere fort en mer à quelques lieues de la ville vers le Nord, fi ce n est que d’auanture cette ville ait anciennement esté fituee ailleurs.) Elle efl: distante de la ligne vers le Sud de trente fix degrés 8c quarante fcrupules : la colle s’encline en cet endroit l’espa- 1° ce de vingt trois lieues vers le Sud-sud-ouest. De la riuiere d’Ytaten iusques au port que les Efpagnols nomment de la Herradura, pource ( qu’il reprefente la forme d’vn fer à cheual ) on conte trois lieuës : ce port efl: fort commode 8c excellemment bien muni à l’encontre de l’incertitude des vents; il est distant de la ligne vers le Sud de trente fix degrés & trente fcrupules : d’icelui iufques à Penco, aupres duquel la ville de la Concepcion est bastie, il y a quatre lieuës. Dans cette baye fortent deux fort petites riuieres ou plustost ruisseaux, le plus petit defquels trauerfe la ville,& l’autre pafle vn peu loin de la ville vers le Sud,& fe nomme Rio de Landalien, de la vallee voifine qui est appellee Andalien. Or le riuage,qui efl: en cet endroit fort estroit, est bordé de colines & montagnettes, 40 desquelles le port efl: garenti,excepté contre les vents de Nord-est 8c de Nord, du collé defquels il efl expofé aux tempestes. Et combien que ces colines, & mesme le terroir de la ville ne soit de soi ni fertile ni d’vn bel aspect, neantmoins par l’industrie & culture des hommes il efl à present fort delectable ; car on y voit plusieurs vergers & iardins cultiués par les Efpagnols, beaux à voir & remplis de toutes fortes de fruicts. La mer qui efl: proche de la ville est extrement poissonneuse ; aupres du riuage fe voitaussi vne perriere, de laquelle on tire certaines pierres noires & bitumineufes,qui feruent aux Bourgeois de charbon. Or pource que ce port est expofé aux vents de Nord,& mal affleuré quand ils fouillent,les bons Pilotes ont coustume d’anchrer derriere vne certaine petite Isle, qui s’estend au dey® uant de la baye,afin d’eflre desendus à l’encontre des vents de Nord-efl. Il y a deux lieues de la ville iufques à la riuiere de Biobio ; cette riuiere est fort large & profonde, de forte qu’on ne la peut passer à guê, toutesfois elle n'est pas capable de porter des nauires : d'icelle iufques à la riuiere Labapi il y a quinze lieuës ; & en l'es pace d’entre-deux il y a vne baye fort large , fur laquelle est fituee la Prouince

L

d' Araucana.

En


OCCIDENTALES.

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XII.

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En outre la ville de la Concepcion est diftante de celle de S. Iago de LXX lieues vers le Sud, comme ils veulent. Le Gouuerneur de toute la Prouince y reside auiourd’hui, depuis que le siege Iudicial, qui y auoit esté establi depuis l’an cIɔ Iɔ LXVII iusques à l'an cIɔ Iɔ LXXIV, a esté transseré dans la ville de S. Iago. Dans la ville il y a quelques Monasteres de Iacobins & de Cordeliers. Dans le territoire de cette ville & dans ces limites,il y a plusieurs mines desquelles on a autresfois tiré grande quantité d’or, de forte que la ville a efté beaucoup plus fleurissante &riche ; mais auiourd’hui comme Lopez Vaz tefmoigne,elle eft prefque reduite à la pauureté, car elle a efté du moins quatre fois pillee & bruflee des Chilois, de io maniere qu’à peine y a-il auiourd’hui deux cents maisons ; & d’autant qu’elle a les Araucains,mortels ennemis des Espagnols, si proche, elle eft maintenant ceincte d’vne muraille de brique,auec vn Chafteau adioinct, dans lequel on dit qu’il y a le plus souuent en garnison cinq cents soldats. Les mines de Quilacoya ou de Quilacura , defquelles Valdiuia du temps qu’il eftoit Gouuerneur de ce païs, a tiré grande quantité d’or, Pont à quatre lieues de la ville. Olyuier de Noort raconte que l’an clɔlɔc il fut enuoyé par leViceroi du Peru en cette ville sept cents Efpagnols pour la garder, à cause des nouueaux remuements des Chilois, & fur tout des Araucains, qui menaçoyent la ville, la fatiguoyent tous les iours. 2.0 GeorgesSpilbergue, Admirai del’armee Naualede ces païs, y arriua aussi l’an cIɔIɔ c x v, & moüilla l’anchre derriere vne Isle qui eft au deuant de la baye ( qu'il dit eftre appellee Quiriquina. ) & à caufe que le vent eftoit contraire, il ne peut approcher la ville de plus pres, feulement il apprint de quelques prisonniers , qu’il y auoit dans la ville enuiron deux cents foldats en garnison, & vn grand nombre de Sauuages tributaires. Depuis la fin de l’emboucheure de la baye, dont nous auons parlé, iusques à l’Isle de S. Marieon conte treize lieues : ou quinze, comme escrit Pedro de qui dit que cette Isle eft appellee des Sauuages Lucengo : elie eft esloignee de la ligne vers le Sud de trente fept degrés & vingt fcrupules ou vn peu plus : vis à vis de la Prouince d'A30 raucana, ( & de la grande baye dont nous auons fait mention ci-dessus) ceincte de rochers droits & lapés de flots de la mer, de maniere que quelques-vns estiment que cette Isle a efté anciennement coniointe auec la Continente & en a efté feparee insensiblement par le canal, qui eft entre deux maintenant large de trois lieues; ce qui toutesfois ne me semble pas vrai sembla ble.Le terroir d e cette Ifle eft fort gras & fertile en froment & en orge :la mer qui l’enuironne est fort pleine de poisson, notamment d’vue forte du genre de seiches, des yeux duquel on tire vne certaine fubftace calleufe, qui approche fort en blancheur & en luftre aux perles, mais elle n’a point la mesme dureté : toutesfois les femmes ont couftume d’en faire des carquans au lieu de perles : Il s’y trouue aussi vne epece d’escreuices, qu’ils nomment choros, dans les telles des4o quels fe trouuent vne sorte de perles, de la grofteur de la semence de chanure, d’vne singuliere blancheur, mais pource que les Sauuages ne sçauent pas la maniere de les percer,ils n’en font point de conte. Thomas Candish y arriuant auec fes nauires , s’anchra au costé Occidental de l'isle, lieu fort commode pour moüiller l’anchre ; & estant descendu à terre, il y trouua grande quantité de froment. Or les Sauuages qui y habitent sont tellement suiets aux Efpagnols,qu’ils n’oferoyent tuer vne poule pour la manger, moins encore vn pourceau,combien qu’il y en ait en abondance : Ils sont maintenant Chrestiens & ont vne chapelle & dans icelle vn Autel auec fes ornements à la façon Romaine Il y croist aussi force Mays & diuers fruicts , de forte qu’on en peut tirer touSo es fortes de victuailles quand on y eft le plus fort. Georges Spilbergue, duquel nous auons desia fait mention , l’an cloloc xv s’eftant rendu maiftre de 1’iste , en emmena plus de cinq cents brebis , grand nombre de poules, & abondance d’autres viures. Ggg

CHAP.


DESCRIPTION

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DES

INDES

VII.

Description des Prouinces d'Arauco, de Tucapel & de Puren, & des pertes que les Espagnols ont receuës en cette partie de Chile.

NTRE la ville de la Concepcion dont nous auons traité maintenant, & celle de l' Imperial de laquelle nous parlerons bien tost, il y a les populeuses Prouinces d'Arauco, de Tucapel & de Puren;les naturels habitans desquelles sont fort belliqueux & ennemis mortels des Efpagnols, 6c defquels ils ont plusieurs fois fait grandes io boucheries, 6c combatent encore auiourd’hui de tout leur courage pour leur liberté : Or il est necessaire de rememorer les choses passees es annees precedentes. Valdiuia premier dompteur de ces Prouinces, apres auoir bafti les villes de l’Imperial & de Valdiuia, eftant retourné à la ville de la Concepcion l’an cIɔ Iɔ LI, trouua bon de baftir en outre trois fortereftes ou chafteaux, à huict lieues d’interualle les vns des autres : l’vn dans la Prouince de Tucapel,l’autre dans celle de Puren 6c le troifieme dans Arauco : afin de lier par iceux comme par des ceps, 6c contenir malgré eux en leur deuoir,ou contraindre à obeïr ces furieuses nations qui n’auoyent iamais efté auparauant domptees par les Rois du Peru: & pource qu’il remarqua peu apres de fort riches veines d’or dans vne plaine,que les Sauuages nomment Ongol, il y mena aussi vne Colonie dans la villette de los Confines,comme ils l’appellent; afin qu’elle fuft comme au 10 milieu des deux villes susdites, qui fut toutesfois abandonnee 6c transportee ailleurs. Cependant les naturels ennuyés de ces nouueaux venus & mal accoustumés à la seruitude, estimans qu’il fe falloit efforcer de tout leur pouuoir, pour secouër le ioug de ces estrangers de dessus leur col & de leurs voifins ; ayans fait entr’eux plufieurs fecrettes assemblees, attaquerent les Efpagnols à la despourueuë, & prindrent de grande furie premierement le Chafteau qui eftoit dans la Prouince de Puren ; car les Efpagnols n’estans pas forts assés, pour soustenir vne fi grande multitude de Sauuages, auoyent desia abandonné de leur gré l’autre qui eftoit dans Tucapel, & s’estoyent ioincts auec la garnifon de celui de Puren : & là ayans fait venir du fecours du Chasteau d'Arauco, s’en allerent refolus au deuant de leurs ennemis, par lequel ayans efté î° deffaits & mis en route, ils n’eurent qu’vne feule retraite vers le Chafteau d'Arauco. Leur Gouuerneur eftant aduerti de ces chofes,marche en toute diligence vers le Chafteau, les siens l’y encourageans, & à grandes iournees,tire auec LIII foldats feulement vers les ennemis, qui eftoyent autour du Chafteau de Tucapel : & comme il fut arriué à Cotone, campagne fort renommee en ce quartier, il enuoya deuant vn de ses Capitaines auec dix hommes, pour efpier de pres le camp & le dessein des ennemis, qui fe precipitant dans vne embuscade auec fes gens, fut taillé en piece par iceux: Le Gouuerneur fans s’estonner de ce desastre, s’auança, mais il fut batu des Sauuages, print la fuite auec quatorze de fes gens reftés de la deffaite, & fe retira aux bords de la riuiere de Ledi, où il fut tué auec iceux, &ne resta de cette tuerie qu’vn ieune Chilois 4° Chrestien, lequel porta les nouuelles de ce malheur à ceux qui auoyent demeuré dans la garnifon d'Arauco. C’est vne chofe memorable ce que Lopez Vaz & autres racontent, que Valdiuia eftant tombé vif entre les mains de fes ennemis, ils le firent mourir en lui versant de l’or fondu dans la gorge, ces Sauuages lui reprochans qu’en fin ils l’auoyent faoule d’or dont il auoit eu fi grande soif. Ce que toutesfois n’eft pas escrit par d’autres. Les Efpagnols qui auoyent efté laissés dans le Chafteau d'Arauco pour le garder, ne voyans autre remede cpntre le danger qui les menaçoit, abandonnais la place se retirerent dans la ville de la Concepcion : & ceux de la garnifon de Puren dans celle de

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l'Imperial.

Apres cela François de la Villagra Lieutenant de Valdiuia, sefforçant de vanger la mort de fon Capitaine & de tant de soldats, partit auec cent & foixante hommes de pié de la ville de la Concepcion-, mais ayant trauerfé la riuiere de Biobio, & eftant desia venu à la veuë du Chafteau d' Arauco, aupres d'vne pointe de terre batué des dots de ses la mer, nommee des Efpagnols la Raquette, il rencontra vne grande multitude de & ennemis, qui l’attaquerent fi furieufement, qu’ayant perdu en ce combat non an te nx


OCCIDENTALES. LIVRE XII. 419 six de ses gens, il fut contraint de s'enfuir haftiuement & de gaigner la ville de la Concepcion. Les Efpagnols apres tant de pertes receues en fi peu de temps,commencerent a perdre courage, & craignant encore de plus grands maux des Saunages qui les menaçoyent, ayans abondonné la ville de la Conception, fe retirerent dans celle de S. Iago: les autres villes fçauoir Villa Rica, & los Confines furent aussi quittees par eux, pource qu’ils fe cognoissoyent à peine suffisans de garder S. Iago & lImpérial. Or ces Sauuages fçauent bien autrement mener la guerre que les autres, car ils fçauent tenir leurs rangs & manier dextrement les armes: leurs armes font l’arc & les fleches, de longues piques, & des fourches; mesmes ils fçauent faire fort gentii'o ment des bourguignottes, des rondaches & des cuirasses de peaux de loups marins, ils ferroyent anciennement leurs piques de cuyure, & maintenant de fer, duquel ils ont eu vne grande quantité des Efpagnols: mefmes ils ont apprins à fe feruir fort dextrement des armes qu’ils ont ostees aux Espagnols en combatant. Au reste ils disposent en leurs combats leurs gens en bataille à la façon prefque des Europeans, & gardent les rangs & la discipline Militaire; ont apprins aussi à faire des trenchees & à fortifier leur camp ou il en eft besoin : à attaquer leurs ennemis par embusches, à furprendre leurs villes à la despourueuë, & prendre & brufler leurs villages & metairies: Ils sont vaillans au combat & fans peur, & ont fouuent fait de grandes deffaites des Espagnols, & en ont souffert aufli quelquesfois : de toutes lefquelles chofes les lo Historiens Efpagnols font mention & en ont escrit prefque autant qu’il efl: poflible, qui feroit long de reciter ici & peut estre hors de nostre deuoir. Seulement nous dirons ceci en paflant, que ces Sauuages ont tant fait par leurs armes & vaillance, que les Efpagnols tiennent vne fort petite partie de leurs païs, & ont esté contraints d’abandonner plufieurs villes, & de quitter diuerses Prouinces & qu’ils fe peuuent à peine defendre de leurs armes. Car encores que les Espagnols, apres la miferable infortune de Valdiuia, & tant de pertes receuës des Araucains & leurs consederés, euflent quelque peu refpiré,du temps que Garsias de Mendoza,fils du Viceroi du Peru, y estoit Gouuerneur (qui auoit amené vne bonne partie de ces Sauuages à obeïflance) neantmoins les Sauuages recommencerent la guerre auec plus deffort que iamais, 3o & fe porterent fi vaillamment & resoluëment, qu’ils ont laissé peu de villes auiourd’hui aux Efpagnols, & si mal affeurees, qu'ils attendent tous les iours l’ennemi à leurs portes, & font contraints de faire soigneuse garde iour & nuict Au refte cette Prouince d'Arauco, auec celles de Tucapel & de Puren, qui font prefque tenues pour vne, &appellees des Efpagnols vulgairement El Estado de Arauco, comme Alfonse de Erzilla les nomme en son renommé Poème, est contenue entre des limites fort eftroites, car elle n’a de long que vingt lieuës ou enuiron, & à peine sept de large. On croit quelle soit riche en mines d’or, mais l’acces n’en a pas efté ouuert aux Efpagnols iusques à prefent, voila pourquoi elles font encore auiourd’hui fans 4o eftre travaillees.La plus grande partie d’icelle est releuee en montagnes ou hautes cofines ; du cofté qu’elle attouche la mer du Sud ce font pluftoft de droits rochers que des riuages ; elle reçoit la mer dans vne grande & spacieuse baye, dans laquelle on estime qu'il y a anchrage fort fleur, mais la descente y est grandement difficile. Enfin cette Prouince sestend vers le Sud depuis le XXXVII degré par vn & petit espace. En outre dans les montagnes voifines,qui couurent Arauco vers le Leuant, habitent les Sauuages vulgairement nommés Pulches, nation legere, desireuse de combatre & non moins furieuse, mais ils ne font pas d’vn tel efprit ni induftrie que les Araucains, desquels ils font surmontés en toutes fortes, neantmoins ils ID ne font pas moins ennemis iurés des Efpagnols ; qui fait qu’ils fe conioignent aisement auec le refte de leurs ennemis.

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DESCRIPTION

DES

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VIII.

INDES

Description de l'Isle de la Mocha, naturel & mœurs de ses naturels habitans, & les nauigations de plusieurs vers icelle.

La Prouince d'Arauco que nous venons de descrire,appartient l’Ifle, nommee vulgairement la Mocha, ; habitee des gens de la mesme nation, qui s’y sont retirés de la Terre ferme & ont esuité iusques ici le ioue des Efpagnols» Elle est diftante de la ligne vers le Sud de XXXVIII degrés & quelques scrupules, selon qu’il a efté remarqué à diuerfes fois, tant par les Efpagnols, que Anglois & de ceux IQ des Prouinces Vnies, qui font tous quelque peu differents au nombre des scrupules, selon la diuersité des lieux où ils en ont prins la hauteur: De la Continente cinq lieues; de la riuiere de Lebo, qui fort presque vis à vis d’icelle en mer, six lieuës vers l’Ouestsud-ouest ; & de l’Isle de S. Marie (de laquelle nous auons parlé ci-dessus) XVIII vers le Sud-oueft ou Sud-fud-oueft. Le canal qui coule entre deux eft communement profond de XII brasses, & quelquesfois de moins, & eft en quelques endroits sale de certains bancs & baffes. Cette Isle eft assés spacieuse; presque au milieu d’icelle, fe dresse vne montagne d’vne extreme hauteur, diuifee & fourchue au sommet ; doù descend vne petite riuiere fort claire & fort bonne à boire : Or dés le pié de la montagne iufques aux bords de 10 la mer qui l’enuironne, la terre va doucement en penchant & eft eftendue en vne plaine ; la terre y eft fertile & qui ne porte pas feulement toutes fortes de fruicts, mais eft embellie de pasturages. Au dessous de l'lsle il y a vne bonne rade, & vn aifé anchrage, a sur sept ou huict brasses en mer ; toutesfois estant sur les anchres il faut craindre les vents de Nord-eft, qui pourtant ni soufflent pas fouuent. François Drac, lors qu’il y eftoit auec fes nauires, y trouua les habitans assés courtois, & trafiqua d’eux quelques prouisions en contrefchange de quelques marchandises, mais le lendemain il enuoya deux de ses hommes à terre, que les Infulaires tuerent, estimans (comme il eft vrai semblable) que ce fussent des Efpagnols ou de leurs amis ou alliés,& empescherent apres cela la descente aux Anglois. Thomas Candish Anglois, y arriuant du depuis, fut receu prefque en la mesme façon des Sauuages, qui lui defendirent de descendre à terre. Ceux de nos Païs y eurent beaucoup meilleure fortune; car premierement Olyuier de Noort, lors qu’il y aborda, traita amiablement auec les Insulaires & pour des haches & des couteaux receut des brebis & des viures de toute forte : pour vne hache il auoit vne brebis, pour vn couteau vne poule & quelquesfois deux; & du Mays, des patates, des courges & d’autres fruicts que l’Isle porte à l’aduenant. Les Sauuages auoyent aupres de la rade vn village, qui contenoit enuiron cinquante maifons , qui eftoyent faites elegamment de paille, longues & ornees au milieu d’vn certain porche. Or combien qu'ils eussent receu les noftres fort courtoifement, toutesfois ils ne permirent 4° point qu’ils entrassent dans leurs maisons, ni de parler auec leurs femmes ; mais ayant fait fortir par vn certain beuglement toutes les femmes des maifons dans vne place voifine, ils les faifoyent agenoüiller par diuers rangs à la veuë des noftres. Ils ont couftume de prendre autant de femmes qu’ils veulent, & celui qui a plus de filles eft estimé le plus riche, car ceux qui les veulent auoir en mariage, ont couftume de les achepter des peres & des meres, & payer pour leur filles vn bœuf, des brebis ou quelque autre chose dont ils feront auparauant conuenus enfemble. Ils fe vestent de longues robes depuis les efpaules iufques aux talons, autant hommes que femmes ; qu’ils font de drap, tissu de la laine des brebis, desquelles nous auons parlé ci-deuant. Les hommes laissent pendre leurs cheueux iufques fur les efpaules, & les femmes les re- 5° troussent & les noüent derriere la teste. Georges Spilbergue des Pays-bas les trouua aussi fort courtois en fon endroit, & receut d’eux toutes fortes de viures ; Celui qui à descrit fa nauigation, affeure, que cette Isle, du cofté qu’elle regarde le Nord, eft baffe & pleine de champs, mais que du coste du Sud,elle est enuironnee de plufieurs rochers, & où la mer brise fort. le n’ai veu aucun qui dife rien de sa grandeur ni de son circuit.

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XII.

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IX.

Description des Isles de Iean Fernandez.

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que nous sommes maintenant tombés sur les Istes, il fera fort à propos, auant que de retourner à la Continente, de parler de celles qui portent le nom de Iean Fernandez, qui les a premierement defcouuertes : Elles font deux en tout, situees sur le XXXIII degrés & XLVIII Scrupules au Sud de la ligne, comme il a efté obserué par Iaques le Maire, Hollandois, toutes deux fort hautes, & celle qui eft IQ la plus Occidentale eft la plus petite,infertile & à peine couuerte d’aucun herbage, où il n’y a que des rochers & des coftaux arides : mais Ia plus Orientale est la plus grande: aussi releuee en montagnes, mais elle eft couuerte de beaucoup d’arbres agreablement verdoyante, & on ne l’estime pas estre infeconde : il s’y trouue vne grande quantité de cheures & de pourceaux ; la mer qui l’enuironne eft fi remplie de toute forte de poisson, que les Efpagnols y vont souuent pescher, & y en prennent en peu de temps grand nombre,qu’ils portent vendre à la Continente &au Peru. Il y a vne fort commode rade derriere sa pointe Orientale,par ainfi ceux qui y veulentanchrer, doiuent costoyer la coste Orientale ; car quand on rase celle del’Oueft,on est aisement driué au large par le courant, à cause du calme, & emporté loin de l ifte, *0 de forte qu’il n’est iamais poftible de l’aborder. Sous la cofte qui regarde l’Ouest,proche du riuage la mer a quarante, puis apres trente & feichant insensiblement vient à trois brasses de profond, en cet endroit la rade eft affeuree & le fonds y tient bien les anchres ; vis à vis d’vne belle & verde vallee, vestuë d’vn bois d’arbres verds d’vne belle perspectiue. L’an cIɔIɔc XXIV ceux de nostre nation furent à ces Isles, auec la flote qu’ils appelloyent vulgairement de Nassau, desquels nous auons apprins ce qui s ensuit. Les Isles de Iean Fernandez font deux, la plus Orientale desquelles eft diftante de la ligne vers le Sud XXXIII degrés & XL fcrupules, de la Terre ferme de l’Amérique Meridionnale à enuiron LXX lieues d’Alemagne :Et l’autre Iste eft de certe-ci, selon les Efpagnols à enuiron vingt lieues vers le Nord-ouest : ils ont coustume d'appeller cette 30 derniere isola de Fuera, & l’autre Isola de T terra, caufe en est manifeste, car la plus Orientale eft pres de la Continente : voila pourquoi ceux-là errent grandement, qui prennent pour la seconde Iste de Iean Fernandez, vn rocher plustost qu'vn Isle, proche de la plus Orientale Isle, veu qu’elles font feparees l'vne de l'autre d’vn espace qui est de vingt lieues, & la plus Occidentale n’eft pas moins enüironnee de tels rochers. La plus Orientale ( dit 1’ Autheur qui a redigé cette nauigation par escrit ) sous laquelle nous moüillafmes l’anchre ,a de circuit enuiron fix lieuës, & de long deux ou trois entre l’Est & l’Ouest : Elle a vne rade au cofté du Nord-est, où on voit certaines vallees, gratieufement couuertes d’herbes menues & de trefles : or le fond de la baye 4c est fort penchant, & en partie salede rochers & baffes, & en partie couuert de fable noir; mais il eft fort difficile d’approcher pres de terre & de trouuer vne bonne place pour anchrer. Cette Ifte abonde en fontaines d’eaux douces : la mer voisine eft remplie de fort bon poisson, qu’on y pesche en grande abondance prefque fans peine. Il y a aussi des loups & des lions marins en nombre infini. Dans les bois grande multitude de cheures,mais leur chair n’eft pas fi agreable à manger que de celles que nourrit l'Isle de S. Vincent, l’vne de celles du Cap Verd: on les y prend difficilement à caufe de l'espesseur des arbrisseaux, qui empeschent le passage de tous costés, & font qu’on n’y peut prefque marcher. Nous n’y auons veu nulle autre forte d’animaux. Dans les montagnes il y croift force palmes,& on voit pres de la rade trois arbres de coing. Il s’y $o trouue en outre vne grande abondance de bois de Sandal, mais qui n’eft pas si bon de beaucoup que celui qui croift en l'iste de Timor: il y a d’autres arbres le bois defquels est extremement dur & tillace, & fort propre à tous ouurages : toutesfois nous n’y en trouuasmes point d’assés propres pour feruir de masts de nauires. Il appert assés qu’il y a demeuré autresfois dix ou douze Sauuages,qui s’employoyent à cuire de l’huile de loups marins & femblables animaux, maintenant l'isle est du tout abandonnee, si ce n’eft que fix de nos gens tant soldats que matelots, ennuyés du long voyage ou pour quelque Ggg 5 OVRCE


DESCRIPTION DES INDES quelque autre caufe a nous incognuë, se defroberent des nauires & y demeurerent de leur bon gré,au grand regret de l’Admiral. Voila ce qu'il en dit. Bartholomeo Leonardo de l'Argensla, au Liure troisieme des Isles Moluques , Elit mention des deux Mes de Iean Fernandez, qu’il trouua fortuitement lors que l’an clo Io LXxiv il alloit au Chile, qui font nommées aujourd’hui S. Félix & S. Ambor ; mais celles-ci ne peuuent eftre les premières desquelles nous traitons ici, car il dit quelles ne font qu a xxv degrés & xx fcrupules vers le Sud de la ligne ; fi ce n’eft que d’auanture il fe foit trompé à fon conte. Or il escrit que l’vne & l’autre font nommées des Efpagnols Desuenturadas, c’est à dire, malheureufes.

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CHAP.

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X.

Description des Villes de los Confines, dite aussi de los Infantes, & de l'Imperiale.

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A Ville, que de la Villagra Gouuerneur de ces Prouinces apres Valdiuia, appella quand premier il la bastit, de los Confines, & Garfias de Mendoza nomma par apres Villa Noua de los Infantes, eft situee au milieu du pais ; à xxxv degrés &xxx fcrupules de la ligne, selon Herrera: à xVIII de la mer du Sud : & à xx de la ville de la Concepcion vers le Sud-fud-eft : elle eft baftie dans vne plaine qui eft appel leedes Sauuages Ongol, d’où vient que les Historiens Efpagnols donnent ce nom 20 fouuent à cette ville. Il y a vne riuiere qui descendant des montagnes de neiges ou des Andes diuife cette plaine, & passe le long de la ville au cofté du Sud ; & vn autre torrent qui fait moudre quelques moulins pour les Bourgeois, qui y coule du cofté du Nord: de forte que la ville eft situee entre les deux. Le territoire de cette ville eft fertile en grains, riche en pafturages, & toutes fortes de frui&s y croissent fort bien & y meurissent bien toft. D’où vient qu’on n’y presfe pas feulement de bon vin, mais on y feiche aussi des figues & des raisins de passe. Il eft clos des deux coftés de hautes montagnes, de forte que la ville eft à huict lieues des montagnes de neige ou des Andes, & à deux ou à plus à trois des autres montagnes qui font plus pres de la mer du Sud, nommées vulgairement la Serrania : & ce 30 territoire a de large entre l’Est & l’Ouest dix lieues ; & de long entre le Nord & le Sud xvIII : sçauoir vers le Nord de la ville vIII depuis icelle iufques à la riuiere qu’ils nomment de la Laxa ( pource qu elle fe precipite en vn certain endroit d’vn sault haut prefque de xx brasses) & : vers le Sud dix lieues, depuis la mefine ville iusques aux limites de la ville de l'Impérial, le long du chemin qui mene vers icelle. Il y a grande quantité de cyprès, qui ont vn bois lequel fent fort bon, & font fort prifés pource qu’ils donnent de la Lacca, comme ils l’appellent. Plusieurs riuieres coupent cette Prouince, notamment celle de Biobio, qui en emmene avec foi plufieurs autres petites, & celle que les Sauuages appellent Niuequeten. Et n'y a pas aussi faute de mines d’or, combien qu’on n’y ait pas prefque tou- 40 ché pour la difette d’ouuriers & d’esclaues. Il y a enfin deux Monasteres dans la ville, de lacobins & de Cordeliers : & pource que les Sauuages du pais, qui ont guerre continuelle auec les Espagnols, habitent fort près de la ville, on dit qu’il y a vne garnison qui eft le plus fouuent de deux cents foldats. La ville de l'Impérial est à XXXVIII degrés & xL fcrupules de la ligne vers le Sud: de la ville de los Confines à dix lieues vers le Sud-oueft ou Sud-fud-oueft : & de la mer du Sud I v. Elle eft baftie fur les bords de la riuiere de Cauten qui fe precipitant du haut des sommets des montagnes de neiges, & courant vifte vers l’Oueft, pass le long de cette ville, & qui fe ioignant auec vne autre qui rafe le cofté Occidental d’icelle, lait vn certain coin de terre, rond & droit, & difficile à monter, fur lequel cette 50 ville eft conftruite. Le terroir de cette ville a de long XVIII lieues, fçauoir de la ville vers le Sud dix lieues ; & vers le Sud iufques aux bords de la riuiere Queule (qu’on dit eftre diftante de la ligne de xxx I x degrés & demi) VIII lieues : de large entre l’Eft & l' Ouest vingt, fçauoir depuis la mer du Sud iufques au pié des Andes. Or il eft par tout tort fertile en froment ; & porte assés bien les vignes, combienqueles raifins n y meurissent pas bien, excepte


OCCIDENTALES.

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excepté dvne forte qu’ils nomment vulgairement mufcats. Il fournit aussi de bons pasturages pour les vaches ; on n’y fait pourtant nuss fromages, pource que les vaches ne donnent pas de laid : assés propre pour cela, comme ils disent. Les moyens nauires peuuent monter iufques à la ville ; le riuage est au refte fans rade & est sale de beaucoup de bancs de sable, & na pas plus de demi-brasse de profond auprès de la coste de la mer. La seconde Euefché du Gouuernement de chile prend fon nom de cette ville. Or il y a comme on dit plus de quatre vingts mille Sauuages dans le Diocefe d’icelle, ne font pas moins ennemis des Espagnols que les autres, de forte qu’on dit qu’es 10 années precedentes cette ville fut par eux ruinée. Il y a enfin de fort riches mines d'or, desquelles on pourroit tirer grande quantité d’or fi les Sauuages le vouloyent permettre, ou s’il y auoit des Mineurs en abondance.

CHAP. XI. Villes de Villa Rica, & de Valdiuia, auec les Regions voisines d'icelles. À Ville que les Efpagnols nomment Villa Rica, eft efioignee de la ligne vers le Sud de xxxIx degrés, de la ville de l'Imperial, enuiron XVI lieues vers 20 Sud-sud-est : de la mer Auftrale xxv vers le Leuant, & à trois des Andes ou montagnes de neiges vers l' Occident. Elle eft fituee au costé Occidental du lac que les Sauuages nomment Mallabauquen & de fon emissaire nommé vulgairement Rio Tolten: or ce laça de long entre l’Est & l’Ouest trois lieues, & entre le Nord & Je Sud deux, au bout d’icelui qui regarde le Sud-fud-eft, il y a vne montagne ou Vulcan, au pié duquel fe voit vne fontaine, qui sortant de deux grandes fources fait vn torrent, lequel peu apres fe mésl dans le lac. Le territoire de la ville eft afles second, la terre eft: argilleuse, de laquelle on fait de fort bonnes briques : le refte fe dresse en colines & la terre y eft prefque du tout fterile ; combien qu’il y croisse beaucoup de pins, que les Efpagnols nomment 30 Rinnones de Libano: leur fruict engraisse tellement les pourceaux, qu’à peine fe troud'vn gouft plus agréable. ue-il ailleurs de meilleure chair de pourceau, appellés Rulches ; nation farouche les Sauuages Au pié des montagnes habitent & difetteufe de toutes choses, viuant le plus fouuent de chasse, & ils font fort adroits à tuer à coups de fleches la fauuagine. Or au de là des sommets neigeux des Andes vers Je Leuant, il y a vne plaine fablonneuse, du tout deserte, deftituee d’eau & vne vraye solitude. En outre le territoire ou Diocefe de cette ville a pour limites vers le Nord la riuiere de Tolten, qui en eft efioignee de huict lieues : vers le Sud fuiuant le chemin qui mene à Valdiuia, iufques à la vallee de Marequina autant. La region eft pour la plus 40 grande partie froide, & n’est pas fertile en froment ni en vin : les Bourgeois trauaillent prefque tous en laine, tissent de fort bons draps, & des chemifettes de lin, dequoi ils trafiquent tant en ce Gouuernement qu’ailleurs. La ville de Valdiuia la plus renommee de tout ce quartier ,eft fituee prefque au milieu entre les limites du Nord du Gouuernement de chile & le Dcftroit de Magallan, dans la Proince que les Sauuages appelloyent d’vn nom particulier Guadallanquen ; à deux lieues ou enuiron de la mer Australe, & fur les XL degrés non du tout pleins de la ligne vers le Sud , slon Herrera ; qui efcrit que quelques curieux ont remarqué, que lors qu’en la ville de Seuille il eft midy, le Soleil est en cette ville à cinq heures & vn tiers du midy ; c eft à dire, fi on conte iuftcment, quelle eft diftante 50 du Meridien de la ville de Seuille, de L xxx degrés vers l’Occident. Elle a vn port fort commode, qui est ouuert au Sud, capable de grands nauires ; il v a vne riuiere coye, claire & fort belle, diuifee au dessus de la ville en deux branches , qui y entre par deux emboucheures : or les nauires montent dans le plus grand canal d’icelle deux lieues haut ; toutesfois la ville eft assise fur le plus petit, fur vne tonde plaine coupee à plomb tout autour, & efleuee par defïus la fuperficie du refte de la terre d’enuiron cinq brades, la maree entre dans l’vn & l’autre canal iufques à cette

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DESCRIPTION DES INDES cette plaine ceinde de toutes parts de colines, que nous auons dit ci-dessus s eftre nommée Guadallanquen. Le territoire de cette ville (qui eft toutesfois fort esloigné d'icelle, & comme quelques-vns escriuent à dix lieues) eft pour la plus grande part bas & plat, fort fertile 6C qui porte abondamment le froment & l'orge, comme aussi toutes fortes de fruids, excepté les raisins, qui n’y meurissent pas bien. Il est borné vers le Nord de la vallee de Marequina, de laquelle on conte VIII lieues jusques à la ville : vers le Sud iufques à dix de la ville ; de forte qu’il a de long entre le Nord & le Sud xvIII lieues : 6c presque autant de large , sçauoir depuis la mer du Sud iufques à la ville deux lieues, 6C de 10 la ville iufques au pié des Andes feize. Il n’y a nulle partie du Gouvernement de chile qui abonde plus en or fin & parfait que cette-ci: caron tient pour certain, que quand le Gouuerneur Valdiuia, nom duquel à demeuré à la ville, s’y arresta premièrement, il y auoit des mines d’or fi riches, que chaque efclaue Sauuage en droit tous les iours xxv, & parfois xxX pezos; comme ils les nomment. Or l'an cIo Io XCIX (comme vn Pilotte Efpagnol rapporta à Olyuier de Noort) les Sauuages voifins attaquerent les Efpagnols à l’improuifte, prindrentla ville & en tuerent tous les habitans : du depuis pourtant on dit que les Efpagnols y font retournés & ont rebafti la ville dans laquelle ils entretiennent deux cents foldats en garnison. 20

424

CHAP.

XII.

Villes d'Osorno & de Chilue ou Castro, Prouinces voisines & notamment Chucuito.

A ville d'Osorno est situee à LX lieues ou vn peu plus de celle de la Concepcion vers le Sud & vers le Deftroit de Magallan (comme Herrera escrit) à enuiron VIII lieues de la mer Meridionnale ; à XLII degrés au Sud de la ligne ; en vne région vn peu froide & deffournie de viures & de toutes autres, chofes necessaires à la vie humaine ; mais fort riche en mines d’or ; qui fait que cette ville (slon le tes- 30 moignage du Pilotte Espagnol, qu’olyuier de Noort auoit prins en ces quartiers,) eft beaucoup plus grande & mieux peuplee que Valdiuia mesme : les Bourgeois tissent en outre grande quantité de drap & de toille: dans le territoire & entre les limites de cette ville, habitent, comme on dit, plus de deux cents mille Sauuages, qui payent tribut aux Efpagnols & leurs rendent feruice gratuit. Enfin la derniere ville que les Efpagnols habitent en cette region, vulgairement appellee Castro, & des Sauuages chilue : est situee dans vne des Isles, qui font efparfes en grand nombre dans le lac ou golfe d'Ancud ou chilue, comme il eft nommé des naturels, à XL deux lieues de la ville d'Oforno vers le Sud. Or l’Archipelague de ces Isles commence dés les XLIII degrés de la ligne vers le Pôle Antardic. Il y a aux 40 enuirons de cette ville Castro plus de douze mille Sauuages habitans, qui font tributaires aux Espagnols ; car fille dans laquelle la ville eft baftie s’eftend en long cinquante lieues, selon qu’escriuent les Efpagnols (ce qui n’eft pourtant pas vrai semblable) & en large, où elle eft plus large ix ; où elle eft plus eftroite feulement deux. Or toute cette colle eft diuilee de deftroits & de canaux qui l'extrecoupent, & il y a plusieurs Isles qui bordent la terre ferme, iufques au pié des hautes montagnes des Andes, qui fe dressent en cet endroit au dessus de ce lac ou golfe. La terre de ces Iftes eft ceinde de toutes parts de montagnes, fertile en Mays, & ne porte pas mal 50 le froment : mais elle eft riche outre mesure en or, de forte qu’on en trouue des paillettes iufques fur le riuage mefme, ce qui à couftume de fe voir rarement ailleurs. • nous auons parlé ci-deftus, asseuroit que cette ville estoit a Ce Pilotte, duquel toutes XLIV degrés de la ligne vers le Sud, qu’elle eft fituee dans vne Isle cultiuee de parts des Efpagnols, & qu’elle abonde en laines de brebis de Chile, de laquelle ils y font de fort bons draps & des robes. Cette

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OCCIDENTALES. LIVRE XII. 425 Cette ville (comme nous auons apprins des Commentaires de Georges Spilbergue) fut prinse de nos Belges auec peu de peine, Tous la conduite de Balthasar de Cordes & d Antoine Antoine surnommé le Noir ( qui auoyent pafle le Deftroit de Magallm auec vn nauire nommé la Foi ) & la perdirent derechef. Mais ie n'ai pas bien peu fçauoir comme l'affaire c’eftoit passée : si ce n’est que i’ai apprins de quelques-vns, que comme les nostres eftoyent mal fur leurs gardes, ils furent à bi despourueue deffaits par les Espagnols, qui eftoyent venus d'Osorno au fecours de leurs gens. l’ai veu toutesfois la delineation de cette place faite afles exactement bien par cet Antoine le Noir, par laquelle i’ai remarqué, que cette villette 10 est diftante de la ligne vers le Sud de quarante trois degrés ; & que l'lsle dans laquelle elle eft situee, eftoit eftendué prefque du Nord au Sud, le long de la coste de la mer Meridionnale. Et que la ville n’eft esloignee de la mefme cofte que d’vne lieue ou deux, combien qu’on y aille par vn long & tortu chemin : car vers la pointe Septentrionnale de Lille , entre vn canal qui tire de l’Ouest vers LEst (qui a l’emboucheure large d’enuiron deux lieues & demie) & autour du fond rond & courbé, où il s’eftroicit en vn eftroit canal, & derechef s’eflargit en vn golfe fpacieux, parfemé de plusieurs petites Isles : ceux qui veulent aller à la ville de Castro, doiuent coftoyer premierement la coste qui regarde l’Orient courant Sud-eft, iufques au Cap eftroit de l'Isle, & l’ayant pafle tourner à la main 20 droite vers le Sud-ouefst, & vn peu plus outre faire voile vers le Nord-oueft iusques à la rade de la ville mesme, qui eft baftie entre deux torrents, auec vn perit Chasteau, qui commande à la rade ou port ; les autres maifons de la ville font efparfes ci & là & reprefentent plustost quelque bourgade , qu’vne ville, car elle ne font ceinctes de murailles ni de remparts. Outre ces villes du Gouuernement de chile que nous auons recitees, il y en a encore deux autres qui appartiennent au mefme Gouuernement, ituees au delà des montagnes des Andes au cofté Oriental d’icelles, dans la Prouince qu’on nomme vulgairement Chuciato (Herrera la nomme aussi ailleurs Cuyo ) region froide Si inseconde ; fçauoir Mendoza S. IuAn de la Frontera ; Garsias de Mendoza, com30 me on dit,baftit l’vne & l’autre, lors qu’il eftoit Gouuerneur de chile. La ville de Mendoza eft fituee prefque vis à vis de celle de S. Iago de la Province de Chile laquelle nous auons ci-dessus descrite, & feparee d’icelle d’enuiron quarante lieues vers le Leuant ; à laquelle on va de la Prouince du Chile par vn fort difficile chemin & par les hautes montagnes des Andes tousiours couuertes de neiges, car il y a auffi vn chemin qui y va de la Prouince de la riuiere de la Plata A , comme nous dirons bien toft. L’autre ville S. Iuan de la Frontera decline vn peu de la precedente vers le Sud. Selon que i’ai peu conceuoir d’vn certain HoNandois, qui auoit passé par là de la Prouince de la riuiere de la Plata & auoit trauerfé iufques en chile ; cette ville de 40 Iuan n’eft pas plus de cent & dix lieues diftante de celle de Buenos Ayres ( de ^quelle nous parlerons en fon lieu) par vn chemin droit, mais fort solitaire ; voila pourquoi ceux qui vont à cette ville passnt le plus fouuent de Buenos Ayres par Cordube, qui eft bien vn plus long chemin, toutesfois il eft plus frequent d’habitans & partant plus affeuré. Le mefme affeure, que la Prouince de chile eft au plus large à l’endroit de la ville de S. Iago, & que d’icelle ville iufques à vn pont couuert d’ofier, qui eft entre des vallées des montagnes, au trauers d’vne riuiere qui y pafle, on conte foixante lieues ; de forte qu’il faut de necessité que cette ville de S. Iuan foit plus loin de la mer Meridionnale, qu’on ne la met ordinairement dans les Chartes 50 Géographiques. Quant aux degrés de leur efleuation du Pôle Antarctiic, & à la face & condition de leur terroir, ie ne l’ai trouué escrit de perfonne iufques ici, voila pourquoi nous n'en dirons pas dauantage. ,

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CHAP


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DESCRIPTION DES

INDES

CHAP. XIII.

Description de toute lu Coste marine de Chile, de ses Ports, Rades, Bayes & Caps, iusques au trente troisieme degré de la latitude Australe. A cofte marine du Gouuernement de chile, comme nous auons dit ci* demis ; commence dés la baye 6c vallee de Copiapo, sur les vingt six degrés de la hauteur du Pôle du Sud : courant le long de la cofte vers le Sud de cette baye (selon Pedro de Cieça) on rencontre premièrement vne certaine pointe de la Continente qui 10 s’auance vn peu, 6c derrière icelle vne baye, au dessus de laquelle paroiftent deux hauts rochers, 6c ayantpass outre cette baye vne riuiere, qu’on nomme Guasco; à xxvIII degrés & x v fcrupules de la ligne vers le Sud. L’interualle entre la vallee de Copiapo 6c Guasco est de xxx lieues, comme escrit Herrera, qui place Guasco fur xxIx degrés de la ligne vers le Sud: Olyuier de Noort obferue Guafco fur xxvIII degrés & demi ; & escrit qu’il y a vne assés bonne rade, derrière des rochers qui font en cet endroit au devant de la Terre ferme, & qu’il y a vne riuiere de mesme nom qui coule dans la baye, l’eau de laquelle eft fort bonne, mais qui n’est pas co mmode à caufe qu’on y entre difficilement ; au refte le païs eft couuert vers la cofte de peu d’arbres, & n’y a nulle habitation d’hommes, si ce n’eft fort loin du riuage. Iufques ici la cofte a prefque touftours couru vers le Sud-oueft : mais dés Guafco 20 elle fe courbe vn peu plus vers le Sud, iufques au port de Coquimbo xxx degrés de la ligne vers le Sud, comme Herrera eferit, & comme a remarqué RichardHawkins, Cheualier Anglois : mais Pedro de Cieça qui poursuit cette cofte par le menu, dit que ce port n’eft feulement diftant de l’Equateur que de xxix degrés 6c xxx fcrupules ; auec lequel s’accorde Fuller, qui a visité cette cofte auec Candish. Or Richard Hawkins célébré ce port entre les principaux de cette Amérique Meridionnale, tant à cause de fa capacité, que principalement à caufe de la grande feureté ; car il eft couuert de toutes parts à l’encontre de l’incertitude des vents, & fournit vne bonne rade entre la cofte de la Continente vn rocher qui eft au deuant d’icelle. A dix lieues de ce port (comme Pedro de Cieça remarque) il y a derechef vne 30 pointe de terre auancee, qui donne ouuerture à vne baye au derrière de foi, laquelle on appelle vulgairement Atongayo, d’où on conte iufques à la riuiere de Limara cinq lieues ; à neuf lieues d’icelle plus outre il y a vne autre baye, qui s’appelle Choapa, fur xxXI degré de la ligne vers le Sud ; où il n’y a nulle commodité pour prendre de l’eau ; enfin de cette baye jufques au port de Quintero qui eft fur xxxII degrés de la ligne,on conte xxI lieue. Les Anglois remarquent le mefme port fur les xxxIII degrés & quelques scrupules : Georges Spilbergue de noftre nation lors qu’il couroit le long de cette coste, s arrefta dans ce port auec fa flotte ; & 3afleure que c’est vne belle & fort delectable baye, 40 & fi bien garentie de tous coftés à l’encontre de l’incertitude des vents & des tempeftes, qu’elle fournit d’vne commode & affeuree rade aux nauires. Il y a en outre bonne opportunité pour y prendre de l’eau : car au cofté du Sud d’icelle, vne petite riuiere y entre, l’eau de laquelle eft fort claire, 8c proche delà il y en a vne autre qui nourrit abondance de fort bon poisson ; on y peut auffi commodement prendre du bois; de forte qu’on la peut à bon droit mettre entre les meilleurs ports de cette coste Cependant que nos gens y prenoyent de l’eau, ils virent au dedans du pais plufieurs cheuaux fauuages, qui venoyent par troupes à vn ruisseau ( lequel descend dans cette riuiere du haut des montagnes proches delà) pour y boire , mais apres qu’ils eurent veus nos gens, ils fe retirèrent à la fuite dans les bois, & n’apparurent plus ; il y demeure 50 fort peu d’Espagnols fort loin du riuage. Herrera conte fept lieues de Quintero iufques à Valparayfo, & Pedro de Cieça, auec lequel s’accorde Hawktn, dix : quant à la hauteur les Autheurs font differents entr’eux : car Cieça le met fur les xxxII degrés & XL fcrupules ; Fuller, Anglois, fur les xxxIII degrés & XL fcrupules ; & Olyuier de Noort fur xxxIII feulement: de forte qu’il eft difficile de fçauoir lequel on doit fuiure en vne fi grande variété, mais nous auons defia parlé de ce port plus amplement ci-deflus.

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CHAP.


OCCIDENTALES.

LIVRE

XII.

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CHAP. XIV.

Reste de la Coste de Chile, depuis Valparayso iusques au quarante deuxieme degré de l'esleuation du Vole du Sud & vn peu plus outre.

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V Port de poursuiuant vers le Sud, la coste eft entrecoupée de quelques bayes 6c caps jusques à la riuiere de Mayta, l’interualle eft d’enuiron de cinq lieues : d’icelle iufques à celle de chacapol, il y a environ seize lieues : de Chacapoljufques a vne pointe de terre appellee communément dans les Chartes ma10 rines Punt a de Bairres, on conte quatre lieues ; de cette pointe iufques à la riuiere Maule, il y en a vingt quatre : cette riuiere clost les limites du territoire de la ville de la Concepcion vers le Nord, comme nous auons dit. De la riuiere de Maule iufques à celle d'Ytaten, Herrera conte vingt trois lieues,& Pedro de Cieça quinze ; elle eft distante de la ligne de trente ftx degrés 6c quinze scrupules, comme le mefme Cieça a bien remarqué. Dés l’emboucheure de cette riuiere la cofte fe tourne vn peu vers le Sud-est, 6c donne premièrement ouuerture à vn port (à prefque trois lieues d’interualle )ou à vne baye laquelle nous auons dit que les Efpagnols nommoyent la Herradura, de sa forme qui reprefente vn fer de cheual : d’icelle iufques au port de la Conception, appel20 le des Sauuages Penco, il y a quatre ou cinq lieues. Les Anglois commeaussi ceux de nostrenation efcriuent, que ce port ou pluftoft rade eft diftante de la ligne de trente ftx degrés & quarante fcrupules. Ce port eft au refte estimé par les noftres qui y entrèrent l’an cIo IOC & disent qu’il y a à son entrée iufques à trente brades de profond, & qu’en y entrant on ne doit craindre nul danger des baffes ou rochers ; si ce ne font de ceux qui paroissent fort clairement ; derrière la pointe qui eft à la main droite de ceux qui y viennent de deuers le Sud, il y a vne petite Isle qui n’a pas plus d’vne lieue de long & à peine demie de large, estenduë presque entre le Nord-est & le Sud-ouest, & feparee de la Terre ferme par vn deftroit large enuiron d'vne lieue ; dans laquelle il y a fort bonne commodité pour y prendre 30 de l’eau : elle porte en outre diuers grains, legumes 6c de fort bonnes racines qu’ils nomment Potatos : il s y trouue aufti quantité de poules 6c des brebis en grand nombre, ils ont remarqué lors qu’ils en prindrent exactement la hauteur, qu’elle eftoit fur les trente six degrés & cinquante deux fcrupules de la ligne vers le Pôle Antarctique. Or la terre de la Continente n’est pas en cet endroit fort haute, mais quand on eft vn peu auancé vers le Sud, on voit quelle fe dresse en trois rangs de fort hautes montagnes, qui font toufiours couuertes de neiges & herissees ci & là de hauts rochers : les colines qui apparoiftentau dessous de ces montagnes,ne font pas si hautes, ni couuertes de neiges , mais de bois efpais, qui font vne belle perspectiue. La terre fe voit aufti moyennement efleuee iufques furie bord mefme de la mer,mais elle est defnuee d’ar40 bres, & infertile selon qu’on peut iuger de loin. Nous auons ci-deftus aftes parlé des Isles de S. Marie & de la Mocha, qui sont au devant de la Continente, voila pourquoi nous auons refolu ici de n’abandonner point la cofte. De la baye de Penco iufques à la riuiere de Biobio, il n’y a que deux lieues parterre, mais par mer il y en a dauantage,à caufe d’vn Cap fourchu , qui s’auance fort auant en mer. De Biobio iufques à la riuiere de Labapi, Herrera conte quinze lieues, ( lefquelles riuieres font feparees l'vne de l’autre par vne large & spacieuse baye, fur laquelle eft la Prouince d'Arauco ) or la riuiere de Labapi eft diftante de la ligne vers le Sud de trente 50 sept degrés & trente scrupules, selon Herrera: & elle court depuis la forte resse que les Efpagnols tiennent en ce lieu contre les Araucains, vers le Sud-oueft ; de forte qu’il semble qu’elle forte dans la baye mefme : au refte elle ne porte que de petits vaisseaux, & eft remplie de beaucoup de poisson. De l’emboucheure de Labapi, ou du Cap de mefme nom iufques à la riuiere de Lebo, on conte six lieues ; aux bords de laquelle Garjias de Mendoza auoit anciennement basti la villette de Cannete, presque sur trente huict degrés de la ligne ; toutesfois les H hh 2

habitans


DESCRIPTION DES INDES habitans furent contraints d’abandonner puis apres, à cause fe des guerres dont les Sauuages voifins les menacoyent, de forte qu’à peine reste-il à presnt aucune mémoire d’icelle. Suit apres à la mesme cofte le port de, l’intervalle en eft incertaine, où ceux qui veulent aller à la ville de los Confines, ont couftume des embarquer. A quelque peu d’espace delà fuit le Cap Cauten ; duquel iufques à la riuiere de mesme nom,Herrera conte quatre lieues ; Or elle eft diftante de la ligne, comme iis veulent de trente huic degrés & quarante scrupules ; nous auons dit ci-deftùs,que cette riuiere ouure le passage à la ville de l’Impérial. De Cauten à la riuiere de Tolten, on conte six lieues ; on dit que fa hauteur eft de 10 trente neuf degrés de la ligne vers le Sud, on estime cette riuiere capable de porter vaisseaux,combien que non pas de fort grands. De Tolten iusques à la riuiere de Queulen, il y a huict lieues ; & sa hauteur est de vingt neuf degrés & trente fcrupules : cette riuiere ouure vne moyenne emboucheure vers le Nord, & ne porte que des moyens nauires. De Queulen à Valdiuia on y met neuf lieues; elle eft distante de laligne de quarante degrés moins quelques fcrupules ; en tout cet efpace on voit les hautes montagnes des Andes fe dresser iufques prefque sur le riuage. I'ai veu vne delineation de Valdiuia, mais allés grossiere ; de laquelle toutesfois i'ai remarqué,qu’entre deux pointes de la Continente, defquelles celle du Nord s'appel- 20 le Punta de S. Nicolas, & celle du Sud Punta Coral, la mer entre au dedans de laTerre ferme par vn canal large d’vn tiers de lieue, dans vne fpacieufe baye,laquelle eft ceincte du costé du Sud & de celui de l’Est de grandes montagnes: entre lefquelles toutesfois fort la riuiere de Chabin,ou comme elle eft nommee dans cette Charte Rio Denlay Cabrero : ox. il y a vne petite Isle au deuant de la pointe de S. Nicolas vers le Leuant, qu'ils nomment de Constantin ; où passent entre les deux les nauires qui vont à Valdiuia par le canal,lequel apres qu’on a à dos rifle de Constantin, fe diuife derechef de l'lsle, qu’on nomme de Don Pedro, comme en deux bras,par celui de main gauche, nomme Porto Claro, montent les petits nauires ; & par celui de main droite les grands, & fe conioignent derechef en vn deuant la ville mesme : or ceux qui entrent par celui de 30 main droite rencontrent deux riuieres, l'vne defquelles semble descendre de deuers l’Est, & s’appelle Rio de Tensuelen, l’autre de deuers le Nord-ouest, nommee Rio de Au sachilla ( ie crains que ces noms n’ayent esté corrompus par les Efcriuains ) defquelles ceux qui vont à la ville, doiuent tourner à la main droite,où la riuiere, qui eft poprement nommee Valdiuia,descend du long de la ville, du lac de Guadahnquen. Enfin entre la pointe Auftrale de Coral,& le Cap de la Calera, au deuant duquel il y a quelques rochers, font les hautes montagnes de Morrode Gonzalo, comme ils les appellent, on dit que derrière icelles toute la terre ferme se dresse en de fort hautes montagnes. De Valdiuia iufques à la riuiere dechabin, qui porte des nauires de toutes gran- 40 deurs,on conte trois lieues, & d’icelle iufques au Cap qu’on nomme de la Galera,deux ; dés lequel la cofte court droit vers le Sud : & plus outre iufques à la riuiere nommee Rio Bueno, il y a sept lieues. Cette riuiere reçoit au dessus de fon emboucheure sese autres petites, & entre autre vne qui ne passe pas fort loin de la ville de Valdiuia. De Rio Bueno iufques au Capouà la pointe Villiua( qui est distant de la ligne de quarante & vn degré vers le Sud) on conte dix lieues : & d’icelui iufques au Cap S.Marcel, qui la borsept : Toute cette cofte eft droite à cause des hautes montagnes des dent; & la mer qui la laue profonde, & combien qu’elle ne soit sale d’aucuns rochers ni de basses ,neantmoins il n’y a point de ports,ou si il s’en trouue quelques-vns, ils 50 font de fort peu de consequence, & n ont eté iufques ici remarqués que ie sçaehe. diftant Du Cap de S. Marcel iufques à celui de Chanqui, on conte huict lieues, il eft de la ligne vers le Sud de quarante degrés & trente scrupules, & à enuiron demi-lieue de ce Cap vers le Nord, il y a vne petite Isle au deuant de la Continente habitée de Sauuages, & trois autres plus petites qui ne font pas cultiuees, qui occupent toutes vn peu plus d’vne lieué. De Chanqui jusques au Cap de la Vallena, il y a Quatre lieues, entre l’vn & l’autre do 428

ces


OCCIDENTALES. LIVRE XII. 429 ces deux Caps la mer s’infinuë, & fait vn certain golfe que les Espagnols nomment de. los Coronados ; lequel courant d’vrie grande furie en la Continente, derrière vne longue Isle ( de laquelle nous auons parlé ci-dessus lors que nous traitions de Castro ou de chilue) emplit ce lac, qui est appelle de quelques-vns Ancud, & d’autres Agulay, qui font noms de Sauvages, comme il eft vrai femblable. Du Cap dela Vallena iusques au Cap deS. Felix, on conte neuf ou dix lieues, ceftuici est distant de la ligne vers le Pôle Antarctic de quarante trois degrés : or la cofte fe courbant en cet endroit fait vne baye ; on dit pour affeuré qu'il y a en la Continente plusieurs veines d’or. 10 Voila jufques ici la cofte qui appartient au Gouuernement de chile, selon qu’elle a esté habitée iufques à ce iour des Espagnols, ou qu’elle a efté vn peu plus exactemenc remarquée. Maintenant auant que nous pourfuiuions la Prouince qui fuit & le Deftroit de Magallan, nous faut en pasant adioufter les choies fur tout remarquables qu'Ynca Garcillassus efcrit touchant ce Gouuernement, combien que nous en ayons fait mention ci-deffus en paftant. CHAP.

XV

Destruction de la Ville de Valdiuia & autres du Gouuernement de Chile, comme Ynca Garcillassus le raconte.

20

la Relation delà ruine de la ville de Valdiuia aduenue l’an CLO IO xCIx le xxi v de Nouembre. A la pointe du iour de cette mesme iournee la ville fut assaillie par vne armee de cinq mille Sauuages, habitans és environs d’icelle, de autour de la ville de lImpérial, de Pico de de Puren ; composée de trois mille hommes à cheual & le reste à pié, entre lefquels il y auoit feptante arqucbufiers ou mousquetaires, & plus de deux cents armés de cuirrasses de fer. Or ils prindrent les Bourgeois à la despourueuë, pource qu’ils auoyent emmené auec eux les efpies mesmes de la ville : & les habitans auoyent négligé deposer des sentinelles dans la ville, deux exceptés : pource qu’ils ne fe doutoyent pas de l’ennemi, auquel ils auoyent 30 enleué vingt iours auparauant, vn Chafteau qu’ils auoyent fortifié en vn lieu nommé la Vega ; & en auoyent tué plusieurs auprès du marais Paperlen, de maniere qu’ils le perfuadoyent, qu’il n’auoit resté à huict lieues delà aucuns ennemis, qui ofassent fe remuer contre eux, ni qu’ils d’eussent en façon quelconque craindre. Par ainfi ces Sauuages eftans entré dans la ville au deceu des Espagnols, fe faifirent de toutes les rués, & occupèrent les portes, puis ayant mis le feu dans les maisons, ils les bruslerent toutes & les raferent de fond en comble, ils prindrent mesmes le Chasteau qui estoit désia abandonné, & fe faifirent des pièces de canon qui y eftoyent. Le nombre des tués & des prifonniers fut de quatre cents, tant hommes femmes, qu’enfans ; il y en eut quelque peu qui efchapperent fur trois nauires qui fe trouuerent fort à pro40 pos à l’anchre dans la riuiere prochaine, fans lesquels à peine en eust-il resté vn pour porter les nouuelles d’vn si grand desastre aux autres Efpagnols. Ces Sauvages estoyent effarouchés de plufieurs pertes d’hommes qu’ils auoyent receuës auparavant, mais principalement de ce que les Efpagnols auoyent vendus pour eftre esclaues leurs femmes & leurs enfans, & les auoyent emmenés ailleurs en miserable seruitude : combien qu’ils eussent obéi aux Efpagnols depuis cinquante ans, de que plufieurs dentr’eux fussent baptizés & eussent efté instruicts par les Preftres en la Religion Chreftienne. Dix iours apres ce malheur, Francisco de Champo, Capitaine d vne compagnie de Soldats,fut enuoyé par le Viceroi avec vn fecours de trois cents hommes de pié ; le50 quel fur toutes choses s’employa à secourir le refte des villes, que les Sauuages auoyent assiegees auec leur armee apres la deffaite de la ville de Valdiuia ; & notamment celle d'Osorno laquelle il garentit heureusement d’vne pareille infortune. Car les Bourgeoisde /’Impérial apres auoir enduré vn siege de prefque vn an entier, & qu’vne grande partie y fut morte de faim & autres incommodités, s eftoyent desia renus ce peu qui eftoit de refte, de auoyent efté emmenés des Sauuages en miserable seruitude.

V

OICI

H hh 3

L'autre


DESCRIPT. DES INDES OCCIDENT. LIV. XII. L’autre Relation du mesme Autheur enuoyee du Peru l’an CIO IOC II, arriuee en Efpagne l’an CIO IOC Iv est telle. Les Sauuages, de treize villes que les Efpagnols possedoyent au Gouvernement de Chile,en ont destruit du tout six, fçauoir Valdiuia, /’Impérial, Angol, S, Crux, Chilla & la Conception. Ils ont demoli & ruiné toutes les maifons,profané les temples,brisé toutes les images, &ont grandement gasté les champs ; & ayans accreu par ce fucces leur courage outre mefure,ils ont assiegé la ville d'osorno, contraint les Efpagnols de Ce retirer dans le Chasteau, & les ayans mattés quelque temps par la faim, enfin ils les ont prins, & les eussent tous emmenés prisonniers, fi la plus grande partie n’eust esté deli10 uree de leurs mains par le fecours qui y arriua. Ils furprindrent Villa Rica, & l’ont entièrement ruinee, ayant mis le feu aux quatre endroits de la ville, ont tué plusieurs Bourgeois, emmené les femmes & les enfans en miserable feruitude ; & ont ainfi ruiné vne ville qui estoit entre les plus riches & fleurissantes. Enfin ces Sauuages Chilois font deuenus fi courageux par tous ces heureux fucces, de Ce font fi bien faits aux armes, qu’ils fçauent maintenant fi bien manier vn cheual 8£ fe feruir de lances & autres armes que ceux de l’Europe,qu’il n’y a point d’Efpagnol a qui ils n’ofent bien faire telle : or on enuoye tous les ans du fecours du Peru au chile, duquel il y en afiort peu qui en retournent faufs. D’où on peut voir, ce que nous auons dit ci-dessus,que chile a cousté beaucoup de sang aux Efpagnols anciennement,& en 50 couste encore aujourd’hui ; & qui n’y a partie de cette Continente qui puisse estre oftee plus aisement au Roi d’Espagne, ni qui fut plus necelîaire que cette-ci, n’eftoit que le voyage est fort long, qui toutesfois est rendu beaucoup plus court, depuis que nosBelges ont trouué ce nouueau Destroit, duquel nous parlerons au Liure fuiuant.

430

DESCRIPTION




PROYIN CIÆ

SITÆ

AD FRETVM MAGALLANIS itemque

FEETVM LE MAIRE.



431

DESCRIPTION

DES INDES OCCIDENTALES, LIVRE TREIZIEME.

MAGALLANIQVE. CHAP.

I

Limites de la Province Magallanique & generale description d'icelle. O v s auons acheué au Liure precedent le Gouuernement de Chile, fuit maintenant la Magallanique : de ce nom font communément appellees ces Prouinces & Regions, qui font fur la mer Auftrale , lesquelles s’estendent depuis le Gouuernement de chile, ou du quarante troifieme ou quatrième degré de l'esleuation du Pôle Antarctic, jusques au Deftroit de Magallan ou iufques au cinquante troisieme de la mesme efleuation & mesme plus outre : & fur la mer du Nord ou Atlantique ce qui s’eftend depuis l’emboucheurc 10 de la grande riuiere de la Plata , iufques au mefmè Deftroit. Ce font certes de grandes & fpacieufes régions, mais qui ont peu & seulement le long de la coste de l’vne & de l’autre mer cognues, & nullement defcouuertes iufques ici au dedans du païs : de diuerfes conditions, soit qu’on en considere les qualités de l’aïr ou de la terre; car plus quelles s’esloignent de la ligne & s’approchent du Pole Antarctic, d’autant plus font elles laides, afpres & non cultiuees, & fuiettes à vn froid extreme, principalement où elles attouchent le Deftroit de Magallan, où la plus grande partie de l’annee on voit de hauts fommets de montagnes couuerts de neiges continués ; nous pourfuiurons les autres choses en leur lieu plus commodement. 20 En outre en la description de cette partie de l' Amérique Auftrale, nous ferons trois choses, car nous descrirons premièrement cette partie, qui attouche l’Ocean Meridionnal ou Pacifique ; depuis les dernieres limites du Gouvernement de Chile iufques au Deftroit de Magallan ; apres le Deftroit de Magallan mesme, 8c cet autre qui a efté és années precedentes trouué & descouuert par nos Hollandois, lequel nous appelions vulgairement le Maire : & en troifieme lieu, cette partie qui s’eftend depuis le Deftroit de Magallan, iufques à la grande emboucheure de la riuiere de là Plata. le trouue que la premiere partie n’a efté decouuerte & tracee en passant que par les Espagnols feulement : car es Anglois 8c nos Belges qui ont passé par le Deftroit de Magallan dans la mer Auftrale, ont du tout laissé cette coste, où l’ont courue feule30 ment en paffant. Or le premier des Efpagnols,qui s’est efforce de retourner de la mer du Sud par le Deftroit de Magallan dans l’Océan Atlantique, a efté le Capitaine Ladrillero, qui eftant parti par le commandement de Garsias de Alendoza, Gouuerneur de la Prouince de Chile, de la mesme Prouince il entra bien dans le Deftroit de Magallan, & le passa iufques en la mer du Nord,mais il n’osa sortir d’icelui à caufe de l'hiuer qui commençoit en ces quartiers, & des rudes tempeftes, ains s’en retourna presque par le mesme chemin ou’il estoit venu, dans le Gouuernement de chile. Pedro


DESCRIPTION DES

432

INDES

Pedro Sarmiento fuiuoit cestui-ci, enuoyé pari). Francisco de Toledo, Viceroi du Peru, apres que le valeureux Cheualier François Drac eut trauersé par le Deftroitde MagalUn dans la mer Meridionnale, & eut emmené de cette mer vn riche butin de plufieurs nauires, qu’il y auoit prinses & pillees. Lequel Sarmiento estant parti auec deux nauires du Peru,arriua auec vne,ayant pafte par le Deftroit de Magallan en Espagne ; mais

l’autre fut emportée auant qu’elle y peuft entrer,par destempestes de la maree vers le Pôle Antardic, & paruint jusques au cinquante sixieme degré de la latitude Australe, fans que toutes fois il rencontrast aucunes terres, comme ils escriuent ; la tempeste estant appaisee, il fit voile vers le Nord, & encore qu’il eust trouué vn large canal, qui finissoit fans doute dans le Deftroit de Magallan, toutesfois il n’y entra point, pource 20 que ces gens s’y opposserent, mais s’en retourna fans rien faire au Gouuernement de Chile. Or pource que cette nauigation de Pedro de Sarmiento donna premier emét quelque lumière à cette partie Magallanique,nous le reciterons ici en brief, comme nous la Leonardo de Argensola, au Liure III.Chap. xI.de fon Oeuure introuuons defcrite titulé Conguifiade lus Islas Maltic as,& imprimé en Espagnol à Madril l'an clo IDC IX. CHAP.

II.

Navigation de Pedro Sarmiento le long de la Coste Magallanique sur la mer du Sud, des Commentaires de Leonardo de Argensola.

20

PRÈS que François Drac eut passé par le Deftroit de Magallan dans la mer du Sud ; ce qui n’auoit efté essayé iufques là par autres nations, excepté les Efpagnols ; D. Francisco de Toledo, Viceroi du Peru, fit efquiper deux nauires, fur lesquelles il mit pour Commandeur Pedro Sarmiento, afin de pourfuiure Drac auec ses gens, qui estoit, selon le bruit commun, retourné vers le Deftroit de Magallan. Sarmiento fit voile, avec fes deux nauires du port de Collao de Lima au mois d’Odobre l’an CLO IO LXXXIX : & au commencement de Nouembre il eut la veuë des Isles que les Efpagnols nomment vulgairement Desuenturados, sur les vingt cinq degrés de la ligne vers le Sud, comme il les remarque, premierement descouuertes fortuitement l’an CIDID LXXIV par Iuan Fernandez, comme il alloit du Peru au Chile, qui font auiour- 30 d’hui nommées S. Felix & S.Ambor. Delà destournant vers la Continente, il en eut premierement la veuë fur quarante neuf degrés & trente fcrupules au Sud de la ligne : où il aborda 6c descendit auec grande difficulté au riuage,auquel il trouua bien des pas d’hommes,des fleches, des rames & des rets, mais il ne vit jamais les Sauuages : apres estant monté auec grande peine au haut des montagnes, il vit que la cofte eftoit entrecoupée de plufieurs canaux & bayes, & que la terre ferme eftoit bordee de quantité d’Isles, de forte qu’il cognut bien que c’estoit vn Archipelague d’Isles ( defquelles il pouuoit conter de ce sommet de montagnes plus de quatre vingts) & estima qu’il y auoit par là aussi vn passage vers le Deftroit de Magallan. Il donna le nom au port de Nuestra Sennora delRosario, 6c à l’Isle qui en eftoit proche de S. Trinidad, & print pof- 40 session de ces terres pour le Roi d’Efpagne auec les ceremonies accouftumees: Par apres il entra auec fa chaloupe dans le canal qui pafte entre les Iftes & la Terre ferme, descouurit tous les ports & rades qui y eftoyent, & donna nom à plufieurs lieux, principalement à vn lequel il nomma Porto Bermeio, c’et à dire, Port rouge, des fables d’vne riuiere prochaine : il trouua auffi là des pas d’hommes : or tous les canaux qui passent entre ces Iftes font fort poissonneux, 6c font remplis fur tout de grandes huistres, dans lefquelles ils trouuerent des perles, mais qui eftoyent pour la plus grande part obscures. Estans partis du port Bermeio entrèrent dans vue certaine baye, à laquelle ils imposerent le nom de S. François ; qui eftoit couuertevers le Sud d’vne montagne assés 50 haute, laquelle ils nommèrent Punt ta de la Gente, pource qu’ils y virent premièrement des Sauuages, teinds tout le corps de certaine couleur rouge, l’vn defquels qu'ils auoyent emmenés par force dans la chaloupe, s'eschappa peu apres à la nage : Apres iis passerent derechef vn nombre prefque infini d’Ifles, toutes non cultiuces enfin comme ils furent venus à la baye de NuestraSennora deGuadalupe, comme ils l'appellent, & au Cap qui clost cette baye, & qu’ils n’y eurent trouué qu’vne basse loge,

A

environnee


OCCIDENTALES. LIVRE XIII. 433 enuironnee de toutes parts de gafons, & couverte dessus d efcorce d’arbre & de peaux de loups marins, fans y voir aucuns Sauuages,ils s'en retourneront dans leurs nauires. Par apres eftant feulement parti auec son nauire ( car l’autre eftoit desia escartee ) il entra dans le port de la Misericorde & à trois lieues delà dans celui de Nuestra Sennora de Candellaria, & enfin dans l'Isle des. Ynes : ( lesquels noms ils donnèrent lors à ces lieux) où il trouua cinq Sauuages, qui lui firent entendre par lignes, que proche delà il y auoit deux nauires à l’anchre, que des hommes barbus menoyent, veftus à la mode des Espagnols : Il leur sembla qu’ils parloyent des Anglois lesquelles ils cherchoyent. 10 Delà faisant voile vers le Sud-est, il arriua à vne Me queles Sauuages nommoyenc Pulchachailgua, & puis a vne autre qu’ils appelloyent Cayrayxa xylgua enfin ils entrèrent dans vn canal, 1 emboucheure duquel ils nommoyent Xaultequa, & derechef il rencontra vn nombre infini d’Isles, l’vne desquelles les Sauuages appelloyent Tinquichisgua, mais Sarmiento la nomma de S. Crux ; & ainfi ayant paffé vne ou deux Isles, il entra dans vn infigne port, d'où il lui fembla qu’il voyoit au haut d’vne montagne vne belle ville bastie à la façon de celles de l’Europe, & dans icelle plusieurs hommes en armes. Delà il print fa route vers vne certaine pointe fur cinquante quatre degrés de la ligne vers le Sud, qu’il nomma S. Isidoro : delà on voyoit vne certaine montagne flammiuo20 me,couuerte de neige ; delà entrant dans le canal, il arriua au Cap de S. Anne, fur cinquante trois degrés & trente fcrupules au Sud de la ligne, où il planta vne Croix & mit des lettres au pié d’icelle, par lefquelles il declaroit à toutes nations, que ces regions appartenoyent au Roi d’Espagne & qu’il en auoit prins possession auec les ceremonies accouftumees,felon la Bulle de donation d’Alexandre VI, Pape de Rome. Il donna nom de S. Iuan à la riuiere qui eft derrière ce Cap, & laquelle descend dans Je Deftroit de Magallan & au Deftroit de Magallan qui passe entre les Mes Madre de Bios. Et aux eftroits passages du Deftroit qui font fur la hauteur de cinquante trois degrés & trente fcrupules de la ligne vers le Sud, il leur imposa nom de Sennora delValle. Il eut en cet endroit vn fanglant combat auec les Sauuages, & en remporta 30 vne remarquable victoire. Et descendant à terre il nomma cette contrée aussi 1Nuestra Sennora delValle, & estant monté au haut d'vne montagne, il lui sembloit qu’il voyoit au bas vne belle plaine auec plusieurs bourgades, de magnifiques édifices & de hautes tours,enfin de fort beaux Temples,de forte qu’à peine croyoit-il à ses yeux propres, & il fembloit qu’il voyoit vne certaine ville qui eftoit pluftoft en l’air que fur terre. le ne fai pas de doute que ceux qui liront ceci, & qui en feront comparaifon auec ce que les autres en ont rapporté véritablement, ne iugent que ce Sarmiento estoit vu homme fort vain & qui s’affeuroit trop de la legere croyance des autres. Enfin ayant passé le Deftroit de Magallan, il alla au Brasil & finalement arriua en Espagne, or ce qu’il y perfuada à fon Roi & ce qui s’en enfuiuit, nous le dirons ci40 apres. CHAP.

III.

Description selon Herrera de toute cette Coste, depuis les limites du Gouvernement de Chile iusques au Destroit de Magallan. O v s auons poursuiui au Liureprecedent la cofte de cette Continente, situee sur la mer Auftrale, jusques au Cap de S. Felix des lequel elle court en cette façon selon Herrera : dudit Cap iufques à la pointe de S Cyprian, on conte quatorze lieues Nord & Sud. 50 De cette pointe iusques à celle de S. Claire,il y a quatre lieues. Delà iufques au Cap des lsles vulgairement dit Cabo de las Islas, dix lieues. Dés lequel iufques à l’Isle de Nuestra Sennor a del Socorro, il y a dix huict lieues : cette Isle eft feparee par vn petit interualle de la Continente : d’icelle declinant vn peu vers le Leuant jufques au port de S.Dominique, on conte six lieues ; duquel iufques au Cap fie Diego Gallego, il y a dix neuf lieues, qu’on dit eftre à quarante fix degrés au Sud de la ligne.

N

I ii

De


DESCRIPTION DES INDES 434 iufques Cap au port de S.Estienne, il y a douze lieues, & de ce port au Cap De ce de S. André, six, sur quarante sept degrés de la ligne. Delà iufques au Cap d’Ochiuuari, on conte huictlieues, & d’icelui iufques à la vallée de Nuestra Sennora, dix, ainsi nomme-on vne baye qui eft enfermee entre deux colines,fur prefque quarante huict degrés de la ligne vers le Sud. De cette baye iufques au port de Ferdinand Gallego, on conte dix huict lieues, sur quarante neuf degrés de la ligne : de ce port iufques à Abra S. Guillen ( comme ils l’appellent ) il y a quinze lieues, fur quarante neuf degrés & quarante fcrupules au Sud de la ligne. De Abra S. Guillen iufques à Punta Delgada, il y a fix lieues, sur cinquante degrés de la 10 ligne. Suit par apres Porto de los Reyes sur cinquante degrés & vingt fcrupules de hauteur ; & à six lieues d’icelui le Port des Innocents ; & peu apres la pointe des Augustin ; le Cap delà Roia & de S. Catherine, sur cinquante & vn degré & cinquante fcrupules de la ligne: & près delà le port de S.Amaro & Abra S. Victorian, sur cinquante deux degrés & vingt fcrupules de l’Equateur, qui eft vn canal lequel s’infinuë entre de hautes Ifles, toujours couuertes de neige. Or au deuant de son Cap du Sud, il y a trois petites Isles, dispos3ees en triangle, marques certaines de l’emboucheure du Deftroit de Magallan du costé de la mer du Sud : Voila ce qu’il en dit en la Decade VIII. Liure v U20 Chapitre ix. Le mesme trace vn peu autrement cette code en la defcription des Indes. La coste f dit-il ) qui s’eftend depuis le Gouuernement de chile iufques au Deftroit de Magallan, & dés Valdiuia court prefque cent lieués Oueft-fud-oueft, a premièrement le Cap de S. André fur quarante fept degrés au Sud de la ligne ; dés lequel la cofte fe courbe vers le Sud & droit vers le Deftroit de Magallan. En second lieu le Cap de S. Roman, Cm quarante huict degrés de la ligne ; & auprès d’iceluil’isle de S.Catherine, sur l’emboucheure d’vne grande baye , qu’il nomme carchofada. Et dans la mefme baye le recul de Nuestra Sennora & l'Isle de S. Barbe ; vn peu plus outre le port de Ferdinand Gallego, fur quarante huict degrés & quarante fcrupules de la ligne ; puis à dix huid lieues de ce port la baye des Rois & celle de S. Iean, 30 sur cinquante degrés & vingt scrupules de laligne. Le Cap de S.François à cinquante &vn degré de hauteur, derrière lequel il y a quelques canaux qui entrent dans la Terre ferme ; & l’Isle de Campana à onze lieues du Cap de S. François (laquelle Acosta dit eftre ainsi nommee de fa forme, & monftrer l’entree du Deftroit de Magallan ) & la baye de S. Lazare à cinquante deux degrés de la ligne,dans lequel entrent du moins six canaux,qui n’ont iamais efté visités par personne, enfin l’Archipelague des Ifles. Voila ce qu’en dit Herrera. D’autres donnent d’autres noms à cette cofte,car nous auons veu vne Charte Géographique imprimée en Espagne l’an CLO IDC xix, & tracee par le Cosmographe du Roi Pedro Texerra Ealbornas, apres le retour des deux nauires du Deftroit nouueau le 40 Maire ;dans laquelle nous auôs trouué ces noms apposés ; sur les XLV degrés de la ligne vers le Sud,eft situee la riuiere de los Barbudos, cest à dire, des barbus, laquelle fe descharge dans la baye de los Coronados sur la hauteur de XLVI degrés & xxx scrupules, Rio sin fondo : ntre le XLVII & huictieme degré certains reculsou bayes aufquels il est escrit, Aqui fe perdio Diego Gallego,ici ce perdit Diego Gallego : fur les x L degrés & trente scrupules ou enuiron le Cap Corca ; duquel la terre fe retire prefque vers l’Est par vn long espace, & donne ouuerture à vne grande baye, qui par vn circuit femicirculaire le courbe iufques fur les cinquante deux degrés, & semble receuoir plusieurs riuieres, enfin elle eft fermee de plufieurs Ifles vers la mer du Sud ; il n’y a nul nom donné à cet50 te baye, mais il y a au fonds d’icelle vn recoin assés large d’emboucheure, à qui on a donné le nom de Ancon fin Salid, est à dire, Ance fans fortie. Dans cette mefme Charte la face de ces terres eft peinte prefque du tout montueufe, & vestuë ci & là de bocages. Maintenant nous parlerons du Deftroit mefme. CHAP.


OCCIDENTALES. CHAP.

Description du Destroit

LIVRE XIII.

435

IV.

de Magallan selon les Espagnols qui l'ont premiers passé.

O v s nous seruirons en la description de ce Deftroit de Magallan, des obseruations de trois nations, qui ont donné chacune diuers noms souuent aux mesmes lieux: car combien qu'il ait efté enfin par ceux de noftre nation exactement remarqué 8c descrit, toutesfois il ne fera point inutile de sçauoir ce qui de10 puis la première descouuerture de ce Deftroit a efté escrit de chacune. Nous commencerons donc par les Espagnols, aufquels la première descouuerture d'icelui est deuë : car Ferdinand Magallan renommé Cheualier Portugais, le descouurit le premier, l’an CLO IO XX, fous les auspices du Roi de Castille, en cette maniere ; apres qu il eut hiuerné dans la baye de S. Iulien ( car ie pafle ce qui leur eftoit arriué auparauant ) il fit voile d’icelle le xxiv d’Aoust de l'an CLO IO XX y laissant Iuan de Cartagena 8c vncertain Clerc François, condamnés pour quelque grand forfait : & de là il alla dans la riuiere des Croix, où il sciourna les mois de Septembre & d'Octobre & y print grande quantité de poifton. Estant parti delà, sur la fin d’octobre, il courut le long de lacoste vers le Sud, & ayant 20 combatu contre plufieurs difficultés 8c de rudes tempeftes, il arriua enfin au Cap des Vierges, qu'il appelle ainfi de S. Vrfeline ,1a seste de laquelle il le descouurit : là il vit premièrement vn grand canal qui entroit dans laContinente,par ainfi y ayant enuoyé deux nauires pour le descouurir ; Tvn d’iceux ne rapporta rien de certain, l’autre donna grande cfperance,que ce Deftroit eftoit ouuert aux grands nauires. Ayant mis pié à terre à enuiron vne lieuë de l'emboucheure du Destroit, il y trouua vne petite loge 8C plufieurs fepulchres des Sauuages ; car les naturels de cette region ont coustume de venir là l’esté 8c d’y enterrer leurs morts, & l’hiuer de fe retirer au dedans du pais : ils y trouuerent aufti vne grande balaine, & plufieurs os iettés au rivage, d’où il eftoit aifé à iuger, que ces lieux estoy ent fuiets à de grandes tempeftes. 30 Sur la fin d’Octobre ils passerent le Cap de S. Seuerin ( comme ils l’appellent) sur cinquante deux degrés 8c cinquante cinq scrupules au Sud de la ligne : & pource qu’ils virent plufieurs feux de nuict en la Continente, ils donnerent le nom de Terra del Fuego à cette partie de la Continente,comme ils l’eftimoyent. Et ayant pafle par les estroits paflàges du Deftroit, ils arriuerent enfin sur la fin de Nouembre dans la mer Australe. Magallan mourut peu apres en ce voyage, mais non pas fa renommee, car il merita par cet acte remarquable, que non feulement ce Destroit, mais aussi cette partie Auftrale de F Amerique Meridionnale fuft appellee iufques à ce iourd’hui de fon nom. Apres lui Garsias de Loyala, l’an CIO IO XXV entra dans le mesme Destroit au mois d Auril, & le passa allés heureusement sur la fin de May : & pource qu’ils y virent des 40 Sauuages de fort grande stature, ils les nommerent Geans & Patagones. Lalongueur, les estroits paflàges, les diuers reculs,les rades & ports de ce Destroit, furent lors plus exactement remarqués. Car ayant passé les seconds passages d’icelui, il trouua vn port, à qui il donna le nom de S. Georges, où ils trouuerent de ces arbres, desquels il fera parlé ci-apres, de l’efcorce defquels ils fe seruirent, & eftimerent que c’eftoit canelle verde. Et puis apres ils trouuerent encore vn autre port à qui ils donnèrent le nom de Puerto Frio, pour le grand froid qu’ils y endurèrent,de forte que plufieurs y moururent. Suiuit puis apres vn troifieme, Simon de Alcazoua, qui partant de l’Isle de Gomera au commencement d’Octobre de l’an CLO Ioxxxiv, prenant fon cours droit & presque fans voir aucune terre,arriua le feptieme delanuier de l’an CLO IOXXXV à la riuiere de 50 Gallegos, à vingt cinq lieues du Deftroit vers le Nord, 8c ayant peu apres entré dans le Destroit, il fut contraint de retourner au port des Lions, à cause de la mutination de fes gens,où il périt miferablement. Enfin l’an CLO IO xxxIx l’Euesque de Plaisance enuoya trois nauires, qui eftans parti d’Espagne au mois d’Aouft, virent enfin le Deftroit le xx de Ianuier de l’an CLO b XL, où le nauire Amiral ('comme ils l’appellent,) fut miferablement brifé, 8c la plus mande partie des gens fauués : l’autre nauire ayant heureufement pafle le

N

I ii 2

Destroit


DESCRIPTION DES

436

INDES

Deftroit, arriua à Arequipa ; 8c le troifieme s’en retourna fans rien faire en Espagné, apres qu’il eut hiuerné dans le Deftroit mefme au port de las Zorras (comme ils le nommerent de la quantité de renards qu’ils y virent.) Voila presque toutes les nauigations des Espagnols par ce Deftroit, auant que les Anglois entreprinssent le mesme : de la relation defquels Acosta descrit le Deftroit en cette façon au liure m Chap. XIII. Le Deftroit de cMagallan (dit il) est fur les LII degrés, non du tout pleins, de la ligne vers le Sud, il a de long d’vne mer à l’autre x c, ou au plus cent lieues, de large où il eft le plus estroit vne lieue feulement ; & le Roi d’Espagneauoit efté perfuadé, 10 d’y bastir vne fortereffe, afin de fermer le paflage de la mer du Sud aux autres nations; la mer y eft en quelques endroits fi profonde, qu’on n’en peut trouuer le fond auec la fonde, 8c en d’autres lieux elle n’a feulement que XV ou XVIII brasses : Or de ces cent lieues qu’il a de long, la mer du Sud en poflede xxx, & la mer Atlantique ou du Nord LXX ; par vne manifeste difpute ou feparation entre les eaux des deux, & par vne certaine reciprocation des marees : en outre durant cet espace de xxx lieues, le Deftroit eft plus eftroit & tellement fermé d’vn cofté 8c d’autre, de hautes montagnes toufiours couuertes de neiges, qu’il semble de loin que le sommet des montagnes se touchent quasi, & l’emboucheure du Deftroit peut eftre difficilement dicernee par ceux qui y viennent de l’Oueft ; en cette mefme efpace il eft fort profond & la cofte d’vn cofté 8c d’autre y eft fort droite, de forte que les anchres y veulent dif- 20 ficilement tenir: mais en l’efpace des autres LXX lieues, le Deftroit eft moins profond , plus large 8c les riuages y vont d’vn cofté 8c d’autre doucement en penchant. Les Efpagnols donnèrent lors diuers noms aux lieux qui font entre le Destroit, la plus grande partie defquels font maintenant abolis; excepté des deux Caps qui sont fur l’vne & l’autre mer, celui defquels qui eft fur la mer du Nord à la droite quand on y entre, eft dit Cabo de las Virgines, 8c celui qui s’auance dans la mer Australe, eft nommé encore auiourd’hui Cabo Desseado. CHAP. V. 30

Nauigations des Anglois par le Destroit de Magallan & premierement de François Drac.

l’an CLOIO IO XL iufques à l’an CLO IO LXXVIII, ie ne trouue pas par escrit, que perfonne, foit Efpagnol ou d’autre nation, ait eftayé à pafter ce Deftroit, car ce notable different des Isles des Moluques, entre les Rois de Camille & de Portugal eftant assoupi, il fembloit qu’on n’en auoit pas grand besoin, & la grande difficulté qui eftoit à le pafter, ioinct les dangers qu’auoyent encouru ceux qui l’auoyent eftayé, apportoit à bon droit de la frayeur ; & perfonne n’auoit encore eftayé à retourner de la mer du Sud dans celle du Nord. Enfin l’an CIOIO LXXVII le valeureux Cheualier François Drac , fort expert en la marine, par vne hardiesse 40 du tout héroïque, extreprint vn voyage en la mer du Sud auec peu de nauires, & qui n’estoyent pas beaucoup grands. Icelui faisant voile d’Angleterre, au commencement d’Auril de l’an clolo LXXVII arriua au Brasil sur les xxxIII degrés au Sud de la ligne: & entra presque sur la fin de Iuin dans le port de S.Iulieni duquel il partit le XVII du mois d’Aoust, & attaignit le Deftroit de Magallan le xx du mefme mois ; Or y eftant entré, il rencontra trois Isles, à l’vne desquelles il donna le nom d’Elisabeth, à l’autre de S. Barthelemi, & a la troisieme de S. Georges, & tua dans icelle en peu de temps trois mille de ces oifeaux qu’on nomme Penguins. Au commencement de Septembre il passa assés heureufement le Destroit, & moüilla l’anchre fous vne certaine Isle, qui clost prefque l'emboucheure du Deftroit vers 50 la mer du Sud, afin qu’il vifitaft plus à plein le paflage dans cette mer: par ainsi ayant enuoyé fa chaloupe, il vifita soigneusement le canal qui s’ouure vers le Nord; là ils rencontrèrent vn canoa de Sauuages fait par vne merueilleufe induftrie d’efcorces d’arbres, & tellement coufu auec des courroyes de peaux de loups marins, qu'il il Y entroit peu ou point d’eau par les ioinctures ; il auoit les deux bouts recourbés en forme de croissant.

D

ESPVIS

Ces


OCCIDENTALES. LIVRE

XIII.

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Ces Sauuages eftoyent de mediocre ftature, bien membrus, & la face peinte de certaine couleur rouge: or ils trouuerent dedans l’Isle vne petite cabane, faite de gafons & couuerte de peaux d’animaux ; dans laquelle ils trouuerent du feu & de l’eau, dans des vaifleaux coufus de mesmes efcorces, de la chair de loups marins, des moufles de & semblables prouisions : Or ils aiguifent de telle forte les coquilles des moufles (qui y font extrêmement grandes) auec de petites pierres, que d’icelles ils ne coupoyent pas feulement du bois fort dur, mais aufli ils en fendoyent des os. Enfin le sixieme de Septembre ils entrèrent dans la mer du Sud. Et là ils furent aussi tost assaillis d’vne tempefte, fl horrible & opiniastre, qu’elle ne diminua presque 10 en rien cinquante iours de long voila pourquoi elle les agita auec si grand danger, ; que contre leur intention ils furent emportés iusques fur la hauteur de cinquante sept degrés de l’efleuation du Pôle Antarctic ; où ayans moüillé l’anchre dans vn certain port, ils furent contraints derechef par la violence des vents de par la mer fl agitee, de regaigner la grande mer,& vne de leurs nauires, & peu apres vne autre fe feparerent de l’Admirale, sur laquelle estoit Drac : voila pourquoi ils donnèrent nom à cette rade, Of setting of friends c’est à dire, separation des amis. Delà la mesme tempeste les porta derechef iufques fur la hauteur de cinquante cinq degrés vers le Sud de la ligne, entre plusieurs Isles, auprès defquelles ils s’arresterent derechef, iufques à ce que la tempefte s’appaisast ; ils nommèrent ces Isles Elisa20 bethides ; Or elles font cette partie de la terre Australe, qu’on croyoit anciennement eftre vne Continente, diuifees de fl larges de fl profonds canaux, qu’il semble que ce foyent autant de golfes : ils y rencontrèrent des Sauvages qui voguoyent ci de là auec leurs canoas, hommes de femmes qui portoyent leurs enfans couuerts de peaux sur leurs dos. Ils remarquèrent lors,queles dernieres de ces Mes eftoyent à cinquante flx degrés de la ligne vers le Sud, de que derrière icellcs il y a vne mer spacieuse , autrement qu’on n’auoit creu au siecle pafle. Enfin fur la fin d’Octobre le vent estant appaisé, ils prindrent leurs cours vers le Nord. Nous laiderons en ce lieu le refte de ce voyage,pour ce qu’il ne fait rien à noftre propos. Mais il ne nous faut pas obmettre ce que Jean VVinter a remarqué,qui eftoit Capi30 taine fur vn des nauires de cette flotte ; Car eftant entré dans la mer du Sud auec Drac,, il pourfuiuit fon chemin vers le Nord-oueft, iufques à feptante lieues, comme il leur fembloit ; où le quinzième de Septembre à flx heures du matin, ils remarquèrent vne Eclipfe, laquelle fut veuëen Angleterre, auant vne heure apres minuict. Ce mefme iour feleua vne rude tempefte, de forte qu’ils ne pouuoyent porter voiles, qui dura huid iours, & les porta vers le Sud iufques sur la hauteur de cinquante fept degrés ; là où le vent s’eftant vn peu a ppaifé, ils mirent derechef les voiles, de mirent leurs cours à l'Est ; le septieme d’Odobre ils virent derechef terre, de entrèrent dans vne baye sale de beaucoup de rochers,de laquelleils fortirent non fans danger,retournèrent dans le Destroit de Magallan, & delà delà en leurs pais, pour obmettre le refte de leur voyage. 40

CHAP. VI.

Navigation de Thomas Candish par le Destroit de Magallan ; item celle du Chevalier Richard Hawkins. Bornas Candish fuiuit François Drac en la mefme entreprise, qui faisant voiie d’Angleterre au mois de Iuillet de l’an CLO Io LXXXVI auec trois nauires, eftant porté fur la fin de Décembre au Continent delAmerique, fur quarante degrés de la ligne vers le Sud, entra dans vn port qu il nomma pour son opportunité Port desiré ; duquel derechef faifant voile le sixieme de Ianuier de l’an CIO IO LXXXVII, 50 il entra dans le Deftroit de Magallan, où estant quelque peu auancé,il print vn certain Espaonol, qui reftoit auec vingt trois autres de quatre cents, que le Roi d’Espagné auoit enuoyé là, afin d’y bastir quelques villes, defquelles nous parlerons ci-apres : & le lendemain il passa les premiers eftroits passages, qui font slon fon conte à xIv milles Angloifes de l’emboucheure au Deftroit, delà s’eftant auancé dix milles iufques aux Ifles des Penguins, il tourna vers le Sud-ouest & visita Philippe-ville ( vulgairement dite Cuidad del Rey Phelhpe) qui auoit efté abandonnée, de deterra quelques canons enfouis

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I ii3

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DESCRIPTION DES INDES parles habitans : & pource que la plus grande partie des Efpagnols y eftoit morte de diveres incommodités & sur tout de faim, il nomma le lieu Port famine : or cette ville eftoit situee fur les cinquante trois degrés de la ligne vers le Sud. Le routier de mer des Efpagnols place ce Cap, qu’ils nomment Punta de Santa Anna Asur la hauteur de LIII degrés & xxx scrupuies, &: remarque que Philippe-ville eftoit fituee au dessus vers le Nord-oueft fur vne certaine pointe de terre. Il fît voile de ce lieu le x I v de Ianuier & ayant paffé le Cap le plus Austral de tous (qu’il nomma Cape Frauward) sur LIV degrés de la ligne, il moüilla l’anchre le xxi du mesme mois dans vne baye de fable, que eft à codé droit du Deftroit, & lui donna le nom d'Elizabeth, à deux lieues delà il y a vne riuiere qui defcend de la Continente, 10 laquelle ayant montée auec leur chaloupe trois milles haut, ils trouuerent vne fort belle plaine, & vne contrée champestre & verde d’vn codé & d’autre du nuage ; ce qui est rare en ces régions, car le refte du pais eft prefque tout aspre, defert & herissé de montagnes : il y habitoit beaucoup de Sauvages, qui viuoyent de chair humaine & d’autres sales viures ; & mefme il y auoit apparence qu’ils auoyent tué & mangé quelques Efpagnols, car on trouua dans leurs cabanes des couteaux, & plusieurs autres hardes d’iceux. Delà ils entrerent dans le canal de S. Hierome (comme les Efpagnols l’auoyent nommé) qui eft à deux lieues de la riuiere ; & ayans efté contraints, à caufe du vent contraire, de seiourner prefque vn mois entier, dans vn certain port, enfin le xxiv de Feburier ils entrèrent dans la mer du Sud. Le mefme Candish auoit 20 enrreprins pour la seconde fois de palier par ce Deftroit dans la mer du Sud l’an CLOLO XCI : mais n’ayant peu executer son dessein, & ayant efté miserablement agité par diuerfes calamités, il mourut en ce voyage. Le Cheualier Richard Hawkins fuiuit ceftui-ci, lequel eftant parti d’Angleterre l’an CIOIO XCIII au mois d'Auril, apres qu’il eut visité la coste du Brasil & la riuiere de la Plata, enfin au mois de Feburier de l’an CLO IO XCIV, il fut porté parle vent contraire à vne terre iufques alors incognuë, & comme il y a de l’apparence, qui eftoit vne partie de la Continente Auftrale (s’il y a là quelque terre continue) prefque fur cinquante degrés de la ligne vers le Sud ; & courut le long de cette colle au Nord-est prefque LX lieues : Or ils affeurent qu’ils virent vne fort belle contrée, & qui eftoit 30 sans doute habitée, comme ils peurent remarquer par beaucoup de feux qu’ils y virent par tout de nuict ; ils virent en outre quelques riuieres qui fortoyent de la Continente en mer, d’vne si grande viftesse, qu’on en pouuoit discerner la couleur de l’eau entre les flots de la mer: en outre le premier Cap qu’ils virent de la mer, il le nommèrent Point Tremontaine : à XII ou xiv milles duquel vers l’Est, il y auoit vne Isle au deuant de la Terre ferme, laquelle ils nommèrent pour fon bel & verd afped Faire Iland, c’eft à dire, belle Ifle; & appelèrent toute cette terre Hawkins Maide Land. Mais le vent fe leuant derechef, partant delà il arriua heureufement au Deftroit de Magallan, & le passa, non fans peril, eftant repoussé quelquesfois de l'emboucheure d’icelui, qui eft du costé de la mer du Sud. Enfin il fut prins dans la mer Auftrale mef- 40 me par les Espagnols, apres vn long & cruel combat, comme il auoit defia couru non feulement toute la cofte de chile, mais aussi auoit pafte prefque tout le Peru, & leur apprint beaucoup touchant la partie Auftrale du Deftroit qu’il auoyent iufques alors ignoré, fçauoir que toutes les terres qui attouchent le Deftroit vers le Sud, ne font que des lsles, entrecoupées par diuers canaux ; comme il a efté du depuis remarque par nos Belges, & enfin du tout mis hors de doute par ce nouueau Deftroit descou uertpar le Maire de noftre nation, comme nous dirons ci-apres.

438

CHAP. VII. Nauigations des Belges par le Destroit de Magallan & premierement sous la conduite de Simon de Cordes.

50

l’an cio ID XCVIII nos Belges commencèrent la nauigation par le Deftroit de Magallan, auec deux flottes efquipees par diuers Marchands, fur la première defquelles eftoit l’Admiral laques Mahu & le Vice-Admiral Simon de Cordes d’Anuers, qui fucceda en la place de Mahu, lequel mourut en la mer du Nord :

E

NFIN

elle


OCCIDENTALES. LIVRE XIII.

439 elle eftoit de cinq nauires : Or elle fit voile de Hollande au mois de Iuin : & apres auoir furmonté plusieurs difficultés arriua enfin au mois d’Auril de l’an clolo XCIX au Deftroit mesme: cette faifon del'anneeeftoit assés incommode, car l’hiuer commençoit desia à fe faire sentir en ces quartiers là : ils allerent premierement aux Isles des Penguins, & puis apres ils moüillerent l’anchre le XIII de ce mefme mois dans vne large baye,à laquelle les Anglois auoyent desia auparauant imposé nom de Baye aux Mousles, à XXII lieues au dedans du Deftroit, au cofté droit quand on y entre; il y a vne riuiere qui fort dans cette baye, & toute la cofte mefme & l’Isle qui eft au deuant de la baye, eft toute couuerte d’arbres, de forte qu’il y a grande commodité pour s’y i o fournir d’eau & de bois, & la mer fournit d’vne grande abondance de moufles. Apres le vent eftant Eft, ils coururent Sud-ouest & peu apres Nord-ouest, mais le vent fe changeant vn peu, ils furent contraints de tourner voile & de ietter l’anchre dans vne baye qui est au cofté Septentrionnal du Deftroit : ils nommerent cette rade Baye Ver de, elle eft à LIV degrés de la ligne vers le Sud : il y a dans icelle trois petites Ifles esparses ; on y peut, quand le befoin le requiert, mettre les nauires àsec & les y raccommoder : la cofte de la Continente & les Ifles font couuertes de beaucoup d’arbres , defquels Sebald de Weert, qui eftoit Capitaine fur vn de ces nauires , & qui fut contraint, apres auoir beaucoup tournoyé dans le Deftroit, de retourner au païs fans rien faire, en escriuit à mon Pere, en faueur du renommé Charles de l’Ecluse, qui a in2-0 seré fa lettre dans ses Exotiques: de laquelle on peut remarquer: que cet arbre n’a nulle ressemblance auec le laurier, comme quelques-vns ont faulsement rapporté, & que les fueilles feulement approchent de la fenteur de celles du laurier, mais elles font plus larges & plus verdes ; (Richard Hawkins les accompare au peuplier noir, mais escrit qu’elles font d’vn verd plus clair) or cet arbre eft tousiours verd (comme la plus grande partie des autres arbres qui croissent aux riuages de ce Deftroit; & croist fort haut, & par fois fi gros, que ie me fouuien (dit-il) qu’on en a soyé d'vn des planches larges de deux piés & demi ; or le bois est fort cassant. Il ne porte nul fruict, selon que nous peufmes remarquer, iaçoit que nous feiournaffions dans le Deftroit neuf mois & plus, dans lequel temps necessairement nous eussions veu des fleurs ou 3o des fruicts meurs ou non. Quant aux facultés & à la nature de son bois, fueilles & escorce, nous n en pouuons rien dire, fi ce n’est qu ayant remarque que fon escorce & ses fueilles font fort aromatiques, nous nous en sommes ferui en nos viandes, eftimans qu’elles ne pouuoyent pas nuire en vn pais fi froid, n’ayans principalement nul poiure, pour faire de la faulce aux moufles , defquelles nous eftions contraints de viure,faute d’autres victuailles. Voila ce qu’il en dit. Mais Hawkins duquel nous auons desia fait mention, donne à cet arbre des fruicts verds (fi ce n’eft que parauanture il parle de quelque autre) & fort femblables au graines du vinatier, qui contiennent quelques petits noyaux blancs au dedans, & qui ont la mefme force que le poiure. Dans la mefme baye on y trouue abondance de moufles, qui surpassent en grandeur 4o celles qu’on ait veuës en aucune autre place,car les coquilles en font lougues prefque d’vne palme, & les mousles estant escaillees & cuites, pefent bien forment vn tiers de liure de noftre païs:il s’y prend en outre beaucoup d’oyes & de canes. Ils demeurerent là à cause de la tempeste contraire iufques prefques à la fin du mois d’Aoust, auquel temps ils endurerent de rudes tourbillons, qui fouuent les enleuerent des anchres malgré eux, & les emporterent en de grands dangers : & plus de cent de leurs gens y moururent de diuerfes maladies. Or cependant qu’ils seiournerent là, ils envoyerent leur chaloupe à vne Isle qui eftoit de l’autre cofté, qui rencontrerent en y allant sept canoas de Sauuages, lesquels gaignerent aussi tost la terre, & couurirent les nostres d’vne telle grefle de pierres, qu’ils les contraignirent de retourner, & eux deîo uenans plus hardis rentrerent derechef dans leurs canoas, & commencerent à les fuiure iufques à ce qu’ils en euflent tué à coups de mousquets cinq dentr’eux, car lors descendans derechef à terre, & ayans arraché prefque fans peine de gros troncs d’arbres, ils taschoyent de les ietter apres les nostres, qui fe retirerent de bonne heure : Ils eftoyent (comme ils rapportent; de ftature de Geans, hauts de dix ou onze piés, de couleur rouge, les cheueux efpars, tous nuds vn excepté, qui auoit ceinct au honteuses vne peau de loup marin: leurs armes eftoyent des deuant de fes dards


DESCRIPTION DES INDES 440 dards d’vn bois fort dur, ausquels ils auoyent lié auec des nerfs d’animaux des pointes de bois crochuës, & les dardoyent de telle sorte, qu’ils trauerfoyent le corps d’vn homme. Ils donnerent le nom à la baye de Cordes Baye. Le XXIII d’Aoust ils firent voile delà, & le lendemain à caufe du calme, ils moüillerent l’anchre au cofté du Sud du Deftroit vers le costé Oriental d’vne certaine baye, qu’ils nommerent Ridders Baye, c’est à dire,Baye des Cheualiers, à caufe de l’ordre de Cheualerie qu’ils eftablirent en ce lieu, laquelle ils celebrerent auec certaines ceremonies & par l’obligation d’vne foi mutuelle,sous le tiltre du Lion Libre. Par apres s’eftans maintesfois auancés, & autant de fois efté repouftes auec de grands dangers, enfin ils fortirent le III de Septembre du Deftroit & entrerent dans la mer Australe ; où estans accueillis d’vne 10 rude tempeste, le nauire fur lequel eftoit Sebald de VVert fut repoussé dans le Deftroit, & apres de grandes miferes qu’ils endurerent plusieurs mois dans le Destroit, il fut contraint de retourner au païs, auquel nous deuons la plus exacte delineation du Deftroit qui soit, laquelle nous auons fait mettre dans les Chartes Geografiques de ce Liure. CHAP. VIII. Les longs tracas & fouruoyements de Sebald de Weert dans le Destroit de Magallan, description des Penguins.

%o que ce ne fera point hors de propos, fi en memoire d’vn de mes meilleurs amis, ie fai mention de fes longs tracas dans le Deftroit. Apres que la Flotte, comme nous auons dit, fut entree le III de Septembre de l’an clo Io XCIX dans la mer du Sud, elle eut vn vent assés propice prefque trois iours ; enfin le quatrieme vn fort vent commença premierement à esleuer de grosses ondes, de forte que les nauires estoyent fort agités, & vne bruine espaisse leur oftoit la veuë les vns des autres, de forte que le nauire Admirai s’escarta des autres : Or le dixieme de Septembre vne horrible tempeste s’esleua, qui separa aussi les autres, excepté deux, sur l’vne defquelles eftoit noftre Sebald. Mais comme la tempefte fut vn peu appaifee & le vent eftant vn peu fauorable , ces deux nauires tindrent leur cours iufques au XIX du mesme mois,qu’vne fi grande furie de vents les tourmenta de forte, qu’ils furent en grand danger; de maniere qu’eftans XXIV iours de long agités dans la mer du Sud, enfin ils furent repouftes dans le Deftroit, où ils anchrerent dans vne certaine baye : En ce lieu ils furent prefques tous les iours tellement accueillis de tourbillons, qu’ils furent maintesfois enleués de leurs anchres , & en perdirent quelques-vns. Delà eftans allés dans vne autre baye qu’ils croyoyent estre plus asseuree, ils encoururent non moins de peril, car le nauire de Sebald fut prefque brifé contre les rochers par vne subite trauade, & fut preferué comme par miracle : ioinct à cette incommodité la mutination des matelots, qui defiroyent de retourner au logis & eftoyent à grande peine retenus par les perfuafions du Capitaine. Cependant l’abondance des moufles .40 qui eftoit dans cette baye, leur fournissoit à suffisance de viures ordinaires. Or apres qu’ils eurent demeuré en ce lieu iusques au second iour de Decembre, sans esprouuer que des miseres, le vent commença à souffler du Nord-eft, voila pourquoi ayant mis à voiles, ils tafcherent de fortir, & enfin eftans sortis auec grand danger & crainte de naufrage, ils moüillerent l’anchre vn peu loin de l’autre nauire, de forte qu’à la fin ils furent du tout feparés d’elle. Cependant qu’ils eiournentlà, ayans passé auec la chaloupe vers la prochaine terre qui estoit à l’Ouest, ils rencontrerent quelques Sauuages,qui aussi tost qu’ils eurent veu nos gens, tafchoyent de se sauuer à la fuite dans les montagnes prochaines, de forte qu’on ne les pouuoit fuiure en façon qui foit, ils prindrent feulement S9 vne femme auec deux enfans, qui fut amenee au nauire ; Elle eftoit de moyenne stature, de couleur rouge, le ventre gros, les mamelles pendantes, le vifàge fort affreux, les cheueux rafés,excepté autour du front & des oreilles, du tout nuë, si ce n’est qu’elle auoit les efpaules & le dos couuert de peau de loup marin : il sembloit qu’elle ne se foucioit pas beaucoup d’estre prinse, elle abhorroit entierement toute viande cuite, mais apres qu'elle eut plumé legerement vn certain oiseau, & qu'elle l’eut incisé vn peu

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'ESTIME


OCCIDENTALES. LIVRE XIII. 441 peu auec vne coquille de moufle, elle le deschira iettant vne partie des tripailles, 6c mangea elle 6c Tes enfans le foye 6c le gifler fort gloutement, & peu apres le reste de la chair vn peu rostie 6c demi cuite.L’ayans gardee deux iours dans le nauire, ils la mirent derechef à terre, & retindrent vne petite fille de quatre ou cinq ans, fans que la mere s' en souciast, laquelle mourut à Amflerlodam comme Sebald commençoit à l'esleuer. Le x IV v de Decembre s’efleua derechef vne forte tempeste, qui les emporta hors de labaye, ayans perdu leur chables & leurs anchres, de forte qu’ils furent contrains de reculer malgré eux dans la baye de Cordes ,• cependant qu’ils y font vne calamité les attaque, car leur chaloupe fut enfondree par la furie des ondes:mais le lendemain comme io ils estoyent encore à l’anchre dans cette baye, il leur arriuavn fecours,non efperé, par Olyuier de Noort, qui auoit moüillé l’anchre dans ce Destroit : Sebald se ioignan t auec, fit tout ce qu’il peut pour entrer auec lui dans la mer du Sud, mais ce fut en vain,à caufe du vent cõtraire qui les repoussa ; par ainsi l’ayant quitté, il print fa route vers les Isles des Pengnins faute de victuailles, où il arriua le XI I de Ianu. de l’an cID Ioc : ayans aussi tost descendu à terre dans la petite Isle, cependant qu’ils font occupés à tuer des oiseaux, il fe leua vne fubite tempeste, qui heurta si rudement leur chaloupe,qu’ils auoyent faite apres l’autre perdue,contre les rochers & le riuage,qu’ils l’estimoyent estre du tout brifee: il fembloit qu’il n’y auoit plus de remede à ce malheur,car ils n’auoyent laissé dans le nauire que cinq hommes,encore pour la plus grande part malades ou debiles 6c eux io destitués de toutes chofes,ne fçauoyent où fe tourner : toutesfois ils firent tant, qu’ils raccommoderent en quelque façon leur chaloupe,& retournerent au nauire le xx I v. Ils trouuerent dans cette Ifle vne femme qui s'estoit cachee dans vne cauerne de ces oiseaux : elle auoit la face peinte, estoit couuerte depuis les efpaules iufques aux genoux d’vn manteau fait de peaux de Penguins 6c autres animaux fort bien cousuës enfemble, & auoit les parties honteuses couuertes d’vne semblable peau ; de maniere qu’il est aifé à iugerpar là, que les Sauuages qui habitent la Continete sont plus ciuilisés & moins barbares, que les autres qui demeurent dans les Isles qui en font vis à vis ; ils y trouuerent aussi le corps d'vn homme mort, qui auoit les cheueux efpars, enuironnés d’vne couronne faite de diuerfes plumes, ceint en outre depuis les reins iufques aux genoux de 3o semblables plumes,sur lefquelles il y auoit vn petit ret parsemé de diuerfes petites pierres & osselets : ils prindrent lors CCCCL de ces oifeaux: lelendemain ils allerent à la grande Isle remplie d’vn nombre presque infini d’oifeaux,de forte qu’en peu de temps ils en tuerent neuf cents. Estans puis apres emportés parles vents outre ces Ifles, 6c derechef ramenés, ils perdirent non fans grand danger vne anchre, de maniere qu’il ne leur en restoit plus qu vne,petit reconfort en vn Destroit fi tempestueux 6c agité: voila pourquoi ayans refolu de retourner au pais,ils quitterent le Deftroit de Magallan le XXI de Feburier ; & le XXIV du mesme ayant fait voile prefque LX lieues de la Continente, ils rencontrent trois Ifles,iusques alors incognuës,sur L degrés & XL fcrupules au Sud de la ligne,qu’ils nommerent les Ifles de Sebald ; enfin ils arriuerent en Hollande le XIII 4c de luillet. Or pource que nous auons desia fait plusieurs fois mention des Penguins, nous auons adioint en ce lieu la forme & la description de ces oiseaux selon Charles de l'Ecluse. C’est (dit-il) vn oiseau marin du genre des oyes, combien qu’ils n’ayent pas vn bec femblable,viuant en mer, fort gras, de la grosseur d’vne grande oye ; car on a remarque des plus vieux, qui pesoyent XIII, XIV & mesmes par fois XVI liures : sur le dos ils sont couuerts de plumes noires, dessous le ventre de blanches : le col qu’ils ont court & gros est ceint comme d’vn carquant de quelques plumes blanches : leur peau eft aufli efpaiflé que celle de pourceau : ils n’ont point ïo d’ailes,mais en leur place ils ont deux petits ailerons comme de cuir, qui pendent aux deux coftés à la façon de deux petits bras,couuerts fort dru en haut de courtes,estroites & rudes plumes blãches, entremeslees par endroits de noires>nul. lemet propres pour voler,mais bien pour nager ; car i’ai ouy qu’ils faultent la plufpart du temps en l’eau,& qu’ils ne vienlient à terre,sinon quand ils y veulent e(clore leurs poussins ; Kkfc &que


DESCRIPTION DES

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INDES

de que le plus souuent ils sont trois ou quatre cachés dans vn trou : ils ont le bec plus grand que celui d’vn corbeau, non toutesfois fi esleué, & ont vne fort courte queue, les pies noirs , plats, de la forme de ceux d’oyes, qui ne font toutesfois pas fi larges : ils cheminent droits & la telle esleuee, laissans pendre leurs ailerons le long de leurs costés, comme si c’estoyent des bras, de forte que quand on les voit de loin, ils semblent que ce sont des petits hommes ou des pygmees. Les routiers de mer rapportent qu’ils ne viuent que de poisson, mais que toutesfois le goust en est bon & qu’ils ne Tentent point le poisson : en outre qu’ils creusent des trous fort profonds au riuage à la façon desconnils, de cauent la terre par fois de telle façon, que les matelots qui Y 10 cheminent , tombent dans ces fosses fouuent iusques aux genoux. CHAP. IX.

Seconde & troisieme nauigation des Belges par le Destroit de Magallan. AVTRE Flotte des nostres estans de quatre nauires sous le Commandeur Olyuier de Noort, fit voile la mesme annee, presque au milieu de Septembre, & d' apres plusieurs aduantures de dangers,arriua enfin sur la fin de Septembre de l’an XCIX au port que les Anglois auoyent nommé Port defîre, duquel ils partirent LD clo fur la fin d'Octobre, & le quatrieme deNouembre d’apres ils entrerent dans le Destroit, d’où ayans esté quelquesfois repoussés, ils passerent le XXII du mesme mois les premiers passages estroits d’icelui, & le xxv ils moüillerent l’anchre fous les Mes des Ven- 10 guins ; & apres plusieurs grands dangers, ils passerent enfin le dernier iour de Feburier de l’an clo IDC dans la mer du Sud. Or cependant qu’ils combatoyent dans ce Destroit à l’encontre des vents de autres incommodités , ils rencontrerent quelques Sauuages, defquels ils racontent auoir entendu. Que la Continente vis à vis de la plus petite des Isles des Pengnins vers le Nord, estoit appellee Colli, & que la nation qui y habitoit se nommoit Enoo ; que cette petite Me estoit appellee des Sauuages Talke, & la grande qui en est proche Caltamme, dans laquelle il y a grande quantité de Penguins,des peaux defquels les Sauuages font des manteaux, qu’ils portent fur les efpaules ellans nuds quant au relie. Que ces Sauuages habitent separement par parentages, plufieurs defquels ils racontoyent par leurs noms : comme les Kemenetes,qui habitent vis à vis des Karray: les Kennekas des Karamay : les Karaikas des Morinen & d’autres ainsi. Et que tous ces peuples ne font pas plus grands que ceux de l’Europe, mais ils ont la poitrine large de releuee, les vns se peignent le front de certaines couleurs,d’autres toute la face: les malles lient leur partie honteufe d’vn filet autour du prepuce,mais les femmes la couurent de peaux de Penguins : elles fe coupent les cheueux autour du front,les malles au contraires les y portent longs. Ils appellent les Penguins, Compogre, & les couuertures faites de leurs peaux Oripoggre ; Or ils sçauent aussi bien preparer de coudre ces peaux, que les pelletiers de nollre pais. En outre, ils racontoyent qu’au milieu du pais habitoyent les Tiremenes dans la contree nommee Coin, d’vne stature du tout de Geant, qui estoyent ennemis des autres nations, qu’ils attaquoyent fouuent de tuoyent miferablement : il y a de l’apparence qu’ils viuent de chair humaine, combien qu’il semble qu’ils ayent abondance de venaifon de autres viures. Ils racontent qu’ils auoyent apprins ces chofes de quelques garçons qu’ils auoyent amené auec eux, de qui auoyent apprins en partie nollre langage. La troifîeme de derniere nauigation par ce Dellroit fut entreprinfe par Georges Spilbergue, fous les aufpices de la Compagnie des Indes : qui ayant fait voile de Hollande l’an CIDIDC XIV au mois d’Aoust, apres auoir furmonté beaucoup de perils, arriua enfin le second de Mars de l’an CIDIDC XV, & ayant elle fouuentes fois repoussé des vents contraires de des tempestes, il passa les premiers ellroits passages le 5° troifîeme d’Auril, de le XVII du mefme il entra dans la baye de Cordes, où il print de l’eau, du bois de autres chofes necessaires, de enfin il entra le VI de May dans la mer du Sud. C’est celui prefque de tous qui a passé ce Destroit auec moins de temps. le croi bien qu’il y a encore d’autres Anglois de Belges qui ont essayé cette nauigation, de mefme que quelques-vns l’ont acheuee, mais pource que nous nations pas veu leurs routiers, nous n’auons peu en faire mention en ce lieu.

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CH AP.


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X.

Expedition de Diego de Valdes, & deux Colonies d'Espagnols placees au Destroit de Magallan. Edro Sarmiento (de la nauigation duquel de la mer du Sud par le Deftroit de Magallan en Efpagne nous auons fait mention ci-dessus) induisit par certaines raifons feintes Philippe II. Roi d’Espapne. Prince pourtant allés fin, à fortifier les eftroits passages du Deftroit de Magallan (le Duc d’Albe, comme efcrit Herrera, io y contredissant fort ) & a les asseurer auec des Colonies qu’on y meneroit, afin d’empefcher àladuenir le passage parce Deftroit vers la mer du Sud aux autres nations. Pour effectuer ces choses Diego Flores de Valdes fut enuoyé auec vingt cinq nauires, & trois mille cinq cents hommes,outre cinq cents vieux foldats qui ayans efté rappelles des Pays-bas, accompagnoyent le nouueau Gouuerneur de Chide dans fa Prouince. Cette expedition fut commencee par de fort malheureux auspices, car auant qu'ils eussent quitté la cofte d'Espagne, il y eut cinq nauires auec huict cents hommes , tant matelots, que enuoyés pour habiter ces Colonies , qui furent enfoncés, & le refte de la flotte fut repoussee dans la baye de Cadis. Neantmoins ayans racommodé la flotte, ils partirent derechef auec seize nauires afin de mener Pedro Sarmiento auec ceux de 10 fes Colonies au Destroit de Magallan. Or pource qu’ils estoyent partis trop tard d’Espagne, ils hiuernerent à la cofte du Brasil dans le port de Rio Ienero. Delà ayans fait voile iufques fur les XLII degrés de la ligne vers le Sud, ils furent accueillis d’vne fi furieuse tempeste, qu’ayans efté agités Xxn iours deçà & delà, & apres auoir perdu vn de leurs meilleurs nauires, auec trois cents hommes & vingt femmes, deftinés pour les Colonies de Magallan, ils furent contraints de retourner à rifle de S. Catherine. Là comme de Valdes eut entendu, que deux nauires Anglois, que conduifoit Fenton, venoyent ou eftoyent desia passés, qui alloyent au Deftroit de Magallan, ce qui eftoit veritable ; il print auec lui dix de fes nauires les mieux armés, auec lefquels il 3c pensoit pourfuiure ou preuenir les Anglois, & en renuoya trois auec vne troupe inutile de femmes au port de Rio de Ienero, laissant fur le lieu deux autres qui eftoyent du tout brifés. Or ces trois nauires qu’il renuoyoit ayans rencontré les Anglois, l’vn d’iceux fut prins auec les hommes,& les autres s efchapperent ou furent pluftoft laisfés par iceux. De Valdes cependant faifant voile vers le Deftroit de Magallan au milieu de Feburier,faliia premierement en paflant l' emboucheure de la riuiere de la Plata, où il laifla le Gouuerneur de Chile auec trois nauires pour aller vers Buenos Ayres, & delà par terre vers son Gouuernement ; de ces trois deux furent brifés dans cette riuiere, où les hommes & le bagage furent auec difficulté conserués, le troisieme retourna en 4o Efpagne. Or comme de Valdes fut arriué au Deftroit de Magallan à la mi-Mars, auquel temps l'esté finit en ces quartiers, & les tempeftes ordinaires, le froid & les neiges commencent, ne pouuant mettre à terre Sarmiento auec fes gens, il fut contraint de retourner pour la féconde fois au Brasil dans la riuiere de Ienero, où il apprint de fes gens qui eftoyent efchapés du dessein des Anglois. Voila pourquoi il partit de Rio de Ienero auec quatre de fes nauires & autant qui lui auoyent efté tout fraifchement enuoyés d’Espagne,afin de chercher & pourfuiure les Anglois, enquoiayant inutilement trauaillé quelque temps, il tourna vers Paraiba, où ayant trouué cinq nauires de François, qui y auoyent bafti quelque forterefle, il en mit trois à fonds & deux qu’il print, &rafa îo leur forteresse, puis s’en retourna delà en Espagne. Or Ribera Lieutenant de Valdes & Magallan, eftans partis opportunement de Rio de Ienero Sarmiento Gouuerneur l’an d’apres,arriuerent affés heureufement au Deftroit,où ils mirent à terre leurs Colonies, compofees de quatre cents hommes & trente femmes, auec huiét mois de viures, ils y perdirent vn nauire, & Ribera en ayant laissé vn autre à Sarmiento,s' en retourna auec les autres en Efpagne. Tant ils prindrent de peine à perdre ces Efpagnols. XKK z Sarmiento

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DESCRIPTION

DES INDES

Sarmiento commença premierement vne ville pres de l’entree du Deftroit, qu' il appella Nombre de Iesus & y plaça cent cinquante habitans. Delà eftant parti par ter-

re vers les eftroits paflàges de ce Destroit, il commença d’y baftir vne autre ville, aupres d’vne rade assés afleuree, qu’il nomma Cuidad del Rey Philippe ; où il auoit refolu d’y adioindre vn Chafteau & d’y placer force canon qu’il auoit amené pour cet essect, afin d’empescher le paflàge de ce Deftroit à toutes autres nations estrangeres, toutesfois à cause de l’approche de l’hiuer il ne peut acheuer fon entreprinfe : mais ayant prins xx v matelots dans le nauire qui lui auoit efté laissé, il s’en alla vers la premiere ville, où ayant demeuré quelques iours à l’anchre, comme les chables fe furent rom10 pus ou (comme il eft plus vrai semblable,) eurent efté expressement coupés, il retourna au port de Rio de Ienero ; & n’y ayant pas trouué le fecours qu’on lui auoit promis, il alla à Pernambuco, ou ayant receu quelque fecours, comme il veut retourner au Deftroit, il rompit fon nauire entre Permmbuco & la Bahie de tous les Saincts : enfin ayant recouuert vn autre nauire dans la Bahie auec du secours, il fit voile derechef vers le Deftroit, & derechef estant accueilli par vne rude tempefte fur les XLIV degrés de la ligne vers le Sud,il en fut tellement agité,qu’il fut contraint de ietter en mer vne bonne partie de fes victuailles, & de retourner au port de Rio de Ienero ; d’où partant derechef, il tomba entre les mains des Anglois, qui l’emmenerent prifonnier. Or il eftoit entierement decheu de la grace de fon Roi, qui fe plaignoit d’auoir efte 10 trompé par les vaines perfuafions de cet homme, fur tout quand il eut entendu de Ribero, que les paflàges du Deftroit eftoyent fort larges, que Sarmiento. auoit fait fi estroits, & qu’ils auoyent plus d’vne lieuë, de forte que tous les canons du monde, ne pourroyent empescher ou arrefter les nauires qui y voudroyent palier auec vent & maree. Enfin les habitans qui auoyent efté laifles par Sarmiento en ces deux villes, quelques peu d’exceptés, moururent de diuerfes maladies & notamment de faim ; & beaucoup d’iceux, comme ils penfoyent gaigner les Prouinces voisines, furent tués & fans doute deuorés des cruels Sauuages,comme nous auons dit ci-dessus en paffant. Ces chofes aduindrent és annees CIDID LXXXIV, LXXXV & LXXXVI.

NOVVEAV DESTROIT LE MAIRE CHAP. XI. Premiere descouuerture du Nouueau Destroit le Maire. Ovs auons iufques ici discouru briefuement des diuerfes nauigations de plufieurs nations par le Deftroit de Magallan, maintenant auant que de pourfuiure la Continente d’icelui,que eft le long de la mer Atlantique, il faut parler de l’autre nouueau Deftroit, qui finit en la mer Auftrale : la gloire de nous la premiere defcouuerture duquel eft deuë à nos Belges. Nous auons entendu ci-deffus par le rapport tant des Anglois, de ceux de nostre nation, que des Espagnols, que 40 la commune opinion prefque de tous ceux qui auoyent eflàyé à pafler, & auoyent paffé le Deftroit de Magallan, eftoit, que toutes les terres qui sont à la main gauche d’icelui quand on y entre de la mer du Nord, ne font que des Isles, & que derriere icelles il y a vne fpacieufe & large mer, qui se ioinct auec la mer Auftrale, & nous auons ci-deuant donné de grandes raifons de cette opinion. Enfin ceux de noftre nation n’ont pas feulement rendu cela clair & manifefte, mais ont mesme trouué vn nouueau Deftroit, par lequel on peut pafler dans la mer du Sud auec moins de difficulté & de danger ; Or nous dirons maintenant comment il a efté trouué par ceux de noftre nation. Isaac le Maire d’Anuers, Marchand fort induftrieux, & Guillaume Corneille Schoute 1° de Horne, ayans refolu de descouurir & vifiter de nouuelles terres vers le Pole Antarctic, efquiperent vn nauire auec vne barque, & les rauitaillerent & fournirent de toutes chofes neceflaires pour vne longue nauigation, fur lefquels fut mis pour Commandeur Schoute mesme, & laques le Maire fils d'ifttac pour commis. Ils partirent du Texelport fort cognu en Hollande, au milieu de Iuin de l’an clo IDC XV : Or ie ne toucherai point à ce qui leur aduint en ces premiers mois, pource que cela ne fait rien

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OCCIDENTALES. LIVRE XIII. 445 rien à noftre propos, qu’aussi ceux qui en seront defireux le pourront voir dans le routier de ce voyage , qui est desia de long temps en lumiere : ie commencerai par leur partir du Tort Desiré (où y eftans entrés le VII de Decembre, ils y perdirent leur barque,qui fut bruslee inopinement,dequoi ils receurent vne grande incommodité) qui fut le XIII de Ianuier de l’an cloloc XVI. Eftans partis delà, ils eurent premierement en veuë les Isles qu’on nomme de Sebald (pour les caufes ci-dessus) fur LI degré au Sud de la ligne ; lefquelles ayans paftees & courant droit vers le Sud, ils prindrent la hauteur le x x du mesme mois, & fe trouuerent qu’ils eftoyent desia au Sud de la ligne LUI degrés, & à enuiron xx i o lieues outre le Deftroit de Magallan, comme ils pouuoyent coniecturer : delà suiuant le mefine cours le XXIII du mefme mois, l’eau commença à changer de couleur & à deuenir d vn verd pafte, indice asseuré qu’ils n’eftoyent pas loin de terre : laquelle aussi ils virent fur les trois heures apres midy du costè de l’Ouest & Sud-ouest, & peu apres au Sud : le vent eftant Nord, ils mirent leur cours vers le Sud- eft le long de la cofte; le XXIV au matin ils virent derechef terre à stirbord, de laquelle ils n’eftoyenc a peine qu’à vne lieue : la mer eftoit là profonde de xL brasses, & le vent Oueft : Or toute la cofte couroit vers le Sud-fud-eft, & eftoit de tous coftés enuironnee de fort hautes montagnes qui fembloyent eftre fort couuertes de neige. Courant le long de cette cofte vers le Sud-eft, ils arriuerent enfin fur le midy au 2-0 bout d’icelle, & virent d’autres terres fort loin vers l’Eft,qui n’eftoyent pas moins releuees en hautes & afpres montagnes : Or entre ces deux terres couroit vn Deftroit enuiron huict lieuës de large, selon qu’ils pouuoyent coniedurer; ils iugerent auec apparence qu’on pouuoit par icelui passer dans la mer Australe, car le courant le perfuadoit, qui couroit lors rudement vers le Sud : ils eftoyent desia à LIV degrés & XLVI fcrupules de la ligne vers le Sud, & ayant vn bon vent du Nord, ils entrerent heureusement ce Deftroit, mais le vent s’accalmant fur le foir, ils furent pluftoft driués par le courant que poussés par le vent. Ils virent en cet endroit vn nombre innombrable de Penguins à la coste, & fi grande quantité de Balaines en mer, qu’ils auoyent de la peine à les efuiter. 3o Le xxv du mesme mois ils approcherent de la terre du costé de l’Eft, qui eftoit haute & rude de montagnes droites & feparees, & qui couroit droit vers le Sud-eft du costé qu’elle regarde le Nord, selon qu’ils le pouuoyent iuger de loin ; toutesfois ils ne croyoyent pas que ce fuft Terre ferme, voila pourquoi ils la nommerent l'Isle des Estats ,• & la terre qui eftoit de l’autre cofté, ils lui donnerent le nom du Prince Maurice. La cofte des deux eftoit sablonneuse, & le fond eftoit moyennement droit, promettant, comme il fembloit, vn bon anchrage ; il y auoit quantité d’oiseaux & de poisson, & y pouuoit auoir commodité pour y prendre de l’eau, mais ils n’y virent nuls arbres. En outre le vent soufflant du Nord, il coururent vers le Sud-oueft, & ayans prias la hauteur à midy,ils fe trouuerent eftre auancés vers le Sud de LV degrés 4o xxx scrupules de la ligne. Or toute la terre qui estoit à stirbord, couroit depuis le Cap qui s’auance dans le Deftroit, vers le Sud-oueft, & estoit releuee de grandes rudes montagnes:au soir le vent fe tournant au Sud-ouest, ils prindrent leur cours vers le Sud, & les ondes de la mer venoyent fort grosses du Sud-oueft, d’où il eftoit aifé à iuger qu’il y auoit vne spacieuse & profonde mer de ce cofte. Ils virent en ce lieu des Goilans (c’eft vne espece d oifeaux marins ) presque aussi gros que des cygnes de ces pais, qui n auoyent pas peur des hommes, comme n eftans pas accoustumés d’en voir, mais venoyent librement dans les nauires, & fe laissoyent prendre & tuer des matelots. Le XXVI du mefme mois eftans fur les L vu degrés au Sud de la ligne, ils furent assailîo lis d’vne horrible tempefte de l’Oueft & Sud-oueft,de forte qu ils furent contraints de gaigner la mer, toutesfois ils auoyent toufiours la veuë de la terre à stirbord, qui couroit Nord-oueft,vers laquelle ils tournerent le cap la nuict : le XXVII ils eurent la hauteur de L VI degrés & L fcrupules,où ils endurerent grand froid, & eurent beaucoup degresle, le vent fe tournant contraire vers le Sud, peu apres ils mirent le cap au Nord-ouest : le XXVIII, le vent leur vint bon de l’Est, qui les fit courir Oueft, ils eurent à midv la hauteur de LVI degrés & XLVIII fcrupules : Le XXIX courant Sud-ouest Kkk 3 par



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447 feulement de certaines fleurs iaunes (qui fembloyenf n’estre pas trop differentes de la Soulsie de noftre pais) de de l’herbe aucunement amere , qui croist là par tout en grande abondance : ils ne se plaisoyent pas feulement en la compagnie des estrangers, mais aufli ils leurs aidoyent à prendre leur eau de leur bois, & iettoyent leurs armes a terre auant que d approcher prés : de l’autre costé de la baye on voyoit plus de cinquante femblables Sauuages, qui demeuroyent dans de balles cabanes faites de gafons de couuertes de rofeaux,dans lefquelles il n’y auoit nuls meubles, feulement ils y trouuerent des coquilles de moufles vuides : au relie ces Sauuages fembloyent n estre pas mal dociles, car presque fans peine ils leurs apprindrent à reciter l’oraison io Dominicale, auant que les Espagnols en partissent. Estans partis de cette baye, le courant refluant derechef les emporta hors du Dellroit, & les chafla vers la terre qui est deuers l’Est, où la mer estoit si profonde, que proche de terre ils n’y pouuoyent trouuer fonds auec la fonde: Delà ellans derechef portés par les ondes & le vent dedans le Destroit, ils mirent le cap au Sud-ouest : & ellans agités deçà & delà quelques iours par le vent & la maree, enfin ils paflerent le Cap de Horne, de entrerent dans vne baye qui est derriere icelui, ils y trouuerent quelques Isles, où il n’y auoit que des rochers & nul herbage, or la colle de cette baye fe dresse en hautes montagnes couuertes de neige, & ell fur les LVI degrés de XXII fcrupules au Sud de la ligne (comme ils remarquerent : ) proche delà il y a vn port qui *0 semble n’estre point mal commode ; ils endurerent en ce lieu vn aspre froid & de rudes gresses & neiges: ils furent derechef chafles par le vent de la maree vers le Destroit : mais le XIX de Feburier ils arriuerent enfin fur la hauteur de LVI degrés & xxx scrupules, & declinant insensiblement le XXIII du mefme mois, ils eurent la hauteur de LUI degrés de IV fcrupules courant tousiours vers le Nord-ouest ; & tournant le cap à l’Eft ils arriuerent à l’emboucheure Australe du Dellroit de Magallan,, dans lequel ellans entré le xxv du mefme mois, ils le paflerent heureusement, de ellans entres dans la mer Atlantique, salüé en passant Pernambuque, ils retournerent saufs à Seuille le IX iour de Iuillet de l’an clo Ioc XIX.Ayantacheué ce memorable voyage en neuf mois & quelques iours. 3o CHAP. XIII.

Expedition de la Flotte de Nassau par le Destroit le Maire en la mer Meridionnale. N outre le xxm d’Auril de l’an clo Ioc XXIII partit de Goeree, port fort cognu en Hollande, vne Flotte de onze grands nauires fort bien esquipés, lesquels ceux de nostre païs nommoyent vulgairement la Flotte de Na ssau, fous les aufpices des tres-Illustres Estats, Meilleurs les Estats Generaux, & de l’Inuincible Prince Maurice, d’eternelle memoire, fous la conduite du General Iaquesl’Hermite ; 4o auec ce dessein de palier par le Dellroit le Maire dans la mer du Sud; ie ne parlerai pas de ce qui leur aduint és premiers mois de leur nauigation, pource qu’il ne fert de rien à noftre propos en ce lieu, il suffira feulement d’entendre, qu’estans parti de la colle d’Afrique plustost qu’il n’estoit besoin, ayans esté portés par le courant de le calme vers Guinee de les Illes voisines d’icelle, ils y endurerent plusieurs miseres de maladies, de arriuerent au Dellroit le Maire par vn plus long cours que les precedents. Car fans auoir en façon quelconque veu la terre de l’Amerique Meridionnale, ils se trouuerent le xxx de Ianuier de l’an cloloc XXIV iufques fur la hauteur de LII degrés de la ligne vers le Sud; de le premier de Feburier ils virent de loin la terre 5o Australe ; le second du mefme mois, ayans recognu le Dellroit par lignes indubitables , il y entrerent ; à midy ellans prefque desia pafles le Cap Austral de la terre qui est à bas bord quand on entre, que ceux de noftre nation auoyent nommee terre ou Isle de Messieurs les Estats, ils trouuerent la hauteur de L v degrés du Pole du Sud ; & le lendemain LVI: enfin le VI du mefme mois ils virent de loin le Cap de Horne ; mais à cause du vent contraire ils ne le peurent palier, par ainsi mettant le cap au Sud,ils voguerent quelques iours, finalement le vent venant meilleur, ils paflerent le quinzième

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quinzieme du mesme mois Je Cap de Home, mais comme ils faifoyent voile plus outre, le vent de Nord-ouest soufflant de furie, ils furent contraints de retourner, & de peur que le courant ne les emportait outre le Cap,ils trouuerent bon d’entrer le XVII du mefme mois dans vn canal qui est le plus proche de ce Cap vers l’Ouest, & qui court rapidement entre les terres, lequel ils nommerent de Nassau. Or cependant qu’ils s’efforçoyent contre le vent contraire, ils rencontrerent deux Isles iufques alors incognuës, lesquelles font à enuiron XIV ou xv lieuës dudit Cap vers l’Ouest. Et estans descendus à terre pour y prendre de l’eau, quelques Sauuages vindrent à eux, ne demonstrans nul femblant de mal, mais ayans laiflés XIX de nos gens à terre la nuict, comme ils negligeoyent à se garder, ils furent tous tués, deux ex- io ceptés , par ces Sauuages, partie à coups de fleches, partie de maflués de bois, & ne virent plus du depuis aucuns Sauuages: cependant qu’ils seiournerent là ils enuoyerent leur barque, afin d’apprendre plus à plein la situation des lieux, laquelle faifant voile premierement droit au Nord, trouua vne certaine baye, autour de laquelle habitoyent beaucoup de Sauuages, defquels ils ne receurent nul defplaifir : par apres ils tournerent versl’Eft, & furent portés par le courant derriere vne Isle, qu’ils nommerent Terhalthen: le vent venant de l’Eft,ils retournerent à la Flotte. Ils endurerent en ce lieu de rudes tempestes & des trauades de l’Oueft qui les fit demeurer en ce lieu iusques au XXVII du mefme mois : auquel temps ils firent voile, mais le vent d’Oueft soufflant d’impetuosité, ils ne peurent porter que leurs baffes voiles ; 10 iufques à ce que le premier de Mars le vent fe faifant Nord, ils mirent le cap au Nord; troisieme LIX & XLV ouest ; & le second d’icelui ils eurent la hauteur de LIX degrés le fcrupules,le cinquieme LVIII & XL scrupules ; le feptieme LX degrés & xv scrupules : enfin le VIII ils trouuerent la hauteur de LX degrés ; par apres ils declinerent de cette hauteur infenfiblement & le XIV ils fe trouuerent derechef fur la hauteur de LVIII degrés ; le XXIV fur LVII & finalement le. xxv fur XLV degrés & xxx fcrupules: Là ayans trouué vn vent de Sud continu, ils arriuerent heureusement aux Isles de Iuan Fernandez.

CHAP. XIV. Description de la Terre Australe & des Sauuages qui y habitent.

N a enfin cognu par l’experience certaine de ceux de noftre nation, que cette terre Australe que Magallan auoit nommee Terra delFuego, est entrecoupee & diuifee en plufieurs Isles par diuers canaux, qui vont en partie tomber dans le Destroit de Magallan, partie dans la mer Auftrale. En outre cette terre Auftrale est pour la plus grande partie montueufe : & entre ces montagnes il y a de fort belles vallees, & des campagnes verdoyantes, qui font arroufees de plufieurs torrents & ruisseaux descendans de ces montagnes; la terre y est en diuers lieux fort bien couuerte d’herbe: or entre ces Isles il y a plufieurs bayes & des rades fort asseurees, où on trouue belle commodité de s’y fournir d’eau & de bois, mesmes moyen de s’y ballafter de pier- 4° res. Les montagnes qui femblent de la mer eftre afpres & insecondes,sont agreablement vestuës d’arbres, qui penchent tous vers l’Orient, eftans agités vers cette part par les vents vehements qui foufflent prefque continuellemét de l’Ouest ou Sud-ouest en ces quartiers. Le terroir des montagnes où ces arbres croiflent, est leger & poudreux, & n’est pas plus de deux ou trois piés profond, au dessous duquel il y a des roches & pierres. La temperature de l’aïr y eft fort venteuse, car les grandes exhalaisons de la mer fpacieufe en cet endroit, & de plufieurs canaux qui entrecoupent les Isles, s’engendrent souuent des tempestes, lesquelles foufflent prefque continuellement de l’Ouest vers l’Est. Les naturels de ces Mes font blancs de nature, comme ceux de l’Europe, comme cela s’eft peu voir aux enfans nouuellement nés, mais ils fe teignent la peau d’vne certaine couleur rouge, & fe peignent le corps en diuerses façons, car quelques-vns dentr’eux fe teignent la face, les bras, les cuisses & les autres membres de cette couleur rouge, & les autres blancs ou variés de diuerses couleurs : les autres fe peignent la moitié du corps en cette façon, & le reste d’vne autre mode. Ils font agiles de corps & bien compofés de membres,pareils en ftature à ceux de noftre pais, ou qui n’excede pas

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LIVRE

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449 pas beaucoup : ils ont les cheueux noirs, qu’ils portent grands 8c e/pars pour estre plus affreux ; les dents aiguës : les hommes font prefque tous nuds, sans mesmes se couurir les parties honteufes : mais les femmes fe les couurent legerement de quelque petit cuir, & font peintes auffi bien que les hommes en diuers façons,8c ornees autour,du col de certaines coquilles de mer : quelques-vns dentr'eux fe couurent les espaules & le dos de peaux de loups marins, ce qui eft vne si petite couuerture contre le froid, que c' eft vne chose esmerueillable, comment ils peuuent fupporter le froid fi vehement de l’hiuer. Leurs cabanes font faites de perches disposees en rond & aiguës par le haut en façon io de tente,où elles font descouuertes pour donner passage à la fumee, par dedans cauces de deux pies de profond 8c par dehors enuironnees de terre : on ne trouue dans icelles aucun meubles, excepté quelques corbeilles faites de ioncs, dans lesquelles ils ferrent leurs rets : ils sçauentfaire aussi des cordes , ausquelles ils attachent des haims faits de pierres fort induftrieufement 8c auec de l’an past de mousles, ils prennent tant de poisson qu’ils en ont besoin. Leurs armes font Parc 8c les fleches, munies fort proprement de pierres aiguës ; des dards longs 8c accommodés au bout auec des os pointus & dentelés,afin qu’ils tiennent plus fort dans la chair ; des massuës de bois, & des fondes auec lefquelles ils iettent des pierres fort roidement, enfin des couteaux de pierres fort tranchans: ils portent ZQ tousiours ces armes auec eux, à caufe des guerres cruelles qu’ils ont continuellement auec d’autres Saunages,qui habitent plus vers le Leuant, qui se peignent le corps de noir,comme ceux-ci de rouge. Leurs canoas font fort gentiment faits d’escorce d’vn certain gros arbre,si bien coufuës ensemble,qu’ils semblent presque en forme aux nasselles de Venize, affermies auec des cercles difpofés àtrauers la quille, qui sont derechef couuerts d’escorces & fermement liés : ils font ordinairement longs de x, XII 8c feize piés, 8c larges de deux, 8c portent communement fept ou huict hommes, qui les font aller fort viste auec leurs rames. Cette nation est fort Sauuage,car outre qu’ils viuent de chair cruë, mesme de celle d’homme,ils n’ont nulle eftincelle de religion ni de gouuernement politique, & font 3o tellement deftitués de toute honte,qu’ils pilleront librement contre ceux qui font pre; sont d’vn naturel fort changeant & meschant, car fents,s’ils ne s’en donnent garde ils fassent au commencement qu’ils bonne mine aux estrangers, neantmoins ils encore s’efforcent de tout leur pouuoir de les surprendre & mafiacrer. Il eft certain par indices asseurés,qu’il y a quelques animaux dans ces Isles, car ceux que nous auons dit qui auoyent efté à l'anchre derriere l'Isle de Terhalten, asseurent, qu’ils auoyent veu de loin des animaux passans par troupes dans vne verde vallee. CHAP. XV. Description de la Coste Magallanique qui est sur la mer Atlantique, selon les Espagnols. 4c E T T E partie de la Magallanique qui eft le long de la mer du Nord, laquelle s’estend de l’emboucheure du Destroit ou depuis le LII degré & xx x fcrupules de la ligne vers le Sud, iusques au xxxvI ou enuiron de la mefme hauteur & iufques à l'emboucheure de la riuiere de la P lata, comprenant des Prouinces tort spacieuses, est seulement cognuë legerement, & comme elle a esté visitee par diuerfes nations, aussi est ellenommee en plusieurs lieux de diuers noms: Quanta nous, nous traiterons premierement des obferuations des Espagnois, selon lefquelles Herrera dit ce qui s'ensuit en la description des Indes. Dans l'espace (dit-il;d’enuiron de c c c c lieuës, le long de la coste, depuis le Destroit So de Magallan iufques à lemboucheure de la riuiere de la Plata, qui gist presque Nord-est 8c Sud-ouest, fe prefente premierement la riuiere nommee vulgairement Rio de S. Ilefonso, il y a XII lieuës duCap de las Virgines, puis apres Rio Gallego & la baye de S. Iago, & à XIV lieuës d’icelle la riuiere de S. Croix, sur les L degrés de la ligne, au deuant de l'emboucheure de laquelle il y a vne petite Isle nommee vulgairement de los Leones ; puis apres le port de S. Iulien à XLIX degrés de la ligne ; & la riuiere de Iuan Serrano, & les Isles qu’on nomme delos Patos,sur XLVII degrés de l'Equateur, & la riuiere de Cananor LII à XLV

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450

DESCRIPTION DES

INDES

à XLV degrés de la ligne. Le Cap S.Domingo & de tres Puntas, & la terre de los Humos, sur xxxv III degrés de la ligne ; la pointe de S. Helena & de S. Apollonia à XXXVII degrés de la ligne. Enfin de Cabo Blanco ; qui clost le cofté Auftral de la riuiere de la Plata. D’autres defcriuent plus exactement cette mesme cofte ; & du Cap Auftral de la riuiere de la Plat a ( qu'ils nomment de S. Antoine ) ils content quarante huict lieuës iusques à celui de Arenas Gordas ; & mettent au milieu de cet efpace la riuiere de S. Anna, à l’emboucheure de laquelle il y a des bancs de fable. En outre du Cap de Arenas Gordas, ils content trente & vne lieuë iufques à celui de S. André ; & mettent entre deux beaucoup de bayes & diuerses riuieres, mais qui sont io toutes fans ports & bouchees de bancs de fable. Du Cap de S. André iufques à la baye Anegade xxx lieues,sur x L degrés dela ligne. De cette baye iufques à vne pointe de terre qu’ils nomment Punta de terra Llana, quiestà quarante & vn degré & trentescrupules de la ligne, ils mettent vingt cinq lieues ; de ce Cap à la baye sine Fundo, cinq[, & x L degrés & trente fcrupules de la ligne. D’icelle iufques au Cap Rotundo & au port de los Leones, trente sept lieues. En toute cet efpace la cofte eft du tout fans ports,& fans rades asseurees pour les grands nauires. Or le port de los Leones eft à quarante degrés de la ligne. De ce port ils content trente lieues iufques au Cap de Matas Nord & Sud. En cet efpace entre moyenne,il y a vne baye longue,& à dix huid lieuës du Cap Rotundo,sort vneriuiere en mer nommee Rio de Camarones, de laquelle des petites coquilles blan- 10 ches , qui flottent fur l’eau enfeignent l’emboucheure, d’où lui eft venu ce nom. Ce Cap Rotundo eft à quarante cinq degrés & trente fcrupules de la ligne. D’icelui iufques au Cap Blanco, il y a trente deux lieues; il eft fur les quarante fept degrésau Sud de la ligne.Ce Cap seremarque par fix mottes blanches, & au dessus d’icelles, il y a vne haute plaine couuerte d’vn bois efpais: il y a plusieurs Sauuages qui habitent le long de cette cofte,desquels les mariniers doiuent fe garder foigneufement. De ce Cap au port de S. Iu lien,i l y a trente sept lieuës, sur quarante neuf degrés de la ligne vers le Sud : il y a de fort hautes montagnes, qui fe dressent sur fon embouchcure & semblent de loin des tours ,lefquelles enseignent ce port à ceux qui viennent de la large mer : ceux qui y entrent doiuent pluftoft approcher du cofté ftirbord, 1° que celui du bas-bord ; car le canal y eft plus profond & affleuré : au dedans il y a deux Isles efparfes,fous lefquelles on mouille l’anchre : Entre le Cap fufdit & ce port font en mer les huict Isles de l’ Ascencion. De ce port iusques au Morro de S. Ynes ,situé sur les cinquante degrés de la ligne, il y a trente cinq lieues ; toute cette cofte eft rafe & ne s’y voit qu'vne feule montagne : de laquelle iufques à la riuiere de S. Croix,il y a huid lieues ; elle eft fur quarante neuf degrés de la ligne comme remarqua Magallan, qui y seiourna deux mois,affirme que les Sauuages surpassent de beaucoup en grandeur de corps ceux de l’Europe. D’icelui iufques à la riuiere de losGallegos, il y a xxv lieuës, sur LU degrés & x fcrupules de la ligne: & finalement de cette riuiere iufques au Cap de las Virgines, huict lieues. 4° CHAP. XVI. Descriptiption de la mesme Coste selon les Anglois & les Belges. Rançois Drac qui a le premier de tous apres les Espagnols abordé cette cofte» estant auancé six ou fept lieuës au delà l'emboucheure de la riuiere de la P lata, entra dans vne baye derriere le Cap qu’il nomma Cape Ioye ; & estant sorti delà» il entra dans vne autre baye fur XXXVI degrés & xx fcrupules de hauteur du Pole du Sud, laquelle fournit d’vn fort commode port, & où il y a vne riuiere, qu’ils monterent fi haut qu’ils n’y trouuerent que trois brafles de profond : depuis cette baye ils ne peuvent plus trouuer de port ni de rade afléuree pour les nauires, mais fur les XLVII degrés de la ligne ils furent contraints par vne tempeste prochaine de moüiller l’anchre, derriere vn Cap, qu’ils nommerent Cape Hope, comme qui diroit de bon presage, & peu apres ils entrerent dans vne baye où il y auoit vn port, autour laquelle ils virent quelques Sauuages auec lefquels ils traiterent fort familierement ; or ils eftoyent agiles de corps & bien compofés de membres, assés vistes, & comme il sembloit, industrieux. Delà ils allerent dans vn autre port fur XLVII degrés & XL fcrupules de la ligne;

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OCCIDENTALES. LIVRE XIII. 451 ligne; où ils trouuerent de femblables Sauuages,qui auoyent la face peinte de diuerses couleurs, & feulement couuerts de la peau velue de certaine belle sauuage ; lesquels traitoyent auec eux familierement, mais ils ne prenoyent rien d'eux sans le ietter premierement à terre, & le nommoyent Toytt, comme l’eschange mesme des marchandifes Zullus ; que s’il y auoit quelque chose qui ne leur plaisoit pas, ils reïte royent aussi tost du fond du gosier Coroh Coroh. Au collé du Sud de cette baye fort vne riuiere, entrecoupee de plusieurs Isles, quelques-vnes defquelles abondoyent en vn nombre incroyable de loups de mer, & d’autres de toutes fortes d’oifeaux : ils lui donnerent le nom de Seale Baye, c’est à dire, baye 10 aux loups marins. Delà ils paruindrent à la baye de S. Iulien,fur XLIX degrés & xxx fcrupules au Sud de la ligne . Ils virent là aussi plusieurs Sauuages; or les Anglois affairent que Magallan ne s’estoit pas du tout trompé quand il les auoit appellés Geans,car ils surpassent ordinairement en hauteur de corps, grosseur & force de membres,ceux de la commune forte en l’Europe, combien qu’il s’en pourroit trouuer en Angleterre beaucoup, qui ne leur cederoyent rien en ces chofes. Et ainsi il arriua enfin au Destroit. Thomas Candish qui le fuiuit, aborda premierement cette terre fur les XLVII degrés & xx fcrupules de la ligne vers le Sud, & delà fuiuant la colle, il entra dans vne baye qu’il nomma Port desiré, fur XLVII degrés & L fcrupules de la ligne, comme ils 20 remarquerent : cette baye fournit d'vn fort commode & asseuré port, fort propre pour y refaire les nauires, pour les hautes marees qui s’y font : il y a dans icelle quelques Isles, qui fournissent d’vn grand nombre de loups marins, or ils font d’vne forme fort monstrueuse, car la partie de deuant ressemble aux lions auec de long crins: ils allaictent leurs ieunes auec des mamelles, & les nourrissent fur terre, combien qu’ils cherchent leur nourriture en mer: la chair des ieunes eft fort tendre & d’vn bon goust, & estant rostie ou boüillie ne resent pas mal la chair de veau. Il s’y trouue aussi abondance de Penguins. Ils y virent des Sauùages de grande ftature,mais qui fuvoyent du tout leur rencontre. Olyuier de Noort entra par apres dans ce mesme port, lequel n’y vit au commencement aucuns Sauuages, mais y trouua feulement quelques-vns de leurs fepulchres, 3c couuerts de grosses pierres peintes de rouge amoncelees dessus ; & ornés autour de fleches & de plumes d’oifeaux. Ils virent au dedans du païs des cerfs, & des troupes de bœufs fauuages & d’austriches, defquelles ils trouuerent vn nid où il y auoit plus de neuf ou dix œufs. Delà estans vn peu auancé plus auant, il anchra derriere vne petite Isle, où il raccommoda fes nauires ; il alla lui mefme auec la chaloupe tant qu’ils toucherent le fonds,où il trouua de pareils sepulchres, ausquels outre les chofesprecedentes il y auoit des morceaux de fer, qu’ils auoyent fans doute eus des Efpagnols. Estans de retour aux nauires, & ayans veu au costé du Nord des Sauuages, ils y mirent pié à terre,& ne les y voyans plus,ils entrerent plus auant ; cependant les Sauuages attaquerent à la defpourueué ceux qui auoyent esté laissés pour garder la chaloupe, 4o en tuerent trois : & les noftres les chercherent puis apres en vain. Apres ceftui-ci Scoute entra aufîi dans ce port & l’a soigneusement trace,comme on peut voir dans fes Commentaires imprimés. Ceux de noftre nation varient fort entr eux en la hauteur de ce port, car Olyuier descrit qu’il eft à XLVI degrés & cinquante cinq scrupules de la ligne: Et Scoute sur les quarante fept degrés & quarante fcrupules ; de forte que ie ferois doute qu ils parlent d vne mefme baye, combien que ce n’est pas vne chofe nouuelle entre les Pilottes de diffar er par fois quelque peu en telles obseruations,selon la bonté des instruments ou l' attention, ou mesme l’industrie de ceux qui prennent la hauteur.

LII 2

DESCRIPTION


452

DESCRIPTION

DES INDES OCCIDENTALES, LIVRE

QVATORZIEME.

RIVIERE DE LA PLATA. CHAP.

I.

Generale description du Gouuernement ou de la Prouince de Rio de la Plata, qualités de son aïr & de sa terre. O v s auons au Liure precedent acheué la terre Magalanique, 6c auons poursuiui la defcription de cette Continente iusques à l’emboucheure de la grande riuiere de la P lata, maintenant il nous faut traiter du Gouuernernent des Prouinces qui ont prins leur nom de cette riuiere. Ce Gouuernernent lequel embrasse plusieurs 6c spacieuses regions, a pour limites, vers l'Orient la mer Atlantique, qui laue ses costes ; vers le Sud cette partie de la Magallanique que nous venons de descrire ; vers l’Occident où il eft le plus 10 estroit, la Prouince de Tucumana, & où il eft le plus large les Prouinces qui s’eftendent iusques au Peru ; le long de la coste de la mer Atlantique, du Brasil, diuisé eft Septentrion il enfin vers le enuiron fur les XXIV degrés de l’esleuation du Pole Antarctic ; mais au dedans du païs il est contenu de ce cofté entre des limites incertaines & est clos par des regions fort fpacieufes qui ne font pas encore bien descouuertes , comme nous dirons ci-apres. Le terroir de toutes ces regions eft fort second, 6c fort fertile en froment 6c autres grains de l’Europe, mesme il porte les vignes, & est aussi abondant en cannes de fucre. Le païs eft maintenant rempli de toutes sortes de beftail, comme vaches & brebis, qui s’y font fort augmentés pour l’abondance 6c bonté des pasturages : il y a aussi vn grand iO nombre de cheuaux 6c iuments : car Lopez, Vaz asseure, & la chofe eft toute notoire? que trente iuments 6c fept cheuaux, qui y furent laissés, lors que les Efpagnols abandonnerent la ville de Buenos Ayres es annees passees, y ont tellement multiplié en l’espace de quarante ans ou enuiron, que toute la region voifine vers le Sud en eft presque toute pleine, de sorte qu’il y a vn nombre innombrable de cheuaux 6c iuments fauuages qui vaguent auiourd’hui par les forefts 6c campagnes voifines. Il s’y trouue de trois fortes de cerfs, car il y en a qui font fort grands & prefque egaux en grandeur aux vaches, auec le bois grand 6c fort branchu, lefquels regnent principalement dans les marais 6c entre les rofeaux : d’autres qui font vn peu plus grands que des cheures,qui frequentent les campagnes, ceux de la troisieme espece ne sont pas gueres plus grands qu’vn cheureau de fix mois, & fe tiennent és montagnes : il y a aufti plusieurs cheureaux & des sangliers qui ont le nombril sur le dos, la chair desquels eft d’vn gouft fort delicat 6c eft grandement faine, qui fait qu’on en donne aux malades mesmes : en outre il y a aufti des pourceaux de l’Europe fort grands & en grand

Il s’y




PARAGVAY, O PROV. DE RIO DE LA PLATA : cum adiacentibus Provinciis. quas vocant TVCVMAN, ET STA CRVZ DE LA SIERRA. .



DESCRIPT. DES INDES OCCIDENT. LIV. XIV.

453

Il s’y trouuevn nombre infini de guenons,qui ont vne grande barbe 8c vnelongue queuë 8c qui font prefque aufli grands que des hommes, ils iettent deffroyables cris & fe pleignent quand ils sont attaints de quelque fleche, ils arrachent la fleche de la playe 8c la iettent à l’encontre de ceux qu’ils rencontrent : comme aufli d’autres plus petits 8c fans barbes. Il n’y a aufli pas faute de renards, 8c d autres petits animaux qui ont la gueule fi petite, qu’à peine vne fourmis y peut elle entrer,au reste fans faire mal y fans apporter dommage aux hommes. Il y a aufli vn grand nombre de bestes fauuages, comme tigres, lions 8c autres animaux furieux &dangereux : ioinct qu’il y a plufieurs & diuerses couleuures & ferpents, 10 quelques-vnes desquelles font longues de quatre brasses 8c fi grosses, qu’elles deuorent des cerfs entiers auec les cornes, & qui ne font pas fort dangereufes aux hommes, & diuerfes fortes delezarts : il s’y prend en outre dans les riuieres 8c marais dés crocodilles, de huict 8c neuf pies de long, mais qui ne font nul mal, la chair defquels estant rostie est grafle 8c d’vn bon goust. On dit qu’il s’y trouue des chameleons de la grosseur d’vn moyen lezart, lesquels portent leurs petits auec eux & tiennent toufiours la gueule ouuerte pour humer l’aïr, c’eft vn animal qui ne fait mal qui soit. Or combien qu’on ait tenu pour certain au temps pafle que ces regions estoyent du tout deffournies de mines, toutesfois depuis peu on y en a trouué non feulement de 20 cuyure & de fer, mais aufli d’or 8c d’argent ; & de fort belles pierres precieufes qu’on nomme Amethyftes. Quant à la temperature de l’aïr on n’en peut rien dire en general, pource qu’elle varie fort selon la diuerfe situation des lieux, comme nous monftrerons en fon lieu. Non plus que des naturels habitans, defquels nous traiterons ci-apres particulierement. Au refte toutes ces regions ont vn Gouuerneur, qui eft fous le Viceroi du Peru ; comme aufli vn Euesque fous le Diocefe duquel les Espagnols qui habitent en ces regions par villes n’y font pas seulement contés, mais aufli plufieurs Sauuages. Nous parlerons ci-apres des villes que les Espagnols y possedent, maintenant nous traite30 rons deuant toutes chofes de la riuiere qui a donné le nom à ce Gouuernement. Enfin ceux qui voyagent vers ces Prouinces doiuent prendre garde de partir d’Espagne auant la mi-Aouft, afin d’y pouuoir arriuer fur la fin de Nouembre, car lors l’esté y est & le vent y souffle doucement du Nord & Nord-eft, que les Efpagnols nomment Brisas, car s’ils partent plus tard d’Espagne, ils feront comme contraints d’y arriuer au commencement de Mars, auquel temps l’hiuer y commence & le vent y vente rudement du Sud & Sud-eft (qu’ils nomment Vendauales) qui rendent la mer fort grosse, agitee 8c dangereuse, de forte que fouuent on eft contraint d’hiuerner à l’Isle de S. Catherine.

CHAP. II. Premiere descouuerture de la Riuiere de la Plata, & diuerses

4o

expeditions des Espagnols au dedans d'icelle. Van Bios de Solis descouurit le premier cette grande riuiere, à prefent nommee Rio de la Plata l’an cIDI D x v, lequel ayant efté porté dans la grande emboucheure d’icelle,monta iusques à vne certaine Isle, qui eft sur les XXXIV degrés 8c XL scrupules de la ligne vers le Sud, comme ie le trouue dans les Autheurs ; dans laquelle,

I

ayant veu plusieurs cabanes de Sauuages qui l'inuitoyent volontairement, il descendit à la legere à terre, où il fut tué & mangé auec plufieurs de ses gens par ces cruels & in50 humains Sauuages ; & le nom de Solis qui fut lors donné à cette riuiere demeura quelque temps. Apres cela l’an clo Io XXVI Sebastian Cabot, qui auoit laissé les Anglois pouraller aux Espagnols, fut enuoyé afin de passer par le Destroit de Magallan dans la mer Australe, 8c delà aux Moluques; mais à caufe que fes gens fe mutinoyent pour la difette de viures, il entra dans cette riuiere, & y monta enuiron xxx lieues haut iufques à l’Isle qui fe nomme encore pour le iourd’hui du nom de S. Gabriel, qu' il lui donna lors, LII 3 où


DESCRIPTION DES INDES 454 où il anchra Tes grands nauires, mais il monta auec ses fregates 6c chaloupes enuiron sept lieues plus haut, où il trouua vnc riuiere à qui il donna le nom de S. Salvador’, laquelle fort du costé qui est vers le Brasil,, 6c qui à caufe de fon canal fort profond promettoit vne commode rade pour les nauires,voila pourquoi il y mena toute fa Flotte, 6c s’y fortifia dans la terre ferme,afin d’y pouuoir plus asseurement raccommoder ses vaisseaux. Par apres il entreprit de monter plus haut la riuiere 6c de descouurir plus auant auec vne fregate 6c plufieurs chaloupes. Or ayant monté xxx lieuës, il rencontra vne autre riuiere que les Sauuages appelloyent Zar car arma. En ce lieu habitoyent des Sauuages d’vne industrie non commune à ces nations ; voila pourquoi il y bastit vn Chasteau, à qui il donna le nom de S. Esprit ou de Gabot, & y laissa des foldats pour io le garder: delà ayant entré dans la riuiere de Parana, il y trouua plufieurs Isles parfemees & passa beaucoup de riuieres qui entrent dans ce grand canal, 6c apres qu’il eut monté deux cents lieues, il arriua à vne autre riuiere que les Sauuages appelloyent Paraguay : ayans en cet endroit laissé à la main droite la grande riuiere de Parana, pource qu’il iugeoit qu’elle desclinoit trop vers le Brasil, il entra dans Paraguay où eftant monté enuiron XXXI v lieues, il rencontra des Sauuages qui estoyent occupés à cultiuer des champs,ce qu’il n’auoit point trouué iufques alors. Il eut vn fanglant combat auec eux, auquel il perdit xxv de fes gens, & vne grande multitude de Sauuages y furent tués. Il bastit en ce lieu vn Challeau nommé de S. Anne. Voila ce qu’il fit là en 10 quelques mois. Mais l’an clolo XXVII Diego Garsias, Portugais, arriua heureufement à la riuiere de la Plata, qui ayant doublé le Cap du Nord d’icelle (nommé vulgairement Cabo de S. Maria, au deuant duquel il y a vne petite Isle,laquelle ils nomment de los Pargos,pour la grande commodité de la pesche qui y est) il arriua à l'Isle de las Palmas, où il y a vne bonne rade 6c fort commode pour ceux qui vont au Destroit de Magallan ; il semble qu’il n’habite nuls Sauuages és enuirons du Cap ou à la colle voifine d’icelui ; mais vn peu au dedans de la riuiere le long de la colle de main droite en y entrant, habitent les Sauuages qu’ils nomment Charruas, qui viuent de chasse & de pesche : il monta de l'Isle de las Palmas la riuiere iusques aux Isles de las Piedras, à enuiron LX lieues du Cap de S.Marie vers le Couchant: en ce lieu il monta vne fregate, qu’il auoit apportee dans fon nauire, auec laquelle il monta la riuiere plus outre, où il trouua aussi tost des vestiges de Chrestiens, & peu apres il rencontra les deux nauires de Cabot, & bien tort il arriua au Challeau du S. Esprit : delà fuiuant le grand canal de Parana, il fit autant de chemin en XXIV iours, que Cabot en auoit fait en. quelques mois, puis il entra du confluant de Parana dans Paraguay, & enfin il trouua Gabot dans le Challeau de Anne: d’où ils reuindrent enfemble iu sques aux nauires de Gabot. Or pource qu’ils recouurerent quelque argent des Sauuages en ce lieu (car on n’en auoit point encore apporté iufques alors de l’Amerique en Espagne) ils donnerent à cette riuiere le nom de Riuiere d*Argent, qui fonne vulgairement Rio dela Plata. Gabot ertant retourné en Efpagne, la descouuerture de cette riuiere fut suspenduë iufques à l’an clolo xxxv, auquel temps Pedro de Mendoza y fut enuoyéauec onze nauires & huictcents hommes: qui ayant entré dans la riuiere & eftant monté iusques à l'Isle de S. Gabriel, commença de bastir vne ville sur la riue de main gauche, à qui il donnna le nom de Nuestra Sennora de Buenos Ayres; où il perdit la plus grande part de fes gens par famine 6c par la disette de toutes choies : voila pourquoi il enuoya fon Lieutenant Iuande Ayola,pour recouurer des viures des Sauuages, qui en apporta quelque peu, enfin apres qu’il eut descouuert beaucoup de lieux auec grand labeur 6c peu de profit, Ayola demeura là ; 6c Mendoza s'en retournant en Espagne, mourut en chemin : mais pource que nostre intention n’est pas de descrire vne histoire entiere des chofes paflees ; i’adiousterai feulement , qu’il n’y a esté fait rien de grand ou de re- >* marquable par les Elpagnols auant l’an clo I D XL , auquel temps Aluaro Nunnez Cabeca de Vaca y arriua, & lors ces Prouinces commencerent premierementd’estre tout à fait descouuertes & peuplees dediuerfes Colonies d'Espagnols.

Ctf AP'


OCCIDENTALES. LIVRE XIV. CHAP. III. Description de la riuiere de la Plata selon Herrera & Martin del Barco.

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E T T E grande riuiere qui eft entre les plus fpacieufes de l’Amerique Meridionnale, & qui peut mesme à bon droit eftre dite la seconde apres celle des Amazones , (si ce n’eft que d’auanture elle ne foit plus grande) eft appellee de ses naturels habitans Parana, c’est à dire, mer, & Paranaguazu, grande mer ; elle a fur la mer Atlantique vne grande & fpacieufe emboucheure ; car elle a XXXII lieues de arge, & fe roule entre deux Caps, desquels celui de la main droite en y entrant eft io appelle de S. Marie, & celui de la gauche ou l’Auftral Cap Blanc ou de S. Antoine. Or elle a au dedans prefque dix lieues de large, & embrasse plusieurs Ifles, receuant à droite à gauche des riuieres prefque fans nombre ; on croit qu’elle procede d vn lac, qui eft appelle du nom des Sauuages d’alentour , de los Xarayes, à enuiron c c c lieuës & peut eftre plus de l’emboucheure d’icelle: on veut que dans ce lac defcendent plufieurs riuieres & notamment celles qui fourdent du cofté Oriental des Andes & celles qui naiflfent dans le Peru mefme; D’icelui fort vne autre riuiere qui courant vers le Nord descend dans la grande riuiere des Amazones, de laquelle nous parlerons en fon lieu. Martin del Barco dans fon Poème intitulé Argentina, difcourt vn peu plus amio plement de cette riuiere, commençant dés les Caps qui font fur la mer Atlantique, qu'il escrit eftre diftans l’vn de l’autre de xxxv lieuës ; & que celui qui clost le cofté Auftral eft bas , que la coste qui s’eftend d'icelui iufques à Buenos Ayres, va pareillement vn peu en penchant ; Or il dit que l’vne & l’autre cofte eft fort dangereufe, la gauche à caufe qu’elle eft rafe & bordee de beaucoup de basses, la droite à caufe de beaucoup de vents de Sud,qui frappent furieufement contre icelle; & fur tout à caufe de la cruauté des Sauuages, qui habitent d’vn costé & d’autre & qui ont tué beaucoup d’hommes. En outre aupres du Cap de S. Marie, il y a deux Ifles nommees de Lobos, des loups marins ; & vn peu plus au dedans derechef deux autres, qu’ils nomment de Flores, & 3o à xxx lieues d’icelles les fept Ifles de S. Gabriel, vis à vis de la ville de Buenos Ayres. La riuiere a en cet endroit enuiron IX lieues de large & eft encore iufques là assés profonde, excepté deux ou trois basses autour des Ifles de Maldonato & de Iuan Ortiz ; mais au deflus des Ifles de S. Gabriel elle commence à eftre peu profonde & on n’y nauige pas fans danger. De ces Ifles iufques à celle de Martin Garzias, on conte XII lieuës, cette-ci est longue d’vne lieue & demie & large de demie, vestuë de beaucoup d'arbres, & n'a faute de champs propres à semer. Pedro de Mendoza y auoit placé quelques-vns de fes gens, comme aufli & depuis Iuan Ortiz de Zarate. Iufques là auoit monté vn des nauires de la Flotte de Iean Fenton, Anglois,que Iean Brac conduifoit l’an cIo ID L XXXII, 40 mais s’y estant brifee, Brac auec quelques peu d’autres s’estans fauué, mena quelque temps vne miserable vie entre les Sauuages & eschappa enfin. De l’Isle de Martin Garzias , iufques à celle de S. Lazare, il y a quatre lieues, elle eft a demi-lieue du riuage ; & à prefque autant delà, sort de la Continente la riuiere Vraygh, large en fon emboucheure de demi-lieuë : & vn peu plus outre la riuiere à qui Gabot auoit donné le nom de S. Saluador. De cette riuiere iufques à celle de Hum (vulgairement dite Rio Negro) il y a deux lieuës ; cette-ci coulant doucement hors de certains marais bouëux, a son eau noiratre (d’où lui eft venu fon nom) & eft remplie de force poisson. Delà la grande riuiere s’ouure en onze grands & larges canaux, qui font feparés îo Par de fort grandes Isles, fort belles & herbuës, & qui font toutes habitees d’vne nation Sauuage, nommee vulgairement Guaraynes. Au deflus de ces Ifles, quelquesvues defquelles ont XII lieues & plus de long, la riuiere reprend sa premiere largeur, & fes riuages font habités de diuers Sauuages. Or à la main droite de ceux qui montent la riuiere, à enuiron xx lieues au deflus desdites Ifles, est situee la ville de S.Fe', & à prefque cent lieues au deflus d’icelle, il y a d'autres Ifles dans la riuiere habitees de la nation des cherandois.

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A LXXX


DESCRIPTION DES INDES de A LXXX lieues au deflus de ces Isles la riuiere de Paraguay fe ioinct auec celle Parana. Or Pavana s’encline de ce lieu vers le Leuant, le long de laquelle est fttuee la Prouince de S. Anna en partie champestre, en partie marescageuse, habitée des Sauuages Guaranyes. Penna Pobre, comme ils l’appellent eft fttuee vn peu plus outre, qui eft vn haut rocher, au dessous duquel il y a des gouffres qui ont causé le naufrage à plusieurs chaloupes, & plus outre vne Cataracte ou la riuiere se precipite auec vn grand murmure ; aupres de laquelle est située la ville de Guayra, & à quarante lieues au deflus vne bourgade d’Efpagnols, duquel on ne dit point le nom. Iusques ici nous auons suiui

456

Pavana.

10

Or la riuiere de Paraguay reçoit premièrement du cofté gauche la noble riuiere d'Ypito, qui coule doucement par des campagnes ; & peu apres Parannamiro, lequel separant vne Isle triangulaire (qui a enuiron x II lieuës) du refte dela terre ferme, s’auance vers Pavana. Auprès d’Ypito, il y a vn lac qu’ils appellent du nom de la nation qui habite autour de los Mahomas, laquelle s’estend iufques à vne autre riuiere, nommée vulgairement Vermeio, dans laquelle on dit qu’il s’y trouue des perles. Dés ce lieu, le canal de Paraguay deuient vn peu plus eftroit, à quatre lieues au deffous de la ville de l'Assumpcion il reçoit la riuiere de Pilcomaio, qui descend des Prouinces de los Charcas, & est nommé en ce lieu par les Sauuages d’auprès Araquaygh. Voila ce que nous auons 20 tiré de l' Argentine de Martin del Barco. CHAP.

IV.

Description de la mesme riuiere, selon les diuers Routiers des Espagnols : & vn de ceux de nostre nation.

L

E s Routiers de mer (vulgairement dits Roteiros) mis en lumière par les Espagnols, lefquels méritent fur tous d’estre creus en ces choses, varient quelque peu en la defcription de cette riuiere, depuis fon emboucheure iufques aux Isles

de S. Gabriel.

Car quelques-vns d’iceux content dix lieues depuis le Cap de S. Marie, qui eft le 30 dernier de la coste Septentrionnale vers le Leuant iusques à la riuiere de Solis, d’icelle iufques aux colines, qu’on nomme vulgairement los très Mogotes, trois; d’icelles enfin iufques aux Isles de S. Gabriel, huict ou neuf, & ainsi en tout depuis le Cap iufques aux Isles, il n’y auroit que XXII lieues, qui eft vn interualle beaucoup plus petit. D’autres mesurent cet espace plus soigneusement, & content de l'Isle de Lobos qui est au deuant du susdit, iusques à celle de Maldonato, quatre lieuës, d'icelle à vne pointe de terre autant; de cette pointe de terre iufques à l'Isle de Flores, dix; d’icelle iufques au mont Vedio, cinq ; & autant d’icelui iufques aux Isles de S. Gabriel ; & ainsi il y auroit XXVIII lieues. Les Ifles de S. Gabriel font cinq petites. D’icelles iusques à la riuiere de S. Iean qui 40 est à la riue de main droite quand on monte, on conte trois lieues : l’emboucheure de cette riuiere eft fort plate, voila pourquoi on n’y entre point fans danger, & ne porte que de petits nauires. De cette riuiere iufques à l’Isle de Martin Garzias, qui est nommee d’vn nom de Sauuage Minga, il y a aussi trois lieuës. D’icelle il y a deux lieuës iusques aux petites Ifles ou plustost rochers de S. Lazare: & iufques a la première emboucheure de la riuiere de Pavana, huict : cette riuiere est diuisée par plusieurs Ifles en diuerfes emboucheurcs, defquelles celle qui eft la derniere vers l'Occident, est le plus souuent fréquentée des Espagnols, qui l'ont nommee d’vn nom particulier Rio de las Palmas. Ceux qui montent la riuiere de la Plata, doiuent soigneusement prendre leurs cours 50 le long de la riue du Nord,pource qu’elle est la plus haute, & le canal y est plus profond ; toutesfois il aduient par fois, que pour n’auoir pas bien fait fon conte, on fe deftourne vers le Cap du Sud, nommé communément Cabo Blanco; par ainft il faut remarquer, que depuis ce Cap iusques à la ville de Buenos Ayres tout le riuage eft bas & prefque aussi raz que l’eau, & tout ce quartier de la Continente eft habité des Sauuages fort cruels, qui mangent inhumainement tous les eftrangers qu’ils peuuent attraper:


OCCIDENTALES. LIVRE XIV. 457 attraper : mais depuis cette ville iusques à la riuiere de las P almas, la coste se hauffe insensiblement ; or à douze lieues quand on monte plus haut, on rencontre le long de ce mesme riuage l'Isle de Iuan Ortiz. Mais nous retournons à l'Isle de Martin Garzias : d’icelle iufques à S. Saluador (''qui est vne Isle d’enuiron deux lieuës, entre la première emboucheure de la riuiere de Pavana ; descouuerte anciennement par Gabot) il y a neuf ou dix lieues ; or la terre qui est à la main droite eft habitée de Sauuages, nommés Carioos, qui font sur tous autres ennemis des Efpagnols,comme eux-mefmes confessent. En outre la riuiere de las Palmas, comme aussi les autres bras, enquoi la grande ri10 uiere est diuisée par les Isles, montent seize lieuës, auant qu'ils se reioignent derechef ; excepté vn d’iceux ( nommé communément Rio de les Begos) qu'on dit monter quarante lieues auant qu’il rencontre derechef Parana ; il y a vn passage pour aller vers icelui par la riuiere de las Palmas ( qui eft aussi vne branche de la grande riuiere) or ceux qui vont à S. Esprit, entrent & montent par ce bras. Montant plus haut du cofté gauche, on passe plusieurs Ifles, lacs 6c petites riuieres, ou habitent des Sauuages ennemis des Eftrangers. On conte de la première entree de la riuiere de las Palmas iufques à S. Esprit, L lieues, de S. Esprit iufques à la contrée des Tembuyos, XV : des Tembuyos iusques aux Quiloacas , xx ; .des Quiloacas iufques à vne Colonie d'Espagnols, xv ; d'icelle ius20 ques aux Maqueretas, vingt ; d’iceux aux Mepenes, trente ; or en l’espace d’entre-deux il y a plusieurs basses, & tout le pais qui eft à la main gauche eft rempli de lacs 6c marais, neantmoins il eft habité de plusieurs Sauuages ennemis des Espagnols : d’iceux iusques à l’emboucheure de Paraguay, il y a trente lieues, & la terre est plus haute & moins empeschée d’estangs & marais. Au droit de l’emboucheure de Paraguay, la grande riuiere de Pavana fait comme vne feparation de l’autre, & tirant droit vers le Nord, monte enuiron quatre cents feptante lieues iufques à la ville de Piquiri, mais on y nauige difficilement à cause de la quantité des baffes & renions qui y font,comme aussi pour la crainte des Sauuages y habitans,qui font tous fort meschans, mais discordans entr’eux. 30 Or la riuiere de Paraguay tirant à mont vers le Nord-ouest enuiron soixante lieues, au deflus de la feparation ci-dessus à la ville de /’Assumpcion : de laquelle iusques au lac de Xarayos on conte enuiron deux cents lieues ; les riuages d'vn cofté & d’autre font habités de Sauuages qui font prefque tous maintenant amis des Efpagnols. Laurens Bicker, Belge, qui entra és années precedentes dans cette riuiere, remarque, que vis à vis du Cap de S. Marie eft située l’Isle de Lobos , sur trente cinq degrés de la ligne vers le Sud : & que l’Isle de Maldonato est distante d’icelle de trois lieues : Or Pille de Flores eft à vingt lieues du Cap susdit. Et il y a vne baffe à cinquante cinq milles au dedans la riuiere, qui a vne lieue de long, mais eftroite,feparee du riuage du Nord d’vne lieuë 6c demie. 40 Ceux de noftre païs qui y furent l’an CIƆIƆC XXVIII, obseruent que l’Isle de Lobos eft diftante du Cap de S. Marie d’enuiron quatre lieues : que d’icelle iusques à celle de Maldonato il y en a autant : c’est vne petite Isle & separée de la Continente par vn eftroit canal, couuerte d’arbres & qui nourrit des cheures fort grassfes. De cette Isle ou du Cap de S. Marie iufques a l'Isle de Flores, ils content dix sept lieuës, & plus outre iusques au Cap de Monte Seredo, cinq, de forte que d'vn Cap iusques à l'autre ils content dix fept lieues ; entre l'Isle de Flores & Monte Seredo sort la riuiere de Solis. Enfin ils eftiment que la ville de Buenos Ayres n eft diftante du Cap de S. Marie que de quarante deux lieues feulement. 50

CHAP.

V.

Sauuages qui habitent le long de la riuiere de la Plata, leur naturel & mœurs. L y a plusieurs & diuerses nations de Sauuages, qui habitent les riuages d'vn coste & d'autre de cette riuiere, depuis son emboucheure, & premièrement sur son riuage Meridionnal, fur lequel la ville de Buenos Ayres est située, les Espagnols content les Quirandies, nation errante, qui à la façon des Scytes changent souuent de place, &

Mmm

qui


DESCRIPTION DES INDES dans des cabanes par villages, furieuse & accoustumée à viure de chair qui demeure humaine, agile & vaillante, qui a apporté au temps passé beaucoup de dommage & de perte aux Espagnols. Montant la riuiere on rencontre les Timbuës & les Carcases, qui habitent autour d’vn lac & viuent. le plus souuent de poisson ; ceux-ci au siecle passé quand les Espagnols, sous la conduite de Pedro de Mendoza, descouuroyent ces régions, receurent humainement ces Estrangers, de sorte que Mendoza bastit vne bourgade dans leur Prouince, qu’il nomma Bonne Esperance. Les Amëguaës habitent le long de la riuiere Paraguay, qui viuent de poisson : de l’autre costé les Carioes ( qui font appelles ailleurs Caribes ) ceux-ci cultiuent les 10 champs 6c nourrissent des vaches 6c des brebis. Suiuent apres, mais assés loin, les Payaguaes. Et plus auant dans le païs, les Chanes, les Chimeneos & les Carcaraes,parmi lesquels le bruit est qu'il se trouue beaucoup d'or & d'argent. Ceux-ci, du temps que Pedro de Mendoza descouuroit ces Prouinces, tuèrent fon Lieutenant Iuan de Ayola & ses troupes prefque iufques à vn, comme il retournoit de la Prouince des chanes. Lan de Christ CIƆIƆ XLI Aluaro Nunnez Cabeça de Vaca, fut enuoyé vers ces Prouinces pour y commander, qui ayant elle chassé d’vne tempeste sans pouuoir entrer dans l’emboucheure de la riuiere, descendit ses troupes à la terre ferme, entre le Cap de S. Marie & le Brasil, 6c commençant son chemin de la riuiere d'itabucu, qui est à 20 vingt lieues ou enuiron de l’Isle de S. Catherine, à trauers de hautes montagnes, & des forests espaisses, où il s’ouuroit fouuent le chemin auec la hache, enfin en dix neuf iours il passa dans vne Prouince ouuerte ; champeftre & bien cultiuée ; qu’il nomma pour cet effect del Campo ; que les peuples Armiros habitoyent ; & à vne lieuë de chemin d’iceux les Cipoayos, & apres-ci lesTocanguazinnos : tous ces peuples s’appellent aussi d’vn nom commun Guaranyes ; ils auoyent coustume de semer deux fois l’an leur Mays, auoyent abondance de cassaue, poules, oyes & perroquets, qu’ils appriuoisent & nourrissent en leurs maifons ; au relie fort defireux de vengeance, comme font prefque tous les Sauuages, & gourmands de chair humaine. Aluaro donna le nom de Vera 30 à cette Prouince. Estant parti delà, il arriua à la riuiere d'Yguazu, & le lendemain il passa auec grand danger à celle de Vibago. Delà il marcha vers la riuiere de Taquari, aux bords de laquelle estoit le village Abangobio ; assés proche delà celui de Tocangusir ; où ayant pris la hauteur, il trouua que ce lieu eftoit à vingt quatre degrés de la ligne vers le Sud. Iusques là tout le païs auoit esté champestre, beau, fertile, arrousé de plusieurs riuieres & bocageux. Suit apres vn desert, en partie rude & afpre de montagnes, en partie salle de tristes marais, & prefque impénétrable pour les rofeaux & forefts efpaiftes. Ayans passé ce defert auec grande difficulté, ils descendirent derechef dans vne plaine, que les mesmes Guaranyes habitent, & enfin ils marchent vers la rapide riuiere 40 de Piquiri, qui est fur vingt cinq degrés de la ligne vers le Sud. Toute la contrée des Guaranyes est belle & fertile, & si les indices ne trompent, n’a pas faute de mines, mais les habitans font cruels & mangeurs d’hommes. Apres huictiours de chemin ils tombèrent de rechef auprès de la riuiere Yguazu, qui tirant vers la mer par diuers deftours,fe cache à la fin dans Parana. Et ainfi marchans plus outre , ils arriuerent à Parana, fur la hauteur de vingt quatre degrés; laquelle estant passée il ne relie plus, comme ils escriuent, que neuf iours de chemin iufques à la ville de l'Assumpcion. En outre les Agazes habitent le Paraguay, grands & robustes de corps, qui n’estans pas accoustumés à semer, pillent la moisson de leurs voisins, & courent comme pyrates sur la riuiere auec leurs canoas. Mais les Efpagnols les ont 50 du tout destruits, comme Martin del Barco chante en fon Argentine. Les Guayacurues font voifins de ceux-ci,& de mesme grandeur, cruauté & agilité. Montant la mesme riuiere on rencôtre les Cacoues, qui cultiuent la terre & nourrissent beaucoup de poules, on croit que leur Prouince eft pleine de mines de métaux. Au dessus d’iceux habitent les Guaxarapos fur le riuage d’vne riuiere, qui fourdant des limites du Brasil, comme l’on croit, se mesle enfin dans celle de Paraguay, sur les XIX degrés

458

ou enuiron


OCCIDENTALES. LIVRE XIV. 459 ou enuiron de la lignevers le Sud. Or le païs qu’ils possedent est vne contrée base & suiette aux inondations, voila pourquoi ces Sauuages viennent demeurer fur les nuages de la riuiere, quand elle se contient entre ses riues, & s'exercent à pescher du poisson, qui est comme toute leur prouision : & quand la riuiere se desborde, & inonde au long & au large les terres voisines ( ce qui aduient presque tous les ans au mois de Ianuier, lors que le Soleil commence à retourner du Tropique du Capricorne vers la ligue ) ils se retirent au dedans du païs. Delà on vient au lac duquel fort la riuiere de Paraguay, comme aussi vne autre riuiere appellee Yguatu, les Xacoaes, Xaquesses & chanesses habitent le long des riuages de cette 10 dernierer : des limites desquelles on va à trauers des marais dans la Prouince de Xarayo. Cette nation est plus ciuile que les autres & est addonnee à l'agriculture, & sçauent aussi filer : les hommes & les femmes diuisent entr’eux l’agriculture, de forte que les nommes & les femmes moissonnent. Delà on va au trauers d’vn grand & bocageux defort, dans la Prouince de Tapuaguazo, où habitent les Tapapecocies, qui abondent en toutes choies necessaires à la vie ; Les derniers de ce costé font les Payzunoes, nation barbare,& qui n’a pas esté beaucoup cognuë iusques ici. De l'autre costé de la ville de l'Assumpcion habitent les Mayas, le long du chemin qui mene au Peru ; or on passe pour aller dans leur Prouince, par vn lieu que les Epagnols appellent Puerto de S. Fernando. 20 Suiuent apres ceux-ci sur le mesme chemin, mais d’vne interualle assés longue ; & après auoir passé quelques Prouinces,qui abondent en mines, selon vn bruit sourd, les Tamacoas : proche desquels est la Prouince de los charcas, qui est vne partie du Peru, duquel nous auons traité ci-dessus. Ie ne sçai si ces Tamacoas, ne sont point les mesmes que les Tuguamacis, desquels Nusle de chaues fait mention, qui a esté le premier des Espagnols lequel a passé de la Prouince de la Plata dans le Peru : or nous auons dit ci-dessus, que ceux-ci habitoyent la Prouince qui est appellée auiuord'hui S. Crux de la Sierra.

CHAP.

VI.

30

Description de la Ville de Nuestra Sennora de Buenos Ayres. A première ville de cette Prouince appellee des Efpagnols Nuestra Sennora de Buenos Ayres, de quelques-vns Cuidad de la Trinidad, fut bastie par Pierre de Mendoza, l’an de Christ CIƆIƆ XXXV sur la riue Meridionnale de la riuere de la Plata. vis à vis des Isles de S. Gabriel, dans la Prouince des Sauuages nommés vulgairement Morocotes, comme les Espagnols remarquent. Le terroir de cette Prouince est presque tout estendu en plaines, releué doucement par petites colines & tertres, excepté vers la coste de la mer du Nord, où il est fermé despacieuses montagnes & prefque 40 tousiours continues. Cette ville ne dura pas long temps lors, à cause que ses Bourgeois pour leurs discordes mutuelles & autres incommodités, s'en allèrent ailleurs. Mais Cabeça de Vaca l’an CIƆ IƆ XLII y mena de nouueaux habitans, qui y demeurerent quelques temps, puis l’abandonnèrent derechef : Elle demeura puis a près deserte plusieurs années : finalement l’an cIɔ Iɔ LXXXII elle commença d’estre habitée pour la troisieme fois des Espagnols & réedifiée en la forme qu'on la voit auiourd'hui. Cette ville .est située, comme nous auons dit ci-dessus, sur le riuage de main gauche ou Meridionnal de la grande riuiere à XXXIV degrés (comme ceux de nostre nation ont remarqué ) & quarante cinq scrupules de la ligne vers le Sud : à soixante, ou com50 me d'autres escriuent, LXIV de la grande emboucheure de la riuiere, ou du Cap de S. Marie vers l’Occident, dans vne Prouince Mediterranee de cette Continente, aux bords d’ vne petite riuiere, qui se cache dans la grande, sur vn tertre doucement releué par dessus le reste du terroir, les murailles des maisons font presque toutes faites de mortier, les Efpagnols les appellent Tapias : elle a vn Chasteau auprès de peu de consequence, ceinct d’vn rempart qui est aussi fait de mortier, espais à peine de cinq piés, ou il y a quelques pièces de canon. La ville mesme n’est pas fort spacieuse ni Mmm 2 beaucoup

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DESCRIPTION DES INDES car il n’y a guercs plus de cc habitans ( comme i ai appris d’vn peuplée, beaucoup certain Hollandois qui y a demeuré auec sa famille és années precedentes ) lesquels s’employent principalement à l’agriculture & à nourrir des brebis, & presque tous les ans, ils vont par la permission du Roi d’Espagne, par mer au Brasil, & y portent du biscuit, de la farine, de la chair salée, ou seichée au Soleil & femblables marchandises, au lieu desquelles ils ramènent des marchandises de l’Europe, d’où vient que les Espagnols qui demeurent à Potosi & lieux circonuoisins, descendent assés souuent à cette ville, & acheptent ces marchandises auec de l’argent; ce qui eft vn riche trafic, mais qui a esté défendu parle Roi d’Efpagne, lequel n’eftime pas bon pour lui, que l’argent descende par ce chemin , du Peru, pource qu’il croit fans doute qu’on le fraude par ce 10 moyen de fes impolis & de fon quint. Voila pourquoi combien que les Efpagnols, qui habitent cette ville & la Prouince de la Plata, ayent fouuent eflayé à prouuer , qu’on pourroit tranfporter l’argent de Potosi, plus feurement & plus briefuement, par ce chemin en l'Europe, que par le Peru, la mer Australe & l'Isthmus de Panama, toutesfois ils ne l’y ont peu persuader iusques ici. Ie ne puis deuiner autre raison de ce conseil du Roi, si ce n’est qu’il ne iuge pas eftre bon, que ce trafic d’argent foit communiqué par les Castillans aux Portugais qui habitent au Brasil, Car fi on confidere la chofe comme il faut, il semble qu’il n'y ait rien de plus commode ; pource qu’il n’y a de cette ville aux mines d’argent de Potosi quatre cents lieues de chemin, comme i’ai entendu ( quelques20 vns y en mettent mesme beaucoup moins, Ôc d’autre plus ) pour la plus grande part plat & nullement empesché. Car de cette ville à celle de Corduba, que nous auons descrite ci-dessus, on conte CXX lieuës : & ce chemin passe bien par des lieux deserts & & non habités, mais qui sont de belles plaines, & tellement herbuës, qu’elles nourrissent des vaches sans nombre & de grands haras de cheuaux & iuments, qui vaguent ci & là dans ces campagnes,où il y a peu de bocages fans maiftres : or on peut fe seruir en tout ce chemin de belles de charges & charrettes, sans crainte d’aucuns Sauuages, qui y font fort rares, & prefque point dangereux, & y vaguent fans asseurées demeures : or il faut passer quelques riuieres, comme la Luca, los Arrechiuos, l'Arreca & Carçaranna, qui vont toutes se perdre dans la grande riuiere de la Plata ; la principale desquelles ( car les autres sont de peu de consequence) est celle de Carçaranna, laquelle patte presque 30 au milieu de l’efpace qui eft entre les deux villes, d’vn doux canal, & qu'on peut passer l'esté à gué, l’hiuer il s’enfle vn peu, comme presque toutes les autres riuieres de l’Amerique Australe. Au reste le terroir de la banlieue de la ville eft beau & fertile, de forte qu’il produic toutes fortes de grains & de fruicts, comme froment, Mays, melons, pepons & semblables fruicts ; & mefme fournit abondamment aux Bourgeois tout ce qui eft necessaire à la vie humaine ; mais celui de la Prouince eft moins fertile, & y a peu d'arbres, mais beaucoup d’herbe fort grande : peu de colines, peu ou point de montagnes & de rochers, & de larges plaines : il y a force cerfs, mais qui sont plus petits que ceux de l’Eu40 rope ; vne infinité d’auftriches,de perdrix, d’oyes & de canes. Les Sauuages qui habitent cette Prouince & celle qui l’auoisine, vont presque tous nuds ou legerement couuerts de peaux de loutres ( qui s’y trouuent en grand nombre ) ils font grands & robuftes de corps, & ne font difformes ; de mœurs & de coustumes femblables aux autres Sauuages;ils ne viuent prefque que de chafle, voila pourquoi ils aiment fort les chiens de chafle & les cherissent fur toutes chofes : leurs maifons font faites de rofeaux, & couuertes de certaines mattes à l’encontre de la pluye & des in iures de l'aïr.

460

CHAP.

VII.

Description de la Metropolitaine de cette Prouince & de son territoire ; item d'vne autre Ville Cuidad Real. A Métropolitaine & la principale ville de cette Prouince, appellée des Espagnols Nuestra Sennora del Assumpcion ( & de quelques-vns, mais faulsement comme ie pense Assencion ) est située sur la hauteur de vingt cinq degrés de la ligne vers le Sud , comme les Efpagnols escriuent communément : presque egalement

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distante

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461 OCCIDENTALES. LIVRE XIV. distante du Peru & des Prouinces du Brasil ; desquelles elle a enuiron deux cents cinquante lieues ou vn peu plus d’vn cofté & d’autre ; de la ville de Guayra que d’autres nomment Cuidad Real,à. LXXX vers l’Occident ; de S. Crux de la Sierra,, enuiron deux cents : de l'emboucheure de la grande riuiere Plata, ou du Cap de S. Marie, à mont de la riuiere, plus de trois cents, comme on conte, car les Autheurs font differents. Elle est bastie sur le riuage Oriental de la riuiere de Paraguay, à presque quatre leuës au dessus du confluant de la riuiere Pilcamayo, laquelle fourdant dans le Peru des montagnes de Us Charcas, passe à douze lieuës de la ville de la Plata ou de Suchisaca, où elle est nommée Rio grande, de se mesle au deffous de la ville de l'Assumpcion ( pre10 nant le nom de Guapaygh) dans la riuiere de Paraguay. En outre cette ville eft renommée pour la commodité de fituation, & principalement pour eftre bien peuplée, car on dit qu il y a quatre cents familles d’Efpagnols, fans quelques milliers de natifs du lieu d'Espagnols & de Saunages , qu’ils nomment vulgairement Mestisos, de d’vne autre sorte meslée de Negres de d’Efpagnols, qu’ils appellent Mulatos. Dans les confins fort fpacieux de cette ville habitent vne grande multitude de Sauuages ; qui multiplient tous les iours de plus en plus : Martin del Barco conte en son Argentine, que les femmes de les enfans y sont en beaucoup plus grand nombre que les hommes, qui y font diminués par les guerres qu’ils ont ensemble & auec d’autres Saunages. 20 Le terroir de fon reffort eft admirablement beau ; fertile en toute forte de grains & abondant en fruicts tant domestiques que de ceux d’Espagne ; ioinct qu’il eft fourni de suffisans pafturages pour les vaches de les brébis; d’où vient qu’il y a de toutes fortes de viure en fort grande abondance de à vil prix. L’aïr y eft fain de bien temperé , qui fait que les arbres y verdiffent prefque toufiours. Les principaux Sauuages qui habitent és enuirons font les Guatataës, les Mogalaës & les Gonnanenaquaës, fort affectionnés aux Efpagnols, de prompts à leur obéïr, combien qu’ils ne soyent pas diftribués par tributs, comme prefque tous les autres, pour les feruir. Herrera fait mention de la nation des Yaperues fort addonnee au larcin, qui 30 ne cultiue, ni ne nourrit aucun bestail, que Cabeça de Vacca contraignit dés le commencement à la paix. La mesme il nomme aussi les Imperues, les Naperbes, de les Mayayes, mais il ne descrit point leurs demeures. Ailleurs il fait mention des Yriguanos, nation belliqueuse, la Prouince de/quels eft prés de la Métropolitaine. Les Cheriguanes habitent vn peu plus loin, qui ont autresfois donné beaucoup d’affaires aux Efpagnols ; mais maintenant (comme quelques-vns escriuent) ils leurs font assuiettis, de ayant quitté leur première cruauté, ils commencent à viure plus ciuilement de à s’abstenir de chair humaine. Proche de la ville, la montagne de Lambare fort renommée en toute cette contrée, s’esleue fort haut par dessus les autres montagnes ; de montant la riuiere on ren40 contre vn beau lac que les Sauuages nomment Ytapua, au milieu duquel il y a vn grand rocher haut de plus de cent brasses. La ville de Cuidad Real, que les Espagnols appellent aussi Ontiueros, & les Sauuages Guayra, est distante de la Métropolitaine du costé du Brafil du Nord-est, LXXX lieuës ; bastie sur le riuage de la riuiere de Parana ; dans vn terroir second, comme l'on dit, & abondant en tout ce qui est necessaire a la vie de l'homme ; mais l'air n'y est pas fort sain, & la demeure incommode à cause des Sauuages voisins qui sont d’vn naturel cruel de remuant. Allés près de la ville, la riuiere de Parana se précipite auec vn grand bruit d'vne Cataracte haute de plus de deux cents coudées, comme l’on dit, si furieusement 50 & auec tant de tournoyements d’eau, entre les rochers de les lieux estroits où elle passé, qu’elle chasse au loin non feulement les chaloupes, mais aussi les canoas, de sorte, qu’on ne la peut trauerser fans vn extreme danger. A enuiron quarante lieuës au dessus de Guayra, sur les riuages de la mesme riuiere de Parana, Martin del Barco escrit, qu’il y a vne autre ville habitée des Espagnols, toutesfois il n’en dit point le nom, aussi ne me souuien-ie pas de l’auoir leu ailleurs Mmm 3 C H A P.


462

L

DESCRIPTION

DES

CHAP.

VIII.

INDES

Ville de S. Foi, S. Saluador & autres de cette Prouince. A ville de S. Foi, dite des Espagnols S. Fé, est distante de la Métropolitaine l'Assumpcion, le long de la riuiere c L lieues, comme Lopez Vaz a laissé par escrit, de la ville de Nuestra Sennora de Buenos Ayres, cinquante, comme i’ai appris d’vn

Hollandois digne de foi (combien que les Espagnols y en mettent beaucoup dauantage de content enuiron CXX de l’vne à l’autre) & de la ville de Corduba qui est en la 10 Prouince de Tucumana, cinquante, ou selon que d’autres efcriuent, mais faulsement comme ie pense, LXX. C’est vne petite ville, & comme semblable en nombre & condition d'habitans à celle de Buenos Ayres ; elle est située dans vne plaine qui s’estend iusques à Tucumana ; sur les bords d'vne riuiere. Son terroir est fertile, & son aïr sain. Les Sauuages qui habitent entre fes limites font nommés Chalcinos, Mepenes de chiloacas. Les Bourgeois s’excercent à l’agriculture de à nourrir des brebis ; ils tissent aussi de certains gros draps, dont ils font vn riche trafic dans le Brasil, les changeans pour du sucre, du riz & autres telles marchandifes ; principalement dans la ville de la riuiere de Ienero. On va aussi de cette ville aux mines d’argent de Potosi, & plus outre dans le Peru. Et le chemin le plus feur de le plus commode est par la Prouince de Tucumana de par 20 la ville de Corduba, qui est située en vn lieu fort opportun & comme en vn carrefour ; de forte que d’icelle on peut tirer vers le Gouuernement de Chile, de vers le Peru, & aussi vers la Métropolitaine de cette Prouince l'Assumpcion. Il n’y aura point de mal d’expliquer ici vn peu plus à plein le conte de ce chemin : Ceux qui de la ville de Corduba vont au Peru, doiuent aller à la ville de S. Iago (qu’on nomme del Estero) iufques où il y a LXXX lieues ou vn peu plus : de la ville de S. Iago on passe, l’esté, par la ville de S. Michel iusques à laquelle il y a XXV lieuës : mais l’hiuer, par celle de Nuestra Sennora de Talauera, où il y a cinquante lieuës ; (pource qu’en ce temps l’autre chemin par la ville de S. Iago, à caufe de l’inondation des riuieres, eft rempli de bouës, profondes & de beaucoup de lacunes :) delà on tire vers le lieu que les Efpagnoîs nomment las 30 Iuntas, pource que là ces chemins fe reioignent derechef; ce lieu eft prefque egalement diftant des deux villes, sçauoir de xxv lieuës : de chacune des Iuntas, on passe selon la faifon de l’année ou par Salta ou par S. Saluador, laquelle ville eft aufïi dite des Sauuages Iuyu, & c’est la derniere de la Prouince de Tucumana, distante des Iuntas de xxx lieues, de cent de Potosi : enfin on va delà par les vallées des Sauuages nommées Amoaguaces & au trauers des montagnes ; puis d’icelles on passe par des colines entrerompuës, que les E fpagnols appellent la Quebrada : mais ces deux chemins s'assemblent derechef en vn à enuiron xxx lieues de Fotofi. Par ainsi fi les Efpagnoîs font bien leur conte, il y a de la ville de S. Fé iusques aux mines d’argent de Potosi CCCXL ou 40 cinquante lieuës. Les autres villes sont ; premièrement celle de S. Saluador (qui est vne autre que celle dont nous parlions ci-dessus) située commodément sur les bords de le grande riuiere. Et la ville de S. Anne, qui est sur le riuage de Parana, dans la Prouince des Sauuages nommés Guaranyes ; son terroir est plat & plein de campagnes, d'où vient qu'il est fort souuent inondé quand la riuiere fe desborde l’hiuer. Martin del Barco fait seulement mention en passant de ces deux villes dans fon Argentine. Au dessus de la ville de l'Assumpcion, il y a el Puerto de Guaybianoo, où finit la contrée de la nation des Guaranyes ; suit apres Itabitan, de plus outre el Puerto de la Candelaria; comme les Espagnols les nomment, fur le riuage de la mesme riuiere, à XXI 50 degré de la ligne vers le Sud, comme Herrera efcrit, où on dit que Iuan de Ayola fut anciennement surpris & entierement deffait des Sauuages auec LXXX soldats ; les Sauuages Paraguaës y habitent. Montant la riuiere on rencontre les Guaxarapos, en Prouince defquels nous auons dit ci-dessus que cette riuiere qui descend du Brasil entroit dans celle de Paraguay : plus outre , la riuiere fe diuise en trois branches» l'vne desquelles est vn grand lac qu'on nomme Rio Negro, cestui-ci monte vers le Nord, les


OCCIDENTALES.

LIVRE

XIV.

463

les autres deux s’assemblent vn peu au dessous. Au dessus de ce confluant se rencontre encore vne autre riuiere, defcendent de l’Ouest, & le nom de Paraguay est desia aboli, à cause de plusieurs riuieres & lacs, qui ouurent tant d’emboucheures, qu elles trompent ceux qui y nauigent : entre lesquels est renommée la riuiere de Yguatu, c’est à dire, bonne eau, laquelle Cabeça de Vaca monta. Et delà enfin on vient au port de los Reyes ; le terroir y est fertile & abondant en viures ; les naturels du païs Sont de moyenne stature, vont nuds & seruent vne Idole de bois. A vn petite efpace delà eft vne Prouince fort estimée, les habitans de laquelle s’appellent Xarayes, desquels nous auons parlé ci-deflus. 10 Mais auant que nous discourions des autres chofes qui restent de ce Gouuernement ; il fera fort à propos de parler de Tucumana, laquelle nous auons laissée exprés lors que nous traitions de la Prouince de los Charcas, qui l'auoisine.

TVCVMAN CHAP.

A.

IX.

Description de la Prouince de Tucumana, & de sa principale Ville S. Iago del Estero. 20

L

A Prouince de Tucumana, est toute Mediterranee, & est fort esloignee de l’vne & de l’autre mer ; mais elle ioinct ses limites d’vn costé, sçauoir vers l'Occident auec le Gouuernement de chile, de sorte que par icelui elle a passage vers la mer Meridionnale ; de l’autre collé ou vers l’Orient auec les Prouinces de la riuiere de la Plata, par lesquelles on va d’icelle vers la mer Atlantique ou du Nord. Au relie elle est close vers le Leuant, premièrement de la riuiere Vermeio, comme ils l’appellent, laquelle fourdant de la vallee Yuiuy, ou elle eft nommee des ‘Sauuages y habitans Xibixibe, court tant qu’elle se rend enfin dans la grande riuiere de la Plata : puis apres de la riuiere dé Estero, laquelle est maintenant plus cognuë par le nom de Ciancas (pource que Iuan de Ciancas fut tué par les Sauuages sur ses riuages) & par fois eft appellee Rio 30 grande ; qui descendant des Andes, court fort long temps le long du pié d’icelles, tant qu’à la fin elle prend son cours vers l’Orient & se mesle auec la mesme riuiere de la Plata ; ie ne trouue pas que ses limites du costé du Nord soyent assés bien definies, & ne sont pas moins incertains du collé du Sud. Le condition de son terroir est telle : elle a force terres bien cultiuées vers le Gouuernement de Chile ; vers la Magallanique plusieurs Prouinces desertes, & qui n'ont pas esté allés descouuertes iusques ici, desquelles toutesfois les habitans de la ville de S.IagodelEstero semblent auoir grande cognoissance : or ils nomment communement cette Région Trapalanda, mais les habitans du Gouuernement de Chile l’appellent Prouince de la Sal. 40 La Prouince de Tucumana iouït d’vn aïr fort temperé, & d’vn terroir moyennement second : mais (comme Herrera asseure) on n'y a trouué nulles mines d'or ou d'argent. L’esté y commence le XXIII de Septembre & finit le XX de Mars. Elle est habitée principalement de trois nations de Sauuages ; sçauoir des Tucumanes, des Iuries & des Duaguites ; entre lesquelles les Tucumanes sont les principaux, desquels les Efpagnols ont donné le nom à toute la Prouince. Or ils commencent dés les confins de la Prouince des Chicas, laquelle nation appartient au ressort de la ville de Potosi ; ils ont plusieurs bourgades, les plus renommées desquelles sont Morata, Chocinoca, Sococha & Casabindo ; ayant passé ces bourgades (ie de ceux qui vont 50 du Peru dans cette Prouince) on rencontre vn defert de xv ou xx lieues d’eftenduë, qui est vne contre fort froide à cause des hautes montagnes & mesmes des spacieux & continuës sommets des Andes qui l’occupent : mais ayant passe ces montagnes, on descend aussi tost dans vne région plus chaude & temperee, par laquelle il y a vn chemin qui conduit dans la Prouince de Tucumana, passant vn peu au large des habitations des Sauuages, pour la plus grande feureté de ceux qui font ce chemin. Mais nous parlerons bien tost dauantage de ce chemin. Dans


DESCRIPTION DES INDES Dans cette Prouince les villes suiuantes sont habitées des Espagnols, S. Iago del & quelques bourgades, desquelles nous Estero, S. Miguel, Talauera, Corduba, Salta, traiterons selon leur ordre. La principale ville de cette Prouince s’appelloit premièrement Varco, maintenant on la nomme communément S. Iago del Estero. Elle est située (selon Herrera) sur XXVIII degrés de la ligne vers le Sud, a CLXXX lieuës des mines d’argent de Potosi vers le Sud, déclinant vn peu vers l’Est : de Buenos Ayres assise sur la riuiere de la Plata, selon plusieurs, CLXXX lieues. Mais nous parlerons de cette diftance vn peu plus à plein. Le Gouuerneur de cette Prouince demeure le plus fouuent en icelle, comme auffi les autres Officiers du Roi d’Espagne ; & l’Eucsque, car l'Eglise Cathédrale 10 de la Prouince eft en cette ville. La température de haïr est en icelle chaude, faine toutesfois: le terroir y est sablonneux & salé, deffourni de pierres, qui fait qu’on n’y peut pas commodément bastir ; les champs font arroufés de plusieurs ruisseaux, fur lefquels il y a plufieurs vergers, iardins & vignobles. On commence à y excercer la draperie, à cause de l’abondance de laine qui y est, de laquelle on y fait des draps de toutes fortes & de diuerses couleurs. Les naturels s'y vestent à present, & sont bient morigerés & ciuiles. Ils habitent le long de deux grandes & puissantes riuieres, l’vne defquelles passe auprès de cette ville eft vulgairement appellée Estero, pource que quand elle se desborde, elle se 20 diuise en plufieurs canaux & inonde au long & au large tout le pays-bas & champestre, l’emplissant de bouë & de limon ; & quand elle retourne dans fon ordinaire canal, ils enfemenent vne grande quantité de champs, de froment, Mays, orge & autres semblables grains: d’où vient que ce terroir abonde en toutes fortes de viures. L’autre riuiere s’appelle vulgairement el Salado, pource que son eau est vn peu salée : ces deux riuieres courent de l’Occident vers l’Orient, à trauers vne région plate & champeftre, feparees l'vne de l’autre d’vn espace de X ou XII lieuës : elles font remplies l’vne & l’autre de poisson grand & petit, qui apporte vne grande commodité tant aux Sauuages qu’aux Espagnols : le païs qui est entre d’eux est abondant en miel & cire : comme aussi en cotton & en Carrobes ; lesquels fruicts nourrissent fort bien, 30 & font meurs & durent tout le long de l’année : il y a aussi de la coccinille & du pastel, desquels les habitans fçauent teindre leurs laines. Il y a grande abondance de vaches & de brebis : comme auffi de cerfs & d’autres besles Sauuages, des oifeaux de toutes fortes, principalement des perdrix, & des palumbes en grand nombre. Et pour la fin, il s’y trouue de fort bonnes falines. Les Bourgeois trafiquent auec leurs draps & estoffes de cotton, de forte qu’ils fe feruent de ces marchandifes au lieu de monnoyé, & l’aulne d’iceux eft eftimee le plus fouuent vn demi-pezo ou quatre reailes. Ils mènent vne grande quantité de ces draps à la ville de Potosi & dans le Gouuernement de los charcas.

464

40

CHAP.

X.

Des Villes de S. Miguël, Talauera & Corduba.

A seconde ville des Espagnols en ce Gouuernement eft appellée communément S. Miguel de Tucuman : elle eft fituee à XXVI ou XXVII degrés (car les Autheurs sont differents) de la ligne vers le Sud : à XXVIII lieues de la ville de S. Iago del Estero, auprès du chemin qui mene dans la Prouince de los Charcas, au pié de spacieuses & rudes montagnes, sur vn plan commode & arrousé : car d'vn costé il y passe vne riviere descendant des montagnes (nommée ordinairement Quebrada de Chal- 50 chaqui) laquelle auec d'autres riuieres & ruisseaux, qui se precipitent en la mesme façon des montagnes à V ou VI lieuës de la ville, se mesle enfin dans celle qui passe auprès de la ville de S. Iago del Esttero. Le terroir de cette ville est fort fertile en Mays, mesme en froment & en orge, & ne porte pas mal les vignes ; mais il abonde mesure en pasturages, d’où vient qu’il y a vn grand nombre de vaches & de brebis : il s’y recueille grande quantité de cotton & de lin, desquels les Bourgeois font d'excellentes estoffes. Elle iouït d'vn aïr beaucoup meilleur & plus sain que toutes les autres

L


465 DESCRIPT. DES INDES OCCIDENT. LIV. XIV. autres villes de ce Gouuernement. Ils ont bonne commodité de bois. Et la terre n’est pas deffournie de mines, si les indices ne mentent. La troisieme ville des Espagnols eft vulgairement appellée Neustra Sennora de Talauera, & au langage des Sauuages Estero, elle est bastie sur les bords de la riuiere, que nous auons dit ci-dessus estre appellée El Salado, à quarante cinq lieuës de la ville de S. Iago del Estero vers le Nord ; à cent quarante des mines d'argent de Potosi. Son territoire est arrousé de plusieurs torrents, & est riche en cotton, duquel les Bourgeois sont diuerses estoffes. Il abonde en outre en miel & en cire, comme aussi en 10 diuerses teinctures, desquelles ils sçauent fort bien teindre leurs estoffes. On dit qu'il y a surtout vne grande commodité pour pescher & chasser. Il ne s'y est trouué iusques ici nulles veines de meraux : elle est distante de la ligne de XXVI degrés, comme escrit Herrera : Mais elle fut abandonnée l’an CIɔIɔc x par le commandement du Roi, & les habitans transportés à vn lieu appellé las Iuntas ou Madrit, enuiron XXVIII lieuës delà, & on appelle cette ville Nuestra Sennora de Talauera de Madrit, elle est distante de la ville de la Plata de CL lieuës. La quatrième ville des Espagnols en cette Prouince eft ordinairement nommée Corduba, sur XXXII degrés & xxx scrupules de la hauteur du Pôle Antarctic. La température de l'ai r y est fort agréable & grandement temperée, & il y a vne égale 20 vicissitude de l’esté & de l'hiuer : le terroir est plein de pasquis & de campagnes, fort propre pour les vaches & les brebis, qui s’y multiplient extrêmement bien : auprès d'icelle passe vne riuiere fort poissonneuse : or a vne lieuë & demie de la ville il y a des montagnes & force vallees fort belles & bien cultiuées ; dans lesquelles se voyent (comme quelques-vns asseurent) des mines d’argent. La terre n’est seulement pas fertile en froment & autres grains, mais elle endure aussi les vignes : & pour la fin il y a des salines fort renommées. Cette ville eft située en vn lieu fort commode pour le trafique, car elle a au Leuant la ville de S. Fé, qui est du Gouuernement de Paraguay ou de la riuiere de la Plata ; au Couchant celle de S. Iuan de la Frontera, de laquelle nous auons parlé au Gouuerne30 ment de Chile ; distante de l’vne & de l’autre d’vn espace presque égalé de cinquante lieues. Ceux aussi passent par là, qui descendent du Peru vers la riuiere de la Plata & à la ville de Buenos Ayres, pour delà aller en Espagne ou au Brasil sur la mer du Nord : pource que ce chemin n’est pas plus long, & eft asseuré & facile de peu de frais à caufe de l’abondance de viures & de la briefueté du chemin. Elle est habitée (comme ie l’ai appris d’vn des Pays-bas qui y a pafte és années precedentes; d’enuiron trois cents familles d’Espagnols, qui s’employent principalement à cultiuer les champs, & à faire des toilles de cotton, & portent le plus fouuent vendre leurs marchandises aux mines de Potosi & dans le Peru. En outre lors que le Marquis de Cannete estoit Viceroi du Peru, & que son fils 40 Don Garsias de Mendoza gouuernoit cette Prouince, on y bastit vne ville, qu'ils nommèrent Neuua Londres ; & derechef vne autre dans la Prouince de Chalchaqui, qu'ils appellerait Neuua Cordura, qui ne durèrent que quelques années. Les peuples Iurias & Diagutas qui y habitent, se vestent de draps de laine & quelquesfois de cuirs de vaches bien préparées : ce font pafteurs de brebis, de la laine defquelles ils font leur profit : leurs villages sont près les vns des autres, ils sont presque tous petits ; car le plus souuent il n’y demeure qu vn lignage ; ils disposent leurs maisons en rond & les enuironnent de hayes d'espines, pour les guerres cruelles qu’ils se sont continuellement les vns les autres. C’eft vne nation fort laborieuse, & n'est pas si addonnée à l'yurognerie, comme sont presque 50 tous les autres Sauuages de ces régions.

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CHAP.


466

DESCRIPTION CHAP.

DES

INDES

XI.

De quelques autres Villes de ce Gouuernement, & des qualités des Prouinces dans lesquelles elles sont situees.

N outre Herrera au Liure cinquième, Chap. IX. de sa VIII Decade escrit de ce Gouuernement en cette façon. Il habite dans ce Gouuernement de Tucumana moins d'Espagnols qu'il n'est requis ; car s'ils y estoyent en plus grand nombre, ils pourroyent aisement subiuguer beaucoup de Sauuages, qui sont maintenant en 10 guerre,& cette Prouince deuiendroit vne des plus riches ; principalement si ces Sauuages estans subiugués, estoyent assuiettis aux Espagnols certain temps, & leurs payassent tribut, comme ils ont coustumé de faire és autres Prouinces de l'Amérique : car lors plusieurs Espagnols viendroyent sans doute s'y habituer du Peru & des Prouinces voisines, & on y pourroit bastir encore deux villes : l’vne dans la vallée de Salta, qui excelle en grandeur de fertilité, & iouït sur toutes autres d’vn air sain & temperé, située sur les vingt cinq degrés de la ligne vers cle Sud : & où il y a de fort beaux champs & pasturages, & qui est fort propre aux semences pour la multitude & opportunité des ruisseaux. Cette ville seroit située au milieu de la Prouince, lieu fort commode pour trafiquer, tant auec les naturels de la mesme vallée nommés Chalchaques, 20 Iuiuyes & Omaguaces, qu'auec les autres Sauuages, qui habit au long & au large iusques au passage de la riuiere d'Estero : & qui habitent les bourgades de Casabindo, Sococha, Cochina & Morata, enfin auec les peuples qui se nomment vulgairement Apatamas. Quoi plus ? cette ville rendroit toute cette région qui est entre le Peru de Tucumana si asseurée, qu’vn homme seul pourroit aller de venir aifement entre ces Prouinces du Peru, Tuctimana & la riuiere de la Plata, voire iusques à la mer du Nord. Cette vallée est située enuiron cent lieuës des mines de Potosi, & quarante de la ville de S. Bernard dans la vallée de Tarixa, & enfin à cinquante de la ville de Talauera. On remarquera, qu'Herrera ne fait mention nulle part qu’en ce lieu de cette ville de S. Bernard, ni n’en parle pas en sa briesue description des Indes ; or nous auons ci- 30 dessus monstré selon le rapport d'vn certain Belge que la villette de Tarixa appartient au Gouuernement de los charcas. Herrera continuë. L'autre ville pourroit estre bastie en ce lieu où sur autrefois placée le Nouueau Londres (qui fut aussi tost abandonnée pour le peu de peuple) auprès du chemin qui va de Tucumana au Gouuernement de Chile. Or cette ville auoit esté bastie dans la vallée de Quimnibil, en bn terroir fort fertile en froment & autres grains & qui portoit fort bien les vignes & les autres fruictiers. Les habitans d'icelui qui sont vne partie de la nation des Diaguitas, se vestent, & abondent en brebis de l’Amerique, comme aussi, selon que l’on dit, en mines d’or & d’argent. I'ai appris de ce Belge (lequel i'ai desia souuentes fois suiui comme guire) qu'on a 40 basti és années precedentes vne ville dans la vallée de Salta, qui est appellées des Espagnols Villa del Lerma & bien souuent du nom de la vallee Salta : comme aussi vne autre dans la vallée de Iuiuy qu’ils nomment la ville de S. Saluador. Herr. continuë au mesme lieu : Il seroit aussi necessaire de bastir vne ville d'Espagnols au delà des montagnes, qui ferment la vallée de Tarya ou de Tarixa & celle de d'Omaguaza, dans des campagnes qui s’applanissent insensiblement depuis le pié des montagnes iusques à la riuiere de Paraguay ; fur les bords de la riuiere que les Espagnols nomment Rio Vermeios ; car ils pourroyent iouïr de de la campagne de du païs des montagnes ; d’vn aïr temperé & d’vn terroir fertile sur tout autre : ioinct que cette région eft fort 50 peuplee, & a grande multitude de brebis : de eft prefque egalement diftante des dernières fins du Peru & du Gouuernement de la riuiere de la Plata ; de force que cette ville seroit placée à LX lieuës de la ville de S. Bernard dans la vallée de Tarya ; & a autant de celle de Nuestra Sennora de Talauera, & point plus de celle de l'Assumpcion, située sur le riuage de la riuiere de Paraguay ; enfin à L lieues de la vallee de Salta & à enuiron cent des mines de Potosi. Et les naturels de ces régions estans ainsi ceincts detoutes parts, comme d’vn pan, des villes des Espagnols, seroyent fort contraints d’embrasser la Religion Chrestienne

E


OCCIDENTALES. LIVRE XIV. 467 Chrestienne plus facilement, & viuroyent entr’eux & auec les Efpagnols paisiblement : De plus on pourroit descendre le long de la riuiere Vermeio dans le Paraguay , & delà dans la riuiere de la Plata , & enfin le long d’icelle dans la mer du Nord : par lequel chemin qui feroit court, sain & abondant en toutes chofes, on pourroit tranfporter l' argent & autres marchandises du Peru en Espagne : Cette ville pourroit eftre bastie à peu de frais & fans grand labeur par les Efpagnols qui habitent le long du Paraguay & de la riuiere de La Plata , pource qu’ils font en plus grand nombre , & mieux fournis de toutes chofes necessaires à cette affaire, comme de cheuaux, d’armes & de viures, & ce qui eft le principal, c’eft qu’ils ont plus d’interest que ceux 10 de Tucumana que ce chemin foit ouuert du Peru vers la mer par leur Prouince, car il feroit plus court de beaucoup que par Tucumana ou par la Prouince de S. Croix de la Sierra. Or i ai appris de ce Belge s que les Efpagnols auoyent y a ia long temps vne certaine ville fur la riuiere Vermeio ; neantmoins ceux qui vont à Potosi passent à prefque quatre vingts lieues d’icelle, par vn defert vers la ville de S. Iago : le ne sçai pas bien, si cette ville eft placee au mesme lieu qu'Herrera a remarqué ci-dessus, & il ne le pouuoit pas bien dire. CHAP. 20

XII.

Chemin d'un certain Belge de Buenos Ayres aux mines de Potosi, par cette Prouince de Tucumana.

A

qu’on puisse encore mieux comprendre la connection de ces Prouinces & la diftance la situation des villes, i’ai estimé ne faire point de mal d’adiouster ici le chemin d’vn certain Belge, qui a tombé entremes mains. Ceux ( diril ) qui vont de Buenos Ayres au Peru ou dans la Prouince de Chile, doiuent passer par Tucumana ; & premierement par la ville de Corduba, laquelle eft diftante de Buenos Ayres d’enuiron cxx lieues, par vn chemin plat & trauers des campagnes ,couuert de quelque peu d’arbres, excepté fur les bords des riuieres, qu’il faut passer durant 30 cet efpace,la plus grande defquelles eft appellee Carcaranna , diftante d’vne diftance prefque egale de foixante lieuës, de l’vne & de l’autre ville, remplie d’excellent poisson. Or combien que ceux qui vont dans la Prouince de Chile, tirent droit à la ville de S. Iuan de la Frontera, laissans à la main droite la ville de Corduba, toutesfois on va rarement par ce chemin, car encore qu’il foit plus court que l’autre , comme n’ayant pas plus de cent & dix lieuës, toutesfois il eft plus solitaire & moins asseuré à l’encontre des Sauuages fort farouches, que l’autre qui passe parla ville de Corduba: or on va par l'vn & par l’autre à cheual, & par charrettes à bœufs, fur lesquelles on transporte les marchandées & le bagage. 40 A enuiron cent lieues de Corduba,hors du chemin qui va au Peru, vers le Nord-eft & la riuiere de Paraguay est situee la ville de Rioxa, où il y a des vignes & où on seme force lin. De Corduba ( ie fuiurai maintenant le chemin ia commence ) le chemin va a S. Iago delEstero Metropolitaine decette Prouince, l’efpaceeft de LXXX lieues ; le territoire de cette ville eft bocageux & n’eft pas fort fertile, depuis que la riuiere voisine à cessé de ce desborder si fouuent qu’elle auoit de coustume, & d engraisser la terre de son limon ; qui fait que la ville a commence a despeupler, pource qu ils ont souuent disette de viures,& que les Sauuages n’y ont prefque rien autre chofe à manger que des Algarobas, lequel fruid ils nomment là Taco, & s’en seruent pour manger & boire. Or les 50 Sauuages de quartier font fort diminués, & deffaillent tous les iours, pource qu’ils font fort cruellement traidés des Espagnols, car ils les exercent tous les iouts à de grands labeurs, à quoi ils ne font pas accouftumés de leur nature, à recueillir le cotton, à le carder & filer; & s’ils font tant soit peu paresseux à paracheuer leur tasche ordinaire, ils les batent si inhumainement & les fouettent de verges d’vne telle forte,qu’ils deffaillent fort fouuent & meurent miserablement fous les coups. Il s’y trouue aussi des melons & des Tunas, desquels nous auons parlé assés ailleurs. Nnn 2 De la FIN


DESCRIPTION DES INDES De la ville de S. Iagò on peut prendre son chemin en deux façons: fçauoir par la ville de S. Miguël; l’espace eft de vingt cinq lieuës : le terroir de cette ville eft fertile,bocageux & plein de pasturages ; d’où vient qu’il y a vn grand nombre de vaches, de brebis de de iuments : & les viures y sont à vil prix. L’autre par la ville de Talauera ou Estero ; l'espace d’entre-deux eft de cinquante lieues : or ayant trauerfé la riuiere qui passe aupresde S. Iago, on marche quatorze lieues de chemin par vne Prouince fort deftituee d’eau , iusques à ce qu’on vienne à la riuiere Vermeio ( laquelle a esté ainsi nommee de la couleur de fon eau, mais qui est au refte grandement poissonneuse; ) delà on suit les bords de la riuiere iufques à vn autre fleuue, lequel il faut passer, qui eft prefque a 10 deux iournees de chemin de Estero. Dans le territoire de cette ville croist du cotton en grande abondance : mais il n’y a des viures que chichement. De l’vne de de l’autre ville tant de S. Miguel que de Talauera, on va aux Iuntas ou a Madrit, lequel lieu eft diftant de la premiere de cinquante lieues & de l’autre de vingt cinq lieues feulement; or ils ont nommé ce lieu las Iuntas, pource que ces deux chemins s'y ioignent derechef en vn de est à present plus frequente pour le changement dont nous auons parlé ci-deflus. Des Iuntas on auoit de couftume de prendre fon chemin vers Salta, mais maintenant on va le plus fouuent par Sufuuy ou Xuxuy ; qui eft diftant des Iuntas de vingt cinq lieuës, & l’autre de vingt huict ou vn peu plus. Or à l’vne & l’autre de ces places passe vne riuiere ; qui descendent toutes deux des montagnes du Peru, de vont tomber dans 20 la grande riuiere de la Plata. Or ces deux villes font à douze lieuës l'vne de l’autre. En outre Salta, afin que i’acheue de parler de cette ville,à laquelle on va maintenant rarement selon ce qu’on dit, a en fon voisinage , mais allés loin comme de quarante lieues de fort bonnes salines, defquelles on tire du sel aussi luifant que glace ; qui apporte vne grande commodité à ces trois villes des Iuntas, de Salt a de de Sufuuy , pour faler les bœufs de vaches qu’ils y tuent en grand nombre de seichent au Soleil apres eftre salees, dont ils font vn riche trafic auec les Beruuiains de ceux de Potosi. Au refte partant de Sufuuy ou Iuiuuy, il faut porter auec foi des viures fur des cheuaux & des mulets ; car il faut delà palier vn desert où il ne s’en trouue nuls, iusques à ce que l’on entre dans la Prouince des Sauuages nommés Omaguacas; ceux-ci font tous riches 30 de ciuils ; ils fe veftent de draps de laine,car il s’y trouue vn nombre infini de brebis du Peru,la laine defquelles ils fçauent d’ancienneté carder, filer de tiftre fort proprement. Leur Prouince eft plus temperee que chaude,si elle n’eft froide : leur ordinaire viande est le Mays ou les racines de papas. On pourfuit fon chemin en cette maniere. De Xuxuy (caril s’escrit aussi ainfi ) on suit la riuiere iusques à l'hostellerie el Tambo de Don Francisco, où il y a sept lieuës : il y a dans ces hostelleries, par le mandement du Roi d’Espagne, des Sauuages qui feruent les Eftrangers par tour, & leurs fournissent pour rien de la paille, leurs apportent de l’eau de du bois : ils font aussi obligés de garder les belles de charges de les hardes,& de 40 respondre de ce qui s’en pert. certaine bourgade On conte huict lieues du Tambo de Don Francisco iusques à vne de Sauuages, où il y a aussi vne hoftellerie ; on y va le long de la riuiere de quelquesfois par icelle,car plus on monte haut de plus on la trouue petite de moins profonde. Partant de cette bourgade, on laisse la riuiere de la Prouince de ces Omaguacas, & il faut trauerfer vne certaine haute montagne,& d’icelle descendre dans vne region froide de inhabitee,dans laquelle il fait fort grand froid,principalement aux mois de Iuillet de Aoust : voila pourquoi on n’y peut rien semer, & il s’y trouue peu de belles , excepte des Vicunnas,des Guanacos & des Renards : or on loge dans vne hostelleriequi est dessous de cette montagne, de laquelle iufques au lieu qu’on nomme de Pennas, on 50 conte fept lieuës, où il faut coucher dehors, entre des rochers,d’où vient que ce nom a efté donné des Efpagnols à ce lieu, fi ce n’eft qu’on porte quelque tente auec soi. Delà on va aux Paragonnes, où il n’y a aufli nulles maifons, mais feulement certaines vieilles mafures,iufques où il y a sept lieues. Des Baragonnes iusques à l’hoftellerie de Crangueos, qui a pris fon nom des Escreuices qui s’y trouuent en grand nombre,il y a autant de lieues. On conte autant de lieues des Paragonnes iufques à l’hostellerie nommee la Cenega

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de Don


OCCIDENTALES. LIVRE XIV. 469 de Don Diego de Spiloca ; or c’est vne vallee marefcageufe & pleine de fange ('comme le nom le monstre) appartenant à ce Diego, homme fort riche & afles induftrieuX (combien qu il foit Indien) & qui possede, comme on dit, vn troupeau de plus de quarante mille vaches. De Cenega iufques à l’Estancia del Tresorero, il y a fix lieuës : dans cette metairie on y nourrit auffi beaucoup de vaches. De l'Estancia iufques à l’hoftellerie fituee fur la riue de la riuiere de Talina, il y a fix lieuë ; ce chemin eft raboteux & allés difficile, car il faut descendre vne montagne tort droite : or cette riuiere s enfle au temps des pluyes, & on la passe en ce temps auec 10 danger; elle a pris fon nom d’vne bourgade d’indiens qui est fur fes bords,appellee Talina,‘le terroir d’icelle est estimé fort fertile en Mays & froment, mais l’aïry est chaud. La Prouince des chicas commence en cet endroit & s’estend iufques aux confins de la ville de Potosi: ces Sauuages sont assés ciuils, & fur tout fort experts Mineurs, d’où vient qu’il y en a vne grande partie dentr’eux qui trauaillent le plus souuent aux mines d’argent: on tient que leur Prouince eft remplie de veines d’argent, quelques-vnes desquelles on trauaille maintenant : on dit auffi qu’ils ont vn grand nombre de brebis du Peru. De Talina on conte auffi fix lieues iufques à Cenagilla: cette contree eft vn peu plus 20 froide que la precedente, & ne nourrit pas tant de vaches & de brebis, il semble qu’elle ait auffi efté nommee par les Espagnols de la bouë qui y eft. De Cenagilla iufques au Tambillo de Antongenoues, il y a autant de lieues ; or il faut pafler par vne bourgade d’lndiens,appellee S. Iago de Cotagayta, il y a vne riuiere qui pafle aupres, qu’on pafle à gué: & la contree eft derechef plus chaude & plus bocageufe. Du Tambillo iufques à la riuiere nommee vulgairement Rio de Toropalca, on conte VII lieuës, cette riuiere a auffi pris fon nom d’vne bourgade de Saunages où elle pafle, appellee Toropalca, les voyageurs couchent auffi à l’aïr au bord de cette riuiere : & la region eft auffi chaude & couuerte de beaux arbres. 30 De cette riuiere iufques à vne bourgade de Sauuages, qu’ils nomment Caysa, il y a auffi VII lieues ; on loge en ce lieu dans vne hostellerie, où il y a plusieurs Sauuages qui seruent les passans, & leurs fourniflent ce qui eft neceflaire. De Caysa à l’autre Cenagilla, comme les Espagnols la nomment, il y a IX lieues de chemin; les voyageurs couchent auffi en ce lieu dehors; & la contree eft froide & deffournie prefque du tout de bois. De cette Cenagilla (qui a este nommee de la chose mesme, car c’est vn païs marescageux ) iusques à la ville de Potosi,, il ne refte que cinq lieues. Par ainsi il y a de la ville de Buenos Ayres iusques aux mines d’argent de CCCXCV lieuës en tout selon le conte de ce Belge : & là finit la Prouince des Chicas, qui s’estend encore fort loin des au40 tres coftés. CHAP.

XIII.

Conte du mesme chemin selon d’autres.

que ie ne doute pas que le conte de ce chemin depuis la ville de Buenos Ayres iufques aux mines d’argent de Potofi n’ait efté afles exactement fait par noftre Belge, comme celui qui la fait & foigneufement escrit: neantmoins ie n’ai pas creu deuoir pafler fous filence, que d’autres qui fe ventent d’auoir suffi fait ce chemin, remarquent autrement la diftance des lieux. Ceux-ci mettent 50 entre les villes de Buenos Ayres & Corduba vn espace de c L lieuës, qui furpaflé de xxx lieuës la fupputation de celui de noftre païs. Et asseurent que le chemin eft plat & aisé ; & qu’on y trouue toutes les cinq,six ou fept lieues au plus des metairies ou des hostelleries fort commodes, & abondance de toutes fortes de viures ; & que les Sauuages font par tout nullement mauuais & le plus fouuent fans armes. Il vague en toute cette region plufieurs cheuaux & iuments ; qui font bien sauuages, mais qui fe laisentprendreaisement des Sauuages, qui les vendent huict ou dix reailes, & que les Efpagnols Nnn 3

C

OMBIEN


DESCRIPTION DES INDES 470 Efpagnols domptent aifement: enfin dans la ville de Corduba on trouue force excellents mulets, & des charrettes à bœufs; elle eft habitee d’enuiron cinq ou fix cents Efpagnols, quelque peu de Negres & de plusieurs naturels de ces Prouinces. De Corduba iufques à S.Iago del Estero il y a aussi CL lieues qui excede le conte de noftre homme de LXX lieuës, de forte que ie croirois pluftoft que ceux-ci fe trompent que lui. De S.Iago iufques à Efiero ou Talauera, ils content cinquante lieuës, en quoi ils s’accordent du tout auec noftre Belge. De Efiero à Xuxuy, ils content autres cinquante lieues, en ceci ils ne conuiennent 10 pas mal auec noftre homme, ou en font bien peu defferents. De Xuxuy iufques à la ville de Potosi, ils mettent cent lieuës ; enquoi ils defferent feulement de cinq lieues du conte de noftre homme; laquelle difference est de peu de consequence. Or ceux-ci content en tout de Buenos Ayres iufques à Potosi, cinq cents lieuës, lequel conte excede par trop celui de noftre Belge ; & ne puis estimer que la diftance foit fi grande, ni que noftre Belge ait peu fe tromper fi fort en fa fupputation ; de forte que i’aimerois mieux le fuiure qu’eux ; ioinct aussi que la fituation des coftes de l’vne & de l’autre mer, ne semble pas pouuoir souffrir vne si grande largeur à la Continente. Mais que chacun en iuge à fa volonté iufques à ce que cette controuerfe foit plus 20 clairement decidee. Par ainsi nous auons acheué la description de la Prouince Mediterranee de Tucumana , que nous auons expres differee iufques en ce lieu, afin qu’elle apportait quelque clarté à la Prouince que nous traitons maintenant, & par mesme moyen, demonstrast plus clairement la connection des Prouinces, & quelle expliquait plus à plein les chemins par lefquels on va de la mer du Nord dans les Prouinces du Peru. Maintenant nons retournerons à la Prouince de la Plata qui eft le fuiet de ce Liure. CHAP.

XIV.

Coste marine du Gouuernement de la Riuiere de la Plata, depuis le Cap Septentrionnal de sa grande emboucheure iusques au Brasil.

30

toute la coste de ce Gouuernement de la Plata, iufques au Brasil, n’a encore esté cognuë qu’en passant, de forte que plufieurs Autheurs de diuerfes nations en ont escrit des choies du tout diuerfes ; voila pourquoi puis que nous auons à choisir, nous auons estimé pour le mieux de ne rapporter ici que ce que Emanuël de Figueredo, Portugais, escrit en son routier, & Theodore Reuter de nostre nation, comme estans estimés auoir le plus exactement trauaillé en cet affaire. Eigueredo donc conte du Cap de S. Marie iufques au port de S. Pedro LXX lieuës, & ne fait mention d’aucuns lieux entre deux : mais Reuter conte de ce Cap iufques à vne autre pointe de terre,au deuant de laquelle il y a deux Isles, dix lieues : il appelle 40 l'vne de ces Isles Ilha des Castilhos, de la forme d’vne forterefie qu’elle reprefente de loin : & eft diftante de la ligne vers le Sud de XXXIV degrés & XL fcrupules, de l’Isle de Cafiilhos iufques à Mar-manso, XXVI lieuës ; de Mar-manso iufques à la grande riuiere, qui est la mesme que le port S. Pedro,autres XXVI lieuëstoute cette coste court prefque Nord-eft & Sud-oueft, & eft bordee ci & là de mottes de fable: de forte que le conte des deux differe feulement de huict lieuës. Cette riuiere Grande ou de S. Pedro, a vne eftroite emboucheure, mais elle s’eslargit au dedans, & monte vers le Nord-oueft, iufques dans la Prouince de ces Sauuages qu’on nomme vulgairement Patos, de maniere que cette riuiere eft à bon droit 50 contee entre les meilleures, plus profondes & plus commodes pour les nauires. Apres le port de S. Pedro ou Rio Grande,Figueredo met la riuiere de Tamarandahu ; & laisse l’interualle incertain, mais noftre Ruter y met dix lieues. Eigueredo conte de la riuiere de Tamarandahu iufques à Rio Iboipetinhi, XIV lieuës & demie; d’icelle iufques à Ararangua,dix,& cinq delà à la riuiere de Lagoa : mais nostre Reuter met XIV lieuës de Tamarandahu iufques à Ararangua; d’icelle à Lagoa,IX ; qui eft vne grande difference. Lagoa eft nommee par d’autres, port de Biaza, où ne

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REsQVE

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OCCIDENTALES. LIVRE XIV. 471 peuuent entrer que de petits nauires, du costé qu’il s’encline vers le Sud, il a vne petite Isle , communement nommee Reparo, au dessous de laquelle il y a vne bonne rade dans vn certain recoin de la baye. De Lagoa iulques a Vpaba, Figueredo conte huict lieues, mais Reuter n’en met que nx ; elle est aussi appellee des Espagnols Barra, de Ibuasup , & Rio de Vpaba; l’emboucheure n’en est gueres large, & n’a pas plus de lix piés de profond, toutesfois au dedans elle ell fort belle & assés estimee ; les Efpagnols veulent que les terres des Sauuages Patos y finissent. De Vpaba iusques à fille de S. Catherine, Figueredo conte dix lieuës, vis à vis de la10 quelle el Rio de Patos fort de la Continente , fur XXIX degrés de la ligne vers le Sud: mais Reuter ne met que vu lieuës entre Vpaba & Rio de Patos , à l’opposite du Cap du Sud de l’Ille de S. Catherine. Toute cette coste que nous auons courue iufques ici, est habitee de Sauuages Anthropophages, la plus grande partie desquels font bien ennemis mortels des Portugais; mais neantmoins les autres nations de l’Europe s’en doiuent donner garde; toutesfois ceux qui font maintenant fuiets aux Portugais font fur tous autres à craindre. Au relie on doit efuiter cette colle du mois de Mars iufques en Aoust, car c’est lors l’hiuer de ces pais ; & il y fait fort froid en ce temps, il y arriue de grandes tempestes, force grosses pluyes, & la mer ell estrangement agitee. En outre l'Isle de S. Catherine a de longueur du Sud au Nord enuiron huict lieues ; 20 au costé de l’Est d’icelle il n’y a point de rade commode, si ce n’est fous vne petite Ifle, qui est au Cap du Sud, dite Isla de Arboredo, pour ce qu’elle est couuerte de beaucoup d’arbres, fort commode pour les mariniers, pour l’abondance de bois & d’eau qui y est, car ces commodités fe tronuent rarement le long de cette colle. De plus cette Ifle de S. Catherine iusques à vne autre Ifle nommee Galen, il y a trois lieues; or à la Continente depuis le Cap de Mandiui vers le Sud, il y a vne certaine baye remplie de plusieurs lsles, laquelle ell appellee d’vn nom de Sauuages Toyugua : & ce Cap ell distant de la ligne XXVIII degrés & xv fcrupules vers le Sud. Du Cap de Mandiui ( selon Figueredo) quand on nauige le long de la colle vers le 30 Nord-ouest on rencontre vne baye, que les Portugais nomment Euseada de Garoupas, & plus outre la colle ell haute iulques à la riuiere appellee des Sauuages Taiahugh ; l’espace de six lieues. De la riuiere de Taiahugh iufques à celle de S. François, on conte XXVII lieuës : & au milieu de cet espace la riuiere de Tapuca fort de la Continente. Mais nostre Reuter conte du Cap de Mandiui iufques à la riuiere de Taiahugh feulement cinq lieuës, & la colle est estenduë en cet efpace entre le Sud-ouest & le Nordest. Et il escrit qu’au milieu de cet espace il y a dans la Terre ferme vne certaine grande baye dite Goroupas: & que la riuiere de Taiahugh ell fur les XXVIII degrés de la ligne vers le Sud. 40 Apres la riuiere de Taiahugh suit le long de la mesme colle celle de Tapuca, que ie ne trouue pas auoir iufques ici esté afles descouuerte par aucun. De Tapuca iulques à la riuiere de S. François nostre Reuter conte XII lieuës, entre Nord-ouell & le Sud-est: Or cette riuiere de S. François a deux emboucheures qui font larges de deux lieuës, & il y a trois Isles entre deux au Sud & au Nord desquelles les nauires entrent dans la riuiere : le canal du collé du Sud ell nommé Aracari,d’vn nom particulier des Sauuages, celui du Nord Bopitanga ; les nauires entrent fort rarement dans cette riuiere. De la riuiere de François iusques au lac nomme de Parnagua, il y a XII lieues selon Reuter ; ou selon Pigueredo xv : il ell fur la hauteur de xxv degrés & dix fcrupules, 50 ou comme Pigueredo remarque XL scrupules. Ce lac de Parnagua ell situé dans les montagnes de Pernapiacaba, & a de longueur le long la colle de la mer cinq ou six lieues ; il y a trois canaux en tout qui fortent d’icelui dans la mer ; desquels celui qui est le plus au Sud ell appelle des Sauuages Ibopupetuba & ell profond de six brasses en fon emboucheure, à enuiron vne lieuë au dedans de son emboucheure il y a vn anchrage fort commode: celui du milieu dillant de ceslui-ci d’vne ou de deux lieuës vers le Nord, ell appellé Baysaguasu profond en fon emboucheure d’enuiron cinq brafles ;


DESCRIPTION DES INDES troisieme qui eft diftant de celui du milieu d'enuiron vne lieuë & demie ou brades ; le deux lieues communes,est nommé Suparabu, & eft profond en son emboucheure d’enuiron six brades. Du lac de Parnagna ils content cinq ou six lieuës iufques à la riuiere d’Ararapira, ainsi nommee des Sauuages,qui a enuiron quatre brades de protond dans fon emboucheure. Cette region abonde en toute forte de viures & en excellents fruicts ; & il y a bonne commodité pour y prendre de l’eau. Les Sauuages sont grandement ennemis des Portugais, de forte que tous s’en doiuent garder, excepté ceux qui fe difent cftre ennemis des Efpagnols,car ils fauorisent de tout leur pouuoir à ceux-là. En cet endroit fort vne riuiere aupres de la pointe du Sud de l’Isle de Cananea, laquelle em- 10 plit vne certaine baye : or les nauires entrent le long de la pointe de la mesme Isle, qui regarde le Nord, dans cette riuiefe nommee des Sauuages Itacuatiara, où eft le principal anchrage de Cananea ; on tient qu’il y a cinq brades d’eau en fon emboucheure. Figueredo conte deux lieues & demie d’espace entre Ararapira & Itacuatiara, dont nous venons de parler,où les Portugais habitent maintenant. D'Itacuatiara iusques à la riuiere appellee des Sauuages Vguaa, il content dix lieues; on dit que cette riuiere eft profonde de cinq braftes dans fon emboucheure, de forte qu’on l’eftime fort commode pour de grands nauires. De la riuiere de Vguaa iufques à celle de Capiuario,il y a dix lieues selon Reuter, ou douze selon Figueredo, & la coste court Nord-est & Sud-oueft. Cette riuiere n’eft di- 20 ftante du Gouuernement de S. Vincent où le Brasil commence que de deux lieuës, & eft ouuerte à l’Est,n’ayant pas plus de trois braftes eh fon emboucheure. Figueredo nous apprend que les Portugais habitent maintenant sur la nue de cette Sennora de la Conception ; & que la riuiere, dans vne bourgade qu ils appellent racle eft appellee des Sauuages Itanhaen. Par ainsi nous auons acheué la cofte marine du Gouuernement de la P lata, qui s’estend par vn long efpace depuis l’emboucheure de cette grande riuiere ou depuis le Cap de S. Marie iufques aux Prouinces du Brasil,• en laquelle il ne fe prefente rien de memorable ; maintenant nous nous tournerons vers les plus cognuës, & commencerons la description de cette noble Prouince du Brafil,

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DESCRIPTION






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DESCRIPTION

DES INDES OCCIDENTALES, LIVRE

QVINZIEME.

BRASIL. CHAP.

I.

Limites du Brasil, premiere descouuerture d'icelui, qualités de son aïr & de sa terre.

Ous le nom du Brasil sont comprises de fort amples Prouinces dans la Continente de l’Amerique Australe, du costé qu’elle regarde le Soleil leuant, estenduës le long de la coste de la mer Atlantique : Or ses limites font designés diuersement par diuers Autheurs ; car les Espagnols ( & entre iceux Antoine Herrera Cosmographe du Roi d’Espagne) enferment sa longitude entre le vingt neufieme & le trente neufieme degré ; à conter les degrés de longitude du Meridien de Tolede vers l’Ouest ; & ce selon l’accord fait anciennement entre les Rois de Castille & de Portugal ; de forte que la ligne de separation estant conduite du Cap qu’ils nomment de Humos ( situé fur la mer du Nord à deux degrés de la hauteur du Pole Arctic ) par l’Isle de Buenabrigo ( fur vingt cinq degrés au Sud de la ligne,au deuant de la Continente ) coupe deux cents lieuës où elle est le plus large, du Continent de l'Amerique Meridionnale, & laisse les Prouinces du Brasil pour la portion du Roi de Portugal. Mais les Portugais estendent les limites d’icelui un peu plus au dedans du païs, descriuant cette ligne de separation par l'emboucheure de la riuiere de Marannon du costé du Nord ; & de celui du Sud par la grande emboucheure de la riuiere de la Plata. Recherchant les causes de ce different un peu de plus haut, ie trouue qu’Alexandre Pape de Rome, auoit assigné certaines limites au Rois de Castille, la Bulle de laquelle donation,comme ils l’appellent, estoittelle : Toutes les Isles & terres fermes, ” trouuees & à trouuer, descouuertes & a descouurir vers l' Occident & le Midy, fabri- " quant & construisant une ligne du Pole Arctic, ou Septentrion, iusques à l’Antarctic, ou Midy, soit que ces terres fermes ou Isles trouuees ou à trouuer soyent vers l’Inde ou ” Vers quelconque autre part; laquelle ligne est distante de chacune des Isles qui font " vulgairement appellees de los Azores & Cabo Verde, de cent lieuës vers l' Occident & le Midy. Par ainsi toutes lesdites Isles & terres fermes trouuees & à trouuer,descouuer-” & à descouurir vers l’Occident & Midy de la susdite ligne,qui n’ont point esté " 30 actuellement possedees par autre Roi ou Prince Chrestien,iusques au iour de la Natiuité de nostre Seigneur Iesus-Christ dernierpassé,duquel a commencé l’an present " mille quatre cents nonante trois, quand furent trouuees par vos Lieutenans & Capi- " taines quelques-unes desdites Isles,par l’auctorité de Dieu tout puissant à nous concedeeen S.Pierre & duVicairiat de Ies. Christ, que nous exerçons en terre, nous donnons, ” concedons, & assignons, auec tous leurs domaines, villes, chasteaux, lieux & villages, " Ooo droits


DESCRIPTION DES INDES droits & iurisdictions de toutes autres appartenances d’iceux, à vous (Rois de Castille de Leon) & à vos heritiers & successeurs à perpetuité par la teneur de ces presentes, &c. Mais comme le Roi de Portugal fe plaignoit,que cette donation eftoit faite à son preiudice,il fut accordé entre les deux Rois par le moyen de leurs Ambassadeurs, que cette ligne de feparation seroit reculee deux cents de feptante lieuës plus vers l'Occident des limites eftablies dans la Bulle du Pape, au delà de laquelle vers l'Occident toutes les Isles & la Continente appartiendroyentau Roi de Caftille, & vers l'Orient au Roi de Portugal ; tout le rond de la terre eftant par ce moyen egalement partagé entr’euXi il reftoit feulement que des Geographes experts,constituassent dans dix mois de certaines limites aux deux, selon ces accords de conuentions : mais tout fut coi iufques a 10 ce qu’une grande controuerfe de la possession des Ifles des Moluques née entre ces Rois, suadoit de refaire cette dimension exactement : cela, comme affirme Herrera, fut bien essayél’an cIoI O XXIV, mais ne fut point paracheué, pource que les principes & les dimensions des Geographes Caftillans de Portugais difteroyent fort entr’eux ; car les Portugais commençoyent leurs trois cents de feptante lieues vers l’Occident, de Hile de Sal ( qui eft la plus Orientale des Ifles du Cap Verd) estimans peu de chose de perdre autant de lieues dans la Continente de l'Amerique, pour les regaigner derechef vers l’Orient & enfermer les Moluques dans leurs limites : mais les Castillans au contraire les commençoyent de l’Isle de S. Antoine, qui est enuiron nonante lieues vers l’Occident. Ils ne s’accordoyent aussi pas mieux de la largeur du Continent de l’A- 20 merique Australe,entre Portoueyo fitué sur la mer du Sud, & le Cap de S. Augustin fur la mer du Nord,où elle est vulgairement estimee eftre plus large ; car les Efpagnols deffinissoyent cet espace de LI degré, & les Portugais de LV ; obeïssans les uns & les autres à l’affection de leurs Rois, les derniers afin d’enfermer les Moluques ntre les limites de leur Roi, de les autres pour les mettre hors des limites des Portugais. Quoi plus ? comme ils ne fe pouuoyent accorder enfemble ni tomber d’vn mesme aduis, ils fe feparerent, & les Portugais eftendirent la ligne de feparation parl’emboucheure de la riuiere deMarannond’uncofté , & parcelle de la riuiere de la Plata de l’autre : les Caftillans,par la mefme emboucheure d’vn cofté,mais par celle de la riuiere de S. Antoine de Organos, comme ils l’appellent, de l’autre: de forte que non feulement ils oftoyent aux 30 Portugais l’emboucheure de la riuiere de la Plata, mais auffi vne grande partie de la continente iufques à la baye de S. Vincent. Or ce different ayant efté differé par vn autre accord fait entre ces Rois,fut enfin du tout efteind par la deuolution des deux Royaumes à un mesme Roi. Ce que nous auons briefuement rapporté ici, pource que cela n’eft pas cognu au commun, & a esté escrit du tout autrement par quelques Autheurs. Au reste cette region, fi nous en croyons Herrera, a esté premierement descouuerte fous les aufpices des Rois Catholiques par Vincent Iannez Pinçon de peu apres par Diego de Lepe l’an cIo Io. Or Cabrai prefque au mefme temps eftant porté fortuitement vers icelle fous les aufpices du Roi de Portugal (car tirant auec vne flotte vers les Isles Orientales & ayant pris fort au large en mer pour esuiter la coste de 40 Guinee, il fut chassé par la violence des vents de des ondes à la Continente oppofee de l'Amerique Australe ) donna le nom à cette Prouince de S. Crux,• qui a efté du depuis changé en ce lui du Brasil,à caufe de l’abondance de bonté de ce bois rouge, maintenant cognu par toute l’Europe, qui eft prefque singulier à cette region. Or combien que cette region foit prefque autant diftante du Pole Antarctique que le Peru, de foit lauee pour la plus grande partie de la mer Atlantique ou du Nord, toutes fois elle est plus chaude & est outre mesure humide de fuiette à beaucoup de pluyes de de neiges, le Ciel y eft le plus fouuent nuageux de la terre eftant couuerte de bois & forefts espaisses, ne reçoit que difficilement les rayons du Soleil, d’où vient qu’elle eft eftimee par plusieurs mal saine & nourrit vne grande multitude d animaux 50 & insectes venimeux: D’autres au contraire, la renomment pour eftre vne contree belle sur toutes, & d’une temperature fort agreable de faine, à caufe des vents doux qui viennent de la mer (que les Anciens nommoyent Tropœos) lefquels dissipent de bonne heure les vapeurs du matin, rendent les iours serains, de temperent la chaleur La terre eft en partie eftendué en plaines, en partie doucement releuee encolines, & bien fouuent herissee en hautes de droites montagnes ; grasse au refte de fort 474

fertile


OCCIDENTALES.

LIVRE

XV.

475 fertile, & qui porte tant les fruicts estrangers que principalement les cannes de sucre ; du reuenu desquelles les Portugais font un grand profit : nous parlerons ci-apres des autres dons ou vices de cette terre, comme aussi de la bonté ou inclemence de son aïr, en la description des Prouinces particulieres : mais ie ne puis obmettre en ce lieu le iugement d’un nouueau Autheur Portugais, le Commentaire duquel a esté nouuellementimprimé en Angleterre en Anglois. Leclymat du Brasil ( dit-il) est presque temperé, l’aïr y est sain, de forte que les hommes y viuent nonante & par fois cent ans ; il n y a pas communement de rudes chaleurs ni n’y fait pas froid, le ciel y est clair, principalement de nuict ; mais les raids de 10 la Lune y font dangereux, il n y a presque point de crepuscule, car le Soleil s'y leue aussi tost que l’aurore ; la mesme raison est au soir. L’hiuer y commence en Mars & y fïnist en Aoust ; les iours & les nuicts y font presque egaux. Or la terre y est marescageuse à cause de la trop grande humidité, causee par les pluyes & par les riuieres qui se desbordent parfois ; car il y pleut souuent és mois d’hiuer il ; y a de grandes forests perpetuellement verdes ; la region est montagneuse, principalement ce qui est laué de la mer: depuis Pernambuco iusques au Gouuernement de Spiritu sancto , il s'y trouue fort peu de pierres,mais au dedans du païs il y a des montagnes entieres comme pauees de grandes pierres & cailloux. Elle est du tout deffournie de matiere pour faire des habits,si ce n'est de cotton que la terre porte, riche au reste en tout ce qui est requis à la 20 vie de l' homme. Voila ce qu’il en dit. Au iugement de cestui-ci s’accordent assés ceux de nostre païs, qui ont desia commencé à s’establir au Gouuernement de Pernambuco, car ils prisent la temperature de l' aïr, & ne se plaignent pas d’une chaleur immoderee, si ce n’est quelques peu d’heures du iour ; or aux mois de l'hiuer il y pleut fort souuent, mesme par ondees, & il s' y fait de fortes tempestes,principalement à la coste, mais nous parlerons de ces choses plus opportunement en son lieu.

CHAP.

II.

De la Religion, naturel & mœurs des Brasiliens en commun.

30

Es Sauuages Brasiliens n'ont presque nul sentiment de Religion, ni n’ont nulle cognoissance de l’origine ou creation du monde, ils racontent ie ne sçai quoi d’obscur & fabuleux du Deluge ; sçauoir que tous les hommes ayans esté consommés parles eaux, il n’en estoit resté qu’un auec fa sœur, en aage de porter enfans, & de ces deux leur race auoit pris son origine & accroissement. Et n’ont nulle cognoissance d’aucun Dieu,ni n’en adorent nul,d’où vient qu’il ne se trouue aucun nom. pour l’exprimer : fi ce n’est Tupa, par lequel mot ils denotent quelque souueraine excellence, d’où vient qu’ils appellent le tonnerre Tupa Canunga, c'est à dire, un son fait par la supreme excellence,l’esclair Tupa Beraba, du mot Aberab, qui signifie resplen40 dir ; auquel ils disent deuoir les instruments & la science de l’agriculture, par ce moyen le recognoissent pour quelque Dieu : ils ignorent aussi le Paradys & l’Enfer apres cette vie, combien qu’ils croyant que les ames demeurent apres leur separation d’auec le corps,& qu’elles sont par fois conuerties en demons, & quelles font transportees dans des champs arrosés & agreablement vestus de diuers arbres,où elles dancent continuellement. Ils craignent fort les Esprits malins, qu’ils nomment Curupira, T aguai, Machachera, Anhanga, Inrupari, Marangigoana : mais ces noms ont diuerses significations ; car Curupira, signifie le Demon des montagnes, Machachera, le Demon des chemins, Inrupari & Anhanga, le Diable simplement, Marangigoana, ne denote pas un Demon, mais l' ame 50 separee du corps,ou quelque autre chose prenotant la mort, car les Brasiliens ne le sçauent pas eux-mesmes exprimer, & neantmoins ils les craignent sur tout ; de forte que par fois ils meurent subitement par une imaginee & vaine peur d’iceux, toutesfois ils ne les seruent par aucunes ceremonies ou idoles : quelques-uns dentr'eux taschent quelques fois de les appaiser en plantant un pieu en terre & y mettant aupres quelques presents : ces Esprits apparoissent rarement visiblement entr’eux, combien que plusieurs ayent autrement escrit.

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Ils ont


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DESCRIPTION

DES

INDES

Ils ont des Enchanteurs ; desquels toutesfois ils ne se seruent gueres que de Medecins, & leurs sont fort suiets pour en recouurir leur santé : il se trouue aussi parfois entr’eux des garnements, qui combien qu’ils ne sçachent rien de la Magie, font toutesfois fort habitués à tromper ces pauures miserables, & par des tours & gestes non accoustumés du corps, se font admirer & par certains faux miracles se mettent en credit : ceux-ci persuadent à leur nation, quelquesfois à des Prouinces entieres qu’il ne faut plus rien semer du tout,& que le temps est venu,auquel la terre leur produira de foi mesme toutes choses, & que les belles sauuages viendront de leur gré se rendre à eux pour leur seruir de viande ; auec telles & semblables sottises ils abestissent tellement ces miserables, qui font communement assés lasches de nature, que negligeans la culture de 10 la terre, ils se trouuent insensiblement destitués de viures, & meurent de faim, tant que cet imposteur demeure seul, ou est tué de ses gens qui cognoissent fa tromperie. Au relie ils nomment un Magicien Page & Caraiba (que quelques-uns ont pris pour un Enchanteur) lignifie la puissance par laquelle se font les miracles,voila pourquoi ils ont nommé les Portugais, & les nomment encore auiourd’hui Caraiba, pource qu’ils faisoyent beaucoup de choses qui surpassoyent leur entendement. Ils prennent plusieurs femmes & les delaissent derechef pour legeres causes : mais les ieunes hommes ne se marient pas legerement, auant que d'auoir pris & tué quelqu’un de leurs ennemis : & les filles ne se communiquent pas aisement aux hommes auant l’aage de pouuoir engendrer: les uns & les autres s’abstiennent en ce temps de leur vin, 20 qu’ils font de racines de Maniot & de Mays, qu’ils nomment en leur langue Caguy; les mariages font confirmés par un lict pendant, fait de cotton en mode de ret bien net: le pere ou beau pere, apres que le mariage est acheué, coupe d’un caillou trenchant un pieu de bois,&s’imagine qu’il coupe par ce moyen les queues a les neueux qui naistront apres, & qu’ils naistront à cause de cela sans queues. Ie rapporte ces choses fur la foi d'un certain Religieux Portugais, qui les a depuis peu escrites. Ils mangent nuict & iour, & n’obseruent point d’heure en leurs repas, ni de mode en leur viure, quand ils ont abondance de viures, ils font bonne chere & se donnent du bon temps sans se soucier de l’aduenir, & en font des presents à leurs voisins & amis : ils se plaisent fort à estre estimé liberaux,& ne haïssent nul vice tant, ni n’en estimét aucun 30 plus ignominieux que l’auarice ; lors que les viures leurs manquent, il n’est point à croire comme ils endurent la faim & la soif. Ils usent indifferemment de chair & de poisson, & n’ont point d’horreur de manger des animaux sales, comme serpents, crapaulx, rats, vers &autres tels insectes ; ils mangent aussi de toutes sortes de fruicts, excepté de ceux que l’experience leur a appris estre dangereux & mortels ; ils ne bornent point en leur repas, mais apres icelui ils s'emplissent d’eau ou de boisson faite de diuers grains & fruicts, auec une telle auidité, qu’ils tombent souuent yures. Au iours de leurs telles ils continuent leurs boissons sans manger deux ou trois iours de long, & allans de porte en porte en chantant,ils inuitent leurs voisins à leurs yurogneries, où ils deuiennent aucunes fois tellement farouches auec leurs dances & boissons mistionnees, que des 40 paroles ils en viennentaux coups & aux combats,& se veautrent en adulteres & autres laies vices. Ils se seent à table sans se lauer les mains, & iettent, plustost qu'ils ne mettent, leur viande dans la bouche auec les premiers doigts. Ils se seruent de rets de cotton fort bien faits au lieu de licts, lesquels ils pendent à l’aïr ou fous leurs toicts entre deux pieux, allumant un feu aupres, remede contre les vapeurs mauuaises qui s’esleuent de la terre. Ils vont tout nuds autant les hommes que les femmes, sans aucune honte, excepte ceux qui frequentent auec les Portugais : & ils se frotent le corps de diuerses couleurs & teinctures, principalement d’un suc d’une certaine herbe, auec quoi ils se font noirs , y traçant par dessus diuers lineaments de blanc, & imitent mesme la forme des habits. 50 Us font des diademes, des couronnes, des colliers, des brasselets & autres ornements de corps, de plumes d’oiseaux fort gentiment, en quoi ils se plaisent fort. Ils nourrissent feulement les cheueux & arrachent du tout le poil qui vient ailleurs: les hommes se tondent diuersement, parfois en couronne, & parfois en autre mode ; &auec tant de varieté, que les nations se distinguent par la forme de leur tonsures ; mais les femmes portent les cheueux lόgs, si ce n’est quand elles font en dueil, ouquand leurs maris sont en voyage,



DESCRIPTION DES INDES vont presque tousiours ensemble dehors, & s’il faut aller aux champs, l'homme va deuant & la femme le fuit, afin que fi quelque beste sauvage ou quelque ennemi se recontroit, cependant que l’homme se defend,la femme aye le temps pour se retirer au logis ; que s’ils viennent du champ à la maison, la femme va deuant, afin que fi quelque mal suruenoit elle peust plus aisement s’enfuir à la maison : voila quant à ceux qui demeurent aux champs: mais dans les villes & bourgades, ils font tousiours marcher leurs femmes deuant, car estans fort ialoux ils estiment que par ce moyen ils pourront plus aisement prendre garde à leurs actions. Ils font immoderés à mener dueil de leurs morts ; car ils se tourmentent fort & se 10 iettent contre terre, & crient toutes les nuicts, & le iour ils pleurent & se lamentent, & ce un mois de long ; alors les hommes se rasent les cheueux, & les femmes se marquent de lignes noires, & enfin ils finissent leur dueil par une boisson publique. Au reste combien qu'ils soyent melancholiques de nature, ils ont toutes fois diuers ieux, à quoi ils se delectent ordinairement, estans ainsi instruicts dés leur enfance: ils se plaisent outre mesure aux chansons & aux dances : & ont leur façon de chanter, & leurs instruments, qui rendent un son rance & mal ordonné. Leurs armes font des massuës de bois, l’arc & les fleches : ils font fort proprement leurs massuës & leurs arcs d’un bois fort dur ; leurs fleches de roseaux ; qu’ils munissent au bout de dents de bestes sauvages, d’os ou de morceaux de dur bois, de forte qu’il 20 n’est presque point à croire, comme ils en trauersent des cuirasses & des rondaches de cuïr, & en fendent des pieux assés gros : car ils font rudes archers & fort experts, comme y estant accoustumés dés leur ieunesse. Et pour dire en un mot (car nous ne dirons rien en ce lieu de leurs mœurs cruelles, à tuer & manger leurs prisonniers, pource que d’autres & notamment Iean de Lery en ont traité prolixement) ces Sauvages voyent & oyent fort clair: voyagent volontiers; ils se conduisent en leurs voyages selon le cours du Soleil, à quoi ils se trompent fort rarement: ils font bons pescheurs, habiles nageurs aussi bien dans la mer comme és riuieres : ils vsent fort souvent de Tabac, ie dirois qu’ils en abusent, n’estoit que plusieurs Europeans ne les imitent pas feulement en ce vice, mais mesmes plusieurs les surpassent. Voila ce qui est commun presque à toutes les nations, qui habitent cette 30 partie de Continente : maintenant nous poursuivrons de parler des diuers peuples, & de ce qui leur est particulier.

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CHAP.

III.

Diuerses nations du Brasil, & leur naturel & mœurs, selon les Commentaires des nouueaux Autheurs Portugais.

E s nations qui habitent la Continente du Brasil, sont pour la pluspart differents de langage : toutesfois ils en ont un commun entr’eux, duquel se seruent ordinairement dix nations d’iceux, qui demeurent proche du riuage de la mer 40 & mesme au dedans du pais: presque tous les Portugais l’entendent, car il est aisé, copieux & assés agreable : Or les enfans des Portugais nés ou esleués de ieunesse dans ces Prouinces, le sçauent comme le leur propre, principalement dans le Gouvernement de S. Vincent : par le moyen de cette langue les Peres de la Societé ont aussi coustume de traicter auec ces nations, car ces Sauvages font les plus humains & familiers de tous, & ont de long temps paix & amitié auec les Portugais : de forte que par leur moyen & armes, ils ont en partie subiuguees les autres nations du Brasil, & les ont rendues tributaires, ou les ont du tout destruictes, ou contrainct de quiter leurs maisons & de s’enfuir au dedans du païs. Mais nous poursuivrons à traicter de ces peu50 ples par le menu. de Les premiers entr’eux font sans contredit les Petiguares, qui habitent aupres Paraiba, à enuiron xxx lieues de Pernambuco, & ont le meilleur bois de Brasil en leur quartier ; ceux-ci édit cet Autheur) ont esté long temps amis des François, & estoyent alliés avec eux-mesmes par mariages,iusques à l’an cIo Io LXXXIV , auquel temps Paraiba fut pris par Diego Flores, fous les auspices du Roi d’Espagne, & les François en furent chassés, les Espagnols mirent cent hommes en garnison dans la forteresse,

L

sans


OCCIDENTALES. LIVRE XV. 479 sans les Portugais qui y arriverent, lesquels ayans entr’eux formé une compagnie sous la conduite de Fructuoso Barbosa, lequel y estoit venu en grande diligence par terre avec ceux de Pernambuco, & auoit esté la principale cause de la victoire. La plus grande partie dentr’eux à encore pour le iourd’hui en horreur les Portugais, & avec peu de peine pourroit estre incitee à leur courir fus, comme ceux de nostre nation és annees precedentes ont experimenté. Proche de ceux-ci demeuroyent ceux qu’on nommoit vulgairement Viatan, qui estoit anciennement une nation populeuse ; mais elle est maintenant entierement destruicte, car pource qu’ils estoyent amis & alliés des Petiguares, les Portugais ayans 10 resolu de les avoir par tromperie; les destinerent pour estre mangés des antres Sauuages, & pour cet effectayans excité des inimitiés entr’eux secettement, ils esmeurent les voisins les uns contre les autres, & comme ils estoyent pressés de faim & de disette, ils les reduisirent en seruitude, & les ayans embarqués dans des nauires, les vendirent pour esclaues en d’autres terres loin delà; enfin un certain Prestre Portugais , qui estoit Magicien, comme on croit, ayant par diuers enchantements abesti le reste, les mena à Pernambuco en miserable seruitude, où ils font morts peu à peu. Depuis la riviere vulgairement nommee (Rio Real) iusques aux confins du Gouvernement de los Ilheos habitent les Tupinambas, discordans entr’eux-mesmes : car ceux 20 qui habitent autour de la baye de Iodos los Sanctos, ont guerre continuelle avec ceux qui font d’aupres de Camanu & Intrare. Les Caetas autre nation de Sauvages, habitoyent sur les rivages du fleuve de S. François , font ennemis mortels de ceux qui habitent és enuirons de Pernambuco. Depuis le Gouvernement de los Ilheos iusques à celui de Spiritu sancto habitent les Tupinaquins, qui font venus demeurer y a ia long temps le long de ces costes marines des limites de Pernambuco, ils estoyent grandement multipliés, mais iis font maintenant reduicts a fort petit nombre : ils estoyent anciennement les plus irreligeux de tous les Sauvages & les plus obstinés en leurs erreurs,fort desireux de vengeance & addonnés fur tous à la polygamie ; aujourd’hui on dit que plusieurs dentr’eux ont embrassé 30 la Religion Chrestienne & y perseuerent. Les Tupiguas alliés des precedents possedent le dedans du païs, depuis le Gouvernement de S. Vinçent iusques à Pernambuco, c’estoit anciennement une nation puissante, mais maintenant beaucoup diminuee par la cruauté des Portugais, qui les enleuent pour s’en servir d’esclaves, ou les contraignent à s’enfuir. Proche de ceux-ci habitent les Apiapitanges & les Mariapigtanges ; comme aussi les Guaracayos ou Itatos, fort ennemis des Tupinaquins. Les Temimines ont leurs demeures aupres de la ville de Spiritu sancto & ennemis des Tupinaquins, mais il y en a peu de reste aujourd’hui. Les Tamuies habitoyent aupres de Rio Iennero, & furent presque tous exterminés des 40 Portugais, apres qu’ils s’y furent habitués, de forte qu’il y en a peu de reste ; qui demeurent maintenant au dedans du païs & s’appellent Ararapas. Il y a une autre nation, à presque LXXX lieues du Gouvernement de S. Vincent vers le Sud,qui occupe tant le dedans du pais que les bords de la mer, iuques a l' emboucheure de la grande riviere de la P lata, presque en nombre infini (il y en a d’autres qui escriuent qu’ils s’appellent Carios) & font ennemis mortels des Tupinaquins. Or combien que ses nations soyent discordantes entre elles, neantmoins on en espere en bref la conversion, car ils estiment fort les Peres de la Societé de Iesus (dit cet Autheur Portugais) principalement ceux du dedans du païs, qui attendent avec granddesir leur venue, & les nomment Abares & Padres : mais l’impieté des Portu50 gais est fi grande, que se tondans & s’habillans en Iesuites, ils contrefont souuent ces Pères, & tuent ainsi ces pauvres miserables apres les avoir trompés,& environnent comme d’un ret leurs femmes, enfans, & eux-mesmes, & les ayans amenés proche de la mer, les marquent de fers chauds, les partagent entr’eux, & les emmenent pour esclaves : d’où vient que le credit des Peres dechoit fort entre les Sauvages & la conversion d’iceux en est de iour en iour retardee. Il y a en outre d’autres nations, qui s’accordent mal avec les precedentes, ni mesme fort


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DESCRIPTION

DES

INDES

fort bien entre elles, appellees d’un nom commun Tapuyas : quelques-uns dentr'eux se nomment d’un nom propre Guaymures ; voisins des Tupinaquins, qui estans à enuiron huict lieues de la mer, occupent au dedans du païs tant de terre qu’ils veulent : ils font de grande stature, ont la peau dure, endurcis au labeur, hardis & outre mesure legers, ils ont les cheuveux noirs & longs; & n’ont ni villages ni bourgades, mais ils vaguent sans certaines demeures ; ils font fort gourmands de chair d’homme,& ruinent & gastent tout partout où ils arrivent. Ils ne cultiuent point de champs, mais font accoustumés à vivre de rapine & à manger le Manioc tout crud ; ils ont des arcs grands & fort rudes, des massuës de pierre, avec lesquelles ils cassent la telle à leurs ennemis,or ils les surprennent le plus souvent à la despourueuë, & sont non seulement redoutés des 10 Sauvages, mais aussi des Portugais, à cause de leur grande cruauté. Or outre ceux-ci habitent au dedans du païs dans les campagnes de Caatingas, proche de Rio Grande & des limites du Gouvernement de Porto Seguro, certains Sauvages de la nation des Tapuias,nommés d’un nom particulier Tucanucos. Les Nacios demeurent au dedans de la Continente proche des Aquitigpen. Par apres habitent les Oquigtaiubas & Pahos,qui se couvrent le corps d’une robbe d’un ret de cotton fans manches, faites comme un sac, ils ont un langage different des autres. Puis apres les Aros & les Aquitigpas leurs voisins ; & les Laratios,nation populeuse, & qui a un langage particulier,comme aussi les Mandeiuos, Macutuos & les Napareques, 20 qui cultivent les champs. En outre les Cuxaras & les Nuhinuos occupent la plaine au dedans du païs. Or les Guayauas cultivent la contree voisine de la baye de todos los Santtos & ont un langage particulier : & presque au quartier les Taicuiuios, qui demeurent fous des toicts & dans des cabanes : & les Coriuios : ces trois nations font amies des Portugais. Les Pigruuos ont aussi des demeures asseurees : & les Obacatiaras tiennent les Isles dans la riviere de S. François ; ils usent de dards & d’arcs ; font robustes de corps ; mangent la chair humaine & ont un langage particulier; quand ils sont surpris de leurs ennemis,ils gaignent l’eau, & s' eschappent en plongeant, à quoi ils font fort experts. Apres suivent les Anhelimos, Aracuitos ; & les Caiuiaros, qui demeurent dans des ca- 30 vernes fous terre, comme aussi les Guianaguacos. En outre les Canuruiaras ausquels les mamelles pendent jusques aux cuisses, de forte qu’ils font contraints de s’en ceindre quand ils veulent courir. Les Iobioras Apuayaras, qui combatent avec des perches bruslees au bout, d’où ils ont esté nommés. Les Cumpehas, presque seuls en cet ord troupeau d’Anthropopages, qui ne mangent point de chair humaine,mais ils se contentent de couper la telle à leurs ennemis, & de les promener en trophee,ils vaguent à la façon des Nomades. Les Guayos ont des cabanes & usent de fleches enuenimees. Les Cicuos, Pahaiuos, Iaicuiuo, Tupyoys, Macaraguacos, Iacaruuy, Tapecuuy, Anacuy, Pi- 40 racuy, Taraguaigos, Pahacuui, Parapotos, Caraembas, Caracuiuy, Maimimy associés des Guaymuros & pour la plus grande part confederés ensemble, combien qu’ils different de langage : les Aturaros,Cuigtaios & les Guipas,qui ont habité autresfois proche de Porto Seguro : les Guigrauibas, & les Augararos, qui habitent proche de la coste de la mer» entre Porto Seguro & le Gouvernement de Spiritu fancto. Les Amixocoros & les Caraias se tiennent au dedans du païs, aupres du Gouvernement de S. Vincent,venus là des quatiers du Nord-est : les Apetupas aupres des Aquitigpen : les Caraguatayras, Aquigiras, Tapiguyros, sont bas de corps,mais bien ramassés & robustes ( les Portugais les nomment Pygmeos) les Quinciguigos ; les uirigos, qui font 50 bons Caualiers ; les Guaieras & Anaguigos. & sancto Les Guaitacas se tiennent aupres de la mer entre le Gouvernement de Spiritu vont Rio de Iennero, ils se plaisent fort aux campagnes & fuyent les bois, au matin ils s’en dans leurs grains comme les belles aux pasturages, & ne se retirent au logis que pour y dormir,&sont si vides & legers qu’ils attrapent les bestes sauvages à la course, en. Les Igbigranupanos alliés aussi des Guaymuros & qui leurs aident le plus souvent leurs entreprises, ils font un grand bruit avec des paux qu’ils frotent l’un contre l'autre. Les


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Les Quiriguias autresfois Seigneurs de la baye de todos Sanctos (d’où vient qu’il estiot appelle Quirimure) furent chassés de leurs païs par les Tupinabes, & se retirerent plus vers le Sud. Les Maribucos font aupres de Rio Grande : les Cataguas aupres les Iequeriquaren, entre les Gouvernements de Porto Seguro & de Spiritusancto. Les Tapuxenquos, & Amacaxos au dedans du pais vers S.Vincent,ils font ennemis des Tupinaquins, les Noneas, Apuy , Panaguiros, Bigrorgy, Piriuios, Annaciugos, & les Guaracatiuos. Voila presque toutes les nations des Tapuias, septante six en tout ; plusieurs desquelles ont un langage different; ce font peuples Sauvages & indomptés, qui ont guerre 10 continuelle avec ceux de la coste de la mer, quelques-uns exceptés, qui se tiennent au es des riuages de la riviere de S. François; ou qui font proches des Colonies des Po ais, car ceux-là recherchent l’amitié des Portugais & les reçoiuent en leurs maisons, quand ils voyagent par leurs contrees ; & mesmes plusieurs dentr’eux ayans appris ", langue de la coste, ont commencé d’embrasser la foi Chrestienne : car fans la cognoissance de cette langue, il seroitpresque impossible d’instruire les Tapuias, tant il y a entr’eux une grande diversité de langage & de barbarie. Voila ce qu’en dit cet Autheur Portugais imprimé en Anglois, qu’on estime estre quelqu’un de la Societé. CHAP. IV. 20

Diuerses nations du Brasil, selon la relation de Antoine Kniuet Anglois, qui a long temps couru ci & là dans le Brasil.

E s Petiuares ne font pas fi cruels & inhumains que les autres Sauvages de ces L Prouinces , car ils conversent assés humainement avec les Estrangers : mais ils font bons guerriers. Ils font de moyenne stature, & se marquent tout le corps de certaines marques, se percent les leures avec des cornes de cheures, dans lesquels trous ils mettent quand ils font grands de petites pierres verdes, ce qui leur semble beau fur toutes choses, car ils estiment les autres pour rustiques. Ils n’ont nulle Religion ; prennent autant de femmes qu’ils en veulent ou peuvent nourrir : & il n’est pas permis aux femmes d’avoir plus d’un mari, fi ce n’est que le mari le leur permette pu30 pliquement, car lors elles peuvent eslire celui qu’elles desirent. Quand ils vont à la guerre les femmes portent leurs viures sur le dos dans des corbeilles: ils ignorent du tout l’usage des habits : & vivent de racines ou d’oiseaux ou de venaison. Le mari quand il est revenu de la chasse, il fait present à une de ses femmes de sa prise, qui est un indice qu’il veut avoir son accointance ce iour là : elle apres s’estre lauee tout le corps, occupe le lict pendant, & les autres la servent. Apres que les femmes font grosses, les maris ne tuent aucune beste femelle, de peur que le fruict de leurs femmes ne meure par ce moyen. Or quand les femmes font accouchees, les maris se couchent au lict, & font salüés courtoisement de tous leurs voisins, & font traictés des femmes soigneusement & largement. Quand ils voyagent par les lieux deserts, ils portent avec eux une grande 40 quantité de Tabac & tiennent les fueilles d’icelui entre les leures & les genciues, de sorte que la saliue sort abondamment par ce trou qu’ils ont dans la leure. Ils font Anthropophages, & tuent cruellement leurs prisonniers & les mangent inhumainement : ils ont leurs villages fort peuplés, & ont chacun leurs champs separés, qu’ils cultivent soigneusement. Ces Sauvages possedent une spacieuse contree au costé du Nord du Brasil : mais il en faudra parier encore ailleurs. Sur le bord de la mer du Nord entre Pernambuco & la baye de tous les Saincts, habitent premierement les Mariquites , de la race des Tapuias, nation vagabonde: les hommes & les femmes (qui n’y sont pas trop laides) sçauent egalement combatre ; ils vaguent à la façon des belles sauvages parles forests & solitudes, ennemis de tous, si ce 50 n’est qu’on dit qu’ils ont du depuis fait la paix avec les Portugais, ils attaquent rarement leurs ennemis en guerre ouverte, mais ils les surprennent & les accablent à la despourueuë ; ils font fort vistes & legers à fuir & poursuivre : de mesme corpulence que les Petiguares, fi ce n’est qu’ils ne se marquent pas le corps, & font aussi inhumains à tuer & manger leurs prisonniers : ils s’estendent iusques à la riviere de S. François. Depuis cette riviere iusques à la baye de tous les Saincts, habitent les Topinambazes, du tout semblables en mœurs & habitude de corps aux Petiuares (si ce n’est qu on estime Ppp

leurs


DESCRIPTION DES INDES leurs femmes plus belles ) & ont le mesme langage , ils font toutesfois differents des autres Sauvages en ce qu'ils portent barbe. De cette baye iusques aux Isles,comme ils les appellent, habitent les VVaymores ou les Guaymures,desquels nous avons parlé au Chap. precedent. Dans le Gouvernement de Spiritu sancto, se tiennent les Tomomymes, nation farouche & cruelle : ie fuis souvent allé ( dit Kniuet) en guerre contre eux avec les Portugais, pour prendre leur bourgade nommee Morogegen. Car ils ont plusieurs bourgades dans les Isles de la riviere de Paraeiua, environnees de grandes pierres, plantees en façon de paux, & munies par derriere d’un rempart de terre ou de pierres. Les maisons font couvertes d’escorces d’arbres, & les parois font de pieux ou de cannes 10 trelissees & fort proprement faites , de forte qu’ils peuvent tirer leurs fleches entre deux. Il y avoit en nostre armee cinq cents Portugais, & trois mille Sauvages alliés, quand nous assiegeasmes Morogegen , & toutes fois ces Sauvages faisoyent des sorties fi furieuses fur nous,que nous fusmes contraints de nous retrencher , & d’enuoyer querir du secours à la ville de Spiritu sancto. Iceux se tenans fur leur rempart, ornés de plumes & teincts le corps de rouge, nous assailloyent tous les iours & allumans une certaine petite roue ornee de plumes, la roüant autour de leurs testes, ils crioyent Cobaeyabe o po monhabiné, c’est à dire, nous vous consommerons en cette façon. Mais quand nostre secours fut venu, ils commencerent à s’escouler peu a peu de la bourgade, ce qu’aperceuant les nostres, se couurans de clayes faites de longues cannes 20 ( que les Portugais appellent Pannesses) ils approcherent du rempart,& y firent bresche non fans grand danger, & apres avoir perdu beaucoup de nos gens, ils entrerent de furie dans la ville: où il y eut presque seize mille des ennemis tant tués que prisonniers, qui furent partagés entre les Portugais : par apres on prit quelques autres petites bourgades, où ayant tué les vieillards & les foibles, les autres furent pris pour esclaves en la mesme façon.Enfin (dit-il) apres avoir gasté leur contree sept iours durant, nous descendismes le long de la riviere de Paraeina,iusques à la ville nommee Morou, & delà ayant passé la montagne (que les Sauvages appellent Parapiaquena, de la mer qu’on voit d’icelle )nous arriuasmes à Tupan Boyera (que les Portugais nomment Organa, qui font des montagnes esleuees sur la riviere delennero) & delà nous descendismes 30 du long de la riviere Macuin,iusques à la ville de S. Sebastien, où l’armee fut congediee. Les VVaytaquases habitent au deçà & delà du Cap nommé des Portugais Capo frio & des Sauvages Iocoex, dans des lieux humides & marescageux, ils font beaucoup plus grands que les Guaymuros, & portent de longs cheveux ; les femmes combatent aussi bien que les hommes ; leurs maisons font petites & balles : ils n’ont paix avec nulle autre nation,& font egalement ennemis de tous, & mesmes cruels à leurs voisins. Les VVaynasses tiennent l'Isle Grande, comme on la nomme, situee à environ dix huict lieues de l’emboucheure de la riviere de Iennero vers le Sud ; ils font petits, ont un gros ventre, les piés plats, & font peureux & coüards : leurs femmes font belles de face, fort difformes quant au reste, ils se peignent tout le corps d’une certaine couleur 40 rouge, qui se fait d’un fruict nommé Vruca, ressemblant à une febue. Ils nourrissent leur cheueleure aussi bien les homes que les femmes,qu’ils tondent toutefois furie sommet de la teste à la façon des Cordeliers. Leur principale bourgade est appellee Ia Waripipo. Les Topinaques, habitans du Gouvernemeut de S. Vincent, different peu des autres Sauvages tant en naturel qu’en mœurs ; les femmes se peignent le corps de diverses couleurs, afin d’en estre plus belles. Ils massacrent leurs prisonniers avec grand appareil» car ils se peignent le corps du suc d’un certain fruict,qu’ils nomment Iampauo,s ornent la telle de couronnes de plumes & branlent de leurs mains leurs courges pleines de pierrettes ; enfin ils font des dances trois iours entiers avant que venir à ce massacre. 50 Les Pories se tiennent loin au dedans du païs, à presque cent lieuës de la mer, ils font semblables aux VVaynasses ; & sont de petite stature : ils vivent de pinons de pommes de pin & de cocos, qui sont de la grosseur des pommes, d’une escorce fort dure, ils les nomment en leur langage Eryres. Ils se plaisent à estre vestus, & les femmes se peignent la peau de diverses couleurs,de rouge,de bleu & de iaune : ils ont paix avec les Portugais, & n’ont pas aussi volontiers guerre contre les autres ; ni ne mangent point de chair humaine, s’ils ont autre viande : ils tissent leurs licts pendans d’escorces d’arbres ; Ils se defendent

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483 OCCIDENTALES. LIVRE XV. defendent de la pluye & des autres iniures de l'aïr, avec des branches d’arbres entrelacees ensemble & couvertes par dessus de fueilles de palmites, fans cognoistre d’autres maisons. Il se trouve dans leur contree force leopards, qu’ils nomment Iawarile, des lions aussi qu’ils appellent Iawarosou ; & des chats sauvages, nommés en leur langage Macahayte : leur rich esse est de l’huile de baulme, dont ils donnent grande abondance pour un couteau ou un peigne. Les Molopaques occupent une region spacieuse au delà de la riviere de Paraeiua, ils font aussi grands de corps que les Allemands,portent barbe,ce que les autres n’ont pas coustume de faire. Ils couvrent aussi leurs parties honteuses, & sont de mœurs assés 10 honnestes. Ils munissent leurs bourgades de remparts, qu’ils font de poultres de bois entrauees ensemble, avec des gasons au derriere : chacune famille à fa maison à part. Ils obeïssent a un qui est comme leur Roi, qu’ils nomment Moroshoua, qui n’est pas beaucoup different des autres en culture de corps, mais il nourrit plus de femmes que ses subiets. Il se trouve entr eux beaucoup d’or, duquel ils ne font pas grand conte, ni ne s en servent gueres, excepté qu’ils le mettent à leurs lignes pour pescher, lors qu’ils peschent dans la riviere de Para, qui est abondante en fort bon poisson ; elle est distante de celle de Paraeiua de LXXX lieuës : Or ils ne tirent point cet or de terre, ni ne minent point pour le trouver, mais ils en assemblent les grains qui se trouvent ci & là quand il a beaucoup pleu : ces metaux se trouvent ordinairement dans les montagnes 20 descouvertes d’arbres,& couvertes d’une terre noire & seiche, les Sauvages l’appellent Taiaquara : Or ces Molopaques nomment les montagnes où ils amassent ces grains d'or Eteperange: c'est une nation fort heureuse si elle avoit la cognoissance du vrai Dieu : car leurs femmes sont belles, & bien rasises, qu’on voit rarement rire,&ingenieuses ; elles portent les cheueux longs iusques aux cuisses, qu’elles ont semblables à ceux des femmes de par deçà, iaunes, blonds & chastain &c. avec lesquels elles couvrent leurs nudités, estimans cela beau fur toutes choses : celles qui ont les cheueux courts, couurent leurs parties honteuses d’un petite peau, qu’elles nomment Sawayathwasou. Ils ont des heures assignees pour prendre leurs repas,sçauoir à midy & au soir ; & font fort nets, enfin ils font si ciuils qu’ils ne sembleroyent pas estre Sauvages, s’ils ne mangeoy ent 30 point de chair humaine. Les Motayes voisins de ceux-ci, sont de petite stature, de couleur brune ; & vont tous nuds ; ils portent leurs cheueux un peu au dessous des oreilles autant les femmes que les hommes ; & quand ils font devenus plus longs,ils les sçauent si proprement brusler tout autour, que s’ils auoyent esté tondus : ils arrachent le poil és autres parties du corps de telle forte, qu’ils n’en lailfent pas mesmes aux sourcils. Ils vivent de Mays, de racines, de raines, de couleuures, de serpents, de crocodilles, de singes, & enfin de chiens & de chats sauvages. Ie croi aussi qu’ils font mangeurs d’hommes. Les Lopos habitent aupres des precedents, les Portugais les appellent Bilreros ; ils le tiennent dans les montagnes, où ils vivent de pinons de pines : cette contree abonde 40 autant en metaux & pierres precieuses, qu’aucune autre de cette Amerique, mais elle est si esloignee de la mer, & est si peuplee, qu’on y peut difficilement aller: au reste ils sont de petite stature, de couleur brune autant les femmes que les hommes, rudes & de mœurs inciuils,enfin plus semblables à des belles sauvages qu a des hommes. Il y en a qui nient que les Lopos soyent appelles des Portugais Bilreros,mais qu’ils nomment ainsi les Ybiraïaras, de fort grande stature, & que la Prouince de Lopos n’a ni or ni pierreries. Delà on passe aux VVayanawasones, hommes rustaux & simples ; toutesfois ils font bien composés de membres & beaux de face,mais ils font si paresseux, qu’ils ronflent tout le long du iour dans leurs cabanes, cependant que les femmes leurs vont chercher des pepons & des racines pour manger. Cet Autheur raconte qu’il s’y trouve un certain, 50 fruict, que les Sauvages nomment Madiopera, fort semblable à une prune, de couleur iaune dore , le noyau est au dedans aussi doux qu’une amende, mais d’une qualité fi venimeuse, que si quelqu’un en mange un peu largement, il lui faut de necessité mourir aussi tost ; ce qui a esté esprouvé par la mort de seize de ses compagnons, & par l’extreme danger des autres. Cet Autheur escrit encore de plusieurs autres nations, mais il fait le chemin si long pour y aller,qu’il n’y a point de doute qu elles ne soyent hors des limites du Brasil, & ie ne sçai pas mesme à qu’elle Prouince on les doit rapporter. Ppp 2 Voila


DESCRIPTION DES INDES Voila ce que nous auions à traiter touchant les divers naturels des habitans duBrasil selon ces deux Autheurs, defquels il nous faudra encore parler dauantage, quand nous ferons paruenus à la defcription des Prouinces particulieres.

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CHAP.

V.

Bestes à quatre piés du Brasil, selon vn Autheur Portugais, Iean de Lery & Theuet.

E s Sauuages appellent les cerfs en leur langage Cuacu, defquels ils s’en trou10 ue d’aussi grands que des cheuaux,qui ont le bois grand 6c branchu, mais ils regnent feulement aupres de la riuiere de S. François, & dans le Gouvernement de S. Vinçent. Or les Carioes les nomment Cuacuapara & font grande estime de cet animal ; car ils munissent leurs fleches de leurs cornes, & en font de certaines boules defquelles ils mettent par terre les beftes fauuages & les hommes mesmes : les autres font vn peu plus petits, dont ils content trois ou quatre especes, qui vaguent par troupes, en partie dans les forefts & en partie dans les campagnes. De Lery fait mention d’vne certaine efpece de cerfs, que les Sauuages nomment Seouassu, il deuoit dire Cuacu, dissemblables à ceux de noftre pais, en ce qu’ils ont les cornes plus petites, & ont le poil qui approche plus de celui des cheures. Cet Autheur Portugais efcrit que les Sauuages nomment les Elants Tapyrete, 20 Lery Tapiroussou & Theuet Tapihire; ils font assés femblables aux mulets, ont vn long museau, qu’ils retirent & alongent, font fans cornes, ont les oreilles longues & pendantes , le col court, vne courte queuë, les oreilles deliees, les ongles durs & folides, 6c la chair approche prefque de celle de bœuf. C eft vn animal qui nage 6c plonge fort bien, qui gaigne aussi toft le fond, 6c quand il,a nagé fort loin fous l’eau, il fourd derechef : il y en a grande quantité en ces Prouinces, de forte que les Sauuages couurent leurs boucliers de la peau d’iceux ou l’estendanten rond & la seichant au Soleil en font des rondaches. Il y a aussi vn grand nombre de sangliers, qui ont le nombril fur le dos,duquel fort vne odeur fort mauuaife, femblable à celle des renards, d’où vient que les chiens les 30 trouvent 6c les prennent aussi tost ; les Sauuages tiennent leur chair entre leurs delices. Il y en a auffi de plus grands, mais ils font plus rares, qu’ils nomment Tayacuti-ricas comme qui diroit sangliers qui craquent des dents, dequoi ils efpouuantent les autres beftes fauuages. Il semble que de Lery appelle cet animal Taiassou. Il s y en trouue encore d’autres que les Sauuages appellent Taiacuguitas, c’est à dire, fangliers demeurans ou arrestés, pource qu’estans eschauffés ils courent apres les hommes 6c les chiens, 6c s’ils les attrapent, ils les dechirent, ils font fl furieux 6c terribles, que les Sauuages font contraints de fe fauuer dans les arbres, au pié defquels ces animaux les attendent par fois des iours entiers ; mais les Sauuages appris de cela, ont coustume de 40 porter auec eux leur arc 6c leurs fleches, auec quoi ils les tuent du haut de l'arbre. Les Acutis ou Agoutis, comme de Lery efcrit, font fort femblables aux connils de l’Europe, de couleur iaunaftre ; c’eft au refte vn animal domestique, accouftumé d’aller quester sa vie dehors & de retourner derechef à la maison, il deuore fort auidement fa pafture la tenant des ongles de deuant, 6c quand il eft rempli, il ferre foigneufement le refte : il s’en trouue de diuerfes efpeces toutes bonnes à manger. Les Pacas font femblables aux petits pourceaux de deux mois, desquels il s’en trouue grande quantité, leur chair toutesfois fe cuist difficilement ; il y en a de blancs comme neige, qui se trouuent principalement aupres des rivages de la riuiere de S. François, rarement ailleurs. Le Pag ou P agite ( car on ne peut point du tout entendre comment ils prononcent 50 ce mot) eft vne beste fauuage (dit de Lery) d’vne moyenne hauteur,& de la grandeur d’vn chien de quefte, ayant la telle fort difforme, fa chair approche en goust de celle de veau, fa peau eft fort belle,mouchetee de taches blanches, grises 6c noires, d’autres nient qu’il y ait aucun tel animal au Brasil ; mais disent que c’est le mesme que le Paca, dont nous venons de parler: font Il fe trouue en ces regions (dit ce Portugais ) plusieurs lynces, dont les vnes noires»

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OCCIDENTALES. LIVRE XV. 485 boires,les autres brunes, & quelques-unes mouchetees de belles & diverses marques; cet animal eft fort furieux, & duquel on peut à grade peine efchapper,principalement s'il est un peu grand ; il est fort dommageable aux poules & aux pourceaux, desquels il tuera parfois tout un troupeau en une nuict ; sa principale force est en fes ongles, car il dechire tout ce qu’il attrape. Il y en a pourtant entre les Sauvages qui sont si hardis vaillans,que quand ils les rencontrent par fois en champ ouuert,qui les saisissent & les tuent, auec autant d’honneur entre leur nation, que s’ils auoyent pris en combatant un de leurs ennemis vif Le Gouuernement de S. Vincent abonde entre tous en ces belles Sauuages. 10 Les Caragues ou (comme escrit Lery) ) Sarigoy, font semblables aux renards d’Espagne,mais ils font plus petits & fentent plus mauuais de beaucoup ; ils font de couleur brune: & ont un sac qui leur pend fous le ventre, dans lequel ils portent leurs petits, qui font par fois fix ou fept d une ventree, & les nourrissent si long temps qu ils sçauent manger : c’eft vn animal qui va de nuict, & eft ennemi des oiseaux, sur tout des poules ; nous en auons desia parlé ailleurs. Le Tamandua est n animal admirable, de la grandeur d’vn chien, qui a le corps rond plustost que long,sa queue eft trois fois plus longue que le corps, & eft fi veluë, qu’il s’en couure tout le corps à l’encontre des iniures de l'aïr, de telle forte qu’on ne le peut voir: il a vne petite telle & vn fort delié mufeau ; la gueule ronde & fort petite,la langue fort 20 longue, avec laquelle il engloutit les fourmis dont il vit ; fort diligent à les chercher dans leurs fourmillieres, qu’il creuse de fes ongles extrememét aigus, & attire de sa langue les fourmis qui fortent ; c’est un animal fort furieux & qui attaque fouuent les autres animaux,mesmes les hommes,craint des tigres, pour ne dire des chiens: fa viande eft inutile,& n’eft propre à chofe qui soit, si ce n’eft à destruire les fourmillieres,enquoi il apporte une grande commodité aux Sauuages. Le Tatu est cet animal que les Espagnols nomment Armadillo, & les Portugais Encubertado, de la grandeur d’vn cochon de laid, de couleur grise, couuert tout le corps d’escailles d’os comme de lames, prefque à la façon du Rhinoceros, disposees en fort belle ordre,& d’une merueilleufe varieté de formes, & qui font si dures, qu’ils esmous30 fent la pointe des fleches, il vit fous terre à la façon des taulpes, & la creufe d’vne telle promptitude,que bien fouuent il trompe l’adresse & le labeur de ceux qui fouillent pour lattraper, de n’eft pas aifement pris, si ce n’eft qu’on mette de l’eau dans fon terrier : fa chair eft blanche de d’un bon goust, comme celle d un cochon de laict, ou mesme d’un chapon ; on se sert de son escaille à faire des efcarcelles de autres ouurages. Nous auons fait mettre ici la figure de cet animal exadement de au vif depeinte ('combien qu’il soit fort familier prefque en toute l’Amerique) tiree des Exotiques du fameux Charles de l'Ecluse. 40

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Or nous auons promis ci dessus que nous defcririons vn peu plus exactement cet animal : C’est un animal monstrueux (dit Fr. Ximenes) de la grandeur d’un petit chien, mais ont quatre il a la queue plus longue, il a les iambes comme un herisson (celles de deuant plus long de meorteils,& celles de derriere cinq) le museau en la mesme façon, un peu corps ( excepté tout le fous le couvert nu, les oreilles cartilagineufes de fans poil ; il eft ventre Ppp 3


DESCRIPTION DES INDES ventre & autour du col, de certaines lames comme vn cheual bardé, qui sont tellement coniointes auec de cerrains tendons, qu’il se peut aisement ployer de toutes parts ; or ces lames font extierement dos, & formees comme la figure les represence. Ximenez efcrit,que ces lames redigees en pouldre Se prises le poids d’vne dragme auec de la decoction de sauge, prouoquent la sueur & font vn fouuerain remede contre la verole, & que le dernier os de la queue, conioint au corps, reduict en pouldre fort fubtile, formé en pillules auec du vinaigre rosat, & mis dans les oreilles, oste comme par miracle la fourdité, quand elle vient de caufe chaude. Monard adiousse : nous auons maintenant de la Continente l’os de la queue d’vn animal estrange, la pouldre duquel estant formee en pillules, de la grosseur de la telle d’vne espingle Se mises dans 10 les oreilles en appaife,comme l’on tient,la douleur & mesme le cornement conioint auec vne petite fourdité. Certe on a trouué par experience certaine qu’elle en appaise la douleur. Quelques-uns asseurent aussi (dit Ximenez) que la pouldre de la queue prouoque l'urine, ce que ie ne puis comprendre comment il fe peut faire.Les lames d'icelui reduites en pouldre,& formees en masse avec de l’eau, tirent les efpines de quelque partie du corps que ce foit. Voila ce qu'il en dit. Le fameux de l'Ecluse descrit & donne la figure d’une autre efpece d’animal, que le Lecteur pourra voir s'il lui plaist. Les Sauvages appellent les porcs-espics Coanduguacu, & les herissons Coandumirti, ils font du tout femblables à ceux d’Afrique. Ils y en a encore là de plus petits, les aiguillons defquels sontiaunastres & noirastres vers la pointe : desquels aiguillons on dit 20 eftre la nature telle, qu’eftant tant foit peu piqués en la chair,ils entrent d’eux-mesmes plus auant, c’est pourquoi les Sauvages s’en feruent fouuent pour fe percer les oreilles. La Hirara des Sauuages, eft fort semblable à l'Hyene que nous nommons auiourd’hui ciuette, car ils nient que ce soit la mesme ; il y en a de noires, d’autres brunes, Se quelques-unes blanches : elles ne viuent que de miel feulement, lequel elles sçauent dextrement bien tirer, car ayant trouué les ruches elles fouïssent au dessous tant, qu il y ait vn grand passage d'ouuert, alors elles y menent leurs chattons, Se en tirent le miel, & n’en mangent pas tant que leurs petits en foyent saouls, qui eft vn grand indice de l’amour quelles portent à leurs ieunes. Il y a vn fort grand nombre & vne infinie varieté de singes & de guenons ; entre 30 lefquels il y en a d’une sorte, qui surpasse de beaucoup les autres en grandeur, les Sauuages les nomment Aquiqui ; ils font d’vn poil noir Se ont vne longue barbe au menton : d’entre ceux-ci il en naift par fois vn malle de couleur rougeastre, que les Sauuages nomment le Roi des singes, qui a la face aucunement blanche, & la barbe fi bien ageanceé d’vne oreille à l’autre, qu’on diroit qu’elle a efté faite auec les ciseaux, on dit qu’il monte fort fouuent fur vn arbre comme s’il vouloit haranguer, Se crie d’vne voix enroüee Se crissemét fi haut, qu’on l’entend de fort loin, ayant pour cet effet au deffous du palais vne organe que la nature lui a fourni, qui eft concaue, faite d’vne petite, mais forte membrane, de la grolfeur d’vn œuf, Se qui s’eftend fort aisement ; en criant il iette vne groffe escume, qu’vn petit singe assis aupres de lui (quon estime vulgaire- 40 rement deuoir eftre fon successeur) essuye foigneufement de fa barbe. Anthoine Kniuet Anglois escrit, que cette forte de linge eft appellee des Petiguares, VVariua, mais les autres difent Goariba. Il fe trouue au relie le long de la colle du Brasil (comme dit de Lery) de petits guenons noirs, que les Sauuages nomment Cay, fort beaux à voir & à ouïr, car ils gasoüillent & criaillent par troupes, notamment quand il fait tempeste, au sommet des arbres, qui portent certaines febues en gousses, dequoi ils viuent. Il y a des guenons d’vne autre sorte, qu’ils nomment Sagouin, de la grandeur d’un escurieu, Se de mefme poil roux, estans au relie quantau museau, col, poitrine Se presque en toutes les autres parties fort femblables au lion, Se qui est mesme fort hardi, ne 50 cedant en beauté à aucun des autres petits animaux. Charles de l’Ecluse en a donné le pourtrait dans fes Exotiques ; mais ie n’oserois asseurer que ce fust le mefme animal que de Lery escrit. Ce feroit vne chofe fort longue, que de descrire les autres efpeces de singes, leurs finesses Se tromperies, Se qui ne feroit nullement neceffaire. Les Cuatis , dit cet Autheur Portugais, font de couleur brune, fort femblables aux heures de Portugal, ils montent sur les arbres comme les singes ; & on les appriuoise parfois 486


S E L A T N E D I C O LIVRE

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par fois, mais ils font si gourmands & malicieux qu a peine les peut-on endurer.Or de Lery defcrit le Coati en cette façon ; il eft de la grandeur d’vn lieure, a le poil court tachetté, les oreilles petites & aigues , la telle petite auec vn museau qui s’alonge dés yeux, il est long de plus d’vn pié, & rond à la façon d’vn baston, & a la gueule si petite, qu a peine peut-on mettre le petit doigt dedans ; quand cet animal eft pris, il fe met les quatre piés enfemble & rousle ou tombe d’vn collé ou d’autre, fans qu’on le puisse faire leuer, ni faire manger, fi ce n’est qu’on lui prefente des fourmis, dont il vit dans les bocages. Il y a aussi vne grande quantité & varieté de chats sauvages : dont il y en a de noirs, 10 de blancs, & beaucoup de iaunastres, tous extremement agiles & dangereux, non feulement aux oifeaux, mais aussi aux hommes, leurs peaux font fort estimees. Les Iagoarucu font les chiens des Brasiliens, car ils femblent abbayer comme les chiens, ils sont de couleur messee de brun & de blanc, ont la queue fort velue, & font grandement legers & villes ; ils viuent de proye & de fruicts, & font fort mordans. Les Tapati ou Tapiti, selon de Lery, pourroyent estre pris pour connils de nostre pais, n’estoit qu’ils abbayent à la façon des chiens, principalement de nuict, ce que les Sauuages estiment de mauuais prefàge : ils ont trois ou quatre petits à la fois ; toutesfois il s’en voit fort peu, pource qu’ils ne feruent pas feulement de proye aux oifeaux de rapine, mais aulli aux belles fauuages. Lery les accompare aux lieurs, & les defcrit 20 eftre d’un poil rougeastre. Les Iaguacini, sont de la grandeur des renards de Portugal, & peu differents en couleur ; ils viuent principalement de cancres & d’escreuices ; & mesmes de cannes de fucre, dont ils font souuent un grand degast ; autrement c’est vn animal làns dommage & qui eft fort endormi, d'où vient qu'on le prend ailement. Le Maritacaca, eft de la grandeur d'un chat, & approche en forme du furet, il a le dos extrement bien distinct de deux lignes, l’une blanche & l’autre brune qui se trauerfent en croix : il vit d’oifeaux & de leurs œufs ; & eft si friand d’ambre, qu’il le promene fort fouuent la nuict le long du rivage pour le chercher. On craint estrangement cette belle, non pas qu elle offenfe de fes dents ou de fes ongles, mais à caufe 30 de la puante odeur qu’elle rend, qui eft si venimeuse & nuisible, quelle penetre au trauers du bois & des pierres, & tuë les hommes & les belles : & cette puanteur dure quinze & vingt iours & par fois dauantage, de forte que les Sauuages font contraints d’abandonner leurs villages, quand cette belle en approche de trop pres. Il y a aulli vn animal familier en ces regions, auquel on a donné le nom de paresfeux, lequel nous auons defcrit ailleurs. Or il y a vne infinité & diuerfes efpeces de loirs, fort differents en grandeur & couleur, que les Sauuages mangent, ils font fort nuifibles aux semences, qu’ils gastent par fois du tout. Le Hay (dit de Lery) est de la grandeur d vn chien, & a la face d'un guenon, le ventre pendant comme vne truye pleine, d’vn poil tané fort clair, vne longue queuë, 40 les piés velus comme ceux d'un ours, avec de longs ongles: v& combien qu’il soit fore farouche, quand il eft parmi les bois,neantmoins eftant pris il s’appriuoife facilement : toutes fois les Sauuages pource qu’ils font nuds ne fe iouënt pas volontiers avec, à caufe de fes ongles qui font fi longs & fi aigus : or c’est vne chofe mcrueilleufe & comme incroyable, ce que les Sauvages en racontent, sçauoir qu’il ne mange chofe qui foit ni dans les bois ni dans les maisons, de forte qu’ils eftiment qu’il vit 50 de vent à la façon des chameleons. Theuet nomme cet animai Haut ou Haüt hi, en donne la figure avec la face prefque d’vn enfant, laquelle nous auons adioustee ici. toutesfois on estime Or combien que de Lery escriue aussi qu’il ne mange point, qu'il vit des fueilles d un certain arbre, qu’ils nomment Amahut, pource qu’on le trouue le plus fouuent au sommet d iceux.

CHAP.


DESCRIPTION

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DES

INDES

CHAP. VI. Couleuures &

Serpents terrestres, selon les mesmes Autheurs que dessus.

’Ovs auons dit ci-dessus, que cette region porte plusieurs couleuures & serpents, nous en descrirons ici quelques-unes selon cet Autheur Portugais, de Lery & autres. Giboya ou Iaboia est la plus grande de toutes les serpents que cette region porte, elle a quatre piés, longue par fois de vingt piés, belle à voir, & si grosse, qu’on la veue aucunes fois engloutir vn cerf entier : elle n’a nul venin, & mesmes les dents font fort 10 petites pour la grandeur de fon corps : or elle prend les belles fauuages par vne singuliere industrie, car fe tenant à l’enuers aupres des sentiers, elle fe iette à la defpourueuë fur celles qui passent, & les entortille de telle forte, quelle leur froisse tous les os, puis apres à force de les mascher, elle les amollit de telle façon, qu’elle les aualle toutes entieres. Les Giraupiagarasou Guirarupiagoara, comme qui diroit gourmandes d’œufs, sont noires, longues, ayans la poitrine iaunastre, elles montent aussi ville au haut des arbres, qu’elles fçauroyent nager en l’eau, &y destruisent les nids des oiseaux. Il y en a encore d’autres, qu’ils nomment Caninanas, fort belles & de couleur ver20 de, longues & grosses, qui viuent aussi d’œufs & d’oifeaux. Le Boytiopua ou Boytimapua, comme qui diroit ferpent au long museau, ell longue & ronde,on dit qu’elle vit de raines feulement: les Sauvages estiment qu’elle rend fertiles les femmes qui sont steriles, si on leurs frote les reins avec cette ferpent. La Guaytiepua ne fe trouue feulement que dans la region de Rarim, elle ell fort grosse & sent si mauuais, que les hommes n’en peuuent en façon quelconque fupporter la puanteur. La Boyuna, c’est à dire, couleuure noire, ell deliee & longue, & rend vne mauvaise odeur comme les renards. Il y a vne autre couleuure fort grosse & grande, qu’ils nomment Bom du bruit 30 quelle fait, qui n’est au relie nullement dommageable, ni nuisible à perfonne. marques, La Boycupecanga, c’ell à dire, couleuure tachettee fur le dos de certaines ell fort grosse, & on estime que fes taches font fort venimeufes. Or par le nom de Iararacas, ils denotent quatre efpeces de couleuures ; les plus grandes defquelles ils appellent Iararacucu,qui font longues de dix palmes: celle-ci ont les dents assés longues, & leurs morfures font d’vn doigt de profond, elles cachent au relie leurs dents dans leurs gueule, & leur principal venin ell dans icelles, qui est de couleur iaune , tellement puissant qu’il tuë les hommes en vingt quatre heures : elles font beaucoup de petits à la fois , car on a ouuert telles qui portoyent treize matrices à la fois. La seconde efpece ell nommee Iararcoaypitiuga, c’ell à dire, ferpent qui a la queue plus blanche que brune , aussi venimeu-40 fe que la vipere d’Espagne , de laquelle elle ne differe pas beaucoup en forme ni en couleur. La troisieme ell appellee Iararacapeba , fur le dos & fur le ventre de laquelle court vne ligne rouge, en façon de chainnette, estant au relie brune ou cendree. La plus petite s’appelle Iararaca, qui excede rarement la longueur d’vne demi-coudee, de Couleur noirastre, & qui à la telle des veines apparentes à la façon des viperes, sifflans en la mesme maniere. Le Curucucu est un ferpent cruel, & fort à craindre, longpar fois de quinze palmes ; son venin est principalement dans la teste, qui est cause que quand les Sauvages l’ont arresté, ils la lui coupent aussi tost, & l’enterrent. Le Boycininga, ainsi nommé d’vne fohnette que l’autheur de la nature lui a attaché 50 à la queue ; ell parfois longue de douze ou treize palmes, se glissant si ville qu’il semble qu’elle voile : elle ell fort venimeuse ; mais elle nuist rarement aux hommes, pource qui du bruit que fait fa fonnette, elle donne comme vn aduertissement de se destourner du chemin. La plus petite efpece d’icelle s’appelle Boyciningpeba, qui ell noire d’vn venin fort pernicieux. Nous en auons parlé ailleurs, car elle se trouue aussi dansl’Amerique Septentrionale.

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Le


OCCIDENTALES. LIVRE

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Le venin de l'Ibiracua eft estimé fi vehement, que l’homme qui en eft mors, iette le fang par les yeux, oreilles, narines, goder 6c par toutes les parties basses du corps, en si grande abondance, que si on ni remedie promptement, il meurt aussi toft. LTbiboboca eft vn serpent fort beau, ayant la telle 6c tout le corps tachette de noir, rouge 6c blanc, mais il est le plus venimeux de tous, & fe meut plus lentement. Il seroit fort difficile de descrire la vehemence du venin dont ces coleuures 6c ferpents font remplis, non plus que les grandes douleurs qu’elles causent, & le nombre de ceux qui tous les iours meurent de leurs morfures : car il y a si grand nombre de ces animaux venimeux,qu’ils ne tuent pas feulement les hommes dans les campagnes ou 10 forests, mais mesmes dans leurs maifons & licts, lors qu’ils ne s’en doutent pas, que si an n’y remedie aussi tost par la feignee, par la dilatation de la playe, en beuuant de la licorne ou du caraima, ou ainsi par l’aide de quelque autre contre poison, il faut de necessité mourir avec des tourments indicibles. Or il y en a entre d’iceux, principalemét de cette efpece qu’ils nomment Iraracacas, qui fentent le musc, qui fait que ceux qui le fçauent les efuitent plus aisement ou les tuent. Il y a au reste dans ces regions vn nombre infini de scorpions, la piqueure desquels caufe rarement la mort, combien qu’ils caufent vne grande douleur vingt quatre heures durant. Or puis que nous auons commencé à parler des animaux venimeux 6c nuifibles, 20 nous y adioufterons quelque chose de certains insectes. Il y a (dit de Lery) vne certaine forte d’insecte fort petite, qui tourmente les Sauuages, lequel ils nomment Ton ; d’autres Tonga ; il naift dans la poussiere, de la grosseur d une puce, qui, quand il s’est vne fois infinué dessous les ongles des piés ou des mains, y caufe vne demangeaison, comme celle d’un ciron, que fi on ne l’en tire aufli toft, il y croift en peu de temps de la groffeur d’vn pois, 6c lors on ne le peut avoir hors qu avec grande douleur. C’est fans doute le mesme que le Nigua dont nous avons parlé ailleurs. Les Sauuages vfent de ce remede à l’encontre de ce mal : ils s’oignent les parties, qui sont suiettes à eftre attaquees de ces animaux, d’une certaine huile espaisse 6c rouge, qui fe tire de ces fruids qu’ils nomment Couroq. 30 L’aïr de l' Amerique, qui eft fort fubtil, engendre au reste vne forte de moucherons, que les Brasiliens nomment Yetin, lefquels piquent d’une telle forte mefmes ceux qui font legerement habillés,qu’il semble que leurs aiguillons foyent des esguilles : il engendre aussi vne autre forte de moucheron doux 6c fans faire mai, comme n’ayant point d’esguilles, mais au refte fort importun, qu’ils appellent Getinga & encore vn autre nommé Mariguy, fort petit, mais qui pique fort cruellement. Il y a aufli de certains papillons, que les Sauuages (dit de Lery) appellent Arauers ; de la grosseur de grillets, & qui sont de mefme par troupes autour des fouïers, lefquels mangent tout ce qu’ils rencontrent, mais fur tout ils rongent de telle forte les collets de bufles & les souliers, qu’ils en effacent toute la fleur ; ils mangent aufli iufques aux 40 os les poulailles & autres viandes mal ferrees. Et pour mettre fin à ce Chapitre, tout ce clymat eft suiet aux animaux venimeux, dangereux & fort moleftes. CHAP.

VII.

Des quelques oiseaux du Brasil descrits par les mesmes Autheurs. OMME ces regions font prefques par tout empeschees de forefts 6c bocages fort espais, aufli fourmillent-elles comme par miracle d’vne innombrable quantité de fort beaux oifeaux : principalement de perroquets, dont il y a pres50 que vn nombre infini, de forte qu’ils remplissent des bois entiers, 6c des Isles, qui font d’vne admirable varieté && beauté de plumage ; plufieurs defquels apprennent a parler quand on les enfeigne diligemment. Entre tous excellent en groffeur 6c beauté, ceux que les Sauuages nomment Araras & Macaos, qui font les plus rares & fe tiennent pres des Prouinces maritimes ; ils ont les plumes de la poitrine d’vn fort beau pourpre, & vers la queue elles font iaunes, verdes ou bleuës, le refte du corps represente par vne admirable varieté vne de ces couleurs, les autres y apparoiflans plus

C

Qqq

claires ;


DESCRIPTION DES INDES claires; ils ont la queue longue, & ne couuent que deux œufs dans les creux des arbres ou les fents des rochers: Les Sauuages prifent fort ces oifeaux pour la beauté de fon plumage ; ils s’appriuoife auffi & apprend à parler aifement. L’Anapura fuit les precedents, qui eft auffi du genre des perroquets, & qui a le corps semé de fort belles couleurs, rouge, verd, iaune, noir, bleu, brun & autres par vn tres-beau messange ; & ce qui le fait plus estimer que les autres c’eft qu’il ne s’appriuoife & ne s’apprend pas feulement, mais il esclost & nourrit ses petits dans la maison, ce que les autres n’ont pas coustume de faire. L’Araruna ou Machao merite le troisieme lieu, d’un plumage noir, mais si bien meslé de verd, qu’aux raids du Soleil, il reluit d’une admirable forte, il a les piés iaunes, le 10 bec & les yeux rougeastres, il aïre feulement au milieu du païs, & fe trouue rarement aupres du riuage. La quatrieme espece de perroquets (que les Sauuages nomment Aiurucouros) eft fort belle, ils font en partie verds, ont dessus de la telle & le col iaune, & les plumes qui font au deffius du bec font bleues, les tuyaux des ailes d’un rouge vermeil, la queue rouge & iaune entremessee de verd. Ceux qu’ils appellent Tuins, font les plus petits de tous, ils font verds ou bigarres de diuerfes couleurs, on les estime fort pour leur grande docilité, & font les plus priués de tous, car ils s’accoustument à manger dans la bouche de ceux du logis, & leur 20 curer les dents, & ne sont iamais las de saulter, de chanter & gasoüiller. Cette forte de perroquets,qu ils appellent Guiarubas, c’eft a dire, oiseaux iaunes, ne parlent, ni ne font aucun geste plaifant,ains sont tousiours trilles & folitaires ; toutesfois les Sauvages les estiment fort, pource qu’on les apporte de fort loin d’au dedans du païs, & ne fe voyent que rarement,si ce n’est dans les cabanes des Sauuages,qui les ont en grande veneration, car ils les eschangent par fois chacun pour la valeur de deux efclaues, & ne les prifent pas moins que les Gentilshommes de ces païs font les faucons & autres oifeaux de proye. Enfin le Tapit-, qui ressemble à vne pië, ayant tout le corps noir, excepté la feule queue qui est iaunastre : il a trois pinnulles fur la telle, qu’il dresse comme si c’estoyent des cornes, il a les yeux bleus, le bec iaune : c’est vn fort bel oiseau, mais quand il est,30 fasché il rend vne odeur fort mauuaife, il effc fort diligent à chercher fa vie, estant accoustumé à proy er les araignees, escarbots & les grillets par tous les coings de la maifon : mais il fait dangereux de les tenir sur le poing, pource que par vn certain instinct de nature, il appete la prunelle des yeux. De Lery ne fait feulement mention que de trois especes de perroquets, fçauoir, des Aiourous , qui font les plus gros de tous ; des Marganas qui font ceux dont on apporte le plus en l’Europe ; & des Tobis que les François nomment Moussons. Or les plus petits oifeaux de tous, que les Sauuages appellent Guaynomby, font de plufieurs fortes, comme le Guaraciaba, c’eft à dire, rayon du Soleil, & le Guaracigaba, c’eft à dire, cheueux du Soleil. Les habitans des Isles qu’on appelle Antilles ,les nom-40 ment Renatos, pource qu’ils croyent que fix mois durant ils dorment tousiours, & qu’au printemps ils reprennent comme vne nouvelle naissance : Les Espagnols les nomment ailleurs Tomineios, pource que, comme rapporte Ouiedo, quand on en met un auec fon nid, dans vn trebuchet à peser l’or, il ne pefe seulement que deux de ces poids» que les Efpagnols nomment Tominos, c’eft à dire, vingt & quatre grains : Or c est vn oifelet admirablement beau, car les plumes de la telle du col reprefentent, de quelque collé qu’on les tourne, vne merueilleufe varieté de fort belles couleurs, comme aussi fait la poitrine, mais principalement vne certaine couleur de feu plus reluisante que de l' or : le relie du corps est grisastre : le bec eft long & la langue deux fois aussi ; longue que le bec : il vole fort viste, & fait vn certain bruit en volant à la façon des 50 dit abeilles , de forte qu’il semble plustost vne mouche à miel qu’vn oifeau. On qu’ils viennent en deux façons, car il y en a qui font efclos d’œufs , comme les autres oifeaux: d’autres qu’on ellime estre transformés de mousches en oiseaux ; ce qui est fans doute vne fable. Prefque tous les Espagnols, qui ont escrit des affaires des Indes, ont fait mention de cet oifelet,mais ils ne disent rien de fon chant; de Lery & Theuet, François, sont les seuls qui lui donnentyn doux chant, & escriuent qu’il est appellé des

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sauvages


OCCIDENTALES. LIVRE XV. 491 Sauvages Guomanbuch, lequel nom ne differe pas beaucoup de celui que nous lui auons n agueres donné selon nostre Autheur Portugais: fi ce n’est qu’il le fait commun à plusieurs efpeces. Nous en auons reprefenté la figure ci-dessus tiré du renommé Charles de l'Ecluse, de nous adioindrons ici la description qu’il en a faite. Cet oifelet (dit il) estoit comme ie peu remarquer par le pourtrait, long de trois poulces depuis la pointe du bec iufques à bout des plumes de la queue : fçauoir la telle avec tout le bec, auoit vn poulce & demi de long; les ailes qui s’estendoyent prefque iufques au bout de la queue, auoyent mesme longueur : le dos auoit à peine vn poulce de large ,• le dos de fes ailes estoyent d’vn gris cendré brun, le ventre gris, les plumes de la queue 10 estoyent d’vn rouge obscur, de le bout d’icelles noir ; celle de la telle, du col, de du gosier estoyent fort belles, & messees d’vne couleur d’or, de rouge & de iaune, & estant expofees au Soleil monstroyent une admirable varieté, selon que l’on tournoit la telle: le bec estoit noir, delié de extremement aigu : les piés fort menus, noirs, de diuisés en. quatres orteils, comme les autres oifeaux, trois defquels font estendus en auant, & l’autre en arriere. Voila ce qu’il en dit, qui en desirera fçauoir dauantage voye les Exotiques du mefme Autheur. Le Guiranheangeta est de la grosseur d’un pinçon, ayant le dos de les ailes bleuës, la poitrine de le ventre iaune, auec vne couronne iaune fur la telle; c’est vn fort bel oiseau, de qui imite le chant de tous les autres, de ploye de change fa voix en mille fa20 çons : il s en trouue plufieurs efpeces,qui toutes delectent fort de leur chant en cage. Le Tangara est de la grolfeur d’vn passereau, de couleur noire, de la teste iaunastre ; il ne chante point: il semble qu’il foit fuiet au mal caduc, voila pourquoi les Sauuages n’en veulent point manger; il y en a plufieurs especes. Les Sauuages racontent que ces oiseaux font des dances entr’eux, de que l’un dentr’eux estant estendu fur terre comme mort, les autres font vn bas murmure de vn bruit sourd, tant qu’il lé leue & bruye comme les autres, alors ils prennent tous la volee. Le Quereiua ou Gereyona efl fort estimé des Sauuages à caufe de la beauté exquise de fon plumage ; car il a toute la poitrine couuerte d’vn fort beau rouge, les ailes noires, & le reste du corps bleu. 30 Le Tucana, que de Lery de Theuet nomment Toucan, est de la grolfeur d’vne pië (dit cet Autheur Portugais) a la poitrine iaune, le relie du corps noir: le bec fort grand, long d’vne petite palme, iaune par dehors, de d’vn fin rouge par dedans ; il s’appriuoise de forte qu’il niche & esclost fes petits dans les maifons. Cela sembleroit merveilleux comment vn fi petit oifeau peut porter vu fi grand bec, n'estoit qu’il ell fort leger de peu efpais. Le Guirapanga ou Girapoiga efl tout blanc, de combien qu’il foit petit, fi est-ce qu'il a vne voix fort esclatante, de qui s’entend, comme fi c’estoit le fon d’vne clochette, prefque vne demi-lieuë loin. Le Macucagua est plus gros que les poules de l’Europe,& est fort lémblable au fai40 san, qui ell caufe que les Portugais lui donnent le mesme nom,il a trois peaux, beaucoup de chair de fort delicate, il pond tous les ans deux fois treize ou quinze œufs ; il court sur terre,mais quand il voit les hommes il vole fur les arbres, il s en trouue de plufieurs especes, qui se prennent aisement. Il femble que de Lery l' appelle Macacoua, de en fait vne efpece de perdrix. Le Muta (dit cet Autheur Portugais) est vne eipece de poule rort priuee, n a vne creste comme vn coq, tachetee de petits points noirs de blancs, fes œufs font gros, blancs de fi durs, qu’estans choqués l’un contre l’autre, ils resonnent comme du fer, voila pourquoi les Sauuages en font leurs Maracas : les os font mortels aux chiens, mais ils ne font nullement nuifibles aux hommes. De Lery escrit, qu’il fe trouue en 50 ces quartiers deux fortes d’oifeaux exquis, qui font nommés là Mouton, de la grandeur des paons, de plumage noir de tané : de vne grande quantité de ces poules, qu on nomment d’Inde, que les Sauuages appellent Arignaousou, de celles de nostre païs Arignau- miri. Il y a (selon que dit cet Autheur Portugais) vn grand nombre de perdrix, que les Sauvages nomment Vru, des tourtres aussi (qui sont nommees des Tonoupinambas, Paicacu, selon de e Lery) des colombes de tourds, qui ne different gueres à celles de l'Europe. Qqq 2 Dans


DESCRIPTION

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DES

INDES

Dans les Prouinces Mediterranees il s’y trouue quantité d’austriches,que les Sauuages nomment en leur langage Ianducocu. On les conte entre les oifeaux de rapine, elles font fort grandes & crient fi haut,qu’on les oit de demie lieue loin, elles font toutes noires, ont de fort beaux yeux,le bec comme vn coq,auquel il y a vne corne adiointe prefque de la longueur d’vne palme, qu’on dit guerir ceux qui ont quelque desfaut à la langue,par vne certaine vertu naturelle,la leur pendant au col,ce qu’ils difent estre approuvé par experience. Ils y trouveaussides aigles, faucons, vaultours & autres semblables oifeaux viuans de rapine,mais ils font tous si fauuages, qu’on ne les peut en façon quelconque appriio uoifer ni drefler. CHAP.

VIII.

Arbres fruictiers du Brasil, & autres choses descrites par diuers Autheurs. NTRE les arbres fruictiers de ces païs, excellent les Acaious, que christofle Acosta defcrit en cette maniere : Cet arbre eft aufïi grand que le grenadiers fueille eft d’vn verd clair, & eft espaisse : fa fleur eft blanche, prefque semblable à celle de l’oranger, mais elle a plus de fueilles, & ne fent pas fi bon. Cet arbre donne le fruict vulgairement appelle Caiou ; qui eft fort eftimé de tous à cause qu’il est d’un bon gouft,& utile à l’estomach. Or ce fruict eft comme une grosse pomme, fort iaune 10 & odorant,spongieux au dedans & plein de suc, fans aucuns grains, d’un goust douçaftre,toutesfois il presse la gorge. Or il a vne double naiflance en vne mesme annee, en cette forte : la fleur estant flestrie succede une grosse febue, entre laquelle & la fleur fe groflit quelque choie femblable à vne pomme, qui attire peu à peu le fuc de la febue ; d’autant plus qu’elle croist, d’autant plus diminuë la febue ou noix, iusques à ce que le fruict Caiou qui eft cette pomme foit venu à fa parfaite maturité,ce qui fe cognoift à fa couleur iaune ou rousse ( car ces deux couleurs fe trouuent dans ces Prouinces ) & a fon odeur ; encore que le fruid soit meur,neantmoins la febue y demeure attachee & s’y cueille auec. Voila ce qu’il en dit. Nous auons pris peine de faire tailler & adioin30 dreici ce fruict, que nous auons recouuert parfaictement bien peint. forEn outre cette noix qui eft au bout du fruid, eft de la me d’vn roignon delieure ( ditde l'Ecluse ) d’un couleur cendree, & par fois d’vn gris de cendre rougissant. Or elle a deux escorces, entre lefquelles il y a vne certaine matiere fpongieufe,pleine d une huile fort aspre & chaude, & au dedans il y a vn noyau blanc bon à manger,& qui ne cede rien en gouft aux pinons de Syrie, couvert d’une pellicule cendree qu’il faut ofter. Les habitans du païs en vfent apres l’avoir legerement rosti, il eft d’vn agreable gouft & on croit qu’il excite Venus. On dit qu’il n’y a rien meilleur 40 pour guerir les dartes que cette huile acre. C’eft vne chofe certaine que les Sauuages s’en seruent contre la gratelle. Le fameux char. de l'Ecluse a fait depeindre cette noix comme elle eft ici reprefentee entiere & coupee par le milieu. En outre cet Autheur Portugais que i’ai iufques ici fuiui en la plus grande partie de ce que i’ai escrit, donne à cet arbre vne fleur rouge : & dit que le bois d’icelui n’eft pas mefme propre à brusler ; mais qu’il rend une gomme, dequoi les Peintres fe seruét ; & qu’on se sert de fon efcorce 50 à teindre le fil de cotton, & à faire des vaisseaux de terre : & qu’eftant boüillie dans de l’eau auec de la limaille de cuyure, & consommé iusques a la tierce partie, guerit les vlceres malins. Il fe trouue vne grande abondance d’arbres de Mangabas ou Marguba autour de la baye de tous les Saincts , & rarement ailleurs : Ils ont l’escorce de fouteau, & la fueille fort

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OCCIDENTALES.

LIVRE

XV. 493 fort semblable à celle du fresne, tousiours verds & fort beaux. Ils portent leurs fruicts deux fois l'an, premierement en bosse, & lors il ne fleurit point, mais cette bosse est son fruict ; apres il produit premierement une fleur semblable à celle du iasmin, mais qui est beaucoup plus odorante ; à laquelle succede un fruict de la grosseur d’un percer, iaune par dehors, & marquetee de certains petits points noirs ; au dedans il y a quelques noyaux que l’on mange avec l’escorce. Il est fort agreable au palais , est mesme fort sain & si leger, qu’on en peut manger une grande quantité fans qu’ils fassent mal: il tombe avant qu’estre du tout meur , voila pourquoi les Sauvages le ferrent iusques à ce qu’il soit plus mol, & alors ils en font un certain vin : les fueilles & le fruict avant 10 qu’estre meur rendent un certain laid visqueux & amer. L'arbre qui porte le fruict, nommé des Sauvages en leur langage Murucuge ou Mucuse, est fort semblable au poirier sauvage ; son fruict a un bouton ; on le cueille verd, & quand il est un peu attendri, il est de fort bonne saveur & de facile digestion. Les Sauvages ont coustume d'abatre l’arbre pour en cueillir plus aisement le fruict, voila pourquoi il s’en trouve peu: Du tronc incisé decoule une certaine liqueur comme laid, qui estant espaissie, peut servir au lieu de cire pour cachetter les lettres. Il y a une grande quantité & varieté de ces arbres, qui portent les Aracas, c’est à dire, petites poires ; car il y en a qui portent des fruicts jaunes, d’autres rouges, & quelqu’uns verds ; & cela tous les mois de fan : ils font fort agreables au palais à cause de leur 20 aigreur. L'Ombu est un arbre spacieux, mais bas : il porte un fruict semblable à une prune blanche, mais un peu plus ronde & jaunastre : il est fort dangereux aux dents, de forte que les Sauvages qui en mangent d'ordinaire, font le plus souvent edentés. Ils mangent aussi ordinairement des racines de cet arbre, qui font douces comme sucre, froides & fort saines, de maniere que les Medecins les ordonnent entre les choses refrigerentes, à ceux qui ont la fiebure ou autre maladie chaude. Le Iacapucay a est conté entre les grands arbres de ces regions, il porte un fruict semblable à un calice avec couvercle, au dedans il contient quelques chastagnes, fort semblables aux mirobalans ; le couvercle s’ouvre de soi-mesme quand il est bien meur, 30 de forte que les fruicts tombent ; si quelqu’un en mangent beaucoup de crus, tout le poil du corps lui tombe ; mais estant cuits ils ne font nul mal : ils se servent de la coque au lieu de coupe : le bois de l’arbre est fort dur, & n’est point sujet a se pourrir, qui fait que les Portugais s’en servent ordinairement à faire des essieux pour leurs moulins à sucre. L'Araticupana est un arbre de la grandeur d’un oranger, ses fueilles font comme celles du citronnier : il porte un fruict gros comme une pomme de pin, odorant & d’un goust fort agréable, & qui ne provoque pas aisemet le vomir : Il y en a de plusieurs especes, & entre icelles une qu’ils nomment Araticupanania ; le fruict duquel on estime fort froid,& si on en mange souvent, il n’est pas moins nuisible que du poison : le bois de cet 40 arbre est aussi leger que du liege, de maniere qu’il est employé à mesme usage entre les Sauvages. Il y a deux especes du Pequea: une qui porte un fruict semblabe a l'orange, avec une escorce espaisse, dans laquelle est contenue une certaine liqueur mielleuse, qui en douceur ne cede rien au lucre, où il y a quelques noyaux meslés. Le bois de l'autre est estimé le plus dur & pesant de tous ceux qui croissent en ces regions, les Portugais le nomment Setim, nullement sujet à pourriture. ' Iabuticaba est un arbre droit & grand, ayant des branches fort larges, il porte des fruicts depuis le bas du pié jusques au sommet, en si grande abondance, & fl fort serrés ensemble, qu’on peut malaisement voir le tronc de l’arbre, c’est un fruict rond, 50 noir, de la grosseur d'un petit limon, d’un suc doux comme celui des raisins mœurs, d’un temperament temperé & sain, & fort bon pour ceux qui ont la fiebure, il se trouve en grand nombre au Gouvernement de S. Vincent, principalement dans les forests de Piratininga, & au dedans du pais de la riviere de Iennero. Il s’y trouve quantité d’arbres qui portent les noix de Cocos, non pas dans les lieux non cultivés, mais aupres des habitations des Sauvages & dans les vergers. Il y a (dit cet Autheur Portugais) plus de vingt fortes de palmes qui ont esté remarquées


DESCRIPTION DES INDES 494 remarquees par plusieurs, mais leurs fruicts ne sont nullement à comparer avec les Cocos. De Lery escrit qu’il s’y trouve quatre ou cinq especes de palmes, la plus commune desquelles est appellee des Sauvages de ces quartiers Gerau, l’autre d’apres Yri. Au dedans du païs, au delà du Gouvernement de S. Vincent vers Paraguay, on voit des forests entieres de pins, qui portent leur fruict du tout semblable à ceux de l’Europe, mais ils font plus gros & plus ronds ; & les pinons sont d’une qualité plus temperee que ceux qui se trouvent d'ordinaire de par deçà. Le Gabueriba ou Caburciba est un arbre spacieux, & fort estimé pour le baulme qu’il rend, l’escorce estant legerement entamee, on y met du cotton, dans lequel decoule 10 insensiblement la liqueur, que les Portugais nomment Baulme, pour ce qu’il approche fort du vrai, & guerit les playes nouvelles, & mesme lent fort bon : car les forests où ces arbres croissent, rendent une bonne odeur. Son bois est conté entre les plus excellents, à cause de fa dureté & pesanteur, & pour le singulier usage qu’il a en charpenterie. Les belles sauvages à force de se froter à cet arbre en escorchent l’escorce, pour en recevoir guerison, comme il est vrai semblable. Cet arbre se trouve principalement dans le Gouvernement de S. Esprit, ailleurs rarement. Le Cupayba est un arbre ressemblant au figuyer, haut, gros & droit, & qui contient beaucoup d’huile : car incisant feulement l’efcorce, il rend une grande quantité d'huile fort claire, telle que celle qu’on tire des olives : elle est sur tout estimee pour guerir les playes & à oster les cicatrices : mais il s’en trouve si grande quantité en ces quartiers, 20 qu’on s’en sert mesme aux lampes : le bois de l’arbre est inutile. Cet huile s’appelle communement Copal-yua; mais plustost Cupayba, touchant laquelle on peut voir Charde l’Ecluse en ses Commentaires sur Chrislofle Acosta. L’arbre Ambayba est aussi semblable au fguyer, mais il est plus bas; il se trouve presque toujours parmi les haliers, &: dans les champs qui ont esté autresfois cultivés, rarement ou jamais dans les forests : la superficie interieure estant raclee & mise sur les playes fraisches, avec l’escorce liee par dessus, elle les guerit fort promptement : ses fueilles font si rudes, qu’on s’en sert à polir le bois, sa matiere est inutile à tous ouvrages. L'Ambaitinga est comme une espece du mesme arbre, lequel se trouve dans les forests de pins, il rend une certaine liqueur huileuse, de laquelle Monard parle en cette fa- 30 çon: La mesme (dit-il) on rassemble une liqueur ou resine, qu’ils nomment Abiegna, de certains arbres sauvages, qu’on ne sçauroit nommer pins ni cyprés ; ils font plus hauts que des pins & droits comme cyprés. Au sommet d’iceux croissent certaines vesies, grosses & menuës, qui estant rompues il en distille goutte à goutte une liqueur admirable, que les Indiens recueillent diligemment dans des coquilles, avec si grand labeur & molestie, que plusieurs en plusieurs jours n’en rassemblent que fort peu. Elle sert à tout ce qu’on employe le baulme ; car elle consolide tres-bien les playes, appaise les douleurs engendrees de matiere froide & venteuse : Elle est aussi bonne contre les vices de l’estomach causés d’humeur froide, ou de vents, si on la prend avec un peu de vin blanc. En outre cet Autheur Portugais lequel nous suivons presque en tout, re- 40 commande fort les fueilles de cet arbre contre les vomissements ; & dit que l'huile guerit la debilité d’estomach, si on l’en frote par dehors : mais il descrit la maniere de la rassembler du tout autrement ; comme celle de recueillir le baulme dont nous avons parlé ci-dessus : car ayant mis premierement l'escorce & les fueilles au Soleil on les broye, puis on les boult avec de l’eau, tant que toute la substance huileuse nage dessus, que l’on escume par ce moyen. L’arbre Igbucamici est fort commun dans le Gouvernement de S. Vincent, il porte un fruict semblable à une pomme de coin, rempli par dedans de petits grains, qui sont un remede fort asseuré, comme l’on dit, contre la disenterie : le fais doute si ce ne seroit 50 point le mesme que le Mamoerra, du quel nous parlerons ci-apres. L'Igciega produit une espece de mastych, d’une agreable odeur: son escorce estant pilee rend une liqueur, qui estant congelee sert au lieu d’encens,&s’applique en forme d’emplastre heureusement contre les affections froides. Il y en a une autre espece du mesme, qu’ils nomment Igtaigcica, c'est à dire, mastych dur comme une pierre, car resine est si dure & transparente, qu’elle semble presque estre du verre: les Sauvages s’en servent communement à blanchir leurs vaisseaux de terre. L’arbre


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L'arbre Curupicaiba a la fueille semblable à nos percets, lesquels rendent une certaine liqueur de laid semblable à celui des figues, qui est un singulier remede à l’encontre des playes & pustules : son escorce estant incisee distille du glu, duquel les Sauvages se servent a prendre les oiseaux. L'arbre Caaroba est fort frequent en ces regions, ses fueilles estant quelque peu maschees & appliquees sur les pustules de verole, les guerissent si heureusement, qu’elle ne reviennent pas aisement par apres : on croit que le bois à la mesme vertu contre cette maladie qu’a la racine de la Chine & le bois sainct que les Isles Antilles produisent : on compose aussi de ses fleurs une conserue pour le mesme usage ; il y a encore une autre 10 espece qu’ils nomment Caorobmacorandiba, le bois duquel est de couleur cendree, & le cœur extremement dur. Le Iaburandiba qui est aussi nommé des Sauvages Betele, aime fur tout les rivages des fleuves ; ses fueilles fournissent d’un singulier remede contre toutes les affections du foye, comme il a esté trouvé par experience. Il y a encore un autre arbre cognu par le nom de Betele, un peu plus petit que le premier avec des fueilles rondes, la racine duquel a une certaine vertu caustique, comme le gingembre ; elle appaise la douleur des dents, la mettant dans la concavité des gencives. L’Anda, est un grand bel arbre, le bois duquel sert à plusieurs choses : les Sauvages 20 tirent du fruict une certaine huile, de laquelle ils ont coustume de s’oindre le corps, ils se servent de l’escorce pour prendre du poisson ; car l’eau, dans laquelle elle a trempé, endort & estourdit tous animaux. L'Aiuratibira n’est qu’un arbrisseau, portant un fruict rouge, duquel les Sauvages sont une huile de mesme couleur, dequoi ils ont coustume de s’oindre le corps. L' Aiabutipita est un arbrisseau haut de cinq ou six palmes, il porte un fruict semblable aux amendes, mais il est noir, duquel se tire une huile de mesme couleur, dont les Sauvages oignent d’ordinaire les membres de ceux qui font debiles. Le lanipaba est un fort bel arbre & gayement verd, il change tous les mois de fueilles qui ne font pas beaucoup differentes de celles du noyer, il porte un fruict semblable en 30 forme à l’orange,qui a le goust de pomme de coin, auquel on a remarqué une singuliere faculté contre la disenterie, le suc de ce fruict est premierement blanc, mais quand on s'en est froté le corps, il noircit en peu de temps d’une telle sorte, que c’est une chose merveilleuse ; d’où vient que les Sauvages s’en servent au lieu d'encre, & s’en marquent la peau de certaines lignes, imitans les habits de ceux de l’Europe; cette couleur dure d’ordinaire neuf jours, puis apres elle s’efface : on dit qu'elle constipe & endurcit fort la peau : ce fruict à cette faculté avant qu’estre meur, car estant meur il ne fait rien de semblable. L’arbre Iequitinguacu porte un fruict semblable à une fraise, dans lequel au lieu de semence est contenu une dure febue, ronde, noire & reluisante comme du iayer, ayant 40l'escorce fort amere : elle sert au lieu de savon & nettoye mieux que ne fait le meilleur savon de Portugal. Au dedans du païs, aupres de la baye de tous les Saincts, comme ils l'appellent, dans les lieux secs & arides, croist un arbre grand & spacieux, aux branches duquel il y a des creux fort profonds, lesquels tant aux mois d'esté qu’en ceux d’hiver, sont remplis d’une certaine humeur aqueuse, qui ne regorge jamais, sans qu’on sçache d'où elle procede ; & ce qui est merveilleux, c’est qu'elle ne diminuë jamais, combien qu’on la puise, de forte qu’elle ne serviroit pas feulement de fontaine, mais mesme d’un moyen ruisseau : car il se peut loger fous l’arbre bien cinq cents hommes,y boire & s’y laver à leur plaisir ; cette eau est claire, d’un bon goust, & est un remede diuinement ordonné pour 50 ceux qui voyagent en lieux arides. Il se trouve en outre ci & là dans les forests & bocages beaucoup de grands arbres, desquels les Sauvages font leurs canoas tout d’une piece ; plusieurs aussi dont le bois est fort dur, & qui n’est point sujet à pourrir : entre autres le bois, qu’on nomme de Brasil, duquel les Portugais font un grand profit: pour la fin, du bois odorant, comme le Iararanda, sandal, & d’autres de mesme forte. CHAP.


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IX.

Plusieurs arbres communs au Brasil, tirés des Commentaires de de Lery & Theuet. le plus celebre de tout le Brasil & duquel on estime que la contree a pris son nom, est appelle des Sauvages Araboutan ou (comme escrit Theuet) Ora-boutan, mais mieux Ibirapitanga ; il est semblable en grandeur & abondance de branches au chesne de nostre païs, par fois si gros, qu’à peine trois hommes le peuvent- 10 ils embrasser : ses fueilles sont fort semblables à celle du buis : il ne porte nul fruict : le dehors de son escorce est de couleur grise : son bois au dedans est fort dur & rouge, nullement humide, mais d’une nature seiche, de forte qu’estant allumé il rend fort peu de fumee : il teint si fort, que mesme les cendres d’icelui ayant esté mises sans le sçavoir parmi la lexiue, teignirent, selon que raconte de Lery, leurs chemises d’un rouge si ferme, que combien qu'elles fussent par apres lavees plusieurs fois, elles ne perdirent point cette couleur. L’arbre Ayri, est fort semblable a la palme quant aux fueilles, mais le tronc est armé tout autour d’espines fort aiguës, en formes d’esguilles : il porte un 20 fruict d’une moyenne grosseur, au milieu duquel se trouve un noyau blanc comme neige, qui n’est pourtant pas bon à manger : de Lery croit que c’est une espece d’hebene, car son bois est fort noir, dur & si pesant, qu’il va aussi tost au fond de l’eau ; Les Sauvages en accommodent leurs massuës ; ils en munissent aussi le bout de leurs fleches. Theuet appelle cet arbre Hairi, & en donne la figure que nous avons fait mettre ici. Il escrit presque le mesme de son bois, si ce n'est 30 qu’il ne pense pas que ce soit une espece d’hebene, pource qu’il n’a pas tant de lustre combien qu’on le polisse : il accompare son fruict à un esteuf, dit qu’il est muni d’un aiguillon en la partie d’en bas ; & qu’il a porté une grande quantité de ces fruicts en France : il ne dit point s’ils sont bons à manger ou non. ibiraobi est un des plus hauts arbres du Brasil, la matiere duquel est fort dure & rouge, il ne porte nul fruict ; les Portugais le nomment Pao ferro, tant pour son grand poix, que pour fa dureté. Il se trouve aussi (dit de Lery) plusieurs fortes de bois en l’Amerique, de diuerses couleurs, lesquels je ne sçaurois nommer par le menu : j’en ai veu d’aucun de couleur 40 de buis, d’autre violet, d’autre blanc comme papier, d’autre enfin rouge, d’autre forte que le Brasil : avec lesquels les Sauvages marquettent leurs massuës ; un aussi qu’ils nomment Copau, qui est un arbre fort semblable au noyer, toutesfois il ne porte point de noix, mais le bois quand il est raboté monstre les mesmes taches. De plus il croist en ces regions un arbre d’une beauté sans pareille, le bois duquel le nomrend une si bonne odeur, qu’on diroit que c’est celle de la rose, lesBrasiliens contraire il y vient un autre, que les en Sauvages nomment Aouai. ment Iacaranda. Au ou comme Theuet escrit Ahouai, qui sent si mauvais quand on le coupe, qu'à peine la peut- on supporter, voila pourquoi les Sauvages n’en font jamais du feu : au reste l’arbre est de la grandeur d’un poirier, ayant les fueilles toujours verdes, semblables à celles de nos pommiers, il porte un fruct de la grosseur d’une chastagne, qui en figure appro- 50 che fort pres du A des Grecs, le noyau d’icelui est extremement venimeux, mais la coque en est fort dure & sonnante ; voila pourquoi les Sauvages s’en servent au lieu de sonnettes, & s’en environnent les bras & les jambes pour ornement : ils lient aussi ces mesmes fruicts à leurs massuës, haches & autres instruments. Nous avons fait mettre & adiouster ici dessous la figure de ces fruicfts, bravement & excellemment ageancés à la mode des Sauvages. il s'y

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’ARBRE


OCCIDENTALES. LIVRE XV. 497 Il s’y trouve aussi beaucoup d’arbrisseaux, notamment aupres du rivage de la mer, lesquels portent des fruids Semblables à nos neffles, mais Sort dangereux, voila pourquoi les Sauvages, quand ils voyent que les Estrangers s’en approchent pour les cueillir, en repetant souvent leur Ypochi, ils les advertissent de s’en abftenir. Le Hiuouräe (dit de Lery) est une escorce 10 d'un demi doigt d’espais, d'un goust agreable, principalement quand elle eft nouuellement escorcee de l’arbre ; c’est vne eSpece de Guaiac, selon que i’ai appris de deux Appoticaires qui passerent la mer avec nous ; & les Sauuages s’en Seruent contre la verole, qu'ils nomment Pians. Theuet descrit la maniere de l’ordonner, & adioufte que le fruict est presque semblable à une moyenne prune, de couleur doree, mais qu’il ne porte 20 que tous les cinq ans vne Sois : qu’au dedans il contient un petit noyau, doux & delicat, & surtout agreale aux malades. L’eScorce au dehors eft argentine, au dedans rougeaftre, elle rend quand on l’escorce nouvellement, vne humeur de laict, d’un goust salé, mais approchant de la reglise. choine, arbre ainsi nommé des Sauvages, est d’une moyenne hauteur, ses fueilles semblent en forme & verdure au laurier, il porte des pommes grofles comme la teste d'un enfant, approchant de la forme des œufs d'austriche, elles ne sont pas pourtant bonnes à manger., l’escorce en est ligneuse & dure, d’où vient que les Sauvages en font leurs maracas ce leurs autres vaisseaux aussi. 30 Le Pocoaire (dit de Lery) est un arbrisseau de dix ou douze pies de haut, ayant le tronc par fois aussi gros que la cuisse, qui est toutesfois si tendre, qu’on le peut couper d’un coup avec une espee, les Sauvages en appellent les fruicts Pacoba (& les Portugais Bachoues) qui sont de la longueur d’une palme, fort semblables en forme aux concombres, & de mesme couleur quand ils sont meurs ; ces fruicts croissent le plus Souvent vingt ou vingt cinq ensemble & 40 par grappes en des branches particulieres ; nous en avons fait mettre ici la figure depeinte au naturel : quand ce fruict est meur, estant hors de sa peau, il est grumilleux comme les sigues fraisches ; qui fait qu’en le mangeant il a le goust d’icelles, & mesme surpasse en bonté les plus delicates figues de Marseille. La forme des fueilles n’est pas fort dissemblable de celles de l'ozeille aquatique ; toutefois elles sont si grandes que leur longueur s’ettend jusques a six pies, & leur largeur à deux, mais elles sont si deliees, que quand il vente un peu fort 50 elles se decoupent par lambeaux & n’y demeure d’entier que la coste du milieu, de maniere qu'à les voir de loin, on diroit que ces arbrisseaux sont ornés de plumes d’austriches. Theuet nomme ce fruict Paquonere, & eserit que son tronc croist rarement plus faut qu’une coudee, & qu'il ne porte jamais qu’une fois. Le fameux de l'Ecluse en ses remarques sur l'Hist. des Plates rares, pense que ce fruict soit le mesme que le Platano descrit par Ouiedo au liv. VIII. ch.II. car toutes les marques conviennent fort bien. Dalemchamp en descrit prolixemét sous le nom de la Muse, que le lecteur curieux pourra voir, Rrr Theuet


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Theuet fait mention d'un arbre, qu’il dit estre appellé des Sauvages Vhebehasou, & en donne la figure, il porte une fueille assés semblable au chou ; son fruict est long, que les mousches à miel aiment extremement, qui est cause qu’elles le biffent rarement venir à maturité. Le mesme descrit l’arbre Peno-absou, lequel porte un fruict rond comme un esteuf, de la grosseur d’une grosse pom- 10 me, contenant six noix un peu larges, mais plus menuës que des amendes, dans lesquelles il y a des noyaux, que les Sauvages estiment fort pour guerir les playes recentes, estant au reste fort dangereuses à l’estomach. Le fameux Charles de l'Ecluse, In poslerioribus curis, qui ont esté imprimees apres son decès par les Raphelenges ne , selon les observations de Iean van 20 Vffele, la figure & la description de deux arbres , que nous avons estimé devoir rapporter ici. L’un & l’autre de ces arbres est nommé des Portugais Mamoera, ou Mamoeiro, ils sont bien d’un mesme genre, mais differents de sexe, car l'un d’iceux, à sçavoir le masle, est sterile & ne porte que des fleurs pendentes à de longues queuës, & assemblees par floquets, tirant sur celles du sureau, d’un blanc iaunissant, & presque 30 du tout inutiles. Et la femelle ne porte que du fruict, & point de fleur : on dit qu’ils s’aiment tant, & sont d’une nature si semblable, que s’ils sont separés d’un grand espace, & que la femelle n’aye pas le masle proche d’elle, elle devient aussi sterile & ne porte aucun fruict. En outre le tronc de la femelle, qui est gros d’environ deux piés, croist jusques à neuf pies de haut, avant quelle comence à porter fruict, dés lors on voit le sommet de l’arbre chargé de fruict, & est environné d’icelui pressé l'un contre l’autre par fois jusques à neuf piés de haut : le fruict est rond & orbiculaire, de la grosseur & forme d'un petit pepon, la chair quand il est meur en est jaunastre, que les Sauvages ont coustume de manger pour se lascher le ventre : il a plusieurs grains de la grosseur d’un petit pois ; noirs luisans & du tout inutiles : les fueilles sortent entre les fruicts attachees à de 40 longues queues, la forme defquelles approche de celle des grandes fueilles du plane ou de l’erable. Or pource qu’il n’y a nulle difference en la forme du tronc & les fueilles entre le masle & la femelle, nous auons fait reprefenter ici feulement la femelle, avec vn de fes fruids coupé par le milieu. Celui qui auoit fait cette remarque ne fçauoit pas comme il estoyent nommés entre les Sauvages, mais il disoit que les Portugais qui habitoyent en cette Province les nommoyent Mamoera, & le fruict Mamaon, de la semblance qu’il a avec les mamelles, comme pense l'Ecluse, que les Espagnols nomment Marnas & Tetas. L’un & l’autre de ces arbres croist en cette partie de l’Amerique, dans laquelle est situee cette celebre baye appellee des Portugais Baya de todos los Sanctos. 50 De laquelle nous parlerons en son lieu, & en tous les autres Gouvernements. Voila ce que nous avions à dire des arbres fruidiers de ceux qui rendent quelque huile ou resine, & de quelques sauvages.

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Herbes, plantes, & racines bonnes à manger du Brasil, selon les mesmes Autheurs.

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E pain d’ordinaire de ces régions, si je le dois ainsi nommer, est le Mandioca (comme cet Autheur Portugais l’appelle) racine comme la pastinade ou carote, mais elle est plus longue & grosse : elle produit certains tuyaux, qui croissent par fois jusques à quinze palmes de haut, fort tendres & d’une moüelle blanche, distincts de palme en palme de neuds, desquels estans rompus & plantés en terre, il 10 croist, en l’espace de six ou neuf mois de fort grosses & longues racines. Or il s'en trouve de diverses efpeces, toutes bonnes à manger : & ces racines durent sous terre pluseurs années sans estre en façon qui soit cultivees, & plus elles sont vieilles, plus sont elles grosses. Or c’est une chose sur tout remarquable, que tous animaux, les hommes seuls exceptés, aiment fort cette racine cruë, & s’en engraissent & vivent fort bien : mais quand elle est pilee s’ils en boivent seulement du suc, ils meurent aussi tost. De ces racines nettoyees & pilees, ils en font premierement de la farine & puis de la boüillie, de laquelle ils cuisent des tourteaux fort blancs & delicats : ils endurcissent & seichent à la fumee sur des clayes cette mesme farine destrempee avec de l’eau & formee en boules , & la reservent comme une provision si longtemps qu’ils veulent; & quand ils en 20 ont besoin ils la nettoyent, la repilent en paste si blanche, qu'elle dispute avec celle de froment,& la mestant avec une certaine quantité de nouvelle farine, ils en font du biscuit, duquel les Sauvages se servent quand ils vont a la guerre, & les Portugais sur mer. Ils font aussi une autre sorte de biscuit du pur suc de nouvelles racines pilees, espaissi & seiché au Soleil, ou rosti au feu ; ce qui est fort blanc & delicat, & dequoi ils ne mangent pas d’ordinaire. De la mesme Mandioca seichee à la fumee, ils en composent diverses boissons, que les Sauvages nomment Mingaou, tellement saines qu’on les donne à boire aux malades au lieu de restaurents ; de la paste ils en font diverses delicatesses, & estant messee avec de la paste de riz, ils en cuisent du pain levé, du tout semblable à celui de froment. Ils estiment que la mesme ainsi seiche à la fumee est un antidote & 30 contre venin à l’encontre des morfures venimeufes des ferpents. Entre les efpeces de la Mandioque on en remarque une, laquelle ils nomment Aypi, qui ne nuist nullement crue, dont les Sauvages composent une potion un peu froide & fort utile au foye, de forte qu’on pense que par son moyen les Sauvages font rarement trauaillés du mal de foye. Quelques Sauvages, de la nation des Tapuias , vivent de la premiere espece de Mandioque toute crue sans aucune incommodité, pource qu’ils y sont accoustumés dés leur enfance. De Lery nomme ces racines Maniot & Aypi ; Theuet, Manihot : de Lery accompare ses fueilles à celle de la Pæone, Theuet à la Pate de Lion. Enfin de Lery escrit qu’il se fait deux sortes de farine d’icelle, l’une dure & fort cuite, qu’ils nomment Orienta ; l’autre plus molle & moins cuite appellee des Sauvages Ouy-pou : comme aussi 40 de la boüillie, qu’ils nomment Mingant (je croi que c’est la mesme que le Mingaû) qui estant destrempee avec du boüillon gras, ne ressemble pas mal à du riz : enfin ces racines sont appellees des autres Ameriquains, notamment des Insulaires Yuca, dont il nous faudra aufli parler encore ailleurs. La Nana ( dit cet autheur Portugais ) eft vne herbe tort commune en ces quartiers, ayant les fueilles comme l’Aloes, mais plus deliees de aiguës, au milieu d’icelles fort un fruict semblable a une pomme de pin, orné de toutes parts de fleurs fort belles & de diverses couleurs ; il est d’une bonne odeur & d’un goust fort agreable ; plein d’un suc comme celui d’un melon ; on dit que c’est sn singulier remede contre les douleurs nephritiques ; mais on l’estime mauvais à ceux qui ont la fiebure. Les Ameriquains pressent de 50 ce fruict du vin délicat & fort : on dit que son escorce rebouche le trenchant des glaives, & que son suc oste les taches des habits. Estant frais on estime qu’il aide contre le vomissement sur la mer. Il en croist si grande quantité au Brasil, que les Sauvages en engraissent leurs pourceaux.Theuet le nomme aussi Nana & de Lery, Anana : or combien qu’il soit maintenant fort cognu de nom en l’Europe, & que d’autres en ayent donne la figure, toutesfois il ne m'a pas semblé hors de propos de le faire mettre ici ; comme il a esté representé par un Espagnol. Le Rrr 2


500

DESCRIPTION DES INDES Le Pacoba, qu'on nomme figue d’Adam, on est en doute si c’est une herbe ou arbrisseau ; car il croist fort haut, mais son tronc est fort tendre & poreux, ses fueilles sont tres-belles & par fois longues d’une coudee ou plus, & bravement rayees, polies, & d’un verd gay, elles sont un peu froides, de forte qu’estant jonchees dessous ceux qui ont la fiebure, on dit qu’elles en temperent l’ardeur. Le tronc se separe en plusieurs branches, aus- 10 quelles naissent par grappes certains fruicts semblables aux figues, en grande quantité, & quand ils sont meurs, on les cueille en coupant la queue qui les attache à la branche, & puis apres il en croist d’autres presque en nombre infini : or quand ce fruict est meur il est de couleur jaune, d’une bonne saveur & fort sain, notamment à ceux qui ont la fiebure & qui vomissent du sang. Maintenant je me suis persuadé à croire que le fruict 20 que le fameux ch. de L'Ecluse en son premier Liu. des Exotiques, Chap. XI nous a donné, semble estre celui que nous avons descrit sous le nom deMucuge : combien que j’en aye jugé ailleurs autrement, voila pourquoi il m’a semble bon d’en reïterer ici la figure.

Ce rameau (dit de l'Ecluse) estoit avec son fruict presque assemblé en forme de raisin, sec,

dur, couvert d'une escorce espaisse, menuë & longue d’un doigt, d’une couleur brune ti-

rant sur le cendre, ayât au sommet huict fruicts attachés à une courte queue, semblables à de peti-30 tes figues, de couleur de suye, tachettés de petites macules cendrees, durs & assés solides. Juste Raphelenge dans l’appendie sur l’Herbier de Dodoneus les compare avec la Muse de Serapion, & certe la description que nous en avons ci-dessus apportee de cet Autheur Portugais, convient fort bien avec les marques & la figure de la Muse qu’il en donne, si ce n’est que les fruicts que Clusius depeint, different quelque peu de ceux de la Muse. Que ceux qui sont entendus en la co- 40 gnoissance des herbes en jugent. La Murucuca, est une herbe fort belle à voir, principalement quand elle est en fleur, elle rampe contre les parois & les arbres à la façon du lierre ; ses fueilles pilees avec un peu de chalcanthe, guerissent admirablement bien les ulceres malins : elle porte un fruict rond, quelquesfois ovale, noir, brun & de diverses couleurs, au dedans il contient quelques noyaux, environnés d’une certaine subftace muccilagineuse, d’un goust agreable, mais elle est aigrette ; c’est sn fruict assés bon. Ils y a quelques annees que je 50 receu de quelques-uns de nos mattelots deux fruicts, de forme ovale, d’une escorce ligneuse brunastre, que je pense estre des fruicts de cette plante : car ils contenoyent au dedans plusieurs noyaux semblables en forme à des roignons de mouton couverts d’une certaine poulpe blancheastre, qui estoit aigrette, & estant mise dans l’eau se resoudoit apres y avoir trempé quelque temps, en substance muccilagineufe, fe noyau estant ouvert il y avoit au dedans une petite noix, de couleur jaune. Il se


OCCIDENTALES.

LIVRE

XV.

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Il le trouve en outre en ces regions plusieurs racines bonnes à manger comme Potates, Manmaras & Caras qui sont comme des raves ; aussi divers legumes ; des febues qu'on estiment beaucoup plus saines que celles de Portugal ; diverses especes de phaseoles ; l'une desquelles il nous a semblé bon d’adioindre ici, tiree des Exotiques du fameux Charles de l'Ecluse, qui en donne la figure & la description comme ci-dessous. C'C'estoit (dit-il) une fort longue escoce : car elle avoit dix poulces de longueur, & un poulce de large ou peu plus, couverte d’une peau cartilagineuse, & munie au 10 dos de quatre nerfs, qui couroyent du long depuis la queue jusques à l’autre bout, de couleur brune par dehors , par dedans d'un gris blanc, avec une certaine membrane deliee, laquelle separoit les places de chacune febue (desquelles elle en contenoit dix.) Chacune febue avoit un poulde long, & un demi poulce de large, de couleur rouge & blancheastre auprès du nombril. Voila ce qu’il en dit. l’ai aussi 20 de femblables goufles qui ont efté nouvellement apportées du Brasil, dans lesquelles les phaseoles sont noires, & de diverses couleurs, mesmes de bigarrees de fort belles taches ; d’où il appert, que la nature se jouë, aussi bien là qu’ailleurs, diversement aux couleurs de phaseoles. Il s’y trouve des pepons si gros & massifs, que les Sauvages s'en servent de vaisseaux à assembler de l'eau : aussi diverses 30 especes de mil, dequoi ils font du pain, du breuvage & autres choses : ils nourrissent du mesme les chevaux & en engraissent les pourceaux. L’herbe de Taiaoba, comme elle se nomme au langage des Sauvages, n'est pas fort dissemblable du choux de ces païs, ils disent qu’elle est ; doüee d’une faculté purgatrice. L’herbe Iambig, fort salutaire à ceux qui sont travaillés des maux de foye ou de la gravelle. Il y a plufieurs fortes de poivre, sur tout de celui que nous appelions Siliquastrum, les & Ameriquains Achi, d'un goust qui n’est point mal agreable. 40 L'Iticucu semblable à la racine de Mechoacan (dont nous avonsparle ailleurs) est de la longueur d’un refort, mais plus gros ; elle est aussi doüee d’une vertu purgatrice : on la prend broyé avec du vin à l’encontre des fiebures ; comme aussi boüillie avec une poule : ils ont coustume de la confire avec du sucre : mais elle a un deffaut, qui est qu’on estime qu’elle cause la soif, autrement elle est ; fort utile & de grande vertu. L’Igpecaya ou Pigaya guerit fort bien, comme on dit, la disenterie ; son tuyau est haut d'une demi-coudee, & sa racine est de mesme longueur ; elle produit pour le plus quatre ou cinq fueilles, de fort mauuaife odeur : la racine estant pilee & laissee une nuict en l’eau au serain, & au matin donnee à un malade de ce qui a peu passer par un 50 tamis, le purge en telle sorte, quelle arreste par mesme moyen le flux de ventre. Depuis peu de temps (dit cet Autheur Portugais) on a remarqué l’herbe Cayapia, pour estre presque l’unique & singulier remede à l’encontre des venins, notamment des serpents, d’où vient qu’elle est appellee l’herbe aux serpents, & ne cede nullement en vertu à la licorne, ni au Bezaar & au Coco de Maldivia. C’est à dire, la racine, qui esl deliee & distincte au milieu d'un certain neud, ce neud, dis-je; estant broyé & beu avec de l’eau, resiste puissamment au venin des ferpents, & garentit ceux Rrr 3 qui


DESCRIPTION DES INDES qui font blessés de fleches enuenimees ; les fueilles d’icelle rendent une odeur tort semblable à celle des fueilles de figuyer. La Tyroqui ou Tareroqui, est une herbe ayant les fueilles comme la dragee ou vesse, la racine divisee en plusieurs parties, les branches tendres, les fleurs d’un rouge rousseastre, qui sortent du bout d’icelles : Il s’en trouve par tout en grande abondance ; quand elle est nouvellement coupee elle jaunit, & peu a peu elle blanchit, elle est sur tout prisee contre la disenterie. Quand les Sauvages sont malades, ils veulent estre parfumés de la fumee de cet herbe, estimans que cela sert à la santé : on l’estime aussi pour un remede contre le vers, qui est un mal familier en ces regions : cette herbe est 10 comme fletrie de nuid, mais quand le Soleil se leve elle s’espanit derechef. L’herbe Embeguaca, a des racines par fois longues de trente coudees & plus, d’une escorce dure, desquelles on tord des cordes de navire, extrêmement fortes, car elles reverdissent sous l’eau. Cette escorce estant pilee & mise sur les charbons ardents, arreste par sa fumeee le flux de sang, principalement aux femmes. La Caaobetinga, est vue petite herbe, qui jette peu de fueilles de sa racine mesme, blancheastres dessous, & verdes par dessus : elle porte de petites fleurs comme noisettes : on dit que les racines & les fueilles pilees consolident les playes, & mesmes les fueilles. entieres mises sur les blessures s’y attachent fermement. L’herbe Cobaura, guerit, comme on dit, les ulceres malins & inveterés, si on les soupoudre d’icelle, broyee ou reduite en poudre, car elle en oste la malignité, & y fait 20 venir une nouuelle peau : les fueilles aussi estant pilees verdes, restaurent fort bien la peau. La Guaraquimya ressemble au myrte de Portugal ; outre ses autres facultés remarquables, on donne cette vertu particulière à sa semence, qu’estant mangee elle fait sortir aussi tost les vers des intestins. La Camara catimga porte une fort belle fleur (qui sent le musc) semblable à celle des doux de girofle ; l'eau en laquelle les fueilles de cet herbe ont esté boüillies, guérit fort bien les ulceres, pustules & les playes recentes. L’Aipo, est l’apium de Portugal, & a les mesmes vertus ; il se trouve seulement és Provinces maritimes & auprès du rivage de la mer, mais principalement dans le Gou- 30 vernement de S. Vincent, & de la riviere de Iennero ; elle est toutesfois d’un goust plus austere que celui de l’Europe, sans doute pour le voisinage de la mer. La Maulue est aussi familiere en ces regions, elle porte des fleurs d’un fin rouge, de forte qu’il semble que ce soyent des roses. La Caraguata est une espece de chardon, elle porte un fruict jaune, long d’un doigt qui estant mis crud en la bouche escorche les leures, mais estant boüilli ou rosti, il ne fait nul mal : toutesfois il fait avorter les femmes girosses. Il y en a une autre de mesme espece, qui a les fueilles larges, longues par fois de deux ou trois brasses ; elle porte un fruict comme le Nana, mais insipide ; ses fueilles estant broyees & bien frotees, fournissent d’un lin fort delié, dequoi les Sauvages font leurs rets à pescher, car 40 il est extremement fort. Le Timbo est une admirable herbe, qui monte au sommet des plus hauts arbres & s’y attache comme une corde, elle les embrasse à la façon du lierre, estant par fois de la grosseur de la cuisse d’un homme, elle est si ployable & si forte, que de quelque costé qu'on la torde elle ne rompt jamais : son escorce est un venin mortel dequoi les Sauvages se servent pour prendre du poisson ; car icelle estant jettee dans une riviere, espard son venin au long & au large, dont les poissons meurent tous en peu de temps. Il y a aussi une autre semblable herbe que les Brasiliens nomment Mucunagembo, si forte qu’on en fait des lacs pour arrester les boeufs, il y en a aussi une autre de mesme nom Mucuna, que les Brasiliens mangent rostie, & en font prouision pour un mois, elle 50 est fort smblable aux roseau. Iandiroba, est une herbe qui embrasse les arbres à la façon du lierre, grosse comme un doigt, elle porte un fruict rond, semblable au coin, rempli dedans d’une chair blanche, & au dedans d’icelle trois febues, donnant une huile jaune bonne pour les douleurs & maux des membres provenans de froid. Il s’y trouve en outre plusieurs herbes, qui peuvent servir en medecine ; plusieurs odorantes, 502


503 OCCIDENTALES. LIVRE XV. odorantes, comme la menthe, notamment en la Prouince de Paratininga ; l'origan & autres, mais elles ne sentent pas si bon qu’en Espagne ; ce qu’on impute au vice du clymat, a la terre le plus souvent trop humide, si ce n'est qu’on le doive attribuer à la trop grande ardeur du Soleil. Il y a aussi diverses fleurs, comme des lis blancs & rouges, & d’autres de mesme genre. Enfin il s'y trouve une grande quantité & variété de cannes & de roseaux : principalement du Tucuara qui est aussi gros que la cuisse d’un homme ; d’autres qui croissent d'une hauteur admirable, qu’on trouve d’ordinaire dans les forests, nourries de 10 l’humidité de la terre, & qui montent tant quelles ayent surmonté les sommets des arbres : elles occupent par sois beaucoup de terre & mesmes des Provinces entieres mais les Sauvages estiment fort les moyens roseaux, pource qu’ils en font leurs fleches. Voila ce que nous avons presque tout tiré de cet Autheur Portugais, si ce n’est que nous y avons aussi meslé des autres ce qui s’accordoit avec.

CHAP.

XI.

Quelques autres Plantes du Brasil, tirees de Lery, Theuet, & l’Ecluse & de l'espece monstrueuse du Phalange.

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E m’esmerveille de ce que cet Autheur Portugais ne fait nulle mention du Manobi ou Mandubi, qui est descrit par de Lery en cette maniere ; Les Sauvages ont aussi une forte de fruict, qu’ils nomment Manobi, lequel vient sous terre à la façon des trusses ; & se lient ensemble par de petits filets, ils contiennent un noyau de la grosseur & du goust d’une noisette, la peau n’est pas plus dure que l’escoce d’un pois sec, & de couleur grise, si elle produit des fueilles, ou de la femence, ie ne l’ai iamais peu remarquer en forte qu’il m’en puisse souvenir ; combien que j’en aye souvent mangé : Voi30 la ce qu’il en dit. Nous avons fait depeindre ces fruicts exactement, comme nous les avons recouverts du Brasil, de la mesme grosseur qu’ils estoyent. Il y croist aussi (dit de Lery) une forte de febue de la grosseur du poulce, qui est nommee des Sauvages Commenda-ouassou ; des pois aussi, blancs & gris, qu'ils nomment Commanda-miri. Theuet fait mention d’une certaine sorte de febues, du tout blanches, plates & plus larges & longues que les nostres. J’en ai fait depeindre ici quelques-unes que j’ai euës du Brasil : elles 40 different de celles de ces païs, non seulement en ce quelles font beaucoup plus longues, mais aussi en ce quelles n’ont en haut nul nombril, comme Dodonœus le nomme ; au reste il y apparoist manifestement un indice de germe comme aux nostres. Or celles qui j’ai receu, different en couleur non en forme, car d’aucunes sont du tout blanches, d’autres sont d’un blanc clair jaunissant, d'autres d’un pourpre obscur ; mais la peau de toutes estoit fort luisante. Lors que j’estois à Lisbonne (dit de l'Ecluse) on me donna une sorte de phaseoles, tout nouuellement venus du Brasil, de la largeur du poulce, espaisse, de couleur rousse, avec un grand nombril & comme fenduë au bout, il y en a quatre ou cinq de telles en 50 chacune escoce fort grande, on dit qu’estant pilees fraisches & encores verdes, & mises sur les bubons veneriens, ils les guerissent : ils portent une fleur d’un rouge pallissant : J’en ai seulement veu une jeune plante née des semences que j’avois, laquelle avoit les fueilles presque semblables à celles des phaseoles vulgaires, si ce n’est qu’elles estoyent plus petites, & couvertes en la partie de dessous d’un poil folet fin, mol & brun, principalement les plus petites fueilles & le bout des tuyaux : Les Brasiliens les nomment Maconna. l'ai


DESCRIPTION DES INDES J’ai veu aussi (dit le mesme) proche de Lisbonne, dans un certain Monastere une sorte de phaseole si semblable aux vulgaires de nostre païs, que je pensois que s’en estoyent : ils couvroyent une treille ou berceau de jardin, & avoyent la fleur pourpre ; mais les escoces estoyent rudes, courtes & deux fois plus large que celles de nos vulgaires : le fruict en estoit fort petit, de la grosseur d’un ordinaire pois, du tout noir, si ce n'est en la partie qu’il estoit attaché à l’escoce, qui estoit blanche. J’appris qu'ils estoyent fort communs au Brasil, & que les Portugais qui y habitoyent les nommoyent Faua braua, c’est à dire, febue sauvage ; il en a fait mettre la figure des deux dans les Commentaires sur Monard. J'ai veu depuis peu en Hollande des phaseoles, 10 qui avoyent elle aussi apportés du Brasil, les fueilles desquels ne different en rien de ceux de nostre païs, les fleurs sont d’un fort beau rouge ou comme celles des orangers, attachees par floquets & en grande quantité à de fort longues queuës : Or les escoces sont rudes, & plus courtes & plus larges que celles des vulgaires, enfin les phaseoles en sont d’un bleu fort brun & presque noir, beaucoup plus gros que les communs, estans au reste de la mesme forme : J’en ai veu de tous blancs, dont les fleurs estoyent disposees en la mesme façon qui estoyent blanches ou jaunastres, ce sont de fort belles plantes & qui peuvent gentiment orner des berceaux de jardin. Je ne puis oublier d’adiouster ici une forte de phaseoles beaucoup plus gros apportés aussi du Brasil, l’escoce est deux poulces de large ; & longue de demi-pié, d’un brun tirant sur le noir divisee en quatre espaces, & estant nouvelle, elle estoit couverte d'un 20 certain cotton roussatre ; elle contient quatre phaseoles, avec un grand nombril, noirastres en la partie bossuë, & jaunastres aux bords : il y en a qui sont d’un fin rouge ; d’autres qui sont marquettees de certaines petites taches : l'escorce est fort espaisse ; fort semblables en goust à ceux de nostre païs. J’ai fait mettre ici la figure de l'escoce & d'un phaseole exactement depeinte.

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Au reste le fameux Charles de l'Ecluse fait mention, Inposteriobus curis, de douze especes de ce poivre de l’Amerique, qui croist principalement au Brasil : le Matthiole nomme cette plante Siliquastre, & de l’Ecluse Capsique ; elles different peu quant aux fueilles, mais fort en escoces ou gousses, car il y en a qui ont les costes droites, rondes & pyramidales : d’autres qui pendent, & sont aussi rondes, longues à la façon des cerises, & ridees : d’autres aussi qui pendent, mais elles sont courbees ou fourchuës. Mais nous avons beaucoup parlé de cette plante ci-dessus sous le nom de Chilles ou Axi. J’adiou- 50 sterai seulement ceci de Lery : que les Sauvages du Brasil broyent ce poivre avec du sel, qu’ils sçavent fort bien faire, & nomment cette composition Jouquet, de laquelle ils n’usent pas moins en leurs repas, que nous de sel ; toutesfois ils n’en trempent point leurs morceaux, mais ils la jettent au fonds de la bouche, & portent leur du bout des doigts dedans, les Petigares le nomme Jouquira, & les Toupinambas, Jouquitaya. Outre


OCCIDENTALES. LIVRE XV. 505 Ourre le Maniot & Aypi, ils ont encore d’autres racines (dit de Lery) qu’ils nomment Hetich, desquelles la terre du Brasil porte autant que le Limousin ou la Savoye fait des raves : elles sont le plus souvent aussi grosses que deux poings. Et combien qu'elles semblent estre d’une mesme espece, lors qu’elles sont nouvellement arrachees de terre,toutes fois pource qu’estant cuites, il y en a de violettes, d’autres jaunes, & d'autres blanches, je croi qu'elles sont de trois especes : Quoi qu’il en soit, je puis bien asseurer que ces racines, principalement les jaunes, estant cuites sous les cendres, ne cedent en rien à nos meilleures poires : leurs fueilles qui rempent sur terre à la façon de l’herbe de S. Jean, ou lierre terrestre, sont semblables aux fueilles de concombre ou 10 aux plus larges des espinars, (Theuet les compare aux fueilles de mauves) toutesfois elles difterent en couleur, qui appproche plus de celle de la vigne blanche : au reste pource qu'elles n’ont point de semence, les femmes Sauvages qui ont le soing de ces choses, coupees par morceaux les plantent, qui peu de temps apres produissent autant de grosses racines. Toutesfois pource que c’est le principal mets de cette contree, & que les voyageurs en trouvent partout. j'estime aussi qu’elles croissent d’elles-mesmes. Il ne sera point hors de propos de conjoindre avec ces plantes le Phalange monstrueux, la figure & description duquel le fameux Charles de l'Ecluse a donné In posterioribus curis, comme elle est ci-dessous. En cette partie du Brasil où est la 20 baye de tous les Saincts , l'honneste homme Jean van Vffele y a remarqué un certain Phalange ou une sorte d'araignee non vulgaire, mais monstrueuse : Car veu que Pline ne donne à toutes sortes d’araignees, que trois joinctures seulement à chaque jambe, & au Phalange un petit corps ; cette-là avoit plusieurs joinctures en chacune jambe ; car outre celle par laquelle 30 elles sont conjointes au corps, elle en avoit quatre autres & comme deux ongles fourchus, de sorte qu’elles sembloyent estre des jambes d'un petit cancre. Or tout le corps estoit long de trois poulces, & un ou un peu plus de large, d'une couleur brune, mais tout velu, & couvert d'un poil noir, long & espois, au milieu du dos elle avoit un trou apparent comme un nombril, environné de semblable poil, la teste ou la partie de devant du corps estoit entièrement couverte de semblable poil espois, comme aussi celle de derriere ou le ventre, qui estoit longue d’un poulce & plus grosse, avec un aiguillon four40 chu au bout : elle avoit au milieu du corps cinq jambes de chacun costé, couvertes de semblable poil & distinctes en quatre joinctures assés visibles, rougeastres comme aussi les ongles : en somme, cet animal estoit fort monstrueux, & si dangereux, que les Sauvages ont peur de le toucher & le fuyent. Voila ce qu’il en dit. Il est venu jusques à nous une telle araignee viue, qui avoit esté apportée de l'Isle de S. Alexis, qui est au devant de la Continente du Brasil (comme nous dirons ci-apres) que nous avons desia gardee presque deux mois, par laquelle nous avons peu remarquer plus à plein la forme & composition du corps ; elle est de la mesme grandeur & grosseur que le fameux de l’Ecluse a descrit ou mesme un peu plus grande ; elle a tout autant de jambes qu’il en met, mais les deux de devant sont plus menuës & courtes que les autres ; elles ont qua50 tre joinctures sans les piés ; mais nous ne pouvons remarquer que les joinctures ou les ongles soyent rouges, ni n’apparoist pas bien que les ongles, comme il les nomme, soyent fourchus, combien que je sois en doute de cela : & le corps n’est pas couvert de poil si espois, mais plus clair, principalement la partie de derriere ou le ventre, qui est en quelques endroits nuë & d'une couleur luride ou brunastre, qu’on nomme vulgairement minime ; elle a le nombril sur le dos, mais qui n’est pas si ouvert & visible, mais plus serré ; nous avons aussi remarqué qu’elle file des toiles avec cet aiguillon fourchu quelle Sff


DESCRIPTION DES INDES quelle a derriere comme une queuë, nous en avons aussi une morte, en laquelle nous avons remarqué qu’elle a aupres de la gueule de chaque costé deux bossettes, dans lesquelles sont enfermés en chacune une dent, comme de petits ongles, pareils à ceux qu’ont les petits oiseaux, courbés, semblables à de la corne, & d'un noir, luisant : nous n’avons jamais veu que celle qui est en vie les ait jamais mis hors, combien que nous lui ayons jetté plusieurs insectes & des mousches dont a coustume de viure cette forte d'animaux : au dessus de la gueule elle a comme une prunelle fourchuë fort noire & luisante, je ne sçai si elle voit : elle se remuë fort viste quand on la met hors de sa boëte, & commence aussi tost à filer, mais estant enfermee elle ne fait rien de tel. 10 CHAP. XII. Poissons de mer du Brasil tirés de cet Autheur Portugais & autres. NTRE les poissons du Brasil excelle le Manati, la figure & description duquel nous avons desia donnee. Le poisson Beyupura est semblable à l’esturgeon de Portugal, que les Sauvages estiment fort & non sans cause, car il est fort gras, d'un bongoust & fain ; il s’en trouve là en grande quantité : on les prend avec l’hain en la pleine mer, longs de six ou sept paulmes, ronds, le dos noir, & le ventre blanc. Les Boopes sont semblables en forme grandeur au Thuns d’Espagne, fort gras, on les coupe comme les turbots, & on les sale : leur graisse ne ressemble pas mal au lard, 20 de laquelle on fait une certaine huile ou beurre : ils ont des yeux de bœuf, d’où ils ont receu leur nom. Le Camurupi doit estre conté entre les principaux, il est gras & d'un bon goust, armé tout le corps de force aiguillons, il a une creste sur le dos qui est fort longue & toujours droite, le corps long & assés large, de sorte qu'à peine deux hommes le peuvent-ils porter ; on les harponne avec un trident de fer ; & on en tire beaucoup de graisse & d’huile. Le poisson Piraembu, comme qui diroit ronfleur, du ronflement qu’il fait ; est long de huict ou neuf paulmes, d'un bon goust & de grande estime, il a au dedans de la gueule deux pierres, larges d’une palme & fortes, avec lesquelles il brise le coquillage dont il vit ; les Sauvages les prisent fort, & les portent autour du col pour carquans. 30 Il y a en outre plusieurs poissons incognus en nostre monde, qui sont d’un bon goust & fains, aussi grande quantité de quelques-uns de ceux qui se prennent en nostre mer, comme ceux que les Portugais nomment Tainhas, qu'ils ont remarqué, quand ils sont frais, servir à l’encontre les morsures des serpents : diverses especes de carpes de mer, que les Portugais nomment Pargos & Sargos : des Cicharri, qui est une sorte de maquereau : des Garaze, Aiguilles, Rajes & semblables. Entre ces poissons excellent aussi ceux que les Portugais & autres nomment Doradas : appellés des Sauvages VVaraka pemme ou plustost Guarapema, comme nous avons appris d'un de nostre païs, qui en avoit tiré le pourtraictc au vif, lequel nous avons fait 40 mettre ici.

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50 Divers Autheurs, notamment Rondelet & Aldrouandus l'ont diligemment descrit, toutesfois les figures qu’ils en donnent different quelque peu de la noftre. Or tous les poissons (dit cet Autheur Portugais) sont estimés si sains en ces regions, qu’ils ne nuisent pas mesmes à ceux qui ont la fiebure. Pource que la coste de la mer a tant de recoins, bayes & destours, la mer y est fort

poiflonneiuc,


OCCIDENTALES. LIVRE XV. 507 poissonneuse, il y a un grand nombre de balaines qui s’y assemblent, principalement de May en Septembre, & mesme on croit qu'elles y deschargent leurs petits & les y nourrissent. Il y en a qui pensent que l’ambre gris, qui se trouve là fort souvent, est jetté des balaines ; combien que d’autres estiment qu’il est porté à la coste par les flots de la mer : car il se trouve presque toujours apres les grandes tempestes : tous animaux l'appetent fort, voila pourquoi aussi tost que la tempeste est cessee il le faut chercher, de peur qu’il ne soit mangé des animaux ; fort souvent beaucoup de balaines s’arrestent sur les bancs, qui demeurent à sec à maree basse, desquelles on tire beaucoup d’huile. Or elles sont presque toutes de cette sorte qu’on nomme Physiteres. Les Pri10 stes aussi fréquentent toute cette mer, ou plustost Emperadores ou poissons à scies, grands monstres ayans le nez large à la façon d’une espee, armé de costé & d’autre de plusieurs dents aiguës, de la longueur par fois de trois coudees, duquel ils blessent souvent à mort les balaines, avec qui ils font la guerre. Il y a autour de cette coste grande quantité de tortues de mer, qui ponnent leurs œufs sur le rivage, bien souvent deux cents, & par fois trois cents, de la grosseur de ceux de poules, ronds & blancs, mais ils ne sont seulement couverts que d’une forte peau, lesquels elles couvrent de sable, jusques à ce qu’ils eclosent. Or elles croissent d’une telle grandeur & grosseur, qu’il s’en trouve par fois que dix hommes ne peuvent porter : elles sont maintenant fort cognuës à ceux de l’Europe. 20 Il s’y trouve presque un nombre infini de Requiens ou Tuberones, comme ils les nomment, animal cruel & qui cause la mort à plusieurs qui nagent en mer : il y en a de plusieurs sortes ; quelques-uns desquels se trouvent dans les rivieres : on les lance en mer avec des fourchefieres, or ils sont toujours accompagnés de poissons de diverses couleurs, que les Portugais nomment Pelgrimes. Les Sauvages munissent leurs fleches des dents de ces Requiens, car elles sont aiguës & venimeuses, de sorte que ceux qui en sont blesses en guerissent rarement. Les poissons volans sont d’ordinaire plus longs qu’une palme, ont la prunelle des yeux fort belle, & comme une pierre precieuse, la telle fort bien faite, les ailes de chauve-fouris, de couleur d’argent ; ils sont si chassés des autres poissons, qu’en fuyant 30 ils s’eslevent hors de la mer, & fort souvent tombent dans les navires, qui est estimé un bon presage par le commun des mariniers. Les saulmons y sont fort rares, & ne sont point à comparer à ceux de l’Europe. Les soles n’y sont pas aussi fort communes, & si elles ne sont premierement bien batuës, elles ont la chair grandement molle, & moins delicate. La raine pescheresse ou marine, que les Sauvages nomment Amayacu, est un poisson court & seulement long d’une palme, peint avec de beaux yeux, estant tiré hors de l’eau il ronfle, & s’ensle, car il a du venin entre peau & chair, mais estant escorché on en peut manger sans danger, autrement il est mortel. Son venin fait mourir tout aussi tost les loirs. Il y en a une autre espece, garni d’aiguillons comme un 40 herisson, grandement venimeux, toutesfois quand la peau en est ostee on le mange, & on croit qu'il sert contre la disenterie. Il y a une autre sorte de poisson appellé des Sauvages Itaoça, ayant le corps triangulaire comme un poignard, les yeux bleus, son venin est en la peau, foye, boyaux & eschardes, mais quand tout cela en est osté, il est sans danger. Les Camarus sont semblables aux serpents de mer qui se trouvent autour de la coste de Portugal, longues de dix ou quinze paulmes, elles sont si grasses qu'estant rosties elles ont le goust de chair de pourceau ; leurs dents sont monstrueuses, les morsures desquelles sont fort dangereuses, car les membres qui en sont attaincts, pourrissent & tombent, elles ont plusieurs aiguillons. Les Sauvages disent qu'ils s'accouplent avec 50 les serpents terrestres, & qu’ils l’ont souvent remarqué. L'Amoreatii est semblable à la raine pescheresse, elle est herissee de plusieurs aiguillons, & se cache sous le sable du rivage, blessent les pies de ceux qui marchent dessus, au grand danger de la vie si on n’y remedie avec le cautere. L’Ama-curub, ainsi nommé des calles, que les Sauvages nomment Curub, dont il a tout le corps parsemé, est un poisson rond & long, semblable à celui que les Portugais nomment Bugallo, grandement venimeux. Sff 2 Le


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DESCRIPTION

DES

INDES

Le Puraque des Sauvages semble estre la Torpille, car en le touchant il cause un en-

gourdissement aux membres, comme d'une paralysie, & si quelqu’un le touche d’un baston, son bras demeure endormi, quand il esft mort il est bon à manger, & n’a nul venin. Peu s’en faut que je ne me sois persuadé, que celui duquel nous donnons ici la

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figure au vif depeinte au Brasil, ne soit le mesme ou à tout le moins un de la mesme 20 espece: Encore que celui qu’il l’avoit peint m’aye rapporté qu’il estoit appellé des Sauvages Arawa wapebbe. L'Ierepemonga est un serpent marin, lequel bien souvent se tient coi sous les ondes, tous les animaux qui l’attouchent se collent si fermement à lui, qu'à peine les en peuton arracher, il se nourrit d’iceux : par fois il sort de la mer sur le rivage,& s’entortille, que si quelqu’un y porte la main pour le prendre, elle s’y attache aussi tost, & s’il en approche l’autre pour s’en despestrer, elle est en la mesme façon prise ; puis aussi tost ce serpent s’estend en une longueur estrange, & emportant sa prise en mer s’en repaist. Les Sauvages appellent les Tritons ou Sereins, Ypupiapra, ils ont si grande horreur de ces monstres, qu’ils meurent par fois de la seule peur ; car ils representent (comme ils 30 difent) extremement bien un visage humain, si ce n’est qu’ils ont les yeux plus profonds en la teste ; on dit aussi que les femelles ont de longs cheveux & un beau visage ; ils se tiennent d’ordinaire dans l’emboucheure des rivieres ; & on les voit le plus souvent au dessous de Iagoaripe, sept ou huict lieuës de la baye de tous les Saincts, comme aussi aupres de Porto Seguro, où on dit qu’ils ont tué plusieurs Sauvages, car les embrassant par le milieu, ils les pressent si fort, qu’ils les estouffent, ce qu’ils ne font pas à cette intention, comme il semble, mais par une singuliere affection, car on leur oit jetter quelques souspirs, apres qu’ils les ont fait mourir, ils s’en retirent sans entamer rien du corps mort, si ce n’est d’avanture les yeux, le nez, le bout des doigts, ou bien les parties honteuses ; & ce qui est un indice qu’ils ont esté tués de ces monstres, c’est qu’estans,40 par apres jettés au rivage, on les trouve le plus souvent mutilés de ces membres. Ces mers sont du tout pleines de seiches, qui ont de l’encre au lieu de sang, & n’y a pas moins de calamars & culs de chevaux dans la prochaine pleine mer. De Lery remarque en outre, que tous les poissons sont en general nommés des Sauvages Pira : or il s’y trouve deux sortes de mullets, qui sont appellés des Sauvages Kurema & Parati ; l’un &l’autre d’un fort bon goust, tant boüilli, que rosti. Et pource que les mullets sont de cette nature de s’assembler par troupes aupres du rivage, les Sauvages les tirent à coups de fleches, & souvent, tant ils sont adroits, ils en percent deux ou trois d’un coup, qu’ils vont querir à la nage, pource qu’ils ne peuvent s’enfoncer. Leur chair est fort friande, qui est cause qu’en ayant pris une grande quanti- 50 té, ils les mettent sur le Boucan ou Mocae, comme ils le nomment, & les seichent, & estans ainsi secs, ils les reduisent en farine qu’ils prisent fort. Le Camaroupouy-ouassou est un fort grand poisson, & tres-bon à manger, les Sauvages le celebrent en leurs chansons lors qu’ils dancent. Ils ont en outre deux sortes de poissons, qu’ils nomment Ouara & Acara-ouassou, qui ne sont pas beaucoup differents du precedent, mais ils les surpassent en bonté, car j’oserois


OCCIDENTALES. LIVRE XV. 509 j'oserois asseurer (dit de Lery) que l'Ouara ne cede pas beaucoup à nostre Morne, d'autres nomment ces deux poissons Guara & Acaraguacu. L'Acarapep est un poisson plat, qui rend quand on le cuit une certaine graisse jaunastre, laquelle lui sert de saulce, la chair en est au reste fort bonne. L'Acarabouten est un poisson visqueux, de couleur de cerf ou rougeastre, il cede pourtant en bonté aux precedents, & est moins agreable au palais. Le Pyra-ypouchi ou Pirapoxi est un long poisson comme une anguille,& n'est pas bon à manger, ce que l’Ypouchi des Ameriquains declare ; par laquelle voix ils advertissent, qu’on s’en doit abstenir. 10 Les Raies qui se prennent dans la baye de Ganabara, c'est à dire, Rio de Jennero, & dans la mer prochaine, ne different pas seulement des nostres en grandeur, mais aussi en ce principalement, qu’elles portent deux cornes fort longues, & ont en outre cinq ou six fîssures soubs le ventre, qu’on diroit y avoir esté faites expres, tant elles sont bien taillees : leur queuë est longue, deliee & fort venimeuse. Theuet escrit qu'elles sont appelles des Sauvages Ineuouea. J’ai receu en outre d’un certain jeune homme de nostre païs, assés expert en l’art de peindre, trois pourtraicts d’autres poissons qui se prennent par tout en cette mer, desquels, combien qu’il ne m’en ait donné que le nom & les figures, sans qu’il m’en peust declarer autrement la nature & les qualités, j’ai toutesfois estimé ne 20 devoir obmettre les pourtraicts en ce lieu, attendant que les autres choses nous soyent plus plainement cognuës. Il disoit que cestui-ci duquel nous mettons ici la figure s’appelloit Vbirre, mais un Portugais m’a dit depuis qu’il s’appelloit Mucu. Vbirre.

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L’autre Awah-kattoe ou Iahwe, qui semble se devoir mettre au rang des orbes, d’une belle forme. Voyés-en la figure.

Srr 3

Le


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DESCRIPTION

DES

INDES

Le troisieme Pira, Vtoewah, d’une forme monstrueuse, qui semble aussi estre du genre des orbes, duquel nous n’avons rien receu outre la figure. 10 CHAP.

XIII.

Poissons Crustaces & Testaces, item arbres du rivage ou marins, comme aussi les oiseaux de mer. 'Apula du genre des escrevices, semblable au neud d’une cane, il se trouve rarement, il n’est pas seulement bon à manger, mais il sert aussi de medecine, car on dit qu’il guerit les affections de rate si on boit de sa pouldre à jeun. L’Vzas ou Vcaa est du genre des cancres, ils sont dans la bouë aupres du rivage en nombre presque infini, c’est l’ordinaire & le plus commun vivre, non seulement des Brasiliens, mais aussi des Negres, ils sont de bonne saveur & sains, si on boit de l’eau 20 fraische dessus. Le Guainumu est une forte de gros cancres, ayant la gueule si large que le pié d’un homme entre dedans, il est bon à mâger & est plustost animal terrestre qu’aquatique, car il se tient dans des trous auprès du rivage : quand il tonne ils sortent hors de leurs cavernes, & font entr'eux un si grand bruit, qu’ils espouvantent les Sauvages, qui craignent que leurs ennemis soyent venus, car ils sont fort craintifs. L’Aratu est de mesme espece, ils se cachent dans les troncs des arbres du rivage, & espient soigneusement les huistres & mousles, dans lesquelles ils jettent, par une singuliere industrie, des pierrettes lors quelles s’ouvrent, & par ce moyen les mangent sans peine. Il s’y trouve plusieurs autre sorte de cancres, lesquels tous les Sauva- 30 ges mangent d’un bon appetit. Il y a grande quantité d huistres, dans lesquelles se trouvent quelques fois des perles. Les Sauvages en assembloyent anciennement grande quantité, & en ayant osté la chair, ils ammonceloyent les coquilles aupres du rivage, d’où vient qu’on voit souvent en divers lieux des monceaux assés hauts de telles escailles, couverts d’herbes & d’arbrisseaux, & par fois aussi de fort grands arbres, desquelles les Portugais font de la chaux fort bonne & fort blanche, de laquelle ils se vervent ci & là de ciment en leurs bastiments, &: quand elle est arrosee d’eau de pluye, elle se noircist aisement. Il y a de plus des mousses, desquelles la partie creuse des coquilles est de couleur d’argent, dont 40 les Sauvages se servent au lieu de cueilliers & de couteaux. Ils y prisent fort les grands cornets de mer, qu’ils nomment Guatapiguasu, car ils disputent avec livoire, & les Sauvages s’en servent pour instruments de musique. Il y en a une autre espece qu’ils nomment Piraguaig, desquels par fois les flots de la mer en assemblent de gros monceaux sur le rivage, chose merveilleuse à voir. Il s'y trouve enfin en grand nombre des trompes, des coquilles de S. Jaques, & d’autres conches de mer de toutes fortes, fort gentilles. Il s’y trouve sous l’eau une grande quantité de coral blanc, qui ne differe du vrai qu’en couleur, toutesfois on l’arrache difficilement des pierres, aussi n’en vaut-il pas la peine. Entre les arbres marins sont contés les Mangas, pource qu’ils se trouvent en grand 50 nombre aupres du rivage & des recoins de la mer, ils ont les fueilles comme nos faulx, toujours verds, d’un bois pesant & presque aussi dur que du fer ; au dessous d’iceux se trouve une forte de mouscherons, qu’ils nomment Maragues ou Mariguy, fort petits, mais qui poignent si vivement, qu’on les estime à bon droit la peste de ces regions, & ne sont point empeschés par les habits : le seul remede est de les chasser par la fumée, ou de se froter le corps de fiente, ce que les Sauvages ont coustume de faire. Cet arbre e s t aussi

L


OCCIDENTALES. LIVRE

XV.

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est aussi nommé par d’autres Mangle, que nous auons descrit ailleurs selon Ouiedo. Entre les oifeaux qui viuent en mer, le Guiratinga mene la bande, qui eft de la grandeur d’vne gruë, ayant les plumes blanches, le bec long & pointu de couleur iaune, les iambes longues, d’vn rouge iaunastre, le col eft couuert de plumes fi fines & belles, qu elles difputent auec celles d’autriche. Le Caripira a la queue fourchue, d’où vient qu’il eft nomme des Efpagnols Rabo forcado, les Sauuages se plaisent fort à auoir de fes plumes, pour en empenner leurs fleches, car ils ont remarqué qu’elles durent long temps. Or il ne se trouue feulement pas là, mais par tout ailleurs en l’vne & l’autre Inde, de forte qu’il eft maintenant fort 10 cognu au vulgaire. François Ximenes, descrit, que la graille de cet oifeau eft vn fingulier remede pour effacer les cicatrices du visage, 5c qu’il eft principalement bon contre la goutte ; mais qu’il eft fort difficile à prendre, fi ce n’est en quelque Isle deferte, où il esclost fes poussins ; il raconte qu’on lui en auoit vne fois donné vn, les ailes duquel, fans les plumes, eftant estenduës en la mode qu’il vole, occupoyent plus d’espace, qu’aucun homme eftendant les deux bras n’eust fçeu attaindre. Les Sauuages nomment les goilans Guacas, or il y en a vne telle multitude & de tant de fortes, qui couurent le riuage & les arbres qui l’auoifinent, que c’est comme vne chofe incroyable. Le Guirateonteon eft vn oifeau fort fuiet au mal caduc, d’où il a eu fon nom des 20 Sauuages, comme qui diroit oifeau fouuent mourant, Ôc derechef resuscitant, il eft au refte couuert de plumes blanches & fort belles. Le Calcamar est de la grofieur dvn pigeon, mais il ne fçait point voler, il hache auec fes mongnons d’ailes & ses piés fort viste les ondes de la mer, où les Sauuages croyent qu’il pond ôc couue: ils sont prononciateurs du calme & de la pluye, & en ce temps ils enuironnent les nauires en fi grand nombre, que les mariniers en font ennuyés. L'Ayaya eft de la grofieur d’vne pie, auec vn long bec fait en cueillier, fes plumes font blanches fort bien parfemees de taches rouges, d’vne singuliere induftrie à prendre le menu poisson. 30 Le Caracura eft petit de corps, de couleur cendree, ayant les yeux fort beaux, dont l’iris eft d’vn fin rouge, il a vne voix fi haute qu’on mgeroit qu’il feroit beaucoup plus gros, on l’entend chanter deuant le leuer du Soleil, & au foir, qui eft vn certain indice de beau temps,comme ils difent. Le Guara eft de la grofieur d’vne pië, auec vn long bec recourbe deuant, de longs piés, quand il eft nouuellement efclos,il eft noir, puis apres il deuient cendré, mais quand il commence à voler, il eft veftu d’vn beau blanc, & peu à peu il rougit, iufques à ce qu’auec l’aage il deuient de couleur pourpre, laquelle il retient toufiours par apres. Il niche aussi dans les maifons ; ôc vit de poiffon,de chair ôc autres viandes toufiours trempeesdans l’eau: les Sauuages composent de fes plumes leurs couronnes & 40 autres ornements, voila pourquoi ils l'ont en grande estime : ils volent par bandes &c eftant expofés au Soleil,ils font voir quelque chofe de beau. Il y a plufieurs autres oifeaux qui viuent en mer, cognus à ceux de l’Europe, & entre iceux de ces aigles que nous nommons marines. CHAP. XIV.

De quelques poissons de riuiere, item des serpents & autres animaux qui viuent en icelles, selon les mesmes Autheurs. 50

L

E s riuieres du Brasil ( dit de Lery ) abondent en moyens & petits poissons, que

les Sauuages nomment en leur langue Paramiri & Acaramiri; car miri signifie en leur idiome petit ; de Lery & Theuet escriuent de deux de cette forte vn peu moftrueux. Vn que les Sauuages nomment Tamouata ou Tamoutiata,qui est de la longueur d vne palme,vn peu plus petit que nos harans, auec vne grosse teste plus que ne porteroit la grofieur de fon corps ; il a deux nageoires dessous les oreilles,les dents plus aiguës que celle de nostre brochet ; armé,comme Armadille,depuis la teste iusques au bout de la queue


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DESCRIPTIONS

DES

INDES

queuë de si dures efcailles, qu’à peine le peut-on percer d’vn glaiue. La Chair eft estimee, & eft d’vn fort bon gouft. ils nomment l’autre Panapana, d’vne moyenne longueur, d’vne peau rude & inegale , comme est celle d vn chien de mer, au relie du tout semblable au poisson que ceux de Marfeille nomment Cagnole, il a la telle plate, difforme 6c diuifee comme en deux cornes , au bout defquelles apparoissent les yeux,de forte qu’ils font separés l’vn de l’autre d’vn long espace. Theuet en a donné cette figure, laquelle dif- 10 fere feulement de la queue de celle que Bellonius a exprimé dans fon Histoire des Aquatiques. Rondelet escrit, qu’il a la queue diuifee en deux pinnes inegales, ce qui conuient mieux auec noftre figure. Aldrouandus en donne deux pourtraicts, mais ni l’vn ni l’autre ne s’accorde auec le nostre. Le Cururyuba (dit cet Autheur Portugais) est le plus long & beau ferpent de riuiere que cette region nourrisse, car il s’en trouue assés fouuent de vingt cinq 6c trente piés de long: Il a vne chaine fur le dos qui court depuis le derriere de la telle iufques au bout de la queuë, tracee gentiment de diuerses couleurs : ii a des dents de chien que s’il peut attraper foit homme foit belle,il les deuore tous entiers. Ce que les Sauuages 20 en racontent est du tout incroyable; qui eft que quand il s’est bien rempli le ventre, il pourrit le ventre en haut sur terre, de sorte que les corbeaux & autres oifeaux en mangent entierement la chair, laissans le scelete seul, 6c que puis apres la chair lui reuient de nouueau de foi-mefme reprenant derechef fa forme, fa longueur ôc grosLeur, pource que la telle dans laquelle est l’esprit vital eft filong temps cachee dans la boue, voila pourquoi les Sauuages qui fçauent cela, quand ils en trouuent le scelete ou le corps pourrissant, ils cherchent foigneufement la teste, & l’ayant tiree hors de la bouë la tuent : quand il est saoul, ils dort si profondement, que les Sauuages lui coupent souuent vne partie de la queue fans qu’il fe reueille. Le ferpent Manima, ne fort iamais de l’eau, il eft par fois plus grand que le prece- 30 dent, & eft fi elegamment bien peint, que les Sauuages fe ventent d’auoir tiré d’icelui la mode & la forme de se peindre le corps : d’où vient qu’ils en font ordinairement tant d’estime, que celui à qui il s’est monstré conclud de là qu’il viura long temps. Il y a plusieurs Crocodilles, que les Sauuages nomment Iacare, qui sont si grands, qu’il s’en prend par fois de quinze piés de long. L'Iguarucu eft vn animal amphibie, de la grandeur d’vn bœuf, ayant les dents longues d’vn quart de pié, ennemi de l’homme ; il fe trouue ordinairement dans la riuiere de S. Francisco & de Paragua,ailleurs fort rarement. L'Atacape eft auffi vn animal amphibie, plus petit qu vn loup, mais plus furieux, il a coustume de sortir sur terre pour y attraper les hommes, & pource qu’il est fort leger, 40 il les furmonte fort fouuent & les deuore. Les Iaguapopebas, font viperes du tout femblables à celles de Portugal. Le Zaziguemeiu, eft vn moyen animal, duquel la peau eft en grande estime. Le Baepapina semble estre vne efpece de Tritons, de la forme & grandeur d’vn enfant , frequent dans les riuieres de ces regions, c’est vn animal qui ne fait nul mal. Il s’y trouue auffi quantité de pourceaux de riuieres, nommés des Sauuages Capygoara, qui font bien de la grandeur des pourceaux, mais ils font vn peu differents de forme, iis ont vne assés grosse pierre fous le palais, qui leur fort au lieu de grosse dent ; les Sauuages la pendent au lieu de carquant au col de leurs enfans ; ils n’ont point de queue : ils fortent fouuent hors de l'eau ôc nourrissent leurs cochons fur terre, car ils 50 viuent d’herbe & de fruicts qu’ils trouuent aupres du riuage. Il fe trouue en outre dans les riuieres des conches, que nous nommons palourdes, & les Sauuages Igta, quelques-vnes defquelles font auffi grandes que des cribles, & feruent aux Sauuages à mesme vfage, elles font de couleur d’argent par dedans, & contiennent quelquesfois des perles. Or on y trouue auffi de ces oifeaux que les Portugais nomment Cagados en grande quantité


OCCIDENTALES. LIVRE XV.

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quantité dans les rivières, des œufs desquels les Tapuies font extremement friands , & en vivent en certaines faisons de l’annee. Et n’y a faute de raines en fort grand nombre dans les rivieres,marais & estangs ; entre lesquelles il y en a qu’ils nomment Guararicos, dont les Sauvages ont fi grand horreur , que c’est comme une choie incroyable,car à les ouïr feulement ils en font fi espouvantés, que bien souvent ils en meurent, sans vouloir recevoir aucune consolation ; ils disent qu’elles donnent,en croissant, une certaine splendeur pareille à une esclair. Et pour la fin il y a grande quantité de canes, que les Sauvages nomment Vpec, comme de Lery remarque , mais ils en mangent rarement & contre leur cœur, à cause que ces 10 oiseaux marchent lentement,qu’ils craignent fort d’acquerir par le manger d’iceux.

CHAP. XV. Animaux, arbres & herbes que les Portugais y ont les premiers porté, desquels ils sont auiourd'hui vn grand profit : item la diuision du Brasil en ses Gouuernements.

IL y a maintenant une grande abondance de chevaux, & mesmes de si bons, qu’on en vend d’aucuns deux,voire trois cents ducats, desquels ils en envoyent un grand nombre en Angola. Et combien que les pasturages n’y soyent pas beaucoup beaux, & que mesme dans le Gouvernement de Porto Seguro il y croisse une certaine herbe, mortelle au bestail, toutesfois il s’en trouve par tout en ces Provinces de fort grands 20 troupeaux, de forte qu’il y a plusieurs Portugais qui possedent cinq cents, voire mille pieces de taureaux & de vaches, notamment dans les campagnesde Piratininga, qui abondent le plus en pasturages, ils s’y font accreus d’une estrange forte : Les pourceaux & les truyes y font multipliés outre musure, la chair desquels est fi delicate & saine, qu’on l’ordonne mesme en la diete des malades. Aupres de la baye de la riviere de Iennero paissent force brebis & moutons, qui y deviennent par fois fi gras, que leurs entrailles se crevent de trop de graisse, mais la chair n'en est pas fi bonne ni saine que de ceux de l’Europe. Il y a encore peu de chevres, toutesfois elles s’y augmentent de jour en jour. Les poules y font en nombre presque infini, car le temperament de l’aïr leur est assés com30 mode,& les Sauvages aussi bien que les Portugais les nourrissent soigneusement, elles font plus grosses que celles de l’Europe,mais la chair n’en est pas fi bonne. Les oyes y font beaucoup accreuës, combien que cette contree ait aussi les siennes, plus grosses & meilleures de beaucoup que celles de l’Europe. Or de tous les animaux estrangers, il n’y en a point que les Sauvages estiment plus que les chiens, qu’ils nourrissent curieusemẽt, les hommes pour la chasse & les femmes pour le plaisir, car elles les portent entre les bras comme leurs enfans, & souvent mesmes leurs donnent à tester leurs propres mamelles. Il y a maintenant une fi grande abondance de limons, citrons, & semblables fruicts, qu’on en voit des bois entiers, & le fruict n’en est plus tant estimé pour la trop grande quantité : toutesfois les fourmis, dont il y en a un nombre infini, ap40 portent grand dommage à ces arbres. Il y a aussi plusieurs figuyers de diverses fortes. Dans le Gouvernement de S. Vincent, principalement dans les campagnes de Piratininga, comme aussi dans le Gouvernement de Rio Iennero,croissent des arbres de coin en grande quantité,qui donnent quatre fois l' an des fruicts meurs, par une incroyable fertilité. Et n’y a pas faute de vignes, notamment aupres de la baye de Iennero & dans Piritininga., qui portent en grande abondance presque tous les ans ; desquelles ils ont essayé d’en presser du vin , mais avec peu de succés. Quoi plus ? presque toutes fortes d’herbes de jardin de l’Europe, fleurs, & racines,qui y ont esté transportees y croissent fi bien qu’on diroit quelles y font naturelles. Enfin le fromẽt qu’on feme dans les campagnes de Piratininga y croist d’une telle forte, qu’on a par fois remarqué qu’une feule 50 racine jette soixante & souvent quatre vingts tuyaux, par une fertilité dommageable ; car pource que continuellement remontent de nouveaux tuyaux, ils ne peuvent faire lamoifTon enson temps,&d’autant qu’ils n’ont point de moulins, les Sauvages rejettent presque du tout l’usage du froment. Je crains d’avoir esté trop long en la descriptiõ des animaux, & des plantes de cette region,mais pource que c’est une fort belle Province, & que les descriptions en font exactes, nous esperons que les Lecteurs curieux nous excuseront. Maintenant nous parlerons de ladescription particuliere des Provinces. Ttt Les


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DESCRIPTION DES INDES

Les guerres que les Portugais ont presque tousiours eues, continues depuis plusieurs annees avec les Sauvages de ces regions, ne leur ont pas permis de s’instaler au dedans du païs, mais la plus grande partie de leurs Colonies, villes & forteresses font placees aupres du rivage de la mer, assés loin l’une de l’autre. Les Autheurs font differents au nombre des Gouvernements, que les Portugais nomment là Capitanias, car Anthoine Herrera Espagnol, & Popilliniere François, n’en content feulement que neuf, combien que l’un & l’autre n’en fasse particulierement mention, & n’en descrive que huict : mais Nicolas de Oliveyra Portugais, escrit que le Roi d’Espagne, en qualité de Roi de Portugal, possede dans l'Amerique le Brasil ; qui commence dés Para ( duquel nous traiterons au Liure suivant ) ou presque dés la ligne mesme, &finit fur les trente cinq degrés 10 au Sud d’icelle : & qu’il contient le long de la coste de la mer par un grand circuit mille quarante & une lieuë. En outre que cette region soit qu'on l’appelle Brasil ou de quelque autre nom ; est divisee en quatorze Capitanias, sçavoir Para, Maranhaon, Ciara, Rio Grande, Parayba, Tamaraca, Pernambuco, Seregipe ,la Bahia, Iheos, Spiritu sancto, Porto Seguro,Rio de Iennero, & S. Vincente : six desquelles appartiennent à des Seigneurs particuliers, qui les ont acquises par armes ; les autres huict font au Roi. En outre que l’intervalle entre icelles est divers, car de la premiere dite Para jusques à Maranhaon, qui est la seconde, il dit qu’on y conte cLX lieuës : de Maranhaon à Ciara cxxv : de Ciara à Rio Grande C : de Rio Grande à l'arayba XLV : de Parayba à Tamaraca xxv: de Tamara- 20 ca à Pernambuco VI : de Pernambuco à Seregipe LXX : de Seregipe à laBahia XXV : de la Bahia aux ilheos xxx : des ilheos à Porto Seguro autant : de Porto Seguro à Spiritu sancto LXV : de Spiritu sancto à Rio de Iennero LXXV : de Rio de Iennero à S. Vincente LXV. Desquelles distances il fera parlé davantage en son lieu. Enfin entre celles qui sont sujettes à des Seigneurs particuliers sont Pernambuco & Tamaraca. Maintenant nous poursuivrons la description des Provinces particulieres commençant à S. Vincent.

CHAP. XVI. Description du premier Gouvernement appellé S. Vincent.

Le Gouvernement de Vincent est le plus au Sud de tous & aboutissant avec les 30 Provinces de la riviere de la Plata. Il est situé sur la hauteur de xxIv degrés, & a vers la mer & vers le dedans de la terre ferme des limites incertaines & qui ne sont pas assés expliquees. Iarricus en son Tresor escrit de ce Gouvernement en cette forte: Le Gouvernement de S. Vincent est situé dans une petite baye, sur xxIv degrés de la hauteur du Pole du Sud fur la coste de la mer : esloigné de XL lieuës vers le Sud de la ville de Rio Iennero. Il y a six ou sept le suites qui y demeurent, lesquels veillent soigneusement pour le salut, tant des Portugais que Brasiliens : ils font dispercés en divers villages autour de la ville, & tous les jours accourent vers eux de nouveaux Sauvages pouf faire leur besogne. Car ils vont souvent dans la region qui est au dedans du païs & principalement celle des Carios, lesquels font fur la coste de la mer, distans de la ville de S. 50 Vincent vers le Sud d’environ LXXX lieuës, & s’estendent à peu pres deux cents lieuës au long de ladite coste, car ils attouchent la riviere de la Plata. C’est une nation la mieux policee & la plus civilisee de toutes celles du Brasil, & qui contre la coustume des autres se vestent de peaux de bestes. Ils font de belle forme, & quelques-uns dentr’eux disputent en blancheur avec ceux de l’Europe. Lors que les Portugais von t vers eux pour trafiquer,ils montent fans crainte fur leurs navires, & les Portugais aussi se promenent avec asseurance dedans leurs villages, comme s’ils estoyent dans leurs propres maisons. Il raconte en outre que l’an CIɔIɔXCVI il y en eut septante dentr’eux qui furent par tromperie emmenés esclaves des Portugais, & qui fu40 rent ramenés par le moyen de ces Jesuites : & que ces Sauvages sont fort fideles, mais que pour la crainte des Portugais ils n’osent approcher du Gouvernement de S. Vincent, delà vient par un juste jugement de Dieu, que cette Colonie & toutes les autres, qui sont cruelles aux naturels du païs, decroissent de jour à autre, & que les autres qui les traictent bien & leur sont plus humaines, fleurissent tous les jours de plus en plus. Les Sauvages de ce Gouvernement,qui font amis des Portugais,sont nommés par Iuan Stadio, Tupinikinsi ; qu’il dit habiter dans les montagnes, & occuper au dedans du païs


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païs plus de quatre vingts lieuës & quarante le long du rivage de la mer : les Carios sont voisins de ceux-ci vers le Sud, & vers le Nord les Tupinimbas, grandement ennemis des Portugais. Les Peres de la Societé,qui habitent en ces quartiers, font mention dans leurs lettres anniversaires d’une nation Sauvage qu’ils nomment Miramuminos ou Maruminus, nation vagante, furieuse & cruelle, qui a ci-devant beaucoup fait de dommage aux Portugais, mais maintenant parle labeur de ceux de la Societé, elle est un peu addoucie, & commencé d’estre plus amie & favorable aux Portugais. Neantmoins beaucoup de ce Gouvernement a esté despeuplé par les incursions de ces Sauvages ; tou10 tesfois cela advient principalement par l'industrie des Portugais, par leurs tromperies & cruautés envers les naturels : car encore que les Religieux s’efforcent en toutes saçons d’empescher que les Sauvages ne soyent cruellement traictés des Portugais, ou qu’ils soyent emmenés ailleurs en cruelle servitude, toutesfois les Portugais aussi bien là qu ailleurs, ne mettent point de fin à leurs cruautés & tromperies,& abusent bien forment des habits des Religieux, afin d’attirer plus aisement dans leurs rets ces pauvres miserables, au grand prejudice, comme il est à croire, de la Religion Chrestienne. La ville principale de ce Gouvernement s’appelle Sanctos, esloignee d’environ quarante lieuës de la riviere de Iennero vers le Sud,à trois ou quatre de la mer,dans le fond d’un recul,où les grands navires peuvent anchrer, s y charger & descharger commode20 ment : cette ville n’est pas fort grande & ne contient que quelques quatre vingts maisons ou un peu plus : elle a esprouvé beaucoup de hazards ; & fut prise & pillce par le valeureux Chevalier Thomas Candisch l'an CIɔIɔ XCI,& tenuë par icelui plus de deux mois ; entre les autres despoüilles il y fut trouvé un peu d’or,que les Portugais disoyent avoir esté apporté là par les Sauvages, du lieu nommé vulgairement Piratininga, où on dit que les Portugais ont maintenant une mine : il y avoit trois villages avec leurs moulins à sucre qui appartenoyent de long temps à cette ville. J’ai appris d’un certain Belge qui y a demeuré les années precedentes ; que cette ville est situee aupres de la pointe de l'lsle de S. Amaro, à trois lieuës ou environ de la mer; & quelle est fortifiée d’un rempart du costé de la riviere, qui est en cet endroit environ demi-lieuë de large & à quel30 que cinq brades de profond : il y a en outre deux Chasteaux, un du costé du Sud, l’autre au milieu de la ville ; qu’elle a cent maisons ou plus, & deux cents habitans partie Portugais, partie Meftiz : une Eglise parochiale, un Monastere de Benedictins & une maison de la Societé. L’entree du port se nomme Barra grande. L’autre ville s’appelle S. Vincent, distante de la precedente de trois ou quatre lieuës vers le Sud,ou comme d’autres disent d’une feulement,villette assés belle,mais dont le port est mal commode, & qui est presque inaccessible aux grands navires : à huict lieues d’icelle au dedans des terres,les,Portugais habitent les deux villages Tanse & de Cavane, riches en blé, & qui estoyent autresfois limites des Portugais vers ce costé. J’ai appris du mesme Belge, que cette villette contient soixante ou septante maisons, & environ 40 cent habitans, tant Portugais que Meftiz : & qu’il y a trois ou quatre moulins à sucre qui lui appartienne. La troisieme ville,comme escrivent les Portugais, se nomme Itanhain : or ce Belge remarquoit en outre Cananea, qui font au Sud de S. Vincent ; scavoir Itanhain àa dix ou onze lieues de ladite S. Vincent ; & Cananea a environ quarante ou selon d autres trente cinq : or ce Cananea font deux ou trois villages ou bourgades, qui ne font point ceincts, & ou de petits navires ou barques peuvent feulement aller. Or la coste marine est ainsi disposee,de la baye de S. Vincent jusques à la Barra qu’ils nomment Grande,il y a trois lieues, par icelle montent les navires, mesmes de fort grands, jusques à la ville de San ctos ; de cette barre jusques à une autre, qu’ils nomment 50 Barra de Britioca, il y a quatre ou cinq lieues plus vers le Nord, par cette Britioca il n’y peut monter que des barques jusques à la ville de Sanctos ; dans fa propre emboucheure fur une pointe de fable il y a une petite forteresse de pierre.

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CHAP.


516

DESCRIPTION CHAP.

DES

INDES

XVII.

Description plus particuliere de ce Gouvernement, & de la Ville de S. Paulo, & des Isles adiacentes.

A Trois lieuës de la ville de Sanctos en montant la riviere, se rencontrent de fort hautes montagnes, qui font nommees des Sauvages Paranœpiacaba, lesquelles s'estendent en long presque en la mesme façon que la coste de la mer : Or la riviere contient en cet espace d’entre-deux plusieurs Isles, dans lesquelles les Portugais ont des metairies & beaucoup de jardins : on la monte avec des bateaux jusques au 10 lieu qu’ils nomment Cubatoa; où les eaux font douces, & qui ne descendent pas de plus de deux lieues delà des montagnes dont nous avons parlé, & se precipitent des costaux d’icelles. En outre Paranœpiacaba font des monts spacieux & droits, dont la montee est difficile & d’environ deux ou trois heures, taillee entre les arbres en façon de degrés, large de cent ou cent cinquante pas ; or du haut de la montagne le chemin qui mene a S. Paulo, tire premierement vers le Sud, puis apres droit à l'Ouest, par des montagnes & forests six ou sept lieuës d’espace ; il y a deux petites rivieres qui coupent ce chemin» lesquelles s’assemblent hors de la forest, & courent vers l' Est, puis se perdent enfin dans la riviere de Iniambi ou Anhamby. Estant hors de la forest le chemin conduit environ une lieuë vers l’Ouest & derechef quatre ou cinq vers le Nord,par des campagnes fans 20 aucuns bocages jusques à la ville de S. Paulo. Cette villette de S. Paulo est situee fur un tertre efleué d’environ cent & cinquante pas ; au pié duquel passent deux petites rivieres, l’une desquelles descend du Sud & l’autre de l’Ouest, qui se conjoignant en ce lieu, courent ensemble dans l'Imambi : elle a une fort belle veuë, vers le Sud, l'Est & le Nord fur de belles campagnes ouvertes ; vers l’Ouest fur des forests : elle contient cent maisons ou un peu plus, & environ c c habitans tant Portugais que Mestiz : une Eglise parochiale, deux Monasteres de Benedictins & Carmes, & une maison des Peres de la Societé. Leur principal revenu provient des brebis & du labourage de champs. L’esté il n’y fait pas trop chaud, à cause d’un petit vent qui vient des montagnes, lequel tempere l’ardeur, & l’hiver il y fait un peu froid, de forte que souvenr il y glace, & bien souvent on y voit des gelees blanches. Le terroir est au long & au large fertile & beau, divisé par une agreable varieté en campagnes, bocages, costaux & montagnes ; il porte du froment abondamment,mais qui n’a pas belle couleur: au reste il est fort propre pour les vaches : d’où vient que rien n’y manque que du sel, de l’huile & du vin. A environ une lieuë de S. Paulo du costé du Nord passe la riviere Iniambi, assés large & qui est capable de porter de petites barques, mesme poiffonneufe; elle fourd des montagnes de Paranœpiacaba à l’Orient de S.Paulo ; & descend vers l’Occident ; aux mois des pluyes elle se desborde par fois, & inonde les baffes campagnes. Vers le Nord de cette riviere,il y a des montagnes qui s'estendent en long Est & Ouest xxx ou xL lieues,& de large maintenant dix, tantost douze, & aucunes fois quinze. Dans ces mon- 40 tagnes il y a diverses mines d’or, qui s’y trouve en grains gros & menus, & mesme en pouldre, & est estimé communement de vingt & deux carats. Or les mines d’or qu’on a descouvert és annees precedentes, font celles-ci : S. Iago & S. Crux dans les montagnes de Paranœpiacaba à quatre ou cinq lieues de la mer: Geragua à environ cinq lieues de S. Paulo vers le Nord, & à dix sept ou dix huict lieues de la mer : Sierra dos Guaramumis ou Marumiminis six ou sept lieues de S. Paulo vers le Nordest, & à vingt ou environ de la mer : Nuestra Sennora de Monserrate dix ou douze lieuës de S. Paulo vers le Nord-ouest, ou on trouve de gros grains qui pesent par fois deux ou trois onces : Buturunde ou lbitiruna à deux lieues de la precedente vers l’Ouest : Punta 50 de Cattiua à trente lieuës de S. Paulo vers le Sud-ouest : A environ trente lieuës de la mesme ville de S. Paulo vers le Sud-ouest, font les montagnes de Berasucaba ou ibiracoiaba, abondantes en veines de fer: n’ont pas faute de veines d’or, que les Sauvages Cananeas ont coustume de tirer. Dans ces montagnes les Portugais y ont à present basti une villette nommee S. Philippe, mais qui n’est pas de grande consequence : 1a riviere Iniambi s’eslargit en cet endroit, & reçoit plusieurs autres rivieres qui y descendent, tant du Sud-est que Nord-ouest , & delà on dit qu’en un


OCCIDENTALES.

LIVRE XV.

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qu’enfin elle se va rendre dans celle de Parana : elle n’est pourtant pas navigable jusques au confluant des deux, à cause de plusieurs saults. A environ quatre ou cinq lieues de S. Paulo aupres du chemin qui mene à Bersucaba, il y a un moulin de sucre ; le lucre duquel s’employe à faire des marmelades & conserves ; pource qu’il y croist une fort grande quantité de pommes de coin, & autres fruicts de toutes fortes. Enfin à quatre ou cinq lieues de S. Paulo vers le Levant, il y a un village d’indiens, avec lesquels habitent quelque peu de Portugais ; il est situé au bord de la riviere Iniambi, & se nomme S. Miguël : à quatre ou cinq lieues de cestui-ci plus vers l’Orient, 10 on rencontre le village Mogimiri ; contenant peu de maisons, assés pres du rivage de Iniambi & des montagnes de Paranœpiacaba, quelques lieues au dessus ce village, entre la rencontre des monts Paranœpiacaba & de ceux que nous avons dit s’estendre de l’Est à l’Ouest, sourd la riviere Iniambi de trois ou quatre fontaines. Or quand on a traversé ces montagnes qui font entre l’Est & l’Ouest, on rencontre d’autres terres & des plaines spacieuses, qui font coupees par une autre riviere assés grosse, laquelle on nomme Rio de Sorobis, qui ayant couru un grand espace de terre, & s’estant precipité de plusieurs saults, enfin on croit qu elle descent en l’Ocean entre Cabo srio & Spiritu sancto. Or vers l’Occident de cette riviere, il y a des spacieuses Provinces champestres, mais qui ne font habitées de nuls ou de peu de Sauvages, au travers desquelles 20 passent plusieurs rivieres courans vers le Sud-ouest, & comme il est à croire dans la grande riviere de la Plata ; elles font barrees du costé du Nord-ouest de spacieuses & rudes montagnes, dans lesquelles le bruit est qu’il y a des veines d’or & d’argent cachées ; & d’icelles sourdent quelques rivieres, principalement celle qui descend en mer entre la Bahie & Pernambuco, qui se nomme Rio S. Francisco. Au devant de l’emboucheure de la riviere & du port Sanctos, à presque vingt milles Angloises d’intervalle, est situee l’Isle de S. Sabastien, longue & spacieuse ; & un peu plus vers le Sud d’icelle il y en a une plus petite, haute, nommee Alcatrasse. Or entre lifte de S. Sebastien & la terre ferme, il y a une rade assés afleuree, pour quelques grands que soyent les navires, & fort bien garentie à l’encontre de l’incertitude des vents ; l'Isle 30 mesme ouvre plusieurs bayes ; où la pesche est fort bonne, & y a grande commodité pour y prendre de l’eau : au reste elle est presque inaccessible à cause des bocages & halliers, qui empeschent ceux qui y abordent de cognoistre ce qu’il y a au dedans} son principal port est appelle Porto dos Castellanos. Il suffit feulement de nommer les petites Isles de Victoria, & dos Busios. Au reste vis à vis de l’Isle de S. Sebastien habitent dans la terre ferme quelques Portugais dans un petit village de peu de consequence. Antoine Knivet Anglois, le nomme Iaquerequere : & proche delà il y a encore un autre village nommé Pianita habité de Sauvages, qu’il nomme Pories. Voila ce que nous allions à dire du Gouvernement de de S. Vincent que nostre Autheur dit avoir, de la ville de Santos vers le Sud, cinquante 40 lieues, & vers le Nord, quinze ou vingt. Au mesme Gouvernement appartient aussi la Colonie de Piratininga, a dix ou douze lieuës de la ville de S. Vincent, au dedans du païs & dans les campagnes, desquelles nous avons desia fait plusieurs fois mention : dans laquelle les Jesuites ont eu leur residence, comme ils parlent, qui fut pillee & ruinée l' an CIɔIɔc IƆc parles Sauvages, mais elle a esté fans doute restauree du depuis.

CHAP.

50

XVIII.

Gouuernement de la riviere, dite vulgairement Rio Iennero. LE second Gouvernement du Brasil à pris son nom de la riviere de Janvier, dite vulgairement Rio de Jennero, pource que Juan Diego de Solis y entra premiere-

ment en ce mois ; lequel la met selon sa mesure sur la hauteur de vingt & deux degrés & vingt scrupules vers le Pole Antarctic : mais les François qui ont annobli ce lieu d'ne Colonie appellent la baye & la riviere Ganabara. Ils entreprirent le premier voyage vers ce lieu l’an cIɔ IƆ LY sous le commandement de Villegagnon, avec deux navires, & y arriverent au mois de Novembre, Ttt 3 Le


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DESCRIPTION DES

INDES

Le Gouverneur bastit une forteresse de bois,dans la propre emboucheure, qui est large d'environ demi-lieuë,bordee d’un costé & d’autre de fort hautes montagnes, fur un rocher long de cent piés, & large de soixante, où il plaça ses canons pour descendre l’entree. La riviere est au dedans large, & parsemee de plusieurs Isles agréablement verdes, dans l'une desquelles, qui n’estoit pas fort loin du susdit rocher, il descendit ses gens avec les victuailles & le reste de ses armes & munition de guerre, craignant, pour le petit nombre de ses gens & pour la grande quantité des Sauvages, de se placer dans la terre ferme: Cette Isle a six cents pas de long & cent de large, separee presque d’autant d’un costé & d’autre de la Continente, & deffournie d’eau douce. La seconde flotte où il y avoit plusieurs de la Religion reformee (de laquelle Ville- io gagnon se disoit estre) partit de France au mois de Novembre l'an cIᴐIᴐLVI, sous la conduite du Sieur du Pont, & ayans eu un ennuyeux passage, ils arriverent enfin au port le mois de Mars de l'an cIᴐIᴐ LVII. Jean de Lery descrit au long cette seconde nauigation, comme fait André Thevet la premiere.Or Villegagnon qui ne s’estoit point encore manifesté pour un trompeur, avoit nommé la forteresse qu’il avoit bastie sur cette roche, de Colligni, à l’honneur de l'Admiral de France. Or cette riviere & sa baye est mise par les François fur la hauteur de xxIII degrés duPole du Sud, de de Lery la descrit ainsi. le passe outre (dit il) ce que les autres ont escrit de cette baye, quant à moi i’afleure 10 qu’elle eft large de vingt de quatre mille pas : en quelques lieux elle s’eflargit en forte» quelle en a quatorze ou feize : Et combien que les montagnes qui la ceignent ne foyent pas fort hautes, comme celles que le lac de Geneue lave, toutesfois elle peut eftre comparée à icelui lac, à caufe de la vicinité des terres d’alentour. Son emboucheure eft perilleuse, pource que quittant la mer, il faut coftoyer trois Isles defertes, où les nauires font en grand hazard de fe rompre fur les rochers. Par apres il faut paffer Je deftroit, qui n’a pas plus de trois cents pas de large, il y a à la main gauche vn rocher qui fe drefle fur vne montagne en forme de pyramide,qui n’eft pas feulement fort haut, mais aufli il sfemble de loin auoir efté artificiellement taillé. Or à caufe de sa rondeur de qu’il eft fort femblable à vne tour, il fut nommé des François le Pot de beurre. Vn peu plus au dedans de la baye mesme il y a vne roche assés plate, ayant de tour enuiron cxx pas, que nous appellafmes le Rattier, laquelle Villegagnon> lors qu’il y arriua premierement, apres y auoir deschargé fes meubles de bagage, efperoit de pouvoir fortifier, toutesfois il en fut chafle par l’eau. L’Isle en outre que nous habitions, eft deux mille pas plus loin: elle estoit deferte auant la venue de Villegagnon : elle a de circuit environ mille pas, eftant fix fois plus longue que large,environnee de rochers, qui font à fleur d’eau à haute maree, voila pourquoi les nauires n’en peuuent approcher à la portée du canon ; de ce lieu eft extremement fort de nature, de forte qu’on n’y peut aller qu auec des barquettes fi ce n’eft du cofté du port,qui eft à Fopofite de la mer. Que fi elle eust efté soigneusement gardee, elle n’eust peu eftre prife, comme elle fut par les Portugais a noftre retour, par la faute de ceux qui y auoyent efté laifles. Il y 4° auoit vn petit coftau lequel commandoit d’vn cofté de d’autre, au sommet duquel Villegagnon auoit bafti vne petite maison : & auoit placé fon auditoire fur vn rocher haut de cinquante ou foixante piés, fitué au milieu de l’Isle ; dans le refte d’icelle qui estoit plat estoyent basties les maifons,où demeuroyent LXXX hommes ou enuiron y compris la famille de Villegagnon. Tout cela excepté l’auditoire estoit basti de pièces de bois charpentées, de y auoit des baftions enduites tellement quellement de mortier, les maisons estoyent plustost logettes, bafties à la façon des Ameriquains, de bois en rond, & couvertes d’herbe dec. Outre la forteresse à presque dix mille pas, il y a vne fort belle de fertile Ifle, qui à caufe qu'elle auoit de tour douze mille pas, fut par nous nommée la grande Isle. Et d’autant qu’elle eftoit habitée des Tououpinam baults nos alliés, nous y allions souvent, pour en apporter de la farine, de autres chofes necessaires. Il y a en outre dans ce gofle de mer plufieurs Ifles non habitées, autour defquelles fe trouuent de fort bonnes huiftres. La riuiere abonde en diuerfes fortes de poifssons, sur tout en mullets, pourceaux de mer de autres moyens. Il y a aufli deux autres riuieres, qui entrent dans la baye, à l’extremité d’icelle,laquelle eft de toutes parts enuironnee des terres. Voila ce qu’en dit Telle de Lery.


519 OCCIDENTALES. LIVRE XV. Telle estoit la condition de cette baye au temps que les François y estoyent, qui en furent chassés des Portugais commandés par Emanuël de Sa, & perdirent vne belle occasion d’y bien faire leurs affaires , demeurans privés de ces riches Prouinces : car comme Villegagnon vit qu’on ne lui envoyoit nul fecours de France, & que les Portugais estoyent prests de l’assieger, il s’en retourna en France, laissant fort peu de soldats dans fon Chasteau ; qui se rendirent aux Portugais furent contre la foi donnée tués pour la pluspart, quelques-uns se sauverent à la suite , & demeurerent cachés entre les Sauvages : ces choses arriverent l’an cIᴐIᴐ LVIII. Or les Portugais, apres en avoir chassé les François,y bastirent la ville de S. Sebastien, 10 au cofté du Sud de l’estroite emboucheure, fur la hauteur de vingt trois degrés & cinquante fcrupules de l’eleuation du Pôle du Sud, comme ceux de noftre païs ont remarque, a enuiron deux lieues de la mer, sur une baye demi-ronde, laquelle elle occupe prefque toute, en vn lieu plat, mais qui eft d’vn cofté & d’autre bordé de montagnes qui vont doucement en montant ; elle eft tellement estenduë en long, qu’à peine la peut-on circuir en demie heure de temps:mais de large à peine a-elle dix ou douze maisons : L’an cIᴐIᴐC XVIII les ruës n’estoyent point encore pavees ; & il n'y avoit point de portes,ni de murailles ou remparts autour : mais il y a quatre Chasteaux pour la defendre à l’encontre des incursions de l’ennemi ,1e premier defquels eft fltué au cofté Oriental de l’emboucheure de la baye, fur le penchant d'une fort haute ro20 che : le second dans vne Isle feparee par vn petit d’estroit de la terre ferme du cofté de l’Occident : cette Ifle du cofté qu’elle regarde le Sud-est, se dresse en une ronde roche faite en cone : le troisieme est aussi fur vne roche au cofté de la ville qui regarde le Sud-eft au bord du rivage de la baye : le quatrième eft au cofté de la ville qui regarde le Nord-oueft. Au reftela ville eft comme divisee en trois parties ; l’une desquelles on peut nommer la haute, où eft la principale Eglise & le College des Peres de la Societé ; l’autre la basse dans la vallee, qu’ils nomment Barrio de S. Antonio; la troisieme au bord, de la baye, depuis le Chafteau qui est le plus au dedans de la terre, iufques au Conuent de S. Benoist. Il y a quelques moulins à fucre qui appartiennent à cette ville, toutesfois le princi30 pal commerce des Bourgeois eft en cotton, bois de Brasil\ en victuailles, & autres choses necessaires à la vie , dont le lieu abonde. Dans cette ville de la riuiere de Janvier (dit Jarricus) le Roi de Portugal Sebastien y fonda un College de Jesuites, comme aussi les autres qui font au Brasil. Il y a dans icelui cinquante Jesuites le plus souvent, si on y comprend ceux qui demeurent dans les residences qui en defpendent. Ils y enfeignent la Théologie morale & la langue Latine iufques en la première classe, & les petits enfans à lire & à escrire. Outre les feruices qui font rendus par les Portugais, il y a deux grands villages de Brasiliens proche de la ville, dans lefquels demeurent deux mille hommes & plus, qui font commis au foing des Jesuites, pource que par leur induftrie ils font venus à la foi, & ont esté baptizés. 40 Le mesme raconte, que l’an CIᴐIᴐ LXXX, comme le Gouuerneur de la ville estoit absent auec plu fleu rs de fes gens , cette ville fut en vain attaquée par trois nauires François montés d'un fort grand nombre de gens & elle n'a pas senti jusques ici, de grande calamité, que je sçache. Le Cap froid ( vulgairement appellé Cabo frio) appartient à ce Gouvernement, auprès duquel fe trouuent de fort grands Crocodilles ; & au dedans du pais de certains oiseaux, qu’ils nomment Mudas de la grosseur des coqs d’inde, & vne grande quantité de sangliers. Or les montagnes sont si remplies de certains insectes (qui femblent des punaises ou des morpions) qu’à peine les hommes les peuvent-ils chasser. L’autre ville de ce Gouuernement eft appellee Angra dos Reyes, diftante de l’em50 boucheure de la baye de Janvier enuiron douze ou treize lieues vers l’Ouest (comme Figuredo tesmoigne en son routier de mer) situee dans la Continente vis à vis d’une Ifle qu’ils nomment Grande, & d’vne autre plus petite dite Ƴpoia : il y a peu d’annees que cette Colonie y a efté menee par les Portugais : & nous n’en auons appris autre chofe : fl ce n’est que quelqu’un de noftre pais m’a dit, que c’eft vne place de peu de consequence. Au refte les habitans naturels de ce Gouuernement ont efté autresfois Tououpinam

VAttltSy


DESCRIPTION DES INDES baults, comme de Lery & Thevet racontent, lesquels descrivent au long leur naturel, mœurs & coustumes ; aufquels à caufe de briefueté ie renuoye les Lecteurs. Il semble que pour fe jourd’hui ils soyent tous morts ou s’en font allés ailleurs,car ceux qui maintenant habitent autour du Marignan, se glorifient d’eftre venus deux; & certe leurs mœurs & habitude de corps,mais fur tout leur langage, n’en font pas vne petite foi» comme nous dirons en paflant ci-apres en la description de l'Isle du Marignan, & & fa Continente. Et ceux qui habitent auiourd’hui auprès de ce Gouuernement & dans icelui femblent eftre vn amas de diuerfes nations; qui font pour la plus grande partie consederés des Portugais, & mesmes leurs efclaues. 520

CHAP.

10

XIX.

Troisieme Gouuernement du Brasil, que les Portugais nomment vulgairement Spiritu sancto.

LE troisieme Gouvernement du Brasil, est appellé des Portugais Spiritu sancto: il eft diftant de la ligne vers le Sud de vingt degrés; depuis la riuiere de Janvier vers le Nord, il y a soixante lieuës ;& depuis Porto Seguro vers le Sud d'environ cinquante. Antoine Herrera dit qu’il n’y a seulement qu un moulin à sucre, mais qu’on y fait un grand commerce de cotton & de bois de Brasil, de quoi les Teincturiers fe feruent. La ville eft habitée de deux cents familles de Portugais ou vn peu plus: les Peres to de la Société y ont aussi vne maison : à la main droite de la porte, quand on y entre, il y a vn petit Chafteau qui n’est pas beaucoup fort : Il y en a qui disent que les Portugais y habitent deux villes; & font le nombre des Bourgeois beaucoup plus grand. On eftime ceGouuernement eftre le plus fertile de toutes les Provinces du Brasil, & fourni de toutes choses necessaires à la vie de l’homme : il y a une abondance incroyable de toutes sortes de poisson ; & vne fort belle chasse aux bestes sauvages, pour l’opportunité des forefts & bocages, il y a aussi des rivieres qui coupent par vne agréable difpofition fes campagnes. Les naturels Sauuages fe nomment Margaiates, qui ont esté autresfois ennemis mortels des Portugais, mais maintenant ils font leurs amis & confederés ; de Lery descrit aufli au long les mœurs & couftumes d'iceux, mais pource qu’ils ne different pas beaucoup des autres Sauuages en vie & en mœurs, on en pourra iuger par ce que nous en auons dit ci-dessus en commun. Les Prouinces, qui font entre ce Gouvernement & la riuiere de Janvier, font coupees de la noble & poissonneuse riviere, qu’ils nomment Parayba ou Pareyba, laquelle fort en mer sur la hauteur de vingt & un degré au Sud de la ligne (ausquels il y en a qui adiouftent quarante srupules, faute aisee à commettre félon la diligence ou négligence de ceux qui prennent les hauteurs) les peuples qui habitent auprès d’icelle font ap pelles de quelques-uns Paraybes, qui ne font pas beaucoup differents des autres Sauuages. Je donnerai cet advertissement en paflant, qu’il y a trois riuieres dans cette cofte, nommées du nom de Parayba, la première desquelles entre dans la mer entre la riviere de la P la ta & le Gouvernement de S. Vincent, de laquelle nous auons parlé cideflus : la féconde eft celle dont nous traictons à present, que ceux qui ont la cognossfance de ces régions difent sourdre fort loin de la mer au dedans du païs, & apres s’estre grossie de plusieurs autres petites riuieres fe mesle dans la mer en cet endroit : la troifieme eft presque au bout Septentrional du Brasil, de laquelle nous parlerons ciapres. Or le port de la ville, selon que ceux de noftre nation ont remarqué, eft difpofé en cette façon: Il eft dans vne petite baye, qui entre dans la Continente, ouuerte vers l’Orient, où il y a quelques Mettes parfemees ; or du costé du Nord-eft il y a des baflés & rochers dangereux pour les nauires : Ceux qui veulent entrer dans le port remarquent premièrement vne fort haute montagne, en forme de cloche, que les Portugais nomment Alua, vers laquelle ils dreflént leurs cours, elle est au dedans du païs à enuiron deux lieues du rivage de la mer ; puis apres coftoyant le rivage de plus près, on voit vne tour blanche situee fur vne montagne fort droite assés près de la mer , 1es Portugais la nomment Nuestra Sennora de Penna, car c’est vne petite Eglise ceincte tout


OCCIDENTALES. LIVRE XV.

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tout autour d’une muraille ; au dessous de laquelle il y a eu autresfois vne bourgade, dont il refte encore quelques maisons, & on l’appelle aujourd’hui Villa. Veya, vn peu avant que d’en approcher, il faut passer l’estroite emboucheure du porc, qu un banc, qui descend d' une petite Isle longue, situee vers le Nord, eftroicit encore dauantage; estant passé cette emboucheure la nauigation est plus libre & moins dangereufe. Or en entrant plus avant on voit à la main droite vne roche laquelle feleue dés la terre en façond’un coneobtus; puis à la gauche fe voit vne haute montagne qui se dresse sur le rivage mefme,que les Portugais nomment le Pain de sucre, pour ce que là forme eft telle; vis à vis au cofté droit du port,fe voit vn petit Chafteau quarre, de peu de consele quence : & ainsi on vient à la parfin à la ville mesme, qui eft baftie à costé droit du port, fur le riuage mesme, à enuiron trois lieues de la pleine mer ; laquelle n’est ceincte ni de murailles ni de remparts ; au cofté de l’Orient d’icelle il y a vn Monastere avec ion Eglise, qu ils nomment S. Bento ; & enuiron le milieu de la ville , & mefme au dessus d'icelle se voit l’Eglise de S. François, enfin au bout vers l’Occident eft la maison des Jesuites avec leur Temple. Jarricus au refte escrit de ce Gouuernement en cette maniere ;La quatrieme refidence des Iefuites eft dans la ville de Spiritusancto, qui eft situee fur le vingtieme degré de la latitude Auftrale, au bord de la mer, de forte qu'elle eft plus pres de la ligne,que la ville de la riuiere de Janvier , de laquelle elle eft esloignee de sep2.0 tante lieues. Il y a le plus fouuent fept ou huict Jesuites qui y demeurent, quelquesrois dauantage , qui ont en charge six villages de Brafiliens situés à l’environ, dans lefquels on conte dix mille Chreftiens. Or il y a vn village fort pres delà nommé dos Reyes Magos, où demeurent plusieurs Chriftianifés. Enfin les Sauuages dits Tapuias & Apiapetangas font leurs voisins , nations farouches & indomptés, ennemis mortels des Portugais & de leurs alliés, ausquels ils font souvent de grands outrages.

CHAP. XX. Brasil, qui est appellé Porto Seguro.

Quatrieme Gouuernement du

3o

des Portugais

E quatrieme Gouuernement du Brafil retient encore auiourd’hui le nom de Porto Seguro-, que Alvaro Cabral lui donna anciennement, lors qu’il lui mena fa flotte fort affligee , & fut le premier des Portugais qui aborda en ces terres, comme nous auons dit ci-deffus. Or il eft distanc de trente lieues vers le Sud du Gouuernement des Isles, comme ils le nomment ; & à cinquante de celui de Spiritu sancto vers le Nord: fur la hauteur de feize degrés & trente fcrupules de la ligne vers le Sud; comme i’ai trouvé 4o qu’il a esté ordinairement marqué dans les routiers de mer. Antoine Herrera donne à ce Gouuernement trois villettes, dont l’une porte le nom de S. Amaro, l’autre de S. Crux, & la troisieme garde le nom & la renommee de Por-to Seguro: on dit que cette derniere eft habitee non plus que de‘cent cinquante familles de Portugais : combien qu'il y en ait qui fassent le nombre plus grand ; car ils ont cinq ou six moulins à fucre. Or la ville que nous avons dit qui garde le nom de Porto Seguro, eft baftie sur le sommet d’vne roche blanche, aupres de laquelle on voit la terre fort haute, montant vers le Nord; de l’autre cofté la terre s’applanit, & enfin se finit en un bas & sablonneux riuage. îo L'autre ville de S. Crux eft distante de la premiere d’environ trois lieuës, elle a un moyen port,qui n’eft propre que pour de petits nauires. On dit que ce Gouuernement appartient au Duc d'Alvero ,*or les Portugais qui y demeurent,navigent fort le longde la cocte, & tranfportent aux autres Gouvernements du Brafil toutes fortes de viures, dont ce Gouuernement abonde extraordinairement,ce qui eft leur principal profit. Assés pres de ce rivage, les rochers & bancs nommés vulgairement Abrolhos, fi Yuu renommés

L


DESCRIPTION DES INDES renommés & remarqués par les dangers & naufrages de tant de personnes, s’estendent en pleine mer par une fort longue fuite & qui n’est pas encore ailés cognuë, defquels auoyent de coustume de s’esloigner le plus qu’ils pouuoyent les mariniers, principalement ceux qui alloyent aux Indes Orientales, sans estre asseurés bien que fort loin d’iceux : combien qu’es annees precedentes on y ait trouué plusieurs canaux, où les navires peuvent passer, mais non sans danger & grande preuoyance. Caron a defcouvert, que la mer est assés profonde, non feulement aupres de la coste de la Continente, mais on a aussi passé par le milieu des rochers, à six ou fept lieues de la terre ferme, ou il y a quatre petites Isles, que les Portugais nomment, Monte de Piedras Ilha Seca, Ilha dos Passeros & Ilha de Meo ; deux defquelles font plus en dehors, à sçavoir Ilha Seca & io Monte de Piedras, au cofté Occidental d’icelles il y a un canal navigable ouvert : Et on peut coftoyer fans danger les deux qui font plus en dedans, fçauoir Ilha dos Pajferos & de Meo,tant d’un cofté que d’autre,si on y prend garde de pres. Ces rochers font prefque à fleur d’eau,ou legerement couuerts à haute maree ; mais quand la mer s’eft retiree ils leuent de hauts sommets, & lors ils font moins à craindre, pource que les flots qui brisent à l’encontre, advertissent assés à temps du danger ceux qui s’en approchent de pres, & hors d’iceux la mer eft allés profonde. En outre ceux de noftre nation qui ont voyagé és annees precedentes vers ces quartiers, & font defcendu en cette partie de la Continente, qui eft entre le Gouvernement de Spiritu sancto, & celui dont nons parlerons maintenant, disent qu’ils n’y virent 10 nuls Saunages, mais des deferts fpacieux & des forests presque impenetrables, avec force rivieres poissonneuses fur toutes. Enfin Jarricus en fon Trefor efcrit de ce Gouuernement en cette forte. La ville eft à cinquante lieues de la Bahie(qu’on nomme de todos los Sanctos) vers le Sud, & à vingt de llheos, situee sur la coste de la mer. Il y a aussi une maison de Jesuites, dans laquelle fix dentr’eux demeurent au plus. Les enfans y font enfeignés à lire & à efcrire: à l’environ il y a onze villages de Sauvages, que les Jesuites frequentent pour y semer la parolle de Dieu. Le mesme tesmoigne que la ville de Porto Seguro a es annees precedentes efprouué fur toutes l’effort la violence des Sauuages nommés Guaymures ; (desquels nous auons aufîi parlé ci-dessus ) car, dit-il, ils l’ont tellement ruinee qu'à !° peine y sçauroit-on trouuer auiourd’hui vingt habitans, qui pour eftre tous les iours fatigués par les incursions de ces Sauuages, fe peuuent à peine nourrir, de forte qu’ils font fouuent contraints, faute de viures à caufe que leurs champs demeurent en friche, de fe substanter d’herbes & de racines. Et les Portugais ont esté forcés d’abandonner la ville de S. Amaro, enfemble dix moulins à sucre, desquels ils faifoyentvn grand profit ; craignans qu’à la fin ils ne fussent mangés des Sauvages qui avoyent defia devoré tous leurs esclaves & ouvriers domestiques.

522

CHAP.

XXI. 4°

Cinquieme Gouuernement du Brasil, que les Portugais nomment vulgairement Ilheos.

LE cinquieme Gouvernement du Brasil, est nommé des Portugais dos Ilheos, des Isles qui font au devant de la baye,sur laquelle eft baftie la principale ville de ce Gouuernement : elle eft diftante de trente lieues vers le Nord-eft de PortoSeguro, & à prefque autant de la baye de tous les Sainct, vers le Sud : & de la ligne ( comme affirme Herrera ) quinze degrés & quarante fcrupules,ou comme les Chartes marines la mettent,quarante cinq scrupules,qui eft vne petite difference. Cette Colonie eft d’enuiron deux cents familles de Portugais ; il y a vne moy- (O enne riuiere qui passe au long de la ville,elle a huict moulins à fucre. Il y en a d’autres qui affeurent que c’est une fort petite ville, & qu'elle n’a pas plus de cinquante maisons, & seulement trois de tels moulins;que les habitans s’exercent principalement à la culture des champs , & tranfportent dans les barques leurs fruicts à Pernambuco & autres Gouuernements voisins ; ils ont pour Seigneur Lucas Girard

Portugais.

A sept


OCCIDENTALES. LIVRE

XV. 523 A fept lieues de cette ville au dedans du païs, il y a vn lac d’eau douce, long d’enuiron trois lieues,& autant de large, profond de plus de quinze brasses, duquel fort vne riuiere,mais par vne emboucheure si estroite, qu a peine les petits bateaux y peuuenc passer, & ce lac, quand il fait grand vent, s’esleve d’une telle forte que les ondes y font aussi grosses qu’en pleine mer,il eft fort poissonneux, & nourrit diuerfes fortes de bon poisson , fur tout desManatis, qui y font si grands & gros, qu’on dit qu’ils pesent XL Arobes(c’eft vn poids d’Espagne, qui fait du moins vingt huict des liures de nostre païs) qui eft vn grand poids & prefque incroyable : il y a aussi des crocodilles & de ces grands poissons que les Efpagnols nomment Tuberones ; & d’autres en abondance. 10 Il fe trouue aussi dans ce Gouuernement des arbres, qu’estans legerement entamés diftillent un baulme de fort bonne senteur, & d’une vertu finguliere. Or Antoine Herrera escrit, qu’en un quartier proche de ce Gouvernement, il est nouuellement venu des Sauvages, chassés de leur contree par leurs ennemis, qui font de grande stature comme des Geans, plus blancs que les autres Sauuages ; nation vagante & qui n’a nulle maifon,mais couchent ci & là fur terre à la façon des belles dans les forefts & campagnes : leursarcs font roides & leurs fleches fort longues, auec quoi ils font beaucoup de meurtre, non feulement des naturels du païs, mais aussi des Portugais : ce font cruels mangeurs d’hommes : ils n’attaquent pas par troupes, ni en guerre ouverte, mais feparés & par embusches : ils surprennent ceux qui ne s’en donnent pas garde, voila pourquoi on les peut difficilement esuiter, & on ne les peut trouuer qu’avec grand danger. Mais oyons maintenant Jarricus : Los Ilheos ( dit-il) eft vn Gouuernement des Portugais,distant de la Bahiz vers midy de trente lieuës, la ville est situee au bord de la mer : il y a une maison de Jesuites, qui a efté fondee des aumosnes des gens de bien, ou demeurent d’ordinaire six ou fept dentr’eux : outre leur exercice ordinaire, ils tiennent Efcole ouuerte,dans laquelle ils enseignent la jeunesse à lire & à escrire. Proche de ce Gouuernement habitent les Aymures ou Guaymures : qu’on dit eftre les plus cruels Sauuages de tout le Brasil : car ils mangent, comme l’on raconte, leurs propres enfans membre apres membre, & ouvrant le ventre des femmes grofles, ils en tirent le fruict hors, 30 qu’ils devorent aufli tost. Ils chassent les hommes comme nous chassons les belles sauvages, & les ayans pris & tués les deuorent cruellement. La ville du Gouvernement dos Ilheos baftie dans vn fort bon terroir, a efté prefque du tout deftruite par eux ; mesmes les champs fort fertiles & propres à porter des grains font abandonnés, pource qu'il n’a demeuré perfonne pour les cultiuer,à caufe de la peur qu’on a de ces Aymures . Mais on a appris par lettres de l’an CIᴐIᴐ LxxxI, que ceux de ce Gouvernement, pour ce qu’ils avoyent receu de Rome six ans auparavant, du R. P. le General de la Societé, quelques reliques de S. Georges,ils auoyent vaincu en plusieurs combats ces Aymures, destructeurs de leur Colonie: de forte que du depuis il ne fe perdoit plus de Portugais, & fort peu de Jesuites, ce qu’ils ont attribué aux merites & suffrages du glorieux cham40 pion de S. Georges. CHAP.

XXII.

Sixieme Gouuernement du Brasil, dit la Bahie ou la baye de tous les description exacte d'icelle baye, & la memorable entreprise de Pierre Heyn de nostre nation.

Saincts ;

E sixieme Gouuernement du Brasil eft UBa.hu de todos los Sanctos, c'est à dire, la baye de tous les Saincts, diftant de celui dos ilheos de trente lieuës vers le Nord, & Là cent de la ville de Pernambuco vers le Sud : sur la hauteur de treize degrés au 50 Sud de la ligne. Il a pris fon nom d’une fort grande baye,que la mer fait au dedans des terres; large d’environ deux lieuës & demie,profonde de douze brasses, & en quelques endroits de dix huict,remplie d’Isles grandes & petites,fort belles & fertiles en cotton. Or cette bave eft comme diuifee en plufieurs reculs & canaux, & entre dans la Continente plus de quatorze lieues , au grand profit & non moindre commodité des habitans d’alentour. Il y a trois moyennes riuieres ( fans parler des petites) qui y descendent du dedans du pais, la premiere defquelles & la plus proche de la ville principale fe VUU 2 nomme

L


DESCRIPTION DES INDES nomme Pitange, celle qui l’auoifine s'appelle Geresipe , & la troifieme Gachoeira. L’Isle qui eft la plus au dehors & qui est aussi la plus grande eft dite Taperica,les petites qui font plus en dedans ont aussi chacune leurs noms des Portugais, comme il fera dit bien tost. Car il est bien necessaire de deforire cette noble baye sur toutes vn peu plus exactement, selon que ceux de noftre nation l’ont remarquee & tracee. Cette baye donc eft ouverte au Sud & s’enfonce vers le Nord,ayantàla main droite quand on y entre la Continente du Brasil, à la gauche la longue Ifle de Taperica ; entre les deux elle eft premierement large de plus de trois lieues; & en cet endroit il y a à la main gauche vne pointe de terre obtufe, aupres de laquelle eft situee la forteresse de S. Antoine & 10 Villa Veya, comme ils les nomment, for vn petit recul qui eft barré vers le Nord d’vn Cap, dés lequel la cofte fe courbe vers l'Est, faisant vn recul demi-circulaire, sur lequel la ville de S. Salvador eft situee, de laquelle nous allons parler ; ce recul fe finit par vne pointe de terre comme vne langue, laquelle s'auance en cet endroit en angle aigu au dedans de la baye, où se voit le Chasteau de Tapagipe là le passage jusque à l'Isle de Taperica eft le plus cftroit,toutesfois il n’est pas moins large que de deux lieuësde cet angle aigu la cofte fe tourne derechef vers l’Est, & la baye s'eslargissant entre dans la Continente faisant vn certain golfe Mediterranee, qui apres s’eftre prefte en vne emboucheure assés eftroite s’eflargit au dedans comme en deux bras; dés cette emboucheure la cofte court derechef vers leNord iufques à l’entree de la riuiere Pitanga, 20 l’emboucheure de laquelle estant estroite se dilate peu à peu vers le Levant, receuant plufieurs petites rivieres, au bord desquelles, comme aussi for la principale, il y a plusieurs moulins à sucre ; ayant passé l’emboucheure de cette riuiere la cofté continue derechef vers le Nord prefque vne lieue, & lors elle fe recourbe comme vn coude vers l’Ouest, faifant dans ce pli vn recul demi-circulaire, au dedans duquel il y a vne petite Isle cultivee : la cofte continué puis apres droit à l'Ouest enuiron deux lieues, iufques à vne pointe de terre obtufe; or enl'espace dentre-deux gift vne Isle, qu’ils nomment de Mare, longue d’enuiron vne lieuë, qui est estenduë en long au deuant de l'emboucheure de la riuiere Pitanya,laissant entre deux un destroit large de demi-lieuë : en cet endroit fort de la terre ferme vne certaine petite riviere, prefque vis à vis de la pointe du Nord de cette Ifle de Mare. Or au deuant de la derniere pointe de cette 30 coste, où elle tire vers l'Ouest, il y a une autre Isle triangulaire, qui a fa baffe tournee vers la terre ferme, qui ie trouue eftre appellee des noftres l'Isle des Moines. De cette pointe la cofte retourne derechef vers le Nord, ayant vis à vis ou droit à l’Ouest l’emboucheure de la riuiere de Cachoera , qui en eft à deux lieues ou plus. En outre cette cofte, qui dés cet angle obtus court du Sud au Nord, est coupee de deux petites rivieres, & eft bordee de quatre petites Isles feparees de la Continente par vn petit destroit, la premiere defquelles qui eft proche de la pointe mesme est appellee Burapebara, l’autre qui l’auoifine Porto Madero, ie ne sçai pas le nom des autres : or de la derniere, qui eft longue &au deuant de la bouche d'une petite riuiere, la cofte de la terre ferme retourne comme vn coude vers l’Oueft, & au deuant de la pointe qu'elle fait 40 il y a vne petite Isle, qu’ils nomment de Fontes ; la coite court puis apres vers le Nord, & peu d’espace delà regorge dans la baye vne petite riuiere, qu’on nomme Rio Tarnbaria ; & apres plufieurs tours & deftours, elle va fe rendre à l’emboucheure de la riuiere de Geresipe ou au plus profond de la grand baye : Cette riuiere descend de deuers le Nord, receuant plufieurs autres petites à droit & à gauche, & au devant de son emboucheure il y a deux petites Ifles ( car la troifieme eft comme au dedans de l’emboucheure mefme & la diuife en deux canaux ) celle qui eft plus proche d’icelle emboucheure eft nommee l’Ifle Pycca, & l’autre Caraibe : mais auant que passer outre ie ne puis m’empescher de raconter en paflant l’acte memorable de Pierrez Pierre Heyn, 50 homme digne d’vne immortelle memoire, lequel aduint comme s’enfuit. Pierre Pterrez Heyn, Admirai, sous les aufpices de Meilleurs les Estats Generaux des Provinces vnies, de la Compagnie des Indes Occidentales, eftant entré dans la baye de tous les Sancts, l’an cIᴐIᴐc xxvII au mois de Mars ; il trouva devant la ville de au S. Salvador, prefque sous les Chafteaux mesmes, qui commandent de tous coftés canon, port, vingt fix navires de l’ennemi, quatredesquels eftoyent fournis de force & montés de grande quantité de foldats outre les matelots, lcfquels estoyent au deuant

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OCCIDENTALES. LIVRE XV. 525 devant des autres vingt & deux,comme pour leur servir de rempart. Le Gouuerneur de la ville Diego Olyverio auoit outre cela placé en divers endroits plus de quarante pieces de canon, afin de garder cette flotte de l’assaut des nostres. Toutesfois nostre homme fans craindre rien de ces choses, combien que le vent qui venoit de la terre, lui fust contraire s’approcha si pres en costoyant, qu’il fie plaça auec fion nauire seul (car les autres nauires ne le peurent fiuiure ni approcher plus pres) au milieu entre l’Admiral & le Vice-Admiral de la flotte de l'ennemi, où il moüilla l'anchre ; là il y eut vn rude combat & grandement defàuantageux, car il n’eftoit pas seulement canonné des nauires ennemis,mais aussi des Chasteaux, & des autres pieces placees sur le rivage IG de tous costés, comme aussi des mousquetaires qui tiroyent fort & ferme de toutes parts sur ses soldats ; neantmoins le bonheur de ce vaillant homme vainquit, & il eut vn tel succes, que le Vice-Admiral des ennemis, apres vne demi-heure de combat, estant brifé de plufieurs coups, s’en alla à fond , & tous fies gens , quatre ou cinq exceptés , y demeurerent : & les autres nauires fe rendirent la vie fauve ; cependant arriverent de nos autres nauires plufieurs chaloupes,pleines de soldats &matelots , qui d’un grand courage, emmenerent à la veuë de l’ennemi, tous les nauires d’icelui, trois petits Aeulement exceptés , lefiquels eftoyent vuides. Nostre Admirai eflayant aussi de retirer le sien delà, pource que la maree baissoit, il toucha le fond fans qu’il le peuft desengager, eftant tellement brifé de coups de canon, *0 qu’il estoit tout crevé ; voila pourquoi apres qu’il en eut cassé le canon, il le laissa y mettant le feu. Le lendemain il vifita toutes fies prifies, & chargea quatre d’icelles,qui sembloyent estre les plus grands & cõmodes, delà charge des autres & les enuoya auxPaysbas ; en retint quatre pour servir en sa flotte & brusla les autres qui lui eftoyent inutiles. Or apres qu’il eut sejourné vingt quatre jours dans la baye, il fit voile vers la riviere de Iennero, Cabo frio, & le Gouvernement de Spiritu sancto, où s' estant fourni d’eau & de bois à son plaisir, & pris en chemin un nauire chargé de fiucre,il retourna le dixieme du mois de Juin auec quatre grands nauires & autant de petits pour la féconde fois dans cette baye, où n’ayant trouvé que huict nauires vuides, anchrés proche du riuage au dessous de la ville,ne voyant pas de raison d’hasarder les siens pour eux, il moüilla l’an30 chre auec fa flotte derriere la pointe de Tapesipes, où il prit sans peine deux navires qui y eftoyent moüillés,lesquels apres en avoir pris ce qui lui estoit utile, il brusla sur le lieu. Cependant qu’il sejourne en ce lieu, il apprend de quelques Portugais prisonniers, qu’il y avoit quatre navires chargés de fiucre, qui s’eftoyent cachés dans vne certaine proche riviere, laquelle toutesfois ils ne sçavoyent pas, voila pourquoi ayant resolu de les chercher,il s’en alla avec toute fa flotte vers l’Isle de Mare, & auec deux barques & plufieurs chaloupes,il entreprit de monter la riuiere,qui descend de la Continente vis à vis du cofté Septentrional de cette Isle, & eftant entré trois ou quatre lieues dans icelle, il vit deux navires, lesquels s'estoyent cachés dans vn canal estroit, entre des arbres qui y penchoyent d’un cofté & d’autre; par ainfi il s’y en alla avec de grandes cha40 loupes, car la riuiere ne pouvoit plus porter de barques : l’un d iceux appercevant les noftres s’enfuit à mont de la riuiere,mais il prit l’autre tout aufli tost : & entrãt à l’heure mesme plus auant,il vit aussi les autres de loin : mais pource qu’il eftoit tard, & qu il ne cognoissoit pas bien ni les lieux ni les forces de l’ennemi,il fe deporta d’aller à eux pour ce soir, &fie retira à la flotte qui eftoit sous l’ifle. Mais le lendemain environ le midy, il entra dans la riuiere auec fies chaloupes,& avant efté salüé de quelques mousquetades sans dommage, par quelques Portugais, qui eftoyent cachés dans une maison sur le rivage, il tira vers les navires de l’ennemi, que les mariniers taschoyent à force de rames de mener plus haut dans la riviere, la maree qui venoit favorisant leur dessein, mais ce fuft en vain : car apres vn dur combat, les nostres les prindrent tous l’un apres l’autre, 10 avec neuf cents coffres de fiucre,force tabac & autres marchandises. Le principal soin fust d’emmener les nauires pris auec leurs charges, enquoi ils auâcerent fort peu ce fioir là,pource que les nauires à basse maree touchoyent le fond ; au cõmencement ils eurent plus affaire avec les baffes & bancs, qu'avec les ennemis, car au fort de la descente de la maree ils estoyent bouchés de fiable,qui empeschoit que les vaisseaux tant vaincus que vainqueurs ne peussent descẽdre ; & pour quelque induftrie que l’Admiral y apportast, iis ne pouuovent emmener les nauires pris auec leurs charges ; le lendemain ils furent V uu 3 en plus


526

DESCRIPTION

DES

INDES

en plus grand danger,car cependat qu’ils eftoyent occupés au haut de la ri viere, les ennemis en boucherentl’entree y enfonçant vne barque ; & afin que nos gens peussent se defendre plus aisement, l’Admiral excogita de munir & couurir sa barque & ses chaloupes de peaux de bœufs ( qu’ils auoyent prifes en quantité fur l’ennemi dans cette riuiere,) du costé qu’estoit l'ennemi. Le Gouverneur & plufieurs Officiers Portugais» auoyent fait à la haste un retrenchement à l’emboucheure de la riviere, & y avoyent amené toutes leurs forces, se tenans comme affeurés, de prendre & tuer nos gens presque fans peine : mais noftre Admirai fit tant par fon induftrie & vaillance,qu’il retira non seulement les siens delà faufs,mais aussi emmena à fa flotte les navires qu’il avoit pris fur les ennemis auec vn bon butin : il demeura puis apres dans cette baye à la veuë io de la ville iufques au quatorzieme de Juillet ; & mettant les voiles au vent, il arriua en Hollande le vingt cinquieme du mois d’Octobre. Mais retournons maintenant à la defcription de la baye’: de la riviere Geresipe, la coste tourne comme vn coude vers le Sud, & là premierement elle a vne riuiere qui enferme dans fon emboucheure vne Isle, & quelques petites Isles qui la bordent, puis fuiuant le mesme cours prefque trois lieuës, elle fe rend à l’emboucheure de la riviero de Cachoera,qui fortant dans la baye par vne large emboucheure, a au dedans vn large sein comme vn golfe, dans lequel il y a quelques Ifles efparfes; Or au bord d’icelle il y a plusieurs moulins à sucre, car elle fe diuife en plufieurs recoins , qui reçoiuent 0 chacun quelques petites rivieres ; vis à vis de fon emboucheure eft situee l'Isle de Meue : 2 enfin la cofte continue toufiours vers le Sud , crenelee de diverses bayes, & coupee de plufieurs petites rivieres, ayant vers l’Est cette longue Ifle de Taperice, de laquelle elle est feparee par vn destroit assés large ; & ainsi nous auons fait le tour de cette renommee baye de tous les Saincts. Maintenant nous parlerons de la ville. CHAP.

XXIII.

Description de la ville de S. Salvador & des lieux autour d'icelle : item de Seregipe. À principale ville de ce Gouuernement eft nommee S. Salvador, fituee au costé du Nord-est de cette baye, aupres dvne ance demi-circulaire, fur vn coftau 'moyennement haut, elle a esté baftie depuis quelques annees (car auparavant elle estoit en vne autre place, qui garde encore auiourd’hui le nom de vieille ville, vulgairement Villa Veya, pres du Chafteau de S.Antoine) par Thomas de Sousa ; ceincte de murailles, & ornee de temples & autres beaux edifices. On y a bafti en outre quelques qui commande Chafteaux pour la feureté de la ville & de fon port ; l’un defquels l’emboucheure de cette baye s’appelle le Chafteau de S. Antoine: l’autre qui est sous la ville mefme de S. Philippe : & le troisieme qui eft le plus grand & le plus fort au deflus de la ville dans le retour d’vn certain Cap nommé Tapesipe. L’autre ville de ce Gouuernement s’appelle Paripe, diftante de celle de S. Saluador 40 de quatre lieues, elle eft au dedans du pais. Il n’y a nul Gouuernement en tout le Brasil qui soit plus peuplé & plus riche que ceftui-ci : car il a enuiron quarante moulins à sucre, efpars au long & au large dans les Ifles, ances, au bord des riuieres qui fortent dans la baye, & tout autour d’icelle. Il y croist du cotton en grande abondance ; & s’il eft permis de conter les chofes qui arriuent par hafard, on y trouue fort fouuent de l’ambre gris, comme on l’appelle communement : fans parler des greffes balaines, qui y abordent bien fouuent & font laisfees à fec fur le riuage de l’Isle de Taparica, au grand profit des habitans. Or les Peres de la Societé ont en la ville de S. Saluador (comme tefmoigne Iarricus) vn College sur tous magnifique, dans lequel il y a six Regents ; le premier defquels enfeignelaTheologie Scholaftique, l’autre la Morale ; le troifieme lift le cours de la Philofophie ; deux enfeignent la langue Latine, & le dernier instruict les enfans à lire & à escrire. A ce College font donnés en charge trois villages de Brasiliens, situés proche de la ville. Or les Peres tesmoignent en leurs lettres anniuerfaires, qu’il y a en ce College & lieux voisins Lxxx Jesuites, à l’industrie desquels ils estiment estre deu l’accroissement de ce Gouvernement, la faueur des Indiens & l’authorité qu’ils ont fur eux, comme aussi leur

L


OCCIDENTALES LIVRE. XV. 527 leur conservation. Car comme l’an CIᴐIᴐ LXXXVIII quelques navires Anglois qui estoyent venus dans cette baye, s’efforçoyent d’y faire descente, pour occuper (ce sont les propres mots de Jarricus)quelque lieu voisin, ou la ville mesme s’ils eussent peu : Christoste Gouean Visiteur desColleges & maisons des Jesuites par tout lé Brasil, voyant que les forces des Portugais n’estoyent pas ballantes pour repousser les Anglois, il aduertit de ce peril lesPeres qui habitoyent dans les villages des Brasiliens, &leur commanda , qu’ils eussent à admonefter leurs fuiets à donner fecours : ce qui fut fait, car vn grand nombre de Sauuages armés d’arcs & de fleches accoururent au lieu assigné, pour chafler l’ennemi du riuage. Et certe ils firent si bien leur devoir, encouragés par 10 les Peres, que les Anglois apres auoir souvent.essayé de defcendre, & sevoyans tousiours repoussés des Brasiliens, s’en allerent enfin fans rien faire. Les Peres racontent aufli dans leurs lettres, qu’un certain Portugais Seigneur de Gachoeira (cette riuiere defcend dans la baye à enuiron douze lieues de la ville de S.Salvador) auoit tellement attiré par douces parolles les Guaymures voifins, qu’ils eftoyent à prefent plus doux qu’ils nauoyent esté, & par le moyen des Iefuites il y en auoit plufieurs dentr’eux qui auoyent efté baptizés : ce qui eftant rapporté au Gouverneur, il trouua bon d’emmener ces Sauuages dans l’Isle de Taperica, afin de les tenir mieux en obeïftance : mais ce changement de place ne leur auoit pas bien succedé, car la plus grande partie dentr’eux y eftoit morte de diuerfes maladies ; pource que cet20 te Isle encore qu’elle foit afles fpacieufe & fertile,produise de fort bon tabac,& nourrisse force vaches,toutesfois l’aïr n’y eft pas sain, & fes habitans ne s’y portent pas bien. Mais retournons à la ville de S. Salvador: Elle est situee, comme nous avons defia dit, sur une haute coline & qui est du costé de la baye droite & couuerte d’espais halliers & arbrisseaux où on ne peut presque passer, de forte qu’on n’y monte que par quelques chemins eftroits : elle à deux portes, vne vers le Sud, & l’autre du cofté du Nord, auec fes faulxbourgs : au pié du costau sur le riuage mefme de la baye il y a plufleurs maisons & chais : L’an cIᴐIᴐc XXIII les Portugais craignans la venuë des nostres, y baftirent vn efpron triangulaire de pierre fur vn rocher enuironné de la mer, afin d’empescher la defcente & pouuoir garder les nauires qui y feroyent anchrés, 30 & briser ceux de l’ennemi qui en approcheroyent. Il y a dans la ville plufieurs édifices publics afles magnifiques, entre lefquels excelle le Monaftere de S. François, dans lequel lés Peres de la Societé ont leur College ; proche delà ils auoyent commencé de baftir vn nouueau Temple dés les fondements,lors que ceux de noftre nation prirent la ville. Or combien que la ville foit par tout ceincte de murailles, ou de remparts, toutesfois on ne l’estime pas pour cela afles forte, à caufe des montagnes qui la commandent, & qui font beaucoup plus hautes que fon terrain. Dans cette ville demeure le Gouverneur pour le Roi de ce Gouvernement ; comme aussi l’Evesque, l’Auditeur general de tout le Brasil, & les autres Officiers Royaux. Cette ville fut prise heureusement l’an cIᴐIᴐc xxIv au mois de May, par la flotte 40 de la Compagnie des Indes Occidentales,de laquelle eftoit Admirai laques VVillekens ; & Pierre Pierrez. Heyn Vice-Admiral, le Sieur Dorth auoit la charge des ioldats ; mais il n' eftoit pas encore arriué quand la ville fut prise, & peu apres fon arriuee il fut tue des Sauuages comme il estoit forti dans le bois prochain vn peu à la legere : Or elle fut derechef renduë aux Espagnols l’an cIᴐIᴐc XXV au mois d’Avril, en partie par la coüardife du Gouverneur, & en partie par la trahifon de quelques Capitaines & foldats , au grand deshonneur des vns & des autres : mais les Hiftoires de noftre temps traiteront de ces choses plus au long, il me fussit d’avoir touché cette playe. Entre le Gouvernement de la Bahie & celui de Pernambuco est situé Seregipe del Rey, comme il le nomment (qui eft conté par Olyueiro entre les Gouvernements ou Capi50 taines) qui eft vne petite villette, au dedans du païs, à laquelle on va par vne moyenne riuiere & qui n’a pas plus de treize piés de profond dans fon emboucheure, à la plus haute maree. Elle est distante de Rio Real d’onze lieuës vers le Nord, & fept de celle de S. François vers le Sud : il y a force vaches : & il y en a qui escrivent qu'on y a trouué au dedans des terres de veines d’argent. Je n’ai veu iufques à cette heure aucun autrç qu'Olyueiro qui contaft entre les Gouuernements Seregipe, voila pourquoi nous l’avons estimé deuoir eftre mis hors du nombre diceux. C

H A P.


528

DESCRIPTION DES CHAP. Septieme Gouuernement du

INDES

XXIV.

Brasil

nommé

Pernambuco.

E septieme Gouuemement du Brasil est vulgairement nommé Pernambuco. ou comme les François & ceux de noftre nation prononcent Fernambuco ; or il est distant du precedent de la Bahie de cent lieuës vers le Nord-est & cinq de celui de Tamarica vers le Sud : laquelle distance se doit entendre d’vne ville à l’autre, car les limites des Gouuernements fe ioignent; que nous essayerons d’expliquer vn peu 10 plus soigneusement. Albu-Nicolas d'Olyveiro Portugais efcrit de ce dernier comme s’enfuit : Eduard Aquerque eft Seigneur du Gouuemement de Pernambuco', il eft fort fpacieux, sçavoir vers le Sud de la ville d'Olin de jusques à la riviere de S. Francifco d enuiron cinquante lieues, aupres de laquelle on dit qu’il s’eft trouué es annees precedentes vne mine d’argent, que le Roi a defendu de travailler : Alagoa eft au Nord de cette riuiere, où deux fleuves fortent en mer ; en ce lieu il y a cinq ou six moulins à sucre, qui font peu de sucre tous les ans ; proche delà & du mesme costé est Porto Caluo, aupres duquel il y a fept ou huict moulins à fucre : & proche delà vers le Nord est situé le village d’Una, avec quatre ou cinq moulins; plus outre la belle & grande bourgade de Serrinhan, aupres de laquelle il y a douze moulins, qui rendent chacun d’ordinaire fix ou fept mille aro- zo bes de fucre; for chaque arobe pefe XXVII ou xx VIII des livres de nostre païs) par apres la bourgade de Poyuca, fort peuplee, où il y a treize ou quatorze moulins, qui rendent tous les ans grande quantité de fucre : elle eft fituee fur vne riuiere de mesme nom, laquelle fort en mer vn peut au dessus le Cap de S. Augustin. Le long de ce Cap eft fituee la bourgade de S. Antonio de Cabo, dans la banlieue de laquelle il y a enuiron xx moulins, qui sont beaucoup & de fort bon fucre. Au dessous du mefmeCap eft bastie la Chapelle de Nuestra Sennora dela Candelaria, de laquelle il y a vn chemin qui va aux campagnes, qu’on nomme Cucuranas, où paift vn grand nombre de vaches ; dela à la ville d’Olinde il y a cinq lieues, dans lefquelles font compris vingt & deux moulins à fucre. A neuf ou dix lieues de cette ville vers le dedans du païs, eft fituee o matta do Brafil, bourgade fort peuplee, où on coupe grande quantité de bois de Brafil, lequel fe mene à la bourgade de S. Laurent, où il y a sept ou huict moulins, qui font abondance d’excellent fucre ; enfin les limites de ce Gouuemement s’estendent vers le Nord jusques à l'Isle de Tamarica enuiron cinq lieuës. Voila ce qu’il en dit. Senfuit ce que les nostres en ont remarqué un peu plus soigneusement. De la riviere de S. François, qui est à XL lieuës d'Olinde, on conte cinq lieuës Jusques à une petite riuiere laquelle n’a pas plus de fept piés d’eau dans son emboucheure, nommee Coreripe, où demeure un ou deux Portugais, il y a beaucoup de Sauvages dans vn village fitue a cinq ou fix lieues de la mer, en ce lieu on coupe feulement du bois de Brasilen grande abondance. Delà il y a deux lieuës jusques à la riuiere de S. Mi- 4° guël, là on coupe aussi de ce bois & on y cultive des cannes de fucre. Delà iufques à Alagoa on conte trois lieues ; Or ce Alagoa eft vn lac Mediterranee diftant de la mer de fept ou huict lieuës, dans le circuit duquel fe fait beaucoup de Farinhe, comme les Portugais la nomment, delaquelle on se sert au lieu de blé dans ces Provinces, on y va par vne riuiere afles difficile à monter. De l'emboucheure de cette riuiere iufques a celle de S. Antoine il y a fept lieues, de S. Antoine iufques à Camaragibe deux ; c’eft une petite riviere, qui n’a pas plus de sept ou huict piés de profond, enuiron à trois lieuës au dedans du païs il y a deux moulins, qui sont presque à vne lieue du rivage de la riuiere: de Carnaragibe iufques à Porto Caluo on conte trois lieues : c’eft vne large riviere, mais qui n’a pas plus de sept ou huict piés de profond dans fon emboucheure : de Porto Caluo jusques à Barra grande, il y a quatre lieuës ; c’eft une belle baye & où il y bon anchrage, on y entre tant du cofté du Nord que de celui du Sud; mais deuers Nord il n’y peut palier que des barques ; on y cultive force Tabac, car la terre eft plate & descouverte d’arbres. nommee De cette Barra iufques à Fna il y a trois lieues : d'Fna iufques à la riuiere vulgairement RioFormoso quatre; cette riuiere eft eftimee assés profonde pour moyens

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OCCIDENTALES. LIVRE XV. 529 moyens navires. Delà on conte deux lieuës iufques à Serinhan, riviere qui n’a pas plus de huict ou neuf piés de profond; au deuant de fon emboucheure à quelque demi-lieuë d’espace eft situee Fille de S. Alexis, deffournie d’eau douce. De Serinhan à la riuiere de Macaripe il y a deux lieues : cette-ci n’a que cinq ou fix piés d’eau. De Macaripe iufques à Poyuca,quatre :de Poyuca au Cap de S. Augustin, environ vne : dans le port de ce Cap fort la riuiere de Morekipe ; or on entre aifement dans ce port, mais il est fort difficile d’en fortir,à cause des rochers & bancs de fable qui font d’vn cofté & d’autre de fon emboucheure; il eft maintenant fortifié d’vn petit Chafteau depuis que nos gens ont pris Olinde. Suit par apres vers le Nord la riuiere dite vulgairement io Rio de Sangados, profonde en son emboucheure de sept ou huid piés, distante de quatre lieues du village nommé vulgairement Reciffe, duquel nous allons parler. Or allans de la ville d'Olinde vers le Nord on rencontre premierement la riuiere de Tapado, & peu apres Rio Dolce, qui se bouchent toutes deux de bouës aux mois d’esté, puis Pao Amorello, de laquelle iufques à Maria. Farinha on conte deux lieuës ; d’icelle jusques à la riuiere de Garasu,demie ; où j’estime que ce Gouvernement finit. Or auant que palier à la defcription des villes, ce ne fera point mal à propos d’adjoindre ici quelque chofe d'olyveira & autres, de ce qui concerne les trefors du Roi d’Esp agne. Olyveira efcrit : Dans ces Provinces du Brafil il y a plufieurs moulins ou on fait du fucre les Portugais les nomment Ingenios) de forte qu’on en mene tous 2.0 les ans à la feule ville de Lisbonne d’ordinaire vingt six.mille coffres, chacun desquels pefe du moins quinze arrobes, qui sont chacune XXXII arrates ; ce qui fut remarqué l'an clᴐlᴐc XVII : auquel an il en arriva à Vïana plus de cinq mille coffres ; fans parler des autres ports de Portugal, ausquels il est certain qu’il en aborda grand nombre. l’ai appris d’vn Belge qui y auoit demeuré plufieurs annees ; que dans les plus grands moulins il eft requis le plus forment quinze ou vingt Portugais & cent Negres : dans les moyens huict ou dix Portugais & cinquante Negres : & dans les plus petits cinq ou fix Portugais & vingt Negres. Que les plus grands d’iceux font tous les ans sept ou huid mille arrobes de fucre; les moyens quatre ou cinq mille; les plus 3o petits trois. Et que dans les Gouuernements de Pernambuco,Tamarica, & Paraiba, iufques à Rio grande, il s’en fait d’ordinaire tous les ans quarante mille coffres: ce qui n’eft point de merveilles, car fiai vn Autheur qui affeure qu’on conte plus de cent & cinq de tels moulins dans le seul Gouuernement de Pernambuco. En outre la disme se paye au Roi dans le Brasilde tout le fucre: & dans le Royaume de Portugal quand il eft arrivé le quint: selon Olyveira. Il y en a d’autres qui expliquent cela vn peu autrement: fçauoir que tous les grains, tout le fucre, mesmes les vaches & autre bestail payent dans le Brafil la difme au Roi ; laquelle le Roi à couftume d’affermer à de certains Fermiers pour vne ou plufieurs annees ; celle du Gouuernement de Pernambuco (car ie sçai aucunement parler de cette4o ci) d’ordinaire soixante mille ducats ou enuiron: il n’y a personne exempte de ces dismes, fi ce ne font les gens d’Eglife : Or le Seigneur particulier de chacun Gouuernement reçoit les Redezimes, comme ils les appellent, qu’ils afferment communement seize mille ducats chacun an. Au refte le lucre eft exempt de toute couftume & impost dans le Brasil, mais en Portugal il paye le quint du prix qu’il fe vent lors dans le Royaume : toutesfois ceux qui font proprietaires de neuues moulins, s’ils emmenent du Brasil leur sucre sur leur risque, ils font libres du quint dans le Royaume pour dix ans ; lesquels passés ils en payent la disme, & autres dix ans d’apres, le quint comme les autres. Or le bois de Brasil duquel on emmene vne grande quantité en l' Europe , auoit couftume d appartenir au îo à ceux qui le racheptoyent de lui ; & chaque nauire, qui part du Brasil, eft tenu d’en porter pour rien en Portugal un certain poids,selon la grandeur.

Xxx

CH AP.


530

DESCRIPTION DES CHAP. De la ville

INDES

XXV.

d’Olinde,

& de

Garasu.

Encore que ce Gouvernement soit de si grande estenduë, toutesfois il n’a que deux villes Olinde &Garasu, la derniere desquelles merite à peine le nom de ville. Olinde est une ville fort celebre, situee fur un lieu haut au bord de la mer, il y a dans fan circuit plusieurs costaux,& le terrain y est si inegal, qu’à peine se peut elle fortifier par aucune inuention humaine ; entre les edifices publics fie fait voir le College des Jesuites bafti fur le penchant d’une coline en vn lieu fort agreable, fonde par le Roi Sebastien, dans lequel, comme escrit Jarricus, il y a d’ordinaire vingt ou I o vingt & cinq Iefuites ; ce College eft le premier veu de tous par ceux qui viennent de la mer pour la hauteur du lieu où il eft assis : ils y enfeignent la Theologie morale ou les Cas de confcience,comme aufli la langue Latine; & les enfans à lire & à escrire. De ce College despend vn certain village de Brasiliens situé dans le territoire de cette ville, de plus de neuf cents habitans, qui ont tous efté baptizés. Aupres de ce College se voit le Conuent des Capucins ; & presque au bord de la mer celui des Jacobins : & en la haute ville le Monaftere qu’ils nomment de S. Bento, fort de nature 6c par art; outre le Conuent de Moines nommé Conception de Nossa Sennora ; or dans ces cinq Monafteres on n’y contoit pas plus de cent & trente Religieux : outre presque soixante Preftres. La principale Eglise parochiale de la ville est dediee au S. Sau- iO neur, l’autre à S. Pierre : fans l’Eglise de l’hospital qui y eft prefque ioinde,dite Misericorde, fituee prefque au milieu de la ville fur vn haut coftau, au pié duquel fe voit vn autre Temple nommé Nossa Sennora delEmparo; outre lefquelles font celles de S. Juan ; Nossa Sennora de Guadalupe ; item Nojfa Sennora de Monte baftie hors la ville : enfin la chapelle de S. Amaro tout proche de la ville, de forte qu’il y a tant au dedans qu’au dehors de la ville huict Eglifes. Le nombre des Bourgeois eft estimé eftre de deux mille, tant hommes, femmes qu’enfans, fans les Ecclesiastiques, qui ne font pas de ce nombre ; & vn grand nom. bre d’esclaves. Il n’y a ville en tout le Brasil qui ait plus de disette de viures, & d’autres choies necessaires à la vie de l’homme, que cette-ci ; de maniere qu’il y en faut bien forment porter des autres Gouvernements du Brasil, & des Isles des Canaries, voire de Portugal mesme. Le port de cette ville n’eft pas beaucoup grand ni propre, mais il eft fermé de rochers & de bancs, comme d’vne barre (qui borde la cofte du Brafil l’efpace de plusieurs lieues) de forte que les grands nauires n’y entrent que par vne emboucheure estroite, & sont au dedans dans une petite baye, dans laquelle vne petite riuiere, qui descend de la Continente fe descharge, à vne lieue ou un peu plus de la ville. Sur le port il y a vn petit village ou pluftoft vn fauixbourg, où il y a quelque maifons & des chais, dans lefquels on porte le fucrc & autres marchandises : il eft deffendu d'un Chasteau basti sur un long col de terre, visa vis de l’entree du port, qui peut ai- 4* sement empescher l’entree aux navires.Neantmoins l'an CIᴐIᴐ XCV laques Lancastre Anglois, eftant parti d’Angleterre auec trois nauires feulement & deux cents septante cinq tant matelots que soldats, ayant en chemin grossi fa flotte de trois ou quatre nauires,qu’il auoit pris sur les Espagnols ; & apres que Vennes aufli Anglois, se sut joinct auec lui auec autres quatre tant navires que barques ; il entra d’une grande hardiesse dans ce port, & prit d’vn premier assaut ce Chasteau, dont nous auons parlé, dans lequel il y auoit fept pieces de fonte & fix cents hommes, qui y auoyent efté envoyés de la ville pour le garder, les Portugais ayant pris honteufement la fuite à la premiere veuë des Anglois: car les Anglois refolus de vaincre ou de mourir,avoyent expressement brisé leurs chaloupes contre les rochers, afin de n’avoir autre esperance qu’en la victoire ; Lancastre donc eftant maiftre du Chafteau & du fauixbourg, dans lequel il y auoit lors enuiron cent maisons, ayant vn fort riche butin (car outre les ordinaires marchandifes de ces contrees, comme sucre, cotton, bois de Brafil & autres, il Y avoit par fortune la charge d’un grand caraque,qui retournant des Indes Orientales s’y estoit deschargee) fe fortifia à l’encontre l’effort de l’ennemi, faisant un rempart comme de travers où il plaça cinq pieces de fonte ; car ce destroit de terre s’avance un col


531 OCCIDENTALES. LIVRE XV. un col entre la mer & la riuiere; & quand la maree est haute, à peine est-il large de XL pas, de forte qu’il fe pouvoit aisement defendre à l'encontre de ceux de la ville. Et ayant demeuré là trente & un jour, il chargea de riches marchandises de l’Orient, non feulement huid nauires Anglois, mais aussi trois Hollandois, qu ayant trouué dans leport il print à loage, &quatre François qui y eftoyent arriués du depuis, lesquels il emmena auec foi chargés de diverses marchandifes du Brasil. Les Portugais du depuis ayant bafti vn autre petit Chafteau vis à vis du premier fur vn rocher dans la mer mesme, ont rendu prefque inacceffible à l’ennemi l’entree de ce port, qui eftoit desia allés difficile de foi. 10 En outre le long de la ville descend une petite riviere & qui à peine peut porter des barques(qu'ils nomment Rio Bibiribe) laquelle ayant passé entre la Continente & ce col de terre,dont nous avons parlé ci-dessus, se joinct aupres de fille d'Antoine VaaZ, cõme ils la nomment, auec vne autre rivierenommee Rio Capefecia ou de Fidalgos (ou comme d’autres escrivent Capibarivi) cette-ci descend de la Continente le long du costé Septentrional de la susdite lsle ; comme une autre nommee des Portugais Rio dos Afogados, rafe son costé du Sud; se joignant toutes deux en vn certain bras au dessus de l'Isle, qui fait que cette Isle eft feparee de la terre ferme par ces riuieres. Garasu plustost bourgade que ville,est diftante d'Olinde de quatre ou cinq lieuës, elle estoit autresfois habitee des Portugais depeu de moyens & qui gaignoyent leur vie de 20 leur mestier, où à chercher du bois de Brasil ; mais depuis que nos Belges ont pris Olinde, il y en a plusieurs des plus riches qui se sont retirés à cette ville, de laquelle ils vont à la mer par vne petite riuiere,qui entre en icelle vis à vis de Tamarica. Cette ville fut prife à l’improviste parles noftres au commencement de May de l’an cIᴐIᴐC XXXII. Il y eut plus de cent Portugais de tués,beaucoup de pris, un bon butin en fut tiré , vne bonne partie de la ville ruinee par le feu ; & il y fut gafté vne grande quantité de viures,principalement du vin, que l’on y gardoit pour les troupes, que les Portugais avoyent placees pres d’Olinde. En outre à neuf ou dix lieues d’Olinde il y a vne bourgade fort peuplee nommee o matta do Brasil, les habitans de laquelle s’employent principalement à couper du bois 30 de Brasil,qu’ils menent à la mer en grande quantité. Et entre cette-ci & la ville il y a vne autre bourgade assés peuplee, laquelle ils nomment S. Laurenzo, dans le territoire de laquelle il y a sept ou huid moulins, qui font beaucoup & de fort bon fucre. Enfin on conte cinq lieues des Cucurannes, dont nous auons parlé ci-dessus, & en cet efpace il y a vingt & deux moulins ( combien que ce foit au long & au large dedans les terres ) qui sont fitués dans Guararapis, Moribeca & Camassarin ; la plus grande partie toutesfois sont dans Vergea de Capivarivi, comme ils la nomment, pource que cette riuiere passe aupres : cette region eft la plus belle de toutes, foit qu’on y confidere les belles campagnes verdes ,foit les arbres fruidiers, & autres chofes commodes pour la vie de l’homme ; & ils ne font pas à plus de deux lieues de la mer,de forte que les Ne40 gres & autres efclaues y peuvent commodement courir pour y pescher. Il reste que nous ramentevions briefuement, comment la ville d’Olinde & lieux circonuoifins ont esté pris par nos Belges & tenus jusques à ce jourd’hui. CHAP. XXVI.

Comment Olinde fut prise des Belges ; & comment ils la tiennent encore auiourdhui.

A Compagnie des Indes Occidentales, eftablie és annees precedentes sous les Generaux des aufpices des tres-Illustres Seigneurs, Messeigneurs les Eftats grandesrichesses, que l’annee Prouinces-vnies des Pays-bas, & augmentee de retournoit de cIɔIɔc XXVIII elle avoit assemblé du butin de l'armee d'Espagne, qui 50 la NouvelleEspagne; ne desirant rien tant, que de fe vanger, par quelque ade memoBrasil ; effacer rable, de l'outrage qu’elle auoit auparauant receuë par l'Espagnol au affermir fes l’infamie que fes gens auoyent receuë par leur coiiardife & perfidie; & chofes les plus les que estimant Brasil, & affaires ; adreffa fes deffeins derechef vers le Ils drefferent donc difficiles sont les plus belles, elle se refolut d’attaquer Pernambuco. cinquante plus de de nauires tant navale, compofee armee pour cet effect vne forte de de munitions de guerre, plusieurs pieces grands que petits, fournie abondamment Xxx a de fonte,

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DESCRIPTION DES INDES

de fonte, & d’un grand nombre de soldats & matelots. Henri Loncq eftoit General de cette armee, Pierre Adrianß Admirai, lofes Trapenne autrement Bankard ViceAdmiràl,& noble homme Dideric de VVardenbourg eftoit Colonel de tous les foldats* Le General Loncq & l’Admiral firent voile de Goeree le vingt feptieme de Juillet l’an. cIɔIɔc XXIX avec huict navires ; qu’en mesme temps suivirent plusieurs autres des autres ports de Hollande & de Zelande. Il arriva auec ses huict nauires aux Isles des Canaries au mois d’Aoust, & là pres de Tenerisse il tomba par hafard dans l’armee navale d’Espagne, qui eftoit compofee de quarante navires, dont la plus grande partie eftoyent grands & bien armés,de laquelle eftoit General D.Frederic de Toledo : & combien que le nombre des nauires de nostre General ne fust pas de beaucoup pareil, tou- 10 tesfois il ne refusa pas le combat, l’issuë duquel fut,qu’apres que quelques nauires de l’ennemi eurent efté fort brifés & grandement endommagés, l’armee de l’ennemi le laissa & poursuivit fa route vers les Isles des Canibales. Eftant parti delà il arriua le IV de Decembre à l'Isle de S. Vincent, l’une des Hesperides ; lefquelles on nomme vulgairement Islasde Cabo Verdedu nom du Cap, au deliant duquel elles sont, combien que fort esloignees ; là peu à peu fe ioignit à lui le reste de son armee, & enfin sur la fin de Novembre, arriva aussi le C. VVardenbourg auec le refte des foldats, lequel eftoit parti du Texel le x x d’Octobre : de forte que l’armee eftoit desia de cinquante quatre nauires tant grands que petits ( deux defquels ils avoyent prises en chemin fur l’ennemi ) & treize grandes chaloupes ; fept mille deux 10 cents & quatre vingts hommes , entre lefquels y auoit trois mille cinq cents foldats. Avec toutes ces troupes eftans parti de S. Vincent, le XXVI de Decembre, ils arriverent enfin le second de Feburier de l’an CIɔIɔC XXX à la terre ferme du Brasil, sur la hauteur de sept degrés & quatre fcrupules au Sud de la ligne : & le XIII du mefme mois ils eurent en veuë le Cap de S.Augustin. Or là ayant assemblé le Confeil des principaux Capitaines, ils prirent resolution de prendre la ville & port d'Olinde. Ils ordonnerent donc auColonel VVardenbourg feize tant nauires que barques, mille fix cents soldats, & fept cents mariniers d’elite, auec lefquels il deuoit mettre pié à terre aupres de Pao Amorello : Le General Loncq entreprit d’attaquer, auec le refte de l’armee, le port & les Chafteaux qui lui commandent. Le quinsieme ils poursuivirent, ayant vn petit vent fauorable , & vne mer tranquille favorisant à leur deftein : & ainfi le General Loncq s’approchant du Chasteau, qui eftoit le plus en dehors, commença de le canonner fort & ferme, auec peu ou point d’avancement, car combien qu’il fuft fort pres, si ne pouvoit-il adresser fes coups iuftement, pour le bransle des vaisseaux : & il n’eftoit possible d’entrer dans le port à cause que les ennemis en avoyent bouché l’entree auec quelques nauires enfondrés; voila pourquoi ils se retirerent vers le soir quelque peu en mer, sans avoir receu aucun dommage des canons de l’ennemi. Cependant VVardenbourg auoit descendu fes troupes au lieu assigné, fans qu’aucun l’empeschast, bien que l’ennemi se monstrast assés pres delà: Or le foir eftant venu on 4° difpofa les troupes en ordre de bataille; & on les fepara en trois (excepté la compagnie des moufquetaires d’elite) le Lieutenant Colonel Eltz commandoit l’avant-garde, compofee de neuf cents & trente quatre hommes : le Lieutenant Colonel Steyncalefel menoit la bataille, où il y auoit mille quarante neuf hommes : & Foulques Honcq conduifoit l'arriere-garde compofee de neuf cents soixante cinq. Le lendemain tout au matin ils s’auancerent : l’avant-garde où eftoit le Colonel, marchant deuant, ayant quelques legeres pieces en front, ils marcherent le long du nuage de la mer, qui auoit à la main droite un bocage de halliers ; & ainfi fans aucun combat ils arriverent à Rio Dolce ; de l’autre cofté de laquelle huict cents Portugais ou vn peu moins s’estoyent retrenchés: nos gens neantmoins fans s’arrester, gayans la riviere jusques à la ceincture, les mirent en route de prime abord, auec peu de dommage & peu de leurs gens tués : delà poursuivans leur chemin, fans que l’ennemi, pour la crainte du canon des nostres, ofaft faire teste, ils arriverent à la ville ; & ayans pour guide vn esclave, ils prirent, deuant toutes choses, le Monaftere des Jesuites, situé en la plus haute partie de la ville, apres en auoir rompu les portes ; Or les ennemis, qui defendoyent le rempart fait dans la basse ville au bord de la mer, ( car la ville n’eftoit fortifiee que de ce costé) voyant


OCCIDENTALES. LIVRE XV.

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voyans que la haute ville estoit prise, que l’arriere-garde s’avançoit à grands pas vers eux, & que deux compagnies que le General avoit fort à propos disposees de l’autre costé de la ville, approchoyent, s’enfuirent à la desbanda de ; par ainsi les nostres furent maistres de toute la ville : le butin pour la renommee de la ville ne fut pas de grande consequence ; car les Portugais estans advertis de la venuë des nostres, avoyent auparavant emporté ailleurs ce qu'ils avoyent de plus precieux, bien que le Gouverneur Albuquer que l'eust defendu. Voila ce qui se passa le seizieme de Feburier. Apres cela les Chasteaux se rendirent le second de Mars : &le troisieme du mesme nos gens passerent dans l’Isle d'Antoine Vaaz, & se saisirent d’un celebre Monastere, 10 qu’ils trouverent vuide, situé sur la pointe Septentrionale d’icelle. Or l’ennemi avoit mis le feu dés le dix septieme de Feburier d’auparavant dans tous les chais du Reciffe, où on dit qu’il y eust vingt cinq mille coffres de sucre bruslés. Je passe ces choses legerement, queles Histoires traiteront plus à plein. Maintenant j’adjousterai comment ces lieux ont esté fortifiés par nos gens : (car l'an precedent nous avons abandonné la ville,comme nous estant inutile, l'ayant auparauant ruinee & en partie mise bas.) Les forteresses que nos gens tiennent dans le territoire de Pernambuco, sont disposees en cette maniere : presque toute la coste du Brasit, du costé qu’elle regarde l’Orient est bordee de rochers qui s’entretiennent d’une suite presque continuë, lesquels se monstrent à maree basse, larges d’enuiron neuf perches de dix piés, & souvent de plus, 20 comme une barre ou rempart, & combien qu’en plusieurs endroits ils soyent entrecoupés, toutesfois il y a peu de passages encore fort estroits, où les navires puissent passer : Or au droit de la ville d'Olinde ce banc finit en angle obtus, où de long temps les Portugais ont basti une petite forteresse de pierre. Et de la ville d'Olinde descend une lesche de terre comme une langue, au bout de laquelle est situee la bourgade dite vulgairement le Reciffe ; or ce sentier (car à peine est-il au plus large de trente ou quarante verges de dix piés, est pressé vers l'Occident de la riviere Bibiribe, peu profonde & sale de beaucoup de bancs, & vers l’Orient de la mer : cette bourgade, que je viens de dire, estoit ci-devant ouverte, maintenant elle est fortifiée d’un rempart & d’un pallissade. Vers le Nord d’icelle est situee la ville, où premierement les nostres ont fortifié de nou30 veau le vieux fort des Portugais, dit S. Georges, distant de cent soixante verges de dix piés de la bourgade ; puis apres à environ cent verges delà ils ont basti dés les fondements un fort, qu’ils ont nommé de Bruyne, muni vers la ville d’un fort ouvrage de corne : vis à vis des deux ils ont fait un fort triangulaire, nommé de VVardenbourg, sur une pointe de la terre ferme, au delà de la riviere, de l’autre costé de l’Isle d'Antoine Vaaz. En outre dedans fille mesme d'Antoine Vaaz, presque vis à vis du Reciffe, nos gens ont basti autour du Monastere le fort Erneste, avec une corne qui regarde vers le Sud : & à peine à cent & vingt verges delà, un fort quinquangulaire & extremement bien fortifié, honoré du nom de l'Inuincible Prince Frederic Henri, avec aussi un fort ouvrage de corne du costé du Sud ; enfin une autre forteresse dite Amelia : outre quelques petits 40 forts, qu’on nomme Redoutes, basties tout autour sur les advenuës de l’ennemi : par lesquels ouvrages cette place est tellement forte, qu’elle peut resister à une grosse armee de l’ennemi. CHAP.

XXVII.

Gouuernement de Tamarica, & de la coste marine iusques à ce lieu. E huictieme Gouvernement du Brasil, & mesme comme on veut le plus ancien, est celui de Tamarica, mais qui est maintenant moins renommé pour le voisinage de celui de Pernambuco & de Pareyba : il a pris son nom de l’Isle de Tamara50 ca ou Tamarica, qui est separee de la terre ferme par un canal fort estroit ; longue de trois lieuës, & de large de deux : de la Popilliniere François en son Livre des trois Mondes, escrit que ce quartier a esté premierement possedé par les François, & qu’il leur fut puis apres osté parles Portugais ; il garde encore aujourd’hui la mémoire des François, & le nom du prochain port de cette Isle, que les Portugais appellent Porto dos Franceses ; autrement la renommee de la chose est fort obscure, & n’a esté remarquee par aucunes Histoires, au moins que j’aye veu. Xxx 3 En

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DESCRIPTION DES INDES

En outre cette Isle de Tamarica est distante d'Olinde de cinq lieuës ; elle a un port assés commode au cocté du Sud, dans lequel on entre par un canal profond de quinze ou seize piés ; où commande un Chasteau des Portugais basti sur un haut costau, difficile à monter, qui fut attaqué en vain par les nostres l’an precedent ; & depuis pris par iceux ; toutesfois pour en chasser les Portugais, & leur oster ce port, ils y ont basti un fort quarré qu’ils ont nommé d'Orange, sur la propre sortie du canal en mer, inaccessible de toutes parts, à cause des estangs & ruisseaux qui y descendent de l'Isle : tellement qu’ils ont maintenant bouché cette entree aux Portugais : car l’autre emboucheure vers le Nord, qu’ils nomment Catwanna est à peine profonde de dix piés ; de 10 maniere qu’il n’y peut passer que des barques. Monsanto, dans la Continente appartient au Comte de Cette Isle & son territoire lequel demeure à Lisbonne : qui reçoit, comme on dit, tous les ans des habitans pour tribut, deux mille cinq cents ou trois mille ducats : on dit qu’il y a dans ce Gouvernement environ vingt & deux moulins à sucre : principalement sur la riviere Goiana ou Gouana, comme aussi dans l'Aracipe & Paratibe. A environ une lieuë de Tamarica, la petite riviere de Massarandu ou Mucurandiba sort de la Continente, aux bord de laquelle il y a un moulin, où on peut monter avec des barques : & vis à vis de la mesme Isle sortent les deux petites rivieres Aripe & Ambor, comme j’ai appris d’un Portugais instruict en la cognoissance de ces lieux, les20 quelles ont aussi leur moulin chacune. A six lieuës plus outre que Tamarica vers le Nord sort la riviere de Gouane, profonde en son emboucheure de huict ou dix piés seulement, mais au dedans son canal est beaucoup plus creuse ; sur les bords de laquelle à six ou sept lieuës de la mer il y a trois ou quatre moulins aupres d'un petit village, jusques où montent des barques, pour en emmener le sucre. Enfin à deux lieuës de Gouane vers le Nord est le Port François, dont nous avons parqui est comme fermé de deux rochers, derriere lesquels il y a une rade assés ci-dessus, lé commode, il n’y demeure personne excepté un ou deux pescheurs. Par ainsi, nous avons à present achevé les huict principaux Gouvernements du Brasil, nous descrirons ceux qui restent au Livre suiuant ; maintenant visitons succinctement la coste jus-30 ques ici. De Britioga, port Septentrional du Gouvernement de S. Vincent, jusques à l’Isle de S. Sebastien on conte huict ou dix lieuës : cette Isle est situee sur la hauteur de XXIV degrés, comme les nostres ont remarqué ; il y croist aupres de son riuage une espece de pois fort venimeux ; nous avons ci-devant parlé des autres choses. De cette Isle jusques à celle des Pourceaux il y a IV lieuës, il y a une commode rade entre l'Isle & la Continente, où edt la baye d’Vbatuba. De l'Isle des Pourceaux jusques a l'Isle Grande il y a VIII lieuës, selon Figuredo, & davantage selon d’autres : cette Ifle Grande est haute & pleine de bois, & le dedans d’icelle est tout raboteux de rochers aigus : elle abonde en fontaines ; & a quelques ports no- 40 tables pour la commodité qui y est de prendre de l’eau & du bois. A deux lieuës d’icelle vers l’Ouest le Cap Caroussu s’avance en mer ; & vers le Nord est situee Angra dos Reyes, dont nous avons fait mention ci-dessus. En outre, proche de l'Isle Grande vers l’Est est Morembaya, de laquelle jusques à Garatuba on conte IV lieuës, & autant delà à Toyuqua : ce sont deux rivieres qui ne portent que des barques. De Toyuqua il y a deux lieuës jusques à un haut rocher relevé en pointe, dont le sommet est toutesfois plat (on le nomme communement Gauea) d’icelui à la riviere de Ianuier il y en a autant ; de sorte que depuis l’Isle Grande la distance est de douze lieuës 50 ou un peu plus. De la riviere de Ianuier jusques au Cap frio il y a XVIII lieuës, il est à environ XXIII degrés au Sud de la ligne ; jusques ici la coste à couru vers l’Est. Du Cap frio jusques à la baye de S. Salvador on conte IX lieuës, & la coste se tourne paree vers le Nord : d’icelui à l'Isle de S. Anne, qui est au devant de la Continente, se bonne rade : d’icelle de deux lieuës : il y a XII lieuës en l'espace d’entre-deux, il y a une l'Isle mesme est fort belle & couverte par tout d’arbres, entre lesquels il y en a qui portent


OCCIDENTALES

LIVRE.

XV.

535

portent des fruicts semblables aux cerises, le noyau est rude, & la chair d’un bon goust ; mais il y a disette d’eau douce. De cette Isle jusques au Cap de S. Thomas on conte VIII lieuës, il est sur les XXII degrés de la ligne vers le Sud. De ce Cap à la riviere de Paraeiva il y a VIII lieuës. De Paraeiua à Manage, cinq ; delà à Itapemeri, autant. Ceux de nostre nation ont remarqué que Rio Dolce est à XXI degré de la ligne, elle est habitee de Portugais : & à dix scrupules de plus est l’Isle S. Clara, separe paree de la terre ferme de demi-lieuë, elle est vestuë de beaucoup de palmites, & n’a pas faute d’eau douce. 10 En outre d'Itapemeri jusques à Gleretebe il y a IV ou V lieuës, XX degrés & XLV scrupules de la ligne.

De Gleretebe à Guarrapare, sept lieuës ; les Portugais la nomment Sierra de Guaripari. Delà à la ville de Spiritu sancto, huict lieuës. De la baye de cette ville jusques à la riviere dos Reyes Magos on conte six lieuës : elle est à XIX degrés & XL scrupules de la ligne. D’icelle jusques à une autre nommee Rio dolce, huivy lieuës : delà à Criquare, sept : de Criquare à Maranepe, ou selon d’autres Mucuripe, dix, XVIII degrés & xv fcrupules de la ligne. De Maranepez Pararvepe,ou comme d’autres veulent Perteripe, cinq. De ce lieu jusques à la riviere nommee das Carauelas, trois,d’icelle à Barreiras Vermeilhas, comme ils l’appellent, six ; de cette place à Coreba20 bo, deux ; sur XVII degrés & demi de la ligne. De Corebabo jusques à Porto Seguro il y a XVIII lieuës. De Porto Seguro à S. Crux trois lieuës, en ce lieu aborderent les Portugais, lorsqu’ils descouvrirent cette Continente : de S. Crux jusques à Rio Grande, neuf ou dix lieuës : dans cet espace d’entre-deux sont situés ces bancs si renommés, nommés des Portugais Baixos de S. Antonio : De Rio Grande jusques aux Ilheos, XVIII lieuës,dans cet espace entre-moyenne il y a de fort hautes montagnes qui se dressent sur le rivage nommees vulgairement Sierra de Aymures. Des Ilheos à la riviere das Contas il y a huict ou neuf lieuës ; delà à Camamu, six : de Camamu à Guepena, trois : de ce lieu jusques à la riviere de Tinhare, quatre : sur icelle se 30 dresse une fort haute montagne nommee communement Morro de S. Pablo : de cette riviere jusques à la baye de tous les Saincts, douze lieuës. De la baye de tous les Saintts jusques à la riviere Regale il y a XXVI lieuës, onze degrés & trente scrupules de la ligne. D’icelle à celle de S. Francisco, XVII lieuës ; delà jusques à un Cap nommé Guira, quinze ; de ce Cap jusques aux rochers de Cameraguba, six : d’iceux jusques à la riviere de las Pedras, cinq : delà au Cap de S. Angustin, douze ; nous avons un peu plus à plein suiui cette coste ci-dessus. A environ cinq lieuës du susdit Cap vers le Sud, est l’Isle de S. Alexis, sur huict degrés & quarante cinq scrupules de la ligne : elle est fort commode, car il y a moyen d’y prendre de l’eau & du bois. Du Cap S. Augustin jusques à Pernambuco, huict lieuës : de Pernambuco à Tamarica, 40 quatre ou cinq : de Tamarica à Pariba (duquel nons parlerons bien tost) il y a quinze lieuës.

DESCRIPTION


536 DESCRIPTION

DES INDES OCCIDENTALES, LIVRE SEIZIEME.

BRASIL SEPTENTRIONAL. CHAP. I.

10

De la commune langue des Brasiliens.

L nous semble que nous ne ferons rien mal à propos, si nous traitons un peu au commencement de ce Livre de la langue des Brasiliens : Car combien que plusieurs nations du Brasil ayent un langage particulier ; neantmoins il semble qu’ils ont entr’eux un certain idiome commun, principalement toutes ces nations qui attouchent en quelque façon le rivage de la Continente, quelques mots desquels nous avons receu d’un certain Belge, qui a demeuré parmi-eux en di- 20 verses places quelques annees, lesquels ont grande affinité avec ceux que Iean de Lery a mis en lumiere du langage des Tououpinambaults ; car encore que cette nation habitast en ces temps là aupres de la Bahie & de la riviere de Jennero, toutesfois apres que les Portugais en ayans chassés les François se sont emparés de leur païs, il semble qu’ils se sont espars au long & au large par toute cette region, & si loin que mesmes les habitans de Marignan se disent estre descendus d’eux, comme aussi ceux qui se tiennent aupres de Para, selon que j’ai appris de ce Belge : or afin que la ressemblãce ou diversité de ce langage avec celui des Tououpinambaults se voye mieux, nous consererons ensemble les noms des parties du corps de l’hõme, lesquels sont tels, 30

Selon Jean de Lery. Dans la baye de Trayciaon. Selon la remarque d’un Belge. La Teste Les Cheveux Les Oreilles Le Front Les Yeux Le Nez La Bouche Les louës Le Menton La Langue Les Dents Le Col Le Gosier La Poitrine Les Reins Les Fesses Les Espaules Les Bras Les Mains Les Doigts Le Ventre Les Tetins Les Genoux Les ïambes Les Piés

Acan Aue Nembi Shua Dessa Tin Jourou Retoupaue Redmiua Apecou Ram Aíoedé Asseoc Poca Rousbony Reuire Inuanpony Inua Po Poncu Reguie Cam Rodouponam Resemeu Pouii

Acan ....

Nambi ....

Desa Tin ....

Yahange Aua Namby Suwa Scescah Ty Iurou

.... ....

Apecong Tannie Aiura .... .... ....

.... ....

Giuwa Po ou Gepo ....

.... ....

Tnippha Gretima Gepu

40 Tedube Ypecou Raaingh Aiure Assiocke Potiah Yuabebouye Syquarre ou Tobyrre Attiube Ye 50 Poh .... Zambeh Camme Nupuha Youba Ypuch. D'où


DESCRIPT. DES INDES OCCIDENT. LIV. XVI.

537 D’où se voit que le langage des Tououpinambaults, comme de Lery le remarque, est encore en usage, pour la plus grande partie, entre les Sauvages habitans en diverses regions. Ce qui se peut aussi observer par les noms des nombres ; car comme de Lery remarque les Tououpinambaults prononçoyent. 1 Angepe. 2 Moccuein. 3 Mossaput. 4 Oioicoudic. 5 Ecoinbo. Ceux de la baye de Trayciaon content auiourd'hui ainsi.

10

1 Iepé. 2 Mokoy. 3 Mosaput. 4 Iemdick. 5 Opaue, &C. Le mesme de Lery remarque que les Tououpinambaults appelloyent le Soleil Gouarassi, Lune Iasce, les Estoilles Iasitata :en la mesme façon aussi les habitans de cette baye disent Coasir, Iasich & Iasitata. Ce qui est esmerveillable en une si grande diversité

de lieux. Mais retournons maintenant à nostre propos.

CHAP.

II.

Neusieme Gouuernement du Brasil dit Paraiba. U Livre precedent nous avons achevé huict Gouvernements du Brasil, & l’avons visité jusques aux limites du neufieme & nouueau Gouvernement de Paraiba, du quel il nous faut maintenant parler. Ce Gouvernement a pris son commencement des François, qui, comme nous avons dit au Livre precedent, furent chassés l'an cIᴐ Iᴐ LXXXIV : du depuis les Portugais 20 l’ont possedé, y ont basti une ville & quelques bourgades, & planté force cannes de sucre, de sorte qu’aujourd’hui il y a dix huict ou dix neuf moulins, qui rendent, comme on dit, tous les ans environ cent & cinquante mille arrobes de sucre. Du Port Francese suivant la coste vers le Nord, on rencontre premièrement un Cap appelle vulgairement Capo Blanco, sur la hauteur de six degrés & quarante cinq scrupules au Sud de la ligne ; d’icelui jusques à la riviere de Paraiba, d’où le Gouvernement à pris son nom, on conte deux lieuës. Cette riviere ouvre une emboucheure assés large vers l’Est, déclinant un peu vers le Sud-est : & au dedans de son entree il y a une longue Isle couverte d’arbrisseaux fort espais : or les François avoyent basti sur le Cap du Sud nommé Cabo Delo, un petit Chasteau, que les Portugais ont 30 par apres augmenté, sur tout, ces dernieres annees, depuis que ceux des Provincesunies des Pays-bas ont pris olinde. Par apres la riviere monte vers l'Ouest, sale de beaucoup de bancs de sable & de rochers, de sorte qu’on y a besoin d’un bon Pilote. Au costé Meridional de la riviere la ville de Paraiba est situee, laquelle ils nomment aussi de Philippe, au fonds d’une certaine ance, à environ trois lieuës de la mer, de sorte toutesfois que les navires y peuvent monter seurement, & y charger sans danger six ou sept cents coffres de sucre : il y habitoit és precedentes annees cinq cents Portugais, maintenant il y en a beaucoup davantage, avec force Sauvages & Negres. Elle estoit au temps passé ouverte, mais maintenant on dit qu’elle est ceincte d’un leger 40 rempart, depuis qu’ils ont commencé à craindre les Hollandois, encore qu'ils ayent attaqué en vain le Chasteau, qui est aupres de Cabo Delo, mais depuis en l'an cIᴐ Iᴐc XXXV ils ont pris tant la ville que le Chasteau. Dés la ville la riviere se courbe en coude vers le Nord-ouest ; & la sur la rive de main droite en montant se voit premierement un moulin à sucre, avec ses mail’autre rivage des chais de Marchands avec sons : puis un peu plus haut sur l'un haut, on rencontre sur la rive de main plus quelques maisons : & montant encore droite un petit village où il y a trois moulins avec leurs marais à cannes ; & plus haut encore un autre village, les habitans duquel s'employent principalement à cultiver ces racines, desquelles ils font leur farine, dont ils se serventen ces lieux 50 au lieu de blé ; & d’un costé & d’autre de la riviere il y a quelques moulins à sucre. L’autre Cap de ce Gouvernement qui est vers le Nord est appellé Punta de Lucena, au devant duquel il y a quelques rochers, derriere lesquels il y a une bonne rade pour de petits navires. Fignredo escrit que la riviere de Paraiba s’appelle aussi d’un autre nom & Domingo ; & qu’à deux lieuës de son emboucheure est la riviere de Moguangape, à l'entree de Yyy laquelle

A


538

DESCRIPTION

DES

INDES

laquelle il y a une Isle qu’ils nomment de Mangues, des arbres dont elle est couverte.

Sur les rivages de cette riviere, qui ne porte seulement que de petits navires, habitent quelques Portugais, lesquels s’employent à paistre des vaches. Au reste le terroir de ce Gouvernement est assés fertile, & n'est pas mal plaisant, mesmes il s’y trouve en divers endroits beaucoup d’arbres du Brasil, du bois desquels les Teinturiers se servent ; on dit aussi qu’il y a des veines d'argent,notamment au lieu que les Sauvages nomment Touyouba. Cet endroit de la Continente est habité de ces Sauvages, que nous avons dit s’appeller Petiuares, qui ont esté autresfois amis & consederés des François, mais depuis 10 que les Portugais jouïssent de ce Gouvernement, ils leurs sont devenus fort subiets ; & font guerre continuelle avec les Sauvages voisins nommés Tyguares. CHAP.

III.

Isle vulgairement nommee de Fernand de Noronha.

A

VANT que de poursuivre le reste de la Continente, il ne nous faut pas oublier l'Isle, qu’on nomme vulgairement de Fernand de Noronha & aucunesfois Loronha : laquelle est situee sur la hauteur de trois degrés & trente (comme veut

Figuredo en son routier, & autres Pilotes) ou quarante & cinq scrupules de la ligne vers le Sud : à cinquante (comme le mesme Figuredo la met) ou à septante lieuës (com- 20 me je trouue qu’il a esté remarqué presque par tout ceux de nostre nation) du Continent du Brasil en pleine mer : Elle a de long entre le Sud-ouest & le Nord-est plus de deux lieuës, de large un plus d’une. La plus grande part ded’Isle est plate, excepté quelques montagnes, qui s'y dressent en plusieurs endroits ; entre lesquelles il y en a une, dont les rochers sont droits de tous costés, laquelle est fort haute, de maniere qu’elle semble une tour, lors que premierement on la voit en mer;aupres d’icelle il y en a une autre moyennement ronde, qui fait que les deux ensemble representent fort bien une Eglise avec son clocher, d’où vient que les nostres les nomment de Kerck. Ceux qui ont bien consideré la forme de cette Isle l’accomparent à une sueille de laurier, car elle finit aux 30 deux bouts en pointe. La terre y est presque par tout nitreuse, d’où vient que les sources dont elle abonde, & les torrents, qui au temps des pluyes, sçavoir depuis Auril jusques en Septembre, descendent des costaux, & arrousent l'Isle de tous costés, ont comme un goust de salpestre. Neantmoins la terre y est fertile, & produit mesme de soi plusieurs racines bonnes à manger, d’excellents melons, de certains pois vers, des febues & semblables legumes : elle porte sur tout bien le Mays, & des cottonniers. Claude d'Abbeuille qui y aborda avec les François lors qu’ils alloyent dans l‘Isle de Marignan, escrit, qu’il y croist ci & là des arbres fort beaux, ayans les fueilles d'un verd gay comme le laurier, mais d'une qualité si acre & caustique, que si quelqu’un apres les avoir maniees, porte les mains aux yeux, il y sent de gran- 40 des douleurs, & demeure aveugle quelques heures. Toutesfais il s’y trouve aussi un autre arbre, les fueilles duquel apportent un present remede à ce mal. Les Portugais y ont mis au temps passé force boucs & cheures, le nombre desquels est merveilleusement accreu, toutesfois ils sont difficiles à prendre, à cause des halliers & lieux raboteux où ils se retirent : Ils y menerent aussi des poules & quelque peu de chevaux & juments. Il s’y trouve grand nombre d’oiseaux, principalement de ceux qu’on nomme vulgairement furgates de la forme de leur queuë, nous en avons fait mention ailleurs ; comme aussi de ceux de rivage de diverses sortes, entre lesquels il y en a d’une 50 espece gros comme des oyes, desquels la poitrine est d’un beau rouge, qui enflent leur iauot d’une estrange maniere. En outre les rivages de cette Isle sont presque de tous costés fort droits & difficiles a aborder, principalement du costé du Nord-est, où la mer roule de fort grosses ondes contre le rivage, de sorte qu’il est presque impossible d’y descendre avec les chaloupes. A la pointe de l'Est y a quelques petites Isles ou plustost rochers separees de la grande par des canaux pleins de bancs, où les navires ne peuvent passer. Orau


539 OCCIDENTALES LIVRE. XVI. Or au costé qui regarde l'Occident ou le Nord-ouest, il y a deux rades assés bonnes, l’une proche de la pointe Orientale de l'Isle, sous le costé Occidental d'une certaine petite montagne, qui s’avance en mer comme une peninsule, attachée à l'Isle par un estroit col, on descend en ce lieu assés facilement : il y a aussi un ruisseau qui se precipite d'un prochain costau dans la mer, fort commode pour y prendre de l’eau ; & l’autre rade est sous cette roche que nous avons dit representer une Eglise. Du costé Oriental, presque au milieu de l'Isle, il y a une petite baye, en forme de croissant ; où un torrent fait comme un estang, & puis se roule dans la baye, on y pourroit aisement faire des salines. 10 La mer qui environne l'Isle est fort poissonneuse, sur tout du costé du Nord & entre ces petites Islettes : en la saison il y terrist force tortuës de mer. Claude d'Abbeuille fait mention d’une autre Isle proche de cette-ci, mais qui est beaucoup plus petite, laquelle il nomme Isle de Feu, dans laquelle ils trouverent grande quantité d’oiseaux. Les Portugais de Pernambuco menerent dans cette Isle un Portugais avec seize ou les dix sept Sauvages tant hommes que femmes que les François l'an cIᴐ Iᴐc XII ayans baptizés sur le lieu, emmenerent avec eux au Marignan ; de sorte que l’Isle est demeuré depuis deserte, jusques à ce qu’elle a commencé d’estre cultivee par nos Belges, il y a quelques années qui y ont desja mené quelques habitans peu de Negres. 20

CHAP.

IV.

Coste de la Continente Septentrionale du Brasil, depuis la riuiere de Monguangape iusques à Rio Grande. Y dessus nous avons couru la coste du Brasil Septentrional jusques à la riviere de Monguangape. Car au Livre precedent nous avons suivi la Continente de l'Amerique Meridionale & les Provinces du Brasil jusques au Gouvernement de Paraiba, lequel nous avons achevé de descrire jusques au dernier Cap de cette Continente, qui regardant l’Orient, est le plus avancé vers le Nord : car 30 dés icelui la coste retourne vers l’Ouest & le Nord, par une spacieuse estenduë de terre jusques en la Nouvelle Espagne. En outre cette partie de l'Amerique Meridionale qui est enfermee entre le susdit Cap & le Marannon, est appellee par quelquesuns d’autres noms, des nostres elle est nommee de sa situation Brasil Septentrional. Or en la description des costes (car nous ne trouvons pas, que le long d’icelles, quelques lieux exceptés, il y ait presque rien d’assés cogneu & descouvert) les Autheurs sont fort differents ; quant à nous nous suivrons en cet endroit les Autheurs des routiers de mer, comme guides certaines, & sur tout Figuredo, lequel en a expliqué le cours en Portugais, & des autres, principalement les observations exactes de ceux de nostre nation, ausquels nous apporterons quelque clarté empruntee des François. 40 La coste donc est disposee en cette maniere depuis la riviere de Monguangape ou Mangagoape, selon les precedents Autheurs. De la riviere de Monguangape jusques àla baye nommee des Portugais de Treyciaon, & des François de Trahison, on conte une lieuë, comme il a esté remarqué par les nostres. Cette baye est distante de Paraiba de sept lieuës, selon l'observation de ceux de nostre nation ; de la ligne six degrés & vingt scrupules vers le Sud. Elle est fermee du costé de l’Est par une basse pointe, de laquelle court en mer un banc de rochers, lequel se descouvre à maree basse, & ferme la plus grande partie de cette baye, comme une barre, rompant le coup à de grosses ondes que la mer roule vers le rivage, de sorte que derriere iceux douze ou quinze navires y peuvent commodement estre 50 à l’anchre ; comme y sejourna quelque temps la flotte de la Compagnie des Indes Occidentales, conduite par l'Admiral Bauldoüin Henri l'an cIᴐ Iᴐc XXV. La Continente est couverte d'une bois espais, entre lequel & le rivage sablonneux il y a un marais ou estang, qu’on peut passer à gué, excepté aux mois des pluyes, auquel temps il est le plus plein : il a de large environ un quart de lieuë, au delà de ce marais les Portugais ont basti une petite Eglise & quelques maisons, les habitans desquelles s’exercent à nourrir des vaches & au labourage. Yyy 2 Les

C


540

DESCRIPTION

DES

INDES

Les Sauvages qui habitent és lieux circonvoisins se nomment Tyguares, qui different peu ou point des autres en mœurs & en langage ; ils ont esté depuis peu domptés des Portugais, mais leur estans encore ennemis de cœur, ils se joignirent aussi tost avec nos gens, de entreprirent de leur faire la guerre ; mais pource que les noftres qui n’eftoyent pas fournis de tout ce qui eftoit neceffaire, de qui mesmes fe hastoyẽt à d’autres desseins, ni peurent laiffer de garnison, il arriua qu apres leur depart, ces Sauuages furent contraints de s'enfuir en divers quartiers de plusieurs furent tués des Portugais: toutesfois quelques-uns dentr’eux s’en vindrent auec les nostres, que nous auons veu souvent en ces Provinces vnies appris en noftre langue, fçauoir escrire, & estre instruicts aux principes de la Religion Chreftienne, nous auons receu en quelque fa- 10 çon d'eux la cognoissance de ces regions. De la baye de Trahison iufques a la moyenne riuiere de Cromatyn on conte vne lieuë : Figuredo la nomme Camaratuba ( comme aussi nos Sauuages ) & escrit qu à son riuage de main gauche finissent les limites du Gouuernement de Paraiba : on ne peut monter cette riuiere qu’avec des chaloupes, toutesfois les Portugais auoyent basti sur son riuage vn moulin à sucre, que nos gens mirent bas : à quatre heures de chemin delà au dedans du pais demeuroyent les Tyguares, qui habitoyent le village de Taboussouram, le Capitaine defquels se nommoit Yayuararii ; lequel craignant, apres le depart des noftres, s’enfuit vers les Tapuyas. A enuiron quatre lieues de cette riuiere ( selon Figuredo ) fuit vn Cap, derriere le- 20 quel s’ouvre vne baye , appellee des Portugais Baya Formosa ; à enuiron demi-lieuë de laquelle vers l’Est fort de la Continente vne petite riuiere, que Figuredo nomme Rio Huagau ; il semble que d’autres l'appellent Congaycu ; cette riuiere est profonde dans fon entree de douze piés, de sorte que les barques y peuuent monter quatre ou cinq lieues haut où il y a vn village de Portugais, qui cultivent des cannes de fucre, & coupent beaucoup de bois de Brasil.Nos Sauuages rapportent que la Baya Formosa se nomme en leur langue Quartapicaba , qu’il y croift par tout des arbres de bois de Brasil, & que les François auoyent couftume d’y aborder, auant que les Portugais les empeschassent. De la baye Formosa on conte vne lieue jusques à la riuiere de Curumatau ; elle est assés 30 profonde & qui fournit d’un port commode & asseuré. Suit apres à demi-lieuë delà vne riviere que Figuredo nomme Rio Subauma ; & vn peu plus outre vne pointe de terre,laquelle on nomme Punta de Pipa, de la forme d’vn rocher qui est au devant, derriere laquelle il y a vne affés bonne rade. Suit apres vne cofte fans port de bocageuse, qu’on nomme vulgairement Paranambuco ; au dedans de la Continente eft le lac Guiraira. Nos Sauuages content quatre lieues de Curumatau iufques à Paranambuco ou Guiraira, & de Guiraira à la riuiere de Tareyrick, trois : on peut couper là du bois iaune, qu’ils nomment Tatayouba : & disent qu’il s’y trouue au dedans du païs des veines de fer qu’ils appellent Ita. Suit par apres à vne lieuë delà (selon nos Sauuages) la riuiere Pirangue, & le port 40 que les Portugais nomment dos Busios. Duquel iufques à vne autre pointe de terre nommee Punta Negra il y a trois lieues,selon Figuredo : derriere icelle il y a vne rade fort commode & asseuree : de cette pointe jusques à Rio Grande, ils content deux lieuës. Il y en a d’autres qui remarquent ces lieux vn peu autrement. De Punta de Pipa, que les Sauuages nomment Tacoatira ; distant de la ligne vers le Sud de six degrés ('comme je trouue qu’il a efté remarqué par quelques-uns) iufques à la baye, appellee vulgaireEnseada de Tambanti, ils content six lieuës : delà à Porto dos Busios, comme ils le nomment, quatre : pres duquel est le port de Touros, sur cinq degrés & quarante scrupules de la ligne vers le Sud : entre les deux sort la riviere de Pirangue. Au droit de ces lieux, à environ X ou XII lieuës de la Continente, & à cinq degrés 50 de la ligne vers le Sud,est situé ce grand de fameux banc, que les Portugais nomment Baixos de S. Roch ; qui s’eftend plusieurs lieues en long de l’Eft à l’Ouest, & plus il court vers l’Ouest,d’autant plus s approche-il de la Continente, de forte qu’on le trouue à IV on y lieues d’icelle ; & là il eft befoin de prendre bien garde à foi,& de n’y nauiger que de jour, car lors que l’eau blanchit elle advertit peu à peu de affés à temps les mariniers; outre que jettant la sonde, on sent depuis trente braffes le fond se hausser. CHAP.


OCCIDENTALES. CHAP.

LIVRE

XVI.

541

V.

Dixieme Gouuernement du Brasil nommé Rio Grande. UIT par apres le long de cette cofte vne riviere remarquable, que les Sauva(ges nomment Poteingi ou Potigi, & les Portugais Rio Grande ; à cinq degrés & XXX scrupules de la ligne vers le Sud, fort difficile à entrer,selon Figuredo, mais au dedans fort belle & assés profonde. Les François apres qu’ils eurent quitté la riuiere de Janvier auoyent coustume d’y 10 aborder, estans amis & confederés des Sauuages, nommés Petiuares, & y bastirent des maifons ; mais le Roi d’Espagne ne pouuant souffrir les François fi proches voifins, manda à Felician Coellho de Carualho Gouverneur de Paraiba, de les chasser delà; lequel escrivant au Roi d’Efpagne l’an clᴐ Iᴐ XᴐVII touchant les choses qu’il avoit executees, fe vante magnifiquement, selon l’humeur des Portugais, qu’il auoit tué plufieurs milliers de Sauvages, & qu’il auoit repoussé fans peine les François, lesquels auoyent attaqué le Chafteau de Capo Delo ; mais que pour attaquer Rio Grande il n’eftoit nullement preparé ; car il eftoit deftitué de toutes chofes necessaires à la guerre, & qu’il les auoit desia plufieurs fois demandees en vain aux Gouverneurs du Roi tant de Pernambuco que de la Bahie. 20 Il raconte en outre que les François auoyent trouué au dedans de la Continente, au lieu qu’il nommé Copaoba, de riches veines d’argent, d’où ils auoyent tiré beaucoup de metal. Neantmoins il semble que les François n’en ont pas efté du tout deboutés avant l’annee cIᴐ Iᴐc I, ni les Sauvages mis sous le joug : car Antoine Kniuet Anglois raconte que la mesme annee il estoit venu avec le Gouverneur de Rio de Iennero à Pernambuco ; le Gouuerneur duquel lieu Emanuël Mascarenas ayant efté prié par Felician Coellho que ( les Sauuages assemblés par grandes troupes tenoyent ferré de toutes parts, au bords de cette riuiere ) partit de Pernambuco auec quatre cents Portugais & trois mille Sauuages qui lui eftoyent subiets, & arriua le feptieme iour au camp des ennemis, où il y auoit quarante mille Sauvages, & qu’aussi toft il auoit 30 attaqué ces rebelles, & en auoit fait vn grand carnage, de forte qu’il en tua au combat cinq mille, & en prit trois mille prisonniers. Et que le Cassique des Petiguares nommé Piraiuwath, humilié par vne fi grande deffaite, auoit demandé la paix aux Portugais & s’estoit rendu à certaines conditions fe faifant vasal du Roi d’Efpagne. Apres cela on baftit vne forteresse au bord de cette riuiere qui fut fournie de force pieces de canon, de maniere que du depuis on y eftablit vn nouueau Gouvernement, qui eft aujourd’hui conté pour le dixieme du Brasil. Ceux de nostre nation qui sur la fin de l'an cIᴐ Iᴐc XXXI partirent de Pernambuco auec vne flotte pour prendre cette forteresse, disent : qu’elle eft baftie fur le rivage de main gauche en entrant, sur un rocher feparé de la Continente par vn petit canaf, 40 & ceinct d’un mur de pierre, assés haut,aueç fes baftions,qui commandent d’vn costé & d’autre fur la riuiere, fournis de force artillerie, de forte qu’elle eft fort difficile à approcher,&peut eftre defenduë de peu de gens contre beaucoup.car elle eft placee en telle sorte, que les nauires qui entrent, doiuent de neceffite en approcher de pres & font contraints d’endurer les coups de canon : on ne la peut contraindre que par la faim ou la foif, car il faut qu’ils aillent querir leur eau à vn torrent ou ruisseau proche delà, ce qui leur eftant ofté ils feroyent reduits fort à l’estroit, mais nonobftant tout cela les nostres l’ont pris allés aifement, l’an cIᴐ Iᴐc XXXIV. Au refte ce Gouuernement n’est pas beaucoup habité de Portugais, car outre foixante ou quatre vingts foldats qui font en garnison dans la fortereffe, il y en a quel50 que peu qui demeurent dans vn village voisin ; ils y ont vn ou deux moulins à fucre ; & quelques metairies où ils nourrissent des brebis. Il y habite peu de Sauvages, car il en a efté tué beaucoup en diuerfes rencontres ; les autres à caufe de la haine qu’ils portent aux Portugais s’en sont fuis vers les Tapuyas, entre lefquels ils se tiennent cachés , attendans l'occasion de pouuoir retourner vers leurs gens.

S

Yyy 3

CHAP.


DESCRIPTION DES

542

CHAP.

INDES

VI.

Coste du Brasil Septentrional depuis Rio Grande iusques à Siara, selon Figuredo & autres.

F

Iguredo depeignant cette cofte expres, conte premierement de Rio Grande jusques au Cap de Siara deux lieuës, derriere lequel sort vne riviere de mesme

nom ; Ceux de noftre nation font mention d’une baye fort commode, qui est en cet efpace d’entre-deux & a peine a vne lieuë de Rio Grande, que les Sauuages nomment Ienipabou : du Cap de Siara iufques à la baye de Petitigua ils content neuf ou dix 10 lieues; cette baye est fort large & extremement bien garentie à l’encontre de l’inconftance des vents. Il y en a d’autres qui content deux lieues du Cap de Siara iufques à la riuiere de Morungape, & delà iufques à la pointe de terre qu’ils nomment Pequetingua, six. De la baye de Petitigua la cofte continue vers le Nord-oueft, tantoft haute, tantoft basse, & verde d’un efpais bocage en plusieurs endroits iufques à O marco,vingt cinq lieues,en cet endroit il semble qu’anciennement eftoyent les limites entre les Portugais & Gaftillans. D’autres content de Pequetinga, iufques à la pointe de Chugasu ou Vgassumha, six lieuës ; & remarquent que les bancs de S. Roch finissent au droit de cette pointe. 20 Suit apres selon les mesmes une autre pointe de terre nommee Vbaranduba. D'Omarco à Guamare il conte XV lieuës,& toute la cofte d’entre-deux eft basse, fl

ce n’eft qu’en quelques endroits on y voit quelques colines de fable, derriere lefquelles fe monftrent fort loin au dedans du païs de fort hautes montagnes, appellees des Sauuages Buturuna ; or Guamare est distant de la ligne, selon d’autres IV degrés & XLV scrupules. Proche de Guamare la cofte s’enfonce, & fait vne baye, dont la terre qui l’environne est inondee de la mer, & est couverte de ces arbres qu’on nomme Mangues ; & là sont ces celebres salines qu’ils nomment de Guamare, desquelles on peut tirer quantité de sel fort blanc,qui s’y fait de foi-mesme. Il y en a d’autres qui escrivent que c’est 30 une riviere & quelle est appellee Caru-Aretuma ou Rio de Salinas, & qu’elle est distante de Guamare de trois lieuës vers l’Ouest. Des falines à la baye de Maretuba il conte deux lieuës ; c'est une baye fort spacieuse & qui reçoit la mer par quatre emboucheures. Delà la cofte commence à paroistre

plus haute & verde de petits arbrisseaux jusques à la pointe de terre, qu’ils nomment Punta do mel, aupres de laquelle fort vn torrent salé, dit Guararahu. Il y en a d’autres qui advertissent de n’approcher de la cofte de deux lieuës, à cause des bancs & rochers, & que de cette cofte fortent quatre rivieres feparees les vnes des autres de demi-lieuë, fçauoir Guapetuba, Manetuba, Gorarassu & Persin, l’emboucheure desquelles eft bouchee de rochers, & sont peuplees de beaucoup de Sauuages ; & que Punta 40 do mel est appellee des Sauuages Cucaratuba. A deux lieues de Guararahu sort la riuiere d'Vquiaguara, & à huict lieuës d’icelle vne autre qu’ils nomment Hupanema: la cofte fe baisse derechef là, & verdit de palmites iufques à quelques rochers rouges & à la baye d’Vbarana ; de laquelle iufques à Iacaribe il conte dix lieues : d’autres n’en mettent feulement que huid: fur la hauteur de quatre degrés au Sud de la ligne. De Iacaribe la cofte fe haufte derechef, couuerte agreablement de beaucoup d'arbres, jusques à Iguape vingt lieues d’efpace : cette baye est spacieuse, mais on n’y peut prendre d'eau pour tout. D’Iguape à Mocuripe il conte huict lieuës, & la cofte d’entre-deux est fort haute, derriere laquelle se voit au dedans du païs de hauts fommets de montagnes, qui 50 font appelles des Sauuages Camune ou Aquimune : or à cinq lieuës d'Iguape fort une riuiere fans port & expofee aux tempestes, dite Ypocaru ; & à deux lieues d’icelle Rio Coco. La baye de Mocuripe eft diftante de la ligne vers le Sud de trois degrés & peu XL scrupules. A vn petit efpace d’icelle eft Siara, où les Portugais ont depuis du Gouvernements commencé à habiter, de sorte qu'olyueira la conte entre les Brasil.

Les


543 OCCIDENTALES. LIVRE XVI. Les Sauvages, que nous auons dit ci-dessus auoir esté instruicts par ceux de nostre nation, nous ont ainsi descrit cette cofte. De Rio Grande à la riuiere de Siara il y a deux lieues. De Siara à la petite riuiere de Piracabuha, vne : où les Portugais habitent maintenant. De Piracabuba à Pecutinga, deux ; il y a en ce lieu vne bonne rade & on y peut aisement prende de Feau. De Pecutinga à la petite riviere d’Vgasu, fix: iufques à Kaalsa, XVIII : à Guamare, deux : à la riuiere Carwaretame, vne: ici sont ces salines, defquelles on peut tirer 10 beaucoup de sel, excepté aux mois des pluyes , fur tout en May & Juin : iufques à la petite riuiere de Barituba, demi-lieuë. D'icelle à la riuiere de Guararahug, une : au dessus cette riuiere habitent force Tapuyas,ennemis mortels des Portugais, derriere iceux vne autre nation de Sauuages qui s’appellent Iandouios. De Guararahug à la petite riuiere de Iandupatiba il y a le chemin de deux jours, & a demi-lieuë d’icelle sort le petit torrent VVupanema, il n’y a aucun Sauuage qui habite sur l’une ou l’autre de ces deux rivieres. De VVupanema iufques à Awaranne il y a fix lieues : delà à la riuiere Yuguarich, autant, demie jusques à la petite riuiere de Pariporie, & une jusques à Guatapugui. Aupres du rivage d’icelles habitent des Sauvages de la nation des Tapuyas, qui se nomment 20 Iapouaton, ennemis des Portugais. A fix autres lieues d’iceux fort la petite riuiere VVichoro, à l’emboucheure de laquelle ne demeure perfonne, mais au dedans du païs habitent les Kitaryouwide la nation des Tapuyas & ennemis des Portugais : d’où vient que Figuredo en son routier advertist de s'en donner soigneuse garde. Or à deux iours de chemin du riuage font les hautes montagnes de VVichoro , où les Sauuages difent qu’il se trouve beaucoup de nitre, qu’ils nomment Tatawich, qui distille des rochers comme sel, & aussi gros que des pois. De VVichoro iufques à Yguaguasu ils content six lieues, où nuls Sauuages ne demeurent, & de Yguaguasu à Moucouru, onze, & enfin delà à Siara, vne. 30

CHAP.

VII.

Gouuernement du Brasil Septentrional qu'ils nomment Siara, & le reste de la coste iusques au Marannon. VANT que nous parlions de ce Gouuernement, il nous faut remarquer quelque choie de Moucouru, de laquelle tant ceux de noftre nation, que d’autres ont fait mention: mais nos gens font differents par fois en la situation de ce lieu ; car les vns le mettent sur la hauteur de trois degrés & vingt & trois scrupules, & eftiment que cette baye foitappellee des François Tres Tortugas: d’autres 40 fur la hauteur de trois degrés & cinquante deux scrupules : de sorte qu’ils appliquent ce nom à deux bayes, diftantes l’une de l’autre de douze lieues. Quelqu’un de noftre nation qui aborda l’an cIᴐ Iᴐc I au mois de Nouembre dans la baye de Moucouru,comme il la nomme ; raconte que plufieurs Sauuages vindrent a bord de ses navires, desquels il apprit qu aftes pres delà il y auoit vne montagne ou il fe trouvoit beaucoup d’esmeraudes. Et qu il estoit descendu a terre auec eux, & couché la nuict dans vn village de Sauuages fort peuplé, dans lequel il auoit trouvé plus de cinq mille hommes, qui s’eftoyent là assemblés pour la crainte de leurs ennemis ; & que de ce lieuil eftoit allé à vne haute môtagne,où fe dressoit vn rocher fort dur & fort blanc, dans lequel il fembloit qu’il y auoit des efmerandes d'un verd fort 50 beau; toutesfois faute de ferrements,ils n’en peurent arracher aucune piece. Les Sauuages contoyent aussi que les François auoyent quelquesfois elle en cette baye. Mais voyons maintenant que c’est de Siara. Siara est conté entre les Gouuernements du Brasil, que les Portugais possedent, comme nous auons ci-deuant dit: il y demeure toutesfois peu de Portugais, dans vne petiteforterefte, qu’ils ont baftie au pié d’vne montagne, à costé droit de son port, qui est capable de porter de moyens nauires. Cette forterefte eft feulement enuironnee


DESCRIPTION DES INDES environnee d’une pallilàde fans muraille ou rempart de terre. Au bas de la montagne fur laquelle eft situé ce fort, passe vne petite riuiere, car il ne s’en trouue en ce quartier aucune, qui vienne de plus loin d’au dedans du païs que de trois lieuës. Au dessous du fort il y a dix ou douze maisons de Portugais, outre celle du Gouverneur, qui n’est pas loin de la forterefte. Les limites de ce Gouuernement s’estendent dix ou douze lieues en rond. Tous les ans il y arrive deux ou trois petits navires, qui en emmenent diuerfes marchandises, comme du cotton , du crystal, & autres pierres &diverses sortes de bois : il y croist aussi. force cannes de sucre, mais il n’y à point encore de moulin pour les broyer: & il n’y font pas beaucoup forts contre leurs en10 nemis. Les Sauvages voisins sont souvent en discord avec les Portugais ; & on dit que leur Cassique commande à cinq autres, qui ont chacun quatre cents fubiets ou environ. Enfin à dix journees de chemin delà au dedans du païs ils renomment le Royaume de Sauuages Iauarobate. Nos Sauuages desquels nous auons desia fait mention plusieurs fois, asseurent que dans le port de Siara. il ne peut entrer que de petits nauires : & que Mocouru eft plus propre pour les grands : & qu'à quatre heures de chemin de Mocouru les Sauuages Tyguares habitent dans le village Tapirugh, lesquels obeïssent à deux Cassiques, sçavoit Kiaba & VVawassouw. Finalement à une iournee de chemin ou à fix lieuës de Tapirugh il y a la montagne Boragnaba, où ils estiment qu’il y a des veines d’argent au dedans. Selon Figuredo, fuit apres Siara dans la mesme coste à fix lieues d’interualle vne 20 baye, qu’ils appellent du nom de la riuiere qui s’y descharge Paramiri l’eau de cette riuiere eft fort bonne à boire, & le long de ses riuages croist grand nombre de ces arbres, qui portent les Caious: les habitans d’icelle sont Tapuyas, ennemis iurés des Portugais. Selon d’autres fuit apres Siara un lac d’eau douce, qu’ils nomment Vpeze. De la pointe Occidentale de cette baye, jusques à vn Cap que les Sauuages nomment Itaiuba ou Tataiuba il y a huict lieuës : & prefque au milieu de cet espace sort la 544

riviere Tiraiua. De Tataiuba jusques à la riviere de Mondahugh il y a quatre lieuës : suit apres Satahuba & plus outre la baye de Ieruquacuara, où il y a vne tres-belle commodité de prendre de l’eau, mais il se faut garder des habitans Tapuyas & Tabaxares, ennemis 30

mortels des Portugais : neantmoins l’an cIᴐ Iᴐc XIII , septante Portugais s’y logerent, dans la bourgade de Nuestra Sennora de Rosario, qu’ils abandonnerent l’an d’apres, & s’en allerent au Marannon. Delà jusques à la riuiere de Camusi ou Camocipe il conte huict lieuës : & d’icelle jusques à celle de Guasipuira, cinq, & plus outre à Iosara, trois. Suit apres vne spacieuse baye, qui entre fort auant dans les terres ; & reçoit dans fon fein la riuiere de Para, grande certes, mais qui a son emboucheure fort peu profonde. Vn autre Pilote Portugais conte de Camocipe jusques à la riuiere de Paraouasu XXX lieues,qu’il met fur la hauteur de deux degrés & xxx scrupules. De laquelle iufques au Marannon relient xxv lieues : Or la cofte eft balle & descouverte d’arbres, principalement où 40 elle desgorge la riviere Maripe ; de l’emboucheure de laquelle la cofte est couverte fix lieuës de long d’arbres de Manguas, le riuage eft fablonneux, iufques à la belle riuiere de Perea, l’emboucheure de laquelle a vne bonne lieuë de large, & est la plus Orientale entree dans la riuiere de Marannon & vers la ville où forterefte de S. Jaques, que les Portugais commencerent d’habiter l’an cIᴐ Iᴐc XIV. D’autres Portugais content seize lieuës de Para jusques à une autre riviere qu’ils nomment Rio das Preguizas : & d’icelle neuf lieuës jusques à la riviere de Maryi, de laquelle jusques à Perea restent six lieuës. Figuredo fait mention ailleurs d’une large baye qui embrasse plufieurs petites Isles, nommee Ototoy, à xx lieues de Marannon devers l’Est, à deux 50 degrés & XL fcrupules de la ligne vers le Sud. Ceux de noftre nation qui ont visité ces colles és annees precedentes, difent que le Cap dit des Portugais Cabo Blanco, eft à deux degrés & XXXVIII scrupules de la ligne vers le Sud, ou selon d’autres à presque trois degrés, duquel iufques à la riuiere Camusi ou comme les nostres l’appellent Campocip ou Camocipe, ils content six ou sept lieuës. Les mesmes parlent aussi de qui Rio de Crux, qui est distante de dix lieuës de Camousi ; cette riuiere a l'entree bouchee de ruisseaux, & n’a pas plus au dedans de sept


OCCIDENTALES. LIVRE

XVI.

545

sept ou huict pies de profond.Mais les Portugais advertissent en quelques Chartes marines que la riuiere de Camocipe s’appelle Rio de Cruz, & qu’elle eft diftante de la ligne dedeux degrés & XL scrupules. D’icelle jusques à vne autre qu’ils nomment Rio Grande, ils content neuf lieuës, & on peut difficilement entrer dans cette-ci à caufe que l’eau y eft courte,neantmoins Tes rivages font habités de beaucoup de Sauvages. Or nos Sauvages content cinq lieues de Siara à la petite riuiere de Vpeze : &: autant delà à Para : & plus outre Couru, Tareguy, Tatayough, Pounasugh, Aracatihugh, Paracatihugh, Tirnohugh, Juriaquere, Vpeba, Camusipe, apres de laquelle ils difent qu’il s’y trouue de l’argent & du cryftal: Mais il est temps de laiffer ces chofes incertaines pour cher10 cher les certaines. Finalement quelqu’un de noftre nation, qui courut ces coftes l’an cIᴐ Iᴐc IX, fait mention d’vne certaine baye, qu’il nomme de Arrekeytos, à trois degrés de la ligne vers le Sud : & de Rio de Lies à un degré & XLV fcrupules de l’Equateur : où il a veu des Sauuages fort grands,laids de visage, ayans les cheueux longs, les oreilles percees & pendentes prefque iufques fur les efpaules ; la peau teinte en noir, excepté depuis les yeux iufques à la bouche: quelques-uns auoyent la leure d’embas percee, &d’autres avoyent auffi le nez,où ils portoyent de petites pierres & des osselets. MARANNON ou MARAGNAN. 20

CHAP. VIII.

Generale description de cette Prouince, & choses necessaires à y remarquer. OMME les Chartes Geografiques des Espagnols & Portugais sont fort diffeC rentes, tant aux noms des lieux qu’és autres circonftances entre Paraiba ou Marahnaon, comme ils les nomment: ainsi auffi different entr'eux les Autheurs en la designation de cette riuiere de Marannon, pource qu’ils ont de couftume d’attribuer ce nom à plusieurs riuieres entr’elles grandement diverses : & principalement à trois fleuves qui fortent en mer dans cette cofte Septentrionale de l’Amerique Meridionale, sçavoir à ceftui dont nous traitons maintenant, à l'Orellan ou S. Juan de las Amazones, 30 à l'Orenoque, comme on peut voir dans l’Histoire de Joseph Acosta (pour ne parler des autres beaucoup moins diligens ) lequel efcrit que ce grand fleuve, duquel il parle, est appellé par d’autres Rio de Amazones, par d’autres Marannon, enfin par d’autres Orellan, & qu’il sort vis à vis de fille de la Trinidad : enquoi personne ne peut douter qu’il ne se trõpe à bon efcient,de ceux au moins qui ont vne moyenne cognoiffance de ces lieux : laquelle erreur semble eftre venue de ce que les Autheurs Efpagnols fe feruent de ce nom de Marannon fi confusement ; car Herrera (Autheur autrement assés soigneux) traitant des Prouinces du Gouuernement de Quito, parle fouuent en cette façon, cette Prouince ou celle-là eft fituee vers Marannon, combien qu’il y ait tant de riuieres & vne si grande distance entre d’eux : nous avons remarqué le mesme traitant du Peru, qu’il n’est 40 pas besoin de repeter ici : or afin que nous ostions cette erreur tout d'un coup, & qu’on puiffe voir clairement, à qu’elle riuiere principalement appartient ce nom de droit ; nous diftinguerons les origines,cours & emboucheures de chacun de ces fleuues. L'Orenoque qui est autrement dit Vyapari, duquel nous parlerons dauantage en son lieu, fourd du costé Oriental des montagnes qui barrent devers le Levant Popaian, & mefme le Nouveau Royaume de Grenade,& se descharge en mer par plufieurs emboucheures vis à vis de l'Isle de la Trinidad, comme cela est maintenant cogneu à tous. Et l'Orellan ou Rio de las Amazones sourd principalement ( car d’un costé & d’autre il y entre plufieurs rivieres) des Andes du Peru, non gueres loin de Quito, cõme le voyage de Pizarre (duquel nous parlerons bien tost) fait foi ; & sort dans la mer entrecoupé de plusieurs Isles à 50 deux ou trois degrés de la ligne vers le Nord, & à quelques centaines de lieues de l’Orenoque vers le Levant : de forte que c’est merueille qu'Herr. qui a employé dans fon Histoire cette expedition de Pizarre, &lequel selon mon jugement à bien efcrit ailleurs, que toutes les rivieres qui sourdent au deffus & au dessous de la vallee de Xauxa, tombent dans le Paraguay & delà par la riuiere de la Plata dans la mer Atlantique,à peu tant faillir que de faire naiftre l'Orellan pres de Cusco ; combien que ie n’ignore pas, que les Espagnols du Peru tiennent que le Marannon prenne fon origine dans le Parlement de Zzz Enfin Lima.


546

DESCRIPTION DES

INDES

Enfin le Marannon, soit que ce soit le nom d’une riviere ou non (car d’Abbeville nie que ce soit une riviere, comme nous verrons bien tost) eft vnanimement recogneu de toutes les Chartes Geografiques, & routiers des Portugais eftre au lieu où l’ordre de noftre description nous conduit maintenant ; Or ces trois riuieres qui fie conioignent dans cette baye,au dedans de laquelle eft l'Isle de Maragnan ; & notamment celle du milieu nommee d’un nom particulier Taboucourou, sourdent fort avant dans le païs, & descendent droit du Midy vers le Nord,derriere les Prouinces du Brasil ; veu que les autres, sçavoir l’Orenoque ou l'Orellane, naissans des montagnes du Peru ou du Nouveau Royaume de Grenade, descendent de l'Ouest ou Sud-ouest vers l’Est ou Nord-est. Voila pourquoi pour oster tout à fait cette ambiguité, nous attribuerons le nom de Maran- 10 non à cette riuiere ou rivieres, qui fe deschargent enfemble dans cette baye & se presfent entre plufieurs Isles ; & nous le conterons entre les Prouinces du Brasil Septentrional, pour ce qu'Olyveira Autheur Portugais, la met entre les Gouuernements que les Portugais possedent dans le Brasil. Or en la description d’icelle nous fuiurons principalement Claude d'Abbeville Capucin, lequel a fait imprimer à Paris, l’an cIᴐ Iᴐc XII, fon Commentaire intitulé, Histoire de la mission des Peres Capucins en l’Isle de Maragnan. CHAP. IX. Description de Maragnan selon Claude d’Abbeuille. Ous les Autheurs Geografiques ( dit-il ) qui ont escrit du Brasil, n’ont jamais 20 fait mention de l'Isle de Maragnan, combien qu’ils parlent fouuent de la riuiere de Marannon, qui eft du tout incognuë en ces quartiers, si ce n’eft qu'on vueille prendre la baye de Maragnan pour une riuiere, ou donner ce nom à quelqu’une des riuieres qui y Portent, ce qui seroit une grande faute, car elles ont chacunes leur nom propre,comme il fera dit ci-apres, & les naturels habitans n’attribuent ce nom à aucune riuiere,mais à vne Ifte.En outre cette baye eft longue vers la mer entre deux cornes de terre plus de xxv lieues,& à presque autant de tour au dedans de la terre ferme. Vers le Levant elle eft barree premierement d’vne petite Isle, que les Sauvages appellent Vpaonmiri, & les François maintenant Islette de S. Anne ; fuit apres à quelques lieuës delà la grande Isle de Maragnan, ayant de tour enuiron quarante & cinq lieues, 30 & diftante de la ligne vers le Sud deux degrés & trente fcrupules. Au fond de la baye fortent trois belles riuieres,vis à vis de cette grande Isle de Maragnan, & la ceignent de toutes parts, de sorte que d’un cofté elle est à cinq ou six lieues de laContinente,de l’autre à deux ou trois,& des autres plus ou moins.La premiere riuiere & la plus Orientale s’appelle Mounin, qui descend XL ou L lieuës au dedans du pais de fon emboucheure,& eft vn quart de lieue large en fon emboucheure. La seconde ou celle du milieu fe nomme Taboucourou, large enuiron demi-lieuë en fon emboucheure, & descend de plus de XL ou peut eftre L lieues du dedans des terres. La troisieme ou la plus Occidentale est dite Miaryi, large en sa sortie de cinq ou six lieuës, qui sourd, selon la commune opinion, sous le Tropique mesme du Capricor- 40 ne, d’où les Sauuages difent qu’elle descend. Il y a encore d’autres rivieres, comme Maracou qui entre dans la riuiere Pinare ; or Pinare court dans Miaryi, à enuiron LXX ou Lxxx lieues au dessus de fon emboucheure. Et outre celle-là encore vne autre, qui est appellee Ouaieoup, laquelle sortant des forests entre aussi dans Miaryi : qui fait que Miaryi descend fort viste, comme aussi Taboucourou, laquelle eft aucunement contrainte entre deux rochers prefque en fon emboucheure mesme ; d’où vient que ces rivieres esleuvent de fort grosses ondes, & rendent l'Isle de Maragnan d’un difficile acces : joinct à cela les baffes & bancs defquels elle eft enuironnee en dehors vers la mer, de forte que ceux qui veulent entrer dans cette baye & aller à l’Isle, ont befoin de bien prendre garde à foi & 50 d’auoir des Pilotes experimentés : Car cette Isle eft comme la clef de cette Province ; or le refte de la cofte tant vers l’Est que l’Oueft eft fort dangereuse, à caufe des baffes & bancs de sable, dont elle est couverte, depuis le Cap de la Tortuë jusques à celui des Arbres secs, comme le François l’appellent, s’eftendans en mer quatre ou cinq lieuës & quelquesfois davantage ; de mesme eft la cofte depuis le Cap de Tapouytapere qui ferme la baye du costé de l'Ouest, jusques à la grande riviere des Amazones : car elle est par tout bordee d’un nombre infini d’Isles, & la coste mesme est couverte entierement

T

de bois


OCCIDENTALES. LIVRE XVI. 547 de bois espais d’arbres de Mugais (les François les appellent Apparituriers (qui ont leurs branches tellement entrelacees enfemble, qu’ils bordent la coste comme une haye d’espines ; qui (outre que le fable se fond fous les piés)empefche ceux qui descendent à terre d’entrer dans le païs. Par ainsi la coste eftant ainsi disposee d’un costé & d’autre jusques à ladite Isle, il ne reste feulement que deux passages pour entrer dans la baye & aller à l'Isle, l'un entre le Cap des Arbres secs & la petite Isle de S. Anne ; qui n’est pas sans danger, & mesme est redouté de ceux qui le sçavent fort bien ; toutesfois les grands navires ne peuvent monter plus haut qu’icelle Isle,mais les petits peuuent aller iufques à la grande. L’au10 tre passage qui eft de l’autre cofté de l’Isle de S. Anne a esté trouué depuis peu,il eft bien propre pour les grands nauires,mais on ne doit pas entreprendre d’y passer (ans Pilote & encore à certaines saisons de l’annee. Les naturels habitans de la grande Me de Maragnan, nomment leurs villages Oc ou Taue, qui consistent en quatre grandes cabanes feulement,conjoints en quarré à la façon des Cloistres, de forte qu’ils enferment vne grande court au milieu : ils font d’ordinaire longs de deux cents pas & par fois de trois cents,mesmes de cinq cents ; & vingt cinq ou trente piés de large: compofés de hauts troncs d’arbres & de branches liees enfemble; couuertes du bas iufques au haut de fueilles de palmes à l’encontre des injures de l’air; Ils nomment les arbres de palmes Pindo,qui y naissent ci& là dans les forefts en grande abondance. 20 Il y a dans cette grande Isle vingt sept de tels villages, de diverses grandeurs ; celui auquel on va le premier venant de l’Isle de S. Anne, se nomme Timpohu ; celui qui lui est plus proche Itaparii, de trois estangs voisins ; le troisieme Carnoupiop ; le quatrieme Euayne : le cinquieme Ira-Endaue : le sixieme Arosoue-leuue : le septieme Pindotune : le huictieme Oua-Timbooup : le neufieme & plus grand Iuniparan : le dixieme Toroiepeep : l’onzieme Ianouarem : le douzieme Ouarapiran : le treizieme Coyeup : le quatorzieme Eussa-ouap : le quinzieme Maracana-pisip : le seizieme Taperoussou : le dix septieme Torooup : le dix huictieme Aketeuue : le dix neufieme Carana-uue : le vingtieme Ieuireu : le vingt unieme Eucaton : le vingt deuxieme le petit Ieuiree : le vingt troisieme Oury-Oury-Ouassueupe : le vingt quatrieme Mayone :1e vingt cinquieme Pacoury-Euié : le vingt sixieme 30 Euapar : le vingt septieme Meruouty-Euue. Dans ces villages il s’y trouve parfois deux ou trois cents, par fois cinq ou six cents habitans ; de sorte que les François jugeoyent que l’Isle estoit pour lors habitee de dix ou douze mille hommes.

CHAP. X. Qualités de l'aïr & de la terre de l'Isle de Maragnan. E Ciel est le plus souvent clair dans cette Isle, & les jours d’ordinaire serains, sans qu il y ait presque de froid ni des seicheresses immoderees : il y a fort peu de nuees & vapeurs mal saines aux habitans : nulles tempestes ou tourbillons de vent, milles neiges ou gresse, peu de tonnerres, si ce n’est au mois des pluyes ; mais il y a 40 par fois des esclairs sur le soir, & mesme au matin, encore que le Ciel soit fort serain. Or quand le Soleil retourne du Tropique du Capricorne vers celui du Chancre, il chasse en toutes ces regions les pluyes devant soi, XL iours le plus fouuent deuant qu il monte for la teste, & apres qu’il a pafte le Zenith, il y pleut deux mois ou au plus trois continuellement, selon la diversité des clymats 5 & en cette Me des la fin de Feburier jusques au commencement ou au milieu de Juin. Or apres le folftice d esté, quand le Soleil retourne vers le Tropique du Capricorne, il se leue des vents devers l’Orient (qu’on nomme vulgairement Brises) & d’autant plus qu’il approche de leur Zenith, d’autant plus soufflent-ils fort ; & d’autant plus quil s’en esloigne, d'autant plus sontils foibles ; ils fo leuent prefque toufiours apres le crepuscule, sçavoir fur les sept ou huict 50 heures au matin, & à mesure que le Soleil se leue sur l’Horison, ils se renforcent, apres midy ils diminuent insensiblement, & le Soleil eftant couché ils fo calment du tout. On ne sent pourtant pas en cette Isle ni en la Continente voisine autre vent que de l'Orient,lequel tempere d’vne bonne forte la chaleur, & rend l’aïr for tout sain. Et pource que cette Isle est si peu esloignee de la ligne, elle iouïft tout du long de l’annee de iours & de nuicts egaux & d’un temperament d'aïr toujours un : & difficilement pourroit-on trouver aucun clymat plus agreable ni plus commode pour estre habité des hommes. Zzz 2 Le

L


DESCRIPTION DES INDES Le terroir de cette Isle combien qu’il foit de toutes parts enuironné de la mer, neantmoins il abonde en fontaines & sources d’eaux douces, claires & fort faines : il est arrousé de beaucoup de ruisseaux : il est si fertile, qu’encore qu’on ne le fume ni ne laisse repofer jamais, toutesfois il rend le Mays ( que les habitans de cette Ifle nomment Auattii ) dans le troifleme mois apres qu’il eft semé, auec vne grande usure, & bien foulient tous les ans. Les racines de Maniot desquelles ils se servent ordinairement au lieu de blé y croissent promptement fort grofles: les melons y meuriflent dans le second mois qu’on les a semés, & on en cueille prefque tous les mois de l’an : la mesme raifon est des autres fruicts. En outre les marchanses qu’on peut tirer de cette Isle & de la Continente, font 10 celles-ci; du bois de Brasil, comme aussi du jaune & autres : du cotton, du Rocou, qui est vne certaine teinture rouge,qui se trouve là par tout en grande abondance; d'vne certaine espece de lacque : de du baulme, que d'Abbeville, lequel nous fuiuons ici, compare à celui d’Arabie ; du tabac fort bon ; du poiure ou axi, de autres semblables. Or ceux qui ont plus curieufement esprouvé les conditions de la terre, jugent, qu’elle est fort propre aux cannes de fucre. A la cofte de la mer il s’y trouue fouuent de l’ambre gris. La terre n'est pas aufli deffournie de pierreries ,car il fe trouue au dedans d’icelle d’vne certaine efpece de iafpe,comme ils veulent, duquel ils policent ces petites pierrettes qu’ils portent à leurs leures : comme aussi vne veine de crystal blanc de rouge, 20 plus dur que les diamans nommés des François d'Alençon , de plufieurs autres telles pierres. Tout ce qui est requis pour bastir s’y trouue par tout;du bois dur de ferme, des pierres propres, de l'argille aussi bonne pour en faire des briques, enfin du ciment de de la chaux. Au reste cette Isle n’est pas estenduë en plattes campagnes, ni ne fe drefle en haute? montagnes,mais elle est releuee par moyens costaux, au pié defquels fourdent des fontaines fort claires,qui arroufent la plaine,& font beaucoup de ruifleaux & torrents, où les Sauuages vont auec leurs canoas. Le reste efl: couuert de bois espais ( entre lefquels excellent les palmes, comme nous dirons bien tost) fort propres pour la chasse des 30 bestes & des oiseaux.

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CHAP.

XI.

Arbres fruictiers qui se trouuent dans cette Isle. ETTE Isle a beaucoup d’arbres fruictiers qui fe trouuent aufli au refte du BraC sil, lesquels nous avons descrit ci-dessus, de sorte que ce seroit une chose superfluë d'en parler derechef ici ; n’estoit que les noms en font vn peu differents, de qu’il semble que d'Abbeville en aye obserué plus diligemment les marques, voila pourquoi ie n’estime pas faire chofe defagreable au Lecteur, de les descrire ici selon fa 40 remarque. Entre iceux excelle l’Acayou, surpassant bien fouuent en hauteur de groffeur de tronc nos pommiers ou poiriers; les fueilles font aucunement femblables à celles du noyer; les fleurs petites, rouge astres & d’assés bonne odeur, qui fe fait sentir de loin : il porte vn fruict de diuerfes formes de couleurs : car il y en a un semblable aux poires, iaunes par dehors lors qu’il est meur, au dedans d’une chair blanche de pleine de fuc ; au bout duquel croist vne certaine noix, de la forme d’un roignon de mouton, couuert d’une dure escorce oleagineufe,de forte quelle s’enflamme aufli tost, le noyau est comme vne amende. Vn autre qui eft plus rouge, mais le fuc en est plus aigre. Le troifleme eft de beaucoup plus petit & plus aigre, duquel ils font du vinaigre. Le quatrieme est fort gros de d'un bon goust, qu’ils nomment Acaiou-Ouassou : lis commen- 50 cent à meurir tous au mois de Mars & Avril, & presque tous les mois de l'an. Les Sauvages en pressent une liqueur, qu’ils nomment Acaiou Caoum ou Acaouig, blanche & fort bonne à boire, agreable sur tout au palais. Il y a par tout un grand nombre de de ces arbres, car ils viennent aisement des noix, de portent la seconde annee. Mais nous avons assés parlé de ces arbres ci-dessus. Le Bannanne est vn grand arbre ayant de grandes fueilles,longues de plus d vn coudee


OCCIDENTALES. LIVRE XVI.

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coudee St larges de deux paulmes: Ton fruict est presque de la grosseur d’un concombre,d’une peau jaune, mais la chair en eft blanche comme d'une pomme. Le Mangua porte vn fruict comme vn abricot, mais il eft vn peu plus gros St fans noyau,d’une douce St agreable faueur. Nous l’avons defcrit ci-dessus fous le nom de Mangaba. L'Iracaha eft vn grand arbre, ayant des branches efparfes & espaisses au sommet, fes

fueilles font prefque semblables à celles du figuyer ; son fruict eft de la forme d’vne poire, ayant l’escorce jaunastre, fa chair eft au dedans d’vn bon gouft, St, comme ils crovent, dvne bonne nourriture. L'Ouaieroua eft un haut & spacieux arbre, ayant les fueilles comme le chesne, mais 10 un peu plus grandes, & fes fleurs sont d’un jaune clair ; il porte vn fruict long d’un pié, & semblable aux plus gros melons, iaune dedans St dehors, d’vn bon goust & d’vne bonne odeur,mais il eft plein de petits noyaux noirs. Le Iunipap ou Ianipaba eft vn grand arbre branchu,qui a les fueilles aussicomme le chefne, mais deux fois aussi grandes, les fleurs en font blanches, St le fruid rond comme vne pomme ; quand il n'est pas meur il eft amer : les Sauuages le mafchent 20 pour en tirer le suc, qui encore qu’il foit clair St blanc, toutesfois si on en frotte la face ou les mains, dans peu d’heure il denient tellement noir, qu’il semble que ce foit de l’encre,sans qu’il fe puisse laver, mais huid ou dix iours apres il fe pafle de soimefme,les Sauvages se teignent la peau de ce ius. Quand il eft meur, il est jaune dedans St dehors St eft d’vn bon gouft. Nous auons ci-deftus efcrit le mesme arbre fous 30 le nom de Ianipaba, & nous en auons fait mettre ici la figure tiree des Exotiques du fameux Charles de l’Ecluse. L'Agoutitreua ou Acutitreua est un arbre fpacieux, ayant les fueilles comme l’oranger, mais plus larges; les fleurs rougeaftres, le fruict en est gros, d’une efcorce verde,au dedans il y a de petits grains comme ceux de la grenade,doux & agreables au palais. L'Araticou eft femblable au precedent 40 en fueilles & en fleurs, mais le fruid eft vn peu plus gros, d'un bon gouft & d'une odeur fort agreable. Le Caoup a les fueilles de pommier,mais elles font plus larges,ses fleurs font meslees de iaune & de rouge ; il porte vn fruid semblable en forme & en goust à l’orange, qui eft plein de noyaux. L'euuouirap est un grand arbre St large, qui a de petites fueilles,des fleurs rouges, un petit fruict, qui ne ressemble pas mal tant en forme qu’en grosseur à vne grosselle. L’Ama-uue ou Ambaiba approche fort tant en fueilles qu’en fruids au figuyer. Le Goyaue ou Morgoya est une espece d'arbrisseau, qui embrasse les arbres, il a les fueil50 les comme la campanelle,vne fort belle fleur large dvne paulme, dont les fueilles font velues St compofees en forme d’eftoille,de couleur de pourpre ; il porte vn fruid de la grosseur d’un œuf, mais plus rond, plein de grains, couuert d’vne escorce meslee de verd St de jaune, d’un bon gouft quand il est cuit: voila pourquoi on le confit avec du fucre. Il s’y trouve de quatre fortes de palmes ; la premiere fe nomme Ouacourii, qui eft la vrave palme des Indiens,portant les fueilles dites Pindo, defquelles ils couvrent leurs Zzz 3

loges :


DESCRIPTION DES INDES des porte noix longues femblables en forme & grosseur à vn œuf d'oye, loges : elle d’vne coque ligneuse, contenant quatre ou cinq noyaux longs, d’vn bon goust, desquels les Sauuages tirent vne huile fort douce & fort bonne. On trouue dans le tronc de l’arbre vne moüelle blanche,qui est selon lagrofleur de l’arbre,plus ou moins grosse que la jambe d’un homme, les Sauuages la nomment Ouacoury-rouan, qu'ils mangent crue & cuite. Ils appellent l’autre espece Meuruty-uue, qui porte aufli vn fruid de la grofleur d un œuf, dont la coque est par dehors rougeaftre & marquetee de petites taches noires, rouges au dedans ; qui n’enferme au dedans qu’vn noyau,doux & bon à manger. La troisieme s’appelle Ynaia femblable en tronc & en fueilles aux precedentes, elle 10 porte fes fruids par grappe, de la grofleur des olives, deux cents & par fois trois cents en vne grappe, de forte qu’vn homme à peine en peut porter vne. La quatrieme espece est dite Carana-uue, qui porte les fueilles larges comme des soufflets, desquelles les femmes fe feruent à mesme vfage,elle porte vn fruict fort femblable à vne prune de damas. Peut eftre qu’on doit mettre aussiau rang des palmes vn arbre, duquel nous auons seulement recouvert le fruid, que nous auons fait peindre ci-dessous, qui avoit la coque ligneuse & fort dure, dans laquelle y auoit deux noix de la mefme grofleur, qu’on en peut voir une representee aupres de la figure du fruid.

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Le Toucon-uue a les fueilles fort femblables aux deux premieres especes de palmes, mais elles sont pleines d’aiguillons , comme aufli le tronc & les branches, la moüelle eft au dedans noire & dure, les Sauuages fe feruent de son bois à faire leurs arcs & leurs maflifes. Ses fruids croiflent par grappes,qu’ils nomment Tocons, qui sont ronds & iaunes par dehors quand ils font meurs, le noyau en eft blanc & fort doux. Le Pacoury est un grand & spacieux arbre, ayant les fueilles femblables au pommier» 50 safleur blanche,son fruict gros comme deux poings, la peau d’icelui espaisse d'un demi poulce, qui eft fort estimé quand il eft cuit & confit ; il contient en outre deux ou trois noyaux tres bons. L'Vua-ouassoura est vn grand arbre, ayant les fueilles d’un poirier, les fleurs blanches, il porte un fruict semblable à celui du Pacoury, d’une peau jaune, d’une faveur douce, l’osselet est fait au dedans comme celui d’un percet, le noyau un peu plus gros qu’une amende & de mesme goust. L'VVamenbec


OCCIDENTALES LIVRE. XVI. 551 L'VVamenbec ne differe pas beaucoup en grandeur, fueilles, fleurs & fruict du pommier : le fruict en est jaune & delicat ; mais on n'en mange point le noyau, à caufe de fa tres-grande aspreté ou acrimonie. Le Copouich-ouassou eft fort femblable en fueilles & fruid au poirier, si ce n’est que le fruid eft plus long ou plus iaune,& contient au dedans trois osselets fort durs. Le Copouich-aioup est de la grandeur d’vn prunier,ayant les fueilles comme le chastagner, les fleurs blanches meflees de iaune, il porte vn fruid comme vne petite pomme, jaune,auec vn petit os au dedans, dont le noyau eft bon à manger. L'Acaia eft vn grand arbre,ayant les fueilles femblables au poirier, les fleurs rouges ; 10 il porte vn fruid comme une petite pomme, mais qui est plus long & d’un gouft plus aigre. L’Yacaranda eft fort femblable au prunier, mais il a les fueilles plus larges, fa fleur eft blanche; il porte un fruid gros comme les deux poings, & bon à manger lors qu’il eft cuit : les Sauuages font d’icelui vne certaine boüillie fur tout bonne & faine à l’estomach,qu’ils nomment Manipoy. L’Onbou a les fueilles femblables au Mangas , il porte vn fruict fort semblable à un percet, iaune dedans & dehors quand il eft meur ; il n'est pas bon, à manger fi ce n’est quand il tombe de foi-mefme à caufe de sa trop grande aigreur ; nous en auons encore fait mention ci-dessus. 20 Le Paioura porte des fruids femblables aux abricots,combien que l’arbre foit beaucoup plus petit. L’Vua-caue eft aussi grand qu'un poirier, ayant les fueilles tomme l’oranger, la fleur eft iaunaftre ,* il porte vn fruid long comme vn œuf, jaune & d’un bon gouft. Le Pitom eft femblable en grandeur, fueilles & fruids au prunier, mais le fruid en eft plus doux. L'Auenonbouih-acaiou est fort femblable au pommier, mais fes fruicts ressemblent mieux aux prunes, si ce n’eft qu’ils font iaunes 6c plus doux ; ils ont vn oflelet fort petit. L'Yachica eft fort femblable au prunier, il a les fleurs jaunes, mais fes fruids font du tout femblables aux prunes,ils font iaunes,& ont un noyau blanc 6c doux. 30 Il y a en outre le Cayoueen 6c le Maukai-ene qui different peu des precedents. L’Ouagiron naift le plus fouuent dans les sables du rivage, & ne croist pas plus haut qu’vn arbrisseau, il porte un fruict comme une grosse prune, rouge de couleur. Le Morecii fe plaist aussi fur les riuages sablonneux, son fruict eft fort aigre. L’Amyiou a les fueilles comme le poirier, mais plus longues,fes fleurs font blanches ; il porte vn fruid de la grofleur d’vne pomme, plein de petites bossettes comme vn concombre, & d’vn gouft d’vn percet. Le Mouroure ne differe pas beaucoup d’vn prunier, il porte des fleurs jaunes, & des fruids femblables aux cerifes,auec de longues queues, & vn petit os, la chair en eft iaune & douce. L’Vuapirup eft vn arbre fort plein d’aiguillons , ses fueilles font comme celles du 40 noyer, fes fleurs font extremement bien bigarrees de iaune, bleu 6c rouge ; il porte vn fruid rond comme vne pomme & fort bon a manger, mais on ne le cueille qu’aux , mois des pluyes. v poire ; l'Arasi comme vne petite pomvne grosse comme L'oumery porte vn fruid me ; qui font contés,lors qu’ils font meurs,entre les premiers 6c meilleurs fruids. Le Pekey a par fois le tronc si gros,qu’à peine trois voire quatre hommes le peuuent embrasser, il a des fueilles de prunier, & porte vn fruid gros comme les deux poings, d’vne efcorce espaisse 6c dure, laquelle contient dedans foi trois ou quatre fruicts jaunes,de la forme d’vn roignon, d’vne fort bonne odeur, & d’vn gouft ageéable, avec un 50 os fort aigu. Voyés ce que nous en auons dit ci-dessus. J’en obmets plusieurs autres pour estre brief; 6c ie foupçonnerois que les noms de ceux que i’ai rapporté ont efté quelque peu changés des François, qui prononcent mal aisement 6c efcriuent encore auec plus de difficulté cette lettre W, fort familiere, comme il semble, à ces nations ; or il faut conferer les descriptions d’iceux auec celles de ceux que nous auons descrits au premier Liure, afin qu’on puisse d’autant mieux voir ce qu’il y a entr’eux de femblable ou de different. CHAP.


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DESCRIPTION DES INDES CHAP.

XII.

De quelques Herbes & Plantes de cette Isle de Maragnan. NTRE toutes les plantes de cette Isle, l'Ananas merite à bon droit la principale place, du fruid de laquelle nous auons desia fait plusieurs fois mention & en avonsdonné la figure. Apres suit la Karouata, fort semblable a la premiere,si ce n’est qu elle produit des fueilles longues d’vne brade & larges de deux 10 poulces, espaisses & espineuses d’vn costé & d’autre, au milieu defquelles fort vne tefte, a laquelle naissent à quelques deux paulmes de terre, cinquante fruids & par fois beaucoup dauantage, de la longueur d’un doigt entassés enfemble,de la forme d’vne pyramide triangulaire, jaunastres dehors & dedans, d’vn bon gouft & agreables au palais. Ayant recouuert de l'Isle de Tabago de ces fruids assés recens, nous en auons fait peindre vn 20 entier & vn coupé par le milieu, la figure desquels nous auons fait mettre ici. Ceux de noftre pais les nomment Slyptongen, & les François Cypreceuille. Or c’est vn fruid plein d’une matiere fpongieufe & de plufieurs grains ou menue semence, son fuc eft d’vn aigre-doux , agreable au palais , mais fi on en mange beaucoup , il fait faigner la langue & les genciues , d’où vient qu’il a esté ainsi nommé des noftres: il est fort bon és fiebures 30 & contre le scorbut ; elle commence à mettre son fruict hors apres les pluyes. L'Yrammacaru efl: vne plante admirable & prefque monftrueufe,car elle croift haute de dix ou douze paulmes,de la grosseur de la jambe d’un homme, elle espart trois ou quatre branches de mesme grandeur ; & le tronc est si tendre, qu’il est aisé de couper auec vne espee plufieurs de ces plantes d’vn coup ; l’escorce en est verde, & la moüelle blanche, elle ne porte nulles fueilles, mais des efpines longues d’vn doigt ; elle porte des fleurs ronges entremeflees de bleu , ausquelles succedent un fruict de la grosseur d’vn poing,d’un fin rouge par dehors, & blanc par dedans,rempli de petits grains, que 40 l’on mange avec ; il est d'un bon gouft,qui ne differe en rien de celui de nos fraifes. eft vne plante qui a les fueilles & les fleurs presque semblables à celles Le de la citroüille ; le fruid en est rond & plat, auec vne efcorce fort tendre ; eftant cuit il est d’vn manger fort sain. Le Taker ou Kaker est presque femblable à la precedente, fi ce n’eft que le fruid eft plus long & gros : & a l’escorce beaucoup plus dure. L'Vua-een semble eftre vne efpece de melon, elle porte vn fruid de la grosseur de la tefte d’vn homme,par dehors d’vn verdgay, dedans il eft tout plein d’vne chair blanche,meslee de petits grains noirs,remplie d’vn fuc fort doux & agreable,de forte qu'on le mange crud comme vne pomme: eftant coupé par le milieu il sedissoult tout en eau, & si on le creuse seulement aussi tost il remplit le vuide d’une fort douce liqueur, 50 laquelle recree merueilleufement. La Commanda-ouassou font leurs febucs,qui font fort grosses,plates,& de diverses couleurs : Or Commanda-miri font leurs pois, plus longs que ronds, de meilleur goust que les nostres ; par fois il s’en trouve dix huidou vingt dans une gousse ou escosse. Ci-deflus nous auons ouy de de Lery, que les febues & les pois font ainsi appellés des Tououpinambaults.

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OCCIDENTALES. LIVRE XVI. 553 Les racines qu’on nomme ailleurs Patates, s’appellent là Yeteuch de Lery & Theuet disent que leurs Sauuages les nommoyent Hetich. Les Caras sont d’autres racines, qui sont bien plus solides que les Patates, mais elles ne sont pas si bonnes de beaucoup. La Taya-ouassou est vne racine ronde & blanche comme vne raue de nos païs, d’vn bon goust quand elle est cuite. La Mandoui est plutosl vne trusle de terre qu’vne racine, les Brasiliens la nomment Manobi ; voyés la figure ci-dessus,car ie croi que c’est la mesme plante. La Manioch est vne grosse racine d’vne plante qu’ils nomment Manieup, elle porte 10 des fueilles fort semblables à celle du figuyer, les Sauuages en font de la farine, de laquelle ils se seruent au lieu de blé. La Marachet & la Manioch-ete, comme aussi la Manioch-caue sont racines presque de mesme espece vfage, qui different peu entr’elles : de mesme que l’Vfenpopouita qui est rouge. CHAP.

XIII.

Des diuers Oiseaux qui se trouuent dans cette Isle & dans la Continente voisine.

I

L se trouue en outre dans cette Isle de Maragnan & dans la Continente quil’aduoifine vne grande abondance & diuersité de toutes sortes d’oiseaux, quelques-vns 20 desquels nous deferirons ici briefuement, comme nous les auons tirés des Commentaires d' Abbeuille François, afin de ne passer rien à la leger. Entre les oiseaux de proye & qui viuent de racine l'Ouassou-ouassou merité à bon droit le premier lieu ( or on remarque que de Lery eferit,que les Sauuages Tououpinambaults appelloyent tous les oifeaux d’vn nom commun Oura ou Ouyra ) qui est vn oiseau deux fois plus grand qu'vn aigle, couuert d’vn fort beau plumage, d’vne telle force & courage, qu’il rauit & deuore vne brebis entière, & iette aisement les hommes par terre, mesme n’espargne pas les cerfs : ie me fouuien d’auoir veu vne plume qui auoit, comme ie pense, esté tiree des ailes de cette oiseau, laquelle auoit plus d’vne aulne de ces païs de 03 long, d’vne belle couleur, & bigarrée de petites taches rondes, comme sont les poules qu’on apporte d’Afrique : il a aussi le becfort, & les ongles extrêmement aigus. L'Ouirata-ouyran seconde le precedent en force & en grandeur, e : & l'Ouyra-ouassoPouytan & plusieurs autres oiseaux de proye, qui font plus gros ou quglque peu plus petits que des aigles, d’vne forme singuliere, & elegamment bigarrés de plumes de diuerses couleurs. Il s’y trouue aussi par tout vn grand nombre & vne grande varieté de perroquets. Le Moyton ou Mouton (duquel de Lery fait mention) est vn oiseau aussi gros, ou mesme vn peu plus qu'vn paön de nostre païs, qui a vne belle & grande creste & gentiment bigarree tout le corps de plumes noires & blanches, sa chair est fort bonne ; 40 il y en a aussi diuerfes especes là. Il y a aussi d’autres oiseaux fort femblables aux Faisans de l’Europe, que les Sauuages nomment Iacou & Iacou-Obough & aussi Aracouan, d’vne beauté & variété de plumage admirable : de Lery en fait mention en les Commentaires. D’autres qui sont semblables à des perdris qu’ils nomment NambeuSzlfambou-Ouafsou, couuerts de plumes bleues & qui ponnent aussi des œufs bleus, aussi des Nambouims & des Macoucaouas, comme de Lery escrit. Le Toucan ( duquel de Lery & Theuet font mention ) est de la grosseur d’vn ramier, ayant vn bec long & large, & le iauot sous la poitrine, d’vn fort beau iaune, trois ou quatre doigts de large, bordé de plumes d’vn fin ronge, auec la poitrine blanche, le dos 5o d’vn rouge parfait, les ailes & la queue noires fort beau à voir, & la chair delicate : il y en a encore d’vne autre espece appellé des Sauuages Ouaycho, qui a le bec vn peu different & d’vn rouge iaunissant. L'Ourou est de la grosseur d’vne perdrix, mais il a vne creste comme vn coq, les plumes rouges, noires & blanches par vn beau meslange ; il y en a vn autre de mesme nom, fort semblable à nos cailles, mais il est plus gros. Le Tata Ouyra Ouasson & le Tata Ouiramiri, item l'Aroumara font chacun de la grosseur Aaaa


DESCRIPTION DES INDES 554 grosseur de nos pigeons, mais ils font d’vne singuliere varieté & beauté de plumage. Il y a d’autres oiseaux fort petits qui ne sont gueres plus gros que les hannetons de nostre païs, que les Sauuages de ces quartiers appellent Iapyii & Ouenonbouch ; desquels nous auons assés parlé ci-dessus. Il s y trouue des chauues-souris extremement grosses, appellees des Sauuages Andheura, qui font vn grand bruit en volant, & mordent tellement les hommes de nuict, qu’elles tirent vne grande quantité de sang, souuent difficile à estancher ; de forte qu’on les conte à bon droit entre les playes de ces Prouinces. Il y a aussi vn grand nombre d’oiseaux aquatiques ou de marescages, entre lesquels 10 font renommés ceux que les Sauuages appellent Ouara-Tamatian & Ouara-Caon semblables à ceux que les François nomment Corlieux ou Corlis, si ce n’est qu’ils different grandement en beauté & plumage, on les voit en grande quantité auprès du rivage & rarement au dedans du païs On y trouue aussi de certains oiseaux qu’on peut dire estre plustost portés fur terre que voler; tels que sont ceux que les Sauuages nomment Yandou espece, comme il semble, d’austruches, plus grands que les hommes, & extremement legers. Et le Salian de la grandeur d’vn coq d’inde, ayant le bec &: les iambes d’vne cigoigne, qui encore qu’il ne puisse voler, neantmoins court si viste qu’il se fauue des chiens de chasse. Les Sauuages appellent les coqs & poules d’inde Araignan : & les communes qui 20 font presque semblables au nostres Ouira-Sapoukai. Ils nomment les oyes Vpec, elles sont beaucoup plus belles que les nostres &la chair en est plus delicate. Ils nomment aussi les canes Potiry : les ramiers Picassou & et les pigeons Picassoutin : ils ne different pas beaucoup des nostres. CHAP.

XIV.

Poissons de mer & de riuieres qui se trouuent en ces quartiers. N dit que la mer qui enuironne cette Isle & les riuieres qui descendent dans 30 la baye sont fort poissonneuses ; nous remarquerons quelques sortes de poissons tirés des Commentaires de Claude d’Abbeuille. Les Sauuages nomment là Ouaroauales Manatis dont nous auons parlé ailleurs. Ils nomment Pyraon vn poisson bon à manger long de fix ou sept piés, de la grosseur d’vn tonneau, couuert de grandes escailles noires. Le Pirapem ou Camauroupoui est vn autre poisson de mesme forme, grosseur de grandeur, mais il a les escailles beaucoup plus petites. L'Ouyrii est long de trois ou quatre piés, auec vne telle large ; il a sur le dos deux aiguillons longs d’enuiron demi-pié & fort aigus, la piqueure desquels on dit estre fort dangereuse, au reste on le peut bien conter entre les plus excellents poissons ; il s’en 40 trouue quelques-vns dans les riuieres que l’on dit sentir le musc L'Oury-Iouue est fort semblable au precedent, excepté qu’il est iaune. L'Ouaracara est semblable à nos aloses, mais il n’a pas tant deschardes, voila pourquoi il est meilleur & plus delicat. L'Ouatoucoupou est vn poisson crustace, long d’enuiron d’vne paulme, ayant la telle iaune, & bon à manger. Le Paraty de le Pira-cuuaue sont semblables aux mullets : de Lery les nomme Paratt

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& Kurema. Le Camboury Ouassou, est long d’enuiron quatre paulmes, il a la teste comme vn pour-

50 ceau, la queue iaune, & couuert par tout d’escailles. Il s’y trouue plusieurs especes de poissons plats, comme on les appelle :1e est de la forme d’vne raye, mais il est plus grand, il est long de large de deux coudees, & espais d’vne paulme, la queue est longue d’vne coudee & demie, armee au milieu d'vn aiguillon, grandement aigu & venimeux. Le Narrinnarii est de mesme espece, mais il a la queuë plus courte, l'aiguilon plus long, & atout le corps tracé de lignes noires-& blanches. L'Ouara


555 OCCIDENTALES. LIVRE XVI. L'Ouara est aussi de la mesme espece, long le plus souuent de deux pies & large d’vn d’vne couleur d’argent reluisant, auec les maschoires iaunes ou oranges. L'Acara-ouassou est encore de la mesme espece, long de trois pies & presque aussi large, couuert par tout d’escailles noires : l'Acara-peue est vn peu plus petit que le precedent : & l’Acara-poytan semblable au dernier, mais il est peint de lignes blanches & noires : l’Acara-pourourou bigarré gentiment de lignes iaunes, au reste noirastre :l'Acraion est seulement long d vn pié, tout couuert d’esscailles, la teste verde, le dessus du corps iaune, & le dessous presque blanc. L'Aramassa est encore de la mesme espece, semblable à nos soles, long de deux piés, 10 & espais de trois trauers doigts, le ventre blanc, le dos noir on dit que c’est vn fort bon manger, d’où vient que les Sauuages l’estiment fort. L' Araouaoua est par fois long de huict piés , d’vne peau dure & rude, il a vne espee longue de deux ou trois piés au lieu de nez, dont il tue les autres poissons :& le Panapan fort semblable au precedent, si ce n’est qu’il a l’espee plus courte. Le Pacama est vn poisson sans escailles, de couleur grife, long de deux piés, il a vne teste fort grosse pour la grandeur de son corps, il se trouue le plus souuent sous les rochers ; comme aussi le Caramouron semblable à vne anguille, duquel nous auons désia fait mention ci-deuant. Le Tinmocou-ouassou a aussi la forme d’vne anguille, mais il a la peau blanchastre & 20 est long de deux coudes ou plus, il a le nez comme nostre brochet, long d’vn pié. Le Panyanaiou est semblable au precedent, si ce n’est que la partie d’enhaut du museau est vn peu plus longue que celle d’embas. Encre les poissons de riuierele Pourake est du tout à admirer, il est par fois long de quatre piés, extrêmement marqueté de diuerfes couleurs, de bleu, de rouge, verd & blanc, il ne craint nuis coups, non pas mesme d'espee, que si en le frappant il se remue, il cause vne telle douleur au bras de celui qui le frappe, qu’il s’endort par fois, de sorte qu’il faut que ce foit vne espece de torpille. Le Caurimata est fort semblable à vne carpe, mais il est plus long & plus large, & est 30 tenu à bon droit pour le meilleur de tous ces quartiers.

L'Yaconda est vn poisson long de trois piés, couuert de toutes parts d’vn test, & fort bien rayé de lignes iaunes, rouges & blanches. Le Pyrain est long d’vn pié, large d’vn demi sans test, mais il est couuert d’vne fort

belle peau iaune & rouge, il a les dents aussi trenchantes qu’vn rasoir : on escrit aussi est vn autre poisson est aussi armé de mesme. que l'Opean Le Tarchure est semblable au Paraty, si ce n’est qu’il est plus espineux, il a les dents aiguës, comme aussi le Iérou, lequel a la teste plus ronde, est de couleur bleue, & a la queue rouge. Le Tamoata est long d’vn demi- pié, garni d’escailles, ayant la chair iaune, qui est d' Vn 40 bon goust. Le Sarabo eft fort semblable à la lamproye, si ce n’est qu’il est plus large & a le museau plus long. Il s’y trouue aussi abondance de cancres & fort differents, des especes d' escreuices de gammares ; desquels il y en a qu' ils nomment Ouegnonioin, qui ont les piés de deuant longs & bleus ; d'autres qu’ils appellent Oussa, ayans les pies rouges & velus, lesquels sortent le plus souuent sur terre, & se trouuent d'ordinaire sous les racines de ces arbres du riuage, que les François nomment Apparituriers. L'Ouca-ouassou est vne efpece de grandes escreuices, qui se prennent sous les pierres auec les huistres. 50 Les Aouara-ouassou sont des cancres blancs, vn peu plus gros que le poing d’vn homme, qui aiment fort l’ambre gris, de forte qu’on en trouue de gros morceaux dans leurs trous. Les Ourafaup sont aussi especes d'escreuices, qui se trouuent seulement dans les rivieres. Les Sauuages de ces quartiers nomment aussi les Crocodilles Yacare, s'y en trouue de fort grands. Aaaa z Il y a


DESCRIPTION DES INDES Il y a aussi beaucoup d’huistres, plus grosses & meilleures que les nostres, les Sauuages les appellent en leur langage Rerii, elles sont le plus souuent attachées aux branches des arbres du riuage : ils nomment les moufles Xerourou, qui font plus grosses que les nostres, les Sauuages en viuent d’ordinaire ; & les aiment vniquement, pource que c’est vne viande bien tost preste. Il s’y fait au temps des pluyes beaucoup d'estangs, dans lefquels s'engendrent de certains petits poissons longs d’vne paulme, qui sont fort delicats, que les Sauuages prennent auant que ces estangs se seichent, ce qui se fait apres les pluyes : quand les pluyes reuiennent & que l’eau s'y amasse derechef, ces poissons renaissent de nouueau, par vn rare miracle de nature.

556

CHAP.

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XV.

Bestes à quatre piés de cette Isle & de la Continente voisine.

I

L s’y trouue vn grand nombre de bestes à quatre piés, toutesfois nous n’en remarquerons que quelques especes des plus estranges, pource que nous auons fait mention au Liure precedent de la plus grand part, tirees de Iean de Lery & d’autres. Il y a beaucoup de cerfs du tout semblables à ceux de ces païs, les Sauuages les appellent Souassou-aper : il y a aussi vne infinité de cheures sauuages ; force sangliers qu’ils nomment Taiasson, plus petits pourtant que les nostres, & qui ont le nombril sur le dos, 20 ils en ont aussi de plus grands que ceux de nostre païs, qu’ils nomment-Tayassou-ete. Ils ont des porcs-espics, qu’ils nomment Coendou, qui sont fort grands & presque de la hauteur des sangliers, armés d’aiguillons fort longs & aigus. Le Tamandoua est vn animal de la grandeur d’vn cheual de ces païs, ayant la teste d’vn pourceau, les oreilles d’vn chien, vn museau long d'vne paulme & aigu, la langue longue & estroite,vn crin presque comme vn cheual, des piés de bœuf ; il vit de fourmis : sa chair est d’vn mauuais goust, qui est cause que les Sauuages en mangent peu fouuent. Nous l'auons descrit ci-dessus sous le nom de Tamandua, selon de Lery, mais d' Abbeuille le fait ici beaucoup plus grand. Les Tapiyre-ete sont comme vaches iauuages,qui ont les oreilles longues, les iambes courtes comme aussi la queue, au reste des dents fort aigues, & sans cornes. On dit qu’il se trouue dans leurs entrailles la pierre de Bezoar tant estimee ; nous auons aussi fait mention de cet animal au Liure precedent. Le Tatou,dit des Espagnols Armadillo, nous l’auons ci-deuant defcrit : nous donnerons feulement en ce lieu vn aduertissement selon d'Abbeuille, qu’il se trouue en ces quartiers plusieurs especes de cet animal, qui ne different seulement que de grandeur. Sçauoir le Tatou-ouaffou qui approche de nos brebis en grandeur : le Tatou-ete qui n’eft gueres plus grand qu’vn renard : enfin le Tatou-apar, le Tatou-ouainchun & leTatoa-miri le plus petit de tous les precedents. Les Couatys approchent fort des renards de l’Europe, mais ils different vn peu quant à la queue, que les Couatys ont vn peu plus petite, & n’est pas si veluë. Pac est vn animal vn peu plus grand que le precedent, il est tout terrestre, & a outre cela vne teste courte & grosse, de petites oreilles, vne courte queue, bigarré par vne belle variété d’vn poil court noir de blanc L'Agouty est vn petit animal de la grandeur d’vn cochon de laid, ayant la teste d’vn loir, vne queue fort courte, d’vn poil espais & rougeastre. Les Tapitys ne different pas beaucoup de nos connils, il s’en trouue toutesfois de diuerses especes: comme les Ponnares qui ont vne queue longue de demi-pié, les Amocos de Sauiœs qui n’ont point de queue du tout. Entre les animaux furieux le Ianouare tient le premier lieu, qui est, comme il semble » vne espece de lynx, de la grandeur d’vn dogue d’Angleterre, ayant la peau belle & bien bigarree. Le Souassou-uaran est vne forte de leopard marquetee de belles taches ; & les Marguïas qui sont des chats sauuages, ayans vne peau belle sur toutes. L'Vnau est vn animal monstrueux ; car il a la teste ronde presque comme celle d'vn homme,le poil d’vn chien : quatre piés, mais qui remue fort lentement, & trois ongles longs


557 OCCIDENTALES. LIVRE XVI. longs à trois orteils, auec lesquels principalement il s’accroche & monte sur les arbres : d'où il ne descend pas aisement, si ce n’est apres qu’il en a mangé toutes les fueilles & les fruicts ; c’est vn animal fi paresseux à se trainer, qu' à cause de cela les Espagnols lui ont à iuste cause donné le nom de paresse : Nous en auons fait mettre ici la figure tiree des Exotiques du fameux homme Charles de l'Ecluse.

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Or de l’Ecluse efcrit de cet animal comme s’enfuit: Depuis le col iusque aubout du dos il auoit le corps vn peu plus long d’vn pié, & sa grosseur estoit pressque d’autant : & n’y a point de doute qu’il ne fust plus grand quand il estoit en vie : son col estoit long de demi-pié & gros de quatre poulces, en y comprenant mesme le poil : les iambes de deuant iusques à la ioincture des pies (qu’il auoit plats comme ceux d’vn ours ou d’vn singe ) auoyent plus de sept poulces : mais celles de derrière n’en auoyent que fîx & de3o mi, de forte quelles estoyent plus courtes que celles de deuant de presque vn poulce : les piés de deuant auoyent trois poulces de long depuis la ioindure d’iceux iusques aux ongles, & ceux de derrière estoyent presque de mesme longueur, toutesfois les vns & les autres estoyent fort estroits, qui fait que ce n’est point de merueilles, si cet animal ne peut se tenir debout & marcher qu' auec difficulté : chacun d’iceux piés auoit trois ongles proches l'vn de l’autre longs de deux poulces & demi blancs & fort aigus, le dessus estoit courbé comme vn arc, & le dessous caue : tout le corps depuis le sommet de la telle iusques aux ongles, estoit couuert d’vn poil espais & long, en partie noir, en partie cendré, comme celui d’vn taisson, toutesfois il estoit plus mol, & du col le long du dos prefque iusques aux iambes de derrière, il estoit marqué d’vne ligne de poil 40 noir : tout le col depuis la telle iusques aux iambes de deuant estoit couuert d'vn crin noir pendant des deux costés. La telle estoit petite, couuerte d’vn court poil roussatre, auec la maschoire d’embas & vne partie de la gorge : le museau ressembloit aucunement à vn singe : car il estoit court sans poil & plat, & auoit des narines de singe, auec des dents courtes & assés larges : & pource qu’il n’auoit pas lagueule beaucoup grande, ie me persuade que cet animal ne peut à peine mordre. Voila ce qu’il en dit. Il s’y trouue vn nombre presque infini de linges & de guenons, de diuerses couleurs, & mesme entr’eux d’vne fubtilité & astuce admirable : les Sauuages les appellent Oua riue : item Cay-ouassou ; Le Cayon est d’vn poil noir auec vne longue barbe blanche. Les Cay-miri & les Sapaiou sont plus petits, mais ils fontiolis : Les Tamarys sont les plus pe50 tits de tous & les plus beaux. Les Sauuages nomment leurs chiens de chasle Ianouare, qui font vn peu plus petits que les nostres, mais ils sont fort bons à la chasse. Entre les serpents le Boy-ete est le premier, long par fois de deux brasses ou plus, qui a la peau fort bien peinte, il n’a que quatre dents, mais elles sont fort aiguës ;il a la langue armee comme de deux aiguillons, desquels il poind d’vne estrange forte, comme aussi la queuë ; dont la playe est souuent mortelle : mais comme nous auons dit ci-dessus, Aaaa 3 rAutheur


DESCRIPTION DES INDES

558

l’Autheur de la nature lui a attaché au bout de la queue vne vessie deliee, qui fait presque vn aussi grand bruit qu’vne sonnette, par lequel les hommes sont aduertis de le retirer de bonne heure du chemin, de peur d’estre offensés de ce serpent. Il s’y trouue aussi d’autres couleures & serpents, & des lezarts, que les Sauuages nomment Iouboy de Tara-gouyboy, lesquels toutesfois ils mangent aucunesfois, comme aussi les crapaux (qu’ils nomment Courourou ) qu’on y trouue fort gros. Ils font aussi tourmentés de ces puces qu’on nomme dans Hispaniole Niguas, mais en ce lieu là les Sauuages les appellent Ton : contre ce mal on n’a pas besoin d’vn remedeseul ; là ils vsent d’huile de palme, du Roucou de de l'Oroucou, vne espece de teinture 10 cognuë,de laquelle nous auons ci-deuant parlé.

CHAP. XVI. Origine des habitans, leurs mœurs & coustumes, & autres choses necessaires. Es Sauuages qui habitent maintenant ces quartiers, racontent, qu’il y a presque sous le Tropique du Capricorne, vne fort belle Prouince, dite Cayeten (comme qui diroit grand foreft) couuerte par tout d’vn bois espais d’arbres fort hauts, leurs predecesseurs ont autresfois possedee qui se nommoyent Toupinambas, de que leur vaillance, en laquelle ils surpassoyent leurs voisins ; voila pourquoi ceux-ci se glorifient fort encore auiourd’hui de ce nom. Les Portugais posse dans cette partie du 10 Brasil, employoyent tout leur pouuoir pour subiuguer cette nation ; lesquels se voyans inégaux en armes aux Europeans, ils se retirsrent premieremét dans les forests espaisses : & comme ils ne s'y tenoyent pas encores assés asseurés, ayans trauersé vn grand espace de terres, ils arriuerent à la mer & dans ces Prouinces Septentrionales du Brasil, où encore auiourd’hui conseruans le nom commun de Toupinambas, ils font diusés en plusieurs parentages, & selon la diuersité des lieux où ils demeurent, ils ont diuers noms ; car ceux qui habitent le long du riuage de la mer s’appellent Paranan-Engouare : & qui furies montagnes lbouyapap, Ybuoypap-Engouare,• & ainsi ils prennent des surnoms des lieux où ils font placés : comme du Maragnan, Taboucourou, Miary, & enfin de la Prouince de Paris, tant de celle qui est à l’Est de cette Isle, que de celle qui est à l'Ouest, dont nous parlerons bien tost. Ceux qui font les plus vieux entre ces Sauuages content en outre vne chose ridicule, sauoir qu'estans nouuellement arriués dans ces Prouinces, comme ils celebroyent vne y urognerie publique, qu’ils nomment en leur langage Caouen, il y entra fortuitement vne certaine femme, qui donna des coups de poing à quelque principal dentr’eux, d’où vindrent premièrement des noises, puis apres vn si rude combat entre les parens mesmes, qu’estans discordans ensemble, les vns s’en allerent d’vn costé & les autres de l’autre; fans qu' ils ayent peu se reconcilier iusques à maintenant, mais ils se persecutent les vns les autres par vne haine vatiniene, se surprennent à l’improuiste, & se mangent cruellement ; Le nom de Tabaias est principalement venu entr’eux, de ce 4 qu’en s’attaquant ils ont coustume de se le crier l'vn l’autre ; car il signifie en leur langue autant comme, ie suis ton ennemi de mesme que tu es le mien. En outre ces Toupinambas font d’ordinaire de moyenne stature ( encore qu’il s’en trouue entr’eux de grands & de gros ) ayans le nez plat (ce qu’ils estiment aduenir par la Sage femme ) le corps droit de robuste, de forte qu’ils portent des fardeaux fort pesans : ils sont rarement malades, pource que communement ils mangent peu, & iouïssent d’vn aïr agréable & sain sur tout, d'où vient qu’ils viuent fort vieux sans blanchir ni deuenirchauues : on dit que les femmes y gardent leur fecondité iusques à Lxxxans & plus : les enfans y naissent de mesme couleur que les nostres, mais les peres & meres les oignent d’vne certaine huile meslee auec du Roucou, qui fait qu’ils deuiennent peu à 5 fa peu bruns de oliuastres. Ils nourrissent leur cheueleure, mais ils arrachent l’autre pompar tout le corps : les masses tondent leurs cheueux sur le front les femmes les portent pendentes iusques au nombril, elles sont fort soigneuses à se peigner ; & afin qu'elles ayent leurs cheueux de plus belle couleur, elles les teignent de Roucou, se les uent d’eau, dans laquelle a esté cuit de la racine d'0uapacari, laquelle escume comme le fauon. Les

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OCCIDENTALES LIVRE. XVI. 559 Les malles ont de coustume de se percer la leure d’embas, & de mettre dans le trou vne pierre verde ou quelque autre pierre, ou bien quelque autre femblable chose : il y en a qui se percent les narines & y mettent de petits os ou quelque piece de bois, ce qu’ils estiment bien feant sur toutes choses. Les femmes s’y percent les oreilles en la mesme façon & y pendent de petites roüelles, oudes boules de bois, ou quelque chose de semblable au lieu de pendans d’oreilles, mais iamais les leures. Ils vont les vns & les autres tous nuds, excepté ceux qui font mariés ou les vieillards, lesquels couurent leurs parties honteuses de quelque drapeau bleu ou rouge, lié d’vne petite cordelette de cotton au deffus des cuisses, ils nomment cette couuerture Caraio ioue. Au reste ils se peignent tout le corps de diuerses couleurs & figures ;& les cuisses de couleur noire auec du ius de Iunipap ; plusieurs hommes aussi se dechiquettent la peau en diuerses façons auec vne pierre trenchante comme vn rasoir, & mettent dedans les incisures vne certaine couleur fort attachante, qui ne s'efface iamais, ce qui est vne marque de grande vaillance entr’eux, & est estimé fort beau. Ils sont extrêmement industrieux à faire diuerses fortes d’ornements de plumages de diuerses couleurs, car ils en font des diademes, qu’ils nomment Acangoop ou Acan-Assoyaue : des couronnes qu’ils appellent Acan-getar : comme aussi des colliers dits par eux Aiouacara ; & mesmes des manteaux entiers qu’ils nomment Assouyaue : des hautde-chausses, appellés par eux Tauaooura : ils sont aussi des hautde-chausses de fil de cotton, & y pendent de 20 certaines noix, dans lesquelles ils mettent de petites pierres ou telle autre chose, afin quelles rendent quelque son, ils les nomment Aouay : enfin des brasselets, qu’ils appellent Mapouygh Cauay chouare, & de grandes crestes qu’ils nomment landou-aue. Ils ont des licts pendans lacés de fil de cotton en forme de rets, ou bien tissus comme des clayes qu’ils appellent Yni, lesquels ils tendent entre deux paux, où ils ne peuuent coucher qu’vne ou deux personnes. Au lieu de pain ou de blé ils vient de la larme laite des racines de Manioch, Mocachet ou Maniochete, qu’ils nomment Ouy : du suc des mesmes ils en cuisent du broüet ou de la boüillie, dite entr’eux Manipoy ; & de la lie qui demeure au fond, ils en petrissent des tourteaux, qu’ils nomment Cassaue: enfin des mesmes racines ils en font de la 3o boüillie appellee par eux Cayman. Ils viuent en outre de poisson, d’oiseaux, de toutes fortes d’animaux, qu’ils rostissent ou grillent à la flamme du feu fur vne grille de bois, qu’ils nomment Boucan ; leur boire ordinaire est de l’eau, ou ce breuuage dont nous auons parlé ci-dessus. Leurs armes font l’arc, qu’ils nomment Ouyrapar, & les fleches qu’ils appellent Oouue ou Tacouart : ils font fort cruels à leurs ennemis, car ils engraissent leurs prisonniers à la façon des pourceaux, & quand ils sont gras ils les tuent cruellement & les deuorent inhumainement ; Or ils font fort desireux de vengeance : & comme pour legeres causes ils déclarent quelquesfois la guerre a leurs voisins, aussi la font-ils d’vne haine fort obstinee ; autrement ils font fort liberaux & humains à leurs alliés, concitoyens, & aux 40 estrangers mesmes, de qui ils n’ont iamais esté offensés Au reste ces nations aiment le riuage de la mer, des riuieres ou des marais pour la commodité de la pesche, à quoi ils se delectent fort & dont ils viuent le plus souuent : toutesfois ils ne demeurent pas long temps en vn mesme lieu, mais ils changent souuent de place, combien que leurs villages retiennent presque toujours leurs noms. Qui desirera sçauoir dauantage des mœurs & coustumes de ces Sauuages, voye Iean de Lery ou André Theuet,ou bien Claude d'Abbeuille Capucin François, que nous auons en ce Traité fuiui iusques ici ; car nous n’en auons rapporté que les choses plus remarquables. CHAP.

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XVII.

Description des Provinces de Tapouytaperes & de Comma, situees dans la Continente.

V

l’Ouest de l’Isle de Maragnan il y a vne autre Prouince, laquelle est partie que les Sauuages nomment Tapouytapere ; elle est distante de Continente, de la l’Isle de trois ou quatre lieues, & separee d’icelle par vn canal, qui va iusques dans ERs


DESCRIPTION DES INDES dans la baye de Maragnan. Nous auons dit que c’est vne partie de la Continente, car combien qu’aux plus hautes marees on lavoye toute enuironnee de la mer, neantmoins à basse maree elle est coniointe auec la terre ferme n’en est separee que par vne vallee sablonneuse. Cette Prouince n’est pas si forte de nature comme rifle , mais elle est plus fertile & plus belle. Elle est habitee par la mesme nation des Toupinambas , qui ont quinze villages ou plus,des principaux desquels nous ferons mention en passant. Le principal village & qui est comme le chef de la Prouince, se nomme du nom d’icelle Tapouytapere , qui signifie en leur langage,la vieille demeure des Tapuyas, lesquels s en font retirés de leur gré, ou ayans esté chassés par ces derniers ont cherché d’autres demeures : le second ro Sery-ieu : le troisieme Ieneupa-eupe : le quatrième Meureuti-eupe : le cinquième Caagouire :1e sixieme Pindotuue : le septieme Aroueupe : le huictieme Tapauytiningue : le neufieme Eugarete-quitaue : le dixième Oraboutin-Eugouaue. Et tous ces villages sont plus pleuplés, que ceux de l’Isle de Maragnan, dont nous auons fait mention. De cette Prouince on entre dans vne autre, appellee Comma, du nom de la riuiere qui la trauerse ; le terroir de cette-ci surpasse aussi de beaucoup en fertilité & beauté l’Isle de Maragnan ; & la Prouince est beaucoup plus peuplee, laquelle eft habitee par la mesme nation des Toupinambas, qui ont seize villages & dauantage ; dont les principaux font Comma, comme chef de la Prouince, ainsi nommé de la commodité de la pesche : le 2 Ianouacouare : le 3 Tauapiap : le 4 Couyieup : le 5 Arouype : le 6 Taeuouaio : 10 le 7 Pacouripana : le 8 Aouayeuue : le 9 Maecan : le 10 Couremaeta, lequel a pris son nom de Coureman, emboucheure de la riuiere de Comma, que les Sauuages nomment ainsi : enfin le II Yapieuue. De Comma on va à Cayeta, Prouince qui est proche de Para, & eft distante de l'Ifle de Maragnan d'enniron LXXX lieuës ; il y a encoreplusieurs autres Prouinces habitees des mesmes Toupinambas, principalement proche du riuage : & mesme dans cette Prouince de Cayeta ont dit qu’ils y habitent xx ou xxv villages : de forte que cette nation occupe vn grand espace de terre. Or les habitans de l'Isle de, Maragnan, des Prouinces de Tapouytapere & de Comma sont bien d’accord entr'eux, & conioints par alliances & mariages : mais ils font continuellement la guerre aux Tapuyas leurs voisins ; comme ie trouue qu’il a esté remarqué par les nostres, qui l'annee cloloc X allerent au Maragnan au mesme temps que la Rauerdiere François y arriua la première fois pour visiter le lieu, comme nous dirons bien tost. Car nous dirons cela en passant, que des Marchands non feulement d'Amstelodam, mais aussi de Rotterodam, enuoyerent diuers nauires vers ces quartiers és annees CIIOC IX, X & XI. 560

CHAP.

XVIII.

Choses que les François ont faites dans l'Isle de Maragnan ; & ce qu'ils ont remarqué de la montagne de Ybovapap. L reste maintenant que nous recitions ce que les François ont fait en ces quartiers és annees passees, selon que Claude d'Abbeuille le descrit. Le Capitaine Riffaut François, ayant esté inuité par vn certain Sauuage Brasilien nommé Ouyrapiue, qui pouuoit beaucoup entre ceux de fa nation, esquipa trois nauires l'an CICIC XCIV, pour tenter fortune en cette partie de l'Amerique ; mais par la discorde de fes compagnons, & par la perte de fon principal nauire, il fut contraint de s’en retourner en France fans rien faire, ayant laiflé quelques-vns de fes gens auec les Sauuages, & entre iceux le ieune Gentilhomme Monsieur de Vaux qui par sa ciuilité & courtoifie rendit les Sauuages si affectionnés, qu’ils demandoyent instamment qu’on menast dans leur Prouince vne Colonie de François, pour les garentir de leurs ennemis, & les inftruire aux mœurs de ceux de l’Europe & principalement en la Religion eftant apres cela retourné en France, raconta par le menu au Chrestienne. De Roi Henri le Grand le desir des Sauuages, les conditions du païs & fes remarquables richeflés: Or le Roi, pour apprendre plus au vrai le tout, enuoya le Sieur de la Rauerdiere & de Vaux vers l'Isle de Maragnan, promettant de fournir tout ce qui seroit necessaire pour cette Colonie, si la chose estoit ainsi, comme il auoit rapporté. La

I


561 OCCIDENTALES LIVRE. XVI. La Rauerdiere obeïssant aussi tost au mandement du Roi, alla dans le Maragnan, où ayant demeuré six mois entiers, apres auoir diligemment confideré le tout, retourna en France ; mais ce grand Roi ayant efté tué par vn horrible parricide ; on cefla de pourfuiure iusques à l’an CIC ICC XI, auquel temps la Ratierdiere apres auoir fait compagnie auec le Sieur de Rassilly, & puis auec le Baron de Sanfy, se prepara pour faire le voyage,ayant obtenu de la Royne Mere quatre Capucins,l’vn defquels eftoit Claude d'Abbeuille, à qui nous deuons ce discours. Il fit voile puis apres du port de Cancale en Bretagne, le dix neufieme de Mars l’an de Christ cio CIϽIϽC XII trois nauires ; mais par vne tempeste contraire il fut reietté io dans le port de Pleymouth en Angleterre,où il demeura iufques au vingt troifieme d’Auril ; apres estant fauorisé d'n bon vent, il passa le septieme de May entre Fortauenture & la grande Canarie ; &: le onzieme du mefme il eut la veuë de Rio deloro au Continent de l'Afrique, qu’il costoya puis apres iusques presque sous la ligne ; laquelle ayant defia passee & quatre degrés au delà le dix feptieme de Iuin, il tourna voile vers l'Ouest & le vingt troifieme du mefme mois il aborda l’Isle de Fernand de Noronha ; où il seiourna iufques au huictième de Iuillet : le onzieme du mefme mois ils virent la terre ferme du Brasil, & fur le midy ils entrerent dans la baye de Moucouru ; d'où fuiuant la cofte ils tirerent vers le Cap de la Torouë, comme ils le nomment, à deux degrés & vingt fcrupules au Sud de la ligne. zo Ils demeurerent là à l’anchre iufques au vingt quatrieme de Iuillet, & le vingt fixieme ils atteignirent Fille de S. Anne, & enfin ils aborderent dans Fille mefme de Maragnan ; où ils commencerent vne forteresse, fur vn lieu fort commode ; fçauoir sur vne haute colinc aupres du principal port de cette Isle,entre deux riuieres, qui ayant rafé le

pié de ce costau fortent dans la baye ; ils placerent dans la forterefie vingt & deuxpielui donnerent le nom de S. Louys. ces de canon

Cependant que les soldats bastissent ce Fort, les Capucins s’employèrent à instruire les Sauuages aux principes de la Religion Chrestienne, & en baptizerent quelquesvns : Claude d'Abbeuille s’en retournant puis apres en France, emmena auec foi quelques Sauuages, qui furent baptizés publiquement à Paris auec grande solemnité. $0 Or les François ne tindrent pas long temps cette Isle, mais il est allés notoire qu’ils en furent chafles parles Portugais,toutesfois ie ne trouue pas bien comment ils en ont esté mis hors : Il semble que cela est aduenu l’an CIϽIϽ XVI, auquel temps Hierome Albuquerque Gouuerneur de Pernambuco enuoya vne forte armee nauale pour subiuguer ces Prouinces : icelui estant entré au mois d'Octobre dans la riuiere de Pareia ( laquelle nous auons dit ci-dessus ouurir l'emboucheure Orientale de la baye de Maranhaon ) il fit venir à soi les Portugais, qui auoyent basti vn peu auparauant la ville de Nuestra Sennora del Rosario fur le riuage d’icelle, & leur perfuada de fe tranfporter là : Ie ne fçai pas ce qui fe pafla par apres entre les François & les Portugais ; il est assés euident qu’ils en furent despossedés & que les Portugais y sont maintenant placés & s'y sont 40 merueilleusement bien eftablis,comme nous dirons bien tofi:. Les François s’estoyent aussi ioincts auec les Sauuages, qui habitent la montagne d’Ybouyapap, mais ils en furent aussi chassés auec les Sauuages en la mesme façon par les Portugais. Or cette montagne se dresse fort haut proche de la riuiere de Camouji, de sorte qu'à peine peut-on monter en quatre heures de temps du pié iufques à la cime, le sommet d’icelle est estendu en vne large & fort belle plaine, laquelle a de long XXIV lieuë, & de large vingt, qui est arrousee, comme l’on dit, de plusieurs fontaines, & : mesmes de quelques petites riuieres, où il y a de fort bon poisson, estant en outre diuifee par vne agreable varieté en campagnes & champs, & en bocages fombres : de forte que, comme les lo François asseurent, elle eftoit pour lors fort peuplee de Sauuages, & on y contoit plus de deux cents villages. Les mesmes racontent, qu’il y a vne autre montagne proche de la precedente & plus petite qu’elle, qui eftoit nommee dés Sauuages Cotiouas, où il y auoit fix ou sept Villages. Bbbb

CHAP.


DESCRIPTION DES INDES

562

CHAP. Situation du

Maranhaon,

XIX.

& des lieux que les Portugais y possedent.

Y dessus nous auons defcrit la cofte de ce BrasilSeptentrional, selon les obseruations des Portugais,iufques à la riuiere de Perea, ou à la premiere entree du Maranhaon du costé du Leuant ; or elle eft diftante de la ligne vers le Sud de deux degrés & cinq fcrupules,comme ie trouue qu’il a esté remarqué par vn diligent Pilote, qui voyagea en ces quartiers auec le Capitaine Alexandre de Maira l'an CIϽIϽC XV IϽc xv. En outre on va de l'emboucheure de cette riuiere de Perea vers l'Isle de S. Anne, laquel- [O le n’a pas plus d’vne bonne lieue de tour. Or ceux qui ont enuie d’aller au Fort de S. Louys, recognoissent premierement le Cap de Tapouytapere ,puis apres ils retournent vers la petite Isle, dans laquelle eft situé le Fort que les Portugais ont pris fur les François: & delà vers vne autre forteresse que les Portugais ont baftie nommees S. Francisco. On met le port de S.Louys fur la hauteur de deux degrés & xx fcrup.au Sud de la ligne. Enfin, comme i ai remarqué d’vne Charte marine exactement faite, le Gouuerneur ou la Capitanie du Maranhaon est comme s’enfuit ; ayant passé l’emboucheure de la riuiere de Pereia, montant la riuiere on rencontre à la riue de main gauche le Fort de S. Iago, que les Portugais y ont bafti fur vne petite ance ; vis à vis duquel il y a plu- 10 sieurs petites Isles dans vne fpacieufe baye ou emboucheure, tant de cette riuiere, que de quelques autres petites, qui y descendent de la terre ferme. Ayant pafle au dehors de ces Isles ( ailes loin vers la mer, afin d’esuiter les baffes qui s’auance des Isles ) on rencontre vne autre emboucheure ou vn canal, comme ils le nomment,sortant de la baye de Maranhaon par deux petites Iiles longues : eftant entré dans ce canal on trouue à la main gauche leFort de S.Marie aussi bafti par les Portugais, & vn peu au dessus du mesme costé,l’emboucheure de la riuiere de Monin ; & puis apres celle de Tapocouron à prefque trois’degrés vers le Sud de la ligne, dés laquelle la cofte Ce courbe comme vn coude vers l'Oueft ( car iufques là elle a prefque couru droit au Sud ) iufques à l’emboucheure de la grande riuiere de Meary ; d’où la cofte retourne vers le Nord iusques au Cap de Tapuyotapere, faisant vn long tour en demi cercle. Or au milieu est situee la grande lsle de Maragnan, emplissant prefque cette baye, estenduë en long du Sud au Nord, feparee de la terre ferme ici de peu & là de beaucoup de lieues ; & au milieu de l’Isle s’enfonce vne baye du costé de l’Ouest, à l'entree de laquelle est la petite Isle de S.Louys ; & au fond de la baye, prefque au milieu de te grande Isle est situee la forteresse de S. Francisco, comme aussi celle de S. Louys ; & plusieurs bourgades,entre lesquelles les plus renommees font celle de S. Andrépresque fur la pointe Septentrionale de l'Isle, & celle de S. Iago vers le Sud. Les Portugais ont aussi marque dans cette Charte,que les François font monté autresfois avec des canoas, la riuiere de Tapourcouru iusques au cinquième degré vers le Sud de la ligne,où cette riuiere semble en receuoir vne autre defcendant de deuers te Sud-est : & la grande riuiere de Meary, qui vient du Sud* ouest, iusques au VIII degré.

C

CHAP.

XX.

Reste de la coste de la Continente depuis Maranhaon iusques à

Para.

V Cap de Tapuyotapere courant la cofte assés auant en mer,pource qu’elle est baftfe & pleine de bancs, on rencontre à enuiron dix lieuës, premierement te port Aippe ; duquel iusques à l'Isles de Camara ils content deux lieuës, & d’icelle iufques à celle de Supat-uueautant delà à l’Isle Blanca ou de S. Iuan, quatre, cette-ci est diftante de la ligne vers le Sud d’vn degré & douze fcrupules. Suit apres à six lieues delà la riuiere d'Ambli & plus outre Vacatapui, Camarapuce : & la coste s’encline plus vers le Nord-ouest, iusques à ce qu’on vienne à vne pointe de la terre ferme,qui n’est qu a vu demi degré seulemet vers le Sud de la ligne ; d’où derec la cofte fe tourne vers le Sud-ouest, ou prefque vers le Sud, & ouure vne grande baye, vn canal qui va au dedans de la Continente, & en fin mene à vne Isle, laquelle

D

l'emboucheure


563 OCCIDENTALES. LIVRE XVI. l'emboucheure de la riuiere de sol, & plus outre à vn port qui eft diftant de la ligne d’vn degré & trente scrupules vers le Sud. Dans cette exacte Charte de laquelle nous auons fait mention ci-dessus , les lieux qui font entre le Cap de Tapuyotapere, & cette pointe qui fe tourne vers le Sud, sont designés du tout d’autres noms, lesquels ie reciterai ci-apres. Cette pointe est appellee Punta separata, laquelle eftant doublee, courant la coste qui est à la main gauche, on rencontre premierement cette riuiere de Sol, puis apres la longue Isle dos Bandeiras, & plus outre vne autre pointe de terre dite Punta do mel, de laquelle on passe à vne autre mousse pointe de terre,sur laquelle eft bafti le Fort de Para,lequel eft maintenant conIQ té par olyueira entre les Gouuernements que les Portugais tiennent au Brasil. Ce Fort de Para eft d’vne forme quarree bafti au bord d’vne riuiere ( laquelle eft large en cet endroit d’enuiron deux lieues, de à quelques quinze brasses de profond au milieu de son canal, & sous le Fort mesme dix) sur vn rocher releué de quatre ou cinq braffes par dessus le refte du terroir : du cofté de la riuiere, il n’eft feulement enuironné de gabions, entre lefquels il y a force pieces de canon placees,les autres coftés font munis d'vne muraille de pierre, haute de deux brasses auec vn fossé sec ; on dit qu’il y demeure enuiron trois cents Portugais,qui s’exercent à planter du tabac, à cultiuer des cannes de fucre & à cueillir du cotton. A vn petit efpace de ce Fort vers le Sud,sort de la Continente vne riuiere que cette 20 Charte nomme Capin : de à enuiron neuf ou dix lieues plus vers le Sud, eft la grande riuiere de Mogu, qui defcend de la Prouice de los Tapaios ; si ce n’eft que d’auanture ce foit vne branche de la grande riuiere des Amazones-, ce qui semble fort vrai semblable : car les Portugais qui demeurent à Para es annees precedentes ont quelquesfois attaqué à la despourueuë nos gens dans cette riuiere, & y ont explané les Forts qu’ils auoyent commencés d’y bastir, & en ont emmenés quelques-vns prisonniers, desquels nous auons appris cette telle quelle cognoissance de ce Gouuernement de Para. Finalement, les Sauuages qui habitent là fe difent eftre de la nation des Toupinambas, qui obeïssent à contre cœur aux Portugais. Mais auant que de finir, nous reciterons briesuement felon cette Charte les lieux 3 o qui font entre la pointe de Tapoutapere de le Cap de Para. Apres la Prouince de Comma pourfuiuant vers l'Ouest enuiron vingt cinq lieuës ( tout lequel efpace la coste est bordee de bancs de de quelques petites Mes ) on rencontre vne baye, qui entre dans la Continente quelques lieuës, & fe nomme Commauassou ; d’icelle iufques à la riuiere de Camaiamu il y a cinq lieues $ & plus outre iufques à la riuiere Ioroque, quinze : or la terre qui eft entre deux eft appellee des Portugais Costa Alagoada, de la quantité des eftangs de marais qui y font. De la riuiere d'Ioroque, laquelle defcend de fort loin au dedans du païs ; iusques à la riuiere de Paraguacoten, il y a presque vingt cinq lieues, de le pais d’entre-deux eft nommé Costa Bara. Apres Paraguacoten fuit la riuiere de Surianame, de l’espace de l’vn à l’autre eft 4o de huict ou neuf lieues : fuit apres la riuiere Surama, à presque autant d’espace : de laquelle iufques à Itata, il y a enuiron onze lieuës, & d'Itata à la petite riuiere de Nama, il y a quatre ou cinq lieues. Enfin de la riuiere de Nama iufques au Cap que nous auons dit s’appeller Punta separata on conte enuiron neuf lieuës ; au deuant d’icelui vers le Nord-ouest, il y a vne certaine petite Me qu ils nomment Isla de Area.

Bbbb

2

DESCRIPTION


564

DESCRIPTION

DES INDES OCCIDENTALES, LIVRE DIX-SEPTIEME.

GVAIANE. INTRODVCTION. V Liure precedent nom auons acbeué la description du Brasil Septentrional, auons visité toute la coste iufques à Para, que les Portugais content auiourd'hui entre les Gouuernements, qu'ils poffedent en cette partie de l'Amérique Meridionale ; combien que les limites du

Brasil ne sesont iamais auparauant estendues iusques-là, mais finissoyentselon la Bulle du Pape de Rome, & l'accord fait du depuis entre les Rois de Castille de Portugal, au Maranhaon. Au reste les regions qui suivent apres sont fort peu cognuës d'au dedans de la Contïnente ; mais elles ont esté és annees precedentes fort visitees, le longçr la cofle de la mer & des riuages des fleuues, par les Anglois par nos Belges comme il arriue d'ordinaire appellees de sidiuers noms, qu'il est fouuent fort difficile de 10 iuger s'ils parlent des mesmes rivieres & regions ou de diuerses& nom douent beaucoup de peine a en distinguer les noms, & à les donnera chaques lieux conuenablement : toutefois nom mettrons peine, autant qu'il sera possible, d'esclaircir toutes ces difficultés au Liure suivant. Nom ne nous soucions pas beaucoup du nom commun de ces Prouinces, car combien qu'il semble qu«’Herrera appelle cette partie de l'Amérique Meridionale, depuis l'Isle de Margarita yers le Leuant & iusques au Maranhaon, Noua Andaluzia ou le Gouuernement de la Serpa, l'estenduë iusques à trois cents lieues ; dans lesquels il escrit que sont compris les peuples si renommés en ces quartiers Oma-

gas & Omigas,

au dedans du païs l'opulent Royaume el Dorado ; toutesfois qu’il est encore auiourd'hui dou- 10 pource que ces noms font desia abolis de longtemps 20 teux, si el Dorado subsite en la nature des choses ou non, à tout le moins les Espagnols autres le cherchent encore auec doute: Nous appellerons toute cette fuite de terre, depuis Para, que nom auons acheué au Liure precedent , iufques d Paria , dont nom parlerons au suiuant , du nom auiourdhui le plus cognu , Guaiana, ou Coste Sauuage , comme les noflres ont coustume aussi de l’appeller : & nous la diuiferons en trois parties, en la riuiere des Amazones, comme on la nomme communement àpresent, Guaianeproprement dite, laquelle embraffe plusieurs rivieres qui y sortent de la Continente en la mer du Nord, entre ladite riuiere des Amazones l’Oronoque ; enfin en l’Oronoque mesme, car par ce moyen on verra plus facilement & la situation des regions & leurs distinctions. Il y en a d'autres qui appellent cette partie Wiana, mais ces noms, comme ils different peu entreu eux, aussi n'apporteront-ils nulle obscurité en cette description à ceux qui en seront aduertis.

PREMIA*




GVAIANA fiue Provinciæ intra RIO DE LAS AMAZONAS

atque RIO DE YVIAPARI fiue ORINOOVE



DESCRIPT. DES INDES OCCIDENT. LIV. XVII. PREMIERE

565

PARTIE

ou RIVIERE DES AMAZONES ou D’ORELLAN. CHAP.

I.

Expedition de François de Orellana, qu'on estime auoir le premier descouuert & visité cette riuiere.

VANT que d’entreprendre la description de cette riuiere, nous auons estimé fort à propos de rememorer cette noble expedition, qui a donné l’occasion de trouuer premierement cette riuiere, selon qu’Antoine Herrera la laissee à la memoire. Apres que Belalcazar eut subiugué Popaian, & qu’il resolu de descouurir les autres Prouinces voisines, il lui tomba entre mains vn certain Sauuage estranger,qui fe difoit estre de la Prouince de Cundirumarca, io laquelle abondoit en beaucoup d’or & autres richesfes,de forte que les habitans d’icelle faisoyent la guerre armés de lames d’or : d’où vient que les Espagnols nommerent ces Prouinces, que ce Sauuage designoit, el Dorado ; cela arrriua l’an, CIϽ IϽ xxxv. Or GonSaue Pizarre l’an CIϽ IϽ XL ayant receu de son frere François le Gouuernement de la Prouince de Quito, desirant vniquement de defcouurir & subiuguer cette Prouince d’elDorado, amassa vne troupe competente de soldats, & fit son Lieutenant François d'Orellana. Par apres il passa de la Prouince de Quito dans celle de los Quixos,monta auec grande difficulté les fommets neigeux & rudes des Andes, & descendit dans la vallee de Zumaque à trente lieues de Quito ; & delà estant destourio né dans Canela, comme il n’y eut rien trouué qui meritast vne telle entreprise, il retourna derechef dans Zumaque, & dans Ampua qui l’aduoisine : de laquelle eftans partis, ayans trauersé la riuiere, ils arriuerent à vn village que les Sauuages appelloyent Varco. Ils commençoyent desia à auoir disette de viures,& il se trouuoit fort peu de blé parmi ces Sauuages,voila pourquoi ne sçachant ce qu’ils deuoyent le premier faire, ils battirent vne chaloupe: & enuoyerent Orellana auec icelle & quelques canoas pour chercher des viures : icelui donc descendant à val de la riuiere, & faisant tous les iours vingt ou vingt cinq lieuës (car la riuiere couroit allés roide, à cause de plusieurs riuieres qui y entroyent à droite & à gauche) il fut vn temps fans trouuer perfonne; enfin le huictieme de Ianuier de l’an CIϽ IϽ XLI rencontra vn village, les habitans duquel abon3o doyent en viures & en carquans d’or, qu’il prit sans peine. Orellana puis apres ( soit qu’il ne voulust pas, ou qu’il ne peut retourner à son Gouuerneur,qu’il auoit laissé destitué de toutes chofes & fur tout de viures ) commença de bastir en ce lieu vne autre chaloupe,resolu de descendre plus outre la riuiere. Au commencement de Feburier l'avant aucunement parfaite, il fit vingt lieuës ; & en cet endroit il ne courut pas vn petit danger, car fes chaloupes furent prefque renuerfees par vne fort rapide riuiere, qui descendoit du Sud dedans l’autre : de laquelle descendant plus bas deux cents lieuës,il ne trouua en tout cet espace nulles maifons ni aucune apparence d’y auoir perfonne; enfin il arriua en vne contree habitee, & à vn village, le Cassique duquel se nommoit Aparia, qui les receut fort humainement, leur fit present 4o de perroquets,de perdris & de poisson ; & les aduertit de fe garder soigneusement des Amazones, qu’ils deuoyent trouuer en leur chemin : les Sauuages les nommoyent en leur langage Comapuyaras. Apres auoir chargé en ce lieu dans leurs chaloupes des viures & autres chofes necessaires, ils partirent le XXIV v d’Auril, & ayans descendu enuiron L x x x lieues,ils tomberent derechef dans ces Prouinces spacieuses & defertes ; & & les bords de la riuiere estoyent en cet endroit si hauts&droits,qu’ils nepouuoyent defeendre à terre nulle part. Enfin le douzieme de May ils atteignirent la Prouince Bbbb 5 de


DESCRIPTION DES INDES 566 de de Machiparo fort peuplee, les limites de laquelle attouchoyent Vne autre de qui le Cassique s’appelloit Aomagua. : ils furent là fatigués des Sauuages, qui les suiuirent deux iours auec leurs canoas, finalement ils aborderent à vn village rempli de toutes fortes de viures,où ils entrerent fans peine, pource que les habitans s’en estoyent fuis ; Il y auoit plufieurs fentiers assés batus, qui menoyent d’icelui en diuers quartiers, de forte qu’il apparoissoit assés que cette Prouince estoit fort peuplee & bien cultiuee : & ayant en ce lieu conté leur chemin, trouuerent qu’ils auoyent desia descendu depuis Aparia enuiron ccc XL lieues. Partans delà le Dimanche d'apres la feste de l’Afcenfion,ils pafierent à enuiron deux lieuës de ce village,vne autre riuiere,à l’emboucheure de laquelle il y auoit trois 10 petites Isles, qui fut caufe qu’ils la nommerent Rio de la Trinidad : cette contree leur sembla fort belle & fertile, & mesme beaucoup peuplee, car il venoit tant de canoas à eux, qu’ils furent contraints de se tenir loin des riuages au milieu de la riuiere, craignans les Sauuages. Le lendemain ils entrerent dans vn village qui eftoit fur le riuage sans que les Sauuages les empeschassent ; dans lequel ils trouuerent beaucoup de viures, & des vaisseaux de terre cuite, gentiment peints & plombés de diuerfes couleurs ; defquels les Sauuages disoyent qu’il s’en trouuoit par tout en ces quartiers en grande quantité,comme aussi beaucoup d’or & d’argent. Il y auoit deux fentiers qui alloyent de ce village dans le païs, mais il ne trouua pas bon de le visiter à caufe du petit nombre de ses gens, & de la multitude des Sauuages : 20 voila pourquoi fuiant le milieu de la riuiere,apres auoir defeendu enuiron cent lieues, ils arriuerent dans vne Prouince de laquelle le Cassique fe nommoit Pagnana : duquel ils furent humainement receus, ils virent là beaucoup de ces brebis, que nous auons dit ci-dessus eftre fort communes dans le Peruj & ayans passé vn autre village de la mesme Prouince,ils vindrent dans vne autre Prouince, de laquelle ils furent repoussés par les habitans,& prindrent par force des viures. Eftans partis delà,ils rencontrerent vne riuiere, qui descendant de la main gauche, vomissoit dans l’autre fes eaux noires ( qui fut caufe qu’ils la nommerent Rio Negro) d’vne telle furie, quelle conferuoit fon courant & sa couleur presque vingt lieues : ils virent là plufieurs petits villages fur les riuages, dont ils en prirent quelques-vns pour 30 en enleuer des viures ; ainfi ayans passé par diuerfes Prouinces & plufieurs villages, ils arriuerent enfin dans la Prouince des Amazones,comme vn certain Sauuage qu’ils auoyent pris asseuroit, toutesfois ils ne defcendirent point à terre auant le feptieme de Iuin ; auquel iour ils entrerent dans vn village,où ils ne trouuerent que des femmes,& les hommes retournerent feulement furie loir,comme eftans desia chargés de viures ils s’en retournoyent à leurs chaloupes : par apres ils vindrent dans vn autre village, qu’ils nommerent de las Picotas, pource qu’il y auoit fept telles d’hommes embrochees dans des paux : d’icelui fortoyent plusieurs chemins paués de pierres, couuerts d’vn collé & d’autre de beaux arbres : toute cette region fembloit estre fort peuplee & bien cultiuee. Puis apres ils arriuerent à vne Isle qui estaoit dans la riuiere, au dessous de laquelle ils s’arresterent quelque peu,où ils furent aduertis par vne femme qu’ils y rencontrerent, qu’au dedans du païs il y auoit des hommes femblables aux Espagnols, & qu’il y auoit deux femmes blanches qui demeuroyent chés vn certain Cassique, lequel les auoit emmenees d’amont la riuiere : ce qui les fit foupçonner que Diego de Ordas ou Alfonfe de Herrera auoyent passé par là, ( il fera parlé ci-apres de leurs voyages.) Estans partis de cette Isle, ils pourfuiuirent plus outre, & combien qu’ils vissent plufieurs villages sur le riuage, ils ne defeendirent nulle part, non pas mefme au village, par où cette femme asseuroit qu’on pouuoit aller à ces Estrangers ; iufques à ce qu’ils arriuerent dans vne bourgade,dans laquelle ils ne trouuerent pas feulement beaucoup de Mays, mais 5050 ausside l’orge,semblable à celle de l’Europe, de laquelle on difoit que les Sauuages faifoyent leurs boisson : ils y virent aufii beaucoup d’estoffes de cotton, & vn Temple dans lequel les Sauuages pendoyent leurs armes ; & deux mitres Epifcopales gentiment faites de diuers plumages. Le vingt deuxieme de Iuin ils virent plufieurs villages fur la riue de main gauche,ou ils furent empeschés de defcendre par le grand courant. Peu apres ayans double vne certaine


OCCIDENTALES. LIVRE XVII. 567 certaine pointe de terre,ils virent encore beaucoup plus de villages & les habitans en armes,pour chasser ces Estrangers, entre lesquels ils virent quelques femmes,fort grandes,ayans les cheueux longs, & la peau blanche qui menoyent d'vn grand courage les hommes aux combat : les Efpagnols creurent que c’estoyent les Amazones, defquelles ils auoyent auparauant ouy vn bruit incertain ; ce qui n’eft pas vn assés ferme argument, comme Herrera dit à propos, car ce n’eftoit point chose nouuelle ni effrange de voir en ces quartiers de l'Amerique des femmes & des filles fe ietter parmi les coups auec les hommes & combatre vaillamment contre leurs ennemis, dequoi les exemples font communs parmi les Autheurs Efpagnols. Toutesfois ce nom a demeuré pour cette io cause à la riuiere, combien qu’on n’aye iusques ici rien appris de ces Amazones, non pas mesmes ceux qui ont monté cette riuiere quelques centaines de lieues haut. Apres ils paflerent outre plufieurs villages fort peuplés qui eftoyent à la main droite,par les habitans defquels ils furent chassés,sans qu’ils osassent descendre à terre nulle part. Ils nommerent cette Prouince de S. Iuan,pource qu’ils y arriuerent ce jour de feste e : Or elle estoit fort plaisante, bien cultiuee, & grandement fertile selon qu’ils pouuoyent iuger de loin ; les montagnes qui s’y dressoyent ci & là, estoyent couuertes de force arbres verds, fur tout de hauts chefnes; la terre eftoit pour la plus grand part haute & campagneuse, & fort propre à la chasse ; enfin elle s’estendoit cent lieues ou enuiron par tout couuerte au bords de la riuiere de force villages. Z O Delà fuiuans presque tousiours le milieu de la riuiere, ils tomberent entre plufieurs Isles,hautes, fertiles &pleinesd’habitans, qui s’approchans des Efpagnols auec leurs piragues (ainsi nommoyent-ils leurs canoas ) les tiroyent à coups de fleches : il leur sembla que la plus grande de ces Isles auoit bien de long cinquante lieuës. Là ils se reposerent quelque peu à l’ombre d’vn bois, & Orellana ayant pris quelque Sauuage, il eut plufieurs propos auec lui, par le moyen d’vn vocabulaire qu’il auoit fait peu à peu en chemin : cestui-ci contoit merueilles de la richesse & puissance des Amazones, car il difoit quelles possedoyent beaucoup d’or & d’argent, & sur tout qu’il y auoit en leurs terres quatre Temples, desquels le paué & les murailles eftoyent couuerts de lames d’or ; que les maifons communes eftoyent bafties de pierres; les villes ceintes de mu°3 railles , & telles autres choses que ceux qui sçauent que c’est de ces regions croiront difficilement. Partans de cette Isle, ils virent que le riuage de la main gauche estoit vne terre haute, fort belle & fournie de villages,prefque c lieuës d’espace : & ce Sauuage difoit que cette Prouince si spacieuse obeïssoit à vn Cassique nommé Carapuna, qui possedoit beaucoup d’argent ; & que les habitans de ces quartiers fe feruoyent de fleches enuenimees ; & ils commencerent là de sentir la maree. Il arriuerent plus outre à vne autre Prouince, fur laquelle commandoit Chipago ; toufiours attaqués des Sauuages,de forte que deux dentr’eux furent tués. Voyans que toute la contree de la main droite estoit si fort peuplee, & ayans esprou40> ue que les habitans leurs eftoyent fi mauuais,ils paflerent à la riue de main gauche, où il n'y auoit nuls villages, combien qu’il fut assés manifefte par indices asseurés qu’il y auoit beaucoup de Sauuages qui demeuroyent au dedans du pais. Delà continuansplus outre,ils trouuerent que la Continente eftoit plus basse & rencontrerent beaucoup d’Isles, de forte qu’ils ne peurent plus apres cela attaindre la terre ferme, combien que comme il leur fembloit, ils eussent nauigé entre ces Iftes presque deux cents lieuës,& trouuerent que la maree estoit forte en tout cet espace. Enfin ayans quelque peu feiourné aupres de l’emboutheure de la riuiere, & y ayans raccommodé leurs chaloupes, ils se mirent en mer passans entre deux Isles feparees de quatre lieuës l'vne de l’autre le vingt fixieme d’Aouft l’an CIϽ IϽ XLI. Et coftoyans la 5050 coste de la terre ferme le neufieme iour d’apres, ils arriuerent dans le golfe de Varia ; lequel ayans trauerfé en fept iours, & passé par le deftroit qu’ils appellent las Bocas del Drago (d ont nous parlerons ci-apres )l’onzieme de Septembre ils arriuerent à Cubagua. Or ayans fait conte de leur chemin, ils eftimerent qu’ils auoyent fait en defcendant le long de cette riuiere enuiron mille & huict cents lieuës. CHAP.


DESCRIPTION

568

CHAP.

DES

INDES

II.

Seconde expedition de Francisco de Orellana vers cette grande riuiere.

qu' Orellana eut descouuert en cette maniere ce grand fleuue, il s’en alla au plus ville en Espagne ; de raconta à l’Empereur Charles le Quint Roi d'Espagne, tout ce qu'il auoit veu par ordres & qu’elles grandes richesses on pouuoit sans faute esperer des Prouinces voifines: Etimpetra facilement d’icelui,permiiIion a lui seul d' aller dans cette riuiere, &de pouuoir subiuguer ces Prouinces & les adioindre à la Couronne de Castille : toutesfois il n’entreprit son voyage que l’an CIϽ IϽ x LIX ; io auquel temps il partit auec trois nauires du port de l'onzieme de May, & alla à Tenerisse l'vne des Canaries , où il feiourna trois mois, de deux au dessous s du Cap Verd au Continent de l'Afrique : ayant cependant perdu nonante de huict de fes gens par diuerfes maladies, & enuiron cinquante qu’il auoit laissés, estimés impropres à la nauigation : or en paflant la mer de l’Afrique au Brasil, il rencontra des vents fort contraires, de forte qu’ils fuflent tous morts de soif, fi les pluyes ne les eussent fecouru ; de vn de fes nauires où il y auoit feptante hommes de onze cheuaux s’estant fubmergé ou rompu en quelque lieu ( car on ne sçait qu’il est deuenu )il arriua auec les autres deux a laContinente proche des bancs de S.Roch. Et delà courant le long de la colle de l’Amerique Meridionale, & estant passé enuiron cent lieues outre la riuiere de Maran- lO haon ; à vn demi degré de la ligne vers le Sud à enuiron douze lieuës de la terre,ils trouvuerent de l’eau douce en la haute mer, de forte qu' Orellana asseuroit constamment que cette grande riuiere qu’il cherchoit portoit son courant iusques-là. Estans entré dans la riuiere, ils descendirent à deux Isles fort peuplees de Sauuages, defquels ils traiterent des viures pour quelques marchandises : ayans mōté la riuiere quelque c lieues auec les deux nauires, ils moüillerent l’anchre aupres d’vn village de Sauuages,où il y auoit fort peu de viures : de voyant qu’il auoit perdu cinquante fept de fes gens, & que ceux qui restoyent n’estoyent pas suffisans pour la maneuure des deux nauires, il commença en ce lieu de bastir vne barque ( de demolir l’autre navire pour fe feruir des ferrailles ) qu’il acheuale troisieme mois. Il monta par apres la riuiere vingt lieues, & rompit là l’autre nauire, des planches duquel il fit vne autre barque,que trente hommes acheuerent à peine en deux mois & demi. Orellana cependant monta la riuiere auec la premiere fuste,cherchant diligemment & auec grand desir le principal canal de cette riuiere, mais n’ayant rien fait de remarquable estant retourné vers fes gens,il y retourna derechef, commandant que fi tost que leur fufte seroit paracheuee,ils le suiuissent vers la pointe de S. Iean. Les Espagnols obeïssans à leur Chef, la fuste estant faite & ayant recouuert des viures, monterent la riuiere iusques à l'Isle de Marribuique, de plus outre à Tille de Caritan, au dessus de laquelle enuiron trente lieues la riuiere fe diuisoit en trois branches, qui fe reioignoyent derechef en vne,de forte qu'elle estoit large en cet endroit d’enui- 4° ron douze lieues. Mais se voyans beaucoup diminués de nombre & destitués de toutes chofes, ils ne trouuerent pas bon de monter plus haut ; voila pourquoi descendans la riuiere, ils mirent pié à terre ferme à enuiron quarante lieues de l’emboucheure de la riuiere, comme ils pensoyent, sur vne terre asses esleuee ; les Sauuages disoyent que ce lieu s’appelloit Comao; où ils trouuerent des viures à vil prix. Et là, selon que Herrera d it,il y eut cent Efpagnols qui s’y placerent, attirés par la bonté & beauté du païs ( ce qui n’est pourtant nullement vrai semblable, car qui croirait, qu’apres tant de gens morts de diuerses maladies, il leur en restast encore tant, ou qu’vne barque en peuft porter,& que les autres ellans sortis hors de la riuiere fuiuans la colle de la Continente,arriuerent enfin à l’Isle de Margarita ; de que là ils trouuerent la vesue d’Orella- )° na, qui asseuroit que son mari eftoit mort de tristesse dans la riuiere, de ce qu'il auoit desia cherché en vain par deux fois le principal canal, de auoit consommé ces moyens en vn fi inutile dessein. Voila quelles furent les deux expeditions d'Orellana ; desquelles certes on ne peut tirer grande lumiere pour la Geographie, pource qu’on n’y trouue aucunes hauteurs obseruees, ni la constitution des lieux remarquee, comme la chofe requeroit. Seulement PRES

Â


OCCIDENTALES LIVRE. XVII. 569 Seulement i’eftime qu’il appert parindices assés manifestes, qu’Orellana est descendu cette riuiere de laquelle nous traitons maintenant, & qu’il y eft retourné pour la seconde fois,de forte qu a bon droit elle doit encore eftre appellee de fon nom. Pierre de Orfua suiuit Orellana, mais ce fut vn fort long temps apres, fçauoir l’an CIϽIϽID LX , comme escrit Iuan de Castellanos, du voyage duquel Iofeph Acosta fait mention en cette maniere : le Capitaine Pedro de Orfua ( dit-il ) entreprit vn autre voyage le long de cette riuiere (or il parle de la riuiere des combien que par vne erreur familiere illanomme aussi Marannon ) & eftant mort, les autres Capitaines pourfuiuirent,bien que les soldats fe mutinaftent,iufques à ce qu’ils arriuerent à la mer 10 du Nord. Il y a vn Religieux ( dit-il ) de noftre Société,qui ma raconté,qu'il auoit efté à ce voyage eftant encore seculier ; & qu’il auoit trouué que la maree montoit cent lieues haut dans la riuiere, & quand la riuiere commence à fe mesler dans la mer,qui est fous la ligne mesme ou enuiron, son emboucheure eft large de septante lieuës, ce qui n’eft pas croyable, & excede la largeur de la mer Mediterranee : veu que d’autres en leurs defcriptions ne lui donnent feulement que xxv ou xxx lieuës ; voila ce qu’il en dit. VValther Raleg fait mention de ce voyage en la description de Guiane ; & efcrit que de Orfua estant parti de Quito entra par la riuiere d'Oia dans celle des Amazones ;& qu’il fut tué par Agio Biscayen. Lopez Vaz fait aussi mention du mefme. le ne trouue pas qu’apres cela aucun Espagnol ait visité cette riuiere,où qu’on ait 10 eftayé de mener aucune Colonie dans ces Prouinces,de forte qu’il n’eft point parlé du tout de cette riuiere dans Herrera & autres Autheurs Espagnols, au moins que i'aye veu ; le seulLopezVaz,le Commentaire duquel a efté imprimé en Anglois,efcrit qu’vn certain Portugais la essayé,mais fans aucun bon fucces, & qu’il ne monta la riuiere que quelques lieuës, fans y auoir remarqué chose de merite. Or apres l’an CIϽ IϽC xv XV les Portugais commencerent de fe placer fur les riuages de Para, qui eft fans doute vne branche de cette grande riuiere, comme nous auons dit ci-dessus, & peut eftre prendront dessein fur le refte, s’ils ne font empeschés des Anglois & de nos Belges. Mais retournons maintenant à la description de la riuiere. 3o

CHAP.

III.

Description de la grande riuiere des Amazones selon les obseruations des Anglois & des Belges.

tres-grande riuiere, qu’on penfe eftre appellee des Sauuages Tobo, ou mefme Para (comme ils ont couftume de nommer presque toutes les grandes riuieres,les lacs & la mer mefme du nom de Para ) eft communement nommee des Efpagnols Rio de S. Iuan de las Amazones ; & par fois Orellan de celui qui la premiere descouuerte ; combien qu’ils attribuent aussi ce nom à l’Oronoque, comme on peut 4o voir en diuers lieux dans Iofeph Acosta & Antoine Herrera, par la mefme erreur que celle laquelle nous auons ci-dessus descouuerte en la description du Marannon. Tous les Autheurs qui ont fait mention de cette riuiere, donnent vne fort grande largeur de fon emboucheure, prenant l’efpace d’vn Cap à l’autre, les vns lui baillans cinquante lieues,les autres foixante,d’autres encore plus: combien que ceux de noftre natiō, qui ont nauigé de son Cap Oriental, le long duquel pafte Para,iusques à la nue de main droite d’icelle riuiere y en ayent trouué beaucoup moins, de sorte qu’il faut que l'emboucheure en soit plus estroite ; toutesfois puis qu’il eft manifefte que la latitude de l’vn & de l’autre Cap differe beaucoup, & que l’Oriental eft à enuiron demi degré de la ligne vers le Sud, & l’Occidental à deux degrés d’icelle vers le Nord ; on pourra Jo aifement accommoder enfemble l’vne & l’autre opinion ; car ceux qui lui donnent la plus grande largeur, femblent la mefurer d’Vn Cap à l’autre, & ceux qui la font plus eftroite fuiuent la droite ligne du Cap Oriental à la riue opposite. On conte aussi merueilles,principalement les Efpagnols,du grand courant de cette riuiere,& de l’abondance des eaux qu’elle descharge dans l’Ocean, qui fait qu'elle garde fon cours entre les ondes de la mer beaucoup de lieuës,& qu’on y puife de l’eau douce & bonne à boire fort loin hors de fon emboucheure : ce que l’experience a fait voir Cccc eftre

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DESCRIPTION DES INDES estre tres-vrai ; mais il faut didinguer entre les faifons de l'annee, car aux mois des pluyes, lors que cette riuiere ed fort enslee de l’abondance des eaux qui y defcendent des montagnes, il est fort vrai femblable que cela fe fait. Harcourt Anglois, qui a diligemment vifité ces contrees, raconte en sa description de Guiane, que le neufieme de May il a trouué le courant de cette riuiere à trente milles de la terre,& y a puisé de l’eau aussi bonne à boire,que fi elle fust forti d'une fontaine: & ayant fondé le fond il trouua trente brasses fond de fable: or le lendemain la couleur de l’eau commença à fe changer & à deuenir plus trouble & espoisse, la mer ayant treize brades & derechef dix sept : enfin l'onzieme ils virent la terre à l’Ouest : Le mesme a edé remarqué par 10 d au tres. Ceux de nodre nation qui ont frequente cette riuiere pour y trafiquer il y a desia plusieurs annees, & qui l’ont diligemment remarquee,selon leur coustume,asseurent, qu’on n’y peut point entrer plus aisement & auec moins de danger, qu’en passant à la coste du Brasil Septentrional & outre du Marannon, & delà venir chercher la hauteur d’vn degré & demi de la ligne vers le Nord, puis courir vers l'Ouest, afin d’esuiter plus aifement le grand courant de la riuiere ; Or à cette hauteur on trouuera quarante ou trente brasses de fond sablonneux, & peu à peu la profondeur de l’eau diminuant vingt & enfin douze ou moins, on trouvera là l’eau aussi salee qu’en pleine mer, puis apres on fera voile vn iour entier fur vne profondeur prefque toufiours egale de cinq ou quatre brasses ; mais quand la mer devient plus profonde, & accroist les bras- 20 ses iufques à huict ou neuf, on commence à voir la terre de loin, & peu à peu l’eau deuient douce comme celle de riuiere est d’ordinaire. Or à cette hauteur on ne recognoid la terre ferme par quelque marque particuliere, caria terre est presque par tout egale, & couverte d'arbres ; la code est enduẽ du Sud-est au Nord-ouest ; que si quelqu’vn arrive là au temps des pluyes, il doit bien prendre garde de ne moüiller l’anchre furies bancs, iufques à ce qu’il puidé prendre la hauteur de iour ou de nuict. Or on ne peut en façon quelconque prescrire la maniere pour entrer dans cette riuiere,pource que les bancs de fable y changent fort fouuent,de forte que le plus seur moyen ed de fonder le fond. La Continente qui borde cette riuiere deuers l’Occident, avance en mer vn grand 30 Cap fur la hauteur des deux degrés de la ligne vers le Nord; lequel ed nommé par d’aucuns Capo Race, par d’autres Cap de Nord, & par ceux de nodre nation de Noord Caep ; d'icelui il y a vn grand banc qui s’estend quelques lieues en mer ; sur lequel comme aussi au Cap mesme la mer brise furieusement, de sorte que ceux qui sont contraints de moüiller l’anchreaupres,ont besoin d’avoir bon chable & bonne anchre. En outre de ce Cap fuiuant la code de la terre ferme, on rencontre premierement à environ neuf lieuës Arewari, qui n’est pas tant riuiere que branche d’une riuiere ou canal,coupant le Cap auec vne grande partie de la Continente ; de forte que ceux qui fans y penser ont passé ce Cap, peuvent codoyant par ce canal entrer dans la riuiere : Or l’emboucheure Septentrionale d'icelui ed à vn degré & trente fcrupules de la. 40 ligne vers le Nord & entre premierement droit vers le Sud, puis apres vers le Sud- est, d’où il fe tourne comme vn coude & enfin fort vers l’Est-nord-est. Aenuiron deux lieues au dessous del'emboucheure de ce canal s’avance une pointe de la Continente, qu’on nomme Arrepoco. D'Arrewary jusques à la plus Septentrionale Isle (l’une de celles qui font en grand nombre dans la spacieuse emboucheure de cette riviere d’une rive à l’autre) on conte deux lieues,cette-ci ed appellee de quelques-uns Kaluarie, par d’autres Arrepoco, & mefme autrement. D’icelle iufques à Sapno ou Sapcnou, qui ed à la rive de main droite de la riuiere, ils content quatorze lieues, & à cinquante fcrupules de la ligne vers le Nord,comme ie 50 trouve qu’il a edé exactement remarqué par ceux de nodre nation : or avant que de venir à Sapno, on trouve une petite riuiere qui fort de la Continente, laquelle on nomme VVeywey : Sapno est vne petite Isle, situee dans vne baye demi-circulaire, qui entre dans la Continente,dans laquelle fortent deux petites riuieres,celle d’au dessous de l’Isle se nomme Arrowas,celle d’au dessus Paricores, aux bords de laquelle habitent des Sauvages. Enfin vis à vis vers le costé gauche de la riviere ed l’Isle d’Arrowen.

570

Or


OCCIDENTALES. LIVRE XVII. 571 Or au cofté droit de la riviere fuit peu d’espace apres le village de Matarem, & plus au dedans de la terre ferme Roakery & Anarcaprock. Et au cofté gauche, qui est tout couvertd’Isles, l’Isle de Sapanapoock ; & Matiam fous la ligne mesme : & à presque à vn demi degré de la ligne vers le Sud fille de Corropokery, ou, comme d’autres là nomment Corpecari. A la Continente vis à vis de Corropokery ils marquent un canal ou vne petite riviere qu’ils nomment Tockes Kille. De ce lieu montant la riuiere, on rencontre à prefque un degré de la ligne vers le Sud vne branche de riviere, qui descend vers le Nord-est entre plusieurs Isles, où vers le cofté Oriental de la riuiere fe voyent Aropoya, Corpoppy 10 & Capitan ; ou comme d’autres les nomment VVayecorpap, Mannetibi & Corpappi. Et vn peu apres du mefme cofté vn peu dessus Aropoyan fuit Matorion, & presque sur la hauteur d'un degré de cinquante scrupules du Pole du Sud un village de Sauvages nommé Huaman ; & à deux degrés de vingt scrupules de la ligne un autre village des Sauuages appelles VVomians. D’autres marquent au cofté droit la riuiere Cogemymne ou Coyminne, d’où montant la riuiere on rencontre beaucoup de petites Isles, des baffes de des rochers, enfin un sault qui empesche de monter cette riuiere plus haut, de forte que c’est une choie toute certaine que ce n’est pas la principale branche de cette riviere. Ceux qui ont plus exactement visité la coste de la Continente, asseurent, que Mlle 20 de Sapno a enuiron vne lieuë de large, & qu’elle est placee entre les deux rivieres de VFeypo de Matiana ; de que delà la coste s’estend vers le Levant jusques à une pointe de terre qu’ils nomment VVetaly, à vne lieue de laquelle vers le Levant est situee fille de d’icelle à environ deux lieues & demie vers le Sud commence l'Isle d' Arowan, au deuant de vis à vis de la pointe Meridionale de laquelle eft à la Continente le lieu que ceux de noftre nation nomment VVater-huys ; la riviere eft entre les deux large de prefque deux lieues. De cette pointe VVater-huys, jusques au Cap rouge ils content quatre lieues; vis à vis duquel à cofté gauche il y a quatre Isles basses de prefque aussi rases que l’eau, de au milieu du canal vne Isle longue que les nostres nomment Cocos Eyland. Du Cap rouge la cofte s’encline vne lieue de demie vers l’Ouest, auquel lieu il y a 30 une Isle au deuant de la Continente longue d’une lieue, separee de la terre ferme par vn canal fort profond, mais qui n’a que cent pas feulement de large, ceux de noftre nation nomment ce canal Appelrack : cette Isle comme aussi la Continente eft la premiere terre haute, qu'on rencontre en montant cette riuiere. Vis à vis de ce canal à quelque vne lieue d’intervalle, commence au cofté Oriental de la riviere l'Isle de Sapenopoko. Plus outre à la coste de la Continente, ou au rivage de main droite de la riviere eft Callepoke, de peu apres vne Ille laquelle eft ceinte d’une riuiere qui descend dans la grande de deuers l’Oueft, de eft appellee Brest ; de vn peu plus outre le torrent de Taurege, fur lequel eft fitué au dedans de la terre ferme le village de Taurege ; fuit 40 apres la mefme rive la riuiere d’Okiari, au dessus de laquelle il y a au dedans de la Continente trois villages de Sauuages. Les Anglois de ceux de noftre nation fe font beaucoup peinés pour trouver la principale branche de cette riviere ; & enfin ils l'ont trouvee, comme j’ai appris de gens dignes de foi : Or elle defeend de devers le Sud-oueft, profonde & nullement incommodee de bancs; mais ils celent soigneusement l’endroit où elle sort & par qu'elles marques on la peut cognoiftre. Je me souvien auoir ouy, il y a quelque temps, d’vn certain Anglois digne de foi, qu’il avoit monté le principal canal de cette riuiere vers l’Occident iufques à trois cent lieuës, de qu’il eftoit paffé dans vn grand lac, l’eau duquel eftoit parfaitement verde, & n’eftoit pas bonne à boire, & qu’il auoit veu en che50 min vne bourgade de Sauvages, dans laquelle il y auoit deux ou trois cents maisons de enuiron mille perfonnes.

Cccc 2

CHAP.


572

DESCRIPTION CHAP.

DES

INDES

IV.

Qualités de l’aïr & de la terre de cette Continente & des Isles, les fruicts & habitans d'icelle.

L

E s Regions qui advoisinent cette grande riviere, jouïssent d’un aïr assés sain : mais la terre n’est pas par tout fem blable, car ici on en trouve de sablonneuse & infertile, & là de fertile & abondante en toutes sortes de fruicts. Il y a beaucoup de forefts dans lesquelles fe trouuent toutes fortes d’arbres, tels que ceux que nous avons dit eftre familiers dans cette Continente, combien que les Sauuages les nom- 10 ment autrement. Entre les arbres fruidiers on en celebre un, duquel je ne trouue pas qu’on face mention ailleurs, que les Sauuages appellent Ademonie Totocke le fruid Totocke (il faut noter qu'Ademonie signifie parmi eux arbre:) Or c’est un grand arbre & fort branchu ; avec de grandes fueilles (& qui ne font pas fort dissemblables de celles de l’ormeau) d’un verd brun, si ce n’eft que la partie qui approche de la queue semble eftre un peu plus blanchastre ; il ne porte nulles fleurs, mais de certains bourgeons qui ne different de rien en couleur des fueilles, lesquels grossissent peu à peu & produifent vn gros fruit par fois aussi gros que la teste d’un homme, predque rond, & un peu plat fur la partie de devant d'une escaille ligneuse, dure & fort efpaifle, par dehors rayee, fie pleine de bosses,d’une couleur brune fit: presque noire : Il eft diuifé par dedans comme en 20 six parties par de certains entre-deux ; en chacune desquelles font enfermees huict, dix fit par fois douze noix fort preflees ensemble ; qui font chacune couverte d’une escaille ligneuse, dure fit:afles espoisse & de diuerfes formes, la pluspart toutesfois font triangulaires & cauees d’vn collé,avec trois coutures, fort raboteuses fit: rudes, moins toutesfois que l’efcaille de dehors, longues de trois poulces fit larges d vn fit: demi, de couleur roufle & quelquesfois cendree ou brune : dans icelles il y a vn long noyau,qui les remplit entierement comme fait celui de l’amende,couvert d'une petite peau rougeastre,d’une chair blanche,ferme,& vn peu huileuse : le goust semble approcher plus des noifettes que des amendes,toutefois il peut fort bien servir en toutes chofes au lieu d’icelles,mesme pour en faire des marsepains, comme ceux de nostre nation ont re- 30 marqué.Les Sauuages lui donnent la vertu d’exciter Venus,fit: ont coustume d’vfer de ce ProverbePingue Secke in succuwe pingean Totocke, c'est à dire, si tu desire Venus, mange du fruict de Totocke. Le fameux Charles de l'Ecluse fait mention du dedans de la noix dans ses Exotiques, & en donne en quelque façon la figure, quanta nous nous l’auons fait despeindre exactement au naturel, de la mesme grosseur,longueur & forme qu’il eftoit, qui eft toutesfois fort differente,selon que les noix ont efté preflees dans leurs celules. Pource que les arbres qui portent,40 ce fruid font extremement hauts, & le fruid fort pefant fit dur; lors qu’ils font meurs les Sauuages n’osent entrer dans les forests sans avoir la telle couuerte de quelque rondache ou autre telle couuerture,car fi ces fruits en tombant leurs casseroyent la telle comme feroitvn cailloux. Il y croift aufli dans les forests un arbre qui porte des noix du tout sem-50 blables à celles des muscades, & qui ont vne certaine vertu aromatique, mais debile fit laquelle se passe aussi tost. J’ai receu d’un homme de nostre nation un fort beau fruict, qu’il difoit croistre là sur des arbres sauvages, desquels il ne pouvoit


OCCIDENTALES. LIVRE XVII. 573 pouvoit pas bien expliquer comme les fueilles estoyent, voila pourquoi nous auons seulemẽt fait mettre le fruict ici depeint au naturel de la grosseur qu’il estoit. Ce fruict avoit vue efcaille ligneuse, par dehors raboteufe de plusieurs boissettes, fort bien formé & comme composé de deux boules coniointes de couleur brune ou cendree, qui estoyent dedans separees par vn entre-deux ligneux en deux rondes celules,chacune desquelles contenoit vn noyau rond, mais vn peu plat du 10 costé qu’il attouchoit l’entredeux, couuerts auffi de leur efcaille ligneuse , mais plus tendre, de couleur par dedans pourprine ou violette; le noyau estoit vuide par dedans, la matiere en estoit comme celle des galles, mais plus fpongieufe. Il s’y trouue en outre di20 vers arbres,d’un bois fort dur & de belles couleurs : plusieurs auffi qui rendent des refines & de la gomme. Il y naist en plusieurs lieux des cannes de fucre. De l’herbe nommeepite abondammet, de laquelle nous auons fait mention ailleurs. Il n’y a pas faute de pierreni de metaux,& d’autres chofes pour trafiquer, desquelles nous traiterons plus à ries 30 plein en la seconde partie de ce Liure. Les Sauuages qui habitent la Continente font principalement de la nation qu’on nomme Yoas' ; d'un bon naturel : au dedans du païs il y en a d’autres qui y demeurent, notamment des Arwacques, item les Cockcttuway, Pattecui, Tockianes & Arytianes, enfin les Comoes & VVackehanes. Aufquels d’autres adioustent les Maraons, qui habitoyent Sapno, VVeyrvey, Anewyan, Quarian & VVetaly : Et les Arowians, qui possedoyent les autres Isles, touchant lefquels quelqu un de nostre nation a remarqué, qu’ils portoyent de longs cheveux comme les femmes ; & estime que delà principalement soit venu l’opinion des Amazones, ce qui certe n’est pas esloigné de raifon. Celui-là seroit trompé qui penseroit trouver les mefines nations dans leurs ordinai40 res demeures,car outre qu’ils changent souvent pourpeu de suiet,depuis que les Portugais ont esté de Para dans ces quartiers,il s’y est fait vn tel changement, que lors que les nostres y arriverent l’an cIͻ Iͻc XXIX, ici ils ne trouvoyent perfonne, & là des Sauuages du tout autres. Quanta leurs mœurs,coustumes 6c langages, nous en parlerons ailleurs, car les mœurs des Sauuages font prefque semblables en toute cette coste, toutesfois les langages font differents, comme l’on pourra voir par la collation que nous en ferons ci-apres. CHAP. V. 50

Brief discours des choses que les Belges ont faites en ces quartiers.

A

VANT que de mettre fin à cette partie, il ne sera point hors de propos de ramentevoir les chofes que nos Belges ont faites en ces quartiers. Car nos Belges qui habitent les Provinces-unies, ayans esté par un rigoureux Edict fait par le Roi d’Espagne, interdits de trafiquer en fes terres, commencerent d’entreprendre des nauigatiôs loingtaines, & fur tout vers ces quartiers de l’Amerique Cccc 3

Meridionale,


DESCRIPTION

574

DES

INDES

Méridionale, qui n’avoyent point encore esté touchés par les Espagnols & Portugais. Voila pourquoi l’an cIͻ Iͻ XCVIII & mesme auparavant, les Marchands d’Amstelodam & autres, esquiperent leurs navires pour aller vers ces costes, afin d’establir un trafique auec les Sauuages qui y habitent ; l’un d’iceux ayant l’an susdit couru toute la coste depuis le Brasil Septentrional, & passé outre le Maranhaon & mesme atteind le Cap de la grande riuiere des Amazones, qu'ils auoyent resolu de visiter, tout à coup & contre fon estime il fie trouua assés loin de la coste comme enfermé entre des basses & bancs de fable; voila pourquoi ne sçachant que faire, avant qu’il trouvast vne issuë pour sortir de ce danger,il se resolut de vifiter la Continente prochaine, & principalement une riviere qui se defchargeoit là dans la mer par vne large emboucheure ; pour 10 cet effect estans approché plus pres de terre auec leur pinasse, ils trouverent que toute la code de la terre ferme edoit derriere vn bas Cap, baffe & aussi rafe que la mer, & en beaucoup d’endroits couverte de la maree ; en outre si couverte de ces arbres de Manguas jusques dedans la mer,qu’on ne pouuoit ou fort difficilement entrer dans la terre: Delà faifans voile plus auant,ils rencontrerent vne riviere, laquelle descendoit de detiers l’Est dans la grande; où edans entrés ils la visiterent tout à fait, & trouverent qu’au dedans du pais elle s’edendoit en plufieurs recoins ou peut edre en autant de branches,seulement peu de lieues nauigables ; mais comme ils n y trouverent rien de remarquable,ou à tout le moins nul bois de Brasil, qu’ils cherchoyent principalement lors,ils retournerent à leur navire sans avoir rien fait ; & nommerent cette riviere des 20 lierons, du grand nombre qu’ils y auoyent veu : que ie croiestre la mesme que celle fur laquelle les Portugais ont du depuis basti le Fort de Para : Or ils apprirent des Sauvages que cette contree de la Continente estoit par eux nommee Marapa ; du depuis ils ne firent rien de confequence, fi cen’est qu’ils vifiterent de loin vne ou deux de ces Ides qui font vers l’Oued de cette riuiere des Herons, & separent la spacieuse emboucheure de cegrand fleuve des Amazones en plusieurs branches, fans qu’ils pouffent les visiter tout à fait à caufe des badës. Il y en eut d’autres qui les annees passees d’apres entreprirent d'aller visiter aussi cette grande riuiere des Amazones,en quoi fur tout principalement parut le labeur & l’industrie des Zelandois, de forte qu’ils ne craignirent point de mener des Colonies aux 30 bords de cette riviere & d’y badir deux Forts, l’un nommé de Nassau dans Coyminne, qui est comme vne Isle feparee du rede de la Continente par une edroite branche de la riuiere prefque vingt lieues ; or ce Fortedoit didant de l’emboucheure de la riuiere des Amazones d’environ LXXX lieuës. L’autre qu’ils nommerent d'Orange à environ sept lieues au dessous du premier. Enfin autour des deux ils s’estoyent employés de tout leur pouuoir à cultiver les champs & à trafiquer avec les Sauuages. Apres cela comme les tres-Illustres & Puissans Seigneurs, Messieurs les Edats generaux des Prouinces-vnies des Pays-baseurent concedé la navigation vers l’une l’autre Amerique à vne certaine Compagnie, excluans tous leurs autres subiets, excepté ceux qui s’estoyent escrits fous cette Compagnie : Il y en eut d’autres qui fous les 40 aufpices & permission d’icelle y enuoyerent des Colonies, & y badirent en diuers endroits des Forteresses. Les Anglois & Hyrlandois firent aufli le mefme prefque en mefme temps. Mais tant eux que nos gens ayans edé inopinement attaqués & chassés par les Portugais venans de Para, y ont souffert de grandes pertes; pour lesquelles recompenser, & se vanger des iniures receuës, ils se preparent avec plus grand effort de pourfuiure ce qu’ils avoyent commencé. CHAP.

VI.

Coste de cette Continente, & les rivieres qui sortent d'icelle depuis la grande riuiere des Amazones iusques à celle de Wiapoco.

E

50

STANT sorti hors de l’emboucheure de la riviere des Amazones, & ayant doublé son Cap Occidental, on rencontre courant le long de la code vers l’Ouest, premierement une Isle, qui ed à deux degrés & XLV scrupules au Nord de

la ligne, que les nodres nomment communement Conÿnen-Eyland, c’est à dire, Isle des connils. De


OCCIDENTALES. LIVRE XVII. 575 De cette Isle jusques à Crabbebooren, ou comme d’autres veulent Caaripapooren, ils content XXX lieuës vers l'Ouest: par lequel nom ils designent ou plusieurs Isles separees par des canaux estroits, ou la Continente couuerte en plusieurs endroits de la maree, & entrecoupee de lacs & eftangs;à deux degrés & vingt cinq scrupules de la ligne vers le Nord. J’ai appris d’vn certain Belge, qui s’estoit fauué à la nage d’un navire, lequel avoit esté rompu à cette coste, & avoit vescu parmi les Sauvages prefque huictans, que cette partie de la Continente est pour la plus grande part couuerte de la maree lors qu'elle est haute, & que les Sauvages qui y habitent viuent principalement de poisson, n’ayans prefque nul grain ni autres vivres : toutesfois ils ont quantité de certains fruicts 10 de palmites, d’un assés bon goust, dequoi ils se servent au lieu de pain. Entre ce lieu & la riviere de VViapoco fortent de la Continente quelques petites rivieres, où ne peuvẽt entrer que des barques à maree haute, & à maree balle elles sont prefque bouchees. Or les Autheurs varient quelque peu en la designation de leurs noms : Harcourt Anglois apres Arrawary, dont nous auons parlé ci-dessus, nommee Micary, Conawini & Cassipurough ; Laurens Keymis aussi Anglois,met Iwaripoco, Maipari, Coanawini, & Caspurough d’autres leurs donnent d’autres noms, mais peu differents des precedents. Il n’y aura point de mal d’ouïr Harcourt mesme, qui en la description de Guiane discourt en cette maniere : le bras Occidental de la riuiere des Amazones eft appelle Arrapoco, le long duquel il y a plusieurs habitations de Sauuages. D'Arrapaco vers le 20 Nord fort Arrawary, fort belle riuiere, & qui traverse une tres-belle contree. Depuis Arrawary jusques à la riuiere de Cassiopurough s eftant la Prouince d’Arricary, comprenant les possessions des Arrawary, Maicary & Cooshebery, sur lefquels commande Anakyary de la nation des Yaios,qui ayant efté chassé des Provinces situees le long de l'Oronoque, par les Efpagnols, desquels il eft ennemi mortel, se transporta dans cette Prouince auec ses gens, & s’habitua à Mooruga dans la Prouince de Miaicary. Vers le Nord-eft de cette Province sort en mer la riuiere de Conawini, où se terminent les limites du quartier des Cooshebery , le Cassique duquel se nomme Leonard Ragapo, vasal d’Anakiary ; qui fut emmené en Angleterre par Ralegh, où il fut baptizé, d’où vient qu'il leur est fort ami, & sçait aucunement leur langage. Au refte sejournant quelque 30 temps dans VViapoco, & ayant appris des Sauuages, qu’en la Province de ce Cassique il s’y trouua certaines pierres precieufes, qu’on eftimoit vulgairement eftre diamans ; j’y enuoyai mon cousin Fisher, pour descouvrir plus à plein la verité de cette affaire & m’apporter de ces pierres : Icelui ayant efté fort humainement receu de ce Leonard, obtint facilement de lui des Sauuages, pour le mener au lieu, où on difoit que ces pierres fe trouuoyent,qui eftoit à enuiron cinquante lieues au dedans de la Continente. Il vit en chemin vne fort haute montagne qu’ils nomment Coweb,au sommet de laquelle les Sauuages difent qu’il y a vn lac où il fe nourrit de fort bon poisson : & le reste du pais apparoissoit eftre fort fertile & beau.Mais ces pierres n’estoient point des diamans, ains vne forte de Topases, qui eftant bien polies ne cedoyent par fois rien en lustre 40 aux diamans : toutesfois il y a bonne apparence d’y trouuer aussi des diamans, veu qu’aux Indes on dit que les Topases fe trouuent dans les mesmes veines que les diamans. Voila ce qu’il en dit. Ces pierres fe trouuent auffi ailleurs le long de cette coste, defquelles nous en auons veuës plufîeurs & en auons fait tailler, mais elles ne font nullement à comparer ni en dureté ni en luftre aux Topases de l’Orient; car elles ont vn lustre de laid & trouble,& ne font nullement si tranfparans que les autres. Ceux de nostre nation placent le long de cette coste Arikary à deux degrés & vingt fept fcrupules au Nord de la ligne. Et à quatre lieuës & demie delà vers le Nord-ouest Carsewinnen ou Cassewinin, à deux degrés & trente quatre scrupules de la ligne. Quelqu’un des nostres qui a diligemment visité cette coste ; conte du Cap de Noord premierement jusques à la riuiere de Makary enuiron onze lieuës, delà xIII iufques à 50 l’emboucheure de celle de clapepouri (comme il la nomme) à trois degrés & LV fcrupules de la ligne vers le Nord, puis d’icelle onze jusques à la riviere de Cassipoure, fur trois degrés & cinquante cinq scrupules au Nord de la ligne ; de Cassipoure à la ri« uiere de VViapoco douze lieues. prefque demi-lieuë de large dans de soit Cassipoure la riuiere que combien En outre son emboucheure, toutefois à peine a-elle cinq piés de profond à demi descente : elle descend


DESCRIPTION DES INDES descend des marais ; les Arracosys habitent sa rive de main gauche ; & au dessus d’iceux vers clapepoure se tiennent les Mays, ennemis de tous les Sauvages de la coste, & qui font grandement redoutés d’iceux, & non fans cause, car ils font hardis guerriers, & qui mefprifent les dangers voire la mort mesme : Car (comme j’ai appris de quelqu’un des nostres qui avoit efté à une entreprise à la priere des Arracosys avec six ou fept autres Chrestiens) ils craignoyent si peu les mousquets de nos gens, que plufleurs dentr’eux en ayans efté desia tués, fix d’iceux oferent s’approcher à la longueur d’vne lance, & apres que cinq eurent efté mis bas, le sixieme qui auoit une Cuisse coupee d’vne balle ramee, se defendit iufques à la derniere goutte de fon sang, De la riuiere de Cassipoure (comme Harcourt escrit) vers celle d'Arracouw, & plus 10 outre au dedans de la Continente jusques à la riviere d'Arwy (qui descend dans VViapoco au dessous du sault) sont situees les Prouinces des Arracoris & des Morounias ; qui ne font pas moins belles & fertiles que celles des Cooshebery. La Province d'Arracooria eft fort peuplee,elle obeïssoit lors àvn Cassique nommé Ispero. Or combien que les Arracoris & ceux de VViapoco semblent estre amis, & ne se facent la guerre les uns les autres,toutesfois ils ont quelque rancune entr’eux. Morounia est aussi habitee de beaucoup de Sauvages, qui sont estimés sur tous humains envers les Estrangers ; presque au milieu d’icelle il y a une haute montagne de formee par la nature en forme de pyramide,du haut de laquelle il y a vne belle perfpe20 ctive de tous costés sur le païs qui est au dessous. Apres Morounia fuit vers le Sud de vers le rivage de la riviere d’Arwy, une autre Prouince qu’ils nommeut Norrack , les habitans de laquelle font Caribes, & ennemis des Morounias de de ceux de VViapoco ; car ces deux nations, comme aufli plufieurs autres Sauvages le long de la coste, font subiets d'Anakyari, grand Prince des Yaos, lesquels occupent toute la coste jusques à la riviere d’Essequebe (de laquelle nous parlerons ci-apres.) Jusques ici nous avons parlé des regious de Provinces que nous donnons à cette grande riviere des Amazones.

576

L'AVTRE

PARTIE. 30

WIAPOCO. CHAP.

VII.

Description de la riuiere de Wiapoco & autres prochaines, & des Prouinces qui l'aduoisinent. E Cap qui barre vers l’Orient la baye, dans laquelle la riviere de VViacopo & autres petites se deschargent, est distant de la ligne de IV degrés & trente scrupules vers le Nord ; il est appelle maintenant des Anglois Cabo de Conde, d’autresfois Cabe Cecil; mais par ceux de nostre nation Cape d'Orange, & souvent Cabo de Noord. 40 Ce Cap estant doublé, la terre ferme fe courbe vers le Sud ; & là sort la riviere d’Arracouw, large dans fon emboucheure prefque de demi-lieuë, descendant de fort loin d’au dedans du pais & de la Prouince des Arracosys, qui estans amis des Yaos, ont guerre continuelle à l’encontre des Mays. Or Arracoa reçoit d’autres rivieres à droite & à gauche ; & entre autres Arcohile que ceux de noftre nation visiterent l’an cIͻIͻc, & y eftans montés enuiron deux lieues, ils en trouuerent vne autre qu’on nomme Ycoripe ; & trois lieues plus loin une troisieme nommee des Sauvages Tamine, qui est bien profonde,mais fi coye, qu’il semble qu’elle ne court point du tout; delà montans quatre lieuës plus haut, ils rencontrerent un village de Sauvages appellé Sapyten, & au trauers des forests & d’un marais profond ils passerent à vn autre dit Awarapatan. Or Har- 50 court escrit qu’au dedans de la Continente descend dans Aracoa la riuiere VVats, de laquelle nous n'avons rien appris dauantage. A enuiron une demi-lieuë plus vers le Sud sort la riuiere de VViapoco, à quatre degrés & trente scrupules au Nord de la ligne; or elle se descharge dans une baye large d’environ trois lieuës (comme aussi celle de de VVainari) ayant une emboucheure d'environ une lieuë de large & presque deux brasses de profond, mais au dedans elle n a pas

L

plus


OCCIDENTALES LIVRE. XVII. 577 plus de fept ou huict piés, & plus haut encore beaucoup moins ; ses rivages font marescageux prefque trois lieues loin ; & puis s’approchent l’un de l’autre si fort, qu'à peine a-elle cent pas de large : plus haut elle se precipite d’un sault entre des rochers qui sont au dessous, de forte qu’on ne peut monter plus haut auec des chaloupes, si ce n’eft d’auanture au mois d’Aoust ; or ce sault eft diftant de l' emboucheure d’environ feize lieues. Un peu au dessus du sault, la riviere d’Arwy, de laquelle nous avons fait ci-devant mention,entre dans VViapoco. Or la terre qui advoisine les rivages de cette riviere, est sur toutes fort propre au tabac, de forte qu’il y croist par fois estimee fort fertile 10 haut de neuf piés ou plus: les cannes de sucre y viennent de leur nature: comme aussi les arbrisseaux qui portent le cotton & cette teinture, qu’on nomme vulgairement Orellan. Il s’y trouve un grand nombre de cerfs, de pourceaux ; & au dessus du sault il y a aussi force vaches sauvages ; comme les nostres les nomment, mais cet animal est appelle des Sauvages Moire, assés semblable à nos vaches, si ce n’eft qu’il n’a pas des cornes : au reste ces rivieres sont fort poissonneuses, & nourrissent entre autres de fort gros Manatis. Il y en a qui disent que cette region eft fort mal saine & incommodee d’vn mauvais aïr, mais Harcourt le nie, par une raifon qui n’eft pas impertinente ; car y ayant l’an cIͻIͻc VIII laide trente de sesgens auec fon frere , lesquels y demeurerent trois ans 20 dans vn village nommé des Sauuages Caripo, situé au bord de la baye mesme sur un coftau pierreux, d’un fort difficile acces, à cause des bocages & rochers droits & entrecoupés dont il eft prefque ceinct de toutes parts : tout ce temps il n’en mourut que six dentr’eux, & cela par diverses infortunes plustost que par maladies. Ceux de noftre nation,qui y ont habité auant les Anglois, asseurent le mesme, & estiment que l’aïr y est plustost sain, pource qu’on y a veu les malades qui y venoyent d’ailleurs s'y porter aussi tost bien. Les Sauuages qui habitent les riuages de cetre riviere & la Continente voisine, font pour la plus grande part Yaios Maraons ; les uns & les autres assiés courtois & benins : les Yaios se tiennent autour de l’emboucheute de la riuiere & le long de la cofte iufques 30 à Commaribo ; & les Maraons au dedans du païs jusques au sault de la riuiere & mefme au dessus : il y a auffi quelque peu d’Arwacas,r, notamment entre VVaymari & Commaribo qui demeurent fur vne haute montagne que les Sauvages nomment Massoure. Or tous ces Sauuages vont entierement nuds,combien qu’ils ne refusent pas les habits ; quand on leurs en donne : ils fe plaifent fur tout à la pesche, & pour cet effet ils fe feruent d’vne certaine forte de bois, qu’ils nomment Ayauw, d’une fort mauuaife odeur ; & qui estant jetté dans l’eau enyure tellement le poisson , qu’il fe laifle prendre à la main. Au lieu de blé ils usent de Cassaue ; duquel ils font aussi leur breuuage en le mafchant à la façon des Brasiliens, dont ils boivent beaucoup & jusques à s’enyurer, vice fort familier à ces nations : ils nomment ce breuuage Pernou, lequel ils font de Cassaue premierement rofti 40 & presque bruslé, puis apres mafché & boüilli, & enfin passé par vne corbeille d’osier ; de sorte qu’il est clair,& prefque de mesme couleur que la biere de Lubec ; mais il se garde fort peu. Ils sont estrangement tourmentés des Niguas & non moins des moucherõs. Harcourt raconte qu’à enuiron trois journees de chemin par dessus le fault de la riviere,habitent d’autres Sauuages Caribes de nation ( qu’ils nomment Maranshewaccas) qui ont des oreilles fort grandes & comme monstrueuses, s’il eft permis d’adioufter foi au rapport des Sauvages : qui difent de plus que ces Sauuages ont entr’eux vne Idole, qu’ils honorent grandement, c’est l’effigie d’vn homme affis fur fes talons, tenant les genoux escarquillés, sur lefquels font appuyés les coudes, avec les mains esleusees, & les paulmes renversees, au reste les yeux esleués au Ciel, & la bouche ouverte. Ceux de noftre nation font mention d’vne autre nation de Sauvages, qu’ils nom50 ment Nourakes,qui demeurent enuiron foixante lieues au dessusl’emboucheure de la riviere de VViapoco, lesquels cultivent force cotton, duquel ils font des Amackas ou licts pendans assés industrieusement, qu’ils vendent aux autres Sauuages moins diligens qu'eux ; ils recueillent aussi beaucoup d'Orellan : ces Sauuages jouïssent d’un aïr beaucoup plus sain que ceux qui demeurent pres du rivage. Il fe trouue dans leur Prouince de certaines pierres, qui approchent en couleur des rubis, que nous nommons balais. Dddd

CHAP.


578

DESCRIPTION CHAP.

DES

INDES

VIII.

De beaucoup de choses qui ont esté remarquees par ceux de nostre nation dans cette riuiere, & des petites riuieres qui l'advoisinent, principalement d’Apurwaka.

J

’AI appris de ceux de nostre nation qui ont diligemment visité la riviere de VViapoco, que son emboucheure est profonde de XIV ou XV piés ; & que pour y entrer il

faut costoyer la rive de main gauche jusques où la riviere monte droit au Sud : lors il faut courir droit vers vne terre haute : & qu’aussi toft on vient a une riviere, qui venant de l’Ouest gueres loin d’au dedans des terres, tombe dans cette-ci, & laquelle ne 10 peut porter que des canoas: or aux riuages d’icelle habitent des Arwacas dans trois villages, qui s’employent à la culture de la terre. Plus outre il y a sur l’un & sur l’autre riuage beaucoup de villages, & quelques petits ruisseaux qui y fortent. Plus vers le Nord-oueft de VViapoco descend la riuiere de VVinipoco où ne peuvent entrer que des chaloupes: il y en a qui n’en font qu’une branche de la grande, ce qui semble plus vrai semblable. Aux bords de cette-ci demeurent des Arwacas ; il s'y trouve beaucoup de tigres ; & si grand nombre de moucherons, qu’on n’y peut presque dormir nuict ne jour. A trois lieues de remboucheure de VViapoco vers le Nord ouest, il y a une montagne au bord de la baye, qu’ils nomment communement Gomeriba ou Commaribo, le terroir 20 de laquelle est extremement estimé à cause de sa fertilité remarquable, par ceux de noftre nation , qui y ont demeuré quelque temps : Les mesmes affleurent que ça efté autresfois vne Isle, separee par un petit canal de la terre ferme, mais qu’à present, ce canal eftant bouché & comblé de fable,elle eft coniointe auec la terre ferme. Orentre la derniere pointe de la riviere & la montagne dont nous parlions à cette heure,sort la riuiere de VVainary ;que d’autres nient eftre vne riuiere, pource qu’il semble quelle n ait point de source, & qu’à quelques lieues au dedans de la terre ferme elle court droit à l'Ouest, de sorte qu’en vne journee de chemin on en atteind le bout. Dés VVainary commencent de hautes montagnes, qui s’estendent vers le Nord & Nord-ouest, courant jusques à Apurwaka, de laquelle nous allons parler: or on dit que 30 la terre des penchans & vallees de ces montagnes est fertile, qui porte d’excellent tabac, est propre sur toute pour y planter des cottonniers. A enuiron cinq lieues de la baye de VViapoco, & de Commaribo vers le Nord-ouest, la riuiere d'Apurwaka fort en mer, appellee par d’autres Caperwaka ; que Harcourt dit eftre fort peuplee de Sauuages ; mais Laurens Keymis qui accompagna Ralegh en ses voyages,affirme au contraire, qu’estant entré dans icelle & l’ayant montee environ XL lieues, il n’y trouva aucun Sauvage (ce qui n’eft point estrange ni hors de la couftume de ces quartiers,car les Sauuages font accoustumés à changer souvent de demeures,de forte qu’aux mefmes lieux on en trouve quelquesfois beaucoup, par fois peu ; & aucunesfois nuls) mais qu’au pié d’une certaine montagne,ils avoyent coupé autant de bois 40 de Brasil, que leur chaloupe peut porter. Et qu’il s’y trouue aussi beaucoup d’arbres, dont l’efcorce approchoit de la canelle,tels que nous auons dit qu’il en croift en grand nombre fur les riuages du Deftroit de Magallan. Il faut que cette riuiere foit large, selon là delineation assés exacte que i’en ai veuë, il y a aussi dans fon emboucheure quelques petites Isles ; elle reçoit en outre quelques petites rivieres & torrents d’vn costé & d’autre; on dit que fa pointe la plus auancee en mer est à quatre degrés & XXIV scrupules au Nord de la ligne, fon canal monte premierement vers le Sud-est, & delà il se courbe comme vn coude vers le Sud-oueft. Ceux de noftre nation qui ont efté dans cette riuiere l’an cIͻ Iͻ XCVIII,affirment, que dans son emboucheure il y a vne petite Isle longue, qui finit en pointe ; & qu’il se 50 trouue dans les bois qui bordent fes rivages vn grand nombre de perroquets & d’autres fort beaux oiseaux : comme aussi beaucoup de tres-beauxguenons. A environ six lieues de son emboucheure vers le Nord il y a vne Isle en mer, qu’on nomme Oncaiarie ou Aocayari ; extremement sujetteaux tempestes & travades, excepté au solstice d’hiver, comme je trouve qu’il a efté remarqué par plusieurs. CHAP.


OCCIDENTALES. CHAP.

LIVRE

XVII.

579

IX.

Description des riuieres de Cauwo & de Wia, auec les Prouinces adjacentes. PRES Apurwaka suit le long de la mesme colle, à quelques deux lieuës, comme je trouve que les nostres ont remarqué, la riuiere de Cauwo ou Couwa ; ayant dans son emboucheure deux à trois brades de profond ; au dedans trois ou IV. Laurens Keymis Anglois escrit, que l’an cIͻ Iͻ XCVI il y trouva des Sauvages de la nation des Yaos, qui s’y estoyent retirés vn peu auparavant, ayant efté chaflés par les 10 Espagnols de Moruga de des Prouinces fituees le long de la riuiere de l'Oronoque, que les Arwoacaspofledoyent lors, nation vagante & sujette aux Efpagnols. Car ces Yaos, comme il raconte, ont occupé beaucoup du rivage de la mer ; de eftoyent accouftumés pour se distinguer des autres nations,de fe marqueter la face & le refte du corps de certaines marques; se servans pour cet effect des dents aiguës de certains petits animaux, qui ne redemblent pas mal quant à la forme auxloirs, dequoi ils se piquotoyent la peau, de mesme que c’estoit d’un aiguille ou espingle : de forte que ces cicatrices ne s’effaçoyent jamais. Ceux de nostre nation qui visiterent ces costes l’an cIͻ Iͻ XCVIII, y trouverent les mefmes Sauuages. Mais Harcourt qui y fut quelques annees apres, dit qu’il n’y en trou20 ua pas vn. Keymis rec-eut des Sauuages vne certaine forte de bois, qu’il eftimoit estre du Brasil, que les Sauuages nommoyent Vrapo, & difoyent qu’il s’en portoit vne grande quantité à lIsle de la Trinidad, & que les François l'emmenoyent delà ; mais nos gens nient que ce soit du vrai bois de Brasil ; bien qu’il s’y rrouue une autre espece de bois rouge, appellé des Sauuages Moura,qui ne diftere pas beaucoup du Brasil. Enfin cette riuiere eft diftante de la ligne de quatre degrés de vingt scrupules, & monte faifant vn deftour vers le Sud-oueft. A deux lieues plus outre fuit le long de la mefme coste la riuiere de VVia ; à quatre degrés de quarante fcrupules de la ligne vers le Nord; riuiere fort belle, & qui entre 30 fort auant dans le pais,dont les rivages font fort delectables de fertiles, & qui a vne emboucheure aufti large qu’vne baye. Laurens Keymis escrit qu’à l’Ouest de cette baye,ily a vne bonne rade, au dessous de certaines Isles, qui font au deuant de la Continente ; la plus grande defquelles il nomme Gawateri,habitee des Sauuages Shebaios, & dit qu’elle abonde en sangliers de autres belles sauvages, en oiseaux de en toute forte de viures,enfin que la mer qui l’environne eft fort sablonneuse. Il y a en outre un beau port, profond de quatre ou cinq b rafles, capable de plusieurs nauires de fort asseuré. Les trois dernieres vers l’Ouest, situees en forme de triangle, dont elles ont receu leur nom, sont aussi fournies des mefmes animaux de de vivres,il y a aussi vne bonne rade, mais qui n’est pas accomparable au precedent 40 port. Il remarque enfin qu’au dedans de la Continente, il s’y trouve presque par tout d'une certaine herbe, que les Sauuages nomment VViapassa, la racine de laquelle eft forte comme gingembre, & doüee d'une finguliere vertu, sur tout contre le flux de ventre, & les douleurs de telle. L’Isle qui est entre VVia & Caiana, est appellee par Harcourt, Mattoory, c'est une terre fort haute & d’environ seize lieuës de tour : d’autres nomment cette Isle Mayeri, & les montagnes, qui sont au dessus de la baye, laquelle s’encline vers VVia, Mortori ; de celles qui font presqueau milieu de l'Isle Matorwi, ce qui ne differe pas beaucoup du premier nom de l’Isle. Je trouve que ceux de noftre nation ont remarqué que cette Isle eft habitee par la nation des Caribes, qui ne font point mauuais : de qu’il y croist prefque par 50 tout de fa nature,principalement dans les campagnes,certainsarbrifleaux de deux piés de haut,qui portent des fruicts semblables aux prunes, de couleur pourpree, & prefque de mesme goust que les myrobalans, Or ces petites Ifles qui font au deuant de la grande vers le Levant, defquelles nous venons de parler, sont appellees d’aucuns, sçavoir, la plus Orientale Sannawom ; la plus Occidentale Spenefari ; de les deux autres qui font au deuant des premieres vers la mer Eponeregemera ;qui sont noms de Sauvages : car les Chrestiẽs varient fort en leurs noms. CAIANE. Dddd 2

A


580

DESCRIPTION

DES

INDES

CAIANE. CHAP.

X.

Description de la riuiere de Caiane, & de la Continente qui l'aduoisine, & des mœurs des peuples y habitans. PRES VVia suit Caiane, à environ trois lieuës d'intervalle, riviere renommee ; distante de la ligne de quatre degrés & cinquante scrupules vers le Nord, comme ie trouve qu’il a efté remarqué par les noftres. Or il faut noter qu’il y a deux 10 riuieres qui fortent enfemble en mer par vne mesme emboucheure, VVacka & Caiane ; la premiere defquelles fourt des montagnes voifines, & ne court que fept lieues ou enuiron ; l’autre vient de plus avant d’au dedans la terre ferme. L’emboucheure de iane est assés large, & a trois & quatre brades de profond ; mais il faut bien prendre garde à soi en y entrant, à cause des rochers qui sont loin en mer au devant d’icelle, principalement vn,que les Sauuages nomment Hocaiari, & ceux de nostre nation Constapel, qui eft diftant de l’emboucheure de trois ou quatre lieues vers l’Est : de pour le grand courant qui porte vers l’Ouest. Harcourt remarque, qu’il y a à la main droite de cette riviere en y entrant vne Isle, que les Sauuages nomment Muccumbro ; fermee du costé de l’Est de Caiane,de celui 20 de l'Ouest de la riuiere de Meccoria, ayant de circuit enuiron feize lieuës, plate de pleine de campagnes pour la plus grande part, mais au milieu d icelle il y a deux montagnes, l’une defquelles fe nomme Muccumbro,& l’autre Cillicedemo, du sommet defquelles on voit tout autour ce beau païsage : il y a peu de bois, de force campagnes,dans lesquelles vaguent un grand nombre de belles sauvages. Le mefme dit,que les habitans de Caiane, & ceux qui tiennent en cette partie de Continente, sont Caribes de nation, le principal Cassique defquels eftoit Arrawicari, qui demeuroit aupres de la montagne de Cillicedemo, fort affectionné & fidelle aux Estrangers, principalement aux Anglois (comme dit Harcourt) & on estime que les Caribes sont les anciens habitans de ces regions,car les Yaos, Sappai, Arwacas de Paragoti, se sont 30 retirés là de l'Isle de la Trinidad ou des Prouinces de l’Oronoque ; chassés par les Efpagnols ou craignans leur cruauté ; de forte qu’iceux de les Caribes qui fe tiennent le long de la cofte,ne s’accordent pas trop bien, encore qu’ils fe facent bonne mine de fouuenc ils viennent à se quereller & se tuer les vns les autres : car il y a guerre perpetuelle entre les Caribes qui demeurent au dedans du païs dans les montagnes; de ces Sauvages mesmes ils descendent fouuent des montagnes au riuage de la mer, de furprennent ces miserables, en tuent vne partie de emmenent les autres en miserable servitude : mais depuis que les Chreftiens ont commencé de voyager vers ces costes & de trafiquer avec les Sauuages habitans le long d’icelles, ils ont recouvert d’eux quelques armes,& ayans appris à s’en feruir tellement quellement,ils ne craignent plus tant ces Caribes, & mes- 40 mes ils les vont attaquer quelquesfois. Plus outre dans la Continente, au païs des montagnes qui sont vers le Sud-ouest il y a plusieurs autres nations de Sauuages,les noms & les mœurs desquels ne sont pas encore assés cognus : encore que ces contrees pour leur grandeur foyent fort mal peuplees ; car c’est vne chofe ordinaire à plufieurs des Sauvages, qui fe tiennent en cette Continente, de changer fouuent de demeures, & de ne fe placer que rarement, ailleurs qu’au bord des riuieres,ou fur la colle de la mer, pource qu’ils fe plaifent fort à la pesche, & qu’ils eftiment le poisson estre vne viande bien toft preste & fort commode, car ils font paresseux de leur naturel , fuyans le trauail de abhorrans la culture des champs, contans de ce qui fe trouue fans peine. Ils n’ont prefque nulle forme de Re- 50 publique , fi ce n’eft qu ils ont des Cassiques à qui ils obeïssent, si long temps qu’il leur plaift: on dit qu’ils ne puniftent que deux crimes par les bourreaux deftinés à cet effect, fçauoir,l’homicide,&l’adultere. Ils prennent plusieurs femmes, & veillent fort fur leur çhafteté; de quand ils les ont surprises en adultere ils leurs cassent aussi tost la teste, sans autre forme de Justice. La multitude des femmes est là estimee en grand honneur, & est un tesmoignage de grandes richesses : Car, principalement les plus vieilles servent

A

leurs


OCCIDENTALES. LIVRE XVII. 581 leurs maris, comme esclaves, & font tout ce qui est necessaire au mesnage, cependant que leurs maris font à rien faire ou à se donner du bon temps. Or puis que nous sommes parvenus prefque au centre de cette moyenne partie, avant que de poursuivre la description des autres rivieres, il nous faut un peu parler des qualités de l'aïr & de la terre, des habitans, des plantes & des animaux d’icelle. CHAP.

10

XI.

Des qualités de l'aïr & de la terre de ces contrees de la Continente, & du naturel, mœurs & coustumes des habitans d'icelles.

ES saisons de l’annee varient fort en ce clymat ; car en la partie Orientale de Guiane qui approche la riviere des Amazones , l'esté commence dés le mois d’Aoust, & l’hiver dés Feburier,mais en la partie Occidentale de vers l'Oronoque, l’esté commence dés Octobre, & l’hiver en Avril : lesquelles saisons, comme nous avons dit ailleurs, se distinguent feulement par les pluyes ( d’où vient que les Sauuages appellent d’un mesme nom les pluyes & l’hiver) & par les seicheresses,comme aussi par les grands vents & par le calme : car veu que ces regions font fi peu efloignees de la ligne, elles fentent vn fort petit changement de chaut & de froid: non pas pourtant que tous les ans il y pleuvent egalement ou tousjours aussi longtemps ; mais elles different 20 par fois d’un mois ou de deux, & par l’abondance ou mediocrité des pluyes. Le terroir est aussi beaucoup different : car au bord de la mer il efl prefque par tout bas, & si le vent qui y est fort grand de jour, presque tousjours de l'Orient ne temperoit l’ardeur, il seroit du tout impossible d’y habiter, mais maintenent il est peuplé fur tout autre de Sauuages,pour la commodité des rivieres qui y forcent ci & là, & pour la fertilité de la terre, comme aussi pour la bonté & santé de l’aïr, excepté quelques endroits estimés mal fains. Au dedans de la terre ferme se voyent plusieurs montagnes, quelques-vnes desquelles font d’un terroir fertile & aisees à cultiver ; d’autres sont du tout rudes, mais on croit qu'elles sont remplies de veines de metaux : dans ces montagnes il y fait un peu froid, neantmoins l’aïr y efl: estimé fort sain, qui fait que beaucoup de 30 Sauuages s’y tiennent. Il y a comme vn milieu entre ces deux extremités,sçavoir, une terre moyennement haute,beaucoup plus belle & fertile que les precedentes, distincte en forests & bocages, en campagnes & prez par vne belle varieté, joinct qu’elle efl: arroufee de plufleurs riuieres & torrents ; & doüee fur toutes d’vn aïr fort fain ; & n’est pas destituee du tout de metaux, au moins en plufleurs quartiers. Au reste les habitans y font tourmentés de deux pestes, de moucherons, qu’ils nomment Mapiery, & de niguas qu’ils appellent Sico : toutesfois contre les premiers il y a vn prompt remede,qui efl: d’entretenir de nuict vn clair feu dans les maifons. Les Sauuages qui habitent ces colles ( comme i’ai appris de quelqu’un des nostres, qui y a demeuré quelque temps) sont compris en fept nations, qui different quelque 40 peu en mœurs,mais beaucoup en langages, sçavoir, les Mayi, Aricoury, Maraons, Caribes, Arwacas, Yayos & Supaioi. Or tous font communement de moyenne stature, ayans les cheueux noirs, qu'ils teignent par fois de rouge comme pour un patemẽt ; les yeux aussi noirs ; & ont les oreilles, les narines & la leure d’embas percees ; enfin ils fe frotent tout le corps d’vne certaine teinture,que les Yayos de Shebaioi nomment Annote, de les Caribes, Coutsauwe : ils se serventde cette teinture en leur enfance à l’encontre de l’ardeur du Soleil. Quelquesunes des femmes, fur tout les filles, se peignent la peau de certaines figures , fe feruans pour cet effed d’vne certaine gomme noire, qui les rend de couleur de chaflagne. Les vns de les autres tant malles que femelles y vont d’ordinaire nuds, si ce n’est que couvrent par fois legerement les parties hon50 quelques-uns de l’un & de l’autre sexe se teuses de quelque drapeau, plustost pour parure que par honnesteté ou honte. Les femmes se lient les cheueux fur le sommet de la teste avec certaines bandes : elles accouchent aifement: & portent leurs enfans par tout où elles vont, assis sur leur dos, ou bien ils y sont liés de bandes : elles font communement plus petites que les hommes, notamment dans les Provinces qui attouchent la grande riuiere des Amazones. Ils n’ont nulle Religion : ils respectent bien le Soleil & la Lune, qu’ils estiment estre Dddd 3 animés,

L


582

DESCRIPTION

DES INDES

animés,mais pourtant ils ne les adorent pas, ni ne leurs facrifient ou offrent chose qui

soit, selon que les noftres ont peu jusques ici remarquer ; ils n’ont nulles ceremonies ; si ce n’est d’avanture aux funerailles de leurs morts: car ils font vne yurognerie aux obfeques de leurs Cassiques, où ils s’enyurent de leur breuuage qu’ils nomment Parnouw trois ou quatre iours de long,cependant il y a des femmes qui mene dueil du defunct avec grand cris, & usent de quelques superstitions. Tout ainsi qu'ils n’ont nulle Religion, aussi n’ont-ils nuls Preftres : mais feulement certains Sorciers de Deuins,qu’ils nomment Pecaios, qui trompent ces pauures miserables par des merueilleufes tromperies ; & leur font accroire qu’ils parlent souvent au Diable,qu’ils nomment VVatipa, & qu’ils apprennent de lui ce qui se passe és païs loing- 10 tains,& les choses futures : or ils cognoissent bien que cet efprit eft malin ; de non fans caufe,car il les bat fouuent miserablement. Ceux de noftre nation ont aussi remarqué, que quelques-uns de ces Sauuages notamment les Yaios, venerent pour Diuinité Tamoucou, comme ils le nomment, qu’ils croyent demeurer en la haute region de l’aïr, de gouverner ici bas à sa volonté, d’où vient qu’ils ont couftume de l’adorer matin de foir : mais cela semble eftre particulier à ces Sauuages. La plus grand part dentr’eux croyent l’immortalité de l'ame, & qu’apres la mort, ceux qui ont bien vescu font portés au Ciel,qu’ils nomment Caupo : mais ceux qui ont mal fait aux enfers ou au fond de la terre qu’ils appellent Soy. Voila pourquoi quand 20 leurs Cassiques ou quelqu’vn de leurs principaux meurent, ils ont couftume de tuer quelqu'un de leurs esclaves, ou s'ils n’en ont point quelqu’vn de leurs feruiteurs, afin qu’ils foyent feruis en l’autre monde. Ils font fort timides de nature & grandement foupçonneux, & ne sont pas moins desireux de vengeance, qui fait ( comme j’ai appris des noftres ) qu’ils fe laissent aisement perfuader par ces Peeiaios, lors que quelqu’vn de leurs amis eft mort, comme il leur semble, avant son temps, que sa fin a esté avancee par cestui-ci ou cestui-là, d’où viennent de grandes haines de fouuent des meurtres & autres maux entr’eux.

CHAP.

XII.

30

Du langage de ces Sauuages, principalement des Yaios. OMME la nation des Yaios occupe beaucoup de pais, aussi leur langage est le plus commun en ces quartiers ; voila pourquoi nous donnerons principalement vn eschantillon d’icelui ; & y adioindrons quelques mots de celui des autres, fçauoir des Arwaccas & des Shebaios, afin qu’on en puifte voir la difference.

C

Arwaccas Pilplii Pere Yaios Pape Shebaios Heia Immer Mere Saeckee Hamma Boppe La Teste VVassijehe VVackewijrrij L’Oreille l'annaëe VVadycke VVackenoely Voere L’Oeil VVackosije Noeyerii LeNez Hoenaly VVassibaly VVassyerii Hopataly LaBouche Barrymaily Dalerocke Les Dents Hoieelii VVadacoely Darii Pollelii Les Cuisses Dadane VVatabaye Les Piés Poepe Dackosye VVackehyrry Vn Arbre VVewe Hada Ataly Hoerappe Vn Arc Semarape Hoerapallii Des Flesches Mappoeroe Symare Hewerry

40

50

Tous ces Sauuages distinguent les temps par Lunes ; or les Yaios appellent la Lune Nonna ou Noene ; les Arwacas, Cattehee ; les Shebaios, Kyrtryrre. Les Yaios nomment le Soleil VVeyo ; Ar : Adaly ; She : VVecoelije, duquel nom aufli les Yaios nomment le jour.

Or encore qu’ils monftrent prefque tousjours les nombres par les doigts, & quand ils veulent dire dix, ils dressent tous les doigts des deux mains, & pour lignifier vingt,

ils


OCCIDENTALES. LIVRE XVII. 583 ils conjoignent les doigts des mains avec ceux des pies ; neantmoins les Yaios (car il ne sçai rien des autres) ont leurs noms propres des nombres, comme 1 Tewyn : 2 Tage : 3 Terrewaw : 4 Tagyne : 5 Mepatoen : 6 Tewyne Jeclyckene : 7 Tage Jeclyckene : 8 Terrewan : Jeclyckene : 9 Tagyne Jeclyckene : 10 Jemerale mepatoen : Par apres aux quatre premiers nombres ils adjoustent abopene ; comme 11 Tewyne abopene : & ainsi consequemment : mais 15 Habopboppene : 20 Pemoene. Ceux de nostre nation ont remarqué ces noms qui suivent du langage des Yaios. 10

Le Gosier Le Col L’Efpaule Le Cœur Le Ventre La Poitrine Les Tetins Les Bras Les Genoux Frere 20 Sœur Fille

Jeene Boppomery Hoomotaly Hoppelabolle Holopotaly Pyelapo Mannatii Iapelly Goenaly Huoroye VVaryee Comi

Le Ciel Capou Estoille Chirika L’aïr & le Vēt Pepeïte Pluye Kenape Tonnerre Tonimerou Soye La Terre La Mer Parona Le Feu Ouapoto Une Pierre Tapou De l’Or Carecoury Veüe Arbre Cerf Oussari

Pingo Sanglier Aroua Tigre Pero Chien Acouri Connil Oye Rapone Heron Ouakare Courga Perroquet Cancre Coiia Hache Oüoe Rapou Couteau Masseta Sarpe Rame Agnebute

Quelques verbes de la mesme langue remarqués par les nostres.

Manger Venir

Ouaoninne

Tase

Boire Pleurer

Euenike Ouamonu

Dormir Tuer

Vniguené Pogue

Or ils compofent plusieurs verbes des noms y adjoustant sur la fin ce mot Eri, comme Amaka-Eri faire une Amake ou vn lict pendant, & semblables. 30

Ouy Non

Blanc

Ia & Iasay Ouati Topouroume

Bon Mauuais Noir

Coure Icone Topiouroume

Grand Petit

Nomone Enchique

Voila les noms & les verbes que ie trouue que les nostres ont remarqués du langage des Yaios. CHAP.

XIII.

Des vivres des Sauvages, des animaux, poissons & plantes. ES Regions abondent en diverses choses necessaires à la vie ; au lieu de blé ils usent communementde Cassaue, qui se fait de certaines racines,que nous auons Ci-deuant escrites ; qu’ils grugent sur une pierre preparee pour cet effect, & en pressent le jus, lequel estant crud eit dangereux & venimeux, mais cuit auec du poivre du Brasil, ou Axi est fort bon & agreable au goust : or ils font de la farine du pain ou des tourteaux, qu’ils cuisent sur une pierre : ce pain est d’une agreable saveur, & prefque comme celui d’orge, mais il eft meilleur. Ils font aussi diuers breuuages de ce Cassaue ; l’un defquels ils nomment Passiauw, qui fe garde bon cinq iours ; vn autre nommé Parranouw, lequel en dure dix : cestui-ci est fort & fe fait en diuerfes fortes ; mais le meil50 leur eft celui que les Taios & les Arwacas font, lesquelles deux nations aiment fur toutes autres la netteté. Ils ont aussi du Mays, dont nous auons assés parlé ci-deuant. Ils ont en outre abondance de miel, qui encore qu’il foit fauuage & fe tire des arbres creux ou des trous de la terre,toutefois il eft fort bon,de forte qu'on en fait de fort bon miel. U ne se trouve point de vignes, bien qu on iuge selon l’apparence,que la terre les porteroit fort bien, & fi on y en plantoit,fans doute que les raifins y meuriroyent, & on en pourroit faire du bon vin, dequoi ces clymats ont sur tout difette. 40

C

Il s'y


DESCRIPTION DES INDES Il s’y trouve force belles sauvages, propres à la chasse : sçavoir des cerfs; de deux fortes de sangliers, distingués par leur grandeur : ils nomment les plus grands Pingo ou Panigo, aussi grands que ceux de l’Europe: & les plus petits Pockiero, qui ont le nombril furie dos. Vn nombre infini de lieures & connils, qu’on dit estre differents des nostres. Des vaches sauvages qu’ils nomment Maypouri ou Maipuries, (dont nous auons parlé ci-dessus) la chair desquelles est comme celle de bœuf, & la sale en la mesme façon. Vn autre animal qu’ils nomment Baremo, ayant la chair comme celle du mouton :diuerfes efpeces de daims un peu differents de ceux de l’Europe ; comme des sangliers qui n’ont point de lard, qu’ils nomment Abihera : & de ces animaux qu’on a nommé paresseux, pour ce qu’ils fe trainent ou rampent au haut des arbres lentement, appel- 10 lés là VVaricarii : un nombre infini de finges & guenons : & plusieurs efpeces de belles à quatre piés grandes 6c petites, qui se trouvent dans cette Amerique Meridionale ; mesmes des furieufes ennemies de l’homme,comme tigres, lions, leopards, & lynces. Il y a aussi des oifeaux en grand nombre & fort divers, car outre les oyes 6c les canes qu’ils nomment Raponne, des herons qu’ils appellent Ouakare ; grues, cigoines, faifans, perdris, colombes, merles, beguefigues, des perroquets de diuerfes sortes, des corneilles d’vn fort beau plumage, & autres: il s’y trouue aussi prefque tous les mefmes oifeaux que nous avons descrits en l’un & l’autre Brasil : ils nomment ce petit oiseau qui a un bec si grand 6c monstrueux Couaka : les perroquets Courga. Il n’y a aufïi faute d’oiseaux 20 de proye,notamment des faulcons de diverses fortes. Il y a aufïi beaucoup de poisson de diuerfes efpeces, tant de mer que de riviere ; & outre ceux qui font communs en nostre mer; ils en ont vn semblable à nostre saulmon, excepté qu’il a la chair jaune, au lieu que les nostres l’ont rouge. Comme de cette forte que nous auons descrit sous le nom d'Araouaoua, lequel ils nomment là Chipari. De plus d’une espece de raye ou pastinade, la queue de laquelle est armee d'un os long de demi-pié, muni de costé & d’autre de petites dents fort aiguës, la piqueure desquelles eft extremement dangereufe ; ces Sauvages la nomment Pakame ; nous l’avons descrit ci-dessus fous le nom de Yaueboayre. Aufquels les nostres adjoustent le Cauimo, poisson prefque de la grandeur d’vn merlu, fans efcailles, mais qui eft armé de six espines fort pointuës, & grandement venimeuses ; il fe trouue dans sa teste une pierre, la- 30 quelle on dit estre vn admirable remede contre la grauelle & la pierre des reins. Et l'Accaren femblable à un Crocodille, mais il est plus delié, plus long & a le museau plus court & camus, qui vit de poiffon, il fort pourtant quelquesfois sur la terre : il efl bon à manger, mais fort difficile à prendre ; bien que par la bonne odeur qu’il rend, il donne assés à cognoistre où il efl : la plus petite efpece efl appellee des Sauuages Owanna. De plus l’Aymaren de la grandeur d’une alose, qui se prend seulement dans les rivieres. Ce poiffon qu’on nomme ailleurs Manati, ces Indiens l’appellent Coiumero. Harcourt adjouste à ceux-ci le Cassoorwan, petit poisson rare, vn peu plus gros qu’un anchois, mais beaucoup meilleur : il a en chacun œil deux prunelles, de forte qu’en nageant il en tient vne au dessus & l’autre au dessous de l’eau : il a le dos plat avec l’espine 40 6c les colles rondes prefque à la façon de celles de l’homme. Enfin il s’y trouve des poissons de riuieres en si grand nombre & si excellents combien qu’ils soyent fort differents des nostres) qu’à peine y a-il contree au monde qui en ait dauantage. Il y a auffi des poiffons à efcaille en nombre infini, sur toutdes huiftres. Les arbres fruictiers, & les diuerfes plantes 6c herbes que nous auons descrit ci-dessus y croissent partout; des annanas, des annaniers, des mesliers, les fruids defquels font plus gros que ceux des noflres : des pruniers de diuerfes sortes, mais les fruids n’en fontpas estimés, pource que quand on en mange souvent, ils excitent le flux de ventre, qui efl fort dangereux en ces quartiers : des noix de diuerfes sortes, & d’estranges formes. 50 Or combien que cette region soit fournie de tant de fruids,toutesfois (comme i’ai appris des nostres) les Sauvages y vivent communement de certaines racines,qui font fort femblables à des naveaux, lesquelles ils nomment Napi & de cancres ou d’escreuices, desquels il fe trouue grande quantité dans le païs plat & couvert d’eau, & mesme au bord de la mer, que les Sauuages nomment en leur langue Coa,

584

CHAP.


OCCIDENTALES CHAP.

LIVRE.

XVII.

585

XIV.

De quelques autres plantes, resines, & bois propres au commerce, & qui ont vn singulier vsage en Medecine.

E

NTRE les excellentes plantes qui croissent en ees lieux de leur naturel, les can-

nes de sucre demandent à bon droit la premiere place, par la culture de/quelles on pourroit faire un grand profit, si on y dressoit des moulins pour les broyer, comme nous voyons que les Portugais ont fait au Brasil, à quoi il faut au commence10 ment faire de grands defpens,qui fe rembourcent par apres avec grand profit. Les arbrifléaux qui portent le cotton meritent le second lieu, lesquels y sont là fort communs, & se cultivent & multiplient aisement, mesmes donnent des fruicts en abondance vn an apres qu’on les a fentes. Or les Sauuages sçavent la maniere de le filer, & d en faire leurs licts pendans, dont ils fe servent fort dans ces contrees, Il y croift aussi en grande abondance une certaine sorte de chanure ou de lin, fort belle & deliee, de forte quelle approche de la foye ; du filet de laquelle on peut faire diuerfes estoffes,comme on a esprouvé. En outre il y croift diuers fruids, qui donnent des teintures fort belles, dont les Sauvages sçavent bien l’vfage ; comme eft l'Annoto, que d’autres nomment Orellan, qui 20 teint la laine & principalement la foye en orangé. Ils ont aussi d’vne autre graine, qui donne vne couleur bleue. Comme aufli d’vne certainegomme, qui diftille d’un arbre, laquelle teint le drap d’vn beau & ferme jaune. Et des fueilles d’vn certain arbre, qui citant bien preparees, font un rouge brun. Outre cela il y a d’une forte de bois qui fait une fort belle couleur pourpree ; comme aufli d’vne autre qui la rend iaune: enfin d’vne troifieme la liqueur duquel citant boüillie, teint toute chose en poupre, mais froide en fin rouge. Et n’y a point de doute que qui chercheroit bien on n’y en trouvast d’autres, qui seroyent en grand usage. Il s’y trouue des gommes & des refînes de bonne odeur & propres en Medecine de diuerfes sortes, entre lesquelles Harcourt celebre la Colliman ou Carriman, & la Baratta. La Colliman, comme il dit, est une resine noirastre & luisante comme de la poix dure, 30 qui rend vne bonne fenteur quand on la met sur du brasier : VValther Cary de Buckinhomme fort expert en la cognoissance des simples, dont on se sert en Medecine, asseure que la fumee d’icelle receué par les narines trois ou quatre fois le jour, guerit extremement bien la pesanteur de telle, aide fort le cerueau humide & froid, & arreste les rheumes : de plus que c’est un remede efficacieux à l’encontre de la paralysie, de laquelle la pefanteur de telle & l'assoupissement est le signe pronostique. Elle guerit aussi les douleurs que les femmes qui ont fouuent des enfans fentent autour des reins & en la partie inferieure du dos, si la faifant fondre on l’eftend fur du cuir; & qu’on l’applique toute chaude fur la partie affectee,comme vne emplastre. On croit aussi qu’elle forti40 fie les nerfs; & foulage ceux qui font tourmentés de la goutte ; enfin elle consolide fort bien les playes recentes. La Baratta aussi mise sur les charbons rend vne bonne odeur ; c’est vn excellent baulme, & fort bon appliqué aux playes recentes ; comme il a esté esprouvé par plusieurs. Il s’y trouue encore plusieurs refînes qui fentent fort bon ; & notamment une qui rend vne odeur comme la mariolaine. Il y croift ci & là principalement aupres du riuage,vn arbrifleau, duquel nous avons fait mention ci-devant, portant vn fruict ( selon que dit Harcourt) comme une petite pomme verde,qui eft d’vne qualité si somnifere, que si quelqu’vn en mange le moindre morceau qui soit sans y penser, elle cause un sommeil mortel ; & une seule goutte de son 50 fuc beuë, lasche d’une telle forte le ventre, qu’elle fait faire, comme on a remarqué, soixante felles : non fans grand danger : mais on pense, que fi cette maligne qualité estoit corrigee par les Medecins, on s’en pourroit servir bien à propos en Medecine. Les grains que les Sauuages nomment Kellete servent contre la disenterie. Et le suc de l’herbe qu’ils appellent Vppee contre les playes des flesches enuenimeees. Enfin le suc des fueilles qui font nommees Icari contre les douleurs de teste. Et plusieurs fimples, qui pourroyent commodement estre employees à l’usage de la Medecine & Chirurgie, Eeee

Il y


586

DESCRIPTION

DES INDES

Il y croist en outre un arbre le bois duquel est un peu cher, les Sauvages le nomment

Pira Timinere, & ceux de noftre païs communement Letter-hout, c’est à dire bois de lettre, car il est fort solide, dur & pesant, de couleur rousse, tacheté de petites marques

noirastres par une belle varieté, & fort beau en menuiserie : l’arbre est haut & droit, d’une escorce polie, neportant des fueilles qu’au sommet, qui font fort semblables a celles de poirier. On dit aussi qu’il s’y trouve des pierres precieuses en plusieurs lieux, comme du jaspe, du porphire, & celle qu’on recommande tant contre la grauelle. On croit aussi que la terre n’y est sans mines, mesmes de riches metaux, combien que jusques ici on n’y en ait trouvé aucune d'or ou d’argent, encore que plufteurs y en ayent cherché soi- 10 gneusement.

MARWIN. CHAP.

XV.

Description des autres rimer es qui sortent en mer le long de cette coste, notamment de Marwine. ETOURNONS maintenant à la description de la Continente. Apres Caiane, de laquelle nous venons de parler, suit le long de la mesme cofte 20 la petite riviere de Meccooria, ou comme d’autres veu lent Macuria, dequoi nous n’auons rien de particulier, car elle est de peu de consequence. Et apres icelle Courwo, comme Harcourt la nomme, ou Cawroora, selon ceux de nostre nation, à huict lieuës de Caiane vers l’Ouest, ainft que ie trouue que quelques-uns des noftres

R

ont remarqué : d’vne emboucheure eftroite, mais assés profonde, de forte qu’il y a vn bon port : or il y a dans fon emboucheure trois Isles : & la terre eft le long de fes riuagcs limonneuse, produifant grande quantité de cannes, qui semblent bien à celles de sucre, mais elles font fi venimeuses, qu’elles font enfler la langue d'une estrange sorte, & empeschent qu’on ne puisse parler, voila pourquoi ceux qui vont en icelle feront ad30 vertis de s’en garder. Suitapres la riviere de Manmanurii à neuf lieuës de Caiane vers le Nord-ouest ; vers le Nord de fon emboucheure les noftres mettent trois Isles au devant de la Continente : iceux content deux lieues de cette emboucheure jusques à la petite riviere de Icaromary ; & delà à Sinnamary cinq ou six : de laquelle ils en content quinze jusques à Amona ou Amana. Harcourt nomme apres Cawrora, Manmanury, Sinnamara, Oorassowin, Coonannonia, Vracco & Amana. : mais Laurens Keymis, Cunanomma, Vracco, Mawari & Mawarparo : d’autres ont encore escrit d’autres noms que nous laissons ici. Ceux de noftre nation content deux lieues d'Amana iufques à Marwyne : laquelle est

à cinq degrés & XLV scrupules de la ligne vers le Nord : c’est une belle riviere, ayant 40 plus d’vne lieuë d’Alemagne de large dans fon emboucheure, & est assés profonde; mais elle eft comme trauerfee de certains bancs de fable, qui estans passés on trouve au dedans de fon emboucheure, notamment proche du riuage de main gauche en y entrant, sept ou huict brades d’eau ; ce qui dure iufques à trois petites Isles, car au dessus on la trouue de plus en plus moins profonde : ces Mes font appellees des Sauuages Curewapory, elles ne font pas cultiuees, pource que quand au temps des pluycs la riuiere s’enfle, elles font couuertes d’eau : D’vn costé & d’autre il y a quelques petites rivieres qui defcendent dans cette-ci, & notamment vne petite dite Cussewini, laquelle y entre à deux lieues au dessus de l’emboucheure. VIII il monta cette riviere, & qu’apres auoir pas- 50 Harcourt raconte que l’an cIͻ Iͻc Mes, il fut au village de Moyemon, situé fur la rive de main gauche, qui est sé ces petites habité des Paragotes, le Cassique desquels s’appelloit Maperitaka, bonhomme & fidelle aux Estrangers, que le lendemain il monta au village de Crewynay sur le riuage de main droite, habité de Caribes, le Cassique desquels fe nommoit Minapa, & ayant receu d’eux deux canoas, il passa outre plusieurs villages qui estoyent d’un costé & d’autre iufques à vingt lieuës de l’emboucheure, & qu’il rencontra beaucoup de rochers, defquels l’eau se precipite


OCCIDENTALES.

LIVRE XVII.

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se precipitoit de grande furie, de sorte qu’ils monterent plus haut auec beaucoup de difficulté, 6c plus ils montoyent, plus trouuoyent-ils de saults, 6c qu’ayant passé la premiere montagne que les Sauuages nomment Sapporouw,il auoit veu de loin de hauts monts appelles des Sauuages Matawere Moupanana, mais comme il eut desia monté six iours 6c enuiron quarante lieues de l’emboucheure, il rencontra tant de rochers 6c de faults, qu'ils ne peurent iamais monter plus haut. Or il dit qu’il vit là cette plante, de laquelle nous auons fait métion ailleurs, semblable au rosier, qui semble estre doüee de sentiment ; car fi on touche tant foit peu vne fueille du doigt, elle fe ferme aussi tost, que si on la coupe auec des ciseaux,toute la plante semble fe fanir, 6c n’ouure fes fueil10 les à peine de demie heure apres. Le mesme raconte que fon cousin Fisher accompagné de quelques autres 6c du Sauuage Maperitalla, apres que les eaux furent grosses, monterent la mefme riuiere neuf iournees de chemin 6c qu'ils allerent iufques au village de Taupuramune habité de Caribes, à enuiron c lieuës de l’emboucheure : duquel iufques à Moreshego autre village habité de la mefme nation il y a quatre iours de chemin : auquel lieu il apprit des Sauuages qu'à six iournees au deffus de Moreshego, il y habitoit force Sauuages, beaucoup plus grands 6c plus forts que les autres,qui auoyent les oreilles, les narines, 6c la leure d’embas percee, &fe feruoyent d’arcs grands 6c roids : Or en ce lieu il y auoit plusieurs riuieres qui entroyent d’vn cofté 6c d’autre dans Marwyne, fçauoir, Arrenneen, Toppana20 win, Errewin, Cowomma, Poorakette, Arroua, Arretowene, VVaoune, Anape, Aunime & Ca-

rapion. Enfin que de Taupuramune iufques à la fource de la riuiere de Marwyne il y auoit vingt iournees de chemin. Or i’ai appris de ceux de noftre nation qui ont visité cette riuiere és annees precedentes, qu’il y a cinq nations qui habitent les riuages de ce fleuue : sçauoir vn peu au dessus l’emboucheure les Percottes, les Arwaques & les Shebaios : & au dessus de ceux-ci les Caribes, nation peuplee, hardie & à laquelle il y a peu de fiance ; les hommes font grands & gras,ayans les cheueux tondus en couronne comme les Moines, & la peau teinte en rouge, ils couurent leurs parties honteufes d’vn drapeau large d’vn pié 6c long de deux,nuds quand au reste : mais les femmes font petites, lient leurs cheueux 30 de cetaines bandes,& font nues du tout : leur viure ordinaire eft du Cassaue, du poiure duBrasil & des cancres : leur boire auffi de Cassaue masché 6c fort efpois, qu’ils nomment VVocke ; ils obeïssent à des Cassiques, qu’ils elisent des plus forts dentr’eux, 6c les nomment Puue, c'est à dire Peres : enfin au deffus d’iceux demeurent les Yaos, les mœurs desquels ne font pas beaucoup differentes des Caribes, fi ce n’est qu’ils font plus humains & qu’on fe peut mieux fier en eux ; ioignant ceux-ci sont les Sappayos, de mesmes mœurs, mais differents de langage. Les Arwaques auffi & les Parcottes habitent le plus fou lient ensemble : les derniers defquels font fort addonnés à l’yurognerie,au refte c’est vne nation assés bonne ; les hommes 6c les femmes vont entierement nuds : les femmes accouchent aifement,que fi quelque dur accouchement leur arriue, les peres 40 tuent le plus souuent les enfans ; comme aussi quand ils naissent boiteux ou manques de quelque membre ; ou si la femme accouche d’vne fille quand le pere aura ardemment désiré vn fils : enfin fi elle accouche de deux, ce qui pourtant aduient fort rarement, elle est aussi en danger d’estre tuee de son mari, tant la barbarie de ces nations est grande. Tous les habitans d'Amana sont Caribes, comme i’ai appris de ceux de nostre nation. La terre aupres de l’emboucheure de Marwine est basse & rougeaftre , 6c qui n’est pas fort fertile: mais six ou sept lieues au dedans elle fe releue en moyennes colines d’vn terroir auffi rouge & maigre : il s’y trouue beaucoup de cannes de sucre, qui ne font pas cultiuees ; beaucoup de cottonniers, mais la paresse de cette nation est fi gran50 de qu’ils negligent de les recueillir. Enfin il y croist de fort bon bois que ceux de noftre nation nomment Letter-bout, c’est à dire bois de lettre. Le temps des pluyes y commence dés l’entree de Decembre, & au mois de Ianuier, Feburier 6c Mars il y pleut presque sansceffe; en cette saison principalement il faut amener ce bois,qu’on traite des Sauuages pour peu de chofe,comme nonante 6c par fois plus de cent hures pour vne hache,pour vn couteau vingt ou trente. E eee 2

CHAP.


588

DESCRIPTION

DES

CHAP.

XVI.

INDES

Description de quelques autres riuieres qui sortent de cette Continente sçauoir,

Sarname, Sorame, Coretine, Berbice, Demarari.

A

Marwine suit le long de la mesme code, à dix huict lieuës d’interualle ( comme ie trouue qu’il a esté remarqué parles noftres) la riuiere de Sarname, PRES

ou comme d’autres veulent Sewrano : diftante de la ligne de fix degrés vers le Sud,c’eft vne riuiere remarquable,d’vne emboucheure assés eftroite,mais fort profonde; à quelque trois lieues au dedans de son emboucheure,il y a vne autre riuiere qui y 10 defcend du Sud-eft,appellee des Sauuages Ikouteca, dés le confluant de laquelle, la principale riuiere monte par vn canal tortu iufques au village Noyebe, les habitans duquel font Caribes & Sapaiosy distant de l’emboucheure de la riuiere d’enuiron douze lieues. Or il fe faut soigneusement donner garde de ces nations,car ils sont infidelles & cruels, diffamés du meurtre de plusieurs Chrestiens. Il s y trouue aussi grande quantité de ce bois duquel nous auons parlé ci-dessus, mais il n’eft pas du meilleur. Ayant monté la riuiere d’Icoteca vingt ou vingt cinq lieues, iusques à vne petite riuiere que les Sauuages nomment Corewinne, il s’y trouue de ce bois beaucoup meilleur ; mais il faut fe garder bien des Sauuages, qui font Caribes & ennemis mortels de ceux de nostre nation. On conte que les noftres font tombés dans cette haine és an- 20 nees precedentes, par leur impudicité & lassiueté, qui fit, qu’ils commirent adultere auec plusieurs femmes de Sauuages, ce que les Sauuages ont fort en horreur. De Sarname iufques à Sorame les nostres content XII lieues; cette riuiere a fon emboucheure large d’enuiron demi-lieuë, mais pource qu’il y a vn banc de fable au deuant, les nauires n’y peuuent entrer ; les habitans d’icelle font Caribes, qui ont grande quantité de ce bois, & de cotton. Il y a douze ou treize lieues de Sorame à Coretine : c’est vne petite riuiere,qui a bien vne large emboucheure, mais elle est fort peu profonde, au dedans d’icelle il y a vne petite Isle ; elle eft diftante de la ligne de six degrés vers le Nord ; les Sauuages qui s’y tiennent sont Caribes. Thomas Masham Anglois qui la diligemment visitee, l’accom- 30 pare à Marwine ; & escrit qu’il y a de fon emboucheure iufques à la premiere cataracte ou sault enuiron cinquante lieuës, que dans icelle descendent les riuieres de Manone, Tapuero & Tabuebâi : & qu’il y a six villages de Sauuages, sçauoir, ,VVarraiwalle,Mawraname, Maapuere,Maccharibi, Yohoron & Taper on. Suit apres à dix lieuës delàBerbice, autrement Berbiu, petite riuiere, diftante de la

ligne de six degrés & xxx scrupules vers le Nord : fon emboucheure eft d’enuiron vn quart de lieue de large,& à quelques deux brades de profond, par fois treize piés,mais au dedans elle a vn peu plus d'eau,toutefois elle n’eft nullement propre pour de grands nauires. Cette riuiere à cinquante ou soixante lieues de son emboucheure, se precipite auec vn grand bruit du haut d’vn sault fur les rochers qui font au dessous : Or elle eft 40 fort tortue ; au dedans de son emboucheure, la terre eft d’vn cofté & d’autre baffe , & couuerte d’vn bois espois, mais quand on a monté vingt ou vingt cinq lieuës, elle eft vn peu plus haute,sablonneuse & sterile, s’eftendant en plaines, qu’ils nomment Sabanas,où les arbres ne peuuent croistre, aussi n’y eft elle pas propre, voila pourquoi les Indiens ont de la peine d’y trouuer de bonne terre pour le Cassaue : Or les Sauuages qui y habitent sont Arwaques,nation humaine & fidelle aux Estrangers : il s’y trouue beaucoup de belles de chasse,comme cerfs,& des fangliers de deux fortes,mais ils font difficiles à prendre, pource qu’ils fe cachent dans les forefts & marescages ; & les Sauuages qui ont guerre continuelle auec les Caribes de Coretine, n’osent à peine entrer dans les bois,de peur d’eftre pris ou tués par leurs ennemis embuchés dans iceux. La terre 50 n’y produit que des arbres qui portent le cotton, & cette teinture qu’ils nomment Orellan ; les autres arbres font prefque tous fauuages & inutiles. Ceux de noftre nation demeurent entre les Sauuages il y a desia quelques annees, & y ont mené vne Colonie : outre les Niguas,ont ils font tourmentés, ils ont encore vne autre incόmodité, sçauoir vne demangeaison aux talons aux pies,si grande qu’à peine la peut-on supporter, & si on fe grate tant foit peu,on eft en grand dâger, mefme d’eftre boiteux quelques mois. de


OCCIDENTALES.

LIVRE

XVII.

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De Berbiee iusques à Demarari les nostres content onze lieuë vers le Nord-ouest ; elle est à sept degrés au Nord de la ligne : son emboucheure est assés profonde, de sorte que les grands nauires y peuuent entrer ; mais les Sauuages se tiennent loin de son emboucheure au dedans du païs, & il est fort difficile de traiter auec eux. ESSEQVEBE.

CHAP.

XVII.

Description de la riuiere d’Essequebe & autres prochaines.

10

PRES Bemarari fuit le long de la mesme coste, à quelque quatre lieues d’interualle, Essequebe ou Dessekebe, fort belle riuiere, & qui a bien vne emboucheure fort large,mais fi empefchee de bancs de fable, qu'on a besoin pour y entrer d’vn Pilote diligent & bien experimenté ; il y a en outre entre fa fpacieufe emboucheure trois longues Isles afles grandes qui la diuisent en autant de canaux : Or on a le plus fouuent coustume d’entrer par fon canal Oriental ; au dessus il y a encores plusieurs Ifles,mais elles font plus petites. Laurens Keymis raconte qu’il a appris des Sauuages , qu a vingt iournees de chemin de l’emboucheure la riuiere prend fon origine ; & qu’à vne iournee de chemin delà il 20 y a vn grand & renommé lac, que les Yaos nomment Roponowiniles Caribes, Parme ; spacieux comme vne mer ; au bords duquel ils difent que la ville de Manoa est baftie ; que plufieurs Efpagnols & Anglois ont de fi long temps cherchee envain. Selon que i'ai appris de quelqu'vn des nostres, au dessus le premier fault de la riuiere ( car elle en a plufieurs,de sorte qu’on ne peut en façon qui soit monter iufques à sa source) les Sauuages y trouüent du cryftal fort dur & transparant. Le long de fesriuages se tiennent premierement les Arwaques (plus humains que les autres, & ennemis des Efpagnols; dans plusieurs villages,quatre ou cinq familles en chaque cabane, ils s’exercent fort à cultiuer ces arbres, des fruicts defquels on fait la teinture, dont nous auons fouuent fait mention, que ceux de noftre nation ont de 30 couftume d’aller charger,comme la meilleure qui soit. Les hommes y font outre mesure addonnés à l'yurognerie ; ils vont tous nuds autant les hommes que les femmes; excepté que les hommes fe couurent les parties honteufes d’vn petit drapeau, pluftoft pour ornement que par honnefteté,les hommes tondent leurs cheueux en rond, mais les femmes les nourriflent longs : qui ont aussi cela de particulier dés leur ieunesse, de fe presser si fort les iambes, tant au droit de la iarretiere qu’au dessus des cheuilles,auec de certaines bandes qu’elles fçauent induftrieufement s y lacer,que le gras de la iambe leur croift d’vne grosseur defmefuree,ce quelles estiment fort beau & bien seant : ils ne reuerent que le Diable,non pas qu’ils ne sçachent bien qu’il eft mauuais, mais de peur qu’ils ne leur face du mal. 40 Au deflus de ceux-ci habitent d’autres Sauuages, qu’ils nomment VVaccewayes; qui ne different des Arwaques que de langage ; ils ontguerre continuelle contre les Caribes ; ils haïssent auffi les Chreftiens; en leurs Prouinces fe trouue aussi de cette teinture ; & vne grande quantité de ce bois de lettre. Enfin les Caribes fe tiennent au deffus des faults de la riuiere & prefque iufques à fa fource,de forte qu’on peut difficilement aller iufques à eux,si ce n’est par le moyen des autres Sauuages ; ils demeurent dans des villages, chacune famille fa maison à part, mais au milieu du village ils ont vne loge vn peu plus grande que les autres,ouuerte de tous costés, dans laquelle ils reçoiuent leurs hostes d’vne façon bigearre: car les Cassiques conduifent celui qui les vient voir, sans parler toutesfois, puis apres ils lui presentent vn siege & du tabac, & le laissent ainsi quelque temps iusques à ce qu’il se soit re50 posé & ait acheué de humer fon tabac; lors le Cassique approche de lui, & demande s’il est venu, l’autre faisant ligne que ouy, il fe siet pres de lui & discourt de beaucoup de choses auec : par apres viennent les autres du commun, demandans en la mefme façon s’il eft venu, & babillent enfemble par fois quelques heures. Ces Sauuages font fort sobres, bien que leur contree abonde en sauuagine ; leur commun viure est du Cafsaue, de la saulce de poiure, des cancres de terre, & du poisson aucunesfois : ils vont E eee 3 tous

A


DESCRIPTION DES INDES 590 tous nuds : & font fort inciuils & arrogans entiers les Etrangers: les femmes font fort soigneuses à se peigner, & estiment cela fort honneste ; ils prennent plusieurs femmes chacun, & quand elles leurs defplaifent,ils en font leurs efclaues. Ils fe laissent persuader par leurs Pyais toutes chofes, & quand quelqu’vn est mort, fes alliés ont coustume de demander pourquoi il est mort, que si ce Sorcier estant ennemi de quelqu’vn refpond, que cestui-ci ou celui-là en est la cause, ses parens ne cesseront iamais tant qu’ils ayent fait mourir celui que le Pyais aura nommé. Ils font de grandes plaintes quand ils enseuelissent leurs morts ; ils couurent le corps de terre, & lors quela chair est toute confommee,ils deterrent les os, & apres auoir celebré quelques festes & dances,ils les enterrent derechef; puis ils bruslent tout le village, & se remuent ailleurs, de peur d’y io mourir aussi. Le terroir le long des riuages de ce fleuue est, aupres de son emboucheure, bas & diuifé en plusieurs Isles ; mais sept ou huict lieuës au dessus il commence d’estre plus haut & fertile pour la plus grande part. Or la riuiere fe diuife plus auant, comme en crois branches,qui descendent de diuers quartiers, & arroufent des contrees fort fertiles. Il s’ytrouue beaucoup de fort bon bois de lettre, mais on ne le peut amener iufques aux nauires qu’auec grandlabeur & beaucoup de frais. Suiuent apres le long de la mesme colle quelques autres riuieres, fçauoir Coapici, Parooma & Moruga (que les nostres nomment Ammegore ) les habitans de laquelle,les Espagnols venus de la Margarite & de Caracques, chasserent du païs de leurs predecef- 10 feurs, par le moyen des CIϽIϽ TROISIEME

PARTIE.

ORENOQVE,

CHAP.

XVIII.

Description de la riuiere de l’Orenoque en general, selon que les Espagnols en ont escrit.

50

O v s sommes à prefent paruenus à cette noble riuiere, que prefque tous ceux de l’Europe appellent maintenant Orenoque : de laquelle les Efpagnols & les Anglois ont escrit des merueilles ; la renommee estant dés long temps ferme, qu’on pouuoit par icelle aller dans la Prouince remplie d’or de Guaianaou Dorado ; & à la ville tant renommee & fi curieufement cherchee de Manoa : laquelle semble auoir receu fon nom de la verité, car plusieurs amorcés par vne vraye esperance d’or, ont entrepris de tres-difficiles chemins , pour trouuer cette ville & la Prouince doree : principalement par cette riuiere,pource qu’ils la croyoyent estre la plus proche du Peru, & & qu'Orellan l’auoit nauigee, d’où vient que souuent ils lui donnent fon nom. Or afin que nous exprimions plus commodement la situation de cetre riuiere & des Prouin- -4* ces qui l’aduoisinent, nous commencerons par les voyages des Espagnols (comme nous auons fait ailleurs) qu’ils ont entrepris en diuers temps & pour diuerfes occafions. Il femble que Christofle Columb en fa troifieme expedition l’an CIϽ CCCC XCVIII ne fut pas loin de l’emboucheure de cette riuiere, car ayant trouué l’Isle appellee auiourd hui la Trinidad, doublé fon Cap Oriental, entré dans le destroit, qui la fepare de la Continente, veu de loin Paria, par l’estroite emboucheure, qu’on nomme la Boca del Drago, il alla iusques à la Marguerite,passant outre cette riuiere: & n’y a point de doute qu' Americ Vespuce, qui l’an CIϽ CCCC XCIX vifita ces colles iufques au Cap de la Vela, ne l'ait aussi outrepassee, & apres lui Pinzon l’an CIϽIϽ toutesfois aucun Espagnol n’est entré ni ne l’a visitee auant Diego de Ordas, qui l’an CIϽIC xxxi obtint de 50 l’Empereur Charles Roi d’Espagne, des lettres patentes fort amples, par lesquelles il n’estoit permis qu’à lui seul de visiter le Continent de l’Amerique Meridionale, depuis le Cap de la Vela, jusques à deux cents lieues vers le Leuant, y mener des Colonies, & d enclore ces Prouinces fous vn Gouuernement. Icelui donc ayant de bonne heure prepare tout ce qui lui estoit necessaire, embarqué quatre cents soldats auec raisonnables munitions de guerre & de bouche,il tira vers la Continente où il arriua proche du Marannon,

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Marannon, de là il prit à la despourueuë dans vn canoa quatre Sauuages, qui auoyent deux pierres comme des esmeraudes, l’vne desquelles estoit plus grosse que le poing: dont ils difoyent qu’il s’en trouuoit en quantité au dedans de la riuiere ; de plus qu’il y auoit à quelques quarante lieues au dedans du païs vne haute montagne fur le bord de là riuiere,couuerte d’vn nombre infini d’arbres,qui portoyent de l’encens ; ainsi incité par ces choses,il desiroit vniquement de visiter cette riuiere : mais ne pouuant approcher plus pres à cause des bancs,& ayant brisé vn de ses nauires contre les rochers auec la perte de plusieurs de ses gens, apres auoir efté emporté par vn fort courant vers l’Ouest outre l’emboucheure de cette riuiere,il courut le long de la cofte de cette Conlo tinente iufques à Paria, où arriuant, il trouua que le Gouuerneur de Tille de la Trinidad,, Antoine Sedenno y auoit desia basti vne forteresse en la Prouince du Cassique Yuripari, de y auoit laissé son Lieutenant Iuan Gonzales auec vne bonne garnison pour la garder : neantmoins mettant pié à terre, il prit la forteresse de la donna à ses soldats ; & y establit pour commander Martin Iuan Tasur ; là raifon eftoit que Sedenno auoit passé les limites de fon Gouuernement, & auoit pris efclaues contre l’Edict du Roi d’Espagne, les Indiens de cette contree & les auoit emmené ailleurs en miserable seruitude. Apres cela il entreprit de vifiter la riuiere,& eut grande disette de viures, iufques à ce qu’il arriua au village du Cassique Viapari, du nom duquel, la plus grande part de cette riuiere estoit appellee au passé. Il fut là receu amiablement de ce Cassique, & y prit place pour XQ hiuerner, contre le gré de fes foldats,qui eussent mieux aimé de palier outre, & de baftir vne ville plus au dedans du païs. Or l’hiuer eftant passé, il commença de monter la riuiere,mais ayant brifé le principal de fes nauires contre vn certain rocher, il mit à terredeux cents hommes de pié & quarante à cheual ; & poursuiuit son chemin par terre le long des bords de la riuiere ; ils marcherent beaucoup de iours sans voir personne, excepté quelques Sauuages qui viuoyent de poisson, rudes au relie de deftitués de toutes choses, de la nation des Caribes ; car il n’osoit pas s’esloigner du riuage à caufe du petit nombre de fes gens. Ayant cheminé en cette façon cinquante iours auec grand peine de difette de viures,il trouua vne autre riuiere,qui fe deschargeoit dans cette ci : Et combien qu’vn Sauuage Arwaque de nation,lequel l'auoit guidé iusques-là, lui con50 feillast dequitter la grande riuiere, de de monter le long de l’autre, lui promettant qu’apres quelques iournees de chemin il trouueroit de riches nations & qui vsoyent d’habits ; il n’y voulut point confentir , mais il fuiuit le grand canal, iufques à ce qu’il arriua à la cataracte,, du haut de laquelle l’eau fe precipitoit auec grand bruit fur les rochers qui estoyent au dessous, de forte que les nauires ne pouuoyent en façon qui foit monter plus haut : par ainfi fon dessein eftant rompu, il retourna vers ses gens où il arriua dans peu de iours. Il fe refolut puis apres de nauiger vers le golfe qu’on nomme Cariaco, & d’y choisir vn lieu pour y baftir vne ville: mais ayant esté reietté par vne tempefte contraire à Cubagua, i 1 fut là abandonné de fes soldats ; voila pourquoi il s’en alla tout desconforté à Hispaniola, & delà en Espagne, & peu apres il mourut, on ne 40 fçait pas si ce fut en Espagne ou en y allant. Voila quelle fut la premiere expedition des Espagnols dans cette riuiere Yuapari, comme elle fe nommoit lors : de laquelle Ralegh s’eftoit laissé perfuader beaucoup de fables par les Espagnols, qui ne font confirmees par aucun digne Autheur. Or nous auons pris ce que nous venons d’en dire de Herrera Historiographe du Roi» CHAP.

XIX.

Discours des choses qui ont esté du depuis faites par les Espagnols en visitant cette riuiere, notamment par Ortal. 50

PRES la mort de Diego de Ordas,\e Gouuernement de Paria fut concedé par l’Empereur à Hierorme de Ortal l'an CIϽIϽXXXIII : qui arriuant à cette forteresse,establit pour fon Lieutenant Alfonse de Herrera ; lequel il enuoya auec deux cents soldats de cinq barques descouurir plus à plein la riuiere de Yuapari. Icelui entrant dans cette riuiere arriua premierement à Caroa, lieu cognu desia d’auparauant, où il feiourna quelque temps ; enuoyant cependant quelques-vns de ses gens pour defcouurir

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DESCRIPTION DES INDES

descouurir le païs plus auant; qui n’ayans trouué personne qui soit, retournerent vers leurs nauires ; puis apres il tira vers la riuiere de Carinaca. Cependant Ortal s'en estantallé à Cubagua, pour querir de Tes soldats, qui auoyent esté portés là par vue tempeste contraire; ayant efté retardé en plusieurs façons,changea de refolution & entreprit vne autre expedition,comme nous dirons en fon lieu. Or Herrera voyant qu’il y auoit force Sauuages qui demeuroyent au costé droit de la riuiere de Carinaca, il y descendit ses gens, & apres vn douteux combat il battit les Sauuages, & en prit plufieurs dentr’eux : ils trouuerent-là quelques peu de viures, dont ils assouuirent leur faim. Il monta puis apresla riuiere de Caxauauna, qui passe au trauers des deferts,de forte que fes foldats deffailloyent faute de viures ; & il ne rencon- ÏO tra nulle perfonne, si ce ne fut quelques Caribes, qui descendoyent auec leurs pyragues; lesquels il tua ou prit auec perte de quelque peu des siens : il apprit là de ces prisonniers qu’il auoit desia laissé Guiana derriere,& qu’au deuant de lui il y auoit la spacieuse region de Meta-,les habitans de laquelle eftoyent vestus, & remplis de grandes richesses. Ces Sauuages lui monstrerent puis apres le chemin vers Caburutu. Il est necesaire d’ouïr vn peu le iugement d'Antoine de Herrera : plufieurs (dit-il) croyent encore auiourd’hui, que la riuiere qui trauerfe Meta, , soit la mesme que celle qui lourd du Nouueau Royaume de Granade, & est là appellee des Sauuages Turmeque, par Cette raison, que des riuieres qui prennent leur origine dans ledit Nouueau Royaume, les vnes courent vers l’Eft,les autres vers l’Oueft : mais cette opinion n’eft pas approu- to uee ; car ceux qui ont parcouru ces regions, affeurent, que cette riuiere est appellee Orinoco, entre laquelle & le Marannon il y a des Prouinces spacieuses, qu’on nomme vulgairement El Dorado. Mais pour en donner aussi mon jugement, cette derniere opinion ne deftruit point la premiere, car ce n’eft point chose nouuelle ni estrange, qu'vne mefme riuiere foit en diuers lieux & par diuerfes nations, appellee de diuers noms : de forte que l'Orenoque & Turmeque ne puisse eftre vne mefme : de fait il y a grande apparence que l'Orenoque descend pour la plus grand part du Nouveau Royaume, comme nous dirons ci-apres. Mais retournons à l'expedition. Les Efpagnols partans de Cabaruto, trouuerent que tout le pais auoit efté gafté par les Caribes, & paruindrentenfin à la cataracte, de laquelle de Ordas estoit retourné : mais 3° Herrera fans s’en estonner, fit descharger fes chaloupes, & les porter outre auec beaucoup de peine & de danger ; estant au dessus d’icelle, ils entrerent dans vne côtree plate & pleine de campagnes, mais qui n’eftoit habitee de personne ; & arriuerent enfin apres plufieurs iournees à l’emboucheure de la riuiere qui trauerfe Meta ,• là ayans tiré leurs chaloupes à terre, & y ayans descendu, ils trauerferent par vn chemin fort ennuyeux au trauers des marais & lieux fort empeschés ; iufques aux villages des Sauuages, qu’ils nomment Xaguas : ( qu’on disoit eftre fort furieux & mangeurs d’hommes )6C estant entré dans l’vn d’iceux apres en auoir chassé les Sauuages, ils y prirent vne assés bonne abondance de viures. Puis passans de l’autre cofté de la riuiere, ils e logerent pour s’hiuerner dans vn autre village, ou ils trouuerent, entre autres animaux, des 4<j chiens muets, que les Sauuages appelloy ent Mayi & Auries, dont la chair n’eftoit pas moins delicate que celle des cheureaux.Mais les Sauuages les aflaillirent peu de temps apres fi inopinement,qu’ils en tuerent & blesserent plufieurs dentr’eux,& entre autres Herrera,qui mourut enragé vn peu apres : Aluaro de Ordas succeda en fa place, lequel r’emmena le refte aux nauires, & enfin s’en retourna à Paria; mais y ayant trouué la forterefte abandonnée ( pource qu'Ortal,comme nous auons dit ci-dessus, auoit changé de refolution) il mena ses gens ailleurs. Voila ce qui a esté fait par les Espagnols dans la riuiere de Viapari iufques à l'an CIϽIϽ XXXVI. Ils y ont du depuis entrepris beaucoup d’autres voyages,lors qu’ils cherchoyent auec beaucoup de peine El Dorado,d ont plusieurs Autheurs ont fait mention, mais 50 pource qu’ils font mal afteurés nous les auons obmis en ce lieu : pour nous hafter aux choses qui y sont aduenuës de nostre temps,

CHAP.


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CHAP. XX.

Des choses que les Espagnols y ont faites depuis & notamment Gonzalue Ximenes de Quesada, & Antoine de Berreo. OMME Pedro de Orfua, à l'imitation de Pizarre ; auoit cherché du Gouuernement de Quito la contres d’El Dorado fi riche en or, aussi Gonzalue Ximenes de Quesada essay le mesme du Nouueau Royaume de Granade, par la riuiere de Papamene,comme raconte Walther Ralegh en la description de Guiane ; mais auec aussi peu 10 de succes. Icelui donna fa fille en mariage à Antoine de Berreo, qui pourfuiuant le dessein de son beau-pere, tomba enfin entre les mains de Ralegh, qui le prit dans l'Isle de la Trinidad, auquel il raconta la fuite & l’euenement de fon entreprife » comme Ralegh l'a rapporté dans fes Commentaires , desquels nous en reciterons ici quelque chofe briefuement. Antoine de Berreo (dit-il ) chercha vn passage pour entrer du Nouueau Royaume de Granade dans Guiane, & defeendit par la riuiere de Cajfanar, laquelle tombe dans la grande riuiere appellee Pato, qui descend dans Meta, laquelle enfin se rend dans la Barraqua,que d’autres nomment Orenoque, Or Cajfanar fourd dans le Nouueau Royaume de Granade des montagnes de Tunia ; defquelles descend aussi Pato ; qui fe meslent l'vne & l'autre dans Meta, laquelle prend zo fon origine pres de Pampelona,ville du mesme Royaume de Granade, Nous auons ci desfus,en la description du Nouueau Royaume, fait mention de la riuiere de Pato, & nous auons dit,fuiant Herrera,qu’elle entre dans la grande riuiere de la Magdelene. Meta aussi, auec Guaiare (qui sourd des montagnes, lesquelles font au dessus de Timana ) coulent dans la Barraqua ; toutes ces riuieres font comme autant de branches de cette grande riuiere, dans laquelle elles fe perdent auec leur noms, tout de mesme que la Barraqua,qui est appellee plus bas Orenoque. Par ainsi de Berreo auec fes troupes defeendit par Cajfanar dans Meta, & delà dans la Barraqua, partie en marchande long des bords des riuieres, en partie porté par chaloupes ; mais apres qu’il fut entré dans le canal de la grande riuiere, il perdit beaucoup d’hommes & belles de charge, à cause que plu$0 sieurs de fes chaloupes furent brifees contre des rochers aueugles, ou renuerfees par le grand courant & par le grand nombre des remoux : il perdit aussi beaucoup de fes gens en combatant contre les Sauuages habitans les montagnes; & ne fit rien de remarquable durant vn an entier, beaucoup plus incertain de la situation de Guiane qu’auparauant ; iufques à ce qu’il arriua fur les limites d'Am ap ai a, à huict iournees de chemin de la riuiere qu’ils nomment Caroli. La Prouince d'Amapaia est situee le long des nuages de Orenoque, richefurtout en or,si on doit croire Antoine de Berreo & les Sauuages qui y habitent. Il y seiourna six mois,& apres auoir perdu le meilleur de fes gens, plusieurs cheuaux en diuers côbats contre des Sauuages fort hardis, enfin il impetra d’eux la paix, &huict statuës d’or fin, 4Q faites si industrieusement, comme il tesmoigne lui mesme, qu’elles disputoyent auec celles de l'Europe; qui furent enuoyés au Roi d’Espagne : Les Sauuages defquels il auoit receu ce present fe nommoyent du nom de leur nation Anabas ; or la riuiere de /’Orenoque au droit de leur Prouince auoir desia douze lieues de large, combien qu on estime que cette Prouince foit à fept ou huict cent lieuës de l'emboucheure d’icelle. En outre îe terroir de la Prouince d'Amapaia eft le long de la riuiere bas & marescageux, & les ruisseaux & torrents qui passent par icelui, prennent vne couleur rouge du limon ; & engendre beaucoup d’insectes fort venimeux, de forte qu’il fait fort dangereux, voire mortel,d en boire, comme Berreo raconte qu’il a efté experimenté par la mort de plusieurs. Eftant parti delà & marchant le long du bord du Sud de la riuiere, il commença de JO chercher diligemment & auec grande peine, s’il ne pourroit point trouuer quelque passage pour entrer dans Guiane, mais en vain,car par tout il y auoit des montagnes fort hautes & droites: ioint qu’il rencontra plusieurs riuieres,qui descendoyent de collé & d’autre dans l'Orenoque,le nom defquelles il disoit n'auoir pas appris ou les auoir oubliés,excepté de la riuiere de Caroli ( car il fe faifoit fi ignorant de la Cosmographie, qu’il ne sçauoit pas discerner les places du monde ) de forte qu’il auoit mauuaise Frf r efperance


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DESCRIPTION DES INDES

esperance du succes de Ton entreprise , iusques à ce qu’il fust venu dans la Prouince d'Emeria, où il trouua des viures en afles bonne abondance, & des habitans beaucoup plus ciuilisés. Le Cassique de cette Prouince fe nommoit Carapana, vieux de prefque cent ans, lequel auoit en fa ieunesse visité les Isles de la Trinidad de de Margarite , & auoit trafiqué auec les Chreftiens encore en d’autres quartiers ; de forte qu’estant imbu de leurs couftumes, il gouuernoit fes suiets plus paisiblement, de s’accordoit assés bien auec les Caribes fes voifins. De Berreo ayant feiourné là quelque temps, comme il estima qu’il fçauoit afles que c’eftoit de Guiane, il defcendit le long de la riuiere iufques à la Trinidad, & delà nauigea vers la Margarite ; d’où il retourna auec cinquante foldats Vers l’Isle de io la Trinidad, de fe logea là : mais vn peu apres il enuoya quelques-vns de fes gens a Carapana ; qui les renuoya à Morequite, Cajftque voifin,qui fçauoit mieux fans doute le chemin de Guiane pource que fon païs,comme on disoit, n’estoit distant que de cinq iournees de Macureguara, premiere ville de Guiane. Ce Morequite auoit porté quelques annees auparauant beaucoup d’or à Cumana & à la Margarite ; & auoit tant exalté les grandes richesses de Guiane à Viedo , qui eftoit pour lors Gouuerneur de l’Isle de la Margarite ; qu’il pourchafloit d’obtenir du Roi d’Espagne priuilege de la pouuoir seul defcouurir de fubiuguer : dequoi estant cause Morequite de qui fans doute fauorifoit moins à de Berreo,ne receut pas volontiers fes foldats ; toutesfois n’ofant pas ouuertement refuser, il commit quelques- 10 vns de fes gens , pour monftrer le chemin de Guiane à ceux de Berreo , entre lefquels estoit vn Moine : de forte qu’apres onze iournees de chemin, ils arriuerent à la ville de Manoa, & recouurerent beaucoup d’or ( comme de Berreo racontoit, car les Sauuages nient qu’ils ayent iamais efté iusques-là ) mais comme ils retournoyent, & qu’ils eftoyent desia fur les limites d'Aromaia, ils furent tous tués par les fubiets de Morequite, excepté vn qui apporta les nouuelles de ce defaftre, de comme le tout s’estoit paflé à Berreo, lequel enuoya ausi tost plufieurs de fes gens pour vanger la mort de leur camarades ; mais Morequite craignant cela passant la riuiere de l'Orenoque s’enfuit au trauers de la Prouince de Saima de de la contree des Viquires à Cumana par deuers le Gouuerneur Viedo, croyant en vain de s’y pouuoir garentir de d’obte- 50 nir pardon de fa faute; mais icelui,combien que Morequite lui promift vne grande quantité d’or pour fauuer fa vie, toutesfois pource que par fon moyen tant d’Espagnols de entre iceux ce Religieux auoyent efté tués , n’ofant le refufer à Berreo, qui le demandoit au nom du Roi, il enuoya ce miferable lié à l’Isle de la Trinidad, où il fut fait mourir par Berreo. Or les foldats qu’il auoit enuoyés gafterent la Prouince, & prirent Topia Warioncle de Morequite; lequel fe rachepta apres pour cent lames d'or de plufieurs pierres precieuses, que les Efpagnols nomment Piedras Hiadas & fut Gouuerneur d'Aromaia. Cependant de Berreo fe voyant pour le mal qu’il auoit fait estre haï de plufieurs habitans de l'Orenoque, qui aimoyent Morequite, n y ofa plus enuoyer fes gens, ex- 4° cepté à Carapana, par le moyen duquel il efperoit de trouuer quelque iour le chemin de Guiane. Et afin de pouuoir derechef obliger les Morequites,il fit baptizer le coufin du defunct, le fit nommer Don Iuan, de le commit pour leur commander. II enuoya aufli grande quantité d’or en Espagne de en diuers quartiers de l’Amerique Meridionale, pour recueillir des foldats , auec lefquels il peuft vn iour conquester Guiane: cependant qu’il pourfuiuoit de entreprenoit ces chofes il fut pris de Wather Ralegh. Apres cela les Espagnols menerent vne Colonie sur les bords de l'Orenoque, & y bastirent la ville de S. Thomas, de laquelle nous parlerons quand nous aurons acheué de traiter ce que VValther Ralegh a fait en ces quartiers , selon qu’il le raconte lui mesme.

CHAF.


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XXI.

Premiere expedition du Cheualier Walcher Ralegh vers la riuiere de l'Orenoque qui fut l'an CIϽ IϽ xcv. Alegh croyant auoir efté affés informé par Berreo des richesses de Guiane & des chemins pour y aller ; se refolut de l’essayer par toutes fortes de moyens ; mais il se prefentoit beaucoup de difficultés, & entre autres vne la plus grande de touto tes, qui eftoit qu’ils ne fçauoyenc pas par qu elle emboucheure ils deuoyent entrer, pour venir dans le canal de lagrande riuiere : voila pourquoi il enuoya premierement ton Vice-Admiral Georges Gifford auec vne fregade & vne petite barque, pour essayer l’emboucheure de la riuiere, qu’on nommoit Capuri, mais il n’y fit rien, car combien qu’à l’entree il y eust neuf piés d’eau à la maree haute, & feulement cinq à baffe mer, toutesfois ils nepeurent s’auancer tant vers le Leuant, ou passer les baffes qui s’estendent des Isles vers la mer, auant que la maree s’en retournait: puis apres il enuoya N. King auec vne vne chaloupe, pour effayer l’autre branche ( que les Saunages nomment Amana ) qui fort au fond de la baye de Guanipa, comme ils l’appellent, mais il trouua auffi que cette-ci estoit peu profonde & seulement propre pour des barques :Toutes20 fois à la fin Iean Dowglasse trouua quatre emboucheures fort larges, mais qui fortoyent dans vne baye laquelle n’auoit que fix piés de fond ; Voila pourquoi laiffans leurs grands nauires dans le port, ils fe mirent dans vne fregade. Ils tracasserent quelque temps entre des Ifles & plusieurs canaux car le Sauuage Ferdinand qu’ils auoyent mené auec eux pour guide,estoit du tout ignorant de ces lieux; iufques au vingtieme de May; auquel iour de bonne fortune ils rencontrerent vn canoa de Sauuages, dans le canal de la riuiere (auquel ils donnerent le nom de la Croix rouge) & contraignirent vn dentr’eux de leur monftrer le chemin, or c’eftoit vn vieillard qui fçauoit fort bien ces lieux-là. Les Sauuages ( dit Ralegh ) qui habitent dans ces Isles, font appelles d’vn nom commun Tiuitiuas, & font de deux nations, dont ceux de l’vne font Caiwani, & de l’autre 3 o VVarraweery: robuftes de corps & nullement laids, qui vfent d’vn langage fort viril & magnifique. Aux mois de l’esté ils baftiffent leurs cabanes fur terre, mais l’hiuer ils les font au sommet des arbres ; car depuis le mois de May iufques en Septembre la riuiere de l' Orenoque s’enfle si fort & apporte tant d’eaux , que les Isles pour la pluspart en sont inondees, quelques-vnes des plus hautes exceptés, & l’eau croift bien fouuent vingt piés par deffus ses riuages. Ils viuenp de palmites 8c d’autresfruicts d’arbres , comme auffi de venaifon ; 6c ne fe trauaillent point à cultiuer les champs, eftans faineans 6c ne pouuans supporter le trauail. Or la riuiere de l’Orenoque forçant en mer par feize emboucheures & peut estre dauantage,fepare vn grand nombre d’Isles,quelques-vnes desquelles on estime estre auffi 40 grande que celle de VVicht, quelques-vnes moindres ; de tertequ’on pente quel’emboucheure la plus au Sud, est distante de celle qui est la plus au Nord d’enuiron cent lieuës,& que toute l’emboucheure en general a plus de c c c milles Angloises, surpasfant de beaucoup celle de la riuiere des Amazones ; or vne partie de ces Ifles font appelles des Sauuages Pallamos , & les autres Horotomeka, dont ces dernieres font à la main droite en entrant, les premieres a la main gauche. enfin le canal qui va d’Amanu à Capuri, est nomme des Sauuages Macuri. Ralegh ayant trouué ce guide fi à propos,partant de l’Isle des Giawani, vogua quatre jours iufques au canal ouuert de la riuiere,qui est nommé le grand Amana, & delà tira plus droit vers le Sud: il eftoit desia venu iufques au cinquieme degré de la ligne vers te 1° le Nord, quand les matelots commencerent à debiliter par trop de chaleur & de trauail, & tous enfemble à eftre preflés de disettede viures ; & sans doute ils s’en sussent retournés sans rien faire, n’euft efté que leur guide les mena par vn canal qui fortoit à la main droite, à vn certain village de Sauuages, où ils recouurerent quelques viures ; qui fuffirent feulement pour peu de iours, & derechef eftoyent tombés en mesme necessité, lors que fort à propos quelques canoas les rencontrerent,qui alloyent, chargés de viures, à l'iste de la Margarite : D'iceux ils ne recouurerent pas seulement

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DESCRIPTION DES INDES des viures contre leur faim, mais aussi vncertain Martin de la nation des Arwaques, baptizépar les Espagnols, qui leur monftra le plus court chemin pour aller dans le principal canal de l'Orencque, de sorte qu’ils voyoyent desia de loin les hautes montagnes limites de Guiane, Or apres qu’ils eurent moüillé l'anchre n ce lieu vis à vis de trois riuieres qui fortoyent dans la grande, Toparimaca, Cassique de cette Prouince vint à eux, apportant dîners fruicts de ce quartier d'autres viures, & les mena à fon village, situé sur une petite montagne, enuironné de toutes parts de iardins & de champs fertiles ; le nom du village eftoit Arowocay, & les habitans eftoyent de la nation des Nepoies. Ayans recouuert en ce lieu vn autre guide, qui fçauoit fort bien la fituation de ces lieux & le io cours de la riuiere, ils partirent derechef, & auec vn fort vent d’Est, qui leur eftoit fauorable ( car ce canal court presque droit à l'Ouest ) ils passerent premierement outre vers vne Isle qui eft au cofté gauche, laquelle auoit enuiron vingt cinq milles de long» & six de large ( les Sauuages la nommoyent Assapana ) que le principal canal de la riuiere rasoit de l’autre cofté: puis apres droit vers vne autre Isle presque deux fois plus grande,qu’ils appelloyent Iwana ; & le canal qui la fepare du Continent de Guiane, Arrowapana ; de forte que la terre ferme eft diftante d’vn cofté & d’autre de trente milles. A la main droite & vers l’Oueft de l'Isle d’Assapana, la riuiere d'Europa entre dans l’Orenoque, venant de deuers le Nord : ayant pafle ce confluant ils moüillerent l’anchre au dessous de l'Isle d’Ocaywita, longue de fix milles & large de deux : & le lendemain au 10 dessous de l’Isle de Putayma, vis à vis de laquelle il y a vne haute montagne dans la terre ferme,que les Sauuages nomment Oecope : d’où voguans vers l’Ouest, ils virent à la main droite vne fort belle plaine & des champs fertiles ; que le Sauuage qui les guidoit disoit estre appellee la campagne de Sayma, & qu'elle s’estendoit par vn grand espace de terres iufques à Cumana, & mesmes iufques à Caraca prefque cent & vingt lieues vers le Nord, & qu’en cet espace il y auoit quatre diuerfes nations qui y habitoyent, premierement les Saymanes ; puis apres les Assawayes ; en troifieme lieu les VVikires nation fort peuplee, qui auoyent tué es annees passees Pedro Herdez de Serpa ; enfin les Aroras, qui estoyent presque aussi noirs que les Negres, & auoyent le poil de la testepoli & non 30 frisé, nation au refte fort belliqueufe,fe feruant de flesches enuenimees. enproche riuiere de la riue gauche de la Le troifieme iour ils moüillerent l’anchre tre les deux montagnes Aroami & Aiu : le quatrieme iour ils passerent outre l’Isle de Manoripara, siiuee au milieu de la riuiere ; enfin le cinquieme ils arriuerent dans la Prouince d’Aromaia, de mouillerent l’anchre près de la pointe Occidentale de l’Isle de Murrecolima, qui auoit de long dix milles & de large cinq ; & le derrière iour ils arriuerent dans le port mesme de Morequite, où vint à eux l’oncle de Morequite, de fon village qui eftoit à quatorze lieues du nuage,combien qu’il euft desia plus de cent dix ans. Ce vieillard expliquoit la fituation de Guiane en cette façon. Que toute cette regioniusques à Erneria s' appelloit Guiane, & les habitans d’vn nom commun Orenoquepones, iufques à la montagne de VVacarima, qu’on pouuoit voir bien loin au dedans du 40 païs. Qu’au delà des montagnes il y auoit encore vne plaine,nommee la vallee d'Amariopacana, les habitans de laquelle font aussi Guianites; & que dans les Prouinces qui font au dessus celles-là il y estoit arriué au temps pafle des nationsestrangeres, qui se nomment Oreiones & Epuremes ; qui auoyent en partie tués, en partie chassés des demeures de leurs ancestres, les habitans d’icelles (exceptés seulement les Awarawques & les Cassipagotes ) & y auoyent bafti vne belle ville auec de magnifiques edifices, qu’ils nomment Maeureguara. Estans partis du port de Morequite, & montant plus haut la riuiere, ils s’arresterent la premiere nuict au dessous de l’Isle de Caiama, qui a cinq ou fix milles delong : le lendemain ils arriuerent à l’emboucheure de la riuiere de Caroli, mais à cause de son grand courant ils ne la peurent iamaismonter ;parainfi ayans enuoyé quelques Sauuages pour prier Camuria, de descendre vers euxle lendemain le CajJtque VVanuretona les vint trouuer auec plufieurs de ses gens, qui apportoyent toutes fortes de viures & divers fruicts : car ils n’eftoyent pas feulement ennemis mortels des Epinemeios, mais aussi des Efpagnols. Ce Cassique racontoit qu’au dedans de la Continente fur les bords du lac de Cassipa,duquel la riuiere de Caroli sortoit, habitoyent trois puiflans peuples les

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597 OCCIDENTALES. LIVRE XVII. les Cassiapagotes, les Eparagotes & les Arawagotes, extremement ennemis des Espagnols. Ralegh enuoya quelques-vns de ses gens pour visiter la contree voifine ; des richefles de laquelle il conte merueilles dans fes Commentaires. Le long de la riue de main gauche de la riuiere de Caroli Ce tiennent les Awarapaques, desquels nous venons de faire mention. Du mefme lac fort vne autre riuiere nommee Aroy apres laquelle coulent deux autres riuieres Aloica & Caora ; le long des nuages du dernier on dit que demeurent ces Sauuages, qui ont la teste si pres des efpaules,que plusieurs ont creu qu’ils auoyent les yeux & la bouche dans la poitrine, ils les nomment Ewaypanomas. La quatrieme riuiere vers l’Ouest de Caroli est appellee Cafnero>laquelle se perd dans l'Orenoque le long d'A mapaia, aussi grande qu’aucune riuiere de noftre Europe.

CHAP.

XXII.

Catalogue des riuieres qui entrent dans l'Oreno que ; & le reste de l'expedition de Ralegh. VANT que de poursuiure l’expedition de Ralegh, il est necessaire de mettre ici le catalogue des riuieres, qui entrent dans l’Orenoque. La premiere riuiere ( dit Ralegh ) qui descend de deuers le Nord dans l’Orenoque eft appellee Cari : & la seconde d’apres vers l'Ouest, Limo : entre les deux habitent tant fur ie riuage qu’au 10 dedans du païs les Canibales ou Antropophages ; le principal village desquels eft nommé Acamacari où se tient tous les iours marché de femmes, que les Arnaques acheptent chacune trois ou quatre haches, & les menent vendre en d’autres Prouin ces de l’Amerique Meridionale. Suit apres vers l'Ouest la riuiere de Pao, & peu apres celle de Caturi Voari & Capuri, qui fort de la grande riuiere de Meta-, laquelle nous auons dit que Beree auoit descendu venant du Nouueau Royaume de Granade. Vers l’Ouest de Capuri est situee la Prouince d’Amapaia, dans laquelle il hiuerna, & perdit beaucoup de ses gens qui moururent par les eaux enuenimees. Au dessus d’Amapaia tirant vers le Nouueau Royaume de Granade, descendent dedans Meta les riuieres de Pauo & de Cassanar. Vers l’Ouest de cette riuiere & la Prouince des Sauuages nommés Ashaguas Sc Catety sui30 uent les riuieres de Beta, de Dawney & d’Fbarro ; & dans les limites du Peru sont les Prouinces de Tomebamba Sc de Caxamalca. Enfin proche de Quito,, vers le costé Septentrional du Peru passent les riuieres de Guiacar & de Goauar : finalement de l’autre costé des montagnes la riuiere da Papamene ( qui apres auoir trauerfé la Prouince des Mutylones descend dans la riuiere du Marannon ou des Amazones ) fur les riuages de laquelle Pedro de Orsua auoit bafti fes chaloupes, lors qu’il cherchoit passage par la riuiere des Amazones pour entrer dans la Dorado. Vn chacun qui a tant soit peu veu la description du Peru, cognoistra. aisement que ces chofes font fort confufes. Or encre Darvney Sc Beta, la riuiere de la Bar raqua ( car l'Orenoque s’appelle ainfi en cet endroit ) embrasse fille d'Athule, au dessus de laquelle les barques vn peu gran40 des ne peuuent monter,à cause des grands saults & du grand courant. Au reste, comme la riuiere del'Orenoquecommençoic à s enfler desmesurement, à cause des frequentes pluyes,Ralegh trouua pour le mieux de s’en retourner ; voila pourquoi ayant laide l’emboucheure de la riuiere de Caroli, il retourna le mesme iour à Morequite ; où discourant derechef auec Topia wari touchant l’estat des Epuremes, il apprit premierement que leur ville de Macureguara n eftoit feulement qu a quatre iours de chemin de ce village; & comme Ralegh eut promis de retourner l’annee d’apres auec plus degens;le Cassique lui donna vn sien fils, & il lui laissa comme en oftage deux de ses gens. Putima, Cassique de VVarapana descendit auec Ralegh,pour le mener à vne montagne situee dans sa Prouince, où on croyoit qu'il y auoit de fort riches veines d or : or ils des50 cendirent premierement le long de la riuiere de Mana ; laiflans à la main droite le village de Tuteritona, qui eftoit des appartenances de la Prouince de Tarracoa : au delà de laquelle eft fituee la tres-belle vallee d’Amanocapana, qu’on estime auoir enuiron foixante lieues de long entre l’Est & l’Oueft; puis coupans à trauers la riuiere d'Oiana, ils s’arresterent vn peu aupres d’vn lac qui occupe en cet endroit le milieu de la riuiere; Sc rechercherent soigneusement vn autre lac,afin de pouuoir par ce moyen attaindre rrrr 5 la

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DESCRIPTION DES INDES la montagne d'Iconuri, où on disoit qu'il y auoit de l' or : Mais pource que Ralegh ne pouuoit plus fupporter la fatigue du chemin,il enuoya Keymis, afin de viîiter diligemment le lieu, puis apres passer par la vallee pour se rendre à la riuiere de Cumaca, où il le deuoit attendre. Ils descendirent donc outre la riùiere le long de la Prouince de Parino iusques a Ariacoa, où la riuiere de l'Orenoque fe diuife en trois belles branches, l'vne desquelles, dite Cararoopana,a vers la Prouince d'Emeria, sur laquelle commandoit lors Carapana : par laquelle Ralegh descendit,pour rencontrer Keymis. Dans ce canal il y a plufieurs Mes parfemees,quelques-vnes desquelles ont fix milles, d’autres dix, d’aucunes vingt. A Soleil couchant ils tomberent dans vn autre bras de riuiere,nommé FFinicapora ; au 10 d dedans duquel on difoit qu’il y auoit vne montagne de cryftal, mais à cause de la longueur du chemin , & estonnés de la faifon mal commode, ils la virent seulement de loin,comme vne tour blanche & forthaute. La riuiere fe precipite de cette montagne auec grand bruit dans vn grand abysme, de sorte qu’il est difficile de trouuer ailleurs vne telle cataracte, les Saunages la nomment VVacarima. Or ils apprirent lors que Carapana ayant laide Emeria, estoit fui auec quelques Espagnols vers Cairamo fous les montagnes qui separent Guiane des Orenoquepones : voila pourquoi ils retournerent auec grande difficulté au haut de la riuiere de Carerupana ( laissans vers le Leuant quatre riuieres VVaracoyari, Coyrama, Anakiride Iparoma, qui descendent toutes des montagnes d'Emeria se perdent dans l'Orenoque ) & delà à l'emboucheure de la riuiere de Cu- LO 'mana ; & ayant pris Keymü auec ses gens, ils voguerent vers cet endroit où nous auons dit que l'Orenoque se separe en trois branches ; puis apres ayant salué en passant l'Isle d’Affapana, ils entrèrent dans le portde Taparimaca ; & partans delà, pource qu’il leur estoit impossible de retourner par Amana, chemin par lequel ils estoyent venus, ils entrerent dans vn autre bras de /’Orenoque nommé Capuri ; ainfi non fans grand danger (car l’emboucheurede Capuri eftoit prefque autant distante de leurs nauires qu’est Douurede Greuelingue) ils arriuerent enfin à leur flotte ; & puis apres en Angleterre. Nous n’auons pas resolu de mettre ici ce que Ralegh a déclamé si magnifiquement touchant les grandes richesses de ces regions, puis qu’il n’aiamais esté creu par ceux de l’Europe ; si quelqu vn desire d’en sçauoir dauantage, qu’il lise la Guiane du mesme 30 Ralegh : quant a nous nous pourfuiurons briesuement le refte de ce que les Anglois ont fait en cette partie de i’Amerique Meridionale. CHAP.

XXIII.

Seconde expedition des Anglois en Guiane par le Capitaine Laurens Keymis l'an CIϽ IϽ XCVI. & la troisieme sous le commandement de Thomas Masham la mesme annee & celle d'apres. Alegh eftant de retour au logis, commit vne seconde expedition auec deux nauires (l'vn de/quels n’eftoit qu’vne patache) à Laurens Keymis homme diligent 40 & fort expert en ces nauigations. Icelui partit d’Angleterre le XXVI de lanuier l’an CIϽ IϽXCVI. le XIII de Feburier il atteignit les Isles des Canaries ; & peu apres celles des Hesperide ; D’où il fit voile le vingt huictieme de Feburier & arriua le quatorzieme de Mars au Continent de l’Amerique Meridionale, où il moüilla premierement l’anchre dans l’emboucheure de la riuiere d'Arrobrari(dont nous auons parlé ci-dessus. ) Et delà coftoyant la cofte vers le Nord-ouest, & visitant en paflant les riuieres qui sont entre le grand fleuue des Amazones & celui de 1'Orettoque, il arriua enfin le fixieme d’Auril à l'emboucheure de l'Orenoque ou de Raleana, comme il la nom me. Or il remarque que ce canal,qui garde long temps fon courant dans la mer,n’a pas plus de fix ou fept brades de profond, à neuf ou dix lieuës de son embouchcure ; & à 50 l'entree d’icelle à peine deux ; & la maree n’y croist que de cinq piés ; fi ce n’est au renouueau & au plein de la Lune. Là apres auoir trouué quelques Sauuages pour les conduire, ayans monté la riuiere huict iours ils arriuereut au port de Topiawari : ils ne virent nulle part aucuns Indiens amis des Anglois, car desesperans de leur venuë, pource que le temps de la promesse eftoit desia expiré, ils s'estoyent retirés en diuers quartiers pour la crainte des Espagnols. Car les Espagnols y auoyent basti en forme de

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viiictte


OCCIDENTALES. LIVRE XVII. 599 villette vingt ou trente maifons,vis à vis d’vne Me pierreuse, qui eft.au deuant de l’emboucheure de la riuiere de Caroli, pour s’y pouuoir retirer comme dans vne forteresse si les Sauuages fussent venus les attaquer en grand nombre à l'improuiste ; cependant que plus de gens fussent venus de diuers quartiers. Keymis se voyant donc inegal aux Espagnols, confiderant le peu de fiance qu’il y a aux Sauuages, & que toutes choses estoyent mal afleurees : estima que le meilleur pour lui seroit de s en retourner au plus tost. Or en montant il auoit passé outre le port de Toparimaco, où le canal est fort court d’eau,car le plus profond passe tout pres & du long de la Continente de Guiane, mais çn defcendant il costoya le codé du Sud, pour la grande largeur & profondeur de la lo riuiere,car en plufieurs lieux ils y trouuerent vingt brades de profond, & où il y auoit le moins d’eau deux & demie. Par ainfi le cinquieme mois apres fon partir d’Angleterre, il arriua a bon port dans fon païs, sans auoir rien fait de merite, si ce n'est qu’il descouurit le premier des Anglois la plus commode entree dans l'orenoque, & le vrai canal de la riuiere. Raleghenuoya la mesme annee vn autre petit nauire pour faire le mesme Voyage, sur lequel il mit pour Capitaine Thomas Masham, lequel partit de VVaymouth sur la fin de Decembre ; & le vingt cinquieme de Ianuier de l’an CI ϽIϽ xcv II ayant passé la grande Canarie, le huictieme de Feburier, il atteignit l'Isle du Sel, l'vne des Hesperides : d’où partant le douzieme du mesme, il arriua le vingt feptieme du mefme mois au Conti20 nent de l’Amerique Meridionale, sur la hauteur de deux degrés & trente scrupules au Nord de la ligne. Il alla puis apres dans la riuiere de VViapoco, &dans les autres qui fuiuent le long de la mesme colle iufques à Coretine, où il demeura à l'anchre depuis le Vingt huictieme-d’Auril iusques au sixieme de May -, sans faire chose de consequence, combien qu ayant edé trompé par les Sauuages ( comme il y a de T apparence) il eust monté la riuiere iusques aux cataractes, pour y trouuer des mines d’or & des nations fort riches. De Coretine fit voile tout droit vers les Isles des Caribes, & le XXVIII de Iuin il retourna en Angleterre,sans auoir feulement veu la riuiere de l'Orenoque. le ne trouue pas que depuis ce temps-là les Anglois ayent essayé de faire en ces quartiers quelque chofe de grand,car apres la mort de la Sereniffime Roine Elizabeth, & le cou1° ronnement du Roi laques, Ralegh ayant edé conuaincu pat arrest public de conspiration contre le Roi,& condamné à mort,par la clemence du Roi il fut confiné en prifon perpetuelle & enfermé dans la Tour de Londres.

CHAP.

Derniere expedition de

XXIV.

Walther

Ralegh en Guiane l'an CIϽ IϽ XVI & XVII. & sa mort.

PRES que Ralegh eut elle prifonnier dans la Tour de Londres prelque XIV ans,il perfuada au Roi qu’il pourroit fans difficulté descouurir en Guiane vne riche mine d’or & enrichir l’Angleterre de beaucoup d’or ; voila pourquoi il im4t petra permission d’y aller auec vne flotte de force nauires, qu’il auoit efquipee tant à ses defpens que de ceux defes amis. On pourra voir qu elle fut la fin de cette entreprife,par la lettre de Ralegh mefme qu’il escriuit de l’Isle de S. christosle à Radulphe VVinwood, Secretaire du Roi de la grande Bretagne, qui contient ces mots. Monsieur, Ie ne vous ai point iufques ici rendu conte de mon expedition aux Indes : aussi ne c'est-il point prefenté de fuiet pour vous escrire que trille & infortuné ; car combien qu’il n’y ait d’ordinaire que xv ou au plus xx iours de passage des Isles Hesperides iufques au Continent de TAmerique, i y ai rencontré des vents fi contraires & des tempestes & trauades si furieuses, qu' à peine l’ai-ie peu faire en fix sepmaines : ioinct la grande chachables & d’anchres au dessous de Tille Braua & du S° leur & la disette d’eau, la perte de Cap Verd,où nous auons esté en grand danger de la vie: ioinct la maladie & la mort tant de nos meilleurs soldats que de nos plus experts mariniers. Enfin le dix feptieme de Nouembre nous vinsmes à la veuë de Guiane, & moüillafmes l’anchre à l'emboucheure de la riuiere de Calliane ( que nous auons nommee ci-deflus Caiane) à cinq degrés au Nord de la ligne, où nous auons demeuré iufques au quatrieme de Decembre. Nous mismes là à terre tous nos malades, montasmes nos chaloupes & barques que

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nous


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DESCRIPTION DES INDES

nous auions amenees d’Angleterre, & nous pourueusmes d’eau, cependant Henri de Calliane, Cassique de ce quartier, nostre ancien ami, nous aida fort amiabiement & de son labeur & de viures. I’estois pour lors malade & en grand danger de la vie, de sorte que durant six fepmaines ie me peu à peine remuer. Par ainfi ie commandai à Keymis d'entrer auec cinq nauires dans l' Orenoque, les mener à lamine. Il y auoit dans chacun de ces nauires cinquante cinq soldats, sur lesquels commandoyent les Capitaines Parker & de North ( freres des Seigneurs de Mont-aigle de North ) Gentilshommes pour supporter la fatigue,la faim & le chaud ; mon fils,le Capitaine Tornap de Kent & le Capitaine Chudley par son Lieutenant : Pigot estoit desia mort, & mon Lieutenant le Sieur VVarran de S. Leger eftoit griefuement malade & hors de toute esperance d’en re- 19 chapper: & mon cousin Georges Ralegh, qui auoit serui à la guerre des Pays-bas auec grand honneur, qui pour lors eftoit en ma place , n’auoit pas l'authorité requise, pour estre obeï des soldats, comme le merite de l’affaire requeroit. Lors que nos gens monterent la riuiere,les Efpagnols commencerent aussi tost à se porter à l’encontre en ennemis, tirant fur iceux à coups de canons & de mousquets, de maniere qu’ils furent contraints de repousser la force par la force, & de les chasser peu apres de leur ville : mon fils fut tué au premier assault, plustost defireux d’acquerir de l’honneur que soigneux de conseruer fa vie: auec lequel, pour confesser la verite, ie n’ai pas feulement perdu vn cher gage,mais aussi tout ce que i’auois de cher en cette vie. Le refte de mes nauires se retirerent au deffous de l'ile, ne trouuans nul port plus commode en tous les 10 lieux voifins de Guiane. Sur le second d’iceux commandoit mon Vice-Admiral Iean Pennington,duquel ie peux tefmoigner à bon droit, qu’il merite bien d'estre conté entre les plus experts és affaires de la mer, que l' Angleterre aye point : sur le troisieme le vaillant & genereux Cheualier VVarran de S. Leger : fur le quatrieme le Cheualier Ieart Fearn ; fur le cinquieme le Capitaine Chudley de Deuonie. Auec ces cinq nauires i’attendois l’armee nauale d’Espagne ; que si elle nous eust attaqué, cependant que noftre flotte estoit ainsi diuisee,fans doute elle n’euft pas feulement dessait nous autres sans peine, mais aussi ceux qui auoyent monté la riuiere : toutesfois nous aimions mieux perir & nous brusler auec les Espagnols, que de leur ceder tant soit peu. Il semble pourtant que les Espagnols trouuerent pour le mieux de nous attendre sous l'lsle de la Margarite, où il nous falloit passer pour aller en FAmerique. Car quand il pleut au Roi de m’obliger par ferment, que ie lui defignerois nom par nom toutes les terres & riuieres où i’auois resolu d’aller,& que ie lui declarerois par escrit la grandeur de mes nauires,le nombre des foldats & des pieces de canon, & le refte des munitions de guerre : Toutes ces choses furent auflitoft declarees à l'Ambassadeur d’Espagne ; qui l'escriuit promptement à Madril, auant que iepartiffede la Thamise : car les premieres lettres du Roi,qu’il enuoya par vne caruelle à fes Gouuerneurs en FAmerique, eftoyent escrites du quatorzieme de Mars de l’an CIϽIϽc XVI ; vous les enuoye, & garde les autres, craignant que d’auanture celles-ci ne foyent surprises. Les autres lettres du Roi eftoyent du dix septieme de May enuoyees à Diego de Palameque, Gouuerneur de>*0 Guiane, d'El Dorado & de la Trinidad : Les troisiemes eftoyent eferites à l’Euesque de Porto Rico,&à Palameque receues le quinzieme de Iuillet, dans l’Isle de la Trinidad : Les quatriemes eftoyent eferites au Secretaire de l’Impost des Indes, & enuoyees auec les lettres du Roi. On y enuoya aufii des personnes,pour assembler en toute diligence trois cents foldats, & pour mener dix pieces d’artillerie de PortoRico à Guiane; outre cent cinquante foldats conduits par le Capitaine Antoine Mexia, qu’on faisoit venir du Nouuveau Royaume de Granade, & autant de Porto Rico, fous le Capitaine Francisco Sanchio. Or puis qu’il est cognu à tous ceux qui ont esté en l'Amerique, comme, depuis le regne de noftre Roi, les Efpagnols ont traité cruellement tous les Estrangers qu’ils ont peu attraper,combien qu’ils n’y fuflént allés que pour trafiquer, vous pouués penfer que c’eust efté de nous, fi nous fussions tombés entre leurs mains, de qui ils sçauoyent bien les forces, les deffeins & l’arriuee?Mais on me pourra obiecter, pourquoi ie n’ai pas attaqué la mine ; combien que ie ne fois pas obligé de rendre conte à perfonne (Sa Maiesté exceptee) qu’à moi-mesme, qui a perdu en cette malheureuse entreprise ce qui m’eftoit plus cher, auec tous mes biens, toutesfois c’est vne chofe affés manifeste que les Espagnols eftoyent plus en peine de la mine que de la ville mesme ; & il leur euft


OCCIDENTALES

LIVRE.

XVII.

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cust esté aisé de nous chaffer, notamment pource que, comme parlent les lettres du Roi,le chemin pour y aller eft raboteux & difficile. En outre il eft bien vrai , que Keymis trouua la riuiere courte d’eau, de sorte qu’il ne peut approcher du riuage plus pres que d’vne lieuë ; & quand il eut trouué vn lieu commode pour descendre à terre, il pleut vne telle nuée de baies sur nos gens, tirees du bois prochain, que deux rameurs en furent tués , fix griesuement blessés, & fut tout le Capitaine Tornap fut blessé en la teste, de laquelle playe il eft encore languissant. Keymis aussi resolu en fon opinion, difoit, qu’il n’estoit pas bon de poursuiure ; pource que nos gens qui auoyent esté laissés à S. Th omas, estant tous les iours fatigués par les assaults des Espagnols seroyent à la fin les 10 plus foibles : que le chemin pour aller à la mine, passe par vn bois efpais ; & qu’il n'auoit pas pour lors des ouuriers pour tirer la mine & pour la fondre. Au refte ie fçai assés que les Efpagnois ont deux mines d’or proche de cette ville : l’vne desquelles eft poffedee par Pedro Rodriguez de Pa rama, l'autre par Heruiano Frontino: enfin vne troisieme, laquelle est d’argent, par Francisco Fasciardo mais ils n’ont point de Negres ; car il ne leur eft pas permis de contraindre les Sauuages à y trauailler à cause de la dessence faite par Charles V. & les Efpagnois ne veulent ni ne peuuentpas fupporter ce labeur. Que Praggadocia Ambassadeur d’Espagne die ce qu’il voudra, ie monstrerai par les lettres du Poffeffeur,par le conte de l'Impost, & par le Quint du Roi, que la chofe eft ainsi. Enfinie ferai voir combien il est ailé de fe rendre maistre sans peine, non feulement de 2,0 celles-là, mais auffi de fix ou fept autres, que les ennemis n’ont iamais touchees iufques ici,ni ou les Anglois, François ou ceux des Pays-bas-vnis, n’ont iamais efté. Or Keymis eftant retourné de lOrenoque, comme ie n’approuuois pas ni fon conseil ni ce qu’il auoit fait, & que ie me plaignois qu’il m’auoit du roue ruiné , & blessé tellement ma renommee enuers le Roi, qu elle ne pourroit iamais retourner en fon entier, entrant dans fa chambre il fe tua, & c. Ces lettres eftoyent escrites du vingt & vnieme de May de forte qu’au datte de celles dont Ralegh fait mention, il y doit l’an CIϽIϽCXVII Voila qu’elle fut la fin de cette derniere entreprife de Ralegh en Gude la faute. auoir une ; qui eftant retourné en Angleterre,fut condamné à auoir la tefte tranchee & fut executé le vingt neufieme d’Octobre l’an CIϽIϽc XVIII |0 CHAP. XXV.

Description de la riuiere de l’Orenoque selon les obseruations de nos Belges OVS auons briefuement descrit aux Chapitres precedents, ce que les Anglois ont fait dans Guiane & fur la riuiere de l'Orenoque, sous les aufpices de Sir© VV alther Ralegh, depuis l’an cloloc v iufques à l’annee CIϽIϽC XVII : durant cela toutesfois & mesmes auparauant, les Anglois, comme auffi ceux de noftre nation ont fait plufieurs voyages dans la riuiere de l'Orenoque , & à à la ville de S. Tho40 mas , pour y trafiquer, notamment du Tabac , que les Efpagnois y cultiuoyent soigneusement : de sorte qu’il eft tout certain, que les noftres ont monté la riuiere par fois en vn an auec huict ou neuf nauires, & ont traité auec le Gouuerneur de S. Thomas> auantque le Roi d'Efpagne euft faitvne eftroite defence aux Efpagnois de trafiquer auec tous Estrangers. Il eft tombé entre mes mains vn routier d’vn certain Belge assés bien fait, duqueli'ai extraict de la situation & condition de cette riuiere ce qui s’enfuit»' Or passant outre ce qui touche la nauigation iufques au Continent de cette Amerique Meridionale,qui eft desia assés vulgaire ; la cofte court depuis la riuiere d’Essequebe enuiron dix lieuës vers le Nord,iusques où on voit vn bois, qui semble de loin vn village de Sauuages, duquel courant le long de la cofte fur trois brades & quelques piés de 50 fond,on rencontre l’emboucheure d’vne autre riuiere,& derechef vn bois, & apres icelui vne grande foreft,cette cofte tire vers le Nord-ouest ; fur la hauteur de huict degrés & quinze fcrupules de la ligne vers le Nord, il y a trois petites Isles, assés pres de la Continente, & les ayans paffees la cofte fe courbe vn peu faifant vne baye, fur laquelle fe Voyent trois colines comme fi c’estoyent des muions de foin, & vn peu plus outre encore trois, & l’emboucheure d’vne autre riuiere au deuant de laquelle il y a vne Isle ; toute cette cofte eft basse courant Nord-ouest, & la mer n’a que deux brasses de fond, G par ggg


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DESCRIPTION DES INDES

par fois mesme onze pies feulement, fort loin de la terre ferme, de forte qu’elle brise fort à la colle, iusques au Cap d au dessus l'emboucheure de la riuiere de l’Orenoque, qui est haut fur toute la coste : ayant passé ce Cap de voyant de loin les Isles, il faut approcher la terre de plus pres, car il y fait fort profond, de maniere que premierement on y trouue deux brades,puis trois, apres sept, & mesme huict, il faut courir là vers se Sud-oueft de par fois plus au Sud. L’emboucheure de la riuiere de l'Orenoque eft diftante de la ligne vers le Nord de huid degrés de cinquante fcrupules. Courant plus outre il faut coftoy er la riue de main gauche iufques à vne Me ronde, qu’il faut laisser à bas bord, & courir le long des Isles qui sont à ftier-bord, où le canal à plus de fond ; or a bas-bord la terre semble eftre diuifee en plusieurs canaux de eft couuerte de petits ar- io bres ; & delà s’ouurent plusieurs emboucheures de cofté de d’autre, mais il faut fuiure le canal du milieu vers l’Ouest iufques à vne Isle, où descendent deux canaux de costé & d’autre,mais il faut entrer dans celui de la main droite vers le Nord-ouest, iusques à ce qu’on vienne à vne autre Isle,de laquelle il faut tourner vers le Sud-oueft: on rencontre plusieurs Mes,qu’il faut laisser les vnes à droite & les autres à gauche iusques a vne grandeemboucheure, d’où il faut retourner vers le Nord-ouest, sans toutesfois entrer dans les canaux qui destournent à la main droite, mais il faut fuiure le cofté de bas-bord & tenir le milieu du canal, il ne faut pas aussi se destourner dans les emboucheures qui s’ouurent à stier-bord, ni dans les canaux qui passent entre les Isles. Ainsi on vient enfin à vn large canal qui mene à l'Isle de la Trinidad, nommé vulgairement 2.0 Mapure, lequel on laisse à ftier-bord, comme auffi vn autre qui defcend de la Continente à bas-bord,poursuiuant tout droit iufques à ce qu’on defcouure à bas-bord quatre ou cinq hautes montagnes, desquelles iusques à la villeàcS.Thûmas on conte six ou fept lieues. Voila ce qu'il en dit. Or cette riuiere fut exactement vifitee & descrite par les nostres l'an CIϽIϽc XXIX qui y entrerent sous les auspices de la Compagnie des Indes Occidentales, sous la conduite de l'Admiral Adrian Ianson Pater ; des routiers desquels i’ai remarqué ce qui fuit* De la riuiere d'Amagore ( que ie me doute eftre celle qui eft nommee par Keymis Amacur) laquelle descend de la Continente, fort en mer par vne emboucheure large d’enuiron deux tiers de lieues,profonde de quelques huict pies,à maree basse ; d’icelle dis-ie iufques à vne pointe de terre qui eft au Nord, le long de laquelle pafte la riuiere de l'Orenoquefil y a quatre lieues Eft de Oueft. Plus outre, l'emboucheure de l'Orenoque eft entrecoupee de plusieurs Mes, desquelles il y a des bancs de fable,qui s’estendent iufques à trois ou IV lieues en mer, dequoi on fe doit donner garde de bonne heure. Or d’Amagore on va à vne petite Isle ronde, qui eft proche d’vne autre plus grande fituee au deuant l’emboucheure de la riuiere, dés laquelle il faut deStourner vers le Sudouest & courir vers vne pointe de terre, qui eft à bas-bord, presque à vne lieue de l’Isle, de cela eft la largeur de la riuiere en cet endroit. De cette pointe on prend fon cours vers l'Ou eft vne lieuë, vers vne autre Me qu’il faut coftoyer de fort pres à ftier-bord, & puis tirer au Sud-oueft demi-lieue vers vne autre petite Me, qu'on laide à bas-bord, & *0 derechef vne autre à ftier-bord ; à peine vne lieue de ces Isles, tirant vers le Sud-oueft le canal s’estroicist fort,de forte qu’en quelques endroits il n’a pas vn quart de lieuë ; & ainsi par plusieurs deftours,qui tendent principalement vers le Sud-oueft, il monte iufques à la ville de S. Thomas, profond feulement en vne ou deux places de douze ou treize piés : la marée commence à faillir en ce lieu. L’emboucheure de la riuiere eft diftante de la ligne vers le Nord de huict degrés & quarante cinq ou cinquante fcrupules; mais la ville de S. Thomas estfur huict degrés de quinze ou vingt fcrupules. Aupres de l’emboucheure de la riuiere de dans les Mes habitent les Ttuitiuas,nation fort pauure, qui vit le plus souuent de poisson de de certaines noix de palmites,de la grosseur d’vn œuf, qui croissent cinquante ou soi- «)° xante ensemble,d’vne coque rude de pointuë, auec vne chair comme celle des cocos. Il y vole aussi vn nombre infini de certains infectes, de la grosseur de forme des fourmis , qui ont quatre ailes, qu’ils laissent tomber aussi toft qu’ils s’appuyent, les Sauuages s’en feruent au lieu de suif. Il y demeure auffi des Caribes, mais fort loin au dedans du pais, de maniere que les riuages de la riuiere ne font habités que de fort peu de Sauuages.

De


OCCIDENTALES. LIVRE XVII. 603 De l’emboucheure iniques à vingt ou vingt cinq lieues haut les riuages sont fort bas & presque aussi ras que l'eau, qui fait qu'au temps des pluyes ils font inondés. Dés ce lieu la terre fe hausse insensiblement, de forte qu’elle en: plus haute que la furface de l’eau de deux brades ou plus ; & quand on a monté trente lieuës, alors finissent les Ifles & on entre dans le vrai canal de l'Orenoque, & les bords d’icelle font hauts d’vn costé & d’autre; de ce lieu iufques à la ville on conte treize ou quatorze lieues. La ville de S. T homas est baftie sur la riue de main gauche quand on monte, & a presque de long vn quart de lieuë. Ceux de noftre nation y arriuerent l’onzieme de De, mais les habitans n’osans attendre les noftres s’en cembre de l'an CIϽIϽc XXIX CIϽIϽc XxIx auoir desia fuis bru/lé apres les maifons: qui y auoyent esté au nombre de estoyent 10 legerement, XL, fort ou basties au milieu il y auoit vne petite Eglise, & au cxxx bout de l’Ouest vn Conuent de Cordeliers. Il pleut fort en ces quartiers,comme disoyent les Espagnols, aux mois d’Auril & de May,de forte que la riuiere s’enfie par fois trois brades : & aupres de l'emboucheure il pleut prefque toufiours,qui fait que l’aïr y eft mal fain. Sur cette riuiere proche de fon emboucheure ( au contraire des autres riuieres qui font Je long de cette coste ) il ne le trouue point ou peu de mouscherons, rnais au dedans il y en a beaucoup. Cette riuiere eft fort poissonneuse, & nourrit diuerfes fortes de poisson & entre iceux vn semblable au congre,long de trois ou quatre piés, ayant le ventre iaune, tacheté de marques 2,0 bleues,auec vnegrande gueule commela Torpille, aueclaquelle il a ceci de commun, qu’il engourdist quand on le touche de la main ou a vn couteau,mais cela dure peu de temps,estant au relie fans danger & bon à manger. Il y a aussi vn grand nombre d’oiseaux, & entre iceux d’vne forte qu’on peut bien nommer Pocheculieres, couuert de plumes rouges fi belles, qu’on nesçauroit s’imaginer rien de plus beau. Or la Continente nourrit tous les mesmes animaux, que ceux dont nous auons fait mention cidessus ; mais il y a fort peu de Sauuages, qui craignans la cruauté des Efpagnols fe font retirés ci & là. CHAP.

XXVII.

Description de l'Isle qu'on nomme la Trinidad.

30

ISLE que les Espagnols nomment auiourd'hui la Trinidad, est plus grande de beaucoup que toutes celles qui sont en ce quartier de F Amerique Meridionale qu’ils nomment de Sotouento, pource que leurs flottes qui vont à la terre ferme passant par le milieu des Isles des Caribes,les laiflent à la main gauche : elle est distante de la ligne vers le Nord de huid degrés ou enuiron selon la difpofition de fes quartiers : vers l’Ouest elle est feparee du Continent de Paria par vn estroit passage, à qui Columb dés le commencement a donné le nom de Boca del Drago , pour le danger qu’il y a à le palier; & enferme vne baye fpacieufe entre elle & la terre ferme de Guiane, dans laquel40 le la riuiere de l'Orenoque fe descharge par plusieurs emboucheures, comme nous auons dit ci-deuant. Ouiedo distinguant plus foigneufement la hauteur de cette Isle, escrit que son costé Meridional est distant de la ligne de neuf degrés , & le Septentrional de dix ; ce qui s’accorde mieux auec les vrayes obseruations, combien que Ralegh mette fur huid degrés fa pointe qui est communement nommee Punta del Gallo ou Curiapan. Nos Belges selon leurs remarques placent fon Cap Oriental & fon cofté deuers le Nord furies dix degrés & trente scrupules, ou vn peu plus. Ceux qui nauigent de la riuiere d'Amagore vers le Nord quart à l’Ouest, arriuent à vne pointe d’icelle dite Punta Blanca, dés laquelle sa coste court cinq ou fix lieuës vers l’Ouest-sud-ouest iusques à la fufdite pointe delGallo, qui eft basse & prefque aussi rafe que la mer, de laquelle s’estend mer vn banc de rochers, où il n’y a pas plus de onze ou douze piés d’eau. De cette 5° en pointe iufques au passageon conte quatorze ou quinze lieues. En outre cedeftroit qui eft entre la Continente de la pointe Occidentale de cette Isle, eft bien large d’enuiron trois lieuës, mais il y a au dedans quatre ou cinq Ifles qui l'estroicissent, & n’y laiflent que des passages estroits, par lefquels l’eau court d’vne grande furie : des quatre ouuertures qu’il y a on ne passe feulement que par deux d’ordinaire, l'vne defquelles, qu’on nomme la PetiteEmboucheure, est fi creuse, que la fonde n’y peut toucher le fond. G Cette ggg *

L


604

DESCRIPTION DES

INDES

Cette Isle eft diftante d'Hispaniola, comme ie trouue qu’il a efté remarqué par les Espagnols, de deux cents lieues : de la Dominique soixante Nord & Sud : de la Margarite & de Cubagua a quarante. Elle a de long selon Herrera cinquante lieues ( ou comme il escrit ailleurs trente cinq ou plus) de large trente: selon Ouiedo elle eft longue de Vingt cinq lieues, de large dix huict ou vingt ; ce qui eft plus vrai femblable. Sa forme eft triangulaire,ce qui a efté cause que les Autheurs ont escrit si diuerfement de fa hauteur & de fa grandeur. On eftime que l’air y eft mal sain, pource qu elle eft le plus fouuent couuerte d espaisses bruines & de vapeurs. Les Autheurs ne s’accordent pas mieux de la qualité de fon terroir : Herrera nie id y fut quelque temps a qu’il soit fertile & propre à y semer ; Ralegh qui l’an CIϽIϽc XCV l’anchre, de la visita, escrit que fon cofté Septentrional eft bien raboteux de montagnes ; mais qu’ailleurs la terre y eft assés seconde, de porte bien les grains, notamment ceux qui font familiers à cette contree ; fort propre aussi pour nourrir les cannes de sucre : & qu'elle abonde en Mays, Cassaue, & autre racines dont ils se seruent là pour viure,comme aussi en autres bons fruicts. Dans les forefts qu’il y a vn grand nombre de bestes fauuages, notamment des fangliers, mesmes de certains animaux,qui ne fe trouuent point ailleurs ou rarement : de maniere qu’elle est suffisante de nourrir beaucoup d’habitans. Les Espagnols perfuaderent à Ralegh qu’il n’y auoit pas faute de mines de mesmes de 10 celles d’or, & qu’ils en auoyent trouué de grands indices : toutesfois qu’ils n’auoyent pas pris beaucoup de peine à les chercher n’y à les esprouuer, pource qu’ils aspiroyent à la Guianefortriche, comme on croit en or’; quelques-vns pourtant en auoyent amassés des grains, & en auoyent tirés hors des petites riuieres qui entrecoupent l’lsle, ie m’en rapporte aux Autheurs. Les habitans s’appellent d’vn nom commun Gain ou selon d’autres Caraï ; d’où vient qu’il y en a qui veulent quelle ait efté autresfois diuifee en deux parties ou Prouinces, l’vne defquelles se nommoit des Camucaras, sur lesquels commandoitle Cassique Baucumar : de l’autre des Chacomaries, qui obeïssoyent à Maruane. Il s’y eft transporté de la terre ferme encore d’autres nations, sçauoir les Iaos, lesquels fe font placés aupres de Parico; les Arnaques proche de la pointe de Carao ; les Sebays ou Saluais ioignant Curiapan ; les Nepoys gueres loin du Cap de la Calera; & enfin les Carinepagotes tirans vers la Colonie des Efpagnols. Or ces Sauuages ne different en rien des autres en habits, car ils vont prefque tous nuds, de fe peignent le corps de rouge, comme nous auons dit ailleurs des autres Sauuages. En outre la villette des Efpagnols,dediee au nom de S. Ioseph, eft situee au cofté du Sud de 1’Isle, sur les bords d’vne petite riuiere nommee Carone ; elle contenoit enuiron quarante maifons lors qu’elle fut surprise par VValther Ralegh, de que le Gouuerneur d icelle Antoine de Berreo y fut pris. le ne pense pas qu’elle ait efté beaucoup augmentee depuis,car les Efpagnols n y font autre chofe que planter du Tabac. Iceux ont con- 4 o traint vne bonne partie des habitans de fe retirer ailleurs, ou ils les ont reduits en feruitude. Le noble Cheualier Anglois Robert Dudlei,qui auoit efté dans cette Isle auant Ralegh, raconte que les Sauuages du lieu lui monstrerent certaines veines,pres de Curiapa, dans lefquelles ils estimoyent qu’il y auoit de ce qu’ils nomment Caluori, c’est à dire, de l’or ; mais on trouua quecen’eftoit que de la Marcazite, qui trompoit ces ignorans par fon luftre. Entre les chofes remarquables de cette Isle on celebre vne pointe de terre, que les Sauuages nomment Pichen, & les Efpagnols Terra de Brea, aupres de laquelle il se trouue de certaine poix dans terre en si grande abondance, qu’on en pourroit charger, selon qu’on eftime, vn nombre infini de nauires, mais ie ne croi pas qu'elle vaille la peine de l’emmener delà, pource qu'elle n’eft pas proprepour poisser les nauires, à cause qu'elle s’amollit aisement au Soleil.

C H A P.


OCCIDENTALES. CHAP.

LIVRE

XVII.

605

XXVII.

De l'Isle vulgairement dite Tabago, que les nostres nomment maintenant Nouuelle Walachre. IsLE de Tabago, que ceux de nostre nation ont depuis quelques années appelee Nouuelle VValachre, est. voisine de sept ou huict lieuës vers l’Orient, de l’Isle de la Trinidad que nous venons de descrire : Elle eft diftante de la ligne vers le Nord des nostres, d’onze degrés & feize scrupules. Son costé Oriental l’obseruation selon ïo est allés haut, au deuant duquel il y a deux petites Isles & quelques rochers. Elle a beaucoup de bayes, où il y a bon anchrage. Mais pource quelle est eftenduë en long entre le Nord-est & le Sud-ouest, ceux qui viennent del’Eft,la peuuent difficilement aborder,& ne peuuent mouiller l’anchre que dans deux ou trois bayes ; car le courant porte fort vers l’Ouest, de forte que ceux qui veulent y arriuer doiuent prudemment fe gouuerner,de peur que le courant ne les driue au delà d’icelle, comme il est souuent aduenu. Nous ne pouuons rien asseurer de la qualité de son aïr de fa terre, car d’aucuns au contraire la mefprifent. loüent,d’autres la Nous auons dit qu'elle a quelques bayes où il y a bon anchrage ; l'vne defquelles eft 20 proche de la pointe Occidentale de l’Isle, fort commode pour ceux qui courent le long de fort cofté du Sud; derriere vne bafte pointe au deftbus d’vn riuage sablonneux, où il y a douze iufques à quinze & vingt brades d eau,sont fort propre pour anchrer. L’aurre baye eft: au cofté Septentrional de l’Isle , diftante de la premiere d’vne grande lieuë, dont le riuage est aussi sablonneux ; dans icelle descendent en mer quatre ruisseaux d’eau douce, elle est fermee du cofté de l’Est d vne pointe, haute par desfus l’eau de sept ou huiét brades, derriere laquelle il y a vne belle plaine, fort propre à y semer. La troisieme est vers le Nord de la seconde enuiron demi-lieuë, d vn riuage aussi fablonneux,dans laquelle fe defcharge aussi vne belle petite riuiere. De cette Isle fortent en mer de diuers coftés dix huict ou dix neuf petites riuieres dont l’eau en eft fort bonne à boire, Outre vn nombre innombrable d’arbres fauuages de diuerses efpeces il s’y trouue quātité de palmites, la teste desquels eft bonne manger, & le gouft ne differe pas beaucoup de celui des choux cabus ; les fueilles en font bonnes pour couurir les cabanes. Il y a aussides Bannanes. Et 40 outre cela des arbres hauts & fpacieux, qui portent des fruicts comme des prunes , de couleur iaune, qu’ils preflent apres les auoir boüillies, & en tirent vne liqueur fort agreable au gouft, & qui n eft pas mal saine. Ioinct l’arbre de Papaia, qui croist & porte fon fruict en vn an : or il croift d’ordinaire de la hauteur de xv & souuent de xx piés ; & : tronc grofleur d’vn homme le 50 de la en eft fort tendre & spongieux, sans branches , mais il eft feulement couronné au sommet de fueilles semblables à celles du figuyer ; les fruiéts croissent au tronc, ils font ronds & de la grofleur d’vn boulet de quinze liures, d'vn gouft fort approchant de celui du melon ; & remplis par dedans de grains noirs ^ggg $ dvn

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606

DESCRIPTION DES INDES

d'vn goust de moutarde; on croit qu'ils laschent le ventre : tous les mois de l'an ils ont des fruicts meurs. Nous auons fait reprefenter la figure ci-dessus. Il s' y trouue aussi de ces arbres, qui portent des fruicts fort gros, comme des courges ; de sorte, comme i ai appris des nostres, qu’il s’en est veu quelquesfois qui tenoyent

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deux stopes & demi ? comme ils parlent : les fueilles de ces arbres sont fort longues, mais estroites & moussees au bout : les fruicts croissent au tronc & aux grosses branches,ayans vne escorce tresdure prefque comme du bois ; pleins par dedans d’vne certaine chair spongieuse, 40 d’vn bon gouft; on dit que le fuc arrefte le flux de ventre & de sang : ils croifient és lieux moyennement humides & portent fruicts prefque tous les mois de l'annee. Nous en auons fait mettre ici la figure, que nous auons receue de quelqu’vn des noftres. S° Il y croift aussi vn arbre admirable, qui eftant tant foit peu incifé , rend beaucoup de refine,de couleur iaune, des branches d’icelui descendent de certains filaments, qui apres auoir atteind la terre, prennent racine, & seruent comme d’estançons aux branches, ils ont des fueilles larges,


OCCIDENTALES. LIVRE XVII. 607 larges, moussees par deuant, couuertes d’vn gros poil : il porte vn fruid presque comme la telle d’vn pauot, qui encore qu'il soit tout plein de refîne ou de gomme eft neantmoins fort aimé des perroquets. Nous en auons fait mettre ci-dessus le fruid & les fueilles. Il y a aussi vn arbre, le bois duquel est rouge comme du brasil, la fueille en eft prefque ronde,il porte des fruicts par grappes femblables aux raisins, d’vn fort bon goust ; il

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io

|o croist ordinairement proche du riuage de la mer. En voici la figure des fueilles & du fruict. Et pour la fin ily a vn arbre qui porte vne espece de casse sauuage ; il croist fort haut,

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ayant les fueilles semblables au Tamarin : le fruict ressemble à fa vraye casse, mais il eft plus gros, &ainfi diuifé par cellules ; toutes fois la poulpe en est amere & d'vne faculté astringente


DESCRIPT. DES INDES OCCIDENT. LIV. XVII. astringente : nous auons ci-dessus parlé d’vn femblable arbre sous le nom de Mizquitl, mais le goust des siliques ne s’accorde pas. Voici la figure des fueilles & du fruict ; comme nous 1’auons receuë. Entre les plantes on prise fort celle dont nous auons parle ci-dessus, que les nostres /'comme nous auons dit) nomment Slÿptongen. Il y en a vue autre semblable à Aloes, qui en l’espace de six mois iette vn tronc de trente piés de haut, au haut duquel croissent des fruicts du tout semblables aux poires, on dit que les fueilles feruent 10 de sauon. En voici la figure. Il s’y troue diuerses sortes d’animaux ; comme des porcs de l’Amerique, qui ont peu de poil, & le nombril fur le dos, les Sauuages de la terre ferme les nomment Pacquires, ils ont le lard fort ferme. Il y a aussi des Cassecamans ou Armadilles : comme aussi des Iguanes : & vne petite beste qui porte ses petits dans vn io sac par tout où elle va. Il y a aussi vn grand nombre d'oiseaux, notamment des Perroquets de diuers plumages : des tourtres & autres force oifeaux de riuage, qu’on prend aisement dans leur nid, comme n’estans pas accoustumés aux hommes. La mer qui l’enuironne eft fort poissonneuse fur tout aupres du riuage. Les tortues de mer y terrifient en quantité' innombrable, depuis Auril iufques en 10 Septembre , qui est le temps quelles viennent pondre : on les trouue de nuict fort aisement si on y prend bonne garde. Nous auons este vn peu long en la description de cette Isle, pource que nous auons esté asseurés par les nostres, qui depuis quelques annees commencent de l’habituer,

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DESCRIPTION






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DESCRIPTION

DES

INDES LIVRE

OCCIDENTALES,

DIX-HVICTIEME.

NOVVELLE

ANDALVZIE.

INTRODVCTION.

Ous sommes maintenant par venus, poursuivant nostre description à cette partie de la Terre ferme qui de l’Amerique Meridionale, grande riviere de l’Orenoque, dont borde de sa part Orientale la precedent, & se ioinct au destroit qui senous avons traité au Liure à ce grand nombre d’Isles, qui par dipare l’Isle de la Trinidad & verses emboucheures entre coupent cette notable riviere, & laquelle d’une longue suite de terre s’avance vers le Cap Occidental de la Trinidad, separé par cet estroit passage, que nous avons dit ci-dessus estre nommé Boca del Drago, c’est à dire, Bouche du Dragon. En outre cette partie de Continente s’àppelloit anciennement par les 10 Espagnols Nouvelle Andaluzie ; lequel nom est commun à plusieurs Provinces, qui s’estendent vers l’Occident, depuis ces limites iusques au Gouvernement de Rio de la Hacha ; la plus grande & plus Orientale desquelles se nomme Cumana, bordee de quelques Islesrenommees, entre autres de Cubagua & de la Margarite autresfois celebrees pour la riche pesche des huistres à perles, qui s’y faisoit : Vis à vis desquelles s’auance le Cap dit vulgairement Punta de Araya, fort cognu par les belles Salines qui y sont : Et la plus Occidentale partie d’icelle comprend le Gouvernement de Venezuela. Or combien que cette partie de Continente embrasse plusieurs autres Provinces, toutes fois nous diuiserons sa description en deux parties principales ; sçauoir en celle de Cumana ou Nouvelle Andaluzieproprement dite & de Venezuele. Or enco20 res que cette partie de la Terre ferme ait esté des premieres descouverte par les Espagnols & fort frequentee d’iceux, neantmoins il n’y en a point qui ait esté plus negligemment traitee par leurs Autheurs : Nous mettrons toutesfois peine, autant qu’il nous sera possible, d’y apporter quelque lumiere tant par les remarques des nostres, que par celles des autres nations.

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L’ISLE


610

DESCRIPTION L’ISLE

DE

LA

DES

INDES

MARGARITE.

CHAP.

I.

Description de la noble Isle de la Margarite. VANT que de poursuiure la description de ce Continent de l’Amerique Meridionale, il nous faut premierement visiter quelques Isles qui lui font adiacentes, pour les diverses circonstances qui se rappor- 10 tent à icelles en la delineation de la terre ferme. Or entre toutes ces Isles le premier lieu est deu à cette noble Isle de la Margarite, laquelle christofle Columb descouurit l’anc IɔccCCXCVIII, sçauoir en son troisieme voyage vers ces parties de l’ Amerique : car s’estant vn peu auancé vers le Sud des Isles, qu’il auoit premierement rencontrees, il tomba fur vne Isle qu’il nomma la Trinidad, nom qu’elle retient encore aujourd’hui, & entra dans ce golfe qui est comme enfermé entre cette Isle & la terre ferme,lequel il nomma Golfo de la Vallena ; il vit aussi de loin le Continent de Paria, com- 20 me on le nomme auiourd’hui, mais estimant que ce fust vne Isle, il le nomma l’Isle Saincte & puis de Grace : Delà ayant passé avec grand danger par la Bouche du Dragon, il entra dans divers ports de la terre ferme, qu’il croyoit estre vne Isle , laquelle il nomma Paria. Il nauigea par apres vers diverses Isles, l vne desquelles il nomma Assumpcion, la seconde la Concepcion, & les trois plus petites los Testigos ; celles qui suluent apres el Romero ; & les autres las Guardas, & finalement il arriva à la Margarite. Or il y a peu des noms qu’il imposalors,qui durent auiourd’hui ; comme se verra ci-apres ; maintenant Voyons la description de cette Isle. L’Isle de la Margarite (dit Herrera) a de long enuiron quinze lieuës & de large six, elle est d’vn tres-bel aspect pour sa gaye verdure, & estoit anciennement fort peuplee 30 d’habitans naturels. Elle est à enuiron six ou sept lieuës du Continent de l’Amerique Meridionale,separee d’icelle par vn petit destroit, dans lequel il y a deux Isles Cubagua. & Coche diuisees d’vn petit canal, dont nous parlerons bien tost. Orelle est distante de l’Isle de la Trinidad (selon Herrera en sa description des Indes) de vingt lieues vers l’Ouest, & selon les obseruations des nostres, de trente huict ou neuf: de l’Isle Hispagniole suivant le mesme Herrera de cent & septante. Or elle est distante de onze degrés de la ligne vers le Nord, selon les plus exactes obseruations, ce qu’il faut entendre du milieu de l’Isle. Les Autheurs different quelque peu quant à fa longueur, car il y en a qui lui donnent seize lieues ; Ouiedo lui donne de circuit trente cinq lieues. 40 Il n’y a presque point d’eau douce, laquelle on auoit accoustumé d’aller querir à la terre ferme, notamment en la Province de Cumana, elle est toutesfois fertile & ornee d’agreables bocages, riche en pasturages, abondante en Mays & en autres fruicts. Herrera n’y met que deux villages, l’vn fous le Chasteau le long du bord de la mer, où est la demeure du Gouverneur de l’Isle ; l’autre à deux lieues du rivage, que les Espagnols nomment El valle de S. Luzia. A l’Est d’icelle il y a quelques petites Isles ou plustost rochers, qu’on nomme vulgairement los Testigos. Ie trouue que les nostres en ont remarqué huict ; d’vn terroir esleué, ils font distans de la ligne vers le Nord de onze degrés & trente cinq minutes & de l’Isle de Granade vers le Sud-ouest d’enuiron dix sept lieues. 50 En outre ceux de nostre nation qui ont visité cette Isle en iugent tout autrement: car ils disent que l’vn & l’autre Cap, tant celui de l’Est que celui de l’Ouest, est releué en montagnes, & que le milieu de l’Isle est bas , sec & aride, la terre nitreuse & infertile; & qu’elle peut difficilement fournir à ses habitans les choses necessaires à la vie : la pesche toutesfois y est autour assés aisee qui y fournit la plus grande part de viures : ils se seruent de Mays, duquel ils cuisent des tourteaux pour leur pain ordinaire. La


OCCIDENTALES. LIVRE XVIII. 611 La pesche des perles y a richement flori plusieurs annees,voila pourquoi on y bastit anciennement vn Chasteau fur ie Cap de l’Est, qu’on nomme Monpater, qui n’est pas auiourd’hui grande chose, comme les nostres asseurent, fous lequel les Espagnols anchrent. La principale bourgade est au milieu du pais, vers l’Ouest du Chasteau, proche de laquelle est le village nommé Makanao. Elle a vn Gouverneur propre, sur tout lors qu’elle estoit en son principal lustre : car il y auoit lors force barques qu’ils employoyent à pescher les perles, auquel effect ils se seruoyent de Negres, qu’ils acheptoyent cherement des Marchands, qui les leur amenoyent d’Afrique, comme du Cap Verd, de Guinee & d’Angola, lesquels ils apprenoyent 10 à plonger&forçoyent à ce faire par cruels supplices lors qu’ils refusoyent ou faisoyent laschement : car c’est vne besogne tres-penible & dangereuse, pource qu’il leur faloit plonger v ou vibrasses, pour arracher de force les huistres à perles attachees aux rochers du fond, & par ce moyen demeurer long temps fous l’eau, où bien souuent ces pauvres miserables estoyent offencés, mesmes estropiés par les Requiens dont ils mouroyent : & estant sourdus sur l’eau cõme ils estoyent presque estouffés par vne si longue retention d’haleine, ils leurs donnoyent vne pipe de Tabac ou vne fois de vin. Le quint de cette pesche de perles appartenoit au Roi d’Espagne. Depuis plusieurs annees cette pesche est fort diminuee, si elle n’a cessé du tout : la cause n’en est pas cognuë, soit que les huistres soyent diurees ailleurs, ou ce qui est plus vrai semblable, que l’auarice insa20 tiable des Espagnols ait supprimé auant le temps la semence d’icelles, & par ce moyen, em pesché leur propagation ; ce qui fait qu’à present cette Isle est de peu de renom. Les Indiens habitans d’icelle, pource qu’ils receurent librement les Espagnols, & qu’ils leurs abandonnerent de fl grandes richesses de perles, qu’eux-mesmes ne prisoyent rien, obtindrent leur liberté du Roi d’Espagne, & y font encore en bon nombre fort affectionnés aux Espagnols & prompts à leur seruice. Baudoüin Henri Bourguemestre de la ville d’Edam, abordant cette Isle auec la flotté de la Compagnie des Indes Occidentales, prit, l’an cIɔIɔc XXVI, le Chasteau dont nous avons parlé, & abatit ses murailles apres en avoir enleué quatre pieces de fonte & sept de for. 30 CHAP. II.

Description de l’lsle de Cubagua & de Coche. OUS avons dit ci-dessus, qu’entre l’Isle de la Margarite & la terre ferme de l’Amerique Meridionale, y auoit deux petites Isles, sçauoir, Cubagua, & Coche, qui ont au siecle precedent esté en grande estime, lors que la pesche des perles florissoit, mais maintenant quelle a celle font de fi peu de consequence, que i’eusse bien peu les passer sous silence, n’eust esté que les precedentes m’y obligent. Cubagua, selon Ouiedo, au temps duquel elle estoit en son principal lustre, est esloi40 gnee de l’Isle d’Hspagniole d’enuiron cent & soixante lieuës, de ce destroit qu’on nomme Boca del Drago, ou du Cap des Salines, qui le borde presqué de cinquante vers l’Ouest, de la Margarite enuiron vne lieue,elle a trois lieues de circuit. Sa terre est fort sterile, & presque par tout nitreuse ou salee ; est du tout destituee de fontaines & d’eau douce, couuerte de peu d’arbres, fi ce n’est de Guayac, il y a pourtant force halliers qui la rendent presque impenetrable : Carie dirai en passant, que tant en ces Isles, qu’en la Continente es lieux non cultiués & ailleurs, il y croist de certains buissons ou chardons, munis d’espines longues & aiguës ; dont le fameux Charles de l’Ecluse fait mention & represente la figure en ses Exotiques. Il y auoit (dit-il) vne espine adiointe, dont il ne me souuien pas auoir iamais veu de semblable : car, combien quelle ne fust pas entiere, 50 elle estoit plus de cinq poulces de long, polie & luisante de noirceur, de forte qu’elle me deceut de prime-veuë, estimant que ce fust vn curedent fait d’escaille de tortue de mer, bien qu’vn peu plus estroite. Il semble qu’elle auoit esté prise de la sommité de quelque chardon : car il y en auoit vn autre ioincte, qui estoit rompuë (pource qu’elles font fort fragilles) laquelle auoit encore en la partie d’embas le vestige avec quoi elle sembloit avoir esté attachee à la reste du chardon ou autre plante qui l’auoit produite. Voila ce qu’il en dit. Hhhh 2 Nous

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DESCRIPTION DES INDES 612 Nous avons veu plusieurs de telles espines & de diverses longueurs, non toutesfois si grandes que celles dont l’Ecluseparle en cet endroit; mais nous n’auons iamais peu en apprendre parfaitement la vraye description de la plante, mais nous sçavons allés quelles croissent tout autour de son tronc : or la partie attachee à la plante est couverte d’vn certain duuet brun,le relie est luisant & fort noir. Au relie la terre y porte fort peu d’herbe, d’où vient qu’il n’y a point d’animaux, si ce ne font quelques lapins : il y a mesme peu d’oiseaux, excepté de ceux qui hantent la mer & le riuage. Les Sauvages qui l’habitoyent au commencement que les Efpagnols y aborderent, viuoyent pour le plus souvent d’huistres perle-meres, & alloyent querir leur eau à Cu- 10 mana, qui en est à fept lieues : ils se peignoyent le corps de diuerfes couleurs à la façon des autres Indiens. Le costé du Sud de cette Isle eft diftant d’Araya d’enuiron quatre ou cinq lieuës,selon Ouiedos ; elle a vn port ou plustost vne rade assés commode au collé du Nord. Ouiedo asseure qu’au Cap de l’Est d’icelle fort de terre vne certaine liqueur aromatique & resineuse, qui a quelque vsage en Medecine, laquelle ilote fur l’eau. Au siecle passé la pefche des perles estoit sur tout riche autour de cette Isle, de telle forte qu’on a laissé par efcrit comme chofe digne de memoire,que durant plusieurs annees le quint d’icelles deu au Roi d’Espagne, auoit valu par an quinze mille ducats ; & toutesfois les perles, à caufe de leur abondance valoyent à peine le tiers de ce quelles Ce vendent auiourd’hui : chofe comme incroyable qu’en vn si petit espace on a pu cha- 20 cun an tirer tant de threfors de la mer, & qui fait que ce n’est pas merueilles si la propagation de ces huistres a cessé. Les Efpagnols attirés par cette richesse de la mer & par l’opportunité de l’Isle, y menerent au commencement vne Colonie & y bastirent la villette de la Nouvelle Cadiz. Mais l’an cIɔIɔ XXI apres que les Sauuages de la terre ferme eurent ruiné de fond en comble le Monastere des Freres mineurs de Cumana, les Efpagnols,bien qu’ils fussent trois cents, prenant l’espouvante, abandonnerent l’Isle & s’enfuirent à Hispagniole : Mais le Parlement de S. Domingo y enuoya aufli toft Iago Castellos avec cinq nauires,qui repara la ville & l’augmenta & orna de plusieurs edifices de pierre : elle a du depuis flori plufieurs annees, & fi long temps que la pefche à perles a duré, mais apres elle n’a 30 pas feulement decliné, ains a esté du tout abandonnee, de forte qu’il ne s’y Voit auiourd’hui nulle trace de ville, & l’Isle mesme eft de nulle estime Coche est l’autre Isle, mais plus petite que la premiere ; elle eft diftante de Cubagua. d’enuiron quatre lieues vers l’Est & la Continente ; ayant vn peu moins de trois lieues de tour : elle eft d’vn bas terroir & prefque aussi ras que la mer: autour d’icelle la pesche des perles a esté aussi tres bonne plufieurs annees,depuis l’an cIɔIɔ XXIX qu’elle fut premierement descouverte. Il y en a qui escriuent qu’il s’y eft pesché en vn mois cinq cents marcs de perles, de diuerfe grosseur & forme : mais auiourd’hui on n’en fait plus de conte,& il ne s’y trouve plus de perles, non plus qu’autour de Cubagua, & de la 40 Margarite. remarquable, c’est se ne peschoit qu’au siecle pafle il pas feulement abonCe qui eft dance de perles autour de ces Isles, mais aufli tout le long de cette cofte, depuis le deftroit de Paria, iufques au Cap qu’on nomme de la Vela. & au delà, desquelles les Efpagnols ont tiré de grandes richesses, d’où vient, qu’ils ont coustume de nommer cette coste, qui s’estend prefque quatre cents lieues de long, Costa de las Ferlas. ARAYA.

CHAP.

III.

Description du Cap nommé Araya, & des renommees Salines qui en sont proches. O v s retournerons maintenant à la Continente,& commencerons par cette partie,qui prend fon origine de ce Cap qu’on nomme de Salinas, ou.de Paria, vis à vis du dernier Cap de l’Isle de la Trinidad vers l’Ouest, separé d’icelui cet estroit paflage nommé Boca del Drago ; & s’estend iusques à l’autre Cap dit vulgairement Punta de Araya, aupres duquel font ces renommees Salines: On tient qu’il y a d’eftendué

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OCCIDENTALES.

LIVRE

XVIII.

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d’’estenduë septante lieuës ; mais il n’y a rien de remarquable,de maniere qu a peine y a-il lieu en toute l’Amerique Meridionale qui ait moins de renom : car outre quelques noms de Caps 6c Bayes, qui font marqués ci & là és Chartes marines ; comme le Cap de tres Puntas, comme on le nomme, & autres ; nous ne trouuons pas que perfonne y ait remarqué chose digne de memoire. Or le Cap Araya, qui est fort renommé en ce quartier, s auance en mer prefque en angle aigu, vis à vis du Cap Occidental de l’Isle de la Margarite, & ferme du costé de l’Est ce golfe, qui entre plufieurs lieues auant dans la terre ferme, dit vulgairement des Espagnols Golfo de Cariaco : lequel eftbien en cet endroit fort large, mais vn peu plus ou10 tres estroicit, presque vis à vis du chemin qui va à la bourgade de Cumana. Le terroir de ce Cap,comme aussi de la Continente, iufques à quelques lieuës, eft bas & couvert de halliers 6c chardons dont nous auons parlé. Derriere le Cap il y a vne Saline qui n’eft ni fort grande ni abondante en sel, & ce qui eft le plus incommode pour les nauires, fortesloignee du nuage, d’où vient qu’on n’en peut charger le sel qu’avec grande difficulté. Vn peu plus au dedans,la terre fe courbe en forme de coude, 6c ouure vne baye fort grande, le long de laquelle y a vne tres grande & riche Saline, telle que iufques à prefent il ne s’en eft point trouvé de telle ; & qui n’eft pas à plus de trois cents pas de la mer,où il fe trouve tous les mois de l’an de tres-bon fel 6e fort dur ; par fois caché fous la les faifons de l’annee : car au temps des pluyes il ne 20 faulmure,parfois par dessus,selon s’y trouue pas en si grande quantité, ni n’eft pas fi aifé à charger qu’au temps des seicheresses. Les opinions, touchant l’origine de ce fel, font diverses ; car il y en a qui estiment, que les flots de la mer poussés de furie par les tempestes contre le riuage entrent dans cet estang, d’où ne pouvans sortir, l’eau eft congelee en fel par le Soleil, comme c’est l’ordinaire és Salines d’Espagne ou de France, faites par l’industrie des hommes: les autres nient que les flots de la mer y puiflént entrer pour la hauteur du riuage, mais que cet eau salee vient de fource ou y refluë de la mer par des paflages foufterrains. l’ approuverois plustost l’opinion de ceux qui tiennent qu’elle y vient des fontaines; l’eau des pluyes rendue falee par la terre,qu’on 30 fi ce n’est que nous vueillons croire que congelee en fel par l’ardeur du Soleil en ces tout nitreuse, eft par là eftre fcait bien Ce qui eft assés euident par l’exemple de plusieurs Salines, quartiers là fort vehemente. qui se trouvent auant dans la terre & fort esloignees de toute mer, tant en Asie, qu’en frique,où il n’y a point d’apparence que l’eau de la mer puifte penetrer par aucuns conduits foufterrains. Or ceux qui chargent du sel de cette Saline,y entrent avec des chaloupes 6c bateaux à font plat, 6c rompent le sel avec des instruments de fer, 6c en ayant empli leurs vaisseaux le menent fur le riuage auec beaucoup de labeur & d’apareil ; delà ils le charoyent auec des broüettes au bord de la mer, d’où auec de plus grands bateaux ils le portent aux nauires. Cette Saline eft fituee en vn lieu plat, elle eft toutesfois fermee de plufieurs costés, 40 principalement du cofté du Sud,où de hautes montagnes la bordent : tout le païs d’alentour eft sterile, sec & n’eft arroufé d’aucunes riuieres, de forte que les habitans d’icelle font contraints d aller querir leur eau pour boire 6c leurs viures ailleurs: or ils ont coustume de l’aller querir à la terre ferme qui est à l’opposite, l’eau d’vne petite riuiere assés claire qui en eft à enuiron trois lieues entre ce deftroit Mediterranee, appelle des Espagnols Bordones : & leurs viures de la bourgade de Cumana. Le païs voisin nourrit pourtant beaucoup de bestes de chasse, comme cerfs, cheures, lieures & connils, outre plufieurs autres animaux incognus en nos quartiers ; comme aussi des tigres & ferpents dangereux : la mer y nourrit aufli force poisson, de forte qu’on en peut pescher des rets quantité le long du riuage. Au reste la terre qui enuironne ces Salines, 50 auec eft couuerte iusques sur le bord de la mer, de halliers tellement espineux, que le chemin en est fort difficile, si on ne l’y prepare premierement auec beaucoup de peine. Ceux de noftre nation,dés plufieurs annees, auoyent couftume d’y aller & s’y charger de sel, sans aucun empeschement : mais au mois de Nouemb. de l’an cIɔIɔc v, ils v furent furpris par vne flotte de dix huict nauires efquipés à l’advantage 6c fournis de force soldats, qui les attaquans à l’ improuiste eurent bon marché de leurs nauires, Hhhh 3 qu’ils


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DESCRIPTION DES INDES

qu’ils emmenerent : car la pluspart eftans occupés à charger leurs chaloupes dans la Saline,les autres le charoyoyent avec des broüettes, ou le menoyent auec les grandes chaloupes aux natures ; il n’y auoit rien de preft pour faire resistance, pource qu’ils ne se doutoyent encore lors d’aucun ennemi : par apres les Espagnols exerçans leur cruauté naturelle & leur haine mortelle à l’encontre des Hollandois, ils en pendirent quelques-vns, & en emmenerent plusieurs aux Galeres à Cartagene ; defquels quelque peu sont retournés apres les tréues faites auec le Roi d’Espagne, & apres auoir enduré de grandes miseres. Parapres durant le temps des tréues plusieurs notamment ceux de la Frise-Occidentale y retournerent, mais appris aux despens d’autrui, ils se tenoyent mieux sur leur gar- 10 de. Iusques à ce que le Roi d’Efpagne en eut empefché l’acces, par vneforte forteresse qu’il y fit bastir. Car l’an CIɔIɔC XXII apres que la Compagnie des Indes Occidentales eut elle octroyé par Messieurs les Estats Generaux des Provinces-vnies, & qu’vn grand debat se fut leué entre les Prouinciaux de l’vne & l’autre Hollande pour raison de ces Salines, que ceux de Nord-Hollande ne vouloyent pas eftre incluses fous les limites de la Compagnie,les Directeurs au contraire maintenoyent y estre du tout compris : le Roi d’Espagne, qui n’estoit pas ignorant de leur dessein, se resolut d’empescher l’vfage de ces Salines à ceux de noftre nation, ce que ne pouvant faire que par le moyen d’vne forterefie, il y en fit bastir vne forte, qu’il munit de force canon, & d’vne bônegarnifon. 20 Or ce Fort, comme nous l’auons appris de plusieurs qui Font veu, eft bafti en cette façon ; il eft placé fur vne roche moyennement esleuee sur le refte de la terre qui l’enuironne, à enuiron cent pas de la mer: de forme quarree, avec IV baftions aux quatre coins : le costé deuers l’Est & qui regarde vers la terre ferme, eft veftu d’vne forte muraille de pierre haute prefque de xL piés, les autres deux costés le mur n’eft que la moitié aussi haut : celui qui regarde la rade eft le plus foible & plus bas de tous:On n’eft pas bien d’accord du nombre du canon, ceux qui en content le moins en mettent trente & trois,dont prefque la moitié sont de fonte. Le nombre aussi de la garnison est incertain, toutesfois on ne tient pas qu’il y en a moins de deux cents. Il y a vne montagne qui commande à ce Fort, feparee feulement d’icelui par vne 30 vallee : ils vont querir toutes leurs victuailles deux fois lafepmaineà Cumana ; outre ce qu’ils reçoiuent d’Efpagne,comme huile, vin, habits & chofes femblables. Ils ont nommé ce Fort I. Iago : qui est certe placé en vn lieu si aduantageux pour garder ces Salines, & en chasser les nauires de leur ennemi, qu’il n’eft pas possible de mieux; car à coups de mousquets ils peuvent empescher l’entree des Salines, & mettre à fond auec leur canon les nauires moüillés à la rade. CVMANA

ou

COMENA.

CHAP. IV.

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Description de la Province de Cumana, qualités de son aïr & de sa terre, animaux qui s’y trouvent, & mœurs des Indiens. Vmana ou Comena, fuit A raya, vis à vis du Cap d’Araya & de l’Isle de la Margarite : separé de ces renommees Salines & du païs voisin par ce golfe, que nous auons dit estre nommé Golfo de Cariaco ou de Comena ; lequel entre au dedans de la terre ferme enuiron quarante lieues, comme les Efpagnols disent, habité anciennement de force Sauvages, qui habitoyent aupres les rivages : lefquels à la façon prefque de tous les autres alloyent nuds, excepté que les hommes taschoyent de couurir leur partie honteuse, d’vn col de courge, ou de quelque coquille, ou bien d’estuis d’or ; & 50 ceux du commun d’vne bande tissuë de cotton qui leur passoit entre les cuisses. Lors qu’ils vont à la guerre ils se couurent les espaules d’vn petit manteau, & s’ornent de plusieurs plumages : les iours de fefte ils s’oignent la peau d’vne certaine colle fort gluante,&y souffloyent du duuet de diuers oifeaux, imitans en cela les oifeaux; ils s’arrachent du tout la barbe ; & fe tondent les cheveux du tout en rond au dessus des oreilles, ils eftiment les dents noires pour les plus belles ; voila pourquoi ils ont de coustume

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OCCIDENTALES LIVRE. XVIII. 615 coustume de mascher prefque continuellement les fueilles d’vne certaine herbe, par le moyen de {quelles ils se les rendent noires, & le plus souvent s’en preseruent de la douleur, & aussi se rendent l’haleine douce. Les filles y vont du tout nuës, & tiennent pour chose belle d’avoir de grosses cuisses & bien grasses ; ce qu elles acquerent en fe liant fermement fur le genoüil dés leur enfance,elles ne se soucient pas guere de leur pudicité : mais quand elles font vne fois mariees, alors elles commencent à fe couurir leur partie honteuse & à viure plus chastement, craignant que leurs maris ne les punissent de cetadultere. Les Cassiques prennent plusieurs femmes & tant qu’il leur plaist, & tiennent sur tout 10 pour vne bonne reception de donner pour vn temps leurs cõcubines à leurs hostes ; les femmes y accouchent fans peine, de nourrissent leurs enfans foigneufement ; de pource qu’elles estiment pour vne chofe bien feante d’auoir vne longue face de des iouës maigres, elles pressent la telle de leurs enfans entre deux coussinets. Iis mangent de toutes fortes d’animaux, de sorte, que comme on dit, ils ne reiettent pas les plus immondes,bien qu ils ayent assés de leur blé de de bonnes viandes & d’excellent poisson ; mesme sçauent faire de bonne boisson. Il y a encore quantité de cesSauvagesen ce quartier de la terre ferme,qui ont courageusement iufques ici maintenu leur liberté à l’encontre des Espagnols, & souvent leur font grand dommage. Ces Sauuages pour la plufpart voyent fort trouble, ce que quelques-vns pensent 20 ieur aduenir de l’eau qu’ils boiuent,laquelle ils puifent de la plus grande riuiere de cette Province,nommee d’ordinaire Rio de Cumana ; mais i’approuue plustost l’opinion de ceux qui attribuent la cause de cela à leur mauuaife nourriture. Les femmes y cultivent la terre, & y sement le Mays, l’Axi, les citroüilles & autres fruicts pour leur provisionn. Ils mangeoyent anciennement la chair de leurs ennemis, qu’ils prenoyent en guerre ou par finesse, & n’espargnoyent pas mesmes les esclaucs qu’ils acheptoyent, lesquels ils engraissoyent à la façon des pourceaux,s’ils estoyent maigres. Entre les arbres qui croissent de leur naturel en cette contree, les Espagnols font mention de quelques-vns qui rendent vne certaine liqueur comme du laict, laquelle deuient aussi dure que de la gomme, & donne vne bonne odeur ; d’autres qui iettent 50 vn fuc semblable au laict pris, dont ils mangent sans danger. D’autres qui portent vn fruict semblable à des mœures, desquels ils font vn syrop fort propre contre l’enroüeure ; le bois de ces arbres est si dur qu’on en tire du feu, comme d’vn caillou estant frappé d’vn fusil. Il y a encore vn autre arbre ,1e bois duquel sent comme le cedre, duquel il semble estre vne efpece,dont on fe fert à beaucoup d’ouurages de charpenterie de menuiserie, mais si on enferme, és vaisseaux qui font faits, du pain ou autre viande , ils deuiennent fort amers, on le tient fort propre pour en faire des nauires, car il ne fe vermoulist pas. Il s en trouue aufli vn qui rend vne glus fort gluante, dequoi ils fe fe ruent à prendre 40 les oiseanx, & s’en oignent la peau, lors qu’ils fe veulent emplumacer. Enfin il y croist prefque par tout de la casse folutiue,mais ie fais doute que ce ne soit de cette fauuage dont nous auons fait mention ci-dessus, combien qu’il y en ait aussi de la bonne. La terre abonde aussi en fleurs odorantes, principalement en roses, combien que quelques-vnes de ces fleurs fentent fi fort quelles en offencent le cerueau. Outre les lions, tigres, sangliers, de autres animaux furieux, il s’y en trouue encore d’autres qui ne font pas és autres Prouinces, ou à tout le moins s’y trouvent fort rarement; entre lesquels les Autheurs font mention d’vne efpece, que les Sauuages nomment en leur langue Capa ; qui est vn animal aussi grand ou plus qu’vn asne, fort velu, 50 noir & fort furieux, combien qu’il s’espouvante & fuye au regard de l’homme, mais hardi contre les chiens, defquels il ne s’estonne pas pour le nombre, ains demeure coi, de bien fouuent les tuë & les deuore. Il y en a encore vn autre qu’ils nomment Aranata ; de la grandeur d’vn chien de chasse, avec vne longue barbe de bouc ; qui donne vn certain de horrible murmure: il ne mange pourtant pas de chair,mais vit de fruicts d’arbres, au haut defquels il monte legerement ; on dit qu’ils fe tiennent par troupes. Il s’y


DESCRIPTION DES INDES Il s’ÿ prend aussi de certains chats sauvages, qui ne font pas fort differents des linges,lesquels aiment fort leurs petits, & les portent par tout les tenans embrassés, mesmes pendant qu’ils font encores petits ; montent fur les arbres auec eux : les ieunes font grandement beaux, & fort ingenieux, qui fait que les Efpagnols en font grande estime. On y trouue aussi vn certain animal fort furieux & dommageable aux hommes, grand comme vn dogue, que les Sauuages craignent au possible, qui fait qu’ils ne forcent iamais de nuict fans vn tifon en la main, car cette beste ne va que de nuict & rarement la voit-on de iour, ils en racontent vne merveilleuse astuce, qui est qu’il a coustume de venir crier aupres des maisons, comme si c’estoit vn enfant, afin d’en faire sortir 10 les hommes, & les surprendre au despourveu. Il y a aussi vne grande abondance & diversité de toutes fortes d’oiseaux, fur tout de fort beaux perroquets & autres semblables, grand nombre de grosses chauve-souris, qui sont à bon droit contees entre les playes de ces païs : comme aussi des mouscherons, qu’ils nomment Mofquitos, petits à la verité, mais qui poignent si vivement, qu’on n’y peut prefqùc dormir de nuid,si on n’y apporte quelque remede. Il s’y trouue trois fortes d’abeilles qui font du miel, Les araignees & phalanges y font plus grandes de beaucoup qu’en l’Europe, & de diuerfes couleurs,qui filent leur toile fi forte,qu’à peine la peut-on rompre. La mer qui la laue est fort poissonneuse, les rivieres y font aussi remplies de poisson, 20 de maniere que cette Province abonde en toute forte de viures. Enfin on trouue dans les riuieres grand nombre de Crocodilles, que les Sauuages nomment là Caymanes, & les Efpagnols Lagertos ; qui ne different en forme ni nature de ceux du Nil,combien qu’ils different vn peu en grandeur.

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CHAP.

V.

Les cruautés exercees par les Espagnols és siecles paβés dans ce quartier : & la description de la Ville de Cumana. OMBIEN que les Efpagnols ayent exercé force cruautés contre les Sauua- 30 uages presque en tous les quartiers de l’Amerique, toutesfois ils ne fe font iamais portés si cauteleusement & cruellemẽt en aucun autre que cestui-ci. Car Herrera raconte que les Iacobinsl’an cIɔ Iɔ XIII auoyent inftamment supplié le Roi d’Espagne, qu’il fust permis à eux seuls d’attirer les naturels de cette contree à la Messe & les instruire es principes de la Religion,ce qu’ayant aifement obtenu de l’Empereur fort religieux,il y en eut deux qui furent laissés à terre proche de Cumana, où ils furent bien receus des Indiens , de force qu’il y auoit grande efperance non feulement de les ponvoir addoucir & ciuilifer,mais aussi de les pouvoir emmener à nostre foi: mais peu. apres il y arriua vn nauire d’Espagnols, qui, comme ils difoyent, vouloyent traiter des perles des Sauuages : ceux-ci firent tant entiers ces Moines, qui ne fçauoyent rien de 40 leur tromperie,qu’ils persuaderent le Cassique d’aller boire dans le nauire : mais leUant l’anchre ils l’emmenerent avec fia femme & dix sept de ses gens pour en faire de miserables esclaves, en vain implorans la foi des Moines & de ses hostes : les autres Sauuages qui soupçonnoyent les Iacobins d’estre confentans à cette trabifon, fe ietterent fur eux pour les tuer ; mais les ïaeobins promirent par ferment que le Cassique & ses gens retourneroyent en bref; voila pourquoi ils les laisserent pour vn pende temps, iusques à ce que fe voyans trompés tout à fait, ils les tuerent. Neantmoinsl’an cIɔ Iɔ XVIII plusieurs Moines, partie Iacobins, partie Cordeliers arriuerent là ; qui y bastirent deux Conuents en deux diuerfes places, pour tant plus aifement pouuoir s’employer à l’instruction des Sauuages. Or les ïaeobins placerent leur Cloistre dans la Prouince des Chiribiquois, à fept lieuës de l’Isle de Cubagua vers l’Occident,auquel ils donnerent le nom de S. Fé (lequel nom, la baye qui efl à environ deux lieues de la bourgade de Cumana vers l’Occident, retient encore auiourd’hui) place fort commode pour les navires, qui ont coustume par fois de s’y fournir d’eau & de bois, & de s’y anchrer seurement, & où les Sauvages sont fort traitables. Or l’an cIɔIɔ xx il y arriua derechef d’autres Espagnols, sous la conduite de Alfonse de Oieda,

C


OCCIDENTALES. LIVRE XVIII.

617

de Oieda, la venuë duquel estonna fort les Sauvages, mais les Espagnols pour d’autant mieux les tromper,ayant leué les anchres s’en allerent à quatre lieues delà vers Maracapana, faignans d’y estre venus expres pour traiter du Mays avec les Tangares habitans des montagnes:Mais comme ces Sauuages eurent apporté cinquante charges d’hommes deMays sur le rivage, & attendoyent ce qu’on leur auoit promis pour payement, les Efpagnols fe ietterent fur eux à l’improuiste, en empoignerent trente six & en blefserent plusieurs. Le Cassique de cette Province, qui estoit desia baptizé & fe nomrnoit GilGonsales, fort fasché de cet affront, & soupçonnant, selon le naturel de ces Sauuages grandement foupçonneux & enclin à la vangeance, que les Moines auoyent trempé 10 dans ce dessein ou l’auoyent à tout le moins sceu, fit complot avec le Cassique Maraguey, au territoire duquel ces Conuents estoyent fitués, que Maraguey massacreroit les Moines, & lui attaqueroit Oieda ; & peu apres comme Oieda eut mis pié à terre vn peu trop à la legere avec peu de gens, il fut accablé & tué lui sixieme ; & les Moines quelque temps apres lurent tués & leurs Monasteres brussés. Or comme le bruit de ce desastre fut venu aux oreilles du Parlement establi à S. Domingo, il fut ordonné que ce crime seroit puni par toute forte de rigueurs & mesme vangé par la ruine de tous les Indiens de Cumana,pour cet effect on delpefcha aussi tost trois cents soldats fur trois nauires, qui par hasard se trouverent prests, avec Gonsalo de Ocampo, pour les commander, qu’on y enuoya. 20 Pendant que cet exploit fe fait en la terre ferme, arriva à propos ; à fille d’Hispagniole, le Licentié Barthelemi de las Cafas ; qui en vertu du contract passé entre le Roi d Espagne & lui,y auoit amené quelques païsans & autres manouuriers auec leurs familles, pour les placer dans vne Colonie qu’il pensoit establir en la terre ferme aupres des Conuents de ces Moines. Où ayant appris cette infortune, il en fut fort triste, & s’efforça d’empescher cette expedition, mais ce fut en vain. Gonsalo de Ocampo donc abordant auec deux nauires au port de Maracapana, se resolut d’vser de finesse, pour furprendre plus aisement les Sauvages, par ainsi il feignit de venir d’Espagne ; & non des Isles, & de ne sçavoir rien de ce qui s’estoit passé : & de peur que les Indiens ne s’espouvantassent de la multitude de fes gens, il en fit cacher la 30 plus grand part : Voila pourquoi,iceux ne se doutans de rien entretent librement dans les nauires, excepté le Cassique qui fe tint dans fon canoa ; lors les Espagnols fortans de leur cachette,tuerent le Cassique dans fon canoa, & pendirent aux verges du nauire le relie qu’ils auoyent pris ; puis mettans pié à terre, ils pillerent, puis ruinerentleur village, & commencerent à bastir vne bourgade furie riuage de la riviere à enuiron demi-lieuë de la mer,qu’ils nommerent Toledo. Cependant le Licentié de las Casas taschoit par tous moyens de paracheuer fon entreprife, & ayant formé compagnie auec f Admirai Columb & autres Officiers du Roi qui estoyent dans fille d’Hispaniole, il aborda à la terre ferme, où ayant trouué Ocampo dans la nouvelle bourgade de Toledo, les conditions que le Licentié apportoit auec soi 40 despleurent à ces nouveaux habitans, ils le quitterent & abandonnerent leur bourgade à peine bien commencee. Lui pourtant ferme en sa resolution, se tranfporta auec peu de fes amis & quelques ouvriers qu’il auoit à gages, au lieu ou le Conuent des Cordelliers auoit esté premierement, assés pres de la mer, & le long de la riviere de Cumana, & là commença à bastir vn Chasteau. Mais les Efpagnols habitans de fille de Cubazua, n’en ellans pas trop contans à cause que par ce moyen les courses qu’ils auoyent coustume de faire fur ces miferables Sauuages seroyent empeschees, attirerent à eux par grandes promesses f Architecte du Licentié, qui lui restoit seul ; & par ce moyen firent que f ouurage demeura imparfait. Le Licentié de las Cafas, pour preuenir à tous ces empeschements, & pour se plaindre au Parlement des habitans de Cubagua, commit en fa place Francifco deSoto, puis 50 trauerfa à Hispagniole. Ce de Soto, par vne grande imprudence, & contre le commandement que lui auoit fait le Licentié,enuoya les deux nauires qu’on lui auoit laissé ( afin de pouuoir retirer fes gens en scureté, s’il tomboit en quelque danger des Sauuages) le long de la colle, pour traiter avec les Sauuages: Voila pourquoi les Indiens ellans animés de tant de massacres qu’ils auoyent soufferts de ces Estrangers, dont l’vn estoit encore tout sanglant, se seruans de cette occasion seruerent fur le relie de Iiii ces


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DESCRIPTION DES INDES ces nouveaux habitans. De Soto blessé, dont il mourut apres, se fauua auec vne chaloupé & dix neuf de ses gens, au Cap de Araya, le refte fut tout tué, & la bourgade entierement mise bas. Le Licentié ayant ouy ces nouuelles dans Hispagniole, fasché de ce malheur ( & de ce que tout ce qu’il auoit essayé iusques-là pour conseruerces Sauuages, & les retirer du mal, pour les mener à la Religion Chrestienne, qui eftoit fon vnique dessein) quitta le monde pour se faire Iacobin, & depuis il deuint Euesque de Chiafa. C’est ce Barthelemi de las Casa, qui defcriuit au long à l’Empereur Charles Roi d’Espagne, tous les actes inhumains & cruels que les Efpagnols auoyent exercés à l’encontre des Sauvages, presque en tous les quartiers del’vne & de l’autre Amerique ; des Commentaires duquel la Chreftienté a appris, quelles ruines de nations toutes en- 10 tieres, de quels grands horribles fupplices ce Nouveau monde a veu & combien de fois gemi,depuis que les Efpagnols y ont fait entree. Apres que l’Admiral Diego Columb, & le Parlement d’Hispagniole, eurent entendu cet infortune, ils fe refolurent de la vanger, pour cet effect ils y enuoyerent Iago de Castetlon l’an cIɔ Iɔ XXII ; qui aborda premierement à l’Isle de Cubagua, & y laissa des gens pour rebaftir la ville de Cadiz & l’habiter derechef, laquelle les Espagnols auoy ent auparauant abandonnee pour la crainte des Sauvages : puis delà alla à Cumana, où il s’eftablit : il enuoya de ce lieu fes gens pour prendre les Indiens de ce quartier, plufieurs defquels il fit mourir de diuers & cruels tourmens,notamment ceux qu’il foupçonnoit avoir esté autheurs de la mort des Moines & d’autres Sauvages. Enfin il y baftit vnFort 20 fur l’emboucheure de la riuiere de Cumana, pour favoriser ceux de Cubagua, lors qu’ils y venoyent prendre de l’eau:depuis lequel temps les Espagnols y ont toufiours demeuré. Or cette bourgade de Cumana ou Comena eft fituee au dedans de la terre ferme, à enuiron deux lieues de la mer, dedans vn bois efpais, de sorte que ceux qui descendent la riuiere le peuuent difficilement voir, fi ce n’est la maison du Gouverneur, bastie fur vne haute coline. Elle a vne rade fur la mer fort commode dans vne baye semilunaire, où on peut feurement anchrer proche du riuage, fur douze ou treize brades d’eau,d’vn fond nullement sale de rochers. CHAP.

VI.

30

Antonio Sedenno Recit de ce que Hieronymo de Ortal & ont exploicté en ces Provinces. OUS avons succinctement traité au Liure precedent, que Hieronymo de Ortal auoit fait dans la grand riuiere de Viapari, iusques au temps qu’il s’en partit, pour aller en ce quartier de la terre ferme dont nous parlerons maintenant, voila pourquoi nous poursuivrons auec la mesme briefueté le reste de son expedition en ce lieu. 40 De Ortal donc prit pour son Lieutenant Augustin Delgade, lequel il enuoya vers la riuiere de Neuerin, laquelle fe descharge en mer à deux lieues de Maracapana, auec charge expresse d’y bastir vn Fort, ce qu’il executa promptement. Ortal cependant l’alla ioindre auec cent foldats,pour auancer fon voyage: mais il s’y rencontra deux difficultés ; la premiere defquelles eftoit la plainte que ceux de Cubagua faifoyent contre lui, d’avoir mis la faucille aussi bien dans la moisson d’autrui qu’en la sienne ; l’autre & la plus grande estoit la disette de toutes choses qu’auoyent ses gens, retournés du precedent voyage presque nuds, à laquelle il ne pouvoit remedier, pource que l’Empereur Roi d’Espagne auoit estroitement defendu d’emmener les Sauuages ailleurs pour s’en feruir d’esclaues, ou pour les vendre : qui faifoit que lui mefme eftoit deffourni de tout : 50 Mais afin de furuenir en quelque façon à la necessité de ses foldats, il leur permit de maquignonner de ces Sauvages dont les Indiens mesmes fe feruoyent d’efclaues : qui fut vne licence fort pernicieuse : car les foldatsfous ce manteau traiterent fort cruelle ment les Sauuages, & en vendirent aux maquignons plufieurs de libres pour en faire des efclaues. Or Delgade, apres auoir appris par fes efpies qu’il auoit enuoyé devant, qu’un grand nombre

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OCCIDENTALES. LIVRE XVIII. 619 nombre de Sauuages habitoit au dedans de la terre ferme, il se mit aussi tost eh chemin auec cinquante foldats : il rencontra au commencement des forefts fort espaisses, & des sentiers fort difficiles & peu de villages d’indiens : il passa au travers de Guacharucu & Paripomote Provinces habitees par des Sauuages hardis,furieux & en grand nombre: qui pourtant à cause des querelles & guerres continuelles qu’ils auoyent auec leurs voisins, receurent ces Estrangers humainement, & leurs donnerent des guides, pour les palier dans vne autre Prouince fort peuplee, & abondante en toute forte de viures : ils furent là premierement attaqués hardiment des Sauuages, qu’ils mirent pourtant en route prefque fans peine ; delà ils prirent leur chemin vers la riuiere de Vnare, laquelle 10 ils trauerferent non fans grand combat auec les Sauuages qui les attendoyent de l’autre costé : ils rencontrerent un village rempli de viures, & ayant fait paix avec les Indiens voisins, ils reprirent courage. Or les Efpagnols eftiment qu’Ortal eust fort bien fait d’y baftir vne forteresse, mais il se hastoit pour aller vers la riuiere de Meta : voila pourquoi Delgade, apres avoir receu quelque prefens des Cassiques de ces Prouinces, s’en retourna vers fon Capitaine. Nous auons aussi dit au Liure precedent qu’Antoine de Sedenno auoit eu dispute auec Ortal touchant ces Provinces ; & qu’il auoit efté premierement accordé entr’eux, qu’ils pourfuiuroyent ensemble avec leurs gens cette expedition : mais qu’Ortal auoit puis apres contreuenu à cet accord. Voila pourquoi Sedenno alleché par le bruit qui 20 coutoit, de la descouverture qu’Ortal auoit fait de ces riches Prouinces, comme on les eftimoit,incita les habitans de Porto Rico à lui aider, & aborda à vn quartier de la terre ferme,à deux lieues de Maracapana, dans les limites du Gouvernement de Venezuele, Combien qu’il euft efté expressement defendu par le Parlement d’Hispagniole, qu’aucun ne s’ingeraft d’entreprendre sur les limites d’autrui. Cette discorde de Sedenno & d’Ortal fit, qu’vn chacun d’eux s’efforçoit de nuire à l’autre, & dissiper fes desseins, & leurs foldats fe destroussoyent les vns les autres leurs viures, sedesarmoyent & fe despoüilloyent à qui mieux mieux. Ortal neantmoins pourfuiuant fon entreprise, s’avança iufques dans la Prouince d’vn certain Cassique, qui és annees precedentes auoit efté baptizé par les Moines, & nommé Diego ; cher30 chant de tout son pouvoir la Prouince de Meta, passant par vn païs bien cultiué & fort bien peuplé,qu’il degasta miserablement, afin que Sedenno ne le peust fuiure: Or il rafraischit fes gens dans vn village nommé Guaniba, que les habitans auoyent abandonné, & y auoyent laissé grande quantité de Mays & d’autres viures. Delgade fut blessé des Sauuages à l’œil,dont il mourut peu apres : Et Ortal, ayant efté abandonné de fes soldats mutinés, qui s’estoyent ioincts pour la plus grand part auec Nicolas Federman, lequel estoit venu de Coro pour descouvrir ces Prouinces, prit le chemin lui dixieme vers fa forterefïe,qu’il auoit auparauant nommee S. Miguël deNeuere : mais aduerti que fon riual Sedenno s’avançoit auec grandes forces vers cette cofte,il n’ofa pas demeurer là, ains s’enfuit dans l’ Isle de Cubagua, & delà à la Metropolitaine S. Domingo dans l’Isle 40 d’Hispaniole. CHAP.

VII.

Reste de l’exploict d’Antoine de Sedenno en ce quartier de la terre ferme. PRES qu’Antonio de Sedenno eut en cette façon chassé fon riual Ortal & pris le Licentié Frias, que le Parlement d’Hispagniole auoit enuoyé, pour lui deffendre les limites de l’autre Gouvernement ; se voyant libre, il poursuivit fon entrent; fe avec cinq cents foldats,partie à cheual,partie à pié, marchant premierement le long 50 de la cofte de la mer iufques à Patigutaro, & delà il entra dans la terre ferme fans tenir aucun ordre ou discipline militaire ; de forte que les Sauuages ne pouuant plus fupporter l’infolence de ces soldats, ayans dressé des embuscades en diuers endroits, en surprirent & tuerent quelques-vns ; & les foldats en recompenfe en tuerent beaucoup dauantage, & en prirent plusieurs,qu’ils enuoyerent à Cubagua pour feruir d’esclaues, trafic pour lors ordinaire aux Efpagnols. Iiii 2 Cette

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DESCRIPTION DES INDES Cette boucherie des Sauuages,fit que plusieurs corps demeurerent ci & là fur les champs fans sepulture, dequoi les tigres prenans pafture, s’acharnerent tellement fur les viuans, qu’on ne peut trouver meilleur remede pour se garentir de leur furie, que de porter des tifons ardans lors qu’ils leur faloit fortir de nuict hors des maifons. L'an cIɔ Iɔ XXXVII Sedenno tira vers la Province d’ Anapuia, & delà dans celle d’Ovocomay, où il fut amiablement receu des Indiens. Delà il passa dans la contree de Gotoguaneya, les habitans de laquelle il trouua en armes, & auoyent bafti à l’entree de leur païs une petite forteresse de bois,où il y auoit force Sauuages,pour empescher l’entree de leur quartier aux Espagnols. Les Efpagnols attaquerent ce Fort, mais ils en furent par deux fois repoussés, de plusieurs dentr’eux blessés de flesches enuenimees, de sorte 10 qu’ils furent contraints d’oster le venin des playes auec le fer chaud au grand peril de leur vie : toutesfois les Indiens ayans perdu beaucoup des leurs de craignans enfin d’estre forcés par les Espagnols, ils abandonnerent la place, & fe retirerent de nuict, avec femmes & enfans, aux montagnes voisines esloignees delà d’enuiron vne lieue, qui estoyent couvertes d’efpais bocages. Apres que les Efpagnols fe furent reposés quelque temps en ce lieu, & s’y furent asfés rafraifchis, ils marcherent iusques dans vne Province, qui estoit à deux degrés de la ligne vers le Nord, à trauers vn païs defert de force riuieres, où il n’y auoit rien à viure que de la chasse, de forte que les foldats fatigués commencerent à fe mutiner ; mais Se20 denno appaisa pour cette fois ce tumulte, apres en auoir puni les Autheurs. Ils arriuerent enfin dans la Province de Catapararo, fituee entre des montagnes ; où ils trouverent force Mays, & quelques indices de metaux fur tout d’or ; de forte qu’ils fe placerent là pour hiuerner. Cependant Sedenno mourut, en la place duquel fut eftabli Iuan Fernandez, ; de ayant fupputé leur chemin, ils trouuerent qu’ils eftoyent desia à cent cinquante lieues de la mer au dedans de la terre ferme. Les pluyes eftant passees ils marcherent quelque temps à trauers des lieux marescageux de quelques riuieres, apres quoi ils trouuerent vn autre village abondant en viures. Là mourutauffi Iuan Fernandez : neantmoins ils marcherent encore plus outre par des campagnes ouvertes de non cultiuees, par où les mariniers les guidoyent auec vne boussolle ; enfin iis arriuerent dans vn païs fort bas & humide, habité de quelque 30 peu de Sauuages,qui fe retiroyent au temps des pluyes és plus hauts lieux, pource que tout ce païs estoit inondé en ce temps par les rivieres. Or les Efpagnols ennuyés & fatigués de tant de difficultés,car fortis des marais,avec beaucoup de peine,ils leur faloit entrer dans de grandes campagnes defertes & sablonneuses, ioint qu’ils auoyentgrande disette de viures ; de plus la discorde s’estoit mise entr’eux depuis la mort de leurs Chefs,ils mirent fin à leur descouverture, & se separans endiuerfes bandes, ils se resolurent de s’en retourner par diuers chemins ; par ainsi apres vn long tracas, les vns arriuerent à Venezuela, les autres à Maracapana & delà à Cubagua. Voila qu’elle fut l’issuë de l’entreprise d’Antonio de Sedenno. Par toutes ces expeditions,où nous ne remarquons rien de memorable, on peut efti- 40 mer qu’il n’y a rien dans ces quartiers qui merite tant de labeurs ,* mais qui considerera bien l’affection que les Efpagnols auoyent à de tels voyages, ne s’estonnera pas qu’ils les ont entrepris : car ils estoyent accoustumés de trouuer parmi les Indiens de l’or, de l’argent ou autres richesses de grand prix desia assemblees, de ils ne s’amusoyent pas à les chercher parmi les entrailles de la terre, mais passoyent outre, fans beaucoup s’arrester, les lieux où ils n’en voyoyent de toutes preparees : voila pourquoi ce n’eft pas de merueilles fi en tant de laborieux voyages ils n’ont pas plus descouverts de metaux & autres chofes de prix, qui ont coustume de pouffer les hommes à vifiter les païs de les regions exactement. 620

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VENEZVELA.


OCCIDENTALES.

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XVIII.

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VENEZVELA. CHAP.

VIII.

Description generale de cette Province de Venezuela, & division d’icelle en diverses parties. ES Autheurs Espagnols donnent deux raisons, pourquoi ce Gouuernement & sa Province a esté nommee Venezuela, c’està dire, petite Venize : la premiere, pour10 ce qu’Alfonse de qui l’aborda des premiers l’an cIɔ cccc XCIX, y trouua vn village d’Indiens, les maifons duquel estoyent toutes basties fur des arbres & poultres dans l’eau mesme, comme on voit Venise s’esleuer fur les flots de la mer ; or ils alloyent de la terre ferme dans leurs maisons sur des ponts de bois, & y auoit aussi plufieurs de ces ponts d’une maison à l’autre. Herrera donne la seconde en fa briefue description des Indes , qui eft que les Allemands,lors qu’ils eurent receu ce Gouuernement de l’Empereur Charles le Quint l’an cIɔ Iɔ XXVIII, auoyent resolu de bastir vne ville, le long de l’emboucheure du grand lac de Maracaybo, sur vn coftau qui commandoit ce destroit, & la nommer Venissette, pour vn heureux prefage, combien que cela n aiamais forti à effect. 20 Or les Velfers noble Bourgeois d’Auxbourg, pour auoir rendu de grands feruices à l’Empereur, receurent d’icelui cette Prouince en don selon ces limites, comme nous les auons appris d’Herrera, sçauoir du costé du Leuant elle eftoit bornee de Maracapana,dont nous auons desia parlé, vers le Couchant duCap de la Vela, s’estendant en long selon les cours de la colle enuiron deux cents lieues. Ces Allemands trouuerent cetteProuince fort peupleede Sauuages, mais pource d’en tirer que comme il apparut apres, leur dessein eftoit d’y faire leurs affaires quelque riche butin, plustost que d’y mener des Colonies, & former quelque Republique,leurs Officiers traiterent inhumainement ces miferables Sauuages, & en destruirent insensiblement la plus grand part : Les Efpagnols aulfi habitans la Continente 30 voifine & les Isles de la Margarite & de Cubagua, suivant leur ordinaire coustume y contribuerent tout leur pouvoir, d’où aduint que ces Prouinces fort peuplees furent fort despeuplees, & prefque du tout defnuees de naturels habitans. Auiourd’hui les limites de ce Gouuernement commencent des dernieres fins de la Nouvelle Andaluzie ou de la Serpa, ou mefme de Guiane, iufques au commencement du Gouuernement nommé Rio de la Hacha ; de forte qu’il a de long entre ces deux Gouuernements cent & trente lieues: de large où il est le plus, quatre vingts, iufques au

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Nouveau Royaume de Granade.

La terre de ce Gouuernement eft fort fertile en grains, de forte qu’on y moissonne deux fois l’annee. Il abonde aussi en pafturages,qui fait qu’on y nourrit grand nombre 40 de vaches & de brebis. Ce qui lui a fait donner le nom de Grenier, parmi les autres Prouinces ; car on tire d’icelui vne grande quantité de farine de froment, beaucoup de biscuits,force fromages,comme aussi du lard; vn grand nombre d’estoffes de cotton,pour porter aux Prouinces tant voifines qu’esloignees. On amene aussi delà vn grand nombre de peaux de bœufs, & grande quantité de Sarzaparille, qu’on charge au port de Guayra & Caracas pour porter en l’Europe. Le païs abonde en toutes fortes de belles sauvages, de forte que la chasse y eft belle fur tout autre païs,ioint que la riviered’Vnare est fort poissonneuse, qui a autresfois efté cause que les Indiens fe fontfouuent fait la guerre entr’eux pour les limites de leurs pefches.On croit qu’il y a aulfi des metaux en plufieurs Prouinces particulieres, fur 50 tout de l’or assés parfait de vingt & deux carats & demi, comme on parle. Cet ample Gouuernement embrasse plufieurs Prouinces particulieres, qui ont chacune leur nom peculier, tant le long de la mer, qu’au dedans de la terre ferme ; comme Curiana, Cuica, Bariquicemeto, Tucuyo & semblables, les limites desquelles nous ne trouuons pas eftre distinctes parmi les Autheurs Efpagnols ; par ainsi nous nous contenterons de les nommer ici,referuans d’en faire mention en la defeription des villes que les , Espagnols habitent en icelles. Iiii 3 Au


DESCRIPTION DES INDES Au refte les Espagnols efcriuent qu’on conte auiourd’hui en ces Provinces plus de cent mille Sauuages tributaires aux Espagnols ; sans comprendre en ce nombre, ceux qui n’ont pas encore attaïnd l’aage de dix huict ans, & qui ont passé cinquante, car tous ceux-là par fentence du Conseil des Indes eftabli en Efpagne, ont efté declarés libres ; mais pource que le nombre des Indiens croift ou diminue tous les iours, il n’est pas possible d’en sçavoir le conte asseuré. Les Efpagnols habitent en ce Gouuernement, huict tant villes que bourgades, lesquels nous defcrirons par ordre, apres que nous aurons vn peu traité des exploicts divers, que tant les Officiers Allemands, que les autres ont faits anciennement en ces Provinces, qui n’apporteront pas peu de lumiere à la description de ce Gouuer- 10 nement. CHAP. IX. Premiere descouverture de Venezuela par les Allemands, & ce qu’ils y ont fait durant quelques annees. OMBIEN que Iuan d’Ampues, fous les aufpices par le mandement de la Cour de Parlement d’Hispagniole, fuft entré dans cette Province dés l’an cIɔ Iɔ XXVII, & ayant mis pié à terre à Coriana, eust commencé de la descouurir, contractant amitié avec Manaure, Cassique puissant de ce quartier: Neantmoins, comme nous auons dit ci-dessus, l’Empereur Charles le Quint donnaaux Velsers d’Aux- 20 bourg ce Gouuernement & les autres immunités accouftumees en tel cas,par vn fort amplecontract ; ou pour parler plus proprement, leur auoit engagé ces Prouinces. Or pour lors Ambroise Alfinger, Hierome Sayler & Georges Euiger, faifoyent les affaires des Velfers en la Cour d’Espagne : par Alfinger, ayant fait fon Lieutenant Barthelemi Sayler ,qui ayant preparé tout ce qui eftoit necessaire, & apres auoir embarqué quatre cents soldats à pié & quatre vingts chevaux, partit d'Efpagne l’an CIɔIɔXXIX. Et y eftant heureufement arrivé, il en fit aussitost Coïtir Iuan d’Ampues, lui laissant seulement les trois Isles de Curacao, de Bonaire & d’Aruba, qui sont ailes pres de la terre ferme. Par apres ayant employé quelque temps pour ranger à fon obeïssance les Sauuages habitans le long du lac de Maracaybo, que les Efpagnols appelloyent lors de Nuestra 30 Sennora, il banda tous fes desseins à descouvrir des mines d’or & d’argent: & comme cela ne lui fuccedoit pas selon fon desir, il entreprit quelques voyages vers les Prouinces, qui sont situees au dedans du païs, où il se porta en forte , qu’il degasta par tout où il passa, & meurtrit beaucoup de Sauvages, & receut aussi parfois fon change. Il auoit pris fon chemin au commencement par Cupiara, & ayant trauerfé beaucoup de pais,entra iufques dans la vallee d’Eupari, de laquelle nous auons parlé ci-dessus ; combien quelle fuft hors des limites contenus au priuilege des Velsers, & fans doute choit du Gouvernement de S. Marthe. Le mefme Alfinger entreprit vn autre voyage l’an cIɔIɔ xxx, & prit son chemin vers les Sauuages nommés Pocabuyes, qu’on croyoit auoir beaucoup d’or qu’ils chan- 40 geoyent auec leurs voisins ; d’iceux il alla vers vne autre nation de Saunages, qui se nommoyent Alcoholades , qui auoyent autant d’or que les autres : Leur terre eftoit pourtant fertile,& estoyent pour des Sauuages d’assés bon esprit ; de forte que s’il eut bien pensé à ces affaires,c’estoit le vrai temps pour s’y eftablir & y baftir quelque bourgade ; car il eust peu lors fort aisement entrer delà dans le Nouveau Royaume du depuis nommé Granade, & par ce moyen eftablir tout à fait les affaires de ses Maistres : mais mefprifant cette occafion, il s’en alla delà à Rio Grande, & plus outre à Tamalemeque, degaftant miserablement tous lespaïs où il passoit iusques à Lebrixa : d’où fe destournant, il entra dans vn pais montagneux & froid , qu’il trouua peuplé de beaucoup de Sauuages, defquels il fut repouffé auec grande per te de fes gens, & lui mefme ayant 50 efté blessé, s’en retourna à Coriana, où il mourut de fa playe l’an de Chrift cIɔIɔXXXII. Par apres les Velsers y enuoyerent en laplace du premier Iean Alleman, qui n’entreprit aucuns voyages au dedans du pais,mais y mourut bien toft. En sa place fut derechef eftabli George d’Espire avec fon Lieutenant Nicolas Ferderman ou Vredeman l’an cIɔ Iɔ xxxv. Cestui-ci avec trois cents Pietons & cent Caualiers,partit de Coriana au mois de May,tirant vers le Midy, suivant Je chemin d’Alfinger, commandant 622

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623 OCCIDENTALES LIVRE. XVIII. commandant à fon Lieutenant de le suiure apres qu’il auroit placé vne Colonie aupres du Cap de la Vela,avec le reste de ses troupes. Cependant il auoit pris pour son Lieutenant Francisco de Velasco Espagnol, qui, comme ils auoyent prelque marché deux cents lieuës, selon la coustume ordinaire à cette nation, lors qu’ils font sous des Eftrangers, s’essaya de faire mutiner les foldats : mais le Chef aduerti de bonne heure de fon dessein, le cassa de fa charge, & le laissa là pour toute punition. Or Federman fuiuant son Capitaine, apres auoir trauerfé beaucoup de païs, entra dans la vallee de Tucuyo, fort estroite & ceincte de toutes parts de montagnes, ou il hiverna ; & cependant alla aussi dans la Prouince de Bariquizemeto, ainsi appellee d’une 10 riuiere qui la trauerfe. Ayant passé l’hiuer dans Tucuyo, & laissé François Vanega pour Gouuerneur d’icelle, il partit delà au mois de Decembre, & à grandes iournees, passant à trauers de rudes montagnes,des forests espaisses, & des lieux fort difficiles, il entra enfin dans le Nouveau Royaume de Granade. Cependant que les Allemands exploictent ces chofes en diuers quartiers de l’Amerique, Espire eft caffé de sa charge, & Federman eft eftabli en la place : mais à caufe de beaucoup de plaintes faites contre lui, il fut aussi cassé , & Espire remis en la premiere charge &dignité. Ceftui-ci retournant à Coro l’an cIɔIɔ XXXVIII, fit vn iournal de son voyage, qui auoit presque duré trois ans, lequel il dedia au Roi d’Espagne : se ven20 tant en icelui qu’il auoit entré avec ses troupes prefque cinq cents lieues au dedans du païs, & qu’il eftoit venu iusques sur les limites des Sauvages nommés Choques ; bien qu’il ne se fuft esloigné (selon qu’on estimoit ) du lieu qu’il auoir premierement defcouuert,que de vingt cinq lieues feulement ; & que toutesfois il auoir esté contraint de retourner, pour fournir fes gens de ce qu’ils auoyent besoin. Il mourut un peu apres, fans auoir fait autre chose de memorable. Cependant que les Velsers different d’y enuoyer vn autre Gouuerneur,le Parlement eftabli à S. Domingo, entreprit l’affaire, y enuoya plusieurs Lieutenans-gouverneurs, quelques-uns desquels y moururent, d’autres pour auoir mal exercé leur charge s’enfuirent. Enfin l’an cIɔ IƆXLV, le Parlement y enuoya Iuan de Caruaial Licentié en 30 l’vn & l’autre Droct, garnement qui s’y gouverna mescamment & auec toute forte d’impudence ; & qui apres auoir enlevé de force grand nombre de vaches aux Bourgeois, partit auec fes troupes de la ville de Coro, & laissant le païs des montagnes à la main droite, il marcha par la campagne, & arriua dans la Province de Tucuyo, en ce temps là fort peuplee de Sauuages nommés Cuibas, differents entr’eux en langage, & accoustumés, pour la plus grand part, à manger la chair humaine. Or comme Carnuaial ne mettoit nulle fin a les actes enormes, 6c qu a ce fuiet tous les iours arriuoyent de nouuelles plaintes de lui aux oreilles du Parlement, ils y enuoyerent vn Iuge, pour faite information de fa vie, & s’il le trouuoit coulpable, le punir selon fon demerite : mais il le trouva desia fi fort, & tellement aimé & cheri defes foldats, 40 à qui il permettoit tout ; qu’il n’osa ouurir la bouche contre lui. Caruaial derechef, accumulant crime fur crime, mena Philippe de Vten Lieutenant-gouuerneur, & Barthelemi Velfer fon Lieutenant, liés de chaines à Coro, où il les fit mourir. Par apres Iuan Peresio de Tolosa auffi Licentié és Droicts y fut enuoyé, qui arriua à Corol’an CIɔIɔ XLVI, où ayant assemblé septante soldats, qu’il trouua à propos dans la ville, s’en alla pour rencontrer Caruaial, afin de le punir selon qu’il meritoit. Icelui prit son chemin par les montagnes, afin de couper à Caruaial le chemin du Nouveau Royaume de Granade, où on difoit qu’il s’enfuyoit : 6c ayant trauerfé la plaine de Carora, il rencontra quelques foldats, qu’il adioignit aisement auec fes gens ; & comme il eut appris d’iceux, qu’il auoit quitté Tucuyo & eftoit logé à Quibera, qui en eftoit à enuiron 50 cinq lieues,il tira celle parc à grandes iournees,où eftant arriué, il attrapa fon homme, qui ne fe doutoit de rien, & l’ayant enchainé, le mena dans la Province de Tucuyo, où il le fit mourir. Enfin l’an cIɔ Iɔ L, les Negres, dont on auoit desia amené là vn fort grand nombre d’Afrique, commencerent à fe mutiner ; mais les Efpagnols aduertis de leurs menees, les faifirent, & tuerent tous les malles dentr’eux. Ce qui a efté fait de plus en ce Gouvernement l’an cIɔIɔ LII, sera plus à propos traité en la description de la ville de Segonie. CHAP,


624

DESCRIPTION CHAP.

DES

INDES

X.

De Coro Metropolitaine de ce Gouuernement. A principale ville de ce Gouvernement s’appelle Coro, les Sauvages la nomment Corana, & les Efpagnols fort fotment Venezuela, du nom de toute la Province. Elle est situee, selon la commune opinion , sur la hauteur d’onze degrés de l’esleuation du Pole du Nord, dans vn païs bien temperé, niais fort deffourni d’eau douce, fur tout de fontaines, & n’eft arroufé d’aucunes rivieres. Elle est bastie dans vne plaine, 10 combien que fon territoire soit pour la plus grande partie montueux. Elle iouïst d’vn aïr fort fain,de forte qu’on n’a pas grand befoin de Medecin ni de medicaments, autres que des herbes, plantes & autres simples, que la terre y produit benignement de sa nature : Elle a les mesmes animaux tant terreftres que volatiles, qui fe trouvent es autres quartiers de l’Amerique Meridionale ; mais les lions y font fi lasches & craintifs, que les Saunages les tuent aifement à coups de bastons ; au contraire les tigres y font fi furieux & cruels, qu’ils surpassent de beaucoup les bestes sauvages des autres quartiers. Le terroir de cette ville eft fort fertile,* car les cannes de fucre y croissent d’une merveilleuse grandeur & grosseur ; Il s’y trouue abondance de miel de de pois ; & la terre n’y produit pas mal le froment ; les habitans fe plaifent pourtant mieux au Mays, en la 20 paste duquel ils meslent du suc de cannes de sucre, & en cuisent des tourteaux, d’vn tres-bon goust, qui se gardent long temps, comme si c’estoit du biscuit. Ils font aussi du breuvage du mesme Mays, & de racines de patates, si fort, qu’il enyure promptement les Sauvages. Cette ville a deux haures ou ports, l’un vers l’Ouest, à environ vne lieue d’icelle,dans vne certaine baye,qui est derriere le Cap de S. Roman, comme ils l’appellent,où la mer y eft la plus tranquille, & n’a pas plus de trois brades de profond : l’autre vers le Nord à deux lieues de demie de la ville, où la mer eft beaucoup plus agitee & plus profonde. Il y a aussi les Isles de Curacao, Bonaire de Aruba, qui bordent la Continente quatorze lieues de long, comme Herrera asseure, cette derniere rade eft fort mal asseuree, & n’est nullement garentie à l’encontre de l’incertitude des vents, mefrne elle 30 est exposee au vent de Nord-est, qui souffle en ce quartier continuellement, & eft aucunesfois tres-fort ; il y a de tres-bonnes Salines à vne lieue de ce port ou enuiron. Or dés la ville de Coro, la terre s’avance en mer douze lieues loin, de fait comme vne peninfule,que les Sauuages nomment Paragoana, & la derniere pointe d’icelle eft appelle des mariniers Cap de S. Roman : cette peninfule a de tour enuiron vingt cinq lieues, estenduë pour la plufpart en vne plaine, abondante en belles Sauuages ; il n’y a prefque point d’eau, & n’eft arrousee d’aucune riuiere. Les Indiens font d’vn naturel doux de traitable. Le Gouverneur de toute la Prouince fait le plus souvent fa residence en cette ville, comme aussi l’Euefque, qui eft Sussragant de l’Archeuesque de S. Domingo dans l’Ifle.40 d’Hispagniole. Cette ville fut surprise des Anglois l’an cIɔIɔ xcv, qui l’a bruslerent prefque toute. Assés proche de la ville, pres du chemin qui mene aux montagnes, est situee cette plaine, que les Espagnols nomment d’ordinaire los Lanos de Carora, laquelle a delong feize lieues,& de large six : fort fertile & abondante en viures de autres chofes necessaires à la vie : notamment en Mays & en belles de charge. De la ville de Coro on va dans la Prouince de Bariquezimeto par les montagnes, nommeesen langage Indien Xizaharas, qui commencent pres de la ville; ce ne font pas tant montagnes que de hauts champs bossus, sauvages & non cultivés, où il y a ci de là de moyennes colines,elles font habitees d’vne nation Sauuage nommés Axaguas, na- ;50 tion farouche & accoustumee à viure de chair humaine, que les Efpagnols n’ont peu encore iusques ici pleinement dompter.

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CHAP.


OCCIDENTALES. CHAP.

LIVRE

XVIII.

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XI.

Des autres Villes de ce Gouuernement Nuestra Sennora de Carualleda, S. Iago de Leon, Noua Valentia & Xeres. A seconde ville de ce Gouuernement eft nommee des Efpagnols Nueftra Sennora de Carualleda, situee dans la Prouince des peuples nommés Caracas ; bastie assés pres du rivage de la mer du Nord. Elle eft diftante de la Metropolitaine Coro d’enuiron quatre vingts lieuës, comme veulent les Espagnols, vers le Leuant : elle a incommode & mal-asseuré. 10 bien vn port, mais il est Or les Efpagnols ont basti vn Fort en cette Prouince, sur le bord de là mer, qu'ils nomment Caracas. La terre ferme se dresse en cet endroit, en de tres-hautes montagnes, qui ne cedent gueres en hauteur, à ce sommet de l’Isle de Teneriffe, l’vne des Canaries , nommé d’ordinaire el Pico ; proche de la cofte de la mer brife fort & eft grandement agitee, de forte qu’il est fort difficile d’en aborder avec des chaloupes, pour y mettre pié à terre, fi ce n’eft aupres du Fort, dans une petite baye ou emboucheure. La troisieme ville de ce Gouvernement se nomme S. Iago de Leon, situee dans la mesme Prouince de Caracas,à cinq ou fept lieues du bord de la mer, & à feptante sept de la Metropolitaine Coro,vers le Leuant : à trois ou quatre de Nueftra Sennora de Carualleda, 20 vers le Midy, selon Herrera : le Gouverneur de toute la Prouince y fait parfois fa demeure. Cette ville fut inopinement p.rife des Anglois l’an cIɔ Iɔ xcv , & fut pillee vn peu apres qu’ils eurent pris le Fort de Caracas. On dit qu’il y a deux chemins qui Vont de la mer à cette ville , l’un court fort aisé, mais que les habitans peuvent aisement boucher & garder ; pource que prefque au milieu d’icelui, il est tellement pressé des hautes montagnes & bocages inaccessibles, qui le bordent de costé & d’autre, qu a peine a-t’il vingt cinq piés de large : l’autre eft fort difficile & raboteux au travers des montagnes & precipices, les Sauuages toutesfois s’en feruent d’ordinaire. Ces montagnes eftant passees, on descend dans vne campagne, où cette ville eft baftie. La quatrieme ville de ce Gouuernement eft appellee Noua Valentia, distante de la cinq lieues,du port de Burburata, comme on le nomme, 30 ville de S. Iago de Leon de vingt Coro, soixante, selon Herrera. En quoi ie penfe pourtant Metropolitaine fept : & de la qu’il s’eft trompé : car le conte du chemin monftre clairement qu’il n’y en peut auoir gueres plus de quarante & cinq. La cinquieme ville de ce Gouuernement s’appelle Noua Xeres ; diftante de la Nouvelle Valence quinze lieuës prefque vers le Midy : de Noua Segouia vingt & vne : de la Metropolitalne Coro foixante prefque vers le Sud-est. Il semble qu’il n’y a pas long temps quelle a esté bastie, & son nom n’eft pas ancien parmi les Autheurs Efpagnols.

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CHAP.

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XII.

Ville dite Noua Segouia, le sit & qualités de l'aïr & de la terre des regions voisines. EVANT que de commencer à descrire cette ville,il eft neceftaire de reciter ce que nous auons promis ci-devant, qui eft ce que les Allemands y ont fait. Jean de Villegas Gouuerneur pour les Velsers de cette Province, l’an cIɔ Iɔ LII, partant avec ses troupes de Tucuyo, descouvrit premierement certaines veines d’or au pié de fort hautes montagnes, qui d’vne fuite prefque continue trauerfent toute cette 5o Province, on les nomme auiourd’hui de S. Pedro, le long de la riuiere dite des Sauuages Buria, & des Espagnols de S. Pedro, pource qu’on y alla premierement ce iour de fefte. Icelui alleché par cette bonne rencontre y mena vne Colonie ; qui ayant efté peu apres abandonnee à caufe de l’inclemence de l’aïr & du lieu mal sain, les habitans furent tranfportés fur les bords de la riuiere de Bariquicemete, & la ville fut nommee

D

Noua Segouia.

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Or


626

DESCRIPTION DES INDES

Or ce fleuve a pris son nom de la couleur de les eaux /car eftant esmuees elles font de couleur de cendre. L’aïr de cette Prouince eft prefque de la mesme temperie, que celui des regions voisines : car elle a l’efté au mefme temps qu’eft l’hiver en Efpagne : toutesfois dans la plaine il y fait fort chaud; mais il y s’ouffle de petits vents, qui defcendent du haut des montagnes , dont cette plaine eft de toutes parts ceincte comme de remparts, lefquels temperent grandement la chaleur, & apportent vn grand foulagement aux habitans. Il y a plufieurs fortes de nations Sauvages, differentes la pluspart en langages. Il y a vne grande difette de viures : & les Indiens tirent vn fuc du tronc d’vne certai- 10 ne plante, qu’ils nomment Cocuy, fort semblable aux chardons d’Efpagne, lequel fuc ressemble au syrop, duquel ils fe feruent pour leur viande ordinaire : car ils ont peu de Mays,mais ils ont d’vne efpece de courges, qu’on nomme en Efpagne Calebasses. Ils ont pourtant grand nombre de cerfs & de connils de l’Amérique. Au delà des montagnes vers le Midy il fe trouue grande quantité de Mays, comme aussi du ϒuca,&autres racines, dont on fe fert en ces païs là au lieu de blé, pource que la terre y eft plus humide. Les riuieres aufti de Hacarigua, de Boraute & plusieurs autres ruisseaux & torrents,qui traversent ci & là cette Province, sont fort remplis de fort bon poifton, que les Indiens, par le moyen d’vne racine, qu’ils nomment Barbasco, pilee premierement & iettee dans l’eau,enyurent ou plustost estourdissent, de forte qu’ils fe laissent prendre 20 à la main ; moyen qui eft aufti familier aux Sauuages ailleurs. Il y a aussi vne grande quantité de bestes sauvages, comme cerfs, sangliers, dains & connils, lefquels aux mois des seicheresses, mettant le feu au herbes, feiches par tout en ce temps là,ils tuent à coups de flesches,comme ils fortent de leurs terriers. Il n’y a pas aufti faute d’animaux furieux & nuisibles, des tigres ; de diuerfes couleuures, notamment de fort grands ferpents,que les Sauuages nomment Bobas, Enfin il y a le long des rivages des rivieres, force abeilles, qui font leur miel dans les creux & au pié des arbres. En outre on croit que toutes les riuieres de cette contree, & plusieurs autres, qui fourdent du cofté du Sud de ces montagnes, apres auoir couru prefque cent lieues de 30 païs, fe rendent dans la grande riviere de Viapari ou Huriapari, c’eft à dire l’Orenoque, par de grandes emboucheures. Or le païs des montagnes, qui est à la main droite de la ville de Segouie, habité des Sauuages nommés Chicas, est, comme on croit, abondant en mines d’or, defquelles on pourroit tirer de grands trefors,fi on auoit quantité d’efclaues. Cette Province a esté anciennement fort peuplee de Sauuages, mais maintenant la plus grande partie font morts de maladies, & autres incommodités ; mais fur tout par leurs propres vices, fi nous en croyons les Efpagnols : car ils font d’vn efprit lourd & fort abiect, effeminés & addonnes a beaucoup de vices, sur tout à l’yvrognerie, aux querelles & aux meurtres, quand ils ont le cerveau eschauffé de boisson ; ils sont oisifs sans 40 fonger au lendemain, ce font vrais enfans fans foucij qui gourmandent souvent en vn iour ce qui leur pouuoit suffire pour long temps : voila pourquoi lors que les viures leur manquent,ils fouftiennent miserablement leur vie de racines & herbes fauuages, iufques à ce que leur nouvelle moifton de Mays soit meure; qu’on dit y croiftre à fa perfection en quarante iours en d’aucuns lieux, & d’autres en trois mois. Allés pres de la ville de Segouie passe vn certain torrent ou riuiere, que les Efpagnols nomment Rio Claro, de la netteté de ses eaux, qui fe cache fous terre pas trop loin de fa source : laquelle est fort petite au temps des pluyes, mais l’Esté, lors qu’il semble quelle le deuroit estrs moins, se grossit, de sorte que les habitans en ce temps fcc arroufent leurs champs de fon eau; & sont par ce moyen vne abondante cueil- 50 lette de Mays. Les vaches, brebis, pourceaux, & les beftes de charge y profitent fort bien, car la pluspart des habitans s’exercent à nourrir du beftail , d ou vient leur principal profit ; car ils menent vendre au Nouveau Royaume de Granade toutes fortes d’animaux domeftiques ; les Sauuages ont mefme appris à tiftre des estoffes de cotton. Enfin la ville de Noua Segouia, situee dans la Province, que nous auons desia descrite, est


OCCIDENTALES.

LIVRE

XVIII.

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est distante de Noua Xerez, vers leMidy, de vingt cinq lieuës : de Tucuyo de dix : de la Metropolitaine Coro vers le Sud-est de quatre vingts. Or le chemin de Tucuyoz cette ville passe par vne vallee longue de douze lieuës. CHAP.

XIII.

Reste des Villes de ce Gouuernement, Tucuyo, Truxillo & Laguna, auec la qualité des Prouinces qui les aduoisinent. A feptieme ville de ce Gouuernement le nomme Tucuyo, de la vallee dans laquelL le elle eft baftie : Or cette vallee s’estend du Sud au Nord, & a de long & de large enuiron demi-lieuë ; enuironnee de toutes parts de montagnes : il y a vnenuiere de mesme nom, qui la coupe presque par le milieu. Elle est sur tout prisee pour la bonté de son aïr ; non moins pour l’abondance de toute sorte de viures, & quantité de fruicts, forte que rien n’y manque aux Espagnols & aux Sauuages de ce qui eft necesfaire tant pour la vie que pour la Volupté. Or cette ville est esloignee de la mer du Nord de cinquante lieuës : de la ville de S. Iago de Leon feptante : de Noua Segouia onze : de Portillo, qu’on nomme de Carora, quatorze: de Truxillo vingt cinq: & de la Métropolitaine Coro quatre vingt cinq ; comme Herrera a remarque. Les cannes de fucre croissent extremement bien en ce territoire, de forte qu’il y a 20 desia quelques moulins pour les brifer. Il s’y cueille en outre force corton ,dont les Sauuages commencent à tistre des toilles, & à s’envestir, la terre poi te fort bien à maturité le froment & autres grains estrangers, &les plantes & herbes d’Espagne. Parmi les champs & les forefts erre vn grand nombre de belles de chasse, fur tour de cerfs, de maniere que les Bourgeois, fort addonnés à la chasse, en ont pris souuent en deux mois de temps cinq cents & plus, comme on raconte : on dit qu’il fe trouue en quelques-vns des pierres de Bezoar. Il n’y a pas aussi faute de belles furieufes & dommageables aux hommes,comme tigres,lions & autres. Combien qu’on croye asseurement qu’il y a des mines d’or, toutesfois pour la dissecte d’ouuriers on ne les a point encore descouuertes : mais les Bourgeois s’exercent à 30 nourrir des vaches,des brebis, & notamment des cheuaux. Les Sauuages de cette Prouince sont de la nation des Cuibas, qui different pourtant entr’eux vn peu en langages : cet vn peuple belliqueux & desireux de combatre ; ils se seruent d’arcs, de slesches, de massuës & de pierres, & la plus grand part font mangeurs de chair humaine. Quelques-vns dentr’eux qui ont efté domptés par les Espagnols, viuent plus humainement & ciuilement queles autres, & payent tribut de Mays aux Espagnols,le portant iufques à la ville. On conte de cette ville iufques au Nouveau Royaumede Granade, cent & cinquante lieuës ; cent desquelles le font par une belle campagne abondante en toute sorte de 40 fruicts, trauersee de plusieurs riuieres & ru idéaux, bonnes à boire, & remplies de poisfon ; ioinct que la chasse y est fort belle: les autres cinquante lieues le chemin eft vn peu plus difficile, car il faut passer par des montagnes hautes & raboteufes, & par des bois fort difficiles à trauerser. La huictieme ville de ce Gouvernement fe nomme Truxillo ou Nuestra Sennora de la Paz, baftiedans la Prouince des Sauuages nommés Cuicas ; diftante de la Metropolitaine Coro presque de quatre vingts lieues droit vers le Midy:de la ville de Tucuyo vingt cinq vers l’Occident : & du grand Lac Maracaybo dix huid ; fur les riuages duquel est vn village subiet à cette ville, auquel les Bourgeois ont accoustumé de mener leurs denrees comme farine, bifcuit,lard & autres choses, où ils les embarquent pour en fai50 re vn riche trafic en diuerses Prouinces de cet Amerique Meridionale, deux fois l’an, sçauoir au mois de May de Nouembre. Ils ont encore vne autre bourgade en ce Gouuernement nommee Laguna, assie fur la riue Occidentale du Lac de Maracaybo, à enuiron quarante lieues de la Metropolitaine Coro, dans le fonds de la baye, ou recul de ce Lac, fort rempli de bancs & de baffes dangereuses pour les nauires, d’où vient qu’il n’y peut aller que des barques : Le territoire voifin de cette bourgade, combien qu’il soit plein de plaines, eft pourtant Kkkk z prefque 30


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DESCRIPTION DES

INDES

prefque abandonné & laiflé fans culture. Au refte il y a grand nombre de cerfs,de connils & autres sauuagines ; des oiseaux aussi, sur tout des ramiers & des perdrix : du miel en grande abondance : Mais il y a vn fi grand nombre de tigres & tellement acharnés fur les hommes, qu’ils ne craignent point d’entrer de nuict dans la bourgade, & deuorer les Espagnols aussi bien que les Indiens.

CHAP. XIV. Description du grand Lac de Maracaybo, de Maracapana, situé sur les dernieres limites de ce Gouuernement vers l’Orient.

10

E grand Lac de Maracaybodont nous auons fait mention plufieurs fois,est appellé des Espagnols Lago de Nuestra Sennora ; Or il entre dés la mer iufques à quarante lieues dans la terre ferme,ou vingt cinq,comme veut Herrera ailleurs, car les Autheurs sont en cela differents ; il a de large plus souuent dix lieuës ,; de circuit enuiron quatre vingts ; combien que quelques-vns lui en donnent beaucoup moins : son emboucheure peut auoir quelque demi-lieue, par laquelle la maree entre & fort d’vn flux & reflux ordinaire ; d’où vient que Peau en est aucunement salee, bien qu’il reçoiue plusieurs torrents & petites riuieres qui s’y deschargent de diuers quartiers : neantmoins il nourrit diuerfes fortes de poiflons,fur tout de fort grands Manatis. Au fond de ce lac entre vne riuiere, qui descend du N. Royaume de Granade, par le moy- 20 en de laquelle ceux de ce Gouuernement trafiquent commodement auec ceux de ce Nouueau Royaume. Quelques-vns des Sauuages, qui habitent les riuages de ce Lac, baftiflent encore aujourd’hui leurs cabanes au haut des arbres dans l’eau mefme,ou fur la riue ; d’où vient que quelques-vns estiment, que le nom de Venezuele a esté donné à ce Gouuernement,comme nous auons dit ci-deflus. Autour de ce Lac, proche de fes riuages, demeurent diuerfes nations de Sauuages : entre lefquels on nomme premierement les Pocabuyes, qu’on dit pofleder beaucoup d’or : apres les Alcoholades, non moins riches en or que les autres ; c’eft vne nation douce & ciuile,qui possede des champs fort fertiles,& abondent en toute forte de viures. Or entre les montagnes de ce Lac,il y a la Prouince de Xuruara, plate & champestre : 30 Les Coromovhis habitent les montagnes, nation farouche & guerriere. Au fond & recul du Lac que les Efpagnols nomment vulgairement Culata, fe tiennent d’autres Sauuages, qui se nomment Bobures, le païs defquels eft estimé mal fain,à caufe de l’humidité de la terre, de beaucoup de marais, & de la grande quantité de moufquites qui l’affligent fort. Finalement de Xuruara à la Metropolitaine Coro, prefque par l’espace de quatre vingts lieues, habitent beaucoup de Sauuages, d’vn efprit grossier, & prefque desnués de tout, que les Efpagnols n’ont encore point fubiugués.Voila ce quenous auions à dire de ce Lac. Maracapana ferme prefque les limites de ce Gouuernement vers l’Orient : C’eft vn 40 port,qui eft conté à bon droit entre les meilleurs de cette cofte. Dans les montagnes qui font esloignees de ce port de deux ; ailleurs de six, & en quelques endroits de dix lieuës, demeurent les Sauuages nommés Chuigotes , d’vn seul langage, mais qui ne s'accordent pas trop bien enfemble,nation belliqueuse, & mangeurs de chair humaine, & qui ne fauorifent pas les Efpagnols,ni ne leur obit. Les habitans de Cubagua y ont eu autresfois vne petite forteresse, où ils tenoyent grosse garnison, fous couleur de defendre cette Prouince à l’encontre de leurs ennemis , mais c’estoit plustost pour enleuer lespauures Sauuages & les vendre ailleurs pour efclaues : ce qui eft caufe que ces Prouinces font peu peuplees d’indiens, au prix de leur grandeur. 50 De Maracapana iusques à la Prouince de Bariquicimete, il y a vne grande & spacieuse plaine,fort propre pour la chasse & pour la pesche, qui a prefque cent lieues de long, mais tout ce païs anciennement degasté, tant par les Efpagnols que parles Allemands, est tellement deffourni d habitans, qu’il nourrit plus de tigres que d’hommes, & à peine y peut-on passer.

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Chap.


OCCIDENTALES. LIVRE CHAP.

XVIII.

629

XV.

Description des Isles qui bordent la coste de ce Gouuernement, l'Isle Blanca, Tortuga, Orchilla, Rocca & des Aues. N T R E les Isles qui bordent la cofte de cette Amerique Meridionale,s’offre ici celle-là que les Espagnols & autres nations nomment Isla Blanca : elle eft distan’ te de la ligne vers le Nord de douze degrés ; ou selon d’autres d’onze & quarante huict fcrupules : de fille de Granade enuiron quarante lieues Oueft quart au Sud : de la 10 MargariteNord-ouest quart au Nord,feize. Elle a de tour enuiron six lieues : fa principale rade eft au cofté de f Oueft dans vne baye de fable. Il y a peu de montagnes dans cette Isle. Au cofté de l’Onest il y croift fort peu d’arbres, excepté quelques petits bocages, qui font prefque tous d’arbres de Guaiac : mais le cofté de l’Est eft tout couuert de bois ; sous les arbres croissent beaucoup d’arbrisseaux qui font d’vne efpece de faulge sauuage, d’vne fort bonne odeur. Toute la terre eft ou pierreufe,ou feiche & aride, & si fterile,qu’on ne la peut cultiuer, car il ne s’y trouue nulles fontaines, ni d’eau douce que de pluyes, qui s’assemble en certains eftangs. Dans les bois croiffent des plantes armees d’aiguillons fort piquans, qui entrent si fort dans la chair, qu’on les en peut difficilement tirer: les plaines font couuertes d’herbe haute iufques augenoüil. Il s’y trouue 20 peu d’animaux,si ce ne font des boucs & des cheures, qui y ont fort multiplié, de forte qu’elles s’y promenent par milliers. C’est vne Isle qui n’et pas cultiuee, habitee ni de Sauuages ni d’Efpagnols ; mais les derniers y vont feulement chasser aux cheures, ce que font auffi les nostres, & ceux des autres nations, qui y prennent quelquesfois du sel, combien que les Salines foyent situees en lieu fort incommode. Suit apres Tortuga, Isle qui et de la ligne à onze degrés & douze scrupules vers le Nord: du Cap Occidental de la Margarite vers l'Ouest quart au Sud, douze ou quatorze lieues : de l’Isle Blanca quinze ou feize vers le Sud quart à l’Ouest : de forte que ceux qui sont à l’anchre sous cet Isle voyent quand le temps est serain, non feulement la Margarite, mais aussi la terre ferme. Elle a de long entre l’Est & l'Ouest trois ou qua30 tre lieuës,de large vne & demie. Son cofté Oriental, comme aussi la plus grande partie de fille,est d’vn terroir pierreux,sterile,nud d’herbe ; ces pierres font rudes, troüees i entrouuertes, de maniere qu’on n’y peut que difficilement planter le pié ferme,il y a quelques bocages le long du riuage ; & la cofte eft prefque toute couuerte de marais & eftangs,qui font remplis de cancres inutiles. Le cofté Occidental prefque iufques au milieu de l’Isle eft couuert d’vn bois efpais,oii il y a grand nombre de Guaiac, & le bord de la mer eft couuert de buissons i efpais qu’on n’y peut passer. Cette Ifle n’a rien de memorable outre vne petite Saline, qui est derriere fon Cap de Sud-est, où és mois de Septembre,Octobre & Nouembre,ii s’y trouue du fel afles pour charger trois ou quatre nauires : mais la rade eft fort mal commode pour les nauires. Cette Ifle nourrit auffi 40 force cheures, fur tout au cofté Occidental ; qui font toutesfois difficiles à prendre ; force Tguanes au cofté de l’Eft,qui font fort maigres, à caufe de la fterilité de la terre ; si ce ne font celles qu’on prend dans les bois, qui font plus grasses. Or fon costé du Sud eft tellement rempli de fables & de rochers,qu’on n’y peut anchrer fans danger. Elle a vne feule rade assés bonne derriere son Cap du Nord-est, qui s’auance par vn col estroit comme vn fentier auant dans la mer; où on peut tirer à fec les nauires pour les nettoyer ou raccommoder. d’icelle d’enuiron quinze lieues vers le Nord-oucst Orchilla suit la Tortuga, quart àl’Ouest : de l’Isle Blanca presque dix neuf,ou vn peu moins,comme d’autres veulent. Les mariniers ne font pas bien d’accord de fa hauteur: les vns asseurent quelle est 50 à onze degrés & quinze fcrupules de la ligne vers le Nord; d’autres y en mettent trente fcrupules ; & d’autres cinquante: mais ie pense que ceux qui lui en donnent trente approchent plus de la vérité. Elle eft diuifee en plusieurs parties ; dont la plus grande eft prefque comme vn croissant, & d’autres petites feparees les vnes des autres par des canaux peu profonds.La plus grande est en sa plus grande partie basse, feulement au Cap d’Orient & d’Occident il y a quelques montagnes, où principalement fe gardent les cheures Ason cofté meridional & qui regarde le Nord-ouest, la mer eft fort profonde

E

K k kk 3

& le


630

DESCRIPTION DES INDES

8c le nuage y eft droit comme vn mur,de forte que les grands nauires en peuuent approcher de fort pres :du costé du Nord-ouest il y a fort peu d’arbres, & peu d herbe aussi, si ce n’est du persil de mer ; mais du costé de l’Est & du Nord il y a plus d’arbres : au refte la terre eft salee & impropre aux plantes : il ne s’y trouue nulles fontaines ou fources d’eau douce ; mesme les arbres qui y croissent font secs Sc contrefaits : voila pourquoi il s’y trouue peu d’oiseaux, 8c nuls autres, animaux que d’vne efpece de lezards, Au Nord font les autres petites Iles , aufti basses que la mer, qui sont par fois inondees d’icelle. Suit apres Rocca esloignee d’Orchilla d’enuiron six lieuës vers l’Ouest quart au Sud ; & de la ligne douze degrés & quatre fcrupules vers le Nord, comme nos mariniers ont 10 remarqué. Cen’est pas tant vne Isle qu’vne suite de plusieurs rochers & Mettes estendus en long de l’Eft à l’Oueft cinq lieuës, & presque trois de large. On peut aifement de ces Isles voir la terre ferme de l’Amerique Meridionale. Au Nord il y a vne petite Me dans laquelle se dresse vne haute montagne,qui à cause de fa blancheur fe voit de fort loin en mer. Le costé du Sud eft fi droit, & la mer si profonde, qu'on y iette la fonde en vain.Mais le cofté de l’Ouest eft vn peu profond,& il fe trouue là quelque peu de sel au temps des seiheresses. Elle ne nourrit nuls animaux, & fort peu d’oiseaux, excepté de ceux que les Espagnols, comme nous auons dit, appellent Flamencos, qui ont de longues iambes ainsi que les cigoignes, les plumes rougeastres & belles,vn beclong & recourbé. La terre est par tout pierreufe Sc prefque aufti rafe que la mer. 20 L'isle des Aues, comme on l’appelle, est aufti compofee de plusieurs petites Isles ; defquelles la plus Orientale est la plus grande, de forme triangulaire, presque aussi bafte que la mer, 8c couuerte d’arbres, combien que la terre foit pierreufe ; elle est diftante de Rocca vers l Ouest quart au Nord d’enuiron x lieuës : de la ligne vers le Nord de XII degrés, comme ie trouue que quelques-vns ont remarqué. Il y a huict ou neuf petites Isles en l’espace d’vne lieuë, qui en sont proches, separees dvnemer peu profonde, qui n’ont rien de remarquable non plus que la grande. CHAP.

XVI. 30

Description des Isles de Bonairé, Curacao & Aruba.

Is LE de Bonaire est diftante de celle des Aues de fix ou huict lieues vers l’Ouest quart au Nord & Ouest-nord-ouest : de la ligne vers le Nord de douze degrés 8c quelques scrupules ; elle est assés spacieuse, & croit-on quelle a enuiron feize ou dix sept lieuës de tour ; les bords font prefque par tout droits, combien que fon terroir ne foit que moyennement haut aupres du riuage,de forte qu’au cofté deuers le Nord-ouest, où eft la meilleure rade, il faut necessairement attacher les nauires auxarbres, ou porter l'anchre sur le riuage : de ce costé il y a vne petite Isle : il s’y trouue force bœufs & vaches, & des brebis & des cheures aussi, des cheuaux & des pourceaux, que les Efpagnols y ont mis,qui y ont merueilleusement multiplié. La plus grand part .40 des habitans font Sauuages, qui y ont efté amenés parles Espagnols de l’Isle d' Hispagniole, & dés long temps baptizés ; il y a fort peu d’Espagnols auecleur Gouuerneur > qui demeurent dans vne certaine vallée entre les montagnes de cette Me. Au refte le terroir de cette Iste ne porte pas fort bien les grains ; mais il y croist force arbres,le bois defquels eft rouge, & on s’en fert à teindre; le tronc d’iceux est scabreux & tortu, prefque comme les ceps de vignes,mais fort solide & pesant ; l’escorce en est cendree, qu’on n’eftime pas feruir à rien. Ceux de noftre nation le nomment Stock-visch-hout : depuis quelques annees plusieurs nations, notamment la noftre, ont commencé d’en emporter en l’Europe,de forte que pour l’abondance il commence à venir de vil prix, & il ne s’en trouue plus tant en cette Isle, ou on ne le peut pas charger si aifement. 50 La petite Me eft diftante de la grande d’vn fort petit espace, elle a aussi ses nuages fort droits,& la mer est à l’entour fort profonde, de forte que tout proche de l’Isle on trouue soixante brades,elle a enuiron trois lieues de circuit, en ayant prefque deux de long. Son terroir est la pluspart pierreux, le refte nitreux ou salé, d'où vient qu’on y trpuue difficilement de l'eau pour boire. Il n’y a rien de remarquable, si ce ne sont les mesmes arbres de la grande, du Cuaiac 8c quelques cottonniers. curracao


OCCIDENTALES LIVRE. XVIII. 631 Curacao eft vne Isle (liftante de Bonaire vers l’Ouest-nord-est d’enuiron neuf lieues, de maniere qu’en vn temps clair on la peut voir de Bonaire de la ligne vers le Nord douze degrés & quarante scrupules, comme ie trouue qu’il a efté remarqué de quelques-vns. Elle a de tour neuf ou dix lieuës, elle s’estend entre le Nord-oueft & le Sudest. On tient que fon terroir eft meilleur que celui de Bonaire,d’où vient qu’elle a plus d’habitans, qui s’employent à nourrir du bestail, & font tous les ans force formages qu’ils portent vendre à la terre ferme. Il y croist aussi des mesmes arbres quà Bonaire, mais non pas en fi grande abondance. Elle a vne large baye du costé du Nord-est, mais l'anchrage eft fort incommode pour les grands nauires, à caufe que la falaife eft fort 10 droite. Les noftres l’ont prise depuis peu d’annees, en la façon dont nous parlerons ailleurs. L’Iste d'Aruba est distante de Curavao Ouest quart au Nord d’enuiron neuf lieuës, comme i’ai trouué qu’il a efté remarqué par les noftres allés exactement, elle s’eftend du Nord-oueft au Sud-eft trois lieues : elle a vne rade du cofté du Nord-oueft derriere vn Cap ; aupres d’vne petite Me qui lui eft au deuant, fur vn fond de fable propre pour anchrer, à cinq brades de profond, les autres riuages de l'Isle, sont des falaises droites* mais que la mer couure au gros de maree. La plus grand part de l'Isle eft basse, & en quelques endroits a quelques montagnes, l’vne desquelles ressemble à vn pain de fucre: fon circuit eft d’enuiron cinq ieuës; elle eft habitee de quelque peu d’indiens & 20 Espagnols ; enfin elle eft distante du Cap de S. Roman d’enuiron huict lieuës vers le Nord-nord-eft. CHAP. XVII. Description de toute la coste des deux Gouuernements de Cumana & de Venezuele

C

Vmana ou Comena eft diftante du Cap d’Araya ou de ces renommees Salines vers

pules.

A enuiron

le Sud,de quatre lieues ; nous auons parlé du refte ci-dessus. De Cumana la cofte court premierement vers l’Ouest quart au Sud, & là farla riuiere que les Efpagnols nomment Rio de Canons,peu apres celle de Bor30 tent en mer dones : & puis vn port fort asseuré de toutes parts, garenti des tempeftes, nommé vulgairement Moxina : plus outre la baye que nous auons ci-deflus dit retenir le nom de S. Fé : en cet endroit on rencontre vn rocher estroit, mais qui eft feparé de la terre ferme par vn destroit profondnauigable, appellé des nostres Borats, lequel passé, l’entree vers vne autre baye s’ouure, qui se nomme vulgairement Commenagot ; c’et vne belle baye & fort commode pour les mariniers, vers l’Occident de Maracapana, où le riuage eft sablonneux, & le fond propre à tenir les anchres, au costé d’Oueft de cette baye fort vne petite riuiere, de laquelle on peut aisement prendre de l’eau : au tour de cette baye & au dedans de la terre ferme croissent plusieurs arbres dont le bois eft fort 40 bon,comme on dit,à teindre en rouge & orangé. De la rade de Commenagot iusques aux petites Isles de Pirito, on conte quatre lieuës, de forte que le coin Occidental de cette baye, refpond au Cap Oriental de ces Ifles. Les Isles de Pirito sont deux en nombre,separees l’vne de l’autre d’vne lieuë d’interualle,diftantes d’vne lieue de la terre ferme ; elles font basses & prefque aufli rafes que la mer, & point habitees , vis‘à vis d’icelles fort de la terre ferme vne petite riuiere, de laquelle l’eau eft salee, mesme trois lieuës au dedans de fon emboucheure : on la nomme Rio de Ermacito, elle eft habitee de Caribes. En outre vis à vis du Cap Occidental de l’Isle de Pirito, il y a vne baye à la terrre ferme,nommee d'Oychier, fort propre pour y anchrer. Suit apres à la terre ferme vne montagne remarquable,que les Efpagnols nomment 50 Elmorro de Correbicho,vis à vis de l’Isle de Tortuge, que nous auons descrit ci-deflus. Et peu apres le Cap de la Cordeleira ou Caldera, diftant de Tortuge vers le Sud-ouest d’enuiron quinze lieues : ce Cap eft bas, d’icelui toutesfois la cofte commence infenfiblement à fe haufler,çar fi tost qu'on la passee, on voit de loin les hautes montagnes de Carakas se trouuea. la terre ferme force arbres de Guaiac: or ce Cap eft distant, delon Figuredo,de la ligne vers le Nord,de x degrés,quelques-vns y adiouftent quelques scru-


DESCRIPTION DES INDES A enuiron quinze lieu es de ce Cap vers l’Occident,eft fituee le Port de Carakas,duquel nous auons parlé ci-dessus ; & à enuiron deux lieues plus outre, le Cap que les Espagnols nomment Cabo Blanco,derriere lequel il y a vne bonne rade,où les nauires peuuent seurement anchrer fur dix neuf brasses. A treize lieues de ce Cap eft Turiame, ou sort de la terre ferme vne riuiere, dont l'eau eft fort bonne à boire,& toute la code eft couuerte d’arbres. A deux lieues de Turiame,sont les Ides de Burbur ata : où il y a vue fort bonne rade, & des Salines, où les habitans de la terre ferme vont querir du sel. Suit apres la baye que les Espagnols nomment, ie ne sçai pourquoi, GolfoTriste ; vis à vis duquel est l’Isle de Bonaire, dont nous auons parlé ; & peu apres le Cap dit Punta 50 Seca, & d’autres lieux peu remarquables, & qui ne sont pas mesmes bien specifiees dans les iournaux, iusques au Cap de S. Romans ; distant, selon l'obseruation des nostres, de douze degrés & six scrupules de laligne vers le Nord: c'est le dernier Cap de la peninsule ; que nous auons ci-dessus dit eftre appellee des Saunages Paragoana, laquelle eft: toute basse, & où il n’ a qu’vne feule montagne, qu’on voye de loin, nommee S. Anna. De ce Cap la coste se tourne vers le Sud-sud-est enuiron sept ou huict lieuës , & puis tire droit vers le Sud, vers Coro principale ville de Venezuela ; où le Lac de Maracaybo descharge fes eaux au plus profond de ce cercle : de l’emboucheure de ce Lac, la cofte retourne vers le Nord. Le temps le plus propre pour nauiger eh ce quartier eft du mois de May iusques 20 en Octobre ; car de Nouembre iufques en Aurilles vents de Nord-est y soufflent tort, & y efmeuuent des tempeftes dangereufes. Le Cap de Coquibocoak rmece golfe vers l’Ouest, distant de la ligne vers le Nord, selon la remarque des Espagnols, de douze degrés ,• il eft fort bas 6c auance en mer vn banc; au dedans de la terre ferme , se voyent les hautes 6c entrecoupes montagnes, nommees des Efpagnols Sierras de Azieyte. Au douant de ce Cap vers l’Est font les Istes des Monges, vers lefquelles dressent leurs cours ceux qui vont à Cartagene de l’Amerique Meridionale : elles font au nombre de trois 6c quatre fort petites, dont celle qui eft la plus au Sud eft la plus haute,6c blanchit fort de fiente d’oiseaux ; au Nord de laquelle est situee vne autre, remarquable à caufe 30 d'vne montagne dont le sommet eft fait en forme de selle de cheual ; les autres font plustost rochers qu’Isles. En outre de Coquibocoa iufques au renommé Cap de la Vela, Figuredo conte vingt cinq lieues ; dans lequel efpace il y a dans la terre ferme quelques bayes aucunement remarquables, & en premier lieu celle qu’on nomme Bahia Honda,laquelle eft fort grande,mais peu profonde,& la terre qui l’enuironne eft entrecoupée de plufieurs reculs,elle eft habitee de Sauuages extremement maigres, qui vont prefque tous nuds,ils couurent pourtant leurs parties honteuses de certaines courges, au reste fort peu differents des beftes : par apres il y a vne autre baye dans la terre ferme , qu’on nomme El Portetete, à quatre lieuës du Cap de la Vela vers l’Eft; cette-ci eft aussi eftimee peu pro-30 fonde,combien que quelques-vns croyent qu’elle foit plus profonde au dedans, 6c qu’il n’y a que son emboucheure d’eftroite. Enfin le Cap de la Vela est fort haut au bord de la mer,& s'abaisse vers le dedans de la terre,de forte qu’en le voyant de loin en mer,il semble que ce foit vne Iste, la terre qui l'aduoisine eft infertile,& à peine y a-il de l’herbe. Ainsi par la grace de Dieu nous auons fait le tour de cette Amrique Meridionale, & sommes retournés au Gouuernement de la Hacha,lequel nous auions ci-deffus quitté pour entrer dans la terre ferme, vers les Prouinces qui font fur la mer du Sud, voila pourquoi nous mettrons fin à cette defcription,iufques à ce que nous ayons rccouuert, 550 foit des noftres ou d’autres nations,dequoi escrire dauantage auec verité. 632

T A B L E


TABLE

DES MATIERES PLVS REMARQVABLES contenuës en ces Liures. Ami & Courtois Lecteur, te t'ai ici dressé vne Table fort ample, pour laquelle bien entendre tu feras aduerti, que les noms aufquels est iomct le surnom de Saint, Saincte , ou de Neuue , Je doiuent chercher en la lettre du mefme nom , ce que t aï suiui en cette Table afin que tu ne te mesprenne en tes curieufes recherches. A. Bacoa Isle. S. Abad port. Abancay riuiere. Abaque Me. Albrolhos bancs. Aburena prouince. Aburra vallee. Abyfca prouince. Acaious arbre. Acapatli. Achiotl arbre. Acla. Acoma. Acuitzehuarira herbe. Acuitzpalin Crocodille. Acuti animal. Adibes animaux. Agazes peuples. Aguacate. Aguapa arbre. Agreda ville. Ahacaquahuitl. Aipo herbe. Alacranes Mes. Alcoholades peuples. Alfarfares. Alfonfo de Benauides. Alkermes. Almaguer ville. Almouchiquois peuples. Altouelo Me. Aluarado riuiere. Amacoztic arbre. Amagore riuiere. Amana Me. Amana riuiere. Amapaia prouince. Amautas du Peru. Amazones riuiere. Ambartinga arbre. Ambayba arbre. Ameguaës peuples. Amendes de Chachapoyas. Ananas. Anchufi port. Anda arbre. Andes du Peru.

23 212 372 13 321 265 310 378 492. 541 142 135 271 230. 231 179 143 484 182 458 137 303 317 137 502 190 628 355. 233 70 317 60 13 176 135 602 2.3 595 593.597 321 565•569 494 ibid. 458 366 499.500 109 495 319

Anegada Me. 25 Angasmayo riuiere. 315 Angra dos Reyes. 519 Anguilla Me. Anilco prouince. 114 Anime resine. 133 Anna animal. 330 546 S. Anna Isle. S. Anne ville de laPlata. 462 249 Annil herbe. Annona arbre. 137 Annoto teinture. 585 Annus racine. 322 175•176 Antequera ville. Antiqua Isle. 25 Antioche de Popaian. 308 591 Antoine Sedenno. Antonio de Berreo. 593 Antonio de Espeio. 2 7 Anzerma ville. Aouai arbre. 496 Apaches peuples. 233, 234 Apachitas. Apalache. 105 Apalacti monts. 121•125 Apoyomatli arbre. 127 Apurima riuiere. Apurwaka riuiere. 578 Aquiqui animal. 486 Araca fruict. 493 Aracapep poisson. 509 Aramaia prouince. 596 Aranata animal. 615 Araniuez ville. 264 Arara oiseau. 489 Ararapira. 472 Araticupana arbre. Arauco prouince. 418 naturels. 419 ArayaSalines. 612• 3 Albol de las Soldaduras,262 Archidona ville. 262 Axi herbe. 246 Arequipa ville. 364 Arica. 364 Arma prouince. 310 & ville. ibid & 31 143 Armadillo. Arnedo bourgade. 143 Llll 353 Aroughcun


TABLE

Aroughcun beste. 88 Arreiuary Ifle. 570 III Arrobe poids. Aruba Isle. 631 582 Arwaccas peuples. 589 Arwaques peuples. 88 Aflàpanick animal. ibid. Assentamens poids. 460 Assumpcion ville. 412 Atacama desert. Ataco. 251 398 Atahualpa Roi Peruuiain. no A talpaha prouince. 256 Atitlan Lac. Arlisca vallee. 238 Atolynam arbre. ibid. 239 Atole. 52 Attigouantins peuples. 630 Aues Isle. 618 Augustin Delgade. Auguftin Ruiz. 226 129 S. Auguftin ville. Auinno mines. 203 385 Aulagas Lac. Aura oiseau. 143 Aute prouince. 106.107 Autepeque. 145 Autmoins Magiciens. 56 Awarapaques peuples. 597 7 Auzuba arbre. 624 4 Axaguas Sauuages. Axin. 134 Axolotl poisson. 147 Ayauire. 382 Aymaraos peuples. 373 Ayotuxtetlan. 164 Ayri arbre. 496 Azumbre mesure. 196 B. 296 BAdillo riuiere. 246 Baeza fleuue. Bahama Isle. 23 523 Bahia Capitanie. 632 Bahia honda. Baiamo prouince. 16 425 Balthasar de Cordes, 15 Bambiaia oiseau. 548 Bannanas arbre. . Baracoa ville. 17 289 Baranca de Malambo. Baratta. 585 26 Barbade Isle. 205 S. Barbe mines. 195 Barrania riuiere. 618 Barthelemi de las Cafas.26 S. Barthelemi Isle. Baufme. 134 288 Bausme de Tolu. 2 Bayamon fleuue. III Baye del Spiritu Sancto. 190 de Hondures. 256 de Fonseca. de Cartagene. 260

des Salines. 263 de Bonauenture, 317 350 de Silla. 426 de Copiapo. ibid. de Choapa. 427 de Penco. d’Vrataba. 534 534 de S. Saluador. 540 Formosa. de Maretube. 542 ibid. de Mocuribe. de Ieruquacuara. 544 Beata Isle. 13 26 Bekia Isle. 247 Beori animal. 392 Berengela mines. S. Bernard ville. 466 588 Berbice riuiere. Berusucaba monts, 516 506 Beyupura poisson, 181 Bezoar. 252 Bezoar. Bilcas Palais. 371 riuiere. 372 Bimini Isle. 23 Biobio riuiere. 416.422. Biscachos animal. 384 629 Blanca Isle. Bobures peuples. 628 Boca del Drago. 603 Bogota prouince. 300 Bohios cabanes. 103 137 Bois nephritique. Bombou prouince. 368 630 Bonaire Isle. Bonauentura port. 313 Bonites poissons. 339 Boopes poisson. 506 Boraute riuiere. 626 Baudoüin Henri prend Porto Rico. 3 Boycininga Serpent. 488 Boytiopua Serpent. ibid. Boyuna Serpent. ibid. 459 Buenos Ayres ville. Buiobuio. 142 Buritaca prouince. 292 Bracomores prouince. 347 Brasil prouince. 473. climat. 475. religion & mœurs de Sauuages. ibid. leurs Magiciens. 476. animaux. 484. Serpents 488. oiseaux. 489. arbres. 492. herbes. 499. poissons. 506. Capitanies. 514. langue. 536. Brebis de Chile. 411 328 Brebis du Peru. Bermudes Isle, 29.30. 42 Brion Isle. C. Caaobetinga herbe. Caaroba arbre. Cabuia herbe. Cacao fruict.

502 495 236 Cadie


DES Cadie prouince. Caiane riuierc. Caicos Isle. Caiou fruict. Cairi peuples. Caiwani peuples. 59 Calcamar oiseau. Californie prouince. Cali ville. Callao port de Lima. Calos. Caltete. Camaratuba riuiere. Camarupi poiflon. Campeche ville. Camusi ou Camocipe. Canada riuiere. Cananea. Canas peuples. Canches peuples. Cancres du Brasil. Canella prouince. Canibales Isles. Caninga arbre. Cannares peuples. Cannette bourgade. Cap de S. Helene. François. de la Floride. de Cannaueral. de Nizao. de Tuberon. de S. Nicolas. de Corrientes. de S. Anthoine. Morante. de Negrillo. Raz. Briton. S. Laurent. de Salines. de Araya. de S. Roman. Blanco. Coquibocoa. de la Vela. de Nieues. de Fortune de S. Lucas. Camaron. Capallu melons. Capira montagnes. Capolin arbre. Captiuos Isles. Capuri riuiere. Carachen rongne. Caracomy Mays. Caraguata herbe. Carague animal. Carangues Palais. Carakas fort. Caramanta ville.

MATIERES. 54 580 23 492 604

Cara Mays du Peru. 322 Caraques Sauuages. 339 Carauaya. 377 Carex Isle. 287 Cariari village. 287 Cari riuiere. 597 511 Carlos ville. 597 5.07 Caroli riuiere. 596 312 Carora plaines. 624 358 Carrana. 134 120 Carrapa prouince. 311 143 Cartago de Costa Rica. 264 540 Cartage de Popaian 311 506 Cartagene Gouuernement. 284. ville. 285. 189 Cartama prouince, 309 544 Carualleda ville. 625 45•47 Cafnero riuiere. 597 47 2•515 Caflanar riuiere. 593 382 Cassue. 593 ibid. Cassine breuuage. 126 510 Cassipa Lac. 596 246 Cassipoure riuiere. 575 25 Cassoowan poisson. 584 14 Castanuela trusle. 195 338 Castors. 89 360 Castro d’Austria. 254 105•130 Caftro Virreyna. 363 117 Castro ville de Chile. 42 130 Castro Virreyna. 374 ibid. Cauca riuiere. 307 12 Cauerne estrange. 247 ibid. Caute riuiere. 16 ibid. Cauten riuiere. 422.428 Cawo riuiere. 579 Caxamalca. 365.360 20 Cayapia herbe. 501 ibid. Cayete prouince. 5 8 22 Caymaneslfles. 21 ibid. Caymito Isle. 13 37 Cazcanes peuples. 196 39 Cazmaport. 380 40 Cempoalxochitl. 141 611 Cerfs cuacu. 48 613 Cesar riuiere. 296 624•623 Ceuadilla. 141 632 Chabin riuierc. 428 ibid. Chacos arbre. 326 ibid. Chachapoyas. 36 224 Chagre riuiere. 271.276 ibid. Challua poisson. 3 1 226 Chame prouince. 269 260 Chancas peuples. 372 323 Chamico semence. 322 273 Chaouserou poisson. 48 169 Chaquira. 3 9 281 Charcas Parlement. 381 595 Chechinquamins fruict. 86 329 Chemin des Yncas. 3 . 47 Cheriguanes peuples. 395.596 502 Chenguanes peuples. 461 485 Chesedec riuiere. 43 334 Chelapeac. 84 25•632 Chetemal. 188 309 Chiameda Prouince. 199 LIII2

Chiantole.


TABLE

240 Chiantole. 241 Chiapa prouince. Chicabreuuage. 322 463.469 Chicas peuples. 216 Chichikicala. 142. Chichimecapatli 184 Chichimeques Barbares. 118 Chicola. 164 Chila. Chilca vallee. 359 410 Chile Royaume. 424 Chilue golfe. 240 Chillatole. 361 Chinca vallee. 185 Chine racine. animal. 411 Chincilla 386 Chiquito ville. Chiquitos peuples. 395 616 Chiribiquois peuples. 628 Chiugotes peuples. Chocolate. 236 Chocolococha. 353 497 Choine arbre. Chontal langage. 192 Chontales peuples. 353 60 Chouaco wet riuiere. 26 S. Christosle Ifle. S. Christosle ville. 304 425 Chucuito prouince. 380 Chulilsle. , 255 Chuluteca ville. Chulula. 149 Chunno. ' 322 Chunno. 384 371 Chupa plaine. 178 Chupire arbre. Chupiri plante. 179 386 Chuquiabo. Chuquimaia riuiere. 343 388. Chuquifaca. 9 Cibao prouince. 214.218.220 Cibola prouince. Cicuic. 219.221 Ciguateo Isle. 23 200 Cinaloa prouince. 68 Claudia Ifle. 141 Clauellinas delas Indias. Coanduguacu animal. 486 Coati arbre. 137 502 Cobanra herbe. Coca plante. 323 Cochabamba. 378•389 612 Coche Ifle. 140.166 Chochinille. 251 Cochiz Tlapotl arbre. 306 Coconucos peuples. 114 Cofaqui prouince. 184 Colyma ville. 185 prouince. 188 Cozumel Isle. 383 Collao prouince. ibid. Collas peuple. 585 Colliman. Comagre. 269.281

578 Comaribo. 560 Comma prouince. 198 Compoflelle ville. 266 Concepcion de Veragua. 416.430 Concepcion ville de Chile. Conchos peuples. 226.227.229 Conchucos peuples. 367 232 Conibas Lac. Contrahyerua herbe, 382 Copal resine. Copalxocotî. 136 170.178 Copalxocolt arbre. 242 Copanauatzla. Copaoba monts. 541 309 Copia prouince, Copiabo vallee. 414 Coquimbo vallee, 415 port. 426 510 Coquilles de mer. Corduba ville. 465 588 Coretine iuiere. 628 Coromochis peuples. 624 Coro ville. Coscusha w racine. 97 264 Costa Rica prouince. 188 Cotoche. Courges grandes. 395 Coy animal. 33° 249 Coyayahual ver. Cresson du Peru. 324 28 S. Croix Isle. 289 de Mopox. Cruz S. 271 S. Crux la Real bourg. 394 S. Cruz de la Sierra prouince. 486.556 Cuatis animal. Cuba Ifle. 14.15.&• 6II Cubagua Isle. 50 Cudruagny. Cuença ville. 342 Cuhuraqua. 179 627 Cuibas nation. 623 Cuibas Sauuages. Cuicas Sauuages. 627 Cuidad de los Reyes. 294 Cuidad de los Chiapa 243 Cuidad Real. 243.461 Culuacan prouince. 199 Cumana prouince. 614 618 Cumana ou Comena ville» Cumbi 318 Cumbinama ville. 347 230 Cunames peuples. Cuntur oifeau. 330 Cupayba arbre. 494 631 Curacao Ifle. 23 Curateo Ifle. Curucucu Serpent. 488 Curupicaiba arbre. 495 512 Cururyuba Serpent. Curutzeti herbe. 179 Cufco cité. 379 D. 278 TA Abayba riuiere. Darien riuiere, 395 Demarari


DES

MATIERES.

Gorgone Ifle. 318 Gorretas peuples. 233 Gracias à Dios ville. 258 Granada de Nicaragua. 263 Granada Ifle. 27 Granadilla. 323 Grand banc. 38 Gryalua riuierc. 193 Guaba fruict. 332 Guacamaye oiseau. 243 Guacapa riuierc. Guachacoya. 115 Guachacoya prouince. Ibid. Guadacheri. 359 Guadalaiara prouince. 197 E. Guadalaiara de Buga. 316 437 Guadalupe Isle. E Lisabethides Isles. 27 594.598 Guaiabes arbres. 1.8 Emeria prouince. 502 Guainumu cancres. Embeguaca herbe. 510 205 Guallabamba riuiere, 334 Endé mines. 186 Guamachuco. Enguaniba arbre. 367 65 Guamanga ville. 371 Escosse nouuelle. Escudo Isle. 266 Guamare 542 Estechemins peuples. 58 Guambia prouince. 306 Essequebe riuiere. 314 589 Guambia prouince. Eftero ou S. Iago del Eftero 464 Guanabo arbre. 277 Guanaces. 310.328.329 22 Guanahani Ifle. S. Eusta che Ifle. 24 144 Guanape port. 379 Ezteti pierre. Guanayos Isles. 260 F. Guancabelica. 373 Ebues du Brasil. 501•503 Guadaquinau animal. 318 Febues purgatrices. 136 Guanima Ifle. 24 301 Guanuco ville. S. Fé de Bogota ville. 368 233 Guao arbre. S. Fé en nouuelle Mexique. 2 266 Guara oiseau. S. Fé de Veragua. 511 538 Guaranies Sauuages. Ferdinand Noronha Isle. 455 & 458 Floride prouince. 103.124 Guarco vallee. 360 Floripondio. 140 Guarmey. 353 15 Guarmey port. Flamenco oiseau. 380 Flamencos oiseaux. 630 Guafacapaa. 246 Flor de Oreia. 140 Guafco porc. 414.426 462 Guasteca prouince, S. Foi ville en la Plata. 163 Fontaines admirables. 244 Guatapori riuiere. 295.196 Francisco de Vlloa. 209 Guatapori riuiere. 296 Francisco de Velafco. 623 Guatimala prouince. 235 Francifco Vasquez de Cornado. 215 Guatimala prouince. 249 François Drac. 225 Guatitlan. 150 436 Guatulco port. François Drac. 177 205 Guaxaca prouince. François de Ybarra. 173 527 Guaxacoalco prouince. S. François fleuue G. riuierc. 177 494 Guaxanuari mines. Abueriba arbre. 184 Gaguey arbre. 135 Guaxarapos peuples. 458.462 Gallinaza oiseau. 330 Guaxinango. Garafu. 531 Guayaquil riuiere. 435 Guayaua Ifle. Garsias de Loyola. 261 Georges Spilbergue. 442 Guaymures peuples. 480.482 4 Guaymures Sauuages. S. Germain ville. 523 Gibora Serpent. 488 Guaynomby petits oiseaux. 490 248 Gueuetlan ville. Golfe Dolce. 245 Gonfaluo Ximenes de Quesada, 298 Guayra. Golsaluo Ximenes. 593 Guyabo arbre. Ocampo. 617 de Gonzalo Guyaua arbre. 138 LIII 3 Habascon Demarari riuiere. Desseada Isle. Destroit de Magallan. Deftroit Lemaire. Diaguitas. Diaguites peuples. Diego Almagro. Diego de Ordas. Diego de Valdes. S. Domingo ville. Dominique de Gourges. Dominique Ifle. Dorade poiflon. Durango ville.

588 26 435 444 395 463.465 413 591 445 10 122, 27 506 204


TABLE

H. HAbascon racine. Hacatigua riuiere. Haguaro riuiere, Hatuncolla. Hauana. Hay animal. Henechen herbe. Henri Hudfon. Hernando à Soto. Hernandode Alarcon. Herbe de Iean l’enfant. Hetig racine. Hieronymo de Ortal. Higuero. Hitara animal. Hispaniola Isle. Hiuourae arbre. Hobo arbre. Hochelaga ville. Hondure prouince. Holli resine. Horikans peuples. Hormiges rochers. Houo ou Horio arbre. Huaca. Hubates Saunages. Huile de Figuyer d’enfer. Huitzpacotlarbrisseau. Huitzitzil oifeau. Hutla beste. Hutzochitl. Hygen prouince. I. Abuticaba arbre. lacapucaya arbre. Iacaranda arbre. Iacuaguia prouince. Iaën de Nicaragua. Iaën ville. S. Iago cité de Chile. S. Iago de Guatimala. S. Iago de Guayaquil. S. Iago de Leon ville. S.Iago de Nixapa. S. Iago prouince & riuiere S. Iago riuiere. S.Iago delos vallesville. Iagoarucu animal. Iaguacini animal. Iaguana ville. Iamaique Ifle. Iandiroba herbe. Ianducocu austriche. Ianipaba arbre laques l’Hermite. S. laques ville de Cuba. Iararacas Serpents. Iararanda arbre. Iaspe. Ibiboboca Serpent. Ibiracua Serpent. Ibirapitanga arbre. »

Iean Chilton. 163 97 Iean Fernandez Isles. 421 172 62.6 Iean Hawkins. 12.3.4. 257 S. Iean de Porto Rico. 384 Iean Ribauld, 117.122 6S 18 Iean Verazzano. 495 487 Iequitinguacu arbre 508 268 Ierepemonge poisson. 75 Igbucamici arbre. 494 ibid. 107 Igciega arbre. 15 222 Iguana animal. 501 179 Igpecaya herbe. 522 505 llheos Capitanie. 176 618 S. Illifonfo ville. 138 Iniambi riuiere. 516 422.430 486 Imperial ville. 5.6.7 Ioalar mois. 257 604 497 S. Ioseph ville. 259 303 S. Iorge de Olancha. 281 47 Isles de perlas. 21 256 Isle de Pinos. 280 133 Isle de Pinos. 39 77 Isle de Sable. 458 22 Itabuca riuiere. 277 Itacuatiara. 472 472.515 321 Itanhaen. 501 231 Iticucu racine. 623 198 Iuan de Caruaial. 425 174 S. Iuan de la Frontera. 467 170 S. Iuan de la Frontera. 305 5 S. Iuan de los Llanos. 232 134 Iuan de Onnate 282 8 Iuan Oxenham Anglois. 317 S. Iuan riuiere. Iuan Rodriguez Cabrillo. 225 171 493 S. Iuan de Vllua. 451 ibid. S. Iulien port. 228 496 lumanes peuple. 8 Iuntas villette. 468 463.463 263 Iuries peuples. 345 K. 415 KArouata herbe. 552 254 340 625 T A Pazville. 386 Labapi riuierc. 416.427 176 169 339 Lac admirable. Laguna bourgade. 617 348 262 163 Laguna de Nicaragua. S. Laurens ou Isle de Bretons. 39 * 485 372 Laxa sentier. 487 244 II Lecandones peuples. 187 21.22 Lecandon.. Leganick pain. 76 502 262 492 Leon de Nicaragua 43 495•549 Lesquemin port. 586 447 Letterhout. 327 17 Leucoma arbre. 488 Lima Parlement. 350. vallee. 354. cité. 355 373 495 Lima Tambo. ibid. 144 Limpi minium. 132 489 Liquidambar. 163 488 S. Louys de Tampice, 483 496 Lopos peuples. Loxa


DES Loxa ville. Lucanes. Lucayes Isles. Lucuca fruict. Lunaguana vallee. S.Luzie Isle.

MATIERES. 342 362.364 23.24 325 360 27

M. Acanillo arbre. Macas oiseaux. Macock fruict. Macoquer fruict. Macucagua oifeau. Macureguara ville. Madiopera fruict. Madrigal ville. Maga arbre. Magallanique prouince. Maguana prouince. Maguey. Makanao villette. Mackwaes peuples. Mala vallee. Malebarrc Mamaza cerf. Mameya arbre. Mameyes fruict. Mamoera arbre. Mana riuiere. Manati poisson. Mandioca herbe. Mangas arbres Manioth racine. Manitons. Manobi fruidfc. Manhos peuples. Manta. Manhiaans peuples. Manhattes peuples. Manima Serpent. Maracapana. Maracaybo Lac. Maracock fruidfc. Marannon Capitanie. Ifle. Marannon sa source Marc de Niza. Marequina vallee. Marequita ville. Maretuba. Margaiates Sauuages. Margarite Ifle. S. Maria de los Lagos. S. Marie Isle de Chile. Marigalante Isle. Marigues mouscherons. Maripenda arbre. Mariquites peuples. Maritacaca animal. S. Marcha prouince. ville. Martin Garzias Isle. S. Martin Ifle. S. Martin mines.

2 339 88 95 491 597 783 317 2 431 9 139 611 78 360 61 143 277 191 498 597 6 499 510 553 53 503 233 339 78 77 512 617.628 628 87.88 545 546 369 213 424 304 542 520 610 197 417 27 510 178 481 487 291 293 457 28 203

Martyres Ifles. 24 Marwin riuiere. 586 Masquapenne racine. 87 Massachusets peuples. 69 Massasoites peuples. 74 Masso womeces peuples. 86 Maste. 126 324 Mateclu herbe. Matinino Isle. 28 Matlaliztic racine. 181 Matouwax peuples. 77 Mattahunts peuples. 69 Mattawme fruidfc. 87 Mauilaville. 112 416.427 Maule riuiere. 238 Mays descrit. 16 Mayzi prouince. Mayatl Cheureau. 143 Mecaxuchitl. 142 177 Mechoacan prouince. Mechuacan racine. 180 Mendoza ville. 425 Menutto ou Menetto 80 Merida ville. 304 Merida ville. 189 Messamines fruict. S6 Meta riuiere. 597 Metl arbre. 139 Mexicaltzingo. 149 Mexiquains leurs coustumes. 151. police. 152. offices. ibid. idiome. 153. chronologie. 154. origine. 155.Princes.ibid. & ce qui s’ensuit. Mexique prouince 144.le Lac.146.Metropolitaine.147.temperature de l’aïr.148. Mezrirlan prouince. 146.163 Miary riuiere. 546 Michatoya riuiere. 250 S. Michel ville. 183 Migan. 53 S. Miguël de Ribera. 364 464 S. Miguël de Tucuman. S. Miguël ville. 255 Mines de cuyure. Mines de Mechoacan. 184 Mines de Mexique. 146 Mines d’or, 347 Mines de Veragua. 266 Mines de Zacatecas. 203 Mio herbe. 371 Miraflores villette. 352 Miras Ifles. 280 Misquitl arbre. Misteca prouince. 174 Mizquitl arbre. Mocha Isle. 420 Morequite. 594 Mocuripe. 542 517 Mogomiri. 563 Mogu riuiere. Molopaques peuples. 482 Molle arbre. 326 Mona Isle. 5 Monges Isles. 632 Mongonguape riuiere. 537 4 Monserrate


TABLE

Monserrate Ifle. Monte Christo ville. Montinence herbe. Moquis peuples. Morocotcs peuples. Morogegen. Morouma riuiere. Morromoreno. Morhicans peuples. Mortumnon fruict. Mosse beste. Motayes peuples. Moyobamba riuiere. Moucuru. Mounin riuiere. Moxos peuples. Murtilla fruict. Murucuca herbe. Murucuge arbre. Mussascus animal. Musos & Colymas. Mutu oiseau.

Oke Diable. 91 Okondgier febues. 95 530 Olinda ville. Oliuier de Noort. 442 Olmos. 344 Omaguacas. 468 Ombu arbre. 493 Ometepec riuiere. 177 378 Omopalcas riuiere. 422 Ongol plaine. Ontiueros ville. 461 88 Opassum animal. Opon monts. 298 Opotari. 377 Orchilla Ifle. 629 Orellana voyage. 565 Second voyage. 568 Orenoque riuiere. 590.601 Oristan ville. 22 Oropesa ville. 389 392 Oruro mines. Osachile prouince. 109 Osorno ville.... 424 N. Otabalo. 334 Acolot fruict. 146 262 Otomies peuples. 499 Otomies peuples. Nana herbe. 165 146 Nanasca vallee. - 364 Otumba. Nata prouince. 269 P. Nata ville. 276 PAca animal. 484 Natiscotec Isle. 42 Pachacama vallee. 359 Ifle. 13 Nauaza 321 1S5 Pacha camac. Nauidad port. Nepoios nation. 596 Pacoba arbre. 497.500 618 Pacos brebis. 328 Neueri riuiere. Neyba prouince. 299 Pacoury arbre. 608 261 Pacquires animal. Nicaragua prouince. 316 263.264 Paezes peuples. Nicoya prouince. 28 Pag animal. Nieues Ifle. 484.556 95 6 Pagatouwr Mays. Niguas insecte. 395 253 Paicanos peuples. Nixapa. 345 204 Paita port. Nombre de Dios ville. 139 273 Palme de montagne. Nombre de Dios. 549 Norembegue. 59 Palmes de Marannon. Noua Valencia ville. 625 Palta fruict. 325 ibid. Paltos peuples. 341 Noua Xeres ville. 304 Nouueau Pleymouth. 73 Pamplona ville. Panama prouince. 298 Grenade. Nouueau Royaume 268 300 Panama ville. limites. 269.270 512 Nouuelle France,habits, mœurs Si religion de Panapana cagnole. 300 Sauuages. 49 Panchcs peuples. 162 205 Panuco prouince. Nouuelle Biscaye. 225 Papaia arbre. 605 Nouuelle Albion. 335 Nouuelle Espagne. 131 Papas fruid. 563 226.233 Para Capitanie. Nouuelle Mexique. 119 194 Paracoussi. Nouuelle Galice. 395 Paraeiua riuiere. Nuslo de Chaues. 482.520 330 Paragoana peninsule Nunnumacane. 624 Paraguay riuiere. 456 U. Paraiba Capitanie. 537 322 Ca racine. Parana riuietc. 295 Ocanna ville. 455.457. 516 Ocotla. I47 Paranapiacaba monts. Parcottes Sauuages. 587 166 Ozoatl Serpent. 167 Parinacocha prouince. 364 Ocumba vallee. 471 Oiseau monstrueux. 242 Parnaqua Lac. Pariacaca, 28 12.13 185 234 459 482 576 394 76 354 73 483 366 545 546 378 412 500 493 89 302 491.553


DES

MATIERES

369 Pariacaca. Parcos Palais. 370 Paria prouince. 388 338 Passao port. Passuagates peuples. 2,26.227 333 Pafto ville. Pastos peuples. 315 616 Pafto ville. 228 Pacarabuies peuples. Paucura prouince. 311 516 S. Paulo ville. Pawhatan. 91 88 Pawserowona potage. Payco herbe. 323 432 Pedro Sarmiento. 258 S. Pedro ville d’Hondure. Pemmena w ionc. 91 Pemtegoüet. 59 427 Penco baye. 441 Penguin oifeau. 69 Permobscot fleuue. 180 Pehuame arbre. 322. Pepins du Peru. Pequea arbre. 493.551. Pequatoes peuples. 76 562 Perea riuiere. 270.271 Pericoport. Pericoport. 273 125 Perles en Floride. ' 528 Pernambuco Capitaine. Pernapiacaba 471 490 Peroquets du Brafil. 319 Peru Royaume. Peruuians Rois. 396.397.399 Peruuian Gouuernement. 400. edifices. 402. superftitions.403. Monafteres,ibid. feftes. 404. langage. 405. poësie. 40(3. sciences.407. mois. ibid.memoires,ibid.meurs & couftumes. 408. 611 Peschers des perles. 201 Petatlan riuiere. 213 Petatlan. 478.481 Petiguares peuples. Peubla de los Angeles. 167 Phalange duBrasil. 505 Phaseoles du Brasil. 503 Phatzisiranda arbre. 127 183 S. Philippe ville. 623 Philippe de Vten. 314 Piandamo riuiere. Piatzale prouince. 199 Picaraprouince. 311 569 Pierre de Orsua. 524 Pierre Pierrez Heyn. Pilcomayo riuiere. 456 389 Pilcomayo riuiere. Pillotoas Sorciers. 50 Pinahuitzxihuitl. 142 7 Pinnas fruict. Pinnones du Brafil. 137 Pintades Sauuages. 214 Piquiri riuiere. 458 506 Piræmbu poisson. Piratininga. 517 Pirito Isles. 631 233 Piros peuples

Piura vallee. la Plata ville. Platanus du Peru.325 Pocabuyespeuples. Pocabuyes peuples. Pocone racine. Poiure de Tabasco. Poisson du Brafil. Poissons de Marannon. 5 4 Ponap breuuage. Popaian prouince. ville. Popocatepec mont. Pories peuples. Porco mines. Port de Cauallos ville. Port Royal. Port Royal en Floride. Porto belo. Porto seguro Capiranie. Potosi ville & mines. Pozo prouince. Pucara. Puerto de la Plata ville. Puerto Veio ville. Puerto del principe ville.

344 388 622 628

Pulches peuples. Puna Isle.

Puraque poisson. Puren prouince Purutu febues. Putchamins fruict.

87.90 192 506 88 305 306 144.168 482 392 258 56 117 274.275 521 390 311 384 11 340 17 419.423 349 508 418 322 86

0: Uaoque arbre. 303 Quahzapotl. 137 Quapatli arbre. 143 Quaulconex arbre. 7 Quauhtlalatzin. 136 Quauhayohuatli. ibid. Queule riuiere. 422 Quereiua oifeau. 491 Querepees peuples. 77 Queretaro. 150 Querenes peuples. 244 2 Quibei herbe. Quibera. 623 Quimba plante. 3 6 Quimbaia prouince. 31 Quinibecin fleuue. 59 426 Quintero port. Quipes des Peruuiains. 407 457 Quirandies peuples. Quires prouince. 230 Quiuira prouince. 219 Quitlauaca. 149 Quito prouince. 331

Q

ville. 334 Quixos prouince. Quiximies riuieres. 348 Quuama prouince. 2 3

345

R.

Abo forcado oiseau. Ramada ville.

511 295 René


TABLE

René Laudoniere. Reyaleio de Nicaragua. Richard Hawkins. Rhiobamba Palais. Rio Grande de Magdalena. Item. Rio Grande Capitaine. Rio de la Hacha. Rio Ienncro Capicanie. ville S.Sebaftien. R. de la Plata prouince. premiere descouuerture. description de la riuiere. Rocca Isle. Rotunda Hle. S, Aba Isle. Sagadahoc fleuue. Sagamos. Sagamos. Sagouin animal. Saguenay riuiere. Salamanca ville. Salines de Araya. Salines de Coro. Saltavallee. & ville. S. Saluador en Iuiuy. S. Salnador prouince. ville. S. Saluador ville. Salualeon ville. Samana Isle. Sandos ville. Sankikans peuples. Santa bourgade. vallee. Saona Isle. Sapenon Isle. Sarname riuiere. Sasque-sanoxes peuples. Sassaffras. Sayma prouince. Scorzonera hetbe. Sebald de Wecrt. S. Sebastien Isle. S.Sebaftien Isle. Sebastian de Belalcazar. Sebastian de la Plata. Sebastian Cabot. N. Segouia ville. Segotiia de Nicaragua. Segura ville. Seregipe del Rey. Serena ville de Chile Serrana& Serranilla. Shebaios peuples. Siara Capitanie. Sichos peuples. Siguenoc poisson. Simon de Alcazoua. Simon de Cordes. Siquisica bourgade.

119 Skallapa bourgade. 263 Slyptongen. 438 Soconusco prouince. 337 Solana vallee. 291. Sombrero Isle. 307 Sonsonate. 541 Sora breuuage. 296 Sorame riuiere. 517 Soras peuples. 519 Soruro mine. 452 Soulfre vif. 453 Souriquois peuples. 455 Spiritu Sancto Capitanie. 630 S. Steuan del Puerto Ville. 28 Suchitepec prouince. Supurabu. 28 60 80 56 486 44 189 613 624 466 ibid. ibid. 252 255 526 n 24 515 81 352 353 13 570 588 85 125.126.127. 596 295 439.440.441 517 534 305 516 453 627 263 168. 327 415 260 582 545 336 61 435 438 387

165 608 245 ’ 344 29 255 322 588 372 305 335 56 520 164 245 472

T. Abagia. Tabago Isle. Tabasco prouince. Taboga Isle. Taborucu arbre. Taboucuru riuiere. Tacobaga. Tacunga. Tadousac port. Tairona prouince. Talauera ville. Talinariuiere. Tamacoas peuples. Tamalameque ville. Tamales. Tamandua animal. Tamarica Capitanie. Tambos du Peru. Tamochala riuiere. Tamos peuples. Tamota poisson. Tamuies peuples. Tangara oiseau. Tangares peuples. Tanne fleuue. Tanto Esprit malin. Taperica Isle

57 605 191 281 2. 546 130 336 44 292 465 469 459 294 241 485.556 533 333 201 231 511 479 491 617 72 324

Tapiti animal. 487.556 Tapouytapere. 559 Tapuias peuples. 480.481 Tapyrete animal. 484 Taquari riuiere. 458 Tarama prouince. 369 Tarapaya vallee. 392 Tarasque langue. 182 Tarixa. 389.396 Taruga animal. 329 Tarimbato prouince. Tatabe prouince. 284 Tatu animal. 485.556 Taximarca 283 Tayacutirica animai. 484 Tebas peuples. 233 Teca sorte de blé. 411 Tecomahaca. 134 Temachalco. 169 Teneriffe


DES

MATIERES

294 Teneriffe ville. 168 Tepeaca prouince. Tapcaculco bourg. 147 148 Tepeaquilla mont. Tepexco prouinca 144 Tecomates. 196 604 Terra de Brea. Terre Australe. 448 les gens y demeurant. 449 34 Terre Neuue Isle. habitans. 36 diuers ports. 37 Testigos Isles. 610 Teuchtlacozauhquin animal. 165 Texalamatl. 135 Tezcuco. 149 Thomas Candish. 437 602 6033 S. Thomas ville. Thomebamba. 336.337 Tiangnes. 147 Tiaguananaco. 386 227.229 Tiguas peuples. 221 Tiguez. Timana ville. 316 Timbas nation. 313 502 Timbo herbe. 458 Timbues peuples. Titanes peuples. 395 Titicaca Lac. 385 Tiuitiuas peuples. 595 Tlalamatl herbe. 179 240 Tlamiz boisson. Tlapa. 145 Tlaquatzin animal. 143 Tlascala prouince. 164. Gouuernement ancien 165.limites de l'EueschĂŠ. 167. ville. ibid. Tlilayotic pierre 144 Thlxochilt. 141 227 Toboses peuples. 301 Tocayma ville. 87 Tocko w ouge racine 617 Toledo ville. 423.428 Tolten riuiere. 288 Tolu ville. 390 Tomohaui vent. Tomomymos peuples. 482 Tompires peuples 233 Ton insecte. 489 214.219. Tonteac prouince. 253 Tonala coste. 205 Topia prouince. 481 Topinambazes peuples. Topinagues peuples. 482 13 Tortuga Isle. 629 Tortuga Isle. 25 Tortuges Isles. 572 Totocke fruict. 242 Totoquestal oifeau. 491.553 Toucan oiseau. Toyma vallee. 376 Trapalanda. 463 Triangulo Isle. 25 303 Trinidad ville deN.Grenade. 255 la Trinidad ville.

Trinidad Ifle. . 603 Tritons du Brasil. 508.512 Truxillo ville de Hondure. 259 Truxillo ville du Peru. 352 Tucapel prouince. 418 Tucayan. 217 Tucuara canne. 503 Tucumana prouince. 463 Tucuyo ville. 627 Tucuyo vallee. 623 Tumbez vallee. 344 139 Tuna arbre. Tunia prouince. 300 304 ville. Tupiguas peuples. 479 Tupinakins peuples, ibid. 479.520.558 Tupinambas peuples. 632 Turiame. 414 Turquoises en Chile. Tutepeque prouince. 175 540 Tyguares peuples. 502 Tyroqui herbe. V. Aches de Quiuira. 220 Valdiuia ville. 423.429 Valledolid de Hondure. 257 Vallodolid ville du Peru. 347 Vallodolidde Mechoacan. 183 Vallodolid ville. 189 Valparayfo port. 415.426 Valuerde ville. 361 Vasquio Nunnez Balboa. 2.78 Vbirre poiflon. 509 Velfers. 621 Venezuela prouince, ibid. Venta de cruzes. 271 Venta de cruzes. 272 Veragua prouince. 265 Vera Cruz ville. 170 Verapaz prouince. 246 Vethcunquoy animal. 89 Vguaariuiere. 472 Viatan peuples. 479 Vicunnas. 320.329 Vianes Sauuages. 342 Villa delSpiritu sancto. Villa noua de los Infantes. 422 Villa del Spiritu sancto. Villa Rica de Chile. 423 430 Vilcabamba. 377 S. Vincent Isle. 29 S. Vincent Capitanie. Virason vent. 514 5 Virgines Isles. Virginie.82.& ce qui s’ensuit.langage de gens. 87 Vitacucho prouince. 108 Viticos peuples. 368 Vittoriade los Remedios. 305 Viuores rochers. 22 Vizcacha animal. 330 Vnare riuiere. 619. 621 144.168 Volcan. Vraba golfe. 277.278 Vru


TABLE Vni perdrix. Vssun cerises. Vulcan en Yzalcos. Vulcan de Quito. Vxitipa prouince,

DES 491 325 251.253 335 202

W.

Walther Ralegh. Walther Ralegh. Walrus poisson. Walperg terre. Wapenokes peuples. Warraweery peuples. Wayana wasons peuples, W aynasses peuples. Waytaquases peuples. W eroances Cafliques. Wia riuiere. Wiapoco riuiere. W ichsacan racine. Winauck sassafras. Wingandecaw. X.

100 595 41 98 76 595

’ 483 482 ibid. 84.99 579 576 87 98 96

Agua arbre. 14 303 Xagua arbre. 181 Xalapa racine. Xalapa place. 171 198 Xalifco prouince. 138 Xalxocotl arbre. 133 Xarapisca. 8 Xaragua prouince. Xarayes Lac. 455.457 137 Xahuali arbre. Xahuali arbre. 14 Xauxa riuiere. 37° Saura vallee. 369 204 Xcres de la Frontra. Xicapala riuiere. Xilotepec prouince. 150 Xizaharas montagnes. 624 Xocoatl boisson. 240 178 Xochicapatli arbre. Xochixotzotl. 1322 192 Xocoxochitl arbre. 140 Xuchinacaztli. 628 Xuruara prouince. 339 Xutas oiseaux. 259 Xuticalpa vallee.

MATIERES. Y.

201 573.582 490 263 304 561

YAquimi riuiere. Yaos Sauuages. Yapuoiseau. Yare riuiere. Ybague ville. Xbouypap montagne. Yca vallee. Ycotl arbre. Yetin insecte. Yguarsongo prouince. Yguazu riuiere. Yolatole boisson. Yolloxochitl. Ynagua Isle. Ynchic fruict. Yp ko riuiere. Ytaten riuiere, Ytatin prouince. Yucatan prouince. Yncay vallee. Yuiuy vallee. Yutu perdrix. Yzalcos prouince. * Yzquiepatli oiseau. Yztacpalapa. Z. Acatecas prouince. Zacatula ville. Zaccheo Isle. Zahuatl ileuue. Zama prouince. Zamba Ifle. Zamora ville. Zapotes fruict. Zapoteca prouince. Zapuatan prouince. Zarbi riuiere. Zebaco Isles. Zeltales peuples. Zenu prouince & riuiere. Zeyba arbre. Zeybo ville. Zeybo arbre. Zoques peuples. Zoques peuples. Zumpango. Zuny prouince.

361

139 489 347 458 240 141 25 322 456 416 395 186 376 463 331 251 243 149

-

Fautes qui sont aduenuës inopinement en ce Liure. A G. 14. Lig. 14. lisez Peninsule, ibid.l.38. le, meur, ibid.l.39. s’ouure de soi-mesme, ibid.l.40.

P son, est, ibid.l.41.sain. P.70.l.17.ibid.l.18.Turquie. P. 72.l.13.qu'il, ibid.l.42. vtilement, ibid. 1.54. inconstant. P.71.l.43. ostez, Chancelier, car c'est vn Office bien different. P. 74.l.30.d

Sauuages nommez Sagam, c'est ainsi qu’ils appellent leurs Seigneurs. P. 75. l.31.qu’il nomma, &ct. P. 83.l.37.cinq milles, ibid.46.bol Armeni. P. 96.l.5.soyent. P. 89.l.44. toutesfois. P.202.l. 11. raquimi. P.244.l.5.Alcaldes. P. 197.l.28. Cadix,, ibid. l.32. Canariens, ibid. l. 44. Contadores. P. 304.l.4. pressé.ibid.l.20. Tunia, ibid.l.21.Marequita. P. 313.l.40. Bonauentura. P.34I.l.27. Paltos, non Pastos. P. 415.l.28.Chucuito. P.468, l.18.ciuilisés, ibid.l.23.ensemencent. P. 518.l.3. defendre. P.558.l.9.qu’on. P.573.l.33.raos.

F

I

N.

203 184 5 166 378 290 341 192 175 199 303.304 264 244 285.291 261 11 195 192 244 145 230






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